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mAuritanie
STRUCTUREs sociales et
droits fonciers dans la
mughataa De magahama
Grigori Lazarev
Etude réalisée en 1995. Préface de 2015
Etudes de l’IFAD, Rome, 1997
2
PREFACE
Cette étude a été publiée en 1998 dans le cadre de documents institutionnels dont la diffusion
ne s’adressait qu’à des organisations et des responsables administratifs concernés par les
projets de développement financés par le Fonds International du Développement Agricole de
Rome (FIDA). Les travaux qui accompagnaient la préparation de ces projets ont, très souvent,
donné lieu à des études et des enquêtes d’une valeur scientifique certaine. Les pratiques
institutionnelles ne privilégiant cependant que la fonction utilitaire et circonstancielle de ces
études, aucune attention n’était prêtée à leur intérêt académique. Ces études, après avoir été
utilisées pour le processus de décision sur les projets, n’avaient pas d’autre sort que de
devenir des archives bureaucratiques, aujourd‘hui, pour la plupart, oubliées et même le plus
souvent perdues.
Ayant très longtemps été associé aux activités de développement de plusieurs institutions
internationales, j’ai eu fréquemment le privilège de participer aux études et enquêtes socio-
économiques, que justifiaient de nombreux projets, et de pouvoir, à ces occasions, valoriser
ma formation de chercheur en sciences sociales. Etant, depuis deux décennies, revenu à ces
recherches, j’ai eu la curiosité de parcourir nombre de travaux anciens, datant ma période
« internationale », et je me suis rendu compte que plusieurs d’entre eux pouvaient encore
avoir un intérêt scientifique. Le projet m’est venu d’en donner une diffusion académique, une
façon de réparer, en partie et bien plus tard, les déficiences anciennes des institutions de
développement en matière de partage de leurs propres travaux de recherche.
La présente étude sur les structures sociales et les droits fonciers d’un district du fleuve
Sénégal, Maghama en Mauritanie, entre dans cette catégorie de travaux qu’il m’a paru utile de
faire connaître. Bien sûr, l’étude, qui date de la décennie 90, ne peut plus avoir un caractère
d’information sur l’actualité sociale mais elle présente d’autres intérêts pour la recherche. Le
premier, et le plus évident, est celui de la « mémoire ». Cette étude donne en effet une image
des structures sociales d’une petite région du Fleuve il y a quelque vingt ans, et elle peut, sans
nul doute, servir de référence aux chercheurs qui se penchent ou se pencheront sur l’histoire
sociale de ces régions.
Le second intérêt est celui de l’originalité de son information. L’étude devant servir à la
préparation d’un important projet d’irrigation de décrue, ses responsables avaient eu des
moyens d’enquête qu’aucune recherche universitaire n’aurait pu imaginer. La réalisation du
projet hydraulique était conditionnée par les réponses qui devaient être apportées à la question
foncière. On ne savait rien dans ce domaine et il nous fut possible d’expérimenter des
approches d’enquête originales dans des conditions qui sont, probablement, restées uniques.
Je suis quasiment certain qu’aucune enquête de ce genre n’a pu, depuis, être réalisée en
Mauritanie, faute de moyens ou d’un contexte aussi favorable.
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L’originalité des données recueillies par une combinaison croisée d’enquêtes qualitatives et
d’enquêtes statistiques, justifie, à elle seule, la republication de ce travail. Ces résultats ont
d’autant plus d’intérêt aujourd’hui que l’expérience, à laquelle les informations de cette étude
servirent de base, ne fut pas répétée, une politique beaucoup plus dirigiste ayant prévalu par la
suite.
Un autre intérêt de cette étude est d’avoir pu traiter d’une question que les autorités
cherchèrent par la suite à occulter, celle des statuts sociaux traditionnels et des hiérarchies
personnelles qui en résultaient. Tous les connaisseurs de la Mauritanie savent que ces statuts
existent mais, dans le discours officiel (et juridique), ils n’existent plus. A ce titre, au moins,
la présente étude est d’une grande originalité et il est improbable qu’elle ait pu être répétée.
La présente étude se concentre sur la description de l’organisation sociale d’une petite région
du Fleuve et sur les aspects fonciers. Sa réalisation et les résultats que l’on a pu présenter, ne
se comprennent cependant que dans le contexte du projet auquel elle fut associée. Un autre
document, Négociation foncière dans le mughataa de Maghama, montre comment la présente
étude socio-foncière fut justifiée par le contexte d’une négociation foncière avec les
populations locales.
Notons, pour terminer, que cette étude est probablement unique car le gouvernement n’eut
aucune intention de la répliquer dans d’autres contextes fonciers du Fleuve. Sur l’insistance
de l’institution de financement, le projet de Maghama fut, certes, mis en œuvre sur la base des
accords de la négociation foncière. Mais celle-ci ne fut pas répétée car la reconnaissance des
droits traditionnels qu’elle impliquait, allait à l’encontre des dynamiques de spéculation
foncière qui ont pris le dessus dans la région du Fleuve. La prise en compte des droits
coutumiers, de plus, est une question délicate que les juristes, déjà confrontés au droit
moderne et à celui e la charia, ont, en général, préféré éviter.
Autant de remarques qui justifient l’intérêt de la republication, sur un réseau universitaire, de
la présente étude sur les structures sociales et les droits fonciers de Maghama. C’est un point
de repère dans le temps dont on ne retrouvera probablement pas d’équivalent.
Grigori Lazarev. Rome Juin 2015
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INTRODUCTION
I. LA MUGHATAA DE MAGHAMA
A. Cadre géographique
B. Arrière-plan historique
C. Les groupements ethnolinguistiques
II. LES STRUCTURES SOCIALES
A. Le système social "Haalpular"
B. Le système social Soninké
C. Le système social Maure
D. Données sur la population
E. Répartition des familles étendues selon les groupes statutaires
III. STATUTS FONCIERS ET DROITS D'USAGE
A. Fondements du système foncier
B. La notion de droit de propriété et de droit d'usage dans le walo
C. Droits d'usage, droits de culture
D. Droits fonciers des familles étendues et accès à la terre
E. Statuts fonciers et droits d'usage
F. Répartition des terres par villages et par "Kolladé"
G. Répartition des terres selon les groupes statutaires
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INTRODUCTION
Le département ou mughataa de Maghama est l’un de ces nombreux districts qui longent le
fleuve Sénégal, depuis la frontière du Mali. Les districts de la rive gauche sont situés au
Sénégal et ceux de la rive droite, dont Maghama, en Mauritanie. Leur richesse traditionnelle
est due aux terres dite de walo qui étaient, chaque année, inondées par les eaux de crue du
fleuve Sénégal. Selon des règles complexes, les communautés du Fleuve se partageaient
l’usage du walo, y dessinant des unités spatiales, utilisées par une ou plusieurs communautés
et appelées kolladé. Depuis les sécheresses des années 70 et 80, ces terres n’étaient que très
partiellement mises en eau et, hormis les bas-fonds, la majeure partie des terres n'était plus
cultivée depuis une vingtaine d'années. La mise en eau du barrage de de Manantali, qui devait
permettre de relancer les cultures de décrue, n'avait encore eu, en 1993, aucun effet dans la
région et, tant qu'il ne fonctionnait pas, le barrage semblait même avoir considérablement
réduit les apports que l'on aurait pu attendre lors des années pluvieuses récentes.
Le "Projet d'amélioration des cultures de décrue de Maghama", qui a été financé par le FIDA,
a été lancé en 1993. Il se proposait de réaliser certains ouvrages hydrauliques afin de relancer
les cultures de décrue dans les "walo" de Maghama, à partir d'un contrôle des lâchers d'eau du
barrage de Manantali et d'une meilleure maîtrise des apports des affluents de la rive droite du
fleuve Sénégal. Les terres irriguées de Maghama, au moment de la conception du projet,
étaient de l'ordre de 2 000 ha, quand les apports latéraux et ceux des surplus de crue du fleuve
Sénégal le permettaient. Les superficies irriguées par les crues, lors des bonnes années d'avant
les sécheresses, étaient de l'ordre de 6 à 7 000 hectares. Les aménagements proposés par le
projet devaient permettre d'irriguer, plus ou moins régulièrement, une superficie de l'ordre de
9 000 hectares.
Lorsque le projet fut préparé, pour le FIDA, par le Centre d'investissement de la FAO1, la
situation foncière était très mal connue. On savait cependant que les droits d'usages étaient
très complexes et qu'ils avaient conduit à des inégalités marquées. Certes, toutes les familles
avaient, plus ou moins, un accès à la terre mais selon des modalités (formes de dépendance ou
systèmes de redevance) qui traduisaient fortement la situation inégale des divers groupes
statutaires constituant les systèmes sociaux de cette région du fleuve. Avec la raréfaction des
terres cultivables, la compétition s'était faite encore plus âpre, favorisant la position des
détenteurs de droits d'usage "forts" aux dépens des détenteurs de droits d'usage "faibles".
1 La mission d'appui à l'enquête socio-foncière, et dont sont tirées toutes les informations présentées dans ce
document, a été effectuée en juin-septembre 1993 par le Centre d'investissement de la FAO (Grigori. Lazarev,
Mohamed Allaoui). Le traitement informatique a été effectué ultérieurement par Mouloud Arab ?
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Ce constat, bien que non étayé par des évaluations quantitatives fiables, avait déterminé le
FIDA à exiger que son financement soit lié à un principe d'équité, toutes les familles de la
zone devant pouvoir avoir accès à des terres dont la mise en culture aurait été rendue à
nouveau possible par des investissements publics consentis par la communauté nationale au
travers d'un prêt du FIDA.
Les premières enquêtes conduites pendant la préparation du projet avaient montré que
l'approche généralement suivie par l'Etat (au travers de la société d’exploitation, la
SONADER) dans le cas des périmètres d'irrigation avec maîtrise totale de l'eau, risquaient,
dans le cas de Maghama, de rencontrer une très forte opposition de la part des forces sociales
les plus influentes, celles-ci tenant à conserver la gestion des terres au sein des communautés
locales et s'opposant, par ailleurs, à une ingérence excessive de l'Etat.
Jusqu'alors, celui-ci s'était arrogé le droit de lotir les terres irriguées et de distribuer
égalitairement les parcelles à des attributaires choisis selon ses propres critères, ignorant le
plus souvent les droits d'usage traditionnels préexistants. Cette approche n'avait pas soulevé
trop de contestations lorsqu'il s'était agi de petits périmètres d'irrigation ou bien d'une mise en
culture de terres autrefois non cultivées. Par contre, dans de nombreux autres cas, cette
méthode autoritaire - bien que partant d'un louable souci d'équité - s'était trouvée confrontée à
de très fortes réticences de la part des populations concernées. A Maghama, par exemple, les
topographes envoyés par l’Etat furent chassés par la population et ne purent pénétrer sur les
terres du walo. De telles situations n'avaient guère encouragé la "participation des
bénéficiaires" et au contraire, l'Etat avait dû s'impliquer encore davantage dans la gestion
directe des périmètres qu’il gérait, alors qu'il aurait souhaité s'en dégager.
Soucieux de se départir d'une approche étatique "top-down" qui avait montré ses limites dans
la plupart des périmètres irrigués créés en Mauritanie depuis l'Indépendance, le FIDA s'était
proposé, lorsqu'il accepta de financer le projet Maghama, d'apporter son appui à une approche
nouvelle selon laquelle les populations concernées auraient, dès le départ, été associées à la
mise en place du projet et, en particulier, auraient été invitées à trouver elles-mêmes des
formules permettant de garantir un accès à la terre fondé sur un principe de plus grande
équité. Une telle formule était radicalement nouvelle pour la SONADER mais elle ne l'était
pas moins pour les populations, peu habituées à ce que l'on vienne les consulter et, a priori,
méfiantes devant de telles propositions.
Pour mettre en œuvre l'approche proposée par le FIDA - et finalement acceptée, à titre
d'expérience, par l'Etat - c'est une démarche radicalement novatrice qu'il avait fallu inventer et
tester2. Il fallait tout d'abord bien connaître la situation socio-foncière de départ. Il fallait
ensuite convaincre les populations qu'il leur incombait de trouver leurs propres solutions pour
satisfaire les principes d'équité et de responsabilisation dans la gestion requis par le FIDA. Il
2 Cette approche nouvelle avait été proposée au FIDA par Grigori Lazarev. Son application au cas de Maghama
est décrite dans le document « Négociation foncière à Maghama. Cette approche, fondée sur une méthode de
départ dite Lecture Socio Foncière des terroirs », avait été mise au point dans le cadre expérimental de plusieurs
projets du PNUD (FENU) au Niger, au Mali et en Guinée. Jusqu’à la fin 1994, Grigori Lazarev était socio
économiste et chef de mission du Centre d’Investissement de la FAO. Les consultants, Mouloud Arab, Sylvain
Ballu et Mohamed Allaoui ont participé à l’élaboration de cette méthode.
