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La reconnaissance mutuelle des décisions d´enquête nationales, repose-t-elle sur une protection...

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COLLEGE D´EUROPE CAMPUS DE BRUGES PROGRAMME D´ETUDES DE DROIT La reconnaissance mutuelle des décisions d´enquête nationales, repose-t-elle sur une protection adéquate des droits fondamentaux mis en cause par les mesures coercitives?
Transcript

COLLEGE D´EUROPECAMPUS DE BRUGESPROGRAMME D´ETUDES DE DROIT

La reconnaissance mutuelledes décisions d´enquête

nationales,repose-t-elle sur une protectionadéquate des droits fondamentaux

mis en cause par les mesurescoercitives?

Directeur: Pr. J.A.E VERVAELE Mémoire présenté parInés ARMADApour leDiplôme de Master en Droit

Européen

Année Académique 2011-2012

Déclaration sur l’honneur

Je déclare sur l’honneur que ce mémoire a été écrit de ma

main, sans aide extérieure non autorisée, qu’il n’a été déposé

auparavant dans aucune autre institution pour évaluation, et

qu’il n’a jamais été publié, dans sa totalité ou en partie.

Toutes parties, mots ou idées, aussi limités soient-ils, y

compris des tableaux, graphiques, cartes etc. qui sont

empruntés ou qui font référence à d’autres sources

bibliographiques sont présentés comme tels, sans exception

aucune.

Je déclare également avoir pris note et accepté les règles

relatives au plagiat (section 4.2 du règlement d’études du

Collège).

ii

14136 mots

iii

RésuméLa décision d´enquête européenne cherche à établir un système

complet pour l'obtention de preuves dans les affaires

transfrontalières. Elle a de profondes implications pour les

droits et libertés fondamentales des individus en raison de

son ampleur et de la nature des décisions nationales

auxquelles elle applique le déjà remise en question principe

de la reconnaissance mutuelle.

La reconnaissance mutuelle exige une confiance mutuelle, qu´à

son tour repose sur une protection adéquate des droits de

l'homme dans l´espace de liberté, sécurité et justice. La

présente mémoire est dédiée à analyser si l'adhésion des États

membres à la Convention Européenne des Droits de l´Homme offre

des garanties suffisantes pour assurer le juste équilibre

entre la nécessité de lutter contre le crime et l'obligation

de respecter les droits et les libertés fondamentaux.

iv

Mots clésDécision d´enquête européenne

Reconnaissance mutuelle

Forum regit actum

Droits fondamentaux

Motifs de refus

v

Table des MatièresDéclaration sur l’honneur...................................ii

Résumé.....................................................iii

Mots clés...................................................iv

Liste des Abréviations......................................vi

Introduction.................................................7

1 Le système de coopération qu´instaurera la DEE..........10

1.1 Le contexte dont se situe la DEE.....................10

1.1.1 De la coopération à l´intégration judiciaire......10

1.1.1.1La coopération pénale classique: la logique intergouvernamentale...................................101.1.1.2La consécration de la RM: la logique supranationale.........................................11

1.1.2 La DEE: instrument de mise en oeuvre du principe de

RM? 13

1.1.2.1Les motifs de refus............................131.1.2.2Le recours à une mesure d´enquête alternative. .15

1.2 Les enjeux qui entourent la RM des décisions d´enquête

nationales................................................17

1.2.1 À l´origine de la DEE.............................17

1.2.1.1Qui peut ordonner des mesures d´enquête….......181.2.1.2…et sous quelles conditions? Le risque d´abus d´utilisation de la DEE.................................20

1.2.2 Et à destination: qu´est-ce qu´on reconnait?......22

1.2.2.1La RM des preuves déjà existantes..............221.2.2.2La RM des mesures d´enquête: la règle du forum regit actum 23

2 La protection des droits fondamentaux...................26

2.1 La protection contre les atteintes aux droits

substantiels..............................................26

2.1.1 Garanties contre les atteintes à l´article 8 CEDH. 26

vi

2.1.1.1Les conditions de légitimité et légalité.......262.1.1.2La nécessité dans une société démocratique.....28

2.1.2 Le rôle de la défense dans la DEE.................29

2.1.2.1Le problème du secret de l´instruction.........292.1.2.2Les voies de recours prévues dans la DEE.......31

2.2 L´atteinte aux droits procéduraux....................33

2.2.1 La jurisprudence de la CEDH concernant l

´admissibilité des preuves..............................33

2.2.2 La nécessaire distinction entre preuve irrégulière et

preuve déloyale.........................................35

Conclusion..................................................37

Bibliographie...............................................39

vii

Liste des Abréviations

CAAS Convention d'application de l'acquis

de Schengen

CCP Code de procédure pénal

CEDH Convention Européenne des Droits de l

´Homme

CEDH Cour Européenne des Droits de l´Homme

CJUE Cour de Justice de l´Union Européenne

DEE Décision d´enquête européenne

ELSJ Espace de Liberté, Sécurité et

Justice

EM État/s membre/s

FRA Agence des Droits Fondamentaux de l´Union Européenne

JOUE Journal Officiel de l´Union

Européenne

MAE Mandat d´arrêt européen

MOP Mandat européen d´obtention de

preuves

PE Parlement Européen

RIDP Revue international de droit pénal

RM Reconnaissance mutuelle

viii

TFUE Traité sur le Fonctionnement de l

´Union Européenne

UE Union Européenne

ix

IntroductionDans un espace sans frontières intérieures tel que l´UE,duquel profitent aussi les criminels, la lutte contre lesmalfaiteurs est sans doute un problème commun1. Dans tout Étatde droit, la poursuite efficace des responsables nécessite depreuves à charge suffisantes à énerver la présomption d´innocence et fonder une condamnation. Dans ce cadre l´obtention transnationale de preuves constitue un outilindispensable à la répression des activités criminelles. Unecoopération fructueuse entre les autorités judiciaires des EMest ainsi conçue comme un moyen essentiel d'assurer un niveaude sécurité élevé pour tous les résidents de l´UE2. À ces fins sert la DEE3 qui, s´inscrivant dans la dynamiqueengagée par l´UE de poursuivre une coopération judiciaire (etpolicière) de plus en plus accrue, concrétiserait la volontédu Conseil européen de mettre en place "un système globald'obtention de preuves dans les affaires revêtant unedimension transfrontière, sur le fondement du principe deRM"4. Le principe de la RM établit que les décisionsjudiciaires émises dans un EM sont directement applicablesdans les autres EM. La DEE permettra donc à l´autoritéjudiciaire d´un EM "d´ordonner" la réalisation d´une mesure d´enquête quelconque sur le territoire d´un autre EM. L´obtention de preuves se fait toujours par le biais demesures d´investigation: la perquisition d´un domicile, leprélèvement de sang ou les écoutes téléphoniques ne sont que1 Communication de la Commission au PE et au Conséil - Un espace deliberté, de sécurité et de justice au service des citoyens, COM 2009(262)final, p. 18.2 M. MARTIN, Crime, rights and the EU: the future of police and judicial cooperation, Hobbsthe Printers, Londres, 2008, p.10.3 Initiative du Royaume de Belgique, de la République de Bulgarie, de laRépublique d'Estonie, du Royaume d'Espagne, de la République d'Autriche,de la République de Slovénie et du Royaume de Suède en vue d'une directivedu Parlement européen et du Conseil concernant la décision d'enquêteeuropéenne en matière pénale (JO C 165/02 du 24 juin 2010). Pour le restede l´article, toutes les références seront basées sur la dernière versionpublique de la proposition de directive, datant du 21 décembre 2011 (Doc.EU Council 18225/1/11).4 Programme de Stockholm, JO C 115/1 du 4 mai 2010, point 3.1.1, p.12.

des exemples de toute une gamme d´instruments que l´État met àdisposition des autorités en charge de la répression desinfractions pénales. La DEE aura comme effet que les mesures d´enquête "voyageront" d´un EM à un autre; certaines d’entreelles porteront atteinte aux droits et aux libertésfondamentales. Il est donc logique d´attendre que dans l´ELSJ,l´amélioration de la coopération pour l´obtention de preuvessoit accompagnée d’une protection adéquate de ces droits etlibertés. Une protection appropriée des droits de l´homme est en plusl’un des ingrédients fondamentaux de la confiance mutuelle quisoutient tout instrument de RM5. Par exemple, en ce quiconcerne le MAE, les inégalités en matière de respect desdroits fondamentaux et de pratiques touchant à la dignitéhumaine ont conduit certaines juridictions nationales àrefuser la remise de personnes vers d´autres pays6. Dans latransposition même du MAE certains EM ont fait de la violationdes droits fondamentaux un motif obligatoire de refus d´exécution. Ceci montre la volonté des États de protéger lesdroits fondamentaux du mouvement d´intégration pénal de l´UE7.Cependant, il n´y a pas une seule façon de garantir lerespect des droits menacés par la phase d´instruction pénale,de sorte qu´il existe de profondes différences entre lesprocédures pénales des EM, en raison notamment de lacoexistence du modèle d´Europe continentale et du modèleanglo-saxon8. Il ne s´agit pas, néanmoins, d´un obstacleinsurmontable: le Traité de Lisbonne prévoyant une base légalequi permettrait, le cas échéant, une harmonisation minimale

5 G.V. VAN TIGGELEN et L. SURANO "Quel futur pour la reconnaissancemutuelle en matière pénale? Analyse transversale" dans G.V. VAN TIGGELEN,L. SURANO et A. WEYYEMBERGH (ed.) L´avenir de la reconnaissance mutuelle en matièrepénale dans l´Union européenne, éd. de l´Université de Bruxelles, 2009, p.50.6 J. LELIEUR et F. JAULT-SESEKE, "Les différences d´approche de l´espacejudiciaire européen sur les plans civil et pénal", dans J. LELIEUR et F.JAULT-SESEKE et C. PIGACHE, L´espace judiciaire européen civil et pénal: regards croisés, Éd.Dalloz, Paris, 2009, p.16.7 S. BOT, Le mandat d´arrêt européen, Larcier, Bruxelles, 2009, p. 54.8 S. de BIOLLEY, "L´harmonisation des procédures", dans D. FLORE et autres,Actualités de droit pénal européen, Éd. La Charte, Bruxelles, 2003, p. 113.

11

garantissant le bon fonctionnement tant de la RM comme de lacoopération judiciaire pénale (article 82§2 TFUE).La négociation du nouvel instrument de mise en œuvre de la RMpour les décisions d´enquête nationales est l´occasion d´évaluer les différences existantes entre les législationsnationales, face à considérer la nécessité d´avoir recours àcet article. Malheureusement, une conséquence du fait que cesoient sept EM (et non pas la Commission) ceux qui ont pris l´initiative de cette directive9 c´est qu´elle n´a pas étéprécédée d´une étude préalable conduisant à détecterauparavant les points qui peuvent se révéler problématiquesvis-à-vis des droits fondamentaux lorsque deux EM coopèrent,sur base de la RM, pour obtenir des preuves dans un autre EM. Toutefois, la constatation des divergences existantes entredroits procéduraux nationaux d´un côté, et la nécessité degarantir un niveau minimal de protection des droitsfondamentaux pour que la RM puisse fonctionner de l´autrecôté, justifient la question suivante: la RM des décisions d´enquête nationales repose-t-elle sur une protection adéquatedes droits fondamentaux?Afin de répondre à cette question, le présent travail sefocalisera dans un premier temps sur le système de coopérationqu´instaurera la DEE (1). La DEE ayant pour but de remplacerle régime juridique existant en matière d´obtentiontransnationale de preuves, de caractère multiforme, ilconvient de se demander si la RM, telle que concrétée dans cetinstrument, maintient sa logique et ses traits distinctifs oupas. Ensuite, nous placerons la DEE dans la procédure pénalenationale, en analysant les conditions que la directive imposetant à l´État qui l´émet comme à l´État qui l´exécute. La deuxième partie (2) sera consacrée à l´analyse de laprotection des droits fondamentaux qui résulte de lacombinaison des dispositions et de la jurisprudence de laCEDH, de laquelle tous les EM sont partie, et du régime desvoies de recours consacrées par la proposition de directive.Ce régime, satisfait-il les exigences minimales de protection

9 En faisant recours à la procédure prévue par l’article 76 b) TFUE.12

des droits et libertés servant à fonder la confiance mutuellesans laquelle la RM n´est qu´un rêve?

