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La Justice Outre mer: justice du lointain, justice de proximité

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LA JUSTICE OUTRE-MER : JUSTICE DU LOINTAIN, JUSTICE DE PROXIMITÉ Régis Lafargue E.N.A. | Revue française d'administration publique 2002/1 - no101 pages 97 à 97 ISSN 0152-7401 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2002-1-page-97.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lafargue Régis, « La justice outre-mer : justice du lointain, justice de proximité », Revue française d'administration publique, 2002/1 no101, p. 97-97. DOI : 10.3917/rfap.101.0097 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour E.N.A.. © E.N.A.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 175.158.149.104 - 30/09/2014 10h25. © E.N.A. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 175.158.149.104 - 30/09/2014 10h25. © E.N.A.
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LA JUSTICE OUTRE-MER : JUSTICE DU LOINTAIN, JUSTICE DEPROXIMITÉ Régis Lafargue E.N.A. | Revue française d'administration publique 2002/1 - no101pages 97 à 97

ISSN 0152-7401

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2002-1-page-97.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Lafargue Régis, « La justice outre-mer : justice du lointain, justice de proximité »,

Revue française d'administration publique, 2002/1 no101, p. 97-97. DOI : 10.3917/rfap.101.0097

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LA JUSTICE OUTRE-MER : JUSTICE DU LOINTAIN,JUSTICE DE PROXIMITÉ

Régis LAFARGUE

MagistratMaître de conférences associé à l’Université Paris X-Nanterre

Le service public judiciaire dans le contexte de l’outre-mer doit souvent composeravec les particularismes sociologiques et la structure communautaire de nombreusessociétés insulaires. Ces particularismes sont parfois corroborés par un principe d’altéritéjuridique résultant de la combinaison de statuts territoriaux « à la carte » et/ou de statutspersonnels — visés à l’article 75 de la Constitution — qui subsistent dans troiscollectivités : Mayotte 1, la Nouvelle-Calédonie 2 et Wallis-et-Futuna.

Les statuts territoriaux constituent le cadre général de l’action judiciaire en ce qu’ilsimposent soit un principe d’identité législative (DOM) soit, à l’inverse, un principe despécialité législative (TOM et POM). Toutefois, dans le cas de certains TOM, deuxcontraintes coexistent, imposant une approche communautaire du droit : la première, quiva dans le sens de l’altérité, tient à l’existence du statut personnel de droit particuliervisant la communauté autochtone, tandis que la seconde impose, au contraire, un principed’assimilation à l’égard du groupe de population relevant du statut civil de droitcommun. Cette dernière contrainte résulte de la loi du 9 juillet 1970 3 qui impose unprincipe d’identité législative en matière de droit des personnes et de la famille. Cettedisposition législative réaffirme a contrario l’existence d’une frange de la population quiéchappe à l’application — totale ou partielle — des règles du code civil, mais à laquelles’impose une norme pénale d’application générale et uniforme 4.

Au-delà de cette double spécificité, qui conduit à une « territorialisation » variablede la norme juridique applicable, la justice outre-mer est confrontée aux mêmes défis queceux que rencontre l’institution judiciaire sur le reste du territoire national. Elle doit en

1. Loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, articles 59 et s., JO, 13 juillet 2001, p. 11199.2. Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, articles 7 et s., JO,

21 mars 1999, p. 4197.3. Loi n° 70-589, du 9 juillet 1970, relative au statut civil de droit commun dans les territoires

d’outre-mer, JO, 10 juillet 1970, p. 6459.4. Lafargue (R.), « La distinction du droit à la différence en droit civil et en droit pénal », in :

Faberon (J.-Y) et De Deckker (P.) (dir.), L’État pluriculturel, Bruxelles, Bruylant, 2003.

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outre compter avec l’isolement lié à l’insularité. Cette contrainte s’est révélée, notam-ment, lors de la mise en œuvre de la loi du 15 juin 2000 5, qui a imposé la« mutualisation » des moyens entre juridictions de taille modeste 6. Elle a d’abord mis enévidence les difficultés rencontrées par les tribunaux de première instance de Mamou-dzou (Mayotte), Saint-Pierre-et-Miquelon et Mata-Utu (Wallis-et-Futuna) pour instaurerle juge des libertés et de la détention, compte tenu de leurs effectifs 7. Le juge deWallis-et-Futuna est ainsi le dernier juge d’instruction pouvant encore incarcérer un misen examen, pour une durée de sept jours maximum, le temps d’organiser le transfèrementet la comparution de ce dernier devant le juge des libertés et de la détention du tribunalde Nouméa, à 2 000 kms de là 8. La loi du 15 juin 2000 a aussi été aménagée en ce quiconcerne la composition de la juridiction régionale de libération conditionnelle (JRLC),présidée en principe par un conseiller de la cour d’appel et comprenant deux juges del’application des peines du ressort. Là où la cour d’appel (Papeete, Nouméa, Mayotte,Saint-Pierre-et-Miquelon) ne compte qu’une seule juridiction du premier degré et doncun seul juge de l’application des peines, la JRLC comprend donc deux conseillers de lacour d’appel 9.

Cette loi a révélé l’inadéquation entre les ambitions et les moyens d’un servicepublic judiciaire qui cumule la faiblesse des effectifs et un isolement géographique quirendait d’ores et déjà le principe de la collégialité difficile à respecter. Dans les territoiresou pays d’outre-mer, là où subsistent des tribunaux de première instance, les juridictionsciviles statuent toujours à juge unique 10.

