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Les moines maronites et le Saint-Siège

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1 Colloque international Les religieux et le concile Vatican II Rome 12-14 Novembre 2014 Institutions organisatrices : LARHRA- Université de Lyon, FR CERCOR- EPHE, FR KADOC-Ku Leuven ; BE Centro Studi e Ricerche sul Concilio Vatican II (Université pontificale du Latran), IT Avec le Soutien de : LEcole Française d eRome LInstitut Historique Belge de Rome LAcadémia Belgica , Rome Comité dorganisation : Philippe Chenaux, Bernard Hours, Danel-Odon Hurel, Jan De Maeyer, Magda Pluymers, Christian Sorrel
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Colloque international

Les religieux et le concile Vatican II

Rome 12-14 Novembre 2014

Institutions organisatrices :

LARHRA- Université de Lyon, FR

CERCOR- EPHE, FR

KADOC-Ku Leuven ; BE

Centro Studi e Ricerche sul Concilio Vatican II (Université

pontificale du Latran), IT

Avec le Soutien de :

L’Ecole Française d eRome

L’Institut Historique Belge de Rome

L’Académia Belgica , Rome

Comité d’organisation :

Philippe Chenaux, Bernard Hours, Danel-Odon Hurel, Jan De

Maeyer, Magda Pluymers, Christian Sorrel

2

Les moines Maronites et le Saint-Siège avant Vatican II

Elie Azzi

Université Saint-Esprit de Kaslik, Liban

Les moines Maronites à l’époque du Vatican I

L’Eglise Maronite est une église patriarcale, à cachet ascétique

et monastique, de tradition syro-antiochienne. Enracinée

essentiellement dans la terre libanaise gouvernée successivement par

des dynasties musulmanes (entre le VIIème siècle et la première

décennie du XX° siècle). La géographie montagneuse du Liban- asile

des minorités religieuses- offrait un milieu propice pour le

développement de la vie monastique. Cette dernière a connu, dès la fin

du XVIIème siècle, une organisation à la manière des Ordres religieux

latins. L’Eglise maronite comprend actuellement trois Ordres, à savoir :

L’Ordre Libanais, l’Ordre Aleppin (Mariamite), et l’Ordre Antonin.

Leurs Règles et constitutions furent approuvées respectivement par le

Pape Clément XII en 1732 et 1740.

Suite au développement de l’uniatisme, puis à l’entrée des

missionnaires protestants au Liban (XIXème siècle), le Saint-Siège

commença à s’intéresser sérieusement à la question de l’organisation

des Eglises ‘uniates’ et à la promotion du catholicisme dans un contexte

considéré à la fois : non croyant, schismatique et hérétique.

La phase préparatoire du Concile Vatican I était une occasion

convenable pour affermir, d’une part, l’ecclésiologie latine, tant en

occident qu’en Orient ; et pour renforcer, d’autre part, le travail pour la

3

conversion des « schismatiques ». Les tendances romaines, de

l’époque, penchaient à aligner, au maximum, la discipline des Eglises

orientales sur celle de l’Eglise latine tout en maintenant leur

particularité liturgique. 1 La meilleure procédure pour réussir cette

affaire se concentrait sur deux points fondamentaux: Etablir un code

canonique unique pour toutes les Eglises uniates « suspectées de n’être

unies à Rome qu’extérieurement », et réformer la vie monastique.2

Le souhait de réformer la vie monastique conformément aux

besoins de l’Eglise catholique et les exigences du temps était un long

projet entretenu par le Saint-Siège depuis Vatican I jusqu’au Vatican

II. Pour le réaliser et le surveiller de près, une visite apostolique, avec

plein droit, avait été instituée auprès des moines maronites et melkites,

pour une durée assez longue (1859-1952). L’institution de cette visite

n’était pas toujours bien accueillie par le patriarcat maronite qui l’avait

considérée comme une atteinte à l’autorité du patriarche et à son droit

vis-à-vis des moines. Elle offrait aussi l’occasion à un groupe de

moines de se révolter contre l’hégémonie des visiteurs et de rejeter

toute réforme imposée. Et enfin, elle ouvrait la voie à des journaux

locaux pour réclamer l’indépendance religieuse de l’Eglise maronite et

des moines, à l’instar de l’indépendance nationale.

L’Etat des moines maronites à la fin du Règne de Pie XI

Dans ce contexte, le Saint-Siège confia, en 1936, au Père

Ansèlme Chibas Lassales, abbé mitré des Bénédictins français à

Jérusalem, une mission d'inspection des communautés maronites.