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1 Le système de coopération qu´instaurera la DEE

1.1 Le contexte dont se situe la DEE

1.1.1 De la coopération à l´intégration judiciaire

La DEE sera un instrument de coopération judiciaireentre les EM visant une lutte plus efficace contre lacriminalité à travers un mécanisme qui permettra l´accomplissement d´actes d´instruction hors duterritoire national d´une façon rapide et presqueautomatique10. Loin d´être le premier outil juridiqueconçu pour la collecte de preuves à l´étranger, la DEEest précédée d´une série d´instruments européens dontquelques-uns s´inscrivent dans la logique de lacoopération pénale classique (1.1.1.1) lorsque d´autressuivent le principe de la RM (1.1.1.2). 

1.1.1.1 La coopération pénale classique: la logique intergouvernamentale

La coopération pénale classique est profondémentinfluencée par la conception du droit pénal comme ledomaine sacré des principes de territorialité etsouveraineté de l´État11. Ainsi, chaque État estcompétent pour définir l'effet que les actes

10 Qualifié d´instrument de coopération judiciaire car elle estprincipalement dirigé aux juges et tribunaux nationaux, il faut d´ores etdéjà rejoindre la doctrine qui signale que la ligne de séparation entrecoopération judiciaire et policière est de plus en plus flou, distinctionencore plus diffuse quand on parle, comme ici, de la phase d´instructionpénale. H. G. NILSSON, “Special investigation techniques and developmentsin mutual legal assistance – the crossroads between police cooperation andjudicial cooperation” UNAFEI, Work product of the 125th internationaltraining course, mars 2005, p.39, disponible surhttp://www.unafei.or.jp/english/pdf/RS_No65/No65_00All.pdf, consulté le 4juillet 2012. 11 A. WEYEMBERGH "L´avenir des mécanismes de coopération judiciaire pénaleentre les EM de l´UE", dans G. KERCHOVE et A. WEYEMBERGH Vers un espacejudiciaire pénal européen, éd. de l´Université de Bruxelles, Bruxelles, 2000,p.141.

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procéduraux des autres États auront sur sonterritoire ainsi que pour décider sur l´étendue de sacollaboration avec les autorités étrangères. La Convention du Conseil de l´Europe de 1959 enmatière d´entraide judiciaire12 fut le premierinstrument qui permettait l´accomplissement d´actes d´instruction dans d´autres pays. Suivant une logiqueintergouvernementale, le régime qu´elle a instauré –toujours en vigueur– confie la décision de coopérer àl´exécutif plutôt qu´au judiciaire. Le Ministère dela Justice de l´État requis est donc libre de refuserl´exécution de l´acte d´instruction demandé dès qu´il"estime que l'exécution de la demande est de nature àporter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, àl'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels deson pays"13. En d’autres termes, le refus est possibleen tout état de cause et décidé en toute liberté. Àcôté de cette manifestation de souveraineté, leprincipe de territorialité de la loi pénale qui suitla coopération classique implique que, lorsque l´Étatrequis décide d´accorder l´aide demandée par l´Étatrequérant, l´exécution de l´acte se fait deconformité avec le droit de l´État requis (locus regitactum).Conçue pour compléter cette Convention14, qui s´avérait incapable de faire face à une criminalitéqui n´entend pas de diplomatie, la Conventionrelative à l´entraide judiciaire en matière pénaleentre les EM de l´UE du 29 mai 200015 opère unerévolution de certains principes classiques de la

12 Convention européenne d´entraide judiciaire en matière pénale,Strasbourg, 20.IV,1959, STE nº 030.13 Article 2b) de la Convention du Conseil de l´Europe.14 Et suivant l´action commune 98/427/JAI du 29 juin 1998 relative auxbonnes pratiques d'entraide judiciaire en matière pénale (JO L 191/1 du 7juillet 1998).15 Convention du 20 mai 2000 relative à l´entraide judiciaire en matièrepénale entre les États membres de l´Union Européenne (JO C 197 du 12juillet 2000).

15

coopération pénale16: la règle du locus regit actum estremplacée par l´obligation imposée à l´EM requis durespect des formalités indiquées par l´EM requérant(forum regit actum) tout en respectant les principesfondamentaux de son droit national17. En outre, latransmission des demandes d´entraide sont,contrairement à la Convention de 1959, directementtransmises entre autorités judiciaires compétentes18,deux traits qui caractérisent aussi la DEE. Bien que la Convention de 2000 introduise deschangements de principes à la Convention de 1959,elle n’en reste pas moins un instrument d’entraidejudiciaire améliorée. Ces deux conventionsn’instaurent aucunement la RM des décisionsjudiciaires. Le principe de RM s´inscrit dans l´histoire d´un long processus introduisant peu à peuune confiance entre les systèmes juridiques desautres pays européens. Dans ce sens, il constitue leprolongement naturel de l´entraide judiciaire au seinde l´UE. Néanmoins, tant sa philosophie que sa praxisdiffèrent de l´entraide judiciaire classique19.

1.1.1.2 La consécration de la RM: la logique supranationale

Le principe de RM a son origine dans le domaine dumarché intérieur et fut consacré par l´arrêt Cassis deDijon20 qui établit qu´un bien légalement produit etcommercialisé dans un EM doit jouir du principe delibre circulation de marchandises même si lalégislation des autres EM impose à ces biens des

16 V. L. HARRIS, "Mutual recognition from a practical point of view:cosmetic or radical change?", dans G. de KERCHOVE et A. WEYYEMBERGH (ed.)L´espace pénal européen: enjeux et perspectives, éd. de l´Université de Bruxelles,Bruxelles, 2002, p.106, 107.17 Article 4§1 de la Convention de 2000.18 Article 6§1 de la Convention de 2000. Ce fut la Convention d´applicationde l´accord Schengen du 14 juin 1985 le premier instrument dejudiciarisation de la coopération en matière pénale, si bien de façonfacultative.19 L. HARRIS, supra note 16, p.107.20 CJCE 20 février 1979, Rewe-Zentral, aff. 120/78, Rec. p. 649.

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conditions de production et/ou commercialisation différentes.La transposition de la RM dans le domaine de lacoopération judiciaire pénale fut décidée par lesConseils européens de Cardiff21 puis de Tampere22, quiérigent ce principe en tant que pierre angulaire dela coopération judiciaire. La RM est ainsi le passeport européen des décisionsjudiciaires nationales: une fois le principe s´applique à un type de résolution judiciaire, celle-ci "circule" librement dans l´ELSJ. L´idée est que lesrésolutions judiciaires n´aient plus une validitéjuridique simplement nationale, sinon qu´elles soientdirectement exécutables dans toute l´UE.Un mécanisme similaire peut être trouvé dans laConstitution américaine selon laquelle les Étatsétendent leur "pleine confiance et leur crédit" auxprocédures et décisions administratives etjudiciaires des autres États23. Le principe de RM estdonc indissociable d´un espace où règne la confiancedans les ordres juridiques des autres États, surtoutdans le fait qu’elles respectent les droitsfondamentaux et les garanties procédurales de manièreéquivalente même si configurées de façon différente.Dans ce sens, la RM est l´expression la plus latentedu mouvement d´intégration en matière pénale, de l´espace judiciaire européen dont parlait ValéryGiscard d´Éstaign24.La première tentative pour introduire la RM audomaine de l´obtention de preuves est le MOP25, qui

21 Conseil européen de Cardiff, 15 et 16 juin 1998, conclusions de laprésidence, SN 150/1/98 Rev 1, §39.22 Conseil européen de Tampere, 15 et 16 octobre 1999, conclusions de laprésidence, SN 200/99 Rev 1, §33-37.23 Article IV(1).24 À ce sujet, "L’émergence d’une culture judiciaire européenne",Laboratoire de théorie du droit de l´Université Paul Cézanne, mai 2009,disponible sur http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/ccpe/CJE%20Aix%20FINAL.pdf, consulté le 10 septembre 2012. 25 Décision-cadre 2008/978/JAI du Conseil du 18 décembre 2008 relative aumandat européen d’obtention de preuves visant à recueillir des objets, des

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cohabite avec les deux instruments dont on a parlé.Son nom engendre des confusions car en réalité sonchamp d´application est très réduit et se limite à l´obtention des objets, documents et/ou données déjàexistants, qui sont en en mains soit des autorités del´État dit d´exécution, soit des individus ou desentreprises26. En vertu de la décision-cadre relativeau MOP, "il revient à l´État d´exécution de choisirles mesures qui, en vertu de son droit national, luipermettront de fournir les objets, les documents oules données requis"27. Il s´agit d´une différencefondamentale avec le régime que la DEE viseinstaurer. Lorsque le recours à une mesure coercitiveest, sous le MOP, toujours décidé par l´autorité d´exécution, en vertu de la DEE cette décisionappartiendra exclusivement à l´autorité de l´État d´émission.En tout cas, il s´agit d´un instrument dont sa portéeest si réduite qu´il est très peu employé enpratique28.

1.1.2 La DEE: instrument de mise en oeuvre du principede RM?

L´application stricte de ce principe aux décisionspénales d´obtention de preuves signifierait qu´unedemande pour faire réaliser un acte d´instructionémanant d´une autorité judiciaire nationale seraitexécutée dans un autre EM de façon automatique, donnantà ces décisions judiciaires pénales une force exécutoire

documents et des données en vue de leur utilisation dans le cadre deprocédures pénales (JO L 350 du 30 janvier 2008).26 C. WILLIAMS, "The European arrest warrant", RIDP, 2006/1, Vol. 77, p.155.27 Article 11§2.28 "Aucun mandat n´a jamais été émis", M. MARTY, "Un exemple de décisionnouvelle : la décision d´enquête européenne", Jurisdoctoria nº 7, 2011, p.112,disponible sur: http://www.jurisdoctoria.net/pdf/numero7/NUMERO_7.pdf, consulté le 9juillet 2012.

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extraterritoriale29. Ainsi, la RM supprimerait laprocédure classique d´exequatur "qui consiste, pour l´Étatrequis, à ne donner un caractère exécutoire à unedécision étrangère qu´après avoir vérifié si celle-cisatisfait l toute une série de conditions"30. Mais laréalité n´est pas si simple. La RM n´est pas automatiquecar dès sa première concrétion dans le MAE on a choiside maintenir quelques conditions pour son exécution quisont contrôlées par l´État d´exécution (1.1.2.1). Enoutre, la possibilité de recourir à une mesure d´enquêtealternative à celle demandée empêche de parler d´unereconnaissance en tant que telle (1.1.2.2).

1.1.2.1 Les motifs de refus

Bien qu´un contrôle formel s´avèrerait nécessaireafin d´éviter des faux31, l´esprit même de la RM s´oppose à l´existence des motifs de non-reconnaissance et de non-exécution32 d´une DEE, dontl’utilisation représente une exception à lareconnaissance automatique des décisions judiciairesétrangères33. Pourtant, on retrouve ces motifs à l´article 10 de la proposition de directive: lesmotifs traditionnels de refus fondés sur laprotection de l´intérêt supérieur de l´État d

29 Il y aurait donc une sorte d´assimilation des autorités étrangères auxautorités nationales. M. MARTY, supra note 28, p.114,115.30 A. WEYEMBERGH "La reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires enmatière pénale entre les États membres de l´Union européenne", dans G.KERCHOVE et A. WEYEMBERGH supra note 11, p.44.31 L´article 6§1 de la proposition de directive exige que la transmissionde la DEE soit faite "dans des conditions permettant à l´État d´exécutiond´en établir l´authenticité". Par contre, et contrairement à ce qui étaitprévu dans le MOP, le refus n´est pas prévu si la DEE n´a pas été validéequand cette condition est requise de conformité avec l´article 5bis§3.32 Ces motifs sont traités ensemble, de sorte que la distinction entrereconnaissance et exécution apparaît floue. 33 Comme il a été noté, "parmi les principaux éléments justifiant ceslimites figurent, d´une part, les divergences entre systèmes juridiques(…) et d´autre part, la nature particulière du pénal, et tout spécialementson rapport complexe à la protection des droits fondamentaux", v. A.WEYEMBERGH et V. SANTAMARIA, "La reconnaissance mutuelle en matière pénaleen Belgique", dans G.V. VAN TIGGELEN supra note 5, p.50.

