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Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis,
U.F.R. 4 : Histoire, littératures, sociologie.
LA RÉACTION INDUSTRIELLE
Mouvements anti trust et spoliations antisémites
dans la branche du cuir en France, 1930-1950.
Thèse présentée et soutenue publiquement le 22 novembre 2004 par Florent LE BOT,
pour l’obtention du grade de docteur de l’Université. Discipline : histoire.
Directeur de thèse : Monsieur le professeur Michel MARGAIRAZ
Entre 1930 et 1950, la branche du cuir connaît un cycle de réaction industrielle. Cela se
manifeste d’abord par un ensemble de répliques aux mutations traversées par la branche,
répliques voulues par des entreprises en mal d’adaptation et soutenues par leurs organisations
professionnelles. « L’aryanisation » économique offre l’opportunité à celles-ci de désirer, de
réclamer, voire de contribuer à l’élimination "d’entreprises émissaires" des changements.
Enfin, l’après-guerre représente une phase indécise, entre l’espoir pour les entreprises et les
organisations réactionnaires d’un maintien et même d’un renforcement des mesures
"défensives", et la fin effective de ces mesures ouvrant la voie à un approfondissement des
mutations.
Une branche en mutation
La branche du cuir en France apparaît, au début du XXème
siècle, constituée d’une
multitude d’activités qui en apparence n’ont pas changé depuis des siècles, portée par une
constellation de petites et moyennes entreprises réparties sur le territoire français. Son
apparent archaïsme, s’il recouvre certaines réalités, ne doit pas pour autant masquer le
dynamisme de pans entiers de cette économie adaptés à des segments de marchés spécifiques
(le luxe, les marchés de proximité, etc.) et regroupés, pour partie, au sein de districts
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industriels qui ont pu entraîner dans une dynamique de croissance leurs micro-régions
respectives.
La Première Guerre mondiale a cette conséquence incidente, au regard de l’histoire
générale, que les entreprises de chaussures en France se multiplient et surtout que certaines
d’entre elles acclimatent au sein de la filière les méthodes de l’ingénieur Taylor et de
l’industriel Ford adaptées à un marché moins segmenté et plus ouvert. L’exemple vient
précisément de la Moravie. L’expérience de Thomas Bat’a, représentant un surgeon de l’arbre
fordiste, conduit certains à penser que l’importance accordée aux ressources humaines,
notamment à travers les ateliers autonomes ou les services divers proposés aux ouvriers et à
leur famille, associée à une organisation rationnelle du travail, à l’utilisation de la chaîne de
montage et servie par un réseau commercial réactif à la demande des consommateurs,
pouvaient constituer une étape décisive sur le chemin de la Cité industrielle idéale. Plus
prosaïquement, influencés par la réussite du groupe Bata, par sa conquête des marchés
européens, ainsi que par son installation en France à partir de la fin des années vingt, certains
groupes français se lancent dans un processus d’intégration, de concentration et de
rationalisation, sans forcément d’ailleurs retenir la formule d’autonomie des ateliers. Cette
adaptation se fait avec plus ou moins d’intelligence du modèle, avec également plus ou moins
de réussite, mais désormais, avec les années trente, dans un contexte de crise économique,
celle-ci participe d’une exacerbation de la concurrence. Alors que l’on assiste à un
resserrement de la consommation, les groupes intégrés se montrent supérieurs dans la
prescription de produits peu onéreux adaptés aux attentes d’une clientèle paupérisée. Ce
faisant, ils se voient taxés par leurs concurrents d’avoir recours à des pratiques déloyales et
d’avilir la qualité des produits. Si dans l’ombre des usines, certains de ces mêmes concurrents
s’essaient aux méthodes décriées, sur la place publique, leurs représentants syndicaux
protestent et s’ébrouent violemment.
