Date post: | 24-Feb-2023 |
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UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE
Ecole doctorale Droit et Sciences Humaines
Thèse présentée par
Manuel GONZALEZ CARPANETTI
En vue de l’obtention du
DOCTORAT DE L’UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE
Spécialité : Sciences de l’Éducation
L’institutionnalisation du pilotage par la qualité des établissements scolaires chiliens.
La boîte à outils des consultants.
Laboratoire Ecole, Mutations, Apprentissages EA 4507
Pour soutenir le 27 septembre 2018
________________
Membres du jury
do NASCIMENTO Maria Lívia, Professeure titulaire en Psychologie, Université Fédérale Fluminense, rapporteure
MALET Régis, Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université de Bordeaux
PESCE Sébastien, Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université d’Orléans, rapporteur
MONCEAU Gilles, Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université de Cergy-Pontoise, directeur de thèse
Remerciements
À ma femme In Kyung qui est la principale supportrice de cette thèse.
À mes parents.
À mes filles.
À mes amis d’Allemagne, plus particulièrement Edgardo, mon meilleur ami, qui m’a reçu
dans sa maison.
À tous mes amis du laboratoire ÉMA, notamment Claire qui m’a hébergé dans sa maison.
À Gilles, mon Directeur de thèse, qui n’a cessé de se fier à moi et qui m’a permis de
développer mon potentiel en tant que chercheur.
Je tiens également à remercier mes anciens collègues consultants qui ont accepté de participer
à cette recherche.
Je remercie Anaïs et Virginie qui ont corrigé certaines parties de cette thèse.
Bien sûr, je remercie également la France par tout ce qu’elle m’a apporté ces dernières
années.
Enfin, au jury pour avoir accepté de participer à cette dernière étape.
!1
Sommaire
Remerciements 1
Sommaire 3
Introduction 15
Le but de cette recherche 18
Les questions de recherche 18
Méthodologie 19
De la pertinence de la recherche 21
Les limites de cette recherche 22
Organisation de la thèse 23
Première partie : Un état des lieux 26
Chapitre 1 : État évaluateur et nouvelles régulations en éducation 27
1.1. La nouvelle gestion publique et les politiques de décentralisation dans l’éducation 27
1.2. Le modèle de quasi-marché 28
1.3. Les idées sous-jacentes dans le modèle de quasi-marché scolaire 28
1.3.1. La pression qu’exercent les familles serait plus efficace que celle d’une autorité publique sur les écoles 28
1.3.2. L’existence d’établissements privés favoriserait la concurrence avec les établissements publics 29
1.4. Trois types de modèles de situations de libre choix 30
1.5. Interaction entre les indices d’autonomie et la présence d’examens standardisés dans les systèmes éducatifs 31
1.6. Les effets de plus d’autonomie et de plus de choix sur l’apprentissage des élèves 31
1.7. Effets potentiels de l’autonomie des établissements sur les performances des élèves 32
1.8. Des dispositifs d’accountability ou de régulation post-bureaucratique en éducation 32
1.8.1. La capacité des dispositifs d’accountability à gérer les risques d’opacité et d’augmenter la transparence 35
1.8.2. Les quatre traits communs des nouvelles politiques d’accountability 35
1.8.3. Quatre types de logiques sous-tendant les instruments des nouvelles politiques d’accountability 36
1.8.4. Une market based accountability versus une government based accountability 38
1.9. Les évaluations externes : modes de régulation inspirés de la Nouvelle Gestion Publique 39
!3
1.9.1. Deux types de dispositifs d’évaluation externe : high-stakes tests versus low-stakes tests 40
1.9.2. Les systèmes d’indicateurs nationaux pour « piloter » le système 41
1.9.3. La diffusion des résultats des épreuves standardisées 42
1.9.4. Les effets des dispositifs d’évaluation standardisée sur l’apprentissage des élèves 43
1.10. Certaines considérations relatives au cas du Chili 44
1.10.1. Le système de voucher 46
1.10.2. Evaluation SIMCE : le principal indicateur de qualité du système éducatif chilien 47
1.10.3. La publication des résultats SIMCE 48
1.10.4. L’influence de l’OCDE sur les politiques éducatives du pays 48
1.10.5. Les autres mesures internationales auxquelles participe le Chili 50
Résumé du chapitre 50
Chapitre 2 : L’installation du pilotage de la qualité scolaire comme dispositif de contrôle dans le système scolaire chilien 53
2.1. L’émergence du concept de la qualité 53
2.2. Les modèles économiste et progressiste-humaniste de la qualité diffusés par des organismes internationaux 54
2.3. Conjuguer qualité et équité 55
2.4. Le concept de marché de la qualité 56
2.5. La qualité de l’éducation comme mode de régulation institutionnelle 56
2.6. Les programmes précurseurs d’auto-évaluation de la qualité au Chili 57
2.7. L’émergence des modèles de certification de la qualité au Chili 57
2.8. Fondation Schiller : le plus important centre de transfert technologique du pays 58
2.9. Le modèle de la Fondation Schiller : la création d’entreprises en tant que mécanisme de transfert technologique 59
2.10. Les projets de la Fondation Schiller dans l’éducation 60
2.11. La création d’un Conseil privé pour attribuer le label de qualité (2003) 62
2.12. La création d’un réseau national privé de consultants en qualité (2003) 63
2.13. Description du modèle privé de qualité de Fondation Schiller 63
2.13.1. Brève description des procédés de certification de la qualité scolaire 65
2.14. L’expansion du modèle de certification de la qualité à travers l’alliance avec la Fondation Brésil 66
2.15. L’émergence du modèle public de qualité : le SACGE (2003-2008) 67
2.16. La nouvelle loi LGE qui remplace la loi LOCE de Pinochet comme une réponse au mouvement des étudiants du secondaire 68
!4
2.17. La subvention scolaire préférentielle (2008) 69
2.18. L’apparition des Agences d’Assistance Technique (2008) 71
2.19. Grands changements des règles du jeu : création de l’Agence de Qualité de l’Éducation (2011) 72
Résumé du chapitre 75
Deuxième partie : Cadres théorique-épistémologique et méthodologique 76
Chapitre 3 : Mon champ de cohérence scientifique 77
3.1. Une révision du champ de cohérence scientifique du chercheur comme manière d’expliciter ses implications idéologiques ou secondaires 77
3.2. La notion de dispositif 77
3.3. La sociologie de la traduction 79
3.3.1. La notion de traduction 79
3.3.2. La notion d’acteur 80
3.3.3. La notion de réseau de traduction 81
3.3.4. Les objets techniques qui peuvent participer d’une chaîne de traduction 81
3.4. Le théâtre d’individuation des individus vivants 82
3.4.3. L’individuation psychique : une individuation qui ne peut épuiser toute la charge préindividuelle 84
3.4.4. L’individuation collective est une phase de l’être qui ne peut épuiser les virtualités et potentialités de l’être préindividuel 85
3.5. La transduction, en même temps qu’elle exprime l’individuation, permet de la penser 86
3.5.1. Le cas des objets techniques 87
3.6. Les notions d’actualisation et de potentialisation 89
3.7. Penser est construire des cohérences 91
3.8. La pensée locale comme champ de cohérence usuel 92
3.9. La pensée rationnelle peut « émerger » et « s’immerger » dans le Global 92
3.10. Les concepts de surlocalisation, délocalisation, relocalisation 93
3.11. Le chercheur doit trouver la cohérence dans l’autre C. de C. 94
3.12. Le jeu de la pseudo-objectivité scientifique 95
3.12.1. Aller au-delà de la relation sujet/objet pour accéder à de multiples visions 96
3.13. Le codage et décodage des flux 97
3.14. L’abstraction progressive ou le mouvement de déterritorialisation 98
3.15. L’État ou l’inconscient 99
!5
3.15.1. L’État moderne créé pour protéger les intérêts de la classe dominante 99
3.16. La machine capitaliste 100
3.16.1. Les composants sémiotiques du capital 101
3.16.2. La production de subjectivité capitaliste 101
3.16.3. L’aliénation inhérente au travail 102
3.16.4. La mystification du capitalisme 103
3.16.5. Le capitalisme mondial en guerre contre la diversité 103
3.17. Les raisons pour lesquelles il existe l’analyse institutionnelle 104
3.18. Le concept d’institution 105
3.19. Le concept d’implication 106
3.20. La réduction de l’institution à l’institué 106
3.21. Des possibilités de détournement et de réappropriation grâce à un processus de singularisation 107
3.22. Les analyseurs peuvent dissoudre l’État 108
3.23. Le concept d’autogestion est capable d’offrir un contenu réel au processus de disparition de l’État 109
3.24. L’émergence de l’observation participante, la caméra participante, le cinéma-vérité et l’anthropologie partagée 111
3.24.1. Tout film a un caractère sélectif et subjectif 112
3.24.2. L’avantage des caméras vidéo sur les caméras de cinéma de 16mm 112
Résumé du chapitre 113
Chapitre 4 : Dispositif de recherche 115
4.1. La problématisation 115
4.2. Les questions de la recherche 115
4.3. Critères de sélection des participants 116
4.4. Présentation des participants 116
4.5. Posture qualitative du chercheur 119
4.6. L’implication comme instrument de production de connaissance 120
4.6.1. Les dangers de la systématisation de l’analyse des implications 122
4.7. Le dispositif méthodologique pour la construction du corpus 122
4.7.1. Les entretiens individuels et collectifs 123
4.7.2. Analyse documentaire 125
4.7.3. Des situations d’observation tirées des entretiens filmés 128
4.8. Le dispositif filmique-socio-clinique 129
!6
4.8.1. La caméra vidéo est capable de pénétrer activement l’univers de chacun des sujets et rend possible une plus large collecte de données 129
4.8.2. Une collecte des données qui est cohérente avec une étude socio-clinique 131
4.8.3. Les avantages d’utiliser la caméra vidéo pour la recherche en sciences sociales 132
4.8.4. Le caractère ré-analysable des séquences du documentaire 133
4.8.5. Comment le rôle fédérateur de la caméra favorise l’implication des participants dans les entretiens 133
4.8.6. Une observation filmante exige une attitude plus transductive 135
4.8.7. Les objets techniques de mon dispositif d’observation filmant 136
4.8.8. Le montage du documentaire 137
4.8.9. L’utilisation de la voix off dans le montage 138
4.8.10. Les deux versions du montage 139
4.9. Les outils méthodologiques de l’analyse institutionnelle utilisés pour élargir les champs d’observation et d’analyse 142
4.9.1. Entretien de restitution et élaboration des résultats 142
4.9.2. Utilisation des analyseurs dans les entretiens 143
4.9.3. Travail de la commande et des demandes 145
4.9.4. Les interférences entre le champ d’intervention et le champ d’analyse 145
4.9.5. Analyse des effets de transformation du dispositif de recherche 146
4.9.6. « Gestion » de la transversalité 147
4.10. Le journal du chercheur et l’analyse de mes implications en tant que praticien-chercheur 148
4.10.1. Un chercheur « né deux fois » 152
4.11. Méthodologie de l’analyse des données 154
4.12. Limitations de la recherche 156
Résumé du chapitre 158
Troisième partie : Les résultats 160
Chapitre 5 : Les effets des mouvements institutionnels de FS sur l’implication professionnelle des consultants 161
5.1. La question de recherche 161
5.2. Pourquoi devenir consultant 163
5.2.1. Une activité qui s’annonçait comme lucrative 163
5.2.2. Évaluer le travail de leurs propres collègues enseignants et chefs d’établissements 164
5.2.3. Le souhait de concilier l’efficacité et la justice sociale 165
!7
5.2.4. La recherche d’indépendance 166
5.2.5. Tirer parti de l’expérience passée 167
5.3. Comment devenir consultant 168
5.3.1. Devenir consultant en qualité du réseau national de Fondation Schiller à travers du cours annuel de consultants 168
5.3.2. Devenir consultant du réseau de Fondation Schiller par le Master 168
5.3.3. La stage requis pour l’accréditation comme consultants 169
5.4. Les raisons de l’abandon des premiers consultants 171
5.4.1. La mise en place du SACGE durant l’année 2003 171
5.4.2. Le manque de demande d’établissements d’être accompagnés dans le processus de certification 172
5.4.2.1. Pourquoi en passer par un processus d’évaluation externe aussi difficile et pénible 172
5.4.2.2. L’exigence d’un score minimum SIMCE laissait de nombreux établissements dans l’impossibilité d’accéder à la certification 173
5.4.2.3. Le coût de la certification devrait être assumé par l’établissement 173
5.4.3. L’absence de tarif fixe et d’appui institutionnel 174
5.4.4. La difficulté d’avoir plusieurs emplois 175
5.5. Devenir membre des staffs d’autres programmes de FS 176
5.6. Devenir évaluateur externe 177
5.6.1. Passer de deux évaluateurs à un seul 178
5.6.2. Le manque de transversalité à l’intérieur de l’équipe d’évaluateurs et du staff 178
5.7. Devenir ATE et concurrencer les grands cabinets conseils 179
5.7.1. Concurrencer de grandes holdings d’entreprises qui ont créé leurs cabinets conseils pour obtenir du profit 180
5.7.2. Concurrencer la Fondation Schiller elle-même aux appels d’offres de fonds publics 181
5.7.2.1. La concurrence déloyale entre consultants 181
5.7.3. Les consultants qui travaillent dans une Agence Technique sous-traitée par une autre plus grande 182
5.8. Les implications idéologiques dans les logiques managériales 183
5.8.1. La surimplication des consultants dans le management 183
5.8.2. La certification de la qualité pour améliorer la capacité de soutenir la concurrence avec les autres établissements 185
5.8.3. Si un établissement ne peut avoir de profit, il ne peut pas offrir une éducation de qualité 186
!8
5.8.4. « Les établissements catholiques peuvent endoctriner les enfants avec la subvention de l’État laïc » 187
5.9. La désimplication affective et idéologique 188
5.9.1. L’absence d’une rémunération fixe 188
5.9.2. L’absence d’un collectif 188
5.10. Le retour de l’institution : les possibilités qu’offre l’ACE 189
En guise de conclusion 191
Résumé du chapitre 192
Chapitre 6 : Les opérations de traduction qui sont exécutées par les consultants avec les objets techniques de leur boîte à outils 195
6.1. La question de recherche 195
6.2. Les acteurs humains du réseau socio-technique 195
6.2.1. Les conseillers du CNCGE 195
6.2.2. Les membres du staff 198
6.2.2.1. La gestion avec les programmes de responsabilité sociale 199
6.2.2.2. La gestion faite avec les établissements qui doivent renouveler la certification 200
6.2.2.3. Les efforts pour maintenir en vigueur le modèle de qualité 200
6.2.3. Le consultant impliqué en tant que porteur du logos du pilotage de la qualité 201
6.2.4. Les évaluateurs externes 202
6.2.5. Le chef d’établissement et les professionnels qui composent l’équipe 203
6.2.6. Les enseignants 204
6.2.7. Les élèves 205
6.3. L’épreuve SIMCE 206
6.3.1. Une tâche essentielle du consultant vise à aider à maintenir et à augmenter le score au SIMCE 206
6.3.2. Les résultats du SIMCE sont associés au niveau socio-économique des familles 207
6.3.3. Le SIMCE un objet technique central dans les trois modèles de qualité 207
6.3.4. La tension entre le « quantitatif » et le « qualitatif » que génère le SIMCE 208
6.3.5. Publier et faire la promotion des résultats SIMCE 208
6.4. Les objets techniques qui constituent la boîte à outils du consultant en qualité 210
6.4.1. CMC : la plate-forme informatique FS 211
6.4.2. Les questionnaires de satisfaction pour les élèves, parents, enseignants et directeurs 212
6.4.3. L’écriture du rapport diagnostic 214
!9
6.4.4. La conception du plan d’amélioration de la qualité 215
6.4.4.1. La nécessité d’être accompagnés par un certain nombre de consultants 215
6.4.4.2. Le plan d’amélioration dans les modèles de qualité SACGE et SAC 216
6.4.5. La matrice d’indicateurs 217
6.4.5.1. La matrice d’indicateurs dans les modèles de qualité publique (SACGE et SAC) 218
6.4.5.2. L’utilisation de la matrice d’indicateurs pour mesurer l’état d’avancement du processus de certification 218
6.4.5.3. La réticence de certains consultants à partager la matrice avec l’équipe qualité 219
6.4.5.4. Décodification du processus de certification 219
6.4.5.5. Les établissements qui installent les 52 indicateurs du modèle de qualité et n’améliorent pas leurs résultats 220
6.4.5.6. Les établissements qui n’installent pas les 52 indicateurs et améliorent leurs résultats SIMCE 220
6.5. Le laxisme du rapport d’évaluation externe 220
6.6. Adaptations non hypertéliques des 18 profils de compétences professionnelles 223
6.7. Comment assurer la certification ? 225
6.7.1. Une question de chance ? 225
6.7.2. En recrutant un consultant ayant l’expérience d’évaluateur externe 225
6.7.3. La matrice d’indicateurs utilisés par les évaluateurs 226
6.7.4. Guider le processus de certification avec le rapport d’évaluation externe d’autres établissements 226
6.7.5. Utiliser le rapport d’évaluation externe de l’établissement pour renouveler la certification 227
6.7.6. Préparer les enseignants, élèves et parents pour les trois jours que dure la visite de l’évaluateur externe 228
6.7.7. Protester lorsqu’on n’obtient la certification peut être une bonne stratégie pour réussir à la prochaine évaluation 228
6.8. Le succès lié à l’illusion de fabriquer des preuves dans le processus de certification 228
6.9. L’utilisation de ces objets techniques n’empêche pas de produire des mensonges 229
6.10. Les stratégies qu’utilisent les consultants et les chefs d’établissements pour multiplier les moments de traduction 231
6.10.1. La création d’une équipe qualité dans l’établissement 232
6.10.2. Enrôlement d’autres acteurs 232
6.10.3. Mobiliser des objets techniques 233
!10
6.10.4. L’absence de problématisation de l’innovation 234
6.10.5. La propagande comme une autre opération de traduction 235
En guise de conclusion 236
Résumé du chapitre 237
Chapitre 7 : Les différentes logiques institutionnelles dans le discours des participants qui ont pu être saisies par mon dispositif de recherche 239
7.1. La question de recherche 239
7.2. Capter avec mon dispositif de recherche les nouvelles logiques institutionnelles 239
7.3. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par l’illusion de neutralité et d’objectivité du SIMCE 239
7.3.1. Comprendre la qualité comme valeur SIMCE 240
7.3.1.1. L’exigence d’un score SIMCE minimum pour accéder à la certification dans le modèle qualité de la Fondation Schiller établit une discrimination 241
7.3.1.2. Un établissement ayant un meilleur SIMCE n’est pas nécessairement un établissement efficace 241
7.3.1.3. Le poids excessif du score SIMCE dans le modèle qualité de l’Agence de Qualité de l’Éducation 242
7.3.2. La publication dans la presse des résultats du SIMCE des établissements 243
7.3.3. Limiter la formation des élèves exclusivement aux contenus que mesure le SIMCE 244
7.3.4. Les effets négatifs du SIMCE sur la professionnalisation des enseignants 247
7.3.5. La pratique frauduleuse de quelques établissements faisant s’absenter des enfants qui pourraient baisser la moyenne du score SIMCE le jour de l’épreuve 248
7.3.6. La sélection des enfants pour maintenir à la hausse le SIMCE 249
7.3.6.1. Sélection des élèves dans les lycées publics d’excellence pour maintenir à la hausse les scores SIMCE et PSU 250
7.4. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par le profit des propriétaires d’établissements 252
7.4.1. Le profit des propriétaires d’établissements associé à une mauvaise qualité du service éducatif 252
7.5. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par les fraudes commises par les propriétaires d’établissements et des ATE 253
7.5.1. Les grandes ATE qui n’ont rien à voir avec l’éducation mais qui absorbent les ressources provenant de la subvention SEP 254
7.5.1.2. Les grands magasins qui ont créé une ATE 256
7.5.2. Les ATE qui sont dirigées par des opérateurs politiques 257
!11
7.5.4. Les universités qui ont créé des ATE pour faire partie de ce groupe de « prédateurs » des ressources SEP 259
7.5.5. Les ATE constituées ou gérées par d’anciens fonctionnaires du MINEDUC 259
7.5.6. Les propriétaires des établissements qui financent d’autres comptes avec les ressources de la subvention SEP 260
7.5.7. Certains propriétaires d’établissements ont créé leurs propres ATE pour frauder le système 261
7.6. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par les incohérences du modèle de certification de la qualité 262
7.6.1. Les écoles qui certifient et n’améliorent pas leurs résultats 263
7.6.2. Découvrir qu’on ne peut pas améliorer la qualité de l’éducation sans observer et analyser ce qui se passe dans la salle de classe 264
7.6.3. L’existence d’un label de qualité pour les pauvres et d’un label de qualité pour les riches 265
7.6.4. Le label de qualité comme manière de démontrer artificiellement un certain leadership 267
7.6.5. Le label de qualité donne la possibilité aux propriétaires d’établissements de faire du profit 268
7.6.6. Les différences entre le modèle de la qualité de FS et les modèles publics SACGE et SAC 269
7.6.7. Les tensions éthiques que provoque la coexistence de deux dispositifs de qualité, celui privé de FS et celui public du nouveau SAC de l’ACE 271
7.6.8. Les familles ne choisissent pas les établissements en utilisant comme critère de sélection le label de qualité de Fondation Schiller 272
En guise de conclusion 273
Résumé du chapitre 274
Conclusions 275
Le réseau de réformes globales en éducation 275
Des acteurs humains impliqués dans ce réseau de traduction 277
Les concepteurs du réseau de traduction 277
Les consultants impliqués deviennent, pour un temps défini, des porte paroles du dispositif de pilotage par la qualité 278
L’efficacité d’un réseau de traduction pour installer le pilotage de la qualité dans le système scolaire 279
Décrire le scénario de la chaîne de traductions autour des objets techniques 280
Les opérations de traduction qui n’ont pas été mises en œuvre 280
Qu’est-ce qui a été traduit avec ce réseau ? : L’idéologie dominante des conseillers 281
!12
La légitimation de la reproduction de l’inégalité 282
Ceux qui perdent dans ce type de dispositifs ? 283
La rhétorique de la qualité 283
Alors, il est raisonnable de douter de ce type de dispositifs 284
Il faut continuer à étudier ces réseaux de traduction 285
Bilan sur le dispositif de recherche 288
Références bibliographiques 291
Documents et rapports officiels 315
Textes juridiques 316
Films 317
Glossaire des sigles et des abréviations utilisés 319
Liste des figures 321
Résumé 323
Abstract 325
!13
Introduction
Au Chili, à partir de 1973, les références subjectives (Guattari, 2007) du socialisme
furent balayées par une version de néolibéralisme promue par la dictature de Pinochet. La
déterritorialisation des références subjectives portées par le socialisme d’Allende, fut aussi
réalisée avec le travail des organisations internationales comme l’OCDE et d’autres agences
des Nations Unies qui ont contribué à mondialiser de nouvelles références sur lesquelles ont
été formés, à la fois, les administrateurs et les chercheurs. Ces références ont progressivement
imprégné nos institutions.
Cela a été possible parce que, comme l’affirme Guattari (2007), le capitalisme est
capable de produire globalement une sérialisation et une normalisation de la subjectivité
autour d’une image projetée dans toutes les instances intrasubjectives. C’est donc précisément
dans ce domaine de la subjectivité que les groupes dominants exercent, selon l’auteur, le
contrôle social collectif. Cependant, d’après l’auteur, « la production machinique de
subjectivité peut œuvrer pour le meilleur comme pour le pire [...] On ne peut juger ni
positivement ni négativement une telle évolution machinique ; tout dépend de ce que sera son
articulation avec des agencements collectifs d’énonciation » (Guattari, 1992, p. 16).
En opérant une ellipse dans notre histoire, au cours de l’année 2006 et après des mois
de mobilisation, les élèves qui avaient occupé leurs établissements et étaient sortis dans les
rues ont demandé à la présidente Bachelet l’abrogation de la Loi Organique sur la Qualité de
l’Éducation (LOCE, 1990). Cette loi, instaurée sous le gouvernement de Pinochet, avait
privatisé l’éducation dans les années 80. La candidate avait répondu positivement à cette
demande, ce qui avait alors été considéré comme un triomphe du mouvement des étudiants.
Cependant cela peut aussi, avec le recul, être considéré comme une sorte de tromperie puisque
la nouvelle loi ne rompait pas avec la possibilité pour les propriétaires de faire des bénéfices
et de sélectionner les meilleurs élèves, ce qui étaient les principales revendications du
mouvement des étudiants.
Durant l’année 2011, les étudiants ont réactivé le mouvement de contestation, sous le
premier gouvernement de la droite pro-pinochetiste après la dictature. Le mouvement des
élèves du secondaire a alors été relancé avec beaucoup plus de force et a été rejoint par les
étudiants universitaires. Les étudiants ont alors fait promettre à la Présidente Bachelet, lors de
la campagne électorale, que si elle était réélue comme présidente de la République,
!15
l’administration des établissements municipaux reviendrait à l’État afin d’en finir avec les
profits des propriétaires d’établissements scolaires.
Sur les photos des manifestations massives qui ont eu lieu dans tout le pays, on
pouvait apercevoir des banderoles sur lesquelles il était écrit : « Fin al lucro » (Fin du profit)
pour dénoncer les bénéfices des propriétaires d’établissements. Toutefois sur d’autres, il était
question de la qualité scolaire : « Educación pública gratuita y de calidad » (Éducation
publique gratuite et de qualité). Dans le camp adverse, dans une contre-manifestation, les
propriétaires des établissements privés subventionnés défilaient aux côtés de leurs enseignants
pour s’opposer aux réformes de Bachelet. Sur leurs banderoles, on pouvait lire : « pero ...
cuando vamos a hablar de calidad? » (mais … quand allons-nous parler de qualité ?). Ce
concept néolibéral de qualité a été introduit non seulement dans le discours des propriétaires
des établissements, ce qui n’est pas étonnant, mais aussi comme un cheval de Troie qui a
également réussi à entrer dans le discours des étudiants.
Étant donné que la loi LGE (2009) n’était pas claire sur la fin de la sélection des
étudiants et ne prévoyait pas la fin du co-paiement et du profit des propriétaires, en 2014
Bachelet a signé un projet de loi introduisant des modifications. Ce projet de loi est entré en
vigueur en 2015 et sa dernière modification a été réalisée durant l’année 2017. Il met fin au
profit des propriétaires, au co-paiement dans les établissements privés subventionnés et à la
possibilité pour les établissements subventionnés et municipalisés et bientôt publics de
sélectionner les meilleurs élèves du système.
Une seconde ellipse dans le récit est alors nécessaire. La Fondation Schiller (FS) est
une institution consacrée à la recherche et au développement de l’innovation au Chili qui a été
créée pendant la dictature (Secrétariat Général de la Présidence, 1972). En 2003, FS a créé le
Conseil National de Certification de la Gestion Scolaire (CNCGE) qui confère un label de
qualité aux établissements, ainsi qu’un réseau national de consultants pour accompagner les
chefs des établissements dans le processus de certification. Depuis l’année 2003, FS a formé
300 consultants en qualité. Leur rôle était celui de consultant parce que les établissements
n’avaient aucune obligation à ce moment de lancer un processus de certification car il n’y
avait pas encore d’injonction ministérielle. Je faisais partie de ces consultants et nous devions
obtenir que les établissements concernés débutent un processus de certification afin qu’ils
deviennent des clients pour FS.
!16
Le processus de professionnalisation des consultants a été fondé sur leur appropriation
de la démarche qu’ils devaient mettre en œuvre dans les établissements. Le réseau national a
permis à près de 1000 établissements de passer au moins par le processus de l’évaluation
interne sur la base de questionnaires de satisfaction proposés par le modèle de qualité via une
plate-forme online. Plusieurs de ces établissements ont poursuivi jusqu’à la fin du processus
de certification de la qualité en étant accompagnés par les consultants du réseau dans tout le
pays.
À la tête du projet de la FS, se trouvait Javier Brunetti (2001-2006), un ex-ministre 1
secrétaire général de la présidence (1994-1998) et ses collaborateurs Cecilia Avendaño et
Sandro Andueza. Ils affirmaient qu’il y avait suffisamment de preuves empiriques, dans la
littérature, prouvant que l’installation d’un nouveau modèle de gestion de l’établissement
pouvait améliorer les performances des élèves. Les implications idéologiques des concepteurs
du modèle n’étaient pas, à ce moment, nécessairement partagées par les enseignants et autres
professionnels qui souhaitaient se former comme consultants en qualité. Cependant le pilotage
de la qualité scolaire au Chili est progressivement devenu un dispositif d’évaluation central
dans le système éducatif.
Les décideurs tiennent pour acquis que cette forme d’évaluation externe contribue à
l’efficacité des établissements et améliore la qualité et l’équité de l’éducation. Ils estiment
nécessaire de donner cette possibilité à tous les établissements malgré la disparité de
ressources et de capital culturel des familles des enfants qui les fréquentent. Tous les
établissements devraient donc améliorer leurs résultats à l’épreuve SIMCE (Système de
mesure de qualité de l’éducation), central dans les trois dispositifs de pilotage de la qualité
que notre pays a connus.
Jusqu’à présent, seuls quelques chercheurs (Casassus, 2010 ; Redondo, 2005) ont
remis en question ce qu’on entend par qualité. Mais il n’existait aucune enquête visant à
connaître la boîte noire de cet important processus de transfert d’innovation entre le monde de
l’entreprise privée et le secteur public.
Ce nom a été anonymé comme tous les autres.1
!17
Le but de cette recherche
Le but de cette recherche est de découvrir comment ceux qui ont été mes collègues
consultants en qualité de Fondation Schiller ont utilisé les objets techniques de leur boîte à
outils pour influer sur l’implication des chefs d’établissement et de leurs équipes de direction
dans l’institutionnalisation du pilotage du système scolaire par la qualité. Ce processus, qui a
abouti à la création de l’Agence de la Qualité de l’Éducation (Agencia de la Calidad de la
Educación [ACE], 2011), a été soutenu par la diffusion du discours de la qualité, au sens de
Foucault (1969). Ce dernier, qui préfère utiliser la notion de discours pour se référer à
l’idéologie, désigne ainsi des énoncés qui génèrent des discours accompagnant le
développement des micro-pouvoirs dans l’ensemble des institutions. De plus, je cherche à
comprendre comment le dispositif de FS agit sur les implications professionnelles des
consultants eux-mêmes. De facto pour Foucault (1976), le dispositif est capable de produire
de la connaissance, de multiplier les discours, d’induire du plaisir et de générer des pouvoirs.
C’est pourquoi, d’après l’auteur, il est crucial d’examiner et de suivre les conditions dans
lesquelles il s’est créé et fonctionne. Enfin, une des caractéristiques du pouvoir de ces
dispositifs est de dissimuler leurs mécanismes. Le secret dans lequel ils opèrent étant
indispensable à leur développement.
Pour mener l’analyse, j’ai mis en œuvre un dispositif de recherche visant à découvrir
les implications des consultants en qualité en provocant des transductions dans leurs discours.
J’ai ainsi été attentif aux effets produits par mon dispositif de recherche sur les implications
des consultants (Monceau, 2013). Lors des entretiens, j’ai travaillé sur les effets des
analyseurs naturels tels que l’émergence de l’ACE, les revendications du mouvement des
étudiants pour mettre fin au profit réalisé par le co-paiement et la sélection des meilleurs
étudiants effectués par les établissements.
Les questions de recherche
Les trois questions de recherche qui ont guidé le développement de mon travail ont été
les suivantes :
Quels sont les effets des évolutions institutionnelles de la Fondation Schiller
concernant la traduction du pilotage par la qualité dans le système scolaire sur l’implication
professionnelle des consultants ?
!18
Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986) exécutées par les consultants,
en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour influer sur l’implication des chefs
et des propriétaires d’établissements scolaires dans l’institutionnalisation du pilotage par la
qualité ? Ceci tout en leur permettant de réussir le processus de certification de la qualité.
Quels effets produisent les interférences entre les différentes logiques institutionnelles
qui traversent leurs pratiques sur le discours des consultants ?
Méthodologie
Cette étude qualitative m’a permis d’aborder la boîte noire du processus
d’institutionnalisation du pilotage par la qualité comme dispositif de savoir-pouvoir
(Mazabraud, 2010). En fait, j’utilise cette acception du concept de dispositif de Foucault
(2004a) car au travers de ce réseau socio-technique circule des types de savoir et de pouvoir
capables de produire des subjectivités par leurs capacités à assujettir les individus.
J’ai utilisé un dispositif de recherche pour la collecte de données consistant en des
entretiens individuels d’une part et collectifs avec sept participants d’autre part.
Dans ce mémoire, les noms des personnes qui ont participé à la recherche ont été
anonymisés. J’ai également choisi de changer le nom de la Fondation qui a été mon principal
terrain d’enquête ainsi que des dirigeants de cette organisme.
Tous les entretiens ont été filmés. En fait, l’un des objectifs de cette thèse a été
d’expérimenter un dispositif filmique clinique qui pourra être réutilisé dans d’autres
recherches.
En effet, depuis huit ans, je suis réalisateur de films documentaires comme auteur
individuel mais aussi dans des projets collectifs pour la recherche en sciences sociales et de
l’éducation. En plus de l’importance de produire des archives audio-visuelles du discours des
participants et de leur évolution, j’ai décidé de procéder, en parallèle à la thèse, à la
production d’un documentaire sur l’institutionnalisation du pilotage par la qualité dans notre
système scolaire.
La caméra vidéo est utilisée de manière expérimentale dans ce dispositif socio-
clinique. Dans mon dispositif de recherche, la caméra a un rôle important pour faciliter
l’implication et la production de transductions dans le discours des participants. C’est ce que
Lallier (2009) appelle le rôle fédérateur de la caméra, parce que le fait d’être filmé favorise
!19
l’engagement de l’individu dans son activité. Ceci incite les personnes à aller plus loin dans
leurs réflexions. Selon Colleyn (2008), cela se produit parce que la caméra a un rôle
catalyseur. Les personnes se montrent alors de façon plus authentique.
J’ai tout d’abord réalisé une analyse documentaire des outils des consultants.
Les entretiens ont été réalisés avec d’ex-collègues ayant supporté (même si
difficilement) le processus d’anomie institutionnel (Aballéa, 2013). Pour ma part, j’ai
abandonné la pratique de consultant, ne me sentant pas capable de suivre le mouvement
institutionnel en cours.
J’ai aussi réalisé des observations grâce à des images provenant des entretiens qui ont
tous été filmés. Ce registre holistique des vidéos m’a permis de revenir par la suite sur les
entretiens filmés.
Pour l’analyse des données, j’ai utilisé une méthode de comparaison permanente.
Chaque entretien a eu pour objectif d’élargir la diversité de données (Glaser & Strauss, 2006).
C’est-à-dire que chaque entretien, qu’il soit individuel ou collectif, est pensé dans une suite et
non comme indépendant des autres.
Cependant, le temps étant compté et irréversible, chaque possibilité d’être sur le
terrain devait être exploitée au maximum et je ne pouvais pas attendre pour transcrire tous les
entretiens. J’ai donc effectué une première codification primaire ou ouverte (codage primaire)
en cours de révision des entretiens avec le même logiciel d’édition de vidéo (Final Cut X).
Je divisais chaque plan et séquence comme s’il s’agissait d’un programme d’analyse
qualitative. Je prenais des notes chaque fois que cela était nécessaire, car l’analyse et la
collecte des données sont beaucoup plus efficaces lorsqu’elles sont menées simultanément. Je
ne pouvais pas attendre de retranscrire des dizaines d’heures d’entretiens, car cela aurait
entraîné un décalage entre la collecte et l’analyse des données qui aurait nuit à la dynamique
que je souhaitais mettre en place dans mon dispositif. De cette façon, j’ai pu avancer en
faisant des corrections en temps réel sur l’échantillonnage théorique (Glaser & Strauss, 2006)
et sur la grille d’entretien.
Le travail de montage nécessaire pour la production d’un documentaire vidéo
nécessite par exemple une thématisation que l’on retrouvera aussi dans l’exploitation des
entretiens individuels et collectifs. C’est-à-dire que le montage du documentaire et l’écriture
de la thèse ont été en permanent symbiose.
!20
Pour élargir le champ de l’analyse, j’ai ajouté à ce dispositif méthodologique quelques
outils propres à l’analyse institutionnelle comme l’utilisation des analyseurs qui ont surgi des
entretiens, ce que Lourau (1978) nommait des analyseurs naturels. Je les ai utilisés pour
interroger les contradictions en activant les résistances et les conflits dans les entretiens
suivants. Le profit des propriétaires des établissements, la sélection des élèves et la
ségrégation ont été les principaux analyseurs utilisés durant les entretiens. Ils ont produit les
perturbations nécessaires pour faire parler l’institué et laisser ouverte l’expression des forces
instituantes. Un autre analyseur naturel est apparu au cours du développement de la recherche
doctorale, celui de la création de l’Agence de la Qualité de l’Éducation.
J’ai effectué un temps de restitution de mes premiers résultats avec Carlos, mon
informateur privilégié, pour les affiner. Enfin, l’écriture d’un journal a été essentielle pour
l’analyse de mes propres implications primaires et secondaires en tant que praticien-
chercheur.
De la pertinence de la recherche
Cette étude permet de dévoiler la boîte noire de ce processus d’institutionnalisation du
pilotage par la qualité dans le système scolaire. Les établissements engagés dans ce type de
dispositif consacrent une grande partie de leur temps à la fabrication de preuves pour saturer
chaque indicateur. Ceci est jugé important par un groupe de spécialistes auto-désignés de
l’éducation de qualité. Cette recherche rend compte également du fait que ce type de dispositif
a des effets aliénants sur les professionnels de ces établissements.
Cette étude vise aussi à éclairer le contexte néolibéral qui détermine ce type
d’évaluation externe en limitant la possibilité que les acteurs ont de réfléchir sur leurs propres
pratiques et sur leurs possibilités de construire des indicateurs prenant en compte la réalité
locale de l’établissement. Cet effet semble contradictoire avec la volonté affichée d’améliorer
l’éducation reçue par les enfants dans ces mêmes établissements en associant les acteurs de
terrain.
Cette étude qualitative a enfin la prétention de remettre en question ce type
d’évaluation externe et d’ouvrir un champ d’investigation à d’autres chercheurs en Amérique
latine et ailleurs dans le monde. Le Chili, qui a déjà installé le pilotage par la qualité dans le
!21
système éducatif, n’est en effet pas le seul concerné. La FS a, par exemple, étendu son modèle
au Brésil.
Sur un plan plus méthodologique, cette recherche propose l’expérimentation d’un
dispositif filmique original dont je tenterai de montrer les intérêts et les limites.
Les limites de cette recherche
Cette recherche rencontre, comme toutes les enquêtes qualitatives, des limites en
termes de généralisation. La possibilité de transférer leurs résultats à toute la population, ici à
tous les consultants en qualité de FS, peut être remise en question car le choix de la
population d’enquête et sa taille réduite (dans notre cas sept participants) pourraient conduire
à juger la population d’étude trop limitée. Il est donc important de préciser d’emblée qu’il ne
s’agit pas d’un échantillon représentatif de l’ensemble des consultants mais d’un groupe de
consultants choisis pour le rapport singulier qu’ils ont avec l’objet de recherche.
Cette absence de pouvoir prédictif, selon Miles et Huberman (1994), est liée au
nombre restreint de cas dans une étude qualitative. Les méthodes de collecte et d’analyse de
données, pourrait aboutir à des conclusions différentes selon l’enquêteur (Merriam, 1988). Le
fait que les sujets participent volontairement à l’étude peut également être considéré comme
une limitation, parce que les opinions des volontaires peuvent refléter une perspective très
limitée ou partielle concernant le processus d’institutionnalisation de ce dispositif de contrôle
qu’est le pilotage par la qualité dans système éducatif chilien.
De plus, comme pour toute conception de recherche qui repose sur des entretiens, il y
a toujours la possibilité que les personnes interrogées ne donnent pas d’informations précises.
Ici, il leur est demandé de décrire le processus d’institutionnalisation du dispositif de pilotage
de la qualité du système éducatif chilien durant une décennie.
Concernant les effets de ma propre implication, j’ai présenté régulièrement mes
analyses à mon directeur de thèse ainsi que certains résultats publiquement. J’ai revu la
littérature scientifique pour déterminer la validité des explications alternatives plausibles
pouvant interroger les conclusions de mon étude. Finalement, comme dans toute démarche de
type socio-clinique, je suis le principal instrument de mon dispositif de recherche, ceci peut
être considéré comme une autre limite mais aussi comme une ressource lorsqu’il s’agit
!22
d’interroger les implications subjectives des sujets (ici les consultants) dans un processus liant
des dimensions techniques et idéologique.
Enfin, ce dispositif clinique (Ardoino, 1989), de caractère expérimental, qui mobilise
la caméra vidéo (Pesce & Robbes, 2014, 2015) pour faciliter l’implication et la production de
transductions dans le discours des participants, a eu deux visées, l’une de compréhension de la
réalité et l’autre de transformation des participants (Bibeau, 2010, cité dans Monceau &
Soulière, 2017). En fait, si les résultats de cette étude qualitative ne vont pas faire preuve
concernant l’impact positif ou négatif du dispositif de pilotage par la qualité dans notre pays,
ils vont éclairer les processus par lesquels des consultants agissent sur les implications
d’autres acteurs tout en étant eux-mêmes transformés par l’institutionnalisation du dispositif
par la qualité de FS.
Organisation de la thèse
Ce mémoire est organisé en trois parties suivies de références et d’appendices.
L’introduction présente l’approche du problème, le but, les questions de recherche,
l’intérêt de l’étude et ses limites.
La première partie propose un état des lieux et est constituée de deux chapitres. Dans
le premier chapitre, est présentée une revue de la littérature portant sur le contexte de quasi-
marché caractérisé par la liberté de choix et la concurrence entre établissements dans lesquels
s’impose l’évaluation externe comme partie prenante des dispositifs d’ « accountability ». Le
deuxième chapitre est une description du dispositif de pilotage de la qualité par FS à la
lumière du contexte socio-historique dans lequel il est implanté.
La deuxième partie propose les cadres théorique, épistémologique et méthodologique
présents dans les deux premiers chapitres. Le troisième chapitre est une révision du champ de
cohérence scientifique du chercheur, présent dans les différentes étapes de la recherche. Le
quatrième chapitre présente la conception de l’étude qui comprend les procédures et résume la
méthodologie utilisée : techniques de collecte de données, techniques d’analyse de données,
dispositif pour élargir le champ d’observation et le champ d’analyse.
La troisième partie propose les résultats liés aux analyses des trois questions de
recherche et est constituée de trois chapitres. Le cinquième chapitre est une présentation de
l’analyse en réponse à la première question de recherche qui interroge les effets des
!23
mouvements institutionnels de FS sur la traduction du pilotage de la qualité dans le système
scolaire et sur l’implication professionnelle des consultants. Le sixième chapitre est une
présentation de l’analyse liée à la deuxième question de recherche qui interroge les opérations
de traduction exécutées par des consultants. Celles-ci mobilisent les objets techniques de la
boîte à outils du consultant pour influer sur l’implication des chefs et des propriétaires
d’établissements scolaires dans le processus de certification de la qualité. Le septième
chapitre propose les résultats liés aux analyses de la troisième question de recherche portant
sur les effets produits dans le discours des participants pour mon dispositif de recherche
(Monceau, 2011, 2005).
Le huitième chapitre présente les conclusions de cette étude.
Enfin, les dernières sections du travail correspondent aux références bibliographiques,
au glossaire et au récapitulatif des figures.
!24
Chapitre 1 : État évaluateur et nouvelles régulations en éducation
Dans ce premier chapitre, je propose une synthèse de travaux portant sur les nouvelles
régulations en éducation et le modèle de quasi-marché. Ces éléments de contexte me
permettront par la suite de mieux présenter la manière dont le travail des consultants qualité
s’inscrit dans l’évolution des modes de gouvernance dans le domaine scolaire.
1.1. La nouvelle gestion publique et les politiques de décentralisation dans
l’éducation
Pour Rondinelli, Nellis et Cheema (1984), la décentralisation peut être comprise de
trois manières possibles, selon le degré d’autonomie par rapport au gouvernement central.
D’abord, comme déconcentration dont le transfert des compétences se fait en faveur d’unités
locales qui demeurent sous l’autorité du gouvernement central ; deuxièmement, comme
délégation dont le transfert de responsabilités à des unités sub-nationales ou des unités
publiques, qui n’appartiennent pas au Ministère de l’Éducation, cependant dont les pouvoirs
sont explicitement encadrés par l’autorité centrale ; et en troisième lieu, comme dévolution
dont le transfert des responsabilités se fait au profit d’unités sub-nationales et/ou publiques,
indépendantes du Ministère de l’éducation et qui bénéficient d’une plus grande autonomie de
décision.
D’après Mons (2004b), ces politiques de décentralisation se caractérisent par le refus
de l’État-providence qui n’avait pas été capable de promouvoir « le développement
économique tant espéré ni la qualité de l’enseignement tant attendue » (p. 42). Mons (2004b ;
2007) écrit également que ces politiques éducatives d’apparence identiques ne se développent
pas de façon isolée et produisent des effets très différents dans chacun des pays.
Étant donné la quantité et la variété des pays touchés par ces réformes, il est probable
que ces changements, comme l’affirme Maroy (2008), « ne sont pas seulement
conjoncturelles, apparaissant comme les signes d’un changement de régime de régulation
institutionnelle » (p. 32-33).
Les dispositifs d’accountability (reddition de comptes) continuent de progresser dans
le secteur public. Lawn (2011) affirme ainsi que l’idée que le secteur privé serait plus efficace
!27
est partagée par les administrateurs du secteur public et que ceux-ci ne perçoivent
apparemment pas les signes des effets collatéraux de la décentralisation.
Jobert (1992) écrit que le mode de présentation de la politique publique, le repérage
des éléments qui pourraient sembler inutiles ou marginaux, les modes d’interprétation de la
réalité qui vont être proposés dans son discours concluent à rendre légitime ce mode de
perception, c’est-à-dire qu’il serait, selon l’auteur, « un puissant vecteur de construction
cognitive et normative qui affecte la définition de ce qui est visible et ce qui importe dans le
champ scolaire » (p. 45). Le problème, selon Derouet (1992), serait que ces concepts, qui se
focalisent sur l’efficience de l’organisation scolaire, négligent le fait que le travail enseignant
n’est pas totalement évaluable et que les tentatives pour le faire détournent l’école de son
« monde intérieur », c’est-à-dire des activités qui lui sont propres.
1.2. Le modèle de quasi-marché
Il est nécessaire de faire la distinction entre une logique de contractualisation et une
logique de quasi-marché. Maroy (2004) affirme que dans une logique de contractualisation,
l’autorité publique contrôle les résultats des établissements par le biais d’un corps
d’inspecteurs ou d’agents intermédiaires. Dans une logique de quasi-marché, selon l’auteur, le
rôle des autorités publiques est seulement d’informer les clients de l’école à travers la
diffusion d’informations sur la qualité des institutions. Toutefois dans les deux cas il y a une
logique de pilotage par les résultats avec des configurations différentes.
1.3. Les idées sous-jacentes dans le modèle de quasi-marché scolaire
1.3.1. La pression qu’exercent les familles serait plus efficace que celle d’une autorité
publique sur les écoles
Selon Dupriez et Dumay (2011), l’idée sous-jacente dans le modèle du quasi-marché
scolaire est que la pression exercée par des familles libres de changer d’établissement s’il
n’est pas conforme au service attendu, serait plus efficace que le contrôle que peut exercer
une autorité publique sur les écoles.
En effet, Vandenberghe (1999) affirme que la logique du marché correspond à un
système volontaire d’échange entre « des transactants autonomes » pour faire valoir leurs
!28
propres intérêts. Sur la notion de quasi-marché des systèmes scolaires, l’auteur soutient que
grâce aux ressources publiques, les familles peuvent choisir entre les divers établissements.
Concernant les critères d’efficacité scolaire sur lesquels les parents fondent leurs
décisions de choisir une école pour leurs enfants, Langouët (1995) affirme, que c’est là
précisément ce qui les pousse à faire du « zapping » entre les établissements. Cela se fonde
sur la conviction que le consommateur, en général, est responsable, rationnel et bien informé.
Toutefois les parents ne sont pas dans une situation d’information parfaite sur la qualité des
écoles et leur adéquation au profil de leurs enfants. Dans le cas du Chili, cette logique se
matérialise par des vouchers, une subvention que les parents reçoivent de l’État pour chaque
élève et qu’ils peuvent utiliser librement pour choisir l’école de leurs enfants (Mons, 2004b).
Pour Dupriez (2005), cette logique de quasi-marché se fonde sur l’hypothèse que la
concurrence est synonyme d’amélioration de la qualité et de satisfaction du client et que c’est
par cette raison que l’on justifie la publication des résultats. Cela favoriserait un choix plus
rationnel du consommateur et cette pression sur la qualité par des parents informés conduirait
les institutions à améliorer leurs pratiques.
1.3.2. L’existence d’établissements privés favoriserait la concurrence avec les
établissements publics
Une autre idée sous-jacente, d’après Dupriez et Dumay (2011), est que l’existence
d’établissements privés favoriserait la concurrence avec les établissements publics, ce qui
bénéficierait à l’ensemble du système éducatif. Bien que le problème de la sélection
complique le travail au moment d’établir des comparaisons entre les écoles dans un même
système éducatif, selon les auteurs ce problème disparaît lorsqu’on effectue des comparaisons
entre pays « au sein desquels la part de l’enseignement privé varie » (p. 86). Cependant, selon
eux, émerge un nouveau problème méthodologique, « qui est la nécessité de prendre en
considération suffisamment d’autres variables (au niveau des pays) susceptibles d’influencer
le score moyen des élèves afin de pouvoir attribuer, avec un degré de certitude suffisamment
élevé, un éventuel pouvoir explicatif à la présence de l’enseignement privé » (p. 86). Mais il
faut être attentif aux différences culturelles relatives entre les pays, qui pourraient exercer une
autre influence.
!29
Wößmann (2003), qui a effectué des analyses sur les épreuves TIMSS 1995, PISA 2 3
2000 et PISA 2003, a conclu que l’existence d’un secteur privé important est associé à un
rendement moyen un peu plus élevé que dans d’autres pays et que l’influence du secteur privé
sur les résultats des élèves est plus grande lorsque cela se combine avec un financement
public.
1.4. Trois types de modèles de situations de libre choix
Le libre choix de l’école par les familles est une des principales caractéristiques du
modèle de quasi-marché scolaire. Mons (2007) distingue trois types de modèles de situations
de libre choix, sur la base d’une analyse qu’elle a effectué sur 22 pays de l’OCDE. Le premier
modèle de situation, que l’auteure appelle « absence de choix » peut être de deux types. Le
premier d’entre eux, « une politique de sectorisation sans dérogation » concerne la Corée, le
Japon, Hong-Kong et la Grèce.
Le second type correspond à ce que l’auteure appelle la « carte scolaire avec
possibilité de dérogations ». Les exemples de ce type sont la France, le Portugal, l’Allemagne,
l’Autriche et les États-Unis. Le deuxième type de situation est appelé par Mons « libre choix
régulé » dans lequel les parents d’élèves expriment leurs préférences, qui doivent être
considérées par les autorités publiques. Ces dernières doivent arbitrer, lorsqu’il est nécessaire,
ces demandes des familles en prenant aussi en compte l’intérêt général, par exemple la mixité
sociale au sein des établissements. Des exemples de ce type sont les systèmes éducatifs de
l’Espagne, la Suède et du Danemark.
Enfin, elle ajoute le modèle de « libre choix total » où les familles peuvent choisir sans
régulation de la part des autorités. Dans ce dernier cas, les familles s’adressent directement
aux écoles qui vont prendre connaissance de leurs souhaits. Des exemples de ce type de
L’étude des Trends in International Mathematics and Science Study (TIMSS) est une évaluation 2
internationale de connaissances en mathématiques et en sciences des étudiants inscrits dans les classes de quatrième et huitième degrés de tout le monde. Le TIMSS a été développé par l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire (IEA), pour que les nations participantes puissent comparer la réalisation de l’éducation des étudiants.
Le rapport PISA (Programme for International Student Assessment) est une étude réalisée par 3
l’OCDE au niveau mondial qui mesure le rendement académique des élèves en mathématiques, sciences et de lecture dans le but de disposer de données comparables pour les pays participants puissent améliorer leurs politiques d’éducation et de ses résultats. L’étude se fonde sur l’analyse de la performance des étudiants de 15 ans à partir de tests standardisés.
!30
situation sont la Belgique, la Hongrie, la Nouvelle-Zélande et dans une certaine mesure
Royaume Uni.
1.5. Interaction entre les indices d’autonomie et la présence d’examens
standardisés dans les systèmes éducatifs
Wößmann, Lüdemann, Schütz et West (2007) ont trouvé une interaction significative
entre les indices d’autonomie et la présence des examens dans les systèmes éducatifs, lorsque
cela se combine avec une norme pédagogique extérieure claire, comme le test standardisé.
Enfin, une enquête menée par l’OCDE à partir de PISA 2000, Luyten, Scheerens, Visscher,
Maslowsky, Witziers et Steen (2005) concluait que l’autonomie pédagogique semble associée
à des résultats académiques plus élevés lorsqu’elle se combine avec les éléments d’épreuves
externes standardisées.
1.6. Les effets de plus d’autonomie et de plus de choix sur l’apprentissage des
élèves
Le rapport « A Nation at Risk » (1983), qui a redéfini aux États-Unis le rôle de l’État
dans l’éducation, a marqué un mouvement dans le sens contraire à la tendance vers
l’autonomie scolaire des années soixante-dix (Herrington & Kasten, 2001). L’idée qui sous
tendait cette politique était que l’autonomie institutionnelle était bonne en soi (Murphy &
Beck, 1995). Pour les auteurs, cette autonomie de l’établissement scolaire donne plus de
pouvoir aux acteurs et le droit de participer aux décisions. Les acteurs ainsi renforcés
devraient améliorer leur participation, leur professionnalisme, leur sentiment d’efficacité et
leur moral. Avec un personnel plus professionnel et plus engagé devrait alors se produire une
amélioration de la « santé organisationnelle » de l’école, se traduisant à son tour par une
amélioration de l’apprentissage des élèves et une plus grande satisfaction de la communauté
(Murphy & Beck, 1995). D’autres auteurs, comme Seddon, Angus et Poole (1990) ont
également une vision positive de l’autonomie scolaire, car elle permettrait une plus grande
implication des enseignants dans la prise de décisions, ce qui devrait avoir des effets positifs
sur leur motivation.
Selon Dupriez (2005), à partir des tests standardisés de performance scolaire, les
établissements sont informés et interpellés dans leur capacité à faire progresser leurs
!31
étudiants. Dans les systèmes plus décentralisés comme l’Angleterre, selon le même auteur, les
réformes adoptées depuis la fin des années quatre-vingt ont introduit un curriculum national et
des évaluations externes standardisées des étudiants. Pour ce chercheur, il y a dans ces deux
pays une redistribution des fonctions entre le centre et la périphérie avec un centre
essentiellement politique concentré en priorité sur la définition des objectifs et des indicateurs
pour mesurer le travail des unités décentralisées.
Ces dernières bénéficient de certaines marges de liberté variables selon les pays, ce
qui leur permet de construire leurs propres stratégies pour atteindre les objectifs définis. Dans
les pays ayant une tradition centralisée comme la France, selon Dupriez (2005), le pilotage a
été modifié en faveur d’une plus grande autonomie et de nouvelles responsabilités laissées
aux établissements.
1.7. Effets potentiels de l’autonomie des établissements sur les performances des
élèves
Leithwood et Menzies (1998) ont réalisé une méta-analyse à partir des recherches
effectuées principalement dans les pays anglo-saxons. Ces chercheurs se sont intéressés aux
effets de diverses formes de school-based management. Ils ont conclu qu’il fallait être
prudents en ce qui concerne les effets potentiels de l’autonomie des institutions sur le
rendement des élèves. Certaines formes d’autonomie, comme celles accordées au chef de
l’établissement et aux enseignants, sont plus prometteuses que celles accordées à la
communauté scolaire au sens large, y compris aux parents d’élèves. De fait, Wößmann (2007)
par le biais d’analyses secondaires de bases de données internationales ont trouvé un effet
positif sur les apprentissages des élèves, du fait de la décentralisation et d’une plus grande
autonomie laissée aux établissements dans la gestion du personnel et les prises de décisions
pédagogiques.
1.8. Des dispositifs d’accountability ou de régulation post-bureaucratique en
éducation
Une première étape, selon Mons (2007), concerne le développement de dispositifs
d’accountability. On peut le dater de l’an 1983, lorsqu’aux États-Unis l’intervention
monopolistique de l’État fut dénoncée comme inefficace par les néo-conservateurs à travers le
!32
document « A Nation at Risk » (1983), ce qui a redéfini le rôle de l’État dans l’éducation et
mis en œuvre des politiques d’accountability.
Une deuxième étape est représentée par le document « No Child Left Behind » (Mons
& Dupriez, 2011) élaboré en l’an 2001, cette fois par les républicains et les démocrates. Aux
États Unis va alors s’imposer l’installation de nouveaux dispositifs d’évaluation standardisés
qui vont être liés à des financements fédéraux. Ceci va air sur le développement de standards
de contenus nationaux et de nouvelles normes de qualification pour les enseignants dans le
but d’améliorer le niveau de certification de certains enseignants travaillant dans les écoles
publiques des districts les plus démunis. Ces politiques d’accountability, ont été
institutionnalisées un peu plus tard en Europe et l’Amérique latine (Tiana, 2010 ; Cox, 2004 ;
Varcher, 2012 ; Felouzis & Hanhart, 2011).
Selon Maroy (2012), la notion polysémique d’accountability en éducation, qui est
omniprésente dans la littérature américaine (Harris & Herrington, 2006) peut être traduite en
français comme responsabilisation, imputabilité ou reddition de comptes. Pour Maroy (2008)
les dispositifs d’accountability correspondent à un nouveau « régime de régulation post-
bureaucratique des systèmes d’enseignement » (p. 59). Le même Maroy (2012) affirme qu’il
est nécessaire de développer ces formes d’accountability à l’école, pour :
[...] réduire l’incertitude des clients/ managers quant aux risques d’opportunisme et
d’opacité des opérateurs scolaires. Il s’agit de favoriser la bonne marche « du
marché » ou de « l’organisation productive » scolaire, au risque d’une perte
d’autonomie professionnelle des enseignants et sans pour autant que l’École ne
redevienne une institution politique « digne de confiance » (p. 57).
Maroy (2008) affirme également que l’accountability dans l’éducation reviendrait à de
nouvelles formes de régulation basées sur les résultats qui permettent d’évaluer la
performance des établissements par rapport aux objectifs curriculaires et à sanctionner de
manière positive et négative dans le but de « favoriser des processus d’ajustement et de
correction des pratiques et fonctionnements des établissements en vue d’améliorer leurs
résultats » (Maroy, 2012, p. 57).
Maroy et Mangez (2011) distinguent des systèmes d’accountability qui prévalent dans
les pays anglo-saxons et le pilotage dans le reste de l’Europe, qui représentent différentes
configurations entre les outils et la manière dont sont appliquées les politiques éducatives,
!33
mais qui correspondent au même paradigme politique qui considère l’école comme un
système de production scolaire.
D’après Meuret (2016), l’apprentissage dépend de la contribution de plusieurs acteurs
qui ne disposent que d’informations incomplètes sur les efforts des autres acteurs. Pour
chacun d’entre eux, il semble raisonnable de penser que l’autre partie ne produit pas un effort
suffisant, ce qui peut saboter son propre investissement. Pour l’auteur, il semblerait que les
acteurs de l’école française républicaine soient plus méfiants que, par exemple, ceux des
écoles des États-Unis et du Canada où l’idée est admise que l’école est au service de la
communauté et vise à favoriser une plus grande confiance entre les acteurs de l’école.
Ces nouvelles méthodes de régulation « post-bureaucratiques » (Maroy, 2008 ; Ozga,
2009) dans l’éducation, ont été diffusées dans un contexte socio-économique global dans
lequel les états cherchaient à améliorer la performance de leurs systèmes éducatifs et la
qualité de leurs ressources humaines pour s’insérer dans une société de la connaissance
(Brown, Lauder & Ashton, 2008).
En suivant Malet (2013), ces processus d’accountability ont été promus par l’OCDE
depuis les années quatre-vingt, au même titre que l’évaluation des systèmes et des
organisations scolaires, dans le but de garantir la qualité et l’efficacité de l’action des
professionnels des établissements avec pour idée qu’il s’agit de « bon sens » (Harvey, 2007).
Toutefois ce concept managériale d’accountability « est en effet avant tout doté d’une
signification morale et politique » (Malet & Dupriez, 2013, p. 150).
Au cours des dernières décennies, selon Malet et Dupriez (2013), les systèmes
scolaires développent des dispositifs d’évaluation qui proviennent de l’économie marchande
du monde de l’entreprise où, selon l’auteur, « la référence au principe d’accountability ou de
reddition de comptes s’impose dorénavant comme la norme qui doit guider les dispositifs
d’évaluation » (p. 150). En fait, la reddition de comptes et le libre choix, affirme Harvey
(2007, cité dans Malet, 2012), semble avoir du sens, une fois qu’on accepte la mondialisation
des réformes éducatives et scolaires.
!34
1.8.1. La capacité des dispositifs d’accountability à gérer les risques d’opacité et
d’augmenter la transparence
Selon Maroy (2012), les dispositifs d’accountability, au niveau gouvernemental,
cherchent à gérer « les risques d’opacité et d’opportunisme dans des transactions locales entre
usagers et prestataires de service scolaire d’une part, entre administrateurs et employés
(professionnels) du système de l’autre » (p. 63-64), c’est-à-dire à permettent d’accroître la
transparence de l’offre éducative pour les usagers et d’informer l’administrateur scolaire et
par conséquent les parents que les enseignants disposent des compétences et de l’engagement
pour produire les résultats attendus d’eux (Maroy, 2012).
1.8.2. Les quatre traits communs des nouvelles politiques d’accountability
Pour Maroy (2013) quatre caractéristiques communes sont présentes dans les
nouvelles politiques d’accountability. Selon Maroy et Mangez (2011) c’est pour mettre en
acte et renforcer le nouveau paradigme politique où l’école n’est pas conçue comme une
institution mais comme un « système de production ».
Une seconde caractéristique de ces nouvelles politiques d’accountability, d’après Ozga
(2009), est que leurs « objectifs opérationnels sont exprimables par des données quantifiées,
qui deviennent des « standards » auxquels on confronte les résultats effectifs. On gouverne
ainsi par des « nombres ».
La troisième caractéristique, selon Maroy et Voisin (2014), est que « les instruments
divers d’évaluation des acquis des élèves (testing) sont centraux, même si les modalités de
mise en œuvre et d’usage de ces outils d’évaluation peuvent être très variables » (p. 3).
Enfin, selon Maroy et Voisin (2014), la quatrième caractéristique est que « divers
outils d’action publique (contractuels, financiers, règlementaires) organisent les
« conséquences » variables de la reddition de comptes pour les acteurs individuels ou
collectifs » (p. 3).
!35
1.8.3. Quatre types de logiques sous-tendant les instruments des nouvelles politiques
d’accountability
Maroy et Voisin (2013) distinguent deux systèmes d’accountability. Le premier
système d’accountability apparaît aux États-Unis. Il est défini par les auteurs comme ayant de
« forts enjeux », parce qu’il intervient à deux niveaux, tant au niveau fédéral qu’au niveau de
chaque état, ceci pour répondre à l’inquiétude croissante générée par les mauvais résultats du
système éducatif et à la différence persistante des résultats entre les minorités ethniques et la
majorité blanche (Harris & Herrington, 2006). Dans ce système d’accountability fixant les
normes curriculaires et le rendement au niveau central, c’est-à-dire « un «alignement » des
évaluations et des pratiques professionnelles sur la base de ces standards, des sanctions
importantes à l’égard des professionnels ou des institutions qui ne parviendraient pas à
rejoindre les objectifs déterminés en termes de performance » (Maroy & Voisin, 2013, p. 6).
En Europe et plus spécifiquement en Angleterre et au Pays de Galles (Broadfoot,
2000 ; Normand & Derouet, 2011), il a été créé un système d’accountability à « forts enjeux »
qui prévoit un contrôle suivi et permanent des performances effectives des élèves et des
écoles. Broadfoot (2000) affirme que ce type d’accountability est un processus en deux étapes
: d’abord identifier et mesurer le rendement du système éducatif en relation avec les objectifs
préalablement fixés et, en deuxième lieu, établir des mécanismes de contrôle pour détecter
toute différence entre les objectifs et les résultats.
Toutefois en Europe prévalent, selon Mons et Dupriez (2011), des politiques
d’accountability réflexives, qui constituent un modèle de reddition de résultats qui consiste en
une auto-évaluation et une sanction extérieures se fondant sur l’hypothèse de l’engagement et
de la réflexivité des acteurs. En Belgique, en France et en Suisse, on ne parle pas
d’accountability mais on utilise la notion de pilotage (de Landsheere, 1994) ou bien les
notions d’évaluation des politiques éducatives et d’obligation de résultats (Demailly, 2001 ;
Lessard & Meirieu, 2008).
Par la suite, dans une autre publication, les mêmes auteurs, Maroy et Voisin (2014),
distinguent quatre types de reddition de comptes : dure, néo-bureaucratique, réflexive et
douce. Cette nouvelle typologie explique l’évolution des politiques d’accountability durant les
dernières années. C’est pourquoi Carnoy et Loeb (2002) parlent de « new accountability »,
!36
parce que ces politiques de régulation des résultats sont en cours dans divers contextes et avec
divers instruments d’action publique.
D’après Maroy et Voisin (2014) quatre types de logiques sous-tendent les instruments
d’accountability et les politiques mises en œuvre dans les différents systèmes éducatifs.
Lorsque nous parlons d’une logique d’accountability « dure », nous qualifions ses
conséquences, car les instruments mobilisés sont étroitement alignés avec une conception de
l’acteur utilitariste qui suppose que l’action de régulation doit passer par des dispositifs
externes aux acteurs. Deux exemples de ce type sont le Texas et l’Angleterre (Broadfoot, 2000
; Ozga, 2009).
Un deuxième type de logique d’accountability, selon Maroy et Voisin (2014), est celle
qu’ils qualifient de « néo-bureaucratique ». Elle porte aussi une conception utilitariste de
l’acteur et considère également une régulation fondée sur un fort alignement des outils et des
différents niveaux d’action. Les dispositifs externes sont constitués d’outils de contrôle et
d’évaluation des résultats de l’action, mais l’accent est mis sur l’obligation de reddition de
comptes. Un exemple de cette logique est le Québec.
Une troisième logique d’accountability est qualifiée par plusieurs auteurs de
« réflexive » (Normand & Derouet, 2011 ; Ozga, 2009) ou aussi « self-evaluation » (Ozga &
Grek, 2012). Dans ce cas, les conséquences peuvent être fortes ou modérées, tant pour les
individus que pour les organisations bien que « l’alignement entre instruments et paliers reste
étroit » (p. 6). On espère davantage que les acteurs soient réflexifs que dans les autres
logiques et l’action de la régulation politique ne passe pas seulement par les périphéries
externes car on cherche en revanche de mobiliser leurs engagements et dispositions internes.
Cette logique propose divers dispositifs pour encadrer les finalités ou moyens de
l’action comme les standards curriculaires, d’évaluation ou de compétences, elle repose «
aussi sur des dispositifs sophistiqués de production de données et d’évaluation des processus
et résultats de l’action ; les dispositifs d’inspection et de contrôle restent forts, mais sont
accompagnés de dispositifs de soutien développés » (p. 6). En même temps l’objectif est de
mobiliser les dispositions cognitives et les régulations internes des acteurs à travers un
processus d’auto-évaluation pour agir non seulement sur les résultats de l’action, mais
également pour générer des processus de changement, d’apprentissage et d’amélioration des
!37
résultats. Des exemples de cette logique d’accountability sont l’Écosse et l’Ontario (Chang,
Fisher & Rubenson, 2007) et le district de Chicago (Finnigan & O’Day, 2003 ; Byrk, 2003).
La dernière logique, selon Maroy et Voisin (2014), est celle qu’ils qualifient de
« douce », car elle « repose d’abord sur des conséquences matérielles ou sociales faibles de la
reddition de comptes par rapport aux résultats, pour les individus ou les organisations
locales » (p. 6). L’alignement entre les outils et standards est plus lâche. On privilégie dans
cette logique un acteur local, réflexif, qui soit socialement enclin à améliorer ses pratiques
dans le sens prévu par les autorités éducatives et la régulation. Bien qu’elle opère par des
dispositifs externes aux acteurs, cette logique se fonde sur la disposition des acteurs scolaires
locaux qui devrait s’engager dans une réflexivité et un processus d’amélioration ou de
modification des pratiques locales pédagogiques et organisationnelles. Selon les auteurs, des
exemples de cette logique sont la Belgique francophone et la France.
