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Descartes, réponse aux quatrièmes objections

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C Riquier, PH 401, Métaphysique 6 Janvier 2015 André Sarrazin, Descartes et Arnauld : Les quatrièmes objections Les Meditationes de Prima Philosophia, in quibus Dei existentia et animae humanae immortalitas demonstrantur 1 habituellement connues sous le nom de Méditations ont été achevées dans le premier semestre 1640, et Descartes, soucieux de l’accueil qui allait être réservé à son œuvre, en fit circuler un manuscrit par l’intermédiaire du Père Mersenne, pour pouvoir y joindre les objections qui lui seraient faites et les réponses qu’il y aurait fournies. En fait la première édition achevée le 28 août 1641 ne comporte que six séries d’objections et de réponses. L’histoire des éditions successives fait apparaître des ajouts et des retranchements, ainsi lors de la parution de la traduction française de 1647, les cinquièmes objections (celles de Gassendi) 1 Descartes, Méditations métaphysiques, Paris, GF-Flammarion, 1979, en abrégé MM 1
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C Riquier, PH 401, Métaphysique6 Janvier 2015

André Sarrazin,

Descartes et Arnauld : Les quatrièmesobjections

Les Meditationes de Prima Philosophia, in quibus Dei existentia etanimae humanae immortalitas demonstrantur1  habituellementconnues sous le nom de Méditations ont été achevées dansle premier semestre 1640, et Descartes, soucieux del’accueil qui allait être réservé à son œuvre, en fitcirculer un manuscrit par l’intermédiaire du PèreMersenne, pour pouvoir y joindre les objections quilui seraient faites et les réponses qu’il y auraitfournies. En fait la première édition achevée le 28août 1641 ne comporte que six séries d’objections etde réponses. L’histoire des éditions successives faitapparaître des ajouts et des retranchements, ainsilors de la parution de la traduction française de1647, les cinquièmes objections (celles de Gassendi)

1 Descartes, Méditations métaphysiques, Paris, GF-Flammarion,1979, en abrégé MM

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se trouvent placées après les sixièmes, tandis que lesseptièmes sont absentes. Ces variations sont, pourl’étude des quatrièmes objections, sans importance. Ilfaut toutefois savoir que leur auteur le Père Arnauld,connaissait aussi le texte des premières, queDescartes, via Mersenne lui avait communiqué. Ellessont dues à J. de Kater, prêtre catholique hollandais,et s’appuient sur les positions défendues par Suarezet Saint Thomas d’Aquin. Descartes y répond enparticulier au problème que pose la propositiond’envisager Dieu comme cause de lui-même, car toutecause peut être considérée comme une limitation. Lesdeuxièmes objections sont sans doute dues à Mersennelui-même et les troisièmes sont de Hobbes. Les deuxn’ont pas fortement retenu l’attention de Descartes.Ce n’est qu’avec celles d’Arnauld qu’il « pense alorspouvoir présenter le tout aux docteurs de Sorbonne »(MM, p 15), après avoir introduit dans son textequelques changements portant sur la théologie. Leséditions actuelles, respectant l’ordre chronologique,présentent d’abord le texte des objections puis celuides réponses. Nous avons la possibilité, sans douteplus didactique d’analyser séparément chacune desobjections et la ou les réponses correspondantes,quitte en conclusion à dégager un fil conducteur del’ensemble et à remettre en avant la cohérence de lapensée des deux interlocuteurs. Arnauld lui-mêmeordonnait ses objections selon son rôle de philosopheou de théologien, c’est cette présentation que nousconserverons.

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I. Les objections philosophiques.

Le commentaire d’un texte s’entendant mieux pourqui peut le consulter, il sera fait un large appel àdes citations. Les objections d’Arnauld commencent parune référence à Saint Augustin qui avait déjà remarquédans « le livre second du libre arbitre chap 3 » que, mêmes’il y a un je ne sais quoi qui vous trompe toujours,« il est sans doute que je suis, s’il me trompe »,anticipant ainsi la découverte de la certitude ducogito cartésien. Arnauld n’explicite pas plus avant« poursuivons » écrit-il  pour parvenir à la premièreobjection : « Comment de ce principe on peut conclureque notre esprit est distinct et séparé du corps ».Pascal, plus tard, dans de l’esprit géométrique, souligneraque « je pense donc je suis » n’est pas la même chosedans l’esprit de Saint Augustin et de Descartes, celaétant « un mot à l’aventure » pour l’un, et un« principe ferme et soutenu pour l’autre » porteur« d’une admirable suite de conséquence »2 .

I.1 Exclure le corps de l’essence de la chose qui pense.

Objections :

Arnauld reprend les termes de la secondeméditation, Il accorde que l’on puisse douter del’existence des corps et même du sien propre etcependant se convaincre d’être quelque chose : « cette

2 Pascal, Œuvres complètes, De l’esprit géométrique, Paris, GallimardPléiade, 2000, p 179

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vérité subsiste toujours : je suis quelque chose, etpartant je ne suis point un corps » (MM, p323), eneffet si j’en étais un je douterai de moi-même. Ilaccorde que cela ne prouve pas qu’il n’y ait point decorps, mais parvient à une première difficulté :Descartes en cherchant qui il est pense que « cettenotion et connaissance de moi-même, ainsi précisémentprise, ne dépend point des choses dont l’existence nem’est pas encore connue » (MM, p322). C’est certain,mais c’est seulement une raison pour exclure ‘ceschoses’ selon la marche du raisonnement, pas encoreselon la « vérité de la chose » (MM, p323).