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fallait enfin trouver des modalités de négociation permettant d'aboutir à des accords préalables
solides. Il avait alors été entendu que ces derniers devaient constituer une sorte de
précondition avant que l'on ne s'engage dans les travaux de génie civil.
L’historique du processus de la négociation foncière ainsi que les approches méthodologiques
sont décrites dans un document également mis en ligne sur le réseau académique Academia.
edu , Négociation foncière dans la mughataa de Maghama.
Le présent document a extrait des diverses études et enquêtes réalisées dans ce contexte, les
données descriptives de la structure sociale et de la situation foncière dans le district de
Maghama. Les données quantitatives sont le résultat des enquêtes dont la méthodologie est
décrite dans le document cité ci-dessus. Les autres informations ont été obtenues au travers
d’entretiens semi-directifs avec des informateurs villageois. Le présent document a été
préparé par Grigori Lazarev. Les enquêtes sur le terrain ont été conduites par Grigori Lazarev
et Mohamed Allaoui, consultant FAO/FIDA. Le traitement informatique est dû à Mouloud
Arab, également consultant FAO/FIDA.
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I. LA MUGHATAA DE MAGHAMA
A. Cadre géographique
1. Maghama constitue l’un des quatre départements ("mughataa") de la région ("wilaya")
du Gorgol. D’après le recensement d’avril 1988, la wilaya du Gorgol comptait
184 500 personnes dont 31 500 pour le département de Maghama. La commune urbaine de
Maghama proprement dite (Maghama-ville) comptait en 1988 une population de
4 750 personnes (15% du total). Cette population s’élève aujourd’hui selon les enquêtes du
projet, à 15 300 habitants. La "mughataa" de Maghama comprend une commune urbaine et
sept communes rurales; cinq d’entre elles seront plus ou moins touchées par le projet. Celui-
ci cependant intéresse aussi la commune de Woumpou dans la "mughataa" de Sélibaby dans
la wilaya du Guidimaka. On compte également des résidents de Mbout qui ont des droits de
culture sur des terres situées dans l’aire du projet et appartenant à des chorfa (familles
religieuses) de Mbout. Les communes rurales n’ont pas de limites territoriales précises. De
façon générale, elles ont épousé les anciennes limites de district.
2. La "mughataa" de Maghama est bordée au sud-sud-est par le fleuve Sénégal, à l’est
par le département de Sélibaby, au nord par celui de Mbout et à l’ouest par celui de Kaédi, où
se trouve le chef-lieu de la wilaya. Elle est constituée par une vaste étendue relativement
plane de 2 600 km2, couverte d’une végétation de savane, de faible densité où prédominent le
jujubier et diverses variétés d’acacias. L’ensemble est découpé par des oueds, au cours très
temporaire et afflents du fleuve Sénégal, dont les plus importants sont le Niordé et le Ghorfa.
3. En dehors de quelques buttes localisées au nord-ouest, à proximité du fleuve, le relief
est très doux. Les altitudes sont de 20 m au bord du fleuve mais ne dépassent pas 60 à 80 m
au nord-est dans les bassins versants du Niordé et de Ghorfa. Plusieurs marigots, dont les
plus importants sont Mael et Balniki, relient ces oueds au fleuve. Les sols lourds et argileux
sont localisés à proximité du fleuve. Le reste est constitué de sols sablonneux légers, plus ou
moins caillouteux, avec effleurements de roches seulement dans les rares reliefs.
4. Maghama est réputée pour ses pâturages d’été (donc en saison pluvieuse). Durant
cette période, la végétation verdoyante attire les troupeaux venant d’autres départements. Les
dromadaires restent dans la partie nord pendant l’hivernage en raison des moustiques et ils ne
descendent vers le fleuve que plus tard en automne. A cette date, les herbes annuelles se sont
déjà desséchées et le pâturage est essentiellement aérien. Les plantes annuelles qui sont
constituées principalement de graminées s’assèchent dès le mois d’octobre. Les terrains
inondables ou "walo" sont localisés le long du fleuve entre Paliba au nord-ouest et Sagné au
sud-est; ils se répartissent entre une cinquantaine de cuvettes de dimensions très variables.
5. La population se divise en plusieurs ethnies (voir ci-dessous). Chaque village est en
général ethniquement homogène. Lorsque la population est importante, les villages sont
divisés en quartiers où les populations se retrouvent par affinité ethnique ou par lignage.
D'une façon générale, chaque village dispose d'un terroir qui comprend des terrains "walo"
pour la culture de décrue, des terrains "dieri" pour les cultures pluviales et un espace
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agropastoral utilisé pour le pâturage et la collecte du bois. Les limites de ces terroirs sont en
général bien connues par les villageois et elles sont respectées par les uns et les autres, même
si elles font parfois l'objet de contestations.
6. Les villages les plus importants sont concentrés le long du fleuve entre Maghama et
Wompou. A l'intérieur, vers le nord et le nord-est, une seule tribu maure, la communauté de
Litama, dispose de villages importants. La plupart des hameaux situés à l'intérieur sont de
petite dimension et appartiennent à des Haalpulaaren, éleveurs dans leur grande majorité.
Certains de ces hameaux ont été désertés depuis les événements de 1989, leurs habitants
s'étant réfugiés de l'autre côté du fleuve.
7. L'agriculture et l'élevage constituent les principales activités. La production agricole
est essentiellement vivrière. L'élevage fournit des apports monétaires destinés à faire face à
des dépenses courantes (savon, habits, huile) ou satisfaire des besoins alimentaires (riz,
sorgho, pâtes, etc.). La production agricole est exclusivement vivrière. Sorgho, maïs et mil
sont surtout destinés à la consommation familiale. Il est difficile d'évaluer les quantités
commercialisées mais tout porte à croire que celles-ci restent modestes. Le département est
ainsi importateur net de produits vivriers : farine de blé, riz, pâtes alimentaires et peut-être
aussi, sorgho. La production locale, autoconsommée ou commercialisée, ne satisfait pas les
besoins de la population. Celle-ci semble ne survivre que grâce aux apports provenant des
revenus de l'émigration dans les grands centres du pays mais surtout à l'extérieur, en Afrique
de l'Ouest et en France.
B. Arrière-plan historique
8. Le peuplement de la Moyenne vallée du Sénégal est déjà ancien, comme l'est aussi
l'islamisation des populations. On suppose que l'empire du Ghana (IXème/Xème siècle)
dominait déjà cette zone à partir de sa capitale Aoudaghost, islamisée dès le XIème siècle.
Au XIIIème/XIVème siècle, la vallée du fleuve fut dominée par l'empire du Mali. Koli
Tenguella, qui conquit alors la vallée, installa la dynastie des Denianke/Foutanke. Dès cette
époque, comme aux siècles suivants, leurs rois - désignés sous le nom de "satigui" -
distribuèrent des terres "walo" aux chefs des grands lignages.
9. Vers la fin du XVIIIème siècle les "torobé", des marabouts, prirent le pouvoir aux
Denianke (guerriers) et créèrent l'Almamat (de l'arabe "amir el muminin" - prince des
croyants), s'assurant alors le contrôle des terres. L'Almamat dura jusqu'à l'occupation
française à la fin du XIXème siècle. La pénétration coloniale avait en fait commencé dès le
16ème siècle, avec la création des comptoirs et la traite. Plusieurs compagnies commerciales
se succédèrent à St Louis du Sénégal, et elles créèrent des étapes à l'intérieur des terres,
notamment sur le fleuve; Sagné était l'une d'elles. Pour assurer la liberté du commerce, le
"royaume du Oualo" fut déclaré territoire français en 1850. Il fut "pacifié" entre 1850 et 1890
malgré une forte résistance des populations dirigées par les "torobé". En 1891, la région du
fleuve fut définitivement annexée et l'Almamat supprimé.
10. Les émirats et tribus maures étaient aussi présents, et depuis longtemps, sur les bords
du fleuve. Certaines tribus avaient installé leurs dépendants "haratine" sur des terres "walo".
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Les Litama font partie de ces anciennes fractions dépendantes. S'y ajoutent différentes
communautés créées autour d'établissements religieux créés par des religieux de statut
"chorfa".
11. L'histoire de la Moyenne vallée pourrait être interprétées comme une longue lutte entre
les diverses populations pour le contrôle des terres "walo". Pendant longtemps, l'ordre
guerrier des Deniankobé domina. Les ordres maraboutiques des "torobé" ne les supplantèrent
qu'à la fin du XVIIIème siècle, à la suite d'un soulèvement de la masse paysanne, islamisée
depuis des siècles, qui fut entraînée par un marabout longuement formé dans les zaouya
maures. Ceux-ci prirent les armes à la fois contre la domination des lignages peuls païens
établie depuis le Xème siècle et contre les redevances (l'achour) perçues par les nomades
maures et lors de leurs "rezzou". Le pouvoir des "torobé" fut fondé, en même temps que sur
leur force armée et l'étendue de leurs droits fonciers, sur le prestige et l'efficacité de leur
science et de leur ferveur islamique.
12. Avec la pénétration coloniale et la pacification, la suppression de la traite, l'arrêt des
incursions des émirats maures, la population de la moyenne vallée s'est accrue de façon
notable. De nombreux peuls s'installèrent à la fin du XIXème siècle et au début du XXème
siècle. La zone du fleuve, par ailleurs, a toujours été un refuge traditionnel des "haratine"
ayant fui leurs maîtres des émirats du Brakna et du Trarza. Les émirs maures, en outre,
récupérèrent des terres "walo" laissées par le Haalpulaaren qui fuyaient leurs incursions, pour
les confier à leurs propres serviteurs "haratine".
13. Le pouvoir colonial, qui a été effectif dans la région du fleuve dès 1895, mais qui ne
fut établi sur l'ensemble de la Mauritanie que vers le milieu des années 30, a eu comme effet
une redistribution du pouvoir de contrôle du "walo", favorisant ainsi les groupes qui s'étaient
alliés à lui au détriment de ceux qui l'avaient combattu.
C. Les groupements ethnolinguistiques
14. L'appartenance ethnolinguistique au niveau local, mais aussi aux niveaux supérieurs,
continue à avoir une importance déterminante dans les rapports entre les diverses
composantes de la population des bordures du fleuve Sénégal. Les estimations concernant
l'importance numérique des divers groupes sont déjà anciennes et sont peu pertinentes. Les
rares études ethnosociologiques datent, elles aussi. Par ailleurs, les bouleversements entraînés
par les événements de 1989(le conflit entre les maures et les agriculteurs du fleuve, ont créé
un traumatisme dont les conséquences continuent à se manifester sur les groupes et les
individus. Des données plus précises - analysées plus loin - ont cependant été établies lors de
l'enquête socio-foncière réalisée par le projet Maghama.
15. Trois groupes ethnolinguistiques occupent le territoire de la "mughataa" de Maghama.
Ce sont, par ordre d'importance démographique, les Haalpularen, les Soninké, les Maures.
L'appartenance ethnique, notamment chez les Haalpularen, continue à être une composante
déterminante de l'identité sociale, bien que, par ailleurs, le sentiment national et
l'appartenance à la religion musulmane restent déterminants. Sur ce fond commun constitué
par l'islam, on distingue en général deux ensembles. Le plus important est celui constitué par
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les populations de tradition culturelle négro-africaine; il comprend plusieurs ethnies où
prédominent les Peuls "haalpularen". Le second ensemble est de tradition maure; il est
constitué par les populations arabo-berbères ("beidane" ou maures blancs) et des descendants
de leurs anciens serviteurs "haratine" (ou maures noirs).
16. Dans la moyenne vallée du Sénégal, les Peuls occupent ce qu'ils appellent le Fouta-
Toro. Ils se font appeler aussi les Foutankobé, ou habitants du Fouta. Ils sont cependant plus
connus dans la tradition ethnographique française sous l'appellation Toucouleur (de l'arabe
Takrour). Ils peuplent les deux rives de la Moyenne vallée, principalement sur la rive gauche
du fleuve. Pour éviter des confusions, on emploie ici le terme collectif de "haalpularen" qui
correspond au nom que se donnent les Peuls. La désignation "toucouleur" englobe un groupe
plus large, d'origines diverses.
