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Sandrine Kott, « L’Allemagne et la Pologne dans l’entre-deux-guerres : la construction d’un...

Date post: 29-Mar-2023
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1 Allemagne et Pologne dans l’entre-deux guerres La construction d’un couple d’ennemis Sandrine Kott Paru dans François Bafoil (sous la dir. de), La Pologne, Paris, Fayard, 2007, p.97-117. Selon la légende, Wanda princesse polonaise de Cracovie (Krakow/ Krakau) aurait préféré se noyer plutôt que d’épouser une prince allemand. Au terme d’une vision téléologique de l’histoire dont les nettoyages ethniques de la période 1939-1947 marqueraient le terme tragique, et la période de l’entre deux guerres un funèbre prélude, ce récit constituerait le symbole d’un antagonisme profond et « héréditaire » entre Allemands et Polonais, entre Pologne et Allemagne. Mais il est une autre lecture, moins téléologique, de la légende de la princesse Wanda. Celle- là insiste moins sur l’antagonisme et son issue fatale que sur la possibilité du lien (ici le mariage) entre une princesse polonaise et un prince allemand. Car l’histoire des relations entre Allemands et Polonais est bien d’abord celle d’une longue cohabitation. Durant des siècles, les Polonais et les Allemands, mêlés les uns aux autres, se sont certes affrontés mais moins dans des luttes « ethniques » et nationales que pour des mobiles économiques, politiques ou religieux. Les multiples images produites de part et d’autre témoignent d’abord de l’existence de cette histoire partagée tout au long de laquelle il a parfois été difficile de fixer précisément les limites entre le « nous » et l’autre. Sur le territoire de la Seconde République polonaise, la présence allemande est donc ancienne ; elle a des origines diverses qui s’expliquent largement par l’existence d’intérêts comme d’ennemis communs. Au XIIIè siècle c’est contre les Prusses païens (ou Borusses) et non contre les Polonais que les chevaliers teutoniques partent en guerre. Ils y sont encouragés par le prince polonais Conrad de Mazovie et de Cujavie qui, en échange de leur protection militaire, propose de leur céder des terres à la frontière avec la Prusse (région de Chelmno/Kulm). Il est vrai que les relations entre chevaliers teutoniques et princes voisins furent marquées par des guerres, mais celles-ci entraient alors dans le cadre de rivalités territoriales traditionnelles. Il est vrai également que la prospérité du royaume des chevaliers au XIVè siècle s’accompagna d’un mouvement migratoire en provenance d’Allemagne que le développement économique et l’urbanisation qui s’en suivirent doivent beaucoup à des
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Allemagne et Pologne dans l’entre-deux guerres

La construction d’un couple d’ennemis

Sandrine Kott

Paru dans

François Bafoil (sous la dir. de), La Pologne, Paris, Fayard, 2007, p.97-117.

Selon la légende, Wanda princesse polonaise de Cracovie (Krakow/ Krakau) aurait préféré se

noyer plutôt que d’épouser une prince allemand. Au terme d’une vision téléologique de

l’histoire dont les nettoyages ethniques de la période 1939-1947 marqueraient le terme

tragique, et la période de l’entre deux guerres un funèbre prélude, ce récit constituerait le

symbole d’un antagonisme profond et « héréditaire » entre Allemands et Polonais, entre

Pologne et Allemagne.

Mais il est une autre lecture, moins téléologique, de la légende de la princesse Wanda. Celle-

là insiste moins sur l’antagonisme et son issue fatale que sur la possibilité du lien (ici le

mariage) entre une princesse polonaise et un prince allemand. Car l’histoire des relations entre

Allemands et Polonais est bien d’abord celle d’une longue cohabitation. Durant des siècles,

les Polonais et les Allemands, mêlés les uns aux autres, se sont certes affrontés mais moins

dans des luttes « ethniques » et nationales que pour des mobiles économiques, politiques ou

religieux. Les multiples images produites de part et d’autre témoignent d’abord de l’existence

de cette histoire partagée tout au long de laquelle il a parfois été difficile de fixer précisément

les limites entre le « nous » et l’autre.

Sur le territoire de la Seconde République polonaise, la présence allemande est donc

ancienne ; elle a des origines diverses qui s’expliquent largement par l’existence d’intérêts

comme d’ennemis communs. Au XIIIè siècle c’est contre les Prusses païens (ou Borusses) et

non contre les Polonais que les chevaliers teutoniques partent en guerre. Ils y sont encouragés

par le prince polonais Conrad de Mazovie et de Cujavie qui, en échange de leur protection

militaire, propose de leur céder des terres à la frontière avec la Prusse (région de

Chelmno/Kulm). Il est vrai que les relations entre chevaliers teutoniques et princes voisins

furent marquées par des guerres, mais celles-ci entraient alors dans le cadre de rivalités

territoriales traditionnelles. Il est vrai également que la prospérité du royaume des chevaliers

au XIVè siècle s’accompagna d’un mouvement migratoire en provenance d’Allemagne que le

développement économique et l’urbanisation qui s’en suivirent doivent beaucoup à des

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modèles allemands (tout particulièrement l’introduction du droit allemand). Il faut néanmoins

se garder d’interpréter ces réalités médiévales à travers une grille nationale postérieure. Les

migrations ont commencé dès le XIIè siècle souvent à l’appel des princes polonais qui,

soucieux de développer leurs domaines, font venir des compétences, en provenance des

limites méridionales et occidentales de l’aire germanique. Au milieu du XIVè auraient ainsi

cohabité paisiblement à Cracovie 3 500 Allemands, 5000 Polonais et 800 juifs. Si au XIIIè

siècle, les compte-rendus municipaux sont rédigés en allemand l’ouverture des corporations

aux Polonais dans le courant du XVè siècle encourage d’ailleurs une polonisation progressive

des élites allemandes. C’est aussi d’abord à l’invitation des princes locaux que les premiers

colons allemands arrivent à Dantzig (Danzig/Gdansk) au XIIè siècle avant même les

chevaliers teutoniques et c’est en s’alliant avec les princes polonais qu’ils se libèrent en 1466

de la tutelle de ces derniers. Dans une grande partie des villes polonaises, la présence

allemande ancienne ne peut donc être interprétée comme une colonisation rampante. C’est

pourtant ainsi qu’elle a été stigmatisée à partir du XIXè siècle par les nationalistes polonais ou

magnifié par les nationalistes allemands et leurs continuateurs nazis.

Cette interprétation n’est que le couronnement d’une nationalisation/étatisation progressive

des représentations de l’ « autre » dans le courant du XIXè siècle. Les Allemands de Pologne

sont progressivement transformés en sujets de l’Empereur d’Allemagne dans la période du

Kaiserreich (1871-1914) alors que les Polonais de l’Empire deviennent des ennemis

potentiels de celui-ci. Au sein de ce cadre interprétatif les relations entre Polonais et

Allemands se chargent de nouvelles significations et adoptent des formes spécifiques qui

culminent dans le période de l’Entre-deux-guerres. Il s’agit alors désormais de délimiter

soigneusement les frontières entre les Etats territoriaux et d’identifier des « minorités

nationales » perçues comme exogènes au corps de la nation et dangereuses pour son équilibre.

