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La prison comme laboratoire social - Revue Droit et société

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87 2 0 14 Dossier La prison comme « laboratoire » des usages sociaux du droit Question en débat Points de vue d’acteurs sur le droit en prison Études À propos Chronique bibliographique REVUE INTERNATIONALE DE THEORIE DU DROIT ET DE SOCIOLOGIE JURIDIQUE ISSN 0769-3362 REVUE SOUTENUE PAR L’INSTITUT DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
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Prix : 55 F ISBN 978-2-275-02890-3

SommaireDossierLa prison comme « laboratoire » des usages sociaux du droitcoordonné par Claire de Galembert et Corinne Rostaing

Claire de Galembert, Corinne Rostaing Ce que les droits fondamentaux changent à la prison.Présentation du dossier

Corinne Rostaing L’ordre négocié en prison : ouvrir la boîte noire du processus disciplinaire

Corentin Durand Construire sa légitimité à énoncer le droit. Étude de doléances de prisonniers

Claire de Galembert « La prière qui n’existe pas… ». Sociologie d’une mise à l’épreuve du droit disciplinaire en maison centrale

Caroline Touraut Les proches de détenus et leurs rapports ordinaires au droit pénitentiaire

Question en débatPoints de vue d’acteurs sur le droit en prison

Entretien avec Bernard Bolze « Si le droit devait changer la prison, ça se saurait depuis longtemps ! »

Entretien avec Jean-Marie Delarue « Je n’ai qu’à défendre les droits fondamentaux, si je puis dire » !

ÉtudesPascale Fournier, Pascal McDougall Le droit comparé et la violence faite aux femmes :

voyages au cœur de la narration identitaire

Christophe Traïni Les protecteurs des animaux et le droit. Refoulement ou formalisation des émotions ?

À proposPatrícia Branco, Laurence Dumoulin La justice en trois dimensions : représentations, architectures

et rituels

Chronique bibliographique

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DossierLa prison comme « laboratoire »

des usages sociaux du droit

Question en débatPoints de vue d’acteurs sur le droit en prison

Études

À propos

Chronique bibliographique

REVUEINTERNATIONALEDE THEORIEDU DROITET DE SOCIOLOGIEJURIDIQUE

ISSN 0769-3362

REVUE SOUTENUE PAR L’INSTITUT DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALESDU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

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« La prière qui n’existe pas… ». Sociologie d’une mise à l’épreuve du droit disciplinaire en maison centrale

Claire de Galembert

Institut des Sciences Sociales du Politique (ISP), École Normale Supérieure de Cachan, Bâtiment Laplace, 61 av. du Président Wilson, F-94235 Cachan cedex.

<[email protected]>

Résumé

Cette ethnographie d’un incident conduisant à une procédure discipli-naire, analysée comme une épreuve, donne un aperçu des usages du droit en prison. On examine symétriquement les raisons ayant conduit le sur-veillant à opter pour la voie disciplinaire et comment, en réponse, le détenu contraint ses adversaires à prendre le droit au sérieux. On montre ainsi la contingence du recours au droit et la manière dont les interac-tions le performent. Plus largement, cette ethnographie met en relief les effets perturbateurs de la judiciarisation : ouvrant des opportunités d’action inédites aux détenus, elle suscite inquiétudes et résistances chez les per-sonnels qui se sentent dépossédés d’une partie de leur pouvoir. Le droit apparaît plus comme un instrument, voire une arme, dont se saisissent ponctuellement personnels et détenus dans les conflits qui les opposent qu’un horizon commun et un ensemble de règles pacifiant les relations carcérales.

Commission disciplinaire – État de droit – Judiciarisation – Prison – Sociologie des épreuves – Islam.

Summary

“The Prayer that Does not Exist…” Disciplinary Procedure Put to the Test in Prison

The detailed analysis of a conflict leading to a disciplinary procedure serves as a main thread for delving into the manner in which actors in a French prison mobilize and use the law. More broadly, this study examines the growing impact of rights resulting from recent reforms. The case examines how the disciplinary procedure and, more significantly, the rule of law have been put to the test through a dispute concerning a real or supposed prayer performed by a Muslim detainee in a place where prayer is forbidden. Exam-ining the reasons why a guard decided to use a bureaucratic sanction and how the detainee succeeded in forcing his adversary into taking his rights seriously, this case highlights the contingency of legal recourse and how law is performed in prison. Judicial control offers new opportunities for detainees to resist (here, successfully), but it tends to disrupt the guards’ professional culture. In this instance, laws and rights appear to be instruments and weap-ons rather than rules to pacify the relationship in prison.

Disciplinary law – Judicialisation – Pragmatic sociology – Prison – Rights –Islam.

C. DE GALEMBERT

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La prison en France n’échappe plus à l’immunité juridictionnelle qui la proté-geait jusqu’il y a peu. La dynamique d’expansion des droits y fait son œuvre, reflé-tant ainsi le mouvement de fond qui travaille la société et les institutions françaises. La codification du statut juridique du détenu, le renforcement des contrôles interne et externe et la transformation du droit disciplinaire (ouverture des recours juridic-tionnels en 1995, refonte de la réglementation en 1996, arrivée des avocats en pri-son en 2000) conduisent à la réduction des pratiques arbitraires et limitent l’auto-nomie de l’institution dans le maintien de l’ordre et le contrôle disciplinaire 1.

En perspective de cette évolution, la question du droit en prison s’est depuis quelques années constituée en objet de réflexion afin d’en évaluer les effets sur le fonctionnement de l’institution carcérale 2. Ces travaux, dont beaucoup émanent de juristes, s’accordent pour constater l’avancée des droits. Certains célèbrent les bienfaits de l’alignement du droit pénitentiaire sur le droit commun, tout en con-venant que beaucoup reste à faire en faveur de l’effectivité des droits des détenus. Plusieurs auteurs pointent néanmoins les ambiguïtés de cette apparente « normali-sation » juridique du monde carcéral. Elle aurait quelque chose d’illusoire en raison de la vocation indépassablement sécuritaire de la prison 3. Pire, elle participerait à la relégitimation de l’institution pénitentiaire en creux de l’incapacité des démocraties à repenser la peine à un moment d’exceptionnelle montée en puissance de l’État pénal.

Incitant à la prudence, ces critiques ne doivent pas conduire à tenir pour chimé-rique cette emprise du droit sur le monde pénitentiaire ni rendre aveugle aux reconfi-gurations des rapports sociaux qu’induisent les récentes réformes. Plutôt que de dénoncer les défaillances des pratiques au regard d’un modèle idéal ou de règles formelles auxquelles les acteurs seraient tenus de se conformer, et d’une vision bi-naire droit/non-droit, on propose ici, selon une approche wébérienne, de considérer le droit en tant qu’activité sociale 4, de l’analyser au vu de ses accomplissements pra-tiques, c’est-à-dire « tel qu’il se parle et est agi » 5 en situation.

On examinera, à partir d’une étude de cas, la manière dont les acteurs du monde carcéral, à un moment donné, se saisissent du droit et en usent. Comment ce surgis-sement du droit opère-t-il ? Dans quelle mesure contribue-t-il à requalifier les situa-

1. Jean-Paul CÉRÉ, Le contentieux disciplinaire dans les prisons françaises et le droit européen, Paris : L’Harmattan, 1999. Olivier DE SCHUTTER et Dan KAMINSKI (dir.), L’institution du droit pénitentiaire. Enjeux de la reconnaissance de droits des détenus, Bruxelles, Paris : Bruylant, LGDJ, 2002. Jean-Charles FROMENT, « Vers une “prison de droit” ? », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 3, 1997. Martine HERZOG-EVANS, « Le droit en prison », Projet, 269, 2002, p. 87-95.

2. Entre autres : Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une res-source pour les acteurs ? », Droit et Société, 67, 2007, p. 577-595. ID., « Interroger les changements de la prison. Des processus de déprise et de reprise institutionnelle », Tracés, 17, 2009, p. 89-108. Grégory SALLE et Gilles CHANTRAINE, « Le droit emprisonné ? Sociologie des usages sociaux du droit en prison », Politix, 87, 2009, p. 97-122. Pour des références plus exhaustives sur le sujet, nous nous permettons de renvoyer au propos introductif du dossier.

3. Claude FAUGERON, « Prisons : la fin des utopies ? », in Olivier DE SCHUTTER et Dan KAMINSKI (dir.), L’institution du droit pénitentiaire. Enjeux de la reconnaissance de droits des détenus, op. cit., p. 289-297.

4. Pierre LASCOUMES et Évelyne SERVERIN, « Le droit comme activité sociale : pour une approche wébé-rienne des activités juridiques », Droit et Société, 9, 1989, p. 171-193.

5. Pierre LASCOUMES, « Normes juridiques et mise en œuvre des politiques publiques », L’Année sociolo-gique, 40, 1990 p. 52.

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tions, les statuts des acteurs et change-t-il la donne 6 ? À la manière de la micro-histoire, c’est à partir de l’interprétation circonstanciée d’un fragment de réalité, donnant à voir des activités de mobilisation du droit dans une maison centrale 7, que nous nous efforcerons de saisir les transformations du contexte carcéral in-duites par la judiciarisation. Ce fragment peut être résumé ainsi : un détenu musul-man, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et identifié comme « radical », aurait été surpris en train d’accomplir sa prière dans les ateliers par le gradé en charge de la surveillance de ceux-ci. Entorse au règlement intérieur de l’établissement, cette prière « sauvage » donne lieu à la rédaction d’un compte rendu d’incident (CRI). S’ensuit la comparution du détenu en commission disciplinaire, en présence de son avocat. Le détenu, grâce à son habileté juridique, échappe au quartier disciplinaire, sanction encourue, dans cet établissement, pour une telle infraction.

À la différence des micro-historiens qui travaillent sur des sources refroidies, l’observation ethnographique a permis de suivre le déploiement de l’affaire. Cet accès à ce que Paul Ricœur appellerait « l’action vive » a permis de constater l’effervescence causée par l’incident au sein de la maison centrale et d’en interroger le sens. L’interruption de ladite prière et ses suites se sont en effet transformées en l’un de ces petits évènements locaux qui font parler d’eux, cristallisent attention, commen-taires, débats et spéculations. Autant d’indices que quelque chose d’important se joue et conduisant à miser sur la portée heuristique d’une analyse approfondie. Cette saillance signale ce que la sociologie pragmatique qualifie d’« épreuve », un moment d’incertitude durant lequel sont potentiellement remis en cause rapports de force, positions et croyances 8. Or, la controverse qui se noue autour de cette affaire de prière a ceci d’intéressant pour notre propos que c’est le droit lui-même qui se trouve mis ici à l’épreuve et avec lui les compétences des acteurs à le manier.

Il en va en effet de la configuration de la procédure disciplinaire, que chacun envisage différemment : alors qu’elle est considérée par le gradé à l’origine du CRI comme le lieu d’une sentence qui lui paraît acquise, elle est conçue comme un point d’appui par le détenu, une ressource pour symétriser son rapport avec le gradé en se situant sur le terrain du droit. Ce qui implique de sa part un travail pour configurer son passage au prétoire comme une véritable épreuve de droit, condi-tion nécessaire à l’ouverture d’une « passe » juridique permettant d’échapper à une sanction qui semble pourtant inéluctable. Moment exemplaire de retournement du droit contre le droit, le suivi ethnographique de cette petite affaire – une parmi tant d’autres dans le flux des multiples incidents qui scandent la vie des établissements – livre à l’analyse des données riches d’enseignement sur le rapport au droit des ac-teurs, le caractère contingent de l’invocation et l’actualisation de celui-ci en monde

6. Ce en quoi l’article de J.-M. Weller a représenté une source d’inspiration importante : Jean-Marc WELLER, « La disparition des bœufs du Père Verdon. Travail administratif ordinaire et statut de la qualifica-tion », Droit et Société, 67, 2007, p. 713-755.