1.8.4. Une market based accountability versus une government based accountability
Une autre distinction de types d’accountability est faite par Harris et Herrington
(2006). Ils distinguent deux types, le market based accountability (responsabilisation en
fonction du marché) qui fait référence à des dispositifs de promotion du choix de l’école par
les utilisateurs, c’est-à-dire par la mise à disposition de vouchers, comme c’est le cas du Chili
où les écoles sont tenues d’examiner les demandes de leurs clients et sont soumis à la
concurrence d’autres établissements pour attirer des élèves. Cette forme de
«responsabilisation» de l’école par rapport à ses clients passe nécessairement par la mise en
place d’une forme de quasi-marché (Maroy, 2006). L’autre type, selon Maroy (2011), est la
government based accountability (responsabilisation du gouvernement) qui comporte quatre
éléments : « des standards (ce que les élèves doivent apprendre) ; une évaluation,
habituellement par un organisme tiers ; un compte-rendu public des résultats de cette
évaluation et de ce qui a pu les causer ; des conséquences pour l’école, négatives ou positives
» (Harris & Herrington 2006).
!38
1.9. Les évaluations externes : modes de régulation inspirés de la Nouvelle
Gestion Publique
Le concept d’accountability dans l’éducation tend à être perçu comme synonyme de
dispositifs d’évaluation externe, tant des résultats des élèves que des pratiques éducatives des
établissements (Maroy, 2011).
De plus, l’évaluation a été imposée comme l’instrument de la modernisation de l’État
et des organisations parapubliques (Chauvière, 2013). Selon l’auteur, chaque fois que sont
impliqués des fonds publics, ces actions doivent être évaluées, et cette bonne gestion a un
double impératif : « celui de qualité, au nom des citoyens devenus des usagers, et celui de
transparence démocratique pour tous » (p. 954).
Dans de nombreux pays de l’OCDE (Mons 2009), les évaluations externes des
résultats des élèves, qui se développent dans les différentes étapes de la scolarité, constituent
un mode de régulation inspirée par les principes de la nouvelle gestion publique. Ces
évaluations s’inscrivent dans le cadre d’une politique plus large de transformation des modes
de régulation du système éducatif. C’est pourquoi, selon les auteurs, on peut parler ici d’un
État évaluateur, qui définit les objectifs du système en termes de résultats ou de compétences
à atteindre en établissant des mécanismes d’évaluation des résultats des élèves (Cattonar,
Dumay & Maroy, 2013).
Selon Cattonar et al. (2013), ces politiques éducatives qui correspondent à une
régulation post ou néobureaucratique du système éducatif, qui ont été lancées à la fin des
années quatre-vingt-dix, se fondent sur le contrôle par le biais d’évaluations externes en
même temps que les objectifs et les curriculums scolaires sont centralisés. Ce que cette
logique cherche à promouvoir, selon les auteurs, c’est une plus grande participation des
acteurs dans les établissements et une plus grande autonomie des chefs d’établissement
(Draelants et al. 2011).
Selon Maroy et Voisin (2014), c’est au cours des années 1990-2000 qu’est né un
important mouvement de transformation des modes de régulation et de la mise en place
d’appareils de recueil et d’analyse de données par l’État central dans le cadre d’une logique
« calculatrice et comptable » qu’on ne peut pas séparer des nouveaux instruments de
rationalisation technique (Bézès, 2005). L’État devient évaluateur et ne se limite pas à vérifier
!39
si les normes ou les budgets sont respectés, mais d’après les auteurs, il va multiplier les outils
d’évaluation des résultats pour les transformer en outils de pilotage des politiques (Broadfoot,
2000 ; Mons, 2009). Ces évaluations externes ont pour objet de réglementer et de guider les
comportements des agents intermédiaires et locales (Mons, 2009).
Les dispositifs d’évaluation externe, conçus comme des outils de régulation,
correspondent à une logique d’accountability douce ou réflexive (Maroy & Voisin, 2014 ;
Mons & Dupriez 2011) qui permettent aux acteurs des différents niveaux du système éducatif
d’améliorer leurs pratiques « via une meilleure connaissance des résultats de leurs actions et
l’incitation à une pratique réflexive » (Cattonar et al., p. 36).
En fait, selon Maroy et Voisin (2014), l’évaluation externe clarifie les standards
curriculaires et de performance, en même temps qu’elle encadre les pratiques et les
compétences professionnelles des enseignants.
Dans le même sens, Thélot (2002) a soutenu que l’évaluation a des effets positifs sur
le système et parle de « l’effet miroir » de l’évaluation :
[...] l’évaluation est capitale : comme levier, comme outil de régulation interne,
comme soutien, comme seul moyen pour que les professeurs, mais aussi les cadres de
l’école, améliorent leurs façons de faire. Pourquoi ? Parce que l’on crée un « effet
miroir ». Dès lors que vous allez donner à ces professeurs et à ces cadres le résultat de
leur action, si ce résultat n’est pas conforme à ce qu’ils souhaitent ou à ce qu’on
souhaite qu’ils fassent, ils changeront leur façon de faire (Thélot, 2002, p. 325-326).
Maroy (2012) se demande si ces nouvelles formes d’accountability et testing dans
l’éducation ne correspondent pas à un déclin de la confiance de l’État dans les administrateurs
scolaires, dans la capacité des organisations scolaires à s’acquitter correctement de leurs
fonctions et dans le professionnalisme et l’engagement des enseignants.
1.9.1. Deux types de dispositifs d’évaluation externe : high-stakes tests versus low-stakes
tests
Rozenwajn et Dumay (2014) affirment que dans la littérature scientifique on distingue
deux types d’épreuves externes en fonction des conséquences associées aux résultats des
enseignants et des établissements scolaires.
!40
Le premier type de dispositif d’évaluation est considéré comme ayant des « enjeux
élevés » parce que les conséquences pour les enseignants et les établissements sont
importantes. En cas de résultats insatisfaisants récurrents, il peut y avoir risque de
licenciement ou de sanction ou, au contraire, de récompenses financières pour les
établissements. Ce type de dispositif a été intégré à des mesures de reddition de comptes,
comme la diffusion médiatique des résultats, ce qui correspond à la notion d’« high-stakes
accountability » (dispositifs à enjeux élevés) (Rozenwajn & Dumay, 2014).
Le deuxième type d’évaluation est qualifié, dans la littérature, de « dispositifs à faibles
enjeux », car les résultats de l’évaluation externe ne vont pas à entraîner de conséquences
formelles pour les enseignants ou pour l’établissement. En Europe continentale, ce type de
tests sont intégrés à des dispositifs et sont appelés comme « low-stakes accountability » ou
« soft accountability » (reddition de comptes douce) (Rozenwajn & Dumay, 2014).
1.9.2. Les systèmes d’indicateurs nationaux pour « piloter » le système
Selon Maroy et Voisin (2014), il y a plus de vingt ans que, dans de nombreux pays, ont
également été installés des indicateurs pour piloter le respect des objectifs et, de cette façon,
réguler le fonctionnement des écoles ou des entités de gestion scolaire à un niveau
intermédiaire. Ces procédures d’évaluation des résultats des établissements doivent être
soumises à une obligation de résultats et de performance.
Pour Maroy (2008), ces nouvelles politiques impliquent de nouveaux modes de
régulation institutionnelle des systèmes éducatifs dont le principe est de contrôler l’action sur
la base de ses résultats (outputs du système de production), en remplacement des anciens
mécanismes qui visaient plutôt à agir sur les processus.
Le pilotage des résultats est devenu le principal dispositif d’accountability. Pour
Dupriez (2005), la plupart des analyses qui ont été faites sur le pilotage des systèmes scolaires
conviennent qu’il y a eu un renouvellement des modes de régulation, compte tenu de
l’importance qui a été assigné à l’évaluation et aux ajustements locaux entre l’offre et de la
demande d’éducation. Ces transformations ont pris différentes formes selon les pays et
l’histoire de leurs systèmes scolaires. C’est ce qui s’est passé en Angleterre, où, d’après Malet
(2001), l’État a commencé à se charger de l’évaluation des écoles et des enseignants, en
!41
augmentant considérablement son pouvoir sur les écoles et les autorités locales et en assumant
l’évaluation de la performance des établissements et des enseignants.
Selon de nombreux chercheurs (Apple, 2004 ; Broadfoot, 2000), le pilotage des
résultats renforce le contrôle de l’État par le biais de réformes scolaires « pilotées par les
résultats (top-down policies) » (Malet, 2012, p. 208). Le pilotage par les résultats, selon
Dupriez (2005), redistribue les fonctions du centre et de la périphérie, laissant un centre
essentiellement politique qui est celui qui va définir des objectifs et des indicateurs pour
évaluer les unités décentralisées. Ces unités décentralisées, avec certaines marges de liberté,
selon les pays, peuvent concevoir leur propre plan pour atteindre les objectifs définis par le
centre. Selon Maroy (2008), les pays considérés par la littérature comme hautement
décentralisées (Royaume-Uni, Suisse, etc.), ont adopté un pilotage central des programmes
scolaires, en plus de l’évaluation normalisée alors que d’autres, comme la France, considérés
par la littérature comme hautement centralisés, ont commencé à adopter des politiques qui
donnent une plus grande autonomie aux écoles. Cela peut sembler, selon l’auteur,
apparemment contradictoire, mais peut s’expliquer par l’existence d’un État évaluateur plus
fort.
1.9.3. La diffusion des résultats des épreuves standardisées
Pour Dupriez et Malet (2013) des dispositifs d’évaluation en général sont « censés
apporter un éclairage sur la qualité du travail mené au sein des écoles » (p. 10). Cette
information sur les résultats du système doit contribuer au « pilotage du système » pour
l’amélioration de la qualité (de Landsheere, 1994). De plus, des tests standardisés comme le
centre du dispositif général, selon Dupriez (2005), prouvent la présence d’un État évaluateur.
Selon l’auteur ces essais visent plutôt à fournir un standard de ce qui est nécessaire pour un
étudiant à un moment de leur scolarisation. La capacité d’influencer les pratiques
d’enseignement à travers la diffusion de ce type d’essais dépend de la volonté et la force pour
interpeller les deux catégories d’acteurs (inspecteurs et parents) qui sont ceux qui vont
pouvoir agir en invoquant ces normes.
La raison, d’après Mons (2004b, 2009), est que l’école moderne a toujours eu des
difficultés pour pouvoir réguler les procédures et l’adhésion de ses établissements à des
normes nationales. Le recours généralisé à des évaluations nationales a permis au
!42
gouvernement central de procéder à un contrôle direct du système par le biais de plusieurs
mécanismes et à des tests standardisés administrés régulièrement au cours de l’année scolaire.
Des exemples de cela sont le Chili, Suède, Royaume-Uni et l’Argentine.
Enfin, pour Mons (2009), il n’y aurait pas consensus empirique sur le fait que
l’évaluation standardisée soit associée à une réduction des inégalités scolaires entre groupes
sociaux et ethniques, c’est-à-dire que « les relations entre efficacité et testing apparaissent peu
consistantes : elles ne sont ni univoques, ni automatiques » (p. 22).
1.9.4. Les effets des dispositifs d’évaluation standardisée sur l’apprentissage des élèves
Mons (2009) écrit que les évaluations standardisées ont été mises au point
principalement dans les pays les plus riches de l’OCDE, c’est pour cela que les bons résultats,
en termes d’efficacité, pourraient être expliqués par le haut niveau de développement
économique de ces pays, qui ont les ressources pour organiser ces épreuves. Mais
curieusement, c’est la même OCDE qui, selon Mons (2009), dans une étude de l’année 2007
fondée sur sa propre enquête PISA de l’année 2006, n’établit pas de liens entre les différentes
formes d’accountability et la diminution des inégalités scolaires d’origine sociale. C’est-à-
dire, que cette étude n’a pas trouvé de liens forts entre dispositifs d’évaluation standardisée et
une plus grande efficacité des établissements. Enfin, Mons (2007) conclut que l’existence de
mécanismes de reddition de comptes n’est pas associée aux indicateurs de l’efficacité.
Pour Mons (2009), l’évaluation standardisée a été généralisé pour améliorer les
pratiques éducatives et suppose implicitement que les attentes doivent être identiques pour
tous les étudiants qui ont été reconnus par les mêmes capacités cognitives. La combinaison
d’un plan d’études national, d’un système d’évaluation normalisé et d’un dispositif de
diffusion de l’information en Angleterre, d’après Dupriez (2005), a permis d’améliorer le
niveau moyen de l’éducation en Angleterre. Il en résulte que l’apparition des notions de
standards, d’usagers et d’accountability, écrit l’auteur, ont un impact significatif dans la
définition de qui est important et de ce qui est moins important dans l’espace scolaire.
Dupriez (2005) avance aussi qu’il est évident que ces dispositifs opèrent une transformation
des représentations sociales du monde scolaire qui accompagnent les évolutions dans le
pilotage de l’école. Par exemple Mons (2009), mentionne le cas du Texas et du district de
!43
Chicago où certains dispositifs d’évaluation standardisée ont conduit à l’entraînement intensif
aux tests.
Enfin, selon Dupriez et Malet (2013), des logiques de reddition de compte fondées sur
l’évaluation des performances sont une réforme qui a restructuré « le rôle des États dans la
construction et l’accompagnement des politiques en direction de l’école et de ses acteurs,
s’accompagnant d’une transformation des formes d’organisation du travail éducatif et d’une
recomposition des rôles des professionnels engagés dans ce travail » (p. 10).
1.10. Certaines considérations relatives au cas du Chili
Le Chili constitue avec la Hongrie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni le groupe
des États décentralisateurs volontaristes (Mons, 2004b). Les raisons pour lesquelles le Chili a
vécu, comme le dit Mons (2004b), une décentralisation plus volontariste, peuvent se
comprendre parce que le Chili et l’Argentine, pendant les dictatures, ont mis en place des
réformes qui, après le retour de la démocratie, ont été laissées en l’état (Mons, 2004b). De
facto, c’est la même OCDE (2004) qui affirmé que le système éducatif chilien est sous la
domination d’une idéologie qui accorde une importance disproportionnée aux mécanismes du
marché.
Selon Martinic (2010), le Chili a vécu deux grandes réformes paradigmatiques dans
l’éducation au cours des trente dernières années. La première a eu lieu au cours de la dictature
de Pinochet, durant l’année 1981, où les établissements qui étaient gérés par l’État ont été
livrés aux municipalités. Dans le même temps, le système a été mis entre les mains du
marché, en comptant sur la concurrence entre établissements pour améliorer la qualié de
l’éducation. La possibilité de faire des affaires en créant des établissements scolaire a été
soutenue par le financement public avec le système du voucher permettant aux familles de
choisir l’école de leur enfant. Cette réforme a été influencée par l’économiste de l’Université
de Chicago Milton Friedman, qui a fait du Chili son expérience sociale. Étant donné que ces
principes concernant le marché et la concurrence avaient déjà été installés, il n’était pas
difficile de le transposer au secteur de l’éducation (Martinic, 2010). C’est ainsi que le
paiement ou voucher par des élèves qui fréquentent les établissements, se transforme en un
financement, qui est devenu un véritable « butin » pour les « escueleros » ou entrepreneurs de
l’éducation qui ont pu s’enrichir en éduquant les pauvres. Les enseignants ont cessé d’être des
!44
fonctionnaires publics, ce qui a incité à la création d’établissements privés concurrençant les
établissements gérés par les municipalités grâce au financement de l’État (Cox, 2012).
La deuxième réforme, selon Martinic (2010), est mise en place pendant les années
1990 lorsque Pinochet laisse le pouvoir. En démocratie l’État commence à prendre en charge
la régulation du programme scolaire et de l’évaluation des résultats. Au cours de cette période,
est créé le SIMCE (1988), qui est l’épreuve standardisée qui mesure les apprentissages de tous
les élèves de l’enseignement primaire et secondaire. Il existe dès lors un plus grand contrôle
de l’État, mais qui ne modifie pas le modèle de quasi-marché. En fait, le premier
gouvernement démocratique, celui de Aylwin (1990-1994), a décidé de faire des changements
sans modifier la loi LOCE (1990) de Pinochet, probablement pour éviter les problèmes, car
beaucoup de leurs coreligionnaires de la démocratie chrétienne et de la Concertation des
Partis pour la démocratie, souhaitaient continuer à entreprendre dans l’éducation, la loi de
Pinochet garantissant le succès de leurs entreprises. D’après Martinic (2010) Bachelet dans
son premier gouvernement a décidé d’intervenir uniquement sur les contenus et les processus
pour améliorer les apprentissages et de cette tenter ainsi d’améliorer la qualité et d’atténuer un
peu les effets de la décentralisation et de la privatisation. Selon l’auteur, elle a assumé que
ceci était la voie pour réduire les écarts d’apprentissage entre les établissements. Depuis cette
époque, la focale a été mise sur la promotion de normes de qualité dans les établissements de
faible performance.
Aussi Cox (2012) affirme que lorsque se termine la dictature (1990), le seul
changement important a été de redonner en partie un statut de fonctionnaire aux enseignants,
mais les autres réformes sont demeurées intactes. C’est le Ministère de l’Education qui doit
gérer ce système de quasi-marché et pour cela il met l’accent sur des objectifs de qualité et
d’équité comprises comme résultats des apprentissages. Les dépenses publiques, selon Cox
(2012), ont été réduites d’un tiers entre 1982 et 1990. Les inscriptions ont diminué
sensiblement dans les établissements municipaux et ont progressé dans l’éducation privée
subventionnée en créant un apartheid socio-économique dans les établissements, les élèves
fréquentant les écoles où ils retrouvent leurs pairs de même niveau socio-économique. Les
gouvernements démocratiques sont parvenus à accroître la couverture de l’offre scolaire mais
pas à améliorer la qualité et l’équité. La ségrégation est donc maintenue jusqu’à aujourd’hui.
De fait, le rapport élaboré durant l’année 2004 par l’OCDE soutenait que le système éducatif
!45
chilien est ouvertement « classiste ». Dans le même sens le nouveau rapport de l’OCDE
(2017) affirme que les étudiants chiliens appartenant aux catégories sociales défavorisées sont
plus souvent ségrégués dans les écoles à faible rendement que leurs pairs défavorisés des
autres pays de l’OCDE.
À la suite de la décentralisation, des élèves migrèrent vers les établissements privés
subventionnés. Selon Martinic (2010), entre 1980 et 1990, le nombre de ce type
d’établissements a augmenté de 50 % et l’inscription est passée de 19,6 % à 32,3 %. Depuis
cette date jusqu’à présent la migration des élèves vers ce type d’établissements a continué à la
hausse et l’année 2008, ces établissements représentaient 44 % (5.263 établissements), ce qui
représente 48 % du total des étudiants. Ces étudiants viennent de l’éducation municipale,
raison pour laquelle celle-ci a vu diminuer ses effectifs de 78 % l’année 1981 à 47 % en l’an
2008 (Corvalán, Elacqua, & Salazar, 2008).
1.10.1. Le système de voucher
Pendant la dictature militaire (1973 à 1990) les écoles publiques ont été transférées
aux municipalités et cette réforme a encouragé la participation du secteur privé comme
fournisseur de l’éducation gratuite. Ce qui précède a été réalisé par le biais de la création d’un
mécanisme de voucher par élève, accordé aux établissements du secteur subventionné avec ou
sans but lucratif, comme à ceux du secteur municipal. Selon Friedman (2010) [1962] avec le
voucher, les parents pourraient choisir librement l’établissement de leur enfant en dépensant
la somme correspondant au voucher et y ajouter éventuellement toute autre somme qu’ils
souhaitent. En fait, pour l’auteur, lorsque l’État laisse aux mains du privé l’éducation, les
élèves et leurs familles sont seuls à décider. L’État, selon l’auteur, ne doit pas s’en occuper.
« Ce qui est désirable, c’est, non pas de redistribuer les revenus, mais de rendre les
capitaux disponibles dans des conditions comparables pour les investissements
humains et pour les investissements physiques. Les individus devraient supporter les
coûts des investissements faits en eux-mêmes et en recevoir les avantages. Les
imperfections du marché ne devraient pas les empêcher d’investir lorsqu’ils sont prêts
à en supporter les frais (Friedman, 2010 [1962], p. 178-179).
!46
Mons (2004b) a mentionné justement le Chili, dans un groupe à côté de Colombie et
de la Suède, qui sont de bons exemples de pays avec des systèmes qui fournissent une aide
financière pour permettre aux parents de choisir une école.
Pour Duru-Bellat et Meuret (2001), l’explication donnée par ceux qui promeuvent ces
politiques est que les vouchers compensent l’inégalité économique entre les familles. L’État
est, selon les auteurs, le bailleur de fonds qui soumet ses subventions à certaines conditions.
1.10.2. Evaluation SIMCE : le principal indicateur de qualité du système éducatif chilien
L’année 1985, a été créé au Chili le système d’évaluation de la qualité de l’éducation
(SIMCE). Le SIMCE est une épreuve standardisée qui se concentre sur certains domaines
prioritaires ou sur des aspects plus larges du programme scolaire. Il a été expressément créé
pour évaluer la qualité de l’éducation entendue comme la réalisation d’apprentissages en
langage, mathématiques et sciences. D’autres disciplines ont été ensuite ajoutée qui figurent
dans les programmes du MINEDUC. Tous les deux ans les élèves de quatrième année de
l’enseignement primaire sont évalués par le SIMCE et l’année suivante le SIMCE est utilisé
pour évaluer les élèves de huitième année de l’enseignement primaire et les élèves de
deuxième année de l’enseignement secondaire. Un total d’environ 500.000 élèves est ainsi
évalué chaque année. Les critères reposent sur le curriculum de MINEDUC. Les indicateurs
clés de la qualité sont les pourcentages d’élèves qui ont atteint le standard. Les résultats sont
publiés sur une liste nationale où apparaissent les classements des écoles. Depuis 2011, le
SIMCE est devenue partie intégrante du système d’évaluation de l’ACE. Cette évaluation est
obligatoire, tous les étudiants sont appelés à passer l’épreuve. Les résultats de l’établissement
reflètent réellement les connaissances et les compétences de tous les étudiants évalués
Pour Maroy et Dupriez (2000), l’utilisation d’outils d’évaluation ne doit pas être
entendu comme une irrationalité des décideurs. Cet usage particulier des tests d’évaluation
n’est pas un accident, il s’agit d’une puissante illustration de l’État évaluateur, en tenant
compte des formes spécifiques de coordination qui prévalent nationalement (Dupriez, 2005).
La valeur de chaque établissement est une moyenne qui représente la performance
générale des étudiants qui ont répondu à l’épreuve, dans chaque discipline et chaque degré
scolaire évalué. Selon les chercheurs Cox et Lemaitre (1999), le SIMCE a beaucoup contribué
à améliorer les résultats. De la même façon Mons (2004b) a affirmé que le Chili est un bon
!47
exemple avec l’Argentine, que l’évaluation peut avoir des effets positifs sur les performances
des élèves. Au Chili, les résultats du SIMCE sont la source primaire pour élaborer les
classements des écoles. Ces listes sont diffusées et sont reçues avec une attention particulière
par les media. Les classements sont présentés par types de financement, privés, particuliers
subventionnés et municipaux. Les parents peuvent consulter les résultats des évaluations pour
prendre des décisions plus éclairées.
1.10.3. La publication des résultats SIMCE
Mais les parents, écrit Mons (2009), dans le cadre d’un système de libre choix
d’établissement, vont utiliser ces indicateurs pour demander l’inscription à l’école qui se
révèle la plus performante, en encourageant de cette manière une concurrence positive entre
les institutions qui tendent à améliorer les résultats du système éducatif. Aussi, selon Varcher
(2012), une partie importante du dispositif d’accountability est la publication des résultats de
tests de la performance des élèves et des évaluations des établissements. Ainsi, selon le
chercheur, le chef de l’établissement se fait responsable des résultats de chaque évaluation. La
publication des résultats SIMCE sont utilisés pour interpeller chaque établissement et le
pousser à améliorer ses résultats. Varcher (2012) ajoute que les données sur la qualité sont de
l’intérêt des consommateurs et leur caractère technique les rend assez fiables pour qu’ils ne
soient pas remises en cause. Mais, selon l’auteur, il est clair qu’il s’agit d’un instrument au
service de la redéfinition idéologique du sens de l’école, d’une nouvelle réalité redéfinie par le
néolibéralisme et le réductionnisme. La publication des données représente sans aucun doute
un progrès du néolibéralisme. Selon plusieurs auteurs (McNeil, 2000 ; Rowe, 2000), il s’agit
d’un instrument au service de la redéfinition idéologique de l’école. Au Chili, la publication
des données de la performance des établissements dans le SIMCE, à la différence d’autres
pays, n’a soulevé jusqu’ici aucune controverse.
1.10.4. L’influence de l’OCDE sur les politiques éducatives du pays
Comme l’écrit Mons (2009), l’OCDE a comme priorité l’efficacité des systèmes et
c’est la raison pour laquelle ont été développés des dispositifs de pilotage pour mesurer les
outputs, par le biais de tests pour évaluer les acquisitions cognitives. Pour la chercheuse,
l’OCDE sans avoir les instruments juridiques ni les leviers financiers pour promouvoir des
!48
politiques au niveau national dans les pays membres comme la Banque mondiale et l’Union
européenne (UE), est devenue extrêmement influente dans la création de politiques nationales
et mondiales d’éducation par le biais de l’enquête PISA (Programme for International Student
Assessment) (Lingard & Grek 2007 ; Lingard, Rawolle & Taylor 2005).
L’enquête PISA est réalisée par cycles de trois ans en commençant en 2000 et examine
les connaissances et compétences des enfants de 15 ans dans l’enseignement obligatoire.
L’OCDE a ajouté des pays qui n’étaient pas membres de l’Union européenne, comme c’est le
cas du Chili. Un avantage de l’enquête PISA, selon Grek (2009), est qu’elle n’évalue pas les
étudiants par rapport au curriculum local ou national mais qu’elle se concentre sur
l’évaluation de la capacité des jeunes à mettre en œuvre des compétences dans les situations
de la vie quotidienne et leur capacité à entrer sur le marché du travail, ceci en se focalisant sur
des compétences de base (lecture et arithmétique). Elle laisse ainsi de côté les objectifs
éducatifs moins explicites qui résistent à la mesure.
Pour l’enquête PISA 2009, la focale était mise sur la lecture et 65 pays ont participé
dont 9 en d’Amérique latine et aux Caraïbes (Argentine, Brésil, Colombie, Mexique, Pérou,
Panama, Trinité et Tobago, Uruguay). Dans cette enquête, le Chili a montré une forte
progression entre les années 2000 et 2009, par comparaison avec les autres pays. Le Chili a
également la meilleure performance par rapport à d’autres pays d’Amérique latine. Mais il est
encore très en deçà des attentes et beaucoup plus bas que la performance des élèves des pays
développés. Ces résultats montrent également des inégalités très fortes entre les performances
des étudiants de faible et haut niveau socio-économique.
Cependant dans des pays comme l’Angleterre, l’importance des données de l’enquête
PISA ne sont pas aussi importantes, parce qu’ils disposent, selon Grek (2009), d’un système
hautement sophistiqué de création et d’utilisation de données. En conséquence, l’enquête
PISA occupe une position moins centrale.
Dans la plupart des pays, comme l’affirme Grek (2009), les indicateurs de l’enquête
PISA deviennent des quasi-normes et ne sont pas contestés pour leur orientation politique
explicite. Cependant, pour Lascoumes et Le Galès (2007), les dispositifs de l’OCDE ne sont
pas des dispositifs neutres, ils ont bien une logique politique.
!49
1.10.5. Les autres mesures internationales auxquelles participe le Chili
Actuellement, selon le calendrier présenté sur le site web de l’Agence de qualité
(2017), plusieurs épreuves internationales seront appliquées dans les années suivantes.
L’épreuve ERCE (Étude régionale comparative et explicative) administrée par le bureau
régional de l’UNESCO à travers LLECE (Laboratoire latino-américain d’évaluation de la
qualité de l’éducation), pour enfants de troisième (enfants de neuf ans) et sixième de
l’enseignement primaire (enfants de douze ans) s’appliquera de manière expérimentale à
partir de l’année 2018 et au cours de l’année 2019 de manière définitive. L’épreuve PIRLS
(Progress in International Reading Literacy Study) pour les enfants de quatrième année
d’enseignement primaire (enfants de dix ans) s’appliquera dans les versions pilote et
définitive de l’année 2020. L’épreuve TIMMS (Trends in International Mathematics and
Science Study) de l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement
(IEA) s’appliquera aux enfants de quatrième (enfants de dix ans) et huitième (enfants de
quatorze ans) d’enseignement primaire de l’année 2018 dans sa version pilote et définitive.
L’épreuve ICCS (International Civic and Citizenship Education Study) est une évaluation à
laquelle participe le Chili est le ICCS qui évalue les connaissances, les attitudes, les
perceptions et les activités relatives à l’éducation civique et la formation des citoyens. En
2009, 38 pays ont participé dont six d’Amérique latine (Chili, Colombie, Guatemala,
Mexique, Paraguay et République dominicaine). Elle sera mise en œuvre en version pilote
pour les enfants de la huitième d’enseignement primaire (enfants de quatorze ans) l’année
2020. L’épreuve ICILS (International Computer and Information Literacy Study) également
pour les enfants de la huitième d’enseignement primaire de l’année 2017 s’appliquera dans
une version pilote et l’année 2018 dans une version définitive. L’épreuve PISA auprès des
enfants de 15 ans de l’année 2017 va mettre en œuvre en version expérimentale et l’année
2018 sous forme définitive.
Résumé du chapitre
Dans ce chapitre, j’ai essayé de réaliser un état de l’art de la littérature sur l’évaluation
de l’éducation. Il est facile de constater que les évolutions des politiques d’éducation, au Chili
!50
comme dans d’autres pays, reposent sur des systèmes d’évaluation constitués d’outils
techniques.
Dans le chapitre suivant, je présenterai des dispositifs de pilotage de la qualité qui ont
précédé le pilotage par la qualité mis en place par FS dans lequel mes collègues consultants
ont été formés et qui a facilité l’institutionnalisation de ce dispositif de contrôle dans notre
système éducatif.
!51
Chapitre 2 : L’installation du pilotage de la qualité scolaire comme dispositif de contrôle dans le système scolaire chilien
2.1. L’émergence du concept de la qualité
D’où émerge la popularité de la qualité, un terme aussi ambigu et polysémique ? Un
concept, affirme Aflalo (2009), qui a la capacité de séduire, parce que l’homme a toujours
voulu avoir un rendement plus élevé et surmonter le « défaut originaire de l’homme qui ne
fonctionne pas comme une machine » (p. 89) . Le contrôle de la qualité offre l’espoir de se
rapprocher de la perfection de la machine en termes de rendement, selon l’auteur.
À partir de 1950, William Deming était souvent invité au Japon pour donner des
conférences sur les statistiques appliquées aux problèmes du management industriel dans tout
le cycle de production (Aflalo, 2009). C’est précisément le Japon qui a introduit le Total
Quality Control (TQC) après la seconde guerre mondiale. Puis, comme l’écrit l’auteure,
l’admiration que suscitait le mode de production japonais a entraîné depuis les années 1980
l’apparition d’autres approches de la qualité, comme le contrôle de la qualité, l’assurance
qualité, le total quality management (TQM). Bien entendu, il s’agit d’un discours tenu par
quelques hommes ayant des intérêts dans le contrôle de la production. Le même type de
discours se présentant comme rationnel avait transformé les modes de production industrielle,
un peu avant et un peu après la Seconde Guerre mondiale. Selon Aflalo, celui qui a commencé
à parler de qualité dans les années 1930 aux États-Unis, a été Shewhart. Ensuite, selon elle,
Deming, Juran et Feigenbaum, ont inventé la qualité comme nouvelle méthode de contrôle
statistique de la fabrication industrielle. D’après Aflalo (2009), la méthode qu’ils avaient
appliqué avec succès à la Western Electric de Chicago, entreprise célèbre pour les enquêtes
d’Elton Mayo, s’est étendue avec l’objectif d’améliorer et contrôler la productivité des
ouvriers. Le contrôle TQC constitue une nouvelle politique économique industrielle se
présentant comme horizontale, comme une démocratie participative rendant obsolète le
modèle paternaliste et autoritaire du taylorisme. Enfin l’auteure avance que cela « masque la
prise du pouvoir par l’évaluateur. Dès lors, l’usage des calculs ne cessera plus d’effacer l’idéal
de l’homme de qualité au profit des calculs de l’homme sans qualité » (p. 88).
!53
2.2. Les modèles économiste et progressiste-humaniste de la qualité diffusés par
des organismes internationaux
L’OCDE et la Banque Mondiale (Grek, 2009 ; Nascimento, 2010) ont lancé la
« qualité de l’éducation » comme un mode de régulation. Celui-ci est devenu l’un des
objectifs de gestion des systèmes éducatifs s’appuyant sur des résultats mesurables
quantitatifs (taux de scolarisation, taux de rétention, taux de retour de l’investissement dans
l’éducation) et à l’utilisation de tests standardisés nationaux ou internationaux pour mesurer la
performance des élèves. Le pouvoir de l’OCDE consiste, comme le soutient Martens (2007), à
établir des comparaisons entre les pays par une approche relativement scientifique. Ceci
facilite la prise de décision politique. Ses statistiques et ses recommandations sont acceptées
par les acteurs politiques et les chercheurs, même si certains les remettent en cause (Porter &
Webb, 2004). Selon Grek (2009), l’enquête PISA est ainsi utilisée pour légitimer les nouvelles
politiques et désactiver ou apaiser les discussions ou contestations (Steiner-Khamsi, 2004).
Selon Derouet (1992), le problème est que la qualité du travail enseignant n’est pas mesurable
et que cette volonté détourne l’école de sa mission, de son « monde intérieur ». Au Chili les
changements introduits dans le pilotage du système scolaire ont ainsi entraîné une
transformation des représentations sociales du monde scolaire (Dupriez, 2005).
Si un intérêt pour la qualité du travail enseignant se manifeste depuis les années 1950,
la préoccupation pour la qualité, au sens actuel, n’aurait émergé qu’à partir des années 1990
(Mons, 2004a). Barrett, Chawla-Duggan, Lowe, Nikel et Ukpo (2006), après un examen de la
littérature existante sur la qualité de l’éducation dans les pays en développement et pour les
groupes sociaux défavorisés, distinguent deux traditions dominantes qui coexistent dans le
discours contemporain. La première, désignée par l’auteur comme la « tradition économiste »,
est représentée par l’OCDE et bien installée dans tous les pays développés, en
progressant vers une couverture universelle. Selon Barrett et al. (2006), on peut constater que
l’OCDE, via l’enquête PISA, a pris une position dominante avec la promesse que la grande
majorité des élèves aurait la possibilité d’acquérir des compétences élevées, indépendamment
de leur situation personnelle et socio-économiques. L’OCDE décrit aujourd’hui la qualité
principalement en termes de performances d’élèves. Selon les auteurs, cette approche séduit
en donnant l’impression d’une certaine objectivité. Toutefois, concluent les auteurs, ce
!54
dispositif d’évaluation a également tendance à effacer ce que les enseignants et les parents
perçoivent subjectivement comme qualité dans l’interaction formatrice.
La deuxième tradition est d’ordre progressiste et humaniste. L’UNESCO l’a promue à
travers la diffusion de son programme Éducation pour Tous (EPT) qui affirme que l’éducation
doit être considérée comme un droit humain fondamental accessible aux citoyens. De
nombreuses ONG défendent des positions liées à cette tradition qui est profondément ancrée
dans le monde de l’éducation. Les influences les plus importantes, selon Barrett et al. (2006),
sont ici celles de Pestalozzi, Froebel et Dewey.
Cependant, pour Felouzis et Hanhart (2011), l’idée de la qualité de l’éducation et de
son évaluation est désormais associée à une nouvelle conception du rôle de l’État dans la
société du New Public Management (NGP) qui considère les citoyens comme usagers et
clients. Grek (2009), écrit ainsi que les pays qui ont accepté l’idée de globalisation de l’OCDE
et de la Banque Mondiale pour mener leurs politiques, voient l’éducation comme une chose
particulièrement importante pour leur développement économique et le pilotage de la qualité
comme un bon dispositif de régulation du système éducatif. En fait ce type de dispositif pour
le pilotage de la qualité de l’éducation pourrait bien être l’ADN de la NGP. Actuellement, en
Amérique latine, le pilotage de la qualité est devenu une panacée. C’est FLACSO elle-même 4
qui a soutenu que la qualité de l’éducation est la seule garantie dans la lutte contre l’exclusion
et les inégalités (Tiana, 2010).
2.3. Conjuguer qualité et équité
La vision économiste de l’OCDE repose sur les critères de l’efficacité et l’efficience,
mais le système éducatif idéal aux yeux de l’OCDE (Behrens, 2012) doit aussi conjuguer
qualité et équité. L’OCDE a énoncé des recommandations pour améliorer la qualité des
systèmes éducatifs fondées sur le concept d’équité. Ce dernier est mobilisé, dans ce cas,
comme un critère supplémentaire d’efficacité tout en étant associé à un droit humain (Sayed
1997 ; UNESCO, 2000). Certains auteurs (Welch, 2000 ; Barrett et al, 2006) font alors
remarquer que l’équité entre en tension avec l’efficacité du fait du coût élevé de l’éducation
des groupes désavantagés.
FLACSO ou Faculté latino-américaine de sciences sociales est une organisation 4
intergouvernementale régionale autonome pour l’Amérique latine et les Caraïbes, consacrée à la recherche, l’enseignement et la diffusion des sciences sociales.
!55
2.4. Le concept de marché de la qualité
Felouzis (2011) utilise le terme « marché de la qualité », c’est-à-dire un marché régulé
principalement par la perception de la qualité « des établissements, ce qui produit des effets
de fuite et d’attraction selon les cas » (p. 13). La concurrence entre établissements, selon
Felouzis (2011), se situe nécessairement sur les petits espaces locaux pour « capter » des
élèves dont la mobilité est encore limitée.
Maroy (2008) fait référence au concept de « qualité de l’éducation » comme un mode
de régulation institutionnel. Un mode de régulation institutionnel, selon l’auteur serait :
L’ensemble des mécanismes d’orientation, de coordination, de contrôle des actions
des établissements, des professionnels ou des familles au sein du système éducatif,
modes de régulation mis en place par les autorités éducatives (Maroy, 2008, p. 4)
2.5. La qualité de l’éducation comme mode de régulation institutionnelle
Varcher (2012) affirme que la qualité, pour Deming, était initialement une philosophie
de gestion qui avait pour objectif de parvenir à réduire les coûts tout en améliorant la qualité.
Ce modèle, dont le principe était applicable non seulement aux installations de production
industrielle mais aussi aux bureaux, hôpitaux, entreprises de services, etc. C’est pourquoi,
selon l’auteur, il ne semblait pas étrange que ce concept ait été intégré à la NGP. L’évaluation,
selon cette logique, consiste à comparer l’existant observable à ce qui est « désiré » afin
d’apporter un jugement de valeur sur son état (Bouchard & Plante, 2002). Un autre auteur,
Segerholm (2009), affirme qu’il faut agir sur des échelles macro et méso pour parvenir à une
amélioration de la qualité à l’échelle micro. La qualité peut être évaluée par l’État à deux
niveaux, par le biais de tests standardisés à un niveau macro et par le biais de l’évaluation des
établissements à un niveau intermédiaire. Pour l’auteur, dans un quasi-marché, les parents ont
besoin d’informations sur l’évaluation de la qualité des établissements pour prendre leurs
décisions. Les tensions liées à l’assurance de la qualité seront, selon Segerholm (2009),
toujours présentes car elles reflètent des conflits idéologiques fondamentaux entre la justice
sociale et la liberté individuelle sur un terrain politique en mouvement perpétuel.
Toutefois on doit souligner, affirme Bauman (2000), que le pilotage par les objectifs,
les résultats et l’assurance-qualité pourraient avoir un effet de fragmentation ou de
!56
« liquéfaction » dans le système éducatif, ce qui exige beaucoup de soins, vigilance et efforts
à chaque moment.
2.6. Les programmes précurseurs d’auto-évaluation de la qualité au Chili
Selon Duru-Bellat et Meuret (2001), dans plusieurs pays européens, comme
l’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Norvège « inspection et auto-évaluation se
combinent » (p. 183). Toutefois au Chili les programmes précurseurs du pilotage de la qualité
insistaient uniquement sur l’auto-évaluation. Le Ministère a ainsi lancé au cours des années
1990, les programmes : MECE, P-900, LPT, PME et Montegrande. Le programme
d’amélioration de la qualité et de l’équité de l’éducation MECE concernait différents niveaux
(MECE pour l’éducation préscolaire, MECE pour l’éducation primaire, MECE pour
l’éducation secondaire et MECE pour l’éducation supérieure). Toutefois les écoles et les
lycées devaient concourir pour obtenir des ressources pour la mise en œuvre de projets
d’amélioration conçus par eux-mêmes, afin de renforcer l’autonomie et la capacité de trouver
des solutions aux problèmes qu’ils rencontraient. Les établissements faisaient une analyse de
leur réalité et indiquaient leurs objectifs par le biais de la mise en œuvre de ces programmes.
Toutefois cette orientation n’a pas eu de succès et a perdu en importance (MINEDUC, 2000).
Le P-900 était un programme qui visait à améliorer la qualité de l’apprentissage des élèves de
900 écoles primaires vulnérables. Il constitue une stratégie d’appui technique et matériel lancé
par le MINEDUC en 1990 dans le but d’améliorer la qualité de l’apprentissage des élèves des
écoles primaires en « risque scolaire ». À partir de 1998 il a étendu son rayon d’action à toute
l’éducation primaire. Le programme Lycée pour Tous (LPT) échangeait des ressources et de
matériaux pour proposer et mener des stratégies de soutien aux élèves à risque de déserter,
c’est-à-dire les lycées stigmatisés comme vulnérables. Le plan d’amélioration de l’éducation
(PME) finance les projets en dotant de matériel pédagogique les écoles sélectionnées. Enfin,
le projet Montegrande, qui a été connu précédemment comme « Liceos de Anticipación »
cherchait à transformer un groupe de lycées en « lycées d’excellence » (MINEDUC, 2000).
2.7. L’émergence des modèles de certification de la qualité au Chili
À partir de l’an 2000, Alvariño, Arzola, Brunner, Recart et Vizcarra (2000) ont su
donner un caractère d’urgence à la certification de la qualité scolaire, sur la base d’une étude
!57
qu’ils avaient réalisée et selon laquelle la gestion était identifiée comme un facteur crucial de
la qualité de l’éducation. Ils affirmaient qu’il était devenu nécessaire de disposer de modèles
et d’outils permettant de diagnostiquer la capacité des unités éducatives à produire de la
valeur ajoutée à leurs processus d’enseignement et d’apprentissage mais aussi de leur gestion
(Alvariño et al., 2000). Ils ont donc développé le modèle de certification qualité FS pour les
établissements d’enseignement primaire et secondaire, sur la base des modèles Baldrige,
EFQM et Deming. Alvariño, et al. (2000) affirment que la gestion est un élément déterminant
de la qualité de la performance des écoles, en particulier dans la mesure où elle accroît la
décentralisation des processus de décision dans les systèmes éducatifs. Pour cette raison, le
modèle de FS a été concentré sur l’installation de systèmes de gestion et en même temps sur
les résultats des épreuves SIMCE. Pour être considérés comme éligibles pour la certification,
les établissements devaient avoir une valeur minimale de 250 points, représentant la moyenne
arithmétique du système. Cependant seuls quelques rares établissements municipaux et
subventionnés pouvaient atteindre un tel score.
2.8. Fondation Schiller : le plus important centre de transfert technologique du
pays
FS, qui se définit elle-même comme une institution privée à but non lucratif, a été
créée au cours de la dictature de Pinochet en 1976 dans le but de promouvoir le
développement économique du pays à travers le développement et le transfert de
technologies.
En effet, sous la dictature de Pinochet (1973-1990), la FS a été créée pour apporter des
compensations aux entreprises américaines qui avaient été expropriées par le gouvernement
de Salvador Allende (1970-1973). En fait Allende avait découvert le complot d’un certain
nombre de sociétés américaines dirigées par l’ITT (qui était le propriétaire de la Compagnie
de Téléphones du Chili) pour empêcher que le Parlement confirme la victoire de l’unité
populaire (partis de gauche). Le même gouvernement Allende qui, en 1972, avait publié le
rapport Les documents secrets de l’ITT et la République du Chili dans lesquels sont reproduits
les mémorandums (en anglais et dans une traduction en espagnol) envoyés à de hauts
responsables de la multinationale ITT par des agents américains au Chili en vue d’intervenir
!58
sur le processus démocratique du gouvernement chilien (Secrétariat général du
Gouvernement, 1972).
D’après Cordua et Klima (2017), le Ministre de la coordination économique de cette
époque, Raúl Sáez, n’était pas en accord avec les montants de l’indemnité, il a alors négocié
en compensation un partenariat avec ITT pour fonder la Fondation Schiller pour une période
de 15 ans. Dans cet accord, ont été mentionnés les caractéristiques que devait avoir ce centre
technologique. Depuis sa naissance, son rôle a consisté en la collaboration avec le secteur
productif national pour exécuter des projets de développement en matière de gestion et de
transfert technologique dans les zones industrielles avec de plus grandes possibilités de
croissance, comme l’extraction minière, l’agriculture, la pêche et la production forestière. À la
Fondation Schiller ont été accordées des franchises fiscales et, compte tenu de son autonomie,
la seule entité qui pouvait connaître ses opérations était jusqu’à présent le Contrôleur
général de la République. En outre, les fondateurs, c’est-à-dire l’État du Chili et ITT ont
décidé d’apporter à la Fondation, à parts égales et pendant dix ans, un fonds patrimonial total
de US$50 millions.
ITT a intégré le conseil de direction durant les années 1976-1991. Le premier
Président du Conseil a été le général d’armée en retraite Manuel Pinochet, qui à l’époque
présidait la Commission nationale de la science et de la technologie, CONICYT. La Fondation
Schiller dépend exclusivement du Président de la République qui peut nommer des directeurs
au nom de l’État. Initialement avec 50 % de participation pour le gouvernement du Chili et
l’autre 50 % pour ITT Corporation (États-Unis). En 2005, la société minière (BHP Billiton)
s’est associée à la Fondation. Actuellement, le conseil d’administration de FS est donc
constitué par un 50 % du Gouvernement, 33 % d’ITT Corporation et 17 % par la compagnie
minière (Cordua & Klima, 2017).
2.9. Le modèle de la Fondation Schiller : la création d’entreprises en tant que
mécanisme de transfert technologique
La Fondation Schiller s’est intéressé à différents secteurs industriels stratégiques : le
secteur alimentaire, la sylviculture, les industries minières, les énergies renouvelables, etc.
Selon Cordua et Klima (2017), plus de 5000 professionnels ont travaillé dans les différents
projets de la Fondation.
!59
Le travail de la Fondation Schiller consiste à détecter et sélectionner des secteurs ou
domaines d’action à haut potentiel économique où sont transférés des techniques de la façon
la plus rapide et économique possible, puis de diffuser les résultats par le biais d’entreprises
exemplaires. L’idée est de fournir les informations nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre
ces innovations dans les secteurs industriels ou dans l’État. Selon Fondation Schiller,
lorsqu’une entreprise exemplaire fonctionne, elle est pleine de données, tels que le montant de
l’investissement, les dépenses opérationnelles, le montant des bénéfices.
Une fois que Fondation Schiller parvient à démontrer les avantages d’une nouvelle
technologie, elle revend ces entreprises et incite ainsi d’autres entrepreneurs à les reproduire,
en fonction de leurs caractéristiques et des résultats obtenus (Cordua & Klima, 2017).
Selon Cordua et Klima (2017), durant la période 1976-1990, les projets qui ont été
développés sous le modèle d’entreprises exemplaires appartenaient au domaine de
l’alimentation, comme l’élevage des saumons, les plantations de baies ou les semences
d’huîtres du Pacifique. Ces espèces n’existaient plus dans le pays et le Chili en est devenu
l’un des principaux producteurs au niveau mondial, en particulier pour le saumon.
2.10. Les projets de la Fondation Schiller dans l’éducation
FS est une institution semi-publique consacrée au développement et à l’articulation
des biens publics, comme par exemple la construction de normes, de la certification et de
soutien aux politiques publiques.
En 1996, FS a créé le Programme de gestion scolaire et le portail web EducarChile
avec des fonds publics et l’appui d’entreprises privées, de fondations et institutions
internationales comme la Banque Mondiale, la Compagnie de Téléphones du Chili, la
Fondation Andes, la Fondation Ford et l’OEA (Cordua & Klima, 2017).
La Fondation, qui possédait déjà une expérience dans les processus de certification
dans différents secteurs économiques a élaboré conjointement avec l’Université Catholique un
modèle de gestion scolaire de la qualité pour certifier les établissements dans le cadre d’un
projet FONDEF (1999-2005) . Fondation Schiller a alors constitué un Conseil national de 5
FONDEF N° D99/1007 (2000). Système d’auto-évaluation et certification de la qualité de la gestion 5
scolaire, Brunner, J. (dir.), Projet de politiques comparées de l’enseignement supérieur en Amérique latine, avec le soutien de la Fondation Ford.
!60
Certification de Qualité de la Gestion scolaire (CNCGE) et un réseau national de consultants.
Le CNCGE était initialement composé de 13 membres provenant du milieu éducatif.
Jusqu’à aujourd’hui, plus de 140 écoles ont reçu un label de qualité.
Ce programme a incité le développement ultérieur d’un autre type d’initiatives, qui a
formé au total 1200 directeurs en administration et gestion scolaire.
Le portail EducarChile a été un autre projet financé par la Banque Interaméricaine de
Développement (BID) dans le cadre d’un réseau latino-américain de portails éducatifs
(RELPE) sur lequel les membres pouvaient échanger librement leurs expériences et les
contenus qu’ils produisaient.
À partir de 2003, lorsque le portail EducarChile a été consolidé, le Ministère
l’Éducation a commencé à l’utiliser. Dans le contexte de ce projet le premier test pré-
universitaire gratuit et en ligne a été créé en 2003, PSU-Educarchile, un an avant le début de
l’épreuve de sélection universitaire (PSU).
Entre les années 2006 et 2014, d’autres programmes associés au modèle de la qualité
ont été mis en œuvre.
Le programme Mejor Escuela (Meilleure École) a commencé en 2006, il visait à
améliorer les résultats des écoles au test SIMCE.
Le Conseil prévoit la participation de deux consultants spécialisés dans les domaines
de la gestion institutionnelle et pédagogique pour accompagner les directeurs et les
enseignants de l’école pendant les trois années de mise en œuvre du processus, ceci tout en
effectuant des visites hebdomadaires de l’établissement. En outre, il prévoit la livraison de
matériel éducatif pour les professeurs et les élèves (Cordua & Klima, 2017).
Le programme Mejor Liceo (Meilleur Lycée) consiste en la même intervention sur des
établissements secondaires et le programme Mejor Liceo Técnico (Meilleur Lycée Technique)
sur les établissements secondaires techniques (Cordua & Klima, 2017).
Ensuite le domaine de l’éducation a créé le réseau « Escuelas Líderes » (Écoles
Leaders) pour diffuser les expériences d’écoles se trouvant dans des contextes vulnérables et
effectuant des innovations pédagogiques. Chaque année, de nouvelles écoles sont
sélectionnées pour intégrer le réseau et un séminaire international est organisé pour environ
un millier de cadres et d’enseignants. FS invite les meilleurs experts internationaux à exposer
les nouvelles tendances et approches de l’éducation. Habituellement le programme traduit la
!61
principale publication de la personne invitée, l’imprime et la distribue aux participants. Cette
procédure aide à la bonne compréhension du point qui précède et permet à l’enseignant de
conserver le matériel utilisé. Actuellement, le réseau comprend un total de 110 écoles. Les
établissements qui participent chaque année au programme sont élus par voie de concours.
Toutes les dépenses du programme sont financées par la compagnie Minière Escondida (BHP)
et la Fondation d’éducation Arauco. De fait, la Fondation Schiller recherche la participation
des entreprises en faisant appel à leurs programmes de responsabilité sociale (Cordua &
Klima, 2017).
Enfin, c’est ainsi que FS a créé plus de 76 entreprises, et apporté plus de US$ 2
milliards à l’économie chilienne. Selon la Banque Mondiale (2014), elle est l’organisation
chilienne sans but lucratif qui est la plus proche du modèle entrepreneurial et qui soutient
l’innovation.
2.11. La création d’un Conseil privé pour attribuer le label de qualité (2003)
FS a créé deux organismes qui fonctionnent séparément, le Conseil National de
Certification de la Gestion Scolaire (CNCGE), qui est le seul organisme qui accorde la
certification de la qualité aux écoles et aux lycées du Chili depuis 2002 d’une part, et le réseau
de plus de 300 consultants accrédités et formés par la Fondation Schiller (Uribe, 2008), qui
sont répartis dans toutes les régions du pays d’autre part.
Le modèle de FS est axé explicitement sur la gestion. Dans un texte sur le modèle, des
cadres (Weinstein & Uribe, 2010), le justifient comme un dépassement de « la vision
réductrice qui met en équivalence de qualité avec les résultats d’apprentissage des élèves » (p.
188). Par contre, pour eux, la qualité de l’éducation serait « une résultante complexe des
aspects proprement pédagogiques, mais en même temps des variables organisationnelles qui
fournissent des conditions favorables dans la salle de classe en matière de formation et
d’apprentissage » (p. 188).
Weinstein et Uribe (2010) disent que le pilotage par la qualité a été légitimé face aux
autorités ministérielles et les divers acteurs du système, en particulier les écoles, selon eux,
grâce à la large représentation du Conseil . Ce réseau national a permis à près de 1000 6
Le Conseil national de Certification de la Gestion scolaire (CNCGE).6
!62
établissements de passer au moins par le processus d’auto-évaluation avec les questionnaires
de satisfaction que propose le modèle de qualité sur sa plate-forme en ligne..
Sur les établissements qui se présentaient à l’évaluation externe, 49 %
correspondent aux établissements subventionnés qui avaient terminé le processus
d’amélioration avec un des consultants de FS. Selon, les cadres du secteur de l’éducation de
FS, Weinstein et Uribe (2010), ces établissements « cherchent à se différencier de façon
positive du reste de l’offre éducative existante » (p. 197). Par ailleurs, concernant les
établissements municipaux, qui représentent 40 % du système, ils affirment que ceux-ci
« voient une possibilité d’empêcher la baisse plus importante que subit l’éducation publique
en termes de scolarisation et de préférence des citoyens » (p. 197).
2.12. La création d’un réseau national privé de consultants en qualité (2003)
La plupart des 300 consultants du réseau de Fondation Schiller ont été accrédités par
le CNCGE, ont participé à un processus de professionnalisation qui repose sur la pratique
guidée dans des établissements avec les mêmes outils qui seront utilisés ultérieurement dans
les établissements qu’ils accompagneront eux-mêmes. Le nombre de consultants actifs ne
dépasse pas les 10 % de ce total.
La première promotion de consultants (2003) a été financée intégralement par le projet
FONDEF.
2.13. Description du modèle privé de qualité de Fondation Schiller
Ce modèle se compose de six domaines : orientation vers les élèves, leurs familles et
la communauté ; leadership de la direction ; gestion des compétences professionnelles des
enseignants ; planification ; gestion de processus et gestion des résultats.
Orientation vers les élèves, leurs familles et la communauté, avec une pondération de
9,6 % et 5 indicateurs qui font référence à la manière dont l’établissement s’informe
sur leurs attentes et leur niveau de satisfaction (des mêmes), afin de pouvoir
correctement analyser la manière dont l’établissement favorise et organise la
participation des élèves, des familles et de la communauté à la gestion scolaire
(Weinstein & Uribe, 2010 ; Uribe, 2008) ;
!63
Leadership de la direction, avec une pondération de 9,6 % et 5 indicateurs sur la
manière dont les autorités de l’établissement s’orientent vers l’obtention de résultats,
la satisfaction des bénéficiaires et des utilisateurs et à l’« agrégation de valeur » dans
la performance organisationnelle. Cela comprend aussi la mise en place de
mécanismes de participation de la communauté à la mission et aux objectifs
institutionnels. Il considère également la manière dont les cadres rendent des comptes
et assument la responsabilité publique par les résultats des établissements (Weinstein
& Uribe, 2010 ; Uribe, 2008) ;
Gestion des compétences professionnelles des enseignants, avec une pondération de
13 % et 7 indicateurs, comprend le développement des compétences des enseignants
et considère la conception et la mise en œuvre de systèmes et de mécanismes de
soutien pour générer un leadership pédagogique, l’intégration des équipes de travail,
le domaines de contenus pédagogiques et des ressources didactiques. Ce qui se traduit
dans les systèmes qui supposent l’existence et l’utilisation de profils de compétences
des enseignants, qui permettent les processus de sélection, de formation, de
promotion et de découplage des professionnels de l’institution (Weinstein & Uribe,
2010 ; Uribe, 2008) ;
Planification, avec une pondération de 17 % et 9 indicateurs, ce domaine concerne les
systèmes et procédures systématiquement utilisés par l’établissement pour aborder les
processus de planification (Projet éducatif institutionnel et du Plan annuel), la
conception du suivi, l’évaluation des processus et des résultats prévus (Weinstein &
Uribe, 2010 ; Uribe, 2008) ;
Gestion de processus, avec une pondération de 27 % et 14 indicateurs aborde le
développement systématique des processus institutionnels dans le domaine des
programmes scolaires, pédagogique, administratif et financier. La dimension des
programmes scolaires et pédagogiques, considère les procédures et mécanismes qui
assurent l’adéquation et l’amélioration de l’offre des programmes scolaires, sa bonne
programmation, mise en œuvre, de suivi et d’évaluation en classe, en assurant la
qualité des processus d’enseignement et d’apprentissage des élèves. Il incorpore des
éléments de l’innovation et des projets développés au service des apprentissages.
Dans sa dimension administrative il considère l’installation des procédures d’appui à
!64
la gestion de l’éducation, tels que les règlements internes, registres, normes, définition
des rôles et des fonctions, des ressources pédagogiques, d’infrastructures etc. Dans sa
dimension financière il comprend des contrôles budgétaires, des systèmes d’achat,
l’obtention et l’allocation de ressources à des projets institutionnels (Weinstein &
Uribe, 2010 ; Uribe, 2008) ;
Gestion des résultats, avec une pondération de 21 % et 11 indicateurs comprend
l’analyse des résultats de l’apprentissage des élèves, mesurés en termes absolus et
relatifs ; l’efficacité organisationnelle exprimée en termes de satisfaction des
bénéficiaires et des utilisateurs ; les résultats financiers et la réalisation des objectifs
annuels et la façon dont sont utilisés les résultats pour la prise de décisions concernant
les processus de l’établissement (Weinstein & Uribe, 2010 ; Uribe, 2008).
Les indicateurs de gestion, qui étaient au nombre de 79, ont été réduits à 74, et enfin à
52 indicateurs.
2.13.1. Brève description des procédés de certification de la qualité scolaire
Le cycle d’amélioration continue (CMC) désigne les étapes que les établissements
doivent passer pour obtenir la certification. Ces cinq étapes sont successives et prennent fin
lorsque l’établissement décide de procéder à l’évaluation externe pour obtenir le label de
qualité.
Dimensionnement. Avant de demander l’auto-évaluation, l’équipe de gestion doit
compléter le dimensionnement de l’établissement pour obtenir le nombre d’enquêtés
nécessaires pour mener à bien le processus de diagnostic. Si l’établissement demande
une auto-évaluation avec une indication erronée dans le dimensionnement, cette
donnée ne peut être changée par le responsable du processus dans l’établissement.
Pour modifier ces données ils doivent contacter l’administrateur du système en FS
pour modifier la taille des échantillons. Ils reçoivent une clé pour accéder au système
pour entrer les résultats des enquêtes. Cette clé est différente de celle qui est
nécessaire pour accéder au CMC.
Processus d’auto-évaluation. Le processus d’auto-évaluation est la base de tout le
processus de certification. Les résultats des enquêtes auprès des enseignants, des
chefs d’enseignants, élèves et parents sont présentés dans un rapport. Les résultats de
!65
l’auto-évaluation seront considérés, ultérieurement, dans le plan d’amélioration et
dans les rapports d’évaluation externe.
Plan d’amélioration. À partir des domaines critiques identifiés par l’auto-évaluation,
un plan peut être conçu pour se concentrer sur les faiblesses dans ces domaines et sur
ses indicateurs. Si ce processus d’amélioration est terminé, l’établissement peut
postuler à une évaluation extérieure pour obtenir la certification.
Collecte et fabrication de preuves. Bien que cette phase soit postérieure à celle de
l’auto-évaluation, il est possible de réaliser les deux en même temps. Alors que les
divers acteurs répondent aux enquêtes, l’équipe de direction peut faire avancer la
collecte ou la fabrication de preuves pour chacun des indicateurs de gestion de qualité
qui décrit le modèle.
Évaluation externe. Lorsqu’on complète le cycle d’amélioration continue, il est
possible de demander l’évaluation externe au CNGCE. Les établissements sont
présentés volontairement à la certification et doivent payer l’évaluation externe à FS
(environ 6000 euros). L’évaluation externe confère une valeur finale. Si
l’établissement obtient un score minimum de 70 %, il peut être considéré comme
certifiable.
2.14. L’expansion du modèle de certification de la qualité à travers l’alliance avec
la Fondation Brésil
En 2010, la Fondation Schiller a élargi son modèle au Brésil comme le fruit de
l’alliance avec la Fondation Brésil . Les deux organisations ont mis en place au Brésil un 7
cours de consultants en gestion scolaire dans le but d’installer le modèle dans 85 écoles
publiques et privées de différentes villes brésiliennes, comme São Paulo, Bahia, Belo
Horizonte, Rio de Janeiro et Brasilia. Les élèves brésiliens de Fondation Brésil ont fait partie
du cours de consultants à Santiago du Chili (Diario La Tercera, 2010) . 8
La Fondation Brésil (c’est le nom choisi pour maintenir l’anonymat) est une organisation à but non 7
lucratif créée l’année 1996 qui a pour mission de soutenir les institutions d’éducation et de la santé du Brésil à travers de la mise en œuvre de programmes de conseils en gestion organisationnelle.
Diario La Tercera, le 13 avril de 2010 <http://www2.latercera.com/noticia/fundacion-chile-inaugura-8
curso-de-gestion-educativa-en-brasil/>
!66
Comme résultat de l’alliance entre la Fondation Schiller et la Fondation Brésil, le
premier Conseil National de Certification de la Qualité de la Gestion Scolaire (CNCGE) a été
créé à Brasilia en 2011. Le directeur du programme de gestion et de direction scolaire de la
fondation et Jorge Winter, directeur du domaine de l’éducation de Fondation Schiller ont
participé à la cérémonie d’inauguration.
Le Conseil de la Fondation Brésil est constitué par l’ex-ministre de l’éducation de Sao
Paulo, Guiomar Namo de Mello, Simon Schwartzman, de l’American Institute for Research ;
Ivania Siqueira, directrice de l’OEI au Brésil ; Marcos Magalhaes, entrepreneur qui a lancé un
nouveau modèle d’école secondaire dans les États du nord-est du Brésil et María Auxiliadora
Seabra Resende, présidente du Conseil national des secrétaires de l’éducation (CONSED)
(Diario La Nación, 2011) . 9
La Fondation Brésil avait reproduit l’initiative en tant que programme pilote dans plus
de 45 écoles dans son pays en l’adaptant à la réalité scolaire brésilienne. L’institution a
développé le Cycle d’amélioration continue, a créé la version locale du cours de formation de
consultants en gestion scolaire et a élaboré des profils de compétences des enseignants et des
directives pour les professionnels brésiliens.
2.15. L’émergence du modèle public de qualité : le SACGE (2003-2008)
Un an seulement après que FS ait lancé son modèle de certification de qualité scolaire,
le Ministère de l’Éducation Nationale (MINEDUC), pour éviter probablement que le
dispositif de contrôle des établissements soit entre les mains du privé (MINEDUC, 2005a), a
réagi et a lancé son propre modèle de qualité qu’il a appelé Système d’Assurance de la
Qualité de la Gestion Scolaire (SACGE). Mais le SACGE a été abandonné entre 2007 et 2008
(Donoso & Alarcón, 2012) et n’a ressurgi qu’en 2008, avec l’entrée en vigueur de la loi de la
subvention scolaire préférentielle (SEP, 2008), qui a fourni de nouvelles ressources aux
engagements pris dans les plans d’amélioration des zones de SACGE.
Diario La Nación, le 27 mai 2011 <http://lanacion.cl/2011/05/27/brasil-replica-modelo-de-9
certificacion-de-gestion-escolar-de-fundacion-chile/>
!67
2.16. La nouvelle loi LGE qui remplace la loi LOCE de Pinochet comme une
réponse au mouvement des étudiants du secondaire
En 2006, au cours du premier gouvernement Bachelet, le mouvement des étudiants
émerge et commence à exiger plus d’équité et de qualité dans le système éducatif, en mettant
en évidence le profit des propriétaires des établissements comme étant le principal problème
du système. Ce mouvement a joui d’un large soutien citoyen (Martinic, 2010). Des
manifestations massives d’étudiants dans les principales villes du pays ont eu le soutien de
l’opinion publique, selon les enquêtes de la même année, 87 % des Chiliens était en faveur
des exigences des étudiants (OCDE & Banque Mondiale, 2009).
Les mobilisations des « pingüinos » (pingouins), comme on appelle les élèves du
secondaire au Chili à cause de la couleur de leurs uniformes provenaient, en grande partie de
lycées municipaux. Les élèves constataient que la différence des résultats pour accéder à
l’université, c’est-à-dire les notes obtenues à l’épreuve d’accès, la PSU, était très importante.
En fait, les jeunes dont les familles ont les ressources suffisantes pour payer un meilleur
établissement privé ou subventionné peuvent entrer dans les carrières d’élite et les meilleures
universités publiques.
Compte tenu du large soutien des demandes d’étudiants, la présidente Bachelet a
convoqué un Conseil consultatif présidentiel de l’éducation auquel ont participé plus de 80
représentants du mouvement étudiant et les experts et représentants de droite, du centre et de
gauche (Cox, 2012).
Les étudiants ont obtenu, par la rédaction d’un document préliminaire (pré-projet de
loi), l’Accord pour la qualité de l’éducation (2007), approuvé en 2009, après beaucoup de
débats au parlement.
La Loi Générale sur l’Éducation ([LGE], 2009) a remplacé la loi organique
constitutionnelle relative à l’éducation (LOCE, 1990) que Pinochet avait créée et réglée pour
le système éducatif pendant plus de 20 ans.
Selon Cox (2012), cette nouvelle loi n’en termine pas avec le profit des propriétaires
d’établissements ni avec la sélection qu’effectuent les établissements pour attirer les étudiants
ayant de meilleurs résultats. Ceux qui sont les plus faciles et les moins coûteux à éduquer et
qui permettent à l’établissement de concurrencer les autres établissements au SIMCE.
!68
2.17. La subvention scolaire préférentielle (2008)
La loi SEP (2008) consiste à donner un deuxième voucher aux établissements qui 10
reçoivent les élèves les plus vulnérables. Selon MINEDUC (2018) la subvention scolaire
préférentielle (SEP) est une loi visant à donner des ressources publiques pour améliorer 11
l’équité et la qualité de l’enseignement des établissements d’enseignement subventionnés.
Cette subvention supplémentaire est remise aux responsables d’établissements et est destinée
aux élèves prioritaires, que le MINEDUC définit comme étant des élèves issus de familles
disposant de conditions socio-économiques défavorables ne leur permettant pas de participer
au processus éducatif à égalité de conditions.
Le MINEDUC (2010) soutient que la nouvelle subvention (SEP, 2008) qui apporte des
ressources considérables, vise à améliorer la qualité et l’équité de l’éducation. La loi SEP
représente 50 % d’augmentation par rapport à la subvention ordinaire. Pour Weinstein,
Fuenzalida et Muñoz (2010) , ceci est optimal car ce sont les établissements eux-mêmes qui 12
reçoivent ces ressources et qui, mieux que personne, savent à quoi doivent être destinées ces
ressources pour améliorer des résultats des élèves. Dans le but d’éviter la mauvaise utilisation
de ces financements, la loi SEP (2008) oblige chaque établissement à élaborer des plans
d’amélioration de l’éducation (PME) et à établir des objectifs de score SIMCE devant être
atteints dans un délai de quatre ans.
Une première phase a concerné les élèves de l’enseignement primaire et préscolaire et
le dispositif est maintenant étendu aux étudiants de l’enseignement secondaire. La loi
reconnait ainsi, d’après Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010) et comme l’affirme Mizala
(2008), que l’éducation des enfants, ayant une plus grande vulnérabilité socio-économique,
est plus difficile et nécessite davantage de ressources économiques.
Afin d’éviter qu’il s’agisse uniquement d’une politique d’assistance, selon Marcel et
Raczynski (2009), les établissements qui reçoivent cette subvention doivent élaborer et mettre
en oeuvre un plan d’amélioration. De cette manière, d’après Weinstein, Fuenzalida et Muñoz
Loi 20.428 (2008).10
Repére´à https://www.ayudamineduc.cl/ficha/antecedentes-generales-sep-1011
!69
(2010), la décentralisation est renforcée parce qu’on donne la possibilité aux propriétaires des
établissements de gérer la mise en place des systèmes de qualité d’une manière plus simple.
Espínola et Claro (2010) affirment que l’allocation des ressources provenant de la loi
SEP (2008) introduit un facteur de correction, parce qu’une subvention égale pour tous les
étudiants était un mécanisme de financement régressif qui favorisait l’inégalité des résultats.
Ces nouvelles ressources représentent une augmentation allant jusqu’à 60 % de la
valeur de la subvention par élève vulnérable.
Selon Mena et Corbalán (2010), les établissements qui adhèrent à la convention
peuvent recevoir la subvention SEP (2008), destinée aux élèves prioritaires. Ils doivent pour
cela renoncer à la possibilité de sélectionner les élèves et au financement partagé. L’idée est
de ne pas choisir les meilleurs élèves du groupe prioritaire pour concurrencer les autres
établissements, et ainsi, selon eux, éviter de « masquer sa productivité pédagogique et fausser
les évaluations de performance » (p. 348).