Au plan pénal l’exigence de collégialité impose aux juges de Nouméa et de Papeeted’aller siéger dans les sections détachées lors des audiences correctionnelles. ÀWallis-et-Futuna le président de cette juridiction ne disposant pas d’assesseurs profes-sionnels a recours à des échevins, mais il est remplacé par un juge venant de Nouméalorsqu’il a lui-même instruit l’affaire renvoyée devant le tribunal correctionnel, à défautde pouvoir à la fois instruire et juger la même affaire.

Au-delà des adaptations structurelles qui renvoient à l’exercice du volet classiquedes activités juridictionnelles, c’est la nature et l’approche des contentieux qui retiennentplus particulièrement l’attention. L’outre-mer fournit une illustration pertinente despotentialités que recèle une justice de proximité. Les juges du lointain ont été lespremiers confrontés à l’exigence d’une approche différente imposant parfois l’adaptationdes procédures. À la lumière de cette expérience, si la création des juges de proximitépeut apparaître, dans l’immédiat, comme une solution technique à l’engorgement destribunaux d’instance, elle risque fort de dépasser cet objectif pour accompagner, voirefavoriser le glissement communautaire de notre société.

5. Loi n° 2000-516, du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droitsdes victimes, JO, 16 juin 2000, p. 9038.

6. Loi n° 2000-1534 du 30 décembre 2000, tendant à faciliter l’indemnisation des condamnés reconnusinnocents et portant diverses dispositions de coordination en matière de procédure pénale, JO, 31 décembre2000, p. 21191.

7. Quatre magistrats du siège à Mamoudzou, dont le président et le juge d’instruction, deux àSaint-Pierre-et-Miquelon, et un seul à Mata-Utu où le président, faisant fonction de juge d’instruction, ne peutêtre juge des libertés et de la détention.

8. Article 823 al. 1er du code de procédure pénale.9. Article 722-1-1 du code de procédure pénale.10. À Papeete (outre ses sections détachées de Nuku-Hiva, et Raïatea), à Nouméa (outre les sections

détachées de Koné et de Lifou) et à Wallis-et-Futuna où non seulement la collégialité n’existe pas en matièrecivile, mais où elle a dû être aménagée pour être effectivement mise en œuvre en matière pénale.

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Situé aux confins géographiques et juridiques, l’outre-mer a longtemps été perçu, demétropole, comme le cadre d’une justice du lointain. Vue de l’outre-mer, cette justice estle symbole d’un État tout aussi distant dont elle défend la souveraineté, tout en cherchantà prendre en considération la dimension communautaire et la culture des sociétés danslesquelles s’inscrit son action. L’action judiciaire présente donc deux visages. Mais plusque le fond, c’est la méthode qui fait d’abord l’intérêt d’une justice qui fournit, par lavariété de territoires éparpillés sur quasiment tous les océans du monde, un cadre pourl’expérimentation de nouvelles réponses judiciaires.

DE L’APPROCHE DIFFÉRENTE À L’EXPÉRIMENTATION DENOUVELLES RÉPONSES JUDICIAIRES

L’outre-mer est, par sa variété géographique et culturelle, un laboratoire pourl’expérimentation de procédures nouvelles. L’expérience des maisons de justice et dudroit à la Réunion, et le développement de l’échevinage en Nouvelle-Calédoniesoulignent l’intérêt suscité par des formes de justice plus « participative », modèle auquelrenvoie le projet actuel de création des « juges de proximité ». Cette vocation estrenforcée, en matière pénale, par la nécessité de développer les dispositifs de préventionface au péril que constitue l’explosion de la délinquance juvénile. L’outre-mer intéressedonc la politique judiciaire de la ville et, en son sein, l’action de la protection judiciairede la jeunesse.

Prévention de la délinquance et politique de la ville

La justice des mineurs, observatoire privilégié des crises en devenir, révèle lescarences induites par l’étroitesse du marché du travail, qui obère l’insertion sociale desjeunes, le consumérisme et l’urbanisation de masse qui génèrent une délinquancejuvénile de plus en plus violente. Ces facteurs expliquent un taux d’incarcération desmineurs plus élevé qu’en métropole, avec le recours à des « réponses » judiciaires fortes,sinon même plus fortes qu’ailleurs en écho aux alarmes d’une opinion publique trèssensible au phénomène d’insécurité.

1°) La protection judiciaire de la jeunesse et les diffıcultés d’adaptation dessociétés d’outre-mer

Pour les observateurs privilégiés de la réalité sociale que sont les chefs des servicesde la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) 11, les facteurs de crise observés dans lesbanlieues métropolitaines sont aggravés outre-mer. Ces collectivités ont ainsi reproduit,quelques décennies après, les travers qui ont affecté l’urbanisation de masse enmétropole. À la Réunion, la commune du Port et celle de Saint-Louis concentrent des

11. Rencontrés le 5 juin 2002 au ministère de la justice à l’invitation de M. Baffray, directeur régionalde l’outre mer (DRPJJ).

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populations dans des zones que ne recoupent aucun bassin d’emploi. Sont ainsi apparuesdes poches de pauvreté évoluant rapidement en zones de non-droit où se développe uneéconomie souterraine. Ces difficultés sont amplifiées par la démographie 12. À celas’ajoute le sentiment d’une concurrence « déloyale » faite aux réunionnais de souche parl’immigration malgache, comorienne, mais aussi mahoraise. Pour la Guadeloupe, leconstat est similaire : 450 000 habitants, une démographie galopante, une délinquancedes mineurs en hausse, et le développement du trafic de crack. Les frustrations liées auchômage et aux inégalités sociales sont exacerbées par une immigration en provenancede Haïti ou de la Dominique.