7. Établissement accueillant des détenus purgeant des longues peines.

8. Sur la notion d’épreuve, cf. Bruno LATOUR, Pasteur : guerre et paix des microbes [1984], Paris : La décou-verte, 2001 ; Michel CALLON et Bruno LATOUR (dir.), La science telle qu’elle se fait, Paris : la Découverte 1991. Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justification, Paris : Gallimard, 1991. Mohammed NACHI, Intro-duction à la sociologie pragmatique, Paris : Armand Colin, 2006.

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carcéral. Il met également en évidence l’importance de la dimension relationnelle dans cette activité de mobilisation du droit par les acteurs.

On commencera par revenir sur la manière dont la controverse a surgi, s’est dé-veloppée puis dénouée en pointant les effets de symétrisation du rapport entre les protagonistes qu’induit son déplacement sur le terrain du droit. Il s’agira ensuite d’approfondir l’analyse en examinant, de manière symétrique, le sens que revêt la mobilisation du droit pour les principaux protagonistes de cette affaire, le gradé tout comme le détenu se révélant moins soucieux de la légalité en tant que telle que des ressources qu’offre ponctuellement le droit pour obtenir gain de cause.

Une pépite livrée par le hasard de l’enquête

Les analyses livrées ici ne résultent pas d’un dispositif de recherche axé sur le droit en prison. Elles se fondent sur des données collectées dans le cadre d’une étude comman-ditée par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) sur la religion en prison 9. Le cas analysé est tiré d’un travail de terrain mené dans l’un des huit établissements de notre échantillon. Jailli de la spontanéité du réel, l’incident a offert une de ces pépites de terrain dont on pressent qu’elles méritent attention. Nous n’avons certes pas eu ac-cès à l’ensemble des séquences de cette histoire et des zones d’ombre persistent, inhé-rentes, pour certaines, aux « faux-semblants » auxquels l’univers carcéral est propice. Nous n’avons pas été autorisées à assister à l’audience au prétoire – dans le souci, nous a-t-on dit, de « ne pas en rajouter ». Nous n’avons pas eu accès aux pièces du dossier. L’incident n’a cependant cessé de croiser nos pas durant l’enquête de sorte qu’il nous a été donné de pouvoir en suivre le déploiement, soit via l’observation directe d’inter-actions entre le détenu et les gradés au sujet de la préparation de la procédure discipli-naire, soit via des échanges informels ou des entretiens que nous menons avec les per-sonnels, membres de la hiérarchie et détenus. L’incident a été, en outre, évoqué (plus ou moins directement) avec le détenu, le détenu bibliothécaire qui l’a épaulé pour construire sa défense, le gradé qui l’a sanctionné, le directeur de l’établissement (ayant siégé au pré-toire) et un de ses directeurs adjoints, le chef de détention, l’un des gradés témoin du pas-sage au prétoire, le chef de bâtiment dans lequel le détenu a sa cellule ainsi qu’avec son adjoint. L’interprétation s’est enfin nourrie d’une enquête qui s’est déroulée durant près de deux ans sur le sujet de l’étude commanditée par la DAP. Cette enquête de longue du-rée, menée dans plusieurs établissements, a permis de faire entrer en résonance cette his-toire singulière avec d’autres situations et/ou d’autres contextes touchant tant au traite-ment de l’islam en prison qu’au rapport au droit des surveillants et détenus, à l’usage des commissions disciplinaires, à la production de normes locales au sein des établissements et en administration centrale.

I. Controverse autour d’une prière Exposons, telle que rencontrée sur le terrain, la controverse mettant en conflit

deux versions des faits : celle, d’une part, d’un gradé prétendant avoir surpris une prière clandestine, pratique illégale justifiant à ses yeux une procédure disciplinaire ; celle, d’autre part, du détenu concerné qui non seulement remet en question l’interprétation qui est faite de ses gestes mais encore s’emploie à faire valoir juridi-quement ce qu’il considère comme l’absence de preuves probantes à son encontre.

9. Céline BÉRAUD, Claire DE GALEMBERT et Corinne ROSTAING, Des hommes et des dieux en prison, Paris : Mission de recherche Droit et Justice, 2013 (rapport remis à la Direction de l’administration pénitentiaire).

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Revendiquons d’emblée une modestie interprétative à l’égard de l’évènement qui donne prise à la controverse dont nous avons été témoins et, parfois même, pris à témoins. Plutôt que d’adopter une posture de « surplomb omniscient » 10 en revendi-quant le dernier mot de l’interprétation, il nous semble plus heuristique de prendre acte de l’incertitude d’une situation qui n’a pas totalement livré sa vérité pour juste-ment montrer, à partir de nos observations en situation, comment des acteurs par-viennent à requalifier les entités en jeu et à ouvrir un espace d’incertitude et d’interro-gation alors que tout semblait joué. En l’occurrence, nous soulignerons comment le détenu interpellé se saisit des prises juridiques, que mettent à sa disposition les récentes réformes du droit pénitentiaire, pour soumettre l’accusation dont il fait l’objet aux con-traintes de justifications propres au renouveau du droit disciplinaire qui en découle.

I.1. Flagrant délit de prière clandestine aux ateliers La controverse naît en maison centrale, peu après l’affaire Merah. L’évocation

de ce contexte a son importance. Ce drame national, qui se déroule dans l’entre-deux tours des élections présidentielles de 2012 et occupe une place de choix dans la campagne du candidat sortant, a remis sur le devant de la scène le spectre du terrorisme islamique et la « monstruosité » 11 de leurs auteurs. Le parcours du tueur de Toulouse, qui aurait découvert l’islam en prison, fait resurgir ce qui s’est, depuis les années 2000, construit comme une évidence publique : le rôle de la prison dans l’éveil aux vocations terroristes.

Nous entendons parler pour la première fois de cette affaire de prière « sauvage », à peine quinze jours après l’assaut du RAID 12 aboutissant à la mort de Mohamed Merah et les déclarations présidentielles enjoignant la garde des Sceaux à prendre des mesures permettant de contrer la radicalisation en milieu carcéral. Alors que nous visitons les ateliers, leur responsable technique mentionne l’interruption l’avant-veille d’une prière de trois détenus musulmans. Le meneur – précise-t-il – est un détenu condamné à réclusion à perpétuité pour terrorisme islamique. Il est ce que le langage indigène catégorise comme un « gros profil ». L’officier, en charge de la sur-veillance de l’atelier, Bernard, détaille, dans un long entretien réalisé l’après-midi même, la manière dont les choses se sont déroulées. Râblé, casquette vissée sur la tête, la soixantaine, « 25 ans de pénit’ », il a sous ses ordres 19 surveillants et en charge 80 détenus répartis dans quatre ateliers. « Brut de fonderie » selon ses propres termes, il tire une certaine satisfaction de l’intérêt que nous portons à cette affaire, présentée un peu comme un fait d’armes. Assimilés à l’islam radical, et qualifiés alternative-ment de « prosélytes », « islamistes » ou « radicaux », les trois détenus, Kadar 13, Djamil et Malik font partie – insiste-t-il – des détenus étroitement surveillés aux ateliers.

10. Alain COTTEREAU, « Faire un précédent », in GROUPE DE SOCIOLOGIE DU TRAVAIL (dir.), De l’ethno-méthodologie aux approches socio-historiques. Parcours d’un séminaire, 1988-1989, Paris : CNRS, Université Paris 7, 1990, p. 45-63, p. 50.

11. Thème récurrent dans les propos présidentiels.

12. Recherche assistance intervention dissuasion, unité d’élite de la police nationale.

13. Il va de soi que les références aux acteurs ont été anonymisées de même que la prison dans laquelle notre observation a eu lieu.

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Ils avaient changé leur comportement depuis un mois et demi. Il y avait un détenu auquel ils avaient essayé de mettre la main dessus. Il n’a pas voulu marcher dans le jeu et commettre l’irréparable… Et aller au clash avec eux… Il s’est blessé et a profité de l’opportunité pour prolonger son arrêt de travail alors que c’est un détenu atelier-cellule, atelier-cellule. […] Ils se sont approprié son poste de travail qui est… juste en face… On va pas faire de bruit…

[Il se lève alors pour nous entraîner dans une petite pièce aux murs aveugles atte-nante à son bureau. Au fond se trouve une porte dont la partie vitrée a été recouverte d’un papier kraft. À un endroit cependant le papier a été légèrement arraché. Petit œil-leton de fortune, cette déchirure permet d’observer une petite partie de l’atelier à l’insu des détenus qui s’y trouvent.]

Regardez en face : il y a plus rien… [à voix basse]. Je vais vous expliquer comment ça s’est passé : ils sont très organisés mais, manque de pot, j’avais un coup d’avance, même plusieurs coups d’avance ! […] Donc pendant la pause, ils sont très malins, très organisés parce qu’il y a toujours un chef lorsqu’on prie, celui qui lance la prière et après les autres. Donc ils avaient fait un petit scénario, il y avait une barre qui était en travers, ils avaient mis un carton… Les cartons qui sont là, vous voyez ? [Il désigne le recoin qui fait face à la fenêtre.] Ils avaient le côté gauche, le mètre cinquante au fond à gauche, c’était le lieu de prière. Il y avait une table qui était installée. Alors le soir, en débauchant, la table était remise… tout bien… le banc au fond voilà. [Avec un sourire.] Au-delà de tout soupçon bien sûr ! Devant, à droite, ils avaient mis une palette haute comme ça pour masquer l’angle de vue. Donc le seul moyen de les voir c’était par ici [i.e. de l’arrière-bureau]. [Avec animation.] Donc j’ai vu le petit manège : j’ai observé l’heure précise, le déroulement, comment ça se passe, c’était Kadar qui commençait, dès la pause, à la demie pétante, il arrivait avec son petit tablier, il posait le truc, ça lui servait de tapis. Vous voyez ce que je veux dire… On fait avec les moyens du bord si on veut pas être pris hein ! ? … Donc le gars il se met en position. Je le vois, donc il est derrière je suppose, donc il est en train de prier… Il se relève au bout de trois ou quatre minutes, le temps de la prière, et donne son tablier à l’autre qui est assis sur le banc. Vous voyez ce que je veux dire ! Il donne le tablier à Djamil et il prend sa bouilloire et s’en va chercher son eau comme s’il faisait le thé ou le café… Enfin, peu importe, on s’en fout… Et il y avait le troisième, le petit Malik… Ils lui ont mis la main dessus, le pauvre gamin, il est complè-tement illettré et abruti. […] Et donc Djamil est en train de prier, Malik est devant, l’autre qui… Et à la fin, mon Djamil, qui se ressort du truc, donne le tablier à Malik et lui dit : tiens, tiens mon frère… On voit le gamin… [Il imite le détenu refusant d’aller prier.] Le gamin, il a 23 ou 24 ans… Et l’autre qui insiste : « Si, si… Vas-y… ! » Bon, je sais pas ce qu’il lui dit… Bon, il s’y prend comme un manche pour mettre le truc [le tablier faisant office de tapis], mais il est obligé de faire sa prière quand même. On voit le gamin forcé, obligé de… alors que Kadar, quand il a fini, il donne son tablier à l’autre… Et il y va tout de suite… Ça y est, il sait ce qu’il a à faire… C’est comme ça, ils ont amené le gamin à faire sa prière, à l’intégrer dans le truc et puis voilà quoi.