Pour Elacqua, Mosqueira et Santos (2009), 60 % des établissements privés
subventionnés participent à la SEP. En plus, selon les auteurs, de nombreux collèges privés
appartenant à des sociétés de tout type, religieuses et professionnelles, qui s’occupent des
enfants vulnérables et qui ne perçoivent pas de financement partagé, participent à la SEP.
Toutefois, d’après Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010), il y aurait des difficultés
internes au MINEDUC qui affecteraient la mise en oeuvre des ressources SEP. C’est la grande
rotation de personnel, due aux changements de gouvernement qui par deux fois sont passés de
gauche à droite, ce qui a affecté les délais de mise en œuvre de révision et d’approbation des
plans d’amélioration et aussi qui ont affecté sérieusement la mise en oeuvre des améliorations.
Les établissements des municipalités ont beaucoup de difficultés financières, c’est
pourquoi 99,9 % des établissements municipaux ayant des élèves prioritaires sont entrés dans
le système SEP (Marcel & Raczynski, 2009). Enfin, selon le MINEDUC (2010), ce sont déjà
6740 établissements qui ont adhéré au système de subvention SEP, ce qui équivaut à environ
95 % des établissements. Ils ont tous dû élaborer leurs plans d’améliorations qui doivent être
approuvés par le Ministère pour recevoir la subvention.
Pour CEPPE-Fondation Chili (2010), cette loi est une très bonne occasion pour
améliorer la qualité de l’éducation et décentraliser les actions d’amélioration, car c’est la
communauté éducative elle-même qui décide des actions à réaliser et de quelle manière vont
!70
être utilisées les ressources. Selon CEPPE-Fondation Chili (2010), adhérer à la SEP a
cependant des coûts associés, tels que le temps investi pour postuler et pour élaborer le plan
d’amélioration. Les établissements se mettent alors au service de la SEP, ils doivent canaliser
leurs énergies, leur temps et des ressources humaines pour ne pas échouer dans la mise en
oeuvre des améliorations. Ceci a aussi pour effet de les détourner d’autres tâches importantes
pour les enseignants et les élèves.
Un des aspects positifs, selon Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010), est une plus
grande implication dans les tâches éducatives des propriétaires des établissements qui, jusqu’à
présent, étaient exclusivement concentrés sur l’administration financière. Dans le cas des
municipalités, d’après les auteurs, les unités techniques ont été renforcés pour mettre en
oeuvre ces améliorations et il a fallu recruter des assistants techniques.
2.18. L’apparition des Agences d’Assistance Technique (2008)
Durant l’année 2008, lorsque la loi SEP (2008) a augmenté la subvention pour les
étudiants des secteurs les plus vulnérables, le répertoire des institutions privées d’assistance
technique (ATE) a été créé. Selon le MINEDUC (2018) , le répertoire ATE est : 13
Un registre public de personnes ou entités pédagogiques et techniques d’appui, qui
peuvent fournir des conseils ou des services d’appui aux établissements
d’enseignement, pour l’élaboration, la mise en oeuvre et/ou le suivi du Plan
d’amélioration éducative (PME). Le registre est constitué de personnes, entreprises et
institutions d’enseignement supérieur, qui doivent respecter les conditions énoncées
dans le règlement et passer par un processus de révision pour pouvoir être validées et
habilitées par le MINEDUC pour intégrer le répertoire ATE.
Cet annuaire d’assistance technique éducative est composé de personnes qui sont des
experts en gestion scolaire et d’entreprises, de cabinets conseil, universités, fondations, etc.
C’est ainsi que les écoles et les lycées qui s’occupaient des enfants vulnérables avec le
deuxième voucher de la subvention scolaire préférentiel (SEP) se sont transformés en une
immense opportunité pour les entreprises qui font partie du répertoire ATE.
La première année 100 agences ont été inscrites au registre public des ATE. Ce sont
désormais plus de 800. Les ressources SEP qui sont arrivées à destination ont eu un impact
Article 2 de la Loi N° 20.248. 13
!71
positif sur les résultats SIMCE des élèves ayant moins de ressources. Difficile de savoir s’il
s’agissait de vocation publique ou seulement d’opportunisme de l’entreprise, mais avec
l’apparition de la loi SEP (2008) les efforts se sont concentrés. FS, pour gagner ces fonds, a
aussi créé deux programmes, ML et ME , déjà inscrits dans le répertoire ATE, pour postuler 14 15
à ces appels d’offres. Les établissements cherchent à être accompagnés dans le processus
d’élaboration et mise en œuvre du Projet d’amélioration de l’éducation (PME) dans quatre
domaines : gestion pédagogique, leadership, coexistence scolaire et gestion des ressources.
Sur le site web d’ATE est publié le répertoire des services d’assistance technique éducative
validées par le MINEDUC où apparaissent aussi les résultats publiés d’une évaluation de leur
travail, en tant que consultants, sur la base des réponses à un questionnaire de satisfaction que
doivent renseigner les directions des établissements.
Les ATE reposent sur l’hypothèse que bien qu’on leur fournisse des ressources, les
établissements ne peuvent pas s’améliorer seuls (Weinstein, Fuenzalida & Muñoz, 2010).
Selon Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010), la sélection des ATE est devenue une
tâche essentielle pour les établissements. Dans les municipalités, selon les auteurs, il existe
désormais un directeur SEP, car les ressources concernées sont importantes. Un autre
problème, selon Vanni et Bravo (2010), est que les ATE sont concentrées dans quelques villes
du Chili et en particulier à Santiago. L’État, paradoxalement n’a pas mis au point de normes
de qualité ni de système d’accréditation pour les ATE et le MINEDUC a été incapable de
contrôler que les ressources qui s’adressent aux enfants les plus vulnérables du système aient
été bien utilisées.
2.19. Grands changements des règles du jeu : création de l’Agence de Qualité de
l’Éducation (2011)
En 2006, après plusieurs mois de mobilisation, les élèves du secondaire ayant occupé
leurs établissements et étant sorti dans les rues pour demander à la présidente Bachelet
l’abrogation de la loi LOCE (1990) de Pinochet, qui avait privatisé l’éducation, ont obtenu
l’abrogation de la loi puis la formulation d’une nouvelle par le gouvernement.
L’acronyme utilisé pour le programme Mejor Liceo (Meilleur Lycée).14
L’acronyme utilisé pour le programme Mejor Escuela (Meilleur École).15
!72
En 2011, avec la relance du mouvement des étudiants, le gouvernement a constitué un
groupe d’experts, le Conseil consultatif présidentiel, pour élaborer des réponses pour les
étudiants. Une des recommandations du Conseil a été la création d’une direction générale et
d’une Agence de la Qualité de l’Éducation (Uribe, 2008) pour contrôler les 7000
établissements du système qui ne dépendent pas de l’État. Ainsi, pendant l’année 2011, deux
institutions ont été créées : la Surintendance de l’éducation et l’Agence de qualité de
l’éducation qui consolide le pilotage par la qualité comme dispositif de contrôle du système
d’éducation.
Selon l’ACE (2015), le SAC va cibler les écoles ayant les plus mauvais résultats.
Le travail principal de l’ACE sera d’établir des rapports et de les communiquer aux
établissements et aux familles des enfants, malgré le fait que ceci soit une perte de temps et de
ressources économiques selon certains auteurs (Vanni & Bravo, 2010).
Dans son rapport final, le conseil (MINEDUC, 2006) a proposé que le Ministère
élabore des indicateurs pour évaluer la qualité de l’éducation. Ainsi, on redéfinissait certaines
fonctions du Ministère de l’éducation, exercées dans leur intégralité par deux nouvelles
agences de l’État, l’Agence de la qualité de l’éducation et la Direction générale de l’éducation
scolaire.
L’ACE, depuis sa création, est aussi en charge de la mise en œuvre du SIMCE afin
d’évaluer les résultats de l’apprentissage et d’autres indicateurs de qualité et de performances
des établissements pour pouvoir les orienter dans leur activité institutionnelle et pédagogique,
mais aussi d’informer la communauté scolaire de ces processus.
La SE est chargée de contrôler le respect de la réglementation nécessaire au
fonctionnement des établissements dans un contexte de qualité, d’assurer un bon usage des
ressources, en outre d’étudier et de répondre aux plaintes en agissant en tant que médiateur
dans les cas nécessaires. La SE va contrôler l’utilisation des ressources et le respect de la
réglementation de l’éducation, recevoir les plaintes et revendications, et prévoir des sanctions,
de sorte que les écoles respectent les besoins minimaux des étudiants. Maintenant, le
Ministère de l’Éducation se concentrera sur la fourniture des appuis techniques et
pédagogiques que les écoles demandent pour commencer à améliorer leurs savoir-faire.
!73
En outre, l’ACE est chargée de coordonner la mise en œuvre d’enquêtes
internationales comme PISA, TIMSS et TERCE, entre autres, qui permettent de comparer les
savoir-faire avec d’autres pays.
L’autre rôle est d’évaluer chaque établissement conformément aux autres indicateurs
de la qualité de l’éducation avec des questionnaires de satisfaction adressés aux différents
acteurs de la communauté éducative et pouvant influer sur le processus d’apprentissage :
climat de coexistence scolaire, habitudes de vie saine, estime de soi et motivation scolaire, la
participation et la formation des citoyens, l’assistance scolaire, de rétention, d’équité entre les
sexes et la qualification professionnelle et technique.
Le système de l’ACE se fonde sur les résultats de l’apprentissage dans tous les
domaines : résultats des élèves par rapport à des normes d’apprentissage et degré de respect
des autres indicateurs de qualité de l’enseignement. On prend aussi en compte la vulnérabilité
des élèves de l’établissement.
La gestion des établissements d’enseignement primaire et secondaire est présentée en
quatre niveaux de performance : haute, moyenne, moyenne-basse et insuffisante. Ces quatre
catégories de résultats sont focalisées sur les établissements qui l’exigent le plus. Une fois que
les résultats de ce processus sont diffusés aux établissements, ils reçoivent un appui technique
pédagogique qui peut être demandé au ministère sous forme directe ou au travers d’une
assistance technique éducative (Agence de la qualité de l’éducation, 2015).
Si après trois ans, l’établissement ne présente pas d’amélioration significative, on
informe les parents et représentants légaux de cette situation et on leur indique les 30
établissements les plus proches se trouvant dans une catégorie supérieure. Si après quatre ans,
l’établissement reste dans la catégorie de performance insuffisante, l’ACE atteste cette
situation et l’établissement perd la reconnaissance officielle et sa subvention (Agence de la
qualité de l’éducation, 2015).
L’évaluation indicative de la performance des établissements d’enseignement et de
leurs propriétaires se concentre sur les processus de gestion et considère les normes
indicatives de performance élaborées par le ministère et approuvées par le Conseil National de
l’Éducation. Leur périodicité est déterminée sur la base de la gestion des établissements, de
plus en plus fréquent. Les visites aux établissements classées dans les dernières catégories
auront comme résultat un rapport public portant sur leurs points forts et leurs faiblesses et
!74
mentionnant des recommandations pour les aider à identifier les efforts qu’ils doivent
entreprendre.
Les inspections sont appelées, dans le modèle SAC, des visites d’évaluation et
d’orientation. Ces visites, comme celles de FS, ont une durée de trois jours et les évaluateurs
se présentent dans les établissements avec leur boîte à outils. Les inspecteurs émettent un
rapport diagnostic qualitatif qui, selon l’ACE, doit bénéficier au développement pédagogique
et institutionnel des établissements et renforcer les capacités institutionnelles et
d’autoévaluation des établissements pour promouvoir l’amélioration continue de la qualité de
l’éducation. Le rapport que livre l’ACE est de caractère public et indique les points forts et les
faiblesses de l’établissement scolaire, ainsi que les recommandations dans le but d’identifier
les efforts qui doivent être entrepris pour améliorer les possibilités d’apprentissage des élèves.
Dans le SAC, la première chose que l’établissement doit faire est de produire un
diagnostic de la situation initiale dont l’aspect principal doit porter sur les derniers résultats
concernant les apprentissages. Ce que l’ACE (2015) recommande, comme l’indiqué son site
web, est l’installation progressive d’un système de gestion des résultats permettant de
procéder à une analyse détaillée des apprentissages réalisés par les étudiants. Selon eux, la
collecte de preuves pour chaque indicateur doit permettre une économie de temps et de
ressources pour les prochaines étapes du processus d’évaluation. Selon l’ACE, le plan
d’amélioration consiste en une programmation annuelle pour améliorer les apprentissages, le
système de planification des classes, la gestion des enseignements, le renforcement
pédagogique pour les étudiants à faible rendement et tous les autres aspects de la gestion
institutionnelle.
Résumé du chapitre
Dans ce chapitre j’ai présenté un aperçu du contexte socio-historique du pilotage par la
qualité dans le monde puis réalisé une description des premiers dispositifs mis en oeuvre au
Chili. Ceux-ci ont précédé ce que la Fondation Schiller a elle-même créé jusqu’à l’émergence
de l’Agence de la Qualité de l’éducation.
Dans le chapitre suivant, je présenterai le champ de cohérence scientifique du
chercheur, présent à toutes les étapes de cette recherche, ce qui permettra de mieux situer mes
implications épistémologiques.
!75
Chapitre 3 : Mon champ de cohérence scientifique
3.1. Une révision du champ de cohérence scientifique du chercheur comme
manière d’expliciter ses implications idéologiques ou secondaires
Dans ce chapitre, je vais présenter les concepts qui correspondent à mon champ de
cohérence scientifique, ceci afin de rendre plus explicites mes implications idéologiques ou
secondaires. Il s’agit des concepts de dispositif, d’individuation, d’institution, d’implication,
de singularisation, de champ de cohérence (C. de C.) et quelques autres qui m’ont servi de
repères. Toutefois ces notions ne sont que la partie consciente de la « cuisine » de ma
recherche, car, comme l’affirmait Lourau (1997a), il est probable qu’une grande partie de mon
système de référence ait été potentialisé et me soit donc inaccessible.
Les références théoriques que je mobilise articulent l’analyse institutionnelle, en
particulier les travaux de René Lourau, et des approches épistémologiques, comme celles de
Simondon, Ravatin, Callon et Latour. Elles me permettent de penser ma problématique en
tenant ensemble les dimensions individuelle et collective d’une part et les dynamiques
institutionnelle et politique d’autre part. L’appropriation de ces références a été longue et
difficile mais elle était nécessaire pour analyser le processus d’institutionnalisation du
pilotage par la qualité à partir des pratiques et des outils des consultants. Je devais changer de
logique, changer de champ de cohérence.
3.2. La notion de dispositif
Lorsque je me réfère au réseau socio-technique de la Fondation Schiller, c’est en tant
que dispositif de savoir-pouvoir (Foucault, 2004a) par lequel il a été possible
d’institutionnaliser le discours de la qualité au Chili. Je considère que dans ce réseau circulent
des micropouvoirs qui sont capables de produire de la subjectivité, de discipliner.
Effectivement, selon Deleuze (1988), pour Foucault les machines sont sociales avant d’être
techniques. En revanche, une technologie humaine pour exister est aussi une technologie
matérielle. D’ailleurs, un dispositif a besoin d’instruments pour exercer ses effets sur tout le
domaine social et ceux-ci vont être sélectionnés par un diagramme et soutenus par des
agencements (Deleuze, 1988) distribués dans des segments durs, compacts et séparés les uns
des autres, comme l’école, l’armée, la prison, etc.. A contrario, ils peuvent être transmis dans
!77
la machine abstraite que leur confère une micro-segmentarité diffuse. Ainsi, tous vont tendre à
se ressembler. La prison, par exemple, s’étend à travers les autres institutions comme une
même fonction continue et sans forme, par exemple à l’école, le quartier, l’atelier. De facto,
lorsque Akrich, Callon et Latour parlent de l’importance des objets techniques dans les
réseaux constitués par des humains, ils le font en référence à la notion de dispositif de
Foucault (Beuscart & Peerbaye, 2006). Il est vrai que Foucault a consacré sa philosophie à
l’analyse des dispositifs.
La première notion de dispositif de Foucault remplace celle d’épistémè apparue dans
son livre Les mots et les choses (1966). En fait, l’épistémè correspondait à un concept de
dispositif spécifiquement discursif, qui a évolué d’une décennie à l’autre dans l’œuvre de
Foucault. Il englobera des institutions et des pratiques, tout ce qui est social et non-discursif
(Revel, 2002). Puis, dans Surveiller et punir (1975), Foucault utilise l’acception de dispositif
panoptique capable de faire fonctionner des relations de pouvoir. Un an après, dans La volonté
de savoir (1976), il affirme que le pouvoir dans un dispositif émane de toutes les parties. Dans
cette dernière œuvre Foucault va jusqu’à affirmer que tout rapport de pouvoir constitue un
champ parallèle de savoir et à l’inverse un savoir constitue des relations de pouvoir. C’est-à-
dire qu’il n’existe pas de modèle de vérité qui ne renvoie pas à un type de pouvoir, qui
n’exprime ou n’implique un pouvoir qui s’exerce en tant que force transversale. De plus, dans
Dits et écrits (2001), on peut trouver la définition suivante du concept de dispositif : « un
ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des
aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures
administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales,
philanthropiques, bref du dit aussi bien que du non-dit » (Foucault, 2001, p. 299).
Selon Deleuze (1992) trois aspects caractérisent le concept de dispositif de Foucault.
Ils imposent une forme de connaissance, détiennent le pouvoir et sont capables de produire de
la subjectivité. Un parallèle peut donc être fait avec le concept de Rhizome dans la
philosophie de Deleuze et Guattari (1980) :
[...] des chaînons sémiotiques de toute nature y sont connectés à des modes
d’encodage très divers, chaînons biologiques, politiques, économiques, etc., mettant
en jeu non seulement des régimes de signes différents, mais aussi des statuts d’états
de choses. Les agencements collectifs d’énonciation fonctionnent en effet directement
!78
dans les agencements machiniques et l’on ne peut pas établir de coupure radicale
entre les régimes de signes et leurs objets (p. 13).
C’est précisément dans l’œuvre consacrée à Foucault, que Deleuze (1989) affirme que
le dispositif est un réseau qui a une fonction stratégique dominante et suppose une
manipulation des rapports de force supportant différents types de connaissances. En fait, à
travers les éléments d’un dispositif (appareils, institutions, savoirs, techniques) circulent un
type de pouvoir. De facto, le savoir est inséparable du pouvoir qui agence pour assujettir les
individus, c’est pourquoi Foucault, selon Deleuze (1989), parle de dispositif de savoir-pouvoir
et c’est le sens que nous préférons aussi utiliser. Enfin, ce que veut dire Foucault est que le
pouvoir est un pouvoir d’Etat, qui « apparaît lui-même comme un effet d’ensemble ou une
résultante d’une multiplicité de rouages et de foyers qui se situent à un niveau tout différent et
qui constituent pour leur compte une microphysique du pouvoir » (p. 33).
3.3. La sociologie de la traduction
La sociologie de la traduction est née dans les années 1970 comme une tentative pour
expliquer, selon Callon (2006a), « à partir d’études de cas, le processus de fabrication des faits
scientifiques et des artefacts techniques pour comprendre comment leur validité ou leur
efficacité sont établies et comment s’opère leur diffusion » (p. 267-268).
C’est un cadre analytique approprié pour l’étude de ce que jouent la science et la
technologie dans la structuration de relations de pouvoir (Callon, 2006a). En fait, expliquer
une traduction exige une analyse approfondie, pour les rendre partiellement visibles et
contrôlables (Latour, 2008).
3.3.1. La notion de traduction
Callon (2006b) a défini la traduction comme :
L’ensemble des opérations par lesquelles des énoncés sont mis en relation non
seulement les uns avec les autres [...] mais également avec des éléments matériels
(des substances, des instruments techniques), des compétences incorporées dans des
êtres humains, des procédures ou des règles. Chacun de ces éléments permet aux
autres de fonctionner, et chacun tire en partie sa signification et sa portée des relations
qu’il entretient avec les autres (p. 235).
!79
En effet, toutes les interactions peuvent être analysées comme des traductions qui
contribuent à la constitution de chaînes de traduction et par le biais de la production de 16
contenus (Callon, 2006b).
Le travail des innovateurs dans un réseau de traduction est de créer des expériences
qui favorisent les traductions successives, pour que s’articulent, s’enchaînent, en laissant de
traces et d’inscriptions (Callon, 2006b), et ainsi faciliter la connexion avec de nouvelles
traductions.
3.3.2. La notion d’acteur
La sociologie de la traduction, selon Callon (2006a), considère que la société « ne
constitue pas un cadre à l’intérieur duquel évoluent les acteurs. La société est le résultat
toujours provisoire des actions en cours » (p. 267). En fait, l’hypothèse du modèle de la
traduction est que le monde est peuplé d’acteurs. Pour Latour (2008), le monde est plein de
concaténations de médiateurs. Les acteurs, selon ce dernier auteur, sont construits par des
actions antérieures, ce que les engage à de nouvelles traductions, ce qui augmente les risques
et les occasions de divergence, mais à la fin leur permettent d’être de plus en plus stables dans
le temps. Ces acteurs, selon l’auteur, doivent laisser des traces suffisantes pour être visibles,
pour produire une différence, pour transformer, pour lancer de nouvelles traductions.
Selon Latour (2008), le terme acteur réseau, suggère que l’acteur n’est pas la source de
l’action, mais l’objectif mobile d’une grande quantité d’autres entités qui convergent vers lui.
En fait, pour l’auteur, acteur est un mot qui dirige l’attention vers une dislocation totale de
l’action. Une action qui en outre est toujours traduite. Les acteurs construits et associés au
réseau de traduction seront impliqués dans de nouvelles traductions, dans de nouveaux
partenariats avec de nouveaux acteurs. De toute évidence, cela augmente le risque de créer
des occasions de divergence. De fait, chacun de ces acteurs confrontés à des événements
inédits devient imprévisible, parce qu’il est séparé de sa trajectoire, expérimente une nouvelle
trajectoire, recompose partiellement son monde (Latour, 2008).
Ce n’est pas par hasard, selon Latour (2008), que le mot acteur vient du théâtre. Il
existe un scénario et par conséquent un metteur en scène et, en général, tout peut faire partie
Le concept de chaîne de traduction est défini par Callon (2006b) comme ce qui permet de transférer 16
l’innovation, depuis le papier au monde matériel, à travers des inscriptions circulantes.
!80
du scénario. Tous les acteurs, les cachés et les manifestes. Dans notre cas les conseillers, les
consultants et les membres du staff peuvent faire sentir leur effet. C’est pourquoi, selon
l’auteur, les acteurs sont métaphysiques, pleinement réflexifs et capables, en effet ils ont leur
propre méta-théorie concernant la manière dont les gens agissent.
Il est donc intéressant de connaître les diverses associations entre des entités dans la
chaîne de traduction (Callon, 2006b), bien que momentanées, elles sont capables de générer
de nouvelles interactions temporelles ou délocalisées qui peuvent devenir significatives et
durables.
Enfin, pour Latour (2008), le concepteur, est un metteur en scène qui non seulement
distribue leurs rôles aux acteurs, mais qui écrit aussi le scénario et effectue la mise en forme
technique selon son point de vue en tant que concepteur sur les relations nécessaires entre les
objets techniques et les acteurs humains qu’il met en scène. Certes, c’est le concepteur qui va
affiner le scénario, compte tenu de sa vision de l’histoire future que le dispositif doit mettre au
point.
3.3.3. La notion de réseau de traduction
Callon (2006b) appelle réseau de traduction le processus d’enchevêtrement de
traductions. Un réseau de traduction augmente dans la mesure où il engage un nombre
croissant d’acteurs divers qui peuvent être enrôlés à l’intérieur ou à l’extérieur du laboratoire
d’innovation des concepteurs. Tout ce qui est fait dans un réseau de traduction : les énoncés,
les dispositifs pilotes, les savoir-faire qui ont été incorporés ne vont pas à sortir de cette. De
cette manière, selon l’auteur, les traductions augmentent avec le temps leur degré de
consolidation et de robustesse, ce qui fait que les traductions sont en même temps
imprévisibles et inévitables, à un certain moment les réseaux deviennent irréversibles. Grâce
au réseau de traduction, l’apprentissage collectif peut gagner en intensité et en extension, ce
qui assure l’accumulation de savoirs et de savoir-faire (Callon, 2006b).
3.3.4. Les objets techniques qui peuvent participer d’une chaîne de traduction
Latour (2008) dit que la sociologie de l’acteur-réseau repose sur la conviction
qu’aucune science sociale ne peut être engagée si nous n’examinons pas qui et de quelle
manière participe à l’action, ce qui suppose d’intégrer des éléments que nous pourrions
!81
appeler non humains. L’auteur écrit que ce que cherche cette théorie de la traduction est
d’expliquer la durabilité et l’extension de toute interaction entre acteurs humains et non
humains. En effet, d’après l’auteur, la théorie de l’acteur réseau tente d’expliquer le paysage
hétérogène, les pouvoirs dominants de la société, les énormes asymétries, l’exercice écrasant
du pouvoir. Même si les objets ne peuvent pas être à l’origine de l’activité sociale, ils
expriment des relations de pouvoir, symbolisent une hiérarchie sociale et renforcent les
inégalités sociales, transportent le pouvoir social, objectivent l’inégalité, etc. (Latour, 2008).
Ce sont d’innombrables objets techniques qui peuvent participer d’une chaîne de
traduction. Certes des objets techniques définissent le cadre d’action, car ils représentent une
grande diversité d’utilisations pour négocier avec les autres acteurs sa participation à de
nouveaux efforts de traduction (Callon, 1986).
Akrich (2006) dit que les objets techniques participent du scénario du réseau de
traduction, accordent des rôles et des responsabilités à chacun des acteurs.
3.4. Le théâtre d’individuation des individus vivants
L’un des auteurs les plus cités dans cette thèse est Simondon. En fait, les concepts de
l’auteur, tels que l’individuation, le transindividuel ou la transduction apparaissent dans tout
ce mémoire. Pour penser la relation sujet/objet, j’ai choisi, comme le suggère Lourau (1997a),
de m’aider des concepts de Simondon.
L’œuvre de Simondon est principalement constituée par sa thèse de doctorat, soutenue
durant l’année 1958, qui a été publiée ensuite en deux tomes. Le premier volume a été publié
au cours de l’année 1964 sous le titre L’individu et sa genèse physico-biologique. Vingt-cinq
ans après, paraissait le deuxième ouvrage intitulé L’individuation psychique et collective.
Dans ces deux livres, Simondon affirme qu’il n’est pas possible de connaître l’individuation
(le processus) à partir de l’être individué, mais qu’au contraire il est nécessaire de saisir l’être
individué à partir de l’individuation. Pour Simondon, il n’existe pas une unité humaine stable,
un individu terminé, a contrario les personnes se trouvent dans un processus permanent
d’individuation. En effet, l’individu n’est pas une réalité consommée mais une réalité partielle
et relative (Alvaro, 2016). Dans le même sens, Combes (1999) affirme que pour l’auteur
l’individu vivant « n’est pas fini mais limité, c’est-à-dire capable d’un accroissement
indéfini » (p. 38). À partir de leur naissance, de leur individuation initiale, les individus
!82
vivants vont être en permanente individuation, ils vivent, ce que Simondon (1995 [1964])
appelle un « théâtre d’individuation ». Ceci est possible parce que l’individu vivant possède
une véritable intériorité, une intériorité dans laquelle l’individuation peut s’accomplir.
Simondon (2005 [1964]) affirme qu’« on comprendrait ainsi pourquoi ces catégories
d’individus de plus en plus complexes, mais aussi de plus en plus inachevés, de moins en
moins stables et auto-suffisants, ont besoin, comme milieu associé, de couches d’individus
plus achevés et plus stables » (p. 152).
Pour Lapassade, dans L’entrée dans la vie (1972), l’homme est essentiellement
néoténique, c’est-à-dire inachevé, il ne sera jamais véritablement adulte. En fait, il « naît
inachevé » et a besoin d’assistance et cet inachèvement permanent n’est pas différent de
« l’inachèvement permanent de l’espèce ».
Selon les chercheuses Bidet et Macé (2011), l’individuation est, pour Simondon,
l’interaction d’un individu et d’un environnement, à partir de phasages et de déphasages de
tensions, de conflits entre l’individu et son milieu. En effet, Simondon (2005 [1964]) va
soutenir dans toute son œuvre, que l’individuation permanente d’un être vivant progresse de
métastabilité en métastabilité. Un autre auteur, Tourneux (2016), soutient, en référence au
mode de pensée de Simondon, que jamais il n’y a une complète individuation parce qu’il n’est
pas possible qu’un individu soit vide de potentiel.
3.4.1. S’individuer en résolvant les problèmes du milieu
Un être vivant, selon Simondon (2005 [1964]), lorsqu’il résout des problèmes, non
seulement s’adapte ou modifie sa relation avec l’environnement, mais se modifié aussi lui-
même, crée lui-même de nouvelles structures internes. En fait, Deleuze (2002) écrit que la
dialectique de l’individuation de Simondon repose sur une problématique qui va organiser une
solution à « un système objectivement problématique ». Le sujet continue, selon Simondon
(2005 [1964]), de résoudre en permanence des problèmes présents dans l’environnement qui
l’entoure pour poursuivre son individuation. Mais ces résolutions sont partielles et relatives,
car le sujet contient d’autres potentiels de résolutions de problèmes, conflits, tensions à venir.
En fait, chaque résolution « se manifeste dans un système recélant des potentiels et renfermant
une certaine incompatibilité par rapport à lui-même » (p. 25). Ces mises en phase et ces
!83
déphasages successifs avec l’environnement expliquent la métastabilité de l’individu
s’individuant.
3.4.2 Les trois phases de l’être
L’individuation pour Simondon (2005 [1964]) correspond à l’apparition de phases
dans l’être, dans un devenir où l’être se conserve, mais ces échanges entre structure et
opération constituent un décalage avec lui-même. Telle est la capacité des êtres vivants, bien
que ces individuations soient d’importance variable selon les espèces (Bidet & Macé, 2011).
En reprenant les termes de Simondon (2005 [1964]) : « le sujet n’est pas une phase de l’être
opposée à celle de l’objet, mais l’unité condensée et systématisée des trois phases de l’être
» (p. 301). C’est trois phases étant préindividuelle, individuelle et transindividuelle.
Enfin, selon l’auteur, un individu individué (état qui n’est jamais totalement atteint) est
indissociable de sa charge préindividuelle. De fait, il ne pourrait pas s’individuer si ce n’est à
partir d’une réalité préindividuelle. Le sujet ne découvre cependant la signification de ces
deux phases de l’être que lorsqu’il doit résoudre un problème et prendre en compte la
dimension transindividuelle du collectif. L’environnement de l’individu est en effet d’abord
social. Les problèmes à résoudre sont inscrits dans des dynamiques collectives.
3.4.3. L’individuation psychique : une individuation qui ne peut épuiser toute la charge
préindividuelle
Combes (1999) affirme qu’il existe une réciprocité entre la pensée de Simondon et la
philosophie de la nature du philosophe présocratique Anaximandre concernant la notion
d’apeiron . Les êtres individués garderaient toujours une charge d’indétermination, une 17
« véritable réalité chargée de potentiels actuellement existants comme potentiels, c’est-à-dire
comme énergie d’un système métastable » (p. 81). Dans le même sens, Tourneux (2016) écrit
que ces notions de métastabilité, de potentiel, de phases d’être ou de transduction sont une
référence au préindividuel, à l’apeiron présocratique. De facto, dans la pensée de Simondon
cette nature préindividuelle, « l’être sans phase », ne se limite pas à la première individuation
physico-biologique. Pour Simondon (1989a), « cette charge d’apeiron permettrait d’aller vers
Anaximandre (610-545 av. J.-C.) un des philosophes physiques, a nommé la matière principale de 17
laquelle naissent et dans laquelle se résorbent des mondes, par le terme apeiron, c’est-à-dire l’indéterminée, l’absence de limites externes (Mugler, 1966).
!84
une seconde individuation » (p. 196). Le concept d’apeiron soutient la théorie de
l’individuation de Simondon (2005 [1964]). Par exemple, l’idée que l’individuation ne
parvient pas à épuiser toute la réalité préindividuelle, que l’individu résultant du processus
d’individuation transporte en lui-même une certaine charge associée de réalité préindividuelle,
de telle sorte que cette individuation est relative et enfin l’idée que les potentiels qui
caractérisent l’individuation vont être conservés comme une source d’états métastables pour
d’autres individuations à venir. L’être individué transporte donc avec lui ses individuations
futures. En effet, dans sa première œuvre, republiée en 2006 sous le titre L’individuation à la
lumière des notions de forme et d’information, l’auteur affirme que « l’être précédant
l’individu n’a pas été individué sans reste; il n’a pas été totalement résolu en individu et
milieu; l’individu a conservé avec lui du pré-individuel, et tous les individus ensemble ont
ainsi une sorte de fond non structuré à partir duquel une nouvelle individuation peut se
produire » (Simondon, 2005, p. 295). Pour Deleuze (2002), l’être pré-individuel, le métastable
de Simondon « est parfaitement pourvu des singularités qui correspondent à l’existence et à la
répartition des potentiels [...] singulier sans être individuel, tel est l’état de l’être pré-
individuel. Il est différence, disparité, disparition » (p. 121). Enfin, l’individuation psychique
n’est pas un événement mais un processus, une série d’individuations pour prolonger dans le
temps l’individuation initiale. En effet, pour Simondon (1989a), « chaque pensée, chaque
découverte conceptuelle, chaque surgissement affectif est une reprise de l’individuation
première ; elle se développe comme une reprise de ce schème de l’individuation première,
dont elle est une renaissance éloignée, partielle, mais fidèle » (p. 127).
3.4.4. L’individuation collective est une phase de l’être qui ne peut épuiser les virtualités
et potentialités de l’être préindividuel
En fait, les individuations psychique et collective se caractérisent, selon Simondon
(2005 [1964]), par leurs réciprocités systématiques. D’abord, l’être psychique ne peut régler
sa propre problématique sans cette réalité préindividuelle, qui est dans le sujet individué.
Deuxièmement, il y aura toujours « rémanence de la phase primitive et originelle de l’être
dans la seconde phase, et cette rémanence implique tendance vers une troisième phase qui est
celle du collectif » (Simondon, 1989a, p. 197). Effectivement, le sujet individué peut aller au-
delà de ses limites en se transformant en un individu vivant dans du collectif. C’est la charge
!85
préindividuelle qui le pousse à participer à une nouvelle individuation, à participer du
collectif. Enfin, le collectif pour Simondon (2005 [1964]) « n’est pas nature, mais il suppose
l’existence préalable d’une nature attachée aux sujets entre lesquels la collectivité s’institue en
les recouvrant » (p. 301).
Pour Simondon (2005 [1964]), le social a un caractère non déterministe,
c’est pourquoi l’être individué n’achève jamais son individuation, en conséquence il y a
toujours une autre individuation possible, en attente. C’est-à-dire que ce potentiel, pour
devenir autre, pour une nouvelle individuation, ne détruit pas la première. Autrement dit,
l’individuation collective est une phase de l’être qui ne peut épuiser les virtualités et
potentiels de l’être préindividuel, c’est pourquoi peut s’opérer une deuxième individuation,
collective, capable de lier les êtres individués entre eux par le biais du préindividuel qu’ils
conservent en eux. Ces potentiels de la réalité préindividuelle, que l’ontogenèse du collectif
utilise pour aider à résoudre la problématique individuelle, « sont portés par plusieurs
individus, mais non pas contenues dans les individualités déjà constituées de ces individus
» (Simondon (1989a, p. 197).
Dans l’opération d’individuation qui produit une personnalité de collectif, les êtres
individuels vont être à la fois des moyens et des agents. Selon Simondon (2005 [1964]), il faut
que le groupe soit présents. Il faut aussi qu’il soit tendu et partiellement indéterminé, comme
l’être préindividuel avant l’individuation. De facto « un individu absolument complet et
parfait ne pourrait entrer dans un groupe » (p. 290). En conclusion, l’adulte socialement
intégré « est par rapport au social un être également social dans la mesure où il possède une
conscience active actuelle, c’est-à-dire dans la mesure où il prolonge et perpétue le
mouvement d’individuation qui lui a donné naissance, au lieu de résulter seulement de cette
individuation » (p. 286).
3.5. La transduction, en même temps qu’elle exprime l’individuation, permet de
la penser
Simondon (1995 [1964]) définit la transduction comme une opération physique,
biologique, mentale et sociale « par laquelle une activité se propage de proche en proche à
l’intérieur d’un domaine, en fondant cette propagation sur une structuration du domaine
opérée de place en place : chaque région de structure constituée sert à la région suivante de
!86
principe de constitution » (p. 30). En fait, l’être possède une unité transductive, qui selon
Combes (1999), est un mode d’unité de l’être dans ses différentes phases, dans ses multiples
individuations. C’est-à-dire que la transduction est une notion autant métaphysique que
logique, parce qu’elle exprime l’individuation et permet de la penser. C’est l’un des effets de
la problématique de l’individuation selon Combes (1999), celui de restructurer le « rapport »
entre pensée et être.
Pour Simondon, être et pensée sont deux « côtés» inséparables de l’individuation. Il
cite d’ailleurs le poème de Parménide dans lequel la Déesse s’exprime ainsi : « Le même, lui,
est à la fois penser et être » (Traduit par Beaufret, 1973, p. 79). Selon les termes de Combes
(1999), « ce qui constitue la pensée ne diffère pas de ce qui constitue l’être ; la pensée comme
l’être ne sont adéquatement saisis que lorsqu’est saisie leur dimension transductive : le fond
de la pensée et de l’être est transduction » (p. 19).
C’est en m’inspirant de ces réflexions de Simondon sur le processus d’individuation
comme étant à la fois individuel et collectif que j’ai conduit mon dispositif et analysé les
matériaux recueillis. Non seulement elles me permettent d’échapper à une analyse causaliste
ou déterministe mais elles me font aussi regarder la boîte à outils des consultants comme
constituée d’objets techniques contribuant à l’institutionnalisation (considérée comme une
individuation institutionnelle ) du dispositif de pilotage par la qualité du système éducatif 18
chilien.
3.5.1. Le cas des objets techniques
A la différence des êtres vivants, les objets techniques ne peuvent développer leur
propre individuation (Simondon, 1964), ni se modifier eux-mêmes lorsqu’ils requièrent de
nouvelles structures internes, ni être dans l’axiomatique des problèmes vitaux (Simondon,
1964). Simondon (1989b) a soutenu que les objets techniques ne sont jamais complètement
concrets, ils ont besoin d’être corrigés, améliorés pour avoir une durée de vie utile plus
longue. Pour cette raison, pour connaître un objet technique, dit Simondon (1989b), il est
nécessaire de connaître son évolution, depuis l’état abstrait à l’état concret. D’après Combes
(1999) pour Simondon l’ancêtre d’une lignée technologique « est nécessairement plus abstrait
Je voudrais dire institutionnalisation. Il s’agit d’une sorte de lapsus provoqué par des interférences 18
entre deux cadres, celui de l’analyse institutionnelle et celui de la théorie de la individuation de Simondon.
!87
qui les individus techniques qui lui succèdent à l’intérieur de la même lignée » (p. 96). Bien
que les améliorations mineures peuvent être produit du hasard, le schéma de l’objet technique
est essentiellement guidé par des mutations orientées, et pour cette raison, dit Simondon
(1989b), que les objets techniques vont toujours maintenir une abstraction résiduelle. De
facto, la concrétude de chacun de ces objets techniques va tendre à l’organisation. De facto
des objets techniques, selon l’auteur, vont intégrer leurs fonctions par « surdétermination
fonctionnelle » (Simondon, 1989b), par le renforcement du caractère transductif de leur
fonctionnement.
Simondon (1989b) soutient que « l’homme qui pense le progrès n’est pas le même que
celui qui travaille » (p. 116). Pour Simondon (2005 [1964]) nous sommes dans cette situation
sociale historique qui est décrite comme une « opération commandée par l’homme libre et
exécutée par l’esclave » (p. 118). En fait, l’auteur va affirmer que :
La relation à l’objet technique ne peut pas devenir adéquate individu par individu,
sauf en des cas très rares et isolés ; elle ne peut s’instituer que dans la mesure où elle
arrivera à faire exister cette réalité interindividuelle collective, que nous nommons
transindividuelle, parce qu’elle crée un couplage entre les capacités inventives et
organisatrices de plusieurs sujets. Il y a relation de causalité et de conditionnement
réciproque entre l’existence d’objets techniques nets, non aliénés, utilisés selon un
statut qui n’aliène pas, et la constitution d’une telle relation transindividuelle. On
pourrait souhaiter que la vie industrielle et les entreprises comportent, au niveau des
comités d’entreprise, des comités techniques ; pour être efficace et créateur, un comité
d’entreprise devrait être essentiellement technique. L’organisation des canaux
d’information dans une entreprise doit suivre les lignes de l’opération technique et
non celles de la hiérarchie sociale ou des relations purement interindividuelles,
inessentielles par rapport à l’opération technique (Simondon, 1989b, p. 253).
Si les outils des consultants qualité sont, comme on le verra, produits et diffusés par
les experts de la Fondation Schiller pour répondre à des besoins d’évaluation, leurs usages et
effets sont à analyser plus largement en pensant leur développement comme lié à
l’individuation psychologique et collective des consultants.
!88
3.6. Les notions d’actualisation et de potentialisation
L’idée de Lupasco est que l’abstraction fait partie de la réalité, que la réalité est une
construction sociale fondée sur un accord trans-subjectif et que toute actualisation constitue
une potentialisation, ce qui veut dire que l’acte de connaissance va entraîner une perte de
connaissance. Cette idée participe de mon inventaire épistémologique.
Selon Simondon, Lupasco a pleinement établi son « principe de dualisme
antagoniste » et les notions d’actualisation et de potentialisation dès sa thèse de doctorat,
intitulée Du devenir logique et de l’affectivité, publiée en 1935. Dans son livre Principe
d’antagonisme et la logique de l’énergie, l’auteur met en doute l’absoluité du principe de tiers
exclu, c’est-à-dire du principe de non-contradiction ou d’une contradiction irréductible dans
les opérations de la logique (Lupasco, 1951). Mais lorsqu’il introduit l’axiome du tiers inclus,
c’est-à-dire l’existence d’« un troisième terme t qui est à la fois A et non-A », il ne veut pas
rejeter le principe aristotélicien de non-contradiction qui consiste en trois axiomes : l’axiome
d’identité (A est A), l’axiome de non-contradiction (A n’est pas non-A) et l’axiome du tiers
exclu où il n’existe pas un troisième terme t qui est à la fois A et non-A. L’introduction de la
notion de « niveaux de réalité » (Nicolescu, 2005) vise à démontrer que le principe
aristotélicien de non-contradiction ne peut être que relatif, élargissant ainsi le domaine de
validité du principe de non-contradiction. En conclusion, la logique de Lupasco consiste en
trois états ou principes : l’actualisation A, la potentialisation P et le tiers inclus T. C’est-à-dire
e et non-e formellement peuvent traverser l’un quelconque de ces trois états, A, P et T. En
effet, pour Nicolescu (2005) « l’actualisation de e est associée à la potentialisation de non-e,
l’actualisation de non-e est associée à la potentialisation de e et le tiers inclus de e est, en
même temps, le tiers inclus de non-e » (p. 435). Ce tiers inclus est unificateur, selon l’auteur,
parce que « il unifie e et non-e ». En conclusion, le postulat fondamental de la logique
dynamique du contradictoire de Lupasco (1951) est le suivant :
À tout phénomène ou élément ou événement logique quelconque, et donc au
jugement qui le pense, à la proposition qui l’exprime, au signe qui le symbolise : e,
par exemple, doit toujours être associé, structurellement et fonctionnellement, à un
anti-phénomène ou anti-élément ou anti-événement logique, et donc un jugement, une
proposition, un signe contradictoire : non-e (Lupasco, 1951, p. 9).
!89
Sur ce principe d’antagonisme de Lupasco, Ravatin (1985) affirme que lorsqu’une
énergie « s’actualise » provoque un déséquilibre et une transformation du système sous
observation, à l’inverse lorsqu’une énergie antagoniste « est potentialisée », elle se prépare
pour des « actualisations contradictoires » (p. 5). Cette transition d’un état potentiel à un état
actuel, selon l’auteur, implique de façon contradictoire une transformation dans le sens
inverse. Il estime que la transformation « d’un état potentiel à un état actuel » dans la logique
du tiers inclus de Lupasco, n’est jamais totale. Elle ne sera jamais totalement actuelle ou
totalement potentielle, elle ne sera « ni-potentielle-ni-actuelle ». Dans la logique de Lupasco,
la transformation contraire va passer par un état intermédiaire de non-actualisation non-
potentialisation, un état T. C’est pourquoi, selon Lourau (1997a), la logique antagoniste de
Lupasco a aussi influencé la pensée de Ravatin. De facto, il soutient que toute actualisation
constitue une potentialisation, ou autrement dit, que dans l’acte de connaissance il y aurait
toujours « perte de connaissance » (p. 13). Enfin, Lourau (1997a) affirme aussi que Lupasco a
influencé la pensée de Simondon, que nous avons déjà présentée, c’est ce qu’on peut voir
dans l’extrait suivant :
[...] le devenir potentialise des existences actuelles et actualise des existences
potentielles [...] sujet et objet ne sont envisageables que dans la métastabilité, l’un
potentialisant l’autre en s’actualisant, et réciproquement [...] Ce mouvement, suite de
potentialisations et d’actualisations, est la transduction ( p. 4).
Cette nouvelle théorie de la connaissance, qui a remplacé le principe de non-
contradiction par le principe de complémentarité contradictoire (Breton, 1952) permet de
dialectiser le conscient et l’inconscient. Selon Nicolescu (2012), « dans la structure même de
tout processus cognitif, il y a donc un sujet d’inconnaissance et un objet de connaissance [...]
et c’est là la source de la logique inconsciente et de la logique consciente, qui caractérisent
l’expérience logique » (p. 36). Enfin, dans la pensée de Lupasco, Nicolescu (2012) affirme
que la conscience est liée au processus de potentialisation, tandis que l’inconscience serait liée
à l’actualisation. De ce fait, l’abstraction pour Lupasco, d’après Nicolescu (2005), est la partie
constitutive de la réalité, une réalité qui non seulement est une construction sociale, le
consensus de la communauté, un accord intersubjectif, mais qui a également une dimension
trans-subjective.
!90
3.7. Penser est construire des cohérences
Jacques Ravatin, qui publie quelques fois sous le pseudonyme de Vladimir Rosgnilk,
parle du champ de cohérence (C. de C.), qu’il définit comme « l’ensemble de toutes les
cohérences connues ou inconnues » (Ravatin, 1985, p. 1). Selon l’auteur, chaque fois qu’un
être humain pense, il est en train de construire des cohérences et dans chaque cohérence il est
possible de trouver d’autres cohérences. L’auteur a tenté d’expliquer cette notion de la façon
suivante :
La médecine a sa cohérence et dans différentes branches de la médecine apparaissent
des cohérences, comme celle de la psychiatrie, celle de la psychanalyse, celle de la
chirurgie, ... et dans ces cohérences, il y en a encore d’autres qui sont liées à celles
d’équipes, de chapelles, comme on dit souvent le mot chapelle est fréquemment
utilisé dans le monde des chercheurs pour signifier qu’en plus de la cohérence, il y a
une impression de fermeture, d’isolement volontaires vis à vis d’autres équipes
travaillant dans le même domaine (p. 1).
Dans le concept de C. de C., le terme cohérence dénote l’existence et le champ dénote
le transport d’une structure (Ravatin, 1985).
Comme le dit Ravatin (1997), il ne peut y avoir que deux C. de C., l’usuel ou rationnel
et l’autre, le dynamique. Le C. de C. rationnel ne permet pas qu’une seule vision, n’a qu’un
seul rayon de cohérence (R. de C.), qui est lui-même. Toutefois l’autre C. de C. dispose d’un
menu plus riche de multiples rayons de cohérence globale, ce qui fait que de multiples visions
et approches sont possibles. Dans l’autre champ de cohérence, il y a aussi des sortes de
repères, mais chacun d’eux constitue un R. de C. Le R. de C. est le « local » dans le global.
Certainement, les pensées de Ravatin et de Lupasco justifient pleinement l’utilisation
du caractère expérimental de la caméra vidéo dans mon dispositif de recherche socio-clinique,
dispositif qui est également un réseau socio-technique et avec lequel j’ai pu me lancer dans le
champ de cohérence (C. de C.) des participants. Une fois situé à l’intérieur de ce C. de C., je
peux mieux approcher ce qui se passe dans leur monde, en abandonnant ainsi le C. de C.
cartésien pour tirer pleinement parti de cette immersion. Cette démarche a favorisé leurs
implications et la production de transductions dans leur discours, et cela a permis de
surmonter la limite constituée par le fait que je n’ai pu rencontrer six d’entre eux qu’une seule
!91
fois. La possibilité de pouvoir revoir les séquences filmées à plusieurs reprises après la
réalisation de chaque entretien puis lors de l’analyse du corpus, a augmenté ma
compréhension du vécu des consultants durant le processus d’institutionnalisation du discours
de la qualité dans notre système scolaire. Le fait d’être immergé dans le C. de C. des
participants a favorisé mon implication et, grâce à la perte de mes repères antérieurs, en tant
que chercheur, a également stimulé ma pensée globale. C’est ce qui m’a permis d’accéder aux
visions et aux approches des participants. Cela a aussi facilité d’autres types de transductions,
les leurs comme les miennes. Je vais donc présenter ci-après quelques concepts de Ravatin,
qui, à mon avis, sont les plus pertinents par rapport à mon dispositif de recherche.
3.8. La pensée locale comme champ de cohérence usuel
Ravatin (1985) appelle « champ de cohérence habituel » ou « pensée locale », les
descriptions que nous faisons du monde dans lequel nous vivons selon une représentation
usuelle. Il s’agit, selon lui, du « champ de cohérence utilisé dans notre représentation
cartésienne du monde » (p. 1). La force du C. de C. rationnel, pour l’auteur, est que tous
peuvent y avoir accès. En fait, ce langage est facile à établir, car il utilise le minimum d’effort
pour transmettre une idée étant donné son caractère cartésien.
3.9. La pensée rationnelle peut « émerger » et « s’immerger » dans le Global
Pour Ravatin (1985), le Local est synonyme d’une existence avec repères, des repères
qui vont se dissocier une fois que le Local commence à être appréhendé et analysé. Une idée
intéressante, pour moi, dans la pensée de l’auteur, est que le monde décrit par la pensée
rationnelle peut « émerger » du Global ou plutôt « s’immerger » dans le Global. Ravatin
(1986) soutient également que toute existence sans repère est liée au Global du fait de son
caractère ensembliste. Il y a différentes réalités locales possibles, que l’auteur appelle
« rayons de cohérence », qui ne peuvent être séparées du Global, car on ne peut séparer
l’ensemble et l’élément, ils participent d’une même dualité dynamique. C’est pourquoi
l’auteur a créé le concept de l’Enel qui est une contraction à partir des mots ensemble et
élément. Par exemple, la forêt, pour l’auteur, est un Enel parce qu’elle est délocalisée (le mot
désigne le concept de forêt mais aussi des réalités locales), parce que lorsque nous parlons de
la forêt, nous ne parlons pas seulement d’un ensemble d’arbres.
!92
De facto, selon Ravatin (1986), dans la pensée rationnelle on essaie de mettre des
repères sur tout ce qui est existant. Afin de pouvoir établir des comparaisons entre
phénomènes il est courant de mettre en place des repères. Ravatin (1985) constate cependant
que « l’observateur met le plus possible de repères, mais certains de ceux-ci peuvent
s’évanouir avec les nécessités liées à la forme » (p. 7). De fait, les repères apportés par
l’observateur depuis son C. de C. extérieur à la situation observée peuvent être inopérants
dans la situation d’observation.
3.10. Les concepts de surlocalisation, délocalisation, relocalisation
Quelques idées de Ravatin sont d’une grande importance pour Lourau (1997a),
notamment l’idée que dans le Global ou homogène il existe une perte des repères, une
délocalisation. Le Local ou hétérogène serait pour sa part composé de repères en fuite :
« localisations, relocalisations, surlocalisations s’actualisent mais sont potentialisables dans le
global » (p. 4). L’auteur utilise ces concepts de la façon suivante : un être vivant peut nous
servir de repères, dans une forme « partiellement localisée » à « très peu localisée » (Ravatin,
1985). De plus, un individu, dans notre société rationnelle, devient parfaitement repérable
« dans la masse des individus, (il est) surlocalisé, mais va amener des brisures dans les
concepts de foule, de société, entités déjà délocalisées, pour les relocaliser et ces localisations
vont elles-mêmes produire des surlocalisations » (p. 7). En fait dans un système non-cartésien,
selon lui, il y a délocalisation, parce que les fonctionnalités ne sont plus distinguées par la
forme et sans forme elles ne sont pas mesurables, au moins avec les échelles connues. En fait,
d’après Ravatin (1985), bien que certaines formes peuvent être liées au Global cela ne signifie
pas qu’elles soient dans le Global parce que cela impliquerait une relation d’appartenance, de
contenant et de contenu, d’ensemble et d’élément et nous parlerions alors depuis « une autre
partie », ce qui impliquerait une délimitation, un repérage.
Mais le Global, selon l’auteur, n’est pas composé d’éléments, il est l’existence sans
repères. L’auteur utilise l’exemple de l’acupuncture pour expliquer qu’au sortir du champ de
cohérence rationnel nous pouvons prendre conscience de la délocalisation, où se trouvent des
réalités « beaucoup plus primordiales » (p. 4). L’auteur affirme que ce « renversement par
rapport à la vision habituelle [...] d’ordre observationnel [...] lignes et points autour desquels
on va repenser le corps [...] sont le résultat d’une représentation, d’une cohérence des Chinois
!93
qui se place dans un autre champ de cohérence et nous n’en avons qu’une trace dans notre
locale » (p. 4). Lourau (1997a) dit que Ravatin utilise les notions de Lupasco pour affirmer
aussi que il y a une contradiction entre Local et Global. En fait, selon l’auteur « dans toute
opération de connaissance, qui est tentative de localisation, il y a du Global, de
l’indéterminé » (p. 33).
3.11. Le chercheur doit trouver la cohérence dans l’autre C. de C.
Mais la liberté, que donne le Global, dit Ravatin (1985), est celle qui correspond à un
autre C. de C., « celui-ci dans lequel l’être se projette en même temps qu’il se met
dedans » (p. 8) et c’est là que le chercheur doit trouver la cohérence.
[...] le champ de cohérence rationnel peut être repensé à partir de cet autre champ; peu
à peu la notion de champ de cohérence s’éclaire, toujours sans se définir, le champ
usuel étant par construction la négation de champ de cohérence puisqu’il se considère
comme universel, voulant expliquer l’univers qu’il permet de découvrir; alors qu’avec
l’autre champ l’obs. prend conscience qu’il crée parce qu’il lance et se met dedans à 19
la fois (p. 8).
Et justement l’observation dans cet autre C. de C., selon Lourau (1997a), est celle qui
facilite l’acte par lequel émerge une représentation, dénommée par Ravatin, comme stoven,
une représentation qui « est écho possible du C. de C. » (p. 11). Le concept de stoven pour
l’auteur équivaut à « une construction de l’Obs qui se lance dans le C. de C. » (p. 11), pour
élaborer le monde et en même temps une fois de l’intérieur l’observer. Toutefois cette stoven,
selon Lourau (1997a), pourrait être non « parfaitement accordé » (p. 11) et trouver de
l’incohérence plus que de la cohérence. Enfin, pour Lourau (1997a), dans ce débordement
phénoménologique, « l’inclusion de l’Obs dans toute tentative d’objectivation » (p. 18) est
évidente. Ceci est une autre manière de dire que le chercheur est toujours impliqué dans ce qui
constitue son objet de recherche, aussi bien affectivement que théoriquement.
Dans la pensée de Ravatin (Ravatin & Branca, 1998), le concept de l’observateur de la physique est 19
abrégé en tant que obs. En fait, lorsque Ravatin (1985) parle de l’obs. c’est parce qu’il veut dire que l’être lance son C. de C. pour se situer à l’intérieur. Pour l’auteur, l’obs équivaut à « l’observateur se pensant pensant ». Par ailleurs, selon lui, l’Obs (Ravatin, 1997), qui lance le champ de cohérence. La majuscule est là pour signifier que l’observateur est compris dans son propre champ de cohérence (Ravatin, 1985).
!94
Me concernant, cette question du champ de cohérence est particulièrement délicate
puisque j’ai moi-même exercé comme consultant qualité dans l’institution où je mène
aujourd’hui ma recherche. Entrer dans le C. de C. des consultants avec lesquels je mène cette
recherche suppose de me défaire de celui que j’avais moi-même construit comme consultant.
Entrer dans le C. de C. des consultants actuels demande un dispositif et un mode
d’implication permettant de mieux saisir le sens qu’ils donnent à leurs pratiques, aux outils
qu’ils utilisent et comment ils tentent de les mettre en cohérence avec les transformations
institutionnelles qu’ils vivent.
3.12. Le jeu de la pseudo-objectivité scientifique
Il est certain qu’il ne suffit pas d’une seule vision de ce qui nous entoure. Les
scientifiques, comme le dit Ravatin (1997), exigent de multiples visions. L’auteur cite Paul-
Émile Victor, ethnologue et explorateur français qui a participé à une expédition qui a traversé
le Groenland : « Les vrais scientifiques sont des poètes et des imaginatifs. Les autres sont des
comptables et des épiciers : ils ne découvrent pas. Et d’ailleurs que la vie serait triste sans
imagination » (Ravatin, 1997, p. 12).
Précisément dans l’autre C. de C., si nous renonçons à l’approche rationnelle, vont
apparaître d’autres états, d’autres concepts, qui ne peuvent pas être définis par une approche
rationnelle.
Mais il semble logique que la pensée rationnelle, qui a été imposé dans la société dans
laquelle nous vivons soit économique, même si cela paraît non rationnel, dans le même sens
que ce terme est utilisé dans une approche rationnelle. Certes, il est possible, selon Ravatin
(1997), de constater qu’il n’existe pas un local unique dans la pensée rationnelle, mais qu’en
coexistent plusieurs. Enfin, en fait, la méthode rationnelle, décompose le local en plusieurs
unités. Dans le global, il n’est pas possible de séparer les éléments et l’ensemble. À l’inverse,
c’est pour cette raison que peut être aussi difficile à expliquer le global en utilisant une
méthode qui consiste à séparer l’ensemble et l’élément, à diviser les concepts ou les
processus.
!95
3.12.1. Aller au-delà de la relation sujet/objet pour accéder à de multiples visions
Selon Varela (1996), le monde objectif est seulement une construction de l’expérience
que chaque être vivant fait lorsqu’il doit s’accorder à un environnement tout en agissant
conformément à ses propres structure et dynamique. Cependant il n’existe donc pas un
«monde en soi», déjà-là, espérant être découvert. D’après l’auteur, la méthode scientifique est
un ensemble de régulations sociales et de procédures qui, selon Varela et Shear (1999), nous
ont permis de créer un corps de connaissances partagé concernant la nature. La vérification et
la validation publique, conformément à complexes échanges humains. Selon ces auteurs, ce
corps de connaissance est en partie subjectif car il dépend de l’observation et l’expérience
individuelle. Il est aussi en partie objectif car il est régi par des phénomènes naturels
empiriques. De la même façon, Ravatin (1985) soutient que la séparation entre objectif et
subjectif est fictive. En fait, dans le C. de C.. usuel l’individu joue uniquement « le jeu de la
pseudo-objectivité scientifique ». En effet, il a l’illusion de construire de multiples échelles de
comparaison, souvent arbitraires, pour aligner des valeurs et pour comparer les résultats. Tout
se passe comme s’il s’agissait vraiment de la vérité, comme si en décrivant un système ou ses
composants, on saisissait vraiment ces composants (Ravatin, 1985, p. 12). De facto, pour
Ravatin (1997), ce que produit le C. de C. rationnel, c’est une déformation de la réalité,
comme « un chapeau que l’on veut faire entrer dans une boîte trop petite pour lui » (p. 7). Il
écrit que le champ de cohérence rationnel ne permet qu’une seule vision, mais qu’en réalité,
« le processus n’est pas rationnel même pour la construction du C. de C. rationnel » (p. 7). En
conclusion, selon Lourau (1997a), toute tentative de construction de multiples échelles de
comparaison, est souvent arbitraire, pseudo-scientifique : « Cet «avant» imaginaire ou ce
prétendu «caché» que veut construire l’objectivisme est pure fiction, symétrique à celle du
subjectivisme sous ses diverses formes » (p. 63). Pourtant, d’après l’auteur, cette pseudo-
objectivité nous prive de « la position de l’Obs, qui est celle de l’autre C. de C. » (p. 8).
Selon Ravatin (1985), « rien que le fait de penser en termes d’objectif et de subjectif
empêche d’avoir accès à une autre représentation, une autre cohérence » (p. 11). Lourau
(1997a) affirme pour sa part que la contribution du concept de champ de cohérence de
Ravatin permet de penser au-delà de la relation sujet/objet et permet de reconnaître la relation
global/local comme un « foyer intense de transductions ».
!96
3.13. Le codage et décodage des flux
Le dispositif de recherche a pour objectif de décoder le dispositif de Fondation
Schiller pour institutionnaliser le discours de la qualité dans notre pays. C’est pourquoi les
notions de flux de désir et de schizo-analyse, de Deleuze et Guattari, font partie de mon
inventaire épistémologique pour décoder les flux
Dans l’Anti-Œdipe (1972), selon Ramond (2010), Deleuze et Guattari décrivent le
capitalisme comme l’aboutissement du « mouvement général de l’histoire humaine » (p. 100),
l’individu comme une machine désirante et la réalité comme constituée de « flux » qui passent
inévitablement d’abord par un « codage » et ensuite par un « décodage » par essence
schizophrénique. La raison pour laquelle ces « flux de désir », dont parlent Deleuze et
Guattari, ont été présentés comme « codés » est qu’ils ne peuvent pas apparaître de manière
réelle, ils ne peuvent pas émerger directement dans la conscience et c’est ainsi qu’ils
permettent au capitalisme et la société d’avancer. De facto, selon les auteurs, l’humanité
progresse « vers la situation capitalistique actuelle, c’est-à-dire vers un décodage achevé,
destructeur, des flux » (p. 101) de façon constante mais non toujours de manière linéaire.
Pour Deleuze et Guattari (1972), le décodage et la déterritorialisation des flux de
production capitaliste, qui avaient été codifiés et sur-codifiés par d’autres formations sociales,
définissent la civilisation. Toute procédure peut être utile pour décoder tout code, pour le
comprendre, le traduire et le détruire en tant que code ou « lui assigner une fonction
archaïque, folklorique ou résiduelle, qui fait de la psychanalyse et de l’ethnologie deux
disciplines appréciées dans nos sociétés modernes » (p. 291). Pour sa part, le capitalisme,
pour les auteurs, utilise « la privatisation qui porte sur les biens, les moyens de production,
mais aussi sur les organes de « l’homme privé » lui-même » (p. 291).
D’après Ramond (2010), le capitalisme, dans la pensée de Deleuze et Guattari, est « le
cauchemar de toutes les sociétés, un peu à la manière dont la folie est le cauchemar de tout
individu » (p. 103). En effet, Deleuze et Guattari (1972) soutiennent que si les flux libres sont
la réalité du capitalisme, alors les fous devraient être les héros, l’expression maximale de
réalisation du capitalisme, pourtant ils sont envoyés à l’hôpital psychiatrique. La même chose
se passe avec les artistes et les intellectuels qui consacrent leur vie au travail créatif personnel
de décoder les flux. Ils sont surveillés par une énorme machine de répression pour ne pas les
!97
laisser se promener chargés de potentiel révolutionnaire s’il n’est pas possible de les récupérer
ou de les absorber dans le flux capitaliste.
3.14. L’abstraction progressive ou le mouvement de déterritorialisation
Je fais l’hypothèse d’une abstraction progressive grâce à la logique narrative chiffrée
(Barrère, 2009) du SIMCE afin que les dominés ne puissent pas développer la capacité de
décodage des instruments. C’est pourquoi, les notions de « déterritorialisation » et
d’« abstraction progressive », proposées par Deleuze et Guattari, font partie du cadre
théorique de ma recherche.
D’aprés Ramond (2010), pour Deleuze et Guattari (1972) le mouvement de
« déterritorialisation » est une « abstraction progressive », qui correspond tout simplement au
mouvement général de l’histoire. Selon la pensée de Deleuze et Guattari, analysée par
Ramond (2010), le travailleur libre a subi la déterritorialisation par la privatisation du sol et
du décodage des instruments de production. Les entreprises où il travaille ont également subi
la déterritorialisation par le « décodage enfin du travailleur au profit du travail lui-même ou de
la machine » (p. 105). Le capital a aussi subi la « déterritorialisation de la richesse par
abstraction monétaire ; décodage des flux de production par capital marchand ; décodage des
États par le capital financier et les dettes publiques ; décodage des moyens de production par
la formation du capital industriel, etc. » (p. 105).
Toutefois, pour Ramond (2010), Deleuze et Guattari (1972) reconnaissent une
dimension positive au capitalisme, qui est l’association capitalisme-schizophrénie-révolution.
Le capitalisme serait, selon les auteurs, un système schizophrénique, « par essence
révolutionnaire, propre à accomplir le mouvement historique de la déterritorialisation, c’est-à-
dire de la «libération» schizophrénique des «flux» de «désir» au détriment des «codes»
archaïques ou despotiques » (Ramond, 2010, p. 107).
Enfin, selon Ramond (2010), dans son interprétation de l’Anti-Œdipe « la
schizophrénie est le grand «oui» aux flux du désir » (p. 110). Mais à la différence du
capitalisme, le schizo-flux de la schizophrénie ne sont pas liés à « l’instinct de mort ». Pour
l’auteur, Deleuze et Guattari font valoir que le capitalisme ne peut être aboli par lui-même,
par un processus identique à celui du capitalisme, « celui de la schizophrénie, à savoir le
décodage des flux ou la déterritorialisation » (p. 112). C’est de cette manière que je considère
!98
le processus d’institutionnalisation du pilotage par la qualité, comme un flux dans lequel la
déterritorialisation produite par les outils techniques joue un grand rôle.
3.15. L’État ou l’inconscient
Certes, certaines institutions comme l’école, l’hôpital, l’entreprise industrielle ou
commerciale, dans le mode de production capitaliste, monopolistique ou socialiste de l’Etat,
comme l’affirme Lapassade (1977), possèdent, elles aussi, un potentiel total ou totalitaire. En
fait l’école, l’hôpital, l’usine, la bureaucratie tendent à priver de toute liberté l’individu qui
leur est lié. Ce sont des institutions totalitaires, dans la mesure où elles exercent directement
ou indirectement une pression et une violence sur l’ensemble d’une société ou d’une classe.
Lourau, Marx, Deleuze, Guattari et Foucault font partie de mon cadre théorique parce qu’ils
ont une pensée de l’Etat et que mon objet est directement lié à l’Etat.
Lato sensu, selon Lourau (1978), toute forme sociale s’institutionnalise, lorsque l’État
garantit juridiquement et politiquement l’équivalence avec d’autres formes existantes, c’est ce
qu’il nomme le principe d’équivalence élargi. Ce que veut imposer l’État, affirme l’auteur, ce
ne sont pas seulement des formes, mais c’est aussi une force qui double toutes les formes, des
plus « publiques » aux plus « privées », dans le sens souhaité par l’État. C’est ce qui constitue
le processus d’institutionnalisation.
3.15.1. L’État moderne créé pour protéger les intérêts de la classe dominante
Dans l’histoire de la philosophie, selon Bobbio (1999), la réponse de Marx à Hegel va
rompre avec la tradition, en ce qui concerne à la relation entre la société civile et l’État. En
effet, Marx affirme que si Hegel fondait son système de philosophie du droit en donnant la
priorité à l’État sur la famille et sur la société civile, c’était parce qu’il était plongé dans
l’idéalisme, ignorant la réalité historique de son temps en ne voyant pas que l’État moderne
avait été créé pour protéger les intérêts de la classe dominante. D’après Bobbio, Marx va
mettre en lumière l’innocence de Hegel à croire que l’État peut être perfectible. Selon Marx,
au contraire, le but de l’histoire de l’État serait sa propre dissolution (Bobbio, 1999), comme
l’atteste la lutte des classes.
Selon Bobbio (1999), pour Hegel la vie matérielle des individus dépend de leur pure
volonté, de la façon dont ils produisent. Mais pour Marx, selon l’auteur, il était trop évident
!99
que la division du travail et la propriété privée, ne dépendent pas de la volonté des individus
mais qu’elles ont été créées par l’État, c’est-à-dire par la classe dominante. En effet, selon lui,
Marx va soutenir dans le Manifeste que la fin du colonialisme n’a pas été la fin de la lutte des
classes, mais bien au contraire le perfectionnement de nouvelles conditions d’oppression.
Enfin pour Bobbio (1999), l’idéalisme de Hegel voyait l’aliénation dans l’objet non
pas dans les idées. Dans son système idéaliste, la désaliénation dépendait exclusivement du
développement de la conscience philosophique. En revanche, d’après l’auteur, le matérialisme
de Marx voit l’aliénation dans le caractère abstrait de la chose créée et les hommes ne peuvent
surmonter les aliénations qu’à travers des combats réels dans lesquels la théorie est seulement
un moyen, conformément à ce qu’écrit Lefebvre (1975). C’est cependant un moyen
insuffisant dans la lutte contre les actions permanentes de la machine de l’État pour éviter le
développement de la conscience humaine.
