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L. MARTINEZ-SEVE (en collaboration avec Ch. Baratin) - Le grenier grec de Samarkand

Date post: 05-Mar-2023
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IFEAC L’ArChéoLogIE FrAnçAIsE En AsIE CEntrALE Nouvelles recherches et enjeux socioculturels Cahiers d’asie Centrale 21/22 sous la direction de Julio BeNdezu-sarmieNto Édition-diffusion de BoCCard
Transcript

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L’ArChéoLogIE FrAnçAIsE

En AsIE CEntrALE Nouvelles recherches et enjeux socioculturels

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21/22

sous la direction de

Julio BeNdezu-sarmieNto

archéologie est une discipline scientiique, complexe mais de plus en plus précise, dont l’objectif essentiel est de mieux connaître l’Homme et la société, depuis la Préhistoire jusqu’à l’époque moderne, grâce à l’étude des éléments matériels mis au jour (édiices, infra-

structures, poteries, outils, armes, ossements...). L’archéologue, dans une approche diachronique, trouve l’essentiel de sa documentation grâce à des travaux de terrain (prospections, sondages, fouilles, voire études de collections). Les résultats permettent de mettre en lumière une culture ou une civilisation, une ou des population(s), les étapes d’un passé méconnu.

L’Histoire de l’Asie centrale est complexe et jalonnée d’épisodes mouvementés. La grande diversité géographique et orographique en a fait un lieu privilégié où se sont développés de grandes civilisations et de puissants empires, dont il nous reste encore beaucoup à découvrir : la civilisation de l’Oxus, les empires des Achéménides, d’Alexandre le Grand, des Kouchans, des Sassanides, des Turcs, des Arabes, des Mongols...

Il y a douze ans, le numéro IX des archéologiques françaises réalisées dans cette région. Cette abondante moisson prenait en compte un immense travail initié par Jean-Claude Gardin en 1979. Aujourd’hui, ce nouveau numéro double

ampliie notre connaissance de l’Asie centrale grâce aux trente deux articles pluri-disciplinaires associant les sciences humaines et sociales aux sciences de la terre ; et il nous fait découvrir les résultats des recherches archéologiques menées depuis plus de trois décennies, mettant en exergue le travail scientiique et la méthodologie, l’excellente coopération entre les chercheurs centrasiatiques et français, le souci de formation et de valorisation. Et nous espérons qu’au fil des pages l’archéologue, l’historien ou les lecteurs avertis trouvent dans cet ouvrage les éléments d’une histoire pluridisciplinaire, constamment enrichie.

le Turkménistan. Il a été secrétaire scientiique et directeur par intérim de l’Institut français d’études sur

française en Afghanistan (DAFA).

Édition-diffusion

de BoCCard

issN : 1270-9247isBN : 978-2-7018-0347-0© iFeaC / daFa

Cahiers d’Asie centrale

Les Cahiers d’Asie centrale sont une publication de l’institut français d’études sur l’asie centrale (iFeaC), institut de recherche installé à Bichkek (Kirghizstan), rattaché au ministère des affaires étrangères de la République française, associé au Centre national de la recherche scientiique (CNRS - USR 3140).

Les Cahiers d’Asie centrale présentent les résultats de recherches en sciences humaines et sociales dans l’aire centrasiatique. Appréhendant un vaste espace méconnu, placé au carrefour des mondes russe, turc, chinois, iranien et indien, cette revue pluridisciplinaire aide à la compréhension de ses réalités et de ses mutations. Elle propose une multiplicité de points de vue, en conjuguant des articles écrits par des chercheurs locaux et occidentaux.

Les opinions émises dans les articles ou notes de la revue n’engagent que la responsabilité de leur(s) auteur(s). Toute représentation ou reproduction, intégrale ou partielle, faite sans consentement de l’auteur, ou de ses ayants droit, ou ayants cause, est illicite (loi du 11 mars 1957, alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. La loi du 11 mars 1957 n’autorise, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, que les copies sont strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective d’une part et, d’autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration.

Directeur de la publicationFrancis riCHard

rédacteur en chefJulio BENDEzU-SARMIENTO

Comité de rédaction :François Ömer AKAKÇA, Université Humboldt, BerlinBayram BaLCi, CNrsIngeborg BALDAUF, Université Humboldt, BerlinJulio BENDEzU-SARMIENTO, CNRSStéphane A. DUDOIGNON, CNRSCarole FERRET, CNRS Isabelle OHAYON, CNRSMaria SzUPPE, CNRS

Comité scientiique sergey aBasHiN, institut d’ethnologie et d’anthropologie,

MoscouMeruert ABUSEITOVA, Institut d’orientalisme, AlmatyHamid ALGAR, Université de Californie, BerkeleyDilorom ALIMOVA, Institut d’histoire, Tachkentelisabeth aLLes, CNrsBakhtiyar BABAJANOV, Institut d’orientalisme, TachkentAlain BLUM, CNRSMarco BUTTINO, Université de Turin Pierre CHUVIN, Université Paris X – NanterreNathalie CLAYER, CNRSRémy DOR, INALCO, ParisVincent FOURNIAU, EHESS, ParisHenri-Paul FRANCFORT, CNRSValery GERMANOV, Institut d’histoire, TachkentFrantz GRENET, Collège de FranceRoberte HAMAYON, EPHE, ParisPhilip HUYSE, CNRSSvetlana JACQUESSON, Institut Max Planck, HalleAdeeb KHALID, Carleton College, MinnesotaAnke von KÜGELGEN, Université de Berne

Marlène LARUELLE, The Elliott School of International Affairs, George Washington UniversityScott C. LEVI, Université de Louisville, KentuckyAshirbek MUMINOV, Institut d’orientalisme, AlmatyAlexandre PAPAS, CNRSSébastien PEYROUSE, The Elliott School of International