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´exécution subsistent. On y trouve les immunités etprivilèges, l´atteinte à la sécurité nationale ainsique le principe de territorialité34. De même, lerespect du principe non bis in idem est sauvegardé grâceà son inclusion dans l´article précité35. Soninclusion offre une protection à ce principe dont nejouissent pas d´autres droits fondamentaux.36

Quelques autres motifs de refus abordent la possibleméfiance des autorités d´exécution. C´est le cas dumotif prévu à l´article 10§1d) de la proposition dedirective, qui permet de refuser l´exécution d´uneDEE émise par une autorité administrative oujudiciaire (non pénale) dont ses décisions sontsusceptibles de recours devant une juridiction pénalequand la mesure d´enquête demandée ne serait pasdisponible dans une affaire nationale similaire. Unautre motif de refus peut être invoqué lorsque lerecours à la mesure demandée est limité dans l´État d´exécution à des infractions qui ne comprennent pas l´infraction sur laquelle porte la décision37. En ce qui concerne le défaut de double incriminationcomme motif de refus, la proposition de directiven’est pas du tout claire. D´abord, il faut noter qu´il s´agit d´un motif de refus classique dans ledomaine de l’extradition, mais pas dans le domaine del’entraide judiciaire mineure, sauf en ce qui

34 Si bien le principe de territorialité est amputé par rapport à laversion du MAE. Voir à cet égard D. SAYERS, "The European investigationorder: travelling without a roadmap", CEPS Liberty and security in Europe, juin2011, p.9-10, disponible sur http://www.ceps.be/book/european-investigation-order-travelling-without-%E2%80%98roadmap%E2%80%99, consultéle 12 juillet 2012, qui dénonce les risques qui s´attachent à ce recul desouveraineté nationale.35 Ce fut la Commission qui demandait l´inclusion de la violation duprincipe ne bis in idem parmi les motifs de refus; v. les observations de laCommission sur la proposition de DEE en matière pénale d´août 2010(JUST/B/1/AA-et D(2010) 6815).36 Avis du FRA sur la DEE à la demande du PE, Vienna, 14 février 2011,p.12, disponible sur http://fra.europa.eu/fraWebsite/attachments/FRA-Opinion-EIO-Directive-15022011.pdf, consulté le 10 septembre 2012. 37 Article 10§1ter b).

20

concerne la perquisition et la saisie38. L´inclusionde ce motif à l´article 10§1ter a) de la proposition dedirective peut constituer donc un recul dans lacoopération judiciaire entre EM, car bien que lerégime de la Convention de 2000 n´empêchait pas lerefus d´une commission rogatoire sur cette base, ellen´était pas non plus expressément prévue. L´absence d´incrimination dans l´État d´exécution del´agissement à l´origine de la DEE peut être opposéepour exécuter la mesure n´investigation demandée saufen deux cas: d´une part, l´exécution sera obligatoiresi la mesure d´enquête a été demandée en liaison avecdes catégories d´infractions visées à la liste des 32infractions graves (héritée du MAE39) quand elle estpassible dans l´État d´émission d´une peine ou d´unemesure de sûreté privative de liberté d´un maximum d´au moins trois ans. D´autre part, le défaut dedouble incrimination ne peut pas non plus êtreallégué pour éviter l´exécution d´une des mesures d´enquête listées à l´article 10§1bis, qui inclut lesmesures d´enquête non coercitives40, l´audition, lespreuves déjà en possession de l´autorité d´exécutionou disponibles dans des bases de données accessiblespour cette autorité ou la police, l´identification dutitulaire d´un numéro de téléphone ou d´une adresseIP ainsi que, d´une façon peu concluante, laperquisition et la saisie.L´autorité d´exécution devra donc subsumer les faitsà l´origine de la DEE sous une infraction nationalepour procéder à un double contrôle: d´une part, elledevra déterminer si l´infraction rentre ou pas dansune des catégories d´euro-délits énumérées à l´article 10§1bisf) afin de savoir si elle peut

38 Article 5§1 Convention de 1959, article 51 CAAS.39 Il résulte inconcevable de ne pas étendre à la coopération judiciaire enmatière d´obtention de preuves les progrès réalisés à l´occasion du MAE.Le recul reviendrait à permettre la remise d´une personne plus facilementque l´obtention des preuves à son encontre. 40 Bien que telles mesures ne sont pas définies.

21

refuser l´exécution sur la base d’un défaut de doubleincrimination ou pas. Si le refus n´est pas possiblesur cette base, l´autorité nationale devra ensuitevérifier que la mesure d´enquête demandée seraitdisponible dans une espèce nationale similaire: si cen´est pas le cas, et que la mesure concernée n´estpas listé à l´article 10§1ter a), l´État d´exécutionpourra refuser sa mise en œuvre. Il faudra attendre le cas échéant la transposition dela directive dans les différents EM41 pour évaluer l´impact que ces motifs de refus ont sur l´efficacitéde l´instrument qui nous occupe: la transposition audroit national de tous les motifs facultatifs derefus qui sont disponibles42 ira à l´encontre de l´urgence d´agir afin de conserver les preuves, carson contrôle est toujours source de ralentissement duprocès43.

1.1.2.2 Le recours à une mesure d´enquête alternative

En vertu de la DEE c´est l´autorité d´émission quidécide sur la mesure la plus approprié à l´obtentionde la preuve, l´autorité d´exécution étant obligée, àmoins qu´elle puisse compter sur l’un des motifs denon-reconnaissance ou non-exécution, de l´exécuter44.L´autorité d´exécution ne pourra donc vérifier ni l´opportunité ni la proportionnalité de la mesure d´enquête demandée, aucun motif de refus étant prévu àcet égard. L´absence de ce contrôle présuppose une confianceconsidérable envers les autorités et systèmes

41 Le choix de la directive au lieu du règlement peut avoir desconséquences négatives au moment de la transposition. À cet égard, latransposition de la décision-cadre sur le MAE a montré que les EM ontoutrepassé les motifs de refus prévus; v. S. BOT, supra note 7, p.185.42 Contrairement au MAE, qui distingue entre motifs de non-exécutionobligatoires et facultatifs (articles 3 et 4 respectivement), la directivequi nous occupe n´impose aucun motif d´exécution, même pas pour les cas deviolation du principe de ne bis in idem.43 v. S. BOT, supra note 7, p.112.44 Article 5bis§1.

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judiciaires étrangers. L´expérience de latransposition du MAE a dévoilé les défauts de cetteconfiance aveugle en ce que, dans sa mise en œuvre,"il est souvent fait appel à plus de modération et deproportionnalité dans l´émission des MAE"45.Une solution à la possible méfiance vis-à-vis lesdécisions étrangères est envisagée par l´article 9 dela proposition de directive, qui offre –même danscertains cas impose– l´autorité d´exécution lapossibilité de recourir à une mesure autre que celleprévue dans la DEE46. En vertu de cet article, lerecours à un type différent de mesure d´enquête estobligatoire quand la mesure en question n´existe pasou ne serait pas disponible dans une procédurenationale similaire47 et, par contre, elle estfacultative quand elle permettrait d´obtenir le mêmerésultat par des moyens moins intrusifs.La possibilité existe de recourir à une mesurealternative aussi lorsque des moyens moins intrusifsaboutiraient aux mêmes résultats. Cette dispositionvise à corriger dans l´EM d´exécution le caractèredisproportionné de la mesure d´enquête demandé, et àcet égard devrait être rendu obligatoire48. Rien nejustifie qu´une disposition qui a pour effet une

45, G.V. VAN TIGGELEN et L. SURANO "Quel futur pour la reconnaissancemutuelle en matière pénale? Analyse transversale" dans G.V. VAN TIGGELEN,L. SURANO et A. WEYYEMBERGH, supra note 5, p.556.46 Ces motifs ne peuvent pas justifier le recours à une mesure alternativequand celle demandée correspond à une des mesures inclus à l´article10§1bis. 47 Il semble que la proposition de directive laisse aux EM, lors de laditetransposition, le soin de décider soit de refuser, soit de recourir à unemesure d´enquête alternative dans les cas où la loi nationale nepermettrait pas le recours à la mesure d´enquête demandée en une procéduresimilaire. Si telle est en effet l´intention des EM, il serait plusapproprié d´inclure cette situation parmi celles dont l´État d´exécution ala faculté et non l´obligation de recourir à une mesure alternative, doncà l´article 9§1bis au lieu du 9§1.48 L´avis de l´organisation britannique Justice sur la DEE, disponible surhttp://www.justice.org.uk/data/files/resources/294/JUSTICE-Briefing-on-the-European-Investigation-Order-partial-general-approach.pdf, consulté le12 septembre 2012, partage cette opinion.

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meilleure protection des droits fondamentaux dans l´ELSJ soit laissée à la volonté des EM lors de latransposition de la directive. Il est évident que l´article 9 opère, conjointementavec certains motifs de refus, en tant que sauvegardedes garanties procédurales nationales, et cela pourcombler le manque d´homogénéité du niveau deprotection des droits fondamentaux dans lesdifférents EM. Cette alternative à l´harmonisationdes procédures nationales a son prix: ladénaturalisation de la RM. En effet, "sansrapprochement, pas de confiance mutuelle; sansconfiance mutuelle, pas de RM effective et pas d´espace pénale européen"49. La confiance mutuelledépendant d´un niveau équivalent de garanties partoutdans l´ELSJ, sans harmonisation procédurale ledémantèlement des barrières protectionnistes dont lesarticles 9 et 10 de la proposition de directive sontdes exemples devient impossible, voire indésirablevis-à-vis les droits du suspect. Ainsi, la thèseselon laquelle il est "illusoire de penser que la RMpuisse remplacer l´harmonisation"50 se confirmecorrecte.

1.2 Les enjeux qui entourent la RM des décisions d´enquête nationales

Il va sans dire, chaque EM a sa propre législation, quidiffère notablement d´un EM à un autre. Les lois nationalesqui encadrent le recours aux mesures d´enquête cherchent àpermettre une lutte efficace contre la criminalité tout enrespectant les exigences de respect des libertésindividuelles. Mais c´est précisément à cause du lien très

49 A. WETEMBERGH, "L´harmonisation des procédures pénales au sein de l´Union Européenne", Archives de politique criminelle, 2004/1 nº 26, p.59.50 G. KERCHOVE "La reconnaissance mutuelle des décisions pré-sentenciellesen général", dans G. KERCHOVE et A. WEYEMBERGH (dir.), La reconnaissancemutuelle des décisions judiciaires pénales dans l´Union européenne, éd. de l´Université deBruxelles, Bruxelles, 2001, p.116.

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étroit entre procédure pénale et droits et libertésfondamentales que les normes nationales de procédure pénalediffèrent davantage d´un pays à l´autre, puisque laprocédure "révèle beaucoup plus que les deux autresbranches de la justice pénale les valeurs juridiques de lasociété nationale"51. Il convient donc de situer la DEE dansles procédures pénales nationales, et cela en deux temps:que se passe-t-il avant l´émission d´une DEE (1.2.1) etquelle sort l´attend lors de son exécution (1.2.2).