17. Chez les Haalpularen, on distingue deux groupes importants: les Peuls "walo" et les
Peuls "dieri". Pour simplifier, les premiers sont des sédentaires, attachés à un terroir. Ce sont
avant tout des agriculteurs et des pêcheurs. Les seconds sont, au contraire, des éleveurs
transhumants; ils ont des localités comme points d'attache, notamment à l'intérieur de la
"mughataa" de Maghama.
18. Les Peuls "walo" sont les plus nombreux; ce sont eux dont l'établissement dans la zone
est le plus ancien. Ils occupent les villages les plus peuplés, tous situés à proximité du fleuve.
Ils sont majoritaires à Maghama, Sagné, Wali, Sinthiane et Boguel. Ils contrôlent l'essentiel
des terres "walo". Agriculteurs pour la plupart mais aussi pêcheurs et artisans, ils forment une
communauté nettement individualisée et encore fortement hiérarchisée. Les principaux
groupes sont les descendants des grands lignages qui auraient commencé à occuper la zone
depuis le Xème siècle: Dieri, Diawbe, Denianke, Hel-Mody, Nalankobe. D'autres
Haalpularen, arrivés plus tardivement à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle,
se joignirent à ces groupes "historiques". Ce sont évidemment les groupes plus anciennement
installés qui détiennent les droits les plus importants en matière de contrôle de l'accès aux
terres "walo". Les autres populations sont, en général, considérées comme leurs clients.
19. Les Peuls "dieri" (ou "dieri) sont des éleveurs semi-nomades ou transhumants. Leur
établissement dans la région est encore plus récent, principalement après 1945. Eleveurs de
bovidés, leurs déplacements sont de faible amplitude. Ils ne cultivent pas le "walo" mais
seulement le "dieri" qui leur apporte un complément de nourriture en céréales. Ils vivent
essentiellement de leur bétail et de ses produits (lait et beurre) qu'ils vendent aux Maures. Les
Peuls "dieri" ont leurs hameaux à l'intérieur, dispersés et éloignés du fleuve et des terres
inondées. Nombre de ces hameaux auraient été désertés après les événements de 1989, les
populations ayant fui avec leur bétail vers l'autre rive du fleuve. Les hameaux des Peuls
"dieri", qui étaient de petite taille - quelques dizaines d'habitants - étaient localisés surtout
dans les deux communes des Litama et accessoirement dans celles de Toulel. Actuellement,
il n'en subsiste plus aucun dans la commune de Bilougué Litama. Il en reste deux dans celle
de Veree. C'est dans la commune de Woumpou qu'ils sont restés en plus grand nombre. Il
semblerait que certains de ces Peuls aient, depuis l'été 1991, commencé à revenir, mais en
petit nombre.
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20. Les Soninké se retrouvent principalement dans la partie sud de la "mughataa" de
Maghama, principalement à Toulel et à Koumbo. Leurs ressources en terres "walo" sont plus
réduites que celles des Haalpularen. En revanche, ils disposent des ressources d'une
importante émigration, en France notamment. Les populations Soninké sont depuis
longtemps installées dans le Guidimaka où elles prédominent. Elles sont réputées être
d'habiles commerçants et elles comptent parmi eux de nombreux marabouts. Les Soninké ne
sont majoritaires dans aucune des neuf communes de la région de Maghama. Ils sont
cependant importants à Toulel et à Woumpou. Ils sont très peu nombreux à Maghama et,
dans la commune de Sagné, on ne les trouve que dans la localité de Koumbo.
21. Les Maures sont essentiellement représentés par un groupe d'origine négro-africine,
les Litama, implantés dans toute la wilaya du Gorgol. Ils sont prédominants dans les
communes de Bilougué et de Veree. Une branche des Litama apparentée aux deux groupes
précédents et ayant des terres "walo" dans la zone, réside dans les localités de Nahal et de
Deiebaba qui relèvent administrativement de la "mughataa" de Mbout. On rencontre
cependant des fractions se disant "maures blancs", comme les Moussafrin ou des élément
"chorfa".
22. Les autres populations maures sont constituées de commerçants installés dans les
principales localités et de rapatriés du Sénégal en voie d'insertion. Ces derniers sont installés
dans la localité de Dar el Beida, qui relève de la commune de Maghama, dans celle de Jedida
à Dao et dans Maghama-ville. On en trouve aussi en plus petit nombre dans les localités les
plus peuplées du bord du fleuve à Wali et Sagné. Il s'agit surtout de Beidane qui exerçaient
des activités commerciales mais aussi agricoles au Sénégal. Si les Litama sont parfaitement
bien intégrés à l'ensemble négro-africain qui est prédominant, il est difficile d'en dire autant
des Beidane et notamment des rapatriés.
23. Les rapports que ces divers groupes entretiennent entre eux sont complexes mais ils
restent peu intenses pour ce qui est des échanges matrimoniaux. L'endogamie est de règle à
l'intérieur de tous les groupes.
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II. LES STRUCTURES SOCIALES
A. Le système social "Haalpular"
24. Par opposition au système socio-culturel maure - qui est essentiellement basé sur le
contrôle politique des hommes qui pemet l'accès aux biens - ce système "Haalpular" (de
même que le système social "Soninké") privilégie le contrôle de la terre, celle du "walo"
principalement. Ce contrôle, à son tour, permet le contrôle des hommes. Le système
Haalpular est fondé sur l'existence d'ordres, sur le pouvoir presque absolu des pères et des
aînés et surtout sur le contrôle de la terre comme système de pouvoir politique et d'autorité
sociale. On distingue ainsi trois grands ordres chez les Haalpularen : celui des "hommes
libres" ou "rimbe", celui des "hommes castés" ou "nyambé", celui enfin, des populations,
autrefois serviles ou esclaves, les "dyabé" ou "maccubé".
25. L'ordre des hommes libres constitue pour ainsi dire une sorte d'aristocratie, elle-même
divisée en groupes à l'intérieur desquelles l'endogamie est de règle. Les principaux groupes
de l'ordre des hommes libres sont constitués par:
Les descendants "nobles" des lignées princières, principalement celles des
Dényanké;
Les "cebbé", sing: "ceddo", "thiedo" (guerriers);
Les "torobé", sing: "torodo" (marabouts);
Les "dieri ", sing: "pullo" (Peuls "dieri", éleveurs semi-nomades);
Les "cubbalé", sing: "cuballo", "thiouballo" (pêcheurs).
26. Les "torobé" sont réputés être des marabouts, en tout cas des gens qui détiennent le
savoir, des lettrés qui ont un pouvoir religieux. Ce sont avant tout des paysans, travailleurs de
la terre. Les "dieri" sont des éleveurs transhumants qui nomadisent avec leurs troupeaux,
principalement constitués de bovidés. Les "cubbalé" sont des pêcheurs mais aussi des
agriculteurs; ils contrôlent souvent les terres les plus fertiles de décrue de la basse terrasse du
fleuve. Les "cebbé" sont les descendants des guerriers. Avec les "torobé" ils constituent,
incontestablement, les groupes dominants qui contrôlent les terres et continuent de détenir le
pouvoir politique au niveau local et régional.
27. L'ordre des "hommes castés" ou "nyanbe" comprend divers groupes castés: celui des
forgerons ou "bailo", celui des travailleurs du bois bûcherons, et charpentiers ou "labo", celui
des tisserands ou "maabo", enfin celui des griots ou "gawlo et "maambado". L'ordre "servile"
ou "maccube" comprend deux catégories : ceux qui ont été libérés par leurs maîtres et ceux
qui ont racheté leur liberté.
28. Cette forte hiérarchisation des structures socio-politiques se retrouve au niveau des
villages et des unités sociales de production et de consommation. Chez les Haalpularen,
l'unité sociale de base est le "gallé" - que l'on a traduit par "concession" - et qui correspond à
14
la famille élargie comprenant traditionnellement plusieurs ménages ("foyre"). Le "gallé" est
placé sous l'autorité incontestée de l'homme le plus âgé. Celui-ci est aussi le chef de famille
et il décide de tout ce qui concerne les personnes et les biens.
29. La polygamie existe et elle semble plus fréquente chez les populations négro-
africaines que chez les Maures. Le mariage préférentiel se fait avec la cousine croisée (fille
de la sœur de la mère) tandis que chez les Maures, c'est avec la cousine parallèle (fille du frère
du père). En raison de l'endogamie et du mariage préférentiel, les hommes et les femmes vont
chercher des conjoints dans des villages parfois fort éloignés. Les mariages exogamiques sont
tolérés mais seulement à l'intérieur des ordres. Les relations entre les personnes sont définies
par le sexe et l'âge. Les hommes, et parmi eux les aînés, ont le pouvoir et disposent des biens.
L'autorité des femmes est on ne peut plus réduite: elles sont confinées dans les travaux
domestiques et agricoles et la procréation. Peu autonomes, elles ne disposent que de peu de
biens (un peu de mobilier et quelques bijoux). Elles ne peuvent hériter que de biens
mobiliers, selon le bon vouloir des hommes de la famille. En raison de la polygamie, les
divorces sont rares.
30. L'organisation sociale au sein de chaque groupe statutaire est complexe et difficile à
résumer en raison de la diversité de la terminologie et en raison des significations différentes
de certaines désignations semblables. D'une façon générale, les groupes statutaires, qui
composent la population des hommes libres, se divisent en lignages portant un même nom.
Ces lignages sont appelés "leniol". Les "leniol" considérés comme "nobles", avaient
traditionnellement un droit de contrôle sur des portions de terres inondables appelées "leydi".
Les grands lignages traditionnels existent toujours, mais ils n'ont aujourd'hui qu'une
signification onomastique: ils regroupent les personnes portant le même nom. Les lignages
nobles traditionnels n'ont plus le rôle politique qu'ils avaient dans le passé, mis à part ceux de
certains "cebbé".
31. Le terme "leniol" tend à s'appliquer aujourd'hui à des sous-ensembles plus restreints
regroupant diverses familles étendues d'un même village. Son chef, qui est toujours le plus
ancien, est le "mawdo leniol". Son autorité traditionnelle est encore parfois reconnue par
l'octroi d'une dîme, "l'assakal", qui lui est versée par les chefs des familles étendues qui
constituent le "leniol".
32. La famille étendue reste l'unité sociale la plus cohérente de la structure sociale
"haalpular". Elle constitue encore souvent une unité de production et de consommation et elle
correspond dans l'ensemble spatial du village à une unité d'habitat. Celle-ci est désignée, dans
le vocabulaire anthropologique, par le terme de concession. Le terme haalpular est celui de
"gallé". Son chef, qui est aussi le plus ancien des hommes de famille est le "mawdo gallé".
33. Les ménages sont les unités sociales les plus petites au sein du gallé. Ils sont désignés
par le terme de "foyré" ou celui de "soudou". Les ménages tendent à devenir des unités de
consommation autonomes mais ils restent encore fortement intégrés à l'unité de production
constituée par le "gallé". Cette résistance de l'unité de production familiale collective, qui est
assez contraire à l'évolution que l'on observe dans le Sahel, semble s'expliquer par
l'importance de l'émigration. Les revenus de l'émigration, en effet, tendent à être gérés par
15
l'ensemble du gallé, les membres présents ayant, en échange, la charge de s'occuper des
femmes et des enfants restés au village.
34. Les grandes familles de "torobé" et de "ceddé" continuent à détenir le pouvoir. Elles
fournissent chefs des villages, maîtres de terre et maires des communes. C'est aussi de ces
familles que sont le plus souvent issus les fonctionnaires originaires de la région. Leur
contrôle de l'accès au foncier leur donne un très grand pouvoir. Certains maîtres de terre
continuent à considérer "leur" espace comme une sorte de principauté.
35. La répartition par village fait apparaître des distributions très différentes entre les
statuts. Ainsi, par exemple, le village de Wali - le plus gros village haalpular - apparaît-il
dominé par les "cebbé" tandis que la population haalpular de Maghama apparaît dominée par
les "torobé" et les "soubalbé". Sagné est dominé par les Denyanke, les "cebbé" et les
"torobé", avec une très forte présence de "maccubé" (52% des chefs de familles). Les statuts
les plus rencontrés sont ceux des "torodo" (10 villages sur 12) et les "maccube" (11 villages
sur 12). Les plus concentrés (en dehors de la catégorie, peu représentée des "somono") est
celle des Denyanké - le groupe le plus haut placé dans la hiérarchie sociale (sept villages sur
12).