Affairs, George Washington UniversityCatherine POUJOL, INALCO, ParisJean RADVANYI, INALCO, ParisFrancis RICHARD, BNF, ParisRon SELA, Indiana University, BloomingtonJulien THOREz, CNRSThierry zARCONE, CNRS

IFEACPanilova 153, 720040 Bichkek, KIRGHIzSTAN Tél. : (996 312) 39 80 07 [email protected]

DAFAambassade de France shash darak, KaboulTél. : (93 719) 30 70 [email protected]

édition-Diffusion DE BoCCArD11 rue de Médicis75006 PARISTél. : 01 43 26 00 37http://www.deboccard.com

sommAIrE

Frantz GRENETAvant-Propos 15

Julio BENDEzU-SARMIENTO, Francis riCHardIntroduction : quel avenir pour l’archéologie en Asie centrale ? 19

L’évoLutIon DEs rEChErChEs ArChéoLogIquEs En AsIE CEntrALE.DEs hommEs, DEs InstItutIons Et DEs mIssIons ArChéoLogIquEs

svetlana GORSHENINAL’archéologie française dans l’asie centrale soviétique et post-soviétique ........... 25

Jean-François JARRIGELes relations archéologiques entre les régions au sud et au nord de l’Hindu Kush du Ve millénaire jusqu’au milieu du iiie millénaire avant notre ère à la lumière des données fournies par les sites de la région de Kachi-Bolan au Balochistan pakistanais 41

roland BESENVALLes années noires du patrimoine archéologique d’Afghanistan (1980-2001). Chronologie d’un désastre 69

Philippe MARQUISLes activités récentes de la délégation archéologique française en afghanistan (daFa) 93

Henri-Paul FRANCFORTLe rôle de la Mission archéologique française en Asie centrale (MAFAC) dans l’évolution de la recherche archéologique 99

Claude RAPIN, Muhammadjon ISAMIDDINOVEntre sédentaires et nomades : les recherches de la Mission archéologique franco-ouzbèke (MAFOuz) de Sogdiane sur le site de Koktepe 113

Pierre LeriCHeL’apport de la Mission archéologique franco-ouzbèque (MAFOuz) de Bactriane du Nord à l’histoire de l’asie centrale 135

Olivier LECOMTEActivités archéologiques françaises au Turkménistan 165

Frédérique BRUNET, Muhiddin HUDžANAzAROV, Karol SzYMCzAKLe site d’ajakagytma et le complexe culturel de Kel’teminar au sein des processus de néolithisation en Asie centrale (travaux de la MAFANAC) ..... 191

Julio BENDEzU-SARMIENTO, samariddin MUSTAFAKULOVLe site proto-urbain de Dzharkutan durant les âges du bronze et du fer. Recherches de la Mission archéologique franco-ouzbèke-Protohistoire 207

rocco RANTE, abdisabur RAIMKULOVLes fouilles de Paykend : nouveaux éléments 237

IntErACtIons Autour DE L’oBjEt : L’AsIE CEntrALE Et sEs voIsIns

Bertille LYONNETRecherches récentes sur les céramiques de Sogdiane (de la in de l’âge du bronze à la conquête arabe) : contribution à l’histoire de l’asie centrale 261

Élise LUNEAU, Julio BENDEzU-SARMIENTOÉtude des céramiques de l’âge du bronze de la nécropole 3 de dzharkutan (Ouzbékistan) : nouvelle approche typo-chronologique 283

armance DUPONT-DELALEUFÉvolution des techniques céramiques durant la Protohistoire en Asie centrale : l’exemple d’Ulug dépé 317

Olivier BRUNET Étude morpho-technologique préliminaire des éléments de parure de l’âge du bronze de Sapalli tépé et Dzharkutan (Ouzbékistan) 335

Johanna LHUILLIER, Julio BENDEzU-SARMIENTOOlivier LECOMTE, Claude RAPINLes cultures à céramique modelée peinte de l’âge du fer ancien : quelques pistes de réflexion d’après les exemples de Koktepe, Dzharkutan (Ouzbékistan) et Ulug dépé (Turkménistan) 357

Charlotte BARATIN, Laurianne MARTINEz-SèVELe grenier grec de samarkand 373

Johanna LHUILLIER, Mutalib HASANOVNouvelles recherches à Padayatak tépé au Kashka-daria (Ouzbékistan) 389

Julie VALLÉE-RAEWSKYRésultats préliminaires de la fouille des kourganes de Yangi-rabat et Akdzhar-tépé dans la région de Samarkand (Ouzbékistan) 399

Marc-Olivier PEROULe décor architectural de la ville de Termez à l’époque kouchane 411

JEAN-BAPTISTE HOUAL avec la collaboration de sterenn LE MAGUERLa céramique de Termez des époques antique et médiévale 423

Pierre SIMÉONLa céramique de Hulbuk (capitale du Ḥuttal) entre Mā warā’al-nahr et Ṭuhāristān. Nouvelles données sur la céramique médiévale d’Asie centrale entre le IXe et le XIe siècle 443

aurore didier, Benjamin MUTINLa production céramique protohistorique du Makran pakistanais dans la compréhension des relations indo-iraniennes 461

Laurianne BRUNEAUL’art rupestre du Ladakh (Jammu et Cachemire, inde) : ses liens avec l’asie centrale protohistorique 487

Autour Du vIvAnt, son EspACE Et son EnvIronnEmEnt.LA rEstAurAtIon Et LA ConsErvAtIon ArChéoLogIquE

Julio BENDEzU-SARMIENTOArchéologie funéraire et bio-anthropologie à Ulug dépé et Dzharkutan.Âge du bronze au Turkménistan et en Ouzbékistan 501

Marjan MASHKOURsociétés pastorales et économies de subsistance au nord-est de l’Iran et au sud du Turkménistan 533