Les répliques aux mutations
Les revendications des organisations professionnelles se font graduelles. Elles demandent
dans un premier temps que l’on puisse recourir à l’outil défensif classique des droits de
douanes. Puis, devant la capacité d’adaptation de l'adversaire qui contourne la barrière
frontalière en s’installant directement sur les terres françaises, elles exigent des mesures
malthusiennes afin d’arrêter la croissance du corps étranger. Ce sont en mars-avril 1936, les
lois Le Poullen et Paulin. Plusieurs aspects sont à remarquer concernant ce processus
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protestataire. D’une part, celui-ci contribue à renforcer les liens entre syndicats des différents
secteurs, entre représentants syndicaux, entre adhérents des organisations syndicales, et
débouche même sur un accroissement sensible des adhésions auprès des syndicats patronaux.
D’autre part, il habitue organisations professionnelles et pouvoirs publics à des contacts
étroits et suivis dans une période où il semble à ces derniers, du moins à la plupart d’entre-
eux, que l’intérêt d’une masse de PME, même mal adaptée aux évolutions du marché, se
confond avec l’équilibre économique et social du pays. Enfin, faute de besoins et d’intérêts
similaires, l’unanimité des porte-voix des différents secteurs de la branche se fait autour de la
dénonciation des étrangers : Bata, firme enfermée dans une origine étrangère, et artisans que
certains qualifient « d’importés » et qu’ils affublent des pires défauts, fantasmés par un
antisémitisme séculaire. Cette situation apparaît de manière flagrante dans l’attitude de la
section des cuirs et peaux du Conseil national économique chargée entre 1936 et 1939, dans le
cadre de la loi Le Poullen, de soutenir ou de refuser auprès du ministère du Commerce
l’ouverture ou l’extension de toutes fabriques de chaussures. La section, formée de
représentants des différentes composantes professionnelles, avec la participation d’un
conseiller d’État, a du mal à conserver un cap précis s’agissant de savoir si l’on doit
privilégier la modernisation des structures productives ou au contraire encourager le statu
quo. Le consensus se fait cependant pour refuser toute demande émanant du groupe Bata ou
d’un fabricant étranger ou présumé tel. L’association de représentants des professionnels à la
mise en application de ces mesures malthusiennes, influant directement sur la marche
d’entreprises précises, légitime et habitue ceux-ci à une posture de contrôle de la structure de
la branche et les amène à réfléchir à des solutions alternatives au schéma libéral, sous une
forme corporatiste.
Lorsque survient l’Occupation, les organisations professionnelles de la branche du cuir
sont prêtes à accueillir des mesures vichyssoises qui, pour être notablement plus extrêmes,
voire plus criminelles, ne s’apparentent pas moins aux logiques exclusivistes, malthusiennes
et corporatistes des années d’avant-guerre.
Une « aryanisation » économique opportune
Les organisations professionnelles du cuir, les syndicats, leurs adhérents, les comités
d’organisation, ont contribué à la réussite de « l’aryanisation » économique. Ils ne sont pas
responsables de la mise en place de la spoliation antisémite. Ils n’en ont pas été à l’initiative.
Ils n’en ont pas demandé la réalisation. Il ne s’agit pas non plus de dire que l’attitude d’une
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partie de la profession du cuir durant les années trente a conduit directement et
inéluctablement à la politique « d’aryanisation ». Il faut, en la matière, se garder de tout
déterminisme. Il s’agit en revanche de souligner que cette attitude participe d’une atmosphère
d’avant-guerre préparant le climat de la période d’occupation. Surtout, celle-ci prédispose les
esprits à l’acceptation et à l’assentiment face à des mesures pourtant d’une terrifiante gravité.