Le tout s’alimente de l’affirmation d’une conception de soi et de l’autre et de la mythification

progressive des relations dans laquelle les historiens ont joué un rôle décisif. La question des

frontières, celle des minorités étroitement imbriquées l’une dans l’autre, sont au centre de

notre période. Mais celles-ci sont largement portées par ces représentations croisées élaborées

tout au long du XIXè siècle. C’est selon ces trois axes que nous aborderons ici la question des

relations germano-polonaises sous la Seconde République.

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1. Séparer les Allemands et les Polonais: fixer les

frontières

La Pologne a disparu dans les trois partages de la fin du XVIIIè siècle (1772,1793 et1795).

Mais la disparition de l’Etat polonais n’a pas empêché le maintien ou le développement d’une

« conscience nationale » polonaise. Elle s’est manifestée avec éclat lors des diverses

insurrections du XIXè siècle (1830-30, 1846, 1848, 1863-64) ; elle s’est consolidée au jour le

jour dans des associations culturelles et politiques, particulièrement vivantes dans la Posnanie

prussienne où la modernisation économique a encouragé le développement d’une élite sociale.

C’est dans la Pologne du congrès, que les figures de proue de la vie politique polonaise de

l’entre deux guerres organisent les grands partis politiques. Jozef Pilsudski, est co-fondateur

du parti socialiste polonais en 1892 à Varsovie. Roman Dmowski y écrit ses Pensées sur une

Pologne moderne dans lequel il défend un nationalisme imprégné d’une vision organiciste de

l’identité polonaise ; il y fonde le mouvement national-démocrate en 1903. Ces militants

politiques trouvent souvent asile en Galicie autrichienne, peu développée économiquement

mais où les élites nobiliaires polonaises jouissent d’une large autonomie. C’est là également

que s’organise le parti paysan polonais.

Dans leurs revendications nationales, les Polonais ont parfois trouvé l’appui de la France qui

est loin de n’être guidé que par des mobiles généreux. Mais la Première guerre mondiale

présente une occasion décisive et un moment privilégié pour faire progresser cette cause. Le

treizième point du discours de Wilson du 8 janvier 1918 fait droit aux revendications

nationales polonaises : « Un État polonais indépendant devra être créé, qui comprendra les

territoires habités par des populations indiscutablement polonaises, auxquelles on devra

assurer un libre accès à la mer ». Le congrès de Versailles se trouve donc devant la difficile

tâche de dessiner les frontières d’un nouvel Etat peuplé de « Polonais » et viable

économiquement.

1.1. La frontière occidentale dans son histoire

Un rapide retour sur l’histoire de la frontière occidentale souligne amplement les difficultés

d’un tel objectif. Les territoires contestés entre les Allemands et les Polonais à l’issue de la

Première guerre mondiale sont passés sous dominations successives de princes et

gouvernements allemands, prussiens et polonais, voire d’autres encore qui ne se sont ni

pensés comme des défenseurs d’une nation ni comme ceux d’un peuple. L’histoire paradoxale

de la Prusse montre assez les limites de cette vision rétrospective. Si elle devient à la fin du

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XIXè siècle le centre politique de l’Allemagne ce n’est que tardivement et à la faveur du

hasard des successions que ses territoires orientaux qui en constituent le cœur sont devenus

allemands. En 1815 ni l’ancien duché de Prusse tombé en 1618 dans l’héritage des

Hohenzollern du Brandebourg, ni les territoires acquis par la Prusse lors des trois partages de

la Pologne : Posnanie et Prusse occidentale ne sont d’ailleurs intégrées à la nouvelle

confédération germanique ; ils sont prussiens mais ne sont ni politiquement ni

« ethniquement » allemands. C’est le rôle moteur joué par la Prusse dans le processus

d’unification qui en font des territoires constitutifs du premier Etat allemand uni en 1871.

Pour la première fois de leur histoire ils appartiennent alors à l’espace politique allemand.

C’est dans ce nouveau cadre national, dans le contexte d’affermissement de l’autorité d’un

Etat fragile, qu’ils sont soumis à une politique de germanisation. Celle-ci contredit d’ailleurs

largement la lettre et l’esprit du traité de Vienne de 1815 qui en entérinant les partages de

1772, 1793 et 1795 avait insisté sur la nécessité de respecter la culture polonaise, souci

réaffirmé alors par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III.

De même la « grande Pologne » du XVIIè siècle était un ensemble multiethnique par la

langue et la religion, gouvernée par une noblesse polonaise, lithuanienne, biélorusse,

ukrainienne, allemande au sein de laquelle le latin servait encore largement de langue de

communication. Il est vrai qu’au XVIIIè siècle l’usage du Polonais a tendu à se généraliser

mais c’est surtout au XIXé siècle, durant la période de disparition de l’Etat polonais que la

Pologne se nationalise.

Fonder le tracé des frontières et la politique nationale sur des droits historiques et ethniques,

comme ce fut souvent le cas dans les écrits politiques de l’époque est donc d’abord le fruit

d’une réinterprétation nationaliste de cette même histoire. En réalité, ces tracés résultent

d’ailleurs d’abord d’un équilibre politique international et secondairement –pour ce qui est de

l’Ouest- d’un état des forces sur le terrain. Jozef Pilsudski, chef du gouvernement provisoire

installé à Varsovie le 11 novembre 1918, mobilise des troupes patiemment organisées depuis

1900 pour assurer les frontières du nouvel Etat qu’il vient de proclamer tandis qu’à Paris, le

national démocrate Adam Dmowski, chef du comité national et de la délégation polonaise à

Versailles, défend son plan de redéfinition des frontières occidentales. Dans un mémorandum

remis en février 1919, Adam Dmowski revendique un territoire de 84 000 km2 sur

l’Allemagne vaincue. Les régions administrées par la Prusse depuis le partage de 1795

devraient être cédées à la Pologne, soit la Posnanie et la Prusse occidentale mais les

nationaux-démocrates demandent également des territoires passés plus anciennement sous

domination prussienne à l’issue des conflits entre les puissances européennes dans le courant

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des XVII et XVIIIè siècles : certains districts de Haute Silésie, de Poméranie orientale ainsi

que le Sud de la Prusse orientale. Si les alliés avaient suivi les revendications de Dmowski, les

possessions allemandes à l’Est de l’Elbe se seraient limitées à une petite enclave autour de

Königsberg/Kaliningrad, soit le berceau originel de l’ancien territoire des chevaliers

teutoniques en Prusse.

La Posnanie était certes majoritairement polonaise (entre 60 et 65%), mais la Haute

Silésie était réellement mixte et la Prusse occidentale (Pomérélie) majoritairement

germanophones ou bien encore peuplé de populations slaves plutôt acquises aux autorités

allemandes. Mais Dmowski récuse dans ce cas l’argumentaire culturel compris dans le 13è

point, car la domination culturelle « allemande » résulterait de la germanisation forcée de

populations ethniquement polonaises. A Dantzig, 96% de la population s’était déclarée

allemande à la veille de la guerre mais les nationaux démocrates qui se présentent volontiers

comme les protecteurs des slaves contre les Allemands affirment que la moitié au moins est

« fondamentalement » polonaise mais germanisée.

C’est qu’en réalité, les propositions extrêmes d’Adam Dmowski lors des négociations de paix

doivent également être replacées dans l’histoire plus longue des relations germano-polonaises.