Margareta TENGBERGÉconomies végétales et environnements en asie centrale du Néolithique à l’époque sassanide : la contribution des disciplines archéobotaniques 545

Éric FOUACHE, Henri-Paul FRANCFORT, Claude COSANDEY, Chahryar adLe, Julio BENDEzU-SARMIENTO, Ali A. VAHDATILes régions de Bam et de sabzevar (iran) : une évolution dans l’implantation des sites archéologiques et dans la gestion des ressources en eau compatible avec l’hypothèse d’une aridiication croissante du climat entre 2500-1900 BC .... 559

Gourguen DAVTIANL’apport de la géomatique aux nouvelles recherches archéologiquesen asie centrale 573

estelle OTTENWELTEREnjeux de la conservation-restauration de terrain en Asie centrale. exemples de travail sur les sites d’Ulug dépé et de Gonur dépé (Turkménistan) 587

Géraldine FRAY, Marina REUTOVADu terrain à la muséographie. La restauration de peintures murales en Ouzbékistan : Kazakl’i-yatkan/akchakhan-Kala (Khorezm antique) et afrasiab (samarkand Qarakhanide) 603

Chamsia SADOzAïPréservation de l’architecture de terre en Asie centrale :l’exemple du site protohistorique d’Ulug dépé (Turkménistan) 623

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Le grenier grec de Samarkand

Charlotte BaratiN1, Laurianne martiNez-sève2

résuméLes fouilles de la MAFOuz, menées entre 1993 et 2004 dans le secteur de la grande mosquée, ont permis de dégager les restes incendiés d’un bâtiment public d’aspect monumental qui peut être daté du début de l’époque hellénistique. Il contenait encore de grandes quantités de céréales, du millet et de l’orge, ce qui a permis de l’identiier comme le grenier qui conservait les réserves de la garnison grecque de Samarkand.

mots-clésAfrasiab, période hellénistique, grenier public, garnison grecque, Samarkand.

AbstractBetween 1993 and 2004, the MAFOuz expedition conducted excavations near the Afrasiab mosque and uncovered the burnt remains of a monumental public building dating to the beginning of the Hellenistic period. It still contained huge quantities of cereals (millet and barley) and must have been a granary for the Greek garrison of Samarkand.

KeywordsAfrasiab, Hellenistic period, public granary, Greek garrison, Samarkand.

La découverte d’un vaste entrepôt à céréales d’époque hellénistique en pleine acropole, dans une déclivité naturelle de la partie sud-ouest de la ville haute, a repré-senté l’un des acquis des travaux de la mission franco-ouzbèque co-dirigée par Fr. Grenet, de l’équipe « Hellénisme et civilisations orientales » de l’umr 8546 du CNrs et m. isameddinov, membre de l’institut d’archéologie de samarkand, qui explore afrasiab, le site de l’ancienne samarkand. elle a commencé en 1993. on avait alors décidé de rafraîchir un ancien sondage, ouvert en 1962 par Ja. K. Kikris à une centaine de mètres au sud-ouest de la porte dite « de Bukhara », contre la face orientale d’un puissant mur en pisé, épais de plus de 4 m, formant la façade orientale d’une

1. Charlotte Baratin, docteur de l’EPHE et de l’Université Lyon 2 , collabore aux travaux que la MAFOuz de Sogdiane mène à Samarkand. Elle est spécialiste des provinces orientales de l’empire parthe.

Contact : [email protected]. Laurianne martinez-sève est professeur d’histoire grecque à l’université Charles-de-Gaulle

Lille 3, et membre de l’umr aoroC 8546 du CNrs. spécialiste du royaume séleucide, de l’iran et de l’asie centrale hellénistiques, elle a participé aux travaux de la maFouz de samarkand et collabore à la publication des fouilles de la ville grecque d’aï Khanoum (afghanistan).

Contact : [email protected]

L’archéologie française en Asie centrale. Nouvelles recherches et enjeux socioculturels.J. Bendezu-sarmiento (dir.), CaC-iFeaC # 21-22, 2013 – p. 373-388.

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CHarLotte BaratiN / LauriaNNe martiNez-sève

construction monumentale d’époque préislamique située sous les restes de la grande mosquée d’époque islamique (igures 1-2). Le fouilleur avait pensé trouver sur le sol vierge un grand four de potier, dont les restes étaient recouverts par des débris des premiers siècles de notre ère3. La deuxième campagne, conduite par L. martinez-sève, a révélé qu’il s’agissait d’un vaste bâtiment de briques crues dont le format carré est caractéristique, à afrasiab, des constructions d’époque hellénistique. Le violent incendie qui l’a détruit, avec les réserves de céréales qu’il contenait, orge et millet, a cuit à cœur les briques et les graines, stockées en vrac ou entassées dans des sacs, ont été transformées en poussières de cendres multicolores. durcissant les briques et provoquant la vitriication du sol et du bas des murs de plusieurs pièces, le feu a permis une bonne conservation de la structure générale des vestiges. Le toit, qui s’est effondré a pu être dégagé en partie, de même que le système d’accès à l’extérieur sur l’un des côtés du bâtiment. L. martinez-sève a dirigé les travaux jusqu’en 2001 et Ch. Baratin en a alors repris la direction jusqu’à l’achèvement de la fouille du bâti-ment ; Fr. Grenet et N. almazova ont réalisé les dernières explorations des vestiges en 2004. Les résultats sont aujourd’hui en cours de publication.

La fouiLLe

Les conditions de fouilles ne sont guère aisées à cet endroit du site. Les sols remontant aux premières phases d’occupation sont profondément enfouis sous les niveaux accumulés des états successifs de la ville ancienne depuis sa fondation, au milieu du ier millénaire avant n. è., jusqu’en 1220 (igure 2). Gengis Khan en it alors

3. Ces résultats n’ont pas été publiés, mais les notes de fouilles, déposées au musée du régistan, ont été mises à notre disposition.

