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Aux frontières de l'orientalisme, Scattered Goddesses, Travels with the Yoginis

Date post: 10-Jan-2023
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Arts Asiatiques Tome 68 – 2013 135 Padma Kaimal, Scattered Goddesses, Travels with the Yoginis , Ann Arbor, Association for Asian Studies, Inc. (Asia Past and Present: New Research from AAS, 8), 2012, xxvii + 283 pages, 138 figures, 10 tableaux, carte, glossaire et index. ISBN 978-0-924304-67-5 « Also, for the sake of religious merit, the counsellor of the king built this very terrible abode, … (and) filled full of female ghouls (ḍākinī), of the divine mothers (mātr̥), who utter loud and tremendous shouts in joy, (and) who stir up the oceans with the mighty wind rising from the magic rites of their religion. » Inscription pariétale de Gaṅgdhār, de Viśvavarman (424-425), l. 35-37, traduction John Faithful Fleet 1 . Historienne de l’art, spécialiste de l’Inde méridionale ayant travaillé, notam- ment, sur la question du portrait dans l’art indien et sur celle d’un art régional de la période cōḻa 2 , Padma Kaimal nous invite * Sans mes collègues, Dominic Goodall, qui m’a donné toutes les photographies du Śiva de Tirumēlccēri, et Emmanuel Francis, avec qui j’ai exploré Kāvērippākkam et Tirumēlccēri, cette note de lecture eût été singuliè- rement plus pauvre. Sans Emmanuel Siron, qui a bien voulu prendre pour moi des photographies au sein du musée Guimet, l’illustration n’aurait pas été aussi expli- cite. J’ai grand plaisir à les remercier ici tous les trois. 1. Fleet 1888, inscription 17, p. 72-78 ; voir aussi Sircar 1991, n o 52, p. 399-405, qui date cette inscrip- tion de 423. 2. Cf. Kaimal 1996, 1999 et 2000. Aux frontières de l’orientalisme, Scattered Goddesses, Travels with the Yoginis Charlotte Schmid* dans son ouvrage à une quête autant his- toriographique qu’archéologique, dans le sillage d’un groupe de sculptures qui connut un destin singulier au xx e siècle. La majorité d’entre elles sont des repré- sentations de divinités féminines d’aspect terrible, que l’on appelle communément des yoginī, terme sanskrit désignant cer- taines formes de déesses mineures dont les redoutables pouvoirs se traduisent, entre autres, par des caractéristiques physiques propres à susciter l’effroi 3 . Par référence à l’origine supposée des sculp- tures, le groupe ici considéré est connu comme celui des « yoginī de Kāñcīpuram ». Ces figures féminines constituent un ensemble qui, depuis le nord du pays tamoul d’où nombre d’entre elles furent envoyées par Gabriel Jouveau-Dubreuil en 1926, a subi une forme de démembre- ment pour se trouver aujourd’hui réparti dans douze musées, celui de Madras, huit musées nord-américains, le musée Rietberg (Zürich) et le musée Guimet où l’on peut admirer trois des yoginī du groupe originel (MG 18506-18508, fig. 1). C’est aux deux extrémités du millénaire de leur existence que P. Kaimal a consacré son 3. Il faut comprendre ici le terme comme se référant aux pouvoirs que les yogin, ceux qui pratiquent le yoga, sont susceptibles d’acquérir. On pourrait tout autant utiliser des termes moins couramment rencontrés, tel ḍākiṇī, qui apparaît dans l’inscription placée en épigraphe à la présente note comme l’un des documents archéolo- giques les plus anciens mentionnant ces maîtresses de puissances magiques. La bibliographie concernant les yoginī est longue et je renvoie donc à celle que propose P. Kaimal quant à de nombreux aspects. On trouve dans l’ouvrage récent édité par István Keul (2013) nombre d’approches plus proprement textuelles. livre. Il s’agit ici autant des artisans, des patrons, des adorateurs qui sont à l’ori- gine de l’apparition de ces yoginī et de leurs satellites entre le ix e et le x e siècle ap. J.-C., que du monde des orientalistes, responsable d’une dispersion qui com- mença au début du xx e siècle pour s’ache- ver dans les années 1980. C’est à ceux que de telles pièces ont fascinés, d’un continent à l’autre et pour des raisons bien différentes mais où toujours la force esthétique des sculptures ici présentées a joué un rôle fondamental, que l’ouvrage est destiné. Sur ces déesses « éparpillées », P. Kaimal construit une réflexion sur la relation entre le monde indien et occiden- tal qui sera le fil conducteur de la présente note. La quête des origines du groupe de sculptures emprunte dans l’ouvrage pré- senté trois voies : reconstituer l’ensemble cultuel dont les statues considérées attes- tent l’existence ; retracer la perception occidentale de celles-ci ; plaider pour une nouvelle conception des rapports entre l’Inde et l’Occident. Chaque domaine présente ses difficul- tés propres. Une sculpture que ses dimen- sions, son style, sa date, sa provenance et son iconographie permettent, à mon sens, d’associer aux yoginī dites de Kāñcīpuram, pourrait conférer à celles-ci un relief par- ticulier. Je me suis donc permis de l’in- troduire dans cette présentation du livre de P. Kaimal, qui m’a inspirée dans mon propre travail sur les relations entre Śiva et les nombreuses déesses du panthéon hindou.
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Arts Asiatiques Tome 68 – 2013 135

Padma Kaimal, Scattered Goddesses, Travels with the Yoginis, Ann Arbor, Association for Asian Studies, Inc. (Asia Past and Present: New Research from AAS, 8), 2012, xxvii + 283 pages, 138 ­figures,­10­tableaux,­carte,­glossaire­et­index.

ISBN 978-0-924304-67-5

« Also, for the sake of religious merit, the counsellor of the king built this very terrible abode, … (and) filled full of female ghouls (ḍākinī), of the divine mothers (mātr̥), who utter loud and tremendous shouts in joy, (and) who stir up the oceans with the mighty wind rising from the magic rites of their religion. »

Inscription­pariétale­de­Gaṅgdhār,­de­Viśvavarman­(424-425),­l.­35-37,­traduction­John­Faithful­Fleet1.

Historienne­de­ l’art,­spécialiste­de­l’Inde­méridionale­ayant­travaillé,­notam-ment,­sur­la­question­du­portrait­dans­l’art­indien­et­sur­celle­d’un­art­régional­de­la­période cōḻa2,­Padma­Kaimal­nous­invite­

* Sans­mes­collègues,­Dominic­Goodall,­qui­m’a­donné­toutes­ les­ photographies­ du­ Śiva­ de­ Tirumēlccēri,­ et­Emmanuel­Francis,­avec­qui­j’ai­exploré­Kāvērippākkam­et­Tirumēlccēri,­cette­note­de­lecture­eût­été­singuliè-rement­plus­pauvre.­Sans­Emmanuel­Siron,­qui­a­bien­voulu­prendre­pour­moi­des­photographies­au­sein­du­musée­Guimet,­l’illustration­n’aurait­pas­été­aussi­expli-cite.­J’ai­grand­plaisir­à­les­remercier­ici­tous­les­trois.1. Fleet­ 1888,­ inscription­ 17,­ p.­ 72-78 ;­ voir­ aussi­Sircar 1991, no 52, p. 399-405, qui date cette inscrip-tion de 423.2. Cf. Kaimal 1996, 1999 et 2000.

Aux­frontières­de­l’orientalisme, Scattered Goddesses, Travels with the Yoginis

Charlotte­Schmid*

dans­son­ouvrage­à­une­quête­autant­his-toriographique­qu’archéologique,­dans­le­sillage­d’un­groupe­de­sculptures­qui­connut­un­destin­singulier­au­xxe­siècle.­La­majorité­d’entre­elles­sont­des­repré-sentations­de­divinités­féminines­d’aspect­terrible,­que­l’on­appelle­communément­des yoginī,­terme­sanskrit­désignant­cer-taines formes de déesses mineures dont les­redoutables­pouvoirs­se­traduisent,­entre autres, par des caractéristiques physiques­propres­à­susciter­l’effroi3. Par référence­à­l’origine­supposée­des­sculp-tures,­le­groupe­ici­considéré­est­connu­comme­celui­des­« yoginī­de­Kāñcīpuram ».­Ces­ figures­ féminines­ constituent­ un­ensemble­qui,­depuis­ le­nord­du­pays­tamoul­d’où­nombre­d’entre­elles­furent­envoyées­par­Gabriel­Jouveau-Dubreuil­en 1926, a subi une forme de démembre-ment­pour­se­trouver­aujourd’hui­réparti­dans­douze­musées,­ celui­de­Madras,­huit­musées­nord-américains,­le­musée­Rietberg­ (Zürich)­et­ le­musée­Guimet­où­l’on­peut­admirer­trois­des­yoginī du groupe­­originel­(MG­18506-18508,­fig. 1). C’est­aux­deux­extrémités­du­millénaire­de­leur­existence­que­P.­Kaimal­a­consacré­son­

3. Il­faut­comprendre­ici­le­terme­comme­se­référant­aux­pouvoirs­que­les­yogin,­ceux­qui­pratiquent­le­yoga, sont susceptibles­d’acquérir.­On­pourrait­tout­autant­utiliser­des­ termes­moins­ couramment­ rencontrés,­ tel­ḍākiṇī, qui­ apparaît­ dans­ l’inscription­ placée­ en­ épigraphe­ à­la­présente­note­comme­l’un­des­documents­archéolo-giques­les­plus­anciens­mentionnant­ces­maîtresses­de­puissances­magiques.­La­bibliographie­concernant­ les­yoginī­est­longue­et­je­renvoie­donc­à­celle­que­propose­P.­Kaimal­quant­à­de­nombreux­aspects.­On­trouve­dans­l’ouvrage­récent­édité­par­ István­Keul­(2013)­nombre­d’approches­plus­proprement­textuelles.­

livre.­Il­s’agit­ici­autant­des­artisans,­des­patrons,­des­adorateurs­qui­sont­à­l’ori-gine­de­l’apparition­de­ces­yoginī et de leurs­satellites­entre­le­ixe­et­le­xe­siècle­ap.­J.-C.,­que­du­monde­des­orientalistes,­responsable­d’une­dispersion­qui­com-mença au début du xxe­siècle­pour­s’ache-ver­dans­les­années­1980.­C’est­à­ceux­que­de­telles­pièces­ont­fascinés,­d’un­continent­à­l’autre­et­pour­des­raisons­bien­différentes­mais­où­toujours­la­force­esthétique­des­sculptures­ici­présentées­a­joué­un­rôle­fondamental,­que­l’ouvrage­est destiné.

Sur­ ces­ déesses­ « éparpillées »,­P.­Kaimal­construit­une­réflexion­sur­la­relation­entre­le­monde­indien­et­occiden-tal­qui­sera­le­fil­conducteur­de­la­présente­note.­La­quête­des­origines­du­groupe­de­sculptures­emprunte­dans­l’ouvrage­pré-senté­trois­voies :­reconstituer­l’ensemble­cultuel­dont­les­statues­considérées­attes-tent­l’existence ;­retracer­la­perception­occidentale­de­celles-ci ;­plaider­pour­une­nouvelle­conception­des­rapports­entre­l’Inde­et­l’Occident.

Chaque­domaine­présente­ses­difficul-tés­propres.­Une­sculpture­que­ses­dimen-sions,­son­style,­sa­date,­sa­provenance­et­son­iconographie­permettent,­à­mon­sens,­d’associer­aux­yoginī­dites­de­Kāñcīpuram,­pourrait­conférer­à­celles-ci­un­relief­par-ticulier.­Je­me­suis­donc­permis­de­l’in-troduire­dans­cette­présentation­du­livre­de­P.­Kaimal,­qui­m’a­inspirée­dans­mon­propre­travail­sur­les­relations­entre­Śiva­et­les­nombreuses­déesses­du­panthéon­hindou.