Elles constituent une réponse aux visions fantastiques développées par les pangermanistes,

organisés depuis 1891 au sein d’une ligue nationale ou par les Hatakistes regroupés depuis

1894 dans l’association pour les Marches orientales (Ostmarkenverein). Ils voient dans

l’annexion et même l’évacuation de larges territoires en Europe centrale la solution aux

difficultés de l’Allemagne. Certes ces visions radicales exposées dans des brochures

largement diffusées à la veille de la Première guerre mondiale ne sont pas partagées par toute

la classe politique allemande et se heurtent tout particulièrement à l’hostilité du chancelier

Bethmann Hollweg mais elles exercent une influence sur certains administrateurs prussiens et

dans les milieux militaires, tout particulièrement dans les cercles qui, autour de Luddendorf

et Hindenburg, dominent l’état major à partir de l’été 1916. Elles s’affirment durant la

Première guerre mondiale, vue par les pangermanistes mais aussi par un nombre croissant

d’intellectuels et d’administrateurs comme l’occasion de réaliser les plans d’expansion vers

l’Est.

Après les offensives victorieuses de 1914-1915 la Pologne du Congrès, passe sous l’autorité

de la coalition germano-autrichienne et si les autorités politiques et militaires allemandes

promettent l’indépendance en 1916 c’est surtout afin que l’armée puisse lever des contingents

polonais. Dans le même temps le comité nationale polonais réuni à Paris depuis le mois

d’août 1917 a convaincu les alliés : France, Grande Bretagne puis Etats Unis de la nécessite

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stratégique de reconstituer un Etat polonais. Il aurait l’avantage de constituer un sorte de

limite orientale aux ambitions allemandes et d’endiguer le développement du bolchevisme à

l’Est.

1.2. Le compromis impossible

A la fin de la guerre, les nationalistes polonais jouissent d’une conjoncture favorable. La

disparition des Empires austro-hongrois et russe ouvre la voie à une reconstitution rapide du

nouvel Etat. La situation est plus compliquée à l’Ouest car si l’Allemagne est vaincue, le pays

n’a pas été envahi et occupe même des territoires à l’Est. La question des frontières entre

Pologne et Allemagne est discutée de janvier à juin 1919 tandis qu’elles prennent forme sur le

terrain. Des troupes polonaises, engagées auparavant dans les armées belligérantes, assurent

l’occupation de la Posnanie et d’une partie de la Haute Silésie non sans combats avec des

corps francs et groupes d’autodéfense allemandes.

A l’issue de négociations difficiles, les frontières sont fixées en juin 1919 ; elles constituent

globalement un retour à la situation d’avant les partages du XVIIIè siècle. La nouvelle

Pologne reçoit la Posnanie amputée de quelques districts occidentaux et la plus grande partie

de la Prusse occidentale (Pomérélie) qui garantit au nouvel Etat un accès à la mer et sa

viabilité économique. Dantzig, déclarée ville libre fin juillet 1919 est placée sous la protection

de la SDN. Le nouveau Sénat indépendant s’engage à respecter le droit des minorités

polonaises tandis que les responsables politiques polonais maintiennent un droit de regard sur

les affaires portuaires, les voies d’eau et sur la Westerplatte à l’embouchure de la Weichsel ;

ils peuvent d’ailleurs y entretenir une compagnie militaire polonaise de 182 hommes. Des

référendums sont prévus pour certains districts de Haute Silésie et de Masurie. Ces frontières

résultent largement de marchandages entre les négociateurs français et anglais. Les premiers

voient dans le renforcement de la Pologne le moyen d’assurer leur sécurité tandis que les

seconds redoutent les risques d’irrédentisme allemands produits par la cession de territoires

germanophones à la Pologne et les menaces d’une seconde guerre européenne qu’elle

produirait.

En réalité, les frontières fixées en 1919, contestées par les responsables polonais et allemands

sont porteuses de conflits. La situation de la Prusse orientale isolée de l’Allemagne par une

bande de terre que les Allemands appellent rapidement le « corridor » constitue un problème

majeur, de même que la situation quasi-insulaire de Dantzig. La ville devient d’ailleurs

rapidement le nœud des querelles entre les deux Etats ; elles se durcissent à partir de fin du

mois d’octobre 1938 quand le ministre des affaires étrangères Joachim von Ribbentrop puis

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Hitler lui-même exigent son retour à l’Allemagne. C’est symboliquement à Dantzig que le

premier septembre 1939 la Seconde guerre mondiale commence suite à l’agression du dépôt

de munition polonais de la Westerplatte par un bateau de ligne allemand.

Mais au début des années 1920 ce sont les référendums qui nourrissent les antagonismes les

plus marqués. Le premier se déroule calmement dans les départements de Allenstein (au Sud

de la Prusse orientale ) et de Marienwerder (à l’Est de la Weichsel en Prusse occidentale). Il

se traduit pas un succès éclatant pour les autorités allemandes puisque 90% de la population

(8 000 voix contre 370 000) vote pour son maintien en Allemagne soit également de

nombreux « slaves » : Masures, Kachoubes mais aussi des Polonais. Le référendum de Haute

Silésie se déroule le 20 mars 1921, il est précédé par deux révoltes violentes et meurtrières à

l’initiative des nationalistes polonais (août 1919, août 1920). Toutefois les résultats donnent

encore une fois majorité assez nette au rattachement à l’Allemagne (707 000 contre 479 000).

Pour créer un état de fait favorable aux autorités politiques polonaises, Wojciech Korfanty,

leur représentant local prend la tête d’une insurrection armée. Après des centaines de morts

dont trente militaires italiens qui avaient tenté de s’interposer, les corps francs allemands

parviennent à regagner les territoires occupés par les troupes polonaises. Mais les violences

ont radicalisé les oppositions et rendu difficile la cohabitation des deux communautés

pourtant liées par une longue histoire commune. La partition de la Haute Silésie entre

Polonais et Allemands, les premiers recevant le prospère bassin industriel très majoritairement

germanophone de Kattowice (Kattowitz/Katowice) inscrivait cette opposition dans l’espace.

Pour expliquer ce qu’ils ressentaient comme une défaite, les hommes politiques polonais ont

reproché aux responsables allemands d’avoir organisé une campagne de propagande. Il est

vrai que les autorités allemands ont préparé le vote, il est vrai également qu’elles ont mobilisé

les électeurs et que ceux qui avaient déjà quitté la Silésie ou la Prusse occidentale ont été

transportés par trains spéciaux ou par bateaux pour se rendre aux urnes. Toutefois les résultats

de ces référendums n’ont été possibles que parce que des populations slaves et polonaises ;

environ 35% dans le cas des Polonisants –la plupart bilingues- de Haute Silésie se sont

prononcés pour le maintien dans l’Empire allemand. Ces résultats traduisent les limites des

explications en termes ethniques. Elles sont d’ailleurs d’autant plus hasardeuses que ces

« appartenances ethniques » sont fragiles et multiples. Les « Polonais » de Haute Silésie sont

souvent bilingues quant aux Masures, ils sont certes des slaves mais ils ont été intégrés à la

Prusse orientale au 14 ème siècle et sont devenus luthériens au 16è siècle avec la conversion

de Albert de Hohenzollern. Ils ne se laissent pas gagner à une «idée polonaise» dont le

mouvement de Dmowski souligne les « racines catholiques ». Il est vrai par ailleurs que de

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1880 à 1900 les autorités allemandes ont « fabriqué » ou favorisé une identité Masure en

prenant soin de les distinguer des Polonais et de renforcer leur spécificité. On peut affirmer

comme le font les nationaux-libéraux que le vote de la majorité des Masures ou de certains