« Le but de cette inspection, explique le consul

général de France à Jérusalem et en Transjordanie, serait de

préparer la nouvelle règle d'obédience qu'on se propose

d'élaborer à Rome pour les réguliers maronites comme cela

a été fait récemment pour les réguliers melchites (sic). »3

1 Patelos, Vatican I et les évêques uniates, 93, 97, 109, 127, 165, 171-173. 2 Ibid., 164, 201-217. 3 AMAE, vol 516, fol 115 r.

4

Chibas-Lassales connaissait bien l’Orient chrétien, et il

connaissait très bien que sa mission auprès des moines maronites, à

l’insu du patriarche, était fort délicate. 4 L’ambassadeur, Haut-

commissaire de la République française en Syrie et au Liban, relata ce

fait le 1er Janvier 1937, il dit:

« Il est incontestable que le niveau intellectuel et

spirituel des moines maronites justifie les tentatives de

relèvement et il est douteux que le patriarcat soit en mesure

de leur apporter en cette matière une aide efficace. Le Saint-

Siège ne manque pas d'argument pour justifier son

action. »5

Juste avant l’assignation de Chibas-Lassales à cette charge

d’investigation, le patriarcat maronite venait de commémorer, le 22

novembre 1936, le bicentenaire du synode du Mont-Liban, code de

l’Eglise Maronite, auquel le patriarche Antoine Arida s’attachait

fermement. Le Haut-Commissaire de la République française en Syrie

et au Liban, décrivait cet événement avec ces propos:

« Le Patriarche maronite a tenu à célébrer avec un

éclat particulier, le 22 de ce mois, le bicentenaire du concile

maronite libanais. […] Le département n'ignore pas que le

Pape Pie XI, renforçant l'action entreprise depuis une

trentaine d'années par la Curie romaine a voulu porter des

restrictions à ces libertés des églises orientales, jugées

incompatibles avec la situation actuelle. Le Vatican a

d'ailleurs trouvé un appui dans le clergé régulier du pays qui

préfère se trouver directement soumis au pouvoir impartial

de Rome qu'à l'autorité tracassière et parfois intéressée des

évêques locaux ou même du patriarche.

C'est pour tenir compte des vœux formulés par les

moines que fut institué au Liban, il y a environ 25 ans, un

droit de visite au bénéfice de l'église romaine. Cette

inspection des couvents faite par deux prélats maronites

4 Ibid., vol 516, fol 115 r., 148 r. 5 Ibid., vol 516, fol 147.

5

désignés par Rome échappait en quelque mesure à l'autorité

du patriarche.

Mgr. Arida, très jaloux de ses pouvoirs spirituels et

temporels, s'efforce depuis son avènement (en 1932) de

retarder la conclusion et l'application des projets élaborés

au Vatican en vue d'unifier les rites orientaux et de les

placer sous l'obédience plus étroite du Pape. C'est pour

répondre à l'attitude ultramontaine du clergé régulier et

pour affirmer les privilèges de l'Eglise maronite que sa

béatitude a voulu célébrer l'anniversaire du concile avec

ostentation.

D'après les renseignements que j’ai pu recueillir, cet

incident se réfère à un différend surgi récemment entre le

Saint-Siège et le patriarcat au sujet du règlement des ordres

religieux maronites. Donnant une forme concrète aux

intentions bien connues du Saint Père, le projet du code de

l'Église orientale actuellement en préparation à Rome

envisagerait, pour les ordres réguliers au Liban un

règlement à peu près identique à celui des ordres

occidentaux. En particulier, il stipulerait que ces ordres

relèveraient, sous le rapport de l'administration et de la

discipline, du Saint-Siège lui-même, tout contrôle patriarcal

étant à peu près exclu. Mgr Arida aurait écrit, il y a un mois

environ, à Rome, pour demander que ses prérogatives, en

cette matière, fussent sauvegardées. Cependant, intervenant

directement dans le débat, les ordres auraient envoyé au

Saint-Siège des pétitions signées de 95% environ de leurs

effectifs, sollicitant leur rattachement direct à Rome. »6

Ces correspondances révèlent l’état des choses touchant la

préparation d’une nouvelle codification pour les moines maronites,

puis la relation des moines avec la hiérarchie ecclésiale locale et

romaine. En effet, ces thèmes avaient préoccupé le Cardinal Tisserand

6 Ibid., vol 516, fol 111-114.

6

tout au long de son mandat comme secrétaire de la Congrégation

Orientale (1936-1959).