Arnauld se sert alors du Discours de la méthode, publiéquatre ans auparavant, pour monter que Descartesraisonnait déjà ainsi et que « la dispute en estencore aux mêmes termes ». Comment, de ce queDescartes ne connaît autre chose qui appartienne à sonessence, « il s’ensuit qu’il n’y a aussi rien autrechose qui en effet lui appartienne » (MM, p 324). Ilexplique n’avoir pas trouvé dans la seconde méditationde réponse à sa question car « il a l’esprit pesant etgrossier », mais il pense l’avoir trouvé dans lasixième où apparait la notion d’idée claire etdistincte. Il cite par exemple « il faut toujours enrevenir là, qu’il n’y a que les choses que je conçoitclairement et distinctement ( clare et distincte percipio )qui aient la force de me persuader entièrement » (MM,p 165). Arnauld montre que la pensée de Descartes estconstruire selon le syllogisme suivant :

J’ai une idée claire et distincte de ce que jesuis une chose qui pense et non étendue

J’ai une idée claire et distincte de ce que lecorps est une chose étendue et qui ne pense point

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Ergo, mon âme est entièrement et véritablementdistincte du corps et elle peut exister sans lui.

Or la majeure du syllogisme peut être révoquée, laconnaissance ne doit pas seulement être claire etdistincte mais encore pleine et entière, « c’est-à-dire qui comprend tout ce qui doit être connu de lachose » (MM, p 325). Arnauld continue en montrant quelorsque Descartes, plus loin dans son texte, présentesa connaissance du corps et de l’esprit comme pleineet entière, ces affirmations peuvent aussi êtrerévoquées en doute. Il précise en montrant qu’il n’estpas nécessaire d’aller jusqu’à penser que « toutcorps fut esprit » (MM, p 325), le genre pouvant êtreentendu sans l’espèce. Il conclut sa premièreobjection par ; «  il résulte seulement (desméditations) que je puis acquérir quelque connaissancede moi-même sans la connaissance du corps, mais quecette connaissance soit complète et entière, en tellesorte que je sois assuré que je ne me trompe point,lorsque j’exclus le corps de mon essence, cela nem’est pas encore manifeste. »( p 326).

Arnauld poursuivra sa démonstration par un argumentgéométrique. Celui qui pense que le triangle inscritdans un cercle et dont la base est un diamètre ducercle possède obligatoirement un angle droit, diraqu’il une vision claire et distincte de ce triangle,mais il pourrait nier que le carré de sa base soitégal à la somme des carrés de ses côtés en appelant àla toute-puissance de Dieu de faire un tel trianglerectangle. Celui-là commettrait la même erreur queDescartes en considérant qu’une idée claire etdistincte implique une connaissance pleine et entière.

Arnauld continuant l’analyse du triangle inscritdans le demi-cercle pose le problème de savoir ce qui

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permet de considérer comme substances différentes deuxsubstances que l’on peut concevoir seulementclairement et distinctement existantes l’une sansl’autre. Il est possible en effet de distinguertriangle rectangle et théorème de Pythagore enrefusant à ce dernier d’être dans l’essence dupremier, mais en ayant toutefois une idée claire etprécise des deux objets. Comment dire que l’on connaitmieux la nature de l’esprit que celle du triangle ?S’en tenir à la vision claire et précise de plussemble trop prouver et conduire à ce que le corps nesoit présenté que comme le véhicule de l’esprit,l’homme devenant « un esprit vivant ou se servant ducorps ». (p328)

Arnauld prévient ensuite une réponse à l’objectionqui dirait que le corps n’est pas absolument exclu del’essence de l’être, mais seulement en tant qu’il estune chose qui pense, car cela conduirait à présenter« l’idée que j’ai de moi-même comme incomplète etimparfaitement conçue »

Arnauld illustre sa pensée par un exemplegéométrique d’utilisation assez complexe : La lignepour les géomètres est une longueur sans largeur,quoiqu’il n’y ait point de longueur sans largeur.Certains pourraient penser que la chose qui pense ales propriétés communes des choses étendues plus lapropriété particulière de penser, ce qui fait que parabstraction l’on ne pourrait retenir que cettedernière propriété, (comme l’on a par abstractionsupprimé la largeur à la ligne).

De plus la pensée semble toujours attachée à uncorps et l’on constate des variations de la façon depenser conjointes aux variations du corps, assoupiechez les enfants, éteinte chez les fous.

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Réponses et analyse :

La première réponse à l’objection d’Arnauld estsimple, « aucune des choses sans lesquelles une chosepeut être, n’est comprise en son essence » (MM, p345), et pour établir une distinction réelle entredeux choses il suffit de ce que « chacune d’elle estconçue sans l’autre pleinement, ou comme une chosecomplète » (MM, p346). Une connaissance pleine etentière n’est pas possible, car cette connaissancen’appartient qu’à Dieu seul, et encore que nousl’eussions sur un objet, nous n’aurions aucun moyen desavoir que notre connaissance est complète si Dieu nenous le révélait pas.

Pour établir une distinction entre deux choses ilest simplement besoin d’une connaissance qui soittelle que « nous ne la rendissions point imparfaite etdélictueuse » (MM, p 347).

Descartes précise que, lorsqu’il disait qu’ilfallait concevoir pleinement une chose, il entendaitune connaissance assez distincte pour concevoir cettechose comme complète.

La chose complète est définie comme une substance,« revêtue des formes ou d’attributs qui suffisent pourme faire connaître qu’elle est une substance » (MM,p347). Si nous dépouillons la substance des attributsqui nous la font connaître nous détruisons toute laconnaissance que nous en avons, Descartes conduitalors une distinction entre substance complète etincomplète selon qu’elle peut ou non subsister sansêtre soutenue par autre chose ou qu’elle soit un toutou une partie d’un tout. Dans la première acception iln’y a que Dieu qui soit substance complète, pour la

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seconde il donne l’exemple de la main qui, seule estsubstance complète, mais qui rapportée au corps estsubstance incomplète.

Les attributs par lesquels on connaît la substanceappelée corps permettent de le considérer comme unesubstance complète.

La proposition d’Arnauld, « le corps est à l’espritce que le genre est à l’espèce », est combattue carl’esprit peut être pensé sans le corps et l’espèce nepeut être pensée sans le genre.