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Suivons­tout­d’abord­l’auteure­posant­dans­son­premier­chapitre,­« Who­they­are:­Identifying­the­Dispersed­Sculptures »­(p.­7-79)­son­objet­d’étude,­ou­« Kanchi set »,­un­ensemble­de­sculptures­que­l’on­pense­originaires­de­Kāñcīpuram.­Les­deu-xième­et­troisième­chapitres,­« Who­They­Were:­Reading­the­Dispersed­Sculptures »­(p.­ 81-108)­ et­ « Where­ They­ Lived:­Reimagining­the­Lost­Yogini­Temple­in­Kanchi »­(p.­109-13)­s’attachent­à­définir­chacune­des­statues­et­à­les­disposer­dans­une­structure­monumentale­originelle­que­l’auteure­constitue,­à­l’instar­de­ses­pré-décesseurs,­sur­le­modèle­des­sanctuaires­connus­du­genre­comme­un­temple­à­ciel­ouvert,­circulaire­ou­quadrangulaire.­Quel­est-il ?­D’où­vient-il ?­Qui­fonda­son­exis-tence ?­Rappelons­que­ce­que­l’on­appelle­les­temples­aux­yoginī par référence aux nombreuses­figures­féminines­que­com-portent­ces­sanctuaires­sont­des­lieux­de­culte­shivaïte­et­que­la­divinité­centrale­était­une­forme­de­Śiva.­P.­Kaimal­ajoute­pour­sa­part­cinq­sculptures­aux­quatorze­

pièces­présentées­dans­les­études­anté-rieures­pour­constituer­un­ensemble­de­dix-neuf­sculptures4.­Il­comprend­ainsi­deux­gardiens­de­seuil,­en­quasi­ronde-bosse, douze yoginī,­sculptées­sur­un­fond­de­stèle,­trois­« mères »­(mātr̥ ;­déesses­figurées­en­groupes,­ correspondant­à­l’aspect­guerrier­de­divinités­masculines­précises,­au­moment­où­ces­mères­furent­sculptées),­en­ronde-bosse,­un­Śiva­musi-cien,­sculpté­sur­un­fond­de­stèle­tout­comme­les­yoginī, et une statue en ronde-bosse­de­Skanda­conservée­au­musée­de­Madras,­qui­constitue­une­addition­substantielle­au­groupe­constitué­anté-rieurement (fig. 2)5.­L’auteure­suppose­

4. Les­tableaux­récapitulatifs­des­pages­8-10­et­21-23­sont­à­cet­égard­précieux.5. Parmi­les­études­mentionnées­par­P.­Kaimal,­le­cha-pitre­intitulé­« South­Indian­Yoginīs »­dans­Dehejia 1986 et­ l’article­« Finding­ the­Kāñcī­Yoginīs »­ (Harle 2000), dont­ le­ titre­ résume­ les­ recherches­ récentes,­ sont­ les­contributions­ les­ plus­ substantielles.­ Il­ s’y­ ajoute­ un­article­ posthume­ de­ ce­ dernier­ auteur,­ Harle 2008, posant­le­Śiva­aujourd’hui­conservé­au­musée­de­Boston,­comme­la­forme­masculine­accompagnant­les­yoginī.

l’ensemble­réparti­dans­un­temple­aux­yoginī,­monument­ le­ plus­méridional­connu­du­genre.­Rares­mais­spectaculaires­car­d’une­forme­bien­différente­de­celles­des­temples­dédiés­à­Śiva­ou­à­Viṣṇu,­les­temples­aux­yoginī­se­situent­dans­le­nord,­l’est,­et­le­centre­de­la­péninsule­Indienne.­Le­sanctuaire­dans­lequel­les­yoginī méri-dionales­auraient­pris­place,­et­que­l’on­situe­plus­précisément­à­Kāñcīpuram­pour­des­raisons­discutées­ultérieurement,­apparaît­isolé­dans­le­sud­de­l’Inde.

Sur­le­modèle­des­autres­structures­documentées,­ les­douze­yoginī­dont­ il­est­ ici­question­sont­placées­dos­vers­l’extérieur­sur­le­mur­marquant­le­pour-tour­du­temple.­Chacune­d’elles­offre­des­caractères­iconographiques­destinés­à­provoquer­le­respect,­voire­l’épouvante :­les­parures­de­serpents,­de­crânes­et­de­cadavres­comme­le­croc­apparent,­le­sour-cil­froncé­et­l’œil­globuleux­de­la­plupart­d’entre­elles,­ la­calotte­crânienne­que­tiennent­celles­qui­ont­conservé­l’attribut­de­la­main­inférieure­gauche­(à­droite),­

Figure 1. — Yoginī,­musée­Guimet,­MG­18506,­MG­18507­et­MG­18508.­Photo­Charlotte­Schmid.

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en­disent­long­sur­leurs­pouvoirs­de­vie­et de mort. Leurs quatre bras accentuent leur­puissance.­Les­lignes­le­plus­souvent­voluptueuses­de­leurs­corps­à­la­poitrine­pleine,­à­l’exception­d’une­d’entre­elles­représentée­les­seins­pendants,­contras-tent avec ces signes extérieurs de domina-tion.­Mais­en­Inde­méridionale­les­déesses­les­plus­terribles­présentent­ce­même­contraste­entre­la­séduction­du­corps­fémi-nin et des attributs ou un contexte faisant naître­la­crainte­–­rappelons­ici­que­l’on­se­tranche­la­tête­devant­des­Durgā-Koṟṟavai,­des­déesses­guerrières,­aux­traits­délicats­et­au­sourire­paisible.­L’emplacement­comme­la­fonction­des­trois­« mères »,­éga-lement­pourvues­de­quatre­bras,­dans­l’en-semble­demeure­mystérieux.­Mais­surtout­qui­était­la­divinité­masculine­centrale ?­Est-elle­représentée­dans­le­Kanchi set ?­Pour­P.­Kaimal­(p.­118-122),­deux­sculp-tures­peuvent­prétendre­à­ce­rôle :­Śiva­et­Skanda.

L’auteure­insiste­sur­la­force­du­pou-voir­des­déesses­qui­était­mis­en­scène­et­sur­la­combinaison­de­deux­pôles­ugra, terrible,­et­saumya,­paisible,­de­bon­et­de­mauvais augure (maṅgala et a-maṅgala) qu’illustrent­les­déesses.­On­retrouve­cette­bipolarité­dans­le­Śiva­musicien­dont­les­caractéristiques­ terribles­sont­remar-quables,­mais­que­son­caractère­nettement­bidimensionnel­ne­prédispose­pas­à­être­placé­au­centre­d’un­groupe­ainsi­que­le­souligne­P.­Kaimal.­On­peut­la­suivre­sur­ce­point, contra­J.­C.­Harle­(2008)­pour­qui­le­Śiva­musicien­constitue­la­divinité­mascu-line­du­sanctuaire­originel,­une­forme­très­particulière­de­Bhairava,­qui­est­la­divinité­la­plus­fréquemment­associée­dans­les­textes­avec­les­yoginī.

L’on­ peut­ cependant­ signaler­ que­les­caractéristiques­terribles­de­ce­Śiva,­qu’on­le­considère­ou­non­comme­le­dieu­des yoginī­avec­lesquelles­son­style,­sa­position,­son­iconographie­et­l’histoire­de­la­pièce­telle­qu’elle­nous­est­connue­l’as-socient­étroitement,­ne­sont­ni­nouvelles­ni­exceptionnelles.­Tous­les­Śiva­du­royal­Kailāsanātha­de­Kāñcīpuram­sont­pour-vus­de­crocs­dès­le­viiie­siècle.­Les­cheveux­

dénoués,­les­armes­et­le­feu­de­nombre­de­Śiva­musiciens­du­delta­de­la­Kāvēri­attes-tent,­à­partir­du­ixe­siècle,­du­caractère­au­moins­partiellement­terrible­de­formes­liées,­ dès­ leur­ origine­ peut-être,­ aux­formes­appelées­« Vīrabhadra »­qui­accom-pagnent­les­mères.­Mais­celles-ci­héritent­des­groupes­de­déesses­à­têtes­éventuel-lement­animales­des­premiers­ siècles­qu’accompagne­Skanda­en­tant­que­chef­des graha,­des­saisisseurs,­sur­des­sculp-tures­originaires,­tout­d’abord,­de­Mathurā­durant­la­période­kouchane­(ier-iiie­siècle).­Ce­sont­là­des­éléments­qui­viennent­à­l’ap-pui­de­l’hypothèse­de­P.­Kaimal­lorsqu’elle­pose­plutôt­le­Skanda­en­ronde-bosse­du­musée­de­Madras­comme­marqueur­du­centre­de­la­cour­où­prenaient­place­les­déesses.­Sa­proposition­met­en­valeur­les­parts­d’ombre­que­comporte­l’histoire­du­groupe­de­sculptures.

Le­ Skanda­ que­ présente­ P.­ Kaimal­(p.­18-20,­83-85)­fit­en­effet­son­appari-tion­en­1937,­plus­de­dix­ans­après­l’en-voi­fait­à­Paris­par­G.­Jouveau-Dubreuil­du­ lot­de­sculptures­comportant­onze­des douze yoginī­connues.­Il­fut­remis­au­musée­de­Madras­par­le­district collector de Kāñcīpuram,­comme­une­autre­des­yoginī du­groupe,­la­seule­qui­n’appartienne­pas­au­lot­envoyé­à­Paris­(chapitre­1,­note­30).­Si­le­dieu­au­paon­accompagna­jamais­les­divinités­féminines­dont­il­est­ici­question­(il­nous­paraît­d’un­style­plus­tardif­mais­pourrait­avoir­été­intégré­dans­l’ensemble­préexistant, infra,­p.­149),­il­aurait­donc­hérité­d’une­tradition­fort­ancienne,­attes-tée­dès­les­environs­de­notre­ère­dans­la­région­de­Mathurā6.­Le­Śiva­musicien­peut­

6. Sur­les­mères­et­Skanda,­voir­Schmid 2010, p. 182-188 ;­Mann 2012.

Figure 2. — Skanda,­musée­de­Madras,­MGM­71-5.37.­Photo­Emmanuel­Francis.

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précision­peu­accessible­pour­ce­qui­est­du­nord­du­pays­tamoul­durant­les­ixe et xe siècles.­L’ensemble­de­Kāñcī­n’étant­accom-pagné­d’aucune­inscription,­l’on­ne­peut­guère­qu’en­comparer­les­traits­à­ceux­que­l’on­observe­sur­des­fondations­proches­du­lieu­de­trouvaille­et­dont­la­date­serait­bien­définie.­Les­archives­de­G.­Jouveau-Dubreuil­indiquent­que­la­majorité­des­pièces­du­lot­envoyé­à­Paris­en­1926­ont­sans­doute­été­recueillies­à­Kāñcīpuram­ou­dans­ses­envi-rons. Au xe­siècle,­les­pièces­de­comparaison­originaires de cette région ne sont pas nom-breuses.­Ce­sont­les­sculptures­d’un­site­daté­grâce­à­une­inscription­de­fondation­du­ixe­siècle,­Tiruttaṇi,­et­un­autre­daté­ordinai-rement du ixe­siècle­mais­qui­pourrait­être­du début du xe­siècle­d’après­les­recherches­récentes­de­R.­Nagaswamy,­Kāvērippākkam,­qui­sont­évoqués­par­P.­Kaimal9. Ce dernier site,­localisé­à­une­vingtaine­de­kilomètres­à­l’ouest­de­Kāñcīpuram,­a­souvent­été­lui-même­considéré­comme­un­site­d’origine­possible­des­yoginī­dites­de­Kāñcīpuram.­Pour­R.­Nagaswamy­ les­yoginī ne sont pas­originaires­de­Kāñcīpuram­mais­de­Kāvēripākkam10.­V.­Dehejia­hésitait­elle­aussi­ à­ replacer­ les­ yoginī­ trouvées­ à­Kāñcīpuram­à­Kāvēripākkam11.

On­observe­par­ailleurs­au­sein­du­groupe­de­sculptures­des­particularités­qui­dessinent­plusieurs­ensembles.­Les­trois­« mères »­sont­en­quasi­ronde-bosse­et­de­plus­petite­taille­que­les­yoginī­et­le­

9. Voir­Nagaswamy­2006,­p.­94-95.­C’est­à­ces­deux­sites­que­tant­P.­Kaimal­que­les­auteurs­qui­avaient­auparavant­étudié­ les­déesses­de­ l’ensemble­ font­appel­dans­ leurs­comparaisons, voir Barrett 1958, p. 6, Dehejia 1986, p.­82­[figure­dite­venir­de­Kāvērippākkam],­p.181-182.­Le­site­de­Takkōlam,­à­une­quinzaine­de­kilomètres­au­nord­de­Kāñcīpuram,­distance­équivalente­à­celle­du­site­de­Kāvērippākkam,­n’est­jamais­évoqué­dans­les­publica-tions,­mais­constitue­aussi­un­site­de­comparaison­car­il­s’y­élève­un­temple­daté­de­la­fin­du­ixe­siècle­ou­du­début­du xe­siècle­(cf. Barrett­1974,­p.­64-65).­Les­sculptures­de­ce­dernier­site­me­paraissent­en­fait­plus­proches­de­celles­du­ lot­de­G.­ Jouveau-Dubreuil­que­ les­statues­de­Tiruttaṇi.­Les­sourires­de­la­déesse­debout­sur­une­tête­de­buffle­et­de­la­Dakṣiṇāmūrti­(les­commissures­nette-ment­marquées­ et­ relevées,­ aux­ lèvres­pleines­ entrou-vertes,­sur­ce­qui­ressemble­à­de­fins­crocs­pour­ce­qui­est­du­Śiva)­et­le­traitement­de­la­chevelure­de­cette­der-nière­ pièce­ sont,­ notamment,­ fort­ comparables­ à­ ceux­des yoginī qui nous occupent. 10. Nagaswamy 2006, p. 94.11. Dehejia 1986, p. 182.

cependant­aussi­être­considéré­comme­la­divinité­shivaïte­qui­dominait­le­groupe.­Outre­l’association­de­ce­dieu­avec­des­mères,­bien­attestée­au­moment­où­l’on­sculpte­ces­statues,­ce­dieu­peut­se­pré-valoir­de­la­tradition­iconographique­de­l’art­des­Pallava­en­pays­tamoul­(viie-ixe siècle).­La­grande­majorité­des­formes­musiciennes­shivaïtes­sont­alors­en­effet­des­Ardhanārīśvara7.­ Leur­ androgyne­nature­suppose­une­relation­particulière-ment­étroite­de­Śiva­avec­la­divinité­fémi-nine,­que­l’on­pourrait­retrouver­dans­une­association­avec­les­yoginī.