Elle acclimate l’idée qu’un rejet de l’autre, sur des critères de nationalité, de religion, ou de
pseudo-race, peut contribuer à bloquer les évolutions économiques en cours, tandis que, dans
le même temps, l’adhésion à une politique corporatiste pourrait permettre de restaurer la
prospérité d’antan, au moins en partie mythique. Enfin, il s’agit d’insister sur le fait que les
mesures de spoliation peuvent alors être perçues comme participant d’une "légitime défense"
de la « Famille du cuir », elle aussi imaginaire, dans la continuité de mesures prises au cours
de l’avant-guerre. L’histoire de la branche, celle de ses professionnels, de ses syndicats, etc.,
croise, entre autres, l’histoire de l’antisémitisme en Europe, ainsi que celle des passions
politiques françaises depuis la Révolution, et cette conjonction historique, rendue possible par
la défaite, par l’Occupation allemande et par la chute de la démocratie, concourt à la
réalisation de la spoliation antisémite. Rien n’est jamais écrit par avance. La crise française du
printemps et de l’été 1940 est venue précipiter l’agrégation de phénomènes relevant de
structures, de temporalités et d’échelles différentes, phénomènes qui toutefois dans le milieu
du cuir avaient connu leurs premières interactions sous l’effet de la crise économique des
années trente.
« L’aryanisation » économique représente une opportunité pour les organisations
professionnelles du cuir de mener à bien une réorganisation de la branche selon leurs propres
vues. Celles-ci auraient eu tout à fait la possibilité de demeurer à l’écart de « l’aryanisation ».
À partir du printemps 1941, leur collaboration n’est même plus tout à fait souhaitée. Pourtant,
elles persistent à vouloir s’impliquer dans le processus. Il s’agit pour elles de favoriser la
réduction de la quantité d’entreprises, du nombre de concurrents qualifiés de « déloyaux » et
d’encourager, voire de participer au démantèlement des grands groupes désignés comme
« trusts ». Concernant le premier aspect, les organisations du cuir peuvent opportunément
s’inscrire dans la démarche des diverses autorités en charge de « l’aryanisation », à savoir
envisager la liquidation en masse des petites entreprises « juives ». S’agissant des « trusts »,
les discours des caciques de Vichy, à commencer par ceux du maréchal Pétain, peuvent laisser
croire que ceux-ci sont appelés à disparaître. Toutefois, cela n’empêche pas en 1942 les
services de Jacques Barnaud d’envisager le renforcement du poids des grandes entreprises de
chaussures dans une perspective de collaboration européenne sous influence allemande. En
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outre, les nécessités de l’heure font qu’à l’échelon des responsables ministériels en charge de
ces questions, en particulier du côté de Jean Bichelonne, on préfère à partir de 1943 préserver
la production plutôt que de chercher à se mettre en cohérence avec les considérations
idéologiques du régime. Malgré tous les efforts du Comité général d’organisation des
industries du cuir pour s’emparer des Chaussures André, la firme reste encore sous
administration provisoire à l’été 1944. En revanche Bata, si elle échappe à « l’aryanisation »
économique, n’en voit pas moins, du fait de décisions allemandes, une grande partie de son
activité industrielle arrêtée et ses magasins d’Alsace-Lorraine vendus.
La participation d’une partie des professionnels du cuir à l’entreprise de spoliation montre
que le processus n’a pas été purement germanique, mais a impliqué, même d’une manière
relative, la société française dans ses profondeurs. Les autorités d’occupation indiquent un
chemin que les autorités françaises s’empressent de suivre, de peur notamment de voir des
intérêts allemands s’emparer des entreprises de France. Mais très vite, les tutelles françaises,
les acteurs français de « l’aryanisation », entrent dans un processus routinier à travers lequel il
s’agit d’éliminer la pseudo-influence « juive » sur l’économie et même, le plus souvent,
d’éliminer tout simplement les entreprises dites « juives ». Un projet nazi devient ainsi le
programme politique des autorités françaises et peut s’appuyer sur des franges diverses et
variées de la société française. Il s’est trouvé des personnes, des voisins, des amis, des parents
et même des relations d’affaires ou parfois des administrateurs provisoires, qui, à titre
individuel, ont sauvé les biens menacés, secouru les victimes. Ils sont cependant restés
nettement minoritaires et les actes de soutien et de secours, pourtant possibles, sont demeurés
l’exception. Les transactions fictives, elles-mêmes, apparaissent en proportion faible et surtout
un doute peut toujours demeurer sur l’emploi de cette qualification. En revanche, les
entreprises disposant de stocks de cuirs et/ou de marchés ont suscité une convoitise
proportionnée à ces richesses, attirant déclassés, escrocs, mais également entrepreneurs
installés en quête d’une bonne affaire ou plus simplement d’une occasion pour permettre à
leur propre entreprise de subsister.