3.16. La machine capitaliste
Ainsi que Marx, d’autres auteurs, notamment Guattari, Foucault et Lourau, ont alerté
sur le fonctionnement de la machine de production de subjectivité capitaliste pour impliquer
et aliéner. D’abord Guattari (2004) s’est demandé comment les travailleurs finissent par être
les complices inconscients de la technocratie capitaliste et de la bureaucratie du mouvement
ouvrier par les effets de la contre-révolution bourgeoise. Selon l’auteur, un ensemble de
machines sémiotiques et désirantes fonctionnent comme un logiciel des comportements
sociaux à tous les niveaux de sensibilité et d’intériorisation des systèmes hiérarchiques. Cette
axiomatisation ne dépend pas d’un centre conducteur. L’auteur affirme que l’axiomatique du
capitalisme n’est pas fondée sur des analyses idéologiques, mais qu’il fait plutôt fait partie
intégrante de son processus de production. D’après l’auteur, elle diffuse tous les domaines de
la société grâce à la forme de rhizome multidimensionnelle intégrant d’innombrables
singularités.
Pour Guattari (2006) la machine de formation de la subjectivité capitaliste est installée
sur le terrain de l’économie libidinale, au sein des familles. En fait le capital n’est pas
rationnel, il est plutôt hégémonique. Il ne constitue pas une opération de bénéfice mais une
opération de pouvoir. Le capital s’articule dans diverses dimensions, politiques, sociales,
techniques et scientifiques, de manière générale, aidé par l’État, qui est devenu le relais de la
!100
mondialisation du capital. Comme je le montrerai plus tard, le capital et sa circulation jouent
un rôle important dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité.
3.16.1. Les composants sémiotiques du capital
Pour Guattari (2004), le capital n’est pas une catégorie abstraite. Le capital est plutôt
un opérateur sémiotique, au service de formulations sociales déterminées. Les modes de
production sémiotique, selon l’auteur, permettent d’assurer une division sociale de la
production, sans pour cela enfermer les individus dans des systèmes de ségrégation
d’oppression ou classer leurs productions sémiotiques dans d’autres domaines que la culture.
Pour lui, le capital assume l’enregistrement, l’équilibre, la régulation et la surcodification à
travers ses composants sémiotiques. Selon l’auteur, au-delà d’une simple catégorie
économique relative à la circulation des biens et à leur accumulation, le capital représente une
catégorie sémiotique qui concerne l’ensemble des niveaux de la production et l’ensemble des
niveaux de la stratification des pouvoirs.
Enfin, la sémiotisation du capital, pour Guattari (2004), est endémique grâce à son
propre travail pour acquérir de plus en plus de moyens pour détecter, quantifier et manipuler
les valorisations concrètes de pouvoir. Pour l’auteur, l’aliénation qui produit la sémiotisation
du capital est assurée par le biais des images et des idées et fait partie d’un système général de
domination au niveau individuel et collectif. Grâce à ce dispositif, le capitalisme s’empare des
êtres humains depuis l’intérieur, parce que les individus sont équipés de modes de perception
et de normalisation du désir.
3.16.2. La production de subjectivité capitaliste
Selon Bertolo et Lourau (1984), l’imaginaire influe largement sur les conceptions
sociales tant scientifiques qu’utopiques. Selon les auteurs, nous serions déterminés par
l’image que nous nous faisons de l’avenir et ces images courbent nos pensées les plus intimes
et abstraites.
Dans le même sens, pour Guattari (2004), le capitalisme périphérique, comme les
économies socialistes, vivent dans une sorte de dépendance et contre-dépendance au
capitalisme. Pour l’auteur, l’essence même du profit capitaliste est qu’il ne se réduit pas au
champ de la plus-value économique, mais qu’il effectue également une prise de pouvoir sur la
!101
subjectivité. La production de subjectivité capitalistique, grâce à la culture de masse, est
capable de normaliser les individus et de les articuler avec d’autres individus, par le biais de
systèmes hiérarchiques, systèmes de valeurs et de soumission, mais beaucoup mieux déguisés
comparés à ceux qui étaient utilisés dans les sociétés archaïques ou précapitalistes (Guattari,
2006).
De facto, d’après Guattari (2006), tous les niveaux de la production et de la
consommation servent pour produire la subjectivité. Le capitalisme, selon l’auteur, est un
dispositif, une grande usine capable de produire ce dont nous rêvons et de cette façon il peut
assurer un rôle hégémonique dans tous les domaines.
3.16.3. L’aliénation inhérente au travail
Du point de vue de Marx (1983 [1848]), la première aliénation à prendre en compte
serait économique, ce qui se produit parce que le travailleur n’est pas propriétaire des moyens
de production et qu’il est tenu de vendre sa force de travail sur le marché. Confronté au
produit de son travail et au travail lui-même, comme à des réalités qui ne lui sont pas propres
et qu’il ne contrôle pas.
Pour Sigaut (2004), être aliéné, comme le suggère l’étymologie « c’est être coupé du
réel » (p. 119). Pour l’auteur il y a deux façons d’être aliéné. La première, l’aliénation
mentale, qui est la vraie folie. La deuxième, l’aliénation sociale, lorsque le réel est
incompréhensible. Mais l’aliénation sociale la plus importante, dans ce réseau technique,
provient des objets techniques est (Simondon, 1989b).
Pour Guattari (2004), le travail fait aussi partie de la servitude machinique. De facto,
le capitalisme, selon l’auteur, non seulement exploite le salarié, au-delà de son temps de
travail, pendant ses temps de loisirs, mais en outre, il l’utilise comme relais pour en exploiter
d’autres : ses subalternes et ses proches non salariés, comme les femmes, les enfants, parents,
etc. En effet, selon lui, la force collective du travail est soumise et aliénée par le pouvoir
capitaliste et la meilleure façon de les soumettre est le contrôle de la subjectivité collective
très bien menés par les moyens de communication de masse. Enfin, il est impossible, selon
l’auteur, que cet ensemble de formes sociales stratifiées, puisse réagir aux mutations
machiniques, car constamment le capitalisme va les réterritorialiser et les restratifier.
!102
3.16.4. La mystification du capitalisme
Pour Bertolo et Lourau (1984), l’idéologie libérale est la forme optimale du conflit
d’intérêts. Par le biais du libre jeu de la concurrence commerciale et de la concurrence
politique, elle est pleine de mystifications, parce qu’elle s’applique à une société inégalitaire
dans laquelle le jeu n’est pas libre, mais est défini exactement comme pratiques d’escrocs, à
travers des lois de division hiérarchique du travail. Marx (1983 [1848]) affirme dans le
Manifeste que :
De toutes les classes qui à l’heure présente se trouvent face à face avec la
Bourgeoisie, le Prolétariat seul est la classe vraiment révolutionnaire. Les autres
classes périclitent et périssent avec la grande industrie ; le Prolétariat, au contraire, est
son produit tout spécial. La classe moyenne, les petits fabricants, les détaillants, les
artisans, les paysans combattent la Bourgeoisie, parce qu’elle compromet leur
existence en tant que classe moyenne. Ils ne sont donc pas révolutionnaires, mais
conservateurs ; qui plus est, ils sont réactionnaires ; ils demandent que l’histoire fasse
machine en arrière. S’ils agissent révolutionnairement, c’est par crainte de tomber
dans le Prolétariat : ils défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels
; ils abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat (p.
14-15).
3.16.5. Le capitalisme mondial en guerre contre la diversité
Le pouvoir, selon Bertolo et Lourau (1984), se base, dans l’élimination des différences
culturelles, pouvoirs précédent et diversités individuelles. Ces diversités, selon eux se
transforment ensuite en des inégalités, simplement parce que le pouvoir serait, selon les
chercheurs, dans une guerre à mort contre la diversité, ou pour la transformer en inégalité. De
facto, pour eux, le pouvoir de tendance totalitaire est ennemi de la diversité,
car elle est considérée comme une forme de pouvoir inacceptable. Les auteurs affirment que
le monde idéal, dans une logique capitaliste classique, est un monde dans lequel
nous devenons tous des marchandises.
!103
3.17. Les raisons pour lesquelles il existe l’analyse institutionnelle
Cette étude a été réalisée dans le cadre théorique de l’analyse institutionnelle, car ses
outils et concepts sont conçus pour mettre en analyse les formes organisationnelles. Ceci par
le biais de l’analyse des implications de mes anciens collègues consultants dans le dispositif
qui a institutionnalisé le pilotage de la qualité. En fait, je n’avais pas imaginé que ces concepts
et outils me permettraient de connaître la boîte noire du processus d’institutionnalisation du
discours (Foucault, 1969) de la qualité.
Monceau (2009b) soutient que durant les années soixante, les courants de l’analyse
organisationnelle et de l’analyse institutionnelle élaboraient des analyses critiques de la
bureaucratie (Crozier, 1963) et des institutions (Lourau, 1969). En effet, la crise générale des
institutions, en mai 68, selon Lapassade (1971), « a permis l’entrée de l’analyse
institutionnelle dans notre enseignement universitaire et dans la pratique sociologique » (p.
185). Pour sa part, Lourau (1978) affirme que si l’internationalisme actif en avait fini d’un
coup avec l’hégémonie de la forme État et, par conséquent, avec toutes les formes sociales
instituées, alors l’analyse institutionnelle aurait séjourné dans les limbes d’une temporalité
parallèle. D’après l’auteur, si la stratégie des organisations autoproclamées marxistes avait été
axée non seulement vers la prise du pouvoir de l’État, mais également et simultanément vers
la dissolution de l’État, si les concepts de socialisme et de communisme n’avaient pas été
bureaucratisés, pour faire revenir le marxisme vers un dogmatisme d’État et faire disparaître
la théorie de la dissolution de l’État, avant que celle-ci ait jamais été prouvée dans la pratique,
l’analyse institutionnelle en situation d’intervention, la socianalyse, n’aurait pas de raison
d’être.
Effectivement, Lapassade (1971) affirme que Lourau qui a montré qui l’analyse
institutionnelle existait déjà :
[...] au moins implicite, dans la philosophie du droit, le marxisme, l’économie,
l’histoire, la sociologie, la psychologie, la pédagogie [...] Pour faire l’histoire du
concept d’institution et de l’analyse institutionnelle on pourrait commencer par les
origines grecques de l’analyse institutionnelle. On y trouverait, déjà, une « théorie »
des analyseurs, de la déviance qui dévoile les systèmes institutionnels, celle d’Œdipe
et d’Antigone, « ces grands transgresseurs de l’institué (p. 185-186).
!104
3.18. Le concept d’institution
Ce fut Castoriadis, selon Lapassade, Bruce, Cosson, Savoye et Ville (1973), qui fut le
premier a utiliser le concept d’institution de la manière dont on commençait à l’utiliser dans la
psychothérapie institutionnelle et dans la pédagogie institutionnelle, notamment en ce qui
concerne le conflit entre la société instituante, la société instituée et l’institution du
capitalisme. Mais Lapassade (1971), qui compare l’ouvrage L’analyse institutionnelle de
Lourau avec le Manifeste de Marx, fait valoir qu’il a été le premier à en établir la nécessité de
produire « un nouveau concept de l’institution et d’en faire en même temps un élément central
pour une nouvelle politique » (p. 189). Lapassade et al. (1973) vont conclure, que le concept
d’institution conserve le même sens actif que pour Castoriadis, en effet, il affirme que « la
notion de l’institué renvoie à des formes universelles de rapports sociaux qui sont nés
originairement, dans une société instituante, qui ne sont jamais définitives mais au contraire se
transforment et peuvent même entrer dans le temps de leur déclin » (p. 273). Pour Monceau
(2013), lorsque Lourau utilise le terme institution, il l’utilise comme un concept plus
opératoire que descriptif et dans un mouvement dialectique qui s’exprime dans la triade
institué/instituant/institutionnalisation. Enfin mon directeur de thèse affirme que l’institution
fait référence aux formes sociales en devenir qui sont traversées par des contradictions actives
(Monceau, 2011b). En fait, selon Monceau (2006), le concept d’institutionnalisation élaboré
par Lourau est fondé sur la dialectique hégélienne parce que « cela suppose un processus
constitutivement contradictoire, fait de tensions et de conflits évolutifs internes et
externes » (p. 56). Ce fut dans son livre Les actes manqués de la recherche que Lourau
(1994a) a établi le caractère dialectique de l’institutionnalisation :
L’institutionnalisation n’est pas réplication et répétition quasi mécanique ; c’est le
mouvement de l’institué qui exige de se ré-instituer en permanence, de se religitimer
en se modernisant, de se moderniser en préservant une structure sociale, tout en
ménageant le jeu des mobilités sociales ascendantes et descendantes (p. 10-11).
Pour Lourau (1978) les trois moments de la notion d’institution montrent que
l’institutionnalisation est un processus, une lutte, une transformation qui fait référence à tous
les aspects du phénomène social et non pas seulement à un seul. Il est vrai que le moment de
l’instituant a toujours été muni d’un fort potentiel dynamique, que l’institué représente le
!105
résultat d’une stabilisation en faveur de l’institution et que le moment de
l’institutionnalisation indique une phase active de stabilisation (mais non de stabilité).
Toutefois, pour Lourau (1997a), le concept d’institution grâce auquel « les forces
sociales deviennent des formes sociales » (p. 56), à la lumière de la pensée de Simondon, est
de nature transductive, ce qui suggère le mouvement. Par ailleurs, en référence à la pensée de
Ravatin (1992 cité dans Lourau, 1997a), tout se passe dans un devenir qui se présente comme
une « onde de forme ».
3.19. Le concept d’implication
Lourau (1970) utilise la triade idéologique, organisationnelle et libidinale pour
caractériser la manière dont les groupes humains s’instituent. Cette triade est utilisée par la
suite, dans l’analyse institutionnelle, tant pour penser les différentes dimensions de
l’institution, que les diverses dimensions de l’implication des personnes par rapport à
l’institution (Monceau, 2010). Autrement dit, pour Lourau (1969), l’implication serait la
somme d’appartenances, subjectives et objectives et de références dans lesquelles s’inscrit
l’individu par opposition à la distance institutionnelle. Enfin Lourau affirme que les
appartenances, la participation et l’engagement sont situés dans le domaine de
l’analysable » (Lourau, 1997 b, p. 27), toutefois dans cette courbure du concept d’implication,
la désimplication et la surimplication sont situées dans le domaine de l’inanalysable en
situation socianalytique.
3.20. La réduction de l’institution à l’institué
Selon Lourau (1970) dans la théorie marxiste qui se rebelle contre l’idéologie
dominante et le droit, le concept d’institution a généré de la méfiance et du rejet, parce qu’il
peut servir de façade idéologique pour masquer des relations de production. De facto, pour
l’auteur, l’idéologie dominante s’appuie sur la philosophie du droit et ainsi il suffit à l’État de
se répéter pour légitimer l’institution. Mais la singularité de la pensée de Lourau (1970) est
que l’institution appartient à la fois à l’institué et à l’instituant. Un exemple par lequel
l’auteur, expose cette idée est celui du syndicat dont la négativité par rapport aux institutions
économiques et politiques s’exerce, au moins potentiellement, sous la forme de revendications
ou de mouvements de protestation. Mais le syndicat est également un moyen de contrôler
!106
indirectement les initiatives de la base ouvrière. En effet le droit syndical a été
institutionnalisé dans la plupart des pays les plus industrialisés. Un mouvement social peut
devenir une contre-institution, un contre-pouvoir qui perdure dans une forme sociale, ceci
malgré les obstacles extérieurs et la négativité qui le ronge parle rappel de l’instituant. Les
mouvements sociaux sont comme obligés de s’aligner sur les institutions dominantes et de
reproduire les relations sociales dominantes. Il existe une contradiction, selon l’auteur, entre
la lutte contre l’institution et la lutte en faveur de l’institutionnalisation. Ainsi une contre-
Eglise peut finalement s’intégrer au sein du système institutionnel et perd, donc, sa nature
anti-institutionnelle. D’après Lourau (1978), le refus d’analyser les contradictions indiquerait
une intégration progressive du mouvement révolutionnaire à l’institué. En fait ce qui ressort
plus clairement de cette victoire de l’institutionnalisation sur les énergies anti-
institutionnelles, n’est pas tant le caractère fatal de la récupération et de la normalisation, mais
plutôt l’inaptitude radicale au dépassement manifesté par le mouvement révolutionnaire, du
fait du rejet des analyseurs de sa propre institutionnalisation.
3.21. Des possibilités de détournement et de réappropriation grâce à un processus
de singularisation
Quelles possibilités avons-nous pour sortir de l’aliénation, pour dissoudre les
institutions qui réussissent à s’installer avec ce type de dispositifs de savoir-pouvoir
(Foucault, 2004a) sur lequel j’ai décidé d’enquêter ? Est-ce que nous devons laisser le pouvoir
aux machines étatiques qui, comme le suggère Guattari (2006), contrôlent tout ? Selon
l’auteur, a contrario nous devons agir, reprendre le pouvoir sur notre propre action
quotidienne contre tous ces schémas de pouvoir. D’après lui, nous pouvons le faire dans le
cadre d’une micropolitique. Selon l’auteur, l’attaque à la logique du système ne doit pas être
réalisée de manière abstraite mais par le biais de l’expérience. C’est ce que les auteurs
appellent le processus de singularisation, qui n’est pas un salut au drapeau, un simple acte
symbolique de résistance politique. C’est pourquoi nous devons, dit l’auteur, résister à tout
type de sérialisation ou de normalisation de la subjectivité et, en revanche, produire d’autres
modes singuliers de subjectivité. Ces processus de différenciation sont appelés, par Guattari,
révolutions moléculaires. Pour rendre effectifs les processus de réappropriation de la
subjectivité, une minorité sociale doit organiser sa vie autrement ou se débarrasser des
!107
systèmes de coercition qui tendent à la modéliser. D’après l’auteur, elle doit créer ses propres
modes de référence, ses propres cartographies, inventer sa propre praxis, de manière à
provoquer des ouvertures dans le système de subjectivité dominante. C’est-à-dire qu’il est
nécessaire de construire une autre logique, construire ses propres modes de subjectivation, de
réponse micropolitique. Enfin, nous devons, selon l’auteur, éviter la réponse normative et
chercher à construire un processus qui pourrait changer la situation, au-delà du niveau local.
Pour Guattari (2006) les modes de subjectivation uniques ou processus de
singularisation sont la seule façon de rejeter les modes de codification préétablis, les modes de
manipulation et de contrôle à distance. Le but est de produire un type de subjectivation
différent du capitalisme pour atteindre la retérritorialisation sur les petits ghettos subjectifs
dans la ligne contraire à la subjectivité/subjectivation dominante. Selon l’auteur ces processus
de singularisation vont agir au niveau des idéologies et également sur la subjectivité des
personnes. Ils vont changer leur façon de percevoir le monde et de s’articuler collectivement,
parce que tout type de transformation au niveau macropolitique et macroéconomique, va
également affecter la production de subjectivité. Si un groupe est capable de produire sa
propre sémiotique, selon Guattari (2006), il peut produire sa propre cartographie et influer sur
les relations au niveau local. Pour l’auteur, la principale caractéristique d’un processus de
singularisation est qu’il doit être capable de capter les éléments de la situation et de construire
ses propres types de références pratiques et théoriques, sans rester dans une position constante
de dépendance à l’égard du pouvoir global.
3.22. Les analyseurs peuvent dissoudre l’État
Selon Lapassade (1971) l’analyseur serait un dispositif matériel qui produit de
l’analyse. Mais les événements analyseurs, d’après l’auteur, peuvent être ambigus : « cette
ambiguïté de l’événement est un élément important de son efficacité symbolique » (p. 189).
Pour Lourau (1978), l’analyseur est ce qui permet de révéler la structure de l’institution, ce
qui peut le provoquer, qui va l’obliger à parler.
D’un texte de Freud Psychologie collective et analyse du moi, Lourau extrait la triade
libidinal, idéologique, organisationnel, qu’il mobilise pour caractériser la façon dont les
groupes humains sont institués. Selon Monceau (2009a), Lourau va les utiliser pour décliner
aussi les trois types de déviances qui peuvent être observées dans les institutions.
!108
Selon Lourau (1970), tout négatif, qu’il s’agisse de conflits interpersonnels ou lutte
des classes, doit être considéré comme un analyseur. Pour Lourau (1978), l’analyse
institutionnelle en situation d’intervention peut utiliser les analyseurs naturels. Tel est le cas
des analyseurs historiques, événements qui révèlent les contradictions d’une époque passée et
produisent une analyse dans le présent.
Lapassade (1971), plaide aussi pour la construction d’analyseurs artificiels. L’auteur
va soutenir que ces analyseurs artificiels, provocateurs, « sont nécessaires, pour avancer dans
la connaissance, lorsque les hommes qui font l’histoire n’ont pas eux-mêmes produit des
provocations de sens » (p. 188).
Selon Lapassade (1971), des déviants naissent de contre-institutions, de contre-culture,
de contre-société. « La théorie institutionnelle de la déviance, des radicaux, des marginaux,
c’est aussi l’analyse de cette contre-société avec ses groupes d’opposition et de refus qui se
rencontrent parfois dans le projet collectif de l’ordre établi » (p. 192). Mais provoquer l’acting
out institutionnel, affirme l’auteur, suppose de donner la parole et cela exige, « la médiation
d’individus particuliers que leur situation dans l’organisation fait accéder à la singularité de
provocateur. Ces provocateurs, les bureaucrates les appellent aujourd’hui gauchistes ; les
sociologues préfèrent le terme de déviants » (p. 191). Tous ces déviants, selon Lourau (1970),
vont se décliner de la même manière que dans le reste de sa théorie, c’est-à-dire comme
idéologiques, libidinaux et organisationnels. Pour l’auteur le déviant idéologique « c’est le
déviant «politisé», au sens le plus classique de ce terme » (p. 191); le déviant libidinal « c’est
le plus hippie des déviants. Il introduit dans les groupes le trip, le jeu, l’humour et la
distanciation » (p. 191); le déviant organisationnel c’est « le point où se rencontrent les
problèmes les plus pratiques et matériels d’une part, les questions les plus théoriques d’autre
part : l’organisation » (p. 191).
3.23. Le concept d’autogestion est capable d’offrir un contenu réel au processus
de disparition de l’État
Je suis intéressé par le concept d’autogestion car il représente le terme opposé à
l’hétérogestion. De fait, le pilotage par la qualité constitue une négation de l’autogestion. Pour
Lourau (1978) le contenu de l’alternative est essentiel dans la définition de la contre-
institution. Si l’effet souhaité est la dissolution de la super-forme d’État, les moyens pour y
!109
parvenir tournent le dos aux méthodes habituelles du combat politique dirigé et élaboré par les
partis. La désinstitutionnalisation, alors, selon l’auteur, n’est pas synonyme de vide,
d’absence, de faute et encore moins de refus de lutter. Pour l’auteur l’État est un concept
nominaliste qui n’a besoin pour exister de rien de plus que le fait d’être un produit
intellectuel. En revanche, selon lui, l’autogestion est un concept réaliste, il se manifeste dans
la réalité sociale. Le concept d’autogestion donnerait un contenu réel au processus de
disparition de l’État. Pour l’auteur, ces collectivisations dirigées contre le capitalisme et
contre l’État, sont une tentative dynamique, un processus de désinstitutionalisation de la
société de l’État, par l’action d’une forme alternative qui affecte la politique par le biais de
l’économie. C’est, dit l’auteur, la contre-institution qui propose une alternative aux formes
sacralisées de l’ordre existant. Dans le même sens, Bertolo et Lourau (1984) affirment que
l’autogestion n’est pas une méthode neutre, elle est anarchique. En effet aucun pouvoir n’est
suffisamment élastique pour gérer l’infiniment divers, de fait la diversité est ingouvernable,
s’autogère. L’autogestion est bien la négation de l’hétérogestion.
La cogestion, selon Lapassade (1977), équivaut à la simple participation au processus
de travail capitaliste, dans des entreprises dirigées par le capital. En revanche l’autogestion est
un rejet de la participation au processus de travail capitaliste et une lutte pour un processus de
travail socialiste où le travailleur collectif s’approprie finalement les instruments de
production. La cogestion, selon lui, équivaut à la simple participation au processus de travail
capitaliste, c’est-à-dire pour une entreprise appartenant au système capitaliste En revanche
l’autogestion constitue le rejet de la participation au processus de travail capitaliste et la lutte
pour un processus de travail socialiste où le travailleur collectif s’approprie finalement les
instruments de production.
Enfin, selon Monceau (2010), la méthode d’enseignement promue par Lourau,
l’autogestion, est proposée pour repolitiser des institutions éducatives non pas pour
promouvoir un dogme politique, mais pour lutter chaque jour contre ce qui peut dissimuler les
déterminations institutionnelles.
!110
3.24. L’émergence de l’observation participante, la caméra participante, le
cinéma-vérité et l’anthropologie partagée
Une autre référence importante pour construire ma recherche est l’anthropologie
partagée telle qu’elle a été proposée par Jean Rouch en s’inspirant de Robert Flaherty. Cette
démarche se retrouve dans ma propre manière d’utiliser la caméra dans les entretiens que j’ai
organisés avec les sujets de ma recherche, les consultants en qualité.
Pour mettre en scène la vie des autochtones du Grand Nord, le cinéaste Robert
Flaherty a découvert l’observation participante (Rouch, 1979). Pour tourner le documentaire
« Nanook of the North » (1922) qui est devenu un film très célèbre, il a rapidement compris
que pour montrer plus fidèlement la réalité, il devait réviser les images qu’il prenait de
Nanook, son seul sujet. Toutefois, pour Rouch (1979), outre Flaherty et Nanook, il y avait un
troisième personnage, « une petite machine capricieuse mais fidèle, d’une mémoire visuelle
infaillible » (p. 56), la « caméra participante » (Heusch, 1962). Ainsi, pour donner à voir par
le cinéma la réalité d’une situation, il est nécessaire de la reconstruire.
L’invention du cinéma-vérité peut être attribuée à Dziga Vertov. Son film « L’homme
et la caméra » (1929) est une tentative pour documenter fidèlement ce qui se passe dans les
rues pendant la révolution bolchevique. Vertov affirmait que le « ciné-oeil » comprend toutes
les techniques de tournage et toutes les méthodes sans exception permettant de parvenir à la
vérité, qui, selon lui, est toujours en mouvement (Rouch, 1979).
Le « cinéma direct », créé par Jean Rouch, est une façon de prolonger la vision
cinématographique et documentaire du cinéma-vérité de Flaherty et Vertov. Rouch utilisait
une caméra inspirée, à la première personne, et son impératif était l’improvisation. Rouch
partage la qualité d’auteur du film avec les participants, pour créer une réalité
cinématographique au lieu de décrire un monde extérieur (Colleyn, 2004), ce qu’il appelle une
anthropologie partagée (Gaspar de Alba, 2006). Il s’agit en permanence de déconstruire
l’opposition dualiste fiction/non-fiction, en mettant les personnages en situation de se
construire eux-mêmes pendant la réalisation du film (Diop, 2007). Rouch renie une attitude
objectiviste pour donner lieu à une anthropologie partagée où l’autre a quelque chose à dire;
en cultivant même un surréalisme ethnographique. Selon Colleyn (2004) « l’enquête l’affecte
et il affecte l’enquête : en filmant, il s’est absorbé dans une ciné-transe qui le place au centre
du rituel » (p. 538). Pour Rouch ce qui est intéressant, ce sont les intentions propres de chacun
!111
des acteurs et la perception par le réalisateur de l’évolution de sa relation avec les acteurs dans
le film (Piault, 2004).
3.24.1. Tout film a un caractère sélectif et subjectif
Pour Colleyn (1999) aucun film n’est un reflet précis de la réalité, aucun film ne peut
fournir une contextualisation fidèle et complète. En effet, le tournage et le montage sont de
nature soustractive. Selon l’auteur, pendant le tournage et encore plus au montage, il s’opère
une rupture avec « la linéarité empirique du temps et la contiguïté spatiale » (p. 27). Tout
enregistrement et film ont un caractère sélectif et subjectif (Mead, 1979) et toute information
obtenue est contextuel (Colleyn, 1999). Pour Colleyn (1999) « en filmant l’objet que je
choisis, je le cadre (ou l’éclaire) et laisse hors champ (ou dans l’ombre) une infinité d’objets
possibles, qui seraient découpés autrement, dans le flux de l’expérience de terrain » (p. 27). Il
est impossible de réaliser un enregistrement totalement objectif de la réalité, de fait le choix
d’un sujet est essentiellement subjectif, y compris le choix du matériel utilisé, les objectifs
pour la prise de vue par exemple. Rien de plus subjectif que le montage en dépit des efforts du
monteur pour donner de l’objectivité au film (Gaspar de Alba, 2006). De fait, le réalisateur ne
peut pas vraiment saisir ce qui se passe naturellement et spontanément auprès de son appareil
(MacDougall, 1979). Une infinité d’objets possibles peuvent être découpés sur le terrain
(Colleyn, 1999). En effet, on ne peut afficher quelque chose sans en cacher d’autres (France,
1979). MacDougall (1979) l’explique clairement de la façon suivante :
En un sens, la fonction du viseur de la caméra est l’inverse de celle du viseur d’un
fusil avec lequel le soldat met en joue son ennemi. Le viseur du fusil cadre une image
pour la détruire; celui de la caméra, au contraire, cadre une image pour la conserver,
annihilant de ce fait la multitude d’images environnantes qu’il aurait pu prendre
forme au même moment, à partir du même point d’observation (p. 98).
3.24.2. L’avantage des caméras vidéo sur les caméras de cinéma de 16mm
Nous disposons maintenant de caméras mobiles et de microphones qui peuvent se
connecter, via une mixette, à la caméra. Jean Rouch disposait lui de caméras de cinéma de 16
mm avec une autonomie de dix minutes de pellicule. Toute les dix minutes, il devait cesser
d’enregistrer pour recharger la chambre. Nous n’avons plus cette contrainte, ce qui est
!112
important car dans le cinéma documentaire des scènes ne peuvent être répétées. Par contre,
avec cette ancienne technologie, les réalisateurs avaient le temps de réfléchir sur la prise de
vue en termes de montage (Colleyn, 2008).
Résumé du chapitre
Dans ce chapitre, j’ai présenté le champ de cohérence scientifique qui est
présent dans toutes les étapes de ma recherche et qui correspond à mes implications
secondaires ou épistémologiques.
Dans le chapitre suivant je présenterai le dispositif de recherche pour la collecte et
l’analyse des données, ainsi que les outils de l’analyse institutionnelle que j’ai utilisés pour
élargir le champ d’analyse.
!113
Chapitre 4 : Dispositif de recherche
4.1. La problématisation
Dans ce chapitre, je vais présenter le dispositif de recherche qui m’a permis de mieux
connaître la manière dont les consultants utilisent les objets techniques de leur boîte à outils
pour influer sur l’implication des chefs et des équipes de direction des établissements. Dans le
même temps, je vais également explorer la manière dont ces mêmes consultants s’impliquent
professionnellement dans les mouvements institutionnels de FS pour institutionnaliser le
pilotage par la qualité dans le système scolaire. Enfin, je porterai également attention à la
manière dont mon dispositif de recherche et ma propre action, ont pu influer les implications
des participants (Monceau, 2010).
Cette étude des pratiques quotidiennes de mes ex-collègues consultants, dans le
contexte d’une éducation de marché, n’a été ni commandée ni financée par aucune institution.
Cette recherche est née de mon propre intérêt, dans une posture de praticien-chercheur (Kohn,
2001), pour dévoiler la boîte noire du processus de certification de la qualité.
4.2. Les questions de la recherche
Il me semble nécessaire de rappeler ici les trois questions de recherche qui ont guidé le
développement de ce travail :
Quels sont les effets des évolutions institutionnelles de la Fondation Schiller
concernant la traduction du pilotage par la qualité dans le système scolaire sur l’implication
professionnelle des consultants ?
Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986) exécutées par les consultants,
en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour influer sur l’implication des chefs
et des propriétaires d’établissements scolaires dans l’institutionnalisation du pilotage par la
qualité ? Ceci tout en leur permettant de réussir le processus de certification de la qualité.
Quels effets produisent les interférences entre les différentes logiques institutionnelles
qui traversent leurs pratiques sur le discours des consultants ?
!115
4.3. Critères de sélection des participants
Un groupe de sept collègues consultants a accepté de participer à cette recherche. Les
trois critères utilisés pour la sélection des participants ont été les suivants :
(a) qu’ils aient conduit avec succès des processus de certification de la qualité
d’établissements scolaires dans leur rôle de consultant, c’est-à-dire qu’au moins un
établissement accompagné par eux ait réussi à obtenir le label de qualité ;
(b) que, de plus, ils aient joué le rôle d’évaluateur externe, qui est la contrepartie du
rôle de consultant, dans le processus de certification ;
(c) enfin, qu’ils aient aussi participé au pilotage du modèle de l’ACE qui est le nouvel
organisme institué par l’État pour couronner le processus d’institutionnalisation du
pilotage par la qualité dans le système scolaire.
J’ai donc choisi des consultants impliqués dans les différentes logiques d’action
(consultation, évaluation externe, pilotage) engagées dans le processus d’institutionnalisation
du pilotage par la qualité, ceci afin d’augmenter les opportunités d’analyser les interférences
institutionnelles présentes dans leurs discours et tensions idéologiques (Foucault, 1969).
4.4. Présentation des participants
Sept des dix anciens collègues ayant « survécu » aux mutations institutionnelles de FS
et remplissant les exigences fixées pour la sélection des participants ont accepté de participer
à cette recherche. Si ce nombre peut sembler réduit, il est aussi la garantie de pouvoir mener
une investigation de type socio-clinique qui nécessite à la fois l’adhésion et la permanence des
participants. De plus, l’objet de la recherche étant particulièrement sensible au plan
idéologique, il était nécessaire de créer les conditions de la confiance pour accéder aux
pratiques réelles de ces consultants encore en activité.
Compte tenu de l’approche socio-clinique de la recherche, il est nécessaire de procéder
à une présentation de chacun des participants. En effet, leurs expériences et parcours sont
importants pour mieux comprendre la manière dont ils sont impliqués professionnellement.
Carlos a un statut particulier dans mon dispositif de recherche. Je le qualifie de 20
« collaborateur ». Il est titulaire d’une licence d’espagnol obtenue à l’Université de
Les prénoms des sept participants ont été modifiés. Mais de toute évidence les participants vont 20
sortir de l’anonymat lors de la diffusion du documentaire, bien sûr après la signature de leur consentement.
!116
Concepción. Dans les années 80, pendant la dictature, il a été poète et auteur-interprète plus
ou moins connu dans sa région, dans le sud du pays. Il a publié son premier recueil de poèmes
en 1988 et son premier livre de contes en 1994.
Carlos a 63 ans et habite à Santiago. Il a exercé des responsabilités administratives. Il
a été directeur du lycée Mariano Latorre (1994-2001) après avoir été enseignant pendant six
ans dans le même établissement où il a été le créateur du premier « Orchestre de jeunes »,
projet qui s’est ensuite étendu à tout le pays. Il a aussi été directeur du collège Francisco de
Miranda à Santiago (2007-2013).
De plus, il a dirigé deux ONG dans la région du BioBio dans le sud du Chili
(1998-2003). Il appartient à la première génération de consultants de FS . 21
Carlos est évaluateur pour le CNCGE depuis 2008. Lorsqu’il a quitté son dernier poste
de chef d’établissement, il s’est consacré entièrement à son propre cabinet-conseil. Il est en
même temps militant et dissident du dispositif. Son leadership alternatif incarne bien le
négatif de l’institution, il est une sorte de déviant libidinal (Lourau, 1970). En tant que
collaborateur de la recherche, il a vécu une grande transformation au cours du déroulement de
celle-ci. Il a participé à la restitution et à l’élaboration des résultats.
En 2013, avec d’autres consultants, il a créé une Fondation d’éducation. Il a assuré le
succès de son entreprise en invitant cinq grands chefs d’entreprises à participer au directoire
de la fondation, ce qui lui a permis de se lier rapidement à des entreprises et des lycées
techniques par le biais de programmes de formation duale dans diverses spécialités 22
techniques qu’exigent ces entreprises qui ont été associées.
Leonardo a 53 ans et habite à Santiago. En tant que fonctionnaire du MINEDUC, il a
participé à l’institutionnalisation du dispositif de qualité SACGE durant les années 2003 et
2004. Ce consultant a obtenu une licence en éducation à l’UMCE (Université Métropolitaine
de Sciences de l’Éducation) et en outre il est diplômé en éducation primaire de la PUC
(Université Catholique du Chili). Par la suite, il a obtenu un Master en direction et gestion
scolaire de la qualité) à l’UDD (Université du Développement), ce qui l’accrédite comme
consultant en qualité.
Il a réalisé sa formation de consultant en qualité, comme moi, durant l’année 2003.21
La formation professionnelle duale est une modalité de formation professionnelle dans laquelle le 22
centre éducatif et l’entreprise ont la responsabilité partagée de la formation de l’apprenti.
!117
À partir de 2010, il a été évaluateur externe du CNCGE. De plus, il a été
coordonnateur du programme de Master de l’UDD qui a été construit en coopération avec la
Fondation Schiller et l’Université de Toronto entre les années 2011 et 2013.
Enfin, il est aussi professeur à la faculté d’éducation de l’Université Finis Terrae
depuis 2014. Leonardo a un positionnement très différent de celui de Carlos, il est le
consultant en qualité et l’évaluateur externe le plus performant. Il est directeur de sa propre
Agence Technique inscrite dans le répertoire ATE depuis 2011, cette société travaille sous
la forme de contrats de sous-traitance avec une plus grande entreprise dans le but
d’accompagner un grand nombre d’établissements. Il compte sur tous ses contacts, obtenus
grâce aux nombreuses années passées au MINEDUC et en travaillant avec les municipalités.
D’ailleurs, au moment où j’ai réalisé l’entretien individuel avec lui, il fournissait des services
de cabinet-conseil à de nombreuses municipalités. L’une d’entre elles avait 12 établissements.
Pour pouvoir assumer cette grande charge de travail, il devait confier certains travaux à
d’autres cabinets de conseil plus petits. Carlos ne peut pas concurrencer avec des entreprises
comme celle de Leonardo.
Gabriel a 62 ans et habite à Santiago, il est directeur académique d’une holding
d’établissements subventionnés dans la commune de Maipú à Santiago depuis 11 ans. Il est
professeur d’État et diplômé de Master en éducation. Il appartient aussi à la première
génération de consultants de FS. Il est l’un des consultants qui a le plus d’expérience.
Lucía a 54 ans et habite à Santiago, elle est ingénieur agronome de l’Université
Catholique du Chili et diplômée en Master de direction et gestion scolaire de l’UDD. Elle est,
en outre, secrétaire exécutive d’une fondation de l’Eglise qui gère des établissements
subventionnés dans la commune de Quinta Normal à Santiago depuis 10 ans. Elle est aussi
évaluatrice du CNCGE depuis 2010.
Leticia a 59 ans et habite à Santiago, elle est titulaire d’une licence en physique à
l’Université de Santiago et aussi d’un Master en direction et gestion scolaire de l’UDD. Elle
appartient à la première génération de consultants de FS. Elle est aussi évaluatrice depuis
2008. Elle a occupé des postes de direction dans divers établissements de Santiago, à La
Cisterna et Maipú. Depuis 2006, elle exerce également comme conseil en gestion
institutionnelle pour le programme Mejor Escuela (ME, Meilleure École) de FS dans les
communes de Santiago et Los Andes.
!118
Enfin, les deux autres participants suivants sont membres du staff de FS. 23
David a 53 ans et habite à Santiago. Il est sous-directeur du Programme de Gestion et
de Direction Scolaire de la Fondation Chili et Secrétaire technique du Conseil National de
Certification de la Qualité de la Gestion Scolaire depuis 2003. Il participe en tant que
chercheur au Centre des Politiques et Pratiques de l’Éducation (CEPPE) dans l’axe
« liderazgo directivo » (leadership directif). En ce qui concerne sa formation, il a réalisé une
licence en religion et morale à l’Université Catholique du Chili et suivi un cours universitaire
d’administration des organisations éducatives dans la même université, puis un DEA et un
doctorat en sciences de l’éducation à l’Université Complutense de Madrid.
Antonia a 59 ans et habite à Santiago, elle est la coordinatrice du processus de
certification depuis 2009. Elle est licenciée en histoire et géographie à l’Université Catholique
du Chili et diplômée d’un Master of Arts en sciences de l’éducation à l’Université Catholique
de Louvain, Belgique. Elle a suivi la formation de consultants en gestion scolaire à la
Fondation du Chili, ainsi que le Master de direction et de gestion scolaire de l’UDD qui l’a
accréditée comme consultante.
En conclusion, ces consultants, dont la moyenne d’âge est de 58 ans, ont en commun
de vivre dans la région métropolitaine et d’avoir eu des responsabilités administratives
importantes dans des établissements scolaires. Carlos, Gabriel, Antonia et Leticia ont travaillé
avec David il y a plus de dix ans. Lucía et Leonardo ont connu David, le secrétaire technique
du CNCGE, dans le Master et grâce à cette affinité, ils ont été intégrés à ce groupe restreint.
Les consultants qui ont déserté, comme moi-même, ne sont tout simplement pas apparentés à
ces staffs. Il s’agit d’un processus de cooptation plus que de mérite.
On peut également constater, à la lecture de ces portraits, que cette première
génération de consultants qualité est impliquée de différentes manières dans le dispositif de
pilotage par la qualité.
4.5. Posture qualitative du chercheur
L’approche socio-clinique institutionnelle qui oriente nos recherches, très bien décrit
par Valentim et Monceau (2011), est « résolument qualitative ». Les auteurs précisent que
c’est la diversité des sujets de la recherche plus que leur nombre qui importe et ils ajoutent :
Le rôle des membres du staff est la médiation entre les évaluateurs et conseillers.23
!119
« Nous ne cherchons pas à quantifier les opinions de nos interlocuteurs mais à comprendre
comment leurs subjectivités se forment et évoluent » (p. 8). De plus, comme dans toute
recherche menée dans le cadre théorique de l’analyse institutionnelle, il est impératif d’avoir
une position flexible comme chercheur.
Selon cette démarche, il est important que le chercheur réalise l’analyse de ses propres
implications (Lourau, 1997a). Selon la même logique, Ravatin (1986) recommande de passer
du C. de C. (champ de cohérence) usuel à l’autre C. de C. : « [...] on ne fera pas de séparation
entre objectif et subjectif, non pas parce que cette frontière est plutôt floue, mais parce que le
fait de penser objectif-subjectif brise une richesse de pensée, ramène au champ de cohérence
usuel, si on est dans l’autre champ de cohérence » (p. 4).
4.6. L’implication comme instrument de production de connaissance
Le champ de cohérence scientifique de cette recherche correspond principalement à
l’analyse institutionnelle (Lamihi et Monceau, 2002). Dans celui-ci, le concept d’implication
est non seulement un outil de critique radicale de la connaissance scientifique établie (Lourau,
1997a), mais aussi la clé instituante d’une autre manière de faire recherche (Monceau, 2013).
L’implication est définie par Lourau (1970) comme l’ensemble des rapports, conscients ou
non, qui existent entre l’individu et les institutions. Ces implications peuvent se décliner de
manière idéologique, organisationnelle ou libidinale (Monceau, 2010). Selon Lourau (1969),
nous ne pouvons pas abandonner totalement l’institution car nous lui sommes liés par un
certain degré de consentement, d’appartenance, d’engagement, de participation ou
d’intégration, bien que la soumission à ces institutions ne soit jamais totale (Monceau, 2010).
En effet, la même personne, selon l’auteur, peut jouer durant sa vie privée ou professionnelle
les différents moments du concept d’institution. Un même sujet peut, en effet, être à la fois
serviteur de l’institué et promoteur de l’instituant, ce qui ne va pas sans contradictions
internes. C’est par exemple le cas des enseignants qui mettent en œuvre des innovations
pédagogiques qui dérangent le fonctionnement scolaire habituel tout en restant des
fonctionnaires attachés à leurs statuts et à l’organisation scolaire.
Par ailleurs, d’après Lourau (1990), un citoyen participant activement à différentes
associations et votant régulièrement, pourrait ne pas être plus impliqué que celui qui ne
participe pas. Pour l’auteur les deux situations doivent être analysées avec plus de précision.
!120
De fait, les actes de celui qui ne veut pas s’engager, ou qui est absent, peut témoigner d’un
type de participation contestataire, exprimant une désaffectation pleine de force instituante.
Toutes les actions sont significatives, aussi bien celles qui prennent les apparences
institutionnellement attendues que celles qui s’y opposent. Enfin, bien que la représentation
instituée de l’implication soit désormais considérée comme un outil d’auto-réalisation
(Thévenet, 2002) et de productivité (Le Strat, 1996), il est également utilisé comme un outil
d’aliénation (Monceau, 2003a).
Pour Lourau (1997a), tenter d’objectiver une recherche est très subjectif. L’intention
de mener une enquête puis la manière de présenter ses résultats, supposent l’implication
« dans l’acte de recherche lui-même comme processus existentiel » (p. 19). Pour Lourau
(1997a), il est matériellement impossible de ne pas être impliqué, « le degré zéro de
l’implication est l’inclusion de l’Obs dans la situation observée » (p. 61). De fait, selon
l’auteur, les actes de paroles « sont pris dans des processus d’individuation qu’ils alimentent
eux-mêmes » (p. 63). Mais, selon l’auteur, l’implication à analyser ici n’est pas seulement
celle du chercheur dans sa pratique de recherche mais elle engage tout son être.
Dans la première variation de son livre Implication, Transduction, Lourau (1997a) se
pose la question suivante : « Comment actualiser tout ce que l’institution nous oblige à
potentialiser afin de survivre sans trop de vagues, comment potentialiser sans honte la réalité
de l’acte de recherche ? » (p. 7). Selon lui, l’analyse des implications est la meilleure façon de
mettre à jour ce que l’institution nous a obligé à potentialiser. L’auteur fait référence à
Ravatin, pour affirmer que l’Obs s’implique dans l’acte de connaissance en lançant un champ
de cohérence et « se met à l’intérieur de ce champ de cohérence » (p. 7). De plus, selon lui et
en mobilisant les notions du philosophe Simondon, il considère qu’il s’agit d’une plongée
« dans le trans-individuel (…) donc également plongée dans le pré-individuel » (p. 54). Il fait
alors référence à Lupasco, concernant l’exclusion ou potentialisation dans l’implication
négative, pour dire que « si une implication s’actualise, une exclusion ou implication négative
est potentialisée » (Lourau, 1997a, p. 56). En conclusion, la distanciation, selon l’auteur, ne
semble pas une posture idéale. Il serait absurde de nous priver des avantages de « l’analyse
des implications qui s’actualisent collectivement » (Lourau, 1997a, p. 10). Le fait d’analyser
ces implications revient à prendre en compte un autre C. de C. et il y a donc transduction. De
facto, pour l’auteur, « l’implication est un instrument de production de connaissance » (p. 8)
!121
et pour cette même raison, toutes les actions de recherche doivent être considérées comme une
intervention.
Toutefois, comme l’affirme Lourau (1991), avec l’exigence institutionnalisée
d’effectuer la recherche le plus rapidement possible, la vie quotidienne des chercheurs est
censurée. Ils disposent de moins de temps pour réaliser l’analyse de leurs propres implications
et par conséquent pour inclure le négatif dans la présentation de leurs résultats, ce qui revient
à se tirer une balle dans le pied.
4.6.1. Les dangers de la systématisation de l’analyse des implications
Selon Lapassade et Lourau (1971), l’implication d’un chercheur est l’ensemble des
relations qu’il entretient, consciemment ou non, avec l’institution. Un chercheur peut se sentir
très capable d’analyser et objectiver ce qui se passe pour les autres et s’exclure de manière
automatique, des relations avec ses objets d’étude, avec l’institution à laquelle il appartient, de
son milieu familial ou autre, de l’argent, du pouvoir de la libido et de la société en général à
laquelle appartient. Mais il peut aussi faire l’analyse institutionnelle, selon Lourau (1997a),
d’une manière trop systématique, même s’il adopte une « conception élargie, globaliste » (p.
62). Le systématisme est plus grave encore lorsque le chercheur adopte une conception
restreinte « qui technicise l’implication, l’instrumentalise sur la base de quelques procédures
limitées, comme l’analyse de la commande et des demandes d’intervention ou de recherche-
action » (p. 62).
Pour conduire cette recherche doctorale, je me suis appuyé sur mes propres
implications dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité. En renouant contact avec
certains de mes anciens collègues et en organisant le dispositif de recherche, j’ai lancé un
champ de cohérence dans lequel je me trouve impliqué.
4.7. Le dispositif méthodologique pour la construction du corpus
J’ai utilisé des techniques de collecte de données qui sont communes à toute enquête
qualitative, ainsi que certaines variations propres de l’analyse institutionnelle. Pour créer les
conditions de la mise en réflexivité des consultants, j’ai effectué cinq entretiens individuels et
deux entretiens collectifs.
!122
4.7.1. Les entretiens individuels et collectifs
J’ai donc réalisé cinq entretiens individuels avec des anciens collègues. Carlos a été
interviewé deux fois, dont une à la fin de la recherche pour la restitution et l’élaboration de
résultats. Les trois autres personnes interrogées de manière individuelle ont été Leonardo,
Gabriel et Lucía.
J’ai également effectué deux entretiens collectifs (Duchesne & Haegel, 2004), au
cours d’une même journée et dans les bureaux de FS. Le premier entretien collectif a été mené
avec David, Antonia et Leticia et le second avec Antonia et Leticia.
C’est Antonia qui m’a envoyé la liste des sept consultants actifs.
Le premier de cette liste avec lequel je me suis d’abord entretenu a été Gabriel qui
s'est avéré être le plus impliqué dans le modèle de la qualité parmi les consultants qui ne sont
pas membres du staff.
Ensuite Carlos, qui est consultant en temps partiel du programme Mejor Liceo
(Meilleur Lycée) et qui peut être considéré comme déviant institutionnel. À partir de ce
deuxième entretien individuel, j’ai compris que je devais rencontrer des membres du staff
avant de poursuivre les entretiens individuels avec les consultants.
J’ai donc interrogé ensemble David, secrétaire technique du Conseil, et l’évaluatrice
paire Antonia. Leticia, consultante du programme Mejor Escuela (Meilleure École), s’est joint
à eux. J’ai prolongé par un second entretien collectif auquel ont seulement participé Antonia
et Leticia. Ces entretiens ont eu lieu dans les locaux de la Fondation mais les entretiens
individuels ont été réalisés en dehors de ses locaux.
Après ces deux entretiens collectifs j’ai décidé d’interviewer les deux consultants qui
avaient obtenu leur accréditation à travers le Master.
Le premier d’entre eux a été Leonardo, qui est le consultant ayant le plus de client.
Ensuite, j’ai rencontré Lucía qui s’est révélée la plus impliquée dans les aspects
néolibéraux du modèle et la plus réfractaire aux réformes du système scolaire pour lesquelles
militent les forces instituantes du mouvement des étudiants.
Enfin, j’ai réalisé le second entretien avec Carlos qui est devenu partenaire de cette
recherche pour lui restituer des résultats partiels.
Les entretiens collectifs sont intéressants pour la recherche car les participants sont
tenus de procéder à des mouvements de rapprochement et d’éloignement, jusqu’à trouver une
!123
distance optimale leur permettant, selon Guattari (1972), de se sentir à l’aise avec le sujet
inconscient du groupe, d’où émerge les désirs du groupe.
En fait, une source d’interférences est produite par la rencontre entre l’émergence de
l’Agence de Qualité de l’Éducation (ACE) et celle du mouvement des étudiants, qui a sans
doute provoqué des perturbations qui sont en train de changer le discours de ce groupe de
consultants.
Une autre source d’interférences surgit en relation avec les différents contextes
institutionnels dans lesquels sont intégrés le chercheur et le groupe de participants, autrement
dit entre l’axiologie du chercheur et celle des consultants. En effet, le seul fait d’expliquer,
succinctement, le sujet de la recherche, au cours de chaque entretien, a certainement fait
évoluer les discours des participants. En effet, durant les entretiens individuels et collectifs,
quelques questions ont provoqué une sorte de choc idéologique parmi les consultants. Cela a
été, par exemple, le cas avec la question : « Tu crois qu’en améliorant la gestion par
établissement, c’est-à-dire à un niveau micro, au lieu de la gestion totale du système éducatif,
cela va être suffisant ? » (Chercheur).
J’ai aussi mieux réussi à régler le coefficient de transversalité avec deux des sept
participants, Carlos et Leonardo. Lors du premier entretien, avec Carlos, j’ai dû commencer à
comprendre et m’adapter au nouveau discours de mes ex-collègues. Il était plein de
nouveautés sur les transformations de FS pour institutionnaliser le pilotage de la qualité dans
le système scolaire chilien. J’ignorais absolument le niveau d’aliénation sociale, l’absence de
reconnaissance et de rémunération de mes collègues encore liés à FS malgré les mutations
institutionnelles.
À l’inverse, lors de l’entretien de restitution avec Carlos, c’est lui qui a dû ajuster son
coefficient de transversalité car mes conclusions l’ont surpris, même s’il était entièrement
d’accord avec elles. « Je n’avais jamais pensé que nous pourrions arriver aussi loin pour
révéler tout ce qui était caché ici, je suis surpris et je me sens un peu dupé » (Carlos). Il s’est
alors senti méprisé et exploité par les conseillers de FS. 24
Le rôle des conseillers est d’évaluer le rapport présenté par l’évaluateur externe.24
!124
4.7.2. Analyse documentaire
J’ai récolté, ordonné et analysé les outils et écrits utilisés par les consultants durant le
processus d’institutionnalisation du dispositif de pilotage par la qualité, tels que les rapports
finaux d’évaluation (ceux établis par les participants à mon dispositif de recherche en leur
qualité d’évaluateurs), les plans d’amélioration élaborés par des consultants avec les équipes
de direction des établissements, certains rapports d’auto-évaluation et la matrice de 52
indicateurs de gestion, associés à chacune des zones du modèle de gestion scolaire de qualité
de la Fondation Schiller. Ce travail de collecte a été long et compliqué car il s’agissait d’une
part d’identifier, en dialogue avec les consultants, quels étaient les documents pertinents et
d’autre part, de me les procurer. Certains sont disponibles sur internet mais d’autres sont plus
confidentiels.
La matrice était en principe la check-list des évaluateurs externes mais certains
consultants ont commencé à l’utiliser pour évaluer l’état d’avancement du plan d’amélioration
des établissements qu’ils accompagnaient. Cependant elle n’est pas toujours partagée avec
leurs clients dans les établissements.
Les documents téléchargés sur internet, comme les questionnaires d’auto-évaluation
(destinés aux élèves, parents, enseignants et cadres), ainsi que d’autres documents d’aide ont
été créés par FS pour que les établissements puissent effectuer, éventuellement, tout le
processus de certification, sans l’aide d’un consultant. Il s’agit du manuel de diagnostic
institutionnel et de conception du plan d’amélioration, des sept fiches de soutien du manuel de
diagnostic institutionnel et de conception du plan d’amélioration, ainsi que des 18 profils de
compétences professionnelles des enseignants.
Ces documents m’ont permis de mener les entretiens individuels et collectifs sur une
base matérielle concrète. J’ai ainsi profité au maximum du temps qui m’était accordé par les
participants.
Le tableau suivant montre des outils utilisés par les consultants, évaluateurs, chefs
d’établissement et les professionnels qui composent l’équipe qualité et des questions de ma
grille d’entretien afin de clarifier leurs usages.
!125
Nom de l’outil Utilisateurs Usage Questions posées aux consultants
Plateforme informatique CMC et questionnaires d’évaluation pour des parents, élèves, enseignants et directifs.
Chefs d’établissement, consultants et les professionnels qui composent l’équipe qualité
Utilisés pour l’auto-évaluation
• Comment les élèves, parents, enseignants et directeurs répondent ils aux questionnaires? En ligne, sur ordinateur ou par écrit sur des questionnaires en versión papier?
• Dans les deux cas, veuillez m’expliquer comment est-ce que c’est organisé, quel est le flux de travail ?
• Qui sont les responsables de la distribution et du recueil des questionnaires ?
• Qui est responsable de l’enregistrement des réponses sur questionnaire papier sur la plate-forme CMC ?
• À ce stade, est-ce que les enseignants collaborent ou bien ce processus est-il conduit uniquement par l’équipe de direction ?
Rapport d’auto-évaluation
Chefs d’établissement, consultants et les professionnels qui composent l’équipe qualité
C’est un document qui est nécessaire pour obtenir la certification.
• Quels sont les acteurs qui sont impliqués dans la rédaction du rapport d’auto-évaluation ?
• L’équipe de direction et vous-même tentez-vous de faire participer les enseignants ou leurs représentants dans l’élaboration du rapport d’auto-évaluation ? Si c’est ainsi combien d’eux participent ? Pouvez-vous me décrire ces réunions ? S’ils ne le font pas, pourquoi pas ?
• Quelles activités sont menées pour socialiser le rapport d’auto-évaluation ? Comment, où, à quel moment et combien de temps durent ces réunions ?
• La communauté des enseignants dans nos écoles est silencieuse, mais il est parfois possible trouver des professeurs dissidents par rapport au processus de certification ? Si c’est ainsi, que faites-vous ? Que fait l’équipe de direction?
• Quel type de critiques reçoivent-vous ?
!126
Plan d’amélioration
Chefs d’établissement, consultants et professionnels qui composent l’équipe qualité.
C’est un document qui est nécessaire pour obtenir la certification et que depuis 2008 est exigé des établissements qui reçoivent des subventions de l’État.
• Est-ce que l’équipe de direction participe à la rédaction du rapport ou bien est-ce que vous l’écrivez seul ?
• Quels autres acteurs de l’établissement participent à la rédaction ? Représentants des enseignants, élèves et parents ?
• Comment est-ce que la participation de ces autres acteurs est encouragée ?
• Comment le rapport est-il rendu public à l’intérieur de chaque établissement ?
• Comment, une fois élaboré, le plan d’amélioration est-il diffusé aux enseignants, élèves et parents ?
• Quel type d’activités sont menées pendant l’évaluation ?
• Est-ce qu’on cherche à réfléchir collectivement à partir du rapport avec les enseignants, élèves et parents une fois le plan élaboré ? Si c’est ainsi, quels types d’activités sont menés pour cela ?
• Est-ce qu’il y a des enseignants qui manifestent des différends avec le rapport ?
• Comment sont traitées ces critiques par l’équipe de direction ?
Matrice des 52 indicateurs
Évaluateur et consultants et parfois pour des chefs d’établissement et les professionnels qui composent l’équipe qualité
Elle a d’abord été utilisée par les évaluateurs pour procéder à l’évaluation externe et deuxièmement par certains consultants pour contrôler l’état d’avancement du plan d’amélioration
• Ne pensez-vous pas que les établissements qui emploient un évaluateur externe ont un avantage sur les autres établissements qui travaillent avec les consultants qui n’ont pas l’expérience dans l’évaluation externe ?
• Est-ce que vous utilisez la matrice de 52 indicateurs, avec laquelle les évaluateurs externes comme vous guident le processus de révision de preuves pour chacun des indicateurs dans les établissements au cours du processus d’évaluation externe, pour recueillir et de fabriquer des preuves dans les établissements qui accompagnent en tant que consultant ?
• Qui recueille des preuves ? Vous-même ou l’équipe directif ?
• Dans votre rôle d’évaluateur vous devez évaluer les preuves que les établissements présentent pour chacun des 52 indicateurs. Qu’est-ce qui caractérise une bonne preuve ?
• Partagez-vous la matrice de 52 indicateurs avec l’équipe de direction pour évaluer les progrès dans le processus de certification ?
• Vous ne considérez pas que guider le processus de certification de l’établissement par la matrice est la clé pour réussir dans le processus de certification ?
• Vous ne pensez pas que cette pratique est de-codifier le modèle de la qualité et il est beaucoup plus facile ainsi de certifier un établissement ?
• Vous ne considérez pas que de cette façon l’établissement obtient des avantages injustes par rapport aux autres qui recherchent la certification et qui n’ont engagé un consultant qui a l’expérience d’avoir travaillé comme évaluateur externe ?
Nom de l’outil Utilisateurs Usage Questions posées aux consultants
!127
Figure 1 : Tableau récapitulatif des outils utilisés par les consultants
Cette analyse documentaire m’a permis de préparer la grille d’entretien avec l’objectif
d’enquêter sur l’usage de ces instruments qui circulent entre les acteurs, au cours du processus
de certification.
4.7.3. Des situations d’observation tirées des entretiens filmés
Étant familier avec les outils cinématographiques, j’ai souhaité les utiliser pour
recueillir des données durant mon enquête. Cependant il n’est pas facile d’introduire une
caméra dans certaines situations. Cela vaut cependant la peine de faire l’effort, parce que,
comme l’écrit Truchon (2016), l’utilisation de la caméra vidéo rend possible une plus grande
Rapport d’évaluation externe
Évaluateurs et conseillers
Les directions d’établissements peuvent le utiliser pour faire la promotion de l’établissement et attirer les élèves lorsqu’il est positif et comme une façon de forcer les enseignants à s’améliorer lorsqu’il est négatif.
• Combien temps avez-vous besoin pour élaborer le rapport que vous devez envoyer au CNCGE ?
• Quel type de rectifications sont demandés pour les conseillers à votre rapport ?
• Quel est le flux de travail et les responsables qui interagissent dans chacune des étapes ?
• Combien temps prennent les conseillers pour réviser le rapport et déterminer si l’établissement mérite du label de qualité ?
• Comment le rapport est diffusé lorsqu’il est positif ? • Le rapport est-il partagé en plénière avec les
enseignants, élèves et parents ? • Quelle est la procédure qui est mise en place avec le
rapport lorsqu’il est négatif ? • Quelles autres usages les directions des
établissements font du rapport ?
Chefs d’établissement et professionnels qui composent l’équipe qualité..
Chefs d’établissement et professionnels qui composent l’équipe qualité.
Les directions d’établissements peuvent les utiliser pour les processus de sélection et certains établissements les adaptent pour effectuer des évaluations de performance.
• Avez-vous utilisé ou recommandé les 18 profils de compétences pour la sélection des enseignants et des directions d’établissements ? Si c’est ainsi, quel est le flux de travail ?
• Est-il vrai que les 18 profils de compétences sont modifiés pour être utilisés dans les processus d’évaluation, développement et promotion des enseignants et directeurs des établissements ? Si c’est ainsi, quel est le flux de travail ?
Nom de l’outil Utilisateurs Usage Questions posées aux consultants
!128
visibilisation et elle est porteuse de reconnaissance: « comme méthode et posture de
recherche, elle offre aux anthropologues et aux participants de leurs recherches des occasions
de réflexivité » (p. 146).
Il ne m’a pas été possible d’obtenir l’autorisation de filmer des séquences
d’observation dans les établissements. En fait il n’y a eu aucune possibilité de filmer les
interactions des évaluateurs durant les visites d’évaluation dans les établissements, parce qu’il
est interdit à des tiers d’y participer et encore moins de filmer durant l’évaluation. De facto, la
confidentialité est prévue par le contrat que signe FS et l’établissement qui paie pour son
évaluation. Il n’est pas non plus possible de filmer les interactions entre les consultants et les
chefs et propriétaires d’établissements ni avec l’équipe de direction, ceci pour ne pas exposer
les clients.
Pour cette raison tout ce que j’ai filmé avant, durant et après les entretiens a eu une
grande valeur pour mon étude. Étant donné que la caméra vidéo était allumée avant et après
les séquences d’entretiens, j’ai enregistré certaines séquences qui constituent de fait des
situations d’observation. Ceci m’a permis de saisir ainsi certaines logiques d’action de mes
anciens collègues consultants. En outre, avoir la caméra vidéo toujours allumée favorise la
relation filmant-filmé (Lallier, 2009). J’ai réglé la caméra pour empêcher l’arrêt
automatique tous les 4 GB d’enregistrement, que les caméras reflex DSLR ont par défaut dans
leur logiciel, afin de ne pas mettre sous tension les participants et de ne pas affecter mon
implication et celle des participants.
4.8. Le dispositif filmique-socio-clinique
4.8.1. La caméra vidéo est capable de pénétrer activement l’univers de chacun des sujets
et rend possible une plus large collecte de données
Sur l’utilisation de la caméra vidéo dans un dispositif méthodologique, Rouch (1979),
a soutenu que cet outil possède une extraordinaire capacité de communication avec le groupe
étudié. Par ailleurs MacDougall (2009), écrit qu’à la différence de l’écriture de notes dans un
journal, l’enregistrement documentaire avec une caméra vidéo est capable de pénétrer
activement l’univers de chacun des sujets, rendant ainsi possible une collecte plus large de
données. Grâce à ce mode d’échange, un film peut mieux refléter la manière dont les sujets
filmés perçoivent le monde. Dans le même sens, selon Colleyn (1999) le film est plus difficile
!129
à gérer que l’écrit, mais sa richesse offre un large éventail de possibilités de traitement. Les
images entretiennent « une épaisseur et une polysémie » beaucoup plus que les transcriptions
verbales et conservent une empreinte indélébile de notre expérience de terrain. Pour cette
raison, selon l’auteur, une image, un plan, une séquence peuvent montrer beaucoup plus que
ce que le réalisateur croit montrer. Dans le même sens, pour De France (1979) :
La description filmique et l’observation de l’image offrent au langage la matière à une
analyse fine des relations entre scène et coulisses, entre ce que les personnes filmées
souhaitent montrer et ce qu’elles souhaitent cacher, entre ce qu’elles considèrent
comme l’essentiel et ce qu’elles rejettent dans l’accessoire (p. 143-144).
Certes, souvent les images parlent d’elles-mêmes, car l’image contient une infinie
quantité de détails et, à la différence des mots, la vision est un phénomène beaucoup plus
instantané qui souvent ne nécessite pas une traduction (Lajoux, 1979).
Peut-être, le plus important est que les personnes filmées, selon MacDougall (1979),
sont porteuses « de l’incommensurable richesse » et de l’effort de l’expérience humaine.
Selon l’auteur, la vie des personnes filmées a une « telle épaisseur » que, quelque soit le
temps passé à filmer, il semble toujours insuffisant.
Il m’a été impossible d’écarter la tentation de réaliser un documentaire basé sur ce qui
s’est passé au cours de ces années de recherche et d’écriture de ma thèse.
En général, le travail de réalisation de films documentaires professionnels ou de
fictions est un travail d’équipe, qui exige au moins un preneur de son en plus du cameraman.
Cependant il y a aussi de bonnes raisons de travailler seul dans un registre ethnographique. La
première est le coût parce qu’il faudrait des dizaines ou centaines de journées de travail. Si les
films réalisés par une seule personne sont moins achevés techniquement, ils ont comme le
disait Rouch (1979), la qualité irremplaçable d’un contact réel entre celui qui filme et ceux
qui sont filmés. Lors du premier entretien, j’étais accompagné par un preneur de son.
Cependant je me suis rendu compte immédiatement que la présence de deux personnes était
trop pesante et affectait négativement mon implication comme observateur filmant et celle des
participants. Certes dans le cinéma direct, le cameraman ne peut être que le réalisateur
(Rouch, 1979 ; Mead, 1979) parce qu’il est le seul à savoir « quand, où, comment filmer,
c’est-à-dire réaliser » (Rouch, 1979, p. 61). Le plus important est que toute « impureté causée
ne peut être assumée que par lui-même » (Rouch, 1979, p. 61).
!130
Au moment de la réalisation des entretiens, nous n’apprécions pas pleinement leur
valeur comme séquence d’observation. C’est seulement ensuite, lorsque nous les revivons
grâce à l’éditeur vidéo, que nous apprécions leur richesse. Bresson (1975) affirmait ainsi
qu’aucun oeil humain n’est capable de capturer tout ce qu’une caméra peut filmer avec une
scrupuleuse indifférence. Mais, pour l’auteur, l’important n’est pas ce que montrent les filmés
mais ce qu’ils cachent, et surtout ce qu’ils ne soupçonnent pas être en eux. Une facette
du travail du chercheur-réalisateur que je voudrais souligner est la puissance du cinéma direct.
Selon Ruiz (1986) :
La première chose que quelqu’un sent quand il commence à faire des films est que la
traduction d’un récit à l’image nous montre que les choses sont trop elles-mêmes,
plus elles-mêmes que dans le récit [...] En ce moment chacun juge qu’il est absurde et
inutile, de raconter leur histoire et que, de plus, il convient de laisser parler les choses.
C’est ce qu’on peut appeler la pulsion du néo réalisme (p. 37).
4.8.2. Une collecte des données qui est cohérente avec une étude socio-clinique
Une collecte de données visuelles du type observationnel ne suffirait pas dans cette
étude. Pour restituer au maximum la richesse de l’information, selon Sorenson (1979), les
images doivent inclure une grande diversité d’angle, cadrages et situations. Ce type de
collecte de données est ainsi cohérente avec une étude socio-clinique.
Les sujets figurant dans le documentaire sont traités dans une perspective subjective et
interactive, en dépit qu’il s’agit d’une rencontre face à face avec les sujets filmés. A partir du
moment où j’ai décidé d’utiliser mes propres commentaires, ceux de mon collaborateur et
ceux que mon directeur de thèse pourrait faire pour les intégrer dans les versions suivantes du
film dans une première version du documentaire. Cette première étape de formalisation de
mes analyses sera utilisée comme un outil de restitution et pour provoquer de nouveaux
commentaires qui seront intégrés à une version définitive. De manière que dans les prochaines
versions de montage, l’autorité textuelle se déplacera vers les participants (Nichols, 1997).
