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Aux origines des techniques minières. L'exploitation d'un gisement filonien au Premier Age du Fer:...

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Bulletin de la Société préhistorique française 2009, tome 106, n o 1, p. 109-141 Denis MORIN et Marco TIZZONI Aux origines des techniques minières. L’exploitation d’un gisement filonien au Premier Âge du fer. Les mines de Silter di Campolungo et de Baita Cludona di Fondo (Val Camonica, Alpes lombardes, Italie) Résumé Les zones minières de Silter di Campolungo et de Baita Cludona di Fondo sont situées dans le Val Grigna, qui met en communication le Val Camonica avec le Val Trompia par le col de Goletto di Cludona et se situent sur les communes de Bienno et de Collio. Deux kilomètres séparent les deux sites. Dans cette région, la roche encaissante est constituée de sédiments détri- tiques de la formation de Collio, d’âge Permien inférieur, traversés par des failles minéralisées. Datées du Premier Âge du fer, ces deux mines de cuivre ont fait l’objet de plusieurs campagnes de recherche. À Campolungo, les travaux s’échelonnent sur une dénivelée de 100 m entre 1 535 m et 1 635 m. Pour atteindre les filons minéralisés, les mineurs ont creusé un travers-banc d’exhaure de près de 120 m de développement, mettant en relation les chantiers profonds et assurant en permanence l’exhaure. L’abattage asso- ciait la taille au feu et l’utilisation de maillets et de masses en quartz ; la présence d’une galerie d’aérage témoigne de cette méthode d’exploitation. La mine de Campolungo est ainsi dotée d’une infrastructure et d’ouvrages techniques d’assistance parfaitement planifiés et remarquables pour une époque aussi reculée. Pour transporter le minerai, les mineurs utilisaient des traîneaux en bois monoxyles dont un exemplaire a été découvert. Le mobilier retrouvé atteste l’utilisation par les mineurs de maillets de forme sphérique ou polygonale et de pics en roche. De très nombreux fragments de torches ont été également découverts. Un soutènement en bois a été installé pour favoriser l’accès aux chantiers. Les stériles stockés sous terre témoignent d’un premier tri sélectif à l’intérieur de la mine. En amont du Val Grigna, un deuxième gîte cuprifère s’étage entre 1 620 m et 1 670 m d’altitude. Trois filons, sensiblement parallèles, se développent sur la sur- face d’érosion qui modèle la rive gauche du torrent. L’extraction s’effectuait par dépilage descendant. Des carottages polliniques effectués dans deux tourbières proches mettent en évidence plusieurs phases de déforestation dont l’origine remonte au début de l’Âge du fer (vers 900 av. J.-C.). L’acti- vité minière à Campolungo était sensiblement contemporaine de celle de Baita Cludona di Fondo. Les déforestations ont été provoquées par la production de charbon de bois qui alimentait les fourneaux et les forges
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Bulletin de la Société préhistorique française 2009, tome 106, no 1, p. 109-141

Denis MORIN et Marco TIZZONI

Aux origines des techniques minières. L’exploitation d’un gisement filonien au Premier Âge du fer.Les mines de Silter di Campolungo et de Baita Cludona di Fondo (Val Camonica, Alpes lombardes, Italie)

RésuméLes zones minières de Silter di Campolungo et de Baita Cludona di Fondo

sont situées dans le Val Grigna, qui met en communication le Val Camonica avec le Val Trompia par le col de Goletto di Cludona et se situent sur les communes de Bienno et de Collio. Deux kilomètres séparent les deux sites. Dans cette région, la roche encaissante est constituée de sédiments détri-tiques de la formation de Collio, d’âge Permien inférieur, traversés par des failles minéralisées. Datées du Premier Âge du fer, ces deux mines de cuivre ont fait l’objet de plusieurs campagnes de recherche. À Campolungo, les travaux s’échelonnent sur une dénivelée de 100 m entre 1 535 m et 1 635 m. Pour atteindre les filons minéralisés, les mineurs ont creusé un travers-banc d’exhaure de près de 120 m de développement, mettant en relation les chantiers profonds et assurant en permanence l’exhaure. L’abattage asso-ciait la taille au feu et l’utilisation de maillets et de masses en quartz ; la présence d’une galerie d’aérage témoigne de cette méthode d’exploitation. La mine de Campolungo est ainsi dotée d’une infrastructure et d’ouvrages techniques d’assistance parfaitement planifiés et remarquables pour une époque aussi reculée. Pour transporter le minerai, les mineurs utilisaient des traîneaux en bois monoxyles dont un exemplaire a été découvert. Le mobilier retrouvé atteste l’utilisation par les mineurs de maillets de forme sphérique ou polygonale et de pics en roche. De très nombreux fragments de torches ont été également découverts. Un soutènement en bois a été installé pour favoriser l’accès aux chantiers. Les stériles stockés sous terre témoignent d’un premier tri sélectif à l’intérieur de la mine. En amont du Val Grigna, un deuxième gîte cuprifère s’étage entre 1 620 m et 1 670 m d’altitude. Trois filons, sensiblement parallèles, se développent sur la sur-face d’érosion qui modèle la rive gauche du torrent. L’extraction s’effectuait par dépilage descendant. Des carottages polliniques effectués dans deux tourbières proches mettent en évidence plusieurs phases de déforestation dont l’origine remonte au début de l’Âge du fer (vers 900 av. J.-C.). L’acti-vité minière à Campolungo était sensiblement contemporaine de celle de Baita Cludona di Fondo. Les déforestations ont été provoquées par la production de charbon de bois qui alimentait les fourneaux et les forges

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construits en amont du Val Gabbia, et en aval dans le Val delle Forme. En surface, les mines de Silter di Campolungo et de Baita Cludona di Fondo sont jalonnés de haldes et d’espaces aménagés où s’effectuaient le tri, le concassage et le broyage du minerai. La fouille d’un atelier de minéralur-gie a livré de nombreux artefacts : percuteurs, pierres à cupules, mortiers et meules en pierre. Un fragment de moulin rotatif figure parmi le mobilier ainsi que plusieurs tessons de céramique datés des VIe-Ve siècles av. J.-C. Quelques scories de cuivre ont été recueillies en position secondaire. Le processus de réduction utilisé s’apparente à la production de matte (non-slag tapping furnaces). Dans cette région couverte de gravures rupestres comme le Val Camonica, le district minier de Campolungo figure comme l’un des très rares espaces fréquentés durant la Préhistoire où les gravures sont inexistantes. L’hypothèse d’une répartition territoriale en relation avec l’exploitation des ressources minérales est une hypothèse à privilégier.

AbstractVal Camonica is well known for its large and exceptional quantity of

rock carvings, but it is also an area rich in metallic ores. Two groups of mining works have been explored and are the subject of this paper. The mining areas of Silter di Campolungo and of Baita Cludona di Fondo are in Val Grigna, a small hanging valley of glacial origin. It lies in the terri-tories of the communities of Bienno and Collio. The mining area of Val Trompia to the east of Val Camonica can be reached through Val Grigna and the Goletto di Cluodona pass. The distance between the two groups of mines of Silter di Campolungo to the north and Baita Cludona di Fondo to the south is 2 km as the crow flies. The bedrock in the area is formed by a sequence of siliceous sediments belonging to the Collio formation, lower Permian in age. They are layers of massive sandstones and conglomerates with a sandstone matrix of various thicknesses (from decimetres to metres). This formation is crossed by faults which are mineralized with 15-20 cm thick veins of chalcopyrite-bearing white epigenetic quartz. These two copper mines, which have been dated to the Early Iron Age, were the sub-ject of archaeological exploration between 1997 and 2002. Their study has shown some mining techniques previously unknown for that age. The mining activity at Campolungo begun as an opencast mine with the excavation of deep trenches where the ore was visible on the surface. These works begin at 1535 m above sea level and reach an attitude of 1635 m. At 1535 m there is the opening of the drainage adit while the higher altitude corresponds to the last of the opencast works. In order to reach the deepest copper lodes of Campolungo the ancient miners dug an adit about 120 m long. In this way they were able to connect the deepest excavations of the mine and to create an excellent permanent drainage system. The rock was dug by fire setting and by using heavy spherical lumps of quartz and sandstone picks. To carry the ore out of the mine large wooden rectangular sleighs were used, one of which was discovered near the rock face. It points to the orga-nized management of the underground transport. Among the tools found in the mines there are polygonal or spherical quartz mauls and sandstone picks. Many fragments of resinous wood torches were also found in the underground galleries. Underhand and overhand stoping were used to extract the ore. Special timbering techniques were used to help with the management of the working space and to reach the different working areas easily. The spoil dumps underground show that a first sorting was performed in the mine itself. Prospecting in the upper part of Val Grigna allowed us to discover a second copper ore deposit at an altitude of between 1620 and 1670 m above sea level. On the eroded surface on the left-hand side of the stream and at the foot of a rocky cliff there are three ore veins, two of which are more or less parallel. The veins were worked by underhand stoping from the surface. The pollen samples from the two peat bogs close to the mining sites show the variation of the forest cover in the area. Forest clea-ring began during the Early Iron Age at about 900 BC. These data confirm that the mining activities at Campolungo are contemporary with those at Baita Cludona di Fondo. The numerous charcoal pits of the area testify a

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INTRODUCTION

Le Val Camonica est connu pour son patrimoine exceptionnel de gravures rupestres, lequel a fait l’objet de quantité d’études et de recherches. Mais c’est aussi un territoire riche en gisements métallifères et parti-culièrement de fer, même si des concentrations mi-neures de cuivre et de plomb y abondent.

Cette vallée se trouve comprise dans le bassin ferrifère lombard. Les minerais de fer qui le compo-sent sont très riches et sont essentiellement composés de sidérite (carbonate de fer) et d’hématite (oxyde de fer). Comme l’ont souligné les minéralogistes du XIXe siècle, les affleurements – autrement dit les parties superficielles de ces gisements ferrifères – sont caractérisés par l’existence de cuivre natif ou sous forme de sulfures qui, en certains endroits, présentent des concentrations appréciables. Ce minerai d’exploi-tation facile était disponible et son hypothétique usage depuis le Chalcolithique permettrait d’expliquer la présence d’une occupation humaine dont témoigne ladensité des gravures rupestres et des monuments mégalithiques présents dans le Val Camonica.

A contrario, l’ensemble de la zone occupée par les anciennes mines, intégrant le territoire des communes de Bienno, Berzo et Collio, se trouve paradoxalement dénué de gravures, même si les roches moutonnées en grès, utilisées ailleurs comme support graphique, y abondent. Cette observation, confirmée par les prospections, est d’autant plus surprenante que les sites étudiés sont localisés du côté opposé à Boario-Luine, un site d’intérêt majeur pour sa concentration exceptionnelle en gravures.

Une éventuelle corrélation entre l’absence de gra-vures et la présence d’activité minière depuis la Pré-histoire est un fait significatif qu’il convient dès lors d’appréhender avec acuité.

Les mines de cuivre de Silter di Campolungo-Baita Cludona di Fondo constituent en effet l’un des gise-ments majeurs de ce métal en Lombardie (Ancel et al., 1998 ; Cucini Tizzoni et al., 2001). Il est intéressant de noter la présence à peu de distance d’un important gisement d’hématite : celui de Piazzalunga (Berzo) (Morin, 1999) dont les filons exploités dès l’époque romaine tardive, voire en deçà, présentent dans leur partie superficielle des concentrations non négligeables de cuivre natif et/ou de sulfures.

rich charcoal production, which could be the reason for ancient deforesta-tion. Possibly this charcoal was used in the ancient furnaces and forges in the nearby Val Gabbia or lower down in Val delle Forme. In both the mining areas of Silter di Campolungo and Baita Cludona di Fondo specific places were used for the mine spoil dumps and for the primary ore dressing acti-vities: sorting, washing, crushing and grinding. One of these sites on the right bank of the Grigna stream was thoroughly excavated. On this site many stone tools were found: hammers, mortars and millstones. Some of these tools were made from imported rocks such as vulcanite from Mt. Auc-cia, 3 km away as the crow flies. More often vein quartz and the hard sili-ceous sandstone from the mine itself were used to make these tools. The fragment of a tool interpreted as a rotary grinding stone was found too. A few sherds dating from the 6th-5th century BC were also discovered on this site. A small amount of copper slag in secondary deposition was found too. Its study and analyses have shown that it is connected to copper matte production. These mining works are not the remains of “informal” mining activities, but show the high level of technical knowledge which allowed the ancient miners to extract the ore from the deepest lodes. The mine structures discovered at Campolungo are exceptional, the underground works allowed an excellent exploitation of the mineralized veins. This means that the mining operations were coordinated and directed by some authority. The way the galleries were dug and their plans point to the knowledge of precision measuring systems. The Campolungo and Baita Cludona di Fondo mines show that during the Early Iron Age there were already infra-structures and perfectly organized technical assistance for this sort of en-terprise. These infrastructures imply the existence of a central authority with economic and political power sufficiently developed to organize a mining operation on such a scale in such a remote place. Such power can only exist in a highly hierarchized society. The Campolungo and Baita Cludona mining area is one of the very few places of Val Camonica devoid of any prehistoric rock-carvings. This fact could be connected with the mining activities; the carving of rocks may have implied some magical/religious meanings in contrast with the ore extraction activities. Because of this the hypothesis of a land division in relationship with the exploitation of natural resources must be taken into consideration.

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CONTEXTE

Géographie physique

La zone minière de Silter di Campolungo – Baita Cludona di Fondo (045° 52’ 36’’ N ; 010° 2’ 01’’ E) est localisée dans la petite vallée Grigna, une vallée sus-pendue d’origine glaciaire traversée par le torrent du même nom, qui est un affluent gauche du fleuve Oglio (fig. 1). Ce torrent est alimenté par un bassin hydro-graphique dense et possède un important débit en toutes saisons. La vallée Grigna met en communication le Val Camonica avec la vallée Trompia par le col de Goletto di Cludona et se situe sur le territoire des communes de Bienno et de Collio : deux kilomètres à vol d’oiseau séparent Silter di Campolungo au nord et Baita Cludona di Fondo au sud.