B. Le système social Soninké
36. Le système "Soninké" semble s'être calqué sur le modèle "haalpular": on y retrouve,
en effet, divers groupes statutaires d'hommes libres dont certains ont un privilège de
"noblesse", des groupes "castés" et des groupes dont l'ancienne condition servile se traduit
aujourd'hui encore par un statut social inférieur. Les familles libres se répartissent en lignages
que l'on désigne par le terme de "follake" (la "porte") ou de "khirissé" (ceux qui descendent de
l'ancêtre, du "grand"). Le chef d'un lignage ou "follaké" est appelé "kankhirissé", ce qui est
l'équivalent du "mawdo leniol" des Haalpularen. La concession (correspondant à une famille
étendue) est ici appelée "kaa" et son chef est le "kaa goumé" (équivalent de "mawdo gallé").
Le chef du village est le "débi-goumé". Les hommes libres sont dits "hooro" (l'équivalent de
"rimbé"). Les groupes "castés" sont désignés collectivement par le terme de "niakhamala"
(équivalent des "gniegnas" ou des "nyanbe" des Haalpularen. Les hommes de condition
servile sont désignés par le terme de "komo" (équivalent des "maccubé" ou "dyabé").
37. La stratification des groupes statutaires dans le système social des Soninké est illustrée
par le cas du village de Toulel décrit dans l'encadré ci-après:
Groupes statutaires du village de Toulel
L'exemple du village de Toulel illustre la complexité de la répartition statutaire dans la société
"Soninké".
Les groupes statutaires d'homme libres sont désignés par une appellation statutaire qui indique
leur degré de "noblesse" et par un nom de famille collectif ("tokho"). Ces groupes d'hommes
libres ("hooro") sont les suivants:
Hairanko (tokho: Soumaré): avec deux sous-groupes: Bagnykaa et Sambakaa. Ce groupe
16
fournit traditionnellement les lignées princières chez les Soninke de cette région. Il est originaire
de l'Assaba, d'où la signification de son appellation: les "montagnards". Il constitue l'équivalent
politique des "Denyanké" chez les Haalpularen.
Mangou (tokho: Siby) ce sont les "arbitres";
Ganekankow (tokho: Camara);
Saloukankou (tokho: Wané);
Wanouli (tokho: Wané); ce sont des guerriers "haalpularen" intégrés aux Soninké;
Touakalemou; ce sont des "guerriers", équivalent des "cebbé";
Modinou (togho: Saho); ce sont des marabouts, équivalent des "torobé" chez les Haalpularen.
Nanekouwko (tokho: Sylla); ce groupe d'hommes libres n'a pas de statut noble. Ce sont les
"intendants des guerriers".
Groupes "castés" ("niakhamala"):
Tago (tokho: Sogho, Salkarou): les forgerons;
Garanko (tokho: Sylla): les cordonniers;
Griots.
Groupes de statut servile ("komo")
Les noms de familles "komo" se rattachent pour une très grande part à des noms de grandes
familles "malinké" du Mali, ce qui rappelle leurs origines de captifs de guerre. On trouve ainsi
des Diakité, Coulibaly, Sissoko, Fofana, Diallo, Dramé, Mariko Dembili, Sekhanoko, Sané.
38. La répartition des groupes statutaires chez les Soninké est la suivante (en %):
Statut "hooro":
Tounka et Hairanko 11.9 des chefs de famille étendue
Wanodi 4.6
Modino-Taga 11.1
Dialbé-chirlabe 13.8
Statut "casté" 7.0
Statut "servile" 37.0
autres 11.6
Total 100.0
Le groupe de statut servile est présent dans tous les villages, de même que le groupe
de statut religieux ("modino").
17
C. Le système social maure
39. La communauté maure est représentée principalement par les Litama et par quelques
Lemtouna (Maures blancs)3, ceux-ci représentés par les Moussafrin. Elle comprend
cependant aussi des familles de commerçants ainsi que des rapatriés du Sénégal groupés dans
certaines localités ou éparpillés dans plusieurs autres. Les Litama constituent un cas
particulier que l'on ne peut considérer comme représentatif des populations de tradition maure
dans la région. Leur système social semble en effet influencé par l'environnement "haalpular"
et "Soninké" auxquels ils ont emprunté leur modèle de contrôle foncier qui semble étranger à
la tradition maure.
40. Les Litama sont d'anciens Haratine de la grande tribu de Ouled M'Barek qui ont été
dissociés de leurs anciens maîtres - alors considérablement affaiblis lors d'anciennes luttes
tribales. Ils ont développé une tradition que les individualise fortement. Les Litama sont
éparpillés dans toute la "wilaya" du Gorgol. Ils seraient ainsi remontés vers l'intérieur des
terres dans les zones qu'ils occupent actuellement pour s'y établir au début du siècle - selon
eux, à leur demande et avec l'accord des autorités coloniales -. Cette installation correspond à
peu près à la date à laquelle ils auraient été dépossédés des terrains "walo" qu'ils cultivaient
autour de Maghama au profit d'un marabout installé sur l'autre rive et qui aurait collaboré
avec la puissance coloniale. Selon les Litama, ces terrains auraient été donnés à la famille de
ce marabout en paiement d’une "dya" (réparation d'un crime de sang) – pour le meurtre du
marabout dont ils seraient entièrement innocents, le marabout étant mort de mort naturelle.
Sous la pression de l'administration coloniale, ils durent cependant accepter de racheter au fils
du marabout les droits sur le "walo". Tous n'acceptèrent pas, comme par exemple la branche
de Veree dont l'ancêtre défricha le "kollangal"4 de Tachott qu'ils cultivent actuellement.
41. L'organisation sociale des Litama et des Lemtouna, autre groupe maure,
géographiquement voisin des Litama, est fortement hiérarchisée. Le chef des Lemtouna a
ainsi la haute main sur le village de Tagha composé en majorité de peuls et où il n'y aurait
plus que 60 foyers Lemtouna. Selon ce chef, les terres "walo" appartiennent aux Lemtouna
et, parmi eux, c'est toujours l'aîné mâle qui assure la gestion des terres et qui collecte la dîme,
"l’assakal". Le nombre de personnes qui peuvent prétendre à la fonction de maître de terre
est réduit du fait principalement que la transmission de la fonction ne se fait que par
l'intermédiaire de descendants mâles directs.
42. Chez les Litama de Beilougué, le chef de village est aussi chef de terre. C'est à lui que
l'on s'adresse pour obtenir des terrains "walo" et aussi des terrains "dieri". C'est par exemple
lui qui a "prêté" des terrains aux rapatriés du Sénégal de Dar El Beida. A Veree Litama, le
chef cumule toutes les fonctions, chef de terre, chef de village, maire. Il administre le tout
comme une petite principauté. Il a ainsi pris en charge, sur ses fonds propres, la réparation du
forage du village alors que la commune dispose de fonds utilisables pour cela. Son argument
3 Les historiens pourront se pencher sur ce nom de Lemtouna que l’on voit resurgir dans le nom d’une fraction
maure contemporaine. N’y retrouve pas-t-on un héritage ethnonymique de la grande tribu qui, au XI° siècle, a
fondé la dynastie almoravide ? 4 "Kollengal", pluriel "kolladé": unité foncière dans le "walo" (voir plus loin).
18
part du fait que si le forage est réparé sur les fonds de la commune, le gouvernement va exiger
que ses administrés payent l'eau, ce qu'il refuse, ses administrés n'ayant pas les moyens de le
faire.
43. Chez les Litama et les Lemtouna, l'unité de production et de consommation est le
ménage dont la taille est plus réduite que chez les populations de tradition négro-africaine. La
polygamie est très rare, presque inexistante, mais le divorce serait plus fréquent. Par ailleurs,
la femme a une position plus autonome et elle jouit d'une plus grande liberté, même si elle est
exclue de l'héritage du droit sur le "walo" et même si une partie du fruit de son travail est
récupérée par son époux. Alors que chez les maures "beidane", la femme n'intervient
pratiquement pas dans les travaux des champs, la femme Litama est très active. En plus de
l'agriculture et des travaux domestiques, elle a des activités artisanales comme le tressage des
nattes qui lui procure des revenus. Le mariage endogamique est de règle.
44. Les populations de cultures maure se répartissent entre:
* Hommes libres de la tribu de Litama 39,3 des chefs de famille étendue
* Hommes libres de la tribu des Moussafrin 16,4
* Anciens serviteurs ("harratine") 42,6
* Autres 1,0
* Total 100,0%
Les "harratine" sont regroupés dans deux villages tandis que les Litama libres et les
Moussafrin occupent, chacun, un village séparé.5
D. Données sur la population
45. Le recensement effectué dans le cadre de l'enquête socio-foncière6 a concerné
28 villages dont deux communautés urbaines (Maghama et Mbout) - une partie de leurs
habitants ayant des droits de culture dans les "walo" de la zone couverte par un projet
d’irrigation par eaux de décrue. Le nombre des villages diffère de la première liste établie en
1993 qui ne comprenait que 22 villages. Les villages ajoutés à cette première liste sont ceux
de Beilouga, Djebaba, Hajar el Aleg, Hajar Pellé, Mbout et Taghou Talla.
5 Cette répartition se fonde sur l’analyse des premiers 22 villages intégrés au projet Maghama. Cette répartition
devrait être revue pour tenir compte des 6 villages ajoutés en 1994 qui sont tous de culture maure. 6 Cette enquête a été effectuée dans le cadre de l’étude effectuée pour préparer une négociation foncière en vue
de la mise en œuvre d’un projet d’irrigation par eaux de décrue dans la zone fluviale de Maghama. C’est aussi à
cette enquête que l’on doit les données quantitatives sur le foncier et sur sa répartition que l’on donne, plus bas,
dans les sections consacrées au foncier. Cette enquête est décrite dans un autre document, Négociation foncière
dans la Mughata de Maghama.
19
Tableau 1. Répartition des villages selon les groupes ethniques
Nom du village Nombre de
familles
étendues
Nombre de chefs
de ménages
présents
Nombre de
chefs de
ménages absents
Population totale,
y compris les
émigrés
VILLAGES HAALPULAR
Bedinke
Boguel
Fimbo
Gourel Thierno
Maghama
Nouma
Sagne
Sagne Bokhane
Synthiane
Taga
Wali
43
79
74
30
602
45
168
29
74
50
178
62
183
260
69
1224
79
320
54
178
157
313
60
53
94
17
755
19
231
27
113
95
300
828
1 676
2 269
597
15 452
638
3 663
519
2 072
1 700
4 475
Sous-total 1372 2899 1764 5917
VILLAGES SONINKE
Harr
Koumbo
Louguere
Ougueré Godjiwel
Toulel
Wompou
67
17
49
42
118
133
133
33
150
94
229
224
117
35
70
63
189
212
1 619
458
1 261
781
3 137
3 126
Sous-total 1372 2899 1764 5917
VILLAGES FULBE/ARANI
Bittel 34 48 17 360
Sous-total 34 48 17 360
VILLAGES MAURES
Beilouga*
Beilouga Litama
Djebaba (Litama)*
Veree Litama
Dar el Beida (Moussafrin)
Djiabenni (chorfas)
Hajar el Aly*
Hajar Pellé*
Mbout (chorfas et ex-dépendants)*
Taghou Talla*
38
123
58
46
55
96
60
25
456
38
50
230
122
129
67
268
185
62
1733
91
8
45
17
10
3
9
28
45
-
15
333
1 552
729
714
492
1 541
1 057
738
9 772
495
Sous-total 0 0 0 0
TOTAL 2778 5846 3545 12194
X : Villages rajoutés à la liste de 1993.
20
46. Chacun de ces villages est, à quelques exceptions près, peuplé par un même groupe
ethnique. Cette remarque ne s'applique pas aux deux communautés urbaines où l'on distingue
cependant des ethnies dominantes (Maures et leurs anciens dépendants à Mbout et Haalpular à
Maghama). La répartition des villages selon les groupements ethniques est donnée au tableau
1 de la page suivante.
47. On compte 11 villages Haalpular (dont la communauté urbaine de Maghama), six
villages "Soninké", un village d'éleveurs "foulbé" mélangés à des Maures de la tribu "arani"
enfin neuf villages "maures" (dont une fraction de la communauté urbaine de Mbout).
L'ensemble "maure" compte trois villages de la tribu des Litama, dont un village de statut
anciennement "libre"(Djebaba) et deux villages d'anciens dépendants de cette tribu (Beilouga
et Veree). Deux communautés "maures" ont une assise maraboutique (Djiabenni et Mbout)
tandis qu'un village appartient à des maures de la tribu Moussafrin. Les trois derniers villages
maures - Hajar El Aly, Ajar Pelle et Taghou Talla - sont plus ou moins rattachés à des
mouvances maraboutiques.