Au total, concernant la branche des cuirs et peaux en France, approximativement 80% des
dossiers « d’aryanisation » ont abouti à la fin de l’Occupation, environ 50% ont débouché sur
une liquidation et un peu plus de 30% sur une vente.
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La fin d’un cycle
Après la Libération, il s’agit d’une part de restituer les biens volés et d’autre part de
reconstruire l’économie française et singulièrement celle des cuirs et peaux. Les deux aspects
sont en partie concordants, puisque les entreprises restituées, voire reconstituées, viennent
participer de l’économie de la branche. Cependant, les circonstances et les modalités des
restitutions séparent, dans une large mesure, les deux histoires. Le principe même de la
restitution est acquis très tôt. Sa mise en place se heurte dans une certaine mesure à
l’ignorance ou à la volonté d’ignorer les spécificités des crimes antisémites. Elle bute
également sur le juridisme et même sur les réticences d’institutions en charge de la question et
qui, sous l’Occupation, étaient actrices de la spoliation. Enfin, une lecture révisionniste de
l’histoire fait que certains, à commencer par le Comité général d’organisation des industries
du cuir et les organisations professionnelles, gomment opportunément leurs responsabilités
dans les spoliations. La restitution a finalement eu lieu. Elle a produit un résultat
statistiquement favorable, même si l’issue de toutes les affaires ne nous est pas
nécessairement connue. Toutefois, c’est la manière de rendre ce qui a été volé et la substance
même de ce qui est rendu, qui posent problèmes. Les victimes doivent se débrouiller
quasiment seules face aux différentes formalités pour reconstituer des biens qui ont été
démembrés. Ils n’ont pas comme interlocuteur une institution unique, comme a pu l’être, pour
les spolier, le CGQJ, mais doivent trouver la force et les ressources pour s’attaquer à des
processus de restitution différenciés. La durée de ces processus, l’attitude parfois peu
avenante de leurs interlocuteurs, s’avèrent source de découragement. Surtout, l’évaluation du
préjudice, de ce qui doit être restitué et de ce qui peut être conservé par les spoliateurs, donne
lieu à des litiges souvent interminables. À l’arrivée, ce qui est rendu intéresse parfois des
éléments de patrimoines désarticulés plus que de véritables entreprises en état de fonctionner.
En outre, la manière de procéder peut laisser un goût amer aux victimes. Les restitutions ont
bien eu lieu. Peut-on en dire de même concernant la réparation ?
« L’aryanisation » économique n’a pas eu, d’après les sources disponibles, un impact
quantifiable en terme méso-économique. On assiste durant les années quarante à un véritable
chassé-croisé de créations et de disparitions d’entreprises qui ont pour effet de maintenir la
branche dans une situation comparable, de pléthore et de contrastes, à celle des années trente.
Le contexte semble apparemment favorable aux organisations professionnelles pour envisager
l’application de leur projet de restructuration de la branche. Un dirigisme économique
maintenu, du fait des pénuries de matières premières, peut leur laisser penser que le
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corporatisme demeure plus que jamais à l’ordre du jour. Cependant leurs revendications
protectionnistes et malthusiennes se heurtent à un retournement double des mentalités et de la
conjoncture : d’une part, la Révolution nationale a profondément et durablement discrédité les
idées corporatistes ; d’autre part, les préoccupations économiques ne concernent plus tant la
question de la protection des producteurs contre la concurrence que celle du développement
de la production afin d’assurer le ravitaillement de la population. Ainsi, les pouvoirs publics,
écartant un retour à des mesures de repli, invitent plutôt les entreprises à chercher à s’adapter
aux évolutions des marchés. Par ailleurs, la coloration xénophobe des années antérieures
semble désormais absente des propos publics des syndicalistes patronaux. L’antisémitisme n’a
pas disparu de la société française après guerre. Il faut considérer que, dans les milieux du
cuir, s’est dégagée une relative prise de conscience et que ceux-ci se sont aperçus que leurs
outrances ne servaient pas leur combat. Toutefois, rien ne permet d’affirmer que dans le fort
intérieur de ces hommes, voire dans leurs discussions privées, il n’a pas subsisté de
sentiments antisémites.