Figure 1 – Plan restitué de la partie septentrionale du site(plan : E. Kurkina ; fond de carte et montage : Cl. Rapin).

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Le GreNier GreC de samarKaNd

le siège acharné qui se termina par le massacre d’une partie de la population et la destruction des canaux d’irrigation : le site fut abandonné, au proit des zones situées en contrebas au sud où il était plus facile d’acheminer l’eau.

Le niveau du magasin à céréales que nous avons dégagé a été repéré à 8,50 m de la surface. il a été installé dans une profonde dénivellation du terrain qui entaillait les couches de loess naturel de la bordure nord du plateau urbain, sorte de ravin naturel d’orientation nord-sud formé peut-être par l’écoulement des eaux de surface, que l’on suit jusqu’à la porte de Bukhara (rapin 1994, p. 553-554), aux parois duquel il était adossé à l’est et au sud. La limite occidentale du bâtiment est située sous la structure en pisé, bien identiiée aujourd’hui avec le palais du gouverneur arabe Nasr ibn Sayyar édiié dans les années 740 (Grenet 2008). Les piliers du chantier de la grande mosquée qui était en reconstruction lors de l’arrivée de Gengis Khan recouvrent toute sa partie nord (figures 3, 5)4. dans cette zone, les structures anciennes sont fortement détruites par celles des niveaux supérieurs, constructions en dur ou fosses, celles-ci en très grand nombre, parfois emboîtées les unes dans les autres. Par bonheur, l’aménagement d’un quartier résidentiel au début du viie siècle et la construction d’édifices monumentaux a nécessité de combler la zone par d’énormes remblais qui ont scellé les vestiges anciens. une vaste fosse d’époque islamique, constituée lors du chantier de reconstruction de la grande mosquée dans les années 1212-1220, est en outre venue creuser d’une gigantesque entaille près de la moitié de la zone, détruisant les couches anciennes parfois jusqu’au sommet des niveaux hellénistiques. Ces derniers étaient donc plus facilement accessibles que ce que leur situation laissait craindre, puisque l’on a pu sans dommage vider la fosse au bulldozer et le remblai à la pelle.

L’édifice

Le vaste bâtiment, orienté nord-sud, est composé de huit pièces de 11,5 × 5,5 m, disposées sur deux rangées, que l’on a numérotées de 1 à 8 de l’angle sud-ouest à l’angle nord-est. La rangée des pièces méridionales a été entièrement dégagée ; les pièces qui les jouxtent au nord, d’accès plus malaisé à cause des piliers de la grande mosquée et de l’entrelacs des structures postérieures, sont connues par une série de sondages localisés (igure 2).

4. un chantier a été établi sous la mosquée cathédrale dès le lancement de la mission en 1989. Les niveaux d’époque islamique et sogdienne ont été fouillés par Fr. Grenet et Kh. akhunbabaev en 1989, auxquels s’est joint i. ivaniskij les deux saisons suivantes. Leurs résultats ont été publiés dans Bernard, Grenet, isamiddinov et al. 1989, ii, p. 370-380 et Bernard, Grenet, isamiddinov et al. 1992, V, p. 300-308, igures 20-23, avec la bibliographie ancienne. Frantz Grenet a donné en 2004 un aperçu complet des travaux réalisés sur le site par la mission franco-ouzbèque (Grenet 2004).

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La construction de l’ensemble est très soigneuse, en un appareillage de briques crues de forme carrée d’environ 38 cm de côté sur 12 à 13 cm, liées par de larges joints d’environ 10 cm. Nombre de ces briques portent au lit de pose des signes ou des lettres inspirées de l’alphabet grec, des tau, des êta et des gamma. Les murs sont parfois conservés sur 2 m de haut. Ceux dont les deux faces ont été retrouvées sont formés de deux rangées et demie de briques, sur un mètre d’épaisseur ; la demie-brique est disposée régulièrement sur l’une des deux faces en alternance une assise sur deux. seul le mur séparant les deux rangées de pièces au centre du bâtiment est plus large, d’une épaisseur inattendue de 1,40 m. Presque tous les murs sont liés entre eux par le croisement des briques. Leur surface est enduite d’une couche épaisse de

Figure 2 – Afrasiab, le grenier hellénistique. Situation par rapport aux structures postérieures (plan : E. Kurkina). Les pièces ont été numérotées de 1 à 8, d’ouest en est et du sud au nord.

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Le GreNier GreC de samarKaNd

mortier, parfois mêlée de paille, sur 5 cm environ, de même couleur et de même consistance que les joints. dans l’ensemble du bâtiment, l’enduit qui couvre les murs de façon continue témoigne du soin porté à l’entretien des locaux.

sous cet enduit, quelques irrégularités, cependant. Les murs qui ferment le bâti-ment au sud sont adossés au sol vierge qu’il a fallu entailler sur près de 2 m à cet endroit. ils sont de facture moins soignée que les autres. ils ne sont pas fondés, et leur partie supérieure est formée, sous l’enduit, de blocs de loess tassés ; les angles avec les murs centraux d’orientation nord-sud sont un peu chiches, parfois complé-tés au mortier et pas toujours liés par le croisement des briques comme ailleurs. autre particularité, la pièce 1, située au sud-ouest, a été divisée a posteriori par une paroi montée en matériau de récupération – briques de tailles variées (3 × 10/12 cm ; 26 × 13/14 cm, 15 × 15 cm), dont certaines sont placées en boutisse et dont les montées en assises ne correspondent pas à celles des autres, et blocs de pisé irréguliers dans la partie supérieure conservée. inversement, les deux pièces de la moitié sud-est, numérotées 3 et 4, étaient reliées par une porte aménagée au centre du mur qui les séparait, de 1,20 m de largeur environ, dont la joue était soigneusement enduite d’un mortier contenant de la paille et piquée, depuis l’incendie, par des éclats de cendre et de charbon. C’est le seul endroit du bâtiment où la circulation entre les différentes salles est attestée ; la pièce 2, qui a été entièrement dégagée et dont on a pu suivre les murs, n’ouvrait pas sur les salles voisines.