« Polonais » de Silésie a été préparé par leur longue incorporation dans l’espace allemand et

leur germanisation partielle, on peut souligner aussi qu’au fil de l’histoire ils ont endossé des

identités multiples on peut enfin hasarder l’hypothèse que leur choix est moins dicté par la

question de l’appartenance nationale que par un calcul rationnel coût avantage. Lors du

plébiscite de juillet 1920, la Pologne est largement envahie par les troupes russes qui sont à

Varsovie ; le choix polonais est donc loin de garantir prospérité et équilibre. De même les

électeurs polonais ne sont pas sans savoir que la prospérité silésienne est largement fondée sur

l’inclusion de la province dans l’espace économique allemand. Dans les années vingt, dans

une Haute Silésie polonaise en crise, nombreux sont encore les Polonais à voter pour les

représentants de la minorité allemande qui en 1924 obtiennent davantage de voix que les

nationalistes polonais. En optant pour leur rattachement à l’Allemagne, peut-on affirmer que

les Masures comme les Polonais ont apporté le signe de leur attachement à la nation ou à

l’Etat allemand ? Ont-ils réellement voté « allemand » comme les protagonistes ont trop

souvent tendance à l’affirmer ?

1.3. La frontière comme problème politique

Mis à part les communistes, tous les partis politiques allemands ont rejeté les nouvelles

frontières orientales ; certains allant même jusqu’à considérer le nouvel Etat polonais comme

une apparition transitoire (Saisonsstaat). Même le parti socialiste (SPD) qui avant la PGM

avait soutenu les revendications polonaises n’a cessé de souhaiter voire de revendiquer sa

révision. Cette attitude s’explique partiellement par les relations émotionnelles que certains

dirigeants socialistes entretiennent avec l’Est comme : Otto Braun et Otto Landsberg, tous

deux originaires de Prusse orientale. Mais elle est également fondée sur un argumentaire

ethnique et historique alimenté par toute une littérature produite par les chercheurs sur l’Est

(Ostforschung) visant à montrer l’antériorité du peuplement allemand et l’influence

prédominante de la culture germanique. Jouissant de généreux financements publics, les

résultats de ces recherches sont largement orientés par le ministère de l’intérieur du

gouvernement de Weimar, puis par le gouvernement nazi. Réciproquement les gouvernements

polonais ont d’ailleurs encouragé une « recherche occidentale » tout aussi nationaliste.

Mais alors que les Polonais se contentent des frontières acquises en 1919, leur révision

demeure à l’horizon des attentes de tous les ministres des affaires extérieures allemands et

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commande largement leur politique internationale. La signature du traité économique de

Rapallo avec l’URSS en avril 1922 est vue pour tous comme le début d’une solution à l’Est,

voire même au sein de l’état major allemand, comme un premier instrument pour encercler et

anéantir la Pologne. La politique de réconciliation de Gustav Stresemann (ministre des

affaires étrangères allemand de 1923 à 1929) avec les puissances occidentales est vue comme

un préalable à une révision des frontières orientales dont les hommes politiques allemands

savent bien qu’elle ne pourra être obtenue par négociation directe avec la Pologne. Si à

Locarno, le 16 octobre 1925, Stresemann reconnaît les frontières occidentales de l’Allemagne,

il n’y eut jamais de Locarno oriental. Lors d’un voyage à Dantzig en 1926 Stresemann

souligne d’ailleurs lui-même que la suppression du corridor et la récupération de Dantzig

constitue un objectif de cette politique d’apaisement. La politique d’ouverture à l’Ouest

s’accompagne d’ailleurs de la plus grande fermeté à l’Est. La guerre économique entamée en

1925 et marquée par l’accroissement des droits de douane pour les produits d’importation

polonais (en particulier le charbon silésien) vise explicitement à affaiblir l’économie

polonaise et à encourager un chaos social (grèves de 1925-1926). Celui-ci doit apporter la

preuve de l’incapacité des Polonais à se gouverner eux-mêmes et conduire, espère-t-on, les

puissances occidentales à intervenir en faveur d’un nouveau règlement de la frontière

orientale.

S’il est déstabilisant pour la république polonaise, cet objectif de révision, en alimentant un

nationalisme que les dirigeants politiques de Weimar ne peuvent ni maîtriser, ni satisfaire,

constitue surtout un important élément d’instabilité pour la première République allemande.

Les réactions polonaises montrent d’ailleurs les limites de la politique des hommes politiques

de Weimar. La signature du traité de Locarno et l’entrée de l’Allemagne à la SDN inquiète les

gouvernements polonais qui cherchent une alliance à l’Est. La normalisation progressive des

relations avec l’URSS conduit à la signature en 1932 d’un pacte de non agression tandis que

les démonstrations de force de l’armée polonaise devant Dantzig en 1932 visent à souligner

l’intransigeance du gouvernement polonais.

L’arrivée au pouvoir de Hitler en janvier 1933 est à l’origine d’une détente paradoxale dans

les relations entre les deux pays fondée sur un malentendu fondamental. Dans l’esprit des

dirigeants nazis la question de la frontière orientale est d’autant moins pertinente que la

Pologne appartient fondamentalement à l’espace vital allemand. Mais la politique de paix est

commandée par le souci de se laisser le temps de renforcer l’armée allemande ; cet objectif

conduit à la signature du pacte de non agression du 26 janvier 1934. En Pologne, cette

politique ne fait pas l’unanimité et est interprétée comme un aboutissement du tournant

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autoritaire pris par le régime Pilsudski, elle a d’ailleurs incontestablement favorisé les

groupes proto-fascistes qui se développent dans ces années à la périphérie du mouvement

national-libéral. Cet épisode a en outre des conséquences désastreuses pour l’image de la

Pologne en Europe. Dans les bureaux du Troisième Reich l’amitié avec la Pologne est

d’ailleurs avant tout une « convention de langage », rapidement oubliée. En octobre 1938, le

ministre des affaires étrangères du Troisième Reich Joachim von Ribbentrop formule ses

premières exigences sur Dantzig ; la signature du pacte germano-soviétique en août 1939

permet à Hitler de donner le signal de l’invasion.

2. Cohabiter ? : la question des minorités nationales

Adam Dmowski, comme Wilson, avaient appelé de leurs vœux la réalisation d’une Pologne

polonaise. Dans les frontières de 1921 on compte certes 69,2% de polonisants et 63,8% de

catholiques mais 14,3% de la population parle ukrainien, 8% yiddish, 3,9% biélorusse et 3,9%

allemand ; 11,2% de cette même population est uniate, 10,5% orthodoxe, 10,5% pratiquent la

religion juive et 3,7% sont protestants. Inversement entre 200 000 (estimations allemandes) et

1 million (estimations polonaises) de Polonais vivent alors en Allemagne ; les trois quart en

Haute Silésie d’autres en Prusse orientale, en Poméranie ; environ 15 000 dans la Ruhr.