Peut-on­ concevoir­ plusieurs­ pôles­d’attraction­masculine­dans­le­temple­aux­yoginī ?­Skanda­et­Śiva­y­auraient-ils­tous­deux­occupé­une­place ?­L’un­serait-il­plu-tôt­associé­avec­les­mères,­l’autre­avec­les­yoginī ?­L’hypothèse­me­paraît­pouvoir­être­posée.­Le­Skanda­et­les­mères­partagent­la­sculpture­en­ronde-bosse ;­leur­association­dans­les­textes­et­la­tradition­sculptée­est­très­ancienne.­On­peut­considérer­qu’elle­est­passée­de­mode­en­quelque­sorte­dès­le­ixe­siècle,­et­les­statues­qui­nous­occupent­ne sont pas antérieures au ixe­siècle.­Mais­il­s’agit­de­représentations­uniques­en­pays­tamoul­et­une­iconographie­originale,­ins-pirée­de­modèles­anciens,­peut­témoigner­de­formes­d’expériences­iconographiques­menées­dans­une­région­où­il­n’existait­pas­de­tradition­de­représentations­des­mères,­ni des yoginī.­Le­Śiva­musicien­et­les­yoginī partagent­de­leur­côté,­outre­leur­style,­la­taille­en­haut-relief,­la­posture­assise­par-ticulière­dans­son­dynamisme­et­nombre­de­détails­iconographiques­(parures­de­serpents, kaṭvāṅga).­Il­n’est­pas­si­facile­pourtant­de­disposer­les­représentations.­On­s’attendrait­plutôt­qu’une­ronde-bosse­soit­le­centre­d’un­cercle­de­stèles.­L’on­ne­

7. Le­sein­de­la­déesse­constitue­la­caisse­de­résonnance­de­l’instrument.­Ces­images­font­écho,­à­mon­sens,­à­l’ex-pression­tamoule­mulai-yāl,­littéralement­le­« yāl de poi-trine/sein »­utilisée­dans­la­littérature­du­mouvement­de­bhakti (cf.,­ par­ exemple,­Tēvāram 1.63.7). Le terme yāl désigne­en­effet­un­instrument­à­corde­qui­peut­être­un­genre­de­luth,­un­« yāl­de­poitrine »,­comme­lorsque­l’on­représente­un­Śiva­musicien.­Contra­P.­Kaimal­qui­explique­(note­ 8­ du­ chapitre)­ ne­ déceler­ aucune­ caractéristique­féminine­dans­les­Śiva­musiciens­Pallava­(s’opposant­ainsi­à­Hawley 1983, p. 141-145 et Lockwood 2001).

sait­plus­alors­où­placer­les­mères,­ni­le­Śiva­qui­serait­subordonné­à­ce­qui­est­bien­aux­ixe et xe­siècles,­que­l’on­se­situe­ou­non­dans­le­pays­tamoul,­une­forme­de­son­fils.

Nombre­des­hypothèses­de­P.­Kaimal­s’organisent­par­ailleurs­autour­de­la­pré-sence­d’un­temple­aux­yoginī dans ce qui est l’une­des­sept­cités­sacrées­de­l’Inde,­la­seule­située­dans­la­pointe­sud­de­la­péninsule,­un­centre­religieux­rassemblant­­jaïnisme,­bouddhisme­et­hindouisme,­et­qui­fut­la­capitale­de­l’empire­des­Pallava­entre­le­ive­siècle­et­le­ixe­siècle :­Kāñcīpuram.­Pour­P.­Kaimal­(p.­25-27,­110-111),­l’« ensemble­de­Kāñcī »­(Kanchi set)­fut­le­produit­d’un­atelier­particulier,­actif­pendant­plusieurs­siècles­ à­ Kāñcīpuram­ et­ dont­ le­ style­marque­chacune­des­pièces­depuis­la­fon-dation­royale­Pallava­du­Kailāsanātha­au­début du viiie­siècle.

L’on­retrouve­ici­des­thèmes­de­réflexion­chers­à­une­scientifique­qui­a­établi­de­façon­convaincante­le­Kāvēri-style­élaboré­en­pays­tamoul,­durant­la­deuxième­moitié­du­ixe siècle,­dans­le­delta­de­la­Kāvēri,­où­la­mise­en­évidence­d’un­style­régional­nourri­par­de­multiples­sanctuaires­locaux­se­fonde­en­opposition­à­l’importance­supposée­d’un­patronage­royal­évanescent8.­Pour­P.­Kaimal­(p.­25-26),­le­Kanchi set représente une variante­septentrionale­de­ce­style­de­la­Kāvēri.­Il­serait­difficile­d’y­reconnaître­quelque­élément­relevant­d’un­patronage­royal,­ne­serait-ce­que­parce­qu’aucun­document­n’atteste­de­présence­royale­à­Kāñcīpuram­au­xe­siècle,­période­à­laquelle­tous­les­auteurs­précédents­assignent­des­sculptures­que­P.­Kaimal­place­entre­900­et­970­–­une­fois­que­les­Pallava­semblent­avoir­disparu­de­Kāñcīpuram­et­au­moment­où­s’élabore­le­style­de­la­Kāvēri.

Notons­que­la­datation­posée­et­les­conséquences­qu’elle­induit­relèvent­ici­de­la­délicate­définition­d’un­style.­Celle-ci­nécessite­ l’établissement­ d’un­ corpus­localisé­dans­le­temps­et­l’espace­avec­une­

8. Voir­Kaimal­1996,­article­au­titre­évocateur :­« Early­Cōḻa­ kings­ and­ “Early­ Cōḻa­ Temples”: Art and the Evolution­of­Kingship ».

Arts Asiatiques Tome 68 – 2013 139

Śiva­musicien­du­Kanchi set,­sculptés­sur­un­fond­de­stèle.­À­la­différence­des­yoginī,­les­mères­ne­portent­pas­la­calotte­crânienne.­Les yoginī­elles-mêmes­ne­constituent­pas­un­groupe­entièrement­homogène­au­sein­de­l’ensemble12. Les gardiens de porte sont quant­à­eux­d’un­style­assez­différent­pour­ce­qui­est­des­proportions­et­du­modelé­du­corps,­du­détail­de­l’ornementation,­des­traits­du­visage­dont­le­relief­est­moins­détaillé­et­moins­prononcé­que­ceux­des­autres­pièces­du­lot­constitué­sous­l’égide­de­G.­Jouveau-Dubreuil13.

Faut-il­vraiment­constituer­un­ensemble­comme­rattaché­à­un­site­originel­unique,­datant du xe­siècle ?­Si­P.­Kaimal­s’affirme­clairement­en­faveur­de­cette­interprétation­(p.­14-15),­les­documents­d’archives­publiés­par­J.­C.­Harle­(2000)­montrent­qu’en­tout­cas­les­gardiens­de­porte­sont­originaires­de­Dadapuram,­à­une­centaine­de­kilomètres­au­sud­de­Kāñcīpuram.­G.­Jouveau-Dubreuil­les­ajoute­au­lot­envoyé­à­Paris­pour­en­« augmenter­la­valeur »14.­Les­détails­icono-graphiques­qu’ils­partagent­avec­le­Skanda­du­musée­de­Madras­rendent,­à­mon­sens,­d’autant­ plus­ difficile­ de­ rattacher­ ce­

12. Les­ crocs­ de­ la­ yoginī­ aujourd’hui­ conservée­ à­Washington­ (Sackler­ Gallery),­ par­ exemple,­ ne­ sont­guère­visibles.­Le­balai­et­le­van­qu’elle­tient­n’ont­rien­d’effrayant.­Son­style­est­par­ailleurs­très­proche­de­celui­de­la­yoginī­du­musée­de­Minnéapolis,­dont­on­ne­distin-gue­pas­non­plus­les­crocs,­et­de­celle­du­musée­Nelson­Atkins­(Kansas­City),­dont­les­canines­proéminentes­sont­pour­ leur­part­bien­visibles.­On­peut­en­ fait­distinguer­au­moins­trois­groupes­différents­dans­les­figures­fémi-nines.­Il­peut­s’agir­de­mains­différentes­œuvrant­au­sein­d’un­même­atelier­mais­ces­différences­avaient­peut-être­aussi­ une­ signification­ fonctionnelle.­ L’on­ ne­ peut­ non­plus­exclure­que­yoginī­et­mères­ne­relevaient­pas­de­la­même­structure­cultuelle.13. Le­seul­élément­d’ornementation­commun­aux­gar-diens­de­porte­et­à­un­autre­personnage­de­l’ensemble­est­une­guirlande­ fleurie­qui­ s’épanouit­ sur­ la­poitrine­de­l’un­des­gardiens­de­porte­et­sur­celle­du­Skanda­du­musée­de­Madras.14. Cf.­ le­transcrit­disponible­dans­Harle 2000, p. 293 de­ la­ note­ rédigée­ par­ G.­ Jouveau-Dubreuil­ « Sur­ les­statues­de­Kanchipuram »,­où­ le­savant­évoque­ainsi­ la­constitution­de­ l’ensemble :­ « … on­pourrait­ augmenter­la­ valeur­ de­ cet­ ensemble­ en­ ajoutant­ les­ doualabars­(sic)­de­Dadapuram­qui­sont­de­ la­même­époque­(viiie siècle),­qui­sont­sculptés­dans­la­même­espèce­de­pierre,­et­ qui­ sont­ exactement­ du­ même­ style. »­ Notons­ que­pour­ce­qui­concerne­le­rassemblement­des­sculptures,­G.­Jouveau-Dubreuil­s’est­reposé­en­fait­grandement­sur­son­assistant,­M.­Thangavelou,­dont­il­signale­à­plusieurs­reprises­ dans­ sa­ correspondance­ le­ caractère­ quelque­peu­incontrôlable.

dernier­à­un­groupe­constitué­par­les­yoginī et­le­Śiva­musicien,­et,­peut-être,­les­mères.­Les­gardiens­de­porte­et­le­Skanda­me­sem-blent­des­pièces­(un­peu ?)­plus­tardives­que­celles­qui­forment­le­noyau­de­l’ensemble,­recueillies­dans­les­environs­de­Kāñcīpuram­par­G.­Jouveau-Dubreuil­et­son­assistant­Thangavelou,­à­savoir­les­yoginī,­les­mātr̥ et­le­Śiva­musicien,­auxquelles­on­peut­avec­P.­Kaimal­ajouter­assurément­la­yoginī du musée­de­Madras­(même­position­dont­on­ne­connaît­pas­l’équivalent­en­dehors­de­cet­ensemble­en­pays­tamoul ;­dimensions ;­type­de­sculpture ;­ornementation ;­modelé­du corps, etc.)15.­Pour­ce­qui­est­de­ces­sculp-

15. La­ position­ particulière­ de­ ces­ yoginī,­ assises,­ les­jambes­croisées­devant­elles­avec­ les­genoux­relevés,­et­le­ buste­ sinueux­ légèrement­ projeté­ vers­ l’avant,­ ne­ se­retrouve­ pas­ ailleurs­ en­ pays­ tamoul.­ La­ posture­ assise­est­proche­en­revanche­de­celles­qu’adoptent­les­mères­en­

tures-là,­une­date­dans­la­première­moitié­du xe­siècle­ne­paraît­pas­impossible­pour­des­raisons­de­style­(proportions,­orne-ments,­traits­du­visage,­etc.)­que­l’on­peut­discuter,­mais­aussi­à­cause­d’une­dimension­iconographique. Au xe­siècle,­les­groupes­de­divinités­féminines­connues­sous­le­nom­de­mātr̥­se­font­plus­nombreux ;­aucun­ne­pré-sente­la­posture­particulière­des­déesses­de­l’ensemble­de­Kāñcīpuram.­La­singularité­de­celles-ci­s’accorde­mieux­avec­une­iconogra-phie­en­formation­telle­que­l’on­peut­encore­considérer­celle­de­l’hindouisme­au­début­du xe­siècle­en­pays­tamoul­que­dans­la­fin­du xe­siècle­où­les­standards­y­sont­plus­lar-gement constitués.

Orissa­aux­viie et viiie­siècles,­région­où­furent­construits­deux­ temples­ aux­ yoginī­ durant­ le­ xe­ siècle­ et­ dont­ les­contacts­avec­le­pays­tamoul­sont­bien­documentés.­

Figure 3. — Gardien­de­porte­retiré­du­réservoir­de­Kāvērippākkam,­musée­de­Madras,­MGM­71-7.37.­Photo­Emmanuel­Francis.

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Mais­si­l’on­considère­uniquement­le­style­et­l’iconographie­des­pièces,­elles­pourraient­également­être­placées­dans­le­ cours­du­ ixe­ siècle.­ La­présence­de­mères­dans­un­lot­originel­pourrait­cor-respondre­à­une­période­de­transition,­comme­elle­pourrait­marquer­l’ascension­de­ces­groupes­en­pays­tamoul,­où­ils­sont­extrêmement­nombreux­dès­la­deuxième­moitié du xe­siècle.

Quant­au­style,­les­sculptures­des­deux­sites des ixe et xe­siècles­de­Tiruttaṇi­et­de­Kāvērippākkam­que­P.­Kaimal­confronte­au Kanchi set,­présentent­avec­celui-ci­nombre­de­traits­communs.­D’autres­com-paraisons­établies­par­P.­Kaimal,­qui­fait­entre autres remonter certaines caracté-ristiques­de­style­au­Kailāsanātha­fondé­au début du viiie­siècle­(p.­26),­tendent­aussi­à­rajeunir­la­fourchette­de­datation.­On­peut­continuer­de­débattre.­La­date­du­site­de­Kāvērippākkam­n’est­pas­assurée.­Il­existait­déjà­au­ixe­siècle­durant­la­période­pallava16­mais­les­sculptures­qui­en­sont­originaires (dont bon nombre furent trouvées­dans­un­large­réservoir)­appar-tiennent­à­plusieurs­époques.­Certaines­d’entre­elles­datent­certainement­du­xe siècle,­comme­le­gardien­de­porte­conservé­au­musée­de­Ceṉṉai­ici­illustré­(fig. 3) –­l’on­verra­plus­bas­pourquoi­nous­nous­attardons­sur­la­datation­de­ce­site.­Quant­aux­guirlandes­fleuries,­elles­s’épanouis-sent­sur­les­poitrines­des­divinités­du­xe siècle­mais­l’on­en­observe­aussi,­même­si­elles­sont­moins­fines,­sur­celle­des­gar-diens­de­porte­de­Tiruttaṇi,­qui­sont­sans­doute du ixe­siècle.­On­les­retrouve­sur­les­gardiens­de­porte­de­Dadapuram­ajoutés­au­lot­de­1926­par­un­G.­Jouveau-Dubreuil­qui­cherchait­à­étoffer­son­envoi.