C’est-à-dire que la méthode de fabrication de la version définitive du film est encore
plus expérimentale, parce que les participants vont aller en proposant ou en sanctionnant les
faits qui veulent fixer sur film.
!131
C’est pourquoi je vais organiser, après la soutenance de thèse, une rencontre avec les
participants et/ou autres qui ne sont pas actifs pour faciliter une mise en scène de leur
expérience dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité. Ce type de restitutions
s’éloigne de la méthode ethnographique et de ses mécanismes d’observation objectivistes
(Malinowski, 1970). En effet, il ne s’agit pas de prendre une distance critique par rapport aux
filmés mais au contraire ce qui est recherchée est de partager avec eux leur expérience, pour
en faire surgir d’autres en commun, pour configurer, comme l’affirme Rouch (1979), un type
d’énonciation collective, pour nous laisser entendre leurs problèmes et leurs rêves.
4.8.3. Les avantages d’utiliser la caméra vidéo pour la recherche en sciences sociales
Pour Rouch la caméra, en plus d’être un instrument qui permet la diffusion et la
communication scientifique, permet une connaissance plus souple et réaliste par rapport à
d’autres types d’enregistrement des activités humaines (Gaspar de Alba, 2006). Rouch (1979)
affirme que le film « est le seul moyen dont je dispose pour montrer à l’autre comment je le
vois » (p. 68). En effet, selon l’auteur, la caméra participante offre une plus grande possibilité
de communication avec les groupes étudiés.
L’avantage d’utiliser la caméra repose, selon MacDougall (1979), sur le fait que les
personnes aiment parler d’elles-mêmes, de leur présent et de leur passé. Bien qu’ils soient
toujours conscients d’être filmés, il est évident, selon l’auteur, que :
[...] des scènes à caractère même très intime ont été enregistrées sans embarras
apparent ni simulation de la part des sujets filmés [...] ils continuent à vivre et le font
comme à l’habitude [...] les gens acceptaient d’être filmés, même dans des sociétés où
l’on aurait pu s’attendre à ce que la présence de la caméra suscite une inquiétude
considérable (p. 93).
Mais plus encore, selon MacDougall (1979), des personnes se comportent plus
naturellement lorsqu’elles sont filmées que lorsqu’elles sont en présence d’un observateur
ordinaire, parce qu’un homme avec une caméra a une occupation supplémentaire qui est de
filmer. Cette attention portée au tournage lui-même rend l’observateur moins pesant pour le
sujet. Dans le cas particulier de mon enquête, les participants sont les derniers consultants
actifs du réseau socio-technique qui a institutionnalisé le pilotage par la qualité de notre pays.
Ce choix se justifie pour des raisons scientifiques, comme l’affirme Rouch (1979), la
!132
réalisation d’archives audio-visuelles pour conserver le discours des participants, qui est en
voie de transformation, et leur métier en voie de disparition. Au moment même où notre pays
a installé avec l’Agence de la Qualité un dispositif d’accountability non réfléxif, plus dur que
le précédent en reposant sur le SIMCE, la production de documents qui pourront servir
d’archives est importante.
Rouch (2005) a réalisé une comparaison entre l’anthropologie classique et
l’anthropologie visuelle. Selon lui, un rapport écrit est moins accessible et puissant qu’un
film. Le film peut être montré à un public pour être discuté avec eux. Même si le film est
mauvais, il leur permettra de réfléchir sur eux-mêmes, à ce qui leur est arrivé et leur donnera
une possibilité de distanciation. En outre, le film apporte à la recherche en termes d’un retour
sur les aléas du terrain (Despoix, 2004, cité dans Diop, 2007).
4.8.4. Le caractère ré-analysable des séquences du documentaire
Pour Sorenson (1979), par le biais de l’enregistrement filmique des phénomènes,
peuvent être traitées les subtilités et les complexités des interactions sociales qui ne pourraient
être réalisés autrement. En outre, peuvent être recueillies des données précieuses qui n’étaient
pas prévues par le chercheur. Mais quelque chose de très important est que cela rend possible
« un réexamen et une vérification des déductions ». Dans le même sens, selon Mead (1979),
ces données visuelles et auditives reproductibles peuvent être re-analysés avec soin « à la
lumière des nouvelles théories ».
4.8.5. Comment le rôle fédérateur de la caméra favorise l’implication des participants
dans les entretiens
Pour Diop (2007), la caméra devient objet rituel qui libère les sujets de leurs
comportements habituels et provoque un certain processus de possession. Cela ne signifie pas
qu’ils vont se montrer tels qu’ils n’en sont pas. En fait, cela les entraîne au contraire dans le
sens de se montrer de la manière la plus authentique. La caméra a un rôle catalyseur pour
accélérer une « transe » qui était latente (Colleyn, 2008). Effectivement, il n’était pas difficile
pour Rouch de parvenir à capter la spontanéité alors qu’il était occupé à filmer directement
sur le terrain sans arrangements particuliers (Gaspar de Alba, 2006). Quelque chose de
similaire se produit avec ce dispositif filmique-socio-clinique, qui sans aucun doute m’a
!133
permis d’arriver là où je n’avais pas pu parvenir avant, lors de discussions préalables avec
mes collègues sans la présence de la caméra. En fait, l’implication des personnes interrogées
est plus authentique en face de la caméra. En outre, l’évidence de mon dispositif filmique
masque mon travail d’observateur et facilite mon implication dans le groupe observé (Lallier,
2009).
Mon travail clinique consiste à maintenir la participation des professionnels interrogés
et observés, tout d’abord pour protéger « l’intensité de la séquence représentée » et par
ailleurs, parce que de cette manière les personnes restent impliqués et se laissent mieux filmer
(Lallier, 2009). Face à la caméra vidéo des questions semblent être plus solennelles, plus
pointues. De fait, la caméra vidéo est une forme qui favorise l’implication des participants et
permet un inventaire de leurs implications dans le processus d’institutionnalisation du
dispositif de qualité en provoquant des transductions dans leurs discours.
La caméra vidéo a également la capacité de faire apparaître des logiques de pouvoir
entre les participants aux entretiens collectifs. Face à la caméra vidéo, ils semblent plus
impliqués dans la tâche de livrer un témoignage qui comporte des dimensions intimes. De
facto tout ce qui précède est rendu possible par le « rôle fédérateur de la caméra » (Lallier,
2009).
De fait, selon Lallier (2009), être filmé favorise l’engagement de l’individu dans son
activité. Toutefois, selon l’auteur, la caméra permet de s’exclure de la situation sociale
observée en même temps que de s’impliquer. En plus d’être l’interviewer je suis alors
l’opérateur d’un objet technique. L’ensemble constitue un dispositif, un réseau socio-
technique. De fait, dans ce dispositif, l’objectif de la caméra pointe l’action observée sur
laquelle vont se concentrer filmant et filmés. Lallier affirme que la personne filmée va
s’impliquer dans l’activité, se retirer du monde et en même temps va justifier la raison pour
laquelle elle est filmée tout en évitant d’être exposée excessivement.
La caméra vidéo fait partie de la mise en scène de la situation filmée et permet au
réalisateur de ne pas être perçu comme un intrus. Au contraire, il est vu comme une personne
engagée et consacrée à la représentation filmée, en valorisant la personne dans son action
(Lallier, 2009). De fait, le succès de la recherche repose également sur ma propre implication
de chercheur dans la situation d’observation, ce qui entraîne encore plus les personnes
interrogées dans la situation filmée.
!134
Effectivement, comme chercheur et réalisateur je suis impliqué dans la situation
observée et, dans le même temps, exposé aux personnes filmées. En fait, je ne peux pas me
réfugier derrière la caméra vidéo et je dois me comporter selon les conventions sociales
jusqu’à être accepté par les participants et que mon comportement devienne naturel (Lallier,
2009). De fait, durant les entretiens, j’en arrive à oublier que je suis également enregistré.
Grâce à cette réciprocité de l’implication, les sujets filmés comprennent que je suis
vraiment intéressé par leurs pratiques, c’est d’ailleurs pourquoi ils m’autorisent à filmer. Je
peux alors abandonner ma position d’observateur-expert pour être en résonance avec la
situation observée (Lallier, 2009). Plutôt que de savoir filmer, il s’agit de « savoir être là » ou
d’« être affecté » (Favret-Saada, 2009). Malgré ma réputation d’être plus mercenaire 25
qu’engagé avec conviction dans la pratique de consultant, mes collègues d’il y a plus de dix
ans semble me voir comme l’un des leurs, voulant sauvegarder la mémoire du processus
d’institutionnalisation du discours de la qualité grâce au dispositif socio-technique de FS.
Mon travail de distanciation n’était cependant pas à réaliser vis-à-vis d’eux mais de moi-
même.
4.8.6. Une observation filmante exige une attitude plus transductive
Essayer de dissimuler notre rôle, poussés par l’illusion d’être objectifs, serait selon
Young (1979), une attitude défaitiste. C’est pourquoi au cours du tournage et du montage je
ne cherche pas à être un observateur invisible, un narrateur neutre (Rouch, 1979). A contrario,
comme l’écrit Colleyn (2008), avec la caméra on doit chercher à modifier, provoquer, créer la
réalité pour que le film soit dans une permanente construction. Mais je suis aussi concerné,
modifié dans cette relation filmant-filmés. À cet égard Colleyn (2004) affirme ce qui suit :
Dès qu’il filme, le cinéaste n’est plus le même, sa personnalité se modifie, il est avec
les autres, mais dans son monde, absorbé, comme dominé par son équipement [...]
Cette position d’auteur, à laquelle il n’a jamais renoncé, il la ressent néanmoins
comme partagée, tant il tenait à la connivence d’une création collective (p. 539).
L’observation filmante transforme le chercheur par une sorte de « ciné-transe ». Selon
Lourau (1997a), le chercheur peut vivre une sorte de « dédoublement de la personnalité ». De
fait, une observation filmante exige une attitude plus transductive de la part du chercheur.
J’étais devenu consultant uniquement car je n’avais pas obtenu d’emploi plus satisfaisant. 25
!135
Pour Lourau (1997a), la « perte de repères » peut être souhaitable dans la recherche en
analyse institutionnelle. Selon lui, une attitude transductive ouvre à un autre champ de
cohérence, une « grande ouverture d’esprit en même temps qu’une rigueur de tous les instants
quant aux possibilités de relocaliser les éléments de la situation planant dans le flou du
global » (p. 62). Selon l’auteur, l’implication peut être considérée comme instrument de
production de connaissance.
Le dispositif socio-technique formé par moi-même, ma caméra vidéo et les
participants, favorise la production de subjectivité par les participants.
4.8.7. Les objets techniques de mon dispositif d’observation filmant
J’utilise généralement la caméra à l’épaule dans mes documentaires ce qui me 26
permet des mouvements entre les prises et en général je fais de grands plans-séquences à pied,
avec la caméra vivante. Selon Rouch (1979) la caméra en main (ou à l’épaule) permet de
s’adapter à l’action en fonction de l’espace et de pénétrer dans la réalité du terrain, parce que
dans un documentaire il n’y a pas de mise en scène forcée par l’observateur. Cet
accompagnement est comme une espèce de danse, de gymnastique, que nous faisons pour
accompagner l’action des filmés et également une espèce de transformation, de possession,
que Rouch (1979) appelait « ciné-transe ».
Pour travailler avec une plus grande liberté de mouvement, j’utilise pour ma caméra
reflex DSLR, un objectif grand angle de 16mm ou un objectif de 35mm lorsque les personnes
ne se déplacent pas. Toutefois dans ce cas, j’ai utilisé un trépied au cours des entretiens, parce
que je dois réviser ma grille d’entretien et que je ne peux pas soutenir la caméra et revoir mes
écrits à la fois. Dans les entretiens individuels, j’ai utilisé des objectifs fixes de 35mm et de
85mm pour leur luminosité. Toutefois au cours des entretiens collectifs, j’ai utilisé un objectif
de distance focale variable (zoom), mais pas pour créer un effet optique de travelling.
Ce matériel est juste ce dont j’ai besoin. De fait, selon Lallier (2009), l’équipe
technique doit être fonctionnelle, ce qui est nécessaire à l’enquête. Selon lui, la caméra doit
être désacralisée, autrement dit, l’observateur-filmant doit prendre ses distances avec les
conditions techniques et intellectuelles de son observation pour rester lui-même et avec les
Il s’agit d’un stabilisateur pour s’assurer que les prises soient stables et pour éliminer une grande 26
partie de la charge de la caméra et aussi un viseur (viewfinder) loupe qui multiplie par trois l’image de l’écran de la caméra ce qui me permet de bien faire le focus.
!136
participants impliqués dans l’action. Cela est vrai, car trop matériel nécessiterait plus
d’attention de ma part et l’implication des participants dépend de ma propre implication dans
la situation filmée.
Par mesure de sécurité, j’ai aussi enregistré les entretiens sur mon ordinateur portable,
dans le cas où il y aurait un problème avec la caméra. Les objets techniques que j’utilise,
plutôt que me distancier des consultants, m’intègrent à la situation observée. Ils participent de
ma représentation sociale en tant que chercheur et rendent plus crédible et authentique le
rapport filmant-filmés.
4.8.8. Le montage du documentaire
Le montage est une opération d’écriture pour façonner un discours documentaire.
Certes, le réalisateur et le monteur effectuent un travail similaire à celui de l’écrivain
(Colleyn, 1999). Pour Colleyn (1999), la règle d’or de l’esthétique du montage est toujours de
nature économique, c’est-à-dire de faire plus avec moins. Selon l’auteur, il s’agit de couper et
coller pour tenter de parvenir à un plus grand degré de vérité ou d’intelligibilité avec moins de
plans, en éliminant les redondances, les ambiguïtés et les centres d’intérêts contradictoires qui
entravent leur narrativité. En anglais, nous utilisons l’expression cutting parce qu’il s’agit
d’un processus soustractif. De fait, si une attitude subjective est idéale pendant le tournage,
dans le montage il s’agit de concilier cette subjectivité avec des critères plus objectifs (Rouch,
1979).
Comme le disait Vertov, selon Brigard (1979), le montage est effectué pendant toutes
les étapes de la production d’un documentaire. Choisir un thème parmi les milliers de sujets
possibles fait déjà partie du montage, également durant et après le repérage, pendant et après
le tournage et durant les différentes étapes du montage jusqu’à sa version définitive.
Véritablement, le montage d’un documentaire est en cours depuis la pré-production. Le
montage préliminaire en plaçant tous les entretiens sur la ligne du temps de l’éditeur vidéo,
m’a permis de taper des commentaires sur la façon dont les participants utilisaient les objets
techniques de leur boîte à outils, leurs implications dans le dispositif et dans le processus
d’institutionnalisation du pilotage par la qualité.
Pour Rouch (1979) il ne doit pas y avoir un scénario qui fixe à l’avance un ordre de
séquences et de plans. Au contraire, chaque plan est déterminé par le plan précédent et
!137
conditionne le plan suivant. En fait, Rouch (1998) n’a jamais écrit un scénario. Certes, dans le
cinéma direct et participatif, rien ne devrait être décidé au préalable. Dans ce cas le scénario
se construit après la dernière version du montage.
Enfin, dans le cas de ma recherche, le montage repose sur une variété de situations
vécues par les participants au cours de l’institutionnalisation du dispositif de pilotage par la
qualité au Chili.
De manière à constituer un inventaire des situations dans lesquelles les consultants ont
été impliqués, je m’appuie sur les « cassures » qui se produisent dans leurs discours. J’y vois
des transductions qui sont des effets de mon dispositif vidéo-socio-clinique.
Le fait de revoir les entretiens m’a permis une plus grande immersion dans le champ
de cohérence des participants. Certes, l’analyse finale a été réalisée avec les entretiens
transcrits, mais en général, les marques à titre préliminaire que j’avais déjà inscrites dans la
ligne de temps de l’éditeur vidéo, correspondaient dans une large mesure à des citations que
j’ai finalement présentées dans le mémoire de thèse. Il s’agit d’un avantage mutuel. La thèse a
bénéficié du dispositif vidéo-socio-clinique et du montage préliminaire. Par ailleurs, la valeur
du documentaire est donnée par l’articulation avec la thèse.
4.8.9. L’utilisation de la voix off dans le montage
Dès que j’ai commencé la première version du montage, j’ai utilisé ma voix off pour
renforcer le caractère expérimental du documentaire, pour présenter les participants, la
problématique, les questions de recherche, les commentaires des citations des participants, les
résultats et les conclusions. La voix off produit une espèce de « fabulation » qui ajoute un
effet de fiction, ce qui est positif pour la production de cette version expérimentale et pour
l’aspect cinématographique. Dans la mesure où je pourrai ajouter de nouveaux commentaires
et des dialogues avec les participants et d’autres acteurs face à la caméra dans la version finale
du documentaire, ma voix off va perdre son caractère omniscient (Despoix, 2004, cité dans
Diop, 2007). Cette recherche d’une plus grande contextualisation rend possible une plus
grande réflexivité. Il est vrai, en outre, que l’absence de commentaires rendrait
incompréhensible le récit. Enfin, le fait d’utiliser différentes voix, celle du réalisateur, du
collaborateur, des autres participants, du directeur de thèse, et de « spectateurs-questionneurs
!138
de l’altérité que nous sommes » (Piault, 2004) vont permettre de donner une plus grande
épaisseur au film.
De fait, le documentaire ne serait pas intéressant sans ma voix off en relatant les
résultats fondés sur des analyses liées aux trois questions de recherche, sans la lecture
d’extraits de mon journal, sans les conclusions, sans les considérations finales et sans le
contexte historique dans lequel émerge le dispositif que j’ai élaboré dans le mémoire.
4.8.10. Les deux versions du montage
Je suis le monteur du documentaire. Je ne pourrais pas laisser ce travail à une autre
personne. Jusqu’à présent, je travaille sur deux premières versions du documentaire. J’ai eu
une version longue du documentaire qu’il est pratiquement impossible d’exporter en un seul
fichier de mon logiciel d’édition, parce qu’il s’agit de plus de 12 heures d’enregistrement, une
sorte de film brut pour sauvegarder le travail des consultants et leurs objets techniques dans le
processus d’institutionnalisation du pilotage par la qualité de notre système scolaire. Il s’agit
d’un montage dans l’ordre du tournage. Mais parallèlement, je produis une version utilisable
dans les futurs entretiens et des projections où les plans sont organisés sous forme logique,
thématique et argumentative (Gerstenkorn, 2001).
Avec ce montage, je tente de fabriquer un objet technique qui puisse être utilisé de
façon expérimentale et aussi pour faire la restitution aux participants et aussi à d’autres
collègues consultants qui ne sont plus dans le réseau et qui ne sont pas présents dans l’étude.
L’objectif est de les provoquer, pour faire émerger de nouveaux commentaires qui pourraient
être intégrés ensuite à la version définitive. Il n’a pas été facile de produire cette version de
plus de deux heures et il est un peu dommage parfois de couper un plan qui aurait été trop
long. Comme le dit MacDougall (1992), c’est un peu comme une mutilation car un plan long
contient des ambiguïtés et des centres d’intérêt pouvant être contradictoires et qui peuvent
donc être très riches. Il est donc préjudiciable de réduire un montage pour ce qui semble utile.
En fait, il faut éviter de couper même ce qui n’est pas propre, comme les interactions
préalables ou lorsque l’entretien est terminé. À cette version je vais ajouter mes
commentaires, ceux de mon collaborateur et ceux de mon directeur de thèse. Cette version a
un style narratif semblable à un mémoire de thèse. La deuxième version définitive
cinématographique devrait avoir une extension de plus de trois heures. Pour effectuer cette
!139
dernière étape, j’ai besoin d’un an de travail supplémentaire et d’un séjour de deux mois au
moins dans mon pays. La projection du documentaire après la soutenance face à ces « autres
jurés » pourraient fournir de nouveaux éléments et me permettre de parvenir à un
documentaire de plus grande valeur scientifique. Je dois avouer que, dans le cas des
participants de cette thèse, j’ai peur de leurs réactions négatives. À l’exception de mon
collaborateur, ils ont certainement pensé que je ne faisais que réaliser une enquête pour
décrire la manière dont ils utilisaient les objets techniques. L’analyse développée étant plus
large, ils pourraient se sentir trahis. Je ne peux cependant pas me passer de cette dimension
réflexive (Gerstenkorn, 2001). La recherche d’une plus grande participation n’est pas, ou pas
seulement recherchée par idéalisme, elle vise à ajouter des dimensions auxquelles nous
n’aurions pas pensé, à clarifier certains points, pour tenir compte de la manière dont les sujets
filmés perçoivent le monde (MacDougall, 1979). Ceci pourra contredire nos commentaires,
nos conclusions. Comme le disait Rouch (1979), c’est aussi un impératif moral et scientifique.
Cette possibilité de contre-don (Mauss, 1923), que donne le cinéma documentaire, est un
aboutissement logique et rigoureux de la dynamique du projet.
Le tableau suivant montre l’évolution des versions successives du montage et la
manière dont je vais les utiliser dans la restitution des résultats aux participants et aux autres
consultants non actifs actuellement dans le réseau. Tout ceci après la soutenance, afin
d’inclure ces commentaires dans une version définitive.
Version brute du documentaire Première version pour projection expérimentale et de restitution
Deuxième version définitive
Cette version de montage du documentaire a une durée de plus de 12 heures et il est pratiquement impossible de l’exporter dans un seul fichier à partir du logiciel d’édition.
Cette version d’un montage du documentaire sera de plus de 2 heures.
Cette deuxième version d’un montage du documentaire sera de plus de 3 heures.
!140
Il s’agit d’un montage dans l’ordre du tournage, en évitant la soustraction et en ajoutant dans chacune d’elles mes commentaires, ceux de mon informateur privilégié et ceux de mon directeur de thèse.
Dans ce montage est utilisé le critère d’économie de plans et le matériel s’organise de façon logique, thématique et argumentative. Seront ajoutés les commentaires du chercheur, ceux de mon collaborateur et ceux de mon directeur de thèse. Il a une structure similaire au mémoire de thèse.
Dans ce montage est également utilisé le critère d’économie de plans et le matériel s’organise de façon logique, thématique et argumentative. S’y ajoutent aussi d’autres commentaires du chercheur, ceux de mon collaborateur, ceux de mon directeur de thèse et de tous ceux qui vont participer aux projections futures après la thèse.
C’est une espèce de film brut pour préserver intégralement le matériel à utiliser dans les futures enquêtes et le partager avec d’autres chercheurs.
Ce montage a pour but d’être un objet technique capable d’inciter les spectateurs à apporter de nouveaux commentaires qui peuvent être enregistrés et intégrés au Master du documentaire et au version définitive du film.
Ce montage a un but scientifique, non commercial, qui consiste à rendre compte du travail des consultants et de leurs objets techniques qui ont participé au processus d’institutionnalisation du pilotage par la qualité de notre système scolaire.
Il va être utilisée comme Master du documentaire, parce qu’il peut être nécessaire à la lumière de nouveaux commentaires d’utiliser des fragments pour clarifier et ajouter aux versions expérimentale et définitive.
Il est prévu de projeter aux participants de cette recherche et à d’autres collègues consultants qui ne sont pas maintenant sur le réseau et à d’autres types d’acteurs qui ne sont pas considérés dans la recherche.
Cette version définitive peut être soumise à d’autres chercheurs et grand public comme une production cinématographique.
Cette version du montage est déjà terminée.
Cette version du montage va être achevée peu avant la soutenance.
Achever cette troisième version exige au moins un an de plus de travail et un séjour d’au moins deux mois dans mon pays.
Cette version ne comprend pas de narration avec ma voix off.
Cette version contient une narration avec ma voix off qui renforce le caractère expérimental du documentaire, que j’utilise pour présenter aux participants, la problématique, les questions de recherche, les commentaires des citations des participants, les résultats et les conclusions.
Cette version contient également une version finale d’une narration avec ma voix sur off.
Aucun scénario ne sera écrit. Aucun scénario ne sera écrit. Le scénario est écrit après le montage final, car il s’agit d’un film expérimental où le scénario se réalise conjointement avec les citations des participants, du chercheur, du collaborateur, du directeur de thèse et des nouveaux spectateurs.
Il n’y a pas prologue ni épilogue. Il y a prologue avec voix off. Il y a prologue et épilogue avec voix off.
Version brute du documentaire Première version pour projection expérimentale et de restitution
Deuxième version définitive
!141
Figure 2 : Tableau récapitulatif des versions du montage.
4.9. Les outils méthodologiques de l’analyse institutionnelle utilisés pour élargir
les champs d’observation et d’analyse
Les pratiques de ces consultants en qualité, autrement dit, les stratégies utilisées pour
multiplier les moments de traduction du pilotage par la qualité dans les établissements qu’ils
accompagnent, sont chargées de représentations instituées. Il est donc « naturel » qu’ils
n’aient pas analysé les éléments institutionnels présents dans leurs pratiques. Pour cette
raison, il a été nécessaire d’élargir le champ d’observation et d’analyse des pratiques des
consultants afin de découvrir leurs implications, c’est-à-dire leurs rapports à l’institution. Pour
cela, j’ai mobilisé des outils méthodologiques de l’analyse institutionnelle.
Je dois encore préciser que mon dispositif n’a pas pris en compte, dans les mêmes
proportions, les implications libidinales, organisationnelles et idéologiques des consultants.
Certes, comme l’affirme Monceau (2012b) « les dispositifs mobilisés peuvent donc mettre
l’accent sur telle ou telle dimension des implications mais en situant celles-ci dans leurs
contextes institutionnels donc politiques » (p. 7).
Enfin Monceau (2017) écrit que les chercheurs se référant à l’analyse institutionnelle
rompent avec la tradition de neutralité et de distance parce que « les démarches socio-
cliniques assument l’implication et la proximité des chercheurs sur les terrains où ils
effectuent leurs travaux » (p. 15).
4.9.1. Entretien de restitution et élaboration des résultats
J’ai pu restituer mes analyses lors d’un deuxième entretien réalisé avec l’un des
consultants, mon informateur privilégié Carlos. Avec lui, j’ai pu décrire et analyser les
conditions de ma recherche. Ceci m’a permis de tester mes interprétations et d’affiner mes
analyses sans les enfermer. Cet entretien a également été filmé.
L’intérêt de la pratique de la restitution aux participants, selon Monceau (2009a), est
qu’elle donne la possibilité d’approfondir et de remettre en question les interprétations que le
chercheur a produites et permet de réorienter le dispositif de recherche. En échange de cette
restitution, Carlos a partagé avec moi ses propres expériences et analyses. Ce dispositif
méthodologique m’a permis de mieux comprendre la manière dont mon collaborateur exerçait
!142
sa logique institutionnelle. Ce temps a aussi été l’occasion de mieux comprendre les effets des
dispositifs méthodologiques utilisés sur les subjectivités des participants. J’espère que cette
profondeur de champ sera perceptible dans le produit écrit. Enfin, ce dernier entretien a aussi
eu des effets analyseurs de ma propre démarche.
4.9.2. Utilisation des analyseurs dans les entretiens
D’après Monceau (2008), pour analyser les institutions, il est nécessaire de provoquer
une perturbation dans les rapports entre les sujets et l’institution, c’est-à-dire leur implication.
C’est ainsi que les conflits de perception, d’interprétation et de positionnement entre les sujets
participants à l’analyse collective ne doivent pas être évités mais qu’au contraire, ils doivent
être travaillés. C’est grâce à ce travail des analyseurs qu’il est possible d’introduire ou plutôt
de laisser s’exprimer les dilemmes qui mettent en tension les professionnels (Monceau,
2009a) et d’avoir ainsi accès aux enjeux qui ne s’expriment pas en temps normal. L’analyseur,
selon l’auteur, est capable d’activer ou de cristalliser des contradictions institutionnelles dans
une situation donnée.
L’attention portée aux analyseurs, permet de révéler la transversalité dans un groupe
qui semblait homogène. C’est un dispositif qui peut être vu comme « subversif » (Monceau,
2003b) parce qu’il dérange les modes de penser ordinaire. Le principal effet d’un analyseur
est de faire parler l’institué, d’ouvrir la voie à la manifestation de forces instituantes qui
étaient cachées (Romagnoli, 2012). Les analyseurs peuvent provoquer la ré-
institutionnalisation mais également l’auto-dissolution des institutions (Lourau, 1978), ces
deux processus étant dialectiquement liés selon la théorie de l’analyse institutionnelle. Dès les
premiers contacts avec les sujets de la recherche, cela peut déclencher certaines résistances
dans le travail collectif au sein du groupe de partenaires. Cette résistance va se décliner, selon
Monceau (2009c), dans trois moments, offensive, défensive et intégrative. D’après l’auteur,
ces résistances ne doivent pas être comprises comme irrationnelles, mais comme des
analyseurs, qui permettent de comprendre quelque chose au sujet de ce que fait la dynamique
du groupe.
Les analyseurs naturels que nous utilisons dans les entretiens collectifs sont ceux que
le mouvement des étudiants a mis en avant pour tenter de dissoudre l’institution du marché en
éducation. Par exemple, la gratuité (ou droit universel à l’éducation), le profit des
!143
propriétaires des établissements, la sélection des élèves et la ségrégation dans le système
éducatif.
Les mots qui apparaissent dans les interactions avec les participants ou partenaires,
peuvent également devenir des analyseurs en ce qu’elles « conduisaient chaque participant à
se situer par rapport à elles : en les relativisant, en les contestant ou encore en s’en saisissant
pour soutenir ses propres réflexions » (Valentim & Monceau, 2011, p. 7). Ceux qui ont surgi
dès le premier entretien sont le SIMCE et l’ACE récemment créée. J’ai commencé à utiliser
des analyseurs dans les entretiens suivants.
Les raisons, pour lesquelles, selon Nascimento (2017), Lourau recommande
l’utilisation d’analyseurs dans un dispositif d’analyse collective sont les suivantes :
Il s’agit de mettre en place un dispositif d’analyse collective, suscitant le mouvement
et permettant d’échapper à l’anesthésie et au naturel [...] La puissance des analyseurs
permet de déstabiliser, de déshabituer, de dynamiser la pensée en lien avec certains
sujets qui, souvent, ne font même pas l’objet d’une thématisation et favorisent la pure
répétition, la pure reproduction, sans aucun questionnement des pratiques. De telles
questions sont fréquemment considérées comme des vérités absolues, statiques,
fermées, qui ne sauraient, apparemment, être vues ou traitées d’une manière
différente. L’analyseur jouerait ainsi un rôle de déclencheur, suscitant la remise en
question des vérités instituées et des croyances figées. Peuvent aussi bien servir
d’analyseurs un épisode survenu, une erreur commise, bref, tout ce qui perturbe,
dérange, tout ce qui d’une certaine manière fait signe vers les jeux de force qui
structurent l’institution en question et permet une certaine prise de distance à son
égard (p. 85).
Enfin pour Nascimento et Scheinvar (2009), produire des analyseurs permet de
construire des espaces collectifs, où le chercheur en analyse institutionnelle peut faciliter les
conflits, produire la crise, travailler avec la différence, analyser les mouvements, les savoirs
cristallisés, les vérités indiscutables, mettre en évidence les processus d’individualisation
d’une profession et de ses pratiques surimpliquées. De fait l’intervention, selon les auteurs,
repose sur l’idée de l’existence d’une multiplicité de manière de vivre, c’est pourquoi il faut
construire des dispositifs provocateurs d’analyses, de ruptures pouvant faire émerger de
nouvelles significations, en dénaturalisant les institutions présentes.
!144
4.9.3. Travail de la commande et des demandes
Selon Monceau (2003b), la commande et les demandes ne sont jamais immédiatement
lisibles, parce que leurs motifs réels ne sont pas nécessairement ceux qui s’expriment et sont
souvent inconscients. Bien que je n’aie pas effectué un travail d’analyse collective de la
commande et des demandes, je me suis efforcé de le faire de manière individuelle lors de
l’écriture de mon journal et lors du deuxième entretien de restitution avec mon collaborateur
privilégié. Dans le journal j’ai essayé de répondre à la question de mes implications dans
l’objet, ceci pour identifier les contradictions et le négatif, de manière à fortifier ma recherche.
La commande a surgi lorsque mon directeur a accepté de diriger cette thèse. Cette commande
a été de mener à bien cette enquête sur les éléments institutionnels impliqués dans le
processus de certification de la qualité. Certaines demandes ont surgi dans ces premières
rencontres entre étudiant et professeur. La première a évidemment été de m’approprier le
concept d’implication et d’autres concepts de l’analyse institutionnelle et de me familiariser
avec l’usage des dispositifs méthodologiques. L’autre demande a été de me concentrer sur la
manière dont ces consultants utilisaient des objets techniques, ceux dont ils disposaient en tant
que consultants et qu’ils faisaient circuler pour traduire leur discours de la qualité. Enfin
« aucune université ou centre d’études de mon pays a participé à cette enquête. Je n’ai aucune
relation de boursier avec mon pays. Je n’ai pas demandé d’aide à l’État français » (Journal du
chercheur, le 3 décembre 2012). Cette indépendance était importante pour moi.
4.9.4. Les interférences entre le champ d’intervention et le champ d’analyse
Il n’est pas surprenant que cette enquête ait été menée dans une interférence
institutionnelle (Monceau, 2005). De fait, des interférences entre le champ d’intervention et le
champ d’analyse sont toujours inévitables. Les limites entre le champ qui concerne
directement ou indirectement la commande, que nous appelons en socianalyse le champ
d’intervention (Lourau, 1997a), et le reste de l’espace-temps, qui est métastable, que nous
appelons le champ d’analyse. L’existence d’un champ d’analyse et d’un champ
d’intervention, d’après l’auteur, correspond à une « délocalisation ». En effet, dans l’analyse
du dispositif matériel apparaît un nouveau champ de cohérence. Toutefois à mesure que nous
avançons dans l’analyse, cette « délocalisation » initiale laisse « des traces » dans le nouvel
!145
« ensemble de repères » que nous avons créé. Enfin, ce nouveau champ de cohérence devient
un « nouveau repérage pour les clients » (p. 10).
4.9.5. Analyse des effets de transformation du dispositif de recherche
Nous devons être conscients, selon Lapassade et al. (1973), que lors de chaque
intervention, nous pouvons introduire des variables nouvelles qui bouleversent nos méthodes
et techniques. Nous devons tenir compte des effets perturbateurs sur le plan symbolique. Ma
seule présence pourrait mettre en évidence quelque structure cachée ou tacite de
l’organisation (Lourau, 1970). Je reconnais que mon dispositif de recherche a transformé
probablement les faits que j’ai étudiés, ce qui n’est pas étrange car ils sont constamment en
cours d’élaboration. Cela est compatible avec le point de vue de l’analyse institutionnelle
selon laquelle toute pratique de recherche, y compris une observation comme l’affirme
Monceau (2003b), doit être considérée comme une intervention, parce qu’il est naturel que le
chercheur introduise sur son terrain de recherche de nouvelles idées et questions, des
références théoriques, des interprétations. De fait, le même sujet de la recherche et le
dispositif de recherche provoque une reformulation du « sens qu’ils donnent à leurs
actions » (Monceau, 2011a, p. 18). Le même Monceau soutient que :
Les chercheurs ne sont évidemment pas sans contaminer les entités sociales avec
lesquelles ils travaillent en y introduisant des idées et des questions nouvelles
(Monceau, 2006, p. 55).
Le chercheur a ainsi accès non pas à une opinion constituée mais à une élaboration en
cours. Le dispositif de recherche transforme (et donc contribue à produire) les faits
qu’il étudie (Monceau, 2011a, p. 18).
Pour cette raison il était raisonnable que je me demande quels ont été ces effets
transformateurs du dispositif de recherche (Monceau, 2013) et que « l’analyse de leurs effets
méthodologiques, épistémologiques, éthiques et politiques ouvre nécessairement à
l’interrogation critique de la recherche contemporaine en sciences sociales » (Monceau, 2017,
p. 15). De facto, l’auteur soutient que l’objectif scientifique principal est « d’analyser la
manière dont les pratiques de recherche transforment les situations étudiées, les contributions
explicitent d’une part l’effet d’intervention résultant du travail d’enquête et d’autre part le
type de connaissances produites par ce type de recherche » (p. 15).
!146
4.9.6. « Gestion » de la transversalité
L’opération de transversalisation, d’après Nascimento (2017), permet des croisements
des regards :
L’idée de transversalité tend à faire apparaître les intersections d’une multiplicité de
réseaux de savoir, qui produisent des différenciations, une dissolution des frontières,
et divers modes d’existence [...] par ce biais il devient possible de produire des
croisements sociaux, politiques, économiques, culturels et désirants qui marquent le
monde et la vie dans toute sa puissance, et génèrent des sens transversaux (p. 86).
J’ai pu constater deux types de relations très différents en termes de transversalité,
avec deux genres de groupes. Celles que j’ai eu avec les participants informateurs et celle que
j’ai eu avec mon seul collaborateur. Selon Guattari (1972), lorsque la participation et la
communication des individus est optimale entre les différents niveaux et dans différents sens,
nous avons un niveau élevé de transversalité. La consolidation d’un niveau de transversalité
dans une institution permet la libre expression, selon l’auteur, jusqu’à atteindre un mode
d’expression collective. Ce niveau de transversalité n’a été réalisé qu’avec Carlos. Au
contraire, la subjectivité des autres consultants est restée un peu aliénée, perdue dans l’altérité
sociale, avec un faible niveau de transversalité. Le groupe constitué seulement par moi, le
chercheur, et mon seul collaborateur, a été vraiment un groupe sujet réunissant des conditions
favorables à l’analyse, par exemple, de mes implications. Dans ce groupe sujet, les relations
ont été plus authentiques.
Les entretiens individuels et collectifs ont fourni une occasion pour augmenter le
faible coefficient de transversalité dans le groupe de consultants participants à la recherche.
Ceci a favorisé leur mise en réflexivité et enrichi l’interprétation qu’ils font de leurs pratiques
et des mouvements institutionnels de FS pour institutionnaliser le pilotage de la qualité dans
notre système éducatif.
Les effets des interférences du dispositif et des nouvelles forces instituantes ont sans
doute contribué de façon positive au coefficient de transversalité, car, en augmentant leur
autonomie intellectuelle par rapport au groupe dominant de FS, ils ont pu mettre en question
le dispositif du pilotage par la qualité. Si le groupe de consultants a alors un peu échappé à
une certaine « aliénation » de la pensée résultant de ses implications dans le dispositif de la
!147
qualité, c’est par l’instauration d’un dialogue entre eux via la réflexion collective produite par
le dispositif de recherche. Comme le disait Guattari (1972), le délire et d’autres manifestations
inconscientes du groupe de dominés, peut atteindre un mode d’expression collective quand on
installe, même temporairement, une structure de transversalité. Toutefois, il est très probable
que le coefficient de transversalité après les entretiens ait diminué à nouveau. De toute
évidence, les relations entre chercheur et praticiens, du fait que nous avons été collègues par
le passé, ont facilité les échanges. Ceci d’autant plus que ces entretiens collectifs se sont
déroulés en l’absence du groupe dominant.
4.10. Le journal du chercheur et l’analyse de mes implications en tant que
praticien-chercheur
Je me suis proposé d’identifier de manière progressive mes propres implications
(Hess, 1975) et contradictions. En effet, l’écriture et l’analyse de mon journal, m’ont aidé à
découvrir quelques motivations conscientes et semi-conscientes. D’après Devereux (1980), le
contre-transfert, au lieu de transfert, est l’élément le plus crucial en sciences du
comportement. Il s’agit, d’après Lourau (1994a), d’étudier le négatif dans les actes de
recherche, comme manière de relativiser les résultats. Pour l’auteur, alors, il n’est pas
rationnel « d’accumuler les actes manqués en remplaçant cette psychanalyse des concepts,
comme dirait Bachelard, par la poudre aux yeux d’une rhétorique scientiste et une virtuosité
syntaxique » (p. 43). Popper (1979) écrit que le fait de séparer le contexte de découverte de la
justification n’est pas précisément scientifique, parce que toujours « il y a imbrication,
implication, entre ce qui se passe lors du processus de la recherche et ce qui se passe dans la
mise en forme des résultats » (Lourau, 1994a, p. 16).
Pour construire la théorie, selon Lourau (1994a), on doit prendre en compte le travail
du négatif. Selon l’auteur, toutes les pratiques du chercheur constituent l’acte de recherche :
Le dispositif est un tout indissociable (comprenant aussi, on l’oublie trop, les
intentions et intérêts conscients et inconscients de l’observateur). Le dissocier, par
exemple en faisant abstraction de l’observateur, comme le dit Niels Bohr, est par
excellence un acte manqué. De même, les circonstances de la découverte et le
processus d’échange informel sont tous deux cruciaux pour le procès de production ;
ils sont ce qui permet à la science d’exister, souligne Bruno Latour (p. 9-10).
!148
Lourau (1978) affirme qu’être impliqué consiste à admettre que je suis objectivé par
les phénomènes, événements, groupes ou idées que je prétends objectiver. Selon l’auteur
l’implication fait référence à une réciprocité entre le chercheur et son objet. Pour cette raison,
la principale action de recherche sera toujours d’interroger mon propre domaine de recherche,
comme le suggère Lourau (1997a), pour discerner comment j’étais impliqué et comment j’ai
pu « contaminer » ces entités sociales avec lesquels j’ai travaillé. De cette façon, écrit Lourau
(1994a), émerge « une nouvelle éthique du chercheur » (p.80). L’analyse de l’implication a un
caractère coercitif, étant donné la place que le chercheur occupe dans la division du travail,
qui lui permet de légitimer, de façon plus ou moins consciente, son dispositif et les résultats
de la recherche (Lourau, 1978).
La manière dont je traite mes données et toutes mes interactions sur le terrain, soutient
Lourau (1994a), est déterminée idéologiquement et saturée de subjectivité. L’auteur écrit que
« le sentiment, la sensation et l’émotion doivent eux-mêmes être identifiés et décrits en
fonction de la présence immédiate d’une situation qualitative totale » (p. 38). L’auteur écrit
alors que s’il y a une interférence permanente entre champs, il est déraisonnable de vouloir
isoler ces champs. Lourau (1978) affirme que cette implication est présente dans le choix de
mon objet de recherche, même si celui-ci peut se trouver loin de mon projet politique, de mon
idéologie et de ma pratique comme chercheur.
De plus, l’écriture ne peut, selon Lourau (1994b), « échapper au système de référence
institutionnel » (p. 157) ou au « contexte spatio-temporel, social-historique » (p. 163). À ce
phénomène, qu’il a qualifié d’« effet Goody », correspond une sorte de « domestication de la
pensée sauvage » (p. 163). C’est que ce champ où nous intervenons, où a été institué la
situation de recherche ou d’intervention, « est peuplé de singuliers, de logiciens imbus de
leurs intérêts personnels, d’enjeux beaucoup plus locaux, beaucoup moins globaux. Il y a du
discontinu qui s’introduit dans le continuum de l’enquête » (Lourau, 1994a, p. 36).
Toutefois la reconnaissance de cette implication n’en neutralise pas totalement
l’impact sur la collecte et l’analyse des données (Barus-Michel, 1987), car la solution pour
gérer cette angoisse épistémologique, n’est pas de nous débarrasser de nos idéologies, mais
d’essayer de les analyser collectivement. Hess (1975) affirme que reconnaître les implications
est la plus grande partie du travail socianalytique, et que les résistances à cette analyse sont
!149
l’essence du champ d’analyse. Le véritable travail scientifique devrait être là (Monceau,
2008).
Pour Lourau (1997a), les institutions sont avec nous partout, car nous les transportons
dans notre subjectivité, il est difficile d’en réprimer les effets qui peuvent survenir à tout
moment sur le terrain en ajoutant des interférences dans le champ d’observation, en
introduisant de nouvelles idées et questions, en contaminant les entités sociales avec
lesquelles nous travaillons. Par conséquent, l’analyse de l’implication du chercheur, de
l’interférence entre le champ d’observation et le domaine de recherche, ne constitue pas un
privilège, c’est une opération très contraignante dans mon rôle en tant que chercheur. Cette
analyse de mes propres implications a comme objectif de spécifier les conditions et
procédures de production de mes conclusions (Kohn & Nègre, 2003). Une double analyse du
transfert et contre-transfert institutionnel tentera d’objectiver ou réduire au maximum l’effet
de ma subjectivité (Monceau, 2012a). L’analyse de nos propres implications, a contrario, est
contraire à l’idée de la neutralité du chercheur, héritage positiviste du paradigme moderne
(Romagnoli, 2012).
Sur le lien entre implication et transduction, Lourau (1997a) affirme que l’analyse des
implications, « dans la situation de recherche instituée comme telle est analyse transductive,
ce qui n’annule pas l’existence du C. de C. habituel et les opérations d’induction et de
déduction, par exemple lorsqu’il s’agit de saisir concrètement la base matérielle, les
ressources, le financement, les modes de paiement, etc. » (p. 60).
Mes implications comme chercheur doivent être considérées dans l’analyse, non
seulement pour être contrôlées, mais pour éclairer le chemin dans cette enquête. Le fait de
considérer mes propres implications m’a permis d’accroître le coefficient de transversalité
dans le dispositif de recherche. Il est nécessaire de s’interroger sur les relations idéologiques
par rapport à nos laboratoires, les manières dont nous traitons les données issues du terrain,
les interactions avec les participants ou collaborateurs (Lourau, 1994a).
L’analyse de mes implications est une tâche que j’ai essayé de réaliser dans l’écriture
de tous les chapitres de ma thèse. Par exemple, en introduisant des extraits de mon journal de
recherche, lorsque cela permet de clarifier un point, ou simplement pour laisser apparaître,
intentionnellement, une ellipse dans le texte. Cette attention portée à l’analyse de nos
implications, selon Lourau (1994a), est partie intégrante de l’acte de recherche. Comme le
!150
soutient Monceau (2010), c’est à travers l’analyse de leurs implications dans l’institution
scientifique, que les chercheurs peuvent trouver une ligne de fuite pour échapper à la pensée
instituée. Toutefois comme affirme également Monceau (2012a), il n’est pas possible de
mener cette analyse en totalité, elle échappe toujours en partie et de nombreux effets de la
recherche restent invisibles.
Mes implications primaires en tant que praticien-chercheur, correspondent aux enjeux
locaux sur le terrain où je me suis installé avec mon dispositif de recherche (Monceau, 2005),
aux relations avec mes anciens collègues consultants de la Fondation Schiller. Ces
implications, j’ai essayé de les capturer dans mon journal de la recherche.
En revanche, mes implications secondaires font référence, selon Monceau (2005), aux
relations que j’entretiens, comme chercheur, avec mon laboratoire et avec les autres
institutions scientifiques auxquelles je participe, comme par exemple le réseau Recherche
Avec. Aussi, cela concerne les relations avec mon cadre théorique, épistémologique et
méthodologique et par conséquent avec les questions que j’ai importées sur le terrain
(Monceau, 2009a). Selon Lourau (1994a), nous devons être autoréflexifs et dévoiler nos
appartenances et références théoriques, notamment les implications plus larges dans les
institutions avec lesquelles nous sommes liés en tant que chercheurs (Monceau, 2010), à
savoir les implications sociales, historiques, épistémologiques, dans l’écriture ou à l’aide de
tout autre moyen utilisé pour la présentation de la recherche (Lourau, 1988 ; Monceau, 2010).
Au cours de la recherche, j’ai découvert que ma principale implication secondaire est
épistémologique et qu’elle était encore plus forte à la fin de cette enquête. Le fait d’être aussi
impliqué dans mon paradigme, dans mes méthodes et dans mes lectures a été une constante,
sans aucun doute, dans toutes les étapes de la recherche. Ces éléments institutionnels qui sont
absolument inconnus du groupe de consultants, ont influé sur l’écriture de ma thèse
(Monceau, 2008).
Deux des sept participants, que je connaissais déjà, ont pu certainement deviner que
j’allais essayer de me glisser fortement dans cette recherche par mon désir de naviguer sur
« les flux décodés » comme affirment Deleuze et Guattari (1972). Si l’on reprend la
théorisation de Ramond, on pourrait peut-être me situer au pôle schizophrénique-
révolutionnaire alors que le staff de FS se situe au pôle opposé, le paranoïaque-réactionnaire
(Ramond, 2010). Toutefois, selon les auteurs, un capitaliste comme un schizophrène sont du
!151
même « côté des flux de désir » et tous deux ont la capacité de faire face pour fonctionner en
utilisant leurs « propres dysfonctionnements ». De facto, les membres du staff sont beaucoup
plus mobilisés sur les aspects concrets et vont réagir de façon névrotique, pour gérer leurs
parcelles de territoire et de pouvoir, en renforçant la codification. Cette « plus-value de code »
est produite par une « plus-value de flux », un excès de symbolique, qui est toujours reversé
au flux (Ramond, 2010).
4.10.1. Un chercheur « né deux fois »
Pour réfléchir à mes implications secondaires et à mon rapport avec l’institution
universitaire, j’ai trouvé des résonances chez James et chez quelques autres auteurs en me
pensant comme un chercheur né deux fois.
Comme le soutiennent Varela et Shear (1999), les choses apparaissent de façon
différente si l’on est une chauve-souris ou un être humain, il s’agit d’une autre phénoménalité.
Ainsi, un organisme possédant un système sonar comme celui de la chauve-souris, ne perçoit
pas comme un organisme équipé d’un système visuel humain. Le monde extérieur est donc
probablement très différent pour les deux. Nous vivons des situations similaires entre humains
tel que les chercheurs d’un même laboratoire, mais dans une moindre mesure.
Il y a plus d’un siècle que William James, dans son livre Les variétés de l’expérience
religieuse, invente sa typologie de la personnalité. Pour James (2002) [1902], il y aurait deux
types de personnes, celles du type « nés une fois » et celles du type « nés deux fois ». Les
premiers sont nés avec une constitution intérieur harmonieuse et équilibrée dès le début.
L’auteur écrit que les pulsions des nés une fois sont concordantes, ils ne sont pas impulsifs,
parce que leurs passions ne les débordent pas, leurs vies sont calmes et sans grands
problèmes. Mais les nés deux fois, à l’opposé, sont discordants, à des degrés divers. Selon
l’auteur, il y aurait deux types, certains nés deux fois sont légèrement discordants, mais
d’autres sont très excentriques. Pour l’auteur, la base psychologique des nés deux fois produit
une certaine divergence ou hétérogénéité dans le tempérament, ce qui peut être inné chez
l’individu ou acquis par une faible socialisation. Selon lui la discordance avec
l’environnement, et avec les autres, rend très difficile la socialisation pour les nés deux fois.
Selon Zaleznik (1997), lorsque le sujet manque de socialisation, la constitution morale et
!152
intellectuelle va exiger une maîtrise personnelle pour être unifiée. Certes on peut trouver,
selon l’auteur, une grande variété d’êtres humains intermédiaires et de mélange de deux types.
Par la suite, dans son article « PhD Octopus », James (1903), applique cette typologie
à la personnalité des chercheurs. L’auteur écrit que les chercheurs nés une fois pourraient être
de deux types, d’un côté les vrais talents et de l’autre, les talents moyens. Les premiers
seraient dotés d’une grande capacité à passer les épreuves que la vie leur présente. Ils sont nés
pour le succès professionnel. De manière progressive, ils sont même allés plus loin, avec
succès, franchissant chaque étape pour améliorer leur statut universitaire. Ils sont très
efficaces dans l’obtention de différentes qualifications. L’autre groupe, dit James (1903), de
chercheurs nés une fois, bien qu’ils ne soient pas aussi talentueux, ont de l’énergie et une
bonne socialisation. Ceci est plus que suffisant pour pouvoir obtenir des aides de toutes
natures, des bourses ou tout simplement la sympathie de leurs professeurs et collègues pour
parvenir à progresser. Pour ce deuxième groupe, le doctorat va beaucoup leur apporter dans
leur vie. En dépit de leurs limitations, par rapport au premier groupe, ils satisfont tous les
indicateurs quantitatifs. Les universités, qui adorent ces résultats quantitatifs, les apprécient.
Ainsi pour les nés une fois, des deux types susmentionnés, l’adaptation a été un jeu simple,
sans heurt (Zaleznik, 1997).
Toutefois les chercheurs du type nés deux fois, non dotés d’un bon niveau de
socialisation, bien que pouvant être très doués pour la recherche, peuvent susciter beaucoup
de méfiance par leur incapacité à se soumettre aux routines du métier de chercheur. Ils
considèrent les règlements comme une difficulté insurmontable. Certes, ce sont probablement
des chercheurs surimpliqués dans leur sujet et leurs autres domaines vitaux sont affectés
négativement (par leur surimplication) dans la recherche. Pour les nés deux fois, rien n’est
facile, ils doivent s’efforcer de maintenir un équilibre et progresser et leurs vies sont marquées
par l’effort continu pour atteindre un certain sens de l’ordre. Selon Zaleznik (1997), le sens du
moi des nés deux fois vient d’un sentiment de profonde séparation, très différente de ceux qui
ont une personnalité du type né une fois, où le sens du moi circule harmonieusement. Comme
les enfants nés deux fois ont ce sentiment de séparation, ils ne développent pas le même type
d’appartenance. Si le chercheur ayant une personnalité du type né une fois ferme rapidement
son enquête en affichant un « impeccable curriculum », ce qui importe aux nés deux fois n’est
pas l’opinion des autres. En fait, il est certain que pour eux, la vie universitaire peut être une
!153
calamité et que, jusqu’à la soutenance de leur thèse ils peuvent paraître plus faibles aux yeux
des autres. Mais les échecs ne découragent pas les nés deux fois, de fait leur vie en est
remplie. Mais ils vont se rétablir et poursuivre leur chemin.
Si cette manière de penser en distinguant des types de chercheurs peut sembler un peu
caricaturale, elle m’a cependant permis de mieux situer mon rapport parfois difficile à
l’institution universitaire et avec les étapes instituées du processus de recherche.
Si cette manière de penser en distinguant des types de chercheurs peut sembler un peu
caricaturale, elle m’a cependant permis de mieux situer mon rapport parfois difficile à
l’institution universitaire et avec les étapes instituées du processus de recherche.
4.11. Méthodologie de l’analyse des données
L’analyse de données, selon Merriam (1988), doit être dynamique et récursive. D’autre
part, selon Ravatin (1985), pour connaître un autre champ de cohérence, nous devons lancer
notre propre champ de cohérence dans cet autre domaine. Toutefois pour capturer tous les
détails, comme l’affirme l’auteur, il est nécessaire de changer notre champ de cohérence
cartésien par un (champ de cohérence) non cartésien, car beaucoup de ces données peuvent
être capturées seulement de manière intuitive. Selon Merriam (1988), les chercheurs
qualitatifs sont davantage préoccupés par les processus que par les résultats et le chercheur
qualitatif est le principal instrument de la collecte et de l’analyse de l’information. Enfin,
comme l’affirment Lincoln et Guba (1985), la validité d’une recherche qualitative va toujours
reposer sur le chercheur. Je voulais comprendre comment les implications de mes collègues
consultants avaient évolué dans ce nouveau discours de la qualité. Durant le temps qu’a duré
la recherche, les consultants ont été touchés par des mouvements institutionnels initiés par les
membres du staff et les conseillers de FS pour avancer dans l’institutionnalisation du
dispositif de pilotage par la qualité.
Selon moi, la meilleure façon de faire est de procéder par la double capture de l’image
et du son grâce à mon dispositif filmique. Le fait de revoir les images des entretiens à
plusieurs reprises a facilité, par exemple, ma perception des détails des situations d’entretien,
du langage corporel, des micro-gestes, des regards entre les participants, que j’aurais ignoré si
n’avais pas eu la possibilité de revoir à nouveau les entretiens. Je me suis rendu compte, par
exemple, de la tension, entre David et deux autres, Antonia et Leticia. Dans le langage
!154
corporel, j’ai pu faire d’autres lectures et interprétations qui, durant la seule expérience d’une
heure et demie, m’auraient été impossible de percevoir. Cela m’a donné la possibilité, aussi,
d’entendre ma voix, mes questions, d’observer comment je déclinais ma propre implication
dans le pilotage par la qualité. C’est la répétition des images lors du montage qui m’a permis
une nouvelle immersion. Ceci a été complété par les notes que j’ai prises au cours des
entretiens. Mais également, ce dispositif a favorisé une plus grande implication des
participants par la seule présence de la caméra vidéo, grâce au rôle fédérateur qu’elle possède
(Lallier, 2009).
D’après Creswell (1994) le processus d’analyse qualitative doit se fonder sur une
réduction permanente et l’interprétation des données. C’est-à-dire que la collecte des données
doit se faire simultanément avec l’analyse même partielle.
Les méthodes que nous utilisons dans la recherche qualitative permettent l’induction,
c’est la création d’abstractions, de théories et l’identification des généralisations possibles à
partir du corpus de données. C’est-à-dire que le processus pour tisser le discours des
participants sur la qualité qui s’est institutionnalisé dans le système scolaire a été
essentiellement inductif et théorique (Strauss & Corbin, 1998). Chaque entretien me
permettait de créer la dimension ou codes primaires et de cette façon de poursuivre avec les
nouveaux entretiens. D’ailleurs, comme je n’avais pas le temps de transcrire entre les
entretiens individuels, une révision du matériel dans le logiciel d’édition vidéo me permettait
de réaliser une codification primaire et ainsi d’ajouter ou de reformuler des questions aux
entretiens suivants.
Lorsque j’ai finalement transcrit tous les entretiens, j’ai utilisé un logiciel pour
l’analyse qualitative (Atlas-ti) dans le but de faire une codification primaire ou ouverte pour
construire le corpus définitif. Une fois que j’ai complété l’analyse primaire dans l’Atlas-ti, j’ai
exporté tous les codes qui ont surgi pour les raffiner et les classer de manière logique. Puis j’ai
exporté toutes les notes de Final Cut à ce corpus définitif pour lui donner plus de profondeur
de champ. Avec cette nouvelle liste ordonnée par codes, j’ai effectué un codage sélectif pour
affiner et intégrer théoriquement les dimensions (Glaser & Strauss, 2006) et pour comparer
les dimensions nouvelles avec la littérature existante. Avec la saturation théorique d’une
dimension, selon Strauss et Corbin (1998), s’arrête la recherche de mise en contraste pour
cette dimension et se poursuit avec d’autres qui ne sont pas encore saturées. Tout ce qui
!155
précède a seulement été fait en vue de la construction du corpus que j’ai analysé par la suite à
partir de ce moment dans le même traitement de textes de mon ordinateur.
4.12. Limitations de la recherche
Une des spécificités de cette étude est qu’elle repose sur un groupe de sept collègues
consultants en qualité. Cette population d’étude réduite peut être considérée comme ne
permettant pas une généralisation des résultats à l’ensemble des consultants de FS.
Cependant, dans la démarche socio-clinique adoptée, qui s’appuie sur un dispositif filmique,
le nombre de sujets à moins d’importance que la possibilité de saisir leurs implications
singulières. C’est en effet, parallèlement à l’étude de leurs outils, par l’analyse des
implications individuelles et collectives de ces consultants expérimentés qu’il s’agit de
comprendre l’évolution de leurs pratiques et l’institutionnalisation du pilotage par la qualité.
Par ailleurs, les consultants font référence à des événements qui se sont produits
durant les dix dernières années et leurs souvenirs peuvent être déformés par le temps.
Cependant les entretiens collectifs corrigent en partie cette difficulté. Cette dynamique de
réflexivité collective peut aussi limiter les effets d’induction des questions que je pose aux
consultants.
Cette étude porte sur la période qui va du début du programme d’assurance de la
qualité de FS en 2001 jusqu’à 2014, lorsqu’est entrée en scène l’ACE, mettant en évidence
l’institutionnalisation du pilotage par la qualité dans notre système scolaire. Ce qui s’est passé
entre 2014 et 2017 n’a pas été pris en compte. Cela aurait pourtant été intéressant, parce que
tous les établissements sont tenus à présent d’installer le dispositif. Certains des consultants,
probablement, travaillent aujourd’hui pour l’ACE et il serait très intéressant d’enquêter sur ce
nouveau processus de professionnalisation, cela pourrait faire l’objet à l’avenir de futures
enquêtes. Ma présente recherche ne peut pas offrir une perspective temporelle plus large sur
l’installation du dispositif dans le système scolaire.
J’ai été collègue des participants au cours des années 2001 à 2006 et je suis
évidemment impliqué dans la situation que j’étudie, même si cette implication est négative,
car en tant que praticien-chercheur, j’appartiens au groupe de ceux qui n’ont pas reçu les
bénéfices de leur travail. Avec le recul, je pense avoir été soumis à un processus d’anomie
professionnelle, qui, comme l’affirme Aballéa (2013) est un processus simultané de
!156
déprofessionnalisation et de désinstitutionalisation. Cette implication négative pourrait
contaminer les résultats et l’utilisation du journal de recherche visant à identifier ces effets.
C’est aussi pour limiter la partialité que j’ai restitué à l’un des participants ayant le statut de
collaborateur informateur du chercheur les résultats de la recherche pour les discuter et
valider, dans la mesure du possible.
Je suis conscient de ces différents biais en dépit de mon intention de les contrôler
durant les différentes étapes de cette enquête. J’ai voulu contribuer à une meilleure
compréhension des conséquences du discours de la qualité dans un de ces pays où l’on peut
trouver la plus grande marchandisation de l’éducation et qui a vécu une décentralisation
volontariste (Mons, 2004a ; 2007). Mais, comme le soutiennent Denzin et Lincoln (1994)
bon nombre de ces limites sont inhérentes à une étude qualitative et ne devraient pas influer
de manière significative sur les résultats.
Enfin, ce dispositif clinique de recherche, de caractère expérimental, a intégré
l’utilisation de la caméra vidéo pour faciliter l’implication et la production de transductions
dans le discours des participants. Je donne au terme « clinique » le sens proposé par Ardoino
(1989), c’est-à-dire que les chercheurs, comme leurs partenaires, « se reconnaissent
effectivement impliqués, qu’il s’agisse de viser l’évolution, le développement, la
transformation d’un tel sujet ou la production de connaissances » (p. 65). Certes, comme
l’écrit Pesce (2017) :
J’ai tendance, de plus en plus systématiquement, à pousser un peu plus loin cette
logique : non seulement en proposant aux acteurs d’envisager l’écriture en parallèle
de la recherche, mais plus encore en faisant du projet de production un préalable de la
recherche… c’est une manière de pratiquer, avec l’écriture, ce qui est une évidence
dans la recherche audiovisuelle dont je parlerai dans le développement suivant : la
recherche ne commence effectivement quand on a commencé à filmer, voire à
travailler le montage (p. 58).
En fait, ce dispositif avait pour objectif l’expression individuelle et collective pour
atteindre les objectifs de compréhension du contexte dans lequel prend place le dispositif de
FS et de la manière dont ce réseau socio-technique devient un puissant vecteur de changement
au niveau national, capable d’affecter la subjectivité des différents acteurs sociaux. Tout en
poursuivant cet objectif, le dispositif de recherche socio-clinique produit la transformation des
!157
participants du fait qu’ils sont amenés à percevoir autrement leurs propres réalités (Monceau
& Soulière, 2017).
Résumé du chapitre
Ce chapitre a été centré sur la conception du dispositif et de la démarche de recherche,
en soulignant son caractère qualitatif, son champ de cohérence scientifique et les questions de
recherche. J’ai présenté le dispositif de collecte des données qui intègre des outils de l’analyse
institutionnelle pour élargir le champ de l’analyse, la stratégie pour l’analyse des données et
des limitations de l’étude. Le chapitre suivant présente les résultats obtenus correspondant à la
première question de recherche.
!158
Chapitre 5 : Les effets des mouvements institutionnels de FS sur l’implication professionnelle des consultants
5.1. La question de recherche
Dans ce chapitre, je vais essayer de répondre pleinement à la première question de
recherche qui a guidé le développement de cette étude : Quels sont les effets des évolutions
institutionnelles de la Fondation Schiller concernant la traduction du pilotage par la qualité
dans le système scolaire et sur l’implication professionnelle des consultants ?
Je vais maintenant présenter mes découvertes sur la manière dont ces consultants
repèrent, résistent ou accompagnent (Monceau, 2009a) les mouvements institutionnels de FS
pour institutionnaliser le discours de la qualité scolaire dans tout notre système scolaire. En
effet, sans aucun doute, les changements internes de la Fondation Schiller, qu’ils ont vécus,
ont eu des effets sur leurs implications professionnelles. Pour les chercheurs qui effectuent des
recherches dans le cadre théorique de l’analyse institutionnelle, l’analyse de l’implication
(Lourau, 1991) est essentielle. C’est par l’analyse de ces implications individuelles que l’on
cherche à saisir les mouvements institutionnels.
Je précise tout d’abord que, lorsque je parle d’implication professionnelle, je fais
référence à la définition de Monceau (2012a) :
L’ensemble des relations que le sujet entretient avec la profession (pensée comme une
institution ayant sa dynamique propre) à laquelle il « appartient » et avec les autres
institutions dans lesquelles ou en lien avec lesquelles il exerce sa profession. Cette
implication peut se décliner par rapport à la profession, à l’établissement, à
l’organisation de l’Éducation nationale ou encore à l’institution scolaire. Et ceci, selon
les dimensions libidinale, organisationnelle et idéologique [...] (elles) s’actualisent et
se potentialisent selon les situations. Multiples, elles ne sont pas pour autant
distribuées de manière aléatoire ; elles ont leur cohérence (p. 15-16).
Selon Monceau (2010), les implications n’ont de sens que dans un processus analytique
(ce qui suppose un dispositif approprié) parce qu’elles ne sont pas facilement lisibles dans le
récit et ne sont pas nécessairement volontaires ni conscientes. De plus, l’implication dans le
travail, n’est pas limitée au temps de travail, comme le dit Dejours (2007) « c’est toute la
subjectivité qui est prise dans ce mouvement, jusque très loin dans l’intimité » (p. 272) . En
fait, d’après l’auteur, c’est une des raisons pour lesquelles une personne peut devenir malade
!161
ou au contraire être heureuse à cause du travail. Les implications, selon Lourau, ne sont pas
stabilisées et se déplacent constamment entre les pôles de la désimplication (hypertrophie de
l’objectivité) et de la surimplication (subjectivité élargie) que Lourau (1997b) appelait la
courbure du concept d’implication « dans laquelle la désimplication et la surimplication sont
situées dans le domaine de l’inanalysable en situation socianalytique alors que les
appartenances, la participation et l’engagement sont situés dans celui de
l’analysable » (Monceau, 2010, p. 27).
Ma recherche doctorale est menée au moment où les consultants qualité traversent, avec
la création de l’ACE, une nouvelle période d’incertitude institutionnelle. Ceci rend
particulièrement intéressante l’étude, dans ce moment d’interrogation sur leur avenir
professionnel. Une nouvelle période de transition met de nouveau à l’épreuve les consultants.
J’ai donc engagé la réflexion avec un groupe de consultants sur les évolutions qu’ils
vivent. Au cours du second entretien individuel avec Carlos, qui a également été filmé, mon
principal partenaire pour cette recherche a soutenu ce qui suit :
Chercheur : Comment vous les consultants, avez-vous été touchés par l’évolution du
modèle de la qualité de FS ?
Carlos : De toute évidence, elle nous a concernés. Dans mon cas, comme je l’ai déjà
dit dans l’entretien précédent, il y avait peu d’établissements intéressés à entamer un
processus de certification, C’est la raison pour laquelle j’ai dû m’adapter
économiquement. Puis ils (la direction de la Fondation Schiller) m’ont offert être
évaluateur et d’avoir un travail stable à temps partiel dans le programme « Meilleur
Lycée ». Lorsque fut créée l’Agence de la qualité de l’éducation, nous travaillions
dans le pilotage du SAC (Système d’assurance de la qualité), son modèle de qualité.
C’est pourquoi nous pensions que nous allions avoir une chance parce qu’ils allaient
avoir besoin de nous. Mais ils ont décidé de recruter d’autres personnes et de les
former eux-mêmes. Enfin, en tirant parti de l’expérience du programme « Meilleur
Lycée », j’ai décidé de créer avec d’autres collègues ma propre Fondation pour les
lycées techniques, en invitant certains entrepreneurs pour garantir la réussite du
projet. Maintenant, enfin je peux engranger les fruits de tant d’années de dévouement
[...] (Carlos).
!162
David, Gabriel, Antonia et Leticia, qui font partie du projet depuis sa création,
ont témoigné également qu’ils ont dû s’adapter en permanence aux mouvements
institutionnels au sein de la Fondation pour installer le pilotage de la qualité dans le pays.
Lucía et Leonardo, en revanche, sont moins impliqués dans l’évolution du programme de
qualité parce que leurs formations ont été réalisées à travers le Master et dans le seul but de
valider leurs expertises dans leurs postes de travail. En fait, ces derniers sont ceux qui ont
plus rentabilisé leur investissement dans leur accréditation comme consultants.
5.2. Pourquoi devenir consultant
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles de nombreux professionnels dans le pays ont
décidé de se former comme consultants du modèle de qualité de FS.
5.2.1. Une activité qui s’annonçait comme lucrative
La plupart des consultants actuels occupaient des postes de direction dans les
établissements et comprenaient bien les logiques d’action associées au fonctionnement
quotidien des établissements. Mais ils avaient de grandes attentes quant à ce nouveau métier
de consultants en qualité.