Elle est comprise entre 1 493 et 1 800 m au-dessus du niveau de la mer en rive gauche du torrent Grigna.

Cette zone minière est divisée en deux parties sépa-rées par la faille de la vallée Ma :- la partie au sud de Silter di Campolungo, au pied du

mont Bresciana, s’étend depuis le lit du torrent Gri-gna le long de sa rive gauche jusqu’à 150 m au-dessus ;

- la partie Baita Cludona di Fondo, en rive gauche du torrent, est localisée sur les terrasses fluviales sur le versant du mont Ma.

Environnement

Caractérisée par des précipitations abondantes et par un substrat siliceux, cette région est recouverte par une forêt dense de sapins rouges (Picea abies) qui est de-venue aujourd’hui, à la suite de reboisements, la plante dominante. On y trouve aussi, mais plus rarement, le Sapin blanc (Abies alba), le Mélèze (Larix decidua) et le Pin noir (Pinus nigra). Parmi les quelques latifoliées présentes, on observe le Cytise (Laburnum alpinum), le Charme noir (Ostrya carpinifolia), l’Érable (Acer sp.), le Hêtre (Fagus sylvatica), le Bouleau (Betula sp.) et le Saule (Salix sp.). Dans les parties où le bois est clairsemé se situe une riche végétation composée prin-cipalement par le Rhododendron (Rhododendron sp.) et la Myrtille (Vaccinium myrtillus). Dans les zones de prairie, on observe des buissons de Genévrier nain (Juniperus communis ssp. nana), de Myrtille rouge (Vaccinium vitis-idaea), de Fausse Myrtille (Vaccinium uliginosum) et de Raisin d’ours (Arctostaphylos uva-ursi). De nombreuses tourbières y sont localisées, ca-ractérisées par la Sphaigne (Sphagnum sp.), la Linai-grette (Eriophorum sp.), la Parnassie (Parnassia palustris), la Drosera (Drosera rotundifolia), l’Eu-phraise (Euphrasia alpina), la Grassette (Pinguicola sp.), la Pulsatille (Pulsatilla alpina) et la Gentiane des marais (Swertia perennis). En bordure de ces tourbières poussent le Genévrier (Juniperus communis), le Bou-leau (Betula sp.), le Groseillier rouge (Ribes rubrum) et l’Épilobe (Epilobium angustifolium), tandis que le long des torrents abondent le Saule (Salix sp.) et l’Aulne (Alnus viridis). Dans les zones plus ensoleillées se développent le Sorbier (Sorbus sp.) et le Groseillier rouge (Ribes rubrum).

Partout où il existe, le sous-bois présente un épais tapis de mousses et de lichens où se répandent les Fougères (Dryopteris sp.) accompagnées parfois de plants de myrtilles (Vaccinium myrtillus) dans les zones moins humides.

Géologie

Dans la zone concernée par les affleurements de cuivre, entre Silter di Campolungo et Baita Cludona di Fondo, la roche encaissante est constituée par une succession de sédiments détritiques siliceux de la for-mation de Collio, d’âge Permien inférieur. Il s’agit de bancs décimétriques à métriques de grès massifs concré-tionnés, alternés avec des conglomérats à matrice gréseuse, des couches de marnes et des bancs gréseux d’épaisseur centimétrique à décimétrique, dans une proportion variant de 50 % à 20-80 % (fig. 2).

Au nord de Silter di Campolungo, les rives du torrent sont occupées par de larges affleurements rocheux ; le plateau présente une végétation entrecoupée d’affleu-rements irréguliers proches des travaux miniers. La

Fig. 1 – Localisation des sites référencés dans le texte : 1 : Sesa (scories de cuivre) ; 2 : Valle delle Forme (forges, bas-fourneaux et haut-fourneau du XVe siècle) ; 3 : sites de Ponte di Val Gabbia (bas-fourneaux et haut-fourneau des Ve-XIIIe siècles) ; 4 : mine de fer de Piazzalunga ; 5 : Silter di Campolungo ; 6 : Baita Cludona di Fondo ; 7 : Moia Tonda.Fig. 1 – Location of the sites mentioned in the text: Campolungo and Cludona di Fondo mines.

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Fig. 2 – 2a : géologie de la région de Bienno. Formation de Collio (roches sédimentaires permiennes). Formation de Collio (roches volcaniques permiennes). Volcanites d’Auccia (Permien). Conglomérat du Dosso dei Galli (Permien). Servino (Permien). Verrucano Lombardo (Permien). Dépots glaciaires et alluviaux mélangés. Volcanites du Trias. Failles et cassu-res. Minéralisations. 2b : Série stratigraphique synthétique des niveaux géologiques présents dans la région de Bienno.Fig. 2 – Geology of the Bienno area. Collio formation (Permian sedimentary rocks). Collio formation (Permian volcanic rocks). Volcanites of Auccia (Permian). Dosso dei Galli conglomerates (Permian). Servino (Permian). Verrucano Lombardo (Permian). Mixed glacial and alluvial deposits. Volcanites (Trias). Faults. Mineralizations.

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disposition des strates sédimentaires y est monotone, les couches plongent vers le nord-ouest suivant un pendage de 15-25°. À proximité des failles les plus importantes, la disposition originelle se trouve plus ou moins perturbée ; on enregistre une rotation du plan stratigraphique vers le nord-nord-est et un accroisse-ment du pendage jusqu’à 40-45°.

La tectonique cassante est dominée par la présence de deux systèmes majeurs de failles sensiblement orthogonaux : un système nord-est/sud-ouest avec un pendage vers le nord-ouest (70-80°) et un système nord-ouest/sud-est plongeant vers le nord-est (70°). Tous deux sont reconnaissables en surface. Leur in-tersection ainsi que la disposition de la stratification déterminent le cours du torrent (fig. 3).

La plupart des indications morphologiques présentes dans les anciens travaux laissent supposer que les miné-ralisations suivent uniquement les failles de direction 124-304°. Cependant, l’observation de plans mineurs, y compris dans la galerie de travers-banc (système d’axe 50-203°), suggère l’existence de minéralisations inti-mement liées à la tectonique. Cet ensemble de failles, qui semble plus ancien, d’axe nord-est/sud-ouest, a été remobilisé en même temps que le système d’axe nord-ouest/sud-est. La direction du mouvement n’est pas univoque : le déplacement de l’axe du torrent vers le sud-ouest indiquerait un mouvement senestre, du moins en ce qui concerne le filon aval. Les indications concer-nant le filon amont pourraient marquer un mouvement dextre, relativement commun vers la fin du Paléozoïque. Le long du lit du torrent, des systèmes parasites de ces failles, représentés par des structures subverticales de directions nord-sud, ont été observés. Il est plus difficile de reconnaître la direction du déplacement du système le plus ancien, probablement dextre lui aussi.

Les travaux reconnus jusqu’à présent appartiennent au système de fracturation de direction 123-303°, c’est-à-dire au plus récent (Ancel et al., 1998).

Minéralogie (Cucini Tizzoni et al., 2001)

Les couches de grès et de siltite, alternées par des grès grossiers, sont stratifiées et semblent avoir été métamorphosées au point de présenter une structure laminaire. Elles sont traversées par une série de failles, parmi lesquelles celles de direction ouest-nord-ouest (304°) minéralisées par des veines de quartz blanc épigénétique d’une puissance de 15-20 cm qui contiennent de la chalcopyrite.

Les vestiges les plus problématiques à identifier sur un site minier abandonné, quelle que soit l’époque, se trouvent être précisément les minéralisations qui en étaient extraites. En l’absence de minerai retrouvé in situ, il est nécessaire d’analyser avec attention les mi-nerais encore présents dans les haldes pour éviter de confondre ceux qui ont été rejetés avec ceux qui ont été effectivement extraits.

De manière générale, la roche encaissante ne pré-sente pas de traces de minerais d’intérêt économique. La présence de chalcopyrite se manifeste essentielle-ment dans les filons de quartz ; dans certains cas, cette minéralisation a pu combler quelques anfractuosités dans l’encaissant. L’examen microscopique des échan-tillons montre la présence de quantités minimes de pyrite et des traces de minéralisations du groupe de la tetraédrite et de la sphalérite. L’absence de minerais, à l’exception de la chalcopyrite, montre qu’il s’agit bien de ce minerai qui a été extrait. Par ailleurs, la qualité des minéralisations a favorisé, semble-t-il, la production d’un métal (cuivre) lui aussi relativement pur.

L’électrum est présent sous forme de minuscules grains de 1 à 2 microns. Ses dimensions microscopiques devaient rendre impossible son extraction. On ne peut néanmoins exclure l’hypothèse d’une zone d’enrichis-sement de minerais aurifères dans la partie superficielle du gisement. À Silter di Campolungo, la surface du

Fig. 3 – Coupe géologique A-A’. District ferrifère de la Vallée de Scalve. District ferrifère de la Vallée Trompia. Unité du Trias moyen-supérieur. Servino (Permien). Verrucano Lombardo (Permien). Formation de Collio et volcanites permiennes. Socle cristallin. Failles et chevauchements. LVT : ligne de faille de la vallée Trompia. LG : ligne de faille de la Gallinera. Zones minières.Fig. 3 – Geological section A-A’. Val di Scalve iron district. Val Trompia iron district. Middle-Upper Trias Unit. Servino (Permian). Verrucano Lombardo (Permian). Collio Formation and Permian Volcanites . Crystalline substratum. Faults and overthrusts. LVT: Val Trompia fault line. LG: Gallinera fault line. Mining areas

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gisement devait être de dimensions réduites ; on n’ob-serve aujourd’hui aucune trace de ce minéral. La pré-sence de placers aurifères localisés en aval est une hypothèse à avancer. Plusieurs filons minéralisés tra-versent en effet le lit du torrent Grigna, les placers aurifères ont pu être exploités facilement en particulier à hauteur de glacis localisés autour de la cabane de Campolungo, là où le torrent ralentit sa course et ac-cumule des dépôts de cailloux et de sables.

Paléoenvironnement et analyses polliniques (Mighall et al., 2003)

Deux carottages polliniques ont été effectués, le premier dans une tourbière proche de Silter di Campo-lungo (fig. 4) et l’autre près de la Baita Cludona di Fondo dans la tourbière de Moia Tonda (fig. 5).

Les datations au 14C ont montré qu’à Campolungo la tourbière présente une série chronologique qui

Fig. 4 – Bienno. Mine de Campolungo. Diagramme pollinique du site C1.Fig. 4 – Bienno. Campolungo mine. Pollen diagram from site C1.

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commence vers 1500 av. J.-C. pour se terminer à la période actuelle, tandis qu’à Moia Tonda la série strati-graphique commence à partir de 900 av. J.-C. environ. La végétation d’origine est identique dans les deux zones. Le diagramme pollinique de Moia Tonda est influencé par le contexte régional plutôt que local ; à l’altitude où se situe cette tourbière, les vents ont une influence certaine sur la précipitation des pollens et sur leur transport depuis le fond de la vallée.

D’après les analyses polliniques, il est possible d’émettre les observations suivantes :- autour de 1500-1000 av. J.-C., la forêt est dominée

par Picea, Alnus et Quercus avec une quantité d’es-pèces en plus petit nombre telles qu’Abies, Pinus, Fagus, Carpinus et Corylus avellana ;

- une première phase de modification de la végétation intervient vers 1300 av. J.-C. ; il faut attendre le début de l’Âge du fer autour de 900 av. J.-C. (phases C1 et C2 du diagramme pollinique) pour enregistrer le début d’une brève phase de déforestation ; un peu avant la moitié du Ier millénaire av. J.-C., une rapide reprise de la forêt se manifeste déjà, même si les niveaux du Chêne et du Noisetier diffèrent des phases

précédentes. Les autres pollens, généralement asso-ciés aux activités humaines, sont trop peu nombreux pour fournir des informations pertinentes. Il est in-téressant d’observer que cette phase de déforestation est associée à des phénomènes d’érosion. À Moia Tonda, la phase la plus ancienne se superpose à des parties des phases C2 et C3 de Campolungo ; ici aussi on observe une modification de la végétation et l’ap-parition de pollens liés aux activités humaines. Ces données suggèrent que l’activité minière à Campo-lungo était sensiblement contemporaine de celles proches de Baita Cludona di Fondo. La diminution des pollens d’arbres à Campolungo est beaucoup plus importante que celle observée à Moia Tonda. Après la fin des activités extractives, la reprise de la végé-tation montre que l’impact sur l’environnement n’est pas irréversible. Ce phénomène s’explique en partie par une gestion appropriée du patrimoine forestier, incluant un déboisement limité, ou selon une échelle et une durée d’activités minières relativement plus réduites ;

- entre le VIIIe et le Ier siècle av. J.-C. (phase C3 du diagramme), l’activité extractive cesse. Le pollen des arbres augmente de manière très nette ; la présence

Fig. 5 – Collio. Moia Tonda. Diagramme pollinique.Fig. 5 – Collio. Moia Tonda. Pollen diagram.