1.2.1 À l´origine de la DEE

Aucune définition de mesure d´enquête n’est donnée parla proposition de directive, bien que le champ d´application de la décision est très vaste et s´étend àtoute mesure d´enquête à l´exception des équipescommunes d´enquête52. Quelques-unes de ces mesures sontexplicitement prévues: audition par vidéo outéléconférence53, obtention d´informations bancaires etfinancières54, livraison surveillé55, enquêtes discrètes56

ou interception de télécommunications57. Toutefois il s´agit d´une liste non-exhaustive et d´autres mesures d´enquête, comme le prélèvement d´ADN par exemple,pourraient faire l´objet d´une DEE qui serait alorsexécutée sur la base des conditions prescrites dans ladirective. La malléabilité de cet instrument est un desobjectifs poursuivis. En effet, les EM veulent créer uninstrument unique58. Cependant, la flexibilité de la DEE

51 J. PRADEL, G. CORSTENS et G. VERMEULEN, Droit pénal européen, 3ème éd., Dalloz,Paris, 2009, p.466.52 Article 3.53 Article 22.54 Article 23 pour les données relatives aux comptes bancaires, article 24pour les données concerna nt les opérations financières.55 Article 27, sur base duquel est possible toute mesure d´enquêteimpliquant l´obtention de preuves en temps réel.56 Article 27bis.57 Articles 27ter et 27quinquies.58 La nécessité d´un instrument global qui remplacerait le régime juridiqued´obtention de preuves existant, très fragmenté et confus, fut relevéepremièrement par la Commission dans son Livre Vert de 2009 et de nouveausoulignée par le Conseil européen dans le programme de Stockholm, qui

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présente des dangers majeurs: toute mesure d´enquêteexistante et future sera soumise aux règles et garanties–ou, pour mieux dire, à l´absence d´elles59– de ladirective qui nous occupe. Et pourtant beaucoup demesures d´enquête mises à disposition des autorités d´enquête et de poursuite nationales ont un caractèreprima facie attentatoire des droits fondamentaux dessuspects –ou des tiers. Ainsi, deux questions se posent:qui (1.2.1.1) et sous quelles conditions (1.2.1.2) peutémettre une DEE?

1.2.1.1 Qui peut ordonner des mesures d´enquête…

Une des différences fondamentales entre les deux modèlesde procédure pénale qui coexistent dans l´UE60, c’est àdire, le modèle inquisitoire et le modèle accusatoire61,se concrète dans le rôle accordé aux différents acteursde la justice pénale. Les risques inhérents à larecherche de la vérité sont à la base de l´exigence quiexiste dans les États de tradition continentale decontrôler l´usage que les autorités enquêtrices font desmesures coercitives62. Bien que dans la pratique la

invitait la Commission à prendre des initiatives à cet égard.59 Comme noté par le Conseil des barreaux européens, "les droits de ladéfense sont totalement inexistants dans la proposition". Commentaires duCCBE sur la proposition de décision d'enquête européenne, p.4, disponiblesurhttp://www.ccbe.eu/fileadmin/user_upload/NTCdocument/FR_221010_Comments_f2_1288172746.pdf, consulté le 6 septembre 2012.60 Les influences mutuelles ainsi que le rapprochement opéré par lajurisprudence de la CEDH ont dilué les divergences entre ces deux modèlesde procédure pénale, qu´en outre connaissent des concrétions assezdiverses dans les différents EM.61 Qui correspondent aux pays continentaux et de common law respectivement.Une courante plus moderne parle du modèle libérale (qui est fondé sur leprocès équitable) face au modèle autoritaire (du crime control), voir J.PRADEL, Droit pénal comparé, 3ème éd., Dalloz, Paris, 2008, p.717 et ss.62 On fait allusion aux mesures d´investigation qui portent atteinte auxdroits fondamentaux. Mais une mesure considérée coercitive dans un EM nele sera pas nécessairement dans un autre, raison pour laquelle c´estregrettable que la proposition de directive renonce à établir une liste demesures coercitives valable pour tout l´ELSJ.

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police joue un rôle prédominant lors de l´enquête63, dansles pays de modèle inquisitoire, la police, qui souventdemande les mesures d´enquête nécessaires à l´investigation, ne pourra néanmoins pas mettre en œuvreaucune mesure coercitive en absence d´autorisationpréalable64. L´importance de la phase de jugement et son caractèrecontradictoire réduisent le besoin de contrôlejudiciaire des activités policières lors de l´instruction dans les pays de common law65, raison pourlaquelle ces États ne connaissent pas la figure du jugeinstructeur66 et l´enquête est confié en exclusive à lapolice67. Ces traits distinctifs trouvent son écho dans ladéfinition donnée dans la proposition de directive auxautorités d´émission. L´article 2 inclut, à côté dujuge, juridiction, magistrat instructeur ou procureur,toute autre autorité désigné par l´État et compétentepour ordonner l´obtention de preuves dans le cadre desprocédures pénales en vertu du droit national. Cela viseà inclure les policiers, en charge des enquêtes enAngleterre et Pays de Galles par exemple, mais aussi d´autres autorités administratives dont leurs tâches sont

63 Le rôle de la police judiciaire dans l´instruction des affaires pénales, Les documents dutravail du Sénat, Série législation comparée, juillet 2009.64 Sauf dans des cas très spécifiques souvent liés à l´urgence. Parexemple, les enquêtes discrètes peuvent être autorisées par la police auDanemark, au Portugal et en France avec autorisation judiciaire a posteriori.Voir A.M. LOURIDO, La asistencia judicial penal en la Unión Europea, ed. Tirant loBlanch, Valencia, 2004, p.172. 65 W. VAN CAENEGEM, "Advantages and disadvantages of the adversarial systemin criminal proceedings", Review of the criminal and civil justice system in WesternAustralia, Vol 1, 1999, p. 92,93, disponible surhttp://www.lrc.justice.wa.gov.au/2publications/reports/P92-CJS/consults/1-3crimadvers.pdf, consulté le 10 août 2012.66 Sur la remise en cause de la figure du juge d´instruction dans les paysde l´Europe continentale, voir M. DELMAS-MARTY, "Vers un modèle européende procès pénal" dans M. DELMAS-MARTY Procès pénal et droits de l´homme, éd.Presses Universitaires de France, Paris, 1992, p.293,294.67 Par contre la police n´a plus la tâche de décider sur des poursuites, l´acte d´accusation étant rédigée par la Crown Prosecution Service dès 2003. L´instruction des affaires pénales, Les documents du travail du Sénat, Sérielégislation comparée, mars 2009, p.35.

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liées à la lutte contre la délinquance, telles que lesautorités douanières ou les autorités fiscales68.Néanmoins, de la définition même de la DEE se déduit queles décisions de ces autorités ne seront pas directementapplicables dans d´autres EM. Selon l´article premier dela proposition de directive, une DEE est "une décisionjudiciaire émise ou validée par une autorité judiciaire d´un EM afin de faire exécuter une ou plusieurs mesures d´enquête spécifiques dans un autre EM en vue d´obtenirdes preuves"69.L´article 5bis de la proposition de directive réitère lanécessité de que la DEE soit validée par une autoritéjudiciaire qui contrôlera "sa conformité aux conditionsd´émission prévues"70, conditions qu´en vertu du mêmearticle sont fondamentalement la disponibilité de lamesure dans une procédure nationale similaire et lanécessité et proportionnalité de la mesure au casparticulier. Cette disposition oblige donc la police àsoumettre ses critères de nécessité à la supervision d´un juge, juridiction, magistrat instructeur ouprocureur et s´explique par la méfiance, voire peur, decertains EM de laisser un organe qu´ils jugent partiel71

le soin de décider sur une mesure qui puisse se heurteraux droits fondamentaux mais qui sera "automatiquement"exécutée dans ses territoires. Cependant, l´autonomiequi caractérise l´action policière dans ces EM est

68 Le FRA avoue pour que les mesures coercitives ne soient émises que parun juge. Avis du FRA, supra note 36, p.13. En appui de cette opinion, celagarantirait l´indépendance de l´organe du contrôle du pouvoir exécutif, cequi n´est toujours pas le cas avec le parquet.69 La DEE s´appliquera aussi à l´obtention de preuves déjà en possession del´autorité d´exécution, dérogeant ainsi la décision-cadre sur le mandateuropéenne d´obtention de preuves.70 Sous le régime de la Convention de 2000, la police est reconnue commeautorité compétente en relation avec les livraisons surveillés et lesenquêtes discrètes (article 6§5), bien que l´article 6§7 permet aux EM dese nier à reconnaître les demandes faites par ces autorités. En tout cas,l´obligation de soumettre toute DEE émise par la police au contrôlejudiciaire suppose un recul de confiance par rapport au régime existant.71 Situé naturellement du côté de la poursuite, la police n´offrirait pasles garanties d´indépendance et d´impartialité suffisantes à veiller pourles droits fondamentaux de la personne mise en cause.

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tellement enraciné qu´il est difficile d´imaginer unvéritable contrôle de son activité. Il est donc probableque la garantie judiciaire que la DEE prétend instaurerdevienne une simple formalité. Cette garantie peut en outre être contournée sur base dela propre proposition de directive72. En effet, en vertude son article 7§2, l´autorité d´émission présente dansl´État d´exécution73 pourra demander des mesures d´enquête supplémentaires directement aux autorités d´exécution. À son tour, l´article 2 b) de la propositionde directive se limite à établir que l´autorité d´exécution peut être n´importe quelle autorité qui soitcapable d´assurer l´exécution de la DEE74, ce qui permetnaturellement de désigner la police. Sur base de cesdeux dispositions, la DEE constitue, au moinsindirectement, un instrument de coopération policière.En tout cas, la nature de l´autorité à l´origine de laDEE ne devrait pas être le critère retenu75, comme si l´intervention d´une autorité judiciaire soit la panacéecontre tout abus. La fixation d´un socle commun degaranties pour l´obtention de preuves serait plusadéquate pour établir une confiance dont profiteraittoute sorte d´autorité compétente en matière derépression criminelle76.

72 D. SAYERS, supra note 34, p.15.73 Il s´agit d´une nouveauté importante de la DEE, dont son article 8§3permet à l´autorité d´émission de demander la présence d´agents nationaleslors de l´exécution de la mesure, agents qu´auraient des pouvoirs enmatière d´application de la loi si la loi de l´État d´exécution le permetet "dans la mesure convenue entre les autorités" des États concernés.74 L´imprécision quant à la nature que doit revêtir l´autorité compétentepour exécuter la DEE est regrettable car elle est appelée à examiner etdécider sur des questions importantes au regard des droits fondamentauxcomme la disponibilité de mesures moins restrictives ou les motifs derefus.75 À cet égard, le Prof. G. Vermeulen avoue pour la disparition de ladichotomie coopération policière – coopération judiciaire. Il est partisand´une approche finaliste, qui mettrait l´accent sur la finalité répressivede la coopération (cooperation in criminal matters) plutôt que dans les autoritésimpliquées. G. VERMEULEN, "Free gathering and movement of evidence incriminal matters in the EU", Maklu, Antwerp, 2011, p.17.76 Ibidem p.21.

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1.2.1.2 …et sous quelles conditions? Le risque d´abus d´utilisation de la DEE

L´article 5bis de la proposition de directive s´occupe desconditions d´émission d´une DEE, le respect desquellesest confié en exclusive à l´autorité à l´origine de laDEE77. La première de ces conditions fait allusion à lanécessité et proportionnalité de la mesure par rapportaux fins poursuivis. Avec des formules différentes, tousles EM requièrent que ces conditions soient remplies afinde légitimer le recours aux mesures d´enquêtecoercitives. Ces notions sont en effet au cœur de l´examen tendant à déterminer si une ingérence dans lesdroits fondamentaux peut être justifiée, ou si parcontre, un abus serait commis si la mesure est accordéeou confirmée,78 de sort que la dérogation au droitfondamental en cause n´est pas acceptable. Il s´agit entout cas d´une condition qui laisse inévitablement unegrande marge d´appréciation aux autorités compétentes etqu´en conséquence soulève beaucoup de soucis et deméfiance. D’après ce qui a été vu dans des paragraphesprécédents, cette méfiance est à l´origine des clausespermettant à l´État d´exécution de recourir à une mesured´investigation alternative. L´article 5bis1b) de la proposition de directive prive d´autre part l´autorité d´émission de recourir à la DEEpour ordonner des mesures d´enquête qui lui seraientinterdites dans le cadre d´une procédure nationalesimilaire. Cette disposition empêche le forum shopping desautorités d´enquête et poursuite, évitant qu´ellesémettent une DEE pour contourner les lois nationales. Parexemple, en France le recours à l´interception de

77 Ce qui risque de devenir une formalité d´auto-validation. D. SAYERS,supra note 34, p. 9.78 La plupart d´EM permettent à la police d´avoir recours à certainesmesures d´enquête coercitives en cas d´urgence, tout en imposant l´obligation d´en informer les autorités de poursuite dans le plus courtdélai, afin de permettre un contrôle approprié. Le rôle de la police… supra note63, p.8,9.

