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MEI_06_05.pdf - MEI | Médiation Et Information

Date post: 11-Jan-2023
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Mei «M édi . . a t/O ll et Il/for ma tiOIl 1/ °6 _ 1997 Philippe Verhaege n L'ICONICITE P Philippe Verhaegen R e sp ro css eur au Départemen t de communica tion de l'UCL o n s abl e de l' Unité de recherche en communica tion (CO) Résu ' . C de P eir c. l et arti cle travaill e, à partir d 'une re-lecture -parfois retr aduite - d 'u n di e , once p t d 'ic ône. JI s 'attache à démontrer qu 'il est au cene s u es l i :OSl t ij en m ouvement q ui active toute construct ion, élabora tion, n é c es s ai , n d s ans p our autan t préjuger de / ' interprétance : un mécan is m e 1 e e « p o s 'bl ' . SI es » qUi le prolongent et le developpe nt. L e d é v el o d e COI p p em ent des sciences cognitives (no tam ment au travers m é t a p ce p ts Com me ceux d'imagerie, de modèle mental , de l ' i nf o n o r c onc eptu el le) et des nouvelles technolo gies de d é r �l Il l h O (av ec I ur arsenal d ' images : boutons, fenêtres , menus n a t u r e s , �m ag es virtu elles ... ) relance aujourd'hui le débat sur la . I COn i qu e de ' . . . L' b ' t ' f d et a r ti c l e nos systemes semIOtiques. 0 " ec 1 e c s e r a d " - J r e m o nt , I n te rrog er le bien-fondé de ce rapproch ement en c o ns t ru n t a la Sour ce du concept d'icône tel que Peirce l'av ait c O ns ti t t et d e m ont rer en quoi ce d eier a permis à son auteu r de s y nt a x i e r u n ca dre théor ique intégrant un triple poin t de vue - p ar t i c u e , p ra g mati que et cognitif - sur les signes . Plus l e r e m e nt ' d ' . 1 d ' . c o g nit i ' . J e vou rais redonner à cette notIOn a ImenS lO n Ce r t ai n e . q ue l U i attr ibuai t P eirce 1 et me démar quer par de fa i s ant s I �te r pré tat ion s rapides qui en ont été donnée s . L'icô ne , p a r ti e d' ' . t a Se s d e . ne t nlog le, i l scra souvent fai t appel par contra s e U X c o m p er l" d ' es : In Ice et le symbole . 1. L'ie L On e e n . a p r e n " q uesti on l I e r e ch o . . 1 d O n P ar l e d _ . se q U i sembl e venir à l 'esprit des sémlO o ues q e nt r e l " : Pei r c e, c ' est effecti vement la distinc ti on qu'Ji a o peree I Co n e l " d ' ' 1 ' . C a t ég o ri ' 111 Ice et le symbole. Souve nt utl Isee po . ur s e r le s g ra n des va étés de signes, cette trilogie est ensUI te le . S. P EIRCE C r r �s s a l l 1 h r t do · o f l e ct ed pa p e r s o f Charle s Sal/de rs Peirce, Har v ard . Unj. v �rsity an rClé r c n c e , 8 v olu mes 1 932- 1958 édition 1 974 Sel on l'usa ge etabh , II est P r e n l l' c a ux C P en usa ' d' d b ' l . .' . ' un pol 'nt L e I I e r nOlll h . nt unc ou e numerotahon separee . a · r e m d ' . ' t �ISlo n . é e t t ' " Iqu e le voh une ct le cond le paragraphe auque l li est al eXl s t e rele r e . . ' . ' d Ile e ( C. S. nc� est SV Ie celle de la traductIOn frança ise UBn e E l E DAL l E ) . IRC E , Ecri ts sllr l e sigl/e. Paris, Seuil, 1 97 8 tradUI t par G. 75
Transcript

Mei «Médi . . at/Oll et Il/formatiOIl!> 1/ °6 _ 1997 ------ Philippe Verhaegen

L ' ICONICITE

P fi Phi l ippe Verhaegen

Resp ro csseur au Département de communication de l ' UCL onsable de l ' Unité de recherche en communication (RECO)

Résurn ' . C de Peir c .

let article travaille, à partir d 'une re-lecture -parfois retraduite-

d'un di�e, � �oncept d 'icône. JI s 'attache à démontrer qu 'il est au centre

suggesli:OSltij en mouvement qui active toute construction, élaboration,

nécessai ,n

dsans pour autant préjuger de / 'interprétance : un mécanisme

1 e e « pos 'bl ' . SI es » qUi le prolongent et le developpent.

Le dévelo de COI ppement des sciences cognitives (notamment au travers

métap�cepts Comme ceux d' imagerie, de modèle mental, de l ' infon

or� conceptuel le) et des nouvel les technologies de

dér�lI l�l�hO� (avec I�ur arsenal d ' images : boutons, fenêtres, menus

nature � s, �mages virtuel les . . . ) relance aujourd'hui le débat sur la

. ICOnique de ' . . . L' b ' t 'f d et article nos systemes semIOtiques. 0 " ec 1 e c

sera d " - J remont , In terroger le bien-fondé de ce rapprochement en

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er un cadre théorique intégrant un triple point de vue -particu��e, pragmatique et cognitif - sur les signes. Plus

lerement ' d ' . 1 d ' . cogniti ' . Je vou rais redonner à cette notIOn a ImenSlOn

Certain�e . que lUi attribuait Peirce 1 et me démarquer par là de

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Catégori ' 1 11 Ice et le symbole. Souvent utl Isee po.ur

ser les grandes variétés de signes, cette trilogie est ensUIte

l e .S. PEIRCE C rr�ss� �all1hrtdo·oflected papers of Charles Sal/ders Peirce, Harvard . Unj.v�rsity an rClércnc

.,e, 8 volumes 1 932- 1 958 édition 1 974 Selon l'usage etabh, II est

Prenll' c aux CP en usa ' d' d b'l . . ' . ' un pol'nt Le

I I er nOlllh . nt unc ou e numerotahon separee par .

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ElEDALlE). IRCE, Ecrits sllr le sigl/e. Paris, Seuil, 1 978 tradUIt par G.

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------------ L 'icollicité ------------j

abandonnée au profit de terminologies (néo-)structurali stes 1 . Ce faisant, c'est l 'essence même de la distinction qui est mise de côté. A propos d'une méprise Examinons quelques instants cette citation de Eco tirée d'un article sur l 'image. L'auteur nous affirme que "Peirce définissait les icônes comme ces signes qui ont une certaine ressemblance native avec l'objet auquel ils se réfèrent. On devine en quel sens il entendait la "ressemblance native" entre un portrait et la personne pe�nte ; quant aux diagrammes par exemple, i l affinnait que ce sont des signes iconiques parce qu'ils reproduisent la forme des relations réel les auxquelles ils se réfèrent"2 .

Cette définition (que nous n'avons pu situer dans ' les écrits peirciens, Eco référant de façon générale aux "Collected Papers") donne il penser que l'icône tirerait sa fonction de l'objet concret avec lequel el le a quelques points communs, e lle-même étant une image concrète : photo, dessin, tableau, carte, etc . . . Cette présentation ' assez classique du genre- provient d'une série de malentendus.

Tout d'abord, ce que Peirce cherche à caractériser c'est la relatioll entre un representamen et son objet et non une chose en elle' même. C'est pourquoi il convient d'user plutôt d'un qual ificatif que d'un substantif pour la définir. "Seule une possibil ité [ou priméitél est une icône, purement en vertu de sa qualité ; et son objet ne pe�t qu'être une priméité. Mais un signe peut être iconique, quel que SOIt son mode d'être . S'il faut un substantif, un representamen iconique peut être appelé une hypoicône . Toute image matérielle, comme uP tableau, est largement conventionnel le dans son mode de représentation ; mais en soi, sans légende ni étiquette, on peut l'appeler une hypoicône"3.

Une icône -en tant que possibil ité de représentation- est de l'ordre de la priméité : el le peut servir de representamen. Mais c'est paf abus de langage que l 'on use du vocable "icône" en lieu et place de "representamen iconique" . S'il faut un substantif, Peirce suggère le: temle d'hypoicône, "hypo" marquant le caractère second de

1 Ainsi par exemple on peut lire dans THINES G., LEMPEREUR A., Dictionnaire

gélléral des sciellces humailles, CIACO, 1 984, p. 877, que pour Peirce "le Siglle

consiste en un objet ou événement (le sigllifiallt) qui représente un objet 011 événement (l 'objet du siglle); le signe s'adresse à quelqU'lm pour créer danS

l'esprit de cette personne un signe équivalent (le sigllifié)." 2 ECO U., ( { Sémiologie des messages visuels » in Commullications n0 15 , Seuil, Paris, p. 1 3 . 3

PEIRCE C.S . , op. cil . , 1 974 (2 .276), 1 978 (p. 149).