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forte d’Alnus pourrait évoquer l’existence de coupes forestières sélectives. La présence de pollens de graminées pourrait suggérer un épisode de défores-tation accompagné de pâturages. Pour autant, l’ap-parition de pollens de céréales doit être attribuée au transport par le vent plutôt qu’à la présence de cultures effectives dans la zone. À mi-chemin de cet épisode, la déforestation recommence, liée semble-t-il aux grandes invasions celtiques du début du IVe

siècle av. J.-C. ; elle sera encore davantage marquée au cours de la période romaine qui suit (phase C4). Même si les extractions minières à Campolungo ont cessé depuis longtemps, cette déforestation est peut-être à lier aux activités extractives de la grande mine de fer de Piazzalunga proche et aux activités sidé-rurgiques qui étaient associées. Le fait que Picea augmente au détriment d’Alnus et de toutes les lati-foliés en général indique que le charbon de bois fa-briqué avec les essences non résineuses était très recherché pour les travaux de la forge. Durant cette période, une culture de céréales modeste a été prati-quée dans les endroits les plus abrités et ensoleillés. Il y avait aussi, probablement, de petits champs de chanvre (Lycopus), culture traditionnelle du Val Ca-monica, une plante qui a été cultivée quasiment sans interruption jusqu’à son interdiction récente. La présence constante de pollens de céréales, Castanea et Juglans, depuis la période romaine, confirme l’existence d’une occupation humaine. À Moia Tonda les phases correspondantes à la période romaine – se-conde moitié de M2 et première moitié de M3 – in-diquent toujours un impact humain majeur sur l’en-vironnement jusqu’au VIIIe siècle ap. J.-C. ; on observe une diminution de la couverture forestière, à laquelle il convient d’exclure le feu comme cause effective, ainsi que le montrent l’absence de charbon de bois dans la colonne stratigraphique et un accrois-sement des végétaux lié à la fréquentation humaine et au pastoralisme. À Moia Tonda, malgré les fluc-tuations, on observe ainsi une tendance à l’augmen-tation du couvert forestier après la fin de la période romaine ;

- la tendance à la diminution des pollens forestiers après la fin de la phase C4 autour de 500 ap. J.-C. perdure jusqu’au XIVe siècle environ. La brusque diminution des pollens des arbres à la fin de la phase C6 (XIIe-XIIIe siècle) est peut-être liée à la cons-truction plus en aval d’un haut-fourneau qui réduisait le minerai de Piazzalunga. L’inversion de la ten-dance, qui se manifeste à partir du XIVe siècle, avec l’augmentation progressive des bois, est peut-être à mettre en relation avec les épidémies qui envahirent l’Europe à partir du XIIIe siècle et qui furent parti-culièrement dévastatrices dans les zones de montagne pour des raisons encore mal connues. À Moia Tonda, la présence de charbons de bois dans une zone ca-ractérisée par de fortes précipitations pendant toute l’année pourrait être due soit aux incendies à répéti-tion des plantes de marais provoqués par l’homme dans le but de renouveler la végétation, soit à un accroissement très net des activités de charbonnage. On observe une diminution du pollen des arbres à

partir de la phase M4 (XIIe siècle), conséquence des besoins en combustible pour le haut-fourneau. Entre 500 et 1800 ap. J.-C., une première déforestation sélective d’Abies sera suivie par une seconde phase au XIIIe siècle. Entre 500 et 1300 ap. J.-C., on observe à Campolungo une réduction de la forêt ; à Moia Tonda ce phénomène est daté entre 100 et 1300 ap. J.-C. ;

- les variations de végétation observées peuvent être liées aux oscillations climatiques. On enregistre par exemple une succession de phases froides accompa-gnées par des crises détritiques au cours de l’Âge du fer et le Ve-VIe siècle ap. J.-C. Au moment de l’opti-mum climatique entre 1000 et 1300 ap. J.-C. succèdent non seulement une diminution du peuple-ment, mais aussi une crise climatique entre 1500 et 1700 qui détermina la plus importante crise détritique après la fin de la dernière glaciation.

En comparant les diagrammes polliniques avec les déterminations des bois et des charbons de bois prove-nant de la mine de Campolungo et les échantillons de terrain prélevés soit dans la mine soit à proximité des excavations minières à Baita Cludona di Fondo, plu-sieurs observations ont été mises en évidence.

Le Sapin rouge (Picea abies) est la plante la plus représentée parmi les échantillons recueillis à l’inté-rieur de la mine (Cucini Tizzoni et al., 2001). C’est aussi l’arbre le plus répandu. Son bois, léger et solide, se coupe facilement ; grâce à sa teneur élevée en résine, il résiste bien dans un environnement humide. Il était utilisé pour l’abattage au feu.

Après le Sapin rouge vient le Sapin blanc (Abies alba) ; son bois mou, léger, peu solide ni durable, se laisse découper facilement en tiges allongées qui brûlent en donnant une flamme claire et peu de fumée. Il était utilisé pour l’éclairage y compris dans les ha-bitats d’altitude jusqu’au XIXe siècle.

D’autres essences employées pour le boisage des galeries étaient sélectionnées suivant les nécessités. Le bois de Bouleau (Betula sp.), dur et solide, est un bon combustible même si son diamètre moyen reste mo-deste. Celui du Saule (Salix sp.), léger, se casse facile-ment mais résiste à la compression et aux chocs. Enfin les bois de Sorbier (Sorbus sp.) et de Cytise (Cytisus sp.) sont durs et résistants.

Il existe une correspondance très nette entre les bois employés dans la mine et le diagramme pollinique, même s’il y a des exceptions. Par exemple l’Aulne (Alnus sp.), qui devait être fréquent, comme aujourd’hui encore le long des cours d’eau, n’a pas été retrouvé parmi les échantillons recueillis dans la mine.

Une similitude substantielle entre la végétation ac-tuelle et celle de la zone autour de la première moitié du Ier millénaire av. J.-C. est confirmée par la décou-verte de bryophites (Vadam, 1999) localisés entre les boisages d’un puits de mine. Ils étaient employés pour empêcher la chute de débris fins dans le puits, évitant ainsi aux particules fines de glisser entre les bois. Il s’agit de Sphagnum palustre, Bryum pseudotriquetrum, Plagionium undulatum, Mnium hornum, Atrichum undulatum, Eurhynchium praelongum, Brachythecium

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plumosum et Pellia epiphilla. Ces bryophites vivent dans un environnement riche en eau sur des sols siliceux et avec une couverture de conifères.

De fait, les diagrammes polliniques montrent que l’exploitation minière dans la zone de Silter di Campolungo-Baita Cludona di Fondo fut de brève durée, peut-être de l’ordre de quelques siècles au cours du Premier Âge du fer et qu’elle eut peu de consé-quences pour la végétation.

Après l’abandon de la mine de cuivre, ou peut-être même pendant son exploitation, les anciens concen-trèrent leurs activités sur la mine de fer de Piazzalunga proche et, au moins depuis le Ve-VIe siècle ap. J.-C., construisirent sur les montagnes proches une série d’installations métallurgiques pour procéder au grillage et à la réduction du minerai (Morin, 1999).

En comparant les déterminations des échantillons de charbon de bois provenant du site métallurgique de Ponte di Val Gabbia III (Marziani et Citterio, 1999), au cours de la phase datée du Ve-VIe siècle ap. J.-C., avec les phases contemporaines de Campolungo (C4-C5) et de Moia Tonda (MT3), on s’aperçoit que le site métallurgique présente un fort pourcentage en char-bons de bois de Sapin blanc (Abies alba), une plante que les diagrammes polliniques contemporains pré-sentent a contrario en déclin. Selon toute vraisem-blance, ce bois était particulièrement recherché pour la production du charbon de bois indispensable aux opérations métallurgiques. Cette essence est de loin la plus représentée, même dans les installations de l’époque lombarde.

Au contraire, dans le haut-fourneau médiéval re-trouvé sur le site de Ponte di Val Gabbia III (Cucini Tizzoni et Tizzoni, 2006), le Sapin blanc (Abies alba) commence à laisser la place à d’autres arbres, en par-ticulier l’Érable (Acer sp.). Cette tendance sera de plus en plus marquée au cours des périodes suivantes.

Pendant la dernière phase d’activité de la mine de fer de Piazzalunga (XVe-XVIe siècles) (Marziani et Citterio, 1999), l’arbre le plus utilisé est le Charme (Carpinus betulus) qui est peu abondant dans les dia-grammes polliniques. Le Sapin blanc (Abies alba) est encore moins présent. Selon toute probabilité, à cause de son exploitation intensive, ce conifère était devenu rare. Il est donc possible de discerner, comme pour les travaux miniers, des essences différentes utilisées selon les nécessités comme le Charme (Carpinus betulus) résistant pour les boisages et les structures de soutène-ment.

Il est difficile d’affirmer avec certitude si la présence de charbon de bois dans les tourbières de Campolungo et Moia Tonda peut être attribuée aux activités de charbonnage ou aux incendies de forêt provoqués par l’homme pour développer les zones de pâturage. Ces pratiques n’étaient guère en usage dans cette région où les incendies sont rares à cause d’une forte pluviosité et de la présence de nombreux cours d’eau. Seuls les bovidés, les chèvres et les moutons trouvent des pâtu-rages, y compris parmi la végétation luxuriante des sous-bois. En suivant des itinéraires précis dans la forêt, les déplacements de ces animaux ont favorisé l’implantation de clairières.

De manière générale, les déforestations effectuées par l’homme ont pour origine la production de charbon de bois, comme en témoigne la présence de nombreuses charbonnières. Cette production avait pour but d’ali-menter les fourneaux et les forges construites en amont du Val Gabbia, et en aval à une altitude inférieure dans le Val delle Forme.

Le déplacement des activités métallurgiques vers les zones moins élevées est caractéristique des régions alpines et doit être imputé à un appauvrissement pro-gressif du patrimoine forestier situé à des altitudes plus élevées. Un constat similaire a été mis en évi-dence dans le massif de l’Argentera-Mercantour 1 (Morin et Rosenthal, 2006 ; Morin et al., 2007a et b). Enfin, on observe dans l’ensemble une tendance à l’augmentation du couvert forestier au début du XIVe siècle.

Les travaux miniers (Ancel et al., 1998)

La mine de Campolungo pose de prime abord une problématique complexe : celle de l’exploitation de filons minéralisés en profondeur. Elle pose également le problème de la gestion de travaux souterrains réali-sés avec comme seuls outils de simples maillets de quartz et ce dans une roche relativement dure. Il fallait donc au départ appréhender la morphologie des miné-ralisations mais aussi en déterminer la teneur et l’im-portance économique : un véritable défi pour l’époque. Dans le cas de Campolungo, il est évident que les mineurs maîtrisaient parfaitement les techniques d’ex-traction.

Comment ont-elles été mises en place ? Quelles sont les méthodes utilisées pour atteindre les minéralisa-tions ?

LA MINE DE CAMPOLUNGO

La mine de Campolungo a fait l’objet de plusieurs campagnes d’explorations et de fouilles au cours des-quelles ont été reconnus près de 187 m de travaux souterrains 2. L’exploration spéléologique a dû recourir à plusieurs reprises au pompage de zones ennoyées pour progresser, non sans difficultés, dans les parties profondes de la mine (fig. 6).

Les travaux à ciel ouvert

Le site a révélé la présence de plusieurs filons dont deux sont visibles à l’affleurement par la présence de haldes et de sondages. L’exploitation s’est concentrée au départ en surface sur le plateau qui domine le torrent. Le filon aval a été attaqué à ciel ouvert sur une longueur de 12 m (fig. 7). Au nord-ouest, une excavation encore visible l’a dégagé sur plus de 3 m de longueur (Dp00). Larges de 45 cm, les parois sont lisses, le front de taille est vertical. Le fond est comblé

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à 2 m de profondeur. On observe sur le parement sud-ouest deux encoches correspondant manifestement à l’emplacement d’étais en bois. La partie sud-est est dégagée en surface sur moins de 2 m et s’enfonce au-delà sur près de 7 m en longueur et 6 m en déni-velée, en suivant un éboulis de blocs. Une partie du

sommet de la tranchée est obstruée par un amas de blocs empilés volontairement. Sur la première moitié de sa hauteur, la tranchée est large de 60 cm. On y observe les deux encoches opposées d’un même étai disparu. Plus bas, la cavité traverse un épais banc de grès taillé au feu.

Fig. 6 – Bienno. Mine de Campolungo. Plan topographique et localisation des principaux ouvrages souterrains (DAO : H. M-Hamon).Fig. 6 – Bienno. Campolungo mine. Plan and location of main underground works (CAD: H. M-Hamon).

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La galerie de travers-banc d’exhaure (TB00)

Principal ouvrage visible dans la falaise, l’entrée du travers-banc d’exhaure (TB00) s’ouvre à la base d’une barre rocheuse à 1,50 m au-dessus du lit du torrent (fig. 8). L’accès est creusé dans de petits bancs de grès et le plafond suit un niveau de grès schisteux plus tendre. L’ouvrage est parcouru par un courant d’eau relativement puissant provenant des travaux reculés sur le filon amont. Durant la sécheresse de l’été 1998, le débit était supérieur à 20 l/seconde.

Le travers-banc suit sensiblement la direction de la stratification (fig. 9). Son gabarit est en moyenne de 1,80 x 1,80 m. La section se rapproche d’un ovale

tronqué au plafond et au sol par les bancs inclinés de 15° à 20°. La paroi droite est souvent abrupte et mar-quée par les saillies de bancs de grès plus dur. Le travers-banc suit une direction N53°-233° sur 35 m, oblique ensuite vers N25°-205°, présente un premier rabattement de plafond de 70 cm, à 42 m, puis se re-dresse vers la droite en N40°-220° pour atteindre le filon aval à 61 m de son entrée.

Sous la jonction avec la galerie d’aérage (Ga01), le plafond se rabat à nouveau de 1 m. La galerie repart en N60°-240°, présente un troisième rabattement à 8 m du filon aval, ensuite se rétrécit en obliquant en N80°-260°, puis, assez large, bifurque. La partie droite, d’où provient le courant d’eau, se poursuit pour rejoindre

Fig. 7 – Bienno. Mine de Campolungo. Coupe transversale des principaux ouvrages souterrains et de surface à partir du torrent.Fig. 7 – Bienno. Campolungo mine. Section of main underground and surface works starting from the stream.

Fig. 8 – Bienno. Mine de Campolungo, galerie de travers-banc (TB00). Partie amont. Vue prise au-delà du premier filon vers le SW après les travaux de pompage et de désobstruction. Les traces du remplissage sont visibles à la base des parois. À remarquer : le pendage des couches qui plongent vers le NW (photographie prise du fond vers le SW).Fig. 8 – Bienno. Campolungo mine, main cross-cut gallery (TB00). Upper part. View beyond the first lode looking SW after pumping and clearing. Marks of the original filling can be seen at the bottom of the gallery sides. Note the inclination of the layers plunging towards the NW (seen from inside looking SW).