2.1. L’émergence du problème des minorités

Avant même la fixation définitive des frontières, des organisations juives avaient attiré

l’attention des membres du congrès sur le sort des populations « non polonaises ». Adam

Dmowski qui dirigeait les négociations de paix s’était en effet fait connaître pour ses prises de

position antisémites. Outre des affirmations sur le caractère « inassimilable » des juifs il avait

appelé en 1912 à un boycott économique. Dès janvier 1919 des violences avaient été

perpétrées contre des juifs dans les régions libérées. Par delà sa dimension catholique

traditionnelle, l’antisémitisme du mouvement national-démocrate est l’expression d’une

conception ethnique de la nation, alors dominante en Europe, qui conduit à considérer tout

groupe linguistique et religieux non « polonais » comme une « minorité » nationale

radicalement exogène à celle-ci. L’antisémitisme des nationaux-démocrates est donc loin de

ne concerner que les juifs.

Pour tenter de prévenir les problèmes liés à cette conception nationale, le petite traité de

Versailles du 28 juin 1919 ou traité des minorités, fait obligation au gouvernement polonais

de garantir l’égalité des droits à tous les citoyens polonais et de respecter la culture propre de

chacun des groupes. Sous l’influence des députés des minorités au parlement, et tout

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particulièrement du député juif Isaak Grünbaum, la constitution polonaise de 1921 reprend

d’ailleurs intégralement les dispositions du traité international. Son article 109 stipule ainsi

que chaque citoyen a le droit de conserver sa nationalité et de recevoir un enseignement dans

sa langue maternelle ; dispositions qui se retrouvent d’ailleurs dans la constitution de la

République de Weimar.

En réalité les hommes politiques polonais ressentent le petit traité de Versailles comme une

ingérence insupportable dans les affaires intérieures de leur Etat recouvré. Entre 1919 et 1934,

154 plaintes sont déposées à la SDN ou au tribunal international de La Haye au motif de

discrimination des autorités polonaises à l’encontre des minorités nationales. Même s’ils sont

rarement condamnés, les responsables politiques polonais se sont sentis la cible d’une sorte de

stigmatisation collective d’autant que la question des minorités se pose alors à des degrés

divers dans tous les pays d’Europe centrale et Balkanique. En retour, les groupes linguistiques

non polonais (ou non catholiques) officiellement protégés par la communauté internationale

se pensent eux-mêmes comme des minorités dont les droits sont menacés. Pour ce faire ils

parviennent, du moins jusqu’au tournant autoritaire des années 1930, à s’organiser au sein

d’un « bloc » des minorités et à faire élire des députés au sein du parlement. La collaboration

entre les juifs et les Allemands est particulièrement efficace ; elle permet l’élection de 17

députés allemands au parlement en 1922 et 21 en 1928. En revanche, le nombre des députés

polonais au parlement prussien est toujours resté très limité eu égard au réservoir potentiel

d’électeurs polonais qui, pour beaucoup, se sont déterminés sur d’autres critères que celui de

la simple appartenance nationale. La logique nationale, l’emporte toutefois progressivement

au sein du bloc des minorités en Pologne ; chacune d’entre elle tendant à s’organiser au sein

de l’espace polonais de manière autonome. La confédération populaire allemande en Pologne

(Deutscher Volksverband in Polen) regroupe ainsi 24 000 membres dans 305 cercles

locaux en 1924. En Allemagne, les Polonais se regroupent également dans une Confédération,

qui est d’ailleurs assez étroitement surveillée par la police de Weimar mais peut se développer

sans entrave jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Hitler. Pas plus que les Polonais en Allemagne,

les Allemands en Pologne ne constituent un groupe uni. Ils sont divisés en différents

partis qui poursuivent des buts divergents. Ainsi le parti socialiste allemand uni en 1927, tout

en luttant pour la protection des minorités, rejette tout nationalisme et déploie des efforts

constants en faveur d’un rapprochement avec les socialistes polonais. Outre ces divisions

politiques, les différences sociales et confessionnelles persistent. Enfin, surtout peut-être, les

Allemands sont divisés par l’histoire de leur installation dans l’espace polonais et leur rapport

à la nation polonaise.

12

2.2. Les minorités allemandes en Pologne

Habitués à vivre en position dominante, largement convaincus de la supériorité allemande, les

1,5 millions d’Allemands de l’ancien Empire : ceux de Posnanie et de Prusse occidentale ou

de Haute Silésie supportent mal la dégradation de leur statut. Avant même l’entrée en vigueur

du traité de Versailles 2/3 de ces Allemands vont quitter le territoire devenu polonais. Aux

administrateurs prussiens s’ajoutent des membres de la bourgeoisie urbaine dont certains

étaient installés sur place depuis plus longtemps. Dans les années qui suivent, l’émigration se

poursuit si bien que la part de la population allemande en Posnanie tombe de 40% à 11% en

1926. A Posen/Posnan il y avait 42% d’Allemands en 1910, ils sont 2% ; en 1931 à

Bromberg/Bygdoszsc la population allemande tombe à 8,5% contre 77,5% avant la Première

guerre mondiale.

Ces départs s’expliquent partiellement par une politique complexe qui vise à marginaliser

économiquement et socialement les populations allemandes et à les assimiler culturellement

pour les faire disparaître en tant que minorité. La polonisation est en réalité une sorte de

miroir de la germanisation menée par les autorités prussiennes : la loi du 29 avril 1920 du

ministère pour les anciennes provinces prussiennes proroge la loi du Reich de 1876 en

vigueur jusqu’en 1918 en remplaçant seulement le terme « allemand » par celui de

« polonais ». Celle-ci avait en effet imposé l’allemand comme seule langue administrative

tandis qu’en 1887 le polonais avait été totalement interdit à l’école. A cela s’ajoutent des

mesures visant, à « poloniser » le sol polonais (symétriques au « combat pour le sol » allemand)

menées grâce à des mesures d’expropriation plus ou moins directes. 4000 Allemands ayant

acheté des terres juste avant la Première guerre mondiale ou ceux qui possédaient des

propriétés sur la ligne frontière en Posnanie, Silésie ou dans le corridor sont expropriés. La

réforme agraire de 1925 touche plus durement les propriétés allemandes souvent plus grandes.

La population rurale allemande décroît donc de 55% ce qui doit être mis en parallèle avec un

déclin de 1/3 de la propriété foncière allemande. La grande propriété foncière allemande se

maintient donc, par ailleurs, en dépit des tableaux misérabilistes, les plus petits propriétaires

résistent bien grâce à la vigueur du mouvement coopératif. Dans les villes en revanche, la

population allemande décroît de 85% tandis que les commerçants et artisans sont confrontés à

des mesures d’intimidation de la part d’organisation polonaises nationalistes comme

l’association pour les marches occidentales qui organise des boycotts. En Haute Silésie

orientale où la domination économique des Allemands est particulièrement nette, le dirigeant

local, Michal Graszynski mène depuis 1926 une politique de contrôle de leur activité

13

économique ; exigeant la polonisation des grandes entreprises et organisant le boycott des

magasins allemands.

Ces mesures n’épargnent pas les populations germanophones (environ un demi-million) de la

Pologne intérieure. Pourtant, contrairement à celles de l’Empire, elles ne formulent aucune

revendication irrédentiste et se sont même généralement réjouies de la reconstitution de la

Pologne ; certains Allemands se sont même engagés volontairement dans l’armée polonaise

pour lutter contre l’envahisseur russe. Le parti socialiste polonais de Lodz parvient même à

faire alliance avec les socialistes polonais locaux lors des élections de 1928. Pourtant, ces

« Allemands » sont comme ceux de la « bordure » la cible de mesures assimilatrices et

ségrégationnistes de la part des gouvernements polonais. En 1919, il y avait 564 écoles

allemandes en Pologne centrale, en 1935/36, il reste 11 écoles allemandes, 49 sont bilingues ;

dans 189 écoles l’allemand est enseigné deux heures par semaine. En 1932, il reste 4 lycées

allemands privés dont trois à Lodz, sur les 6 existant encore en 1920. La presse et les

associations sont également soumises à des pressions politiques et économiques.