Nous développons par la suite deux points chers au cœur du

cardinal, à savoir : les constitutions des Ordres maronites, et

l’éducation des jeunes moines.

Nouvelles constitutions (1938 ; 1960)

Conformément aux recommandations de la Congrégation

Orientale, du 30 juillet 1929, les trois Ordres maronites élurent chacun

une commission pour modifier et réformer leurs Règles et

constitutions.7 Le 12 mars 1931, l’Ordre Libanais acheva le travail et

le présenta à la S. Congrégation. En parallèle, un schéma de canons

pour les religieux orientaux fut publié à Rome, en 1933, dans le cadre

de l’élaboration du code pour les Eglises Orientales.8 Toutefois, la

curie généralice de l’Ordre Libanais espérait toujours que le Cardinal

Sincero hâte l’approbation des textes achevés par l’Ordre en 1931.9 La

Congrégation ne répondait pas à ce souhait, car la codification

commune pour les trois Ordres maronites était déjà élaborée. En 1938

une version, promanuscripto fut publiée pour être révisée par les

membres des trois Ordres. Et la version finale porte la date de 1942.

Le préambule de ces constitutions qui porte le titre « De la

nature et du caractère des trois Ordres Monastiques Maronites »,

précise le suivant :

« Le Saint-Siège, qui n’a rien de plus à cœur que la

conservation et le développement de la vie religieuse, ayant

constaté que les anciennes constitutions n’étaient plus

suffisamment adaptées aux circonstances actuelles et

7 Aloysius Card. Sincero, Normae ad electiones faciendas in capitulo generali …,

Article 26. 8 Sacra Congregazione Orientale, Codificazione Canonica Orientale, canons 487-

681. 9 AOLM, Secrétariat Général, Registre 6, lettre du 12 mars 1934, 387.

7

présentaient certaines lacunes, a jugé opportun de les

réviser et de donner aux trois Ordres monastiques maronites

un texte nouveau, qui leur fût commun. Ce texte, tout en

conservant les dispositions générales des anciennes

Constitutions, tient compte des besoins présents et de

précision apportées par l’étude approfondie du Droit

oriental. »10

Dix ans après, Le pape Pie XII constata que la codification des

religieux était incomplète, il publia le 9 février 1952 un Motu Proprio

(MP), intitulée Postquam Apostolicis Litteris, donnant une codification

complète et une organisation nouvelle à la vie religieuse des

orientaux.11 Ce MP devait entrer en vigueur le 21 novembre 1952.

Les canons de ce MP traitaient des monastères, des Ordres

religieux, des congrégations et des sociétés d’hommes et de femmes

vivant en commun. Les moines maronites qui étaient toujours

considérés comme tels par le Saint-Siège, se trouvèrent devant une

codification étrangère à leurs concepts et leurs pratiques. Ceci mit leur

identité en question : Sont-ils canoniquement moines, ou religieux ?

L’application rapide de ce MP semblait irréalisable, la prudence

poussa le Saint-Siège à confier à Monseigneur Pierre Dib, en automne

1952, la présidence d’une commission représentant les trois Ordres

Maronites pour étudier les moyens de réception du MP.12

Le 25 Août 1954, la S. Congrégation publia une instruction au

sujet de l’exécution des canons du MP. 13 Le numéro 2 de cette

instruction précise le suivant :

« On sait que plusieurs parmi les Religions ont été

fondées et approuvées par le Saint-Siège comme des ordres

monastiques. Mais ces Religions n’ont jamais connu la

10 Constitutions des moines Maronites de l’Ordre Libanais, 1-2. 11 Delchard, « Actes du Souverain Pontife », 525. 12 AOLM, Moussa Azar, Lettre générale, 4 janvier 1953. 13 Texte intégral dans Clemens, De religiosis orientalibus, ad normam vigentis iuris,

533-548.

8

forme classique de gouvernement propre aux moines et aux

monastères et n’ont jamais observé complètement la

discipline classique des monastères. »

Cette instruction insiste sur la dimension strictement canonique

en ce qui concerne le but, le régime et la vie des religieux.

Le but des moines est de tendre à la perfection chrétienne par

l’observance de la vie monastique selon les antiques traditions de

l’Orient. La nature du travail est agricole ou artisanale. Quant au

régime, les moines habitent dans des monastères sui juris et la durée du

noviciat devrait être de trois ans. Le supérieur est élu par les moines et

établi à vie.