La crise de l’année 1949, consécutive à la fin de l’économie dirigée, marque le terme
de la réaction industrielle et ouvre une nouvelle période de réduction du nombre d’entreprises
affectant d’abord les petites unités, d’augmentation de la part des moyennes entreprises dans
le paysage industriel, de renforcement de la puissance des grands groupes et surtout de la
quasi généralisation de leurs pratiques productives et commerciales. De ce point de vue, la
réaction industrielle a été un échec.
La réaction industrielle : une confrontation entre économie de districts et économie de
groupes intégrés
Comment interpréter cette réaction industrielle ? Il apparaît que le recours au concept
de district industriel puisse nous être d’un certain secours. Cette réaction industrielle traduit
en terme politique une confrontation s’opérant au plan économique entre des entreprises
agglomérées en districts, pour beaucoup de taille relativement moyenne, et des groupes
intégrés. La confrontation économique se fait autour de la conquête des marchés et voit des
groupes intégrés manifestement mieux adaptés que les districts de type ancien aux besoins
nouveaux de la consommation. La formation en district industriel, si elle a pu montrer au
cours des décennies antérieures son dynamisme et sa cohérence face à des marchés segmentés
et de proximité, s’avère désormais incapable, sous une forme stable et inchangée, de répondre
aux besoins d’une clientèle élargie, soucieuse avant tout du niveau des prix. Cette incapacité
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relève à la fois d’effets de structure (problèmes d’équipement, bassins d’emploi limités,
problèmes de financement et de contrôle des débouchés), mais également du soubassement
culturel propre à ces communautés industrielles. La référence constante à la mode comme
justification du maintien de productions en petites séries responsable de l’augmentation des
prix de revient, le recours à l’argument de la qualité, pour discriminer les "mauvais"
fabricants des "bons", correspondent à une vision de l’économie où la qualité fait le débouché,
où la marque de fabrique du district créée reconnaissance, dans les deux sens du terme, de la
part du consommateur. Si celui-ci se détourne des produits proposés par les "bons", c’est qu’il
se trompe ou plutôt qu’il a été trompé par des concurrents "déloyaux", contre lesquels la seule
réponse ne peut être que d’ordre politique et réglementaire.
Les acteurs de cette réaction sont des entrepreneurs, des permanents d’organisations
patronales, voire des salariés, engagés dans le syndicalisme professionnel et qui traversent la
période dans une relative stabilité, marquant celle-ci du sceau de la continuité. Le temps de la
moyenne durée s’affirme bien comme une histoire à hauteur d’hommes. L’objet de la réaction
concerne avant-tout les fabricants de chaussures, mais l’ensemble de la branche s’y implique
activement. Il apparaît notamment intéressant de constater que les tanneurs jouent un rôle de
tout premier ordre dans cette affaire. Ils se sentent concernés au premier chef par des
mutations qui apparaissent comme remettant en cause la nature même des produits et plus
précisément la qualité des cuirs.
Les revendications protectionnistes, malthusiennes, corporatistes, xénophobes et
antisémites, se manifestant sous la forme de pressions fortes et constantes sur les pouvoirs
publics, représentent les symptômes d’une incapacité, pour les entreprises qui s’en font les
chantres, à s’adapter aux évolutions des conditions du marché. « L’aryanisation »
économique, sans être le produit direct de ces « émotions » manufacturières, est venue
s’inscrire dans cette histoire en un acmé tragique et a vu des organisations professionnelles,
habituées par leurs années de posture réactionnaire, contribuer à son déroulement et à sa
réussite. Finalement, si la réaction industrielle a été un échec, c’est parce qu’elle n’a pas pu
bloquer durablement la conversion de la branche du cuir, d’une économie de l’offre (où la
qualité crée le débouché) vers une économie de la demande (où les marchés demeurent sans
cesse à conquérir).