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télécommunications est permis uniquement en relation auxdélits punis avec une peine égale ou supérieure à deuxans d'emprisonnement79. Ainsi, une DEE ne pourra êtreémise pour intercepter le téléphone d´un suspect d´avoirmis en danger une personne par violation d´une obligationde prudence, car ce délit n´est puni en France que d´unan d´emprisonnement80. Par contre en Espagne, le recours àcette même technique n´est pas limitée par la loi81. UneDEE pourrait donc être émise par une autorité espagnolepour l´interception d´un téléphone en relation avec n´importe quel délit. La DEE perd ainsi l´occasion de fixer un seuil communpour recourir à certaines mesures coercitives. Laconstatation des différences qui existent entre leslégislations nationales devrait amener à l´harmonisationdes critères ouvrant l´accès aux mesures d´enquête pluscoercitifs82. En vue de l´impossibilité de rapprocher leslégislations de façon à garantir la proportionnalité desmesures faisant l´objet des DEE, (l´examen de laproportionnalité d´une mesure d´enquête concrète devantse faire nécessairement en attention aux circonstances del´espèce) la limitation de l´utilisation des mesurescoercitives à une liste ou catégorie d´infractions sembledonc sensée, même souhaitable.Il peut être argumenté qu´il s´agirait d´uneharmonisation inutile en vue de l´article 9§1a) de laproposition, qui, tel qu’exprimé précédemment, oblige auxautorités d´exécution à recourir à une mesure alternative

79 Article 100 du CCP.80 Article 223-1 du Code pénal. Rappeler que si l´agissement à l´origine dela DEE est un euro-délit, peu importe quelle peine est prévu dans la loinationale.81 Article 579 de la Ley de enjuiciamiento criminal (CCP).82 Tel est l´approche suivi par la Commission, qu´affirme qu´il "convientau préalable de s’assurer du fait que le droit interne de chaque EMprévoit la possibilité des mêmes mesures coercitives. La RM présuppose des’assurer d’un minimum d’homogénéité des dispositions nationales relativesaux mesures de recherche". Livre vert sur la protection pénale desintérêts financiers communautaires et la création d’un Procureur européenDoc. COM(2001) 715 du 11 décembre 2001, p.54.

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lorsque celle indiquée dans la DEE ne serait pasdisponible dans une procédure nationale similaire83. Cesdispositions permettraient en effet à la France d´éviterl´obligation d´exécuter une DEE en vue de l´interceptiond´un téléphone en relation avec un délit non puni enFrance d´une peine égale ou supérieur à deux ans. Bien que la possibilité de recourir à une mesurealternative dans les cas cités ait des effets positifsvis-à-vis les droits fondamentaux, ces effets correctifsde la disproportion d´une mesure demandée sontbilatéraux, ne concernant que l´État d´émission et l´Étatd´exécution. En effet, ce dispositif ne fait rien pour laconstruction d´un ELSJ qui garantit un niveau homogène deprotection des droits fondamentaux84. La fixation du seuilqu´on propose est une harmonisation minimale quicontribuerait à établir la confiance qui est nécessaireau soutien de la RM.

1.2.2 Et à destination: qu´est-ce qu´on reconnait?

Dans le terrain de l´obtention transnationale de preuves,une distinction doit être faite parmi, d´une part, lesDEE qui visent le transfert de preuves déjà existantes,et d´autre part, les DEE qui cherchent à mettre en œuvredans l´État d´exécution une mesure d´enquête concrèteafin d´obtenir une preuve qui n´existe pas encore. Eneffet, la logique dont opère la RM diffère dans l´un et l´autre cas, ce qui a d´importantes: si l´obtention depreuves déjà en possession des autorités d´exécutionimplique la RM des règles d´obtention de preuvesétrangères (1.2.2.1), la DEE émise pour faire exécuter

83 Le critère de l´indisponibilité de la mesure dans un procès nationalesimilaire devient un motif additionnel pour refuser l´exécution decertaines mesures d´enquête, dont l´interception de télécommunications.Voir les articles 23§7, 24§5, 27§1, 27bis§3 et 27ter§4 de la proposition dedirective.84 "L'ELSJ doit être avant tout un espace unique de protection des droitset libertés fondamentales". Programme de Stockholm, JO C 115/1 du 4 mai2010, p.2.

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une concrète mesure d´enquête se limite à reconnaître ladécision d´investigation, qui sera ensuite exécuté deconformité avec la règle du forum regit actum (1.2.2.2).

1.2.2.1 La RM des preuves déjà existantes

"La DEE peut également être émise pour obtenir despreuves qui sont déjà en possession des autoritéscompétentes de l´État d´exécution"85. Une telle preuveaura été recueillie de conformité aux règlesprocédurales de l´État d´exécution, et donc deconformité avec la règle locus regit actum. Ainsi, cettehypothèse est la parente la plus proche de la RM dans lemarché intérieur, car dans les deux cas ce qu´onreconnaît est un produit final. Ainsi, intrinsèquement,on reconnait comme propres les règles qui ont permis l´obtention de ce produit. En admettant la preuve recueillie de conformité au droitde la preuve d´un autre EM, l'État d'émission reconnaitla légitimité de la procédure suivie dans l'Étatd'exécution, souvent différente à la sienne. Le régime d´entraide judiciaire de la Convention du Conseil de l´Europe de 1959 a révélé les problèmes d´admissibilitédes preuves qui sont liés à cette logique du locus regitactum. En effet, les différences entre procédures pénaleset les inégalités dans la protection des droitsfondamentaux d´un État à l´autre étaient souvent à labase de l´inadmissibilité de la preuve qui, recueilliede conformité avec la législation de l´État requis,méconnaissait les garanties consacrés dans lalégislation de l´État requérant,86 par exemple, l´obligation de la présence d´un juge lors d´uneperquisition domiciliaire. Ces mêmes problèmes peuvent être transposés au cas quinous occupe, et pourtant la DEE n´aborde pas la questionde l´admissibilité des preuves87. Il est à craindre quela pratique consistante à admettre ces preuves de façon

85 Article 1§1 dernière phrase. 86 G. VERMEULEN, supra note 75, p.41,42.

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automatique s´impose88. Le fait que la preuve que l´Étatd´émission nécessite ait été vraisemblablementrecueillie dans l´État d´exécution lors d´un procèspénal antérieur n´est pas raison pour éluder "l´examende compatibilité de garanties" qui doit régir laquestion de l´admissibilité à défaut d´une harmonisationdes procédures pénales des EM.

1.2.2.2 La RM des mesures d´enquête: la règle du forum regit actum

La problématique de l´admissibilité des preuvesrecueillies à l´étranger est à l´origine de la règle duforum regit actum, qui régit, depuis l´entrée en vigueur dela Convention de 2000, l´entraide judiciaire entre EM.Cette règle de droit applicable à la mesure d´enquêtepour la récolte de preuves dans un autre EM est formuléecomme suit: "l´autorité d´exécution respecte lesformalités et procédures expressément indiquées par l´autorité d´émission, sauf si la présente directive endispose autrement et sous réserve que ces formalités etprocédures ne soient pas contraires aux principesfondamentaux du droit de l´État d´exécution"89.Derrière cette solution se cache la méfiance quant auxrègles de preuve existant ailleurs. En effet, si onapplique à l´entraide judiciaire la logique de la RM, leprincipe directeur devrait être le locus regit actum. Celuiqui a demandé l'assistance devrait avoir la confiancenécessaire à reconnaitre que la réglementation de l´EMrequis est suffisante et respecte les standards deprotection des droits fondamentaux. Mais la réalité esttoute autre: "à l´heure actuelle, les États sont loin d

87 Comme d´ailleurs les instruments de coopération pour la collecte depreuves qui la précèdent.88 Il est souvent présumé que la preuve recueillie à l'étranger par lesautorités d´exécution a été recueillie en suivant des standardscomparables à ceux qui existent dans l´ordre juridique de l´État d´émission. G. STESSENS, "The principle of mutual confidence betweenjudicial autorities in the Area of Freedom, Justice and Security" dans G.KERCHOVE et A. WEYEMBERGH, supra note 16, p.97-98.89 Article 8§2.

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´être confiants dans le système de justice pénale desautres membres de l´Union"90. L'exportation du droitimposé par la règle de forum regit actum91 est ainsi fondée,au moins en partie, sur la méfiance à l'égard de l'Etatd´exécution. Toutefois, si la solution est mesurée en termes degaranties procédurales, le principe du forum est plusadéquate à la protection des droits fondamentaux qu´ille serait l´option qui consiste à imposer aux EM l´obligation pure et simple d´admettre la preuverecueillie de conformité aux règles étrangères. D'unepart, la règle du forum permet à l'État d´émission l´exportation des garanties de ses règles nationales; d´autre part, elle permet également l'Etat d´exécution demaintenir des standards de garanties plus élevés grâce àla clause d'ordre public92.La loi du forum régira donc la récolte des preuves dansd´autres EM "sauf si la présente directive en disposeautrement". Tel est le cas pour les enquêtes discrètes93

ainsi que pour les "mesures d´enquête impliquant l´obtention de preuves en temps réel, de manière continueet au cours d´une période déterminée"94. Ces exceptions s´expliquent car il s´agit de mesures d´investigations

90 A. WEYEMBERGH "L´avenir…", supra note 11, p.169.91 En vertu de la DEE, l´État d´exécution sera obligé non seulement àexécuter la mesure d´enquête concerné, mais bien à le faire de conformitéavec des procédures qui lui sont étranges. Demander à un policier anglaisde remplir les formalités d´un procès-verbal français correctement n´estpas si facile qu´il puisse paraître.92 Ce qui n´équivaut néanmoins pas à donner au suspect automatiquement unecombinaison des garanties des deux ordres juridiques en question, carcelles de l´État d´exécution ne joueront qu´en cas où elles constituentprincipes fondamentaux du droit. Mutual recognition, harmonisation andrights protection, p.9893 Qui continuent, en vertu de l´article 27bis§4, à être régies par le droitde l´État d´exécution.94 Son régime est peu clair. Bien que l´article 27§4 ne renverse pas larègle du forum, "le pouvoir d´agir, la direction et le contrôle desopérations liées à son exécution appartient aux autorités compétentes de l´État d´exécution". Ce même texte peut être retrouvé dans l´article 12 dela Convention de 2000 pour ce qui concerne les livraisons surveillés bienque complété par l´établissement de la règle du locus regit actum.

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délicates sur lesquelles l´État d´exécution ne veut pasperdre le contrôle. Il devrait être ajouté à la proposition de directive queles règles de procédure de l´État d´exécution s´appliquent aussi en défaut d´indications donnés par l´autorité d´émission95. C´est dans l´intérêt des droitsde la défense que cette précision est suggérée, car ilimporte de savoir avec netteté quel est le droitapplicable dans chaque cas. C´est évident, le droitapplicable détermine le cours qui suivra la justicepénale, les garanties applicables ainsi que l´existence(ou l´absence) des voies de recours disponibles.Seulement une possibilité serait préférable au forum regitactum: l´harmonisation des garanties des règlesnationales d´obtention de preuves96. Si bien la tâche neserait pas facile, étant donné qu’elle requiert uneétude comparée de la législation nationale concernantchaque mesure d´enquête, la base légale existe pour yparvenir (article 82§2 TFUE). Cette option aurait l´important avantage d´égaler les garanties des suspectsen ce qui concerne l´obtention transnationale de preuvesmoyennant des mesures d´enquête coercitives.