L’essentiel­pourrait­bien­être­ailleurs.­Les­dates­posées­pour­ les­yoginī dites de­Kāñcīpuram­et­plus­ largement­par­

16. Le­ nom­ le­ plus­ ancien­ du­ site,­ avaṉinārāyaṇa-caturvedimaṅkalam (cf. South Indian Inscriptions 12.67), lui­vient­d’un­des­surnoms­du­Pallava­Nandivarman­III­que­ l’on­ situe­ dans­ la­ deuxième­ moitié­ du­ ixe­ siècle.­Une­ inscription­ datée­ en­ années­ régnales­ de­ ce­ roi­est­ encore­ visible­ à­ Kāvērippākkam­ (cf. South Indian Inscriptions­ 12.50).­ D’autres­ sont­ datées­ en­ années­régnales­des­Pallava­qui­lui­ont­succédé.

P.­Kaimal­pour­le­Kanchi set­s’ajustent­par­rapport­au­débat­plus­vaste­du­rôle­joué­par­les­rois­dans­la­fondation­des­temples­et­l’évolution­du­style.­V.­Dehejia­(1986,­p.­182-183)­date­les­yoginī­du­milieu­du­xe siècle­et­fait­l’hypothèse­d’une­association­du­temple­où­les­yoginī­trouvaient­place­avec­le­Rāṣṭrakūṭa­Kr̥ṣṇa­III.­R.­Nagaswamy­(2006,­p.­94-95)­en­fait­autant :­puisque­Kr̥ṣṇa­III­a­assurément­fondé­des­temples­dans­ les­environs­de­Kāñcīpuram,­ les­yoginī­ne­peuvent­être­antérieures­à­l’éta-blissement­de­ce­roi­dans­la­région,­où­il­apparaît aux environs de 940. A contrario, lorsque­P.­Kaimal­avance­la­datation­de­900-970,­elle­souligne­(p.­26-27)­qu’au-cune­ fondation­royale­n’est­attestée­à­Kāñcīpuram­au­xe­siècle.­C’est­donc­par­rapport­au­rôle­du­roi­que­le­débat­se­place.­Ajoutons­ici­quelques­précisions.

Au ixe­ siècle­ les­ rares­ fondations­royales­connues­sont­regroupées­à­Kāñcī-puram.­Le­temple­shivaïte­du­Mukteśvara­est­alors­le­fait­d’une­reine­Pallava,­der-nière­d’une­ligne­de­donatrices­royales­bien­attestée­dans­la­ville.­En­ces­reines­patronnes­se­profile­l’importance­de­la­représentation­de­la­femme­dans­le­dis-cours­monumental,­conforté­alors­par­d’autres­éléments17,­et­qu’un­temple­aux­yoginī­ne­contredirait­pas.­Placer­le­Kanchi set au xe­siècle­permet­à­P.­Kaimal­de­le­détacher­d’un­art­pallava,­d’essence­royale,­pour­se­tourner­vers­l’art­de­la­période­cōḻa,­où­les­fondations­locales­sont,­au­contraire­de­l’art­apparu­dans­le­territoire­contrôlé­par­ les­Pallava,­extrêmement­nombreuses. La question du patronage royal­ne­se­pose­cependant­pas­nécessai-rement,­à­mon­sens,­de­la­même­manière­dans­le­delta­de­la­Kāvēri­et­dans­le­nord­du­pays­tamoul,­très­investi­par­les­fonda-tions­royales­des­Pallava.­Le­Rāṣṭrakūṭa­Kr̥ṣṇa­III­fit­construire­là­plusieurs­temples­au xe­siècle ;­très­peu­de­temples­de­la­

17. À­partir­du­ roi­Nandivarman­ II­ (deuxième­moitié­du viiie­ siècle),­ les­ reines­ disposent­ d’une­ généalogie­dans­ les­ tablettes­royales­en­sanskrit­ (cf.­ les­ tablettes­de­Velūrpaḷaiyam­par­exemple)­et­apparaissent­réguliè-rement­comme­donatrices­dans­les­inscriptions­parié-tales­en­tamoul.

bhakti­locale­dont­témoignent­les­corpus­dévotionnels­ tamouls­composés­entre­le­vie­siècle­et­le­ixe­siècle­(Tēvāram et Nālāyirativviyappirapantam)­y­sont­locali-sés­–­mais­ceux-ci­sont­légion­dans­le­delta­de­la­Kāvēri.­Pour­toutes­ces­raisons,­il­me­paraît­difficile­d’éliminer­toute­possibilité­d’un­rôle­particulier­joué­par­les­rois­quant­à­la­fondation­d’un­temple­aux­yoginī dans le­nord­du­pays­tamoul­entre­la­fin­du­ixe siècle­et­le­milieu­du­xe­siècle.

Ce­débat­sur­le­rôle­éventuel­des­rois­n’obère­pas­l’importance­de­l’atelier­posée­par­P.­Kaimal.­Seule­la­continuité­dans­le­temps­d’un­atelier,­qu’il­soit­associé­ou­non­aux rois, permet de rendre compte des dif-férences­et­des­ressemblances­entre­les­yoginī­et­le­Śiva­musicien­d’une­part,­et­les­mères­d’autre­part.­Peut-être­ce­même­ate-lier­sculpta-t-il­ultérieurement­le­Skanda­du­musée­de­Madras.­L’importance­des­ateliers­dans­l’évolution­des­productions­artistiques est trop souvent passée sous silence­pour­que­le­travail­de­P.­Kaimal­ne­s’avère­ici­essentiel.

Enfin,­pour­ce­qui­est­du­sanctuaire­aux yoginī,­l’esquisse­que­l’on­trouve­à­son­propos­dans­ l’ouvrage­publié­par­R.­Nagaswamy­en­2006­ sur­ l’art­ et­ la­religion­des­Bhairava­me­paraît­substan-tielle18.­Elle­semble­être­passée­inaperçue,­peut-être­parce­que­les­références­de­l’au-teur sont rares, parfois inexactes, et que sa­thèse­ne­se­dégage­pas­clairement­d’un­texte­qui­survole­la­question.­Il­ne­s’agit­pourtant­rien­moins­que­d’associer­un­Śiva­très­particulier­quant­à­son­iconogra-phie­et­quant­à­son­histoire­au­groupe­des­yoginī­dites­de­Kāñci­(fig. 4-7) ;­puis,­sur­la­base­de­cette­association,­de­localiser­le­temple­qui­aurait­abrité­les­sculptures­à­Kāvēripākkam ;­enfin,­de­reprendre­l’hy-pothèse­auparavant­posée­par­V.­Dehejia,­à­savoir­que­le­temple­aux­yoginī était une fondation­du­Rāṣṭrakūṭa­Kr̥ṣṇa­III19.

18. Nagaswamy­ 2006,­ p.­ 93-94 ;­ voir,­ récemment,­Thirumoorty 2004.19. Cf. Dehejia­ 1986,­ p.­ 182-183 ;­ R.­ Nagaswamy­ ne­mentionne pas cet ouvrage.

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Figure 4. — Śiva­de­Tirumēlccēri.­ Photo­Dominic­Goodall.

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Dans­les­jardins­du­musée­de­Madras­se­trouvait­en­effet­exposée,­ il­y­a­peu­encore,­une­statue­d’un­Śiva­terrible­à­trois­têtes,­provenant­de­Tirumēlccēri,­un­hameau­aux­abords­de­Kāvēripākkam.­La­statue partage un grand nombre de traits stylistiques­et­iconographiques­avec­les­yoginī­qui­nous­occupent.­La­sculpture­de­Tirumēlccēri­a­été­publiée­dès­1914­par­T.­A.­Gopinatha­Rao­qui­en­fait­un­des­exemples­de­Maheśamūrti­dans­un­ouvrage­fondateur­pour­les­études­icono-graphiques­touchant­à­l’Inde,­Elements of Hindu Iconography20.­Le­dieu­a­trois­têtes­

20. Gopinatha­Rao 1914, 2.1, p. 380-382.

et­la­principale­d’entre­elles­est­d’aspect­terrible­(fig. 5 et 6).­Il­est­sculpté­en­haut-relief­sur­un­fond­de­stèle­dont­le­sommet­s’arrondit­au-dessus­de­ses­têtes­et­de­ses­bras­supérieurs.­Il­se­tient­dans­une­pos-ture­accroupie­très­inhabituelle.

Les­dimensions,­le­format,­la­pierre­et­le­style­de­la­sculpture­correspondent­très­exactement­à­ceux­des­yoginī :­avec­ses­140­centimètres­de­hauteur,­le­dieu­est­légèrement­plus­grand­que­la­plus­grande­des yoginī­connues­(133,­25­centimètres­de­hauteur­pour­la­statue­conservée­au­musée­Nelson-Atkins,­Kansas­City).­La­notation­du­renflement­provoqué­par­le­fronce-ment­de­sourcils­d’un­dieu­représenté­

courroucé,­les­lèvres­renflées­et­ourlées­entrouvertes­sur­les­crocs­qu’elles­sou-lignent­de­deux­bourrelets­symétriques­sur­la­lèvre­inférieure­et­le­retroussis­pro-noncé­de­la­commissure­sont,­par­exemple,­communes­à­plusieurs­des­yoginī, avec lesquelles­ce­Śiva­est­la­seule­statue­que­je­connaisse­à­les­partager.­Les­photos­ici­publiées­grâce­à­l’obligeance­d’un­collè-gue­de­l’EFEO­permettent­de­juger­de­la­ressemblance­entre­ce­Śiva­et­la­yoginī­la­plus­petite­du­musée­Guimet­en­particulier­(MG­18508,­fig. 6 et 8).

Sans doute est-ce pour toutes ces rai-sons­que­R.­Nagaswamy­associe­ce­dieu­qu’il­appelle­« Aghora­Śiva­image­as­Kāḷapriya­

Figure 5. —­Têtes­du­Śiva­de­Tirumēlccēri.­Photo­Dominic­Goodall.

Arts Asiatiques Tome 68 – 2013 143

campe­à­« Melpāṭi »­dans­le­nord­du­pays­tamoul­qu’il­a­conquis­fait­établir­plu-sieurs­temples.­V.­Dehejia­signalait­que­l’on­trouve­à­Kāvērippākkam­même­des­inscriptions­y­attestant­l’existence­d’un­temple­au­dieu­Kāḷapriya,­apparaissant­dans­les­tablettes­de­Karhāḍ­comme­une­divinité­en­l’honneur­de­laquelle­Kr̥ṣṇa­III­fit­établir­un­temple.­De­plus,­le­Yaśastilaka de­Somādevasuri,­un­poème­jaïn­sanskrit­où­l’on­trouve­une­longue­description­de­« mahāyoginī »­dont­la­horde­terrifiante­traverse­un­ciel­qu’elles­obscurcissent­de­leurs­chevelures­déployées,­précise­avoir­été­terminé­au­moment­même­où­Kr̥ṣṇa­III­campait dans cette région conquise.

Sur­la­base­de­cette­documentation,­V.­Dehejia­avançait­deux­hypothèses.­Soit­un­chef­local,­du­pays­tamoul,­aurait­voulu­marquer son territoire en fondant un temple­aux­yoginī­pour­contrecarrer­les­visées­de­Kr̥ṣṇa­III,­soit­ce­temple­serait­une­fondation­du­Rāṣṭrakūṭa­lui-même.­Dans­les­deux­cas,­le­temple­aux­yoginī aurait­ été­ fondé­dans­ les­environs­de­Kāvēripākkam.

dēva »­ aux­ yoginī­ rassemblées­ par­G.­Jouveau-Dubreuil.­Pour­R.­Nagaswamy,­le­Śiva­et­les­yoginī­auraient­appartenu­à­un­même­temple,­fondé­par­le­Rāṣṭrakūṭa­Kr̥ṣṇa­III­à­Kāvēripākkam.­R.­Nagaswamy­fait­de­Kāḷapriya­un­équivalent­de­« Kāḷa­Bhairava,­or­Aghōra­Bhairava »,­une­forme­terrible­de­Śiva­représentée­dans­la­sculp-ture­de­Tirumēlccēri.­Pour­cet­auteur,­les­yoginī­se­trouvaient­dans­le­temple­dédié­à­cette­divinité.

Déjà­V.­Dehejia­s’appuyait­sur­plu-sieurs­éléments­pour­associer­les­yoginī dites­de­Kāñcīpuram­et­un­temple­fondé­dans­les­environs­de­Kāvērippākkam­à­Kr̥ṣṇa­III.­Selon­V.­Dehejia,­le­style­des­yoginī­ne­correspondait­à­rien­de­ce­que­l’on­rencontre­à­Kāñcīpuram­–­contra P.­Kaimal,­mais­ l’on­a­vu­à­quel­point­les­questions­de­style­sont­délicates­et­Kāñcīpuram­n’est­guère­qu’à­une­ving-taine­de­kilomètres­de­Kāvēripākkam.­D’autre­part,­V.­Dehejia­rapprochait­ce­site­des­données­de­tablettes­inscrites­du­Karnataka,­les­tablettes­de­Karhāḍ.­Selon­ celles-ci,­ Kr̥ṣṇa­ III­ alors­ qu’il­

Figure 6. — Visage­de­la­tête­centrale­du­Śiva­de­Tirumēlccēri,­détail.­Photo­Dominic­Goodall.