Fort de cette observation et sûr de son fait, Bernard raconte ensuite comment il est intervenu :

Donc, ayant observé ce système-là, moi j’ai mis des mecs en planque, un ici et un là-bas et j’étais dans le bureau du surveillant. Mais alors le premier [qui va prier] : rôle inversé ! C’est pas Kadar, le meneur, qui commence la prière ! Le surveillant m’appelle et je lui dit non : « On ferre celui-là [Kadar]. » Donc on ferre celui-là. Pendant ce temps-là, c’était Djamil et Malik qui machinaient [faisaient la prière]… Effectivement, lui il était en train de finir de travailler, je me dis : « Putain, le bordel va capoter ! » Et puis l’heure tournait et puis… Donc je suis arrivé directement dès que je les ai vus sor-tir, je dis c’est bon… Je suis arrivé là-bas, bon évidemment, eux, en train de prier et tout. Un seul qui priait. Kadar, le terroriste des affaires de X… C’est lui que je voulais

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ferrer. C’est la tête. C’est lui qui… et qui ne s’est jamais fait prendre… Alors que l’autre, Djamil, s’est déjà fait prendre pour d’autres faits et tout. Mais lui, tellement malin, croyait être… ne pas être suivi à ce point là, était sûr de lui, sûr de son coup, de ce qu’il préparait. […] Bon, moi je suis arrivé, je constate, et je dis : « Voilà : c’est inter-dit [de faire la prière]. » Et les autres idiots, comme ils sont tous les deux, surtout Ma-lik, il me dit : « Ben chef laissez-lui deux minutes, laissez-le finir. » Avant de ferrer… Ben, il se relève et je dis à Kadar : « Je respecte la prière mais là ce sont des lieux inter-dits ; je vous mets un rapport. » C’est tout, hein… Bon, après, il commence à vouloir : « Ben, regardez, ça c’est pas un tapis, j’étais pas en train de prier, c’est pas un tapis ça, c’est pas un tapis. » Donc, je lui dis : « J’ai pas à regarder si le truc était sous vos ge-noux. Moi je vous mets un rapport, vous étiez en train de prier, point barre. »

Le constat d’infraction donne lieu à la rédaction d’un CRI, scripteur légal condi-tionnant, si Bernard est suivi par la direction, le déclenchement d’une procédure disciplinaire et le passage du détenu au « prétoire » 14, la commission de discipline.

Le CRI, rédigé directement sur un poste informatique, dresse succinctement un état des faits : date, heure, nom de la personne en cause, numéro d’écrou et des-cription brève mais précise de ce qui est reproché au détenu : « Le détenu, pendant sa pause, effectuait sa prière à l’abri des regards derrière un carton suspendu fai-sant office de rideau dans un renfoncement de l’atelier. » À l’appui de ce CRI, Ber-nard rédige un compte rendu professionnel (CRP), narration plus exhaustive de la manière dont les choses se sont passées et donnant des éléments de contexte et d’information sur le détenu. Sans doute en raison des dénégations de Kadar a-t-il jugé utile d’ajouter à son propre CRP 15 ceux des surveillants qui l’ont assisté.

La direction, à laquelle revient d’apprécier l’opportunité des poursuites, donne suite au CRI. Le passage au prétoire est prévu le lendemain du jour où nous sont ra-contés les faits. La prière est devenue une « faute » pour « non-respect des disposi-tions du règlement intérieur, lequel stipule qu’il est interdit de prier dans les lieux collectifs » 16. Il s’agit d’une faute du troisième degré, le moins élevé sur un barème de trois degrés 17. Ce degré ne commande pas de sanction précise en principe. La ru-meur annonce pourtant déjà une semaine de « mitard » 18. Le processus disciplinaire est enclenché : l’officier en charge du Bureau de la gestion de la détention (BGD) 19 se 14. Instauré au milieu du XIX

e siècle pour réduire les effets de l’arbitraire en formalisant les procédures disciplinaires, le prétoire représente le tribunal interne à la prison, présidé en principe par le directeur de l’établissement ou l’un de ses représentants, assisté par des assesseurs. L’agencement du lieu, une pièce dédiée, reproduit de manière simplifiée les tribunaux du monde libre. L’espace de la partie jugeante est séparé de la partie jugée. Les places du président, de ses assesseurs et du détenu « accusé » sont fixes. La procédure reprend, plus ou moins, le caractère formaliste, codifié et solennel des audiences hors les murs.

15. Le CRP, s’il est joint à la procédure – ce qui fut le cas –, doit être communiqué au détenu et peut être évoqué à la commission disciplinaire. Si tel n’est pas le cas, il est juste porté à la connaissance du directeur sans pouvoir être invoqué dans la commission.

16. Selon ce que nous dit l’officier du Bureau de la gestion de la détention (BGD).

17. Autres fautes relevant de ce degré : insultes ou menaces à l’encontre d’un codétenu ; refus d’obtem-pérer aux injonctions des membres du personnel de l’établissement ; incitation d’un codétenu à commettre l’un des manquements précédents.

18. Le quartier disciplinaire. Notons que le juge d’application des peines est informé des décisions des commissions de discipline, lesquelles peuvent occasionner des suppressions de réduction de peine.

19. Le BGD est chargé de centraliser et de diffuser l’ensemble des informations concernant la vie de la détention. Il joue un triple rôle d'information, d’impulsion et de gestion de la détention. Lui incombe le suivi des procédures disciplinaires.

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charge de l’impulsion et du suivi du rapport d’enquête qui remonte à la direction interrégionale. Un exemplaire est également remis au détenu qui, conformément à ce que prévoit le droit disciplinaire, dispose d’un laps de temps pour préparer sa défense.

I.2. Faire du prétoire une arène juridique Le passage au prétoire aurait pu n’être qu’une pure formalité validant, ainsi que

l’escomptait Bernard, la sanction d’un illégalisme en apparence indiscutable puis-qu’attesté par lui et quatre de ses surveillants. Mais Kadar conteste d’emblée l’interpré-tation de sa posture et fait connaître sa version à qui doit et veut l’entendre : gradés chargés du rapport d’enquête, son chef de bâtiment, le chef d’établissement auquel il a tenu à exposer de vive voix la situation. C’est en ces termes que son chef de bâtiment rapporte les propos qu’il a tenus peu après son interpellation.

Lui, il dit qu’il était à genoux et, après, il a dit qu’il était accroupi et qu’il cherchait un objet sur le sol, qu’en aucun cas il priait, qu’il connaît le règlement. Il sait que les prières ne sont par autorisées en dehors de la cellule. Il m’a dit que sa prière, il l’avait faite entre 13 h 15 et 13 h 30 et que la suivante tombait en dehors des ateliers, après 17 heures. Donc il ne voyait pas pourquoi il aurait fait une prière en plus.

L’argumentation de Kadar ébranle-t-elle la foi des personnels dans la parole de leurs pairs ? S’agit-il de prudence à l’égard des tiers que nous sommes ? Il n’est plus question, dans les propos de notre interlocuteur, que d’un détenu « surpris à l’atelier, à genoux, vraisemblablement en train de prier ». Nous remarquons égale-ment une forme d’hésitation dans les propos du capitaine en charge du rapport d’enquête au BGD.

Il [Kadar] s’est caché pour faire la prière. Ils [les détenus pris en train de prier] veu-lent avoir le dernier mot. Il a été discuter avec le chef mais on l’a vu quand même. Cela fait un moment qu’il était observé mais il faut être sûr ! Kadar est très procédurier. Il faut bétonner la procédure pour qu’il n’y ait pas de recours.

Le doute porte moins sur la vérité des propos de Bernard que sur sa capacité à en faire la démonstration. S’il faut des assurances – « être sûr » –, c’est moins pour em-porter l’adhésion des personnels que pour convaincre le juge administratif qui pour-rait, compte tenu de la réputation procédurière du détenu, être saisi de l’affaire. La hiérarchie des crédibilités des paroles du gradé et du détenu se voit ainsi bousculée par l’intrusion de la dimension juridique dans l’affaire, dimension qui se consolide au fil de l’interaction.

Kadar fait plus que nier les faits qui lui sont imputés. Exploitant le cadrage nor-matif qu’ouvre la décision du gradé de recourir à la sanction bureaucratique, il se positionne immédiatement en sujet de droit. S’emparant des garanties désormais offertes en termes d’égalité formelle entre l’accusation et la défense, il s’emploie à symétriser le rapport avec son accusateur. Les identités des parties engagées dans le conflit s’en trouvent déplacées 20. Celui-ci dépersonnalise le rapport et neutralise

20. On retrouve là les « identités d’action » évoquées par P. Lascoumes et É. Serverin dans leur article ; Pierre LASCOUMES et Évelyne SERVERIN, « Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne des activités juridiques », art. cité.

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partiellement, en le mettant entre parenthèses, le stigmate carcéral et judiciaire du détenu. Le différend n’oppose plus un gradé, doté a priori d’un crédit moral, à un détenu particulièrement signalé (DPS) 21, figure par excellence de l’« ennemi public », condamné à perpétuité pour atteinte à la sûreté de l’État et auquel les personnels locaux prêtent volontiers pouvoir sur les autres détenus et intentions séditieuses. Il met aux prises le service public pénitentiaire face à l’un de ses usagers accédant à la qualité de justiciable.

De manière significative, le basculement vers l’épreuve de droit s’accompagne de l’instauration d’un ordre interactionnel caractérisé par une attention aux formes et à la civilité, comme si des écarts en la matière risquaient de compromettre le bon déroulé de la procédure, étaient de nature à constituer des « fautes » de grammaire menaçant d’affaiblir la force prêtée au droit. Bernard dit ainsi avoir été attentif au déroulement de son intervention. Il ne s’agit pas de constater les faits délictueux mais de le faire, à la différence de ce qui prévalait il y plusieurs décennies, de ma-nière irréprochable sous peine de perdre toute légitimité.

Faut pas faire tout et n’importe quoi. Parce que tu peux pas rentrer là-dedans comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Tu pries, t’as pas à prier… parce qu’on n’est plus dans les années 1980… [Faut intervenir] en « respectant la dignité du détenu ». Et d’insister : « Parce que, comme je vous l’ai dit, je n’ai pas interrompu sa prière […]. C’est certainement pour ça que l’intervention s’est bien passée. Parce que, si j’allais au clash, on me l’aurait certainement reproché. »

Le même respect des formes vaut pour Kadar : s’il se fait insistant auprès des agents pénitentiaires pour se faire entendre, il ne se départit jamais, de l’aveu même des personnels, ni de son calme, ni de sa politesse.

Cette transformation, loin d’être exclusivement la suite logique du choix opéré par Bernard de recourir à la voie bureaucratique, résulte en grande partie de la manière dont Kadar, par son action, configure la procédure disciplinaire. Ne lais-sant rien au hasard, il tire parti de tous les points d’appui qui lui sont accessibles aussi bien intra qu’extra muros, tant pour construire une argumentation juridi-quement efficace que pour faire entrer le tiers pouvoir de la Justice au prétoire. Il consulte le bibliothécaire, dont il est proche, un ancien d’Action directe connu pour « faire l’avocat des détenus ». Il se saisit en outre de toutes les prises institution-nelles à sa portée : il sollicite la présence de « son » avocat le jour du passage au prétoire et, au cas où ce dernier ne serait pas disponible, un avocat commis d’office ; il porte plainte auprès du procureur, mettant en cause l’interdiction de l’effectuation d’une prière aux ateliers et adresse une plainte au Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Autant de démarches qui élargissent po-tentiellement le nombre des protagonistes de l’affaire et le public de la controverse et enchâssent par avance la comparution dans l’espace de la justice administrative, rendant probable la stratégie contentieuse. Perspective d’autant plus risquée que le détenu manipule une arme de dissuasion particulièrement redoutable vu le contexte : la médiatisation.