Fig. 9 – Bienno. Mine de Campolungo, travers-banc d’exhaure (TB00). Partie amont. Vue prise au-delà du premier filon vers le SW après les travaux de pompage et de désobstruction. Les traces du remplissage sont visibles à la base des parois (photographie prise de l’extérieur vers le NE).Fig. 9 – Bienno. Campolungo mine, main cross-cut drainage gallery (TB00). Upper part. View beyond the first lode looking SW after pumping and clearing. The marks of the original filling can be seen at the bottom of the gallery sides (seen from outside looking NE).

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les travaux amont. La partie gauche remonte en direc-tion N70°-250° et rencontre le filon amont à 85 m de l’entrée. Ce dernier, situé le long d’une faille, a été exploité en direction du nord-ouest N123°-303° ; de l’autre côté il pourrait se raccorder avec des travaux situés le long du torrent. Ce vide, aujourd’hui obstrué par des stériles, peut expliquer la présence du puits inondé dans la galerie suivant l’axe 122°-302°. Dans cette hypothèse il constituerait un accès à un niveau inférieur.

La galerie d’exhaure se poursuit en direction N50°-230° et s’élargit. Le plafond est rehaussé de plus d’un mètre. Les traces de torches et des niches utilisées pour déposer de l’éclairage y sont encore visibles.

La première partie du travers-banc est encombrée par des éboulis provenant de la purge des parois et de déblais filoniens devenant abondants à l’approche du filon aval et de la boue dans les zones d’eau stagnante. À cet endroit, le comblement atteint près d’1,50 m d’épaisseur. Cette galerie a fait l’objet d’un sondage archéologique sur les 35 premiers mètres.

L’examen attentif du substrat une fois dégagé permet de mieux comprendre la stratégie employée par les mineurs. La galerie pénètre de biais directement dans la falaise et s’oriente selon une direction N53°. Cette direction correspond à celle que doit prendre en théorie un ouvrage pour atteindre le filon amont là où se trouve la jonction. Au passage du filon aval, la galerie effectue un écart de 6 m vers la gauche mais retrouve ensuite sa trajectoire initiale. Dans la zone d’entrée, la strati-fication est dirigée grosso modo N60°-240°. En obli-quant de N7° vers la gauche (N53°-233°) et en suivant les mêmes bancs de grès schisteux, la galerie progresse avec un léger pendage inférieur à l°.

Ces observations sont suprenantes. Aujourd’hui, avec les boussoles de précision et les calculs de topo-graphie, un point d’entrée et une direction similaires auraient été vraisemblablement planifiés à l’iden-tique.

Cette stratégie de creusement s’observe sur les 42 premiers mètres : le plafond suit régulièrement les grès schisteux. La pente, pourtant idéale, a certaine-ment paru trop forte aux exploitants et le sol a été ni-velé pour atteindre une déclivité inférieure à 0,5° en gagnant en profondeur par enlèvement de couches supplémentaires. Sur les 30 mètres de galerie étudiés, on observe ainsi quatre passages successifs de bancs de quelques centimètres d’épaisseur. Ces travaux de finition ont eu lieu alors que la galerie était en cours de percement et ne servait pas encore à l’exhaure, les mineurs ayant pour objectif de creuser une galerie la moins déclive possible.

À 35 m, la direction des couches oblique progressi-vement pour passer de N60° à N80° au croisement du filon aval. En suivant les strates, les mineurs ont accé-léré à leur insu le pendage de la galerie. Un rabattement de plafond de 70 cm montre que ces derniers ont dû rectifier le pendage, et donc diminuer la hauteur de la galerie (fig. 10). Il pourrait s’agir de la trace d’une technique de double taille (technique du Sitzort à deux mineurs) bien connue dans les mines de la Renaissance (Morin et Bohly, 2004).

La zone des grès schisteux est excavée en profon-deur, comme si elle avait servi de bouchon d’attaque sur toute la largeur de la galerie. Les bancs plus durs sous-jacents pouvaient être alors décollés facilement en enfonçant des coins ou en utilisant des leviers. Vers l’amont du ruisseau, les mineurs ont quitté les grès schisteux et se sont enfoncés dans des bancs de grès plus indurés. Bien qu’en partie comblée, la galerie présente des parois plus abruptes et une section plus étroite et plus quadrangulaire. La facilité de suivre au plafond une même strate a amené les mineurs à sur-dimensionner une seconde fois la hauteur de leur ouvrage.

Les chantiers souterrains : les travaux sur le filon aval (Dp01)

À l’intersection du filon aval et de la galerie de travers-banc, une galerie d’allongement de 18 m a été foncée vers le nord-ouest (Dp01). Les 9 premiers mètres sont comblés par des déblais surmontés de sables et de silts. La taille du plafond est caractéristique du travail au feu. Au-delà du comblement s’ouvre un puits ennoyé (Pt01) long de 3 m qui occupe la totalité de la largeur de la galerie. Au bord de ce puits, la ga-lerie atteint pratiquement 2 m de hauteur ; un plancher de rondins et de planches ménage un espace entre les remblais et la base de la galerie (fig. 11). Cet aména-gement semble avoir été construit pour favoriser un écoulement des eaux d’infiltration. Au-dessus du puits la galerie est spacieuse, large de 1 m, avec une voûte arrondie typique du travail au feu. Au-delà, la galerie est surcreusée en chantier sur 1 m de hauteur, sa hau-teur totale atteignant alors près de 3,50 m, mais elle est remblayée sur près de 2 m. À 18 m du travers-banc, on aboutit au front de taille de la galerie primitive, mais la partie surcreusée se poursuit encore sur 2 m.

À cet endroit, là où les remblais diminuent d’épais-seur, ennoyée en temps normal, a été découverte une

Fig. 10 – Bienno. Mine de Campolungo, galerie de travers-banc (TB00). Partie amont. Vue prise au-delà du premier filon vers le SW. Rabattement de plafond avant l’accès au filon amont (photographie prise du fond vers le SW).Fig. 10 – Bienno. Campolungo mine, main cross-cut gallery (TB00). Upper part. View beyond the first lode looking SW. The roof is lowered before the access to the upper lode (seen from inside looking SW).

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auge en bois dans un état exceptionnel de conservation, posée sur le sol rocheux et masquée par un éboulis de blocs. Elle est taillée dans un demi-tronc, mesure 79 cm de long sur 40 de large et 18 cm de hauteur. Une datation 14C réalisée sur un morceau de bois prélevé

sur cette auge donne un âge (British Museum/BM-3106) 2580 ± 45 BP – intervalle calibré entre 770 et 390 av. J.-C.) avec un maximum de probabilité entre 770 et 680 av. J.-C. 3. Ce récipient en bois, utilisé pour le transport du minerai, montre les traces de l’outil employé pour sa fabrication. À l’intérieur a été retrouvé un fragment de bois en Sapin blanc, appartenant vrai-semblablement à une torche (fig. 12).

Le puits inondé a été pompé sur 8 m de profondeur. Aucune arrivée d’eau notable n’a été observée. Sa longueur varie de 3 à 4 m ; l’ouvrage présente un pro-fil longitudinal sinueux, se décalant en profondeur vers le sud-est. Sa largeur varie de 60 à 90 cm. La paroi aval est constituée d’un remblai solidement ancré par des rondins en bois (la galerie d’allongement se termine dans ces remblais) ; de l’autre côté, le remblai, de lon-gueur inconnue, présente une épaisseur d’environ 80 cm, avec une série horizontale unique de rondins reposant sur la roche en place. Trois étais ont été dé-couverts in situ, l’un vers - 2,50 m, les deux autres vers - 5,40 m. D’après les fragments retrouvés à la base, il semble que d’autres étais équipaient ce puits.

L’abattage

La technique de taille employée dans le substrat gréseux est l’abattage au feu : un bûcher était allumé au pied du front de taille et la chaleur dégagée dilatait et fragilisait la roche sur une épaisseur de quelques centimètres. L’abattage pouvait alors s’effectuer plus facilement au moyen de maillets ou de masses, façon-nés dans du quartz ou dans des roches volcaniques importées (fig. 13). Une telle méthode d’extraction implique une forte consommation de bois et surtout la présence d’un système d’aérage efficace et perma-nent.

L’éclairage

À tous les niveaux de la galerie, sur les parois et dans les remplissages ont été découverts de nombreux fragments de baguettes en résineux à demi consumés. Ces baguettes (Kinspänne/pine splints) à l’origine plus allongées étaient assemblées en faisceaux et consti-tuaient des torches utilisées pour l’éclairage (fig. 14). De telles torches ont été découvertes dans les mines de l’Âge du bronze de Mount Gabriel en Irlande (O’Brien, 1994), à Saint-Véran (Barge, 2003) ou dans les mines de sel de Hallstatt en Autriche dans des sites de l’Âge du fer (fig. 15).

Le boisage : soutènement et réemploi des artefacts

C’est dans le puits Pt01 qu’a été recueillie la ma-jeure partie du mobilier en bois. Le fond de cette cavité, partiellement dénoyée, est masqué par un éboulis in-cliné ; il provient de l’effondrement d’un remblai qui se trouvait suspendu au sommet de la foncée.

Fig. 11 – Bienno. Mine de Campolungo, plancher en bois sur dépilage et hourdage (Pt01).Fig. 11 – Bienno. Campolungo mine, wooden floor on stoping and roughcasting (Pt01).

Fig. 12 – Bienno. Mine de Campolungo Dp01, traîneau en bois monoxyle utilisé pour le transport du minerai.Fig. 12 – Bienno. Campolungo mine Dp01, wooden sleigh used for ore transport.

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Vers - 7,50 m étaient également visibles plusieurs quartiers de troncs d’arbres empilés les uns sur les autres sans ordre apparent. Trente-trois pièces de bois ont été prélevées dans les déblais. Parmi les pièces récupérées, 9 sont des quartiers, 23 sont des rondins et la dernière est une branche tordue partiellement brûlée (fig. 16). Sept quartiers présentent une calci-nation plus ou moins avancée, un seul étant fortement

brûlé. Il s’agit vraisemblablement de pièces de bois destinées à alimenter les bûchers lors de l’attaque au feu.

Le diamètre des rondins varie de 6,5 à 11 cm, ce sont des arbres âgés de 10 à 22 ans. Une pièce de réemploi, en partie brûlée, présente deux rainures lon-gitudinales et un orifice circulaire. Les pièces de courte taille présentent généralement des entailles : leurs

Fig. 13 – Bienno. Mine de Campolungo, masse sphérique en quartz (n° 1) et pics (nos 2, 3 et 4) en quartz and schiste vert provenant du TB00.Fig. 13 – Bienno. Campolungo mine, spherical quartz sledgehammer (no. 1), quartz and green schist picks (nos 2, 3 and 4) from the main cross-cut gallery TB00.

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extrémités sont biseautées et/ou écrasées : elles corres-pondent à des billes qui étaient serrées à l’origine entre les deux parois de la foncée. Les pièces allongées ont leurs extrémités taillées à plat ou en long biseau. L’en-semble appartenait à un hourdage complété par un échafaudage équipant la foncée pour l’extraction et assurant la circulation des mineurs. Parmi les pièces de bois fragmentées, huit correspondent par leur lon-gueur et/ou leur extrémité à des rondins. Elles présentent

fréquemment des traces de combustion, conséquence possible des bûchers allumés pour le creusement de la galerie, alors que certains boisages étaient déjà en place (fig. 17).

Le fond du puits est aujourd’hui impossible à attein-dre à cause des déblais qui l’encombrent. L’hypothèse d’un réseau sous-jacent expliquerait que le puits ait été laissé ouvert et boisé. L’extrémité de la galerie a été, quant à elle, exploitée à partir du puits par dépilage remontant.

Le conduit d’aérage (Ga01)

Sur le filon aval (nord), un ouvrage particulier se développe entre l’affleurement situé dans le ravin et l’intersection avec la galerie de travers-banc. Il s’agit d’une galerie inclinée en moyenne de 25° se raccordant au travers-banc par l’intermédiaire d’un ressaut vertical de 4 m. Son architecture laisse penser qu’elle a été creusée de l’extérieur vers l’intérieur. À l’affleurement, cet ouvrage pénètre à l’horizontale sur le filon stérile et présente une section étroite et haute, de 1,90 x 0,60 m. Puis il s’incline légèrement en suivant les strates et s’enfonce ensuite par gradins successifs, à la fois du sol et du plafond. Le plafond passe d’une couche de grès à l’autre, mais de façon moins nette que dans la galerie de travers-banc, car son architecture est avant tout marquée par la fracturation minéralisée. À 18 m, la galerie abandonne son profil resserré et rec-tangulaire et s’évase en une petite salle ovale, taillée

Fig. 15 – Bienno. Mine de Campolungo, dépilage Dp02. Amoncellement de charbons de bois et fragments de Kinspännen contre une paroi : résidus de torches utilisées pour l’éclairage permanent des chantiers.Fig. 15 – Bienno. Campolungo mine, Dp02 stoping. Heap of charcoal and fragments of Kinspännen (pine splints) against a wall: remains of torches used as permanent source of light in the underground works.

Fig. 14 – Bienno. Mine de Campolungo, travers-banc d’exhaure (TB00) : Kinspän-nen, fragments de baguettes de résineux utilisées pour l’éclairage.Fig. 14 – Bienno. Campolungo mine, main cross-cut gallery and adit (TB00): Kinspännen, fragments of pine splints used as torches.

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au feu et de section subcirculaire de 1,20 m de dia-mètre. Sur le côté droit s’ouvre une foncée étroite qui perce le plafond de la galerie de travers-banc.