Figure 8. — Visage­de­la­yoginī­MG­18508­du­musée­Guimet.­Photo­Emmanuel­Siron.

Figure 7. — Tête­coupée­tenue­dans­une­main­inférieure,­à­droite,­du­Śiva­de­Tirumēlccēri.­ Photo­Dominic­Goodall.

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Des­inscriptions­de­Kāvērippākkam­invoquées­ par­ V.­ Dehejia,­ seule­ l’une­mentionne­en­fait­un­Kāḷapriyadeva21. En remploi­dans­un­temple­vishnouite,­elle­ne­peut­guère­se­rapporter­au­sanctuaire­dans­lequel­elle­a­été­retrouvée.­Mais­deux­ins-criptions­découvertes­à­la­fin­du­xxe­siècle­à­Tirumēlccēri­donnent­corps­aux­suppo-sitions­faites,­tout­en­les­modifiant­de­façon­substantielle.

Aujourd’hui,­on­a­en­effet­affaire­à­trois­types­de­documents­épigraphiques­quant­à­un­temple­fondé­par­Kr̥ṣṇa­III­aux­abords­de­Kāvēripākkam.­D’une­part,­les­tablettes­royales­de­Karhāḍ­émises­depuis­ le­Karnataka22 enregistrent en

21. Selon­Dehejia 1986, note 9 du chapitre 10 (p. 227) la­ fondation­ par­ Kr̥ṣṇa­ III­ d’un­ temple­ vishnouite­ à­Kāvērippākkam­ serait­ attestée­ par­ deux­ inscriptions,­à­savoir­South Indian Inscriptions­13.129­et­130.­Mais­South Indian Inscriptions 13.130 (inscription enre-gistrée en 1905, no 382, cf.­ l’Annual Report­ publié­ en­1906)­ enregistre­ un­ don­ fait­ à­ un­ temple­ préexis-tant­ de­ Kīrttimārṭṭaṇḍa-Kāḷapriyadeva­ (an­ 6­ d’un­Rājakesarivarman­considéré­comme­Cuntaracōḻa).­Elle­est­ gravée­ sur­ une­ pierre­ en­ remploi­ dans­ un­ sanc-tuaire vishnouite. Les pierres ne proviennent pas de ce­temple­et­n’en­attestent­pas­la­fondation.­Venant­du­même­temple­South Indian Inscriptions 13.329 est pour sa­part­constituée­d’une­seule­ligne­et­ne­donne­aucun­nom­de­temple­ou­de­dieu.­22. Bhandharkar 1897, Epigraphia Indica 4.40.

sanskrit­un­don­fait­en­959,­alors­qu’avec­sa­glorieuse­armée,­le­Rāṣṭrakūṭa­« a­ins-tallé­son­camp­à­Mēlpāṭi­afin­[…]­d’y­ériger­des­temples­à­Kāḷapriya,­Gaṇḍa­Mārttaṇḍa­et­Kr̥ṣṇeśvara »­dans­ les­ terres­qu’il­ a­conquises­sur­le­pays­tamoul23.­L’année­sui-vante,­depuis­la­même­région,­les­tablettes­de­Kolhāpur­évoquent­quant­à­elles­ la­construction­de­ces­mêmes­temples,­celui­dédié­à­Kālapriya­étant­précisément­loca-lisé­dans­le­Kāñcīmaṇḍala,­la­région­de­Kāñcīpuram24.­Ensuite,­à­Kāvērippākkam­même,­l’inscription,­pariétale­et­en­tamoul,­en­ remploi­dans­ le­ temple­vishnouite­atteste­l’existence­en­963-964­d’un­temple­de­ « Kīrttimārttāṇḍa-Kāḷapriyadeva »,­et­d’une­agglomération­portant­le­nom­correspondant­à­celui­de­la­divinité­de­ce­temple :­Kīrttimārttāṇḍa-Kāḷapriyadevam.­On­retrouve­donc­à­Kāvērippākkam­deux­des noms de divinités apparaissant dans

23. Le­ roi­ fait­ fonder­ (effectuer,­ achever,­ apparaître,­niṣpādayitam­ dans­ le­ texte­ de­ l’inscription)­ plusieurs­temples­ (āyatanāni) en territoire sud-indien. Ces temples­ sont­ dits­ « Kāḷapriyadēva,­ Gaṇḍa­ Mārttaṇḍa,­Kr̥ṣṇeśvara »­etc.­(ādya). 24. Les­ tablettes­ de­ Kolhāpur­ sont­ publiées­ dans­Kundangar­1934.­Le­nom­de­dieu­Kālapriya­est­écrit­alternativement­Kālapriya­et­Kāḷapriya­dans­les­publi-cations.­J’ai­écrit­Kāḷapriya­lorsque­j’ai­pu­vérifier­l’or-thographe­(photographies­ou­fac-similé).

les­tablettes­sanskrites.­Enfin,­deux­inscrip-tions retrouvées en 1992-1993 et en 1994 dans­le­hameau­de­Tirumēlccēri­d’où­pro-vient­le­Śiva­à­trois­têtes­décrit­plus­haut,­apportent­la­confirmation­de­la­fondation­du­temple­mentionné­dans­cette­épigraphe­de­Kāvēripākkam25. Ces deux inscrip-tions fragmentaires sont gravées sur des pierres­en­remploi­dans­un­temple­shivaïte­aujourd’hui­abandonné­(xie-xiiie­siècles ?­fig. 9)26.­L’une,­fait­rare­en­pays­tamoul,­est­en­kannara,­l’autre­en­tamoul.

L’inscription­en­kannara­a­fait­l’objet­de­ l’attention­de­plusieurs­chercheurs­indiens (fig. 10)27.­Après­un­ fragment­d’un­éloge­de­Kr̥ṣṇa­III,­elle­se­réfère­à­l’érection­d’un­temple­à­« Kāḷapriyadēva­alias­Kīrtti-mārttāṇḍa »,­à­« Kandavura-pēṇṭe »­(l.­6).­Son­témoignage­recoupe­celui­de­l’autre­épigraphe­enregistrant,­cette­fois­en­tamoul,­un­don­au­temple­de­« Māttāṇḍa­Kāḷappiriya-devar ».­On­recon-naît­ici­le­Kāḷapriyadēva­mentionné­dans­les­tablettes­du­Karnataka.­Il­s’agit­d’une­divinité­ancienne,­dont­un­temple­existait­au­sud­de­l’Uttar­Pradesh,­à­Kālpi,­et­dont­Kr̥ṣṇa­III­fit­établir­d’autres­sanctuaires­sur­les­terres­qu’il­avait­conquises­en­pays­tamoul28.­On­retrouve­peut-être­également­le­premier­ terme­du­ composé­Gaṇḍa-Mārttaṇḍa­dans­le­toponyme,­Kandavura­(Gaṇḍa)­que­mentionne­l’épigraphe­en­kannara29. Le second terme est en tout cas

25. Annual Report for 1992-93, no 328 et Annual Report for 1994-95, no 197.26. Sur­ ce­ temple,­ voir­ Rajavelu­ 2000,­ selon­ lequel il­fut­reconstruit­sous­le­Cōḻa­Rājarāja­Ier,­à­la­fin­du­xe siècle­ ou­ au­ début­ du­ siècle­ suivant.­ Une­ inscription­endommagée­datée­du­règne­de­ce­Cōḻa­a­en­effet­été­retrouvée­sur­le­temple­(cf. Annual Report for 1992-93, no­ 326).­ Sa­paléographie­ne­ correspond­guère­ cepen-dant­ à­ sa­ date­ interne.­ Nombre­ de­ caractéristiques­architecturales­et­iconographiques­de­l’édifice­tel­qu’on­peut­ le­ voir­ actuellement­ sont­ plus­ tardives,­ et­ plu-sieurs­inscriptions­attestent­qu’il­fut­en­activité­jusque­dans­ la­ période­ vijayanagara (cf. Annual Report for 1992-93, no 327-331).27. Sharma 1997, Rajavelu 2000, Swaminathan 2000, p. 92-93.28. Sircar­1963,­p.­110 ;­1971,­p.­302-307,­311-312.29. Deux­autres­inscriptions­retrouvées­à­Tirumēlccēri­attestent­que­ce­toponyme­fut­en­usage­dans­la­région­au xie­ siècle­ et­ peut-être­ au­ xiie­ siècle,­ voir­ Annual Report for 1992-93, no­ 329­ et­ 337­ (« Kandāpuri »­ et­« Kandapuram »).­ L’étymologie­ du­ toponyme­ pour-rait­aussi­se­rapporter­au­nom­du­roi,­Kr̥ṣṇa.­On­note­

Figure 9. — Temple­abandonné­de­Tirumēlccēri.­Photo­Charlotte­Schmid.

Arts Asiatiques Tome 68 – 2013 145

bien­présent­dans­les­deux­inscriptions,­préfixé­d’un­kīrtti,­« gloire »­soulignant­l’éclat­du­dieu,­Kīrtti-mārttāṇḍa.­Les­deux­noms­de­Kāḷapriyadēva­et­de­Mārttaṇḍa­se­rapportent­au­dieu­soleil­et­la­notion­de­gloire,­du­dieu­ou­du­roi,­est­ici­fort­pertinente.

Pour­ce­qui­est­des­dates,­l’épigraphe­tamoule­n’en­comporte­pas­mais­les­termes­géographiques­qu’elle­emploie­se­retrou-vent­dans­d’autres­inscriptions­du­site,­datées du xie­siècle.­Le­dernier­chiffre­de­la­date­de­l’épigraphe­en­kannara­a­dis-paru. Les deux premiers indiquent cepen-dant­que­l’on­se­situe­entre­l’année­87(0)­et­l’année­87(9)­śaka,­c’est-à-dire­entre­948-949­et­957-958­de­l’ère­chrétienne.­La­campagne­méridionale­à­laquelle­se­réfère­l’éloge­royal­de­Kr̥ṣṇa­III­n’appa-raît­qu’à­partir­de­957­dans­les­autres­éloges­connus,­et­ c’est­donc­plutôt­en­957-958­qu’il­faut­placer­l’épigraphe­de­Tirumēlccēri30.­Deux­sanctuaires­auxquels­se­réfèrent­les­inscriptions­du­Karnataka,­dédiés­à­Gaṇḍa­Mārttaṇḍa­et­à­Kr̥ṣṇeśvara,­ont­été­construits,­disent­les­tablettes­de­Kolhāpur­(datées­de­960),­à­Rāmeśvaram,­bien­plus­au­sud­du­pays­tamoul.­Quant­au­temple­à­Kāḷapriyadeva,­ les­mêmes­tablettes­en­situent­l’établissement­dans­le­« Kāñcīmaṇḍala »­et­ce­sont­les­inscriptions­

qu’il­ est­ en­ effet­ proche­ d’un­ toponyme­ kannarais,­étroitement­ associé­ au­ dieu­ appelé­ Kālapriya­ comme­aux­Rāṣṭrakūṭa,­et­plus­précisément­à­Kr̥ṣṇa­III,­appa-raissant­dans­l’épigraphie­en­kannara­sous­les­formes,­entre­autres,­de­Kandara­et­Kandāra.­Ce­toponyme­cor-respond­à­la­ville­moderne­de­Kandhār.­Sircar 1963 a montré­qu’il­dérivait­du­surnom­royal­Kr̥ṣṇa.­Il­s’agis-sait­de­la­capitale­secondaire­de­Kr̥ṣṇa­III­et­un­temple­à­Kālapriya­était­établi.30. Voir­Sharma­1997,­p.­106,­soulignant­que­d’après­les­ tablettes­ de­ Karhāḍ­ et­ une­ inscription­ retrouvée­au­Karnataka­(dans­le­taluk­de­Bijapur,­à­Kārjōḷ,­South Indian Inscriptions 18.27), datées respectivement de 957­et­de­959,­Kr̥ṣṇa­ III­ règne­depuis­ le­ camp­qu’il­ a­établi­ dans­ le­ nord­ du­ pays­ tamoul,­ à­Mēlpāḍi,­ après­son­ expédition­ victorieuse­ dans­ le­ sud,­ qu’il­ mena­jusqu’à­Rāmeśvaram.­On­retrouve­aussi­cette­campagne­dans­les­tablettes­de­Kolhāpur­(supra,­note­24 ;­voir­le­vers­37).­L’inscription­de­Tirumēlccēri­mentionne­cette­même­ expédition­ méridionale.­ Il­ faut­ donc­ la­ situer­après­cette­expédition­et­ les­expressions­très­proches­de­l’éloge­sanskrit­qu’utilise­cette­épigraphe­en­kannara­de­Tirumēlccēri­renforcent­l’hypothèse­de­M.­J.­Sharma­(cf.­par­exemple­dakṣiṇa-digvijayadoḷ,­« expédition­vic-torieuse­méridionale »­employée­à­la­l.­4­de­l’inscription­de­ Tirumēlccēri­ qui­ fait­ écho­ au­ dakṣiṇa-digjaya des éloges­sanskrits).­

du­temple­de­Tirumēlccēri,­ainsi­que,­plus­largement,­de­Kāvērippākkam­qui­permet-tent­de­localiser­précisément­ce­temple­de­la­région­de­Kāñcīpuram.