21. Il s’agit d’une catégorie de personnes détenues faisant l’objet d’une surveillance rapprochée en raison de la nature des infractions commises, de la violence qu’on leur attribue ou encore de tentatives d’évasions.

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I.3. Le verdict de Salomon… Le verdict de la commission disciplinaire, une semaine de quartier disciplinaire

avec sursis, témoigne de l’efficacité de la stratégie de Kadar. Un premier surveillant résume en ces termes la scène dont il a été témoin il y a quelques heures à peine :

Le mec on l’a vu sur un tapis, pas déchaussé. Il a été vu. De vous à moi, du haut d’une passerelle… Les trois autres qui regardent, font le guet. On est dans la m… avec la quasi-certitude qu’il a fait la prière. Mais lui, il a bien argumenté à la commission disciplinaire : « Si c’est votre conviction que j’ai fait la prière, libre à vous. Mais j’avais pas lieu de la faire à cette heure. Après, ça fait trois ans que je suis en atelier, sans un incident – c’est vrai qu’il a pas eu de CRI depuis longtemps –, pourquoi je me serais mis tout à coup à prier. Pour un islamiste, il y a des règles pour la prière. » Il a dit qu’il n’était pas déchaussé, il n’avait pas de tapis de prière mais un tablier sale, qu’il était pas dans la bonne direction. Il a été pris à 15 h 15 alors que cela ne correspond pas à l’heure de la prière. Qu’il a été vu d’une passerelle, avec la perspective…

Nous mesurons l’impact de l’argumentation de Kadar parvenu à instiller un doute chez notre interlocuteur dans les propos duquel la prière n’est plus qu’une « quasi-certitude ». Nous le mesurons également à travers nos propres interroga-tions ; le contexte n’a-t-il pas, en effet, encouragé le zèle des surveillants dans cet établissement où il est si souvent question de la « chasse aux prosélytes » ?

Prononcée à son corps défendant par le directeur adjoint de la maison centrale, cette sentence, tel le jugement de Salomon, renvoie dos à dos accusateur et accusé. Bien que n’ayant que valeur de mesure probatoire, elle ne donne pas raison à la ver-sion de Kadar. Et s’il s’est résigné à ce verdict, le directeur ne s’est pas privé de clamer haut et fort son intime conviction au prétoire. Cette sanction manifeste d’autant mieux les contraintes que les moyens et arguments mobilisés par Kadar font peser sur un verdict qui, sans être une relaxe, lui épargne une semaine de « mitard ». Ména-geant les personnels qu’elle veille à ne pas déjuger totalement, cette sanction avec sursis, non susceptible de contrôle juridictionnel, prémunit l’établissement contre les suites contentieuses hautement probables vu l’inclination procédurière du détenu 22.

La décision est pourtant loin de faire l’unanimité au sein de la collectivité carcé-rale de l’établissement. L’officier du BGD qui a suivi la procédure a beau dire que le « QD [quartier disciplinaire] avec sursis » est une sanction, la direction a beau s’employer à faire œuvre de pédagogie en ce sens, en expliquant qu’il s’agit d’une riposte graduée, rien n’y fait. Une bonne partie des personnels, particulièrement le gradé et les surveillants ayant constaté l’infraction, ne l’entend pas de cette oreille, se refusant à faire la différence entre une peine avec sursis et la relaxe. Comme le résume le premier surveillant du bâtiment rencontré au mess :

Il a rien pris ! On n’est pas content ! On est désavoué, on perd la face : il y a cinq surveil-lants qui disent qu’ils ont vu un gars prier et il y a un t… du c…. d’avocat qui vient dire qu’on manque de preuves et le gars prend rien… ! Et d’ajouter – allusion à peine voilée à une islamophobie ambiante – : et nous, c’est qu’on aime le saucisson-vin rouge 23 !

22. Les sursis ne donnent pas lieu à contrôle de légalité.

23. Référence aux polémiques suscitées par l’organisation d’« apéros saucissons-pinard » (telles que celle de Riposte laïque dans le quartier multi-ethnique de la Goutte d’Or ou de l’aile droite de l’UMP) comme signe de résistance à l’islamisation des pratiques alimentaires.

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Quant au détenu, la commission disciplinaire n’a représenté pour lui qu’un si-mulacre de justice, moins symptomatique de l’arbitraire carcéral que d’une islamo-phobie ambiante :

J’ai eu sept jours de sursis. On est carrément dans la dictature, dans le non-droit. Et nous [les musulmans], nous devons supporter ça tout le temps. Entre les deux tours des élections, par rapport à une loi qui devait renforcer les prisons, la prison par rapport à la religion, je ne sais pas quoi, ils [les ERIS 24] sont venus à 10 h du soir avec des boucliers. Ils ont sorti tous les musulmans qui étaient dans la prison. Ils nous ont mis à poil, fouil-lés. Ils ont pris les ordinateurs. […] Ils ont ciblé tous les musulmans pratiquants, parce qu’ils ont une barbe. Je ne sais pas comment ils définissent un musulman. Franchement, c’est l’Arabe du Vél’d’Hiv. C’est carrément ça. C’est l’impression que ça m’a donnée. Le lendemain matin, je suis allé voir le chef : « Je vais mettre une étoile jaune. Après ça, qu’y aura-t-il ? Qu’allez-vous nous faire ? À 22 h, vous nous cassez toute la cellule pour chercher rien du tout. » Ils ne font pas de détails. […] Ils ont filmé en plus. « Vous vous croyez à Guantanamo ? Vous avez tous les droits ? » […] Personne ne va regretter qu’un musulman, dit terroriste, soit malmené ou frappé, qu’on lui pète une dent. On va au-delà de la loi. C’est comme le directeur qui dit que, si on lui dit en plein jour qu’il fait nuit, il va le croire !

Bien que ne contentant ni les surveillants ni le détenu, la commission discipli-naire n’en remplit pas moins son office de clôture de la controverse dont il n’est plus guère question dans les semaines suivantes.

Illustratif de la réversibilité du droit, convoqué par un gradé comme un instru-ment coercitif puis transformé en un bouclier permettant au détenu d’échapper au « mitard », le suivi de la controverse, de son éclosion à son dénouement, fait appa-raître les ressources qu’offrent les avancées récentes du droit disciplinaire. Le suivi ethnographique, en donnant accès aux usages situés du droit, fait ressortir ce qu’a de limitatif une analyse du droit, le considérant comme un ensemble de règles figées vouées à être appliquées telles quelles. Dans ce qui suit, on se propose, à rebours d’une conception impérativiste et fixiste de la légalité, de poursuivre l’analyse en montrant non seulement ce que peut avoir de contingent le recours au droit pour sanctionner les détenus, mais aussi combien le passage du droit en commission dis-ciplinaire peut être tributaire de la manière dont le détenu s’en empare.

II. Sanctionner au risque du droit La légitimité de la décision prise par le gradé de recourir au CRI est ici si peu

remise en question qu’un observateur peu avisé des réalités carcérales pourrait y voir le simple résultat d’une routine bureaucratique. La règle n’est, pas plus en prison qu’ailleurs, un prescripteur de conduites 25 : elle n’est qu’une ressource parmi d’autres dans l’éventail des modes de traitement disponibles des violations du règlement 26. Le gradé aurait pu fermer les yeux et faire entrer cette prière clan-destine dans la catégorie des multiples tolérances qui viennent assouplir la rigueur du règlement. Il aurait pu s’arranger à l’amiable avec le détenu pour témoigner

24. Équipes régionales d’intervention et de sécurité.

25. Antoine JEAMMAUD, « Normes juridiques et action. Notes sur le rôle du droit dans la régulation sociale », in Michel MIAILLE (dir.), La régulation entre droit et politique, Paris : L’Harmattan, 1999.

26. Cf. l’article, dans ce dossier, de Corinne ROSTAING, « L’ordre négocié en prison : ouvrir la boîte noire du processus disciplinaire ».

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d’un surcroît d’humanité et tirer un bénéfice moral, en faire son obligé ou mar-chander l’arrêt des poursuites. On retrouve en prison « ce jeu avec la règle qui fait la règle du jeu » 27, cette « casuistique infiniment subtile du droit et du passe-droit » décrite par Pierre Bourdieu 28. Le gradé aurait pu encore recourir à des voies de rétorsion officieuses et plus ou moins avouables.

II.1 Le règlement légaliste, une option dans la gamme des modes de gestion des illégalismes

Ne pas s’interroger sur les conditions et mécanismes constitutifs de la transfor-mation d’une violation du règlement en « faute » – qui aurait pu rester inaperçue, impunie ou sanctionnée par d’autres voies –, c’est se priver d’un pan important de la réflexion sur le droit en prison 29. Or, dans le cas d’espèce, la question se pose d’autant plus que l’officier à l’origine de la procédure disciplinaire explique privilé-gier habituellement d’autres modalités de règlement des problèmes.

On est des hommes, c’est entre quatre yeux [qu’on règle les problèmes]. Là, vous avez de la crédibilité : le détenu, il dit « il a des couilles » celui-là. T’arrête tes conne-ries. Alors, on va faire un CRI, c’est quoi ça ? On n’a besoin de ça, parce qu’après, c’est le directeur qui le met au trou […]. Non, j’ai dû faire deux ou trois CRI pour des ba-garres. Mais, moi, non je vais voir les gars et je leur dis : « Vous arrêtez vos conneries. » Et puis, moi, comme ils ont peur de moi et me respectent… Par contre, il faut savoir aller au clash… Faut être capable de faire tout seul ce qu’on est capable de faire à quinze. Moi, je me retrouve tout seul au milieu de trente détenus, j’ai pas peur… Je les engueule. Bon, ils comprennent quand je parle comme ça. Moi, je peux passer n’importe où. Et puis, s’ils veulent m’agresser, je ferai le boucher avant de faire le veau… Je les emmerde pas… Après, ça se passe tout seul.

On retrouve ici une représentation de la méthode de travail typique de l’ethos professionnel des « anciens surveillants » auquel appartient Bernard : la méthode dite « entre quatre yeux », expression consacrée par le langage indigène. La résolution des problèmes et le maintien de l’ordre dépendent de la capacité personnelle du surveil-lant à s’imposer. Elle passe par un type d’épreuve particulier : la relation d’homme à homme (plus que de rôles), sorte de combat singulier à mains nues suggérant que surveillants et détenus seraient à armes égales dans l’arène pour régler le différend qui les oppose, hors du contrôle hiérarchique. Par contraste avec cette morale de l’honneur, la modalité bureaucratique de résolution des problèmes apparaît comme « indigne » 30, le moyen du faible contraint de recourir au directeur pour asseoir son

27. Pierre BOURDIEU, « Droit et passe-droit. Le champ des pouvoirs territoriaux et la mise en œuvre des règlements », Actes de la recherche en sciences sociales, 81-82, 1990.

28. Ibid., p. 89.

29. Ce en quoi nous nous inspirons des recommandations de W. L. F. Felstiner, R. L. Abel et A. Sarat lors-qu’ils écrivent : « La sociologie du droit devrait porter davantage attention aux phases premières des litiges et aux facteurs qui déterminent si on va réaliser, reprocher et réclamer. Apprendre davantage sur l’exis-tence, l’absence ou l’arrêt de ces transformations premières enrichira notre connaissance des traitements des litiges et notre capacité à évaluer les institutions qui en sont chargées », William L. F. FELSTINER, Ri-chard L. ABEL et Austin SARAT, « L’émergence et la transformation des litiges : réaliser, reprocher, récla-mer… », Politix, 16, 1991, p. 43.