Les exploitations du filon amont (Dp02/Dp03)

D’après les observations de surface, le filon amont a fait l’objet d’une exploitation inférieure sur un allon-gement de 60 m et une dénivelée de 80 m. Sur le pla-teau ont été reconnus deux emplacements où le filon a

été exploité à ciel ouvert (Ts03 et Ts04) ; ces travaux sont actuellement comblés ou effondrés. En profon-deur, ils sont rejoints par la galerie de travers-banc qui évacue une hauteur d’exhaure de près de 20 m.

Au-delà du filon aval, le travers-banc se prolonge après un rabattement de plafond de 1 m de hauteur. Cette progression s’effectue le long du miroir de faille et par conséquent ne présente pas de relique de front de taille. La galerie est d’abord très large, de l’ordre de 4 m, sa hauteur s’élève à nouveau et précède de près

Fig. 16 – Bienno. Mine de Campolungo, chantier aval (Pt01 et Dp01) : pièces de soutènement et de hourdage en résineux.Fig. 16 – Bienno. Campolungo mine, upper mining works (Pt01 and Dp01): pine pieces of timbering and roughcasting.

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un nouveau rabattement de plafond de 80 cm. Puis la galerie oblique franchement à droite et devient étroite et sinueuse. À l’approche du filon Dp02, le plafond s’abaisse, sans doute en suivant le pendage des couches, et se retrouve à un point plus bas qu’il ne l’était au carrefour précédent. À ce niveau, la mine s’oriente vers deux directions :- au sud-ouest la galerie prolonge le travers-banc qui

se trouve colmaté à près de 80 % par des amas de

stériles (Gr01). Ce tronçon, de section dissymétrique et d’une hauteur de 0,50 m à 0,60 m, s’oriente succes-sivement suivant trois directions longilignes d’orien-tations successives N = 217°, 197° et 213°. La partie terminale s’achève sur un front de taille (fig. 18). Cette galerie ne recoupe aucun filon visible et pro-longe sensiblement la direction générale du travers-banc. Il semble bien qu’à cet endroit les mineurs aient tenté de prolonger les recherches dans l’espoir de recouper de nouvelles minéralisations. Le rem-plissage provient certainement du dépilage nord-ouest dont l’amorce se situe au niveau du carre-four ;

- au nord-ouest, la galerie se rétrécit, se prolonge en hauteur et présente l’amorce d’un dépilage remontant (Dp02). Cette partie haute, d’où provient un fort courant d’air, est accessible au travers d’un éboulis de blocs instables. Le flux d’exhaure, issu de cette partie, présente à cet endroit un débit important. La galerie donne accès à un dépilage de direction N310° d’axe sud-est/nord-ouest. Ce chantier, long de 12 m pour une hauteur dégagée de 2,50 à 3,70 m et une largeur moyenne de 1,10 m, correspond à un dépilage remontant. Le toit présente un profil subcirculaire qui s’abaisse progressivement vers le nord-ouest à l’arrondi puis par l’intermédiaire d’un décrochement (fig. 19).

Dans la moitié supérieure de l’ouvrage, des banquettes ont été abandonnées aux deux extrémités du chantier. Elles témoignent des travaux de recherche

Fig. 17 – Bienno. Mine de Campolungo, chantier aval (Pt01 et Dp01) : pièces de boisage diverses en résineux.Fig. 17 – Bienno. Campolungo mine, upper mining works (Pt01 and Dp01): various pieces of timbering made with pine.

Fig. 18 – Bienno. Mine de Campolungo, galerie de recherche dans le prolongement du travers-banc (Gr01). Partie amont. Vue prise au-delà du premier filon vers le SW. Galerie comblée de stériles (photographie prise vers le SW).Fig. 18 – Bienno. Campolungo mine, research gallery in line with the main cross-cut gallery (Gr01). Upper part (seen from the first lode looking SW). Gallery filled up with waste (photo taken looking SW).

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effectués dans l’axe du filon. Leur disposition permet de confirmer l’hypothèse d’une progression simultanée de l’abattage effectuée sur deux niveaux. Ces banquettes sont occupées par des amoncellements de stériles bloqués par des murets soigneusement édifiés pour contenir d’éventuels éboulements. La partie nord-ouest du dépilage présente un double empilement de stériles ; le premier d’une hauteur de 0,40 m à la base du dépilage, le second à 0,60 m sous le toit, d’une hauteur de 0,80 m (fig. 20). L’essentiel du comblement du dépilage Dp02 est constitué de déchets de taille décimétriques, de blocs relativement volumineux et de cailloutis, reliquat de l’exploitation au feu. Les char-bons de bois en quantité sont présents, disséminés au sol et le long de la paroi ouest légèrement déclive. Le remplissage qui fait obstacle à un écoulement rapide de l’eau a sans doute contribué à ennoyer la galerie basse, favorisant l’accumulation de sédiments fins. Le profil du dépilage correspond au décaissement du filon, incliné à 60° et de direction N310°. Une datation 14C a été réalisée sur un charbon de bois prélevé dans les remblais en place localisés à la jonction de la ga-lerie et du filon (British Museum/BM-3054) 2410 ± 35 BP ; l’intervalle se situe entre 820 et 540 av. J.-C. (maximum de probabilité entre 700 et 540 av. J.-C.) 4 (Tizzoni et al., 2003).

À la base du front de taille nord-ouest et à l’aplomb de la paroi ouest s’ouvre un puits quadrangulaire (Pt02) en partie muraillé de 0,80 m de côté et de 2 m de ver-ticale, donnant accès à une galerie basse de 11 m de longueur en partie noyée d’axe est-sud-est (N = 211°).

À cet endroit, l’eau atteint 0,75 m de hauteur avec une hauteur d’air sous plafond de 0,23 m ; au toit, deux encoches opposées indiquent le positionnement initial d’un étai. Cette galerie étroite en partie noyée vers l’amont est parcourue par un important courant d’air (fig. 21).

À 8 m de l’orifice, le conduit n’occupe plus qu’une largeur de 1,90 m pour une hauteur totale de 0,70 m ; un empilement de stériles couvre la totalité de la paroi gauche (sens de la progression).

Fig. 19 – Bienno. Mine de Campolungo, dépilage Dp02. Vue prise vers le nord-ouest. Au fond, on distingue l’empilement de stériles à l’aplomb du puits (Pt02).Fig. 19 – Bienno. Campolungo mine, Dp02 stoping. Photo taken looking NW. Note a wall built with waste straight above the shaft in the background (Pt02).

Fig. 20 – Bienno. Mine de Campolungo, empilements de stériles à l’aplomb de Pt02.Fig. 20 – Bienno. Campolungo mine, waste stacks straight above Pt02.

Fig. 21 – Bienno. Mine de Campolungo galerie de travers-banc d’exhaure (tronçon amont TB01) en cours d’exploration. Jonction entre les chan-tiers Dp02 et Dp03.Fig. 21 – Bienno. Campolungo mine, main cross-cut gallery and adit (TB00) (upper section TB01) during exploration. Junction between the mining works Dp02 and Dp03.

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Le franchissement de la galerie a été pratiqué dans des conditions particulièrement difficiles. Pourtant, les premières observations apportent des informations inédites sur l’ampleur et l’ingéniosité des travaux en-trepris. Cette galerie de jonction, qui est en fait la prolongation du travers-banc d’origine (TB01), débouche à la base d’un important dépilage d’axe nord-nord-est/sud-sud-ouest et d’une largeur moyenne de 2,40 m (Dp03). Le courant d’air, alors violent dans la galerie de jonction, disparaît progressivement pour se perdre dans le volume trop important de cette partie de la mine. À cet endroit, l’origine des flux reste à déter-miner (l’exploration ayant été arrêtée à ce niveau pour des raisons de sécurité).

Dans la partie sud du dépilage (Dp03), le sol est constitué d’un éboulis en pente se prolongeant en profondeur. Les travaux, à cet endroit, s’élargissent sur plusieurs mètres et se développent de manière conséquente en hauteur. Au nord, les travaux pré-sentent des traces évidentes d’abattage au feu. Un mur de stériles occupe la largeur de la galerie à quelques mètres du front de taille. Il s’agit sans aucun doute d’une zone occupée par des chantiers d’abattage (fig. 22).

En surface, les prospections au sol n’ont pas permis de retrouver une éventuelle jonction avec les parties profondes. Certains affleurements ont été sondés à l’aplomb des travaux souterrains. En tête de dépilage, une dépression accolée à une petite halde a été repérée à la jonction du versant et du replat occupé par une zone de tourbières. Pour autant, rien ne permet d’affirmer la présence d’une quel-conque jonction entre la surface et ces travaux sou-terrains.

Dynamique de l’exploitation : analyse du remplissage

de la galerie de travers-banc

Afin de diminuer le niveau de l’eau, afin aussi d’améliorer la circulation et d’étudier le remplissage de la galerie, un décombrement du sol de la galerie d’exhaure a été entrepris. Le tamisage des déblais a permis de récupérer de nombreux fragments de bois et des échantillons de sédiments ont été prélevés.

Deux coupes stratigraphiques, réalisées respective-ment à 30,30 m de l’entrée et 35 m, présentent plu-sieurs couches de remplissage et permettent d’interpré-ter en partie la genèse de ces remplissages (fig. 23).

Coupe I

• US 01 : surmontée par un amoncellement réduit de plaquettes de grandes dimensions détachées du toit et des parois, cette couche se compose de débris clas-tiques : des fragments de grès, de marne et de quartz (rare), de forme anguleuse et jusqu’ à 70 cm de dimen-sion. Les débris clastiques subarrondis, de 3 à 4 cm, sont rarement présents, en proportion inférieure à 5 %. Ces cailloux et blocs délités sont emballés dans une matrice marron constituée par de la blocaille fine et du sable grossier, avec par endroits des inclusions de limon et de sable lessivés.

• US 02a : la couche est constituée par un amoncel-lement de débris clastiques : blocs corrodés, fortement altérés et fragmentés, cimentés et formant un niveau induré dont les joints interstitiels portent des marques prononcées d’oxydation.

Fig. 22 – Bienno. Mine de Campolungo, relevés topographiques du secteur NW (Dp02/Pt02/TB01/Dp03), plan et coupe (DAO : H. M.-Hamon).Fig. 22 – Bienno. Campolungo mine, underground survey of NW area (Dp02/Pt02/TB01/Dp03), plan and section (CAD: H. M.-Hamon).

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• US 02b : il se présente comme un niveau intermé-diaire reconnaissable à sa couleur grise. Les sédiments y sont plus fins à dominante de sables et de cailloutis.

• US 03 : la couche est constituée par un agglomérat de débris clastiques : cailloux et blocs emballés dans une matrice sableuse.

• US 04 : le remplissage de cette couche de plus de 30 cm d’épaisseur est constitué d’une couche argilo-sableuse grise compacte renfermant de nombreux frag-ments de baguettes de résineux en partie consumées, de charbons de bois et de bois.

• US 04a : la partie supérieure de cette couche à forte concentration de charbons de bois présente une couleur noirâtre prononcée. Quelques plaquettes et blocs altérés (paroi droite) jonchent le sol proche des parois.

Interprétation de la coupe I

Le pendage de la galerie et le débit des eaux d’une part, le délitage naturel des parois et l’activité minière d’autre part régissent la mise en place de ces alluvions. Lorsque la galerie est entrée en jonction avec le filon amont, un courant d’eau s’est mis en place. Après l’abandon de la mine ce courant s’est accru. Il est à l’origine de la mise en place d’un remplissage de sé-diments argilo-sableux contenant de nombreux débris de bois, dont les baguettes qui servaient à l’éclairage (Kinspänne). Le dépôt d’un niveau d’argiles et de sables fins et homogènes constitue l’ultime phase sé-dimentaire de ce complexe. Par la suite, un ensemble de cailloutis vient combler l’essentiel de la dépression. La genèse des phénomènes d’encroûtement et d’oxy-dation dans le niveau intermédiaire US 02a et US 02b pourrait correspondre à l’arrêt des processus sédimen-taires majeurs et par conséquent à un arrêt prolongé des activités d’exploitation. D’ultimes dépôts de collu-vionnement, alimentés par des cailloutis et des blocs, affectent le toit de cette formation. Ces dépôts semblent rapides et correspondent à une dynamique de pente, qui a entraîné les matériaux sous forme de coulées.

Coupe II

• US 01 : identique au niveau US 01 de la coupe I.

• US 02 : la limite inférieure de l’US 1 est soulignée par une couche noire de 3 à 5 cm. La formation est irrégulière, avec une surface souvent onduleuse. Elle est constituée de débris clastiques anguleux (maximum 3 cm), concrétionnés par un ciment marron foncé à noir, riche en oxydes de fer et de manganèse. L’US 2 s’arrête sur des débris clastiques plus volumineux présentant une surface noire. La couche est localement très compacte et présente les caractéristiques d’un conglomérat. Dans la zone de jonction entre les débris clastiques se rencontrent par endroit des phénomènes d’oxydation de la matrice et des composants.

• US 03 : couche de débris clastiques anguleux (dimensions jusqu’à 40 cm) emballés dans une matrice

(30-60 %) caillouteuse anguleuse de 5 mm à 3 cm. Les composants sont des marnes diversement altérées et du quartz (la partie stérile du filon). La matrice marron-gris est constituée de sable grossier.

• US 04 : la limite inférieure de l’US 03 est souli-gnée par une couche de 1 à 5 cm, noire, irrégulière avec une surface souvent onduleuse. Comme l’US 02, il s’agit d’une formation composée de débris clastiques anguleux compris entre 1 et 3 cm, agglomérés par une matrice riche en oxydes de fer et de manganèse. Cette couche s’arrête sur des composants de grandes dimen-sions. Au contraire de l’US 02, le degré de compaction et de cimentation est plus faible.

• US 05 : couche irrégulière composée de corps lenticulaires formés par un sable limoneux gris, compor-tant 20 à 40 % de débris clastiques anguleux de grès et de marne peu altérés et de rares cailloux subarrondis.