Grâce­à­T.­A.­Gopinatha­Rao­l’on­peut­être­certain­que­le­hameau­d’où­provient­le­Śiva­qu’il­commente­et­les­inscriptions­découvertes récemment était au début du xxe­siècle­connu­sous­le­nom­de­Mēlccēri,­d’ailleurs­également­employé­aujourd’hui.­L’on­retrouve­dans­ce­nom­la­base­du­topo-nyme­cité­dans­l’éloge­royal­de­Kr̥ṣṇa­III­qui­préface­les­inscriptions­en­sanskrit,­Mēlpāṭi.­ Un­Mēlpāṭi­ est­ localisé­ à­ six­kilomètres­de­Vallam­dans­le­district­du­North­Arcot,­en­frontière­duquel­se­situe­Kāvēripākkam.­C’est­ce­Mēlpāṭi­du­North­Arcot­que­l’on­identifie­comme­le­site­men-tionné­dans­les­tablettes­de­Karhāḍ31.­Mais­le­hameau­de­Tirumēlccēri­ou­Mēlccēri­où­l’on­retrouve­le­premier­terme­du­composé,­mēl,­qui­lui­correspond­est­bien­plutôt,­je­crois,­le­toponyme­cité­dans­les­tablettes­de­Karhāḍ32 :­aucune­inscription­mentionnant­

31. Voir­Hultzsch 1929, p. 22.32. Le­ village­ change­ de­ nom­ d’une­ publication­ à­l’autre.­Il­s’agit­de­Mēlcheri­dans­Gopinatha­Rao 1914, de­ Tirumalaichchēri­ dans­ Swaminathan 2000, de Melaccheri­dans­Nagaswamy­2006.­Un­terme­suffixé­en­-cēri­indique­aujourd’hui­que­l’on­a­affaire­à­une­agglo-mération­rassemblant­des­non-brahmanes.

Kr̥ṣṇa­III­n’a­été,­à­ma­connaissance,­retrou-vée­dans­le­Mēlpāṭi­des­environs­de­Vallam,­tandis­que­l’inscription­en­kannara­de­Mēlccēri­recoupe­avec­exactitude­les­don-nées­des­épigraphes­du­Karnataka.

Sur­la­base­de­plusieurs­inscriptions­rédigées­dans­trois­langues­différentes­(tamoul,­sanskrit­et­kannara),­retrouvées­à­la­fois­au­Karnataka­et­en­pays­tamoul­(Karhāḍ,­Kolhāpur,­Kārjōl,­Kāvēripākkam­et­ Tirumēlccēri),­ l’hypothèse­ d’un­temple­à­un­dieu­appelé­Kīrttimārttāṇḍa-Kāḷapriyadeva,­établi­dans­le­sillage­des­conquêtes­de­Kr̥ṣṇa­III­à­Tirumēlccēri,­paraît­fondée.­L’archéologie­du­site­la­ren-force.­D’une­part,­deux­nidhi,­«­Trésors­»,­lotus­et­conque­personnifiés,­sont,­tout­comme­l’inscription­en­kannara,­en­remploi­dans­le­temple­abandonné­de­Tirumēlccēri.­Les nidhi­sont­plus­couramment­qu’ailleurs­représentés­au­Karnataka­(notamment­dans­les­sites­des­Cāḷukya­de­Bādāmī).­Ils­sont­ici­de­forme­terrible,­ce­qui­n’est­guère­commun­sans­être­exceptionnel33. La marque­de­leurs­sourcils­froncés­rappelle­

33. Pour­une­description­des­nidhi­et­l’étude­de­figures­de ce genre au ixe­siècle­en­pays­tamoul,­voir­Francis, Gillet et Schmid 2006, p. 450-452.

Figure 10. — Inscription­en­kannara­retrouvée­dans­le­temple­de­Tirumēlccēri,­détail.­Photo­Emmanuel­Francis.

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considérations­de­style,­ce­Śiva­est­daté­tout­comme­les­yoginī du xe­siècle.­S’il­est­difficile,­comme­on­l’a­vu,­d’être­plus­pré-cis,­c’est­au­milieu­du­xe­siècle­que­se­situe­la­conquête­d’une­partie­du­pays­tamoul­par­Kr̥ṣṇa­III­et­c’est­à­la­suite­de­celle-ci­qu’il­fit­fonder­des­temples­sur­les­terri-toires­qu’il­contrôlait.

L’iconographie­bien­particulière­de­la­statue­tend­en­outre­à­confirmer­que­l’on­a­affaire­à­une­ représentation­du­Kīrttimārttāṇḍa-Kāḷapriyadeva­de­l’ins-cription­en­kannara.­Les­noms­du­dieu­le­signalent­comme­solaire.­Voici­Mārttāṇḍa,­« [né­d’un]­œuf­[d’apparence]­morte »­et­Kāḷapriya­« Celui­qui­chérit­le­temps »­ou­« Qui­est­chéri­du­temps »,­deux­noms­cou-ramment­employés­du­Soleil,­maître­des­douze­Āditya.­Le­terme­Āditya­apparaît­d’ailleurs­précisément­dans­les­tablettes­de­Kolhāpur­pour­qualifier­le­dieu­Gāṇḍa-Mārttaṇḍa­(Āditya­disparaît­dans­la­tra-duction­publiée).­De­son­côté,­le­Śiva­de­Tirumēlccēri­présente­trois­têtes­dont­seule­la­principale­offre­des­caractéristiques­ter-ribles.­Ses­dix­bras­sont­assez­endommagés­mais­l’on­peut­encore­discerner­comment­il­

tenait­les­attributs­suivants34 :­un­tambour­dans­la­main­supérieure­à­gauche,­auquel­correspond­un­serpent­à­droite,­et­ce­qui­pourrait­être­la­chevelure­d’une­tête­cou-pée­dans­la­main­située­le­plus­en­bas,­à­gauche,­à­laquelle­correspond­une­calotte­crânienne­à­droite35. Les autres attributs à­gauche­sont­cassés­mais­le­dieu­tenait­aussi un kaṭvāṅga,­une­massue­s’achevant­sur­un­crâne­dont­la­partie­supérieure­est­encore­visible­sur­le­haut­de­la­stèle,­déco-rée­d’une­petite­chouette­(fig. 5).­À­droite,­la­deuxième­main­en­descendant­tient­un­bouclier­et­l’on­observe­encore­une­tête­coupée,­cette­fois­très­clairement,­dans­la­deuxième­main­en­remontant­à­partir­du­bas,­au-dessus­de­la­calotte­crânienne­(fig. 7).

Sur­la­base­des­trois­têtes­de­la­divi-nité,­qu’il­supposait­en­représenter­quatre,­T.­A.­Gopinatha­Rao­identifiait­la­statue­comme­une­représentation­de­Maheśa-mūrti.­D’autres­chercheurs36­signalent­qu’il­ne­peut­guère­s’agir­d’un­Sadāśiva,­forme­de­Śiva­à­cinq­visages,­à­moins­de­consi-dérer­que­l’on­aurait­ici­privilégié­l’aspect­terrible­de­celui-ci­ou­Aghora,­qui­fait­face­au­sud,­ce­qui­correspond­à­l’identification­donnée­par­R.­Nagaswamy.

Tous­ les­attributs­de­ la­divinité­de­Tirumēlccēri­correspondent­en­effet­à­Aghora.­Mais­Bhairava­ressemble­aussi­à­

34. Gopinatha­ Rao­ 1914,­ p.­ 380,­ accuse­ les­ « Mus-salmans during the troublous days of the contest for the succession to the Nabobship of the Karnatic »,­mais­l’au-teur­hindou­n’a­pas­nécessairement­disposé­d’informa-tions­nourrissant­son­exposé­circonstancié.­Aujourd’hui,­sur­ le­modèle­de­ce­que­ l’on­observe­en­ Inde­contem-poraine­et­comme­le­fait­P.­Kaimal­à­propos­des­yoginī (p.­99-100)­ l’on­privilégie­plutôt­ la­thèse­d’une­mise­à­l’écart­des­divinités­terribles­par­peur­de­celles-ci.­Dans­la­perspective­d’un­temple­associé­à­un­roi­Rāṣṭrakūṭa,­on­peut­aussi­penser­à­des­destructions­systématiques­lors­ de­ la­ reconquête­ du­ nord­ de­ l’aire­ tamoule­ par­les­Cōḻa­dans­la­deuxième­moitié­du­xe­siècle.­Les­des-tructions­alors­accomplies­sont­bien­attestées­en­pays­tamoul.­L’on­sait­aussi­que­le­Cōḻa­Rājendracōḻa­Ier rap-porta­de­nombreux­trophées­du­Karnataka­au­début­du­xie­siècle­pour­les­disposer­dans­sa­capitale­de­Tanjore.­Les yoginī­ ont­ peut-être­ entamé­ leurs­ tribulations­ au­même­moment.35. L’on­a­bien­affaire­ici­à­une­calotte­crânienne­ainsi­que­l’affirmait­T.­A.­Gopinatha­Rao,­contra Nagaswamy 2006,­p.­92.­La­calotte­affecte­une­forme­très­semblable­sur­toutes­ les­yoginī,­dont­ les­kapāla sont commentés de­juste­façon­par­Kaimal 2012, p. 98.36. Goodall et al. 2005, p. 57.

celle­du­Śiva­provenant­de­Tirumēlccēri­(fig. 11 et 12)­–­et­celle­des­yoginī.­D’autre­part,­nombre­de­sculptures­gisent­aux­abords­du­temple­(fig. 13). Ce sont ce que­l’on­appelle­des­«­pierres­de­héros­»,­représentant­des­guerriers,­des­«­mères­»,­et­d’autres­déesses­de­nature­à­la­fois­puis-sante­et­éventuellement­guerrières.­Ces­sculptures­attestent­que­le­lieu­était­asso-cié­à­des­cultes­guerriers,­bien­propres­à­encadrer­une­fondation­liée­aux­combats­livrés­par­le­Rāṣṭrakūṭa.

L’on­peut­poser­que­le­Śiva­de­Tiru-mēlccēri­appartenait­à­ce­temple­sur­la­base­des­éléments­suivants.­La­précieuse­description­qu’en­donne­T.­A.­Gopinatha Rao (1914, p. 380) « in a field opposing a ruined Śiva temple at Mēlchēri near Kāvērippākkam in the N. Arcot District » permet­d’être­certain­de­sa­provenance.­La­sculpture­se­trouvait­à­côté­du­temple­où­l’inscription­en­kannara­a­été­retrouvée ;­la­probabilité­que­le­champ­qu’il­évoque­soit­celui-là­même­où­gisent­aujourd’hui­pierres de héros et déesses est grande. La­date­de­la­statue­s’accorde­avec­celle­d’un­temple­fondé­par­Kr̥ṣṇa­III :­sur­des­

Figure 11. — Nidhi,­« Trésor »,­en­remploi­dans­le­temple­abandonné­de­Tirumēlccēri,­à­gauche­ de­la­porte­du­sanctuaire.­Photo­Emmanuel­Francis.

Figure 12. — Nidhi,­« Trésor »,­en­remploi­dans­le­temple­abandonné­de­Tirumēlccēri,­à­droite­ de­la­porte­du­sanctuaire.­Photo­Emmanuel­Francis.

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Aghora­« à­s’y­méprendre »37.­Surtout­les­mêmes­attributs­se­rencontrent­pour­la­forme­dite­Mārttaṇḍabhairava,­forme­syn-crétique­associant­Śiva­Bhairava­et­Sūrya­le­dieu­soleil.­Celui-ci­pourrait-il­corres-pondre­à­la­figure­de­Mēlccēri ?­La­tête­décapitée­et­la­calotte­crânienne­qu’elle­tient­font­en­effet­penser­à­un­Bhairava,­cette­forme­de­Śiva­qui­décapite­Brahmā­et­connut­une­faveur­particulière­en­Inde­du­Sud.­L’on­ne­peut­être­certain­que­la­sculpture­était­nue,­un­élément­d’identi-fication­important­quant­à­Bhairava.­La­nudité­n’est­pas­cependant­obligatoire­pour­Bhairava­dont­l’iconographie­n’est,­de­surcroît,­guère­fixée­aux­ixe et xe­siècles­dans­un­pays­tamoul­où­il­est­alors­peu­commun.­L’une­des­seules­représenta-tions­connues­pare­le­mur­d’enceinte­du­Kailāsanātha­de­Kāñcīpuram,­au­début­du viiie­siècle.­Le­Bhairava­qui­y­décapite­Brahmā­porte­un­pagne.­D’autre­part,­s’il­est­rare­que­Bhairava­soit­pourvu­de­plu-sieurs­têtes,­quatre­des­cinq­Āgama décri-vant­Mārttaṇḍabhairava­attribuent­à­cette­forme­particulière­de­Bhairava­quatre­têtes38.­Une­sculpture­à­trois­têtes­repré-sente­souvent­une­divinité­à­quatre­têtes­et­plusieurs­Bhairava­à­trois­têtes­sont­iden-tifiées­comme­des­Mārttaṇḍabhairava.­L’un­fut­sculpté­en­pays­tamoul,­sur­le­site­Cōḻa­du­xiie­siècle­de­Darasuram.­Deux­autres­se­trouvent­dans­le­temple­du­soleil­de­Konarak­(Orissa).­Les­deux­ figures­latérales­de­l’une­d’elles­sont­paisibles­comme­celles­du­Śiva­de­Mēlccēri.­Enfin,­la­posture­bien­particulière­de­ce­dernier­trouverait­ainsi­un­sens.­Elle­correspond­en effet aux postures accroupies qui sont, depuis­les­tout­premiers­documents­ico-nographiques,­typiques­de­la­représen-tation­du­Soleil.­La­chouette­qui­apparaît­sur­la­stèle­ne­s’oppose­pas,­à­mon­avis,­à­cette­identification­dans­un­pays­tamoul­qui­créa­la­forme­iconographique­dite­de­la­Dakṣiṇāmūrti­qui­présente­au­sud­des­

37. Ladrech 2010, p. 119.38. Sur­cette­ forme­du­dieu,­ textes­et­ tradition­sculp-tée, voir Ladrech 2010, p. 133-134, 159. Ces textes prescrivent­le­tambour­et­le­kaṭvāṅga­à­gauche­comme­sur­la­figure­de­Tirumēlccēri.

temples­un­Śiva­enseignant­à­l’ombre­d’un­arbre portant souvent une chouette.