Les populations allemandes de Prusse orientale et de Dantzig qui souffrent de leur

enclavement se sont souvent considérées comme des minorités. Les citoyens de la ville de

Dantzig sont confrontés à la concurrence du nouveau port polonais de Gdynia. Les difficultés

de transit des marchandises entre le territoire allemand et la Prusse orientale (trains scellés à

travers le corridor) a sans doute contribué aux difficultés économiques de cette région.

Néanmoins l’endettement des grandes propriétés agricoles date du XIXè siècle ; il n’est pas le

résultat du « blocus » polonais mais du maintien artificiel, pour des raisons politiques, d’une

catégorie sociale dont Max Weber proclamait la proche disparition à la fin du XIXè siècle.

Les subventions consenties par les derniers gouvernements de la République sont d’abord

guidées par une vision conservatrice des équilibres sociaux à la campagne. A Dantzig, comme

en Prusse orientale, les autorités locales allemandes n’ont d’ailleurs pas été plus tolérantes

envers les minorités polonaises que les autorités polonaises ne l’étaient avec ces Allemands

enclavés dans un territoire étranger.

2.3. Les minorités instruments des politiques entre les

Etats

Les populations de langue allemande ont souffert psychologiquement, politiquement et

économiquement dans le Pologne de la Seconde République en partie à cause d’une

dégradation inévitable de leur statut, en partie à cause des mesures défavorables du

gouvernement polonais. Mais le tableau est volontairement noirci par les responsables locaux

14

comme par les hommes politiques allemands à des fins de propagande. Ainsi, contrairement

aux affirmations, le revenu moyen tend à s’accroître en Prusse orientale durant la période de

la République tandis que l’université de Königsberg connaît une réelle floraison intellectuelle.

Mais cette représentation doloriste poursuit un double but de cohésion nationale d’une part et

de revendications internationales de l’autre.

Les gouvernements de Weimar mènent une politique de maintien des Allemands en Pologne

et une lutte pour la protection d’une culture allemande. En luttant contre une possible

intégration culturelle, contre une polonisation qui s’était déjà produite dans l’histoire, le but

poursuivi par les responsables politiques de Weimar est le maintien en Pologne d’une

minorité nationale allemande clairement identifiable. La fondation allemande (deutsche

Stiftung), quoique officiellement privée, est alimentée par des fonds publics et subventionne

les associations allemandes tout particulièrement dans le domaine de la culture et de

l’éducation. Des sommes énormes sont investies pour maintenir une économie dans les

provinces allemandes de l’Est. La ville de Dantzig est sous perfusion financière. La foire

annuelle de Königsberg en Prusse orientale, inaugurée en 1920 par le président Friedrich

Ebert, constitue également une aide économique déguisée, à laquelle s’ajoutent à la fin des

années 1920 des subventions directes aux grands propriétaires terriens (Junker). A partir de

1933, cette intrusion du gouvernement allemand dans les affaires des minorités s’accentue,

avec la création d’un office gouvernemental spécial. Réciproquement, de 1932 à 1939, le

ministre des affaires étrangères polonaises, Jozef Beck utilise les minorités polonaises en

Allemagne dans ses négociations avec les nazis.

La nationalisation/étatisation de la question des minorités et ses effets négatifs sont

particulièrement manifestes au sein de la SDN. Entre 1926 et 1934, période durant laquelle

des représentants allemands siégent à l’organisation internationale, ils font largement usage de

leur droit d’interpellation. S’ils permettent d’attirer l’attention d’une arène internationale sur

le sort des minorités allemandes, ils lient également leurs destins à celui de l’Etat allemand.

En transformant la question des minorités en un instrument politique entre les mains d’un Etat

spécifique, ils affaiblissent l’action de la SDN et toute politique internationale de protection

des minorités et fragilisent la position des minorités « allemandes » de Pologne. En septembre

1934 le ministre des affaires étrangères polonaises, Jozef Beck, annonce d’ailleurs que le

gouvernement de son pays ne respectera plus le traité de juin 1919 tandis qu’en novembre

1937 les ministres allemands et polonais s’engagent à respecter mutuellement les « minorités

de l’autre Etat » ; la même année, ils s’entendent pour saboter le travail du délégué de la SDN

à Dantzig. Les minorités deviennent clairement l’objet de règlement inter-étatiques ; sans

15

avoir été consultées, elles sont référées à une « identité » nationale contraignante qui les

expose autant, voire plus, qu’elles ne les protégent. Car si les Allemands de Posnanie sont

priés par le gouvernement nazi de faire taire leurs revendications irrédentistes après la

signature du pacte de non agression de 1934, les minorités ont fait l’objet de pressions

croissantes en Silésie. Réciproquement, la politique menée par le sénat majoritairement nazi

de Dantzig depuis 1935 est de plus en plus hostile au maintien de la culture polonaise qu’il

s’était pourtant engagé à protéger. Au début de l’année 1939, 14 enseignants polonais

financés par ville sont renvoyés, les écoles privées polonaises sont soumises à des pressions

grandissantes. En 1938, se tient à Berlin le dernier congrès de la confédération des Polonais

en Allemagne ; en septembre 1939, les membres actifs sont internés puis déportés vers

Buchenwald d’où, pour la plupart, ils ne reviendront pas.

Cette nationalisation accrue de la question des minorités, tout comme l’hostilité croissante

auxquels les Allemands sont confrontés dans l’opinion publique polonaise (et juive) du fait de

l’arrivée au pouvoir d’Hitler conduit à leur radicalisation. Mais là encore il faut se garder de

généralisations hâtives. Si le parti nazi fait rapidement des scores élevés à Dantzig, son

influence demeure modérée en Silésie comme en Prusse orientale jusqu’en 1933. Les

conservateurs sont encore largement dominants dans cette région où les communistes

obtiennent par ailleurs 10% des voix en 1933, témoignant de la vigueur d’une protestation non

nationaliste parmi ces populations. Dans l’ancienne Pologne russe, à Lodz en particulier, les

Allemands ont apporté jusqu’à la fin la preuve de leur loyauté à l’égard du gouvernement

polonais. Accuser les minorités allemandes d’avoir constitué une sorte de cinquième colonne

qui se serait livrée à l’espionnage et au sabotage pour les nazis c’est accepter la logique des

nazie au nom de laquelle les germanophones de Pologne qui possédaient la citoyenneté

polonaise auraient été d’abord des Allemands et en tant que tels nécessairement loyaux au

Troisième Reich.

3. Se distinguer : la politique symbolique

Dans un tel contexte, les images largement héritées du siècle précédent sont mobilisées pour

servir les nationalismes de part et d’autre. Elles sont construites et s’expriment dans des

œuvres littéraires et historiques, sont diffusées dans des pamphlets et ouvrages de

vulgarisation et se cristallisent dans des lieux de mémoire contestées.