Les mêmes erreurs, qui ont marqué le développement des banlieues en métropole,ont été reproduites outre-mer. C’est cette impréparation que tente de corriger la politiquede la ville à laquelle participe, aux côtés des autres services de l’État, une protectionjudiciaire de la jeunesse dotée de moyens renforcés.

2°) Le développement des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)et le recours à des partenariats plus larges

L’action de la PJJ s’étend sur les quatre premiers départements d’outre-mer(Guyane, Guadeloupe, Martinique, Réunion) outre Saint-Pierre-et-Miquelon, etMayotte 13. Ailleurs, la protection judiciaire de la jeunesse relève de la compétence desgouvernements locaux de Polynésie ou de Nouvelle-Calédonie (depuis 2001 pour cettedernière). Seul le territoire de Wallis-et-Futuna demeure, à ce jour, dépourvu de ce typed’administration.

Les moyens en personnel, longtemps sous-évalués, ont quasiment doublé sur lestrois dernières années pour atteindre aujourd’hui un niveau d’encadrement et d’offre deservices, comparable à celui de la métropole. La Réunion, la plus peuplée de cescollectivités, reste la mieux dotée 14, suivie de la région Antilles-Guyane. La Réunion aégalement vu quasiment doubler le nombre des juges pour enfants sur la période2001-2002.

La protection judiciaire de la jeunesse agit comme partenaire des autres servicesd’État. Ainsi, à la Guadeloupe, une réunion hebdomadaire, autour du préfet, des servicesconcernés — police, justice (parquet et PJJ), éducation nationale — permet de détermi-ner les priorités et d’orienter le déploiement des moyens sur le terrain en ciblant des lieuxet des actions prioritaires. Ces actions voisinent avec de grands projets de réhabilitationdu bâti, tel celui du « Grand projet ville » intéressant les localités de Pointe-à-Pitre etAbymes.

La justice par le biais de la PJJ, mais plus encore du parquet, participe à la définitionde la politique de la ville. C’est dans ce cadre que sont apparues les maisons de justiceet du droit en métropole, comme outre-mer. Mais celles-ci ont parfois échappé au cadretrop restreint fixé par les objectifs initiaux. Ainsi, les maisons de justice et du droit à laRéunion ont été transcendées par une demande émanant de justiciables désireux d’ytrouver un juge de paix, qualifié « juge pays ». Cette expérience quitte le terrain de la

12. À la Réunion, un tiers des 700 000 habitants a moins de vingt ans, et dans une localité telle que LePort un jeune sur deux en âge de travailler est touché par le chômage. Le constat est identique à Saint-Louis.

13. Qui se trouve du fait de la réforme statutaire sur la voie, d’ici 2010, d’un complet alignement sur lesstructures métropolitaines.

14. Les effectifs du secteur public s’élèvent à environ une centaine d’agents pour l’Île de la Réunion,60 agents à la Guadeloupe, 50 agents à la Martinique, et 40 en Guyane.

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politique de la ville pour susciter une expression nouvelle de l’action judiciaire,préfigurant les tous nouveaux « juges de proximité ».

Les nouvelles formes de l’action judiciaire : justice de proximité et échevinage

1°) Les maisons de justice et du droit à la Réunion : les « juges pays », un dispositifjudiciaire réapproprié par le corps social

Pratiquement contemporaines des premières expériences lancées en 1990 enmétropole (au TGI de Pontoise) les quatre premières maisons de justice et du droit (MJD)à la Réunion virent le jour en 1991 15 suivies de trois autres l’année suivante. Elles sontau nombre de 27 aujourd’hui, réparties sur les ressorts de quatre tribunaux d’instance. Cesuccès tient au fait que les MJD sont apparues dès leur lancement comme particulière-ment adaptées à la structure communautaire de la société réunionnaise 16. Elles furentrapidement modelées par les acteurs locaux, et réappropriées par un tissu socialdynamique. La langue traduit à merveille cette réappropriation : pour les créolophones,les « médiateurs conciliateurs » sont des « juges pays », terme qui souligne une justicemoins technicienne comprenant la langue du justiciable et exprimant mieux ses attachescommunautaires.

À la Réunion, le succès des MJD souligne une vocation spécifique qui interdit de lesconsidérer comme des sortes de tribunaux « du pauvre ». Elles ne pallient pas unmaillage judiciaire insuffisant puisqu’elles « doublent » souvent les juridictions existan-tes à proximité desquelles elles sont installées, traduisant une attente : le besoin d’unvéritable juge de paix dont la crédibilité sera d’autant plus forte qu’il sera un homme dulieu (notable ou non) au fait des préoccupations de chacun. C’est du moins ce que sembledémontrer la dynamique qui a vu cette institution échapper à ses concepteurs.Initialement, à la Réunion comme ailleurs, la vocation essentielle des MJD était le voletpénal : la médiation. Le volet civil de leur action (la conciliation) n’était perçu quecomme le corollaire du pénal. Ce volet civil n’était donc appréhendé par les « médiateursconciliateurs » que parce que le parquet, à l’origine de cette expérience, décelait souventderrière une infraction pénale un litige civil non traité lequel avait fini par dégénérer entrouble à l’ordre public. Or, contre toute attente, les MJD sont devenues des organes derésolution des conflits civils à la requête et sur saisine directe de plaideurs potentielspréférant s’adresser aux « juges pays » plutôt qu’à la juridiction civile compétente 17.