48. La population de ces villages est très difficile à comptabiliser car les émigrés
continuent à être comptés dans les familles étendues auxquelles ils appartiennent. Ces
dernières constituent l'unité de compte de base, correspondant aussi, en général, à un
conglomérat d'habitat familial que l'on appelle souvent la "concession". L'enquête a recensé 2
847 familles étendues (que l'on a désigné, par extension, par le terme pular de "gallé"). Ces
familles rassemblent 9 394 ménages, soit une moyenne de 3,3 ménages par "gallé". On note
cependant que 28% de ces ménages ont un chef de foyer émigré, sa famille étant le plus
souvent restée au village avec les membres présents des autres ménages de la famille étendue.
On note à cet égard des différences significatives entre les populations "haalpular" et
"Soninké" où les chefs de ménage émigrés, très nombreux, représentent, respectivement, 38 et
44% du nombre total des chefs de ménage, et, par ailleurs, les populations maures où les chefs
de ménages, absents pour cause de migration de travail, ne représentent que 6% du nombre
total des chefs de ménages maures.
49. En termes quantitatifs, la communauté ethnique la plus importante est celle des
Haalpular qui représentent 38,5% du nombre total des familles étendues et 54% de la
population recensée. Cette communauté est culturellement très compacte, bien que fortement
stratifiée par les statuts hérités des systèmes sociaux anciens.
50. Viennent ensuite les communautés "maures", qui représentent 35,2% des familles
étendues recensées et 28% de la population totale. Cet ensemble est cependant très
composite: il est en effet constitué de fractions de tribus différentes (Litama et Moussafrin)
où se retrouvent des groupements de statut libre et, par ailleurs, d'anciennes populations
serviles. A cela s'ajoutent divers groupements constitués autour des mouvances
maraboutiques. Le troisième ensemble, par ordre d'importance, est celui des Soninké (15%
des familles étendues et 17% de la population totale). A la différence des Maures - qui
forment une société assez disparate - et à l'égal des Haalpular - cet ensemble présente une très
forte cohésion culturelle.
21
51. Les Dieri - Peuls "dieri", ou éleveurs distincts des paysans "Haalpular" - se
rencontrent en petits nombres dans divers villages haalpular (Bedinke, Fimbo, Gourel
Thierno, Maghama, Nouma, Synthiane, Taga, Wali) ou Soninké (Harr, Koumbo, Louguere,
Woumpou). Ils forment cependant une communauté distincte à Bittel où ils se mêlent à des
Maures "arani". Cette communauté ne représente que 1,2% des familles étendues et moins de
1% de la population totale. L'ensemble des familles "dieri" présentes à Bittel et dans les
différents villages de la zone totalise quelque 190 unités familiales, soit environ 7% du
nombre total des familles étendues de la zone.
52. La population moyenne par famille étendue est de 22 personnes. Cette moyenne est plus
forte chez les Haalpular et les Soninké (24,7 et 24,4 personnes) que chez les Maures (17,5
personnes). La population adulte compte 32 100 personnes, soit 52% de la population totale.
La population adulte présente représente 86,5% du total, les 13,5% restants correspondant aux
adultes émigrés. Ces derniers (4 300 personnes) travaillent en Mauritanie (42%) ou à
l'extérieur (58%). Soixante et un pour cent de ces émigrés sont mariés et chefs d'un foyer
dont les membres résident au village tandis que les autres émigrés (39%) sont célibataires.
E. Répartition des familles étendues selon les groupes statutaires
53. Les références aux "groupes statutaires" ne figurent plus dans la banque de données du
projet car il a été considéré, d'un point de vue politique, qu'il ne fallait plus mettre en évidence
des appellations appelées à disparaître dans la société moderne. D'un point de vue
sociologique, on ne peut cependant nier que ces statuts ont encore une force d'identification
personnelle considérable et qu'ils continuent à être une base implicite de la stratification
sociale. Lors de la première enquête (juin-septembre 1993), les populations avaient accepté,
après une patiente mise en confiance, que l'on demande à chaque famille de s'identifier selon
leur groupe statutaire. Cette référence ayant été enlevée du questionnaire lors de l'enquête
complémentaire, on ne dispose donc que des données relatives à la population enquêtée en
1993 pour analyser ce fait social. Cette information porte sur 2 180 familles étendues (sur un
total actuel de 2 827) et l'analyse de leurs droits fonciers portent sur 11 967 hectares. Les
populations qui ne sont pas analysées comprennent notamment celles des six villages maures
qui ont été rajoutés en 1995 et inclus dans la population cible du projet.
54. La répartition selon les groupes statutaires des familles étendues des villages haalpular
est résumée dans le tableau suivant:
Tableau 2. Répartition des familles Haalpular selon les groupes statutaires1
Villages
haalpular
Lignage
princier
Denyankobé
Guerriers
"cebbé"
Religieux
"torobé"
Libres,
affranchis
"soulbalbé
Pêcheurs
"somono"
Eleveurs
"foulbé"
Artisans
"gengnbe"
Ancien
statut
servile
"maccubé
Total
familles
étendues
Bedinké
Boguel
Fimbo
Gourel Thierno
Maghama
2
2
10
1
-
17
6
14
2
27
1
15
11
3
100
1
-
2
1
90
-
-
-
-
-
7
1
2
7
62
-
-
11
1
30
15
42
16
2
36
43
66
60
17
345
22
Nouma
Sagné
Sagné Bokhane
Synthiane
Tager
Wali
-
23
-
2
1
8
-
17
7
29
77
196
10
24
-
1
11
10
1
-
-
6
14
8
-
7
-
4
-
-
11
-
-
11
14
3
-
8
-
2
3
6
3
88
9
8
5
44
25
167
16
63
48
156
Total 49 196 186 123 11 118 61 268 1 012
Total en % (4,8) (19,4) (18,4) (12,2) (1,0) (11,7) (6,0) (26,5) (100,0)
1 Base: enquête 1993.
55. Cette statistique porte sur 1 012 familles Haalpular enquêtées en 1993. Depuis, ce
total est passé à 1 372 familles. Il est peu probable que les quelque 360 familles qui sont
venues s'ajouter à l'enquête déclarative et qui proviennent essentiellement de Maghama et de
Boguel (mais dont on n'a pas relevé le groupe statutaire) se répartissent selon la même
distribution statistique. En général, en effet, ceux qui échappent à une telle enquête
déclarative sont des familles sans droits fonciers, des familles pauvres ou peu importantes
socialement. Les détenteurs de droits fonciers forts, à commencer par ceux des groupes
statutaires les plus importants dans la société, sont en général les premiers à se déclarer et il
est vraisemblable que la première enquête en a recensé la majorité. La répartition donnée le
tableau devrait donc vraisemblablement être infléchie vers les strates les plus basses
socialement pour donner une représentation correcte de la stratification sociale. Cette
correction devrait essentiellement affecter Boguel et surtout Maghama.
56. L'analyse des résultats de l'enquête de 1993 reste néanmoins révélatrice de plusieurs
données sociales importantes. On constate en effet que la société haalpular de la région de
Maghama est socialement et politiquement dominée par les familles des lignages princiers
traditionnels des Denyankobe. Ceux-ci ont leur point d'attache principal à Sagné et,
secondairement, à Wali et à Fimbo. Leur famille est également représentée dans tous les
autres villages à l'exception de Nouma. Ils ne sont pas représentés non plus à Maghama, ce
qui explique en partie les oppositions politiques qui opposent ce centre urbain, lieu d'une vie
politique plus moderne, aux foyers de la puissance politique traditionnelle, basés à Sangé et à
Wali.
57. Après les Denyanké, les deux groupes "d'hommes libres" les plus prestigieux sont ceux
des "cebbé" et des "torobé", les guerriers et les religieux; ceux-ci représentent 43% de
l'échantillon. Ils sont présents dans presque tous les villages. Les éleveurs "foulbé" (ou Peul
"dieri"), de statut "libre", sont également présents presque partout (13% de l'échantillon). Les
familles d'ancien statut servile, les "maccubé" représentent 30% du total mais il est possible
que leur importance réelle soit plus grande du fait de l'infléchissement probable vers les
strates inférieures que l'on a signalé.
58. La répartition selon les groupes statutaires des familles étendues des villages Soninké
est résumée dans le tableau suivant:
23
Tableau 3/ Répartition des familles Soninké selon les groupes statutaires1
Villages Soninké Lignages
princiers
Tounka
Haisanko
Guerriers
"Wanouli"
Religieux
"Modino"
"Taga"
Autres
statuts
libres
"hooro"
Artisans castés
"Nsiakhamala"
"Laobe"
Anciens
statuts
serviles
"Komo"
Autres
statuts
Total
Harr
Koumbo
Louguere
Louguere Godjiwal
Toulel
Wompou
10
6
-
-
26
7
6
-
-
-
7
10
7
2
8
2
9
18
-
4
-
-
4
-
2
3
-
1
9
5
11
28
3
13
11
51
48
112
-
273
203
-
73
65
15
49
42
102
101
Total 49 23 46 29 154 65 374
Total en % (13,1) (6,1) (12,3) (2,1) (7,8) (41,2) (17,4) (100,0)
1 Base Enquête 1993. 2 Groupe maure arani. 3 Groupes foulbé.
Le centre de gravité de la société Soninké de la région de Maghama se situe à Toulel et en
second lieu à Wompou. On y constate l'importance des groupes d'ancien statut servile (64%
des familles de ce groupe "komo" - qui représentent 41% du total des familles Soninké - sont
regroupés dans ces deux villages). Les religieux se répartissent dans tous les villages.
59. Les informations sur les groupes statutaires maures se limitent aux trois villages
enquêtés en 1993. On peut en tirer les données suivantes:
Tableau 4. Groupes statutaires maures
Hommes
libres des
Moussafrin
Hommes
libres
Litama
Anciens
serviteurs
"harratine"
Religieux
"chorfa"
Autres Total
Beilougue litama
Veree Litama
Djiabenni chorfa
Dar el Beida
-
-
-
49
117
-
-
-
40
86
-
-
-
10
6
6
6
-
-
123
46
96
55
Total 49 117 126 16 12 320
Les Litama comprennent ainsi un village d'hommes de statut libre et un village constitués par
des anciens serviteurs "harratine". Djiabenni est une implantation religieuse typique avec ses
quelques "chorfa" qu'accompagnent leurs "harratine".
24
III. STATUTS FONCIERS ET DROITS D'USAGE
A. Fondements du système foncier
60. Que ce soit chez les Haalpularen ou chez les Soninké, le statut traditionnel du foncier
revêt une très grande importance: il fait en effet partie de l'identité socio-culturelle collective
et tout ce qui le touche sans tenir compte des règles coutumières, peut être considéré comme
une agression contre cette identité. De là, l'importance d'une bonne compréhension de ces
statuts et des règles d'usage.
61. Les terres "walo" représentent un enjeu considérable dans la politique locale. Le
contrôle politique des hommes passe en effet par le contrôle du "walo". C'est parce que
quelques grandes familles patriciennes continuent à avoir des droits éminents sur les terres
qu'elles conservent leur influence politique. Pour autant, ces droits éminents ne sont pas
exclusifs de droits d'usage très proches du droit de propriété et qu'il serait erroné de confondre
avec des modes de faire valoir indirect.
62. D'une façon générale, plus les terres reçoivent d'eau, plus leur contrôle est rigoureux et
plus elles constituent des enjeux économiques, sociaux et politiques déterminants. On peut
ainsi tracer l'échelle d'intensité du contrôle en partant des terres les plus intensément
contrôlées et occupées à celles où ce contrôle est extensif. Les terres "falo" (terres inondables
des berges) sont les plus convoitées parce que les plus régulièrement inondées (donc les plus
humides) et aussi les plus riches. Ces terres sont d'autant plus recherchées que leur superficie
est physiquement réduite.
63. Les terres "walo" viennent juste après le "falo". Le contrôle y est tout aussi rigoureux.
L'enjeu est peut-être ici encore plus important dans la mesure où ces terres sont plus étendues
et que ce sont elles qui produisent l'essentiel du sorgho, aliment de base des populations
locales. D'une certaine manière et jusqu'à présent dans la région du Fleuve, celui qui contrôle
le "walo" contrôle aussi les populations. Les terres "walo" sont divisées en unités appelées
"kollengal" (pluriel: Kolladé). Ces unités se répartissent dans les différentes cuvettes mais
elles ne suivent en rien des limites physiques évidentes. Leur contour est le résultat des
défrichements successifs et de la rencontre de ces limites avec celles des défricheurs
appartenant à un autre groupe social. De là, l'extrême irrégularité des "polygones" formés par
chaque "kollengal".
64. Les terres "fondé" (terres de culture non inondées aux abords du "walo") viennent en
troisième position. C'est sur ces terres que sont localisées les habitations. On y trouve des
champs de case. On y produit parfois du maïs. Les terrains destinés à la construction peuvent
parfois faire l'objet de transactions dans certains villages.