30. Antoinette CHAUVENET, « Les surveillants entre droit et sécurité », in Claude VEIL et Dominique LHUILIER (dir.), La prison en changement, Toulouse : Érès, 2000, p. 144.

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autorité. Appelant une régulation de contrôle, elle l’expose à un possible désaveu, soit que le CRI soit classé sans suite, soit qu’il n’aboutisse pas à la sanction souhaitée.

Un sens commun bureaucratique tend, de plus, à considérer qu’une application trop rigide du règlement comporte une mise en péril de l’ordre. Ainsi que le confie un gradé de la centrale : « En prison, on cherche toujours l’équilibre, personne n’a véritablement la force de son côté, nous on a la force de la loi mais, si on pousse la force de la loi trop loin, on finit soit par des incidents collectifs ou par une émeute et vous perdez le contrôle et, de toute façon, vous n’allez pas gagner donc on est constamment dans l’équilibre 31. » Les travaux ont souligné l’importante autonomie opérationnelle des surveillants 32, comparable d’ailleurs à celle qui existe dans le métier de policier 33. Une part de pouvoir discrétionnaire leur revient en creux de ce qui a été décrit comme la « labilité des règles carcérales » 34. Le fonctionnement carcéral repose ainsi en partie sur un système de don/contre-don. Créant un rap-port d’obligation réciproque entre gardiens et gardés, ce système, comme l’a mon-tré Antoinette Chauvenet, joue un rôle important pour le maintien de l’ordre.

II.2. Contingence du recours au droit Admettre que l’application du règlement relève d’un jugement en opportunité

pose néanmoins la question de ce qui régit cette décision. Pour Antoinette Chauve-net, le recours à la sanction bureaucratique signale la gravité de l’acte commis. La gravité n’est toutefois pas une propriété inhérente à l’acte commis. La prière clandes-tine est certes une infraction au règlement. Mais nombreuses sont celles qui jouissent de l’impunité. L’écart à la règle – prier dans un coin dissimulé d’un atelier – peut sembler, de plus, véniel en comparaison de la sanction encourue (une semaine de quartier disciplinaire). Elle occupe pourtant, dans le barème de Bernard, un niveau de gravité équivalent à celui des bagarres, rares circonstances qui, dit-il, l’ont con-duit à user de la sanction bureaucratique.

Si l’on suit la problématique de la gestion différentielle des illégalismes 35, les variations observées dans la répression des contrevenants à la légalité dessinent une échelle d’illégitimité des déviances. En prison, comme dans le monde libre, les manquements au règlement font l’objet de perceptions et de traitements variables

31. Ce à quoi renvoie l’analyse de A. Chauvenet : « lorsque nous disons que les surveillants construisent leurs relations avec les détenus dans les failles, les contradictions des règles et contre ces dernières ce n’est le plus généralement pas pour être plus durs que la loi, mais au contraire parce qu’une application stricte des textes est impossible parce que trop contraignante pour les détenus, sauf à provoquer des tensions extrêmes », ibid., p. 148.

32. Antoinette CHAUVENET, Françoise ORLIC et Georges BENGUIGUI, Le monde des surveillants de prison, Paris : PUF, 1994 ; Dominique LHUILLIER et Nadia AYMARD, L’univers pénitentiaire. Du côté des surveillants de prison, Paris : Desclée de Brouwer, 1997 ; Georges BENGUIGUI, Antoinette CHAUVENET et Françoise ORLIC, « Les surveillants de prison et la règle », Déviance et société, 18 (3), 1994, p. 275-295.

33. Dominique MONJARDET, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris : La Découverte, 1996.

34. Antoinette CHAUVENET, Corinne ROSTAING et Françoise ORLIC, La violence carcérale en question, Paris : PUF, 2008, p. 104.

35. Cf. N. Fischer et A. Spire qui revisitent la problématique de Foucault en l’étendant, au-delà de la seule instance judiciaire, à celles mettant en rapport des agents mandatés par l’État avec différents publics et usagers des administrations ; Nicolas FISCHER et Alexis SPIRE, « L’État face aux illégalismes », Politix, 87, 2009.

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en fonction d’une codification plus ou moins stabilisée et explicite au sein des éta-blissements. Cette hiérarchisation évolue selon les établissements, les circons-tances, les détenus et rapports de force au sein de la détention. Constater cette indétermination n’exclut pas que l’on puisse, à partir du présent cas d’espèce, ten-ter d’identifier les paramètres et logiques intervenant dans la décision de réprimer l’illégalisme commis par Kadar par la voie bureaucratique.

La décision de Bernard peut, tout d’abord, être resituée dans l’ordre de régulation locale dans lequel elle prend place. Dans la maison centrale en question, l’inter-diction des prières dites « sauvages » n’est pas qu’une règle formelle prescrite par la DAP : elle est une règle pratique, une consigne prioritaire régulièrement rappelée lors des briefings des personnels par les gradés. Point n’est besoin de séjourner longue-ment dans l’établissement pour remarquer l’attention scrupuleuse que les personnels attachent au respect des règles en matière de manifestations de la religion, et plus particulièrement de l’islam, dans les parties communes. Cette intransigeance, qui le distingue d’autres établissements moins stricts en la matière, se traduit pas une grande rigueur en matière de police vestimentaire (interdiction du port de la djellaba et du qamis), d’appels à la prière ou de prières hors des lieux licites (la cellule et la salle de culte sous réserve de la présence d’un aumônier). Les préventions à l’égard de ces dernières sont telles que la hiérarchie fait afficher des calendriers de prières au sein des cabines de surveillance pour accroître la vigilance des personnels en cas d’attroupement coïncidant avec les horaires des prières rituelles.

Cette politique défensive vis-à-vis des musulmans s’explique par l’histoire spé-cifique dont l’établissement est porteur. La mémoire collective locale reste en effet marquée par la tension suscitée quelques années auparavant par une reprise en main de l’établissement face à l’emprise accrue des « musulmans ». À la faveur de concessions et de changements d’équilibre au sein de la population pénale, ces derniers en seraient venus à « tenir » un bâtiment (selon les dires de certains per-sonnels, les offices aux étages auraient ressemblé à des « petits Kaboul »). Ils au-raient imposé leurs normes (interdiction de courir en cuissard, de se dénuder tota-lement pour les douches, de parler de sexualité) et instauré l’usage de la pratique de la prière collective et des prêches sur deux des trois cours de promenade. Quoique les choses n’aient pas été officiellement normées sur ce point, la hiérarchie de l’établissement, sommée d’agir par une partie des détenus non musulmans sous peine d’affrontements internes, décida d’y mettre un terme. Ultimatum fut adressé selon lequel toute nouvelle prière sur la cour donnerait, dès lors, lieu à sanctions. Les détenus concernés, une quarantaine selon les souvenirs, ayant estimé que rien juridiquement ne permettait d’interdire la prière sur les cours de promenade, s’obstinèrent. Obstination donnant lieu à l’établissement de CRI, des mises au quartier disciplinaire et transferts destinés à éclater le noyau de meneurs. S’ensui-virent quelques procédures contentieuses qualifiées, encore aujourd’hui par des cadres de la DAP, de « rébellion juridique ». L’interdiction de la prière sur les cours ayant été validée par le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel, la victoire sur le terrain s’est vue alors couronnée par une victoire juridique. La décision du juge administratif venait conforter une recommandation, diffusée entre temps via

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une note du directeur de l’administration pénitentiaire, réglementant l’exercice du culte islamique. Elle achevait de mettre un terme à ce qui avait fini par acquérir valeur d’usage au sein de cet établissement.

La narration que fait Bernard de la manière dont il a « ferré » Kadar et l’émoi que cette « prise » suscite chez lui est incompréhensible si on ne la resitue pas dans la continuité de cette histoire qui fut non seulement à l’origine de l’invention de la règle régissant la prière mais encore de sa consécration formelle. Elle s’inscrit, à en croire le chef de détention et certains des personnels, dans un contexte de guerre de positions larvée suscitant une vigilance quotidienne. La prière de Kadar, fût-elle clandestine, est ainsi interprétée, tout comme les appels à la prière, comme des moyens de tester la résistance du camp adverse voire le signe précurseur d’une nouvelle offensive et de remise en cause des règles du jeu.

La manière dont Bernard peaufine la préparation de son constat d’infraction ne va d’ailleurs pas sans évoquer cet état de guerre larvé. On ruse pour saisir les inten-tions cachées du détenu. On l’épie pour mieux le traquer 36. La proie est choisie, observée quinze jours durant avant ce qui s’apparente plus à un guet-apens, et préparé comme un assaut à haut risque. La traque est d’autant plus fébrile que la proie est d’envergure. Si les gradés font grand cas de l’incident, qualifié d’ailleurs d’incident « spécial » par Bernard, d’« exceptionnel » par d’autres gradés, c’est que Kadar occupe une place particulière dans la hiérarchie carcérale, une hiérarchie qui par contraste avec celle qui régit celui des citoyens ordinaires, consacre un « ordre social inversé ». La nature de sa condamnation en fait un « politique » et le situe au sommet de cette hiérarchie. Son identité de « perpète » et sa qualification de DPS sont deux marques distinctives supplémentaires qui ne font que rehausser son classement dans l’échelle des valeurs carcérales 37. Sa capacité de leadership – il s’agit d’un homme entouré, secondé d’un « lieutenant » – en font un homme craint et respecté, autant au sein de la population pénale que des personnels. La capacité d’emprise qu’on lui prête sur les plus jeunes accroît les soupçons dont il fait l’objet et ce d’autant plus qu’il constitue la figure par excellence de l’ennemi intérieur, tant au sein de la société française que de la prison. La catégorisation de « radical » ou de « prosélyte » signale à cet égard une position particulière sur l’échelle interne de la dangerosité des détenus, les soumettant à un dispositif de surveillance spécifique.

Si l’on ne peut exclure que le désir d’accroître son capital d’autorité en se mesu-rant à un adversaire de taille ait pesé dans la décision de Bernard de marquer offi-ciellement le coup, on ne peut davantage écarter l’impact des paramètres disposi-tionnels dans ce choix de s’investir ici comme le gardien d’une règle qui semble lui tenir particulièrement à cœur. Bernard n’en est pas à son premier coup d’essai : il a à son actif l’envoi au quartier disciplinaire de deux détenus « prosélytes » surpris en prière aux ateliers, quelques années auparavant. Âge, appartenance à la petite classe moyenne française « de souche », trajectoire professionnelle d’un gradé au passé de

36. Antoinette CHAUVENET, « Guerre et paix en prison », Les cahiers de la sécurité intérieure, 31 (3), 1998, p. 91-109.

37. Léonore LE CAISNE, « L’économie des valeurs. Distinction et classement en milieu carcéral », L’Année sociologique, 54, 2004, p. 511-537.

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parachutiste au sein de l’armée française l’ayant conduit au Liban ancrent Bernard dans une catégorie de personnels particulièrement réceptifs au thème de la « gan-grène islamiste » des prisons françaises cultivé par la droite populiste. Or, cette prière « sauvage » est d’autant plus susceptible d’être interprétée comme acte sédi-tieux qu’elle s’inscrit, rappelons-le, peu de temps après l’affaire Merah.