L’exemple du triangle inscrit dans un demi-cerclen’est pas pertinent pour trois raisons ;

Le théorème de Pythagore n’est pas une substance nimême une chose

Nous allons de façon évidente de la relation entrele carré des côtés et le fait que le triangle soitrectangle, plus difficilement de l’existence d’unangle droit à la relation, donc il suffit dedistinguer clairement l’esprit sans le corps pour quela réciproque soit vraie

Nous pouvons ne pas avoir idée du théorème dePythagore mais nous ne pouvons pas a priori nier quecette relation existe, car nous concevons qu’il doit yavoir une certaine proportion, cependant « dans leconcept de l’esprit rien n’est compris de ce quiappartient au corps » (MM, p 350)

Descartes réfute l’idée que son argument prouveraittrop. Il rappelle la sixième méditation où il avaitpris soin de mentionner que « je ne suis pas seulementlogé dans mon corps, ainsi qu’un pilote dans sonnavire, mais outre cela, que je lui suis conjoint trèsétroitement… que je compose comme un seul tout aveclui » (MM p 191). La préoccupation d’Arnauld étaitici sans doute également théologique car il ne

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souhaitait pas voir les arguments de Descartes servirà appuyer les hérésies dualistes.

L’image géométrique de la ligne lui semble différertrop du problème. Quant aux fous et aux enfants, lafaculté de penser est empêchée par les organes ducorps, et il ne s’ensuit pas qu’elle soit produite pareux, mais l’étroite liaison de l’esprit et du corps,« que nous expérimentons tous les jours » (MM, p 353)peut causer de la confusion.

La réponse de Descartes peut sembler insuffisanteface à l’exigence de connaissance pleine et entièred’Arnauld. Mais cette dernière est impossible pardéfinition. Si nous possédions par hasard uneconnaissance pleine et entière d’une chose, nous nesaurions pas que nous avons cette connaissance, ce quin’est possible qu’à Dieu. Nous devons nous contentercomme le dit Saint Thomas, de la connaissance ‘dusoir’, celle ‘du matin’ étant réservée au créateur.Descartes ne précise pas dans sa réponse que sadéfinition du corps comme substance n’est apparue quedans la sixième méditation, il utilise une formulationambiguë : « Comme je pense avoir suffisamment démontrédans la seconde méditation » (MM, p349) qui peuts’appliquer dans le contexte à l’esprit conçu commeune chose distincte et complète et au corps conçucomme substance, mais aussi ne s’appliquer qu’àl’esprit. Pourtant il lui a fallu passer par ladémonstration de l’existence de Dieu pour « êtrecertain que l’une (des deux choses) est distincte oudifférente de l’autre, parce qu’elles peuvent êtreposées séparément au moins par la toute-puissance deDieu » (MM, p185).

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Descartes défend ici également sa physique fondéesur les idées claires et distinctes. Lorsqu’il affirmequ’en dépouillant la substance de ses attributs nousnous éloignerions de la connaissance, il semble allerà l’encontre de son analyse du morceau de cire dans ladeuxième méditation et de la pierre dans l’article XIdes principes de la philosophie. Dans ces deux moments ildépouille une substance de ses attributs accidentelspour découvrir les attributs substantiels, ceux quifont que la chose est ce qu’elle est, dans le cas ducorps, figure et étendue. La certitude résultante « nes’obtient que par l’abstraction, qui ne laissesubsister de la chose que ce que l’intuitus peut enassumer pour son objet »3. La vision claire etdistincte jointe au raisonnement méthodique suffit àconstruire une physique. L’exigence d’Arnauld larendrait impossible.

Peut-on alors se satisfaire de la réponsecartésienne ? La juger à l’aune des objections qu’apporteront Husserl et Ryle pour citer deux critiquesmodernes serait ici déplacé. Nous nous arrêterons surla pensée de Leibniz qui réfute l’assimilationcartésienne du corps à l’étendue simplement parl’obligation qu’ont les cartésiens de donner dumouvement à la matière ce qui montre « qu’ils avouenttacitement que l’étendue ne suffit point »4. Dans cecas l’incomplétude de la notion claire et distinctedevient flagrante et se rouvre le champ des propriétésque l’on peut attribuer au corps.

3 J.L. Marion, Sur l’ontologie grise de Descartes, paris, Vrin,  ageclassique, p 53

4 Leibniz, Principes de la nature et de la grâce, et autres textes,Présentation C. Frémont, GF-Flammarion, 1996, p. 204

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I.2 Quelques problèmes de l’union des substances.

Objections :

Arnauld indique avoir retrouvé dans un sommaire dessix méditations de Descartes les raisonnements qu’ilpensait devoir produire pour démontrer l’immortalitéde l’âme dans le cas de la réelle distinction del’esprit et du corps. Il ajoute cependant que lathéorie cartésienne de l’absence d’âme chez lesanimaux va se heurter, par exemple, à la constatationde la fuite des brebis qui voient un loup,difficilement explicable par les seuls espritsanimaux. Il conclut cette partie en rappelant l’accordde Saint Augustin et de Descartes sur la propositionque les choses que nous voyons par l’esprit sont pluscertaines que celles que nous voyons par les yeux.

Réponses et analyse :

Les corps ont en eux tout ce qui est nécessaire auxmouvements. Notre âme les provoque en « déterminantle cours de cette liqueur fort subtile qu’on nomme lesesprits animaux » (MM, p354). Pour les animaux unébranlement tel que la lumière réfléchie du corps duloup dans les yeux de la brebis peut avoir la mêmeforce.