Les conseillers et les membres du staff de la Fondation Schiller promouvaient ce
nouveau métier comme une activité très lucrative étant donné la quantité d’établissements que
pourraient se répartir les premiers consultants. En effet, ils supposaient, qu’il y aurait des
dizaines d’établissements intéressés chaque année pour commencer le processus de
certification, mais cela n’a pas été le cas. Un des participants, qui a été homologué en tant que
consultant à travers le Master, a également le souvenir que la formation était présentée comme
très lucrative.
Chercheur : Je voudrais vérifier avec toi s’il est vrai que dans le cours que nous avons
fait ensemble l’année 2003, Brunetti, Avendaño et les membres du staff promettaient
que ce nouveau métier de consultant allait être super lucratif, que nous pourrions nous
consacrer exclusivement à ce nouveau travail ? [...] Les enseignants du Master, qui
sont membres de FS, ont largement diffusé cette option professionnelle comme une
activité très lucrative [...] ?
!163
Leonardo : Le Master professionnel est diffusé comme une possibilité prometteuse,
avec de grosses projections et nous pensions que c’était vrai, parce que la Fondation
Schiller a la réputation d’être le cerveau de l’innovation dans le pays, mais après tu
t’aperçois qu’en réalité c’est uniquement avantageux en termes de curriculum. C’est
mon cas je crois.
Mais pour Leonardo et Lucía, le fait que la promesse d’une carrière lucrative en tant
que consultants indépendants ne soit pas vraiment satisfaite n’était pas un grand problème.
Certes, ce sont eux qui ont obtenu le plus d’avantages économiques grâce à la formation mais
qui sont apparemment les moins impliqués dans le modèle de qualité et dans FS. Pour leurs
parts, David et Antonia ont réussi à devenir membres du staff de la Fondation. Toutefois, pour
d’autres consultants, comme Leticia, Carlos et Gabriel, le manque de clients a entraîné une
plus grande déception, comme nous le verrons ensuite.
5.2.2. Évaluer le travail de leurs propres collègues enseignants et chefs d’établissements
Très probablement une partie importante de ceux qui étaient déjà reconnus comme de
« bons » cadres d’établissements scolaires, ceux qui avaient une performance optimale, en
tant que dirigeants, n’étaient pas vraiment intéressés à s’impliquer dans le pilotage de la
qualité scolaire. Mais, certains professionnels de l’éducation, qui ne parvenaient pas à trouver
le moyen de se sentir suffisamment productifs (Dejours, 2006) pouvaient souhaiter devenir
consultants, pour s’éloigner ainsi de leurs habitudes de travail. Mais, en plus d’obtenir
l’accréditation comme spécialistes en qualité scolaire, ils obtenaient le pouvoir d’évaluer le
travail de leurs propres collègues (les enseignants et chefs d’établissements), comme étant de
bonne ou de mauvaise qualité. Cette motivation des consultants pour obtenir davantage de
pouvoir se reflète dans cet extrait du deuxième entretien avec mon principal partenaire.
Dans le premier entretien individuel, qui a également été filmé, mon partenaire
confirme que le statut d’évaluateur du travail de ses propres collègues était intéressant pour
lui.
Carlos : T’as raison. C’est que nous tous, en plus de développer un travail
indépendant, on aimait beaucoup l’idée d’être une espèce d’évaluateurs de nos
collègues [...]
!164
Au cours d’un autre entretien individuel filmé, une des participants décrit son travail
d’accompagnement du processus d’amélioration pour postuler à la certification comme étant
celui de « certificateur » de la qualité des établissements. Ceci n’est pas vraiment exacte parce
que ce ne sont pas les consultants qui certifient, mais le CNCGE. De fait des établissements
que les consultants accompagnent peuvent échouer dans le processus de certification, ce qui
peut donner l’impression aux consultants que leur travail est central pour la certification.
D’ailleurs, des chefs d’établissements pensent eux aussi que les consultants font la
certification, comme le dit cette consultante :
Lucía : Les établissements m’appellent pour les certifier [...]
Enfin, dans un autre entretien individuel filmé, Gabriel parle ainsi de l’importance du
rôle de consultant pour un établissement.
Gabriel : Je crois qu’il est toujours important d’avoir un regard extérieur d’un expert
indépendant dans les établissements.
Cette image d’évaluateurs/certificateurs extérieurs semble beaucoup valoriser les
consultants, ce que j’ai retrouvée aussi dans d’autres témoignages.
5.2.3. Le souhait de concilier l’efficacité et la justice sociale
Enfin, la plupart des consultants qui ont accepté de bonne foi l’appel de FS parce
qu’ils pensaient qu’il était possible de concilier l’efficacité et la justice sociale.
Gabriel : J’appartiens à la première génération de consultants, arrivée durant l’année
2003. Je travaillais déjà comme membre d’une équipe de direction dans la même
holding d’établissements. Je me suis intéressé immédiatement au modèle de la qualité.
Je savais que cela avait un grand avenir, que cela pourrait être d’un grand apport à
notre éducation et notamment parce que la FS est une institution sérieuse qui a fait de
grands apports à l’économie du pays.
Carlos : Je suis encore convaincu que FS a fait un grand apport à notre pays avec ce
modèle de gestion. Il existe d’autres aspects tels que les pédagogies, que le modèle ne
prend pas, ou bien aussi, des aspects négatifs de notre système éducatif, comme le
profit et la sélection des meilleurs élèves du système. Mais, tout cela, c’est une
discussion récente.
!165
Globalement, les consultants disent qu’ils ont cru, et pour certains qu’ils croient
encore, au fait que leur travail pouvait avoir des effets pour une plus grande justice sociale
dans l’éducation, ceci par l’amélioration de l’efficacité des établissements. Cependant le doute
arrive dans leurs discours avec le constat de certains aspects qu’ils jugent négatifs.
5.2.4. La recherche d’indépendance
Tous les consultants cherchaient à répondre à la nécessité naturelle, qui est toujours à
l’origine d’une nouvelle individuation de groupe (Simondon, 2005), celle de résoudre un
problème existentiel. Dans leurs cas, ils souhaitaient échapper aux routines de l’établissement
ou simplement travailler de manière indépendante. Il est très important de faire le lien entre
les désirs individuels des consultants et l’institutionnalistion du pilotage par la qualité.
Chercheur : Mais il y a aussi que tu voulais effectuer une carrière indépendante en tant
que consultant, c’est vrai ?
Carlos : C’est vrai, cela a été une de mes principales motivations. Il ne me plaît pas de
dépendre de chefs parce que tout à coup ils peuvent te licencier et cela personne ne
va aimer. C’est le cas pour nous, les directeurs d’établissements subventionnés. A ce
moment là, je travaillais au collège Francisco de Miranda, à tout moment on pouvait
me licencier. D’ailleurs, ils l’ont fait et, après ça, j’ai commencé à travailler dans le
programme Mejor Liceo (Meilleur Lycée) de la Fondation [...].
Leonardo : Un travail indépendant de consultant, pour moi, c’est beaucoup plus
réconfortant et encourageant, par comparaison avec mon ancien travail comme
fonctionnaire public.
Carlos et Leonardo ne sont pas les seuls à avoir cherché dans la carrière de consultant
une plus grande indépendance. C’est aussi le cas de Leticia qui a été associée à des projets
avec Carlos. Par contre, Gabriel, Antonia et Lucía, qui ont le privilège d’un travail stable
comme membres du staff et sont plus ou moins bien rémunéré, ne privilégient plus maintenant
la recherche de l’indépendance. Pourtant, ils avaient initialement suivi la formation de
consultant dans ce but. Au contraire, pour David ceci n’a jamais été un objectif, étant donné
que depuis le début du programme de qualité, il occupe un poste de direction important. De
fait au cours de l’entretien collectif, David n’en fait pas mention. Toutefois, lors des entretiens
collectifs filmés, j’ai observé une certaine gêne de Leticia et Antonia, en présence de David,
!166
concernant les dynamiques institutionnelles. Ceci apparaît de manière répétée sur les images
filmées.
5.2.5. Tirer parti de l’expérience passée
Les consultants espèrent transposer leurs dynamiques identitaires construites sur la
base des trajectoires précédentes, leur registre de compétences, leur expérience antérieure et
l’ensemble de leurs repères (Pérez-Roux, 2011). En effet, l’identité de ce groupe de
consultants va se reconstruire dans un environnement qui va être de nouveau plein de
mutations, en passant, selon l’auteure, par les étapes de déstabilisation, de doute et de
recomposition d’identité.
Chercheur : Pourquoi une personne comme toi, qui à ce moment était le directeur
d’un établissement, a décidé de se former comme consultant en qualité ?
Carlos : J’ai vu en cela une grande opportunité professionnelle, mais aussi pour
apporter aux établissements. J’avait déjà constaté que la gestion était importante dans
mon travail en tant que directeur du lycée […] Il s’agit d’un établissement très pauvre
qui a ensuite été transformé en une icône du pays. De fait, les orchestres
symphoniques de jeunes du pays sont une des innovations que j’ai implémentées. Un
de nos élèves est maintenant musicien professionnel, il a étudié ensuite en Europe. Je
crois que tout cela montre que j’étais très bon gestionnaire dans mon établissement.
C’est pour ça que ça m’a semblé intéressant. Mais, ce n’est pas vrai qu’il
suffit d’améliorer la gestion dans un établissement. Je ne pense pas que ce soit vrai,
car on ne peut laisser en dehors l’analyse des pratiques des enseignants. Et pire
encore, s’il existe des externalités négatives, comme le profit, la sélection, le SIMCE,
etc. Tout ce que nous discutons aujourd’hui.
Le terme d’« externalité négative » est une notion d’économie, reprise par Carlos mais
qui est également utilisée par d’autres. Par opposition à la notion d’« externalité positive », il
signifie qu’un dispositif peut avoir des effets positifs dans un champ limité donné, comme les
résultats scolaires, tout en produisant des effets négatifs si on considère plus largement ce
dispositif dans son environnement. Dans le domaine de l’industrie, c’est le cas lorsqu’une
entreprise industrielle a une forte productivité et créé des emplois mais pollue tout son
environnement.
!167
Comme je l’ai déjà remarqué, la prise en compte d’éléments d’analyse larges
(économiques, politiques, etc.) est difficile pour certains consultants comme pour les chefs
d’établissements. Les instruments d’évaluation se focalisent sur une partie réduite de la réalité
et ignorent le reste.
5.3. Comment devenir consultant
5.3.1. Devenir consultant en qualité du réseau national de Fondation Schiller à travers
du cours annuel de consultants
Les consultants en qualité de FS, jusqu’à l’année 2008, se formaient exclusivement par
un cours annuel. Ce cours leur a permis de donner un certain monopole d’intervention à ceux
qui le terminaient.
La formation proposée consistait essentiellement à explorer la boîte à outils pendant
qu’ils accompagnaient un établissement au cours du processus d’auto-évaluation et dans la
rédaction d’un plan d’amélioration. Il s’agissait d’ « […] un accompagnement pour apprendre
à utiliser les instruments » (Leonardo).
Quatre des sept participants de cette étude ont suivi le cours pour être attestés comme
consultant en qualité scolaire.
Carlos : Leticia et moi sommes marqués par la formation que nous avons eue. Nous
pensions que pour faire un bon conseil, en réalité, il était nécessaire de suivre le cours
de FS [...] il est très puissant, aidait beaucoup. Cela marque une différence avec ceux
qui ne sont jamais passés par là. Il était très exigeant [...] les autres sont arrivés par
un autre chemin. Presque tous par le MINEDUC (Ministère de l’Éducation).
Il est vrai que les premiers consultants ont été comme des pionniers et pour cette
raison ils bénéficiaient d’un grand prestige parmi leurs pairs. Ils ont été responsables de la
diffusion du modèle de la qualité de FS dans les établissements. En fait, ils constituaient une
équipe et avaient un projet idéologique à défendre.
5.3.2. Devenir consultant du réseau de Fondation Schiller par le Master
Bien que FS se soit engagé à ne pas permettre l’entrée dans les fonctions de
consultants d’agents qui n’avaient pas suivis le cours annuel, elle a créé en 2008 un Master en
gestion scolaire de la qualité, celui-ci était délivré par l’Université du Développement (UDD),
ce qui représente une autre source de recettes pour FS, qui peut également accréditer les
!168
diplômés comme consultants du réseau. Cela, certainement, pour légitimer encore plus à
l’activité : « Pour amplifier un peu la conception on a créé un Master. Comme la FS ne peut
pas donner le titre seule, elle s’est associée à l’UDD » (Leonardo).
Ceux qui sont passés par le Master de deux ans se sentent mieux préparés que les
consultants qui ont fait le cours d’un an, ceci bien qu’il s’agisse d’un programme presque
identique. « Le cours est un cours et l’autre est un Master, alors il y a une préparation
beaucoup plus profonde […] » (Leonardo).
Les consultants doivent payer eux-mêmes le cours annuel ou le Master qui les habilite
en tant que consultants. On promet aussi aux étudiants du Master qu’ils vont avoir un retour
sûr de leur investissement ou qu’ils vont améliorer leurs chances dans les processus de
sélection pour les postes de direction des établissements ou des fondations consacrées à
l’éducation, ou à partir de maintenant dans la nouvelle ACE (Agence de la qualité en
éducation).
Leonardo : Bien que ça ne soit pas vrai, on nous promettait dans le Master que nous
aurions de nombreux clients dans le rôle de consultant. Une fois que
j’ai très respectueusement démissionné du MINEDUC, j’ai décidé de créer mon
propre cabinet conseil avec ma femme qui possède un doctorat en éducation. Après,
nous nous sommes inscrits dans le registre ATE, mais cela ne fonctionnait pas. En
revanche, maintenant que j’ai été recruté pour une autre ATE, plus grande que la
mienne, qui à son tour est sous-traité par une autre plus grande, j’accompagne une
grande quantité d’établissements dans tout le Chili.
Comme cela est également dit par d’autres consultants mais aussi comme on peut le
constater à la lecture de la documentation, il y a une sorte de concurrence entre les consultants
formés par le premier cours et ceux formés par le Master. Avec l’institutionnalisation du
pilotage par la qualité et l’influence croissante des facteurs économiques, la détention du
Master devient de plus en plus importante et permet aux consultants de changer d’employeurs
plus facilement, d’être mieux reconnus.
5.3.3. La stage requis pour l’accréditation comme consultants
Pour apprendre à utiliser la boîte à outils, les consultants doivent accompagner un
établissement, mais avec la restriction qu’il ne soit pas l’établissement où ils travaillent.
!169
David : Pendant la formation des consultants, ils ne doivent pas travailler dans leur
propre institution, ils doivent exercer toujours comme consultant extérieur […] Après
la formation de consultant, ils peuvent l’appliquer à leurs collèges, parce qu’ils savent
déjà utiliser les outils.
Jusqu’en 2005, l’accompagnement des établissements devait se terminer avec la
certification d’un établissement. Maintenant il suffit de l’élaboration du plan d’amélioration.
D’après les témoignages des consultants, la formation de consultants a été transformée en un
commerce de FS et pour cela les exigences se sont considérablement assouplies.
Leonardo : Notre accréditation en tant que consultant était soumise à ce que nous
devions certifier une école, mais maintenant c’est une activité que préparent des
dizaines de personnes tant dans le cours annuel que dans le Master sans cette exigence.
Ceci a provoqué la saturation de l’offre, dans un marché qui n’était pas suffisamment
important du fait du manque d’établissements qui demandent la certification.
Ainsi, le cours annuel est devenu un commerce pour FS, car outre des recettes par la
scolarité annuelle de chaque consultant, de manière ad honorem les futurs consultants doivent
chercher par eux-mêmes un établissement à accompagner, un chef et son équipe de direction.
De cette façon FS obtient un nouveau client qui aura besoin de la certification de qualité qui
reste la principale source de revenu du CNCGE (Conseil national de certification de la gestion
scolaire).
Chercheur : Les consultants devaient eux-mêmes trouver un établissement, ce qui
était très utile pour FS parce que chaque consultant amenait un nouveau client. Ne
crois-tu pas que dans ce jeu l’unique gagnant était FS ?
Carlos : À ce moment-là je trouvais cela juste, mais maintenant en le regardant avec
distance, je pense que c’est faux. À partir de la seconde génération, ils vont encaisser
pour le cours de consultant et capter de nouveaux clients sans bouger du bureau, le
business pour eux et pour nous rien, c’est vrai [...]
Comme je l’ai également entendu à d’autres moments dans les propos d’autres
consultants, même si de manière moins claire, les consultants ont progressivement compris
qu’il ne s’agissait pas seulement d’améliorer l’efficacité des établissements scolaires pour
produire plus de justice sociale mais que FS souhaitait diversifier ses sources de revenus par
l’activité des consultants.
!170
5.4. Les raisons de l’abandon des premiers consultants
5.4.1. La mise en place du SACGE durant l’année 2003
La grande campagne de marketing au niveau national de FS pour installer le modèle
avait déclenché l’intérêt de MINEDUC qui a réagi rapidement face à cette proposition du
secteur privé visant à ordonner le système scolaire. Le ministère a alors créé son propre
modèle de qualité : le SACGE (Système d’assurance de la qualité de la gestion scolaire). De
cette manière, le ministère se mettait en cohérence avec les recommandations des organismes
internationaux, notamment l’OCDE, la Banque mondiale et l’UNESCO, qui ont proposé le
pilotage de la qualité de l’éducation il y a plus d’une décennie et reprenait en partie le contrôle
sur l’évaluation des établissements.
La rapidité de lancement du SACGE par le MINEDUC a entraîné beaucoup de bruits
parmi les conseillers du CNCGE, les membres du staff et les consultants de la Fondation
Schiller. Les tensions provoquées, parmi les consultants du réseau, par la coexistence des
deux modèles peuvent se résumer ainsi : « Pour quelle raison les établissements
demanderaient-ils à être certifiés par FS, s’il existe un autre modèle presque identique qui est
public ? » (Carlos).
Également, selon David, Leticia, Antonia et Gabriel le lancement du SACGE a eu des
effets négatifs sur la demande des établissements scolaires envers les consultants. Selon eux la
coexistence des deux modèles a fait que de nombreux établissements subventionnés et
municipaux n’avaient plus intérêts à se tourner vers les consultants de FS.
Seulement deux participants à mon dispositif socio-clinique n’ont pas été touchés par
le SACGE : Leonardo et Lucía.
Leonardo était à ce moment fonctionnaire du MINEDUC. La mise en oeuvre du
SACGE faisait partie de sa routine et il ignorait qu’elle pouvait nuire aux intérêts des
consultants du réseau. Lucía, qui n’était pas encore membre de l’équipe de direction de la
société d’établissements où elle travaille aujourd’hui, avait encore moins perçu la tension
entre les deux systèmes.
Par la suite, toutes les incitations économiques faites en direction des établissements
ont été associées au SACGE. Nonobstant, le SACGE a eu beaucoup de difficultés de mise en
oeuvre parce que le MINEDUC ne disposait pas de ressources humaines. « Les superviseurs
!171
du ministère qui devaient mettre en oeuvre le SACGE ont eu des difficultés car, à cette
époque, il y avait des gens qui avaient du mal à comprendre le modèle de la qualité » (David).
C’est aussi pourquoi le modèle SACGE a progressivement cessé d’être utilisé dans les
programmes ministériels entre les années 2006 et 2008.
5.4.2. Le manque de demande d’établissements d’être accompagnés dans le processus de
certification
5.4.2.1. Pourquoi en passer par un processus d’évaluation externe aussi difficile et pénible
Pourquoi les établissements payeraient-ils pour passer par une évaluation externe ?
Les chefs d’établissement et leurs propriétaires se rendent compte que la participation au
processus d’évaluation a deux résultats. D’une part, recevoir une certification mais sans savoir
si cela sera vraiment utile à l’établissement. D’autre part, il existait aussi le risque d’être
confronté à l’échec professionnel que représentait pour eux le fait de ne pas obtenir la
certification. Globalement, cela n’avait pas beaucoup de sens pour la plupart des cadres et des
propriétaires de risquer ainsi leur carrière.
Carlos : Il restait un groupe d’établissements […] qui décidait d’améliorer ses
indicateurs et bénéficier du label de qualité […] mais c’était très exigeant. J’ai été
évaluateur […] on exigeait pratiquement d’avoir tous les indicateurs pour obtenir la
certification.
D’après les consultants, le niveau d’exigence n’a donc pas diminué malgré la baisse
des demandes venant des établissements.
Bien que tous les consultants participants soient d’accord avec le constat d’un manque
d’établissements intéressés, raison pour laquelle les revenus des consultants ont diminué, pour
Leonardo cela n’a plus d’importance car il n’accompagne plus d’établissements dans le
processus de certification. En tant que directeur d’une ATE, il travaille avec des dizaines
d’établissements chaque année. Ceci pour les conseiller dans leur processus d’amélioration
pour remplir les objectifs poursuivis par le Ministère et désormais par l’ACE.
!172
5.4.2.2. L’exigence d’un score minimum SIMCE laissait de nombreux établissements dans
l’impossibilité d’accéder à la certification
L’exigence d’un score minimum SIMCE pour obtenir la certification était une
contrainte parce qu’il laissait la plupart des établissements dans l’impossibilité de postuler à la
certification.
Carlos : [...] Car de fait on demandait un score minimum [...] de 250 points au SIMCE
[...] Mais, plus de la moitié des établissements pauvres du pays avaient un score
inférieur à cela, alors il était impossible de les certifier [...]. L’attention était mise sur
ceux qui, en outre, pouvaient payer […].
Antonia : [...] On supposait, en principe, que davantage d’écoles devaient participer
[...] mais l’exigence d’un score minimum SIMCE est si difficile à remplir, tout
comme réussir l’évaluation externe [...] c’est pour ça qu’il n’y a presque pas
d’établissements volontaires.
Carlos : […] La plupart des établissements est en dessous du score de 250 au SIMCE
et la majorité de ceux qui avaient la moyenne, n’avait pas besoin de faire la
certification pour soutenir la concurrence, parce qu’ils avaient des effectifs importants
[…] de même ils devaient effectuer une sélection des élèves.
Ces propos de consultants font apparaître un paradoxe intéressant : les établissements
qui obtiennent de bons scores n’ont pas besoin de la certification et ceux qui en auraient
besoin ne sont pas en mesure de l’obtenir.
5.4.2.3. Le coût de la certification devrait être assumé par l’établissement
Un obstacle important associé à la difficulté de la généralisation est le coût de la
certification. On espérait qu’il soit associé à des incitations financières pour que les
établissements s’intéressent à participer à l’évaluation externe, mais cela n’a été ainsi.
Carlos : Parce que la Fondation n’avait pas d’établissements à certifier. Personne ne
pouvait les obliger. Il n’y avait aucune loi qui les obligeait.
Carlos : Je ne sais pas si, une fois, on pensait qu’il allait y avoir une portée
relativement importante [...] mais, il y a un problème de coûts, c’est une option qu’il
faut la penser beaucoup [...].
Leticia : Il y avait également un problème de ressources dans les écoles.
!173
Carlos : Les gens étaient ennuyés […] Ils payaient deux fois, le processus durait deux
ou trois ans car ils n’avaient pas obtenu 100 % des indicateurs.
Carlos : C’est si difficile et coûteux qu’ils ont perdu l’intérêt pour la certification.
Cependant, la loi SEP, qui oblige les établissements à concevoir et mettre en oeuvre un
plan d’amélioration, a conduit à une relance dans la prestation de services de consultants pour
l’élaboration des plans d’amélioration, avant la création de l’ACE.
Chercheur : Depuis l’entrée en vigueur de la loi SEP, en 2008, il y a eu un plus grand
intérêt de la part des établissements à être conseillés dans l’élaboration des plans
d’amélioration ?
Carlos : Je dirais que oui. Les raisons sont parce qu’ils étaient maintenant tenus de
réaliser le plan d’amélioration, et nous à la FS, nous avons l’expertise et l’autonomie,
nous ne sommes pas le ministère. Je crois que travailler avec nous est plus confortable
pour les directeurs d’établissements.
Ainsi, la généralisation, par la loi, de l’injonction faite aux établissements de mettre en
place un plan d’amélioration permet aux consultants de FS de retrouver des possibilités
d’intervention alors que l’arrivée du système SACGE l’avait antérieurement réduite. Tous les
participants sont d’accord sur le fait que l’obligation faite aux établissements d’élaborer un
plan d’amélioration signifie davantage de possibilités pour eux. Cependant, dans la réalité les
seuls bénéficiaires sont Carlos, Leticia et Léonardo. Leticia est consultante à temps partiel du
programme Mejor Escuela (Meilleure École) et Leonardo dirige une ATE qui est
pratiquement saturée de clients.
5.4.3. L’absence de tarif fixe et d’appui institutionnel
À peine les consultants terminent leur formation que débute un processus de
déprofessionnalisation, spécifiquement lorsque les consultants doivent chercher des clients.
De plus, à la fin de leur formation, FS ne leur garantit pas un monopole d’intervention.
Carlos : [...] Ils nous ont promis de l’exclusivité. Ceux d’entre nous qui étions
accrédités comme consultants pouvaient travailler au nom de FS, mais chacun pouvait
accompagner des établissements sans être accrédité, parce que la Fondation n’est pas
l’État [...].
!174
Mais le manque d’appui institutionnel est encore aggravé à partir de l’année 2008
parce que les consultants doivent entrer en concurrence avec la FS elle-même pour répondre
aux appels d’offres du système des adjudications publiques.
Ils ont aussi de grandes difficultés à négocier leurs honoraires. Tous les consultants
auraient aimé qu’un tarif soit convenu avec FS pour éviter la négociation avec les
propriétaires et les chefs d’établissements.
Lucía : Il a été demandé que ce soit tarifé, mais la vérité est que la FS ne s’implique
pas dans cela [...] Il me semble logique, chacun est libre d’avoir ses tarifs
professionnels.
Carlos : Jamais ils ne se sont mis d’accord pour établir une tarification [...] La
négociation des honoraires pour nous était très compliqué [...].
Une difficulté pour les consultants est donc qu’ils se trouvent pris entre deux logiques,
celle du secteur public qui nécessite une régulation des tarifs et celle du secteur privé qui
fonctionne avec des tarifs libres évoluant selon le marché. Les consultants doivent travailler
dans cette incertitude.
5.4.4. La difficulté d’avoir plusieurs emplois
Certes, les établissements qui demandent la certification ne sont pas nombreux et ce
sont les membres du staff qui décident librement à quel évaluateur ils attribuent un
établissement. Mais, dans tous les cas, les honoraires de ce groupe de privilégiés sont très bas.
De plus, les consultants interrogés n’ont effectué que quelques évaluations pour le CNCGE
les cinq dernières années, ce qui est très loin du minimum souhaitable, en termes de recettes
annuelles. Comme ils ne pouvaient pas vivre exclusivement de ce travail, ils ont conservé
leurs autres activités professionnelles, mais pour nombre d’entre eux, ce deuxième travail les
ennuie. De plus il peut se révéler aussi incompatible avec l’activité de consultant.
Leonardo : Parce que il s’agissait aussi d’un jeu complexe, si tu te dédies à évaluer
[...] tu abandonnes ton travail [...] dans mon cas il était un complément à ce que je
faisais, à cet égard ça fonctionnait très bien […] mais je ne sais pas si quelqu’un peut
se consacrer uniquement à évaluer des écoles [...].
Carlos : Sincèrement ces années de consultant ont été très dures. Nous avions de
grandes attentes et jamais nous n’avons pu vivre de cela [...].
!175
La plupart des consultants ont déserté parce qu’on ne les appelle jamais. Avec cela tu
ne peux pas manger […] Le commerce entre guillemets va mal […] Tu pourrais
demander aux autres consultants si aucun d’entre eux a pu faire de ça une profession
[...] de laquelle on puisse vivre [...] je crois qu’aucun d’eux.
En fait FS, comme institution, est diluée pour eux. C’est ainsi que commencent à
surgir des sentiments de frustration par l’absence de rémunération. De facto, dès ce moment,
FS est incapable de définir un projet véritable pour maintenir les consultants mobilisés plus
longtemps.
5.5. Devenir membre des staffs d’autres programmes de FS
Le domaine de l’éducation a mis en place d’autres programmes de FS, ML et ME, qui
ont été conçus pour répondre aux établissements qui continuent à avoir de mauvais résultats
pour attirer les établissements qui ne sont pas dignes de la certification. Deux d’entre eux, qui
ont été recrutés pour ces programmes, participent à cette étude: Carlos et Leticia. Bien que ce
soit un travail à temps partiel, il constitue une reconnaissance dans leur
carrière professionnelle mais ils sont affectés par la faible rémunération.
Carlos : J’ai quitté mon poste de direction à cent pour cent [...] la Fondation m’a dit :
Nous n’avons besoin de toi qu’à temps partiel, un soixante pour cent [...] nous ne
pouvons pas payer la même rémunération que celle que tu percevais comme chef
d’établissement.
Leticia : Je travaille dans le programme « Meilleure École » accompagnant des
établissements qui n’ont pas de bons résultats [...] J’ai une rémunération par mon
travail à mi-temps [...] c’est une reconnaissance de mon travail en tant que
consultante.
On retrouve ici la même difficulté pour les consultants. Leur désir de reconnaissance
les conduit à accepter des conditions financières défavorables. La promesse de développement
d’un marché de la consultation ne débouche pas sur une réalité. Leur individuation comme
consultants ne trouve pas les conditions favorables dans l’environnement institutionnel.
!176
5.6. Devenir évaluateur externe
L’élite des consultants du modèle de FS est constituée par ceux qui ont atteint le statut
d’évaluateurs externes. En effet, dans la pratique professionnelle, les évaluateurs ont un
avantage sur les consultants du réseau et sont mieux considérés par les chefs et propriétaires
qui préfèrent choisir un consultant qui possède une expérience comme évaluateur externe.
Mais ces évaluateurs ne bénéficient pas de publicité sur les sites web de FS.
Chercheur : Nous avons le réseau de consultants free-lance qui ne sont pas des
évaluateurs et nous avons vous qui avez un double rôle (consultant et évaluateur).
Est-ce que les collèges préfèrent vous recruter vous qui avez un double rôle ? Vous
avez un avantage sur les autres consultants ?
Antonia : Nous n’avons aucune visibilité. Nous ne sommes pas dans une liste
publique.
Depuis le début, l’idée était que les consultants les plus performants pourraient en
arriver à occuper le rôle d’évaluateur externe, mais le système utilisé pour les sélectionner est
loin d’être une méritocratie. A contrario, dans la sélection ce qui compte est un certain type
d’affinité avec les staffs qui prennent la décision, sans aucun type de concours entre les
consultants. Par exemple, une participante qui est une des deux staffs de FS qui participent à
cette étude, confirme que pour faire partie de ce nouveau groupe, il n’existe pas de processus
de sélection qui garantisse l’égalité des chances à tous les consultants : « Ont été retenus les
bons élèves du cours de consultants ou du cours de Master, ceux qui ont montré un certain
profil et qui pourraient développer ce travail […] » (Leticia).
D’après une autre des participants, qui a commencé directement comme évaluatrice
sans expérience comme consultante et seulement par affinité avec un conseiller du CNCGE
qui aujourd’hui est cadre dans l’ACE : « Ce qui se passe est que j’ai été d’abord évaluatrice et
après consultante [...] le directeur m’a offert de faire partie du staff des certificateurs […] J’ai
trouvé cela intéressant parce que cela enrichit mon travail, ça me permettait d’avoir un autre
regard » (Lucía).
Pour Leticia la liste est en constante évolution. « La liste est évaluée périodiquement et
se modifie [...] » (Leticia), parce qu’ils ont d’autres emplois stables et qu’ils ne peuvent pas
vivre de l’évaluation.
Ainsi, plusieurs évaluateurs de ce groupe ont dû émigrer à cause du manque de travail.
!177
Leticia : Ils doivent demander des permis à leurs chefs pour s’absenter pendant les
trois jours que dure la visite externe […].
Carlos : Il n’avait plus de travail [...] c’est pourquoi ce groupe a commencé à émigrer,
parce qu’on ne leur donnait pas de boulot, jamais […] Il y avait parfois des
évaluateurs qui ne pouvaient pas aller faire le travail parce qu’ils devaient être en
dehors de Santiago trois jours consécutifs. C’est pour ça que ces évaluateurs ont
commencé à déserter […].
Enfin, compte tenu de cette haute rotation, Carlos a eu l’occasion de devenir
évaluateur.
5.6.1. Passer de deux évaluateurs à un seul
FS a décidé d’éliminer un évaluateur pour faire des économies en remplaçant le
deuxième par un membre du staff de FS qui va jouer dès à présent le rôle d’évaluateur pair
sans être payé davantage pour réaliser la première visite avec le premier évaluateur.
L’évaluateur qui effectue ensuite seul le travail reçoit vingt pour cent de rémunération
supplémentaire pour effectuer le travail qui se faisait auparavant à deux.
Carlos : Mais maintenant tout le boulot est fait par un seul évaluateur, un travail de
chinois [...] Au début, j’ai travaillé avec une autre personne [...] mais en raison des
coûts, ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas envoyer deux évaluateurs, parce que cela
peut être fait par un seul [...] pourtant, ils nous payent un peu plus.
5.6.2. Le manque de transversalité à l’intérieur de l’équipe d’évaluateurs et du staff
FS fonctionne comme de nombreuses entreprises où quelqu’un qui suggère beaucoup
des modifications ou effectue des critiques, mêmes constructives, pourrait être stigmatisé
comme conflictuel.
Carlos : Notre programme marche sur une seule patte, parce que notre programme
n’est pas conçu pour, etc. […] si je dis quelque chose comme ça, je peux être remis en
question, car problématiser ne fait pas partie de mon travail.
Car FS ne peut pas payer plus d’une demi-journée et cherche des candidats qui aient
un autre travail stable pour ainsi éviter les conflits avec la précarité des revenus, en évitant
!178
toujours l’expression de différends dans le groupe. « Tous sont des personnes super occupées
[…] » (Lucía).
Bien évidemment, le temps que les évaluateurs consacrent à ces activités de groupe est
insuffisant. Pour cette raison, ils bénéficient d’une unique réunion annuelle au maximum, il
s’agit d’une occasion pour clarifier tout ce qu’ils peuvent avec les membres du staff de
CNCGE. « C’est le seul espace de réflexion [...] pour savoir ce qui se passe, pour voir les
changements qui interviennent dans le modèle » (Leonardo).
Mais de toutes façons il est très étrange que quelqu’un critique l’institué dans FS.
« Non, car, comme tu le dis, étant donné que nous sommes employés de FS
[…] » (Leonardo).
Certes, ils doivent s’occuper de leur travail et ne pas exprimer de différends avec le
modèle de la qualité. « Il n’y a pas la possibilité même d’auto-critiques […] dans la Fondation
chacun s’occupe de son boulot » (Carlos).
Mais probablement, pour FS, cette fragmentation des consultants est idéale. Ainsi, les
consultants du réseau lorsqu’ils sont déconnectés de FS n’ont rien à dire, rien à revendiquer.
Cela est également valable pour ce groupe qui ne peut se réunir qu’une ou deux fois par an
avec ses collègues membres du staff. « Pour unifier les critères, savoir comment ils sont,
réviser s’il existe une modification des schémas […] » (Leticia).
Dans l’une de ces réunions, un contrat annuel est signé. « Ils doivent signer une
convention tous les ans […] où la confidentialité est stipulée, la responsabilité du rapport, les
délais qu’ils ont pour le rapport » (Leticia).
Il n’existe pas de nombreuses possibilités pour bénéficier des avantages d’une pratique
réflexive. « Nous avons peu d’instances pour mener des travaux collaboratifs. C’est un travail
individuel » (Antonia).
5.7. Devenir ATE et concurrencer les grands cabinets conseils
Depuis la création de l’annuaire ATE (2008), le consultant doit s’inscrire et donc
concurrencer les grands cabinet conseils. Carlos et Leonardo ont décidé de participer, en tant
que personnes naturelles, au répertoire ATE. En fait, c’était l’occasion qu’ils avaient attendue,
d’une plus grande transparence dans le système public d’appels d’offres. Enfin, des ressources
!179
supplémentaires arrivent avec la loi SEP pour que les établissements puissent payer les
services des consultants pour accompagner le processus de certification.
Carlos est le seul des consultants qui n’a pas utilisé le camouflage d’une entreprise de
cabinet conseil, comme par exemple Leonardo, pour s’inscrire dans le répertoire ATE, car
c’est la manière, selon lui, de pouvoir améliorer leurs chances dans les adjudications, avec une
plus grande crédibilité juridique. Leonardo en revanche a choisi de créer une entreprise de
cabinet conseil pour s’inscrire sur la liste ATE.
Carlos : Je me suis inscrit en tant que personne naturelle dans le registre ATE. En fait,
je suis le seul à l’avoir fait de cette manière. Les autres collègues ont créé des
entreprises en partenariat avec d’autres consultants pour s’enregistrer, mais il semble
que cela ne signifie pas de meilleurs résultats.
Leonardo : Je ne souhaitais plus travailler toute ma vie au ministère, j’avais déjà
achevé un cycle. J’ai décidé de constituer mon entreprise, d’être indépendant et le
Master est une formation professionnelle qui m’accrédite aussi comme consultant.
Mais cela n’a pas été facile car il y a une grande concurrence, mais je suis en train de
progresser.
Cependant, les témoignages des consultants conduisent à penser que le répertoire ATE
n’a pas signifié une plus grande transparence dans l’attribution des appels d’offres.
5.7.1. Concurrencer de grandes holdings d’entreprises qui ont créé leurs cabinets
conseils pour obtenir du profit
Les entreprises stimulées par l’absence de contrôle des grandes holdings d’entreprises,
en dépit de ne pas appartenir au secteur de l’éducation, ont décidé de créer leurs propres ATE,
pour profiter des ressources provenant de la loi SEP (2008). Par exemple, une entreprise qui
vend des produits pour laboratoires chimiques a commencé à vendre des équipements aux
établissements qui ont besoin d’installer un laboratoire pour les élèves de l’établissement.
Leonardo : Les grandes entreprises [...] tout cela a à voir avec la question du profit
[...] En fait depuis peu certains m’ont appelé pour travailler dans l’ATE de Santillana,
qui se consacre à l’édition de livres mais qui a vu en cela une occasion
de faire du business.
!180
Carlos : De nombreuses entreprises ont vu que cela est une activité de milliards de
pesos et que c’est possible de vendre toute chose. De fait, les entreprises qui gagnent
plus ne viennent pas du monde de l’éducation, ce sont des entreprises opportunistes.
Je pense que l’esprit de la loi était que les établissements allaient recruter des
consultants sérieux comme nous, mais nous sommes les moins favorisés. Presque
depuis le premier jour, nous avons vu des cas de corruption [...].
5.7.2. Concurrencer la Fondation Schiller elle-même aux appels d’offres de fonds publics
Avec la création du répertoire ATE, en pratique le réseau de consultants se détache
définitivement du FS. Ceci bien que de nouveaux consultants, formés par la Fondation,
continuent à rejoindre le réseau chaque année.
Une des évaluatrices du programme ME avoue qu’eux-mêmes ne savent pas combien
exactement il y a de consultants actifs :
Leticia : Les consultants sont présents sur tout le pays, certains sont inscrits comme
ATE, d’autres font des travaux privés et certains ne travaillent pas. Alors il est très
difficile d’avoir ce chiffre.
De plus, FS commence à être en concurrence dans les appels d’offres avec les
consultants qu’elle a elle-même formés et auxquels elle devrait assurer un créneau
professionnel. Il est impossible pour les consultants individuels de concurrencer les grandes
ATE comme FS. C’est parce que dans le système d’adjudication ATE, les consultants
apparaissent sans expérience en comparaison des grands fournisseurs comme FS. Mais en
plus de l’expérience ce qui compte pour avoir plus de succès dans les appels d’offres concerne
les ressources humaines. Ce n’est pas la même chose de travailler seul ou avec d’autres pour
téléphoner aux établissements, organiser des réunions, envoyer des offres, etc.
Chercheur : Il est très difficile de concurrencer FS dans les appels d’offres ?
Carlos : C’est vrai, il est très difficile de les concurrencer. Ils peuvent faire valoir
l’expérience, bien que cette expérience soit la nôtre, celle des consultants.
5.7.2.1. La concurrence déloyale entre consultants
Les consultants des programmes ML et ME utilisent l’appellation de consultants de FS
pour se différencier des autres consultants du réseau externe. Ceci bien en dépit du fait qu’ils
!181
ont le même type d’accréditation. Ainsi, ils font croire aux chefs et propriétaires d’
établissements que les autres collègues ne disposent pas de la même légitimité. Ils font valoir
une plus grande proximité institutionnelle. Un petit mensonge banalisé pour résoudre leurs
problèmes à court terme.
Leticia : Il y a certains consultants qui disent qu’ils sont de FS, mais ils font partie du
réseau externe [...].
Chercheur : Mais les consultants qui travaillent ici dans les programmes ML et ME
sont consultants aussi du réseau. Ils sont passés par la même formation, pourquoi
établir cette différence ?
Leticia : Parce que cela prête à confusion dire « nous », car ils n’ont pas un contrat
avec nous [...].
Chercheur : Mais ils ne disent pas cela exactement, ils disent appartenir au réseau de
consultants de FS. Est-ce correct ?
Antonia : Oui c’est clair, mais nous avons eu des cas où des établissements ont cru
qu’ils travaillaient ici avec nous et ce n’est pas ainsi.
Ce moment de l’entretien collectif a été un peu gênant pour moi et pour les
participants car Leticia et Antonia parlaient de consultants comme moi (à l’époque où j’avais
cette fonction), qui n’étaient pas proches des membres du staff mais qui se présentaient, de
bonne foi, comme consultants du réseau de FS. En regardant à plusieurs reprises les images,
je peux voir des signes d’inconfort sur leurs visages. D’ailleurs, elles évitent de mentionner
ceux qui eu à leur avis des comportements peu éthiques.
5.7.3. Les consultants qui travaillent dans une Agence Technique sous-traitée par une
autre plus grande
La raison principale pour laquelle Leonardo a été recruté par une ATE de taille moyenne
est son expérience dans le MINEDUC et ses contacts avec les chefs de DAEM.
Leonardo : Nous travaillons dans trois communes différentes [...] nous sommes en
train d’accompagner dix établissements de la commune de San Ramón, dix-huit
établissements des communes de Conchalí et des dix écoles de la commune de Ñuñoa.
De plus, il n’est pas surprenant, que dans cet état de choses, les ATE les plus grandes
sous-traitent aux autres plus petites pour diviser le travail lorsqu’il a été adjugé par les grands
!182
appels d’offres. « [...] C’est une grande entreprise de cabinet conseil et je travaille pour une
plus petite qui fournit des services à cette autre [...] Nous sommes sous-traités par cette grande
[...] (Leonardo).
Mais avec le profit excessif des propriétaires des grandes ATE, les consultants voient
diminuer leurs revenus par heure et augmenter leur charge de travail, bien qu’ils pourraient
globalement améliorer leurs revenus.
Leonardo : Dans ce type d’ATE lorsque les professionnels sont recrutés pour apporter
une assistance technique, on paie un salaire horaire très mineur […] en fait sur le
marché une heure professionnelle vaut vingt mille pesos, ici on t’offre huit mille pesos
[…].
Leonardo : Où vont les recettes ? On doit financer les propriétaires de l’entreprise […]
voilà pourquoi on commence à réduire les bénéfices des professionnels qui sont
finalement ceux qui font le travail directement avec les écoles.
Bien sûr, on retrouve ici une tension courante dans les entreprises privées qui désormais
se retrouve dans le secteur de l’éducation. Les consultants se trouvent pris dans ces tensions
qui peuvent les mettre en contradiction avec leurs propres motivations et désirs.
5.8. Les implications idéologiques dans les logiques managériales
Le pilotage de la qualité est une des mutations du monde de l’entreprise diffusée dans
le monde de l’éducation (Dutercq & Lang, 2001). En fait, nombreux sont les systèmes
éducatifs, comme le dit Pérez-Roux et Salane (2013), qui ont traversé ces « mutations
relativement importantes ».
5.8.1. La surimplication des consultants dans le management
La diffusion de la logique managériale dans l’éducation des participants est déclinée
de la façon suivante par un des participants :
Leonardo : Les vagues de réformes politiques internationales, latino-américaines
disaient où tu dois mettre les efforts pour améliorer les résultats et à juste titre la
gestion devient un élément clé […] ce que font les entreprises qui ont de bons
résultats.
!183
Les valeurs et les références éthiques de l’entreprise, bien qu’il soit difficile de le
croire, étaient à l’avant-garde de la dernière décennie. Des consultants ont vu dans la
formation en management ce qui leur manquait pour être des professionnels plus efficaces
dans le système scolaire. Leonardo décline de cette manière son implication dans la logique
managériale : « J’ai la vertu d’avoir développé ma carrière professionnelle en la purifiant avec
la gestion […] » (Leonardo).
En fait, les consultants sont impliqués positivement dans le management scolaire.
Selon Leonardo, qui travaillait à la mise en œuvre du modèle public de qualité SACGE (2003)
:
Leonardo : Ce que faisait le SACGE, lorsqu’il a été créé, était de regarder les
systèmes de qualité des entreprises qui existaient à ce moment pour tirer les aspects
les plus pertinents et les plus puissants pour les traduire, ou l’associer à un modèle
scolaire […] quelles sont les pratiques que peut avoir toute organisation qui
produisent de bons résultats, celles qui devraient s’appliquer dans un établissement ?
Gabriel : […] Le modèle nous a permis d’intégrer tout cela à l’intérieur […] ordonner
notre collège, notre pratique professionnelle.
Leonardo : […] Les établissements développent certaines pratiques de travail,
certaines façons de faire les choses, qui devraient aboutir à l’amélioration de la
qualité […].
Carlos : […] Tous améliorent leurs pratiques […] les résultats […] la même école
administrée d’une autre façon peut être formidable […] Nous ne savons pas ce qui se
passe dans les établissements que nous n’avons pas aidés.
Véritablement, ils se sentent jusqu’à présent très fiers de ce que la notion de qualité a
été institutionnalisée et reprise par le SACGE du MINEDUC et le SAC de l’ACE.
David : Nous avons également participé au SACGE, dans une première étape, et
regardé comment le modèle était mis en œuvre.
Carlos : FS a été un catalyseur de l’expérience de pointe dans la gestion scolaire, une
de ces expériences a été la certification […] FS est un des organismes, celui qui le
premier avait parlé de la qualité […] sérieux […].
Leticia : Nous avons eu le grand mérite [...] par le travail que nous avons fait dans les
établissements.
!184
La plupart des consultants pensent que le thème de la qualité est libre d’idéologies et
rejettent une position politique cachée ou explicite. Ils imaginent que leur participation à
l’institutionnalisation du pilotage par la qualité n’a pas de dimension politique.
Gabriel : Il n’existe aucune proximité avec un regard politique de droite ni de gauche
[…] si ce modèle avait une implication politique, il ne serait pas repris par les maçons
et les catholiques. Impossible […] parce qu’ils y voient une question qui permet aux
écoles de fonctionner bien.
Bien au contraire, ce même consultant considère que ce sont les représentants des
professeurs qui exercent des pressions politiques pour s’opposer au développement de
l’évaluation des enseignants dans les établissements.
Gabriel : Toutes les écoles devraient passer par ce processus, mais malheureusement,
et où il y a une implication politique […] par des questions de type politique cela ne
peut pas être possible.
Enfin, Leonardo qui travaillait au MINEDUC en mettant en œuvre le SACGE s’étonne
de la sur-implication des consultants de FS pendant les premières années. Pour eux, depuis le
secteur public, l’existence d’un modèle de la qualité n’avait pas la même importance. Certes,
travailler dans le cadre du SACGE était un travail rémunéré par l’État et ne nécessitait pas de
surimplication :
Leonardo : […] J’étais dans le ministère lorsque cela a commencé. Nous avions
formellement la charge de tous les établissements publics, précisément de six mille
établissements. Toutefois cela faisait alors partie de notre travail habituel. Pour nous,
cela ne signifiait rien de nouveau, sauf à développer un processus intéressant
d’accompagnement des écoles dans un processus d’amélioration, mais en termes
d’emploi, au plan professionnel ou à propos de rémunération, cela n’avait aucune
signification.
5.8.2. La certification de la qualité pour améliorer la capacité de soutenir la concurrence
avec les autres établissements
Les établissements qui cherchent à obtenir le label de qualité de FS le font parce que
cela pourrait améliorer leurs chances face aux autres établissements avec lesquels ils sont en
!185
concurrence, c’est-à-dire pour attirer plus d’élèves ou de subventions de l’État. Certains
consultants déclinent positivement leur implication dans cette logique :
Leonardo : J’ai le label de qualité de FS [...] alors je peux vendre mon établissement
comme un bon collège […].
Lucía : […] Au Chili il y a de nombreux collèges, de moins en moins d’enfants, par
conséquent il y a une concurrence forte entre les collèges […] Il faut lutter pour
maintenir votre inscription et la seule façon de le faire est la qualité.
Lucía : L’établissement subventionné pour conserver ses élèves doit offrir une
meilleure qualité.
5.8.3. Si un établissement ne peut avoir de profit, il ne peut pas offrir une éducation de
qualité
Ce fut Friedman (2010) qui a dit que les établissements à but lucratif peuvent
améliorer constamment la qualité en étant en concurrence avec d’autres pour attirer des
élèves.
Dans l’entretien individuel avec Lucía, j’ai pu saisir la logique institutionnelle
suivante, qui n’est pas partagée par les autres participants. Elle décline ainsi son implication
dans la logique du profit :
Lucía : Pour offrir une éducation de qualité, les établissements doivent être à but
lucratif. Un collège gratuit, qui reçoit seulement la subvention et qui veut offrir la
qualité […] selon moi, s’il ne dégage pas de profit, je ne sais pas comment il va faire,
car la subvention n’est pas élevée.
Chercheur : Ne crois-tu pas qu’il existe une sorte de perversion dans la certification ?
Lucía : […] J’ai travaillé dans un collège gratuit, qui reçoit seulement la subvention,
mais qui veut offrir de la qualité. À mon avis, si le collège ne peut pas dégager de
profit, il ne peut pas offrir une éducation de qualité, en fait je ne sais pas comment le
collège se maintient, car la subvention est très limitée […].
Lucía : Au contraire, j’ai vu des collèges qui effectivement ont de bons revenus pour
leurs propriétaires […] Ce collège offre une très bonne qualité pour ses étudiants,
alors il ne me semble pas un problème […].
!186
5.8.4. « Les établissements catholiques peuvent endoctriner les enfants avec la
subvention de l’État laïc »
Dans notre système, les établissements catholiques peuvent recevoir des subventions
de l’État, même si leur projet éducatif n’est pas laïque.
De nombreux parents ne sont pas gênés par le fait que leurs enfants soient influencés
par une religion, s’il leur semble que l’établissement est un établissement meilleur que les
autres auquel ils peuvent accéder par le prix et par l’emplacement.
Bien que, dans de nombreux pays, les établissements catholiques peuvent recevoir un
financement de l’État, dans notre cas les établissements peuvent aussi choisir leurs élèves,
conformément aux critères liés à leur projet religieux.
Par exemple, un enfant de parents du même sexe ou simplement de parents divorcés
peut être rejeté parce qu’il ne correspond pas au profil de cet établissement. Une fois inscrit
l’enfant ne peut pas refuser l’influence religieuse. De fait, dans ces établissements est
dispensé un cours de religion.
De plus, il existe de nombreux établissements qui, pour attirer les parents, cherchent à
obtenir l’appui d’une congrégation religieuse, peut-être en échange d’un paiement ou d’un
don périodique. En réalité le curriculum scolaire doit être quasiment le même pour tous les
établissements qui reçoivent des subventions de l’État.
Mais certains participants déclinent positivement leur implication dans la possibilité
que les établissements puissent imprégner religieusement les élèves avec des ressources de
l’État dans un pays qui est défini comme laïc.
Leticia : Si le soutien que nous faisons n’est pas en accord avec vos attentes, vous
devrez trouver un autre collège, mais c’est votre décision, le collège fonctionne ainsi
[...] c’est vous qui avez amené votre enfant ici.
Leticia : Les parents choisissent les collèges [...] mais après, ceux qui sont à
l’intérieur ne souscrivent pas à des projets éducatifs [...] veulent faire les choses à leur
manière et c’est là que commencent les discussions [...] si je vais à l’école catholique,
c’est parce que dans le fond je suis catholique et si mon fils va aller à la messe, c’est
parce que je suis d’accord, mais sinon pourquoi j’ai amené mon fis à une école
catholique ?
!187
5.9. La désimplication affective et idéologique
Selon Aballéa (2013) la desinstitutionnalisation arrive avec la désimplication affective
et idéologique. Cela s’est passé pour la majorité des consultants qui après de nombreuses
tentatives pour obtenir des bénéfices de leur nouvelle profession (en ajoutant à l’absence de
rémunération, l’absence de reconnaissance, l’absence d’un collectif) ont deserté.
5.9.1. L’absence d’une rémunération fixe
L’absence d’une juste rémunération n’avait pas été possible à supporter sans la
surimplication des participants.
Chercheur : Je me suis rendu compte que certains d’entre vous ont de très bons
revenus dans leurs autres travaux, mais pourquoi veulent-ils continuer à évaluer des
écoles pour FS ?
Carlos : […] Personne ne vivrait d’être consultant, en effet tous les consultants étaient
en même temps directeur d’un établissement […].
Antonia : Oui, c’est pour ce que signifie la FS (son image), l’expérience que nous
vivons lors des trois jours dans l’établissement est très riche, alors, je crois que c’est
cela, c’est pour maintenir ce lien, et pour être en rodage.
Lucía : Pas de problème que j’aille une semaine certifier les collèges, parce que c’est
un apprentissage. Il nous sert et après, ici dans mon établissement, je peux apporter
des idées : Regarde ça, ils le font comme nous, et cette autre question […] pas plus de
deux ou trois choses à l’année, parce que je n’ai pas le temps.
5.9.2. L’absence d’un collectif
Ce qui a fini par épuiser les espoirs des consultants a été la priorisation des membres
staff de FS et de leurs propres besoins et objectifs institutionnels, en violant l’accord avec les
consultants concernant le monopole d’intervention et l’apport d’un certain appui
institutionnel, ce qui vient affaiblir encore plus les logiques professionnelles des consultants,
ceci en plus de limiter leur autonomie pratique et éthique.
Les consultants ne pouvaient pas faire valoir leurs prérogatives, parce que FS a
suspendu les réunions annuelles avec les consultants du réseau. De fait, la majorité, comme
moi, s’était éloignée de plein gré. Ainsi les consultants sont passés d’un contact intermittent à
!188
un contact nul avec FS. Sur les réunions annuelles des consultants, l’un des participants
affirme que :
Carlos : [...] C’est une pratique qui a été abandonnée, qui existait au début lorsque
cela fleurissait, lorsqu’on voyait que cela avait beaucoup d’avenir [...] Mais au cours
des derniers cinq ans [...] vu que cela ne prospérait pas, cette pratique a été
abandonnée.
5.10. Le retour de l’institution : les possibilités qu’offre l’ACE
L’émergence de l’ACE et son propre modèle de pilotage par la qualité, le SAC, va
affaiblir encore plus l’implication des consultants.
Carlos : La Fondation n’avait plus d’établissements à certifier, car si un établissement
le faisait, c’était plutôt de manière volontaire, il n’y avait aucune loi qui les obligeait,
une autre chose est maintenant avec cet instrument qui s’appelle Agence de la qualité
[…].
Carlos : Le modèle qualité de FS ne fonctionnait pas […] Lorsqu’on a créé par la loi
l’Agence de la qualité […] à FS, ils se sont-ils posés des questions : bon aujourd’hui
définitivement nous allons sortir de la carte, parce que l’ACE est publique ?.
Leonardo : […] La FS, doit se re-penser, car il ne va pas y avoir beaucoup de sens
pour les écoles d’avoir une certification de qualité donnée par la FS, parce que tu vas
avoir l’ACE qui doit évaluer tous les établissements et les classer selon leurs résultats
[…] il pourrait y avoir une redondance.
Leonardo : Quel est le futur du modèle de FS maintenant s’il existe l’ACE ? […]
L’Agence va évaluer toutes les écoles publiques et privées […] ils vont avoir la tutelle
des enfants, mettre le label de qualité et, en effet, il est une entité étatique
indépendante, avec une validité nationale […] il ne s’agit pas d’une entreprise privée,
donc qu’est-ce qui va se passer avec le modèle de FS ?
Leonardo : L’ACE vient enterrer ce qui est la logique de certification de la qualité de
FS, parce que tu vas avoir tous les établissements classés par l’ACE […] par
conséquent, aucun établissement ne va être exclu, qui va avoir besoin de FS ?
!189
Mais l’émergence de l’ACE représente aussi pour les participants un triomphe. « Il me
semble qu’il est valable et il existe maintenant une possibilité de le massifier avec l’Agence
de la qualité » (Carlos).
En fait, l’ACE considère la possibilité d’externaliser certains services et il peut y avoir
ensuite une occasion pour les évaluateurs et consultants. « Il y a certains conseillers au sein de
ce conseil qui préfèrent l’externalisation de quelques services, c’est-à-dire que le système
puisse fonctionner avec une participation des privés […] » (Antonia). Cette fois-ci, peut-être,
il y aura une occasion pour les consultants comme ceux de ce groupe de participants et ceux
qui ne sont pas actifs dans le réseau.
Leticia : Par la quantité d’établissements, ils devraient y avoir un bataillon géant pour
pouvoir accompagner six mille établissements.
Carlos : […] Nous faisons ce boulot, ils n’ont pas d’évaluateurs […] par conséquent
ça pourrait ouvrir une formidable opportunité […].
Carlos : Dans la FS, on pense que maintenant nous avons peut-être notre opportunité
[…] l’ACE nous embauche tous comme équipe […].
Carlos : D’où il tire des gens ? Ils vont nous appeler, parce que nous sommes déjà
formés ?
Carlos : […] Avec l’ACE, probablement est arrivé le moment pour nous où ils nous
diront : venez ici. Ce que n’a pas fait la Fondation […] En effet, il pourrait s’ouvrir un
énorme marché pour nous […].
Carlos : A FS, on se frotte les mains [...] mais non, maintenant c’est nous, les
consultants, qui nous frottons les mains.
Enfin, en dépit de la grande similitude entre les modèles de la qualité de FS et le SAC
de l’ACE, les consultants de FS, ne jouissent d’aucun type d’avantage spécial pour parvenir à
être recrutés par l’ACE, car, ils doivent participer au processus de sélection « de masse » pour
entrer. Mais le passage du consultant du modèle de la qualité de FS au SAC ne va pas
signifier un grand changement, parce qu’il y a certainement une continuité avec l’expérience
précédente. Évidemment, s’ils parviennent à entrer à l’ACE, ils doivent s’adapter à une
dimension symbolique, un autre cadre pour la reconnaissance de leurs contributions et pour
faire valoir leurs savoirs. Enfin, ce type de retour de l’institution, comme l’affirme Aballéa
!190
(2013), va entraîner un nouveau processus d’institutionnalisation et de professionnalisation (p.
21).
Chercheur : Est-ce que vous pouvez me confirmer s’il est vrai que vous, les
participants qui sont les seuls consultants actifs dans le réseau, avez dû vous adapter
aux changements permanents de la Fondation pour ne pas perdre sa source de revenus
? Et si c’est ainsi de quelle manière pensez-vous que cela a affecté votre motivation,
votre morale, à vous les consultants, l’émergence de l’ACE ?
Carlos : C’est vrai. Nous avons dû nous adapter toujours. Par exemple, quand
j’ai été licencié de mon travail en tant que directeur, j’ai cru que pourrais vivre du
conseil. Mais avec l’émergence du SACGE et le manque d’établissements intéressés
par la certification, il était très difficile d’obtenir la certification qui est coûteuse. Elle
doit être renouvelée et vous devez payer de nouveau. Pour cette raison ils ont créé des
programmes Meilleure École et Meilleur Lycée pour pouvoir obtenir des ressources
pour payer les coûts fixes. Ce modèle d’affaires a été efficace. Ils peuvent demander
des dons à des entreprises pour accompagner les établissements ayant de mauvais
résultats. C’est un bon exemple de comment nous nous adaptons, nous passons de la
peine à l’espoir, certaines joies, puis la désolation, puis l’espoir de nouveau. Avec la
création de l’ACE, mais ensuite nous nous rendons compte que nous ne sommes pas
considérés par eux. C’est pourquoi j’ai décidé de créer ma propre Fondation.
Maintenant, à la fin, je sens qu’on va progresser.
En guise de conclusion
Les collègues qui ne sont plus actifs dans le réseau avaient probablement le sentiment
qu’ils étaient incompétents, qu’ils n’étaient pas à la hauteur des circonstances (Dejours,
1998). Sans doute, la perte de certains repères institutionnels et l’absence de reconnaissance a
provoqué en eux un malaise général (Aballéa, 2013). C’est pourquoi les mouvements
institutionnels que FS a dû effectuer ont affecté évidemment le processus de
professionnalisation des consultants et leur implication professionnelle.
En fait, les autres consultants sont passés d’un processus de professionnalisation et
d’institutionnalisation à un processus inverse de desinstitutionnalisation et de
déprofessionnalisation ou anomie professionnelle (Aballéa, 2013). Parallèlement à ce déclin
!191
de l’institution (Dubet, 2002), il s’est produit une disparition du discours de la logique
professionnelle. En conséquence, le groupe a perdu l’intérêt de participer. Il n’existe alors
aucune possibilité de définir de façon autonome des références normatives et des règles
éthiques (Aballéa, 2013).
Mais dans le cas de ce groupe de participants à ma recherche, ils ont réussi à continuer
leur activité de consultants grâce à une plus grande proximité avec le groupe dominant
constitué par les membres du staff. Grâce à cela, certains d’entre eux ont eu la possibilité de
recevoir une rémunération, probablement en échange de l’obéissance à un certain type de
consignes implicites (Lourau, 1991). Mais, bien qu’ils soient un groupe de privilégiés par
rapport au reste du réseau de consultants, l’exploitation de la subjectivité de ce groupe de
participants semble assez claire. Comme le disait Lourau (1991), la surimplication est
l’idéologie normative du surtravail. Effectivement, dans le cas de mes collègues, la
surimplication a été nécessaire. En fait, la surimplication leur a donné la force nécessaire pour
effectuer d’innombrables opérations de traduction au niveau des établissements.
L’angoisse des consultants est la preuve de l’absence d’un collectif. En effet, il n’y pas
d’espace de résonance ayant une ampleur suffisante, car l’individuation est la coproduction
d’un individu et d’un milieu, comme le dit Simondon (2005 [1964]). Seule l’individuation
collective donne l’espace pour que ces problèmes puissent être pris en charge. D’après
Simondon (2005 [1964]), le sujet ne va pas être capable d’agir, de s’intégrer, de participer à
une individuation lorsqu’on le prive de collectif. En fait, cette absence du transindividuel,
selon lui, génère la pathologie. La force de cette attaque, selon l’auteur, rend incohérente ses
structures, mais cette expérience angoissante pourrait conduire à une nouvelle individuation.
Enfin, comme le dit Erikson (1959), un temps de crise est en partie inévitable dans la
construction de l’identité. Certes, le processus identitaire, d’après Balleux et Pérez-Roux
(2013), est en permanence construction, déconstruction et reconstruction. Selon les auteurs, ce
qui se passe dans une transition professionnelle est que ces changements s’accélèrent.
Résumé du chapitre
Ce chapitre a présenté les résultats de la première question de recherche, que j’avais
formulée de la façon suivante : Quels sont les effets des évolutions institutionnelles de la
Fondation Schiller concernant la traduction du pilotage par la qualité dans le système scolaire
!192
sur l’implication professionnelle des consultants ? On a vu comment les consultants ont pu
évoluer dans leur rapport à la logique du pilotage par la qualité et comment ils peuvent être
traversés par des contradictions institutionnelles assez fortes.
Ci-après, dans le chapitre suivant seront présentés les résultats obtenus à la deuxième
question de recherche.
!193
Chapitre 6 : Les opérations de traduction qui sont exécutées par les consultants avec les objets techniques de leur boîte à outils
6.1. La question de recherche
Dans ce chapitre, je vais essayer de répondre pleinement à la deuxième question de
recherche : Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986) exécutées par les
consultants, en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour influer sur
l’implication des chefs et des propriétaires d’établissements scolaires dans
l’institutionnalisation du pilotage par la qualité ? Ceci tout en leur permettant de réussir le
processus de certification de la qualité.
6.2. Les acteurs humains du réseau socio-technique
Il est utile de rappeler que les acteurs humains de ce réseau socio-technique qui se
trouvent directement dans mon champ d’observation et d’analyse sont :
Premièrement, les membres du staff de FS, les consultants du réseau national de FS et
les évaluateurs du CNCGE.
Deuxièmement, les acteurs humains de ce réseau socio-technique qui sont
indirectement dans mon champ d’observation et d’analyse sont les conseillers du CNCGE.
Dans ce second groupe, certains acteurs ont participé à la conception du modèle, il y a aussi
des chefs d’établissement et des professionnels de l’équipe qualité.
Tous sont porteurs de leurs propres intérêts et valeurs (Cros, 2004).
6.2.1. Les conseillers du CNCGE
Le rôle des conseillers est d’estimer le rapport présenté par l’évaluateur externe qui a
fait l’audit de l’établissement en ce qui concerne la saturation de preuves pour chacun des
indicateurs, ainsi que la qualité et la pertinence des éléments de preuve pour rendre un verdict
sur sa possibilité de certifier l’établissement.
Dans le groupe de conseillers du CNCGE, nous pouvons trouver les créateurs de ce
premier modèle de qualité dans notre pays. Ils ont participé à la fabrication du dispositif et lui
ont donné une forme « matérielle, symbolique, discursive » (Boussard, 2009b). Brunetti,
Avendaño et Andueza, et quelques membres du staff tel que David (qui participe à l’un des
deux entretiens collectifs filmés), ont participé aux modifications successives des objets
!195
techniques. Ce groupe de conseillers a investi plus d’une décennie pour l’instituer, avec
succès, comme dispositif de contrôle de notre système scolaire.
De part leurs appartenances, les conseillers du CNCGE représentent principalement
les intérêts des propriétaires des établissements privés et subventionnés qui sont en faveur du
modèle de marchandisation de l’éducation.
En me basant sur une recherche sur internet, pour mieux connaître ce que ces
personnes font par ailleurs dans leur vie professionnelle, j’ai écrit dans mon journal la note
suivante sur les conseillers.
La Présidente du CNCGE est María Andrade. Elle est la fille d’un ancien Président,
démocrate-chrétien qui a été le premier président de la transition après la dictature.
María Andrade, outre le fait d’être la Présidente du Conseil, est cadre à la Fondation
Futuro, qui est une propriété de l’ex-Président de droite, Sebastián Piñera, qui
actuellement cherche à conquérir la présidence pour la deuxième fois. María Andrade
est célèbre car lorsqu’elle était ministre de l’éducation (1990-1994), elle a supprimé la
philosophie du curriculum pour se concentrer uniquement sur les matières qui sont
évaluées par le SIMCE. María est une défenseur obstinée du profit des propriétaires
d’établissements. Elle a une grande visibilité et l’exploite pour critiquer en
permanence les intentions d’aller vers la gratuité de l’éducation, un droit que les
chiliens ont perdu durant la dictature. Parmi les conseillers du CNCGE, se trouvent
aussi plusieurs créateurs du modèle de la qualité : Cecilia Avendaño qui est
propriétaire d’un établissement privé et Sandro Andueza qui est professeur à
l’Université Catholique (PUC). Le plus connu de tous est Javier Brunetti, professeur
titulaire à la faculté d’éducation de l’Université Diego Portales (UDP), qui est un
fervent défenseur de la marchandisation de l’éducation. D’autres conseillers sont des
représentants des associations de propriétaires d’établissements. Raúl Borghi est
Président de la Société nationale des collèges privés. Le religieux Jorge Torrealba est
Président de la Fédération des institutions éducatives catholiques et Winston Ortiz, est
le propriétaire d’une grand holding d’établissements. Une autre conseillère est
Patricia Román, qui dans le passé a été cadre du MINEDUC et qui est aujourd’hui au
Vice-rectrice académique de l’Université des Amériques. Une autre conseillère est
Lorena Fuentes, elle est chargée de recherche au Centre d’études publiques, qui est un
!196
think tank de droite. Une autre conseillère est Carla García, propriétaire de
l’entreprise de logiciels pour l’éducation, 3S Sustainable Learning for Successful
Solutions SpA. García est aussi cadre à la Fondation Andes. Le conseiller James
Mackay est le Président de la société minière Mantos Copper. Marco Ureta est
directeur du programme de gestion et de direction scolaire du Centre d’innovation en
éducation de la Fondation du Chili et conseiller de la nouvelle Agence de Qualité de
l’Éducation. De la conseillère María Trinidad Salvatierra, je sais seulement qu’elle est
professeure. Je n’ai pas trouvé d’informations sur ses autres activités professionnelles
seulement son profil Facebook (Journal du chercheur, le 3 novembre 2017).
Mon collaborateur (Carlos) a confirmé pendant le deuxième entretien collectif filmé
mon impression sur les tendances des conseillers.
Chercheur : Est-ce que tu peux me dire quelque chose sur les tendances politiques ou
idéologiques des conseillers ?
Carlos : La première chose c’est que ce sont toujours les mêmes qui vont permuter
entre eux à la présidence. La deuxième chose est que tous les conseillers sont pro
marché dans l’éducation. C’est vrai que Brunetti et Andrade ont toujours défendu le
profit et une grande partie des conseillers sont possesseurs d’établissements.