95 C ´est le cas dans une moyenne de entre le 50 et le 80% des cas. Study ofthe laws of evidence in criminal proceedings throughout the EU, The law Society, Summaryreport, octobre 2004, p.108. 96 Le plan d'action mettant en œuvre le programme de La Haye prévoyait uneproposition à cet égard. Plan d'action du Conseil et de la Commissionmettant en oeuvre le programme de La Haye visant àrenforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne(JO C 198 du 12 août 2005, p.1).

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2 La protection des droits fondamentaux Bien que le Livre vert de la Commission relative auxgaranties procédurales accordées aux suspects reconnaissaitdéjà en 2003 la nécessité de garantir dans l´ELSJ un niveauminimal de protection des droits individuels qui puissecompenser les pouvoirs accrus des autorités d´enquête etpoursuite que l´amélioration de la coopération judiciaireentraîne97, l´adoption de la DEE n´est pas assortie de lareconnaissance de nouveaux droits procéduraux ou denouvelles garanties des personnes mises en cause.Les EM semblent donc croire que l´harmonisation deslégislations procédurales nationales opérée par la CEDH estsuffisante pour que la RM puisse fonctionner dans ledomaine de l´obtention transnationale de preuves. Afin d´évaluer si une telle confiance est bien fondée, ilconvient de rappeler quelle est la jurisprudence de la CEDHapplicable à la preuve, tant en ce qui concerne le respectdes droits substantiels (2.1) comme pour le respect desdroits procéduraux qui y sont attachés (2.2)98.

2.1 La protection contre les atteintes aux droits substantiels

2.1.1 Garanties contre les atteintes à l´article 8 CEDH

Si on laisse de côté le droit à la liberté, c´est ledroit au respect de la vie privée et familiale99 le plusmenacé par l´instruction pénale. Cette réalité justifie

97 Livre vert de la Commission relative aux garanties procéduralesaccordées aux suspects et aux personnes mises en cause dans des procédurespénales dans l´UE, COM(2003) 75 final, p.9.98 La CEDH "encadre doublement le système de preuve par les exigences duprocès équitable et par le respect des droits garanties par laConvention". G. GIUDICELLI-DELAGE, "Les transformations de l´administration de la preuve pénale. Perspectives comparées", Archives depolitique criminelle, 2004/1 nº26, p.175.99 Tel que consacré à l´article 8 de la CEDH, incluant donc le respect audomicile et aux communications.

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qu´on se concentre sur les conditions que la CEDH imposepour légitimer une atteinte à ce droit fondamental. Le respect de la vie privée et familiale consacré par l´article 8 CEDH n´est certainement pas un droit decaractère absolu. Toutefois, en vertu du paragraphe 2 dumême article, toute ingérence doit remplir les conditionssuivantes: elle doit être prévue par la loi, poursuivreun but légitime et être nécessaire dans une sociétédémocratique. On analysera la jurisprudence de la Cour deStrasbourg en ce qui concerne chacune de ces conditions.

2.1.1.1 Les conditions de légitimité et légalité

La condition la plus facile à remplir est celle de lapoursuite d´un but légitime. En effet, parmi les butsexplicitement listés dans le texte de la Convention on ytrouve la défense de l´ordre. Bien que la recherche d´indices et de preuves permettant d´éclaircir lesinfractions pénales et d´amener les responsables devantla justice n´est pas directement liée à cette finalité,dont s´occupe plutôt le pouvoir exécutif, la Courutilise souvent la formule selon laquelle "l'ingérencevisait à permettre la manifestation de la vérité dans lecadre d'une procédure criminelle et tendait donc à ladéfense de l'ordre"100. Quant à la condition imposant que l´ingérence soitlégalement prévue, la jurisprudence de la CEDH est venueoffrir quelques précisions. La loi ne doit pasnécessairement être l´expression du parlement national,une loi d´origine gouvernementale étant suffisante pourremplir la condition de légalité. En plus, lajurisprudence a elle aussi caractère de loi aux yeux dela Cour, afin de tenir compte de la tradition juridiquede la common law101.

100 Par exemple, CEDH, 29 mars 2005, arrêt Matheron c/ France, §33.101 Sur la possibilité d´admettre la jurisprudence comme loi dans les payscontinentaux, voir S. TRECHSEL, Human rights in criminal proceedings, OxfordUniversity Press, New York, 2005, p.538.

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La loi doit en tout cas être suffisamment précise,accessible102 et prévisible et en plus doit offrir desgaranties adéquates et suffisantes contre les abus103. Àcet égard, en analysant les mesures de surveillance, laCour identifie comme sauvegardes minimales qui doiventfigurer dans la loi les suivantes:

"la définition des catégories de personnessusceptibles d'être mises sur écoute judiciaire;la nature des infractions pouvant y donner lieu;la fixation d’une limite à la durée del'exécution de la mesure; les conditionsd’établissement des procès-verbaux de synthèseconsignant les conversations interceptées; lesprécautions à prendre pour communiquer, intactset complets, les enregistrements réalisés, auxfins de contrôle éventuel par le juge et par ladéfense; les circonstances dans lesquelles peutou doit s’opérer l’effacement ou la destructiondesdites bandes, notamment après un non-lieu ouune relaxe".104

La loi doit aussi instaurer un système de contrôleefficace capable d´assurer que l´ingérence se limite àce qui est nécessaire dans une société démocratique car:

"L'expression «prévue par la loi» impose nonseulement le respect du droit interne, maisconcerne aussi la qualité de la loi qui doit êtrecompatible avec le principe de la prééminence dudroit"105

Cela implique que "le droit interne doit offrir unecertaine protection contre des atteintes arbitraires de

102 CEDH, 26 avril 1979, arrêt Sunday Times c/ Royaume-Uni, §49. 103 CEDH, 9 décembre 2004, arrêt Van Rossem c/ Belgique, §42. 104 CEDH, 30 julliet 1998, Valenzuela Contreras c/ Espagne, §46, citant àson tour les arrêts Krusling c/ France et Huvig c/ France.105 CEDH, 12 mai 2000, arrêt Khan c/ Royaume-Uni, §26.

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la puissance publique aux droits garantis par leparagraphe 1".106 À cet égard, il est intéressant denoter que le fait que la mesure d´enquête qui porteatteinte au droit à la vie privée ait été ordonné par unmagistrat n´implique, ipso facto, la régularité de l´ingérence et sa conformité avec l'article 8107.Bien que la jurisprudence de la CEDH a conduit au moinsune partie des EM à légiférer afin de se conformer auxexigences de légalité qu´on vient de décrire, desproblèmes persistent, surtout en ce qui concerne lesméthodes plus récentes de surveillance108. Il faut doncprendre garde des DEE ordonnant l´exécution detechniques spéciales d´enquête puisqu´elles sontparticulièrement intrusives mais souvent manquent d´uncadre légal approprié en raison de son caractèreévolutif109. À ces fins, l´article 5bis de la propositionde directive, qui concerne les conditions d´émission desDEE, devrait ajouter la condition que la mesure d´enquête soit dûment prévue par la loi de conformité auxexigences de la CEDH.

2.1.1.2 La nécessité dans une société démocratique

Tandis que les exigences "d´objectif légitime" et delégalité se prêtent à un examen in abstracto, l'exigence deproportionnalité, exprimée par les mots "nécessairesdans une société démocratique", ne peut être évaluée quedans le contexte d'une ingérence spécifique. Seulementquelques principes peuvent être tirés de lajurisprudence de la Cour. La nécessité est un critèrequi se trouve à moitié chemin entre l´utile et l

106 Valenzuela Contreras c/ Espagne, supra note 104, §46.107 CEDH, 29 mars 2005, Matheron c/ France, supra note 100, §33. Cependant,dans cette espèce, la Cour traite d´une preuve recueillie dans un procèset utilisé dans un autre, et arrive à la conclusion que le mandatjudiciaire dans le cadre du premier procès n´équivaut pas nécessairement àun contrôle effectif dans le cadre du second procès. 108 Preuve en est que la majorité des condamnations pour violation del'article 8 sont dus à l'absence ou l'insuffisance de la base juridique.S. TRECHSEL, supra note 101, p. 550.109 G. GIUDICELLI-DELAGE, supra note 98, p.183.

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´indispensable: l'État jouit d'une certaine marged'appréciation110, mais le contrôle ultime appartient àla CEDH111, qui utilise ainsi la nécessité comme"correctif de la marge nationale d´appréciation"112. Enplus, l´ingérence doit être justifiée par "un besoinsocial impérieux" et l'exception doit être interprétéede façon restrictive. La CEDH ne donne donc pas d´instructions précises quipuissent conduire à une interprétation uniforme de lanécessité d´une ingérence dans les EM: il serait enoutre impossible, car la proportionnalité est unprincipe intangible qui exige par définition un examenau cas-par-cas. En effet, un EM –ou, pour mieux dire, unjuge concret– peut, par exemple, considérer nécessairela mise sous écoute d´un suspect tandis que le juge d´unautre EM s´y opposerait dans la même espèce. Un détail d´importance, lié à la condition d´instaurerun système de contrôle efficace contre les abus de lapuissance publique se dégage de la jurisprudence de laCour: la proportionnalité ne joue pas uniquement un rôleau moment de la décision d´avoir recours à une mesurequi porte atteinte à la vie privée, mais s´étend parcontre à la concrète mise en œuvre ainsi qu´auxdécisions de report. Ainsi, la Cour lie le caractèreproportionné de l´ingérence à "l'existence de garantieseffectives et appropriées, compte tenu, pour chaqueprocédure, de l'ampleur et de la finalité de cespouvoirs."113

Le caractère flou qui revêt la proportionnalité estpeut-être à la base de la position du PE, qui met l´accent sur l´importance d´une évaluation adéquate de

110 "L'étendue de cette marge est variable et dépend d'un certain nombre defacteurs, dont la nature du droit en cause garanti par la Convention, sonimportance pour la personne concernée, la nature de l'ingérence et lafinalité de celle-ci". CEDH, S. et Marper c/ Royaume-Uni, 4 décembre 2008,§101.111 CEDH, 15 octobre 2003, Ernst et autres c. Belgique, §93.112 J. PRADEL, G. CORSTENS et G. VERMEULEN, supra note 51, p.296.113 CEDH, 25 février 1993, Funke, Crémieux et Miailhe c/ France.

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cette condition fondamentale à laquelle fait allusion l´article 5bis§1a), affirmant que la proportionnalité estune exigence constitutionnelle dans beaucoup d´EM. Le PEinsiste sur le fait de permettre, bienqu’exceptionnellement, une évaluation de laproportionnalité de la DEE de part de l´autorité d´exécution114. Le PE suit ainsi l´avis du FRA, quirecommande d´ajouter aux motifs de refus la violationdes droits fondamentaux, le limitant aux cas où l´EMaurait des indices sérieux établissant que l´exécutioncomporterait une violation des droits fondamentaux de lapersonne concernée115. Un tel test nous semble inapproprié: il est fondé sur lasuspicion qu´une violation est probable, et cela va à l´encontre tant de l´esprit de confiance qui doitsoutenir la RM que d´une protection adéquate des droitsfondamentaux des citoyens européens116. En plus, lecontrôle mené à bout par l´État d´exécution requerraitque l´autorité d´exécution ait accès au dossier, ce quiest illusoire. À nos yeux, la seule façon d´accorder unniveau satisfaisant de garanties contre les abusconsiste à combiner deux mécanismes de protection: d´unepart, il convient d´établir des garanties communes auxprocédures nationales de récolte des preuves; d´autrepart, il faut mettre l´accent sur les voies de recoursdisponibles contre les mesures d´enquête coercitives.

114 Amendements numéros 11 et 24 du projet de rapport sur l´adoption de ladirective du PE et du Conseil relative à la DEE en matière pénale (Doc2010/0817 (COD)), disponible surhttp://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+COMPARL+PE-478.493+02+DOC+PDF+V0//FR&language=FR, consulté le 7 juillet 2012.115 Avis du FRA, supra note 36, p.11.116 Voir, mutatis mutandis, O. DE SCHUTTER, "The role of fundamental rights evaluation in theestablishment of an area of freedom, security and justice" dans M. MARTIN, Crime, rights andthe EU: the future of police and judicial cooperation, Hobbs the Printers, Londres, 2008,p.48.