Ce processus d’affranchissement porté par la demande du plaideur souligne, depuisdes années, le besoin d’un juge de paix dont l’atout majeur sera la connaissance de laculture et la maîtrise de la langue créole. Il souligne aussi l’attrait que présente, pour denombreux justiciables, le règlement amiable des litiges, orientation marquante de laréforme de la procédure civile intervenue en 1998 18.

À l’heure où l’on envisage d’accroître la participation du citoyen à l’œuvre dejustice, l’échevinage conservé dans les TOM (souvent perçu comme le reliquat d’un

15. Saint-Pierre, Le Tampon, Saint-Joseph, et Saint-Leu.16. Les métis ou personnes d’origine africaine représentent 36 % de la population totale, les européens

(« créoles blancs » et métropolitains) 30 %, indiens tamouls, indiens musulmans, et asiatiques, respectivement24 %, 5 % et 4 % de la population.

17. Lafargue (R.), « Les Maisons de justice et du droit à l’Île de la Réunion », Droit et Cultures,décembre 2001, numéro hors série 2001/3 « Droit, justice et proximité ».

18. Loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits.

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système judiciaire suranné) pourrait éclairer le débat sur les vertus et les faiblesses d’unjuge de proximité intervenant, en matière pénale, dans le traitement des contraventions.Depuis 1990, la Nouvelle-Calédonie expérimente un échevinage inédit : des citoyens ycomplètent le tribunal correctionnel dans ses formations collégiales.

2°) L’échevinage en matière pénale : l’exception néo-calédonienne

La Nouvelle-Calédonie comme la Polynésie sont des terres de prédilection pourl’échevinage avec des tribunaux du travail et des tribunaux mixtes de commerce oùsiègent côte à côte magistrats professionnels et échevins. Cependant, en Nouvelle-Calédonie existe, depuis la loi du 13 juin 1989 19, un échevinage sans équivalent ailleurs.Cette loi institue des « assesseurs civils » qui transmettent à la juridiction la sensibilitéde la société néo-calédonienne 20.

Ces assesseurs en matière pénale ne doivent pas être confondus avec les « asses-seurs coutumiers » qui composent, en Nouvelle-Calédonie, les juridictions civiles qui ontà connaître de conflits opposant des personnes dont le statut personnel est le statut civilcoutumier kanak. À la différence des « assesseurs coutumiers » prévus par l’ordonnancedu 15 octobre 1982 21 — qui appartiennent tous à l’ethnie mélanésienne et relèventnécessairement du statut de droit particulier — les citoyens qui composent les juridic-tions pénales, recrutés à partir des listes électorales, représentent la diversité ethnique dupays.

Mais à l’instar des « assesseurs coutumiers » des formations civiles, les deux« assesseurs civils » qui complètent les juridictions pénales ont voix délibérative etparticipent à la prise de décision d’égal à égal avec les trois magistrats professionnels. Ilstraduisent une avancée de la « territorialisation » du droit. Car, force est de constater quesi leur recrutement permet un recrutement ethnique diversifié en ce qui concerne letribunal correctionnel de Nouméa, la proportion de Mélanésiens est plus marquées’agissant du tribunal de Koné. Quant au tribunal correctionnel de Lifou, les assesseurssont exclusivement mélanésiens (la circonscription territoriale de cette juridictioncorrespondant à d’anciennes réserves intégrales).

Cette composition mixte des juridictions correctionnelles, fonctionnant à cinqmagistrats, peut s’interpréter comme une concession à la dimension culturelle, mêmedans un domaine où prévaut un principe d’unité, c’est-à-dire d’uniformité, du droit pénal.L’accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, le confirme en créant une « médiation pénalecoutumière » qui officialise une fonction de contrôle social des autorité coutumières,certes très en-deçà de leur influence réelle 22. La médiation pénale coutumière figureparmi les domaines pour lesquels le Congrès (l’assemblée territoriale) a mandat pourdélibérer et adopter une loi du pays. Lorsque le législateur national transfère une partiede ses compétences au législateur local dans un domaine qui touche à la procédurepénale, peut-on encore parler d’unité du droit pénal ?

19. Loi, n° 89-378, du 13 juin 1989 portant diverses dispositions relatives à l’organisation judiciaire enNouvelle-Calédonie.

20. L’ordonnance n° 92-1150 du 12 octobre 1992 a ajouté au code de l’organisation judiciaire deuxdispositions (articles L. 933-1 et L. 933-2) relatives au recrutement et à la mission de ces assesseurs.

21. Ordonnance n° 82-877 du 15 octobre 1982, JO, 17 octobre 1982, p. 3106.22. En effet, le document d’orientation de l’accord précise que : « Le rôle des autorités coutumières dans

la prévention sociale et la médiation pénale sera reconnu. Ce dernier rôle sera prévu dans les textes applicablesen Nouvelle-Calédonie en matière de procédure pénale » (1.2.4).

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L’outre-mer interroge ainsi nos principes, tout en démontrant que la défense desdroits régaliens de l’État n’interdit pas d’adapter le droit étatique au contexte où il trouveapplication.

UNE ACTION JUDICIAIRE À DEUX VISAGES

L’outre-mer dévoile deux facettes de l’action judiciaire, partie prenante dans ladéfense de la souveraineté d’un État certes lointain mais doté d’intérêts importants (auregard de sa zone économique exclusive) et d’obligations tout aussi essentielles à l’égardde ses citoyens ultramarins qui attendent la prise en compte de réalités locales et socialessouvent dissemblables.

Une justice pénale garante de la souveraineté de l’État : la défense de la zoneéconomique exclusive des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

Garante de la souveraineté de l’État, la justice joue ce rôle en défendant un principed’assimilation en matière pénale alors même qu’un principe de différenciation peut êtremis en œuvre en matière civile sur le fondement de l’article 75 de la Constitution.