Florent Le Bot
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TABLE DES MATIÈRES
VOLUME 1
Préface 3
INTRODUCTION GÉNÉRALE 7
PREMIÈRE PARTIE
MUTATIONS ET RÉACTION (1930-1939) 15
INTRODUCTION DE LA PREMIÈRE PARTIE 16
CHAPITRE I
LA BRANCHE DU CUIR, ENTRE ARCHAÏSMES ET DYNAMISMES 18
I LA BRANCHE DU CUIR, DES ÉLÉMENTS D’ARCHAÏSME ? 19
Les sources d’information 19
Quelles données statistiques ? 19
Des sources à différentes échelles 21
Une branche diversifiée 26
De multiples activités commandées en amont par le cuir 26
La part prédominante de la chaussure dans la branche 30
La réduction de la part de la tannerie dans l’activité économique 34
Le rôle primordial de "la mémoire de la main" dans la ganterie
et la maroquinerie 37
Des éléments d’archaïsme 42
Une grande dispersion géographique 42
Une faible concentration industrielle 46
Une distribution émiettée 50
Des pratiques proto-industrielles 51
II LA CONCENTRATION EN DISTRICTS INDUSTRIELS :
10
UN DYNAMISME ANCIEN 54
Les ressorts du développement d’un district :
le cas de la chaussure à Fougères 54
Le concept marshallien de district industriel
54
La formation du district fougerais 57
Atmosphère industrielle et atmosphère urbaine 61
Des dynamiques spécifiques
69
D’autres districts industriels dans le cuir ? 74
Des filières au sein de micro-régions 74
Des ressorts comparables 76
III LES NOUVELLES FORMES DE CONCENTRATION
INTERNE AUX ENTREPRISES 81
L’impact des progrès techniques sur la concentration dans la tannerie 81
Un constat : la tendance à la concentration 81
Une explication par l’évolution des méthodes de tannage 83
Bata, un modèle de développement pour l’industrie de la chaussure 86
Le gigantisme de Bata Zlin 87
Bata en France 90
Le groupe André et l’extension des débouchés 92
Le développement du groupe 92
L’organisation des méthodes de production et de commercialisation 96
La prévalence de la politique commerciale 98
Un modèle mal compris 101
L’entreprise Pillot et l’extension de la production 101
Ehrlich ou la constitution d’un groupe mal intégré 104
CHAPITRE II
LA CRISE ÉCONOMIQUE DANS LA BRANCHE DU CUIR 109
I UNE BRANCHE EN CRISE 110
Les manifestations de la crise 110
Une importante réduction de l’activité 110
Une forte concurrence pour la conquête des marchés 114
Les mutations tributaires de la crise 117
S’adapter aux nouvelles conditions de la demande 117
11
La chute de la maison Pillot ? 120
II LES DIFFICULTÉS PROPRES AUX DISTRICTS INDUSTRIELS 123
Les limites des districts 123
Les freins à l’innovation 127
Une question d’échelle
Des problèmes de financement :
l’exemple d’une liquidation bancaire à Fougères 129
L’hémorragie des ressources de la banque Beaucé 129
Les faiblesses du crédit 132
La grève, ressort du district ou facteur de son déclin ? 134
CHAPITRE III
LA FAMILLE DU CUIR FACE AUX MUTATIONS ET À LA CRISE 138
I PROTÉGER LA FAMILLE 139
Dénoncer des menaces exogènes 139
Contre les importations 139
Contre « Bat’a » 140
Contre les artisans étrangers 142
Des lois de réaction 144
Fougères, le « comité anti-Bat’a » et la loi Le Poullen 144
La loi Paulin, une loi pour les cordonniers 147
En réaction contre le changement 149
Contre l’United Shoe ? 152
II ORGANISER LA FAMILLE 157
Un comité d’organisation avant l’heure ? 157
Les réflexions autour du corporatisme dans le cuir
157
Le projet de comité d’organisation de la chaussure
160
La section cuirs et peaux du CNE et l’application de la loi Le Poullen 162
L’activité de la section 162
La répartition des avis du CNE 164
Limiter la production ou rationaliser le secteur ?