65. En dehors de ces trois types de terres, on trouve des terres sableuses appelées "dieri",
qui peuvent être cultivées en mil lorsque les pluies sont favorables. Cet espace est en principe
libre, mais c'est en quelque sorte une liberté surveillée. Certains "maîtres de la terre" en effet
étendent leurs prétentions à cet espace dont ils revendiquent l'attribution du droit d'usage pour
le défrichement et la culture et pour l'exploitation de produits forestiers.
25
66. En principe, mais seulement en principe, l'ensemble de l'espace est soumis à un régime
de type collectif, en ce sens que la propriété n'est pas individuelle et qu'elle est réputée
appartenir à des entités plus larges, c'est à dire à des lignages ou à groupes de lignages. Ce
caractère collectif interdit en principe la transmission par héritage ainsi que les transferts. Si
la propriété est collective ou indivise, l'usage par contre est individuel, il se transmet par
héritage et il peut faire l'objet de faire-valoir indirect (métayage, location). La réalité est
cependant plus complexe et plus diverse: le poids des traditions et de l'histoire récente, l'enjeu
politique et social représenté par les terres "walo", les évolutions récentes introduisent en effet
des différences et des nuances parfois très importantes.
67. Les droits éminents qui se sont constitués sur les terres ayant le plus d'importance pour
les populations - celles du "walo" - sont par ailleurs un héritage de l'histoire. Jusqu'à la
pénétration coloniale à la fin du siècle dernier, le contrôle du "walo" était l'objet de luttes de
groupes peuls entre eux ou contre des tribus maures à la recherche de terres où elles
installaient leurs serviteurs "haratine". Certains groupes peuls et maures s'allièrent pour lutter
contre la pénétration coloniale tandis que d'autres l'acceptèrent et même, y participèrent. Cela
ne fut pas sans conséquence sur le contrôle du "walo". Les groupes qui collaborèrent furent
favorisés au détriment des autres. L'exemple le plus significatif est celui du "walo"
actuellement cultivé par les Lamtouna de Taga, les Litama et les gens de Maghama. En 1905,
un colonel Dodd fit dotation du "walo" qui appartenait à ces groupements, à un marabout
Abdussalam, installé sur l'autre rive du Sénégal. Cette dotation signifiait essentiellement que
les utilisateurs devaient payer la dîme ou "assakal" au dit marabout sans quoi celui-ci leur
aurait retiré l'usage du "walo". Les populations, ou plutôt leurs notables, protestèrent auprès
de l'administration coloniale et intentèrent des procès auprès des tribunaux. Ce n'est
cependant qu'en 1913 que l'administration parvint à résoudre le problème en décidant qu'une
partie des "droits" pourraient être rachetés au marabout; ces droits ne furent totalement
récupérés qu'en 1948. D'autres communautés, comme celles de Sagné et Wali profitèrent du
fait qu'un de leurs membres avait des responsabilités au sein de l'administration coloniale
comme chef de canton, pour étendre leurs domaines.
B. La notion de droit de propriété et de droit d'usage dans le walo
68. Les "walo" sont d'une façon générale grevés d'un droit de propriété éminent, lui même
héritage historique d'une conquête, d'un défrichement ou d'une reconnaissance administrative.
C'est ainsi que les grands lignages notamment ceux des Deniankobé et des "torobé", ont la
propriété éminente des terres de "walo". Certains d'entre eux peuvent se prévaloir de "titres",
la plupart du temps constitués à la suite de décisions administratives prises pour résoudre des
conflits. Le contrôle de ces grandes familles s'exerce sur les terres inondables et non pas
seulement sur les terres effectivement inondées et cultivées; certaines terres revendiquées
n'ont ainsi pas été atteintes par les eaux depuis plus de 20 ans. Les prétentions de ces familles
s'étendent au-delà des terres "walo" sur des sols "dieri" et sur les produits forestiers. Elles ne
concernent cependant pas le pâturage qui reste libre et accessible à tout le monde.
69. Le droit de propriété des grands lignages est cependant loin d'être absolu; il est en effet
grevé de servitudes dont la plus importante est le droit de culture des populations attachées
26
socialement à ces lignages, qu'il s'agisse des familles qui gravitent autour d'eux ou de familles
"étrangères" auxquelles une "autorisation" de culture a été accordée contre le paiement d'une
redevance. Comme signe de reconnaissance de la propriété des grands lignages, les usagers
versent une dîme, "l'assakal" à leurs représentants. En principe, tous les usagers autres que
ceux appartenant à la famille du "maître de terre" payent l'assakal/ . Sauf chez les gens de
Maghama, ce paiement est resté une pratique courante, même si une certaine réticence à son
égard est en train de se développer, et même si les maîtres de terre acceptent parfois certains
arrangements. Les terrains concédés aux usagers le sont pour ainsi dire de façon perpétuelle
tant qu'ils payent "l'assakal". Ce droit est transmissible par héritage dont les femmes sont
exclues. Quand il n'y a pas d'héritier mâle, le maître de terre dispose du champs et peut
l'attribuer à quelqu'un d'autre. Contre les usagers, le maître de terre ne peut invoquer que le
non-paiement de "l'assakal".
70. Dans la plupart des villages existent encore une ou deux familles "djaobé", chargées
de collecter "l'assakal" pour le compte du maître de terre. D'une façon générale, les grains
collectés ("l'assakal" est toujours donné en nature) sont partagés en trois, un tiers au
collecteur, un tiers au chef de terre tandis que le dernier tiers est distribué aux pauvres du
village. Parfois, c'est le maître de terre qui décide de la rétribution du "djaobé" qui peut ne
recevoir que le quart, parfois seulement le dixième, le reste étant gardé par le maître de terre.
Les maîtres de terre, et avec eux une partie de la population, prétendent qu'il existe deux
"assakal", celui de la terre qui est destiné aux maîtres de terre et celui de l'individu que celui-
ci peut librement distribuer. L'assakal de la terre ne serait donc pas à caractère religieux et il
serait ainsi destiné à rétribuer l'usage du sol. D'autres auteurs insistent sur le caractère
religieux de "l'assakal". L'enjeu est ici évident. Si l'on tranche en reconnaissant le caractère
religieux de "l'assakal", il faudrait aussi reconnaitre que le statut foncier des terres est collectif
et que les maîtres de terres n'en sont que les gestionnaires, non les propriétaires.
71. Le rôle des maîtres de terre - qui sont le plus souvent les chefs de village - continue à
être déterminant. Certains d'entre eux cumulent plusieurs fonctions dont celles de maire de
leur commune rurale. Leur pouvoir de manipulation sociale et politique à travers le contrôle
de l'accès à la terre, la collecte et la distribution de "l'assakal" reste donc prépondérant. Ils
continuent à disposer des terres libres du "walo" pour les confier à des personnes de leur
choix, ce qui leur permet de s'attacher une clientèle fidèle. Ce sont des personnages puissants,
très âgés la plupart du temps. Leur pouvoir n'est limité que par celui de l'administration, à
laquelle ils sont obligés de se soumettre; il est aussi limité par la pression sociale qui s'exerce
sur eux. Les maîtres de terre restent évidemment très attachés aux normes traditionnelles car
ils y puisent la légitimation de leurs privilèges. Pour le moment, ils sont incontournables.
72. Il n'y a pas de transactions sur les terres "walo". Le patrimoine a un caractère pour
ainsi dire sacré et il doit rester dans la collectivité dont il contribue à assurer la pérennité.
Chez les grandes familles détentrices du droit, la transmission se fait à travers les descendants
mâles. Ni les épouses, ni les filles ne peuvent prétendre à l'héritage de la terre. C'est aussi le
cas pour les droits d'usage. En dehors du rachat de la dotation Dodd que l'on a évoqué,
aucune transaction ancienne n'a été signalée sauf peut-être une ou deux mais qui auraient
porté sur des terres "fondé".
27
73. La situation à Maghama doit être traitée comme un cas à part. Comme on l'a vu, leur
"walo" a fait l'objet d'une dotation du colonel Dodd au marabout Abdussalam. Les Litama et
les Lemtouna ont racheté leurs droits dès 1913. Apparemment cependant, les gens de
Maghama n'ont pas véritablement récupéré leurs droits anciens car ils ont continué à cultiver
tout en payant "l'assakal" au marabout jusqu'en 1948 et ce serait l'administration coloniale qui
aurait désintéressé les héritiers d'Abdussalam. Depuis, les gens de Maghama ne paierait plus
"l'assakal" sur le "walo" et les usagers en seraient ainsi devenus, de fait, les propriétaires.
Leurs terres ne font cependant pas l'objet de transaction et la transmission par héritage se fait
comme précédemment. D'une certaine manière, l'administration coloniale aurait, par cette
action, effectué une sorte de réforme agraire en rachetant les droits du marabout et en dressant
une liste des bénéficiaires.
C. Droits d'usage, droits de culture
74. Le droit de cultiver a un caractère paisible et durable. Il est transmissible par héritage.
Il peut être assimilé à une concession perpétuelle avec l'astreinte du paiement de "l'assakal".
Ce droit s'exerce sur des champs bien délimités. Il peut être acquis de diverses manières,
défrichement, paiement d'un droit de culture "dioldi" au maître de terre, prêt, etc.. D'une
manière générale, la plupart des populations des villages où résident les maîtres de terre,
détiennent des droits de culture. Ces droits sont aussi fonction de l'ancienneté de l'installation
et aussi de l'âge des bénéficiaires. Les maîtres de terre comme les chefs de famille élargie
(mawdo gallé) ont tendance à favoriser les aînés aux dépens des jeunes dans la répartition du
"walo". Plus que le droit éminent de propriété, c'est celui du droit de culture qui déterminant.
C'est un droit réel dont l'exercice est cependant subordonné au paiement de "l'assakal".
75. Il est difficile de parler de faire-valoir indirect, entièrement distinct des redevances à
payer au chef de terre. Les droits de culture, même grevés du paiement de "l'assakal", ne
sauraient être en effet considérés comme des formes de faire-valoir indirect dans la mesure où
l'occupation des terrains n'est pas précaire. D'un autre côté, le "dioldi" pourrait être assimilé
au paiement d'une redevance pour l'accès au droit de culture, la redevance apparaissant assez
élevée. Le "rimpetienne", en revanche, est le cas typique du faire-valoir indirect; le
"propriétaire" ou "l'ayant droit de culture" donne en effet un champ contre une partie de la
récolte, autrement plus importante que "l'assakal" (33 à 50%). Ce statut cependant est
actuellement très peu répandu. Les champs peuvent aussi être loués contre de l'argent pour
une ou plusieurs années.
Dans un procès qui a opposé les propriétaires de Sagné aux gens de Louguéré, le tribunal a condamné
les derniers au paiement de "l'assakal", mais il a rejeté la demande faite par les "propriétaires" pour
reprendre leurs terres. Cela se passait au début des années trente. L'affaire avait commencé, quelques
années auparavant, quand un "cadi", juge de la charia, et le chef de canton avaient établi une
conciliation où la propriété du sol était reconnue aux gens de Sagné. Apparemment, le jugement
n'avait été qu'imparfaitement appliqué, puisqu'en 1962, le commandant du cercle du Gorgol
(équivalent du "wali") avait écrit aux intéressés pour leur demander de mettre fin à leur querelle et il
avait enjoint les gens de Louguéré à payer "l'assakal". La lettre parlait du droit de culture reconnu aux
gens de Louguéré et du "droit à la dîme de la récolte de ces terrains qui était reconnu aux gens de
Sagné." Il est intéressant de noter ici qu'à l'époque, en 1936, le chef de terre de Sagné portait le nom
28
de Diadie Almamy et que la situation des gens de Louguéré résultait du fait qu'ils ne sétaient installés
sur ces terres que vers 1902, lorsqu'ils obtinrent des autorités coloniales l'autorisation de défricher le
terrain revendiqué par les gens de Sagné. Ils ne leur auraient cependant pas payé "l'assakal" car ils se
disputaient la propriété du "kollengal" avec les gens de Woumpou.
76. On peut distinguer six grands types de droits de culture. Certains des droits peuvent
aujourd'hui se différencier selon que "l'assakal" est payé ou non.