Nous n’analyserons pas longuement ni l’objection nila réponse. Les véritables objections viendront plustard, des demandes d’éclaircissement de la princesseElisabeth. Dès sa première lettre du 16 mai 1643 ellel’interroge en lui priant de dire « comment l’âme del’homme peut déterminer les esprits du corps pourfaire les actions volontaires, n’étant qu’une

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substance pensante »5. Il devra répondre que c’est eneffet « la question …qu’on peut me demander avec plusde raison ensuite des écrits que j’ai publié »6 etaprès avoir essayé d’une analogie avec la pesanteuril conclura que « c’est en usant seulement de la vieet des conversations ordinaires… et en s’abstenant deméditer… qu’on apprend à concevoir l’union de l’âme etdu corps »7

II. Les objections théologiques.

Comme elles vont se concentrer sur la troisièmeméditation dont le titre est « De Dieu, qu’ilexiste », rappelons brièvement la démarchecartésienne. Elle commence par la considération desidées. Proprement celles-ci sont comme les «  imagesdes choses » (MM, p99), si on les considère en elles-mêmes elles ne peuvent être fausses. Il n’y a que« dans les jugements que se puisse rencontrer la vraiet formelle fausseté » (MM, p113). Mais apparaitaussitôt après la notion de fausseté matérielle pourcertaines idées, « à savoir qu’elles représentent cequi n’est rien comme si cela était quelque chose ».Les idées que nous avons du froid sont si peu claireset si peu distinctes que nous ne savons pas si le

5 Descartes, Traité des passions, suivi de la Correspondance avec la PrincesseElizabeth, Présentation F Mizrachi, Paris, 10/18,1965, p 214

6 Idem, p 2157 Idem, p 222

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froid est une privation de la chaleur ou une qualitéréelle. Si le froid est une privation de la chaleur etsi j’ai une idée du froid comme qualité réelle, alorsc’est une idée fausse, c’est-à-dire, insisteDescartes, qu’elle représente des choses qui ne sontpoint. Si elles sont malgré tout en moi, c’est qu’ilmanque quelque chose à ma nature qui est imparfaite.Quant aux idées claires et distinctes des chosescorporelles il semble qu’elles puissent être contenuesen moi, formellement ou éminemment8 malgré cetteimperfection.

Descartes aborde ensuite une première preuve del’existence de Dieu : Plus nous considérons sonidée, argumente-t-il, plus l’on se persuade quel’idée que l’on en a ne peut venir de nous. Nouspouvons avoir en nous l’idée de substance, pas celled’une substance infinie, elle a donc été mise en nouspar un être infini.

Descartes écarte à ce stade trois objections : - L’infini pourrait être perçu comme une négation

du fini, mais c’est impossible parce que je « voismanifestement qu’il se rencontre plus de réalité dansla substance infinie que dans la substance finie »(MM, p117)

- L’idée de Dieu pourrait être matériellementfausse, impossible également car elle est fort claireet fort distincte et contient plus de réalitéobjective qu’aucune autre. L’idée d’un êtresouverainement parfait ne peut pas représenter quelquechose d’irréel comme l’idée du froid qui n’était niclaire ni distincte, donc elle est vraie. Cependant ma

8 « Les choses...sont dites être éminemment (dans les objetsdes idées) quand elles n’y sont pas à la vérité telles, maisqu’elles sont si grandes, qu’elles peuvent suppléer à ce défautpar leur excellence » (MM, p286), secondes réponses

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nature finie et bornée m’interdit de comprendrel’infini, donc sa connaissance n’est peut-être pasclaire et distincte. A cela on peut répondre qu’ilsuffit que l’on conçoive bien cette impossibilité etque l’on juge que les choses dans lesquelles il y aquelque perfection « sont en Dieu, formellement ouéminemment » (MM, p119).

- Mais peut-être que toutes les perfections que jeprête à Dieu sont en moi, au moins en puissance etqu’elles vont se développer de telle sorte que je ne« puisse acquérir …toutes les autres perfections de lanature divine » (MM P 119). Cependant je vois bienque ma connaissance augmente par degré, alors qu’iln’y a rien à ajouter à la perfection divine où toutest en acte.

Descartes avoue que tout ce raisonnement peut êtrefacilement oublié, il construit alors une deuxièmepreuve qui va lui permettre de valider la précédente.

S’il n’y avait point de Dieu, de qui aurais-je monexistence ? Si je suis l’auteur de mon être, je meserai donné toutes les perfections, ce qui est plusfacile que de m’être sorti du néant, je ne les possèdepas, donc je ne suis pas Dieu. De plus mon être estdans le temps et tout le temps peut être divisé eninfinité de parties indépendantes, donc il faut quequelque cause me conserve. En remontant la chainecausale il faut parvenir en une cause première quidoit son existence à elle-même. La progression àl’infini est impossible car cette première cause doitaussi servir à notre maintien dans l’existence. Ilexiste une « dernière cause qui se trouvera êtreDieu » (MM, p 127).

Mais il doit y avoir autant de réalité dans lacause que dans son effet, dans l’effet que je suis il

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y a l’idée de Dieu donc cela était dans ma cause.Cette considération permet de revenir au raisonnementprécédent, et puisque j’ai l’idée « d’un êtresouverainement parfait, en moi » (MM, p127)l’existence de Dieu est évidemment démontrée, ladeuxième preuve venant conforter la première.

II.1L’idée matériellement fausse.

Objections :

Arnauld rappelle les parties de la preuve del’existence de Dieu contenue dans la troisièmeméditation. La première est « que Dieu existe, parceque son idée est en moi ; et la seconde, que moi, quiai une telle idée, je ne puis venir que de Dieu »(MM, p330). Dans la première partie la seule chosequ’il ne peut approuver est qu’il y a des idées quipeuvent, « non pas à la vérité formellement, maismatériellement être fausses » (MM, p330). Il citeencore Descartes en prenant son exemple du froid. « Sidit-il le froid est seulement une privation de lachaleur, l’idée qui me le représente comme une chosepositive sera matériellement fausse » (MM, p331).

Arnauld pense qu’une telle expression confondl’idée et le jugement, l’idée du froid est le froidmême en « tant qu’il est objectivement dansl’entendement » Si le froid est une privation il n’yaura jamais d’idée positive du froid.

Il en est de même d’un être infini, l’on peut« feindre qu’il n’existe point », on ne peut cependantfeindre que son idée ne représente pas quelque chosede réel.