Par contre, le but des Ordres religieux est en général le

ministère sacerdotal sous toutes ses formes, l’office divin doit être

maintenu, le travail manuel est volontiers et le plus souvent remplacé

par le travail intellectuel. Quant au régime, les couvents dépendent du

supérieur majeur et les Ordres sont gouvernés par des Règles et

constitutions.14

Suite à cette instruction, le Saint-Siège chargea Père Emile

Hermen s.j., en Mars 1955, d’effectuer un referendum auprès des

membres des Ordres maronites et melkites en les invitant à choisir la

nature de vie qu’ils souhaiteraient suivre, tout en informant les moines

que ce choix devrait être définitif et adapté pleinement aux canons du

MP.15

Se trouvant devant un fait accompli, sans une autre issue

canonique possible, les maronites et les melkites choisirent, presque

unanimement, de vivre dans des Ordres religieux16. Suite à ce choix, le

Cardinal Tisserant communiqua aux Ordres Maronites deux décrets

signés simultanément le 16 et 20 décembre 1955. Dans le premier il

déclare que la S. Congrégation accepte, la requête des religieux

14 Ibid., p. 539. 15 AOLM, Mousa Azar, Lettre générale, 13 septembre 1954. 16 Néophyte Edelby, « Renouveau dans les Ordres religieux melkites », 229-236.

9

d’appartenir à un Ordre, et par le fait même les Ordres maronites sont

considérés des Ordres religieux. Cette déclaration entra en vigueur le

17 janvier 1956. Dans le second décret la S. Congrégation demande à

chacun des religieux de confirmer par serment, devant le supérieur

général, son intention de se conformer intégralement aux prescriptions

du MP concernant la vie dans un Ordre religieux.17

Quant au petit nombre de moines de l’Ordre Libanais qui

avaient choisi de vivre en moines dans des monastères sui Juris, La S.

Congrégation décrète qu’elle ne pourrait donner un avis favorable à

leur requête, et elle les prie de s’engager à vivre en religieux dans leur

Ordre tout en confirmant leur engagement par le même serment comme

leurs confrères.18

Une fois l’application du MP s’était mise sur le bon chemin, la

S. Congrégation invita chacun des trois Ordres Maronite à modifier ses

constitutions et de les rédiger conformément à leur nouveau statut et

aux exigences canoniques prescrites dans le MP. Les constitutions de

l’Ordre Libanais furent approuvées et confirmées le 6 août 1960, pour

une durée de sept ans, ad experimentum.

Selon ces constitutions, l’Ordre Libanais définit sa nature et son

but comme suit :

« L'Ordre Antonien Libanais des Maronites est une

religion cléricale, à vœux solennels, de droit pontifical,

exempte de la juridiction du Hiérarque du lieu, aux termes

des saints canons. Cet Ordre a pour but général la gloire de

Dieu par la sanctification personnelle de ses membres […].

Il a pour but spécial le service du prochain par des œuvres

d'apostolat et de miséricorde spirituelle et corporelle,

notamment par la prédication, et l’enseignement, tout en

observant la vie de communauté. »

Après la clôture du Concile Vatican II, le Pape Paul VI publia, le 6

août 1966, un Motu Proprio intitulé « Ecclesiæ Sanctæ », dans lequel il

prescrivit les normes pour l’application du décret Perfectæ Caritatis. La

17 AOLM, Registres, Kaslik 17, 22-23. 18 AOLM, Registres, Kaslik 17, 24.

10

rénovation devint alors la tâche du Chapitre général qui ne devrait pas se

borner à édicter des lois, mais imprimer un élan de vie spirituelle et

apostolique. Après Six ans de travail, l’Ordre Libanais ne se contenta pas de

reformuler ses constitutions mais redonna aux Règles un nouvel élan après

leur suppression en 1942, et redonna à son identité une vigueur syro-

antiochienne.

Toutefois les canons du MP du 9 février 1952 restaient toujours en

vigueur jusqu’en 1990, la date de la promulgation du Code des canons des

Eglises orientales. Ce nouveau code avait repris les mêmes considérations

canoniques, développé par Postquam Apostilicis litteris concernant la vie

monastique et religieuse (canons 410-572).