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l ' iconicité advenant alors à un representamen (puisque l'icône n e peut qu'être u n e primé ité) . E n d'autres tennes, Peirce maintient un double point de vue (il fera de même pour l ' indice et pour le symbole), l 'un cherchant à qual ifier l 'icône comme signe, l 'autre comme sous-signe (en parlant alors d'hypoicône) . Ensuite, si l 'iconique qual ifie la relation entre un representamen e t son objet, i l faut s'interroger sur l a nature de celui-ci . Est-ce, comme dans l 'exemple d'Eco, la personne qui sera représentée dans une image-portrait ? Peut-on l'appeler, comme le suggère Dcledal le l , le " référent" du signe ? Dans la conception de Peirce, l 'objet est à proprement parler un signe auquel renvoie un representarnen : "Tout signe est mis pour un objet indépendant de lU I-même ; mais il ne peut être un signe de cet objet que dans la mesure où cet objet a lui-même la nature d'un signe, de la pensée. Car. le signe n 'affecte pas l'objet, mais en est affecté, de sorte que l'ob�et doit être capable de communiquer la pensée, c 'est-à-di re doit a�oI r la nature de la pensée ou d'un signe. Toute pensée est un SIgne"2 .

�e qui est qual ifié d'iconique, c'est donc bien la relation entre deux s�gnes (ou encore deux "sous-signes" : un signe-representamen et un sI�ne-objet) impliqués dans une même semiosis3 . Cela peut donner l ' Impression d 'une défi nition quasi tautologique : le signe est. . . une rel�tion de signes. Cette apparente circularité éclaire au contraire ce qUI fait l 'original ité du système peircien : est signe tout ce qui (peut) renvoie(yer) à un autre signe4. La sémiotique de Pei rce est ainsi un renvoi incessant de signe à signe . I l n 'y a donc rien d 'étonnant à ce que la défin ition même du signe tienne compte de ce princi pe : chacune des trois dimensions du signe est un signe. Au l ieu de parler de tautologie ou encore de circularité du système peircien, il faut par�er de sa nature profondément autoréférentiel le . Nous y reviendrons .

1 "0 T . l ' é . BlET. out ce -quel qu'il soit, réel ou imaginaire- à quOI 'mterpr tant renvoie

le �ep.resentamen. Le tenne "référent" pourrait lui convenir" in DELEDALLE G.,

Jlzeone et pratique du siglle, Payot, Paris, 1 979, p.22. 3 PEIRCE C.S., op. cit . , 1 974 ( 1 .538), 1 978 (p. 1 1 5) . . "sémiosis" du signe c'est-à-dire l'action ou l'influence réciproque entre le representamen, son objet e t son interprétant. L'analyse triadique consistera à approfondir ces différentes relations. 4 Dans son commentaire à la traduction de Peirce, Deledalle précise que " c e qu'e� réalité Peirce veut dire, est qu'un signe doit pouvoir toujours renvoyer à Un signe. Il s'agit d'une possibi lité abstraite ou, si l 'on veut, d'un critère �nnettant de distinguer ce qui est signe de ce qui ne l'est pas. Cfr PEIRCE C.S., op. Clt . , 1 978, p.220.

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Notons au passage qu' i l s 'agit là d 'une caractéristique qui distingue radicalement la sémiotique peircienne de cel le d ' inspiration saussurienne. Chez Saussure, les deux faces du signe sont des "masses amorphes" auxquel les le signe attribue une forme en les réunissant (et en produisant ce faisant la "signification") : "il s 'agit de ce fai t e n quelque sorte mystérieux, que l a «pensée-son» implique des divisions et que la langue élabore ses unités en se constituant e nt re deux masses amorphes"l . S ignifié et signifiant participent donc bien à la détermination du sens mais n 'ont pas en eux-mêmes la n ature d'un signe. D 'une façon générale, i l est bon de rappeler qu'en procédant à la séparation de la langue et de la parole, la sémiotique structurale a du même coup opté pour la m ise entre parenthèses voire la négation des aspects analogiques de la communicati o n . Dans un tel contexte, l 'analyse d e l ' image ne peut y être envisagée que par opposition au langage verbal et donc par la négative (le "non verbal") .

Mais revenons à Peirce . La confusion présente dans certains passages des « Collected Papers » entre le qual ificatif " iconique" e t l e substantif " icône" devient m aintenant compréhensible puisque qual ifier un signe, c'est qual ifier une relation : tout signe est u n re/atum. La différence entre le signe e t ses trois instances n'est pas à situer dans une quelconque différence de "genre" (ce sont tous des "relata") mais bien dans leur "niveau" respectif de fon ctionnement. La citation d ' Eco o mettant d'opérer une tel le distinction fait de l ' icône -tout comme dans le jargon sém iologique- un synonyme d'image. L'ironie du sort veut que, cette fois-ci, Peirce s'était abstenu de recourir à un de ces néologismes dont il est si friand 2. Par ai l leurs, rappelons pour la bonne compréhension de ce qui v a suivre q u e toute trichotomie doit s e comprendre dans l e cadre d e la relation triadique instaurée par le representamen, l'objet e t l ' interprétant, tri-relation qui selon Peirce ne peut être ramenée "à u n quelconque complexe d e relations dyadiques". Par conséquent la détermi nation du caractère iconique d'un signe doit s'entendre au sein de la sém iosis.

1 DE SAUSSURE F., Cours de lingl/istiql/e générale, Payot, Paris, édition 1 972 , p. 1 56. 2 Peirce a notamment développé toute une "momIe tenninologique" (cfr 2 .2 1 9-226) délinissant à quel1es conditions et de quel1es tàçons il faUait introduire des néologismes. Ainsi, il considémit comme "un des premiers devoirs" du chercheur "de résister énergiquement à tout ce qui ressemble à une dictature arbitraire dans les affaires scientiliques et par dessus tout en ce qui concerne l'usage des tennes et des notations. " (2.220).

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L 'icône se/on Peirce Pour Peirce J ' icône est "un signe qui renvoie à l'objet qu'il dénote simplement en vertu des caractères qu'il possède, que cet objet existe réellement ou non . ( . . . ) N'importe quoi, qualité, individu existant ou loi, est l 'icône de quelque chose, pourvu qu'il ressemble à cette chose et soit uti l isé comme signe de cette chose" l .

Expl icitement cette définition renvoie à l a première trichotomie du signe : par "qualité, individu existant ou loi", Peirce désigne les "qual isigne, sinsigne et légisigne" c 'est-à-di re les trois modes d 'être du Representamen. Toutefois, compte tenu de ce que nous avons rapporté ci-dessus, on pouvait s 'attendre à ce que Peirce nous parle d'hypoicône et non d' icône. Cette apparente contradiction peut s 'expl iquer, me semble-t-i l , si l 'on tient compte du fait que, selon la h iérarchie des catégories, un signe iconique peut avoir des degrés de dégénérescence plus ou moins importants. Par là, Peirce veut soul igner que le representamen d'un signe iconique peut être de J 'ordre de la priméité, de la secondéité ou de la tiercéité. L' icône type -la classe idéale- serait le "qual isigne iconique rhématique" c'est-à-dire le signe où chacune des trois dimensions serait de J 'ordre de la priméité puisque la relation iconique relève de cette catégorie2 . C 'est pourquoi, affi rme Peirce, seule une possibilité peut être une icône : "Un signe par priméité est une image de son objet et, pour parler avec plus de précision, ne peut qu 'être une idée . Car il doit produire une idée i nterprétante ; et un objet extérieur provoque une idée par une réaction sur le cerveau . Mais, pour parler avec plus de précision, même une idée, sauf dans le sens d 'une possibil ité ou priméité, ne peut pas être une icône [car une idée est de J 'ordre de la tiercéité, précise à juste titre Deledalle] . Seule une possibil ité [ou priméité] est une icône, purement en vertu de sa qualité ; et son objet ne peut qu 'être une priméité"3.