166
12
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 177
VOLUME 2
DEUXIÈME PARTIE
"ARYANISER" LE CUIR (1940-1944) 183
INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE 184
CHAPITRE IV
UN ÉCHANTILLON DE 500 ENTREPRISES 187
I CONSTRUIRE UNE DÉMARCHE 188
S’inscrire dans un champ historiographique 188
Un besoin d’histoire 188
Des travaux universitaires 192
Questions génériques, questions spécifiques 194
La dimension méso-économique du processus 195
Des questions génériques 198
Des questions spécifiques 199
Le statut des documents cités 200
Le choix des dossiers 201
Les dossiers dans la Seine 201
Les dossiers dans le reste de la France 205
Des sources complémentaires 206
II LA MESURE DES ROUAGES, DES ACTEURS ET DES VICTIMES 212
Les entreprises frappées par « l’aryanisation » économique 212
Un bilan global pour la branche 212
La taille des entreprises 213
Une comparaison par secteur 216
Un bilan des procédures « d’aryanisation » dans le cuir 217
13
Pour le département de la Seine 217
Pour le département de la Seine-et-Oise 220
Dans le reste de la France 221
Les nominations d’administrateurs provisoires 222
Les nominations d’AP dans la Seine 222
Renouvellements et démissions 227
Des modalités de nomination particulières dans la Seine-et-Oise 230
Dans le reste de la France 232
Identifier les victimes, caractériser les soumissionnaires de biens 232
« Monsieur Klein » est-il juif ? 232
Les victimes 234
Les soumissionnaires de biens 238
CHAPITRE V
LES VOIES DIVERSES DE « L’ARYANISATION » 243
I LES ENTREPRISES « JUIVES » LIQUIDÉES OU TRANSFORMÉES 246
Les entreprises non proposées à la vente et liquidées d’office 246
Les entreprises convoitées, mais liquidées 251
Une autre forme de liquidation : les entreprises transformées 255
Etre transformé 256
Ne pas être transformé 260
II LES ENTREPRISES « JUIVES ARYANISÉES » 263
Les entreprises peu convoitées, mais vendues 263
Les entreprises convoitées et vendues 268
Des offres multiples 268
Les affaires convoitées 275
Autour du marché noir : l’affaire Fischer & Rosenfelder 279
Pour les courroies en cuir de Getting-Jonas-Titan 281
Le cas particulier de "l’auto-aryanisation" 286
Les modalités de l’auto-aryanisation 286
Des affaires qui ne sont pas sans enjeux 290
Une belle affaire de famille(s) :
la Société générale des tanneries françaises 292
Des « aryanisations » "fictives" ? 299
14
III LES DOSSIERS NON RÉGLÉS OU CLOS SANS ARYANISATION 305
Les affaires « non juives » 305
Dans les mailles du CGQJ 305
« Bata est-elle juive ? » 309
Les dossiers non réglés 310
Des explications conjoncturelles 311
Des causes structurelles 315
Dans l’affaire André, des intérêts concurrents qui se neutralisent 319
Une coopérative ouvrière « hiérarchique et autoritaire » ? 319
Ardant à la manœuvre 322
CHAPITRE VI
LES ACTEURS ET LES LOGIQUES À L’ŒUVRE 329
I ACTEURS ET VICTIMES AU CŒUR DU PROCESSUS 330
Les administrateurs provisoires : de "bons pères de familles" ? 330
"Les protecteurs" 331
Les "routiniers" 336
Les "enragés" et les "escrocs" 338
Acquéreurs et candidats à l’acquisition : quelles motivations ? 342
L’Association française des propriétaires de biens aryanisés 342
Quelles motivations ? 346
Un manque de motivation ? 350
La voix étouffée des victimes
354 Une incompréhensible violence, une indicible douleur 354
Face à la Gorgone 358