• US 06 : couche d’épaisseur variable, de quelques millimètres jusqu’à 10 cm, composée d’un sable

Fig. 23 – Bienno. Mine de Campolungo, galerie de travers-banc (TB00). Coupes stratigraphiques à travers le remplissage.Fig. 23 – Bienno. Campolungo mine, main cross-cut gallery and adit (TB00). Cross-section of the filling.

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moyen-grossier avec des débris clastiques anguleux à composition hétérogène (quartz, marne, grès), très altérés. Elle présente l’altération et la coloration rou-geâtre typique d’un sédiment ferrugineux. La cimen-tation de l’ensemble débris clastiques-matrice est faible. La coloration rougeâtre intéresse aussi une poche remplie de débris clastiques anguleux prédomi-nants, dans la partie est de la coupe.

• US 07 : couche irrégulière constituée par des corps lenticulaires reliés entre eux, composés par un sable limoneux gris avec des débris clastiques anguleux de grès et de marne peu altérés et de rares éléments subarrondis.

Les deux unités, US 5 et 7, peuvent être considérées comme équivalentes, bien que séparées par l’US 6.

• US 08 : sable moyen-grossier avec 30 % de cailloux (le plus souvent quartz et marne) et un grand pourcentage de matériel subarrondi.

• US 09 : limon et sable fin de couleur gris-marron. Sédiment localement structuré avec des amas assez irréguliers, stratifié à l’horizontale.

• US 10 : limon en partie argileux, de couleur gris foncé à noir ; il contient une fraction variable de débris clastiques anguleux (dimensions 5 mm-1 cm) et se transforme latéralement en sable sous forme de corps lenticulaires allongés.

• US 11 : sable grossier avec des fragments de roche, surtout de quartz, provenant des déblais des travaux miniers.

Interprétation de la coupe II

Le profil géologique montre l’évolution des proces-sus sédimentaires à l’intérieur de la mine, liés initiale-ment aux activités d’exploitation et, postérieurement, au remplissage partiel de la galerie provoqué probable-ment par un ou plusieurs événements accidentels. Dans la partie grossière superficielle, la plupart des débris clastiques composés par du matériel local (quartz de la gangue, grès et marne de la roche encaissante) semblent exclure un phénomène d’érosion des dépôts fluvio-glaciaires préexistants. Il s’agit du démantèlement d’unités sédimentaires artificielles abandonnées par l’exploitation minière. Les rares éléments clastiques subarrondis proviennent des éléments grossiers de la formation de Collio. La dimension maximale de la fraction clastique (70 cm) indique un phénomène de transport sous haute énergie ; toutefois, le pourcentage important de la matrice sableuse indique un flux hété-rogène avec variation d’énergie dans le temps.

La granulométrie le plus souvent fine (sable et limon) de la partie inférieure de la coupe stratigraphique correspond à une période de transport à régime de basse énergie.

La présence de bois brut dans les zones de ces dé-pôts, souvent orientés selon le flux de l’eau, indique clairement un régime d’écoulement ; l’accumulation du bois dans la galerie a été causée par la présence tem-poraire d’un barrage aval. Le développement des trois horizons riches en sédiment chimique a été déterminé par un ralentissement des phénomènes d’écoulement,

par la présence de laisses d’eau et par des conditions appropriées (chimie, température, etc.). La couche rougeâtre atteste d’une situation oxydante temporaire, alors que les deux horizons de couleur noire se sont formés probablement en conditions réductrices.

Les différents niveaux peuvent avoir été déterminés par les oscillations du niveau de l’eau dues à des varia-tions cycliques : remplissage de la galerie ou diminution de l’eau quand un barrage aval a cédé. Les morceaux de bois travaillés correspondent à l’activité d’exploitation (bases de rondins, Kinspänne, etc.) et proviennent des US 10 et 11. L’apport de la stratigraphie confirme l’exis-tence de flux discontinus à l’intérieur de la mine, cor-respondant aux différents stades de son développement et de son exploitation. Elle permet d’affirmer en l’état l’ancienneté de la galerie d’exhaure et sa relation fonc-tionnelle avec les différentes connexions connues du réseau. La présence de morceaux de bois fichés dans le sol de la galerie, de même facture que ceux découverts dans le puits, renforcent cette hypothèse.

Les travaux de surface

Le travers-banc d’accès (TB00) atteint près de 135 m de longueur et confirme l’importance du site proto-historique de Campolungo dans le cadre plus général de l’histoire des techniques minières. Un tel complexe minier devait comporter en surface un ensemble de structures liées aux différents stades de l’exploitation : coupe et préparation du bois, concassage et grillage du minerai, façonnage des outils…

Plusieurs zones liées à l’activité minière et minéra-lurgique ont été reconnues lors des prospections :- une halde amont ;- une aire de concassage et de tri du minerai qui se

trouve en rive droite du torrent, non loin de l’entrée de la galerie de travers-banc. Sous le couvert végétal dense du sous-bois affleure une grande quantité de quartz stérile soigneusement concassé et trié ;

- plusieurs aires de lavage. Devant l’entrée de la galerie de travers-banc, en rive droite, le lit du torrent ne présente pas une morphologie naturelle. Deux petits bacs contigus ont été visiblement aménagés dans la roche qui constitue le lit du torrent : le premier paral-lèle à l’axe du torrent et le second, plus petit et moins profond, raccordé au précédent à angle droit ;

- une zone située en amont de la halde. Quelques en-trées effondrées sont visibles, parmi lesquelles se situe l’accès à la galerie du filon amont ;

- une zone encore inexplorée en altitude, au-dessus des travaux. Plusieurs entrées et exploitations à ciel ouvert ont été reconnues (Ts03/Ts04) ;

- une exploitation dans le lit du torrent, formant angle droit avec le cours d’eau dans l’axe du filon amont. Deux petites excavations alignées, rectangulaires, où l’eau pénètre, ont été observées. La partie sud-est de cette exploitation occupe près d’un tiers du lit du torrent. Sa profondeur est de trois mètres environ alors que le reste du lit, dans cette zone, a une pro-fondeur de l’ordre d’un mètre.

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Interprétation

Les travaux souterrains reconnus semblent apparte-nir à une seule et même phase d’exploitation. Les travaux à ciel ouvert pourraient dater quant à eux d’une phase plus ancienne. La galerie de travers-banc, le boyau d’aérage, la galerie du puits, les travaux pro-fonds du filon amont et les remblais qui y sont associés, sont contemporains et datent de l’Âge du fer.

L’activité minière a débuté par le percement de tranchées sur les affleurements des deux filons. Ces travaux (Ts03/Ts04), plus anciens, s’échelonnent sur une dénivelée de 100 m entre 1 535 m (altitude de l’accès au travers-banc d’exhaure) et 1 635 m corres-pondant aux ultimes travaux de surface (Ts04). Rapi-dement productifs, les travaux du filon amont se sont enfoncés et ont rencontré des problèmes d’exhaure majeurs qui ont entraîné le percement d’une galerie d’écoulement. Manifestement, l’entrée et la trajectoire de cet ouvrage en travers-banc ont été réalisées en te-nant compte de la direction des strates et de l’axe des filons. La direction n’étant pas modifiable, la pente obtenue en suivant une couche plus facile à attaquer était trop forte ; la galerie a donc été régulièrement rectifiée par surcreusement. La pente définitive était relativement faible mais suffisante pour assurer un écoulement permanent des flux.

À 51 m de l’entrée, la galerie de travers-banc jonc-tionne d’abord avec le filon aval (Dp01). Une galerie horizontale d’allongement est ouverte vers l’ouest sur le filon et une petite colonne de minerai est exploitée par dépilage descendant à son extrémité. Un traîneau en bois est abandonné devant le front de taille. Un puits est foncé au début du chantier pour suivre la minérali-sation en profondeur. Un plancher est alors aménagé pour extraire à la verticale de la galerie. Le puits est boisé au fur et à mesure de son approfondissement. Les déblais sont dans un premier temps évacués au jour, puis stockés sur le plancher et dans la galerie. Un der-nier feu est interrompu au fond du puits. Après aban-don, le puits se remplit d’eau. Un peu plus tard, le plancher remblayé s’effondre. Une arrivée d’eau et de boue a repoussé le traîneau et quelques boisages au fond de la galerie contre le front de taille. Ces travaux ont été intégralement creusés par la technique de taille au feu, ce qui justifie le creusement du boyau d’aérage et implique que ces travaux aient été commencés avant la jonction avec les travaux du filon amont.

Parallèlement, un boyau descendant (Ga01) est creusé sur le premier filon stérile pour intercepter la galerie de travers-banc pour l’aérage. Ce percement était devenu nécessaire pour éliminer les fumées liées à l’abattage au feu. À quelques mètres du premier filon, la galerie est déviée vers la gauche afin de le rejoindre au plus court. En obliquant ainsi, les mi-neurs ont réduit la distance qui les séparait du filon, gagnant 2 m de creusement par rapport à un parcours suivant la direction initiale. Un montage vertical exé-cuté à partir du travers-banc permet de jonctionner avec le boyau d’aérage. Cette galerie a donc été per-cée pour ventiler les travaux sur le filon aval (galerie d’allongement et puits), avant que la jonction ne soit

faite entre la galerie d’exhaure et les travaux du filon amont.

La galerie de travers-banc est alors poursuivie en direction du filon amont qu’elle atteint à 85 m de l’en-trée, rattrapant ainsi la déviation tout en ménageant une pente faible. Vite épuisé, il donnera lieu à une poursuite des travaux à la recherche de nouvelles minéralisations plus profondes. Deux directions sont alors suivies. La galerie principale est prolongée sur une quinzaine de mètres (Gr01) sans atteindre de filon. Les mineurs vont concentrer alors les recherches afin de jonctionner définitivement avec d’autres minéralisations plus im-portantes situées plus en amont (Dp03). Ils prolongent le creusement de la galerie d’exhaure (TB01) à partir du dépilage Dp02 vers le nord-est. Lorsque la jonction est effectuée à 115 m de l’entrée, un courant d’eau parcourt la galerie et l’inonde en partie dans les por-tions surcreusées. Du sable fin, de l’argile et des débris de bois et de torches (Kinspännen) s’accumulent alors progressivement sur le sol de la galerie. À cet endroit, il semble bien que la partie reculée de la mine ait été atteinte pour partie depuis la surface

En fin d’exploitation, le filon amont fait l’objet d’un dépilage remontant (Dp02). Les blocs stériles sont alors abandonnés, le comblant en partie et freinant de ma-nière sensible la circulation des eaux. Les mineurs ont cependant soin de protéger l’accès aux travaux situés en amont en aménageant un accès à travers les éboulis (Pt01). Ils finiront par rejeter le reste des stériles à l’intérieur de la première galerie de recherche (Gr01).

La surface dépilée du filon amont (partie inférieure) peut être estimée de l’ordre de 500 m2. En supposant l’existence d’une minéralisation utile puissante de 4 cm, la production aurait été de l’ordre de 400 tonnes de minerai, soit 100 tonnes de cuivre (d’un rendement métallurgique de 25 %). Ces chiffres sont néanmoins à prendre avec prudence. Sur le filon aval, les travaux productifs semblent assez réduits : moins de 100 m2

sans doute pour la tranchée à ciel ouvert, moins de 20 m2 pour la galerie du puits, pour une minéralisation certainement peu puissante. Ce n’est donc pas ce filon qui a incité les exploitants à ouvrir une galerie d’écou-lement, puis une galerie d’aérage.

Le transport souterrain : une innovation majeure

L’évacuation du minerai utiliserait ici pour la pre-mière fois un traîneau façonné à partir d’un tronc d’arbre évidé. C’est, à notre connaissance, l’un des plus anciens témoignages de transport minier souterrain de cette nature. Cette auge, trop volumineuse pour faire office de récipient ou encore de batée, était manifeste-ment traînée directement sur le sol ou sur un plancher aménagé avec des rondins, ce qui expliquerait la découverte de plusieurs fragments de bois enfoncés dans le sol de la galerie de travers-banc. Utilisée pour véhiculer le minerai ou les stériles, sa présence mani-feste ici d’une amélioration réelle dans l’organisation du transport souterrain.

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LA MINE DE CLUDONA DI FONDO

Les prospections effectuées en amont du Val Grigna ont permis de découvrir un deuxième gîte cuprifère entre 1 620 m et 1 670 m d’altitude. Trois filons, dont deux sensiblement parallèles, se développent au pied d’affleurements rocheux et sur la surface d’érosion qui modèle la rive gauche du torrent (fig. 24). Leur orien-tation moyenne est de 307°-310°. La roche encaissante est constituée d’une succession de bancs de sédiments détritiques de la formation de Collio, d’âge Permien inférieur. Il s’agit de bancs décimétriques schisteux d’épaisseur centimétrique à décimétrique et de pendage compris entre 19 et 20°.

Le premier filon, long de 220 m et d’orientation NW-SE, longe la rive encaissée du torrent sur une

dénivelée de plus de 50 m (de 1 620 m à 1 670 m d’alti-tude). Sa partie supérieure comprend un petit dépilage et l’amorce d’une exploitation souterraine encore péné-trable : F1-01 et F1-02.

Un deuxième filon, parallèle au précédent et d’orienta-tion similaire, se développe sur une distance de 120 m.

Le troisième filon, distant d’une cinquantaine de mètres du premier, est visible vers 1 640 m d’altitude et se prolonge sur une cinquantaine de mètres par une série de dépressions. Il bifurque et prend une direction nord-ouest/sud-est pour se perdre à proximité de la bergerie en ruine de Cludona.

Les vestiges miniers apparents sont constitués de dépressions subcirculaires de quelques mètres de diamètre flanquées de haldes en demi-cercles. Les travaux souterrains pénétrables dans cette zone sont au nombre de deux.

Fig. 24 – Collio. Mines de Cludona di Fondo, plan topographique des travaux.Fig. 24 – Collio. Cludona di Fondo mines, plan of the mining works.