L'image matériel le ne représente donc pas le type idéal du processus iconique mais bien un premier degré de dégénérescence dans J ' iconicité : ce lui où le representamen est constitué d 'un objet singul ier (un sinsigne dans le langage de Pei rce) . Au contraire, avec la notion d 'icône, Peirce veut avant tout désigner non une classe de signe ni un type d ' image particu lier mais bien un processus

1 PEIRCE C .S . , op. ci!., 1 974 (2.247), 1 978 (p. 1 40). 2 De même, bien entendu, pour l ' indice ce serait le "sin signe indiciaire dicent" et pour le· symbole le "Iégisigne s�'mbolique argumentaI", chaque dimension d u signe étnnt de l'ordre de l a secondéité pour le premier e t de la tiercéité pour le second. 3 PEIRCE C.s . , op. ci! . , 1 974 (2.276), ) 978 (p. 1 49).

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sémiotique essentiel qui est à la base du fonctionnement de nombreux signes. Ainsi, en définissant l 'icône comme ce rapport d 'analogie, ce sentiment de ressemblance (entre deux i dées, deux faits, etc .) , cette possibilité de lien (qui fait que nous rapprochons deux choses, deux événements, etc .), Peirce propose un point de ral l iement entre des signes aussi différents · qu'une image, un diagranlme, une photo, un schéma, une métaphore, une peinture, un raisonnement abductif, un tableau, etc 1 . Précisons encore une foi s que la matérial ité propre à ces signes n 'a pas grand chose à voir avec ce qui fait l 'essence de leur iconicité.

Trois points de vue sur les signes On pourrait objecter que, définie de la sorte, l ' icône devient un processus très abstrait et général, et donc sans intérêt . pour l 'approfondissement de l 'analyse sémiotique. Au contraire, une tel le présentation a l ' avantage de suggérer des l iens entre des dispositifs sémiotiques qui font d 'ordinaire l 'objet d 'une analyse distincte : le signe en lui-même (dimension syntaxique e t trichotomique), l 'effet induit par son util isation (dimension pragmatique et communicationnelle) et les mécanismes cognitifs qu' i l sol l icite (dimension interprétative et cognitive) . C'est dans un tel contexte que la notion d ' icône (ou d ' iconicité 2 ) prend tout son sens .

2. Icône - ind ice - symbole : ordre et désordre Icône, indice et symbole sont loin d'être indépendants l 'un de l 'autre. Comprendre ce qui les relie et les distingue est essentiel à leur compréhension .

L 'imbrication trichotomique : de l 'icône au symbole Sur le plan trichotomique, le symbole comporte (involve dit Peirce) une certaine relation indiciai re car "ce qui est général a son être dans les cas particuliers qu'il déteml ine. Il doit donc y avoi r des cas existants de ce que le symbole dénote ( . . . ). Le symbole sera, indirectement, par l'association ou une autre loi, affecté par ces cas particuliers ; et par conséquent le symbole comportera une sorte d'indice" . De même, l'indice comporte une sorte d'icône "dans la mesure où [ i l ] est affecté par l 'objet, i l a nécessairement quelque

1 VERHAEGEN Ph. , « Image, diagramme et métaphore. A propos de l 'icône chez Peirce » in Métaphores ( 1 ), Recherches en commlillicatioll, 1 994, N° l , pp. 1 9-47. 2 Comme Peirce quand il parlait de "pragmaticisme" en lieu et place de "pragmatisme", nous utiliserons de temps à autre le tenue d' "iconicité" pour nous démarquer de l 'usage qui a fait de la notion d'icône un synonyme d'image.

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qual ité en commun avec l 'objet, et c'est eu égard aux qualités qu'il peut avoir en commun avec l 'objet, qu'il renvoie à cet objet. Il comporte donc une sorte d'icône" 1 .

Notons au passage qu'il n'est dès lors pas tout à fait correct d'opposer les conceptions saussurienne et peircienne à propos du symbole. Pour le premier "le symbole a pour caractère de n'être jamais tout à fait arbitraire ; il n'est pas vide, il y a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifié"2. Pour le second, o n vient de l e voi r, le symbole comporte toujours quelques indices e t quelques icônes. Peirce rompt ainsi avec l'opposition classique entre signes arbitraires et motivés et montre la nécessité de leur échelonnement sur un certain continuum . Contrairement à une certaine vulgate, il n 'y a pas de signes dans son système qui fonctionneraient de façon exclusivement arbitraire .

L'icône, l'indice et le symbole sont donc, du point de vue trichotomique, imbriqués l'un dans l'aulre comme le sont des poupées russes. Soulignons également la place particulière occupée par l ' icône : alors que le symbole comme l'indice en comporte toujours quelqu'une ; l 'icône, elle, paraît susceptible de se suffire à el le-même .

L 'implication triadique : la nécessité de l 'icône "Un signe est d'abord ce qu'il fait et ce qu'il fait est sa signification, autrement dit, la règle de l 'action" 3 affirme Peirce . La détenn ination du sens d 'un signe résulte donc de son actual isation . C'est donc à partir de l 'effet engendré que les différentes dimensions du signe seront fixées. Autrement dit, c'est en détem1inant un certain type d ' interprétant chez le destinataire du signe que, corrélativement, un representamen renverra à son objet. Pour Peirce, p ris isolément, un signe ne comporte aucun sens : une image n 'est qu 'une tache sur un support tant qu 'el le n 'a pas fai t l 'objet d'un acte de reconnaissance (vision, lecture . . . ) ou de production (acte photographique, picturaL). Un representamen iconique est un signe qui, potentiellement, peut renvoyer à son objet par ressemblance mais en définitive, cela dépendra de la façon dont i l sera reçu .

1 PEIRCE C.S., op. cil., 1 974 (2 .248-9), 1 978 (p. 1 40- 1 ). Nous traduisons, contrairement à Dcledalle « involvc» par «comportcr» (au licu d' « impliquen»). 2 DE SAUSSURE F., Cours de lil/guistique gél/érale, op. cil., p. 1 0 1 . 3 cité par J.BUCHLER, Charles Peirce 's Empirism, Kegan Paul, 1 939, p. 1 14- 1 1 5 et repris par DELEDALLE, Théorie et pratique du sigl/e, op. cil., p. 33.

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----------- L 'iconicité -----------

C'est à nouveau un des points clés qui différencie approche saussurienne et peircienne : pour celle-ci , les signes ne sont perceptibles que dans leurs effets . S i à partir de ces derniers l'analyste peut inférer des "fornles" -les signifiant/ signifié de Saussure ou les representamen/ objet/ i nterprétant de Peirce- ces fomles cependant ne constituent pas en elles-mêmes un tout du signe autonomisable, une "langue" ou un "code" à part entière . La simple détennination de ces fornles ne pennet pas à elle seule de définir un signe.

D'un point de vue pragmatique, les trois ordres fondamentaux de la sémiotique peircienne entretiennent des rapports inverses de ceux décrits pour le plan trichotomique. Selon Pei rce, "un symbole est un signe naturel lement propre à déclarer que l'ensemble des objets dénoté par n'importe quel ensemble d'i ndices qui puisse lui être attaché de certaines façons, est représenté par une icône qui lui est associée" 1 . En clai r, cela signifie que la compréhension d'un symbole impl ique toujours quelques icônes. Par exemple, un symbole comme le mot «aime» dans l 'énoncé «Ezéchiel aime Houlda» ne peut être saisi que s ' i l détemline une icône dans l 'espri t de l ' interprète : "l 'effet du mot «aime» est que la paire d'objets dénotée par la pai re d'indices Ezéchicl et Houlda est représentée par l ' icône, ou l ' image que nous avons dans l 'esprit, d'un anloureux et de sa bien-aimée"2. Au passage, notons le rôle que Peirce attribue à l ' indice : c 'est celu i-ci qui va pennettre de distinguer le réel de J ' imaginaire. L'icône est donc bien envisagée ici comme un effit du symbole . Mais la phrase «Ezéchiel aime Houlda» n'est pas en soi une icône au sens où on l'entend dans la classification des signes . Sur le plan de l ' analyse triehotomique, il n'y a dans cette phrase qu'un symbole et deux indices. Mais en temle pragmatique l 'énonciat ion de cette phrase implique la production d'une icône (une "image" mentale), sans quoi elle ne pourrait communiquer quoi que ce soit . C'est pourquoi Peirce affirme que "la seule façon de communiquer directement une idée est par le moyen d'une icône ; et toute méthode indirecte pour communiquer une idée doit dépendre pour son établ issement de l 'uti l isation d'une icône . Par suite, toute assertion doit conten ir une icône ou un ensemble d ' icônes, ou bien encore doit conten ir des signes dont la sign ification n 'est expl icable que par des icônes" 3 .