Une telle lecture n’exclut évidemment pas un usage stratégique de la règle. Si Bernard recourt à la sanction formelle c’est peut-être, qu’au vu de la jurisprudence locale, il a de bonnes raisons d’estimer qu’il est dans son « bon droit » et d’escompter que « justice soit faite ». Aussi peut-on conclure que le recours à la sanction bureau-cratique n’est pas tant destiné à inscrire un rapport dans le cadre réglé et pacifiant du droit qu’il ne tient d’une arme, mobilisée dans une guerre de chefs, destinée à porter un coup à son adversaire. Ce en quoi la sanction bureaucratique apparaît bien comme une ressource, sa mobilisation constituant une illustration embléma-tique de l’adage wébérien selon lequel on obéit à la règle lorsque l’intérêt à lui obéir l’emporte sur l’intérêt à lui désobéir.

II.3. La peur du droit Le choix de l’épreuve procédurale n’en comporte pas moins un coût et des

risques. Cette épreuve légitime 38, au sens où elle s’inscrit dans un cadre conven-tionnel imposant des règles, procédures et contraintes de justifications propres, ouvre un nouvel espace de jeu appelant des compétences particulières. Elle redis-tribue, on l’a vu, règles du jeu et rapports de force et transforme les identités des acteurs. Constater l’infraction, pour le gradé, c’est ainsi accepter de perdre la maî-trise du déroulement des choses pour ne devenir qu’un maillon dans une chaîne de traitement de l’infraction.

De manière significative, l’anticipation de cette épreuve cadre l’action de Ber-nard dès la préparation du constat d’infraction. Si l’entorse au règlement lui paraît évidente, encore faut-il, pour qu’elle mène à la sanction recherchée, que l’établisse-ment des faits s’appuie sur un appareil de preuves efficaces. La préparation minu-tieuse de l’intervention – « ficelée dans les règles de l’art », « bétonnée » – répond pour partie à ces exigences procédurales que le surveillant a intériorisées. Elle est d’autant plus précautionneuse que le gradé dit avoir affaire ici, à la différence des deux détenus qu’il avait surpris en prière quelques années auparavant, à un détenu « tordu » et « procédurier » selon ses termes.

J’avais deux témoins avec moi… Attention, je travaille pas n’importe comment ! […] Il faut quand même avoir, dans le cadre du dossier, des preuves sérieuses. Si j’arrive et que je le vois et que je m’en vais, eh bien là, dans sa défense, il va pouvoir dire : « C’est vrai, au moment où vous êtes arrivés, j’étais penché, j’étais en train de chercher. » Là, je savais : je suis resté sur place, je me suis reculé de deux mètres. J’ai attendu qu’il finisse… parce que j’aurais pas fait ça, je suis sûr qu’il aurait dit qu’il y avait vice de procédure… Il aurait essayé de me dire : « Mais j’étais en train de me

38. Selon l’opposition qu’établit Luc Boltanski entre les opérations de jugement ordinaire et de droit : Luc BOLTANSKI et Laurent THÉVENOT, De la justification, op. cit. ; voir aussi Luc BOLTANSKI et Ève CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris : Gallimard, 1999.

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pencher momentanément. » Là, j’ai vu quand le gars s’est penché, j’ai vu quand il s’est relevé.

Le CRI fait l’objet d’une rédaction minutieuse, durant laquelle Bernard et d’autres gradés qui le conseillent, anticipent la bataille qui sera livrée lors du passage du déte-nu au prétoire. Chaque mot a été pesé. Nous donnant lecture de cette pièce centrale du dossier, il ne cesse de faire référence à l’usage juridique qui peut en être fait, comme si, derrière le détenu, se dissimulait un autre adversaire, le formalisme du droit et l’avocat susceptible d’être présent à la commission disciplinaire :

Voilà comment se présente un CRI. Il y a des mentions obligatoires. Parce que, s’il y a un avocat, il va vous planter ! Donc on reprend systématiquement : « ce jour, à telle heure, la personne, son nom, son prénom, son numéro d’écrou, ce qu’il était en train de faire… » Donc, il était en train de prier à genoux (parce qu’il y a prier debout… et il y a prier… on est bien d’accord parce que si vous tombez sur un procédurier, un avo-cat… vous vous faites désosser !), donc en train de prier sur un tablier marine faisant office de tapis de prière… parce que le gars va dire : « Tablier… un tapis ?… mais j’avais pas de tapis ! » Faut être précis ! Pendant la pause, il est pas au travail (donc il est pas en faute par rapport à ça), dans l’atelier X… où il est classé.

Significative de l’apprentissage qu’exige la diffusion des droits en monde carcéral, notre étude de cas l’est tout autant de l’imprévisibilité qu’ouvre ce mode de gestion d’un conflit. À commencer par ses effets potentiels sur la détention. La procédure bureaucratique est d’ailleurs loin d’annihiler l’éventualité d’un basculement vers l’épreuve de force, qu’elle n’exclut pas, ce d’autant moins qu’elle peut être interprétée comme un acte d’agression de la part des personnels. De manière significative, une certaine fébrilité entoure la préparation de la procédure et la comparution en com-mission de discipline. L’annonce du passage au prétoire s’accompagne d’une vigi-lance accrue de la part de la hiérarchie. Le dispositif de sécurité de l’étage où se trouve la cellule de Kadar est renforcé de peur que la paix armée, toujours précaire, ne vienne à rompre. Les gradés du bâtiment cherchent à évaluer l’onde de choc de cet incident. Ordre est donné de scruter les réactions des musulmans identifiés comme « radicaux » et des détenus de l’étage. Des gestes de soutien à Kadar émanent de déte-nus, peu nombreux dans l’établissement, entrant dans cette catégorie. À commencer par ceux de ses acolytes : Djamil et Malik ne retournent pas travailler le lendemain de l’incident en signe de soutien à Kadar, « au chômage » le temps que la sentence soit prononcée. Un groupe de trois autres détenus également réputés radicaux, travaillant dans un autre atelier et relevant d’un autre bâtiment, envoient, eux aussi, des gestes de soutien : l’un d’eux aurait, le soir même, procédé à un appel à la prière de la fenêtre de sa cellule sans qu’on puisse l’établir avec suffisamment de certitude pour le sanc-tionner. Tous trois ont, nous dit-on, arboré en arrivant le lendemain aux ateliers « la tête des mauvais jours ». En bon connaisseur des codes carcéraux, le premier surveil-lant du bâtiment des détenus décrypte leurs demandes répétitives au bureau du gra-dé du bâtiment comme des coups de semonce.

Ils se sont tous donné le mot après cette histoire pour mettre la pression. On les a tous vus passer dans le bureau [du chef de bâtiment]. Ils avaient tous une paille dans le c…, un problème à régler. Et ils disent tous, si le problème n’est pas réglé, ça va charcler !

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Le décodage attentif de la situation par les surveillants et gradés aboutit cepen-dant à la conclusion qu’il n’y a là que gesticulation symbolique et baroud d’honneur. Cela, dans un contexte où le camp des « radicaux » est minoritaire et une partie des détenus, et notamment le caïd corse qui tient le bâtiment de Kadar, encouragent les personnels à ne rien leur céder, espérant comme le confie un surveillant « qu’on fera le boulot à leur place, par la manière disciplinaire ».

À cette fébrilité, révélatrice de la manière dont épreuve de légitimité et épreuves de force s’encastrent l’une dans l’autre, s’ajoute la peur du vice de forme. On re-trouve chez le chef de bâtiment et son premier surveillant qui suivent l’instruction du dossier la même application inquiète que celle du gradé qui a rédigé le CRI. Le chef de bâtiment connaît la ténacité et l’habileté de Kadar dès lors qu’il s’agit de faire valoir ses droits ou ceux de ses acolytes ou protégés. Il en parle comme d’un « bon orateur », d’« un tribun » ou encore comme « quelqu’un de persuasif », un homme susceptible, qui plus est, d’avoir de l’emprise sur ses codétenus. C’est l’occasion pour lui d’évoquer les « assauts » du droit et les changements des ma-nières de faire, auxquels contraignent les contrôles externes dont la prison fait dé-sormais l’objet, et la juridictionnalisation des commissions disciplinaires : il faut « tourner sa langue sept fois dans sa bouche », « faire attention à chaque mot que l’on dit », « bétonner les choses ». Il s’agit d’« une pression et une charge de travail supplémentaire. Une attention particulière qu’on doit porter à notre manière de rédiger les procédures, faire attention aux délais, aux pièces qu’on joint… On de-vient… On n’est pas juriste. Oui c’est une difficulté ». Le cas suscite l’évocation de déboires juridiques ou une forme d’acrimonie à l’égard d’un droit qui désarme les personnels – « les détenus n’ont que des droits et les surveillants que des devoirs ! ». Certains vont même jusqu’à dénoncer « le terrorisme du droit ».

De leur côté, les membres de la direction spéculent sur ce que pourrait être le « bon » verdict de la commission disciplinaire. La dimension juridique (solidité du CRI et résistance de celui-ci à l’argumentation présumée de l’avocat) est loin d’être la seule dimension prise en considération. Deux autres paramètres comptent dans l’équation : les effets d’une mise au quartier disciplinaire du détenu sur la déten-tion (n’est-elle pas de nature à recharger le charisme du détenu en en faisant une victime ? d’accroître le sentiment de discrimination des musulmans dans un con-texte propice à cela ?) ; ceux d’une relaxe sur les personnels. Ainsi que l’explique un des membres de la direction le lendemain du verdict :

C’est tout le paradoxe de la commission disciplinaire. On est entre le marteau et l’enclume : le marteau des détenus (avec les risques de recours) et l’enclume des sur-veillants (qui protestent lorsque leur CRI ne donne pas lieu à des sanctions). On ne peut pas satisfaire en même temps les uns et les autres.

La direction redoute enfin, compte tenu du contexte politico-médiatique, les vagues que pourrait susciter l’affaire en cas de litige administratif.

— Pour l’un des directeurs adjoints : J’aurais espéré son déclassement du fait de la prière. On nous le remonte régulièrement. Ils mettent la pression sur tout le monde, y compris sur des gens qui travaillent depuis 10 ou 20 ans, qui veulent partir. Mais nous, tant qu’on a pas assez de preuves, on peut rien faire. Et, si on fait quelque chose, ça a

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plus de mauvaises conséquences de que bonnes. En l’occurrence, le détenu menaçait de saisir les médias.

— Selon l’autre directeur adjoint : parce que s’il faisait un recours sur une affaire sensible, nous avons eu peur que ça passe au TA [tribunal administratif] et que le TA lui donne raison.

— Selon le directeur enfin : la procédure n’était pas suffisamment solide. C’est ja-mais facile de caractériser un incident en trouble à l’ordre public. Entre accusation de prosélytisme et discrimination, il n’y a qu’un pas. Même si les faits sont constitués. Ses explications et la présence de l’avocate, commise d’office, brillante pour une fois, a fait qu’il n’y avait pas 100 % de certitude.

Cette inquiétude diffuse n’est, en l’occurrence, pas étrangère à la réputation du détenu. Ce que ne dément pas la manière dont il parvient à ouvrir une « passe » juridique 39, laquelle transforme en victoire à la Pyrrhus ce que Berrnard considérait comme un exploit et fait de lui une sorte d’apprenti sorcier du droit. L’indétermi-nation du recours à la règle se double de l’indétermination de l’interaction à la-quelle elle donne lieu.

III. La résistance du bouclier des droits Revisitant la problématique de la gestion différentielle des illégalismes, Nicolas

Fischer et Alexis Spire 40 insistent sur l’importance de se garder de l’écueil consis-tant à considérer que les auteurs d’illégalismes, surtout lorsqu’il s’agit de dominés, ne seraient que des objets passifs aux mains de la répression et/ou d’acteurs spécia-lisés. L’observation de l’acquisition d’un certain sens pratique permettant à de tels acteurs d’échapper au contrôle ou d’en neutraliser les effets suggère, comme le remarquent les auteurs, à elle seule une capacité à se jouer des règles. Ce savoir-faire pratique ne se décline pas simplement en creux, via des stratégies d’évitement ou de contournement de la règle ; il se manifeste également par une capacité à user du droit et à peser sur sa mise en œuvre. Ce qu’illustre avec éclat, dans le cas pré-sent, la virtuosité juridique de Kadar.