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2.1.2 Le rôle de la défense dans la DEE

2.1.2.1 Le problème du secret de l´instruction

Un contrôle effectif de la conformité des mesures d´enquête aux conditions et garanties procéduraleslégalement établies ne doit être confié en exclusive aujuge. L´importance du respect de ces garanties vis-à-visdes droits de la défense conseillent de permettre auxpersonnes visées par la mesure de participer au contrôlede la légalité et nécessité des mesures coercitives. La consécration légale d´une voie de recours ne sauraitpas suffire. En effet, dans beaucoup de cas, le secretde l´instruction empêchera la défense de se prévaloirdes actions en justice, les mesures d´enquête seréalisant par derrière, le délai pour recourir écoulantsans remède117. La question des voies de recours estainsi étroitement liée à la question de l´accès audossier, moment où l´accusé prend charge des mesuresacordées contre lui. La directive relative au droit à l’information dans lesprocédures pénales mérite donc notre attention118.Conformément aux articles 6 et 7 de la directive, lesuspect ou la personne poursuivie a le droit deconnaître l´accusation portée contre lui "rapidement etde manière suffisamment détaillée" et "au plus tard aumoment où la juridiction est appelée à se prononcer surle bien-fondé de l’accusation"119. On pourrait établir demême pour l´accès au dossier: l´accent est mis sur lefait de permettre l´exercice effectif des droits de ladéfense, qui apparemment est garantie si l´accès estpermis avant l´acte du renvoi en jugement. Ainsi, riendans la directive limite la faculté des autoritésnationales de mener l´enquête en secret.

117 J. PRADEL, G. CORSTENS et G. VERMEULEN, supra note 51, p.449.118 Directive 2012/13/UE du PE et du Conseil du 22 mai 2012 relative audroit à l’information dans le cadre des procédures pénales (JO, L 142/1 du1 juin 2012).119 La mention dans les considérants au premier interrogatoire policiercomme moment déclencheur du droit à l´information reste donc lettre morte.

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Il est évident que de nombreuses mesures d´enquêtemanqueraient d´intérêt si le suspect en fût aucourant120. De l´autre côté, si l´enquête finit avec unedécision de classement ou de non-lieu, le secret risquede se prolonger indéfiniment, l´atteinte à la vie privéeéchappant tout contrôle121. Ainsi, la DEE devrait incluredeux dispositions: l´une obligeant les EM, dès que lamesure coercitive s´est arrêtée, d´informer lespersonnes concernées122; l´autre imposant aux EM degarantir l´exercice effectif d´un moyen de recourscontre les DEE dès que le suspect a accès au dossier.Cela permettra à la défense de contester la légalité etla nécessité de la mesure d´enquête avant que la preuveait une influence quelconque sur celui qui juge. En ce qui concerne la soumission de l´obligation d´informer la défense sur les voies de droit disponiblesà la condition de ne pas entraver la confidentialité del´enquête123, cette disposition devrait être complétée aumoins par un rappel de l´exceptionnalité de la décisionde décréter le secret de l´instruction, une telledécision empêchant par nature le déploiement de touteactivité de défense124.

2.1.2.2 Les voies de recours prévues dans la DEE

L´article 13 de la proposition de directive s´occupe del´importante question des voies de recours. Bien que lameilleure protection que les États peuvent offrir à sescitoyens soit la prévention d´atteintes contre leursdroits fondamentaux, quand celles-ci ont lieu, les Étatsdoivent garantir aux victimes l´accès au juge qui leurest consacré par l´article 13 CEDH125.

120 J. PRADEL, G. CORSTENS et G. VERMEULEN, supra note 51, p.449.121 V. mutatis mutandis, arrêt Khan c/ Royaume-Uni, supra note 105. 122 D. SAYERS, supra note 34, p.19. Cela réduira le risque d´émissionindistincte des DEE, sans avoir même de suspects ou en ayant trop, quicaractérise parfois l´enquête proactive.123 Article 13§4 de la proposition de directive.124 J. PRADEL, G. CORSTENS et G. VERMEULEN, supra note 51, p.449.

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D´après ce qui a déjà été dit, le recours par lesautorités d´investigation à une concrète mesure d´enquête coercitive est soumis à une double condition:la mesure doit être expressément prévue dans la loi(principe de légalité) et elle doit être nécessaire auxbuts poursuivis (proportionnalité). En outre, sonexécution doit suivre les conditions procéduralesprévues dans la loi (forum regit actum). Ainsi, les possibles violations du droit à l´intimitépeuvent avoir lieu à deux moments différents de la viede la DEE: lors de son émission, et lors de sonexécution. Aucune harmonisation n´a été opérée par la DEE à l´égard des voies de recours ouvertes contre l´émission,la reconnaissance ou l´exécution d´une décision d´enquête européenne126. L´organisation des recours estainsi confié aux EM en respectant les différences entreles traditions et systèmes juridiques des EM. L´article13 de la proposition de directive ne fait que deuxprécisions: le premier disposant que les motifs de fondqui sont à l´origine de la décision ne peuvent êtrecontestés que dans l´État d´émission et le deuxièmeétablissant que le principe d´équivalence doit êtrerespecté, de sorte que les voies de recours offertesdoivent coïncider avec celles qui seraient ouvertes dansle cadre d´une procédure nationale similaire. Que la contestation à l´examen de la légalité et laproportionnalité de la mesure soit possible uniquementdans l´État d´émission est une conséquence logique de l

125 L´article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l´UE consacreaussi le droit à une protection juridictionnelle effective.126 Il a été affirmé que la distinction entre reconnaissance et exécution n´est pas claire en matière pénale, où "dès lors que la reconnaissance estpossible, très généralement, l´exécution a lieu". J. LELIEUR et F. JAULT-SESEKE, supra note 6, p.9,10. Mais la distinction est utile lorsqu´on parledes voies de recours: par "reconnaissance" on se référera à la décision del´autorité d´exécution qui, ayant écarté l´existence d´un motif de non-reconnaissance ou de non-exécution, dote la DEE d´une force juridiqueexécutoire. Par "exécution" on fait allusion aux actes de mise en œuvre dela DEE par les autorités de l´État d´exécution.

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´application de la RM aux décisions d´obtention depreuve: la RM impliquant la confiance dans la maîtrisedes investigations par l´État d´émission, "la remise enquestion de l´opportunité d´une décision serait laremise en question de l´autorité elle-même"127. Cela dit, il conviendrait de procéder à un examen desvoies de recours ouvertes dans les divers EM. En effet,même si la possibilité d´attaquer les motifs de fond desdécisions rendues en matière d´obtention de preuvesexiste dans tous les EM, des notables différencesexistent d´un EM à l´autre tant en ce qui concerne lemoment procédural pour engager l´action que quant autype de recours dont il s´agit128 (suspensif ou pas,dévolutif ou pas, etc). S´agissant d´une question clépour les droits de la défense, l´exercice réel eteffectif d´une voie de recours se révèle indispensableet doit être garanti dans un espace qui se proclame deliberté et justice. Plus problématique résulte le régime des recours contrel´exécution d´une DEE. La décision de reconnaissance desDEE, est-elle attaquable?129 Et qu´en est-il de l´exécution, qui puisse ne pas se conformer auxconditions procédurales prescrites? Plus importanteencore: quel droit détermine si une voie de recours estdisponible ou pas?130 S´agissant de décisions ou d´actesprises par les autorités de l´État d´exécution, ilsemble logique que ce soit le droit de cet État quidétermine les voies de recours disponibles. Néanmoins,la proposition de directive ne confirme pas cette thèsebien qu´elle ne la démente pas non plus. Il reste encore à éclaircir la question des recourscontre le procédé suivi lors de l´exécution de la mesure

127 M. MARTY, supra note 28, p.124.128 Le Conseil est conscient de ces différences à en juger par leconsidérant 21 du MOP.129 La lecture de l´article 11 montre qu´il n´y aura pas plus de 90 joursentre la reconnaissance et l´exécution. Il s´agit d´un délai très brefpour exercer un recours.130 M. MARTY, supra note 28, p.124.

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d´enquête elle-même. Tout d´abord, il faut garder à l´esprit que, si la question de la décision dereconnaissance est prise par l´autorité d´exécution enfonction de son droit national131, le même ne vaut paspour la mise en œuvre de la mesure, qui se feraconformément aux règles du forum contenues dans la DEE132

avec les exceptions qui ont déjà été considérées.Cela implique que, dans les cas où le droit national del´État d´exécution prévoit un recours contre l´exécutiond´une mesure d´enquête déterminée, le juge appelé à leconnaître devra appliquer un droit étranger. Peut-onattendre d´un juge qu´il soit familiarisé avec le droitprocédural pénal de 26 EM? Il peut être argumenté que, l´exécution étant soumiseaux procédures du forum, il vaut mieux de confier lesvoies de recours contre l´exécution de la mesure à laloi –et aux autorités– de l´État d´émission. Mais celareviendrait à mettre les actes des autorités de l´État d´exécution à l´épreuve de l´examen d´une autoritéétrangère. L´examen du recours pouvant exiger ladéposition de ces autorités, le possible carrousel deDEE visant à obtenir ses déclarations risque d´embrouiller la procédure, pouvant même empêcher l´exercice effectif du droit au recours.On arrive ainsi à un difficile carrefour. La règle duforum regit actum qui venait solutionner les problèmes d´admissibilité des preuves recueillies à l´étrangercollisionne avec le caractère concret et effectif quidoit présider la cristallisation de l´article 13 CEDH.Il semble que la seule façon de concilier admissibilitédes preuves et exercice réel des voies de recours passepar établir un socle minimal de garanties procéduralespour chaque mesure d´enquête portant atteinte aux droitsfondamentaux.

131 Droit national qui transpose la directive. 132 La loi applicable à la mesure d'enquête sera donc déterminé dans uninstrument auquel n´ont accès que les autorités nationales compétentes. Ilest donc discutable que ce mécanisme soit conforme aux exigences delégalité imposées par la CEDH.

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Une remarque devrait être précisée. Les conséquences quidécoulent d´une lecture conjointe des dispositionsrelatives au transfert de la preuve recueillie133 sont detoute évidence inacceptables134. Soit le transfert de lapreuve est suspendu dans l´attente d´une décisionconcernant le recours, soit la preuve est transféréesous condition de ne pas l´utiliser si l´exécution estcontestée avec succès. Sans une harmonisation des règlesnationales concernant l´admissibilité et l´utilisationdes preuves, le transfert d´une preuve dont son procédéait été contesté ne peut se combiner avec les règles d´admissibilité du droit de l´État d´émission sous peinede rendre le recours illusoire, dépourvu de tout effetutile.

2.2 L´atteinte aux droits procéduraux

Les exigences du procès équitable englobent la présomptiond´innocence, l´égalité des armes ainsi que les droits dela défense. De ces principes découlent toute une série d´exigences qui touchent le domaine de la preuve: i.e.,droit de l´accusé à proposer des preuves à décharge135;quant à l´administration de la preuve, exigences d´oralitéet contradiction, etc136. Et pourtant on ne trouve aucunegarantie qui encadre la preuve par le respect imposé decertains droits substantiels de l´homme. La prochainesection est consacrée d´abord à un examen des raisons d´une telle absence dans la jurisprudence de la CEDH(2.2.1), puis à faire une proposition qui puisse remplirce vide (2.2.2).

133 Articles 12§1bis et 13§5ter.134 M. MARTY, supra note 28, p.124.135 La DEE fait l´objet de fortes critiques par rapport aux exigences d´égalité des armes. En effet, le mécanisme de la DEE n´est ouvert qu´auxautorités nationales, oubliant la défense que dans le système de common lawpeut –même doit– rapporter la preuve à décharge. M. MARTY, supra note 28,p. 124.136 G. GIUDICELLI-DELAGE, supra note 98, p.176,177.