Le sol de ces locaux est construit sur le sol vierge après qu’il a été nivelé et par endroit surmonté d’une couche de remblai pour égaliser la zone. il est composé d’un dallage de briques, recouvert d’une couche de mortier de même nature que celui qui pare les murs ; on le retrouve vitriié par la chaleur de l’incendie. Les briques sont disposées de façon irrégulière, accusant de forts décalages entre les rangées ; des morceaux de briques, aux bords parfois rabotés, comblent certains joints. Ce sol de briques a été coupé contre la paroi du mur de refend de la pièce 1, mais aucun enduit n’a été posé dessus par la suite. L’incendie s’est peut-être produit peu après ces travaux de réaménagement. Le sol de la pièce 6, dans la rangée nord, est dépourvu de dallage. Le sol de fonctionnement, sur lequel reposent les cendres et qui remonte le long des murs, scelle un remblai parfaitement homogène, disposé sur un premier sol manifestement non utilisé.

Quant au toit, on en a retrouvé les restes brûlés, mais fossilisés à l’état de cendres au-dessus de la pièce 2, où il s’était effondré au moment de l’incendie (igure 4). Il se trouvait enfoui sous les couches de destruction des murs, plus dures et compactes que les cendres volatiles et fragiles sur lesquelles il reposait. on a d’abord retrouvé les débris parcheminés d’une natte de végétaux, puis, en 1999, les cendres de ce qui paraît avoir été une poutre porteuse de direction est-ouest, à environ 2,30 m du mur nord de la pièce. Les inspections ines des années suivantes ont montré qu’elle suppor-tait des poutres secondaires placées dans le sens nord-sud tous les 40 cm environ, bien visibles et conservées sur plusieurs mètres de long dans l’angle sud-ouest et le long des murs où la température a été moins forte. des branchages étaient disposés par-dessus tous les 10 à 20 cm, le tout formant une sorte de treillage sur lequel se

CHarLotte BaratiN / LauriaNNe martiNez-sève

378 Figure 3 – Fouilles en cours au nord des pièces 2 et 3, vues du sud. Descente entre les fondations de piliers de la mosquée d’époque islamique.

Figure 4 – Toit effondré et conservé à l’état de cendres compactes dans la pièce 2. On distingue l’empreinte des briques ainsi que l’emplacement des longues poutres secondaires de direction nord-sud.

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Le GreNier GreC de samarKaNd

trouvait la natte. des briques, de même format que celles des murs, étaient placées ensuite de manière jointive pour limiter les iniltrations d’eau par les interstices ; elles étaient complètement pourries par les eaux de pluie. une seconde poutre maîtresse a été repérée plus tard au centre de la pièce.

on a retrouvé deux accès à l’extérieur, dans les angles sud-ouest des pièces centrales de la rangée sud (nos 2 et 3). Le bâtiment était partiellement enterré à cet endroit : ces portes ouvraient donc sur un escalier en colimaçon qui permettait d’accéder aux niveaux supérieurs. Ces escaliers, aux parois formées de loess tassé sous l’enduit qui les reliait aux murs, suivaient apparemment la pente de loess sans contrainte de structure. Celui de la pièce 3 forme un étroit colimaçon : on a retrouvé les éléments de quatre marches formées d’une assise de briques chacune, avec deux ou trois tournants successifs à angle droit. La première marche de celui de la pièce 2 était formée de trois assises de briques dont l’agencement était lié au mur qui la jouxtait à l’ouest, puis d’une épaisse couche de mortier. un curieux décrochement aménagé vers l’est, qui a la forme de deux petites marches, suggère l’aménagement d’une sorte de palier (igure 6). Au-delà des premières marches de ces escaliers, toute trace d’un éventuel niveau d’occupation contemporain plus au sud est détruit par une série de fosses. Le premier escalier donnait donc accès aux pièces 3 et 4 qui communiquaient entre elles, le second à la pièce 2. Les accès aux autres locaux n’ont pas été retrouvés.

Figure 5 – Partie nord du chantier à la in de la saison 2001, vue du sud-est. Au premier plan, les pièces 2 et 3 ; les fondations de piliers de la mosquée sont bien visibles à l’arrière.

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Les réserves

Le bâtiment servait d’entrepôt pour des denrées périssables. des restes de céréales, orge et millet, ont été identiiés dans quatre des pièces de l’édiice, dont le contenu a pu être sondé et analysé5. Les pièces 1 et 2, au sud-ouest, contenaient du millet, la pièce 3 et la pièce 5, de l’orge.

Les amas de millet étaient jetés à même le sol, et les couches s’épaississaient le long des murs. Les analyses ont montré qu’il s’agissait de panicum miliaceum, autre-ment dit « millet commun », la variété de millet la plus répandue de la Chine du nord à l’europe occidentale, que l’on cultive en agriculture irriguée. C’est une céréale qui ne germe pas, aussi était-elle de conservation facile, d’autant que l’on pouvait la stocker plus de dix ans : Philon d’alexandrie recommandait d’en conserver dans

5. Les analyses ont été réalisées par Georges Willcox, au Centre d’agriculture Préhistorique de Jalès (Gremo).

Figure 6 – Axionométrie de la porte située au sud-ouest de la pièce 2, et de l’escalier sur lequel elle ouvrait (restitution : L.-H. Bourillon). En témoin, l’emplacement avant son dégagement, vu du nord-ouest.