Mais cette mission de défense de la souveraineté de l’État apparaît plus nettementencore dans son action à l’égard des zones économiques exclusives, particulièrementcelle d’un territoire relevant des juridictions réunionnaises : les TAAF. Une zoneimmense (sept fois l’étendue du territoire métropolitain) qui présente un enjeu importanten matière de pêche du fait de la présence de légine, poisson très prisé du marchéjaponais, qui attire des navires battant pavillons de complaisance 23. Cette situation aconduit, à partir de la mi-1997, à l’intensification des contrôles de la marine nationale.La justice à la Réunion a dû passer d’une répression peu spectaculaire du pillage artisanalde la ressource à la lutte contre un pillage industriel. Il en est résulté un contentieuxâprement discuté dès lors qu’une loi du 18 novembre 1997 a accru les peines d’amendeencourues, et ajouté une peine de six mois d’emprisonnement (article 11 § II)

La particularité de ce contentieux est de faire intervenir dans une procédure denature pénale, le juge d’instance qui valide, par voie d’ordonnance, la saisie des naviresopérée par les affaires maritimes, et qui autorise la mainlevée de cette saisie contre leversement d’un cautionnement fixé 24 en fonction des pénalités 25. Cette ordonnance estsusceptible d’un recours, devant le tribunal international du droit de la mer siégeant àHambourg 26 avant même l’épuisement des voies internes de recours, afin de garantir lamainlevée à bref délai de la saisie du navire.

23. Armés généralement par des armateurs galiciens (nord-ouest de l’Espagne), lesquels, depuis la basearrière que constitue l’île Maurice, se livrent au pillage systématique de cette ressource.

24. Conformément à l’article 142 du code de procédure pénale.25. Prévues par l’article 4 de la loi du 18 juin 1966, modifié par l’article 11 de la loi du 18 novembre

1997, soit une amende dont le montant maximum est d’un million de francs augmenté de 500 000 F par tonnede poisson pêché au-delà de 2 tonnes.

26. Juridiction instituée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, signée à MontegoBay le 10 décembre 1982, JO, 7 septembre 1996.

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Cette procédure 27 a fait l’objet d’une innovation essentielle, en ce qui concerne leterritoire des TAAF, par la loi du 18 novembre 1997, laquelle souligne la menace pesantsur les ressources halieutiques, et permet une répression accrue. Avant la réforme, lescautionnements limités par le plafond légal ne dépassaient pas 500 000 F. Sous l’empirede la loi nouvelle leurs montants varient en fonction des quantités de poisson pêché et dela valeur vénale du navire, dont aujourd’hui le tribunal correctionnel prononce systéma-tiquement la saisie à titre de peine alternative à l’emprisonnement 28.

Ce contentieux a suscité deux difficultés juridiques, aujourd’hui résolues. Lapremière résulte de l’impossibilité de concilier l’exigence de célérité qu’impose laconvention de Montego Bay et les délais inhérents à une information judiciaire visant àatteindre, au-delà du capitaine du navire, les commanditaires : les armateurs.Aujourd’hui, ceux-ci échappent à la répression, bénéficiant du traitement en urgencequ’impose une norme internationale plus soucieuse de préservation des intérêts écono-miques des armements que de recherche de la vérité.

En témoigne l’affaire du Camouco qui a vu le Tribunal international du droit de lamer ordonner, sur le fondement des articles 73 et 292 de la convention de Montego Bay,la mainlevée de la saisie du navire contre le versement d’un cautionnement ramené à8 millions de francs 29. Cette décision qui ruinait toutes velléités de recherche desresponsabilités dans le cadre d’une information judiciaire, soulignait le caractère suigeneris de la procédure. Elle posait, en effet, un problème de compatibilité avec lesdispositions du code de procédure pénale puisqu’il était ordonné non seulement la fin dela rétention du navire, mais aussi la levée des mesures restreignant la liberté du capitaine,placé sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter le territoire français.

Tirant toutes les conséquences de cette affaire, le parquet de Saint-Denis renonceaujourd’hui à recourir à l’ouverture d’une information, et convoque le capitaine àcomparaître devant le tribunal correctionnel à la première date utile (sous réserve du délaiminimum de 10 jours qu’impose le respect des droits de la défense). Si la responsabilitépénale des armements n’est plus recherchée, ceux-ci sont néanmoins atteints, puisque lapratique courante du tribunal correctionnel est d’ajouter aux amendes encourues, laconfiscation, comme peine alternative à l’emprisonnement, des objets ayant servi àcommettre les faits (le navire notamment). La brièveté du traitement judiciaire permet entout cas de prévenir, désormais, tout recours devant la juridiction internationale.

Cette première difficulté de nature procédurale étant résolue, une autre difficultédemeurait en ce qui concerne la preuve de l’infraction. En effet, même lorsque les faitsde pêche illégale avaient été constatés dans le cadre de la flagrance, la défense contestait

27. Procédure régie par la loi du 1er mars 1888, relative à l’exercice de la pêche dans les eaux soussouveraineté ou juridiction française s’étendant au large des côtes des territoires d’outre-mer, complétée par laloi n° 66-400 du 13 juin 1966 sur l’exercice de la pêche maritime et l’exploitation des produits de la mer dansles TAAF, modifiée par la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l’outre-mer,et enfin la loi précitée du 18 novembre 1997. Le régime des saisies est enfin précisé par la loi n° 83-582 du5 juillet 1983 (JO, 6 juillet 1983, p. 2065), compétée par le décret n° 84-846 du 12 septembre 1984, article 6(JO, 20 septembre 1984, p. 2947).