Education des jeunes moines

Soucieux du niveau intellectuel des moines, le Cardinal

Siméoni, ordonna en 1890, aux Ordres maronites d’envoyer quelques

moines pour suivre des études à l’université Saint Joseph, à Beyrouth.

Celle-ci accueillait une élite des moines Libanais jusqu’en 1949. Les

moines Aleppins et Antonins, outre leur maison de formation au Liban,

avaient une maison à Rome, où quelques jeunes moines suivaient des

études dans les universités romaines.

Au début des années quarante, Pierre Dib avait collaboré avec

l’Ordre Libanais afin d’envoyer quelques jeunes suivre des études à la

faculté de théologie de Strasbourg, où lui-même enseignait. Ceux-ci, à

leur retour se consacreraient à enseigner leurs confrères au Liban.19 Ce

projet répondait aux souhaits du Saint-Siège de regrouper tous les

jeunes de l’Ordre dans une seule maison de formation et d’études, où

ils s’appliqueraient au plus haut niveau, à l’acquisition de la vertu et la

science à l’instar de leur saint patron Maroun et ses disciples,

défenseurs de la foi.20 Ce fut la création, en 1948, d’une nouvelle

bâtisse sous le vocable du Saint-Esprit, à Kaslik. Inaugurée en 1950.

19 AOLM, Père Général Jean Andary (1944-1950) dossier 16, lettre de Pierre Dib

adressée au Père général le 21 février 1946. 20 AOLM, Pierre Dib, lettre générale, 8 novembre 1949, 1.

11

Quelles étaient alors les attentes de la S. Congrégation de la

formation intellectuelle des jeunes moines ?

Dans une conférence donnée au mois de Mars 1952 au Palais

des Beaux-Arts de Bruxelles, intitulée Le Vatican et les Eglises

Orientales, le cardinal Tisserant développe la stratégie suivie par le

Saint-Siège pour promouvoir le catholicisme orientale, nous en

retenons les points suivants :21

- « Pie XI pensait que les institutions monastiques d’Orient

auraient avantage à connaitre quelques-unes des expériences

des instituts latins ».

- Favoriser dans le milieu monastique l’adoption des règles

d’inspiration occidentale tout en maintenant la liturgie

orientale.

- « La promulgation du droit canonique oriental devrait aider les

catholiques d’Orient à perfectionner leurs organisations. »

- Enfin, la stratégie fondamentale fut exprimée dans le texte

suivant :

« Le Saint-Siège est persuadé que l’administration

plus soigneuse, qui devrait résulter de l’application du code,

l’amélioration de la qualité du clergé, mieux préparé

intellectuellement et spirituellement, et les progrès des

instituts religieux, plus réguliers et plus dynamiques,

hâteront la réunion de ceux qui ne sont pas sous la houlette

du Successeur de Pierre. Désireux de voir les chrétiens se

rapprocher sur tous les terrains où ils le peuvent sans danger

de confusion, nous pensons que les exemples ont plus

d’efficacité que les discussions théoriques. Nous voudrions

que les catholiques d’Orient soient tels que les autres

chrétiens ambitionnent de se joindre à eux, avec la certitude

de trouver dans leur société un bénéfice pour leurs âmes. »

Cette stratégie du Saint-Siège se trouve toujours fidèle à la

lignée de pensée maintenue depuis le dix-neuvième siècle, mais elle

n’a jamais été évidente pour les moines maronites. Les documents

21 Article publié dans, Nouvelle Revue théologique, mai 1952, 449-465.

12

conservés dans les archives des Ordres Maronites ne reflètent pas, à

eux seuls, que les moines étaient conscients de l’attitude générale du

Saint-Siège et de ses soucis.

Formation de jeunes profès à Rome.

Le cardinal Tisserant a voulu mettre en application les détails

de la stratégie décrite ci-dessus. C’était avec L’Ordre Libanais qu’il

avait procédé. En 1954, suite à sa demande, l’Ordre Libanais envoya

six jeunes moines à Rome pour vivre à l’abbaye bénédictine de Saint

Gérôme, et suivre des études à l’abbaye bénédictine de Saint Anselme.

Les six jeunes moines n’étaient pas informés de l’objectif de

leur voyage, « A Rome on vous dira tout », c’est ce qu’on leur avait dit

à la veille de leur voyage en septembre 1954.

Accueillis à l’Abbaye de St. Gérôme, ces moines résument ce

que l’abbé Pierre Salmon leur avait dit :

- Notre séjour à Rome est l’initiative de la seule S. Congrégation.