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les édiices publics et privés6. elle jouait un rôle fondamental dans l’alimentation des populations d’asie centrale et constituait une ressource particulièrement adaptée à la vie de garnison et pour affronter l’éventualité d’un siège. À samarkand même, tabari raconte qu’au moment du siège de la ville par Qutayba, au viiie siècle, les défenseurs de samarkand utilisaient des sacs de millet pour colmater les brèches qui se créaient dans les remparts du fait des bombardements7. on estime que les pièces du grenier de samarkand, en restituant une hauteur de plafond de 2,5 m et tenant compte de l’espace nécessaire à la circulation, pouvaient en contenir jusqu’à 75 tonnes.

L’orge, d’un type probablement destiné davantage aux chevaux qu’à l’alimenta-tion humaine, a été retrouvée sous forme concassée. dans la pièce 3, l’orge mondée se présentait en poches carbonisées, traces, sans doute, des sacs qui la contenaient. tout autour, des cendres multicolores couvraient le sol et remontaient le long des murs en nuances vertes, bleues, oranges, rouges, jaunes, grises ; peut-être était-ce là d’autres denrées alimentaires, mais elles n’ont pu être identifiées. il n’a pas été possible non plus de retrouver l’origine des cendres grises et blanches de la pièce 4. L’orge, comme le millet, représentait une grande part de l’alimentation des soldats ; à l’époque achéménide, le gruau d’orge nourrissait aussi bien les soldats et les esclaves que les chevaux, et les rations étaient comptées (amigues 2003, notamment p. 24-36).

dans la pièce 5, enfin, au nord-ouest, dont le contenu n’a pas brûlé, une fine couche de matière organique couvrait le sol, peut-être les restes d’une natte ou d’un tapis de foin.

incendie

Le bâtiment a été ravagé par un violent incendie qui a consumé les céréales, rougi les murs et cuit les briques, provoquant son effondrement partiel et le vouant à l’abandon. Les températures atteintes ont été si importantes que le sol s’est vitriié, puis le bas des murs sur près de 80 cm de haut parfois.

C’est dans la pièce 3, sans doute, que l’incendie s’est déclenché. C’est là en tout cas, à proximité du mur qui séparait cette pièce de sa voisine à l’ouest, que les tempéra-tures les plus hautes ont été atteintes. Le mur ne s’est conservé que sur une dizaine de centimètres de haut, alors qu’il remonte sur près d’un mètre plus au sud. Le mur paraît être en partie tombé vers l’ouest, comme sous le coup d’une forte explosion, et pour le reste réduit en poussières. Les couches de destruction correspondantes contiennent des fragments de briques que la chaleur a rendues multicolores et dures comme du béton. Le sol est davantage vitriié à cet endroit que dans les autres pièces, et les briques du dallage qui se trouvait au dessous ont été pulvérisées. on peut supposer qu’une explosion, provoquée par la concentration du gaz comme il s’en

6. Philon de Byzance, Syntaxe mécanique, v, B, 1 ; voir la traduction et le commentaire de Y. GarLaN, Recherches de poliorcétique grecque, Paris, 1974.

7. tabari ii 1244 = The History of al-Tabari, an annotated translation, XXiii, albany, 1985, p. 192.

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produit parfois dans les silos, a souflé le mur vers l’ouest, déclenchant un violent incendie qui s’est communiqué aux pièces voisines. au bout de la pièce, l’escalier a manifestement créé un appel d’air et ses abords présentent aussi des traces de très fortes températures. Les parties supérieures du mur méridional, retrouvées en débris dans la pièce, sont elles aussi constituées de briques dures et multicolores, mais leur aspect feuilleté, avec des traces de coulure d’eau, suggère qu’elles sont tombées plus tard, au moment de l’érosion du bâtiment. Les températures ont été moins importantes dans la pièce 4, à l’est : le mur qui forme la façade orientale du bâtiment est dans l’ensemble moins brûlé, même si le sol vitriié remonte le long de sa surface et que l’on a retrouvé certaines parties du mur effondrées et rougies. La chaleur semble s’être surtout transmise vers le nord, dans la pièce 6, en courant par le sol le long du mur occidental de la pièce 3 : le remblai du sol a en effet rougi, les cendres de la pièce sont parfois noires, parfois réduites à une poudre blanche sous l’effet de températures plus intenses, mais les briques retrouvées plus haut, correspondant à la destruction des murs, ne sont pas brûlées. dans la pièce 7, le contenu était calciné, mais le mur qui fermait la pièce au nord, dont on a retrouvé une partie, n’avait pas rougi. Le feu n’a pas atteint la pièce 5, à l’extrémité nord-occi-dentale du bâtiment : son contenu, retrouvé dans un étroit sondage, n’a pas brûlé, ni l’appareillage du sol.

après L’incendie

Les vestiges de l’incendie présentent diverses traces d’intervention, pendant le sinistre ou peu après, qui ont fait l’objet d’hypothèses de notre part.

ainsi, on a sans doute provoqué intentionnellement l’effondrement du toit en faisant tomber les poutres maîtresses, dans une tentative désespérée d’étouffer l’incendie. C’est ainsi en tout cas que l’on peut expliquer l’aspect du toit tel que nous l’avons retrouvé dans la pièce 2, tombé en une seule fois et de manière si régulière que sa structure n’en a pas été affectée, sauf à proximité des poutres principales, du fait de la chute. Cette opération n’a pas stoppé l’incendie ni préservé les céréales des lammes.