Aider les victimes 362
II DES TUTELLES MULTIPLES, UNE RESPONSABILITÉ FRANÇAISE 366
La masse des dossiers : une logique d’élimination « raciale » 366
Tutelle permanente et tutelles lointaines : la section IIA et le CGQJ,
les ministères, le MBF 366
Une élimination laissant une faible part aux débats 369
Les situations particulières 373
Un CGQJ dépossédé des dossiers à enjeux 373
15
Les marges de manœuvre des Français à travers l’exemple
de la préfecture de Seine-et-Oise 377
III LES COMITÉS D’ORGANISATION ET LES SYNDICATS
PROFESSIONNELS : DANS LA LOGIQUE DES ANNÉES TRENTE 381
Le rôle dévolu aux comités d’organisation et aux
syndicats professionnels dans « l’aryanisation » économique 381
La marginalisation des CO dans « l’aryanisation » économique 382
"La liquidation est la règle, la vente l’exception" 388
Les objectifs des organismes professionnels en matière « d’aryanisation » 392
« Aryaniser » pour organiser 392
La "Famille du cuir", les « juifs » et le CGOIC 398
IV « L’ARYANISATION » ÉCONOMIQUE AU CŒUR DE L’OCCUPATION 402
« Aryanisation » et conjoncture 402
Un temps de pénurie 402
Un temps d’Occupation 405
Les temps de la guerre et des déportations 409
« Aryanisation », collaboration et ingérences allemandes 412
De discrets conciliabules autour du groupe André 412
Vers une Europe allemande de la chaussure ? 416
Les Allemands entre efforts de guerre et intérêts privés 421
CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE 426
TROISIÈME PARTIE
RESTITUTIONS ET RESTRUCTURATION (1944-1950) 428
INTRODUCTION DE LA TROISIÈME PARTIE 429
CHAPITRE VII
LES RESTITUTIONS 432
I LE DÉROULEMENT DES RESTITUTIONS 433
Écrire l’histoire des restitutions 433
Une chronologie étirée 433
Des sources dispersées 437
Des éléments de bilan 443
Un bilan provisoire des restitutions 443
16
Des processus de restitutions 447
Les restitutions qui ne se voient pas, celles qui n’ont pas eu lieu 452
Les AP à l’heure des comptes 452
II RESTITUTIONS DIFFICILES, RÉPARATIONS IMPOSSIBLES 459
Révision, négation et antisémitisme 459
« Spolier n’est pas voler » 459
La « Profession », « les juifs méritants » et les autres 462
Un antisémitisme toujours présent 465
Les litiges judiciaires 468
Les séquelles des actes d’administration 468
« Sous l’empire de la violence » 470
Les comptes entre les parties 473
Un contentieux comme un autre ? 477
La Caisse des dépôts et la maroquinerie Danyl 477
Les Domaines et la maroquinerie FAVO 479
Bata a-t-elle collaboré ? 490
CHAPITRE VIII
LA RESTRUCTURATION DE LA BRANCHE DU CUIR 493
I L’IMPACT DE « L’ARYANISATION » SUR L’ÉCONOMIE 494
Comment mesurer l’impact de « l’aryanisation » économique ? 494
L’impact économique de « l’aryanisation » sur les entreprises 496
Un impact différencié sur la marche des affaires 496
Le maintien des grandes, la liquidation des petites 500
L’impact économique de « l’aryanisation » sur la branche 503
Un chassé-croisé de créations et de disparitions d’entreprises 503
Une branche toujours aussi éclatée 506
II LA FIN D’UN CYCLE RÉACTIONNAIRE 510
S’organiser de nouveau ? 510
L’organisation de la pénurie 510
La crise consécutive à la fin de l’économie dirigée 514
Revenir à des mesures malthusiennes ? 517
L’héritage de la corporation 522
Retour sur une tendance à la concentration 526
Les données de la concentration 526
L’évolution des hiérarchies dans la chaussure 530