77. Terres de statut "djeham": ces terres correspondent à la propriété collective d'un
lignage. Elles ont en général été obtenues à la suite d'un défrichement et d'une occupation
continue par le lignage même. A certaines époques, les lignages possédant ces terres ont pu
payer une redevance à des familles politiquement supérieures. Actuellement ces terres
semblent bien être une propriété collective des lignages "rimbé" qui les détiennent. Les
parcelles sont attribuées entre les familles, elles leur restent en usufruit et peuvent être
héritées. Ces parcelles sont dites "djeham" ("j'en suis le maître - même racine que "djom
gallé"). Les parcelles "djeham" peuvent faire l'objet du paiement traditionnel d'un "assakal"
au chef de lignage (mawdo leniol). Cet "assakal interne" qui était toujours versé, tend
souvent à s'estomper, l'organisation de la production et la redistribution des richesses se
faisant de plus en plus au niveau du "mawdo gallé" (ou "djom-gallé"), le chef de famille
étendue. Les terres "djeham" peuvent alors être assimilées à une propriété indivise du "gallé":
on ne constate en effet pas de droits de "djeham" attribuables aux ménages qui composent le
"gallé".
78. Terres "diawre": ces terres, le plus souvent disparues aujourd'hui, correspondent aux
terres qui sont mises en réserve dans la propriété "djeham" collective du lignage.
Contrairement aux autres terres "djeham", les "diawre" ne sont pas partagées; tous les
héritiers du lignage ont des droits équivalents sur ces terres. Il appartient aux plus anciens de
les attribuer selon les besoins (des nouveaux ménages, en particulier) contre paiement d'un
"assakal".
79. Terres "diengué": ces terres ont été défrichées par d'autres que ceux qui les
occupent, même si cela remonte à plusieurs générations. Les usagers de ces terres ont ainsi
un droit d'usage restrictif qu'ils reconnaissaient traditionnellement en payant "l'assakal" au
lignage qui en détiennent la propriété éminente. La coutume veut que la terre ne puisse pas
être reprise tant que "l'assakal" est payé. Lors d'un héritage, un cadeau est fait au propriétaire
pour continuer à avoir un droit d'usage. Le "diengué" est ainsi un droit d'usage qui peut avoir
un caractère permanent aussi longtemps que le contrat qui lie l'usager et le propriétaire
éminent est respecté. Dans certains cas, les usagers ne payent plus "d'assakal": ils savent
cependant que le droit de propriété éminente continue à exister. "'L'assakal" sur le "diengué"
ne se paye que s'il y a une récolte. S'il y sécheresse, les droits d'usage ne se perdent pas.
80. Terres "loubal". Le "loubal" correspond à un prêt de terre. Il donne lieu au
paiement de l'assakal. Le contrat a une durée indéterminée. Si l'occupation est continue, il
n'est pas interrompu lorsqu'il y sécheresse et absence de récolte; comme pour le "diengué", on
ne paye pas "d'assakal" quand il n'y a pas de récolte.
29
81 Terres "soodé". Le "soodé" correspond à une location de terre. "Soodé" veut dire
"achat" de droits. La location se fait pour un an ou plus mais il s'agit toujours d'un contrat à
durée déterminée. Le "soodé" fait l'objet d'un paiement fixé à l'avance, en récolte ou en
espèces. Il peut ou non être accompagné de versement d'un "assakal".
82 Terres "rimpetiene": il s'agit là d'un contrat de métayage avec paiement d'une part
des récoltes qui peut aller jusqu'au tiers de la récolte en échange de l'usage annuel d'une terre
de "walo". Ce contrat est peu fréquent et il n'a que très peu été noté dans l'enquête socio-
foncière auprès des familles. Il n'a pas été possible de savoir si ce statut était plus fréquent, il
y a une vingtaine d'années, lorsque les terres étaient régulièrement inondées.
C. La répartition des terres entre les villages
83. L'enquête socio-foncière a recensé des droits portant sur 16 609 hectares. Ces droits
correspondent, pour une petite part, à des terres actuellement cultivées et, pour la plus grande
part, à des terres qui ne sont plus cultivées depuis longtemps mais qui pourraient l'être à
nouveau selon leur position de part et d'autre de la "côte d'inondation" des futures crues
contrôlées. Ces terres se répartissent de façon inégale entre les 28 villages recensés.
84. Les droits les plus importants en superficie sont ceux détenus par les ayants droit
localisés dans les deux communautés urbaines de Maghama et de Mbout. Ces droits portent
sur 7 007 ha, soit 42,2% du total des droits recensés. Viennent ensuite trois villages Haalpular
(Wali, Boguel et Fimbo) qui totalisent ensemble 4 178 ha, soit 25% du total. Les quatre
villages suivants (Toulel et Wompou-Soninke - Synthiane et Sagne - Haalpular) rassemblent
2 411 ha soit 15% du total. La répartition résumée se présente ainsi:
Tableau 5. Répartition des terres par groupe de villages
Population
totale
en % Superficie
déclarée (ha)
en % de la
superficie
totale
Superficie par
habitant (ha)
Maghama et Mbout
3 premiers villages en
importance de superficie
4 villages suivants
19 autres villages
25 224
8 420
11 998
16 412
0,6
13,5
19,3
26,6
7 007
4 178
2 411
3 013
42,2
25,0
15,0
17,8
0,28
0,50
0,20
0,18
Total 2114 100,0 625 100,0 0,31
On observe que c'est dans les trois premiers villages Haalpular (Wali, Boguel et Fimbo) que la
disponibilité en terre est la plus importante (le double ou plus de la moyenne des autres
strates).
85. La répartition des terres par groupement ethnique des villages fait également
apparaître des différences significatives. On observe cependant (voir tableau ci-après) que les
30
rapports entre la population totale et les terres détenues restent dans des ordres de grandeur
comparable:
Tableau 6. Répartition des terres par groupement ethnique
Nombre de
familles étendues
en % Superficie
détenue (ha)
en % Nombre de
villages
Haalpular
Soninké
Dieri/Arani
Maures
1 372
426
34
995
48,5
15,1
1,2
35,2
9 822,5
1 617,5
61,3
5 112,0
59,1
9,7
0,4
30,8
11
6
1
10
Total 1828 100,0 16 609,5 100,1 28
D. Droits fonciers des familles étendues et accès à la terre
86. Pour analyser les conditions d'accès à la terre des familles étendues de l'aire couverte
par le projet, on a distingué les situations suivantes:
Familles étendues ne déclarant aucun droit d'usage sur la terre.
Familles déclarant des droits d'usage sur la terre:
parmi celles-ci on distingue celles qui ont des "droits forts", plus ou moins
comparables à un droit de propriété (en voir l'explication ci-après);
celles qui n'ont que des "droits d'usage faibles", c'est-à-dire des droits qui
doivent être reconfirmés ou qui ont un caractère de précarité.
87. La répartition de ces droits selon les villages et les groupes ethniques est donnée en
tableau 5 de la page ci-après. On peut en tirer la synthèse suivante:
Tableau 6. Répartition des droits fonciers selon les groupes ethniques
Nombre de
villages
% des
chefs de
familles
étendues
% du total
des terres
Total
des
familles
étendues
Familles
étendues
sans droits
fonciers
Familles
étendues
avec des
droits
faibles
Familles
étendues
avec des
droits forts
Haalpular
Soninké
Foulbe
Maures
11
6
1
10
48,5
15,1
1,2
35,2
59,1
9,7
0,4
30,8
100,0
100,0
100,0
100,0
18,8
42,0
50.0
12,5
21,6
13,4
-
57,8
59,6
44,6
50,0
29,7
Total 28 100,0 100,0 100,0 20,4 32,8 46,8
88. Ce tableau montre que, globalement, le cinquième des familles étendues ne déclare plus
avoir de droits d'usage sur les terres du walo. Cette population correspond globalement à des
31
usagers détenteurs autrefois de droits précaires ou "faibles" qui ne les ont plus renouvelés
depuis que la plupart des terres de "walo" n'est plus cultivé. Ces familles se considèrent
néanmoins commes des ayants droit potentiels si les terres de walo étaient à nouveau
irriguées. Des différences sensibles apparaissent selon les groupes ethniques. C'est chez les
Haalpular que l'on trouve la plus grande proportion de droits "forts" assimilables à un droit de
propriété. Chez les Soninké, la proportion des familles sans droits fonciers est
particulièrement forte. Ceci s'explique en grande partie par l'afflux des réfugiés du Sénégal.
Dans les villages maures, ce sont au contraire les droits faibles qui prédominent: Cette
situation met en évidence le poids des chorfa et autres personnages religieux qui détiennent
d'importants droits fonciers qu'ils concèdent à des dépendants sous forme de "droits faibles".
Tableau 7. Répartition des droits fonciers entre les familles étendues
des villages de Maghama
Nombre de
familles
étendues
Nombre de
familles
sans droits
fonciers
Nombre de
familles
étendues
ayant des
droits dans
le walo
% total des
familles
Nombre de
familles
n'ayant que
des droits
"faibles"
Nombre de
familles
avec des
droits
"forts" (+
autres
droits)
Superficie
totale
déclarée
dans le
walo (ha)
VILLAGES HAALPULAR
Bedinke*
Boguel
Fimbo
Gourel Thierno
Maghama
Nouma
Sagné*
Sagné Bokhane*
Synthiane
Taga
Wali*
43
79
74
30
602
45
168
29
74
50
178
6
3
1
1
119
1
74
16
4
8
24
37
76
73
29
483
44
94
13
70
42
154
86
96
99
97
80
98
56
45
95
84
86,5
13
28
25
6
104
25
10
1
26
12
47
24
48
48
23
379
19
84
12
44
30
107
364,3
1083,7
849,9
162,2
3585,2
103,0
578,0
63,7
612,8
169,6
2250,1
Sous-total 1372 257 1115 81,3 297 818 9863
VILLAGES FULBE/ARANI
Bittel 34 17 17 50 0 17 61,3
Sous-total 34 17 17 50 0 17 61,3
VILLAGES SONINKE
Harr
Koumbo
Louguere
Louguere Godjiwal
Toulel
Wompou
67
17
49
42
118
133
49
10
7
22
28
63
18
7
42
20
90
70
27
41
86
48
76
53
5
0
1
1
25
25
13
7
41
19
65
45
57,0
46,0
231,7
61,5
675,3
546,0
Sous-total 426 179 247 58 57 190 1 617,5
VILLAGES MAURES
32
Beilouga
Beilouga Litama
Djebaba (Litama)
Veree Litama
Dar el Beida (Moussafrin)
Djiabenni (chorfa)
Hajar el Aly
Hajar Pellé
Mbout (chorfa)
Taghou Talla
38
123
58
46
55
96
60
25
456
38
1
34
48
7
0
0
4
1
11
19
37
89
7
89
58
60
21
455
27
27
97
72
13
92
100
100
84
100
71
59
1
12
5
86
3
1
0
443
0
22
36
77
2
3
55
59
21
12
27
5
133,3
420,3
368,7
111,7
15,7
198,5
221,8
122,0
3422,7
97,3
Sous-total 995 125 870 87,4 573 297 7539
Total 2 827 578 2 249 79,6 928 1 321 16 609,5
* Villages n'ayant pas encore signé l'Entente foncière en mai 1997.
89. L'analyse par village fait apparaître des situations particulières qui nuancent cette
appréciation globale. On distingue ainsi les deux villages de Sagné chez les Haalpular dans
lesquels le taux de familles étendues sans terre est particulièrement élevé (44 et 55%). Ces
taux tranchent avec ceux des autres villages qui se situent tous en dessous de 10-20%. Chez
les Soninké, on distingue le village de Harr où 73% des familles étendues n'ont pas de droits
fonciers. Dans les villages maures, on rencontre des situations contrastées. Les ayants droit
de Mbout (qui représentent une population très importante et qui déclarent des droits sur plus
de 3 400 ha) n'ont, pour la plupart d'entre eux, que des "droits faibles". Ils sont en effet
presque tous des dépendants des chorfa Ma El Ainine qui détiennent des droits de quasi
propriété sur un très grand kollengal qu'ils répartissent en droits de culture plus ou moins
précaires. On retrouve une situation identique dans le village chorfa de Djiabenni: Chez les
Maures Litama, les droits forts prédominent, sauf dans le cas des familles d'ancien statut
servile. Les Moussafrin semblent, dans leur majorité, dépourvus de droits fonciers.
90. Les six villages rajoutés à la lite de 1993 sont tous des villages maures. Deux d'entre
eux sont des villages Litama et les quatre autres, des villages de mouvance chorfa.(dont
Mbout est de loin le plus important). Cette adjonction a augmenté le nombre initial de
familles étendues (2 152) de 675 unités et la superficie initiale (11 956 ha) de 4 653 ha (voir
tableau 1 ci-dessus). On note par ailleurs que les quatre villages qui n'avaient pas encore
signé l'Entente foncière en mai 1997 (Bedinké, Sagné, Sagné Bokhane et Waly) totalisent
3 256 ha (soit 20% de la superficie déclarée totale) et 418 familles (15% du nombre total des
familles étendues. (L'interprétation de ces informations est donnée dans le document consacré
à la négociation foncière et au processus de l'Entente foncière).