Pour­ toutes­ ces­ raisons,­ l’on­ peut­poser­ ici­ l’hypothèse­d’une­ représen-tation­ d’un­ Mārttaṇḍabhairava,­ éta-blissant­une­ correspondance­avec­ les­documents­épigraphiques­du­site­où­fut­retrouvée­la­sculpture,­qui­mentionnent­« Kīrttimārttāṇḍa-Kāḷapriyadeva ».

Quant­à­établir­un­ lien­entre­cette­figure­et­les­yoginī,­outre­les­éléments­sty-listiques­déjà­signalés,­l’on­peut­apporter­les­arguments­suivants.­Le­temple­aux­yoginī­de­Ranipur-Jharial,­en­Orissa,­daté­du xe­siècle,­est­le­seul­du­genre­à­avoir­conservé­l’image­centrale­originelle.­Il­s’agit­d’une­stèle­en­haut-relief­repré-sentant­un­Śiva­à­trois­têtes,­assis­dans­une­posture­inhabituelle­–­la­posture­des­yoginī­dites­de­Kāñcīpuram­a­d’ailleurs­des­équivalents­en­Orissa­(supra, note 15), dont­les­relations­avec­le­pays­tamoul­sont­bien documentées39.

39. Voir­ Dehejia­ 1986,­ p.­ 183-184.­ Ce­ Śiva­ semble­ à­la­ fois­ être­ assis­ et­ adopter­ une­ posture­ de­ danse.­ Il­s’avère­ ainsi­ évoquer­ le­ dynamisme­ particulier­ des­yoginī­ méridionales­ et­ du­ Śiva­ musicien­ qui­ leur­ est­

Une­figure­à­quatre­têtes­correspond­à­ce­que­l’on­peut­rencontrer­dans­les­textes,­où­la­forme­de­Bhairava­associée­aux­yoginī en est parfois pourvue40.­D’autre­part,­le­Śiva­de­Tirumēlccēri­et­les­yoginī portent tous­une­calotte­crânienne.­S’il­est­courant­que certaines yoginī tiennent des kapāla,­le­groupe­sud-indien­est­le­seul­connu­où­des­déesses­en­sont­systématiquement­pour-vues,­confortant­un­lien­avec­une­forme­de­Bhairava­et,­plus­précisément,­avec­celle­de­Tirumēlccēri.­Ensuite,­bien­des­détails­iconographiques­du­Śiva­font­écho­à­l’ico-nographie des yoginī­de­l’­« ensemble­de­Kāñci » :­la­chouette­perchée­au­sommet­du­kaṭvāṅga du dieu (fig. 5 et 14),­le­kaṭvāṅga lui-même­(que­porte­la­yoginī conservée au­British­Museum),­ les­ serpents,­ les­motifs du haut chignon associant rangs de

associé :­ bien­ qu’assis,­ ces­ personnages­ paraissent­animés­d’un­mouvement­de­danse ;­P.­Kaimal­souligne­l’animation­qui­ leur­est­propre­aux­pages­14­et­88­de­son ouvrage.40. Judit­ Törzsök,­ que­ je­ remercie­ pour­ cette­ pré-cieuse­ information,­me­ signale­ qu’il­ en­ est­ ainsi­ dans­le­Siddhayogeśvarīmata­(20.24),­l’un­des­tout­premiers­traités tantriques dédiés aux yoginī, que cette auteure date­entre­le­vie­et­le­ixe­siècle­(Törzsök 1999, p. vi-viii).

Figure 13. — Vue­du­champ­aux­abords­du­temple­abandonné­de­Tirumēlccēri.­Photo­Emmanuel­Francis.

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perles­et­makara,­comme­la­disposition­de­ceux-ci,­ont­d’exacts­équivalents­dans­les­ornements des yoginī­méridionales.

Le­contexte­archéologique­du­temple­de­Tirumēlccēri,­enfin,­vient­à­l’appui­de­l’hypothèse.­Les­deux­« pierres­de­héros »­qui­gisent­aux­abords­du­temple­aban-donné­représentent­deux­suicides­rituels.­En­pays­tamoul,­ceux-ci­sont­associés­aux­déesses­sur­de­nombreuses­stèles­et­des­bas-reliefs­ornant­les­temples­où,­depuis­les­ toutes­ premières­ représentations­connues,­l’on­figure­un­homme­se­tran-chant­la­tête­aux­pieds­d’une­déesse41. L’une­des­pierres­de­héros­de­Tirumēlccēri­en­est­un­exemple­(fig. 15).­L’autre,­d’une­iconographie­plus­rare,­a­de­nombreux­cor-respondants­au­Karnataka.­Le­champ­com-porte­aussi­une­forme­étrange­de­Jyeṣṭhā,­déesse dite de mauvais augure propre au pays­tamoul,­une­Varāhī­aujourd’hui­iso-lée,­plus­tardive­(xiie-xive­siècle ?)­et­des­séries­de­mères,­également­plus­tardives.

L’association­du­site­avec­des­divinités­féminines,­éventuellement­terribles,­est­donc­claire.­Elle­ne­serait­guère­étonnante­dans­le­cadre­d’un­culte­impliquant­un­roi­originaire­du­Karnataka,­où­le­lien­entre­la­royauté­et­les­déesses­terribles­que­sont­les­mères,­alors­accompagnées­de­Skanda,­est­bien­attesté­dans­l’épigraphie­depuis­le­ve­siècle42.

Cet­ensemble­de­données­archéolo-giques­permet­d’avancer­plusieurs­hypo-thèses­quant­à­l’ensemble­formé­par­les­yoginī,­les­mères­et­le­Śiva­musicien­et,­peut-être,­le­Skanda­du­musée­de­Madras.

D’une­part,­l’impressionnant­Śiva­de­Tirumēlccēri­pourrait­avoir­été­le­dieu­qui­occupait­une­position­centrale­dans­le­temple­aux­yoginī­dont­proviennent­les­sculptures­aujourd’hui­dispersées.­L’aspect­

41. Voir­Schmid 2011a et 2011b.42. Les­mères­sont­associées­aux­Kadamba,­une­dynas-tie­du­Karnataka,­peut-être­dès­ le­ve­ siècle­dans­ l’épi-graphie­(voir­l’inscription,­ne­comportant­pas­de­date,­de­Tāḷaguṇḍa­[Kielhorn 1906, Epigraphia Indica 8.5],­où­le­fondateur­de­la­dynastie­est­consacré­par­Skanda­et­par­ les­mères).­Les­ inscriptions­des­Cāḷukya,­égale-ment­originaires­du­Karnataka,­témoignent­ensuite­de­l’étroite­ association­ de­ leur­ dynastie­ avec­ les­mêmes­figures­divines.

solaire­du­culte­aux­yoginī a souvent été souligné­et­P.­Kaimal­ne­manque­pas­d’en­faire­état­(p.­125-126).­Soulignons­donc­simplement­ici­qu’il­répond­parfaitement­au­culte­d’une­forme­rassemblant­Bhairava­et­Sūrya­en­une­même­figure43. Notons pour­ finir­ que­ les­ yoginī­ aujourd’hui­connues­sont­au­nombre­de­douze.­On­sup-pose,­comme­le­rappelle­P.­Kaimal­(p.­90)­qu’un­grand­nombre­d’autres­figures­ont­disparu­car­les­groupes­de­yoginī connus sont­souvent­composés­de­figures­bien­plus­nombreuses.­Le­nombre­douze­ferait­cependant­sens­dans­le­cadre­d’un­culte­mettant­l’accent­sur­le­Soleil,­le­maître­des­Āditya,­le­dieu­des­douze­parties­de­l’année.

Le­Skanda­en­ronde-bosse­du­musée­de­Madras­pourrait­être­pour­sa­part­plutôt­associé­aux­sculptures­représentant­les­mères­dans­le­groupe­envoyé­à­Paris­en­1926.­Il­n’est­pas­certain­que­les­sculptures­aient­toutes­été­trouvées­dans­un­même­site,­et­il­est­possible­qu’il­faille­les­conce-voir­séparément.­Mais­un­groupe­de­mères­menées­par­un­Skanda­peut­aussi­avoir­été­lié,­d’une­façon­qui­demeure­impossible­à­préciser­aujourd’hui,­à­l’ensemble­formé­par­un­Śiva­Mārttaṇḍabhairava­ et­ les­yoginī.­Il­faut­cependant­préciser­que­le­Śiva­musicien­remplirait­également­par-faitement­ce­rôle.

Ainsi, ce sont deux groupes de déesses associées­à­deux­divinités­masculines­dif-férentes­qui­nous­semblent­se­dessiner­ici.­Peut-être­ces­deux­groupes­ont-ils­pris­place­dans­un­même­ensemble­cultuel.­Peut-être­proviennent-ils­de­sanctuaires­différents­situés­dans­la­même­région.­C’est­en­tout­cas­à­Tirumēlccēri­que,­pour­ma­part,­je­situe­plus­précisément­le­temple­aux yoginī proprement dites, organisé autour­d’un­Mārttaṇḍabhairava-Kāḷapriya,­fondé­par­le­Rāṣṭrakūṭa­qui­avait­conquis­la­région.­En­pays­tamoul,­les­déesses­mar-quent­les­frontières­et­la­relation­particu-lière­de­ses­rois­avec­des­déesses­terribles­

43. Voir­ aussi­ Hatley­ 2007,­ p.­ 121­ sur­ l’association­dans­les­textes­les­plus­anciens­du­nombre­six­et­de­ses­multiples­aux­yoginī.

est bien documentée44 :­ le­ temple­ du­Rāṣṭrakūṭa­aurait­pu­s’adapter­à­un­com-plexe­culturel­local­et­les­protectrices­du­territoire­en­marqueraient­la­conquête.­Ainsi,­c’est­là,­entre­Kāvērippakkām­et­Kāñcīpuram,­non­loin­du­champ­où­gisent­encore­des­sculptures­anciennes­liées­à­un­culte­héroïque,­que­je­placerais­une­struc-ture­à­ciel­ouvert­où­les­yoginī que nous connaissons encore entouraient une forme terrible­et­solaire­de­Śiva­Bhairava­à­trois­têtes.­Les­mères­si­en­faveur­au­Karnataka,­et­soit­un­Śiva­musicien­soit­Skanda,­les­accompagnaient­peut-être.

44. Outre­ les­ représentations­ de­ déesses­ accompa-gnées­par­des­lions­et­devant­lesquelles­on­se­tranche­la­tête­sur­les­sanctuaires­des­Pallava­du­vie au ixe­siècle,­la­ déesse­ dynastique­ des­ Muttaraiyar­ de­ Centalai-Niyamam,­dans­le­delta­de­la­Kāvēri,­près­de­Trichy,­est,­au ixe­siècle,­une­Paṭāri Mākāḷam.­On­retrouve­ le­kāḷa de­Kāḷapriya­ dans­ le­ nom­de­ la­ divinité,­ à­ laquelle­ le­roi­Pallava­ lui-même­rendit­hommage­d’après­ les­ ins-criptions (voir Subrahmanya­Aiyer 1916, Epigraphia Indica­13.10).­À­la­même­époque,­une­Niśumbhasūdanī­installée­également­au­cœur­du­delta­par­le­fondateur­du­royaume­des­Cōḻa­Vijayālaya,­est­un­autre­exemple­documenté­ dans­ l’épigraphie­ d’une­ déesse­ guer-rière­ dynastique,­ installée­ cette­ fois­ par­ le­ roi­ après­qu’il­ eut­ conquis­ la­ ville­ de­ Tanjore­ (cf.­ tablettes­ de­Tiruvālaṅkāṭu,­South Indian Inscriptions 3.205).

Figure 15. — Pierre­de­héros­dans­le­champ­aux­abords­du­temple­abandonné­de­Tirumēlccēri.­ Photo­Emmanuel­Francis.

Figure 14. — Yoginī­MG­18507­du­musée­Guimet­et­sa­boucle­d’oreille­faite­d’une­chouette.­Photo­Charlotte­Schmid.

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Quittons­un­instant­Tirumēlccēri­pour­y­mieux­revenir.