28. Depuis la fin de l’année 1997, une vingtaine de bateaux ont été arraisonnés, avec des cautionnementsvariant entre 1 et 75 millions de francs pour les onze palangriers arraisonnés entre décembre 1997 et octobre1999. Quatre d’entre eux gisent aujourd’hui par le fond au large de côtes réunionnaises après avoir étéabandonnés par des armateurs dissuadés par le montant des cautionnements, puis confisqués par l’État pour êtreensuite sabordés.

29. Arrêt du 7 février 2000, Panama c/ France. Au lieu des 20 millions de francs que fixait l’ordonnancedu 8 octobre 1999.

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le fait que l’ensemble des prises l’ait été illégalement. La cour d’appel de Saint-Denis-de-la-Réunion retient une présomption de pêche illégale, portant sur la totalité de lacargaison 30, solution validée par la chambre commerciale de la Cour de cassation 31.

Une justice civile aux prises avec des réalités sociales et culturelles spécifiques

L’action judiciaire, pour être crédible, doit parfois savoir accorder les principescontenus dans la norme et les attentes des populations ou les réalités sociologiques. Onpeut distinguer à cet égard les territoires où subsistent des statuts personnels de ceux oùseul le particularisme sociologique a parfois réussi à imposer des adaptations pratiquesau droit civil.

1°) Les territoires où subsistent des statuts personnels

Les statuts personnels prévus par l’article 75 de la Constitution subsistent àWallis-et-Futuna, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. Coexistent ainsi deux systèmesde droit civil correspondant chacun à une communauté régie par sa loi propre. Ce droitpersonnel recouvre en Nouvelle-Calédonie l’ensemble des rapports civils entre person-nes de statut coutumier kanak 32, tandis qu’à Mayotte le droit particulier local nes’applique que « lorsque ces rapports sont relatifs à l’état, à la capacité des personnes,aux régimes matrimoniaux, aux successions et libéralités » 33. L’amplitude de ceparticularisme juridique est donc variable dans ces deux hypothèses. Enfin, à Wallis-et-Futuna, la question n’a même pas lieu de se poser puisque l’arrêté du 20 septembre1978 34 créant des juridictions coutumières, n’est toujours pas mis en œuvre. Ceci nesignifie pas que le droit coutumier n’y soit pas appliqué. Il l’est de façon massive maisen dehors de tout contrôle de la justice étatique. Cette situation, qui évoque celle ayantcours dans certains pays du tiers monde 35, s’explique par la vitalité d’un pouvoirtraditionnel que se partagent au sommet de la hiérarchie coutumière les trois rois deWallis, Alo et Sigave.

La mise en œuvre en matière civile du statut coutumier kanak en Nouvelle-Calédonie s’est traduite par la création, en 1982, de juridictions coutumières composéesd’un magistrat professionnel et de deux assesseurs coutumiers qui ne commenceront àfonctionner qu’en 1990.

30. Dès lors que le bateau a été trouvé sur zone en situation doublement irrégulière pour avoir été surprisen flagrant délit d’action de pêche, mais aussi pour n’avoir pas signalé son entrée dans la zone, en omettantdélibérément de déclarer la quantité de poisson déjà péché auprès du chef de district de l’archipel le plusproche, comme le lui impose l’article 2 de la loi 66-400 du 13 juin 1966.

31. Com. 19 décembre 2000, n° 2173 (pourvoi formé par M. Sigmund capitaine du navire Explorer àl’encontre de l’arrêt rendu, par la cour d’appel de Saint-Denis, le 25 mars 1998). La chambre commerciale dela Cour de cassation considère « qu’il avait été constaté à bord du navire la présence de 81 tonnes de poissonet que le navire avait été surpris en action de pêche sans avoir au préalable signalé sa présence, ni déclaré sontonnage de poisson ; que de ces constatations, la cour d’appel, qui, sans dénaturation, a souverainement déduitqu’elles permettaient de présumer que la totalité des prises avait été illégalement pêchée... ».

32. Selon les termes de l’article 7 de la loi organique du 19 mars 1999.33. Loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001, article 59 alinéa 2.34. Arrêté du 20 septembre 1978, n° 2063, du Haut-commissaire de la République dans l’Océan

Pacifique, portant organisation d’une juridiction de droit local dans le territoire de Wallis-et-Futuna (JournalOffıciel de Wallis).

35. Lafargue (R.), « L’État de droit et le nouveau code des personnes et de la famille en Centrafrique »,Revue juridique et politique indépendance et coopération, n° 1, 1997, p. 49-84.

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À Mayotte des juridictions spécifiques existent de façon ancienne : le Cadi a jusqu’àprésent appliqué le droit coranique aux citoyens de droit particulier. La réforme de cettejustice opérée par la loi statutaire du 11 juillet 2001 favorise un processus d’intégration :désormais, à l’exemple néo-calédonien, le droit particulier sera dit non pas par le Cadistatuant seul mais par une collégialité composée d’un juge professionnel et de deux« cadis assesseurs » 36. La question est de savoir dans quel sens jouera l’intégration, carcette juridiction sera toujours tenue de mettre en œuvre les principes contenus auMinhâdj-at-Tâlibîn 37 et rien n’interdira aux deux « cadis assesseurs » de mettre enminorité le juge professionnel 38. La Nouvelle-Calédonie témoigne, aujourd’hui encore,de ce que le projet de mixité juridique reste l’objectif, même s’il n’est peut-être qu’unleurre : les systèmes juridiques en concurrence étant fondés sur des logiques et desprincipes trop éloignés les uns des autres.