- L’objectif de notre séjour est de fréquenter des moines cloîtrés

et emprunter à leur vie ce qui nous manque, parce que la S.

Congrégation préfère que notre Ordre soit monastique cloîtré.

- La cause de la béatification du Charbel Makhlouf, moine

ermite, attira l’attention de la S. Congrégation et lui donna

espoir que l’Ordre Libanais pourrait maintenir la tradition

monastique dans l’Eglise Maronite.

- Le Cardinal Tisserant accorde pleine autorité à l’abbé sur nous

pendant notre séjour à l’abbaye.

- La S. Congrégation n’accorde pas, pour le moment une

importance majeure à nos études. Elle se préoccupe

fondamentalement à ce que nous profitions de l’esprit

monastique occidentale et en emprunter ce qui est bénéfique

pour une renaissance spirituelle et monastique de notre Ordre.

- Par conséquent il fut décidé que nous suivions des cours

mineurs et non pas des cours majeurs.

13

- Toutes ces mesures furent prises, sans préméditation, afin

d’appliquer les normes définies par le MP, Postquam

Apostolicis Litteris.22

Le 8 Octobre 1954, ces jeunes moines eurent une audience avec

le Cardinal Tisserant qui leur dit : « J’espère que votre contact avec les

Bénédictins et Rome vous enrichisse. Vous allez constater que la vie

chez ces moines est très équilibrée. St Benoît a été un grand

psychologue. Rien d’excessif ou d’exagéré dans ses règles et ses

constitutions. Ce qui n’est pas d’ailleurs le même cas chez d’autres.

Ainsi nous avons tâché en 1939 de réduire tout excès dans vos

Constitutions pour qu’elles soient plus adaptées au genre de vie qu’on

mène actuellement. »23

Les jeunes moines n’étaient pas si dociles vis-à-vis de toutes

ces mesures. Ils avaient exprimé une certaine attitude défensive

rationnelle.

- Ils considéraient qu’il fallait choisir d’autres candidats ayant

une aspiration à la vie monastique selon le modèle bénédictin

qu’eux-mêmes la récusent.

- Ils insistaient à suivre des cours majeurs.

- Ils demandaient la permission de suivre les constitutions de leur

Ordre ainsi que l’office maronite tel qu’il est appliqué à

Kaslik.24

Après plusieurs rencontres avec eux, l’abbé Salomon manifesta

un esprit paternel et compréhensif, il leur permit d’avoir un horaire

quotidien de vie et de prière propre à eux, tout en maintenant quelques

services liturgiques avec la communauté. Les jeunes moines

procédaient à ces améliorations sans toutefois être satisfaits et se

sentaient toujours inquiets de leur sort. Ce sentiment avait commencé

à se dissiper suite à une rencontre avec le Père Abbé le 13 mais 1956 :

22 AJS, Ambroise Hage et Louis Khalifé, lettre adressée à Jacques Skayem, Octobre

1954. 23 AJS, Ambroise Hage et Louis Khalifé, lettre adressée à Jacques Skayem, 5

Novembre 1954. 24 Idem.

14

« Le Père Abbé nous réunit dans son bureau et en

quelques mots, il dit : Etant donné que les deux années

« expérience monastique » sont terminées selon les accords

faits avec la Ste Congrégation Orientale, et étant donnée

que j’ai réuni ma communauté pour discuter votre cas pour

l’année prochaine, j’aime maintenant savoir votre avis, si

vous êtes contents ici ou non (et simplement) si vous

préférez rester ou non ?

Après réflexion, nous les quatre (Tobie, Khoury,

Hage et moi) sommes réunis et nous avons décidé de rester

à St Jérôme à condition de changer formellement cette

ambiance monastique et cette mentalité qui nous considère

comme des novices… autrement, nous aussi, préférons

quitter St Jérôme.