Il y a toutefois d'autres consultants comme Gabriel qui trouvent que le CNCGE est
politiquement pluraliste :
Gabriel : Les conseillers représentent tout le spectre politique dans l’éducation. Ils ne
me semblent pas si aussi orientés à droite. De fait Winston Ortiz est chrétien-
démocrate et Brunetti était PPD.
D’après les conseillers, installer ces indicateurs de gestion dans l’établissement devrait
se traduire par une « éducation de qualité », sans avoir besoin de transformer les dimensions
structurelles du modèle de marchandisation de l’éducation.
Lorsqu’on établit une norme de vérité, on gagne du pouvoir (Zarka, 2009). Les
créateurs du premier modèle de pilotage de la qualité, Avendaño, Andueza et Brunetti, ont
rejoint une tendance dictée par les organismes internationaux, comme l’OCDE, la Banque
mondiale et l’UNESCO, qui ont été principalement les organisations qui ont suggéré le
pilotage par la qualité comme dispositif de contrôle. « La Fondation est devenue le leader au
!197
Chili de la qualité scolaire. Cela nous ne pouvons pas le nier. Ils ont été les premiers à parler
de qualité » (Leonardo).
Cela n’a pas été très difficile car, il y a deux décennies, les établissements déjà étaient
ordonnés sur la base d’indicateurs quantitatifs du même type comme le SIMCE. « De toute
façon, avant cela la principale tâche des chefs de nos établissements était déjà d’améliorer les
scores de leurs élèves sur l’épreuve SIMCE » (Leonardo).
Enfin, comme le dit Chomsky (2015), la machine de propagande, la création de think
tanks, la promotion de leurs experts, qui sont ceux qui parlent toujours sur les problèmes les
plus importants, sous prétexte qu’ils parlent du bien commun de l’intérêt général, de l’intérêt
national, de la technocratie. Tout ce complexe renvoie la population à une position de
spectateur, d’apathie et d’obéissance, qui est celle qui lui revient dans un jeu d’élites
privilégiées. Enfin, ce système idéologique est très restrictif et exclusif, pour ceux qui
n’acceptent ces bases. Comme le dit l’auteur, le débat est autorisé et aussi encouragé à
condition que soit conforme aux principes fondamentaux du système idéologique.
6.2.2. Les membres du staff
Les membres du staff sont des acteurs humains qui sont à l’intérieur de mon champ
d’observation et d’analyse. Deux des participants appartiennent à cette catégorie. L’un d’entre
eux est le Secrétaire technique du CNCGE. Ils reçoivent une rémunération mensuelle qui est
dans les valeurs du marché et répondent à une hiérarchie dans FS. Ils ont un contrat de travail
à durée indéterminée.
Le rôle des membres du staff est la médiation entre les évaluateurs et conseillers. Ils
transmettent les questions nécessaires pour clarifier leurs rapports, exigent des corrections et
des preuves supplémentaires nécessaires pour soutenir le rapport de l’évaluateur.
Leonardo : Le rapport que nous élaborons est discuté avec Antonia. Elle est la
coordinatrice du processus de certification, et notre pair évaluateur. David, qui est le
Secrétaire technique du Conseil, peut demander également des rectifications. David
est la personne qui discute le rapport avec le Conseil, le secrétaire technique.
En outre, ils représentent le CNCGE de manière officielle dans les établissements.
Gabriel : C’est le secrétaire technique qui vient dans l’établissement pour la
cérémonie de remise du label de qualité.
!198
6.2.2.1. La gestion avec les programmes de responsabilité sociale
Les membres du staff et les conseillers invitent de grandes sociétés minières à faire
don de l’argent comme une action de responsabilité sociale pour financer la mise en œuvre du
plan d’amélioration dans les écoles ayant de faibles résultats SIMCE. Ce sont les programmes
ML et ME qui bénéficient de ces dons d’entreprises, en majorité minières, tirant ainsi parti de
la loi.
Carlos : Ce cluster d’entreprises a été créé pour soutenir les coûts fixes de CNCGE,
ML et ME. Minière Escondida, Collahuasi, Pelambres, Cerro Colorado ont financé
des projets importants pour les lycées [...] environ 50 établissements […].
Antonia : Nous avons le financement privé pour tous les projets.
Mais ce don représente une franchise fiscale pour ces entreprises, de manière qu’il
n’est pas un apport uniquement altruiste. Selon l’un des consultants les entreprises font leur
propre marketing avec ces programmes de RSE de FS. « Blanchiment de l’image rien de plus
[...] » (Carlos). Dans ce cas, il s’agit d’établissements ayant de mauvais résultats. Par
revanche le CNCGE se focalise sur les établissements ayant des scores SIMCE dans la
moyenne nationale. En revanche, ML et ME ont adapté le programme pour les établissements
ayant de mauvais résultats en profitant des nouveaux ressources provenant de la nouvelle loi
SEP (2008).
Carlos : Il a fallu aller évaluer avec un système similaire, un peu plus simple, non
pour certifier, mais pour améliorer le score SIMCE [...] J’ai été évaluateur également
de ce système […].
Les deux programmes ML et ME ont été inscrits dans le répertoire ATE pour capter des
ressources provenant de la loi SEP (2008) et ainsi financer les coûts fixes en ressources
humaines des staff. « En cela la loi SEP a appuyé beaucoup » (Leticia). En fait, l’activité
principale des staffs de CNCGE, ML et ME est d’utiliser la plate-forme de FS pour vendre
leurs services en profitant des possibilités dans le monde privé et public. De facto, en général,
les staffs se montrent favorables au système des adjudications.
Chercheur : Depuis l’extérieur, en tant que consultant, je suis impressionné encore, par
la manière dont vous évoluez. Souvent vous dites : c’est la première fois pour ceci, la
première fois pour cela […].
!199
Antonia : Comme nous devons rechercher un financement tous les ans, nous devons
absolument nous exposer.
Aussi, ils postulent au fond que les gouvernements régionaux n’ont pas réussi à les
utiliser et que pour cette raison sont recyclés dans de nouveaux appels d’offres dans les
domaines de l’éducation et de la culture :
Leticia : Il faut rechercher un financement pour appuyer des programmes des
gouvernements régionaux [...] diffuser ces appels d’offres […].
Leticia : […] Nous avons un projet dans la sixième région [...] qui est le premier dans
le pays avec un gouvernement régional […].
Antonia : Maintenant un éventail de possibilités s’est aujourd’hui ouvert, étant donné
que les établissements, des municipalités, reçoivent différentes voies de soutien à
travers les réaffectations de ressources, alors aussi ils peuvent armer ses plans
d’amélioration, ses propres programmes et recruter, soumissionner.
6.2.2.2. La gestion faite avec les établissements qui doivent renouveler la certification
Le CNCGE dispose d’un portefeuille d’établissements captifs qui doivent renouveler
la certification et, avant l’expiration de cette date, les contactent pour les inviter à renouveler
la certification de qualité, raison pour laquelle ils doivent payer une nouvelle évaluation.
Lucía : La certification dure trois ans, la deuxième est de cinq et après ça,
l’établissement doit passer de nouveau par une évaluation externe […].
Carlos : [...] la Fondation a des clients captifs [...] avec l’argent suffisant pour payer
[…].
6.2.2.3. Les efforts pour maintenir en vigueur le modèle de qualité
Malgré l’émergence de l’ACE représente un progrès pour les conseillers et les
membres du staff, parce qu’il signifie qui ont réussi à institutionnaliser le pilotage par la
qualité comme dispositif de contrôle du système scolaire, elle représente également le défi
d’adapter le propre modèle de qualité pour rester en vigueur.
Carlos : Alors, nous pouvons régler un peu ce produit qui n’a pas pu être massifié, qui
n’a pas pu être vendu, que nous avions inventé […].
!200
Antonia : C’est quelque chose dont nous avons parlé […] Nous allons […] adapter,
aligner les indicateurs avec l’Agence, pour que nous puissions effectivement aider les
écoles dans le même sens.
6.2.3. Le consultant impliqué en tant que porteur du logos du pilotage de la qualité
Tous les participants dans cette étude, à l’exception de David, sont accrédités comme
consultants. C’est-à-dire que cette catégorie professionnelle est dans mon champ
d’observation et d’analyse.
Le rôle des consultants est d’accompagner les professionnels dans le processus
d’installer les indicateurs de qualité et dans la construction des éléments de preuve suffisants
pour obtenir la certification et élaborer avec eux deux objets techniques qui sont nécessaires
pour obtenir la certification : le rapport d’auto-évaluation et le plan d’amélioration. On espère
qu’ils puissent effectuer des opérations de traduction avec des objets techniques.
Selon Weinstein et Uribe (2010), le rôle de chacun des 300 consultants en gestion
scolaire dans toutes les régions du pays fut conçu comme étant celui d’ :
Un conseiller indépendant et objectif qui aide les membres de l’organisation scolaire
à clarifier et proposer des solutions. Les consultants proviennent de tout le territoire
national, permettant ainsi un transfert potentiel du modèle à l’école de la même zone
géographique (p. 193).
L’activité de conseil qu’effectuent les consultants du réseau se distingue par
l’utilisation du concept de qualité scolaire et d’indicateurs de gestion, ce qui constitue une
nouveauté dans le système scolaire et aussi parce que l’installation des 52 indicateurs de
gestion conduit à la certification de la qualité. Les consultants sont des pionniers dans ce type
de conseils auprès des établissements.
Le consultant réalise une opération d’intéressement avec les objets techniques dont il
dispose dans sa boîte à outils, le rapport d’auto-évaluation, le plan d’amélioration et la matrice
d’indicateurs.
Chercheur : Comment crois-tu possible de provoquer l’intéressement des membres de
l’équipe qualité dans le processus de certification ?
Carlos : C’est pas difficile parce que les directions de l’établissement étaient déjà
intéressées. En fait, la Fondation Schiller a beaucoup aidé à la diffusion, notamment
!201
par des séminaires où vont les directeurs les cadres d’enseignement. Ainsi mon travail
est simple. Le processus d’auto-évaluation est un recensement dans l’établissement et
les répondants ont une curiosité naturelle d’en connaître les résultats.Tous les
membres de l’équipe qualité ne participent pas de la même manière à la rédaction du
rapport d’auto-évaluation. Dans le plan d’amélioration, ce que je propose au directeur
qui est presque toujours le chef de l’équipe de qualité, c’est de diviser la tâche de
collecte d’évidences et le processus de créer d’autres éléments de preuve et donc de
cette manière tous peuvent participer.
Les consultants du réseau, comme les participants, ont mobilisé les objets techniques
de leur boîte à outils dans presque mille établissements. C’est le grand nombre
d’établissements qui ont participé au processus qui a facilité l’institutionnalisation du pilotage
de la qualité dans tout le système scolaire.
Le pilotage par la qualité de FS, constitue un dispositif de contrôle de gestion que
respecte la logique commune d’un logos gestionnaire (Boussard, 2008). Le consultant est
formé au savoir gestionnaire à travers une formation continue débouchant sur la qualification
de consultant en qualité du réseau de FS. Lato sensu ils acquièrent la légitimité d’utiliser les
objets de leur boîte à outils, en développant une expertise de cette utilisation. Les consultants
offrent ensuite cette expertise aux chefs et propriétaires d’établissements et le travail va
s’effectuer dans un espace gestionnaire, « un ensemble d’activités lié à la gestion » (Boussard,
2009b). Donc, les consultants sont les porteurs de ce logos.
Lucía : Nous sommes ceux qui ont fait tout le processus d’évaluation des
établissements, parce que nous avons l’expertise pour accompagner l’école et rendre
le processus de certification aussi facile que possible […].
Carlos : Je leur dis : Je vais vous aider à installer tout le modèle, les indicateurs [...]
je vais vérifier et leur transférer tout.
6.2.4. Les évaluateurs externes
Tous les participants de cette étude, à l’exception de David, sont accrédités comme
évaluateurs.
Le rôle des évaluateurs représente la contrepartie du rôle de consultant. Leur travail
consiste à vérifier que les indicateurs de qualité soient effectivement installés dans chaque
!202
établissement, à travers une visite de trois jours où ils font une analyse documentaire du
rapport d’auto-évaluation du plan d’amélioration et de toutes les preuves pour chacun des
indicateurs, effectuent des entretiens individuels et collectifs avec les enseignants, les
directions, les élèves et les parents et émettent le rapport d’évaluation externe. Ce processus
d’évaluation est guidé par la matrice d’indicateurs où ils peuvent intégrer et valoriser toutes
les preuves livrées par l’établissement. Enfin, l’évaluateur va proposer ou non la certification,
ce qui par la suite est discuté par les conseillers.
Carlos : La visite à l’établissement a une durée de trois jours. Je collecte les données
de l’établissement pour chaque indicateur, le plan d’amélioration et le rapport d’auto-
évaluation et j’organise aussi des focus groups avec les enseignants, les parents et les
élèves pour évaluer si ces données sont authentiques. En plus, je fais des entretiens
avec le chef et les membres de l’équipe de direction. Je fais aussi des observations.
Alors, la collecte des données est aussi qualitative, même si les résultats par
indicateur sont exprimés en chiffres. Ensuite, je rédige un rapport avec mon verdict,
je discute et corrige le rapport avec Antonia et elle avec David qui est chargé de le
communiquer au Conseil.
Carlos : C’est la personne qui est dans FS même [...], un pair évaluateur à l’intérieur
[...] elle révise ton travail et te demande plus de choses [...] la deuxième révision est
faite par David, dans son rôle de secrétaire du CNCGE [...].
Leonardo : Antonia révise les rapports d’évaluation externe que nous avons élaborés
[...] si elle a des doutes, elle me pose des questions, je souligne certains points de mon
rapport [...] Elle discute après avec David pour le présenter au Conseil [...] Ce
processus s’appelle calibrage [...] les appréciations des deux évaluateurs [...]
détermine la note [...] le Conseil est celui qui prend la décision [...].
Deux mois après, la commission du Conseil va publier le rapport final qui va
recommander ou rejeter la certification de l’établissement.
6.2.5. Le chef d’établissement et les professionnels qui composent l’équipe
Les directions d’établissement sont en dehors de mon champ d’observation et
d’analyse. Les chefs des établissements doivent concurrencer avec les autres établissements
!203
pour accroître le nombre d’élèves et obtenir ainsi plus de bénéfices pour les propriétaires
d’établissement.
Leur fonction dans ce réseau socio-technique est de produire deux objets techniques,
le rapport d’auto-évaluation et le plan d’amélioration, et aussi de créer des éléments de preuve
pour chacun des indicateurs du modèle de qualité. Ils sont les partenaires des consultants qui
transfèrent à l’établissement des objets techniques, comme le rapport d’auto-évaluation et le
plan d’amélioration, c’est-à-dire le logos gestionnaire du dispositif de pilotage par la qualité.
On espère qu’ils puissent aussi effectuer des opérations de traduction avec des objets
techniques. De cette manière les directions peuvent renforcer son leadership. Certes, selon
Barrère (2008), ce sont les chefs d’établissement qui effectuent le travail
d’intermédiation entre les niveaux national et local, en faisant ainsi ils renforcent leurs rôles et
élargissent leurs tâches stratégiques (Dutercq & Lang, 2001).
Chercheur : Crois-tu que les directeurs ont renforcé leur rôle avec le pilotage de la
qualité ?
Carlos : De toute évidence, lorsqu’un directeur dirige une équipe de qualité, il
acquiert plus de pouvoir [...].
6.2.6. Les enseignants
Les autres acteurs humains de ce réseau socio-technique, qui sont en dehors de mon
champ d’observation et d’analyse sont les enseignants qui, comme je l’ai dit auparavant, sont
uniquement appelés à répondre à des questionnaires de satisfaction pendant le processus de
diagnostic.
Chercheur : Est-ce que les enseignants participent à l’équipe qualité ?
Carlos : En effet la certification est un travail de l’équipe qualité. Quelques fois il y a
un professeur qui est plus proche de l’equipe qualité [...].
Chercheur : Ils y ont participé en tant que représentants de leurs collègues ?
Carlos : Non, ce sont des professeurs sans un contrat comme membres de l’équipe de
direction mais qui participent aux réunions. Mais ce n’est pas habituel. En fait, j’ai pu
constater cette situation une seule fois.
Leonardo : C’est pas habituel. L’equipe qualité est toujours constituée par le directeur,
parfois le propriétaire et des directions de l’établissement. Personne d’autre.
!204
On peut trouver cela un peu étonnant puisque les enseignants pourraient s’intéresser et
s’impliquer dans le processus de transfert de l’innovation et prendre une part active au réseau
socio-technique.
6.2.7. Les élèves
Les autres acteurs humains de ce réseau socio-technique sont les élèves qui pendant le
processus de diagnostic sont aussi appelés à répondre à des questionnaires de satisfaction.
Chercheur : Pour clarifier, je voudrais savoir si les élèves participent au processus
d’élaboration du rapport d’auto-évaluation, du plan d’amélioration ?
Carlos : Comme je te l’ai déjà dit, ils répondent seulement aux questionnaires d’auto-
évaluation. C’est leur participation.
Chercheur : L`équipe qualité de l’établissement invite à participer des représentants
des élèves dans la rédaction du plan d’amélioration ou du rapport d’auto-évaluation ?
Carlos : Non. En fait, une fois je l’ai suggéré mais pour les informer que
l’établissement était un processus de certification [...] On ne peut pas aller au-delà
[...].
Par ailleurs, les étudiants, qui sont devenus de puissants acteurs du système à partir de
l’émergence du mouvement étudiants (2006-2011), pourraient être le groupe le plus intéressé,
mais ils ne sont pas considérés comme des acteurs du réseau. Pourtant, l’Agence de la Qualité
de l’Éducation (2007) souligne que dans les processus scolaires les élèves doivent doivent être
consultés pour faciliter les processus démocratiques. Mais ils semblent être seulement des
clients captifs, peut-être est-ce la raison pour laquelle il importe peu aux propriétaires
d’établissements d’améliorer réellement les services qui leur sont fournis. Ce qui est en
contradiction est, selon Contreras (2010), le fait que le Chili se soit engagé en 1990 en signant
la Convention sur les Droits de l’Enfant. En effet, cela signifie aussi de garantir le droit à
l’éducation qui est également consacré dans la constitution de la République (Atria, 2010).
Selon Contreras (2010), la Convention sur les Droits de l’Enfant dispose de quatre
principes, le premier étant celui de la non discrimination; le deuxième príncipe est de toujours
considérer l’intérêt supérieur de l’enfant ; le troisième príncipe est le droit à la vie, à la survie
et au développement ; le dernier est celui d’assurer le respect et la considération à sa vision.
En fait, l’UNICEF (2008) et l’UNESCO (2008) ont soutenu que le curriculum scolaire doit
!205
être global et que l’évaluation ne doit pas empiéter sur les droits des enfants (Contreras,
2010).
6.3. L’épreuve SIMCE
6.3.1. Une tâche essentielle du consultant vise à aider à maintenir et à augmenter le score
au SIMCE
Malgré tout, le SIMCE n’est pas un objet technique de la boîte à outils des consultants,
il joue un rôle central dans le modèle de la qualité de FS. En fait, pour postuler à la
certification qu’octroie le CNCGE, l’école doit avoir un minimum de 250 points de SIMCE.
C’est pour ça que les consultants participants dans cette étude, font constamment référence à
cet indicateur quantitatif, qui ordonne des établissements selon leur efficacité.
Leonardo : La FS, pour évaluer une école exige un standard de qualité, un
minimum de 250 points [...] donc à la certification du CNCGE de FS ne pourraient
postuler que les établissements avec un score supérieur à la moyenne nationale qui est
précisément de 250 [...]. Alors, à cet égard, il y a une considération et une validation
des résultats d’apprentissage […].
De facto, la principale difficulté de fonctionnement des établissements ou de tension
existentielle que la boîte à outils du consultant vise à aider à résoudre est de maintenir ou
d’augmenter le score sur l’épreuve SIMCE.
Leonardo : Malgré le fait que maintenant il est aussi remis en question, c’est la seule
façon pour nous de savoir quels établissements le font bien.
D’après Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010) c’est fréquent que les établissements
se proposent d’atteindre des objectifs difficiles dans le SIMCE, ce qui finit par étouffer toute
tentative d’amélioration. Ils recommandent des cibles de performance ni trop faibles ni très
élevées.
Lucía : La vérité est qu’il faut former les enfants à répondre aux questions du SIMCE,
parce qu’en effet il existe un modèle de questions […] cela pourrait prendre
beaucoup de temps.
!206
6.3.2. Les résultats du SIMCE sont associés au niveau socio-économique des familles
La qualité scolaire dans notre pays est identifiée comme le score de l’épreuve SIMCE.
Comme l’écart de résultats s’est maintenu, on pourrait affirmer que la qualité des
établissements dans le système scolaire n’a pas changé depuis la création de l’épreuve.
Chercheur : Les collèges de riches, un haut SIMCE, les écoles pour pauvres, un faible
SIMCE, que penses-tu de cela ?
Carlos : Le SIMCE est l’instrument qui ségrégue le système. Il existe une relation
significative entre le SIMCE et le profit, ils vont de pair.
Certes, selon Valenzuela (2008), la ségrégation affecte négativement les résultats dans
le score SIMCE, ce qui doit être attribué, selon l’auteur, à l’effet de pairs à l’intérieur du cours
et à la distribution ségrégués des enseignants. En effet, les enseignants les plus qualifiés sont
recrutés dans les établissements où étudient les élèves ayant de meilleurs résultats et capitaux
culturels.
6.3.3. Le SIMCE un objet technique central dans les trois modèles de qualité
Nonobstant ce qui précède, les conseillers concepteurs du modèle de la qualité de FS
ont lié tout le processus de certification à l’épreuve SIMCE. Probablement, ils le font pour
insuffler au dispositif une prétendue neutralité et objectivité. Mais la relation entre la sélection
et la ségrégation dans le système éducatif chilien est corroboré par différentes chercheurs dans
notre pays (Contreras, 2010 ; Valenzuela, 2008).
Le modèle SACGE (2004) de MINEDUC oblige les établissements à signer un accord
pour renforcer leur score SIMCE et d’autres indicateurs quantitatifs.
Leticia : S’ils ne remplissent pas les objectifs SIMCE, l’Agence de qualité peut
fermer ces établissements.
Dans le SAC de la nouvelle ACE, le SIMCE est aussi central. Le modèle de qualité
SAC persistera à utiliser comme référence les valeurs de l’épreuve SIMCE, mais avec une
pondération beaucoup plus grande, de 67 %. En fait, l’ACE peut éliminer les établissements
qui persistent à avoir de mauvais résultats.
Antonia : A la Fondation Schiller, nous demandons également un minimum SIMCE
[...] mais dans le SAC il y a une pondération super élevée de 67 %.
!207
Gabriel : Dans le modèle SACGE et SAC si les établissements ne parviennent pas aux
objectifs SIMCE, ils peuvent perdre leur autonomie dans l’utilisation des subventions.
6.3.4. La tension entre le « quantitatif » et le « qualitatif » que génère le SIMCE
Le SIMCE est utilisé pour lister les établissements de manière ordonnée du plus au
moins efficace. Cependant Dejours (2006) affirme que le travail ne peut être évaluée de façon
objective et quantitative. En fait, Del Volgo et Gori (2010) concluent que la traduction du
qualitatif dans un langage binaire est impossible. Peu importe la validité ou la valeur
intrinsèque de ces dispositifs de contrôle et d’évaluation, ce qui vraiment doit nous importer,
selon les auteurs, « c’est l’aliénation qu’ils produisent et la soumission de tous à des schémas
de production d’indices facilement utilisables, commodes » (p. 53).
Carlos : Les enseignants se demandent : et pour cela nous avons étudié cinq ans ?,
pour répéter les mêmes classes ?, pour nous concentrer seulement sur quelques
matières ?, pour être des sortes d’automates, afin de permettre au propriétaire de
gagner plus ?. La vérité est qu’on décourage les meilleurs professeurs [...].
De plus, Barrère (2009) affirme que cette logique narrative chiffrée de l’évaluation
contient la tension suivante entre le « quantitatif » et le « qualitatif ».
En France, d’après Barrère (2009), il se passe quelque chose de similaire, lorsque les
chefs d’établissement sont priés de décrire leur école, ils font référence aux chiffres pour
parler, par exemple, de « l’effectif du collège, de la composition sociale du public de
l’établissement mais aussi du nombre d’enseignants, et leur statut » (p. 201). En plus, selon
l’auteure, ils vont mentionner les résultats les plus marquants de leur établissement, « à la
hausse ou à la baisse, soit en termes de réussite aux examens, soit en termes
d’orientation » (p. 201). Enfin, pour Barrère (2009), cette tendance à la
« quantophrénie » (Gaulejac, 2005), va créer des tensions multiples entre les chefs
d’établissement.
6.3.5. Publier et faire la promotion des résultats SIMCE
Les résultats SIMCE sont publiés dans la presse écrite et sur internet dans le but que
toutes les familles puissent les utiliser pour choisir dans une liste d’établissements
financièrement abordables pour elles. Ainsi, les familles peuvent comparer un établissement
!208
avec les autres et apprécier l’évolution de leurs valeurs SIMCE. L’objectif est aussi, qu’à
partir de ces comparaisons, chaque établissement dispose d’une vision complète à l’égard des
résultats de leurs étudiants.
Leonardo : Je ne crois pas, en principe, que la diffusion des résultats soit une
mauvaise chose, il n’existe aucune autre manière de comparer la gestion entre les
différents établissements.
Lucía : Tous les parents ne peuvent pas envoyer leurs enfants dans un établissement
ayant un SIMCE de 300 points, parce que même s’ils sont publics comme les lycées
d’excellence, ils sont super sélectifs et s’ils sont subventionnés ou privés les parents
doivent avoir les ressources économiques.
Comme l’affirme Lascoumes et Le Galès (2007) la publication de résultats est en soi
un instrument politique. Le pouvoir normalisateur d’un dispositif comme celui-ci pourrait
affecter les structures cognitives et le comportement des acteurs (Broadfoot, 2000).
De fait les établissements vont tout faire pour dépasser les scores des autres
établissements ayant des caractéristiques similaires aux leurs afin de montrer
qu’ils progressent plus que les autres.
Chercheur : Maintenant, que nous avons examiné ensemble les résultats partiels de
cette recherche que pourrais-tu dire sur le SIMCE ? C’est un outil utile, bien que son
utilisation pendant deux décennies n’a pas permis de réduire l’inégalité dans
l’éducation ? Ne crois-tu pas que la publication a des effets ségrégationnistes ?
Carlos : En effet, quelque chose ne va pas bien avec le SIMCE. Je te l’avais déjà dit
dans le premier entretien. J’avais dit que c’était le problème du modèle de la qualité
de FS. Nous donnons, à la Fondation, une grande importance au SIMCE, mais
maintenant l’ACE donne presque un 70% de pondération. Le SIMCE permet
d’améliorer un peu, très peu, mais en échange il ségrégue davantage, décourage les
enseignants, encourage le propriétaire de l’établissement à profiter plus. Au final, il y
aurait plus de mauvais que de bon. On ne voit pas bien. Sur la publication des
résultats, avant j’avais des doutes, mais maintenant je suis convaincu que ça ne
convient pas de les publier. C’est pas bon, ils ségréguent le système et crée l’illusion
qu’un établissement est meilleur qu’un autre car il a une valeur sur 300. En effet, je
suis un informateur crédible parce que j’ai l’expérience d’avoir été directeur dans
!209
deux établissements, l’un pour les pauvres en Chiloé et un pour les riches ici à
Santiago. Dans aucun des collèges je prêchais le SIMCE parce qu’un collège avec
bon SIMCE n’est pas nécessairement un bon établissement. On peut investir toutes
ses ressources pour monter le score et négliger d’autres aspects de la formation des
élèves. Je ne suis pas d’accord avec la publication car cela perpétue ce problème.
En fait, Felouzis et Hahnart (2011) disent que cette publicité donnée aux résultats des
évaluations a pour objectif de produire une dynamique externe par le biais de mécanismes de
marché à travers le débat public. Pour sa part Varcher (2012) dit que la publication des
données engendre une concurrence entre établissements, ce qui est toujours injuste et qui a
des effets négatifs sur les élèves qui ont des désavantages ethniques et socio-économiques.
6.4. Les objets techniques qui constituent la boîte à outils du consultant en qualité
Les objets techniques suivants sont dans mon champ d’observation et d’analyse : la
plate-forme informatique CMC, les questionnaires de satisfaction, le rapport d’auto-
évaluation, le plan d’amélioration, le rapport d’évaluation externe, la matrice d’indicateurs
pour surveiller les progrès accomplis dans la saturation d’épreuves pour chaque indicateur et
les 18 profils de compétences professionnelles.
Ces objets techniques sont tous conçus à partir des 52 indicateurs de gestion du
modèle du CNCGE. Les outils n’ont pas suivi une ligne continue d’améliorations, a contrario
il s’agit plutôt de cycles de sauts techniques (Simondon, 1989b).
Antonia : D’abord le modèle fonctionnait sur la base de 79 indicateurs, puis avec 74
et enfin avec 52.
David : Le plan d’amélioration, le rapport d’auto-évaluation, le rapport d’évaluation
externe à 52 indicateurs, qui étaient auparavant 74, et lorsqu’a débuté le modèle il y
en avait 79.
L’intention utilisatrice de ces objets techniques est d’améliorer le management dans les
établissements.
Leonardo : Avec les indicateurs ce qui est recherché c’est l’installation de systèmes de
gestion, par exemple de sélection, de formation des enseignants, etc., qui font que les
établissements soient efficaces dans l’obtention de résultats [...].
!210
6.4.1. CMC : la plate-forme informatique FS
La plate-forme informatique CMC a été créée pour automatiser l’autoévaluation, là
« se trouvent les ressources pour répondre aux enquêtes d’autoévaluation de manière massive,
élaborer des plans de qualité et réaliser leur suivi » (Uribe, 2010, p. 194).
Les établissements doivent enregistrer les réponses aux questionnaires dans le
système. Ils vont obtenir de façon automatique un résumé quantitatif par secteurs et pour
chaque indicateur. Cette plate-forme a été actualisée en 2008 pour que les établissements
puissent aussi réaliser le plan d’amélioration avec la seule aide des guides d’utilisation.
D’après David :
David : [...] la première version de la plate-forme était utilisée exclusivement pour
l’autoévaluation, mais à partir de 2008, le CMC, y a mis à disposition des guides pour
l’élaboration du plan d’amélioration. Ceci a favorisé une explosion du nombre
d’établissements qui tentaient d’achever le processus de certification [...] cette année,
nous avons eu une énorme quantité de collèges qui a achevé enfin l’autoévaluation et
a continué ensuite son plan d’amélioration.
Même si tous les établissements peuvent s’inscrire et accéder à la plate-forme CMC
pour effectuer le cycle complet de manière autonome, ils ne le font généralement que pour la
première partie du processus, l’autoévaluation. Pour l’élaboration du plan d’amélioration,
la plupart des chefs d’établissement préfèrent être accompagnés par un consultant.
Chercheur : Et avec la plate-forme on-line complète, est-ce que les écoles préfèrent
réaliser le processus de manière autonome, maintenant qu’elles ont tous les éléments
à disposition ? […]
David : Je crois qu’il existe un nombre relativement limité d’écoles qui élaborent un
plan d’amélioration sans être accompagnées par un consultant.
Carlos : Ils te disent : regardez je pourrais le faire moi-même sur la plate-forme
online, mais ils savent qu’ils pourraient consacrer ce temps à d’autres choses plus
importantes que ces bêtises.
Lucía : Je pense que le regard d’une personne de l’extérieur est toujours bon.
!211
6.4.2. Les questionnaires de satisfaction pour les élèves, parents, enseignants et
directeurs
Ces instruments d’autoévaluation pour élèves, parents, enseignants et directions sont
les seuls instruments qui vont être connus par tous les membres de la communauté scolaire.
Les questionnaires ont été conçus pour évaluer la satisfaction de tous les acteurs de
l’établissement pour chacun des 52 indicateurs de gestion. J’ai révisé les nouveaux
questionnaires de 52 indicateurs, et j’ai noté :
Les questionnaires peuvent être complétés directement en ligne. Si le contexte de
l’établissement ne permet pas que les différents acteurs (élèves, parents, enseignants
et directifs) répondent aux enquêtes par le biais du système numérique en ligne, ils
peuvent les administrer en format papier, puis enregistrer les réponses aux
questionnaires dans le système. Le questionnaire de satisfaction des élèves, selon les
indications du modèle, ne peut être renseigné que par des étudiants à partir des
septième et huitième degrés, exceptionnellement pour une école où il n’existe pas ces
degrés, l’enquête peut être appliquée à des enfants de cinquième et sixième degrés à
condition qu’on leur fournisse une assistance pour répondre aux questions. L’enquête
de satisfaction pour les élèves et les parents comporte 62 questions. Dans la première
partie de l’enquête ils sont priés de répondre à 56 questions sur une échelle de Likert
5 points. Il s’agit de connaître leur niveau de satisfaction sur la gestion institutionnelle
de l’établissement pour chacun des 52 indicateurs. Dans la deuxième section, il est
demandé aux personnes leur avis sur le degré d’amélioration dont l’établissement
aurait besoin pour les 6 aspects indiqués, qui correspondent à chacune des zones du
modèle, qui vont de la question 57 à 62, sur une échelle de Likert 4 points. L’enquête
pour les cadres et les enseignants comporte 118 questions divisées en 4 sections. La
première vise à connaître le niveau de satisfaction sur la gestion institutionnelle de
l’établissement, de la question 1 à 56, sur une échelle de Likert 5 points. Dans la
deuxième section il est demandé un avis sur le degré d’amélioration dont a besoin
l’établissement dans les 6 aspects indiqués (57 à 62), ceci sur une échelle de Likert 4
points. La question 63 est ouverte et on y demande des suggestions ou observations
pour améliorer la qualité de l’établissement. Dans la quatrième section on demande
l’avis sur le degré d’installation des différents systèmes de gestion dont
!212
l’établissement aurait besoin pour son bon fonctionnement (64 à 118), ceci sur une
échelle de Likert 4 points (Questionnaires de auto-évaluation, révisés en décembre
2012).
Les questionnaires ont été appliqués, entre 2003 et 2008 dans 1686 établissements, ce
qui représente 65 % du total des 3200 établissements qui existaient à l’époque. Sur ce total,
919 établissements ont désormais suivi le processus complet d’autoévaluation proposé par FS.
Au moins une troisième partie de ces établissements ont été accompagnés par des consultants
dans le processus d’auto-évaluation.
Cela confirme l’importance des opérations de traduction effectuées par les consultants.
Ils ont mobilisé les objets techniques aux établissements, en jouant un rôle actif dans
l’institutionnalisation du pilotage de qualité.
Le tableau suivant montre le total d’établissements qui ont achevé le processus
d’autoévaluation durant les années 2003-2008.
Figure 3 : Tableau récapitulatif du total d’établissements qui ont complété le processus
d’autoévaluation proposé par FS (Information actualisée le 20 août 2008 du site de la
Fondation Schiller).
Source : http://www.consejogestionescolar.cl/interiorestable.htm
Dans le tableau précédent, nous pouvons constater que sur un total de 632
établissements, qui ont été accompagnés par différents consultants dans la réalisation du plan
d’amélioration et dans la collecte ou la fabrication des évidences pour saturer chacun des
Processus de certification de
qualité
2003-2004 2005-2006 2007-2008 Total jusqu’à
2008
Établissements en cours
d’autoévaluation.
549 627 510 1686
É t a b l i s s e m e n t s a v e c
autoévaluation achevée.
275 382 262 919
Établissements avec l’appui de
consultants.
271 361 Aucune information reçue
632
Établissements ayant obtenu la
certification
16 31 27 74
!213
indicateurs de gestion du modèle, 74 établissements ont réussi à obtenir le label de qualité.
« L’année 2006 l’un des 74 établissements a été certifié par moi » (Journal du chercheur, le 4
décembre 2012).
6.4.3. L’écriture du rapport diagnostic
L’élaboration du rapport diagnostic se fait sur la base de résultats quantitatifs qui sont
issus des questionnaires auxquels s’ajoutent les résultats de tests standardisés SIMCE. Dans le
cas des lycées, le PSU. Il est également exécuté une Analyse FFPM (forces, faiblesses,
possibilités et menaces).
Carlos : C’est un travail qui est fait exclusivement par l’équipe qualité du collège. Les
enseignants aident à distribuer les questionnaires aux élèves et aux parents, seulement
cela [...] Dans la plupart des établissements par lesquels j’ai été recruté à cette étape,
j’ai l’écrit avec l’équipe qualité. Les établissements qui m’ont recruté dans la phase
suivante, c’est-à-dire pour exécuter le plan d’amélioration, me demandent de le
réviser, car c’est un élément clé dans le processus de certification.
En outre il est très courant que ce soit le consultant qui élabore le document, souvent
sans la participation de l’équipe qualité.
Chercheur : Il est habituel que ce document soit rédigé exclusivement par le
consultant sans la participation des membres de l’équipe qualité, avec les données
produites par la plate-forme informatique CMC ?
Carlos : C’est clair. Il y a des directeurs et propriétaires qui préfèrent que les
consultants fassent tout seuls.
Aux yeux de la plupart des chefs et propriétaires d’établissement, il semble inutile de
mettre les enseignants en relation directe avec les objets techniques du processus de
certification. Par la suite, dans la formulation du plan d’amélioration, ils vont aussi éviter leur
participation. Dans la plupart des cas, ils réalisent avec les cadres une lecture des résultats du
rapport diagnostic pour les enseignants en visant uniquement à les informer du processus, car
cela pourrait aussi être évalué par les évaluateurs externes pendant les trois jours que dure le
processus.
!214
Lucía : Il est très important que les enseignants, élèves et parents soient informés des
résultats du rapport [...] le jour de l’audit, des évaluateurs externes vont leur demander
s’ils ont entendu parler, au moins, du rapport.
L’intention des concepteurs du modèle est que dans l’élaboration de ce document
participent, en plus du chef d’établissement et l’equipe qualité, les représentants de tous les
acteurs de la communauté scolaire.
6.4.4. La conception du plan d’amélioration de la qualité
Le plan d’amélioration s’élabore sur la base du rapport d’autoévaluation. Ces deux
instruments sont requis par le CNCGE pour demander la certification.
Leticia : […] L’autoévaluation a un effet. Il aide, mais il est plus important de
poursuivre systématiquement tout le cycle […] c’est beaucoup plus efficace lorsqu’un
plan d’amélioration est un plan d’action fondé sur l’auto-évaluation.
En dépit de l’intérêt des différents acteurs de l’établissement, que peut provoquer la
rédaction du plan d’amélioration, cette motivation des acteurs n’est pas exploitée pour avoir
un plus grand nombre de traductions, parce que comme le disent Maroy et al. (2012), ce sont
les nouveaux liens entre les « outils » et les « acteurs humains » qui induisent des
changements dans les pratiques et les représentations. C’est par ces liens que le réseau socio-
technique acquiert sa force, en laissant de côté un instant, les relations hiérarchiques
traditionnelles et les règles habituelles. Toutefois, dans l’élaboration du plan d’amélioration, le
plus habituel est que l’équipe de direction travaille, de façon isolée, sans envisager la
participation des enseignants et des élèves.
Leonardo : Le plan d’amélioration est un instrument qui est bien installé […] c’est
pas habituel que ce soit communiqué à la communauté.
6.4.4.1. La nécessité d’être accompagnés par un certain nombre de consultants
Il y a des holdings d’établissements subventionnés et municipaux qui doivent être
accompagnés par plus d’un consultant afin d’exécuter le plan d’amélioration de chaque
établissement. Une des consultants, Lucía, a eu cette expérience :
Lucía : [...] Au cours de l’année 2006, les collèges Salésiens ont établi comme
objectif de certifier tous les collèges Salésiens du Chili sur une période de trois ans
!215
[...] les vingt-deux collèges [...] C’est pour ça qu’ils ont recruté trois personnes à
temps partiel et une d’entre elles était moi, pour les aider à développer un plan
d’amélioration […] Nous appuyons les cadres pour installer un plan d’amélioration et
l’évaluer.
6.4.4.2. Le plan d’amélioration dans les modèles de qualité SACGE et SAC
Un autre objet technique de la boîte à outils du consultant de FS est le plan
d’amélioration.
Leonardo : Il a été créé avec les mêmes domaines qui définissait le système de
certification […] il maintient cette même structure […].
Le fait que les établissements qui reçoivent des vouchers soient tenus d’élaborer un
plan d’amélioration et de respecter les objectifs annuels et bi-annuels a facilité leur
institutionnalisation dans le système scolaire. Cela a été le cas avec le modèle de qualité
public SACGE depuis l’année 2004 à 2013 et maintenant avec le SAC qui est entré en
vigueur durant l’année 2014.
Leonardo : Le plan d’amélioration est un instrument qui est bien installé dans le
système scolaire […].
Carlos : Si tu as un grand nombre de gamins pauvres, je vais te passer de l’argent,
donc, tu ne pourras pas dire que les gamins pauvres de tes écoles ou lycées ne peuvent
pas concurrencer les autres.
Lucía : […] L’établissement doit rendre au Ministère les ressources de la SEP si elles
ne sont pas utilisées exclusivement pour le plan pour lequel elles ont été accordées.
Leonardo : L’instrument est extrêmement clés dans la planification, parce qu’après,
avec cela, on va mesurer ou évaluer.
Le plan d’amélioration permet de focaliser sur les faiblesses des établissements,
comme il est habituel, sur des résultats quantitatifs, comme le SIMCE, PSU, taux de
redoublement, etc.
Les établissements doivent mettre en place des moyens de vérification et les preuves
qui sont en train de produire ce résultat. De fait, si l’établissement ne respecte pas les accords
pris, dans chaque domaine de gestion et les objectifs proposés dans le SIMCE, il peut perdre
l’autonomie dans l’utilisation de ces ressources SEP.
!216
6.4.5. La matrice d’indicateurs
La matrice d’indicateurs est l’objet technique qui guide tout le processus de fabrication
et de collecte des données.
La concrétude d’un objet technique ne s’obtient pas d’un coup (Simondon, 1989b).
Cela est particulièrement vrai dans ce cas, parce que les créateurs du modèle de qualité de FS
ont réduit deux fois le nombre d’indicateurs, de 79 à 74 et après à 52. Enfin le dispositif a dû
se conformer à ces nouveaux 52 indicateurs.
D’après les consultants la pratique instituée de collecter et fabriquer des preuves a été
le principal apport du modèle de FS et du SACGE au système scolaire.
Chercheur : C’est vrai que tu crois que le plus important a été la pratique de collecter
et de créer des évidences ?
Leticia : Il fait partie d’une culture […] les établissements ont déjà cette culture de
laisser l’enregistrement, de la normalisation des actions menées et qui peuvent
prouver par le biais de documents écrits ou de registres graphiques […] Il a été super
important.
Leonardo : […] Les collèges ont réussi à internaliser et comprendre l’ordre qu’il faut
tenir […] de laisser le registre et de donner un ordre, car souvent les collèges faisaient
choses, mais ne laissaient pas un registre […].
Lucía : Pour armer des preuves tu dois développer un processus […] pour avoir des
preuves sur l’accompagnement des enseignants en classe, tu dois avoir l’observation
de classe, le feedback de l’enseignant et cela tu dois le faire.
Leonardo : Comme instruments, les évidences sont extrêmement importantes et sont
très bien installées dans le système […] Rien de ce que tu as dit est suffisante, sauf
que tu peux le prouver à travers l’évidence […] C’est extrêmement essentiel dans la
planification, parce qu’après, pour cela ils vont mesurer ou évaluer, l’existence ou
non de ce que tu as dit qu’il existe ou non […].
Leonardo : C’est un outil très puissant, parce que tu as l’obligation de construire ou
de définir de bons moyens de vérification […] ce qui se passe est que, avec cet outil,
vous pouvez démontrer que ce que tu as dit est vrai.
Lucía : Avec cet outil tu peux afficher et démontrer que ce que tu dis existe […].
!217
Leonardo : […] La démonstration presque incontestable de l’existence des processus,
des procédures, etc, à cet égard, est très valide.
6.4.5.1. La matrice d’indicateurs dans les modèles de qualité publique (SACGE et SAC)
Les deux modèles de qualité publics, le SACGE et le SAC suivent la même logique de
la collecte et de création de preuves.
Leticia : Le modèle de FS comme le SACGE fonctionnent de la même manière. [...]
on doit avoir des preuves […] C’est la démonstration presque indiscutable de
l’existence des processus, des procédures, etc. À cet égard, il est très valide [...] tu
dois afficher tous les protocoles qui tu as installé. Rien de ce que tu as dit est
suffisant, si tu ne montres pas les protocoles [...].
Leonardo : Les deux modèles partent et s’articulent avec cette même logique […] Les
écoles privées ou subventionnées qui s’inscrivent au modèle de FS vont fonctionner
avec ces critères, avec ces outils, avec ces instruments.
Le fait de recueillir ou de créer des évidences est une tâche des chefs d’établissement
et des équipes de direction.
6.4.5.2. L’utilisation de la matrice d’indicateurs pour mesurer l’état d’avancement du
processus de certification
La matrice de 52 indicateurs était un instrument que les évaluateurs utilisaient comme
check-list. Elle est devenue l’objet technique central dans le réseau socio-technique, car il
permet aux directions d’établissements et aux consultants de guider le processus de
fabrication d’éléments de preuve.
Chercheur : Crois-tu que la clef du succès dans le processus de certification est
l’utilisation de la matrice des indicateurs, pour évaluer les progrès réalisés, pour
compléter les évidences ?
Lucía : C’est l’instrument qu’on utilise en tant qu’évaluateur, à partir duquel on
réalise des entretiens, il y a le rapport et on révise l’évidence […] nous travaillons sur
la base de cela […].
Gabriel : Alors, nous travaillons avec eux, avec la matrice […] jamais ils ne t’ont dit,
que tu ne pouvais pas l’utiliser […] Il n’y a rien d’illicite dans cela.
!218
Lucía : De toutes façons, il est l’instrument que l’évaluateur utilise, sur lequel il
réalise des entretiens, rédige le rapport et révise l’évidence […] nous travaillons sur la
base de cela […].
6.4.5.3. La réticence de certains consultants à partager la matrice avec l’équipe qualité
Le fait que le consultant partage avec l’équipe qualité la matrice d’indicateurs semble
être critique pour obtenir la certification. Tous les participants considèrent qu’il est beaucoup
plus facile de réussir dans l’évaluation externe en utilisant cet outil d’évaluateur externe.
Néanmoins ne sont pas rares les consultants qui ne veulent pas que ses collèges utilisent la
matrice, car ils ont peur que, de cette manière, les directions des établissements peuvent
effectuer tout le processus de manière autonome. « Certains consultants veulent que les écoles
ne sachent rien de son existence » (Carlos).
6.4.5.4. Décodification du processus de certification
Le processus consiste alors à se laisser guider par la matrice et ainsi assurer la
certification. Il s’agit d’une forme de décodification du processus de certification. En effet,
tout se réduit à la simple fabrication de preuves pour chaque indicateur. Par exemple, si un
établissement effectue une formation des enseignants, il faut enregistré, faire des vidéos, des
photos ou produire des documents pour en rendre compte.
Chercheur : Tu crois aussi que la clef du succès a été l’utilisation de la matrice
d’indicateurs ? […].
Gabriel : Alors, nous travaillons avec eux, nous faisons une check-list avec la matrice
durant l’évaluation […] jamais te ont dit, que tu ne peux pas le faire durant le
processus d’évaluation […] C’est clair qu’il n’y a rien d’illicite dans cela.
Leonardo : La manière dont vous pouvez démontrer, est seulement à travers de
l’évidence, ce qui vous permet de constater que ce que vous dites existe et que ce ne
soit pas seulement une opinion, parce que vous pouvez construire un faux rapport,
absolument [...].
Mais il est toujours possible de créer de nouvelles preuves pour saturer un indicateur
afin d’être couronné de succès dans l’évaluation externe.
!219
Gabriel : Il est toujours possible d’obtenir des situations extra, pour qu’ils puissent
mieux faire les choses.
6.4.5.5. Les établissements qui installent les 52 indicateurs du modèle de qualité et
n’améliorent pas leurs résultats
Les participants sont conscients qu’il existe des établissements qui ont installé le
modèle de qualité et qui, en dépit d’avoir obtenu le label de qualité, n’améliorent pas leurs
résultats SIMCE. Certains participants le justifient comme suit.
Lucía : À peine les établissements sont certifiés, ils baissent un peu les résultats, car il
y a un point de relâchement [...] mais après ils les augmentent à cause de la re-
certification […].
Leticia : Et ceux qui sont certifiés, dorment sur leurs lauriers [...] toute la première
année […] mais après, ils s’améliorent […] dans la deuxième et la troisième année, ce
qui est lié au moment où tu dois solliciter le renouvellement de la certification.
Lucía : [...] On leur demande plus, parce que n’est pas la même exigence pour le
collège qui se certifie par la première fois, lorsqu’il s’agit d’être certifié pour la
deuxième fois.
6.4.5.6. Les établissements qui n’installent pas les 52 indicateurs et améliorent leurs résultats
SIMCE
A contrario, il y a certains établissements qui n’ont pas obtenu la certification, car ils
n’ont pas pu installer tous les indicateurs du modèle, nonobstant ils améliorent les résultats de
leurs élèves dans le SIMCE.
Lucía : Je me rappelle bien de deux collèges que j’ai accompagné dans le processus
de certification […] qui avaient des bons résultats, mais qui n’ont pas réussi à installer
les systèmes de gestion, par contre ils avaient des résultats, car ils travaillaient avec
les enfants.
6.5. Le laxisme du rapport d’évaluation externe
Le rapport d’évaluation externe est elaboré pour un évaluateur après la visite
d’inspection de trois jours et sur la base de l’analyse des données pour chacun des 52
!220
indicateurs. Sont aussi examinés : le rapport d’auto-évaluation, le plan d’amélioration,
l’évolution des résultats SIMCE, les entretiens collectifs avec les enseignants, élèves et
parents, les entretiens individuels avec le chef et les membres de l’équipe de direction de
l’établissement, ceci afin de vérifier la pertinence des éléments de preuve.
Antonia : La livraison d’un verdict se fait par consensus avec le pair évaluateur.
David : Par la suite, ce rapport est révisé et corrigé par les conseillers qui peuvent
confirmer ou non ce verdict avec l’intermédiation du Secrétaire technique du
CNCGE.
Dans un de ces rapport d’évaluation externe que j’ai trouvé sur internet, ce qui me
semble nouveau, ce sont les résultats pour chaque indicateur, mais dans le reste, tous les
rapports sont presque identiques :
La première partie du document est consacré à présenter les données que chaque
établissement a dans le système éducatif, leur identification, le type d’établissement,
s’il s’agit d’un établissement subventionné, privé ou municipal. Il apparaît aussi le
nom du consultant qui a accompagné le processus. Il y a une description de
l’établissement, sa mission, sa vision, l’objectif général, des objectifs stratégiques,
comme dans toute entreprise. Pour chaque domaine du modèle de qualité, quelques
établissements ajoutent des nomenclatures comunes, ils représentent environ 30 %
des établissements. Par exemple, certains établissements catholiques vont utiliser un
peu le langage de l’Eglise. Puis il y a une synthèse historique de l’établissement : ses
principaux jalons dans la gestion scolaire, le type de curriculum, le type d’élève et de
familles qui sont les usagers et l’environnement socio-économique dans lequel est
situé l’établissement pour déterminer le profil des élèves. Le rapport présente
également une brève analyse de l’environnement de travail, de l’éducation, de la
santé, de la pauvreté et du logement des familles de la commune où l’établissement
est situé. S’enchaîne ensuite toutes les données générales et quantitatives de
l’établissement et la description des installations. Puis on compare les résultats
scolaires des élèves, des résultats généraux de l’évaluation SIMCE. La deuxième
partie du document présente les résultats de l’autoévaluation institutionnelle, c’est-à-
dire dans les termes du dispositif, la satisfaction avec la gestion de l’établissement. En
plus, quelques opinions exprimées dans les focus groups sur les zones qui peuvent
!221
être améliorées et les résultats de l’autoévaluation des systèmes de gestión sont
également mentionnées. La troisième partie présente le plan d’amélioration élaboré
dans/par ce qui a été mis en œuvre dans/par le processus de certification. La
quatrième partie fait apparaître les résultats de l’évaluation externe, qui figurent dans
un tableau comparatif et qui résume l’évaluation des systèmes de gestion. Selon les
mots des conseillers : les recommandations qui figurent ci-après, sont présentées par
zone. À l’intérieur de chacune, elles sont structurées hiérarchiquement selon le degré
d’impact qu’elles peuvent provoquer dans les systèmes de gestion de l’institution
évaluée. Enfin, on présente les conclusions générales sur la mise en place à partir de
l’évaluation externe et des conclusions spécifiques par domaines (points forts et
faiblesses) et les recommandations du CNCGE. Dans le dernier paragraphe du
document apparaît la décision du Conseil qui accorde la certification : En fonction des
antécédents exposés dans l’ensemble de l’évaluation externe, et en vertu de la
normative interne, le Conseil certifie que le lycée Laura Vicuña de La Cisterna,
répond aux normes et exigences du standard approuvé et obtient la certification
officielle par un délai de trois ans à compter du 18 août 2009. Le Conseil reconnaît
l’action menée par le propriétaire de l’établissement, la direction du même et son
équipe enseignante, les félicite par les résultats obtenus et les encourage à poursuivre
son programme de renforcement institutionnel. La présente décision a été prise à
l’unanimité par les membres du Conseil National de Certification de la Qualité de la
gestion scolaire, composé des personnalités suivantes liées au domaine de
l’éducation [...] (Rapport d’évaluation externe qui accorde la certification à un
établissement, 2009).
De fait, lorsque j’ai comparé les conclusions d’un autre rapport d’établissement qui
n’a pas été couronné de succès, on peut noter qu’il s’agit de formules toutes prêtes,
standardisées, qui a la lecture n’enseignent rien sur l’établissement. Ces objets techniques
donnent l’illusion de la précision de l’analyse détaillée. Enfin, les rapports font état de
conclusions standardisées, trop générales et qui informent très peu sur l’établissement lui-
même.
En fonction des antécédents exposés, le Conseil n’est pas en mesure de certifier la
gestion de la qualité de cet établissement scolaire, mais l’encourage à continuer à
!222
avancer dans la mise en œuvre de son plan d’amélioration et à se présenter à nouveau
pour être évalué à moyen terme. Le résultat final de l’évaluation donne en moyenne
finale de 66,4 %, ce qui ne répond pas au standard minimum adopté par le Conseil.
Comme il est indiqué dans ce rapport, il y a plusieurs domaines à haut niveau de
développement (leadership directif, orientation vers la communauté et gestion de
processus), qui constituent une importante forteresse, pour capitaliser en fonction des
domaines à améliorer notamment ceux concernant à la gestion des résultats. Dans le
même contexte, il y a des procédures appropriées qui sont dans la bonne direction,
d’autres qui sont en installation mais qui ne donnent encore pas leurs fruits. Dans
d’autres cas, l’absence de mise en place des systèmes et procédures qui assurent une
gestion scolaire de qualité est pointée. Nous reconnaissons les travaux développés par
la congrégation propriétaire de l’établissement, la direction du même et son équipe
directive et nous les encourageons à continuer à progresser vers une gestion de qualité
pour mener à bien les améliorations nécessaires en considérant des suggestions et
recommandations livrées dans ce rapport (Rapport d’évaluation externe qui refuse
d’accorder la certification à un établissement, 2004).
Dans ce cas il y a une sorte d’arrangement qui se produit pour qu’un établissement qui
n’atteint pas le standard puisse demander une autre évaluation.
6.6. Adaptations non hypertéliques des 18 profils de compétences professionnelles
Combes (1999) affirme qu’il n’est pas toujours possible d’ « expliquer le mode d’être
d’un objet technique par l’intention fabricatrice qui lui a donné le jour » (p. 96): En fait, dans
l’évolution des objets techniques, parfois se produit un changement même léger, qui pourrait
signifier une spécialisation, quelques fois exagérée de l’objet technique, ce qui finalement
parviendrait à un déséquilibre, comme une perte de sa capacité d’adaptation au milieu.
Simondon (1989b) appelle ce phénomène hypertélie ou la possibilité que quelque chose
excède les fins pour ce qui était conçu. Par ailleurs, d’après l’auteur, il pourrait s’agir d’une
adaptation non hypertélique, c’est-à-dire lorsqu’un objet technique peut être utilisé de
manières différentes de l’« intention fabricatrice » de son créateur, et créant de nouvelles
conditions pour la concrétisation, produisant des nouvelles conditions, un nouveau milieu
pour l’objet technique.
!223
Un premier exemple serait de prendre le rapport diagnostic, qui selon un des
participants, peut être utilisé par certains établissements en dehors du contexte du processus
de certification comme un audit annuel de la satisfaction des acteurs. « Nous avons utilisé une
fois les instruments pour savoir comment nous sommes maintenant en ce qui concerne la
certification » (Gabriel).
D’autres objets techniques qui ont été mentionnés sont les 18 profils de compétences
pour les différents postes des établissements : directeurs, sous-directeurs, enseignants et autres
professionnels qui sont considérées par FS comme compétences nécessaires pour mener à
bien leur travail. Certes, ces profils de compétences peuvent être modifiés et adaptés pour
sélectionner, évaluer, développer et promouvoir les professionnels à l’intérieur de
l’établissement. Le modèle s’appelle taxonomie de compétences, à travers lesquelles les
établissements peuvent élaborer leurs propres profils. C’est un des outils bien appréciés par
les consultants qui font valoir que la principale faiblesse des établissements est la gestion des
compétences professionnelles des enseignants. « Tout ce qui est autour d’un processus de
compétences professionnelles des enseignants sont des zones qui sont généralement plus
faibles. Il existe des établissements qui les ont super installées, mais c’est pas habituel
» (Lucía).
D’après Simondon (1989b), si les modifications des objets techniques sont auto-
subordonnées, c’est-à-dire, si les objets sont libres dans leur évolution, il n’y a pas besoin
d’une hypertélie fatale, nous pouvons parler d’une évolution constructive de ces outils.
Effectivement, le cas des profils professionnels enseignants est un bon exemple d’adaptation
non hypertélique. De fait, ils sont utilisés pour être adaptés pour l’évaluation de performance
ou pour guider le processus de sélection des enseignants.
Gabriel : Tu sais que le site de FS a publié les compétences professionnelles de tous
les enseignants ? Nous avons trouvé tous ces antécédents. Nous ne pouvons pas
sélectionner les gens ainsi à l’oeil […] La première chose que je fais est d’utiliser les
compétences qu’exigent FS pour qualifier, pour faire un classement. Je demande : es-
tu orienté vers la qualité ? Oui. Alors, donne-moi des exemples. Travailles-tu en
équipe ? Que fais-tu dans ton équipe ? De quelle manière tu participes ? Comment
fais-tu le transfert aux pairs ? Comment les mets-tu au courant ? Es-tu un innovateur ?
Fais-moi le récit de comment tu participes de l’innovation ? Et là, je dis au
!224
propriétaire de l’établissement, regardez, nous avons besoin de ça, ça convient pour
cela [...].
6.7. Comment assurer la certification ?
Le succès dans le processus de certification va dépendre des situations suivantes et des
opérations que mène le consultant et l’équipe qualité des établissements.
6.7.1. Une question de chance ?
Certains consultants affirment que le fait d’obtenir la certification aurait beaucoup à
voir avec le type d’évaluateur qui effectue l’évaluation externe. Certains seraient plus durs
qu’autres.
Lucía : Je trouve injuste [...] que certains établissements reçoivent un label de qualité,
pour ce que les évaluateurs peuvent voir dans un seul jour […] parce ce qu’il peut y
avoir un évaluateur plus dur ou plus facile. Jamais on ne sait.
Chercheur : Un des participants a mentionné que réussir dans le processus de
certification dépendait beaucoup de qui était l’évaluateur. Par exemple, certains d’eux
ont tendance à ne pas certifier et d’autres à accorder la certification facilement. Elle
disait que c’était une question de chance. Quelle est ton opinion à cet égard ?
Carlos : Il est vrai, certains des évaluateurs sont très durs et ont tendance à ne pas
accorder la certification et d’autres, en revanche, ont tendance à accorder la
certification [...].
6.7.2. En recrutant un consultant ayant l’expérience d’évaluateur externe
Sans aucun doute, les chefs et les propriétaires des établissements préfèrent être
accompagnés par des consultants qui ont eu l’expérience du rôle d’évaluateur externe, parce
que cela, selon eux, cela peut améliorer les possibilités dans le processus de certification et les
préparer plus efficacement à l’évaluation finale. En effet, un consultant qui a travaillé comme
évaluateur externe de FS connaît le type de preuves qui peuvent être fabriquées pour saturer
les 52 indicateurs du modèle.
Chercheur : Est-ce vrai que certains établissements préfèrent engager un consultant
qui a aussi eu l’expérience comme évaluateur externe ?
!225
Gabriel : J’ai partagé avec eux des rapports d’évaluation : Voilà un rapport
d’évaluation [...] bon, selon moi, cela c’est le plus important [...].
Gabriel : Comme j’ai l’expérience d’évaluateur, je leur dis : Ce sont ces données
qu’ils vont vous demander pour obtenir la certification.
Ce qui précède pourrait être une absence d’impartialité, une espèce de fraude.
6.7.3. La matrice d’indicateurs utilisés par les évaluateurs
Les consultants qui partagent la matrice d’indicateurs avec les chefs et leurs équipes
de direction ont un grand avantage par rapport à la visite d’inspection, parce qu’en fait, ils
peuvent toujours améliorer et compléter avec d’autres éléments de preuve existants ou
simplement en fabriquer de nouvelles. Une fois que les chefs des établissements se rendent
compte qu’ils peuvent produire des preuves, ils peuvent alors contrôler le processus de
certification. Ils ont réussi à décoder le processus de certification et à partir de là, ils peuvent
réussir l’évaluation externe. Donc, ils la demandent uniquement lorsqu’ils sont sûrs que tous
les indicateurs dans l’établissement sont installés.
Chercheur : C’est lorsque j’accompagnais un établissement dans la certification,
aucun consultant n’utilisait la matrice. Je crois que nous avons été les premiers à
partager avec le chef d’établissement [...] ?
Lucía : Les indicateurs ne sont pas des inventions d’un autre monde, ce sont des
éléments pour qu’un collège fonctionne bien et donc, ils doivent être installés […]
sinon, vous ne pouvez pas certifier […].
Lucía : Les écoles qui ont installés tous les indicateurs qui ont toutes les évidences,
obtiennent de bons résultats […].
6.7.4. Guider le processus de certification avec le rapport d’évaluation externe d’autres
établissements
Certains consultants préfèrent guider le processus de certification en révisant d’autres
rapports d’évaluation externe d’établissements qui ont obtenu la certification et qui peuvent
être trouvés facilement sur le web, parce que ces établissements les diffusent sur leurs propres
sites pour ainsi faire la publicité avec l’objectif d’attirer plus d’élèves.
!226
Leticia : Dépend du collège. Le rapport appartient au collège. Il existe des écoles qui
le mettent sur internet, mais nous ne pouvons les rendre publics, parce que sont la
propriété du collège.
Chercheur : Alors, ils peuvent étudier ces rapports pour se préparer [...].
Carlos : Tout à fait. C’est vrai. Quelques rapports sont disponibles sur internet. Au
moins quelques rapports des établissements qui ont été couronnés de succès. Ils
peuvent les utiliser et nous pouvons partager avec eux le rapport d’un établissement
qui n’a pas passé l’évaluation, comme celui qui j’ai apporté [...].
6.7.5. Utiliser le rapport d’évaluation externe de l’établissement pour renouveler la
certification
Lorsqu’il s’agit d’établissements qui renouvellent la certification, les évaluateurs
tiennent compte des recommandations formulées dans le rapport final par les conseillers du
CNCGE. De fait, pour obtenir de nouveau la certification, l’établissement doit se concentrer
sur la collecte et la fabrication de nouvelles et meilleures preuves dans les indicateurs que les
conseillers ont suggérés comme déficitaires dans le rapport précédent.
Gabriel : Le rapport nous permet de voir les choses que nous faisons bien et les
choses que nous ne faisons pas bien.
Antonia : Nous avons le rapport, il est important de revoir ce qu’il nous ont dit pour
décider de se mettre à travailler sur ces recommandations [...].
Leticia : Au cours de la troisième année, tu as besoin de renouveler la certification et
par conséquent, tu as besoin d’un temps avant pour regarder le rapport, voir ce qu’ils
nous ont recommandé, ce que nous devons montrer à la prochaine évaluation. Alors,
cela les motive à poursuivre.
Gabriel : À la suite de ce rapport, en plus de tout ce que tu as bien installé, il faut
démontrer que les autres choses tu as fait en plus pour pouvoir mériter de la re-
certification, ce qui s’est passé avec le processus d’amélioration continue.
!227
6.7.6. Préparer les enseignants, élèves et parents pour les trois jours que dure la visite de
l’évaluateur externe
Avant la visite s’organisent certaines activités, telles que des discussions dans les
réunions de parents, avec des élèves et aussi des ateliers avec les enseignants comme une
façon de diffuser le processus de certification pour les préparer à l’évaluation.
Carlos : Dans le collège que j’ai accompagné et qui a réussi à obtenir la certification,
ce qui a été déterminant à mon avis, c’est l’atelier que nous faisons pour les
enseignants, car même s’ils n’ont pas participé à l’élaboration des documents pour la
certification, cela a permis de les informer du processus et surtout de les inciter à voir
l’importance d’obtenir la certification.
6.7.7. Protester lorsqu’on n’obtient la certification peut être une bonne stratégie pour
réussir à la prochaine évaluation
Par ailleurs certains établissements plus généralement « du quartier bourgeois » ne
parviennent pas à la certification, ils ont tendance à être plus assertifs pour exprimer leur
désaccord avec l’évaluation que les établissements subventionnés ou privés d’autres quartiers
ayant des ressources moindre.
Leticia : Nous avons accompagné un collège de Lo Barnechea qui a participé avec
nous au pilotage et qui n’a pas été certifié. Alors les cadres de cet établissement se
sont fâchés avec nous, beaucoup d’entre eux [...] Ils ont obtenu la certification par la
suite [...].
Antonia : Et lorsqu’ils ont reçu la certification, la Directrice a dit la phrase suivante :
même si nous nous fâchions, nous n’aurions jamais rendu compte des nombreuses
faiblesses qu’effectivement nous avions et que nous ne voulions pas écouter.
Cet établissement n’a pas accepté d’échouer à l’évaluation et a demandé à FS une
autre évaluation et un an après ont obtenu le label de qualité.
6.8. Le succès lié à l’illusion de fabriquer des preuves dans le processus de
certification
De facto, dans le cas du pilotage par la qualité, en tant que dispositif qui vise à
améliorer la gestion des établissements, il semble renforcer la bureaucratie, parce que les
!228
établissements qui l’installent, investissent beaucoup de temps dans la collecte, la fabrication
et l’archivage d’évidences pour chacun des indicateurs. En effet, les chefs d’établissement qui
ont participé au processus de certification sont bien loin d’imaginer que lorsqu’ils installent le
modèle de qualité de FS, c’est-à-dire les 52 indicateurs de gestion, cela augmente la
bureaucratie dans l’établissement et ils ignorent que cela peu affecter négativement la culture
des enseignants.
Antonia : Dans d’autres établissements qui sont très structurés, qui ont beaucoup de
choses, beaucoup de papier, il y a beaucoup d’insatisfaction chez les enseignants,
notamment dans la manière de communiquer, de mener les processus, car personne ne
les écoute.
6.9. L’utilisation de ces objets techniques n’empêche pas de produire des
mensonges
Comme j’ai déjà mentionné, dans certains établissements les chefs et leurs équipes ont
adapté de manière non hypertélique des profils de compétences trouvés sur internet pour
effectuer des évaluations de performance et les associer à un système de motivation. Mais ce
benchmarking se fait de manière lâche, peu réfléchie, et dans certains cas, les directions
d’établissements copient simplement d’autres documents qui sont la propriété d’autres
établissements qu’ils ont trouvés sur internet et qui sont à peine modifiés par eux.
Gabriel : Moi, comme chef de ce établissement, je me fixe un standard [...] les
enseignants commencent à travailler sur la base d’un standard basé sur
un modèle copié à partir d’un autre document des établissements de la Société
Maçonnique, réputés pour avoir une politique de motivation très bien conçue […] en
plus, comme nous n’avions pas un système d’évaluation de performance installé,
nous avons fait la même chose. Nous avons utilisé un schéma d’évaluation que nous
avons trouvé sur internet, qui s’adapte à notre réalité, et à partir de celui-ci, nous
avons maintenant, un schéma d’évaluation des performances.
Il pourrait s’agir de pratiques non éthiques ou frauduleuses, comme le dit Dejours
(2006), forcées par la qualité totale et qui représentent un coût psychologique pour ceux qui
travaillent dans l’établissement. Cette sorte de contrainte à mentir peut dégrader le sentiment
d’éthique personnelle et professionnelle.
!229
Un autre exemple, FS a élaboré un schéma pour que les établissements puissent
effectuer leur projet éducatif (PEI) avec le but d’orienter tous les processus qui se produisent
dans un établissement et permettre de clarifier ainsi les objectifs d’amélioration de chacun des
acteurs. Néanmoins, en dépit de l’importance que FS donne au projet éducatif institutionnel
(PEI), elle a publié un schéma pour réaliser le projet éducatif. Comme le dirait Guattari
(2007), une infantilisation, très propre au néolibéralisme.