1 PEIRCE C.S . , op. cil . , 1 974 (2 .295); 1 978, p. 1 63 . 2 ibidem. 3 PEIRCE C.S., op. cil . , 1 974 (2.278); 1 978, p. 149.

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Première conclusion : l ' i cônic i té de la com munication Sur le plan trichotomique, nous avons montré qu'il y avait, "quelque chose" de l'ordre de l'indice dans le symbole et de l 'ordre de l 'icône dans l'indice . Par contre, sur le plan pragmatique e t communicationnel (c 'est-à-di re celui où l e signe s'adresse à quelqu'un en produisant sur lui un certain effet), l'action du symbole, parce qu'il comporte quelque indice et par là quelque icône, implique nécessairement ceux-ci pour produire son effet 1 . C'est en ce sens qu'on peut dire du symbole qu'il "dépend" de l'icône . Cette dernière se trouve ainsi au croisement des deux plans, soulignant par là le rôle central qu'elle joue dans le système pei rcien . Nous tâcherons de montrer ci-dessous que cette place spécifique est à mettre en paral lèle d'une part avec la nature autoréférentielle du système peircien et de l 'autre avec la capacité créative de l ' icône, seul signe susceptible de pernlettre une "sortie" de cette autoréférence.

Le désordre sém iogénét ique : de l ' arrachement de l ' i n d i ce à l ' avènement d u symbole L'ordre canonique est souvent modifié quand on pose la question en ternle d'évolution des systèmes de signe (psychogenèse, onto e t phylogenèse) . Suivons la présentation de Bougnoux : "Progressant des indices aux icônes et des icônes aux symboles, nous apprenons à défusionner, à articuler de plus en plus finement nos représentations. Cette discrimination coûte de la peine, car nous ne l inéarisons pas volontiers ni durablement nos pensées. Le régime oppositionnel propre à la langue s 'oppose en nous à la pente spontanée des associations libres (qui sont métonymiques e t indicielles). ( . . . ) La distinction pei rcienne se double donc d'une évidente dimension onto et phylogénétique dans leur développement, i l a fallu que l ' individu comme la civi l isation s 'arrachent aux contacts prim iti fs pour apprendre l 'abstraction, la combinatoi re symbolique et les nombres" 2 L'apprentissage consisterait dès lors à " progresser du maniement des indices à celui des icônes, puis des s)'mboles"(idelll , 55) .

1 En logique, Peirce a notamment introduit l a relation d'inclusion en lieu e t place de la relation d'égalité, pennettant par là le développement d'une logique de l'implication. "Cette démonstration de la priorité logique de l'inclusion sur l'égalité allait modilier considérablement le visage de la logique, en pennettant de passer d'une logique équatiolmelle . . . à une logique de l'inclusion, puis de l'implication." THIBAUD P., La logique de CS. Peirce. De l'algèbre aux graphes, Ed. de l'Université de Provence, 1 975, p. 1 6. 2 BoUGNOUX D., (( Indices, icônes, symboles » in La communication par la bal/de, Ed. La Découverte, 1 99 1 , p.53 .

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------------ L 'icollicité ------------

Si Pei rce n 'aurait eu aucune objection à ce que l 'on réagence ses signes l , la présentation de Bougnoux pose néanmoins problème car elle entre en contradiction avec le principe selon lequel un second (l ' indice) ne peut déterminer un premier ( l ' i cône) 2. De plus elle soulève la question de l 'émergence du langage symbolique (du digital) souvent posée à partir d'une opposition avec le langage analogique. Mais quels sont les rapports entre l 'analogique, l ' i cône et l ' indice ?

L 'analogique : icône ou indice Bateson, à qui l 'on doit l ' introduction des notions d'analogique e t de digital a parfois uti l isé indifféremment "iconique" e t "analogique" pour caractériser aussi bien les méthodes de codification qui reposent sur un l ien de ressemblance que cel les qui relèvent du principe de «Ia-partie-pour-Ie-tout» . L'analogique est donc bien chez lui une affaire à la fois d' icônes et d 'indices. A la même époque, Véron avait tenté de fonnuler de façon sémiotiquement correcte les "intrinssical ly coded acts" de Ekman et de les classer comme "métonymiques" . Quelques années plus tard, il concède avoir trouvé dans la disti nction entre les indices e t les icônes une réponse élégante à cette question : "e' est vers 1 97 0 que j e m e suis plongé dans les Collected Papers de Peirce. J 'ai compris alors que le problème que j 'essayais de traiter avec mes quatre axes avait été fonnulé par Peirce, d'une façon simple e t élégante, i l y avait bien longtemps. J'ai reconnu, autrement dit, dans mes renvois métonymiques, les indices de Peirce" 3.

Le maintien d'un tenne unique pour qual ifier un double procédé peut trouver une certaine justification si on se place, comme B�teson par exemple, sur le plan de la phylogenèse. Sur ce terrain, en effet, ce qu' i l faut chercher à comprendre ce n 'est pas comment l 'homme est parvenu à l ' abstraction mais comment i l a découvert le "moyen de parler de manière spécifique d 'autre chose que des relations" 4, c'est-à-di re de s'affranchir de l ' indice et de l ' icône, tous deux se caractérisant par leur implication sur la relation e nt re

1 rI a toujours considéré les classes de signes comme des notions a priori qu i demandaient à être actualisées en fonction de l'observation de pratiques concrètes de communication. 2 Cfr le principe de hiérachisation des catégories phanéroscopiques et son commentaire par G. DeIcdaIIe Îll PEIRCE C.S. , op. cil., 1 978, p.240 et sv. 3 VERON E., « Entre Peirce ct Bateson: une certaine idée du sens » , ID Colloque de Cerisy, Batesoll: premier état d '/Ill héritage (sous la dir. d'Y. WINKIN), Seuil, Paris, 1 988, p. 1 74. 4 BATESON G., « Problèmes de communication chez les cétacés )) in Vers une écologie de l 'esprit, op. cil., p. 1 2 I .

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les interactants. Avant d'aborder cette question, quelques mots sur la notion d' indice, notion souvent étouffée par la d ichotomie analogique/digital .

A propos d 'une autre méprise . . . "Il n'y a pas de troisième catégorie parmi les signes, e t Peirce a été abusé par son mysticisme trinitaire quand il a voulu y ranger les indices. Les traces de gibier, les empreintes digitales du voleur, les cendres du feu de camp abandonné ne sont pas des signes, car ce ne sont pas des substituts arbitraires. Ce sont des effets, dont on peut inférer une cause, moyennant un raisonnement. L'indice du détective est une trace interprétée à travers des signes analogiques et digitaux." 1 . Ainsi Van Lier dénie-t-il aux indices non seulement leur caractère analogique mais aussi leur nature de signe. Malheureusement, les arguments avancés ne paraissent guère valides: au "mysticisme trinitaire" reproché à Peirce i l est facile d'opposer le "mysticisme binai re" de la sémiologie structurale . De même, le rejet de l ' indice au nom de son l ien causal avec ce à quoi il renvoie laisse entendre qu'un signe doit nécessai rement être d'une nature différente de son objet et n 'entretenir avec lui aucun l ien dynamique. Cette attitude résulte de l 'application dogmatique du principe de l ' arbitraire du signe . Or, déclare Peirce, sans indices i l serait impossible de désigner ce dont on parle, ainsi que le montre l 'exemple suivant : "comme Simple Simon, l ' idiot du vil lage de la ronde enfantine, [le voyageur] dit : « J I y a un feu de cheminée à cette maison ». «Quelle maison ? », demande l 'autre. «Oh ! une maison avec des volets verts et une véranda) , répond l ' idiot. «Où est cette maison ? », demande l 'étranger qui désire quelque indice qui lui penllette de l ier son appréhension à la maison signifiée. Les mots à eux seuls ne peuvent le lui fournir" 2 . Le geste d ' indication ( l ' index tendu ou le regard poi nté en direction de l 'objet désigné, etc . ) est en ce cas incontournable et fait partie intégrante de la compréhension du message.