Aux origines des techniques minières. L’exploitation d’un gisement filonien au Premier Âge du fer… 133

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Structure minière F1-01 – altitude 1 640 m

Il s’agit d’une amorce de galerie sur filon dont la puissance est de 17-20 cm (direction = 125° ; pendage = 76°) taillée dans les formations schisteuses. Le pen-dage de la roche encaissante est de - 19°, l’épaisseur moyenne des bancs de 8 à 15 cm. Pour extraire le filon situé sur la paroi gauche, les mineurs ont taillé une galerie en décaissant la paroi droite sur une largeur moyenne de 0,75 m. Le filon s’élargit légèrement en profondeur. Cette excavation présente un comblement hétérogène de stériles et de fragments de quartz déci-métriques. La partie profonde est obstruée. À l’origine, il semble que le filon ait été attaqué dès la surface pour être ensuite repris en profondeur. La structure F1-01 semble correspondre à un regard élargi taillé à l’aplomb d’un petit dépilage et se poursuivant en profondeur. Aucune trace d’outil n’est visible. Les phénomènes de gélifraction sont à l’origine de la desquamation des parois à l’affleurement.

Structure minière F1-02 – altitude 1 635 m

Il s’agit d’un dépilage descendant sur filon d’une profondeur de 6,30 m, de 0,64-0,65 m et 0,56 m de puissance (fig. 25). À quatre mètres de profondeur, le filon se rétrécit. La partie excavée correspond à la puis-sance du filon dont on aperçoit les traces en profondeur. Celui-ci a été évidé à partir de la surface sans qu’il y ait eu volonté d’élargir la tranchée. La base du dépilage est constituée de stériles de petite taille. La partie sud-est, remontante, se prolonge sur 14,60 m. La partie nord-ouest, en partie comblée par des chablis, reste impénétrable. Les traces d’abattage sont peu visibles. Le pendage des couches est à cet endroit de - 25°. Le dépilage, exploré sur 16 m de longueur, se poursuit en profondeur sous le remplissage de stériles (fig. 26).

Plusieurs aires de préparation mécanique accompagnent les exploitations, comme en témoigne la découverte de plusieurs maillets ou masses en quartz de forme sphé-rique dans le lit d’un petit thalweg parallèle à l’axe des exploitations. Ces structures, reconnaissables au sol par l’abondance de cailloutis grano-classés à dominante quartzeuse, ont été ravinées et en partie reprises par l’érosion (fig. 27).

Les reconnaissances réalisées à Cludona di Fondo permettent de cerner l’emprise et l’orientation de cette exploitation, qui occupe un espace quadrangulaire compris entre 220 m de longueur sur 30 à 40 m de largeur et qui compte pas moins de vingt-cinq struc-tures d’extraction visibles en surface : minières, tran-chées et dépilages, toutes flanquées de haldes plus ou moins volumineuses où s’effectuaient le tri et le concas-sage du minerai.

Interprétation

Les filons de Cludona ont été évidés par dépilages successifs descendant à partir de l’affleurement. Rapi-dement, les mineurs se sont concentrés vers l’aval,

abandonnant au passage une recherche qui permet d’appréhender l’amorce d’un chantier vertical (S08). L’exiguïté des excavations encore pénétrables montre que les mineurs ont travaillé à l’essentiel. Ils ont

Fig. 25 – Collio. Mines de Cludona di Fondo. Dépilage sur filon (structure S09). L’exiguïté du dépilage cor-respond à la puissance de la minéralisation.Fig. 25 – Collio. Cludona di Fondo mines. Lode stoping (structure S09). The small dimensions of the stoping mirror the real thickness of the mineralization.

Fig. 26 – Collio. Mines de Cludona di Fondo. Dépilage sur filon (structure S09).Fig. 26 – Collio. Cludona di Fondo mines. Lode sto-ping (S09 structure).

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décaissé la minéralisation et sa gangue sans toucher à la roche encaissante. La profondeur d’exploitation n’est pas mesurable car le fond des chantiers est obstrué par les amoncellements de stériles. Elle est certainement supérieure à une dizaine de mètres.

Pour quelle raison le filon n’a t-il pas été dégagé sur la totalité de son allongement ?

Les mineurs ont sans doute travaillé plusieurs sai-sons sur le site. Il est possible aussi que chaque orifice soit associé à une concession. Les dépressions visibles sur le terrain correspondent aux vestiges des différents puits d’extraction au jour ou Pingen. La régularité avec laquelle ils sont disposés dénote d’une organisation réglée de l’exploitation.

Fig. 27 – Collio. Mines de Cludona di Fondo, outillage lithique : maillets, masses, meules et broyons.Fig. 27 – Collio. Cludona di Fondo mines, stone tools: stone mining hammers, millstones, crushing and grinding hammers.

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On distingue une zone de haldes relativement im-portante dans la partie aval du filon, à mettre en relation avec un approfondissement plus important des tra-vaux.

SILTER DI CAMPOLUNGO ET BAITA CLUDONA DI FONDO :

LES INSTALLATIONS DE SURFACE

Les haldes et les sites de tri et de broyage du minerai

Les zones minières de Silter di Campolungo et de Baita Cludona di Fondo comportent des haldes et des espaces spécifiques où s’effectuaient le tri, le concas-sage et le broyage du minerai. Des sondages ont été effectués dans la grande halde de Campolungo et dans un site de traitement du minerai situé en rive droite du torrent Grigna, presque en face de l’entrée du travers-banc. Au-dessus de la falaise à la base de laquelle s’écoule le torrent et un peu au-dessus de l’ouverture du travers-banc se trouve un plateau où des travaux miniers relativement modestes ont été identifiés par une fouille archéologique en 1995. La partie méridionale de ce petit plateau longe une halde, où les matériaux résultant des travaux des filons minéralisés situés plus en amont se sont accumulés.

Un sondage effectué dans la partie centrale de cette halde permet d’expliquer le déroulement du processus appliqué (fig. 28).

Après avoir individualisé la zone d’exploitation, les anciens la décapaient et évacuaient la pierraille et les rochers qui la recouvraient ; il n’est pas exclu qu’ils aient effectué certaines opérations de lessivage par lâchers d’eau sur le versant en utilisant l’eau de la tourbière (technique de hushing) qui se trouve sur un plateau situé immédiatement au-dessus de la zone minière. Dans la partie inférieure du sondage, on a observé en effet une série de blocs effondrés présentant des vides et la présence d’argile piégée. Or l’argile est très rare dans cette zone et sa provenance d’un bassin palustre est assez probable.

Les couches situées au-dessus de ce niveau de blocs sont caractérisées par la présence de roche encaissante et de quartz finement concassés. Il s’agit non seulement de matériaux provenant des travaux creusés en amont, mais aussi d’espaces où le minerai était concassé.

Dans la fouille, aucun outil ou mobilier archéo-logique spécifique n’a été retrouvé : le minerai est pratiquement absent. La halde a certainement été réu-tilisée à plusieurs reprises et ce jusqu’aux périodes historiques par les mineurs afin de collecter les frag-ments de minerai riches qui auraient pu être abandon-nés (fig. 29).

La forte pente du versant, quasi verticale par en-droits, et la puissance du torrent sous-jacent, qui peut charrier des masses considérables de débris en période de crue, suggèrent que la halde visible aujourd’hui ne soit formée que par une partie seulement du matériel extrait et que l’essentiel des matériaux ait chuté ou ait été évacué par le torrent. Le volume de cette halde a

été calculé autour de 1 900 m3, ce qui signifierait que les travaux amont présenteraient un volume au mini-mum de 1 400-1 500 m3.

Un site de tri et de concassage du minerai a été fouillé dans le détail en rive droite du torrent de Grigna (fig. 30). Sur cette même pente ont été localisés d’autres emplacements où le tout-venant recevait un premier traitement. Leur présence est signalée sur le terrain par l’affleurement de quartz filonien concassé. Le tout-venant était transporté à l’extérieur de la mine à partir de la galerie de travers-banc, qui devait être reliée à l’autre rive du torrent par une passerelle en bois (fig. 31).

Fig. 28 – Bienno. Mine de Campolungo, plan au sol de la halde.Fig. 28 – Bienno. Campolungo mine, plan of the waste area.

Fig. 29 – Bienno. Mine de Campolungo, coupe stratigraphique de la halde.Fig. 29 – Bienno. Campolungo mine, section through the waste.

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À cet endroit, le matériel était lavé dans un petit bassin aménagé dans un méandre artificiel taillé à même la roche dans le lit du torrent. Après cette opération, le matériel était acheminé jusqu’à l’un des sites de triage situé peu plus en hauteur sur la pente et à brève distance du torrent. Sur ces chantiers, les mi-neurs ne devaient être guère plus de deux ou trois en même temps. Les espaces de travail étaient vraisem-blablement munis d’abris pour empêcher que le mine-rai concassé ne soit emporté par les fréquentes tempê-tes et pour protéger les ouvriers ; il pouvait s’agir d’habitats temporaires, indiqués par la présence de céramiques. Parmi tous les sites fouillés dans cette zone, ce sont en effet les seuls à avoir livré de la céra-mique, en quantité réduite. Cette rareté est peut-être due au fait que les récipients les plus utilisés devaient être en cuir ou en bois.

Le tri du minerai devait être très minutieux. En plus des tessons, la fouille a livré de nombreuses pierres de

Fig. 31 – Bienno. Mine de Campolungo, aire de préparation mécanique en cours de décapage. Au sol : amoncellement de granulats de quartz issus du concassage.Fig. 31 – Bienno. Campolungo mine, ore dressing area during archaeo-logical excavation. On the ground, the remains of crushed quartz.

Fig. 30a (ci-dessus) – Bienno. Mine de Campolungo, aire de préparation mécanique : plan au sol.Fig. 30a – Bienno. Campolungo mine, ore dressing area. Plan.

Fig. 30b (ci-contre) – Bienno. Mine de Campolungo, aire de concassage : coupe stratigraphique.Fig. 30b – Bienno. Campolungo mine, cross section of the ore dressing area.

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concassage : percuteurs, pierres à cupules, mortiers et meules en pierre (fig. 32a, b et c, et fig. 33). Les analyses ont montré la présence d’outils réalisés en roches importées comme, par exemple, le tuf volca-nique provenant des volcanites du mont Auccia, qui se trouve à 3 km à vol d’oiseau (fig. 34). Généralement, les pierres de concassage sont en quartz filonien pro-venant de l’intérieur de la mine.

Les indices de métallurgie

Plus problématique est la présence dans le site d’une petite quantité (155 g) de scories de cuivre en menus fragments (Tizzoni et al., 2003). Ces caractéristiques indiqueraient que le site de réduction ne se situe pas dans le voisinage immédiat. Non seulement on aurait trouvé une quantité importante de scories, mais les

Fig. 32c – Bienno. Mine de Campolungo, aire de préparation méca-nique. Outillage lithique : fragments de masses (nos 1 et 2) et pierres à cupules : mortiers utilises pour le broyage du minerai (nos 3 et 4).Fig. 32c – Bienno. Campolungo mine, ore dressing area. Stone tools: stone hammers (nos. 1 and 2), stones with cupules (nos. 3 and 4) mortars used to crush the ore.

Fig. 32a – Bienno. Mine de Campolungo, aire de préparation mécanique. Outillage lithique, nos 1 et 2 : maillets.Fig. 32a – Bienno. Campolungo mine, ore dressing area. Stone tools: stone crushing hammers (nos. 1 and 2).

Fig. 32b – Bienno. Mine de Campolungo, aire de préparation mécanique. Outillage lithique, nos 1 et 2 : maillets à cupules.Fig. 32b – Bienno. Campolungo mine, ore dres-sing area. Stone tools: crushing hammers with cupules (nos. 1 and 2).

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fragments n’auraient pas été aussi réduits. Ces scories ont pu être rapportées sur le site par hasard avec les récipients utilisés pour transporter le minerai dans les lieux de réduction. Malgré les nombreuses prospections effectuées, il n’a pas été possible de relever la présence de sites de réduction de minerai de cuivre. Ces derniers

devaient se trouver à proximité, peut-être vers le fond de la vallée, là où le combustible était disponible en abondance.

Plus en aval, dans la localité de Sesa (Tizzoni, 1999), a été récoltée une petite quantité de scories de cuivre en position secondaire. Ces scories sont identiques à celles qui ont été retrouvées à proximité de la mine, sur le site de concassage. Une petite quantité de scories de même nature a été aussi mise au jour sur le site de Ponte di Val Gabbia III. Elles sont caractérisées par leur faible épaisseur (0,3-0,5 cm), par la présence de fragments aux bords arrondis et par des surfaces infé-rieures et supérieures lisses et brillantes. Leur densité est de 3,22 et la couleur de la rayure ref. Munsell 10YR 3/1. Il s’agit de plaques de forme subcirculaire d’un diamètre de 30-35 cm. Dans le diagramme ternaire FeO-SiO2-MgO, elles se situent dans le domaine de l’olivine fayalitique à température théorique de cristal-lisation voisine de 1 200 °C. Les constats effectués à partir de l’analyse chimique ou au microscope métallo-graphique montrent que le processus de réduction utilisée devait être particulièrement efficace ; on n’y observe aucun résidu de sulfures ou de particules cupri-fères.

Le processus métallurgique qui génère ce type de scorie est complexe ; les documents historiques du début du XIXe siècle en décrivent le processus. Le minerai était placé dans des fourneaux en argile ali-mentés par ventilation manuelle qui produisaient une scorie liquide et légère flottant sur la masse métallique en fusion. Il s’agit d’un fourneau de type non-slag tapping. La plaque de scorie à l’état pâteux était alors extraite du fourneau. La scorie et la masse métallique se séparaient par densité et par différence des tempé-ratures de cristallisation. On obtenait ainsi deux pro-duits : les plaques de scories et la matte. On peut ainsi apprécier l’efficacité du processus à partir de la scorie, puisqu’il n’y a presque aucune trace de métal. Les scories de Campolungo semblent donc appartenir à un processus de production de matte.