16

3.1. Les images de l’autre

Depuis la fin du XVIIIè siècle, les écrivains, historiens, mémorialistes allemands ont élaboré

une image négative de la Pologne et des Polonais dans le but d’expliquer ou de justifier les

choix des hommes politiques allemands, du partage de la fin du XVIIIè siècle à la

germanisation et la colonisation des terres polonaise de la fin du siècle suivant. Le roi

Frédéric II (le Grand) de Prusse avait justifié le premier partage de 1772, qu’il voyait lui-

même comme une injustice faite au peuple polonais, sur des nécessités d’équilibre stratégique

entre les puissances autrichienne, russe et prussienne. En se faisant proclamer roi de Prusse

l’année même de l’annexion, il semblait par ailleurs lier la possibilité de la puissance

prussienne à la disparition de la Pologne. Revendiquant cette filiation, Bismarck a défendu

l’idée selon laquelle il n’y aurait pas d’Allemagne viable à coté d’une Pologne puissante.

Frédéric II, tout comme Clausewitz (1780-1831) plus tard dans De la guerre ont toutefois

présenté une vision purement stratégique de ce partage et s’ils reconnaissaient l’injustice faite

aux Polonais, ils soulignaient par ailleurs que les élites polonaises avaient été incapables de

défendre leur pays. Au terme de glissements successifs, cet argumentaire politique accouche

d’interprétations culturalistes justifiant le partage au nom d’une incapacité fondamentale des

Polonais à se gouverner eux-mêmes. Elaborée par des écrivains et des historiens, cette image

négative des élites polonaises incompétentes et frivoles s’est répandue dans la Prusse de la

seconde moitié du XIXè siècle grâce à des articles dans les périodiques les plus lus. Même

dans les cercles les plus favorables aux revendications nationales polonaises : dans la

bourgeoisie libérale du Sud Ouest de l’Allemagne qui célèbre le courage des insurgés

polonais, ou chez les marxistes ces stéréotypes trouvent un terrain favorable. Dans une lettre

adressée à Marx le 23 mai 1851, Engels parle de la Pologne comme d’une « nation foutue » et

souligne que les « Polonais n’ont jamais rien fait d’autre dans leur histoire que de s’engager

dans une stupidité brave et tapageuse ». Les célèbres historiens prussiens du XIXè siècle

comme Heinrich von Treitschke (1834-1896) ou Heinrich von Sybel (1817-1895) inscrivent

cette incapacité des élites à gouverner leur pays dans l’histoire longue de la Pologne suggérant

une sorte de déficit culturel. Cette ethnicisation des différences politiques est développée par

le grand historien Leopold von Ranke (1795-1886) dans son histoire des peuples romains et

germains parue en 1885. Selon lui les Polonais, comme les autres slaves, se seraient

développés à l’extérieur d’une civilisation européenne supérieure culturellement et

politiquement. La voie est ainsi largement ouverte aux écrits historiques et ethnologiques de

l’entre deux-guerres tendant à prouver l’antériorité du peuplement allemand en Pologne ou le

17

caractère proprement germanique de la « culture » polonaise. Ainsi Kurt Lück (1900-1942),

professeur à l’université de Posen ou l’écrivain Franz Lüdtke (-1882-1945) veulent, avec

beaucoup d’autres, apporter la preuve que la civilisation polonaise : droit, littérature y compris

l’œuvre du célèbre poète polonais romantique Adam Mickiewicz (1798-1855), serait une

« création allemande. De manière complémentaire d’autres auteurs soulignent d’ailleurs le

caractère profondément barbare des « vrais » Polonais, leurs instincts guerriers qu’ils

imputent à leur catholicisme missionnaire intransigeant et conservateur. Tous les intellectuels

et homme politiques allemands ne partagent certes pas cette représentation de la Pologne il

existe même quelques rares pacifistes comme le fonctionnaire prussien Helmut von Gerlach

(1866-1935) pour affirmer que le partage de la Pologne constitue une traîtrise de la Prusse.

Toutefois, c’est bien une image négative de la Pologne couplée à l’idée d’une supériorité

allemande qui semble prédominer au sein des cercles politiques et culturels ; elle alimente et

justifie les revendications en faveur de la révision durant la République de Weimar, comme

plus tard la politique expansionniste nazie.

Si les Polonais ont, au XIXè siècle, souvent accepté l’apport culturelle et économique des

Allemands c’est pour souligner en retour la nécessité de leur intégration à cette terre qui leur

avait tant donné. Mais les travaux historiques de l’entre deux guerres tendent de plus en plus

nettement à prendre le contre-pied des thèses allemandes et veulent apporter la preuve que ce

sont les Polonais qui ont peuplé et mis en valeur la Pologne, qui lui ont donné son âme et sa

culture et veulent corrélativement réduire l’importance de l’apport germanique. Intellectuels,

historiens et publicistes polonais développent alors une image très négative de l’Allemand

colonisateur et exploiteur impénitent, arrogant, sûr de lui et dominateur dont les chevaliers

teutoniques constituent en quelque sorte l’archétype.

3.2. Lieux de mémoire : les chevaliers teutoniques et la

bataille de Grunwald/Tannenberg

Les rois prussiens avaient déjà mobilisé l’image des chevaliers teutoniques pour justifier leur

mission sur les territoires orientaux et leur lutte contre les slaves mais c’est au début du XIXè

siècle dans la lutte contre les armées impériales napoléonienne que cette image se nationalise

réellement. Parce que ses membres étaient originaires de toutes les régions d’Allemagne

(avec une domination pour la Souabe, Thuringe, Franconie et Rhénanie), l’ordre militaire

pouvait parfaitement incarner l’unité des « Allemands ». Son rôle dans la conversion des

derniers païens d’Europe en fait par ailleurs un modèle dans la lutte contre les barbares, pour

18

la civilisation et la culture. A la fin du XIXè siècle, l’héritage teutonique sert à justifier le

Kulturkampf prussien, présenté comme un combat dirigé contre l’obscurantisme catholique en

Rhénanie prussienne comme en Pologne. Elle justifie aussi la politique de colonisation menée

à partir des années 1880 en Posnanie. Cette « renaissance teutonique » culmine avec la

restauration de la forteresse des chevaliers teutoniques de Marienburg/Marbork à l’initiative

de la monarchie prussienne, sous la conduite de l’architecte Karl Friedrich Schinkel (1781-

1841). En 1876, une statue est érigée dans la ville pour célébrer le premier partage. On y voit

Frédéric le Grand en compagnie de quatre grands maîtres de l’ordre dont Hermann von Salza,

à l’origine de son installation en Prusse et Albrecht von Brandebourg qui a en a sécularisé les

biens. La statue suggère ainsi une continuité entre la présence de l’ordre à l’Est et la politique

de Frédéric le Grand, pourtant contraire à ce que ce dernier avait toujours affirmé. Les

pangermanistes et tout particulièrement les Hakatistes de l’association des marches orientales

se placent donc logiquement dès les années 1890 sous la protection des chevaliers

teutoniques. C’est ensuite en invoquant leur mémoire qu’ils revendiquent la rétrocession des

territoires cédés à la Pologne et de Dantzig.