Enfin, nous avons passé par le Père Abbé, excellent

et aimable supérieur. Il a compris, mais semble-t-il, il a été

déçu aussi, car jusqu’au dernier moment, il croyait que l’un

et l’autre de nous voterons pour la vie monastique. »25

Bref, les jeunes décidèrent de rester à St Jérôme jusqu’à

l’achèvement de leurs études (en 1958). Entretemps, un événement

survenu et donna une impulsion positive à leur séjour. Le Père Fohl-

membre de la communauté de St. Jérôme- fut envoyé, en septembre

1956, par la S. Congrégation au Liban dans une mission auprès des

moines maronites. Après son retour, il avait exprimé à la communauté

son impression, l’un des jeunes moines maronites l’a résumé dans l’une

de ses correspondances :

« Il parle du Liban comme l’idéal. Il a le courage de dire

aux français- excessifs nationalistes- que le Liban est plus

beau que « la belle et douce France ». Ce qu’il a surtout

impressionné c’est la vie de nos confrères : Kaslik, Ghosta

(seuls monastères qu’il a vus en plus de S. Maroun Annaya)

ont gravé dans son âme un souvenir ineffaçable. Il en parle

avec respect, fierté et admiration. Le dimanche- après son

25 AJS, Louis Khalifé, lettre adressée à Jacques Skayem, Mai 1956.

15

retour- on l’a invité à tenir une conférence au Chapitre. Tu

ne peux savoir quelle impression il a laissé dans une

mentalité bourrée de mépris pour tout oriental. Il a exalté

notre vie chrétienne, religieuse, l’esprit expansif de nos

confrères, leur entrain dans la civilisation et la culture

européenne, la piété et le recueillement (surtout des

postulants si petits) dans la prière, le ton viril et l’harmonie

dans les chants liturgique, l’esprit communicatif,

hospitalier et accueillant de tous, l’Orient enfin n’est pas

cette bête noire et sauvage que les Occidentaux essayent de

se représenter ; et pour autant qu’il n’est pas latin, il ne cesse

pas de faire une excellente figure dans l’église catholique. »

Conséquences et remarques générales

Après ce jalonnement, nous exposons quelques conséquences

d’ordre pratique.

En une trentaine d’années, Les Ordres maronites ont connus

trois codes constitutionnels: Le premier étant une mise à jour, le

deuxième définissant une identité, et le troisième redécouvrant le

charisme initial de l’institution et du fondateur. Peut-on dire que nous

sommes devant une évolution ou des mutations ? Le Saint-Siège

insistait beaucoup sur l’aspect canonique de la vie consacrée, sans tenir

compte du long héritage, matériel et spirituel, développé dans un

contexte aussi complexe comme celui du Proche-Orient. Quelles

étaient alors les conséquences de cette période ?

- Les tentatives successives du Saint-Siège, dans les deux

domaines, d’organisation et de législation donnaient une

certaine impulsion nouvelle et moderne aux Ordres maronites.

- la majorité des couvents des maronites se situe dans un milieu

rural, montagneux, et agricole. La nature de vie des moines

suppose une relation dynamique- sur plusieurs plans- entre les

moines et leur milieu. Les moines vivent essentiellement des

revenus des domaines agricoles. La présence harmonieuse d’un

nombre d’ermites, de prêtres et de frères convers donnait un

équilibre spirituel et matériel à la vie conventuelle dans ce

16

contexte. Suite aux mesures successives prises par le Saint-

Siège, cet équilibre s’affaiblissait graduellement. Les

statistiques de l’Ordre Libanais révèlent la réalité de ce fait :

En 1934 : 330 prêtres, 200 frères convers, 125 scolastiques, 5

ermites, 75 novices

En 1954 : 303 prêtres, 106 frères convers, 64 scolastiques, 1 ermite,

55 novices.

En 1962 : 302 prêtre, 59 frères convers, 111 scolastiques, 35

novices.26

- En ce qui concerne l’observance de la vie monastique en

générale, les constitutions de 1942 approuvent l’état

monastique des Ordres Maronites. Le terme « moine » en est

toujours maintenu. Mais la Règle, qui constituait la première

partie des anciennes « Règles et constitutions » fut supprimée.