Ces juridictions particulières soulignent le rapport unissant l’article 75 de laConstitution au statut territorial. Le premier définit un principe, dont la portée réelle obéitaux exigences du second. Le droit personnel est reconnu, mais il a ses limites. En dépitde cela, la Cour de cassation veille à préserver cette spécificité à Mayotte 39 comme enNouvelle-Calédonie 40. Aujourd’hui, comme autrefois, certaines décisions rendues enmatière coutumière avec l’aval du législateur et de la Cour de cassation semblent bienexprimer, sur le plan civil, la survie, certes mal assumée, d’un ordre public ultramarincontre lequel la Convention européenne des droits de l’homme sera d’un improbablerecours en raison de la clause des nécessités locales réservant, précisément, le cas del’outre mer 41. Mais le droit à l’altérité juridique ne peut dépasser, en tout état de cause,les limites du statut civil : la loi pénale doit demeurer la même pour tous, comme l’arappelé la chambre criminelle le 10 octobre 2000 42.

L’altérité juridique n’est reconnue, ni dans les départements d’outre-mer, là oùprévaut le principe d’identité législative (sauf à Mayotte), ni dans les territoiresd’outre-mer (TOM), là où, en dépit du principe de spécialité législative, le statutpersonnel n’a plus d’existence légale (cas de la Polynésie) 43. Mais la sociologie a parfoisraison du droit, et la revendication à la différence trouve parfois ses voies propres ens’appropriant des instruments juridiques de droit commun comme le montrent lesmaisons de justice et du droit à la Réunion.

2°) Les autres collectivités : l’empreinte des particularismes sociologiques

Dans les départements d’outre-mer, le code civil s’applique de façon uniforme entoutes matières (par l’effet du principe d’identité législative). Dans les TOM, il

36. Article 61 alinéa 2.37. Un ouvrage du XIIIème siècle, v. Guy (P.), Études de droit comorien et approche de l’islam comorien,

Centre d’études juridiques comparatives de l’Université de Paris I, 1981, 80 p.38. Rien n’indique que la France réussira ici ce qu’elle n’a pu réaliser, il n’y a pas si longtemps, en

Afrique car, comme l’a rappelé un auteur africain, « les droits traditionnels et le droit français, n’ont pas réalisécette heureuse symbiose qui aurait pu doter l’Afrique noire d’une droit original dans lequel l’Europe seraitprésente sans exiger l’absence de l’Afrique », Kouassigan (G.), Quelle est ma loi ?, Ed. Pédone, 1974, 311 p.

39. Civ. 1ère, 25 février 1997, JCP, 1997, 22968, note Barrière et Garé.40. Civ. 2ème, 6 février 1991, D., 1991, p. 93, et Civ. 1ère, 13 octobre 1992, JCP, 1992, IV, n° 3046.41. V. notre étude, La Coutume judiciaire en Nouvelle-Calédonie, aux sources d’un droit commun

coutumier, janvier 2002, 200 p., recherche menée sous l’égide du GIP « mission de recherche droit et justice »du ministère de la justice (à paraître).

42. Cass. crim, 10 octobre 2000, n° 5871, Siwel Waehnya et autres (affaire des coutumiers deChepenehe).

43. Ordonnance du 24 mars 1945, relative à la suppression du statut particulier en Polynésie Française.

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s’applique en ce qui concerne le seul droit des personnes et de la famille pour lespersonnes relevant du droit commun (loi du 9 juillet 1970).

Le principe de spécialité législative n’a dès lors d’incidence que dans les territoiresd’outre-mer, et seulement dans les domaines du droit qui excèdent les rapportspersonnels et familiaux ; ainsi le droit des contrats ou de la responsabilité civile,notamment, s’y trouve régi par des textes abrogés en métropole ou amendés parfois delongue date.

Pourtant, assez paradoxalement, c’est dans le domaine des droits personnels etfamiliaux, matière sensible qui touche au cœur de l’intimité des individus et aux valeursd’une société, que l’assimilation est partout de règle, quel que soit le statut territorial— ce qui peut se concevoir comme la contrepartie de la reconnaissance du statut civilparticulier. Un tel principe d’assimilation dans un domaine aussi sensible se heurte,parfois, à l’empreinte des particularismes locaux, dans les départements d’outre-merpuisque le statut civil particulier n’y existe pas (sauf à Mayotte), ou encore en Polynésie,TOM où le statut civil particulier a été supprimé en 1945.

Le particularisme sociologique subsiste. En atteste le droit qui régit la famillenaturelle : celui-ci a évolué dans un sens favorable à l’outre-mer à partir de la loi du3 janvier 1972 qui a posé le principe de l’égalité des filiations légitimes et naturelles. Lafamille naturelle, longtemps marginalisée par les textes métropolitains, constituetoujours, outre-mer, un mode d’organisation fréquent des rapports familiaux.

Ce particularisme explique le rôle précurseur de la jurisprudence outre-mer : entémoigne, l’affaire Law-King et la résistance, en 1980, de la cour d’appel de Saint-Denisde la Réunion 44 face à la Cour de cassation dans sa volonté d’admettre la possessiond’état comme mode d’établissement de la filiation naturelle 45. Une opposition quetranchera le législateur en 1982 en faveur de la cour d’appel 46.