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Mais l’on peut objecter que l’idée que l’on a dufroid est fausse en ce qu’elle n’est pas l’idée dufroid. C’est le jugement que l’on porte sur cette idéequi est faux, l’idée elle « il est certain qu’elle esttrès vraie » (MM, p331). C’est très important car ilen va de même de l’idée de Dieu, elle ne doit paspouvoir matériellement être appelée fausse, encore quecelle des idolâtres puisse se rapporter à quelquechose qui n’est point Dieu. Il y a un autre vice dansla démonstration de Descartes, l’être objectif positifde quelque idée peut venir du néant, ce qui estcontraire aux fondements mis en évidence par Descartes

Réponses et analyse :

La réponse de Descartes est assez longue etprésente des difficultés. Les idées ne sont pascomposées de matière, et « quantes fois qu’elles sontconsidérées en tant qu’elles représentent quelquechose, elles ne sont pas prises matériellement, maisformellement » (MM p 357). Dire qu’une idée estmatériellement fausse c’est une idée qui « donnematière ou occasion d’erreur » (MM, p 357). Cela peutarriver pour les idées qui ne sont pas claires etdistinctes, ce ne peut être le cas de l’idée de Dieu.Les idolâtres ont des idées confuses qui peuvent êtreappelées matériellement fausses « en tant qu’ellesservent de matière à leurs faux jugements » (MM, p358).

Mais il est des idées qui donnent de grandesoccasions d’erreur au jugement, par exemple l’idée dela soif chez un hydropique.

Descartes convient de la justesse du raisonnementd’Arnauld sur l’idée du froid qui n’est point idée dufroid si elle le représente comme un être positif

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alors qu’il est une privation. Cependant Descartespersiste à l’appeler fausse parce qu’elle est confuseet obscure. Elle ne provient pas du néant mais del’imperfection de notre nature. Descartes en appelleenfin à l’autorité de Suarez pour qui le même mot, « matériellement », a la même signification (MM, p359).

Dans sa réponse Descartes ne reprend pasexpressément sa théorie de la troisième méditation, ilinverse le vocabulaire comme l’a constaté MmeScribano9, elle rappelle la notion de simplex apprehensiochez Suarez, la fausseté d’une représentation est unenotion dépourvue de sens et l’occasion d’erreur donnéepar une idée est le seul cas où l’idée pouvait se direfausse10. C’est bien en accord avec la réponse mais cen’est pas ce qu’il y a dans la méditation où lafausseté de l’idée est dans la représentation d’unobjet faux. Dans les méditations « l’obscuritéempêchait d’établir si une idée était vraie oufausse »11 tandis que dans les réponses l’obscuriténait de la fausseté de l’idée. Cependant il existedans Suarez, à propos des entia rationis une faussetématérielle de l’idée, elle est limitée aux idées quireprésentent de purs néants, négations ou privations,« comme l’objet de l’entendement est l’ens, ce quin’est rien est forcément représenté comme étantquelque chose »12. L’idée du froid, est bien considéréepar Suarez comme une idée fausse. Mais cette théorie

9 Scribano Emanuela, Descartes et les fausses idées, Archives dePhilosophie 2/ 2001 (Tome 64), p. 259-278 URL: www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2001-2-page-259.htm

10 « in his apprehensionibus occasionem erroris et deceptionis, et inde falsasnominari », F. Suarez, disputationes metaphysicae, Disp. IX, I citédans l’article sus noté § 16

11 Idem § 2112 Idem § 30

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présente deux inconvénients, celui de risquer deplacer l’idée de Dieu parmi les idées fausses, écueilsignalé par Descartes qui a déjà affirmé sa véracitécar elle est claire et distincte, et celui de placerl’erreur « dans la nature des idées »13, ce qui auraitcontredit directement la quatrième méditation, car la« puissance de concevoir » donnée par Dieu est telleque « tout ce que je conçois, je le conçois comme ilfaut, et il n’est pas possible qu’en cela je metrompe » (MM, p 145). Or les conclusions de cetteméditation sont nécessaires pour fonder la vérité detoutes choses sur l’évidence, donc pour pouvoir fondersa physique. L’abandon ultérieur par Descartes de lathéorie de l’idée matériellement fausse de latroisième méditation a donc des raisons théologiqueset physiques. Arnauld ne s’est pas appesanti sur latension qui résultait des deux affirmations de latroisième méditation, « l’idée (de Dieu), que j’en aisoit la plus vraie, la plus claire et la plusdistincte de toutes celles qui sont en mon esprit » et« il se rencontre en Dieu une infinité de choses queje ne puis pas comprendre ». L’idée claire etdistincte est donc celle de l’existence d’un Dieuincompréhensible dont on sait seulement qu’il renfermetoutes les perfections. Mais en quoi peut-on alorsjuger fausses les idées des idolâtres ? D’autant plusque la quatrième méditation va montrer que la cause del’erreur vient de ce que « la volonté étant beaucoupplus ample et étendue que l’entendement, je necontiens pas dans les mêmes limites, mais que jel’étends aussi aux choses que je n’entends pas . »(MM, p 145), Dès lors que la volonté va se tournervers la connaissance de Dieu, l’entendement ne risque-

13 Idem § 40

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t-il pas de faire les mêmes erreurs que lesidolâtres. ? Le théologien n’a objecté qu’envers unenotion qui ne remet pas en cause la démonstration del’existence de Dieu.

II.2 L’être par soi.