À la puissance légale de l’« arme » pénitentiaire qu’est la traduction en commis-sion disciplinaire, Kadar oppose le « bouclier de ses droits » selon la métaphore chère à Richard Abel en référence aux usages défensifs du droit 41. Que le détenu ne croie pas à la légitimité du droit et assimile la prison à un espace de non-droit, comme il l’affirme en entretien, ne l’empêche pas de faire usage de l’arsenal juri-dique mis à sa disposition par les récentes évolutions pénitentiaires.

III.1. Accomplissement d’une performance juridique Consultation du bibliothécaire connu pour sa compétence juridique, dépôt de

plainte auprès du Contrôleur des lieux de privation de liberté (CGLPL), assistance

39. Pierre LASCOUMES et Jean-Pierre LE BOURHIS, « Des “passe-droits” aux passes du droit. La mise en œuvre socio-juridique de l’action publique », Droit et Société, 32, 1996.

40. Nicolas FISCHER et Alexis SPIRE, « L’État face aux illégalismes », art. cité.

41. Richard ABEL, « Speaking Law to Power: Occasions for Cause Lawyering », in Austin SARAT et Stuart SCHEINGOLD (eds.), Cause Lawyering: Political Commitments and Professional Responsibilities, Oxford : Oxford University Press, 1998.

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d’un avocat parisien, qu’il double, dans l’éventualité de son absence, d’un avocat commis d’office : Kadar exploite, on l’a vu, toutes les ressources mobilisables au profit de sa défense. Sa maîtrise des instances et du raisonnement juridique s’exprime dans la plainte qu’il adresse au procureur : il y conteste le bien-fondé juridique de l’interdiction de la prière dans les ateliers qu’il estime en contradiction avec la loi. Se montrant à l’affût du moindre vice de forme, il soumet les personnels en charge de l’instruction du dossier à un véritable tacle procédural, ce dont donne un aperçu l’interaction à laquelle nous avons assisté :

— Kadar [la quarantaine, petit bouc, musculature imposante, short au genou et tee-shirt, pénètre avec un air jovial dans le bureau à l’invitation du chef de bâtiment avec lequel nous nous entretenons. Il nous salue de manière très civile] : « Bonjour Mes-dames ! » [Il reste debout. Il est accompagné d’un autre détenu qui se tient derrière lui, plus franchement barbu. On apprendra qu’il s’agit de Malik, l’un des détenus qui aurait lui aussi fait la prière aux ateliers.]

— Le chef de bâtiment : Alors, que voulez-vous ?

— Kadar : Ils [les surveillants] ont cité des témoins et moi je veux les citer aussi comme témoins. Du moment qu’ils sont cités, moi je veux les citer.

— Le chef de bâtiment : Vous voulez citer… [elle lit le document, la copie des CRP, que lui a tendu Kadar] Djamil et Malik.

— Kadar : C’est eux [les surveillants des ateliers] qui les ont cités comme témoins. C’est pas moi ! Cela ne se fait pas en prison. Cela ne se fait pas en prison de citer des noms comme cela ; eux, ils les ont cités comme témoins et moi je suis dans l’obliga-tion de venir étayer quelques substances… [rire] Tout à l’heure, j’ai appelé le contrô-leur des prisons et je te jure que la femme elle était outrée : « On pense faire de la sanction sur la prière, c’est pas possible ! » Je lui ai dit : « Je suis soupçonné d’avoir fait une prière pendant la pause à l’abri des regards. » Elle m’a dit : « Non ! ? » Je lui ai dit : « Je vous jure que c’est vrai ! » Elle m’a dit : « Ce n’est pas possible. — Si, si, mainte-nant, on te fait un CRI pour cela ! » Alors, vous me citez les témoins ?

— Le chef de bâtiment : Je vais voir ce que l’on peut faire. [Ils parlent tous en-semble, Kadar rigole très fort, semble sûr de lui et prendre les choses avec dérision, con-tent apparemment d’avoir du public entre le chef, le détenu, le surveillant et nous.] On a deux solutions : soit ils sont cités à la commission, à l’audience et ils les font venir ; soit l’audience sera ajournée pour vous permettre d’avoir des témoins. Allez, bonne soirée, je transmets votre demande [elle raccompagne les deux détenus vers la porte].

On croit se réinstaller pour poursuivre notre entretien quand Kadar revient avec Malik. Kadar montre son CRI et demande des explications au surveillant.

— Kadar : C’est quoi ce numéro ? C’est qui qui a écrit cela ?

— Le surveillant : Le surveillant a mis son numéro d’agent.

— Kadar : Tu peux me l’appeler, le surveillant. Moi je n’ai parlé à personne. Je n’ai parlé à personne, moi [rires].

— Le premier surveillant le contredisant : Je suis arrivé à l’atelier après. Vous m’avez exprimé votre amertume.

— Kadar : Je voulais voir le chef qui devait régler mes histoires et le chef qui criait : « Ah tu faisais la prière ! » Je lui ai dit : « Non, je ne faisais pas la prière, qu’est ce que tu racontes ? » Ils citent des surveillants qui regardaient d’en haut…

[…] Kadar demande au chef de faire un petit mot pour faire savoir que, selon lui, cela ne s’est pas passé comme cela et part en nous saluant.

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On peut mesurer la portée du tacle procédural à l’affolement et aux commen-taires qu’il suscite. Alors que le chef du bâtiment s’enquiert immédiatement de la marge de manœuvre auprès de l’officier du BGD qui supervise l’ensemble de la procédure, le premier surveillant maugrée à l’idée d’une défaite annoncée :

On va se faire bananer s’ils font cela ! […] Lui, il va dire – je me mets dans la peau du détenu : « Je n’ai pas cité les détenus car je ne les ai pas vus. Je ne savais pas qu’ils étaient là alors qu’ils sont cités par le personnel. Je voudrais qu’ils soient présents. Vous ne voulez pas les présenter. »

L’aspect le plus remarquable de ce qui constitue une performance juridique à part entière consiste dans la manière dont son argumentation parvient à remettre en cause l’évidence selon laquelle il était en train de prier. Dans ce discours, l’incident se déréalise pour devenir, comme l’affirme Kadar, « l’histoire de la prière qui n’existe pas ». Ce faisant, il s’attaque à la qualification des faits, véritable bélier permettant de pulvériser la réalité de l’infraction et, avec elle, de la sanction qu’elle implique 42. À l’appui de cette mise à l’épreuve de la preuve, il met la divergence d’interprétation au compte d’un contexte ambiant lié à l’affaire Merah auquel les personnels pénitentiaires de l’établissement seraient perméables du fait, toujours selon ses dires, de leur sympathie pour l’extrême droite. Comme il l’allègue, celle-ci serait propice à la « chasse aux musulmans » aux surinterprétations, voire aux excès de zèle de la part des surveillants, encouragés peut-être par les déclarations du président de la République sortant, Nicolas Sarkozy, sur la lutte contre la radicalisa-tion religieuse en prison. La sanction dont il est menacé ne serait autre que l’illustration emblématique d’un climat islamophobe qui sévit en prison comme à l’extérieur. L’accent est mis sur l’absurdité des faits qui lui sont prêtés : pourquoi se serait-il mis à faire soudain la prière ? Comment expliquer qu’il se risque ainsi à enfreindre le règlement alors que depuis dix ans il n’a jamais suscité de problème ? Comment l’islamiste qu’il est réputé être aurait-il consenti à faire une prière con-trevenant à tous les usages rituels de la pratique religieuse : sans ablutions préa-lables, chaussé, sur un tablier sale, à la mauvaise heure et, qui plus est, dans la mauvaise direction ?

Remodelant les faits 43 afin de rendre sa culpabilité sans objet, cette argumenta-tion s’ordonne à une visée juridique : faire de la « vérité » du récit consigné dans le CRI une présomption réfragable, et conférer suffisamment de plausibilité à sa ver-sion, pour déplacer la charge de la preuve sur l’administration.

La plaidoirie de l’avocate, commise d’office, aurait, selon les témoins de la sé-quence, achevé d’enfoncer le clou. Rebondissant sur l’insuffisance des preuves mise en évidence par Kadar, elle aurait plaidé l’absence de faits caractérisés. Selon ce que nous en dit Kadar :

L’avocat a dit que la loi n’interdit en aucun cas d’être à genoux. L’agent a dit qu’il l’avait vu à genoux. Mon client dit qu’il n’était pas en train de prier. Il était à genoux

42. On se trouve ici au cœur de ce qui se joue dans les opérations de qualification du droit. Cf. Olivier CAYLA, « La qualification, ou la vérité du droit », Droits. Revue française de théorie juridique, 18, 1994, p. 3-18.

43. Y. Thomas a montré la part que le droit prend dans le remodelage des faits ; Yan THOMAS, « Présenta-tion », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 57 (6), 2002, numéro spécial : « Histoire et Droit ».

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en train de chercher je ne sais pas quoi. La loi n’interdit pas, à qui que ce soit, d’être à genoux ou debout. À partir de là, le directeur a été un peu troublé.

Au bénéfice de l’impossibilité de produire des preuves juridiquement probantes, les deux assesseurs (assesseur extérieur pour l’un, pénitentiaire pour l’autre) auraient encouragé le directeur adjoint à la prudence, laquelle l’a conduit à renoncer, on l’a vu, à une peine ferme.

La plaidoirie de l’avocat ne fait donc que renforcer le crédit juridique de la ligne de défense construite par Kadar. Elle consacre – du fait du statut de professionnel du droit de son auteur – la validité d’un raisonnement juridique renforçant la pro-babilité d’un revers en cas de contrôle juridictionnel. Se mesure ici l’écart qui sé-pare le vrai de ce qu’est une vérité judiciairement fondée : que la prière ait été ou non effectuée importe peu dès lors que la preuve tangible de son accomplissement ne peut être produite ou, pour le dire en termes juridiques, que la réalité matérielle des faits ne peut être établie. Cette stratégie argumentative est moins destinée à convaincre directement une hiérarchie, que le détenu présuppose acquise à la version des faits des surveillants, qu’à rendre sans effet les poursuites juridiques dont il est l’objet en la dépossédant des moyens de le faire. Elle est d’autant plus efficace que, comme on l’a vu, le détenu fait monter les enjeux du risque en esquis-sant l’éventualité d’une exposition médiatique. Par cet usage du droit comme res-source de remodelage des faits et son habileté à rendre probables les suites conten-tieuses que pourrait avoir l’affaire, Kadar apparaît bien comme un maître d’œuvre, son avocat n’intervenant que pour valider le bien-fondé de son argumentation. Il témoigne d’une maîtrise de la grammaire juridique excédant au final celle des per-sonnels pénitentiaires contraints de faire profil bas sous peine de nouveaux déve-loppements à l’issue incertaine.