Cet exemple est emblématique car, outre le caractère répandu des unions naturellesoutre-mer, lorsqu’une particularité tenant à un mode de vie ne s’intègre pas à notre droitdu mariage. Celle-ci n’est appréhendée que par le droit de la famille naturelle. Entémoigne un exemple ancien à Tahiti, où la norme coutumière, supprimée en 1945, régittoujours la pratique des « adoptions à la tahitienne » 47. À cette occasion la jurisprudenceavait refusé d’adapter le droit à la réalité sociale. C’est pourtant ce que fera la courd’appel de Saint-Denis trente ans plus tard en poussant le législateur à mettre le droit au« diapason » de la société.

Le rapprochement de ces deux espèces souligne le chemin parcouru par une justiced’outre-mer très réticente à l’égard des dérogations à la loi commune dans leprolongement des avancées d’après-guerre qui avaient vu la suppression des juridictions

44. Saint-Denis de la Réunion 4 juillet 1980, D., 1981, 58, note Vialard.45. Civ. 1ère, 8 mai 1979, D., 1979, 477, note Huet-Weiller. La Cour de cassation faisait application de

la jurisprudence habituelle (Civ. 1ère 1872, D., 1872, 1, 113) au motif que cela aurait permis de tourner larestriction au droit de rechercher en justice une paternité naturelle : les modes d’établissement de la filiationnaturelle reposant classiquement sur des titres (reconnaissance ou jugement) ce qui excluait la possessiond’état.

46. La loi n° 82-536 du 25 juin 1982 introduisant l’actuel article 334-8 al. 2 du code civil.47. Dérogeant à nos règles, celle-ci ne valait pas commencement de preuve suffisant pour intenter une

action en recherche de maternité naturelle (sur la base de l’ancien article 341 du code civil). Tribunal supérieurde l’Océanie, 3 février 1949, RJPUF, 1949, p. 490, note Hébraud. V. Cochin, De la recherche naturelle dansles établissements français de l’Océanie, Penant, II, p. 41.

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pénales indigènes 48, et une reconnaissance essentiellement en négatif de l’altérité enmatière civile, dont témoigne encore l’article 75 de la Constitution 49.

Non seulement les territoires qui connaissent un statut personnel de droit particuliern’ont pas vu leurs populations y renoncer massivement, mais la loi organique du 19 mars1999 pour la Nouvelle-Calédonie a dû aménager un dispositif de « retour » du droitcommun vers le droit coutumier, et même « d’accession » au droit coutumier pour despersonnes dont les ancêtres furent autrefois soumis à ce statut.

*

* *

Outre-mer, plus que le passé c’est la vérité sociologique qui triomphe en imprégnantle droit. L’affirmation d’une identité collective profite de la tendance actuelle (portée parla Convention européenne des droits de l’homme) à protéger la vie privée. Les principesde tolérance culturelle et de dignité favorisent l’enrichissement du droit privé.

Le corset juridique réajusté à partir de 1946, se desserre à mesure que la réalitédément les pronostics un peu rapides sur le triomphe d’une modernité, incarnée par undroit conquérant appelé à devenir la norme commune parce que fondée sur des principes« universels ».

Le temps paraît venu de porter un regard différent sur la justice d’outre-mer. Deuxinnovations récentes rapprochent la métropole de l’outre-mer. D’abord, la « mutualisa-tion des moyens », initiée par la loi du 30 décembre 2000 qui crée une dynamique de« satellisation » progressive des petites juridictions à l’égard de leurs voisines — surtoutvis-à-vis des cinquante tribunaux classés hors hiérarchie — dont l’aboutissement pourraitêtre un système proche de celui des sections détachées existant dans les territoiresd’outre-mer. Cette organisation permet une gestion plus rationnelle des effectifs sanssacrifier à l’impératif de proximité géographique.

Ensuite, la résurrection des juges de paix, sous l’appellation « juges de proximité »,qui souligne la recherche de voies nouvelles vers une justice citoyenne proche desréalités sociales. Un risque existe : celui de voir évoluer ces institutions nouvelles, aucontact des communautés vivant dans nos banlieues, vers un système alternatifperpétuellement exposé à s’éloigner du « modèle », au nom d’excellentes raisons — larecherche de solutions consensuelles — mais aussi au prix de solutions aux limites dudroit commun. L’exemple réunionnais nous enseigne qu’une forme de justice « pré-communautaire » (à moins qu’elle ne soit « post-coloniale ») peut se développer mêmeau sein d’une collectivité soumise au principe d’identité législative. Mayotte nousapportera peut-être la confirmation, la plus patente, de ce que le principe d’identitélégislative n’empêche pas la spécificité juridique, en matière de droit des personnes et dela famille, de prospérer.

L’actualité invite à revenir aux travaux — un temps tombés dans un oublicommode — consacrés encore au milieu des années 1960 au droit de l’outre-mer, ou auxréflexions d’Henry Solus qui, dès les années 1920, évoquait la relativité de nos normes,

48. Décret du 3 avril 1946, portant suppression de la justice indigène en matière pénale, JO, 1er mai1946, p. 3680.

49. « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun (...) conservent leurstatut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ».

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pour en tirer des conséquences, sur le plan des règles d’ordre public, qui n’ont rien perdude leur intérêt 50.

Tout magistrat sait qu’il n’existe pas de « petite » affaire : les petits litigesintéressent souvent les plus grands principes. Dès lors, si le « juge de proximité » — quipourra intervenir au civil comme au pénal — doit être demain le maître d’œuvre d’un« flexible droit », le défi pour ce juge sera de trouver le juste équilibre. Car la tentationsera grande de vouloir au nom de l’équité et d’une justice toujours plus proche « joueravec le feu » en mettant, aussi, à l’épreuve l’éventuelle « flexibilité » des principesd’ordre public.

50. Solus (H.), Traité de la condition des indigènes en droit privé, Paris, 1927.

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