Objections :

Arnauld constate que Descartes dit que l’on ne peutêtre par soi-même. Il cite l’auteur des premièresobjections qui considérait qu’être par soi doit êtrepris non pas positivement mais négativement au sens den’être pas par autrui. Si on est par soi, il n’est paspossible, avant d’être, de prévoir et de choisir ceque l’on sera, de se donner toutes choses, donc êtrepar soi est négatif. Arnauld reprend la réponse deDescartes : » la façon de parler, être par soi ne doitpas être prise négativement, mais positivement euégard à l’existence de Dieu » (MM, p 332) . Dieu faità l’égard de lui-même la même chose que la causeefficiente à l’égard de son effet. Arnauld fait partde ses réserves, être par soi est positif, mais iln’est pas possible de l’être comme une cause. Aprèsl’analyse de la réponse de Descartes aux premièresobjections il construit sa propre objection : « nousne pouvons concevoir une chose sous la notion de causecomme donnant l’être si nous ne concevons qu’elle l’a,car personne ne peut donner ce qu’il n’a pas » (MM, p334), or si elle l’a déjà pourquoi se la donnerait-elle ? Cela devient encore plus évident si nous allonsde la chose à Dieu, il reprend l’argument de Descartesdisant que si la chose est par soi elle ne peut l’êtreque positivement car étant dans le temps elle doit

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assurer non seulement sa création mais aussi saconservation. Or dans l’idée de Dieu est contenuel’idée de l’infinité, de sa durée, indivisible. Si unêtre infini existe un moment il existe toujours. Ilcite le présent continuel en Dieu de saint Augustin,Dieu ne peut être cause de soi car il aurait étéauparavant que d’être.

A la requête de Descartes qui autorisait pour toutechose la recherche de la cause efficiente, il répondque pour Dieu, la réponse est qu’il n’en a pas besoincar il est un être infini dont l’existence est sonessence. Seules les choses pour lesquelles l’existenceest distinguable de l’essence demandent une causeefficiente.

Il note le cercle logique de la proposition « noussommes assurés que les choses que nous concevonsclairement et distinctement sont vraies, qu’à causeque Dieu existe. » (MM, p 337) car nous avons besoinde la conception claire et distincte pour prouverl’existence de Dieu.

Il critique également au passage l’impossibilitéindiquée par Descartes d’avoir des choses en soi donton n’ait connaissance pour faire un catalogue des« choses qui pourraient arrêter les théologiens »

Sous cette rubrique on trouve trois souhaits :Evoquer dans la préface le caractère temporaire de

la révocation systématique en doute, voie dangereusepour les faibles esprits.

Prévenir que l’erreur dont il est traité dans laquatrième méditation est l’erreur dans le discernementdu vrai et du faux, non pas celui du bien et du mal

Assurer que la créance donnée aux choses que nousconcevons clairement et distinctement s’entend

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seulement des sciences et non de la foi ou des actionsde notre vie

Après avoir convoqué Saint Augustin sur ladistinction entre entendre, croire et opiner iltermine par une critique ontologique puisque selonDescartes, les seuls accidents ne peuvent demeurersans la substance, sa thèse est en contradiction avecl’enseignement de l’église sur l’eucharistie.

Réponses et analyse :

Dans sa réponse Descartes nie d’emblée avoirsoutenu que Dieu puisse être la cause efficiente delui-même. Ce que fait Dieu à l’égard de lui-même,n’est qu’en quelque façon ce qu’il fait à l’égard desa création, l’image n’étant due qu’à l’imperfectionde l’esprit humain et à son incapacité de concevoirpleinement une chose qui n’a pas besoin de causeefficiente. « La puissance de Dieu est la cause ou laraison pour laquelle il n’a pas besoin de cause » (MM,p 360). C’est la cause formelle de Dieu qui fait qu’iln’a pas besoin de cause efficiente. Descartes note queles théologiens préfèrent parler de principe plutôtque d’user du mot cause, mais que ce mot est trèsutile pour prouver l’existence de Dieu par l’argumentde la cause première, et que nous ne pouvons exclureDieu de cette recherche avant de prouver qu’il existe.Une chose par autrui l’est au titre de la causeefficiente. Ce point étant une « chose manifeste », iln’a pas été abordé dans les méditations.

Pourtant Descartes s’oblige à venir sur ladéfinition de par soi qui avait déjà fait l’objetd’une remarque dans les premières objections (MM, p219), Par soi, positivement veut dire par soi-mêmecomme par une cause, Il n’y a que Dieu qui corresponde

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à la définition. Par soi négativement, veut dire nonpar autrui, de soi-même. Ainsi le chaud peut être« chaud par ses principes internes et constituants »(MM, p 219), Une telle acception de par soi détruiraitla possibilité de démontrer l’existence de Dieu carson infinitude ne serait pas certaine. Descartes sepropose alors de montrer qu’entre la cause efficienteau sens strict et l’absence de cause, il y a« l’essence positive d’une chose », extension de lanotion de cause efficiente, qui rajoute la positivitéà cette dernière. La cause efficiente n’a pas à êtreantérieure à son effet puisqu’elle est définie parlui, et si l’on étend comme il le propose le conceptde cause efficiente, se demander si « une chose peutdonner l’être à soi-même » est équivalent à sedemander, « si la nature ou l’essence de cette choseest telle qu’elle n’ait pas besoin de cause efficientepour être ou exister. » (MM, p 364).

Ces manières de parler, « qui ont rapport etanalogie » (MM, p 365) avec la cause efficiente sontlégitimes, ainsi Archimède traite de la sphère commed’un polyèdre inscrit avec une infinité de face, c’estun raisonnement par passage à la limite qui permetd’établir les choses qui appartiennent « à l’essencemême de Dieu » (MM, p 365). Descartes ajoute que sonraisonnement ne permet pas d’inférer que Dieu soit uneffet. Il défend son idée de cause en rappelantAristote pour qui la première cause nommée dans lesanalytiques est l’essence de la chose ou cause formelle.

Si l’on abandonne la notion de cause, comme lepropose Arnauld, on ne peut prouver l’existence deDieu. L’objection d’Arnauld selon laquelle demanderla cause efficiente de l’existence de Dieu estillogique car c’est l’essence de Dieu d’exister, est

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elle-même illogique, car la confusion essenceexistence en Dieu, revient à poser la question pourl’essence. Il s’ensuit une longue critique du refusd’Arnauld d’adhérer à « l’analogie de la causeefficiente » (MM, p 367)qui selon Descartes est denature à brouiller le lecteur par l’obligation où ellele met de chercher à chaque chose une cause différentede la chose elle-même. Cela serait refuser à Aristoted’étendre à la sphère ce qu’il a démontré par unpassage à la limite des polygones ayant un nombreinfini de côtés, en refusant de la prendre pour unelimite d’une figure rectiligne car elle est en effetcurviligne.