III.2. Carrières judiciaire et carcérale et socialisation au droit Cette performance juridique suffit à elle seule à interroger l’a priori déterministe

de la sociologie de la domination assimilant le droit à un outil de légitimation de la force et contestant aux droits leur potentiel protecteur. Il faut néanmoins se garder de surestimer le côté success story de ce qui représente au final un cas limite. La performance juridique de Kadar ne doit pas faire oublier que le recours au droit en prison est loin d’aller de soi. D’autres détenus au sein de l’établissement ayant été surpris en train de prier clandestinement aux ateliers, quelques années auparavant n’ont – faute de compétences similaires – pas échappé au quartier disciplinaire. Plus généralement, les quelques travaux sociologiques sur le rapport au droit des détenus, même s’ils montrent les effets concrets de l’entrée des droits en prison et l’émergence d’une « voice légale » 44, pointent les obstacles qu’ils rencontrent pour faire valoir leurs droits.

44. Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », art. cité. Cf. également ID., « L’expression des détenus : formes, marges de manœuvre et li-mites », in Jean-Paul PAYET, Frédérique GUILIANI et Denis LAFORGUE (dir.), La voix des acteurs faibles. De l’indignité à la reconnaissance, Rennes : PUR, coll. « Lien social », 2008, p. 121-138.

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La performance juridique de Kadar eut cependant été impossible sans la trans-formation de la structure d’opportunité juridique induite par les réformes récentes. Lui fait écho la progression sensible du contentieux pénitentiaire depuis 2000, et surtout depuis la promulgation de la loi pénitentiaire de 2009 45, progression ayant d’ailleurs conduit la DAP à une restructuration et un renforcement de son « bureau du droit » 46. Reste que ce répertoire d’action est loin d’être privilégié. Faible maî-trise de l’écrit au sein de la population pénale, complexité des procédures, difficulté du montage du dossier sans compter les effets dissuasifs des pressions des surveil-lants et des délais de jugement sont autant de paramètres qui expliquent que « seule une minorité revendique l’application de ses droits de façon réglementaire, considérant le droit comme une ressource contre l’arbitraire » 47.

Quelles que soient les variations des capacités des détenus à se saisir de ces nouvelles ressources, et les déterminants susceptibles d’en rendre compte, le cas de Kadar n’en suggère pas moins de creuser l’hypothèse de l’effet de socialisation au droit inhérent aux expériences judiciaire et carcérale. Autrement dit de mettre en rapport cette capacité à se saisir efficacement du droit avec la manière dont l’acteur est « saisi par le droit » 48. Rien dans le parcours biographique antérieur à son incar-cération ne peut expliquer son art de faire juridique. On ne saurait en revanche négli-ger le rôle qu’a pu jouer dans sa socialisation au droit sa traduction devant la justice et son incarcération. Sa confrontation à la machine judiciaire n’est sans doute pas pour rien dans l’explication de sa familiarité avec le langage, les techniques et le mode de raisonnement juridiques, les logiques de fonctionnement du système judiciaire, sa compréhension des règles et de l’interaction judiciaire. Le détenu incarcéré pour fait de terrorisme n’a certes pas pratiqué, lors de son procès, de logique de guérilla juri-dique comparable à celle menée par les membres de la Rote Armee Fraktion (RAF) lors de leur comparution devant le tribunal de Stammheim 49. Ces actes n’en ont pas moins fait l’objet de plusieurs années d’enquête, de 78 tomes de pièces, de procès à répétition, d’appels et pourvois en cassation, de journées entières de plaidoiries. Ce parcours l’apparente à un « repeat player » judiciaire, que Marc Galanter oppose à ce qu’il désigne comme les « one shot player ». Tout comme c’est le cas pour les banques, grandes entreprises, assurances, etc., cette familiarité avec le jeu judiciaire confère aux repeat players une capacité à l’influencer. Dans le cas d’espèce, elle se manifeste via une capacité d’anticipation et d’expertise juridique, mais aussi via un capital

45. Sur le développement du contentieux pénitentiaire voir, en particulier, COMITÉ NATIONAL DES DROITS DE

L’HOMME et OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (dir.), Défendre en justice la cause des personnes déte-nues, Paris : La Documentation française, 2014.

46. Avec la création, au sein du « bureau du droit », devenu depuis peu une sous-direction à part entière au sein de la Direction de l’Administration pénitentiaire, d’un poste de « chef du pôle contentieux » confié à un magistrat administratif.

47. Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », art. cité, p. 586.

48. François BUTON, « Le droit comme véhicule. Portrait sociologique d’un justiciable », in Liora ISRAËL et al. (dir.), Sur la portée sociale du droit, Paris : PUF, 2008.

49. Cf. Frédéric AUDREN et Dominique LINHARDT, « Un procès hors du commun ? Histoire d’une violence terroriste et de ses agents », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 63 (5), 2008, p. 1003-1034.

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réputationnel bien réel, au vu des craintes que suscite chez les personnels la perspec-tive de croiser le fer juridique avec lui 50.

À cette expérience, longue et répétée, du système judiciaire qui se poursuit à tra-vers le suivi de l’application des peines, s’ajoute l’expérience carcérale dans laquelle les références au droit et au règlement sont plus fréquentes que dans le monde ordi-naire et revêtent souvent des enjeux importants, ce que trahit la présence fréquente d’un Code de procédure pénale dans les cellules. Si cette piste d’un apprentissage du droit inhérent à la carrière carcérale mérite d’être validée et affinée selon les catégo-ries de détenu, cette « histoire de prière qui n’existe pas » n’en témoigne pas moins, sous certaines conditions, des capacités des détenus non seulement à exploiter les marges de manœuvres et ressources créées par le nouveau contexte juridique, mais encore à peser sur le cours des choses, en somme à « faire du droit ».

Conclusion Cette plongée dans le vif des relations carcérales a fourni une opportunité, en

resituant la mobilisation du droit dans la trame des rapports sociaux en prison, d’observer l’activité juridique des acteurs en situation. Elle a fait ressortir la part de contingence que recèle le recours au droit et l’importance de l’approche relation-nelle pour comprendre ces jeux avec, dans et par le droit. Cet incident et ses suites témoignent dans le même temps des limites que la référence aux droits, dès lors qu’on sait en user, peut opposer au « despotisme ordinaire » 51 qui sévit dans le monde carcéral. Révélateur des ressources que les récentes réformes mettent à la disposition des personnes détenues, ils donnent à voir les effets perturbateurs de l’entrée des droits en prison pour les personnels dont la culture professionnelle se trouve bouleversée par la judiciarisation de la vie carcérale 52.

Cette séquence est certes évocatrice de la résistance de l’État de droit à l’épreuve à laquelle il est soumis, au sens où le jeu juridique a imposé sa logique à une direc-tion qui, à défaut, aurait sans aucun doute fait valoir le point de vue des personnels sur celui du détenu. Ce constat ne doit cependant pas occulter le paradoxe auquel conduit notre analyse. Si la sentence prononcée par la commission disciplinaire répond aux canons des règles de droit, ce n’est pas tant en raison de l’exigence des autorités pénitentiaires en charge de la procédure à en faire le lieu de la manifesta-tion réglée de l’État de droit, ce que l’on serait en droit d’attendre d’une institution investie d’une mission de resocialisation à la légalité. Si épreuve de légalité il y a eu, celle-ci résulte non d’une révérence partagée à l’égard des droits mais plutôt d’usages guerriers du droit. À ce qui tient presque d’un droit en embuscade du gradé qui interpelle Kadar répond l’obstination de ce dernier détenu à acculer le

50. Marc GALANTER, « Why the “Haves” Come Out Ahead: Speculations on the Limits of Legal Change », Law and Society Review, 9 (1), 1974. Cf. traduction dans le dossier de Liora ISRAËL (dir.), « Injustices de la Justice. Autour de Marc Galanter », Droit et Société, 85, 2013.

51. Antoinette CHAUVENET, « Privation de liberté et violence : le despotisme ordinaire en prison », Déviance et société, 30 (3), 2006, p. 373-388.

52. Corinne ROSTAING, « Processus de judiciarisation carcérale : le droit en prison, une ressource pour les acteurs ? », art. cité.

« La prière qui n’existe pas… ». Sociologie d’une mise à l’épreuve du droit disciplinaire en maison centrale

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chef d’établissement à juger en droit. Son exploration méticuleuse d’éventuelles failles procédurales et « passes » juridiques, l’exploitation qu’il fait des ressources formelles de l’argumentation juridique et des droits de la défense, ses menaces de faire de la cage de fer une cage de verre en exposant le huis clos carcéral au regard de l’opinion sont autant de moyens, qui ont contraint ses adversaires à prendre le droit au sérieux, à veiller à la bonne marche juridique des choses, en somme, à laisser passer le droit… 53.

L’auteur Claire de Galembert est chargée de recherche CNRS à l’Institut des Sciences Sociales du Politiques (ISP, ENS Cachan/ Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense). Ses travaux de recherches axés sur la gouvernance du religieux sont particulièrement attentifs à la place et au rôle qu’y tiennent le droit et la justice. Elle a notamment publié : — Sociologie du droit et de la justice (avec Thierry DELPEUCH et Laurence DUMOULIN), Paris : Armand Colin, 2014 ; — Des hommes et des dieux en prison (avec Céline BÉRAUD et Corinne ROSTAING), Paris : Mission de recherche Droit et Justice, 2013 ; — Faire parler le Parlement. Méthodes et enjeux de l’analyse des débats parlementaires pour les sciences sociales (dir., avec Olivier ROZENBERG et Cécile VIGOUR), Paris : LGDJ Lextenso, coll. « Droit et Société. Recherches et Travaux », 2013.

53. Configuration qui n’est pas sans évoquer celle décrite par F. Audren et D. Linhardt dans leur article relatif au procès de Stammheim (Frédéric AUDREN et Dominique LINHARDT, « Un procès hors du commun ? Histoire d’une violence terroriste et de ses agents », art. cité), dont s’inspire cette conclusion.

Laurence Dumoulin, Elisabeth Claverie, Corinne Rostaing, Cédric Moreau de Bellaing et Nicolas Fis-cher savent ce que cet article doit à leur relecture attentive. Qu’ils en soient remerciés.

Prix : 55 F ISBN 978-2-275-02890-3

SommaireDossierLa prison comme « laboratoire » des usages sociaux du droitcoordonné par Claire de Galembert et Corinne Rostaing

Claire de Galembert, Corinne Rostaing Ce que les droits fondamentaux changent à la prison.Présentation du dossier

Corinne Rostaing L’ordre négocié en prison : ouvrir la boîte noire du processus disciplinaire

Corentin Durand Construire sa légitimité à énoncer le droit. Étude de doléances de prisonniers

Claire de Galembert « La prière qui n’existe pas… ». Sociologie d’une mise à l’épreuve du droit disciplinaire en maison centrale

Caroline Touraut Les proches de détenus et leurs rapports ordinaires au droit pénitentiaire

Question en débatPoints de vue d’acteurs sur le droit en prison

Entretien avec Bernard Bolze « Si le droit devait changer la prison, ça se saurait depuis longtemps ! »

Entretien avec Jean-Marie Delarue « Je n’ai qu’à défendre les droits fondamentaux, si je puis dire » !

ÉtudesPascale Fournier, Pascal McDougall Le droit comparé et la violence faite aux femmes :

voyages au cœur de la narration identitaire

Christophe Traïni Les protecteurs des animaux et le droit. Refoulement ou formalisation des émotions ?

À proposPatrícia Branco, Laurence Dumoulin La justice en trois dimensions : représentations, architectures

et rituels

Chronique bibliographique

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DossierLa prison comme « laboratoire »

des usages sociaux du droit

Question en débatPoints de vue d’acteurs sur le droit en prison

Études

À propos

Chronique bibliographique

REVUEINTERNATIONALEDE THEORIEDU DROITET DE SOCIOLOGIEJURIDIQUE

ISSN 0769-3362

REVUE SOUTENUE PAR L’INSTITUT DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALESDU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

DROIT_87.indd 1 16/07/14 09:37


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