Inversement chez les Hongrois -c’est en Hongrie qu’au début du XIIè siècle, les teutoniques

ont fondé leur première principauté- chez les Slaves, et tout particulièrement les Polonais, les

chevalier teutoniques sont le symbole de l’impérialisme allemand, de la poussée vers l’Est :

Drang nach Osten. Cette expression très rarement utilisée par les Allemands eux-mêmes est

brandie comme le signe d’un antagonisme fondamental par Dmowski dans un discours à la

Douma russe le 11 juillet 1908. L’histoire de l’ordre militaire, sorte de clé de compréhension

pour la politique allemande contemporaine, occupe d’ailleurs une place très importante dans

l’historiographie polonaise de l’entre-deux –guerres. Les historiens nationalistes comme

Waclaw Sobieski (0872-1935) insistent sur l’exploitation économique cupide à laquelle se

sont livrés les teutoniques et la germanisation brutale qui l’a accompagnée. Rares sont les

historiens plus modérés comme le médiéviste Stanislaw Zajaczkowski qui remettent en cause

l’idée d’une germanisation délibérée et tentent de relativiser par l’esprit du temps la brutalité

teutonne. La littérature contribue par ailleurs de manière décisive à diffuser l’image

diabolique des chevaliers teutoniques. Dans Le vent de la mer de l’écrivain « national » Stefan

Zeromski (1864-1925), comme dans les Chevaliers teutoniques du prix Nobel de littérature

Henryk Sienkiewicz (1846-1916) les chevaliers sont vus comme l’incarnation du mal mais

dans ce dernier roman ils sont finalement vaincus par les courageux Polonais lors de la

bataille de Grunwald de 1410.

19

La victoire polono-lituanienne de Grunwald en 1410 sur les teutoniques comme la

victoire allemande de Tannenberg en 1914 sur l’Empire russe ont donné lieu à des images

nationales inversées qui constituent une sorte d’observatoire grossissant de la manière dont les

mythes nationaux ont été fabriqués et diffusés au tournant de deux siècles. En 1410 les

chevaliers teutoniques sont défaits par une armée commandée par le roi de Pologne Ladislas

II Jagellon et le Grand Duc de Lituanie au terme d’une conflit dans lequel s’affrontent des

armées composées dans un camp comme dans l’autre de soldats d’origine slave et

germanique ; la victoire « polonaise » est fêtée par les marchands allemands de Dantzig

ulcérés par les prélèvements fiscaux des chevaliers. Le conflit ne présente aucun caractère

ethnique ou national mais signale la fin d’une pesante domination seigneuriale, elle demeure

d’ailleurs largement sans lendemains. La défaite spectaculaire des chevaliers teutoniques s’est

d’abord transmise sous une forme religieuse dans des processions rappelant la bataille et des

cérémonies commémorant son souvenir à la date anniversaire du 15 juillet. Ce n’est qu’au

XIXe siècle dans un contexte de tensions croissantes entre la Prusse puis l’Allemagne et les

élites polonaises que la mémoire de Grunwald est réactualisée et « nationalisée ». Du côté

prussien, puis allemand, la défaite teutonique de Tannenberg est interprétée comme celle des

Allemands devant les Slaves tandis que dans la Pologne divisée, la bourgeoisie fête Grunwald

comme le signe de la vitalité d’une Pologne médiévale, sorte de modèle de la patrie à

ressusciter. En 1910, à Cracovie, la victoire polono-lituanienne est d’ailleurs célébrée par un

monument. Dans une représentation stylisée, assez proche du style des grands monuments à

Bismarck contemporains, on y voit le roi Wladislaw Jagiello à cheval.

Cette double récupération nationale atteint son apogée dans la première moitié du XXe siècle.

A la fin du mois d’août 1914, les armées allemandes sous le commandement du maréchal

Hindenburg remportent une victoire contre les Russes près de Tannenberg. Bien que située un

peu à l’écart du champ de bataille de 1410, elle est vue comme une revanche sur la défaite des

Teutoniques. C’est sur ces bases que s’édifie le mythe du maréchal, sauveur des Allemands

contre les Slaves. Ce mythe trouve en 1927 une expression paroxystique avec la construction

sur les lieux mêmes du champ de bataille, d’un immense mémorial commémorant le combat

éternel des Allemands contre les Slaves. Il devient en 1935 la sépulture du maréchal

Hindenburg sur laquelle Hitler vient s’agenouiller avant d’être transformé en « mémorial

impérial » (Reichsmemorial). Après la défaite de l’Allemagne nazie, le monument est rasé,

ses briques et ses pierres servent à la reconstruction de Varsovie détruite par les armées du

Troisième Reich.

20

La question du monument de Tannenberg n’est qu’un des éléments saillant d’une guerre

symbolique qui a fait rage entre Allemands et Polonais de 1871 à 1945. Ainsi dans les

anciennes provinces allemandes et tout particulièrement en Posnanie, les statues de Bismarck

ont été systématiquement détruites. A Posen/Poznan l’une d’entre elles est remplacée dès

1919 par un immense Christ. A Annaberg en Haute-Silésie, lieu de combats décisifs et

acharnés entre nationalistes polonais et corps francs allemands, les nazis font élever un

monument, où sont enterrés 50 Allemands morts dans les combats. Il est immédiatement

remplacé après la Seconde guerre mondiale par un mémorial polonais « à la mémoire des

insurgés qui ont donné leur vie pour la Polonité en Silésie ». Des vétérans s’y retrouvent

encore aux dates anniversaires et entonnent, le très germanophobe hymne Rota.

Conclusion

Sous des formes diverses, l’entre deux guerres constitue donc bien une période d’exacerbation

des oppositions et des conflits entre Allemands et Polonais et les historiens ont, nous l’avons

vu, largement participé à cette escalade en alimentant les argumentaires nationalistes formulé

durant cette période.

Pourtant l’histoire, parce qu’elle permet d’établir précisément des genèses et des filiations,

qu’elle exige de situer les évènements dans des contextes, est un instrument efficace pour

penser et dépasser ces oppositions construites. La construction nationale au début XIXè siècle

mais surtout les formulations ethniques et exclusives du nationalisme à la fin du même siècle

dans l’ensemble de l’Europe, constitue le socle sur lequel se déploient les conflits entre

Allemagne et Pologne. Comme ailleurs en Europe, ce nationalisme s’accompagne ici de

revendications territoriales, de mécanismes d’exclusion et de rejet. A cela s’ajoute le contexte

spécifique dans lequel s’inscrivent les relations germano-polonaise : celui d’une Europe

centrale multi-culturelle et post-impériale où les Etats nations peinent à trouver une légitimité

politique propres –sauf peut-être la Tchécoslovaquie- et empruntent leur argumentaire au

répertoire des nationalistes occidentaux. Dans ce cadre, on ne peut qu’insister sur la tragique

« banalité » des phénomènes observés entre Allemagne et Pologne. Partout la question des

limites territoriales définies lors des conférences de paix donne lieu à des conflits frontaliers :

ils opposent les autorités politiques roumaines et hongroises, tchécoslovaques et allemandes

ou polonaises etc…entraînant autant d’irrédentismes. Le traité des minorités « imposé » à la

Pologne sert de modèle à la signature de treize autres textes visant à garantir, le plus souvent

en vain, les droits des nombreuses autres « minorités » d’Europe centrale : Hongrois de

Transylvanie ou de Slovaquie, « Turcs » de Bulgarie ou de Grèce et partout les juifs et

21

tziganes qu’aucun Etat ne protège. La question germano-polonaise n’est pas le fruit d’un

antagonisme radical entre deux peuples, elle est une des expressions parmi d’autres de la

résistance qu’oppose un espace multiculturel à la violence du nationalisme ethnique qui

s’impose comme modèle à la fin du XIXè siècle.

22

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