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2.2.1 La jurisprudence de la CEDH concernant l´admissibilité des preuves

On a déjà constaté qu´en vertu de la CEDH les mesuresd´investigation portant atteinte aux droitsfondamentaux doivent être bien encadrées par la loiafin de protéger l´individu au maximum de l´arbitraireet des abus de pouvoir. Ainsi, on peut déduire queautant le défaut de législation comme saméconnaissance impliqueront une violation du droitsubstantiel en cause, dont le droit à la vie privée.Mais une autre question se pose: que se passe-t-ilavec la preuve qui résulte d´une telle violation?137

La jurisprudence de la Cour montre que cette questiondoit être traitée sous l´angle de l´article 6 CEDH,qui consacre le droit à l´équité dans le procès138. Enraison des divergences procédurales des États parties,la Cour est uniquement concernée par le caractèreéquitable du procès considéré dans son ensemble139.Suivant cette logique, la Cour n´impose pas ipso facto l´exclusion des preuves illégalement recueillies, enrappelant que "la recevabilité des preuves relève aupremier chef des règles de droit interne et qu´enprincipe il revient aux juridictions nationales d´apprécier les éléments recueillis par elles"140. LaCour a ainsi toujours refusé de formuler des règlesqui forceraient l'irrecevabilité de certains types depreuves, avec une seule exception: les preuvesobtenues en violation de l´article 3 de la CEDH141.

137 La question fait allusion aux règles nationales d´admission et/ou d´administration de la preuve.138 Droit vaste qui englobe la présomption d´innocence, l´égalité des armesainsi que les droits de la défense. CEDH, 25 août 1987, arrêt Lutz c.Allemagne, §52.139 CEDH, 12 juillet 1988, arrêt Schenk c/ Suisse, §46.140 CEDH, 9 juin 1997, arrêt Teixera de Castro c. Portugal, §34.141 Cela s´explique à cause du caractère absolu de l´interdiction de latorture ainsi que par la faible fiabilité qu´on peut attacher auxdéclarations faites moyennant torture.

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Le manque de distinction fait par la Cour entre lapreuve obtenue en violation du droit national et lapreuve recueillie en violation d´un droit reconnu parla CEDH résulte étonnant. L´affaire Khan c/ Royaume-Uni142 est très illustratif à cet égard. La Couraffirme que "l'utilisation, au cours d'un procèspénal, d'éléments obtenus au mépris du droit aurespect de la vie privée consacré à l'article 8 nesignifiait pas que le procès serait inéquitable"143,et se limite à examiner l´équité du procès dans sonensemble "ce qui implique l'examen de l'«illégalité»en question et, dans les cas où se trouve en cause laviolation d'un autre droit protégé par la Convention,de la nature de cette violation"144. Quelle nature doitrevêtir la violation de l´article 8 pour que sonproduit ne soit pas utilisable dans un procès pénal?Aucun éclaircissement n´est offert par la Cour, quifinit par nier la violation de l´article 6 CEDH enconsidérant que les droits de la défense ont étérespectés, le requérant ayant eu l'occasion decontester l'authenticité et l'emploi del'enregistrement litigieux, et cela même si sesarguments avaient échoué à chaque degré dejuridiction145.Sans aucun doute, la réticence de la Cour à condamnerl´admission des preuves illégalement recueillies estdirectement attribuable à l'absence de normeseuropéennes communes en matière de preuve146. En effet,dans certains EM, comme l´Espagne ou le Portugal, laviolation des droits fondamentaux lors de l´obtentiond´une preuve est sanctionnée par l´exclusionautomatique de celle-ci147. Par contre, en Angleterre

142 arrêt Khan c/ Royaume-Uni, supra note 105.143 Ibidem, §14.144 Ibidem, §34. 145 Ibidem, §38. 146 S. STAVROS, The guarantees for accused persons under article 6 of the ECHR, Éd.Martinus Nijhoff, Dordrecht, 1993, p. 237.147 G. GIUDICELLI-DELAGE, supra note 98, p.159.

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"très fréquemment la preuve pertinente est admise,malgré son obtention illicite"148. La jurisprudence de la CEDH se montre donc incapable d´harmoniser les divergences entre EM quant au droit dela preuve. Cela a comme conséquence que l´équité (ausens du fair play) durant la phase d´investigation n´estpas dûment garantie en Europe. En effet, commentcombattre efficacement les abus de pouvoir, l´arbitraire, si la preuve qui en résulte peut fonderune condamnation? De plus, quel statut est réservé auxgaranties procédurales si aucune conséquence n´esttirée de sa violation?Cela a été dénoncé à plusieurs reprises: en necondamnant l´admission des preuves recueillies enviolation des droits reconnus par la CEDH, la Courrisque de donner l´impression qu´elle ferme les yeuxface à la violation149. Beaucoup d´auteurs plaidentainsi pour l´établissement d´une règle d´exclusion despreuves illégales150.

2.2.2 La nécessaire distinction entre preuve irrégulière et preuve déloyale

La question de l'admissibilité des preuves a toujoursété abordée dans la coopération judiciaire en matièrepénale du point de vue de l´efficacité des poursuites.En effet, le seul souci a été de garantir que lapreuve recueillie à l´étranger puisse être utiliséedans le procès pénal de l´État qui en a besoin. Unefois résolu ce problème à travers la règle du forum,il est temps d'aborder la recevabilité des preuvesd'un point de vue différent: celui des droitsfondamentaux.

148 G. GIUDICELLI-DELAGE, supra note 98, p.160.149 S. STAVROS, supra note 146, p.227.150 A. SMEULERS, "The position of the individual in international criminalcooperation", dans, J.A.E. VERVAELE, European Evidence Warrant: transnational judicialinquiries in the EU, Intersentia, Antwerpen/Oxford, 2005, p.93.

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Tout comme le souci de garantir l´admissibilitépermettant la poursuite concerne tous les États quicoopèrent en matière pénale, ainsi la problématiquedes preuves recueillies en violation des droitsfondamentaux affecte l'ensemble des EM. C´est sur labase de cette responsabilité partagée qu´on propose l´introduction d´une disposition dans la DEE quiobligerait les EM à déclarer irrecevable la preuveillégalement obtenue.Le terme "preuve illégale" peut néanmoins êtreinterprété de façon différente dans chaque EM: siconformément à la DEE la loi qui s´applique à l´obtention de la preuve est celle de l´État d´émission(forum regit actum), et donc pas unique, alors lesillégalités, en tant que violations de la loi,différeront aussi d´un EM à un autre. Pourtant avec larègle qu´on propose d´insérer on ne cherche pas àprotéger les normes nationales de procédure mais lesdroits fondamentaux. Pas toute illégalité dans l'obtention de la preuvedoit être qualifiée de nullité. La règle commune d´inadmissibilité doit concilier raisonnablementl'intérêt public à la poursuite effective descriminels, ce qui est sans doute servi par l'admissionde la gamme la plus large possible des preuves àcharge, et le droit de l'accusé à tester efficacementla preuve obtenue en violation des règles de droit.Ainsi, on propose de suivre une logique quidistinguerait les preuves irrégulières en raison desvices formels de procédure, des preuves déloyales, car,ces dernières, ont été obtenues en violation d´undroit fondamental substantiel. Les premières seraientsoumises aux règles nationales d´admissibilité despreuves; les secondes seraient par contreautomatiquement irrecevables, de façon à garantir qu´elles n´auront aucun effet.

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Plus difficile résulte déterminer quelles violationsconcrètes de la procédure entraînent l´une ou l´autreillégalité, cela nécessitant d´un examen de chaquemesure coercitive: tandis que le manque de présencejudiciaire lors d´une perquisition puisse équivaloir àla transgression du droit à l´inviolabilité dudomicile, le même vice de procédure peut êtreconsidéré une simple irrégularité lors d´un prélèvementde sang.Une seule preuve déloyale résulte de la CEDH: cellequi résulte d´une mesure d´enquête coercitivedépourvue de soutien légal. Il s´agit donc du point dedépart pour la mise en place d´une règle de traitementde la preuve illégale qui aurait une doubleconséquence positive: autant le droit à la vie privéeque le droit à un procès équitable seraient renforcésau sein de l´ELSJ.

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ConclusionL´étude réalisée montre qu´il reste encore un long chemin àparcourir pour arriver au niveau de confiance que l´instauration d´une véritable reconnaissance des décisions d´enquête nationales exigerait.Pour répondre aux différences législatives existantes entreles EM la proposition de directive a choisi, au lieu de lavoie de l'harmonisation, l'inclusion de clauses qui ont peu ourien à voir avec la philosophie de la RM. Laissant de côté letimide rapprochement qu´implique la mise en place de lagarantie judiciaire, qui d'autre part vient résoudre uneméfiance que nous croyions déjà surmontée, la DEE établit desmotifs de refus de reconnaissance et non-exécutionsuffisamment larges pour permettre le contrôle, même s’il estindirect et partiel, de l'examen du fond effectué parl'autorité d´émission. Si on ajoute à cela l'option donnée parla directive d'utiliser une mesure d´enquête alternative, nousapercevons que c´est la méfiance, et non pas la confiance,celle qui s´instaure entre les autorités judiciaires.Quant à la consécration dans la DEE de la règle du forum, bienqu´elle vise à garantir l´admissibilité de la preuverecueillie dans l´État de jugement, elle va aussi à l´encontrede l´esprit de la RM, et elle permet d´esquiver touteharmonisation des procédures visant à les rendre compatibles.Pour éviter tout exercice d´harmonisation, les EM sont mêmeprêts à admettre « l´application directe » du droit étrangerdans son territoire, et cela par ses agents d´exécutionnationaux! Mais cette concession de souveraineté territorialen’est valable que pour certaines mesures; pour d´autres,considérées très restrictives, la règle du locus regit actum estmaintenue, avec tous les problèmes que cela implique aussibien pour l´admissibilité des preuves comme pour l´exercicedes droits de la défense, le suspect devant connaître la loidu lieu d´exécution et devant exercer –le cas échéant– là-basles possibles voies de recours ouvertes. Ces désavantages

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attaquent précisément les mesures plus délicates du point devue des droits fondamentaux. Face à cette réalité, il convient de se demander s'il neserait pas plus approprié de laisser les choses telles qu´elles sont. Un régime d´obtention de preuves fragmenté, mêmes’il sème la confusion, est peut être préférable à la mise enplace d´un système qui se proclame issu d´une confiance qui n´existe pas. La dénaturalisation de la RM met en péril laconstruction d´un véritable ELSJ "dans le respect des droitsfondamentaux et des différents systèmes et traditionsjuridiques des EM"151. Lorsque ces deux objectifs se heurtent,les EM semblent plus soucieux de maintenir ses particularismesnationaux que de veiller à la protection uniforme des droitsfondamentaux.La confiance mutuelle serait notablement renforcée si les EMacceptaient de fixer des standards minimaux du respect auxdroits et aux libertés consacrés par la CEDH. Dans cetteétude, nous avons défendu que la protection offerte par laCEDH ne suffit pas pour faire face aux enjeux qui seprésentent lors de la coopération pour l´obtention de preuves.À notre avis, la violation d´un droit substantiel lors de l´enquête préliminaire entraîne aussi une violation du droit àun procès équitable si la preuve qui en résulte est admise etpeut donc contribuer, voire fonder, une condamnation pénale.Ainsi, nous défendons l´inclusion d´une règle qui impose lasanction d´inadmissibilité des preuves recueillies en violantun droit consacré par la CEDH. L´établissement d´une telle règle doit être assorti d´unmécanisme permettant au suspect de participer au contrôle deslimites fixées par la loi aux autorités d´enquête etpoursuite. Il doit être possible pour les personnes concernésde réclamer les garanties spécifiques qui leur sont reconnuespar la procédure applicable en l´espèce. Cela revient àoctroyer une voie de recours réelle et effective. Comme il estévident, une telle voie de recours ouvre la porte aux

151 Article 67§1 TFUE.55

manouvres dilatoires de la part de la défense. Celui-ci c’estle prix qu’il faut payer pour vivre dans un véritable ELSJ.

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