dans cette partie sud-occidentale du bâtiment, les débris n’ont pas été perturbés et les niveaux de réoccupation sont situés nettement plus haut dans l’étagement stratigraphique. dans la partie sud-orientale, en revanche, dégagée elle aussi, les niveaux de destruction ont manifestement été dérangés à une époque proche du sinistre. outre le fait qu’il ne reste aucune trace du toit à cet endroit, ce qui peut s’expliquer par l’effet de l’explosion qui en a dispersé les éléments, il semble que des sondages ont été effectués pour déterminer l’étendue des dégâts. on trouve en effet les traces de ce qui ressemble à une grande excavation postérieure à l’écroulement du bâtiment, bien visibles en particulier contre le mur qui sépare les pièces 3 et 4. Le niveau à partir duquel elle a été creusée est antérieur à celui que l’on identiie comme le deuxième niveau d’occupation hellénistique, mais l’opération n’a pas eu

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lieu immédiatement après le sinistre : les couches de destruction sont en effet surmontées de couches d’argile feuilletées par des eaux stagnantes, entre lesquelles on distingue deux niveaux de sols, témoignant d’une période d’abandon de la zone (igures 7-8).

Figure 7 – Coupe stratigraphique de la paroi sud de la pièce 4, jusqu’à la limite orientale du chantier en 2002 (© Ch. Baratin, L.-H. Bourillon).

on associe aux mêmes travaux le percement à travers les couches de destruction de la pièce 4 d’une cavité parfaitement rectangulaire, d’orientation est-ouest, qui a mis à nu les briques du dallage (igure 9). L’angle nord-est de cette cavité a été creusé dans le mur le plus oriental du bâtiment. Les niveaux correspondant à son sommet sont brouillés par une large fosse d’époque médiévale, mais, comme la perturbation des couches de destruction autour, on peut les associer au niveau d’un important sol de piétinement repéré à divers endroits de la zone, correspondant au niveau d’arasement du mur séparant les pièces 3 et 4 dans les parties les mieux conservées. Curieusement, on ne repère pas de traces d’occupation de ces niveaux creusés dans les débris : les couches qui les remplissent sont constituées des débris mélangés des murs et des céréales calcinées. Les briques mises à nu sont perturbées par endroit par des fosses, qui auraient pu marquer d’éventuels niveaux d’occupation, mais on ne peut en restituer les contours et ni les niveaux d’ouverture.

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Figure 8 – Coupe stratigraphique de la paroi nord des pièces 3 et 4, 2004 (© N. Almazova, Fr. Grenet).

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Ces travaux peuvent être interprétés soit comme une tentative de réoccupation de la zone en silos semi enterrés dans la couche d’effondrement, soit comme des sondages exploratoires destinés à vérifier l’état des ruines en vue d’un possible déblaiement. Les observations les plus récentes incitent à privilégier la seconde hypothèse, mais aucune d’elles n’est véritablement satisfaisante pour expliquer l’aspect étonnant des vestiges. Dans tous les cas, l’édiice a été abandonné et il semble que la zone n’ait été véritablement réoccupée qu’à la période suivante, identiiée comme hellénistique tardive ; le grenier n’a pas été reconstruit, mais il a été remplacé par des structures plus légères, sans doute des habitations.

Figure 9 – Pièce 4 (ex pièce 280) avec, au premier plan, le mur arasé, puis le dallage de briques dénudé, baptisé « sondage des experts » au cours de la fouille. Au fond à gauche, le reste du mur oriental du grenier. À droite en haut de la coupe, la fosse 1212 [cendre] (© Ch. Baratin).

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chronoLogie, fonction et environnement

Le format carré des briques, dont l’usage, à afrasiab, caractérise l’époque grecque, constitue le principal critère de datation du bâtiment. Ces briques sont beaucoup moins épaisses que celles des deux états du rempart grec nord-occidental ; on ne trouve les pareilles que dans les interventions tardives réalisées dans l’enceinte achéménide, que l’on attribue aux premiers occupants grecs : le comblement de la porte d’époque achéménide avant la construction de la poterne grecque à l’endroit de la porte dite de Bukhara, le remplissage de la galerie intérieure du rempart ancien, et la réparation d’une brèche dans la partie sud-est de l’enceinte (rapin 1994 ; Bernard 1996, p. 348-353). on est donc conduit à privilégier une datation haute pour la construction de ce bâtiment, en lien avec l’installation des premiers occupants grecs dans la ville. Les trouvailles sont très peu nombreuses, mais elles ne contredisent pas cette hypothèse. Les tessons de céramique proviennent presque exclusivement de la maçonnerie où ils étaient pris et, en dehors de quelques formes, caractéristiques du début de l’occupation grecque, ils correspondent aux assemblages d’époque achéménide constitués sur le site8.

La taille, le contenu, et la position de ce local sur la ville haute, à l’abri des rem-parts, laissent penser que l’édiice était une propriété publique et que l’on y stockait les produits nécessaires à l’alimentation des Grecs, peut-être les premiers garni-saires installés dans la ville. Les gigantesques réserves que l’on pouvait y constituer leur assuraient sans doute, le cas échéant, une autonomie alimentaire pendant une longue période, d’autant que sa position semi enterrée assurait une certaine fraîcheur aux denrées qu’il contenait. L’absence de traces de réfection du bâtiment ainsi que l’absence de couche d’accumulation sur le sol – encore que ce dernier détail puisse témoigner du soin mis à son entretien – suggèrent une durée d’utilisation relativement courte avant l’incendie qui l’a ravagé.

de ces Grecs installés dans la ville, on n’avait jusque là trouvé que peu de traces concrètes, hormis les diverses interventions sur le rempart d’époque achéménide que nous venons de mentionner et l’édiication, par la suite, d’une nouvelle enceinte. À la suite des travaux menés aux abords de la porte de Bukhara, on avait cherché en vain à localiser d’éventuels quartiers résidentiels grecs dans la partie nord-occiden-tale du site. Leur existence était pourtant suggérée par la céramique de type grec retrouvée en abondance lors de différents sondages effectués dans cette zone par nos prédécesseurs soviétiques, puis par nos premières équipes, sans jamais toucher

8. B. Lyonnet, à partir du rapprochement des trouvailles de céramique sur la site avec le tessonnier constitué à aï Khanoum, a montré qu’ils se répartissaient en deux groupes bien distincts, qui pouvaient correspondre à deux phases d’occupation grecque séparée par une période assez longue. La première fournit un assemblage constitué de matériel achéménide auquel se mêle un petit ensemble de formes peu variées et fonctionnelles, correspondant à ce que l’on attendrait d’une vaisselle de garnison (Lyonnet 1998 [2001]). Pour la chronologie, voir aussi martinez-sève 2003.