Cette Règle définit l’identité monastique des Ordres Maronites

et leur cachet spirituel. Ce cachet fut substitué par un autre

relevant d’un ordre purement canonique. Cet état de chose ne

donnait pas satisfaction aux moines, au moins au supérieur

général de l’Ordre Libanais, Moussa Azar qui, lors une visite

canonique au couvent Notre-Dame de Mayfouk, tenue le 20

octobre 1951, recommanda aux moines de lire les dix-huit

chapitres de l’ancienne Règle au réfectoire, au moins une fois

par mois, et de lire les nouvelles constitutions (1942) deux fois

par an. Cette recommandation fut renouvelée au cours d’une

autre visite canonique au même couvent conclue le 15 août

1953.27

- Avec le MP du 9 février 1952, le fond spirituel de la vie

monastique fut sacrifié. Cet avis est partagé par Georges-Joseph

Mahfoud et Ignace Ziadé, évêque maronite de Beyrouth. Le

premier affirme que « une Eglise, surtout orientale, sans

monachisme n’est guère pensable. Mais les prescriptions du

nouveau code oriental relatives à l’organisation de la vie

monastique ne nous paraissaient pas applicables, tout au moins

26 OLM, SG, Registre 6, 380. Archives OLM, Père Général Moussa Azar, dossier

144. Ignace Abou Sleiman, Lettre générale, 10 janvier 1962, 2-3. 27 AOLM, Registres, Mayfouk 2099 (1926-1980).

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à l’Eglise maronite de nos jours. » 28 Le second dit : « l’un des

effets les plus désastreux de ce Code Oriental concerne la vie

monastique […] Donc ce Code Oriental particulier a finalement

abouti à latiniser davantage les Eglises d’Orient et à supprimer

toute vie monastique chez les catholiques d’Orient. »29 Les

religieux témoins de l’époque sont tous d’accord que ce code

n’était pas une réussite, les moines continuaient à mener leur

vie comme à l’ordinaire.

- Les objectifs attribués, par le Saint-Siège, à la vie religieuse, à

travers l’organisation et la législation, en vue de réunir des

chrétiens orientaux au catholicisme n’ont aucune trace dans les

archives des Ordres maronites. Nonobstant plusieurs maisons

religieuses des maronites se trouvent dans des régions mixtes

(catholique et orthodoxe). En effet, les Eglises catholiques et

orthodoxes orientales jouissent d’une longue tradition

monastique et ascétique. Et au moment où l’Eglise maronite se

trouve dépourvue d’une vie monastique, celle-ci restait vivante

dans l’Eglise orthodoxe.

- Pour le Saint-Siège les Orientaux catholiques relèvent des « rits

orientaux » et non pas des « Eglises Orientales ». Et la

Congrégation qui s’occupent de leurs affaires s’appelle

« Congrégation pour l’Eglise Orientale », devenue après

Vatican II « Congrégation pour les Eglises Orientales ». Cette

conception ecclésiologique ne fut pas partagée par les

orientaux. Loin de la conception d’une « société parfaite » et

« hiérarchique », l’unité de l’Eglise et sa catholicité demeurent

toujours des domaines ouverts à la réflexion théologique,

ascétique, et spirituelle.

- Enfin, les moines envoyés à Rome, avaient bien profité de leur

séjour et des études sans toutefois être convaincus de suivre le

modèle bénédictin.

28 Mahfoud, L’organisation monastique dans l’Eglise Maronite, 369. 29 Ziadé, « Note sur la nécessité d’un unique code de droit canonique pour l’Eglise »,

92.

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Bibliographie

Aloysius Cardinal Sincero. Normae ad electiones faciendas in

capitulo generali Gongrgationum Monasticarum maronitarum ;

scilicet Baladitarum, Aleppinorum et Antonianorum, Romae, die 30

Julii 1929.

Clemens, Pujol. De religiosis orientalibus, ad normam vigentis iuris.

Roma: Pontificium Institutum Orientalium Studiorum, 1957.

Constitutions des moines Maronites de l’Ordre Libanais. Rome :

Imprimerie Polyglotte Vaticane, 1938.

Delchard, A. « Actes du Souverain Pontife ». Nouvelle Revue

théologique, LXXXIV (1952) 74, 524-531.

Edelby, Néophyte. « Renouveau dans les Ordres religieux

melkites ». Proche-Orient Chrétien, VI (1956) 3, 229-236.

Mahfoud, Georges Joseph. L’organisation monastique dans

l’Eglise Maronite. Beyrouth, 1967.

Patelos, Constantin. Vatican I et les évêques uniates. Louvain :

Nauwelaerts, 1981.

Sacra Congregazione Orientale. Codificazione Canonica

Orientale VII. Schema dei canoni 391-725. Roma: Tipografia

Poliglotta Vaticana, 1933.

Ziadé, Ignace. « Note sur la nécessité d’un unique code de droit

canonique pour l’Eglise ». Orient Syrien, XI (1966) 1, 91-98.

Archives

AOLM= Archives de l’Ordre Libanais Maronite.

AMAE= Archives du Ministère des Affaires Etrangères à Paris,

série E-Levant, direction des affaires politiques et

commerciales, Syrie-Liban.

AJS= Archives privées de Jacques Skayem


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