Descartes réfute ensuite l’objection de cerclelogique qui lui avait été faite en distinguant chosesconçues clairement et choses que l’on se souvientavoir conçues clairement.

Descartes ne voit que des pensées dans l’esprit, etde ce fait il ne peut rien y avoir dont nous n’ayonspoint connaissance. Il note cependant que la mémoires’efface.

Pour les choses qui peuvent arrêter lesthéologiens, Descartes reconnait que ses méditationsne sont pas propres à toutes sortes d’esprit, etc’est pour cela qu’il a choisi de ne pas imprimer enlangue vulgaire.

Il acquiesce de n’avoir traité de l’erreur qu’enmatière de discernement du vrai et du faux et non enmatière de bien ou de mal.

Il va être infiniment plus prolixe en ce quiconcerne la possibilité pour les accidents d’êtreséparés de la substance. Si selon Arnauld, lesaccidents vus par Descartes ne sont que des modes dela substance, lui n’a jamais nié que « les accidents

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fussent réels » (MM, p 371). Le problème posé estcelui de la transsubstantiation. Descartes remarquequ’elle nécessite deux miracles, celui de changer lasubstance du pain en substance du corps du Christ, etcelui de maintenir à la vue des fidèles, les accidentsdu pain. Il va répondre en utilisant le concept desuperficie qu’il développera dans les principesphilosophiques au paragraphe 15. La superficie descorps est leur enveloppe extérieure, celle qui est encontact avec nos sens, elle est une modalitépermanente donc peut être la même alors que lasubstance du corps change. C’est une contradictionavec Aristote pour qui c’est la qualité du corps quel’on perçoit en touchant sa périphérie, mais pourDescartes les qualités ont disparu au profit de lasimple extension. Il est donc possible que cettesuperficie soit maintenue de façon à conserverl’apparence du pain alors que sa substance à disparue.La transsubstantiation ne réclame plus qu’un miracle.

Il est impossible de relire cette partie desquatrièmes objections sans avoir en arrière-plan lescommentaires de J.L. Marion et de E. Gilson sur lapensée cartésienne dont l’ analyse dépasseraitlargement le propos de ce mémoire. Les points que l’onpeut mettre en évidence restent cependant tributairesde la problématique qu’ils ont dégagée.

Le concept de causa sui appliqué à Dieu est nouveauen théologie, il ne sera discuté que deux fois dansl’œuvre de Descartes dans ses réponses aux premièreset quatrièmes objections14.

14 Mais sa première utilisation sera due à J Kater dans sesobjections, MM p 219, cité par F. Crismareanu,anale.fssp.uaic.ro/.../causasuietsaposteritereflexionscritiques

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Nous avons déjà relevé la tension qui existaitentre la notion claire et distincte de Dieu et sonincompréhensibilité. Ici le concept formé par la« lumière naturelle » comme médian entre la causeefficiente et la cause formelle, a beau être, parDescartes présenté comme « une chose de soimanifeste » (MM p 362), il ne l’est peut-être pasautant que cela. L’appeler essence positive d’unechose, n’est compréhensible qu’en usant de l’analogie.Et de fait l’analogie est très présente dans laréponse de Descartes. Cependant Descartes ne définitpas la nature de son analogie si ce n’est par unesimilitude avec le passage à la limite tirée de lagéométrie ; l’on peut attribuer au cercle lespropriétés du polygone ayant une infinité de côtés.Mais l’exemple pèche en ce que le cercle conserve lespropriétés du polygone (rapport du périmètre au rayoninchangé, par exemple) alors que Dieu n’est pas causeefficiente de lui-même et que les choses ont besoind’une cause efficiente. Cette analogie a également unelimite dans sa non réversibilité, ce que l’on dit ducercle peut être dit du polygone, mais Dieu cause delui, ne peut être appelé son propre effet. Enconsidérant Dieu comme un infini Descartes rendinvalide toute analogie de proportion, il s’agiraitdonc d’une analogie d’attribution, mais le sens du motcausalité n’est pas conservé.

Descartes était plus précis dans sa réponse auxpremières objections, « Car, encore qu’il ne soit pasbesoin de dire qu’il est la cause efficiente de soi-même…néanmoins, parce que nous voyons que ce qu’ilfait qu’il est par soi, ou qu’il n’a point de causedifférente de soi-même, ne procède pas du néant, maisde la réelle et véritable immensité de sa puissance,

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il nous est tout à fait loisible de penser, qu’il faiten quelque façon, la même chose à l’ égard de soi-même, que la cause efficiente à l’égard de son effet,et partant qu’il est par soi positivement » p236

La théorie de la création des vérités éternellespose le problème de la création des vérités logiques.Si pour les vérités mathématiques, leur caractère dedépendance absolue à la volonté divine est affirméepar Descartes avant l’écriture des méditations, le débatreste ouvert pour les vérités ‘logiques’. Si lacausalité et la non contradiction sont issues d’unacte libre créateur, alors poser Dieu comme cause desoi n’a guère de sens, et de plus l’on ne peutremonter que jusqu’à une cause première, celle d’unauteur de la nature et il n’est pas possible del’identifier certainement à Dieu. Il y a pire, si cetacte est libre il pourrait ne pas être, et alors lenéant pourrait créer l’être. Le principe de causalitésemblant donc s’imposer à la création il est logiquepour ne pas le voir comme une limitation de Dieu, del’incorporer à sa nature même. Le Dieu causa sui permetalors une continuité relative entre la physique et lamétaphysique. Mais alors cela tire l’analogie versl’univocité et place Dieu au niveau des existants,fusse comme un existant suprême.