Bougnoux -tout en reconnaissant quant à lui la nature signifiante de l ' indice- aborde la question en cherchant à distinguer ce dernier de l ' icône: dans l ' indice "la coupure sémiotique (la différence du signe et de la chose, de la carte et du territoi re) n 'y est pas évidente, ou pas encore stabil isée : l ' indice est «a fragment tom away from the object» (Peirce)" alors quc dans celle-là "la représentation est motivée et ressemblante (versus arbitraire) mais el le n 'est plus

1 VAN LIER I I. , L 'anima/ signé, De Visscher, Rhode-SI-Genèse, 1 980, p. 76. 2 PEIRCE C.S. , op. cil., 1 974 (2.287), 1 978 p. 1 55.

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------------ L 'iconicité ------------

contiguë, elle ne fait pas intrinsèquement partie du phénomène lui­même ; l ' icône s 'ajoute au monde alors que l ' indice est prélevé sur lui par détachement métonymique. D'où le caractère artificiel des icônes ( . . . )" 1 . De l ' indice à l ' icône une fracture entre le monde e t les signes s 'opère, fracture qui aboutira avec l ' avènement du symbole à une séparation complète (c'est-à-di re discontinue e t arbitrai re). Si dans cette logique l ' icône vient après l ' indice c'est parce qu'elle réal iserait cette "coupure sémiotique" : sa "re lation au dénoté (à la chose qu'elle désigne) s'effectue encore par ressemblance ou dans la continuité d'une analogie au sens large, mai s le contact est rompu" 2.

Il importe de noter qu 'on est loin ici de la notion d ' iconicité: Bougnoux nous parle avant tout d'un signe qui est un double du réel (cf. ses exemples : dessin, photographie, sculpture, diagramme, schéma, signal routier, séquence filmique). Or, comme ' nous l ' indiquions ci-dessus, l ' icône est un moment d ' indifférenciation entre signe et objet. Ainsi, dit Peirce, "en contemplant un tableau, il y a un moment où nous perdons conscience qu'il n'est pas la chose, la distinction entre le réel et la copie disparaît, et c'est sur le moment un pur rêve -non une existence particulière et pourtant non générale. A ce moment nous contemplons une icône Il 3. Dans l ' icône, la question de la réalité d'un monde ne �e pose même pas puisqu'el le est de l 'ordre de la possibilité (cf. ci-dessus). On est lo in également de la notion d ' indice. Bougnoux nous présente cel le-ci comme un signe de continuité ("la continuité et la contiguïté naturelles des indices les placent à la naissance du processus signifiant" 4) et de confusion (confusion entre le "message et son véhicule", le "contenu et la relation", "l 'émetteur et le récepteur" 5 ) .

Or pour Peirce, l ' indice relève de la catégorie de la secondéité: "un indice ( . . . ) est un representamen dont le caractère représentat if consiste en ce qu' i l est un second individuel . S i la secondeité est une relation existentiel le, l ' indice est authentique . Si la secondéité est une référence, l ' indice est dégénéré. Un indice authentique et son objet doivent être des individus existants (que ce soient des choses ou des faits), et son interprétant doit avoi r le même caractère . ( . . . )

1 BOUGNOUX D., Illdices, icôlles, symboles, op.cit. , p.50-5 1 . 2 ibidem 3 PEIRCE C.S . , op. ci!., 1 974 (3 .362), 1 978 (p. 1 44- 145). 4 BOUGNOUX D. , Illdices, icônes, symboles, op.cit., p.50. 5 BOUGNOUX D., Indices, icônes, symboles, op.cit., p.69.

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Les sous-indices ou hyposèmes sont des signes qui deviennent sous­indices ou hyposèmes principalement par connexion réelle avec leurs objets" 1 . L'indice impl ique donc bien la connexion dynamique entre deux "seconds": deux faits, deux choses, deux individus. Ce n'est donc pas un signe de confusion ou de continuité mais bien un signe unique impliquant une dualité. C'est "un signe ou une représentation qui renvoie à son objet ( . . . ) parce qu 'il est en connexion dynanl ique (y compris spatiale) et avec l 'objet individuel d'une part et avec les sens ou la mémoire de la personne pour laquelle il sert de signe, d 'autre part" 2 .

Questions d 'évolution La sémiogenèse proposée par Bougnoux repose sur une conception représentationnaliste des signes qui cadre mal avec le constructivisme de Peirce : i l y aurait le monde d 'un côté et les signes de l 'autre. Dans un premier temps, monde et signes seraient indistincts ( l ' indice), ensuite i ls se sépareraient mais en maintenant un lien de ressemblance ( l ' icône). Enfin, dans un dernier sursaut, ils perdraient définitivement le contact pour atteindre, comme le dit l 'auteur, "l 'abstraction, la combinatoire symbol ique et les nombres" (le symbole). Evoluer, c'est donc s'affranchir du monde par étapes successives. Cela laisse inexpl iqué le fait que l ' indice et l ' i cône n 'aient pas disparu avec l 'avènement des langages symbol iques mais qu 'au contraire i ls ont continué à se développer.

Pour Bateson l 'évolution s'est faite de façon complexe: "nous pouvons affimler, avec certitude, que l e système verbal de l ' homme n 'est pas dérivé de façon simple et d irecte de ces codes [kinésie e t paralangage] , qui sont essentiel lement iconiques [analogiques, dirions-nous] . La croyance communément répandue qui veut que, au cours de l 'évolution de l 'homme, le langage ait remplacé les systèmes moins élaborés ( . . . ) est, à mes yeux, entièrement fausse ( . . . )" 3. S' i l y a évolution complexe c'est-à-dire évolution parallèle et complémentaire de l 'analogique (l ' iconique et l ' indiciaire) et du digital (le symbolique) c'est parce que ces deux modes de communication rempl issent des fonctions radicalement différentes, i rréductibles l 'une à l 'autre. En termes peirciens, cela signifie qu' i l faut s ' interroger de façon plus approfondie sur les rapports qu 'entretiennent l ' icône et l ' indice d 'une part, ceux-ci et le

) PEIRCE C.S . , op. ci!. , ) 974 (2.283-2.284). ) 978 (p. ) 53) 2 PEIRCE C.S . , op. ci!., ) 974 (2.305), ) 978 (p. 1 58). 3 BATESON G., Redol/dal/ce et codificatiol/, op.ci!., p. 1 68.

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----------- L ';coll;c;lé -----------

symbole de l ' autre 1 . On peut aborder ce problème à partir de l 'exemple célèbre de Bateson où i l met en scène l 'interaction entre deux chiens : ceux-ci, s 'approchant l 'un de l ' autre, "échangent le message : «Nous n 'allons pas nous battre . » Mais la seule façon dont on peut mentionner le combat dans la communication iconique [analogique] est, en l 'occurrence, de montrer les crocs. Il leur faut ensuite découvrir que mentionner le combat de cette façon n 'était en fai t qu'une démarche exploratri ce . Pour cela, ils doivent d'abord explorer ce que veut dire l 'acte de montrer les crocs : ils sont alors obligés d'engager une bagarre, pour découvrir ainsi qu'aucun d 'eux, en fin de compte, n 'a l ' intention de tuer l 'autre ( . . . )". Bref, si un des deux chiens souhaite exprimer à son congénère qu'il ne désire pas engager le combat, i l doit "montrer l'opposé de ce qu'il veut dire pour laisser entendre qu'il veut dire l'opposé de ce qu'il montre" . C'est-à-dire qu'il doit, dans un premier temps, produire le même comportement que son congénère (prendre l'attitude du combattant) pour, ensuite, laisser entendre par une modulation qualitative de son coïnporfemenf (par un manque d'ardeur au combat, par des coups non appuyés, par des morsures partielles, etc. ) qu'il ne veut pas réel lement se battre . Ne pas vouloir se battre comprend donc une forme de communication iconique (imitation de l 'autre par un rejeu plus ou moins intériorisé de son comportement) et une forme de communication indiciaire (modulation et réglage réciproque du comportement respectif des congénères : menace de A -> réplique de B -> nouvelle menace et aboiement de A -> etc). Si cet exemple met en avant l 'étroite imbrication des mécanismes iconiques e t indiciaires, i l n e peut être question de les confondre : bien que l ' indice comporte une sorte d' icône "ce n 'est pas la simple ressemblance qu'il a avec l 'objet, même à cet égard, qui en fait un signe, mais sa modi fication réelle par l 'objet" 2.

Que penser de la présentation de Bougnoux ? Bateson, lui aussi, ne plaçait-il pas la synecdoque -c'est-à-di re l ' indice- à la genèse des signes ? Retraçons brièvement les principales étapes du raisonnement de celui-ci . Tout d'abord Bateson -qui suivait de près les travaux des théoriciens de l ' infom1ation- montre que la notion de redondance quand el le est appliquée au même univers de discours est équivalente

1 Nous nous interesserons essentiellement ici allX rapports entre icônes et indices. 2 PEIRCE C.S., op. cit ., 1 974 (2.248), 1 978 (p. 1 40).