Ces fourneaux ne fabriquaient donc pas du cuivre métallique ; ce dernier devait être produit dans la vallée principale où il y avait une forte abondance de combus-tible et un climat plus clément. En Lombardie, ce type de scorie est typique des sites de réduction du cuivre du Premier Âge du fer ; elles ont été retrouvées dans la vallée Lanterna, sur les sites de Campomoro, Foppa, Scerscen et Alpe Musella (Sondrio) (Casini et al., 1999).

L’analyse chimique des scories de Campolungo en pourcentage est donnée dans le tableau 1.

Le mobilier céramique

Les tessons retrouvés sur le site sont peu abondants ; 416 fragments pour un poids total de 655 g seulement (fig. 35). Même si le site de concassage du minerai a révélé une séquence stratigraphique, sa durée fut toute-fois extrêmement brève, liée seulement au temps durant lequel le minerai extrait était transporté à l’extérieur par la galerie de travers-banc.

Fig. 33 – Bienno. Mine de Campolungo, aire de préparation mécanique. Meule pour le concassage du minerai. La couleur foncée est due aux traces de sulfureo.Fig. 33 – Bienno. Campolungo mine, ore dressing area. Millstone used to crush the ore. The dark colour is due to the crushing of sulphide ores.

Fig. 34 – Bienno. Mine de Campolungo, aire de préparation méca-nique. Fragment de meule en tuf volcanique (fragment probable de moulin rotatif ).Fig. 34 – Bienno. Campolungo mine, ore dressing area. Fragment of a tuff millstone (probably a fragment of rotary hand mill).

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La formation d’une stratigraphie est vraisembla-blement due aux interruptions du travail sur de brèves périodes pendant lesquelles les précipitations ont fa-vorisé l’accumulation de sédiments déplacés le long de la pente à cause du piétinement continu des hommes et des animaux. Cette hypothèse expliquerait la raison pour laquelle des tessons complémentaires proviennent de couches différentes. Ces tessons sont similaires à ceux qui ont été mis au jour dans plu-sieurs sites des Alpes lombardes et sont datés du VIe-Ve siècle av. J.-C.

CONCLUSIONS

Ressources minéraleset techniques d’exploitation

Les deux sites miniers se trouvent dans des contextes géologiques et géomorphologiques différents, ce qui explique en partie les disparités dans la stratégie d’ex-ploitation.

À Cludona, le versant où se situent les affleurements est sensiblement régulier et en pente douce. Les miné-ralisations sont visibles à l’affleurement et ne sont nullement recouvertes par des éboulis. En revanche, l’encaissement du torrent ne permet pas le percement de galeries à l’horizontale sans infrastructures lourdes et dispendieuses. Les risques torrentiels n’auraient pas permis de maintenir de telles installations sur le long terme. En outre, les problématiques d’exhaure semblent

inexistantes. Le drainage s’effectue prioritairement par l’intermédiaire du torrent et de plusieurs émissaires localisés en surface. L’exploitation s’est faite directe-ment sur le versant par dépilages descendants succes-sifs à partir d’ouvertures foncées à intervalles réguliers. La jonction entre chacune de ces unités pouvait s’effec-tuer en profondeur, permettant ainsi l’aérage des tra-vaux. Cette dernière hypothèse n’a pu être cependant vérifiée.

À Campolungo, le contexte est différent. Le versant abrupt et escarpé alterne avec des affleurements rocheux et des éboulis de blocs. Les replats sont rares, à l’ex-ception de replats structuraux situés immédiatement au-dessus de l’entrée du travers-banc. Une fois repéré en surface, les mineurs n’avaient d’autres choix que de poursuivre l’exploitation du filon en profondeur, à partir de la galerie d’exhaure. En s’enfonçant ainsi dans le sous-sol, ils prenaient le risque d’aboutir sur des zones stériles à l’issue de travaux d’exploitation dis-pendieux et difficiles à mettre en œuvre. C’est pourtant cette solution qui a été retenue.

Malgré les prospections et les sondages effectués entre Silter di Campolungo et Baita Cludona di Fondo, il n’a pas été possible de localiser la présence d’habi-tat. Il n’a pas été non plus possible d’explorer une vaste zone comprise entre les deux mines en rive gauche du torrent Grigna car celle-ci est totalement masquée par un éboulement conséquent. Le repérage d’éventuels campements temporaires dans l’épaisseur du sous-bois reste problématique. Si l’habitat était situé dans cette zone, toute trace aurait disparu. Il est vraisemblable que les mineurs s’abritaient plutôt dans de petits campements saisonniers localisés à proximité des lieux de travail. La présence de tessons de céra-mique sur les sites de concassage renforce cette hypo-thèse.

On peut affirmer que l’activité minière à Campo-lungo était saisonnière. Dans les montagnes lombardes, la tradition ancienne, attestée par les sources textuelles, veut que les mines, même celles situées à des altitudes très élevée, soient exploitées en hiver ; au contraire, les mois d’été sont réservés aux opérations comme le concassage, le grillage et le transport du minerai aux fourneaux. À cela deux explications très simples : pendant l’hiver, le gel provoque l’arrêt des infiltrations d’eau dans les travaux miniers souterrains et la tempé-rature à l’intérieur des galeries semble tempérée par rapport à l’extérieur. Les mineurs logeaient dans des abris situés à proximité des mines auxquels était associé parfois un corridor étroit et bas aménagé par des dalles qui avait pour but de faciliter l’accès aux travaux sou-terrains même en cas de fortes chutes de neige. Si la mine était assez vaste, les travailleurs pouvaient y établir leurs propres quartiers. Ils disposaient ainsi de réserve de nourriture en quantité suffisante et pendant

Fig. 35 – Bienno. Mine de Campolungo, aire de préparation mécanique. Mobilier céramique, (VIe-Ve s. av. J.-C.).Fig. 35 – Bienno. Campolungo mine, ore dressing area. Pottery (6th-5th century BC).

Élément SiO2 MnO CuO NaO K2O CaO MgO Al2O3 FeO BaO SO2 Tot. % 29,3 1,21 0,06 0,31 0,15 0,25 2,89 0,25 54,2 3,54 0,048 92,08

Tableau 1

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les périodes de faible enneigement, pouvaient être approvisionnés à partir du fond de la vallée. L’hypo-thèse d’activités de préparation mécanique pendant l’hiver est peu probable ; en revanche, celle d’une exploitation minière est envisageable.

Il est difficile d’indiquer précisément combien d’années cette mine fut en activité ; difficile également d’appréhender le nombre de personnes qui pouvaient y travailler en même temps. Il n’en reste pas moins que ces travaux miniers révèlent une homogénéité technologique certaine. En associant cette observation avec les données relatives aux modifications de la végétation, causées par les activités extractives, on peut supposer que la mine fut active dans une période de deux à trois siècles. Mais la majeure partie de l’activité s’est vraisemblablement déroulée au cours d’une centaine d’années environ. Après abandon du site de Campolungo, il est probable que les activités extractives se soient concentrées sur la grande mine d’hématite de Piazzalunga (Morin, 1999), dont l’af-fleurement devait présenter des quantités non négli-geables de minerais de cuivre, en particulier de cuivre natif.

Quoi qu’il en soit, les structures minières mises au jour à Campolungo sont exceptionnelles du point de vue de leur technicité ; elles rassemblent tous les amé-nagements souterrains permettant d’atteindre un filon en profondeur pour mettre en place des conditions optimales d’exploitation.

Les travaux miniers ne constituent pas une exploi-tation aléatoire. Il s’agit d’une activité programmée destinée à exploiter un gisement de la manière la plus rationnelle possible. Dans un tel contexte, cela signifie que les travaux miniers ont été dirigés et coordonnés. La planification du creusement de ces galeries exige des connaissances en topographie souterraine qui bien qu’élémentaires sont remarquables pour une époque aussi reculée. Le traçage de la galerie de travers-banc a été possible par le biais de calculs et d’une connais-sance particulièrement affinée du contexte géologique et géomorphologique. Les travaux miniers de Campo-lungo constituent une réelle prouesse technique. L’or-ganisation réglée de ces ouvrages, les jonctions de galeries exécutées à la perfection, interpellent et évoquent le recours à des procédés de mesure élaborés et de grande précision. La galerie d’exhaure (dévelop-pement 135 m), la galerie d’aérage (développement 18 m), la galerie et le puits de recherche, la gestion interne des matériaux, suggèrent une maîtrise des tech-niques minières en souterrain.

Les charbons de bois datés ont été prélevés en place dans des remblais qui scellent ce dispositif. Ils ne laissent aucune équivoque quant à l’ancienneté des travaux. La mine de Campolungo présente au Premier Âge du fer une exploitation minière dotée d’une infrastructure et d’ouvrages techniques d’assistance, de toute évidence parfaitement planifiée.

Le concept de galerie travers-banc d’exhaure appa-raîtrait ici pour la première fois dans l’histoire des techniques minières en Europe. Pour autant, où et quand ces mineurs ont-ils acquis ces techniques et cette expérience ?

Pour pouvoir fonctionner de manière rationnelle, les activités extractives devaient être parfaitement coor-données avec les activités annexes complémentaires, impliquant nécessairement des relations spécifiques entre producteurs et utilisateurs :- coupe et préparation du bois pour le soutènement des

galeries, pour le façonnage des torches, pour la fa-brication des traîneaux destinés au transport souter-rain du minerai ;

- évacuation du minerai concassé vers les ateliers si-tués au fond de la vallée ;

- acheminement vers la mine des denrées alimentaires et de tout autre matériau nécessaire aux ouvriers ;

- mise en œuvre d’infrastructures liées à l’hydrau-lique : travaux à ciel ouvert, détournement du torrent, aménagements de bacs pour le lavage du minerai, lessivage des versants (hushing), décombrement des éboulis, etc.

Ressources minérales et territoires

L’extraction minière, doit-on le rappeler, est une activité traditionnellement à risque. Si d’un côté elle peut procurer des richesses, de l’autre côté la certitude d’un succès demeure aléatoire.

Dans ses phases initiales, c’est-à-dire celles qui concernent la préparation de l’exploitation elle-même avec la coupe des arbres, l’abattage, le transport des matériaux, du bétail et des denrées alimentaires, le décapage des sols et l’aménagement du versant, la préparation des espaces pour le tri, le concassage et le broyage du minerai etc., l’activité extractive exige une mobilisation à tous les niveaux de moyens conséquents pour un rendement a contrario minime. Pour faire face à ces risques, notamment à partir du Moyen Âge dans la zone des Alpes lombardes, les mines étaient souvent divisées en quote-parts de la même manière que pour les navires marchands, ce qui constituait à l’origine une sorte d’actionnariat diffus. Pour autant, il est difficile ici de pouvoir évoquer une situation similaire au cours du Premier Âge du fer.

Ce système où cohabitaient mineurs de fond et ouvriers chargés du traitement des minerais au jour implique l’existence d’un pouvoir centralisé, y compris à un niveau tribal, doté d’une infrastructure écono-mique et d’une capacité d’organisation suffisamment développée pour mettre en œuvre une activité minière d’une telle ampleur en un endroit aussi éloigné. L’accès aux matériaux et à l’espace suppose également la pré-sence d’un pouvoir politique et militaire indispensable pour recruter des travailleurs destinés à l’extraction minière aussi bien que pour les travaux annexes, qui puisse contrôler le territoire concerné et éviter le vol du métal brut. Un tel contexte ne peut être déterminé que par l’existence d’un système tribal fortement hiérarchisé, analogue à ceux qui pouvaient exister dans la zone culturelle hallstattienne.

Dans cette région couverte de gravures rupestres comme le Val Camonica, le district minier de Campo-lungo figure comme l’un des très rares espaces fréquentés

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dans la Préhistoire où les gravures sont absentes. Ce fait pour le moins symptomatique est peut-être en relation avec l’activité minière : l’exécution des gravures impli-quait des significations magiques-religieuses en opposi-tion avec cette activité spécifique. Ce n’est pas un hasard si les activités minières et métallurgiques sont souvent considérées comme liées aux puissances de l’intérieur de la terre, éloignées des religions traditionnelles offi-cielles. L’hypothèse d’une répartition territoriale en re-lation avec l’exploitation des ressources minérales est donc une hypothèse à privilégier.

NOTES

(1) D. Morin, P. Rosenthal : Minerais, mines et métallurgies anciennes dans les Alpes. Massif de l’Argentera-Mercantour, projet collectif de recherches (2001-2006).

(2) Avec des conditions d’approche souvent difficiles liées aux crues exceptionnelles du réseau hydrographique, l’exploration souterraine et de surface des travaux miniers a été réalisée grâce aux travaux conjoints de l’équipe avec l’appui des techniques spécifiques de spéléologie alpine. Nous remercions ici tous les participants aux différentes campagnes, en particulier : B. Ancel, M. Aubert, M. Bôle, R. Carre, M. Cottet, C. Cucini, Y. Imbert, D. Jacquemot, E. Kammenthaler, G. Meyer, J. Olivier, V. Pi-chot, C. Rota, M. Ruffa, A. Sandrinelli. Nos remerciements s’adressent également au maire de l’époque Nicola Pedretti, ainsi qu’à la municipa-lité de Bienno.(3) Datation brute : 2580 ± 45 BP (British Museum ref. BM-3106).(4) Datation brute : 2410 ± 35 BP (British Museum ref. BM-3054).

Illustrations : fig. 1-2a-b-3 : F. Rodeghiero, S. De Donatis et M. Moroni ; fig. 4 et 5 : T.M. Mighall, M. Tizzoni, C. Cucini-Tizzoni et C. O’Brien ; fig. 6 : B. Ancel, D. Morin et D. Jacquemot, DAO : H. Morin-Hamon ; fig. 7 : B Ancel ; fig. 11 : M Cottet ; fig. 16 : E. Kammenthaler et M. Tizzoni ; fig. 22 : D. Jacquemot et D. Morin, DAO : H. Morin-Hamon ; fig. 24 : D. Morin, V. Pichot et al., DAO : H. Morin-Hamon.

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Denis MORINCNRS, UMR 5608, TRACES

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Marco TIZZONICattedra di Preistoria e Protostoria

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