L’on comprend alors la remarque d’Arnauld qui luipropose de remplacer l’expression « ne connaissant pasl’auteur de mon origine » par « feignant de ne pasconnaître » pour exclure Dieu du doute. Elle venait desa crainte de voir les objets de la foi mis sous lecritère de clarté et de distinction. Peut-êtreconsidère-t-il l’idée de Dieu comme pouvant êtreobscure malgré les remarques de Descartes. Pour cedernier, selon Etienne Gilson, Dieu tombe dans la

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catégorie de la substance, son attribut principal,l’infini permet d’établir l’identité de l’existence etde l’essence, l’être passe à l’existence alors quepour un penseur médiéval, l’infini n’est pasl’attribut essentiel de Dieu, c’est une conséquence deson être.15

Une dernière défense de Descartes au sujet de lacausalité se trouve dans ses premières réponses,« « toute limitation est par une cause,… mais,… àproprement parler,…la limitation est seulement unenégation d’une plus grande perfection, laquellenégation n’est point par une cause, mais bien la choselimitée. » (MM, p 236). Cet argument n’est pas reprisdans les quatrièmes réponses, car la suite del’argument revient sur l’impossibilité de concevoir lepar soi sans causalité externe ou ‘interne’. Il fautnoter qu’à l’occasion Descartes ne demande pas lacause de l’existence des choses, mais leur raison.

Il faut enfin constater que c’est la preuve annexede l’existence de Dieu, celle qui a été amenée lorsquel’on ne se souvient pas du raisonnement selon lequell’idée d’un être plus parfait que soi doit avoir été« nécessairement mise en soi par un être qui soit eneffet plus parfait » (MM, p 121), qui a provoqué unmaximum d’objections, alors que la première, danslaquelle Arnauld n’a critiquée que la notion d’idéefausse, implique que l’effet soit supérieur à lacause, notion scholastique complexe admise par lesdeux interlocuteurs mais aisément criticable.

La connaissance par Arnauld des premières réponseslui permet également de ne pas souligner la difficultéqu’il y a à ne pas considérer l’infini comme une

15Kim sang Ong-Van-Cung, Descartes et l’ambivalence de la création,Paris, Vrin, Philologie et Mercure, 2000 , p22

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négation du fini, difficulté à laquelle Descartes arépondu en distinguant indéfini et infini, le premierétant négation, le second ne s’appliquant qu’à Dieu.

Conclusion

A la suite de ces objections, la théorie des idéesmatériellement fausses et la notion de Dieu commecausa sui, ne seront plus reprises par Descartes. Il n’yeu pas de la part d’Arnauld de réponses aux réponses.

Quelles sont à la lecture de l’échange, lespréoccupations majeures des deux interlocuteurs ?Arnauld a répondu en philosophe et en théologien maissa préoccupation est surtout d’ordre théologique, saprincipale inquiétude d’ordre philosophique, Ladistinction de l’âme et du corps en deux substancesdistinctes n’est pas en harmonie avec l’hylémorphismede saint Thomas. Même si elle permet de mieuxs’assurer de l’immortalité de l’âme, elle pourraitaussi ne pas rendre nécessaire la résurrection descorps.

Descartes dans sa lettre à Mersenne du 15 avril1630, indiquait qu’il avait trouvé comment on peut «démontrer les vérités métaphysiques d’une façon quiest plus évidente que les démonstrations de lagéométrie », mais qu’il ne savait « s’il le pourraitpersuader aux autres ». Peu avant l’édition desméditations dans sa lettre au même du 30 septembre1640 il parle de l’impression de vingt à trenteexemplaire des méditations pour les envoyer à unpublic savant afin de recueillir leurs objections,mais aussi et plus longuement, d’un problème depoulies, de la façon d’obtenir une racine cubique, dumascaret à Blaye, et note au détour d’une phrase que

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« le principal but de ma métaphysique est d’expliquerles choses que l’on peut concevoir distinctement ».C’est pourquoi il semble difficile dans son œuvred’appliquer la distinction entre physique etmétaphysique. Sa physique, basée sur l’identité de lamatière et de l’espace atteignant tellement lesfondements du réel qu’elle est métaphysique. Saclassification des sciences met la métaphysique à laracine, la physique comme tronc et remarque que l’onne peut recueillir des fruits qu’aux extrémités desbranches de la médecine, de la morale et de lamécanique. Même si dans ses quatrièmes réponses lapréoccupation de Descartes est de garantir les basesdes futurs principes de la philosophie , et en particulierl’usage du rationalisme déductif, il parle enmétaphysicien. Par ailleurs son doute n’est pas celuid’un physicien qui s’interroge sur l’adéquation auréel de ses théories scientifiques, mais celui d’unphilosophe qui s’interroge sur l’existence d’un réel àl’extérieur de son esprit.

Bibliographie

Descartes, Méditations métaphysiques, Paris, GF-Flammarion, 1979.

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Descartes, Traité des passions, suivi de la Correspondance avec laPrincesse Elizabeth, Présentation F Mizrachi, Paris,10/18,1965.

Pascal, Œuvres complètes, édition Michel Le Guern,Paris, Gallimard, La pléiade, 2000.

J.L. Marion, Sur l’ontologie grise de Descartes, paris,Vrin, age classique, 1996

Kim sang Ong-Van-Cung, Descartes et l’ambivalence de lacréation, Paris, Vrin, Philologie et Mercure, 2000

Sources internet :

Scribano Emanuela, Descartes et les fausses idées, Archives dePhilosophie 2/ 2001 (Tome 64), p. 259-278 URL: www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2001-2-page- 259.htm

F. Crismareanu,anale.fssp.uaic.ro/.../causasuietsaposteritereflexionscritiques

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Table des matières

I. Les objections philosophiques..........................2

I.1 Exclure le corps de l’essence de la chose qui pense...........................................................2

Objections :.........................................2

Réponses et analyse :................................4

I.2 Quelques problèmes de l’union des substances.......7

Objections :.........................................7

Réponses et analyse :................................7

II. Les objections théologiques...........................8

II.1L’idée matériellement fausse.......................9

Objections :.........................................9

Réponses et analyse :...............................10

II.2 L’être par soi...................................12

Objections :........................................12

Réponses et analyse :...............................13

Conclusion............................................17

Bibliographie............................................18

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