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de constructions en dur (Bernard, Grenet, isamiddinov et al. 1991, p. 292-293). Le grenier constitue donc pour l’instant le premier témoignage concret de la vie des premiers occupants grecs de la ville.

Les explorations faites aux abords immédiats du bâtiment ont montré que seule la zone qui le jouxtait à l’est, le long de la pente du ravin et au-delà, pouvait offrir des renseignements sur les niveaux d’occupation contemporains. des traces d’occupa-tion rudimentaire de la pente orientale du ravin à l’époque hellénistique avaient été retrouvées plus au nord, sur le chantier de la porte de Bukhara (rapin 1994, p. 557-558). Les restes avaient été interprétés comme les débris de huttes de branchages ; une d’entre elles contenait des pesons de tisserands modelés en argile de formes variées. Le caractère précaire de ces habitations avaient fait supposer qu’étaient établis là les ouvriers engagés à la construction du rempart ou à la voirie pour le grand remblai dont on a recouvert les structures du corps de garde de la porte durant le iiie siècle. sur notre chantier, contre la façade orientale du grenier, la pente avait été aménagée en terrasses régulières. trois d’entre elles ont été dégagées. elles étaient consolidées par des structures grossières en briques ou en pisé disposées verticalement contre le loess naturel creusé et tassé. toutes présentaient plusieurs niveaux de sols, suggérant une occupation prolongée. Ceux de la seconde terrasse à partir du grenier présentaient une surface irrégulière et feuilletée en nappes d’argile, caractéristique des surfaces extérieures soumises aux écoulements d’eau. Ces niveaux supportaient des débris de structures légères en briques, aujourd’hui indistinctes, et on y a retrouvé des foyers et des traces nettes de combustion. Parmi les trouvailles, des ensembles de pesons de tisserands en argile aux contours arrondis, un aiguisoir, des pierres à broyer ; le matériel céramique qui a été collecté est de type grec, en particulier un chaudron à petits tenons et lèvre plate, que B. Lyonnet juge caractéristique des assemblages de céramique grecque les plus anciens.

Cette exploration mérite d’être prolongée vers l’est, en suivant la remontée du terrain. À une cinquantaine de mètres de là, le sol vierge se situe environ 4,50 m plus haut qu’au niveau du grenier ; l’ancien sondage qui a permis de réaliser cette mesure a fourni de la céramique de type grecque, et un bel alabastre a été exhumé lorsque nous nous sommes employés à le rafraîchir. des découvertes futures pourraient donc contribuer à préciser notre connaissance de la samarkand hellénistique.

références bibLiographiques

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issN : 1270-9247isBN : 978-2-7018-0347-0

L’archéologie est une discipline scientiique, complexe mais de plus en plus précise, dont l’objectif essentiel est de mieux connaître l’Homme et la société, depuis la Préhistoire jusqu’à l’époque moderne, grâce à l’étude des éléments matériels mis au jour (édiices, infra-

structures, poteries, outils, armes, ossements...). L’archéologue, dans une approche diachronique, trouve l’essentiel de sa documentation grâce à des travaux de terrain (prospections, sondages, fouilles, voire études de collections). Les résultats permettent de mettre en lumière une culture ou une civilisation, une ou des population(s), les étapes d’un passé méconnu.

L’Histoire de l’Asie centrale est complexe et jalonnée d’épisodes mouvementés. La grande diversité géographique et orographique en a fait un lieu privilégié où se sont développés de grandes civili-sations et de puissants empires, dont il nous reste encore beaucoup à découvrir : la civilisation de l’Oxus, les empires des Achéménides, d’Alexandre le Grand, des Kouchans, des Sassanides, des Turcs, des Arabes, des Mongols...

Il y a douze ans, le numéro IX des Cahiers d’Asie centrale publiait les résultats des découvertes

archéologiques françaises réalisées dans cette région. Cette abondante moisson prenait en compte un immense travail initié par Jean-Claude Gardin en 1979. Aujourd’hui, ce nouveau numéro double des Cahiers ampliie notre connaissance de l’Asie centrale grâce aux trente deux articles pluri-disciplinaires associant les sciences humaines et sociales aux sciences de la terre ; et il nous fait découvrir les résultats des recherches archéologiques menées depuis plus de trois décennies, mettant en exergue le travail scientiique et la méthodologie, l’excellente coopération entre les chercheurs centrasiatiques et français, le souci de formation et de valorisation. Et nous espérons qu’au fil des pages l’archéologue, l’historien ou les lecteurs avertis trouvent dans cet ouvrage les éléments d’une histoire pluridisciplinaire, constamment enrichie.

julio Bendezu-sarmiento est docteur en archéologie et bioanthropologie, chargé de recherche au CNRS.

Il travaille en Asie centrale où il codirige plusieurs missions archéologiques entre l’Ouzbékistan et

le Turkménistan. Il a été secrétaire scientiique et directeur par intérim de l’Institut français d’études sur l’Asie centrale (IFEAC) de 2007 à 2009 ; il est actuellement directeur adjoint de la Délégation archéologique

française en Afghanistan (DAFA).


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