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à la notion de signification (exemple : le message «Il pleut» est redondant par rapport au contexte référentiel où la pluie tombe) . Or, il est facile de constater que le monde extérieur se caractérise par ce type de redondance ( l 'arbre est redondant par rapport à ses racines, les nuages par rapport à la pluie, etc .) . Cette façon de penser lui permet de regrouper tous les modes de codification sous une seule catégorie, celle de " la partie-pour-le-tout" (de l'indice e n quelque sorte) e t d 'envisager l'évolution des systèmes de codification comme une série de modifications du rapport partie­tout : ( 1 ) la partie peut être un élément réel d 'une séquence ou d'un ensemble existant ; (2) la partie peut n'avoi r qu'une relation conditionnel le à son "tout" ; (3) la partie peut être entièrement coupée du "tout" qui est son référent. Dans ce dernier cas, la partie est devenue un véritable signal analogique. Mais Bateson p récise d'emblée que le développement d'un tel signal ne se fait "pas nécessairement en suivant l 'ordre, ci-dessus, des étapes 1, 2, 3" 1 . Cette dernière remarque nous semble essentiel le dans l a mesure où elle indique clai rement que J 'ordre d'apparition de ces différentes séquences n 'est pas, dans l 'esprit de Bateson, détenniné a priori. E n outre, ce dernier précise que les signaux produits dans ce type d ' interaction découlent nécessairement des actions des i nteractants eux-mêmes de sorte qu' i ls ne peuvent représenter un monde qui leur est véritablement extérieur. Pour cela, Bateson considère qu'il faudra "à la fois un changement de la codification et un changement dans le centrage du cadre sujet-prédicat" 2.

Deuxième conc lus ion l a complémen tarité i c o n i co-i n d i c i a i re. Entre Bateson et Bougnoux subsistent des différences importantes . Là où le premier voit des mécanismes analogiques impliquant outre des modes de codifications (synecdoque et analogie) un certain rapport au monde relatif à ceux-ci, le second ne voit que l'émergence d'un langage symbolique par arrachements successifs e t l inéai res du monde (réalisation de l a "coupure sémiotique") . O r la présentation de Bateson insistait sur l ' imbrication des processus, sur leur complexité et sur la difficulté de penser l inéairement l 'évolution des signes. La synecdoque (l ' indice) et l 'analogie (l ' icône) entretiennent donc des rapports étroits tout au long des premières étapes de l 'évolution, rapports qui déte rm inent corrélativement selon lui les interactants, leurs relations au monde et leurs systèmes de signes. Restent à approfondir les processus

1 idem, p. 1 74. 2 idem, p. 1 80.

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----------- L 'icol/icité -----------

cognitifs que ces systèmes impliquent et/ou soll icitent.

3. Dimen sion cogn i t ive de la sém iot ique p e i r c i e n n e : l ' autoréférence de l ' i n terprétance. C'est au travers de ses réflexions sur l ' interprétance que Peirce aborde la question de la cognition . Pour Deledal le, i l y a deux descriptions logiques de l ' interp rétant chez Peirce : "dans l'une, l'interprétant d'un signe est un autre signe; dans l'autre, l ' interprétant d'un signe est une habitude" 1. La première est cel le qui correspond à la définition générale du signe : l ' interprétant est un signe renvoyant à son tour à un signe interprétant "et ainsi de suite ad infinitum " (2 .303) . La seconde décrit comment cette prol ifération des interprétants sera interrompue . Pour Peirce, cette "fixation" de la sémiosis correspond à l'action d'un interprétant. Deledalle le qualifie de "pragmatique" et Peirce le nomme "final" : c'est l 'habitude .

Deledal le et avec lui le "groupe de Perpignan" 2 ont souvent considéré que le processus d ' interprétance était l ié aux trois grands mécanismes inférentiels décrits par Pei rce : l 'abduction, l ' induction et la déduction . Toutefois, il nous semble que cette position cadre mal avec certains propos de Peirce qui font de ces trois modes d ' inférence une trichotomie de l 'argument. Qui plus est, pour ces auteurs c'est la déduction qui final ise le processus d' interprétance en soumettant les interprétants dégagés par abduction et induction aux règles de la logique . L ' interprétant final (déductif) jugerait ainsi du bien-fondé des deux autres modes d ' inférence. Il semble toutefo i s difficile d e suivre cette interprétation car elle n 'explique en rien ce qui fait la particularité de l ' interprétant final , à savoi r son statut paradoxal : il doit être de ces signes qui renvoient à d'autres signes et en même temps i l doit être un signe de clôture, autrement dit un "non signe" (puisqu ' i l ne renverrait plus cette fois à un autre signe, cfr ci-dessus).

Répondre à ce paradoxe c'est cerner me semble-t-il une autre originalité du système pei rcien. En effet, la seule réponse logique que l 'on peut fournir ne réside pas dans le recours à une hypothétique déduction qui aboutirait -transcendantalement- à

1 Commentaire de DELEDALLE à sa traduction de PEIRCE, Ecrits sur le signe, op.cit., p. 2 1 9. 2 Cfr BRUZY C., BURZLAFF w., M<\RTY R., RETHORE J., "La sémiotique phanéroscopique de Charles S. Peirce", revue LOI/gages n058, Larousse, Paris, juin 1 980, pp.29-59.

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clore le processus de renvois de signes mais dans la nature profondément auloréférentielle de l ' interprétant final (et donc aussi de l 'habitude 1) qui, comme le précise Peirce, "renvoie à la manière dont le signe tend à se représenter lui-même comme étant e n relation avec son objet" 2 . Cet i nterprétant boucle donc l ' interprétation en renvoyant à lui-même et en déterminant corrélativement ce que Dupuy appelle "un point fixe" 3, c'est-à-di re ici un sens au signe. Ce faisant, l ' interprétant final est bien un signe (il "renvoie toujours de signe en signe") et il est bien également un signe de clôture 4.

De plus, on peut montrer que le processus d ' interprétance est m û par une seconde boucle récursive : u n representamen (R) suscite d'abord un interprétant immédiat (Ii) qui embraie le processus d' interprétance. Celui-ci renvoie à un interprétant dynamique (Id) qui inscrit le signe dans un renvoi de signe à signe. Enfin, l ' interprétant dynamique renvoie à un interprétant final (If) qui clôt temporairement l ' interprétation par un bouclage du signe interprétant sur lu i-même en détem1inant du même coup l 'objet du representamen . Temporai rement car il s'agit là d'une clôture provisoire (l 'habitude pouvant toujours être remise en question): l ' interprétant final peut venir nourrir un nouvel i nterp rétant immédiat et relancer de la sorte le processus d' interprétation . Ce double mouvement autoréférentiel peut être représenté de la façon suivante :

l "L 'habitude fonnœ délibérément par analyse d'elle-même -parce que fonnée à l 'aide des exercices qui la nourissent- est la définition vivante, l ' interprétant logique véritable et final", PEIRCE C.S., op. cil., 1 974 (5.492), 1 978 (p. 1 37). 2 PEIRCE C.s., op. cit., 1 974 (4.536), 1 978 (p. 1 89). 3 Le "point /i"e" caractérise, dans le cadre des théories portant sur l' "auto­organisation" , le compor/ement propre d'un système autoréférentiel. Par là, Varela entend désigner les cohérences internes à même de présenter les unités d 'un système autoréférentiel (et donc autonome). Chacun de ces comportements peut être défmi par un "point fL"e" c'est-à-dire par une valeur qui reste stable dans le système analysé. Ainsi la proposition "celte phrase a vingt-huit lettres" constitue un système autoréférentiel dont "vingt-huit" fonne le comportement propre ou le point fixe. Car "vingt-huit" est une "propriété de la proposition qui dépend de l'expression mâne de celte propriété". Cli" Dupuy 1.P., Ordres et désordres. Enquête sur un nouveau paradigme, Seuil, 1 982, p. 1 1 9 et sv. 4 SlU" le 'rapprochement entre autoréférence, point fixe et sens cfr VERHAEGEN Ph., Signe et alltoréférence. Essai de modélisation de la communication sur base de la théorie sémio-pragmatique de CS.Peirce, Thèse doctorale, Louvain-la-Neuve, Département de conullunication, UCL, 1 988.