Avec­ les­ quatrième­ et­ cinquième­chapitres­ de­ P.­ Kaimal,­ « How­ They­Left:­Dispersing­the­Kanchi­Goddesses­and­Their­Companions »­ (p.­133-153)­et­ « Where­They­Went:­Collecting­ the­Kanchi­Sculptures »­(p.­155-173),­ l’on­aborde­en­effet­la­passionnante­question­de­ l’émigration­des­statues.­C’est­ tout­un­pan­de­l’orientalisme,­français,­euro-péen, puis américain qui prend vie avec les­deux­personnages­haut­en­couleur­de­G.­Jouveau-Dubreuil,­né­à­Saïgon,­profes-seur­au­lycée­français­de­Pondichéry,­infa-tigable­chercheur­qui­fonda­littéralement­une­archéologie­de­l’Inde­du­Sud45,­et­le­Chinois­Ching-Tsai­Loo­créateur­à­Paris­d’une­fameuse,­et­lucrative,­galerie­d’art­oriental46.­Qualifiés,­le­premier­de­colo-nial marauder­et­le­second­de­hybrid,­ils­n’apparaissent­pas­ici­sous­leur­meilleur­jour.­P.­Kaimal­souligne­que­le­caractère­furtif­de­l’extraction,­de­l’exportation­et­de­la­vente­des­statues,­dont­certaines­fai-saient­peut-être­encore­l’objet­d’un­culte­lorsque­G.­Jouveau-Dubreuil­les­fit­rassem-bler,­a­en­effet­détruit­une­documentation­dont­la­contribution­à­l’histoire­de­l’Inde­méridionale­aurait­pu­être­fondamentale.­On­ne­peut­qu’opiner­lorsque­P.­Kaimal­met en évidence une forme de destruc-tion­du­patrimoine­archéologique­par­ces­premiers­orientalistes.­L’Inde­participe­à­cette­destruction­et­P.­Kaimal­suit­d’un­œil­attentif­la­part­que­les­Indiens­ont­prise­à­l’exportation­du­Kanchi set, sou-lignant­le­rôle­de­l’informateur­indien­de­G.­Jouveau-Dubreuil.

Mais­l’histoire­du­Śiva­de­Tirumēlccēri,­pièce­publiée­et­relativement­connue,­est­bien­proche­là­encore.­Si­le­Śiva­de­

45. Rappelons­que­les­travaux­fondateurs­de­G.­Jouveau-Dubreuil­ont­été­publiés­en­1914­dans­la­collection­des­Annales­du­Musée­Guimet­au­moment­même­où­parais-sait­la­somme­iconographique­de­T.­A.­Gopinatha­Rao.46. Sur­ le­ personnage,­ qui­ s’appelait­ en­ réalité­ Lu­Huan­ Wen,­ voir­ Lenain 2013 qui résume dans sa préface­ (p.­ 12)­de­ façon­ saisissante­ les­points­de­ vue­bien­contrastés­que­l’on­peut­avoir­sur­le­personnage :­« La­France­lui­confère­la­légion­d’honneur,­la­Chine­le­condamne­à­mort. »

Tirumēlccēri­fut­exposé­pendant­quelques­années­au­musée­de­Madras­c’est­qu’il­fit­l’objet­d’une­saisie­policière­en­effet.­On­s’apprêtait­à­l’exporter,­sans­doute­pour­le­vendre­sur­un­marché­interna-tional­qui­prise­dorénavant­ce­type­d’ob-jet47.­L’histoire­de­la­pièce­demeure­mal­connue­et­l’on­ne­sait­pas­exactement­où­elle­se­trouvait­entre­la­publication­par­T.­A.­Gopinatha­Rao­et­son­exposition­au­musée­de­Madras.­Peut-être­avait-elle­déjà­été­exportée­dans­le­monde­occiden-tal.­Aujourd’hui­au­musée­de­Ceṉṉai,­on­dit­ignorer­où­elle­se­trouve­depuis­qu’un­jugement­l’a­rendue­à­ceux­à­qui­on­l’avait­confisquée…

Dans­cette­perspective,­il­faut­rappe-ler­qu’il­s’agissait­souvent­pour­les­orien-talistes­de­l’univers­colonial­du­début­du­xxe­siècle­d’initier­le­monde­occidental­à­l’esthétique­de­l’art­asiatique.­L’attitude­de­G.­Jouveau-Dubreuil­était­alors­commune­dans­le­monde­scientifique­et­l’archéolo-gue­ne­tira­aucun­profit­personnel­de­la­vente­du­lot­de­sculptures­envoyé­à­Paris48. Quant­à­faire­découvrir­l’art­indien,­l’his-toire­de­la­dispersion­des­yoginī permet de percevoir­les­particularités­de­sa­réussite­dans ce domaine.

S’appuyant­ entre­ autres­ sur­ ses­connaissances­quant­à­la­représentation­de­la­femme,­P.­Kaimal­qui­écrivit­« A­Man’s­World ? »49,­analyse­ici­la­perception­de­la­divinité­féminine­indienne­en­Occident­dont­témoigne­le­chemin­parcouru­par­les­déesses.­C’est­le­caractère­de­sauvagerie­des­femmes­représentées­qui­fit­d’abord­leur­succès.­Le­musée­Guimet­fut­le­pre-mier­preneur.­L’on­choisit­ces­yoginī aux crocs­bien­visibles,­aux­yeux­exorbités,­offrant­encore­une­calotte­crânienne­pour­deux­d’entre­elles­tandis­que­la­plus­ter-

47. Voir­ Nagaswamy­ 2006,­ p.­ 91-92 :­ d’après­ cet­auteur,­la­sculpture­a­été­saisie­avec­une­cinquantaine­d’autres­pièces­et­remise­au­musée­de­Madras.­Goodall et al.­2005,­signale­que­ la­statue­est­alors­exposée­au­musée­de­Madras­(en­extérieur),­pourvue­d’un­numéro­d’inventaire­provisoire­(no 7).48. Harle­2000,­p.­287,­compare­l’attitude­de­G.­Jouveau-Dubreuil­à­celle­d’orientalistes­tels­que­Paul­Pelliot,­Albert­von­Lecoq­et­Aurel­Stein.49. Kaimal­ 2003­ analyse­ l’importante­ contribution­des­femmes­à­l’art­du­delta­de­la­Kāvēri.­

rifiante­du­lot­exhibe­un­cou­où­saillent­les­tendons.­Le­British­Museum­se­décida­ensuite­pour­la­plus­effrayante­des­yoginī encore­à­vendre.­P.­Kaimal­(p.­156)­montre­bien­que­l’Occident­se­comporte­ici­comme­ailleurs­en­roi­victorieux­exposant­des­tro-phées­qui­symbolisent­la­réalité­matérielle­de­sa­conquête.­Il­reprend­là­une­tradition­entre­autres­bien­indienne­de­célébration­de­la­victoire.

P.­Kaimal­(p.­157)­souligne­l’accent­de­domination­érotique­du­pillage.­Puissantes­et­mystérieuses,­les­yoginī­du­pays­tamoul­que­l’on­disperse­aux­quatre­vents­repré-sentent­l’altérité­de­l’Inde­dominée.­Ces­femmes­arrachées­à­leur­terre­d’origine­attestent­la­puissance­d’un­impérialisme­européen­que­l’Amérique­cherche­très­vite­à­égaler.­Le­détail­du­trajet­des­statues­met­en­évidence­le­fantasme­de­l’esthète­pionnier­fin­connaisseur­de­l’art­oriental­menant­les­musées­européens,­puis­les­collectionneurs­privés­et,­enfin,­les­musées­américains­qui­s’engagent­dans­l’achat­des­sculptures­(p.­155-170).­Un­baron­d’ori-gine­allemande­adoptant­la­nationalité­suisse, un self-made man américain ou encore­un­comte­poursuivent­la­dispersion­de­l’ensemble­à­laquelle­participent­huit­musées­américains­alors­qu’ils­acquièrent,­finalement,­neuf­pièces­du­lot­de­1926.­D’une­cession­à­l’autre,­P.­Kaimal­met­en­évidence­des­projets­muséologiques­où­la­rivalité­de­l’Amérique­avec­la­vieille­Europe­comme­symbole­de­civilisation­joue­sur­l’étrangeté­de­figures­achetées­par­des­cités­américaines­susceptibles­d’être­elles-mêmes­considérées­à­l’aune­d’une­sauvage­différence.

Le­ dernier­ chapitre,­ « How­ They­Live:­Displaying­the­Kanchi­Sculptures »­(p.­175-211)­analyse­la­mise­en­scène­des­sculptures­dans­des­musées­dont­P.­Kaimal­souligne­que­leur­commune­architecture­néo-classique­ inspirée­de­monuments­sacrés grecs et romains en fait de nouveaux temples­–­à­moins­qu’il­ne­s’agisse,­ainsi­qu’elle­le­note­également,­de­nouvelles­banques.­Aucune­des­statues­dont­il­est­ici­question­n’y­trouve­véritablement­sa­place.­Les­contraintes­de­l’espace­muséologique­

Arts Asiatiques Tome 68 – 2013 151

sont­telles­que­ces­objets­ne­parviennent­jamais­à­recréer­leur­espace­propre­d’ori-gine.­Mais­elles­peuvent­être­aujourd’hui­investies­de­missions­différentes­de­celles­qui­inspirèrent­leur­acquisition.­Symboles­de­l’Autre,­leur­présence­dans­tel­ou­tel­musée­signifie­parfois­que­l’on­cherche­à­le­représenter,­à­le­comprendre­et­à­le­respecter.

Intitulé­ « Where­ to­ Go?­ Issues­ of­Cultural­ Properties »,­ l’épilogue­ de­Scattered Goddesses­ propose­ logique-ment­de­rassembler­les­sculptures­épar-pillées­sur­trois­continents­(p.­213-217).­P.­Kaimal­appelle­les­conservateurs­de­musée­à­collaborer­entre­eux­pour­réunir,­de­façon­éventuellement­temporaire,­les­différentes­parties­d’un­ensemble­déjà­fragmentaire­lorsqu’il­fit­son­apparition­sur­la­scène­occidentale.­Une­présentation­de­l’histoire­de­ces­pièces­accompagnant­leur­réunion­dans­un­même­lieu­serait­l’oc-casion­d’assumer­l’héritage­orientaliste,­en­lui­conférant­une­harmonie­nouvelle,­de­bon­augure­pour­reprendre­l’indienne­coutume du maṅgala.

Le­Śiva­de­Tirumēlccēri­introduit­ici­encore­une­dimension­supplémentaire.­Pour­les­villageois­de­Tirumēlccēri,­s’agit-il­d’une­divinité,­ou­simplement­d’une­œuvre­d’art ?­Faut-il­poser­cette­ques-tion­au­passé ?­Qui­sont­les­adorateurs­potentiels­d’une­divinité­dont­l’on­peine­à­établir­l’identité ?­La­statue­n’était­plus­l’objet­d’un­culte­lorsque­T.­A.­Gopinatha­Rao­l’inclut­dans­son­ouvrage­au­début­du­xxe­siècle.­Sa­localisation­actuelle,­au­sein­d’une­entreprise­(« Vaux­exporters »),­qui­l’a­reprise­aux­pelouses­du­musée­de­Madras,­montre­bien­qu’en­Inde­même,­le­musée­ne­peut­pas­toujours­jouer­le­rôle­d’un­sanctuaire.­La­question­s’ouvre­ainsi­sur­bien­d’autres.

Le­point­de­vue­du­dévot­quant­à­la­représentation­du­dieu­s’impose­peu­à­peu­et­la­question­de­la­restitution­des­pièces­prend­des­tournures­inattendues.­À­qui­appartiennent­les­œuvres­d’art ?­À­leurs­dévots­peuvent­répondre­les­adorateurs­d’une­statue­ancienne.­R.­Nagaswamy­fut­

précisément­l’un­des­témoins­principaux­d’une­affaire­qui­vit­un­Śiva­dansant­décou-vert­dans­une­cache­de­l’Inde­méridionale­dans­les­années­1970­exporté­en­Occident,­être­rendu­à­son­territoire­d’origine­en­1991­par­un­tribunal­londonien50.­Ce­Śiva­ne­fait­pas­pour­autant­aujourd’hui­l’ob-jet­d’un­culte.­Il­est­enfermé­en­quelque­sorte­dans­ce­qui­ressemble­à­un­coffre-fort­architectural­placé­au­grand­dam­de­ses­dévots­virtuels­dans­l’enceinte­d’un­temple­qui­n’est­pas­celui­dont­provient­la­sculpture.

L’identité­des­dévots­des­yoginī dont aucun­temple­n’est­aujourd’hui­actif­reste­à­définir.­Quant­à­celles­qui­nous­occupent­ici,­les­visiteurs­des­musées­peuvent­aussi­être­considérés­sous­cet­angle.­Obtenant­une forme de darśana­de­ces­déesses,­ils­ont­établi­de­nouvelles­formes­de­culte­de­l’Autre,­dans­son­étrangeté­et­sa­beauté­et­ceux­qui­ont­dispersé­les­yoginī ont assurément­contribué­à­élargir­l’horizon­esthétique.

Il­existe­cependant­toujours­bien­des­frontières.­L’on­ne­peut­que­souhaiter­avec­P.­Kaimal­que­l’on­ne­puisse­parfois­abolir­les­distances­dans­des­espaces­privilégiés­comme­celui­qu’elle­ imagine­pour­ les­yoginī­du­pays­tamoul­(p.­216).­Force­est­de­constater­que­le­morcellement­d’une­communauté­scientifique­où­Occidentaux­et­Asiatiques­mettent­parfois­longtemps­à­se­connaître­ne­facilite­guère­le­proces-sus­et­l’on­ne­peut­que­souhaiter­que­les­publications­des­uns­et­des­autres­soient­toujours­plus­accessibles.­Car­c’est­bien­le­livre­qui­s’affirme­aujourd’hui­comme­le­lieu­de­la­réunion­des­yoginī,­et­ses­lecteurs­les­membres­d’une­forme­de­communauté­dévotionnelle­qui,­seule­peut-être,­perdure­et­franchit,­au­moins­partiellement,­les­frontières.

Charlotte­Schmid, EFEO

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50. Sur­cette­affaire­dont­le­Śiva­dansant­de­Pathur­est­le­héros,­voir­Davis 1997, p. 222-263.

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