E. Statuts fonciers et droits d'usage
91. Lors de la négociation de l'Entente foncière, les représentants des populations
concernées sont convenus de donner une définition simplifiée du système foncier et des droits
d'usage décrits dans ce chapitre. Ils ont ainsi proposé de considérer d'un côté, les droits qui
pouvaient être assimilés plus ou moins à un droit de propriété non contestable et de l'autre, les
droits temporaires ou soumis à une obligation de confirmation. Les premiers - que l'on a
appelés "droits forts" regroupent les statuts "djiaham" et "djiengue". Les seconds incluent les
33
différents types de "loubal", de "soodé", de "rimpetiene" et autres. On les a désignés "droits
faibles". Diverses variations dues au paiement ou non de l'assakal dans les droits forts n'ont
pas été retenues, étant considérées comme dépassées ou bien de caractère interne ou
intrafamilial. Par contre, pour les droits faibles, l'assakal, même symbolique, demeure
comme témoignage de la reconnaissance par le preneur de terres des droits forts du bailleur.
La répartition des terres selon ces divers statuts est résumée dans le tableau ci-après
Tableau 8. Répartition des terres selon les statuts fonciers et droits d'usage
Statut foncier Nombre de champs
concernés (en %)
Superficie concernée
(en %)
Droits forts
Djeham
Djiengue
60,.7
11,2
55,0
9,9
Sous-total 71,9 64,9
Droits faibles
Loubal
Soodé
Rimpetiene et autres
26,5
1,3
0,3
33,5
1,3
0,3
Sous-total 28,1 35,1
Total 100,0 100,0
Tableau 9. Synthèse foncière de la "zone" couverte par les 20 villages
intéressés par le projet d’irrigation de Maghama
Nombre % Superficie %
Familles sans droits fonciers 578 20,4 0 0
Familles n'ayant que des droits faibles 928 32,8 4 892
Familles ayant des droits forts
(avec ou non des droits faibles)
1 321 467 ---
- dont sup. en droits forts (1 321) (46,7) 10 785 64,9
- dont sup. en droits faibles (234) (8,3) 932 5,6
Total 2 827 100,0 16 609 100
(Noter que cette statistique est déséquilibrée par les centres urbains de Mbout et
Maghama).
93. On observe que les droits forts prédominent: ils concernent en effet les 2/3 des champs
et des superficies. Parmi les droits faibles, le "loubal" qui est une forme de jouissance qui
peut être de très longue durée, sous réserve de confirmation et de reconnaissance de l'assakal,
occupe la plus grande place (près de 1/3 des champs et des superficies). Les autres statuts,
plus précaires, ont une importance négligeable. Ceci s'explique en grande partie par la non-
mise en culture des terres du "walo". De tels contrats en effet ne sont vivifiés que lorsque la
34
crue est bonne et qu'il y a des terres à cultiver. Ces terres sont alors notamment prises par les
familles qui ne détiennent pas de droits fonciers permanents (ces familles représentent
actuellement - on l'a vu plus haut - un cinquième des familles étendues de la zone).
94. Les détenteurs de "statuts faibles" - principalement "loubal" - sont particulièrement
nombreux à Mbout, à Dar el Beida et à Djiabenni où les concessions de droits d'usage sur la
terre sont fortement influencées par les droits fonciers détenus par quelques familles
religieuses de statut "chorfa". Les détenteurs de droits faibles sont très nombreux à Veree
Litama (plus de 80% des familles), cette situation reflétant l'ancien statut servile d'une partie
des Litama. Ils sont également nombreux (les deux tiers ou plus) dans les villages haalpular
de Boguel et Nouma et dans le village Soninké de Wompou. On doit noter que certains
détenteurs de droits forts peuvent, en même temps, avoir des "droits faibles" sur certaines
parcelles prises à bail.
F. Répartition des terres par villages et par "Kolladé"7
95. Le tableau 10, donne la répartition des terres détenues par les villages dans les Kolladé
sur lesquels leur population exerce des droits. Le tableau 11 donne les mêmes informations à
partir des "Kolladé" (quels villages y exercent des droits?). Les deux listings qui détaillent
ces tableaux (et qui ont été établis pour les responsables du projet d’irrigation) sont essentiels
pour connaître l'emprise des villages sur les terres qui seront mises en valeur Il conviendra
également de la confronter aux données de la carte informatisée des "Kolladé" - lorsque celle-
ci sera achevée - afin de comparer les données déclaratives et celles de la planimétrie. Une
autre donnée essentielle sera celle fournie par le tracé définitif de la côte d'inondation qui sera
atteinte au terme des aménagements. Cette ligne indiquera clairement les "Kolladé" (ou les
parties de Kolladé) qui seront situés dans la zone inondée et ceux qui en seront exclus. Le
recours aux listings indiquera dans quel sens devront se faire les échanges, conformément aux
dispositions de l'Entente foncière.
96. Lorsque, comme c'est très souvent le cas, un "Kolladé" est occupé par plusieurs
villages, il importera de reporter sur la carte les subdivisions des Kolladé en sous-blocs
villageois, dans la mesure, bien sûr, où ceux-ci sont nettement identifiables.
97. Les deux agglomérations urbaines de Maghama et Mbout constituent deux cas
extrêmes de répartition des terres villageoises dans les Kolladé. Maghama, dont le
peuplement a été grossi de familles provenant de divers villages de la zone, exerce des droits
dans 44 "Kolladé" pour un total de 3 582 hectares. A Mbout, par contre, tous les droits
fonciers se concentrent dans une seule zone, formant un seul Kolladé où ont été déclarés des
droits d'usage portant sur 3 382 hectares. Ces déclarations restent cependant à vérifier, en
particulier lorsque l'on connaîtra la contenance réelle de ce Kolladé appelé Mooda. Les droits
éminents sur cette zone furent confirmés à la famille chérifienne des Ma El Ainine par les
autorités coloniales.
7 Pour simplifier, on utilise le terme de kolladé (sing. "kollengal") pour le pluriel et le singulier dans le texte.
35
98. La distribution des villages dans les "Kolladé" est elle-même très inégale, certains
villages n'ayant leurs terres que dans un seul "Kolladé" tandis que d'autres les répartissent
dans un nombre plus ou moins grand de "Kolladé" (allant jusqu'à un maximum de 31). Cette
diversité est reflétée dans le tableau ci-après:
Tableau 10 Répartition des droits villageois selon le nombre de "Kolladé"
Strates de répartition des terres
dans les Kolladé
Nombre de
villages1
%
Superficie totale
détenue par la
strate (ha)
%
Villages ayant toutes leurs terres
dans un seul Kolladé
1
3,8
46
0,5
Villages ayant leurs terres dans:
2 à 4 Kolladé
5 à 10 Kolladé
10 à 15 Kolladé
15 à 20 Kolladé
20 à 25 Kolladé
25 à 31 Kolladé
7
4
6
2
4
2
26,9
15,4
23,1
7,7
15,4
7,7
948,53
1089,13
1420,23
467,33
2704,63
2925,47
9,9
11,3
14,8
4,9
28,2
30,5
Total 26 100,0 9555,32 100,0
Dans ce tableau 7 on ne tient pas compte des villages de Maghama (3585,2 ha) et de M’Bout (3422,75 ha).
99. La distribution inverse (nombre de villages par Kolladé) donne les indications
suivantes:
Tableau 11. Nombre de villages par "Kolladé"
Strates de répartition Nombre de
"Kolladé"
concernés
% Superficie
dans la strate
(ha)
%
Un seul village a des droits dans le Kolladé
2 à 4 villages ont des droits dans le Kolladé
5 à 7 villages " " "
8 à 10 villages " " "
11 villages " " "
16 villages " " "
35
44
18
4
1
1
34,0
42,7
17,5
3,9
1,0
1,0
992,5
2738,43
4174,83
925,77
240,33
529,67
10,3
28,5
43,5
9,6
2,5
5,5
Total 103 100,0 9601,53 100,0
Dans ce tableau 8 on tne ient pas compte des villages de Maghama et de M’Bout (La dernière strate concerne le
Kolladé ‘non trouvé)
100. On observe que la majorité des Kolladé (62% en nombre et 72% en superficie) est
partagé entre 2 à 7 villages. Le tiers du nombre des Kolladé seulement (qui ne representent
que 10% de la superficie) est détenu par un seul village. La répartition des droits des
36
villageois, lorsque plusieurs villages se répartissent un même Kolladé, donne lieu à deux cas
de figure: ou bien une division de chaque Kolladé en ‘sous blocs’ villageois ou bien une
distribution mélangée des parcelles des divers villages dans l’ensemble du Kolladé. Des levés
plus détaillés du chaque Kolladé pourront indiquer dans quel cas du figure on se trouve.
101. Les "Kolladé" ont une taille variable. Si l'on exclut le "Kolladé" de Mooda (3 382 ha)
où s'exercent les droits de Mbout) on observe la distribution suivante:
Tableau 12 Distribution des Kolladé par strate de taille
Strate de taille Nombre de
Kolladé dans la
strate
% Superficie totale
des Kolladé de la
strate (ha)
%
Moins de 20 ha
20 - 50 ha
50 - 100 ha
100 - 150 ha
150 - 200 ha
200 - 250 ha
250 - 300 ha
300 - 350 ha
350 - 400 ha
400 - 450 ha
450 - 500 ha
500 et +
27
16
21
8
7
7
3
7
1
2
2
1
26,5
15,7
20,6
7,8
6,9
6,9
2,9
6,9
1,0
2,0
2,0
1,0
257,7
551,3
1581,8
935,7
1189,8
1628,5
838,0
2311,1
366,0
882,1
932,8
989,2
2,1
4,4
12,7
7,5
9,5
13,1
6,7
18,5
2,9
7,1
7,5
7,9
Total 102 100,0 12474,1 100,0
Dans ce tableau 9 on tient pas compte du Kolladé de Mooda pour le village de M’Bout (3 382,1 ha)
et du Kolladé ‘non trouvé’ correspondant à des terres non référencées dans un Kolladé (763,33 ha).
On observe qu'un peu plus du tiers des "Kolladé" (37%) est d'une taille inférieure à 50
hectares. La moitié environ des superficies (55,3%) est, par contre, concentrée par les
"Kolladé" se situant entre 100 et 350 ha. Ces Kolladé représentent 31.4% du nombre total des
Kolladé (celui de Mooda non compris). La taille moyenne d’un Kolladé est de 122 has.
G. Répartition des terres selon les groupes statutaires
37
Tableau 13. . Répartition des terres selon les groupes statutaires
Groupes statutaires
Nombre
de
familles
étendues
%
Superficie
de terres
détenues
(ha)
(A)
%
dont superficie
de terres
détenues avec
"droits forts"
(ha)
(B)
%
B/A
Haalpular et Soninké
Lignages nobles (princiers)
Guerriers
Religieux
Autres statuts libres et affranchis
Artisans/pêcheurs
Anciens serviteurs
Eleveurs foulbe/arani
98
219
232
131
101
422
183
7,1
15,8
16,7
9,5
7,3
30,4
13,2
1 668
2 554
1 782
962
360
1 854
951
16,5
25,2
17,6
9,5
3,6
18,3
9,4
1 633
2 296
1 786
870
274
760
770
97,9
89,9
89,0
90,4
76,0
41,0
81,0
Total 1 386 100,0 10 131 100,0 8 189 80,8
Groupes maures
Hommes libres et "chorfa"
Anciens serviteurs "harratine"
194
126
60,6
39,4
572,8
175,1
76,6
24,4
478,6
3,0
83,5
1,7
Total 320 100,0 747,9 100,0 481,6
102. L'analyse de la répartition des terres selon les groupes statutaires met en évidence
certaines inégalités. C'est ainsi que dans l'ensemble constitué par les Haalpular et les Soninké,
le groupe statutaire noble qui représente 7% des familles, détient 16,5% des droits d'usage
(mis à part leurs droits "éminents" qui historiquement leur donne un droit de contrôle social
sur la plus grande partie des terres). Les trois groupes statutaires dominants (nobles, guerriers
et religieux) représentent 39% des familles et ils détiennent 51% des droits d'usage; 80 à 90%
de ces droits sont constitués de "droits forts". Les anciens serviteurs (30% du nombre total
des familles étendues) ne détiennent que 18% des droits d'usage sur la terre; 41% de ces droits
seulement sont constitués de "droits forts". Cette situation est encore plus accusée dans les
villages maures où les groupes libres détiennent la majorité des droits aux dépens des anciens
serviteurs "harratine".