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----------- L ';con;c;té -----------

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Autoréférence de l ' i cône Cette rapide description concerne le processus d' interprétance des symboles. Dans l ' icône la double boucle récursive n 'en forme plus qu'une autoréférence du processus d ' interprétance ' e t autoréférence de l ' interprétant final se confondent. Dans une présentation phi losophique des différentes formes propres à la troi sième catégorie, Peirce soutenait que "le troisième le plus dégénéré est ce que nous concevons être une pure qualité du Sentir, ou un Premier [c'est-à-dire un qualisigne iconique rhématique] , mais comme se représentant soi -même à soi-même comme une Représentation . Telle serait, par exemple, la Pure Conscience-de­Soi, laquelle peut sommai rement être décrite comme un simple sentir qui a un obscur instinct d'être un germe de pensée" 1 . Dans toutes les formes de tiercéité (de la plus authentique à la plus dégénérée), il y a au minimum auto-représentation. Mais quelle serait la nature de celle-ci ?

Pour répondre à cette question, Peirce développe une argumentation où i l développe sa conception personnelle du "point fixe" . Cherchant à expl iquer l'exemple de la "pure conscience de soi" , il propose au lecteur de réfléchir à la situation suivante . " Imaginez, dit-il, que sur le sol d'une contrée qui a une frontière simple ( . . . ) se trouve une carte de cette même contrée. ( . . . ) je supposerai que chaque point de la carte représente un simple po int de la contrée. Supposons en outre que ( . . . ) la carte elle-même sera reprise sur la carte, et sur cette carte de la carte tout ce qui est sur le sol de la contrée pourra être discerné ( . . . ) . Donc i l y aura à l'intérieur de la carte, une carte de la carte, et dans cel le-ci une carte de la carte, et ainsi ad injinifum. " Peirce réitère donc chaque fois l'opération qui consiste a reprendre sur la carte la place occupée par l a carte précédente et ainsi à l ' infini . "Chacune de ces cartes étant dans les l imites de cel les qui la précèdent dans la série, i l y aura un point contenu à la fois dans

1 PEIRCE C.S . , op. ci!., 1 974 (5 .7 1 ). Nous traduisons.

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toutes, et celui-là sera une carte de lui-même. Toute carte rep résentera directement ou indirectement la contrée el le-même représentée dans la suivante ( . . . ) le point qui se trouve dans toutes les cartes n 'est en lui-même la représentation de rien d'autres que de lui et pour rien d'autres que pour lui . C'est, pour cette raison, une analogie de la pure conscience de soi . Comme tel , il est auto­suffisant. Ce qui le sauve d'être insuffisant, c'est-à-dire de n 'être pas suffisant du tout, c'est la circonstance qu'il n'est pas tout-suffisant, c'est-à-di re que ce n'est pas une représentation complète, mais seulement un point sur une carte continue." 1

Le seul élément qui empêche que le troisième le plus dégénéré, à savoir l' icône, ne soit pas une représentation du tout, c'est son caractère partiel, incomplet. C'est à ce p rix que l 'autoréférence est pensable, à ce prix qu'il peut y avoi r des signes. Le processus d'interprétance de l ' icône en est ainsi réduit à sa plus simple expression, celui d'un interprétant qui fait réflexion sur lui-même. La contraction du processus est telle qu'il n'y a plus de d istinction possible entre différents interprétants . L'interprétant est final et immédiat. JI ne reste plus que l 'opérateur autoréférentiel pour pemlettre à l ' icône de fai re signe.

If =tJ

Cette contraction extrême a pour effet inversement d e favori ser l'évocation d'autres icônes par un glissement imperceptible de signe à signe. L'opérateur autoréférentiel constitue ainsi la clôture en même temps que l'ouverture de l' icône (tout comme le point fixe de la carte des cartes est à la fois la synthèse de toutes les cartes de la série et la porte qui ouvre à toutes les séries possibles) .

Contrai rement à l 'affirmation de Bougnoux ci-dessus, l'univers déployé par l 'icône est un univers d'indistinction e t d'indifférenciation . J I ne peut produire d'instances spécifiques. Simplement il est perçu comme un "tout" bien qu'il ne soit en fai t que partiel : sur le moment c'est un pur rêve nous a dit Peirce, une pure i l lusion. L' " interprète" n'existe que dans sa participation affective à cet univers, monde de qualités ou la question du réel ne peut être posée . C'est un univers qui s'impose à l 'entièreté du champ de la conscience sans laisser à celui-ci la possibil ité de se réfléchi r. C'est l 'lll1ivers de la conscience immédiate c'est-à-di re, comme le dit

1 Ibidem

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très justement notre auteur, qu'il n'y a pas de conscience qui soit possible en lui . C'est aussi l'univers du sentiment puisqu'un "sentiment est absolument simple et sans partie", puisqu'il est tout ce qu'il est positivement en lui-même" .

On le voit, l'icône est à la l imite du "non signe", de l ' in-signifiant. Tout langage, tout mode d'expression possède son degré propre d'icônicité : plus i l s'en approche, plus i l risque de se perdre en tan t que signe. Pour Lyotard par exemple, c'est l e différend qui caractériserait cet état limite car "(c' )est l'état instable et l ' instant du langage où quelque chose qui doit pouvoir être mis en phrases n e peut pas l'être encore. Cet état comporte l e silence qui est une phrase négative, mais i l en appelle aussi à des phrases possibles e n principe. C e que l 'on nomme ordinairement l e sentiment signale cet état. «On ne trouve pas ses mots», etc. I l faut beaucoup chercher pour trouver les nouvelles règles de formation et d'enchaînement de phrases capables d'exprimer le différend que trahit le sentiment si l'on ne veut pas que ce différend soit aussitôt étouffé en un l itige, e t que l'alerte donnée par le sentiment ait été inuti le . " 1 Mais ce faisant nous quittons bien entendu l'univers iconique pour l'univers symbolique.

Autoréférence de l ' in d i ce Dans la mesure où l ' indice est un signe susceptible de renvoyer lui aussi à un autre signe, il nécessite également une clôture du processus d'interprétance. Toutefois le propre de l'indice est de se présenter comme étant une partie de son objet : i l est " redondant" car il contient des informations sur la partie manquante . Ainsi la fumée renvoie au feu et l 'arbre à ses racines mais le feu peut aussi renvoyer à "bois" et les racines à celles d'une plante au l ieu de celles d'un arbre . La clôture de l ' interprétance n 'est donc pas comparable à cel le du symbole : ici le signe est renvoyé à sa répl ique, c 'est-à­dire passe par l 'établ issement d'un double point fixe correspondant à la mise en place réciproque de l'indice et de son objet. " Par exemple, je pointe mon doigt vers ce que je veux dire, mai s je ne peux pas fai re que mon compagnon sache ce que je veux dire, s'il ne peut le voi r, ou s i , l e voyant, cet objet ne se sépare pas dans son esprit des objets qui l 'entourent dans le champ de vision" 2 . Pour que l'index tendu fonctionne comme indice il faut donc que l'objet qu'il désigne fOffile avec lui un tout dont les parties s'appellent réciproquement. Cela n'est pas sans avoi r de retombées sur la

1 LYOTARD J .F . , Le diJ]i.irelld, Ed. de Minuit, Paris, 1 983, p.29. 2 PEIRCE C.S. , op. ci! . , 1 974 (8.3 1 4 ).

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relation qui unit l 'objet et l 'interprétant : "un indice est un signe qui perdrait immédiatement le caractère qui en fait un signe si son objet était supprimé, mais ne perdrait pas ce caractère s ' i l n 'y avait pas d'interprétant" 1 . Doit-on entendre que l 'indice n'aurait pas d'interprétant ? Nullement, toutefois ce n'est pas celui-ci qui fait de l'indice un signe mais bien son objet. Dans un acte de communication, il va de soi que l'indice n'«existera» que dans le cadre d'une relation triadique. Ce que Peirce entend soul igner, c'est que l'existence même de l 'indice n'est pas avant tout fonction de l'interprétation qui lui sera donnée. L'exemple qu'il donne est clair sur ce point : soit "un moulage avec un trou de balle dedans comme signe d'un coup de feu; car sans le coup de feu il n'y aurait pas eu de trou ; mais il y a un trou Ià,que quelqu'un ait l'idée de l 'attribuer à un coup de feu ou non . " 2

La clôture du processus d'i nterprétance oscil lerait donc entre la reconnaissance immédiate de l 'indice affecté par son objet (c'est-à­dire l 'Ii) et l 'effet réel produit par ce signe (c'est-à-dire l'Id). Ces deux interprétants fonnent de la sorte une boucle que nous pouvons considérer comme constitutive non pas d'un mais de deux points fixes : l 'indice en lui-même (Ii) et son effet sur l 'objet ( la désignation de celui-ci) ou sur l ' interprète (Id). L'interprétant fi nal développe ainsi un cycle limite possédant deux valeurs propres :

If = l i ----i.� Id

t 1 Ce bouclage bistable a des propriétés bien différentes de celles produites par l'interprétant final logique. Si dans les deux cas, il y a bien auto-affirmation de soi (et donc, à proprement parler, "signe"), pour l'indice il s'agit d'une affimlation bi-valente : affimlation de lui-même et affimlation de ce qu'il désigne ou de ce par quoi il est affecté . Autrement dit l' indice est incapable de "se réfléchir" (au sens de renvoyer à lui-même) sans obligatoirement passer par ce qu'il désigne pour être reconnu comme indice 3 . L'indice n'engendre pas un système de partitions comparable à celui du symbole. Sa nature duale le pousse à mettre en contact les signes

1 PEIRCE C.S. , op. ci!., 1 974 (2.304), 1 978 p. 1 39- 1 40. 2 Ibidem 3 Ainsi

'Ie doigt tendu orienté non plus vers un objet ou une personne mais vers le haut, perd son staM cl ' indice pour celui de symbole signifiant par exemple « u n geste d'attention marquant la volonté de son auteur de prendre la parole».

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et les choses, les signes et leurs interprètes de façon toujou rs singulière et particul ière . Cela n'empêche pas une certaine ambiguïté. Ainsi l ' index qui pointe attire-t-il le regard de l ' interprète dans une certaine direction ou désigne-t-il un objet dont il constitue une empreinte ? Le propre de l'indice est de jouer de son anlbivalence et de son incapacité à " représenter" 1 son objet . C'est pourquoi i l est, comme dirait Véron, un "opérateur de glissements", il permet de glisser de l 'objet à l ' interprète (et vice versa) sans pour autant être capable de les différencier. I l s'adresse indifféremment à l'un et à l 'autre en leur assignant toujours une p lace complémentaire à "lui " .

4. C o n c l u s i o n s D e ses discussions sur les rapports qui l ient l ' icône, l ' indice e t le symbole, trois constats peuvent être faits .

La redondance comme autoréférence Entre l 'autoréférence du système pei rcien et la redondance redéfinie par Bateson, il y a manifestement un certain recouvrement : cel le-ci est synonyme de signification à partir du moment où les deux concepts s'appl iquent au même univers de discours : "Dans ma conception, si le destinataire peut deviner les éléments manquants du message, il faut bien que les é léments reçus portent une «signification» quant aux éléments m anquants, signification qui n 'est autre chose qu'une information à propos de ceux-ci" 2. Un message comporte donc une infonnation sur l ' infonnation manquante . Cela vaut aussi bien pour les messages à codification digitale que pour ceux codés analogiquement. C 'est pourquoi "la description verbale est souvent iconique dans sa stmcture plus vaste . Un natural iste qui décrit un ver de terre peut commencer par la tête et descendre peu à peu vers l 'autre extrémité: i l produira ainsi une description qui est iconique dans sa séquence et son élongation" 3. Peirce n'aurait rien dit d'autre .

. L'autoréférence explique aussi la clôture du signe en général et de chacune de ses variantes en particulier. L'univers des signes est clos

l "Pour que quelque chose soit un signe, il faut, conuue on dit, qu'i l « représente» quelque chose d'autre, appelé son objet , bien que la condition stipulée qu'un signe soit autre que son objet soit peut-être arbitraire, puisque, si nous maintenons cette condition, il faut à tout le moins que nous fassions une exception dans le cas d'un signe qui est une partie d'un signe. " cfr PEIRCE C.S., op. cil . , 1 974 (2 .230), 1 978 p. 1 2 3 . 2 BATESON G., Redol/dal/ce e t codificatiol/, op.cil., p. 1 7 ! . 3 BATESON G., « Style, grâce et infonnation dans J 'art primitif » i n Vers une écologie de l 'esprit, T. I , op. cÎt. , p. 1 44- 1 45 .

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sur lui-même et le monde qu'ils tentent de représenter se dérobe toujours à eux. C'est la raison pour laquelle le signe ne peut ni fai re connaître ni reconnaître son objet "car c'est ce que veut dire dans le présent volume objet d'un signe, à savoir ce dont la connaissance est présupposée pour pouvoir communiquer des informations supplémentaires le concernant" 1 . L'autoréférence résulte de l ' attitude constructiviste de Peirce : elle assure l 'autonomie des signes.

De l'autoréférence à l'hétéroréférence Si la redondance et l 'autoréférence sont à la base du fonctionnement des signes, alors le problème de l 'évolution de ceux-ci ne se pose plus en terme de passage de l ' indice à l ' i cône (entendus ici au sens étroit de deux classes de signe) mais plutôt en terme de passage de l 'autoréférence naturelle des signes à l 'héléroréférence (capacité de "parler" d'autre chose que d 'eux­mêmes). Comme le disait Bateson ci-dessus, le fai t exceptionnel dans l 'évolution n 'est pas la capacité d 'abstraction digitale mais la découverte du moyen de parler d 'autre chose que des relations. E t dans la foulée i l précisait : " cette découverte, quoiqu'effective, n ' a que fort peu modifié le comportement des êtres humains. Si A dit à B : «L'avion doit décoller à 6h30», i l est rare que A y voie purement et simplement un énoncé sur un fait concernant l ' avion. Le plus souvent, i l consacrera quelques neurones à chercher une réponse à la question : «Qu'est-ce qu'un tel énoncé venant de A signifie quant à ma relation avec lui ? » En somme, quoique nous ayons appris depuis peu quelques IniCS l inguistiques, notre héritage de mammifère n 'est pas très profondément enfoui" 2. En termes sémiotiques, cela revient à dire que le passage à l 'hétéroréférence ne rend pas caduque l 'autoréférence du signe mais au contrairé qu'elle doit être comprise comme un prolongement de celle-ci .

La nécessité de l 'icône Quelque soit la manière dont on aborde le problème, on aboutit à l ' i cône. Même la question de la sémiogenèse ne peut y éch�pper. Dire de l 'indice ou de «Ia-partie-pour-Ie-tout» qu'ils constituent l 'aube des signes, c 'est oublier le rôle de l ' icône qui s'y joue. Ainsi, par exemple, reconnaître les crocs comme indice de la menace, c'est reconnaître le même signe dans ses différentes répliques et au travers de ses différentes manifestations, c 'est également reconnaître que les crocs sont comme "la brusque avancée du

1 PEIRCE C.S. , op. cil . , 1 974 (2 .231 ); 1 978, p. 1 23 . 2 BATESON G. , Problèmes de comnlllllicaliol/ chez les cétacés, op. cit. , p. 1 2 ! .

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tronc", comme "le hérissement des poils", comme "le grognement sourd", etc. , des signes du combat. Et c'est précisément cette caractéristique qui place l ' icône au centre du mécanisme de l ' interprétance : elle seule peut établir des l iens, constru ire des analogies, suggérer -Peirce aurait dit "abduire"- des rapprochements : "une des grandes propriétés distinctives de l 'icône est que par son observation directe peuvent être découvert concernant son objet d'autres vérités que celles qui suffisent à détenniner sa construction. Ainsi, au moyen de deux photographies on peut tracer une carte, etc ." 1 . Mais l ' icône ne peut juger du bien­fondé de ce qu'elle présente : elle n 'est qu'une "priméité", un "possible". Si on s'accorde maintenant sur le fait que l ' image n'est pas nécessairement une icône et, en tout cas, que celle-ci n 'est pas une image, alors on peut envisager l 'ouverture de l 'autoréférence à l 'hétéroréférence comme une série de boucles iconico-indiciaires, où l 'indice implique l ' icône qui pennet de reconnaître l ' indice e t ainsi de suite . Dans cette optique l ' image -au sens usuel- (tou t comme l e symbole) apparaîtraient comme u n développement de ce dispositif in itial et non comme une nouvelle étape provenant d 'une rupture avec le monde (la "coupure sémiotique"). Mais cette sémiogenèse reste à écrire.

1 PEIRCE C.S. , op. cil . , 1 974 (2.279); 1 978, p. 1 50.

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