Dans le guide (voir dans annexes), FS recommande d’élaborer très sérieusement le
projet éducatif parce que « le PEI permet de prendre des décisions pédagogiques et
didactiques, d’articuler les projets et les actions innovantes, d’ordonner les tâches stratégiques
pour atteindre les objectifs partagés par toute la communauté scolaire et d’établir la vision et
la mission de l’établissement » (Guide du PEI, Fondation Schiller).
Mais le projet éducatif dans nos établissements semble être un document qui n’est pas
sérieux. Par exemple, certains établissements créent un projet éducatif catholique, parce qu’il
est plus intéressant pour les familles. C’est aussi une sorte de garantie de qualité, mais en
réalité cela relèverait du camouflage avec pour seule intention d’attirer plus d’élèves.
Chercheur : J’ai vu des établissements qui ont un projet éducatif chrétien, avec des
messes et tout cela, mais les propriétaires ne sont pas une société religieuse, il s’agit
d’un camouflage pour se différencier des autres dans leur commune, cela est-il
fréquent?
Carlos : Oui, il n’est pas rare.
En dépit de l’importance que devrait avoir le PEI dans une système de quasi-marché et
parce que les établissements ont besoin de se différencier entre eux pour se concurrencer.
Mais ce que les établissements font et qui est corroboré par l’un des participants, c’est le fait
d’être réduit à copier et à modifier un peu d’autres documents similaires disponibles sur
internet.
Gabriel : [...] Comme le Ministère exigeait de nous un projet éducatif pour la mise en
œuvre d’une journée scolaire complète, nous avons copié d’autres projets trouvés par
internet [...].
Leonardo : [...] Il n’était pas un projet éducatif approprié pour eux.
Pour Amado et Enriquez (2009) tout système de contrôle « qui ne tient pas compte du
«réel» entraîne inévitablement simulations et dissimulations de la part des salariés » (p. 9).
!230
Dans le même sens, Dejours (2006) conclut que lorsqu’il s’agit d’imposer une chimère
comme la qualité totale, cela peut générer inévitablement, « une course aux infractions, aux
tricheries, voire aux fraudes » (p. 135) pour satisfaire aux contrôles et audits. Le fait
d’annoncer la qualité totale, pas comme un objectif, mais comme une contrainte, selon
l’auteur, génère une série d’effets négatifs qui auront des conséquences désastreuses sur le
moral des personnes qui travaillent dans l’établissement. L’objectif est de profiter, peu
importe, si cela signifie contourner et tromper.
Véritablement, l’aliénation culturelle que vivent les personnes au cours d’un processus
de certification de qualité, d’après Dejours (2006), constitue pour eux un grand coût
psychologique. C’est « une dérive qui passe par la distorsion des descriptions de la réalité
d’une part, par l’euphémisation ou la dissimulation de l’expérience du réel et des fraudes
commises pour obtenir ou sauver les certifications qualité » (p. 132). Ce processus implique
tous ceux qui travaillent dans l’organisation et qui participent d’un « mensonge sur lequel
repose l’aliénation culturelle » (p. 132). Ils participent, bien que ne le souhaitant pas, à une
« fraude sur la qualité » (p. 132). En fait, cette « souffrance éthique », selon l’auteur, découle
du conflit entre « les convictions morales et l’injonction à participer à des actes qu’on
réprouve » (p. 132).
6.10. Les stratégies qu’utilisent les consultants et les chefs d’établissements pour
multiplier les moments de traduction
Dans le modèle de la traduction nous pouvons distinguer pratiques pour problématiser,
intéresser, enrôler, mobiliser et faire de la dissidence (Callon, 1986 ; Latour, 1983). Le critère
général à suivre pour transférer l’innovation est de rechercher des possibilités d’interaction
entre les acteurs humains et non humains du réseau socio-technique. Donc, quelles sont les
stratégies qu’utilisent les consultants et les chefs d’établissement pour multiplier les moments
de traduction dans les établissements qu’ils accompagnent et qui leur permettent de réussir
dans le processus de certification ?
!231
6.10.1. La création d’une équipe qualité dans l’établissement
La première chose que doivent faire des consultants est de créer un équipe qualité dans
l’établissement ce qui est une importante opération de traduction car c’est ainsi que l’on
installe une sorte de laboratoire pour le pilotage par la qualité.
L’équipe qualité est un lieu où on peut reproduire isolément et à petite échelle la
réalité de l’établissement. Les objets techniques peuvent alors arriver à être des acteurs non
humains importants dans le processus de transfert de l’innovation (Callon, 1986 ; Latour,
1983 ; Cros, 2004).
Gabriel : L’équipe qualité de l’établissement est presque toujours dirigée par le chef
d’établissement et dans lequel participent les directions, mais pas tous avec la même
intensité et de motivation, ce qui est normal dans tous les groupes. Je les aide à
réaliser les deux documents nécessaires pour obtenir la certification, le rapport
d’auto-évaluation et le plan d’amélioration.
En fait, Latour (1983) affirme que la succession de déplacements et de changements
d’échelle est la source de toute innovation. Grâce à cette abstraction quantitative, les élèves,
enseignants et parents sont transportables, reproductibles et facilement diffusés en utilisant
des représentations graphiques et des analyses quantitatives. Toute la réalité de l’école est
placée dans un petit nombre de feuilles du rapport d’auto-évaluation où est rendu visible et
lisible la réalité de tous les acteurs grâce à l’effet de la réduction.
6.10.2. Enrôlement d’autres acteurs
Selon Maroy et al. (2012) lorsque les associations entre acteurs humains et non
humains sont suffisamment fortes, un élément peut devenir le « porte parole » de toute la
chaîne. Les auteurs disent que la traduction d’innovation ne peut être réalisée qu’avec des
déplacements et des transformations, accompagnés de négociations et d’ajustements. Mais
aussi, selon Callon (1986), les acteurs ne peuvent pas conclurent d’alliance si les controverses
ne peuvent pas s’exprimer. Les porte paroles, comme le dit l’auteur, peuvent représenter leur
catégorie sociale, ce qui constitue une nouvelle opération de traduction. Ainsi, selon l’auteur,
ces discussions pourraient mobiliser activement les groupes, ceci au travers d’intéressements
spécifiques pour chaque groupe.
!232
Lors des opérations d’évaluation menées dans les établissements, certains enseignants
sont enrôlés dans cette équipe, mais pas dans le rôle démocratique de porte parole (Callon,
1986) de leurs collègues. En effet, un tel état de conscience collective semble impossible dans
nos établissements.
Chercheur : Pour être sûr d’avoir bien compris, est-il vrai que les enseignants ne
participent pas au travail de l’équipe qualité ?
Carlos : Parfois ils peuvent participer [...].
Chercheur : Mais le font-ils au nom de tous les enseignants, discutent-ils après avec
leurs collègues de ce qui se passe dans l’équipe qualité ? Y a-t’il un retraitement
collectif ou le font-ils de manière individuelle [...] ?
Carlos : Non à titre individuel, car il s’agit d’enseignants qui font partie de la
direction, mais qui n’ont pas contrat comme tel, rien de plus [...].
Enfin, on cherche à aligner les enseignants, les élèves et les parents sur les intérêts de
l’équipe de direction avec un produit fini. Je n’ai pas constaté d’intérêt à développer, au
niveau micro, des pratiques participatives.
6.10.3. Mobiliser des objets techniques
Pour faciliter l’institutionnalisation du discours de la qualité, le consultant doit opérer
l’intéressement des membres de l’équipe qualité avec les objets techniques de sa boîte à outils
qu’il mobilise à l’intérieur de l’établissement.
Ces déplacements peuvent survenir à toutes les phases du processus de transfert de
l’innovation et chacun constitue une nouvelle traduction (Callon, 1986).
Tout d’abord, les questionnaires d’auto-évaluation sont les seuls qui sont connus de
tous les acteurs. Ensuite, le rapport d’auto-évaluation, le plan d’amélioration et la matrice
d’indicateurs sont mobilisés par le consultant uniquement avec l’équipe de qualité. Enfin,
après la visite d’inspection, le rapport d’évaluation externe, s’il est positif, va être largement
diffusé par l’équipe qualité auprès des enseignants, élèves et parents et ainsi ces acteurs
peuvent être un peu enrôlés dans le processus.
!233
6.10.4. L’absence de problématisation de l’innovation
Trop de consensus pourrait réduire fortement les marges de manœuvre de chaque
acteur et, a contrario, le fait de problématiser autour du rapport d’autoévaluation et du plan
d’amélioration pourrait produire un plus grand nombre de traductions (Callon, 1986).
L’équipe qualité n’est pas un espace prévu pour que chacun puisse discuter de
solutions alternatives et des priorités, contrairement à ce que recommandent les auteurs (Cros,
2004).
Carlos : C’est l’équipe (de direction) qui va faire avancer le processus, parce que les
autres ne sont pas concernés […].
Lucía : Cela a été rédigé exclusivement par l’équipe de direction de ce collège.
Les élèves doivent se conformer à ce que proposent le propriétaire et le chef
d’établissement. En fait, l’un des consultants participants, qui travaille comme chef dans un
établissement, compare son propre établissement à un régiment.
Gabriel : Nous avons fait une évaluation plus systématique et périodique [...] cela a
permis des améliorations, ici à l’intérieur, parce que le professeur sait que c’est
comme dans les forces armées. Dans un schéma de performance, le professeur doit
savoir pourquoi les choses doivent être ainsi.
Les chefs et leurs équipes de direction, généralement, évitent de faire participer les
enseignants. Certes, ils font participer les enseignants, les élèves et les parents, juste à ce qui
est nécessaire pour préparer la visite d’inspection, de manière à qu’ils paraissent plus
concernés que ce qu’ils sont en réalité et de cette manière à influer positivement sur
l’évaluateur pour améliorer les chances d’une bonne évaluation. Il faut donc tout de même
qu’ils sachent en quoi consiste la certification et l’intérêt que peut avoir le processus
d’amélioration mis en œuvre.
Les chefs et les consultants se rendent compte de la nécessité de ce type de simulation
parce que la visite comporte des entretiens individuels et collectifs, et pour cette raison les
enseignants, élèves et parents doivent au moins être informés. Pourtant, un dialogue auquel
pourrait participer tous les groupes intéressés produirait de nouvelles formes de
fonctionnement qui favoriseraient notamment les indicateurs proposés par les conseillers du
CNCGE.
!234
Le fait de ne pas inclure la communauté scolaire pourrait indiquer que l’intention
fabricatrice du dispositif est de censurer la « voix du peuple » pour les soumettre aux
indicateurs de la classe dominante représentée par les conseillers de CNCGE.
Ce qui précède n’empêche pas que lorsque les établissements obtiennent la
certification, soit toute la communauté scolaire qui célèbre ce succès. À ce moment se produit
un certain niveau d’enrôlement des élèves, enseignants et parents qui n’avaient pas été
considéré par le processus antérieur.
Gabriel : La FS a pour habitude de venir physiquement livrer le label de qualité
scolaire aux établissements. Le secrétaire de CNCGE est venu ici faire la remise du
diplôme, en fait, celui qui est maintenant dans un tableau suspendu dans le bureau du
chef d’établissement […] Et là-bas, au casino, nous avons fait une cérémonie avec
environ 300 personnes, où le secrétaire et le propriétaire ont parlé [...] devant toute la
communauté, devant tous les représentants, des étudiants, parents, enseignants, et
toutes les personnes qui travaillent dans l’administration du collège. Nous avons
invité aussi toutes les autorités de la commune, des conseillers municipaux, des gens
du Ministère. Il s’agit d’une cérémonie très formelle et protocolaire.
Contreras (2010) affirme que la participation est un élément de la qualité scolaire,
après tout, selon l’auteur, il est invraisemblable de construire un projet éducatif de qualité sans
la participation des enseignants, parents et élèves, toutefois ils seront tenus responsables de
leur comportement sans avoir la possibilité de participer. L’auteur conclut qu’ « une école plus
participative est une école de plus de qualité » (p. 316). L’expérience des consultants, dont
certains sont aussi chefs d’établissements, n’est pas exactement conforme à ce principe.
6.10.5. La propagande comme une autre opération de traduction
Les conseillers ont présenté le pilotage par la qualité comme la panacée pour le
système éducatif, ceci en mobilisant un grand dispositif de propagande. Si l’on peut la
considérer comme une opération de traduction, elle vise aussi à ce que les consultants puissent
attirer des établissements.
Les conférences annuelles de chercheurs qu’organise FS sur le leadership scolaire et
d’autres types de thématiques anglo-saxonnes au siège central de l’Université Catholique,
l’une des universités les plus influentes, peuvent être suivies sur internet par les autres cadres
!235
des établissements qui ne peuvent pas y assister physiquement. Cet événement est réalisé dans
le but d’associer ce type de contenu au programme de pilotage par la qualité.
Chercheur : Tu es d’accord avec moi sur le fait que la campagne de marketing de FS a
été essentielle pour installer le pilotage de la qualité dans le pays ? Il est possible de
constater aussi avec la création de l’Agence de qualité. En fait, nous nous trouvions
une fois dans un séminaire à l’Université catholique et j’avais été impressionné,
comment dire, par la somptuosité [...] ?
Carlos : Tout à fait d’accord. Ces séminaires attirent des clients et élargissent le
modèle de la qualité [...].
Chercheur : Selon moi, c’est la principale opération pour installer l’innovation [...].
Carlos : C’est vrai, je suis d’accord.
En guise de conclusion
La première chose que l’on peut conclure est que le concepteur et le consultant de ce
réseau de traduction n’ont pas eu le même type d’expérience technique (Simondon, 1989a,
1989b).
Comme le dit Akrich (2006), les objets techniques accordent des rôles et des
responsabilités aux acteurs et peuvent ainsi imposer des « cadres de pensée ». Ils organisent
les relations entre les acteurs humains et leur environnement. Et pour cette raison, les objets
techniques ont un contenu politique, ils expriment une volonté politique. En fait, selon Maroy
et al. (2012), les objets techniques sont loin d’être neutres, ils vont influer sur les relations de
pouvoir.
D’abord, le pilotage des résultats correspond à une culture de l’évaluation qui n’arrive
pas jusqu’aux enseignants. Ces tâches stratégiques sont exclusivement exécutées par le chef
d’établissement et l’équipe qualité. Les chefs et les propriétaires n’ont pas l’intention de
prendre en compte les enseignants, élèves et parents dans l’élaboration des améliorations. En
fait, ils ne souhaitent pas que des différends apparaissent, même si cela peut favoriser le
processus d’innovation.
Mais, d’après Simondon (1989b), un objet technique ne peut devenir adéquat que dans
la mesure où sont réunies les conditions pour l’émergence d’une relation transindividuelle.
Certainement, sans cette relation transindividuelle, il n’existe pas de transduction. En effet, la
!236
façon dont sont utilisés les objets techniques de la boîte à outils du consultant en qualité ne
génère pas une relation transductive avec les enseignants, qui devraient pourtant être des
acteurs véritablement clés dans le réseau socio-technique, privant ainsi l’établissement de leur
propre intériorité et de l’expérience collective.
Par conséquent, ce processus de traduction est axé sur les interactions qu’établissent le
consultant avec le chef et l’équipe qualité de l’établissement, lorsque des objets techniques
sont présents. On ne constate pas une véritable socialisation entre les enseignants et les objets
techniques, liens qui pourraient créer de nouveaux liens entre les outils et les acteurs humains.
A leur tour, ils pourraient multiplier les opérations de traduction, qui sans aucun doute
pourraient induire des changements plus profonds dans les pratiques et représentations des
acteurs humains. Le travail réalisé effectivement se limite à la fabrication d’éléments de
preuve pour saturer les indicateurs et obtenir ainsi la certification.
Probablement il en est ainsi parce que le dispositif de FS n’a pas été conçu pour
problématiser l’innovation à l’intérieur de l’établissement, autour des objets techniques. Il y a
clairement absence d’une perspective dialogique (Brunod & Savio, 2009). C’est pour cela que
le processus de transfert d’innovation pourrait avoir les caractéristiques « d’un renvoi » dos à
dos « des dominants et des dominés eu égard à leur situation également aliénée face à la
technicité » (Combes, 1999, p. 122).
De toutes façons, les opérations de traduction qui sont menées pour faire circuler des
objets techniques uniquement dans l’équipe qualité sont suffisantes pour installer le pilotage
de la qualité dans l’établissement.
Enfin, il semble que le succès du programme de pilotage par la qualité dans notre
système est dû à une combinaison de campagnes de marketing et à un processus non réfléchi
de traductions et de mécanismes de coercition aux niveaux méso et macro (DiMaggio &
Powell, 1991), qui se conclut à ce stade par la création de l’ACE qui généralise le pilotage par
la qualité, en tant que dispositif de contrôle pour tous les établissements.
Résumé du chapitre
Ce chapitre a présenté les résultats à la deuxième question de recherche, que j’avais
formulée de la façon suivante : Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986)
exécutées par les consultants, en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour
!237
influer sur l’implication des chefs et des propriétaires d’établissements scolaires dans
l’institutionnalisation du pilotage par la qualité ? Ceci tout en leur permettant de réussir le
processus de certification de la qualité.
Ci-après dans le chapitre suivant seront présentés les résultats obtenus à la troisième
question de recherche.
!238
Chapitre 7 : Les différentes logiques institutionnelles dans le discours des participants qui ont pu être saisies par mon dispositif de recherche
7.1. La question de recherche
Dans ce chapitre, je vais essayer de répondre à la troisième question de recherche qui a
guidé le développement de cette étude en tant que praticien-chercheur : Quels effets
produisent les interférences entre les différentes logiques institutionnelles qui traversent leurs
pratiques sur le discours des consultants ?
7.2. Capter avec mon dispositif de recherche les nouvelles logiques
institutionnelles
Un des objectifs naturels d’une enquête dans le cadre théorique de l’analyse
institutionnelle est de découvrir le contenu latent, de déchiffrer à partir de l’interprétation des
ruptures de sens, le désir du groupe (Guattari, 1972). Selon Lourau (1973), de découvrir « le
négatif non intégré, non récupéré, non dépassé, par l’intermédiaire des analyseurs qui
provoquent l’impensé de la structure sociale à se manifester » (p. 26).
Dans l’analyse institutionnelle, il est aussi impératif de découvrir les transductions
dans le discours des participants (Monceau, 2013), les effets de transformation et de nouvelles
connaissances (Monceau, 2005). Dans tous les cas, il est vrai que les nouvelles logiques
institutionnelles des participants étaient déjà là avant le début de ma recherche, mon dispositif
de recherche a uniquement permis de saisir ces interférences, en permettant aux participants
de découvrir qu’ils sont objets de ces interférences, en construisant une situation dans laquelle
ils se mettent à réfléchir sur leur propre parcours, leurs propres idées, permettant ainsi à ces
effets idéologiques d’apparaître, d’être appréhendés par les consultants.
7.3. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par l’illusion
de neutralité et d’objectivité du SIMCE
Sur la prétendue neutralité et objectivité de l’évaluation SIMCE, il est possible de
constater les transductions suivantes dans le discours des consultants.
!239
7.3.1. Comprendre la qualité comme valeur SIMCE
Le SIMCE est la mesure standardisée des apprentissages des élèves qui depuis deux
décennies est au centre de toutes les politiques de l’éducation dans notre système scolaire, ce
qui a probablement abouti à installer « une culture du constat chiffré » (Barrère, 2009). Pour
cette raison, il n’était pas étrange que la qualité soit encore comprise par les différents acteurs
comme des résultats quantitatifs.
C’est pour cette raison qu’il est encore possible de constater, chez quelques
participants, la persistance des anciennes logiques institutionnelles dans le sentiment d’utilité
du SIMCE. Ceci d’autant plus que cette évaluation pousse les établissements à améliorer leurs
résultats, en dépit de toutes les critiques actuelles.
Lucía : Je crois que le SIMCE est bon. Je n’ai rien à dire contre le SIMCE […] Bien
que cela soit très fastidieux pour les écoles, je pense que, dans le long terme, il permet
d’améliorer tout le système.
Lucía : […] Le SIMCE oblige à améliorer les apprentissages.
Leonardo : […] Aujourd’hui, il n’existe pas un autre instrument qui reflète ce que
sont les apprentissages des élèves, toutefois il est de plus en plus remis en question.
Mais il est aussi possible d’observer dans les entretiens individuels et collectifs
certaines évolutions dans le discours sur la qualité scolaire considérée comme une valeur du
SIMCE, qui étaient déjà là auparavant.
Par exemple, dans les entretiens individuels, les participants probablement catalysés
par la présence de la caméra vidéo ont élaboré de cette manière leurs nouvelles idées sur le
SIMCE comme indicateur de qualité dans le système scolaire.
Lucía : C’est pas facile à dire que nous allons rehausser le SIMCE, parce que c’est un
travail super difficile pour un établissement, car il dépend de nombreux facteurs [...]
En effet ce gouvernement a misé beaucoup sur le SIMCE […].
Carlos : On a imposé l’idée que la qualité est égale aux résultats, résultats SIMCE,
résultats PSU […] C’est vrai qu’il faut améliorer le score, mais il ne faut pas négliger
d’autres aspects du processus.
Leonardo : La qualité scolaire dans la pratique est assimilée au score SIMCE.
!240
7.3.1.1. L’exigence d’un score SIMCE minimum pour accéder à la certification dans le
modèle qualité de la Fondation Schiller établit une discrimination
Dans les entretiens individuels filmés de Gabriel et Leonardo, certaines transitions ont
été captées entre les anciennes et les nouvelles logiques institutionnelles concernant
l’exigence d’un score minimum au SIMCE pour postuler à la certification de FS. Même la
participante la plus impliquée dans les anciennes logiques institutionnelles constatait qu’il
était difficile pour les élèves les plus défavorisés d’améliorer leur score SIMCE, malgré les
efforts déployés par les équipes dirigeantes des établissements.
Lucía : Dans ce collège, nous avons implémenté notre plan d’amélioration [...] mais
en dépit de tout cela, nous n’avons pas pu certifier, car nous ne sommes pas arrivés au
SIMCE requis.
De plus, mon collaborateur (Carlos) a changé son discours lors du second entretien par
rapport au premier entretien concernant le fait que l’exigence d’un score mínimum au SIMCE
établit une discrimination qui nuit aux établissements où vont les élèves pauvres.
Chercheur : Cela veut dire que les établissements où vont les élèves vulnérables,
qui n’ont pas de bonnes performances dans le SIMCE, ne peuvent pas être certifiés.
Ne te semble-t’il pas qu’il y a une espèce de discrimination envers ces enfants ?
Carlos : OK. Je pense qu’aucun de mes collègues n’est d’accord (avec ce phénomène)
et c’est, peut-être, la grande erreur de ce modèle de qualité.
7.3.1.2. Un établissement ayant un meilleur SIMCE n’est pas nécessairement un
établissement efficace
Une autre idée nouvelle, que j’ai pu capturer avec mon dispositif de recherche, c’est
que certains établissements ayant un meilleur score SIMCE ne sont pas nécessairement des
établissements efficaces, parce qu’il est un fait incontestable que l’épreuve ne peut isoler les
effets que produisent, sur le score, les différents capitaux culturels des élèves scolarisés dans
des établissements très ségrégués par classe sociale et valeur SIMCE.
Par exemple, dans l’entretien collectif que j’ai filmé, autant Leticia qu’Antonia sont
d’accord sur le fait qu’un meilleur score SIMCE n’a rien à voir avec l’efficacité des
établissements. Antonia, membre du staff du programme de certification de la Fondation,
soutient maintenant ce qui suit :
!241
Chercheur : Qu’est-ce que dit, de la qualité d’un établissement, le niveau socio-
économique de leurs élèves ?
Antonia : Tous les enfants n’arrivent pas exactement égaux au collège. Certains
établissements doivent travailler beaucoup plus avec les enfants des populations
vulnérables […].
Chercheur : Si le SIMCE dépend de facteurs exogènes comme le niveau socio-
économique, comment pouvons nous être sûrs qu’il s’agit d’établissements efficaces ?
Antonia : […] En revanche, ce que les enfants sont, est apporté par leur foyer, sa
famille, alors pratiquement, l’enfant cherche seulement des filets de sécurité dans
l’établissement, plus que ce qu’il pourrait apprendre, parce ce qu’ils en apportent,
ce qui a été appris à la maison.
Dans l’entretien individuel filmé avec Leonardo, on peut constater également une
évolution à cet égard.
Leonardo : Le capital culturel et social qu’apportent les étudiants est essentiel pour
réussir […] il y a des écoles privées dans lesquelles tu payes une quantité d’argent
énorme, mais qui ne sont pas nécessairement des écoles efficaces, même si eux aussi
ont 300 points […].
7.3.1.3. Le poids excessif du score SIMCE dans le modèle qualité de l’Agence de Qualité de
l’Éducation
De plus, on peut observer les effets des interférences dans le discours des membres du
staff sur la place centrale du score SIMCE dans le nouveau dispositif public de pilotage par la
qualité de la nouvelle ACE, le SAC. En fait, des membres du staff de FS considèrent la
pondération de 67% que l’ACE assigne à l’épreuve SIMCE dans l’évaluation globale de
l’établissement est exagérée. Antonia, dans l’entretien collectif, a affirmé ce qui suit :
Antonia : Alors pourquoi allons nous nous préoccuper d’autres choses, même si elles
sont importantes, si elles ne sont pas aussi pondérées. Si la seule chose que nous
devons faire est d’améliorer le SIMCE […] 67 % de SIMCE […] Ce pourcentage est
très élevé, alors on laisse de côté des autres choses. Mais je crois qu’un établissement
est plus que le résultat du SIMCE […].
!242
Dans l’un des entretiens individuels filmés, Leonardo donne les signes de certaines
transductions dans son discours sur le poids du SIMCE dans le nouveau modèle de la qualité
SAC :
Leonardo : La pondération que l’ACE a donné au SIMCE est proche de soixante dix
pour cent […] et cela a suscité de nombreuses critiques, car il donne une valeur très
élevée à un instrument qui ne parle pas du tout de ce qui est l’expérience éducative,
qui est beaucoup plus que les résultats dans les tests standardisés.
En fait, à la lecture des cahiers de consignes, qui peuvent être téléchargés sur le site
web de l’ACE (2015), il se confirme que la préparation du SIMCE va être la première tache.
Selon l’ACE, les étudiants doivent se familiariser avec le mode de réponse aux épreuves du
SIMCE. En plus, il n’y pas de règles qui empêchent les établissements d’enseignement de
mettre en œuvre des activités de préparation. Mais de façon contradictoire, il est important,
selon l’ACE, qu’elles ne surchargent pas les étudiants et ne leur fassent pas perdre du temps
aux dépens d’autres matières. En plus, l’ACE suggère qu’il serait bon de disposer de
l’approbation des parents pour mener des activités spéciales de préparation, surtout si elles
interfèrent avec d’autres activités scolaires.
Il peut paraître absurde que le nouveau dispositif de l’ACE, qui se présente comme la
grande réforme du système éducatif, repose aussi sur un objet technique, le SIMCE,
maintenant avec une pondération de presque 70 %. De cette manière, toutes les normes de
gestion de l’établissement vont tourner autour de lui, obligeant les directeurs, enseignants et
élèves à s’y référer.
7.3.2. La publication dans la presse des résultats du SIMCE des établissements
Les résultats du SIMCE sont publiés dans la presse écrite et par internet. Comme
d’habitude, les meilleurs scores sont obtenus par les établissements privés du quartier
bourgeois de Santiago et dans les régions où se trouvent les établissements privés et
subventionnés les plus sélectifs. Rares sont les établissements municipaux qui se trouvent
dans le top, à l’exception des « lycées d’excellence » qui, malgré le fait d’être municipaux,
sont très sélectifs, et qui grâce à leurs tests d’admission exigeants parviennent à garder les
meilleurs élèves du système. En fait, le SIMCE est un dispositif d’accountability (reddition de
comptes) qui met en concurrence les écoles et laisse intact les profits des entrepreneurs de
l’éducation.
!243
L’idée sous-jacente est que la circulation de l’information provenant du SIMCE va
encourager les établissements qui n’obtiennent pas de bons résultats à les améliorer pour ne
pas être exposés à la honte et à des sanctions ministérielles (Casassus, 2010). À cet égard,
certaines logiques institutionnelles des participants, spécialement Carlos et Leonardo, ont
évolué et cela a été enregistré par le dispositif de recherche. Par exemple, j’ai pu capturer avec
mon dispositif filmique, une transduction dans le discours de Leonardo qui met en doute les
avantages de la publication des résultats SIMCE :
Chercheur : Maintenant que près de cinq ans sont passées et en vertu de ce dont nous
avons parlé, quelle est ton opinion sur la publication des résultats SIMCE ?
Leonardo : La publication des résultats SIMCE dans la presse est désormais mise en
cause, ce qui me semble bien, car les avantages à publier ces données ne sont pas aussi
importants et au contraire ils ont influencé l’opinion des propriétaires, des directeurs,
des enseignants et des familles, pour penser qu’un établissement avec un score
plus élevé SIMCE est de meilleure qualité et cela n’est pas réelle.
Bien que les consultants aient un intérêt professionnel à soutenir le système du
pilotage par la qualité, leur expérience les conduit à relativiser beaucoup les discours officiels.
Ils sont également en mesure d’apprécier certaines « externalités négatives », comme les
effets négatifs de la survalorisation du score SIMCE.
7.3.3. Limiter la formation des élèves exclusivement aux contenus que mesure le SIMCE
L’intérêt principal des propriétaires et des chefs des établissements est de préparer les
enfants pour l’épreuve SIMCE, parce qu’un collège de meilleure score attire plus d’élèves.
Avec le dispositif de recherche j’ai pu capturer certaines logiques institutionnelles nouvelles
des participants sur le travail que font les établissements pour maintenir à la hausse le score
SIMCE. J’ai pu constater, avec mon dispositif de recherche, que les participants la considèrent
maintenant comme une pratique perverse, parce que les établissements spécialisés dans les
matières qui mesure le SIMCE consacrent beaucoup de ressources pour préparer leurs élèves.
On retrouve ici le phénomène du « teaching the test » (Mons, 2009). Ceci peut se faire au
détriment d’une meilleure éducation en termes globaux. Par exemple, dans l’entretien
collectif, une des participants manifeste la transduction suivante dans son discours sur le fait
de concentrer la formation des élèves sur les contenus que mesure le SIMCE :
!244
Antonia : […] Les propriétaires et chefs d’établissement disent : s’ils vont me
mesurer, principalement par le SIMCE, il faut que je me préoccupe seulement de cela
et pourtant, le niveau d’éducation est de plus en plus de mauvais.
Ce même type de transduction a été capturé avec mon dispositif de recherche dans les
entretiens individuels filmés :
Carlos : Certes, il est inutile de publier les données et cela peut faire plus de mal que
de bien. En fait, la concurrence entre établissements pour obtenir un meilleur score
provoque de la ségrégation parce que les établissements préfèrent éviter la
scolarisation des enfants qui vont faire baisser ses résultats. Comme je l’avais dit
avant dans le premier entretien, toute l’activité de l’établissement est concentrée sur le
SIMCE. Les établissements doivent investir toutes les ressources possibles dans les
disciplines qui font l’objet de mesures. Cette façon de voir la qualité comme égale au
score SIMCE va tuer l’éducation.
Leonardo : Un des buts qu’ont tous les établissements, c’est précisément d’améliorer
le SIMCE, parce que l’épreuve qui est associée à la qualité de l’apprentissage est le
SIMCE […] En fait, durant ces quatre dernières années il y a eu une grande
préoccupation pour le SIMCE […] Mais je crois que cela aussi est de plus en plus
remis en question, car enfin tu soumets les établissements à une pression indésirable
[…] parce que la qualité de l’éducation devrait être interprétée comme une éducation
plus intégrale, un développement plus global de l’être humain, non seulement dans les
matières que mesure le SIMCE […] ce qui est devenu un entraînement des enfants
pour répondre au SIMCE […].
De facto si le MINEDUC subordonne la fourniture de ressources aux établissements
en échange de l’augmentation du score SIMCE, il paraît logique que les chefs préfèrent
investir une grande partie des ressources pour améliorer les performances des élèves.
Toutefois le temps qui est consacré à la tâche de former les enfants pour le SIMCE dans de
nombreux établissements se révèle menée au détriment d’autres activités de formation,
beaucoup plus importantes pour leur développement cognitif et affectif.
Carlos : Si j’étais chef d’établissement, je pourrais recevoir 100 millions de pesos
extras pour les enfants, mais je suis un peu obligé de cibler le maximum possible de
cet argent vers une amélioration des résultats SIMCE, pour que l’établissement puisse
!245
continuer à bénéficier de ces subventions […] c’est pourquoi nous allons recruter plus
de professeurs de mathématiques […] Les propriétaires refusent de rester en bas des
classements. Le ministère peut leur supprimer l’argent si ils ne sont pas
conformes au critère SIMCE […].
Mais les curricula, selon Apple (1996), consiste en la sélection de quelques uns, ils
représentent une vision de groupe quant à la connaissance considérée comme légitime. Selon
l’auteur, sous des justifications éducatives peut se cacher une attaque idéologique très
dangereuse, très nocive pour les plus pauvres. Sur ce sujet, mon collaborateur (Carlos) avait
déjà affiché, dans le premier entretien, l’évolution suivante dans son discours.
Carlos : Alors, ce que nous devons faire est de discuter sérieusement dans ce pays ce
que nous comprenons par qualité de l’éducation, quel est le type d’homme que nous
voulons former dans cette société.
7.3.3.1. Le manque de diversité des projets éducatifs que produisent le SIMCE et le profit
Sur la relation entre le SIMCE, le profit et la diversité des projets éducatifs, le discours
des participants met en évidence les effets idéologiques des diverses interférences
institutionnelles. Le dispositif de recherche a permis de saisir de nouvelles logiques
institutionnelles. Tant dans le premier que dans le deuxième entretien individuel avec mon
partenaire, j’ai capté chez Carlos une transduction dans son discours sur le rapport entre le
SIMCE et le profit des propriétaires d’établissements:
Chercheur : Crois-tu que le fait que l’enseignement dans les établissements se
concentre sur les matières qui permettent d’améliorer le SIMCE se fasse au détriment
des autres disciplines et qu’il homogénéise les projets éducatifs ? Après tout, un
système d’éducation de marché devrait tendre à diversifier les projets éducatifs
comme dans toute entreprise, qui cherche à se différencier pour soutenir la
concurrence ?
Carlos : De toute évidence, ce qui se passe maintenant que tous les établissements
sont devenus mauvais, c’est qu’ils concentrent toutes leurs ressources dans le SIMCE,
synonyme de qualité scolaire. C’est lourd et ennuyeux pour les élèves, très mauvais
pour la formation.
!246
Carlos : [...] Pour augmenter leur SIMCE, il ne sert à rien que les enfants apprennent
à jouer la trompette ou apprennent le cinéma.
Ce « culte de l’efficacité » (Gross Stein, 2002) devrait entraîner le développement
d’une plus grande capacité d’innovation et l’amélioration continue des pratiques éducatives et
de la qualité. Mais, les propriétaires ne sont pas nécessairement des innovateurs ou sensibles
aux besoins des familles. La dimension financière prime.
De fait, l’absence de diversité dans les projets éducatifs est le résultat de la recherche
du profit (Villalobos & Salazar, 2014). Enfin, les établissements qui produisent des profits
vont faire tout leur possible pour attirer les meilleurs élèves du système et ainsi maximiser
leurs bénéfices. Ils essaient aussi de réaliser des économies en recrutant des enseignants ayant
moins d’expérience, leur offrant des conditions de travail plus mauvaises en leur demandant
de se concentrer uniquement sur l’amélioration des résultats SIMCE et PSU.
Les discours des consultants confirment ces évolutions qu’ils regrettent.
7.3.4. Les effets négatifs du SIMCE sur la professionnalisation des enseignants
La pression que subissent les enseignants afin d’améliorer le SIMCE leur laisse peu de
marge de liberté pour trouver des solutions plus créatives (Weinstein, Fuenzalida & Muñoz,
2010). J’ai réussi à saisir dans le discours des consultants cette nouvelle logique
insti tutionnelle concernant les pratiques des enseignants. Selon eux, les
enseignants seraient aussi épuisés par les journées pénibles et leurs conditions de travail. Sur
cette question, dans les entretiens individuels, deux participants ont mis en évidence une
évolution dans leurs discours :
Carlos : Pour les professeurs, cet aspect du SIMCE, est décourageant, parce qu’on
leur demande d’enseigner uniquement des matières qui mesurent la preuve en
utilisant le type de questions du test. Il n’existe pas de place pour faire d’autres choses
dans les classes, pour innover. En outre les jeunes aujourd’hui ont d’autres des
intérêts qui ne sont pas satisfaits, on ne les forme pas de manière intégrée. Ils
s’ennuient, se fatiguent, et cela attriste les enseignants. Ils se sentent déprimés.
Leonardo : C’est quelque chose que l’on peut observer en tant que père. On constate
que même dans les établissements où on paie beaucoup, il y a peu de place pour
d’autres apprentissages, pour une éducation plus globale. Je ne pense pas que cette
!247
situation soit agréable pour les enseignants, je me doute qu’outre la pression,
l’absence de repos et la monotonie dans les habitudes de travail doivent être pénibles
pour eux.
Cette situation est paradoxale parce qu’il pourrait être mieux pour les familles
d’inscrire leurs enfants dans les établissements qui ont des résultats plus faibles au SIMCE,
car ils ne se concentrent peut-être pas uniquement sur le test. Ils pourraient dégager des
ressources pour d’autres domaines qui peuvent être plus importants pour le développement
des jeunes enfants.
7.3.5. La pratique frauduleuse de quelques établissements faisant s’absenter des enfants
qui pourraient baisser la moyenne du score SIMCE le jour de l’épreuve
Sur certaines pratiques frauduleuses liées au SIMCE, comme celle de demander aux
enfants qui pourraient faire baisser la moyenne de l’établissement de s’absenter le jour de
l’épreuve, émerge une nouvelle logique institutionnelle de certains participants que j’ai pu
saisir avec mon dispositif de recherche. Sur ces pratiques, la position des consultants est
probablement plus stricte maintenant qu’il y a environ cinq ans. Ceci en raison des effets
idéologiques des nouvelles forces instituantes, en particulier le mouvement des étudiants. Sur
ces pratiques frauduleuses dans le SIMCE, au cours de l’entretien collectif que j’ai filmé avec
Antonia et Leticia, j’ai pu saisir la transduction dans son discours :
Antonia : […] Ils disent : non cet enfant ne va pas nous servir, cet enfant va modifier
le résultat. Au moment où ils rendent l’évaluation, ils sont exclus du SIMCE.
Antonia : C’est une pratique habituelle dans quelques établissements [...].
Chercheur : Ne crois-tu pas c’est frauder le système d’évaluation [...] ?
Antonia : C’est bien sûr une fraude qui, comme beaucoup d’autres, n’est pas
poursuivie par la justice [...].
Chercheur : Vous ne croyez pas que si nous étions rigoureux, ces pratiques
invalideraient le système d’évaluation [...] ?
Leticia : En étant plus stricts, oui, je crois que c’est un motif suffisant pour contester
les résultats de l’évaluation.
!248
C’est ainsi que le doute pénètre le discours des consultants en remettant finalement en
cause l’ensemble du système. Par ailleurs, durant le premier entretien individuel avec Carlos,
j’ai saisi l’évolution suivante dans son discours :
Carlos : Demander à des enfants ayant de mauvais résultats de s’absenter les jours de
l’épreuve est une pratique courante dans le SIMCE. Mais, incroyablement, cela ne
semble pas affecter la confiance que le Ministère a dans l’évaluation. Je ne sais pas si
cela est le cas dans d’autres pays. Une évaluation complète des irrégularités serait
nécessaire de ce système qui est fait pour améliorer la qualité de l’éducation mais qui,
toutefois, pendant plus de vingt ans d’existence, a favorisé la ségrégation et a
détérioré la qualité de l’éducation.
On retrouve encore dans ces propos, une contradiction permanente entre un
attachement aux objectifs du pilotage par la qualité et un constat négatif portant sur certains
de ses effets.
7.3.6. La sélection des enfants pour maintenir à la hausse le SIMCE
En ce qui concerne les pratiques des propriétaires et des chefs d’établissements
subventionnés concernant la sélection des élèves afin de filtrer les meilleurs et de maintenir
ainsi ou d’augmenter le score SIMCE, les consultants pensent qu’il s’agit d’une
discrimination faite aux élèves qui pourraient nuire à la hausse du score. Depuis le début de
l’investigation on peut distinguer une transduction dans la pensée des consultants. Une
nouvelle logique institutionnelle dans leurs discours qui est apparue avec mon dispositif. Par
exemple au cours de l’entretien collectif filmé avec Antonia et Leticia, j’ai pu constater une
transduction sur la sélection des meilleurs élèves du système scolaire faite par les
établissements :
Leticia : […] Il y a des collèges qui n’acceptent pas d’enfants avec problèmes, avec
des besoins éducatifs spéciaux, car cela peut diminuer les résultats, c’est absolument
discriminatoire […].
De la même manière, dans le deuxième entretien avec Carlos, j’ai pu constater une
évolution dans le discours sur ce type de pratiques des établissements :
Carlos : La sélection est un sujet qui n’était pas en cause jusqu’à l’émergence du
mouvement des étudiants. Il est étonnant que ne l’ayons pas mis en cause d’abord,
!249
nous même. Il est bon qu’aujourd’hui la loi a été corrigé pour l’interdire, bien que
celle-ci le fait de manière partielle, c’est déjà un progrès. Ce point a été traité et cela
me semble bon pour le pays.
De fait les établissements peuvent réduire les coûts en sélectionnant les élèves les
moins difficiles à éduquer, et deuxièmement investir moins (Levin, 2001). Mais la sélection
est finalement une atteinte à la liberté des parents de choisir les établissements où scolariser
leurs enfants. Cette liberté est pourtant consacrée dans la constitution de la République. Ceci
ne semble favoriser que les propriétaires des établissements (Atria, 2010).
7.3.6.1. Sélection des élèves dans les lycées publics d’excellence pour maintenir à la hausse
les scores SIMCE et PSU
J’ai pu saisir, dans l’un des entretiens individuels, la logique institutionnelle antérieure
concernant les pratiques de sélection des meilleurs élèves dans les lycées publics, ce qui était
considéré comme de d’excellence.
Lucía : L’enfant qui veut étudier la médecine, mais qui est d’une famille qui n’a pas
d’argent pour payer un collège privé, je crois qu’il a le droit aussi d’aller à l’Institut
National ou aller dans un autre lycée d’excellence […].
Certes, jusqu’à présent personne ne mettait en cause les processus de sélection dans
ces lycées, car ils étaient par définition sélectifs. Mais, il est probable qu’à partir des
interférences institutionnelles provoquées par la force instituante du mouvement étudiant les
logiques institutionnelles des participants ont évolué. Le dispositif de recherche a aussi forcé à
la réflexion les consultants et ils ont élaboré un discours plus conforme avec ces effets
idéologiques. Ils se sont interrogé sur le fait de savoir s’il était acceptable, licite et éthique de
choisir des élèves dans les établissements publics, appelés lycées d’excellence, icônes de
l’éducation publique, mais qui se comportent comme s’ils étaient des entreprises qui
choisissent un type de cible, un segment de marché, tout en ayant des ressources publiques.
Dans l’un des entretiens individuels, un des participants a fait valoir ce qui suit sur la
sélection par les lycées publics ayant les meilleurs résultats au SIMCE et à la PSU.
Leonardo : Au lieu de sélectionner certains enfants, pour leur donner une éducation de
bonne qualité, nous devons faire des efforts pour élargir la base et livrer la bonne
qualité à tous les élèves.
!250
Certes, de toute évidence, la sélection dans ces établissements a des effets ségrégatifs
ainsi que le font les établissements qui sélectionnent par le prix. La contradiction est qu’on ne
peut pas parler d’un lycée d’excellence, d’un établissement efficace, si seulement il travaille
avec les meilleurs élèves du système. Le même participant a mis en évidence de cette manière
l’évolution de son discours sur ce sujet :
Leonardo : […] L’Institut national n’est pas nécessairement une école effective […]
ce qu’ils font est de travailler avec la crème de tous les élèves […] ils travaillent
uniquement avec les enfants ayant de bons résultats. Alors ce sont les enfants, ce n’est
pas le lycée qui a de bons résultats […] Ces établissements travaillent par commodité
avec des pastèques prouvées, ces enfants vont aller bien dans toutes les écoles.
En fait, le mouvement des étudiants secondaires, à partir de l’année 2006, témoigne de
la tension entre les politiques mises en œuvre pour améliorer la qualité de l’éducation et la
réalité. Il est très difficile pour un jeune qui sort d’un lycée municipal, tout en étant le meilleur
élève de l’établissement, de concurrencer d’égal à égal les élèves qui sortent d’un
établissement privé ou subventionné. Ce jeune qui a étudié dans un lycée municipal va être
entravé pour accéder aux meilleures universités publiques et aux meilleurs emplois.
L’affirmation suivante peut confirmer l’évolution dans le discours de Leonardo :
Leonardo : Personne ne peut être d’accord avec la ségrégation […] ces établissements
sont les exemples phares de la ségrégation sociale du pays.
De la même manière au cours du second entretien individuel avec Carlos, j’ai pu saisir
la transduction suivante dans son discours :
Carlos : Je ne suis pas d’accord avec les lycées d’excellence, car ils ségréguent et
laissent sans bons élèves les autres établissements municipaux. Ces écoles où se
concentrent les enfants ayant de mauvais résultats sont transformés en de véritables
guettos culturels parce ce qu’on les prive de l’effet de leurs pairs.
Mais donner exclusivement une éducation de qualité aux élèves des lycées
d’excellence est presque aussi injuste que livrer une éducation de qualité uniquement aux
élèves de familles à revenus élevés. La sélection dans ce type d’établissements, selon Atria
(2012), cristallise une énorme injustice parce qu’on suppose que les enfants sont libres de
choisir les conditions ou les externalités positives pour réussir dans leurs études. Cependant,
ceci est en dehors du contrôle des enfants et de leurs parents. Enfin, il est très difficile de
!251
savoir qui est vraiment méritant ou qui a eu le bonheur de naître dans un foyer disposant de
revenus suffisants pour acheter ce privilège. La vision économiste consistant à récompenser
ou encourager les meilleurs, les plus persévérants, pour leur donner une éducation de
meilleure qualité est similaire à un système d’apartheid, la mise en scène d’un système de
sélection des plus aptes (Atria, 2012).
Enfin, selon Martinic (2010), qui se fonde sur des données de l’enquête CASEN de
2009, les étudiants du quintile le plus élevé par rapport à ceux du quintile le plus bas avaient
trois fois plus de chances d’entrer à l’université.
Enfin, durant l’entretien individuel filmée avec Leonardo j’ai pu saisir la transduction
suivante :
Leonardo : Un défi et une obligation de l’État, d’un gouvernement, c’est que nous
devons fournir aux enfants un service d’éducation qui soit bon et, là est le défi,
comment vas-tu générer et développer des politiques afin que cela se concrétise.
7.4. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par le profit
des propriétaires d’établissements
7.4.1. Le profit des propriétaires d’établissements associé à une mauvaise qualité du
service éducatif
J’ai pu aussi saisir, avec ce dispositif de recherche, une nouvelle logique
institutionnelle des consultants par rapport au fait que les établissements qui reçoivent des
subventions de l’État puissent demander un paiement additionnel des familles.
Chercheur : Que penses-tu de mettre fin au financement partagé ?
Leonardo : Il a produit la ségrégation [...] des écoles pour les riches, des écoles pour
les pauvres […] Si j’étais Ministre d’éducation, j’interdirais le financement partagé et
m’efforcerais à ce que tous les élèves puissent avoir des conditions similaires […] il a
approfondi la ségrégation […] les enfants peuvent transiter toute la vie dans le sytème
scolaire et il n’existe aucune possibilité d’être mélangé avec des élèves d’autres
classes sociales.
Dans le second entretien avec Carlos, il indique la possibilité de faire des profits pour
les propriétaires d’établissement, par le financement partagé ou par des vouchers, et l’absence
!252
de contrôle. Il y a ici un problème du système scolaire qui cause une ségrégation importante.
En effet, il y a deux types d’établissements ceux des élèves avec de bons résultats et un
meilleur capital culturel et les établissements convertis en ghettos où les élèves n’ont pas la
possibilité d’évoluer par le haut.
Carlos : Eh bien, je crois que d’après la loi, de toute évidence cela ne devrait pas
exister, parce que s’ils reçoivent les vouchers, ils ne doivent pas recevoir un autre
paiement additionnel, les autres établissements privés destinés aux gens qui peuvent
payer, évidemment que oui, mais ceux qui reçoivent de l’argent de l’État ne devraient
pas facturer autre chose.
Certes, actuellement 80 % des familles payent un montant supplémentaire, le
financement partagé, qui peut être variable (Valenzuela, Bellei & De los Ríos, 2009). En effet,
au Chili, selon Bellei (2013), plus de 75 % des établissements privés subventionnés sont
qualifiés comme étant à but lucratif et dans ces établissements étudient un tiers des enfants du
pays.
C’est pour le profit que les propriétaires consacrent plus de ressources économiques à
la publicité que d’autres types d’établissements (Corvalan, Elacqua & Salazar, 2008). En fait,
les propriétaires d’établissements ne réinvestissent pas les excédents de leurs bénéfices
(Donoso & Alarcón, 2012). A contrario ils préfèrent les prélever pour accroître leur
patrimoine personnel. L’autre problème est que cette tendance à réaliser des économies pour
dégager plus de profit peut créer des conditions de travail dégradées et des carences dans
l’infrastructure et la gestion des établissements (Elacqua, Martínez & Santos, 2011).
En effet, l’OCDE (2010) dans son rapport de 2010 reconnaît à nouveau que le
principal problème du système scolaire chilien est qu’il est plus qu’un système de quasi-
marché.
7.5. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par les fraudes
commises par les propriétaires d’établissements et des ATE
A travers les discours des consultants, j’ai mieux compris comment la création du
registre ATE entre en interférence avec le fonctionnement des marchés publics.
La plupart des universités ont constitué leurs ATE pour accompagner les
établissements dans la conception et la mise en oeuvre de leurs plans d’amélioration. De
!253
même, des organisations comme la FS elle-même se sont enregistrées. Certains consultants
FS se sont associés et ont constitué leurs ATE, comme par exemple Leonardo. D’anciens
fonctionnaires du MINEDUC ont également créé des entreprises et ont été enregistrés. Il n’est
pas rare non plus que des opérateurs politiques constituent des entreprises et s’enregistrent. En
fait, toute entreprise peut créer une entreprise de cabinet-conseil, un exemple de cela est un
grand magasin qui a constitué un cabinet-conseil et a été enregistré ensuite comme ATE. Les
propriétaires d’établissements l’ont fait également. Toutefois, des consultants comme Carlos
ont été enregistrés comme des personnes naturelles. Presque tous le font pour tirer bénéfice de
la grande quantité de ressources de la SEP peu contrôlée par l’État.
Les ressources SEP peuvent aussi être utilisées pour acheter des matériaux, de
nombreuses entreprises participent donc aux adjudications sans avoir besoin d’être
enregistrées comme ATE mais il leur suffit d’être enregistrées en tant que fournisseurs sur le
portail d’offres de l’État.
7.5.1. Les grandes ATE qui n’ont rien à voir avec l’éducation mais qui absorbent les
ressources provenant de la subvention SEP
Dès le premier entretien, j’ai pu saisir une transduction en ce qui concerne la manière
dont les grandes ATE prennent les ressources provenant de la subvention SEP en utilisant peu
cet argent pour les élèves. Carlos, par exemple, dit que ces ressources ne sont pas toujours
utilisées pour améliorer la gestion des établissements. Selon lui, certaines entreprises font de
grandes campagnes de marketing, avec des vendeurs recrutés pour cela.
Carlos : […] Il y a ici beaucoup d’argent, alors ceux qui ont fait du profit avec cela
[…] par la loi SEP […] entre eux se demandent ce que vont faire les écoles avec
autant d’argent ? […].
Une autre version de cette transduction je l’ai perçue dans l’entretien individuel avec
Leonardo.
Leonardo : Aujourd’hui il existe de nombreuses ATE qui sont très mauvaises. C’est
un nouveau marché qui commence, sans beaucoup d’orientation, sans beaucoup
d’appui. On a créé plusieurs ATE qui croient qu’elles peuvent facilement générer des
revenus […] Certaines sont hautement professionnelles et d’autres ont été créées par
les entrepreneurs avec le seul but de gagner de l’argent facile.
!254
De facto la plate-forme qui avait été faite pour rendre transparents les services des
consultants et fournir des ressources aux établissements pour les payer, avait été transformée
en une grande opportunité pour tous types d’entreprises. Par exemple, une entreprise qui
vendait des instruments médicaux, a vendu à de nombreux établissements l’équipement des
laboratoires ainsi que des ardoises électroniques. C’est ainsi que les chefs d’établissements,
avec ces nouvelles technologies, peuvent attirer plus d’élèves. Donc, c’est un bon business
pour les deux côtés, mais cela n’améliore pas les apprentissages des élèves et les compétences
des enseignants.
Carlos : Ce ne sont pas des personnes physiques […] il s’agit d’entreprises
qui ont été créées pour gagner de l’argent.
Déjà au cours du même entretien j’ai pu constater la déception de mon partenaire avec
le nouveau système du répertoire ATE :
Carlos : FS m’a commandé d’accompagner une école à Maipú qui était très pauvre,
mais par conséquent très riche en subvention SEP […] elle était si pauvre qu’elle ne
comptait plus que l’argent. Alors, le chef d’établissement dit : mon problème c’est que
je ne sais pas comment dépenser l’argent, ainsi aide moi à voir comment nous
pouvons le dépenser […] déjà nous avons acheté tout ce matériel. Il est là, sans
usage, personne ne l’utilise. Je lui dis : écoute il y a une chose qui va toujours donner
des résultats, former vos professeurs […] tu dois aussi embaucher une assistance
technique.
Durant le second entretien persiste la vision qu’il a du système public d’offres et du
répertoire ATE :
Carlos : Une entreprise a vendu des ardoises électroniques à presque toutes les écoles
du pays. J’imagine un gaspillage de centaines ou de milliers de millions de pesos. Un
autre exemple, un laboratoire qui fabrique des médicaments, a décidé de vendre des
laboratoires pour les classes de chimie dans les lycées, une affaire millionnaire.
Un autre participant confirme :
Leonardo : En général, les établissements investissent bien peu dans les services de
consultants en qualité scolaire. Pratiquement rien. Ils préfèrent acheter des choses ou
recruter des conseillers pour améliorer leurs scores SIMCE.
!255
Il est maintenant paradoxal que la subvention, fruit de la loi SEP (2008) pour les
établissements qui s’occupent des enfants ayant le moins de ressources, produise aujourd’hui
un marché si intéressant qu’il est capable d’attirer divers fournisseurs de services.
Certains propriétaires d’ATE sont devenus riches même si certains offrent un très
mauvais service. Sur cette nouvelle vision concernant le système public d’adjudication les
discours de Carlos et Leonardo coïncident :
Carlos : Lorsque nous parlons d’en finir avec le profit dans l’éducation, nous avons
toujours pensé à ceux qui sont propriétaires de collèges, mais personne n’a rien dit sur
les propriétaires des ATE […] sont des millions de millions de pesos […] eux font
des grandes affaires […].
Chercheur : C’est-à-dire qu’ils gagnent plus d’argent que les propriétaires
d’établissements ?
Carlos : Beaucoup plus.
Leonardo : Et là nous entrons dans un problème d’éthique, que nous n’avons pas
traité, lorsque l’État finance l’assistance technique pour améliorer les résultats des
écoles vulnérables […] combien de cet argent que l’État investit arrive enfin à ces
enfants ? […] Une question extrêmement complexe.
7.5.1.2. Les grands magasins qui ont créé une ATE
Une autre nouvelle logique, saisie par mon dispositif de recherche, dans le discours
des participants c’est sur le fait qu’un grand magasin a créé son propre ATE pour tirer parti de
l’absence de contrôle sur les subventions SEP.
C’est le même Leonardo, qui est administrateur d’une ATE de taille moyenne, qui a été
sous-traitée par une autre plus grande qui a confirmé cette vision des autres consultants sur
cette réalité.
Leonardo : Falabella a une ATE […] il s’agit de gens liés au groupe des écoles Matte,
la Société de l’Instruction Primaire […] qui entre eux ont généré une ATE […] pour
répliquer ses bonnes expériences […].
Leonardo : Lorsque tu postules aux concours publics des municipalités, ils te
demandent une expérience [...] Et ainsi tu ne peux pas gagner l’adjudication.
!256
Déjà dans le premier entretien avec mon partenaire, il avait manifesté cette vision du
système ATE.
Carlos : Regarde ça, Falabella et d’autres Holdings, qui n’ont rien à voir avec
l’éducation, ont monté leurs propres ATE. Comment peux-tu concurrencer avec cela,
toi ? Je ne sais pas pourquoi cela n’a pas été transformé par un scandale.
Enfin, c’est vraiment difficile pour les consultants comme ceux de ce groupe de
concurrencer les entreprises ayant ce niveau de ressources.
7.5.2. Les ATE qui sont dirigées par des opérateurs politiques
En ce qui concerne la difficulté pour les consultants à concurrencer les ATE gérées par
des opérateurs politiques, le problème est que ceux-ci mobilisent leurs contacts avec les
maires qui appartiennent au même parti qu’eux pour gagner les adjudications.
Chercheur : Dans le premier entretien nous parlions des opérateurs politiques dans les
ATE. Ce sont eux ceux qui gagnent la plupart des appels d’offres ?
Carlos : Oui, c’est vrai. Ils gagnent la plupart des appels d’offres, les plus importants,
ceux des municipalités où se trouvent le plus d’enfants vulnérables. Où il y a le plus
de fonds SEP. Il y a des municipalités qui administrent dix établissements et le chef
est donc le maire qui va tenter de favoriser les opérateurs politiques de son parti.
Les opérateurs politiques de ces sociétés de cabinet-conseil offrent de payer des pots-
de vin aux chefs des DAEM (Direction de l’administration de l’éducation municipale) De
cette manière, ils peuvent gagner des adjudications. Carlos doit affronter la concurrence
lors des appels d’offres de ces entreprises. Le système de subvention SEP et le répertoire ATE
qui était censé être totalement transparent est devenu lui aussi hostile aux petites structures de
consultants compte tenu des pratiques des opérateurs politiques. Dans un extrait du premier
entretien filmé avec Carlos, nous parlions sur ce point.
Carlos : J’ai vu comment ces choses fonctionnaient, lorsque des opérateurs politiques
de ces ATE sont arrivés à parler avec les maires […] alors ils disaient au maire :
Regarde, nous sommes du même parti politique, nous sommes associés à cette ATE et
tu as sept écoles ici […] Les données figurent sur le portail public. Alors, ils entraient
comme des vautours pour regarder l’argent que recevaient des établissements [...]
Alors, ils mettent une croix sur ceux qui ont peu d’argent pour choisir exclusivement
!257
les établissements qui ont beaucoup d’argent et ensuite : c’est notre camarade de la
municipalité [...] Un appel téléphonique et voilà [...] Il y a des maires qui ont fait des
affaires […] Le maire peut dire que tout est presque prêt avec la société X, et
qu’uniquement cette société doit travailler avec les écoles de la commune, etc. […]
Ces mecs ont vendu des conseils pour 400 millions […] Après les maires ont passé le
panier pour les campagnes politiques. Alors tout a été corrompu, il est aussi
regrettable que le profit des propriétaires des établissements.
Chercheur : Il n’existe aucune autre possibilité ?
Carlos : Si, dans certains cas ce sont les chefs d’établissement qui décident et ils le
font mieux.
Chercheur : Il y a certains qui sont dignes ? […]
Carlos : Oui, car ce pays n’est pas entièrement pourri, il y a encore beaucoup de
bonnes personnes.
Leonardo préfère être prudent pour affirmer ce qui de toutes façons est un secret de
polichinelle. Il s’agit de la même transduction qui j’ai pu percevoir avec mon dispositif de
recherche.
Chercheur : Un autre consultant m’a dit qu’il y a des municipalités qui font quelques
affaires illicites avec des ressources SEP, notamment avec les ATE contrôlées par des
opérateurs politiques ? [...].
Leonardo : Dans certains cas tu peux avoir la même couleur politique [...] je ne dis
pas que ce soit dans toutes les municipalités et je ne sais pas tous les détails, c’est
plutôt ce qui se dit [...] qu’il y a du détournement de certaines ressources, que tu peux
recevoir comme ATE, une quantité des fonds, du maire […].
De fait, les établissements municipaux qui travaillent pour les familles les plus
pauvres, sont ceux qui sont devenues un véritable butin pour les ATE.
Le CIPER (Centre de Recherche Journalistique) a étudié et dénoncé les innombrables
fraudes commises avec les ressources provenant de la loi SEP par les propriétaires des ATE et
les municipalités qui reçoivent ces ressources. Par exemple, dans la municipalité de La
Pintana dans la région métropolitaine, une ATE a remporté l’appel d’offres la plus coûteuse de
!258
près de deux millions de dollars de l’époque (2014) . Ils ont offert les conseils de deux 27
consultants ayant le grade de docteur et quatre du niveau de Master, ce qui leur a permis de
remporter le marché. Cependant, il a été constaté qu’ils ne sont jamais venus dans cette
municipalité et qu’ils n’étaient même pas informés du fait qu’ils étaient concernés par cette
adjudication. Enfin, selon CIPER, le Contraloría de la República (Contrôleur de la
République) a détecté durant l’année 2012 la disparition d’environ 30 millions d’euros en
subventions SEP . 28
7.5.4. Les universités qui ont créé des ATE pour faire partie de ce groupe de
« prédateurs » des ressources SEP
Dans le premier entretien individuel avec Carlos, a surgi une autre logique
institutionnelle que j’ai pu capter avec mon dispositif en ce qui concerne les universités qui
ont décidé de créer leurs propres ATE, pour faire partie de ce groupe qui capte les ressources
SEP, ceci en profitant de l’absence de contrôle du MINEDUC concernant l’utilisation des
fonds. D’après Carlos, les meilleurs professeurs, mais au moment de la mise en œuvre, ceux-
ci sont remplacés par d’autres consultants moins chevronnés.
Carlos : La plupart des universités sont devenues ATE, par exemple, nous allons
supposer que l’Université Catholique est devenue ATE, elle a mis ses meilleurs
professeurs dans le projet et ça lui a permis d’avoir du prestige […] en offrant ces
professeurs avec d’énormes CV […] Avec cela ils gagnent les appels d’offres, mais
après, quand ils doivent commencer à travailler, ils enverront d’autres professeurs. Il
faut avoir plusieurs clones pour gagner des adjudications en même temps à Chiloé, La
Serena et Concepción […] Il s’agit de beaucoup d’argent […].
7.5.5. Les ATE constituées ou gérées par d’anciens fonctionnaires du MINEDUC
D’autres logiques sont apparues dans le discours des participants sur les ATE
constituées par d’anciens fonctionnaires de MINEDUC qui profitent de cet avantage pour
s’adjuger les appels d’offres. C’est le cas de Leonardo qui a créé son ATE. Dans l’entretien
Repéré à https://ciperchile.cl/2014/11/19/sostenedores-vinculados-a-la-dc-recibieron-en-2013-mas-27
de-41-mil-millones-en-subvenciones-escolares/
Repéré à https://ciperchile.cl/2012/05/10/ley-sep-contraloria-revela-masiva-perdida-de-recursos-28
destinados-a-educacion-de-los-mas-pobres/
!259
individuel que j’ai filmé, j’ai pu voir les transductions suivantes dans son discours concernant
le fonctionnement du répertoire ATE. Leonardo a été engagé pour diriger une ATE qui à son
tour a été engagée par une autre de plus grande taille.
Leonardo : Nous constituons une grande ATE et nous sommes connus dans le
Ministère, nous avons des contacts avec toutes les parties [...] Cette ATE, qui est de
taille moyenne, a été sous-traitée par une autre plus grande. Nous travaillons avec de
nombreuses municipalités à la fois et certaines d’entre elles ont plus de dix
établissements. Au contraire, ma propre ATE n’a jamais obtenu une adjudication. Il
est très difficile de concurrencer les grandes ATE.
Selon Carlos, il est impossible de soutenir la concurrence dans les appels d’offres avec
des sociétés comme celle que dirige Leonardo.
Carlos : Dans les ATE il n’existe pas uniquement des personnes naturelles comme
dans mon cas, dans la plupart des cas sont des entreprises formées par les mêmes
fonctionnaires du Ministère de l’éducation, lorsqu’ils se sont rendus compte que
c’était une grande affaire […] Il existe une danse de millions. Il serait étrange qu’ils
ne saisissent pas cette occasion […].
7.5.6. Les propriétaires des établissements qui financent d’autres comptes avec les
ressources de la subvention SEP
Pourquoi des établissements qui reçoivent la même quantité de recettes par des
subventions, ont ils des résultats SIMCE si différents ? À cet égard, j’ai vu apparaître une
autre logique dans le discours des consultants. Il y a beaucoup d’établissements qui n’utilisent
pas ces fonds en faveur des élèves. En fait, de nombreuses municipalités utilisent ces
ressources pour payer d’autres factures qui n’ont rien à voir avec les établissements scolaires.
Dans cet extrait du premier entretien filmé avec Carlos, cette nouvelle logique institutionnelle
peut être perçue.
Carlos : [...] Dans le cas des municipalités, qui sont aussi pauvres, certaines utilisent
l’argent pour boucher certains trous, pour payer d’autres dettes.
Chercheur : L’esprit de la loi était de ne pas faire de profit […].
Carlos : Ils utilisent l’expression rendre transparent le profit, ils ne disent pas
l’éliminer […].
!260
Chercheur : Aujourd’hui, est-ce qu’ils sont en train d’escroquer et voler les
étudiants ?
Carlos : Il me semble que les propriétaires des établissements, ceux qui ont été invités
à participer à toutes ces modifications, peu à peu, continuent de tordre le bras à cette
loi […] Oui, c’est comme ça […] je suis d’accord qu’il faut en finir avec cela, mais il
faut mettre l’accent sur les propriétaires d’établissements […] enlever tout cela à ceux
qui font une mauvaise gestion et une mauvaise utilisation des ressources [...] Ceci est
très pourri et maintenant la subvention ATE va commencer dans l’enseignement
secondaire. Imagine-toi que cela était limité à l’enseignement primaire.
C’est-à-dire que le faible contrôle et les faibles amendes contre la violation de la loi a
permis aux propriétaires de transformer cet argent des subventions en patrimoine personnel.
7.5.7. Certains propriétaires d’établissements ont créé leurs propres ATE pour frauder
le système
Il y a une autre logique présente dans le discours des participants. Les propriétaires
d’établissements qui créent leurs propres ATE à travers des tierces personnes pour frauder le
système de subventions. Ces ATE vendent des services à leurs propres établissements, des
services qui souvent ne sont pas réalisés. Ainsi, ils peuvent s’approprier des ressources
provenant des subventions, c’est-à-dire qui de toutes façons constitue une fraude.
Chercheur : En 2008 (lorsque j’étais consultant) une holding d’établissements m’a
appelé pour leur fournir des services au travers d’une ATE qu’ils avaient eux-
mêmes avaient créée, pour de cette façon, c’est ce que j’ai imaginé, recevoir des
fonds provenant de la subvention SEP de leurs établissements [...].
Carlos : Je sais de qui nous parlons.
Selon Carlos, ce problème ne peut être résolu sans contrôle fort de la part de l’autorité.
Les ressources, qui en théorie étaient pour les plus pauvres, ont enrichi certains propriétaires
corrompus d’ATE et d’établissements.
Carlos : Il n’existe aucun contrôle. Dans tout autre pays ils seraient tous emprisonnés.
Je te l’avais dit plus tôt. Si vous pensiez que le problème du profit était uniquement
avec les subventions des élèves, la fraude avec les ressources SEP des propriétaires
des ATE et des établissements est considérable. Nous devons parler de millions de
!261
dollars [...] Il n’y a personne pour superviser […] donc cela permet un peu plus de
liberté et certains propriétaires ont dilapidé l’argent […] qui était censé servir pour les
enfants les plus pauvres […] L’éducation, en général, n’a pas changé ces dernières
quatre années [...] En fait ils n’ont pas contrôlé dans quoi les établissements
dépensent leurs ressources [...] Une école peut recevoir 6 millions de pesos par mois
[...] en fonction de la quantité d’enfants vulnérables [...] mais les propriétaires
les utilisent pour accroître leur patrimoine personnel. Avant le contrôlé était plus strict
[…] Nous avons accepté de faire ces choses et nous avons donné plus d’argent aux
lycées pauvres et avec cela nous devrions être OK […] mais la question ne se résout
pas […] Il y a beaucoup d’argent qui a été mis sur la table, mais l’argent n’est
pas parvenu à résoudre les problèmes.
Chercheur : La solution du MINEDUC surprend : il faut certifier la qualité des ATE
[...].
En écoutant les consultants, on a l’impression qu’il s’agit d’un grand butin pour les
propriétaires d’écoles et lycées qui ont trouvé le moyen de contourner l’esprit de la loi SEP
(2008) en créant eux-mêmes ou par l’un de leurs proches une ATE de manière à trianguler des
fonds, en détournant la subvention par des ATE dont ils sont propriétaires. La Surintendance
de l’éducation ne peut pas vérifier s’il existe des contrats entre des sociétés ayant des liens
entre elles. Ni non plus si des surcoûts ont été facturés.
D’après ce que disent les consultants, une pratique courante consiste à mettre en
place, d’un commun accord avec le propriétaire d’établissement, un surcoût pour ensuite
répartir cet excédent. Une autre forme de contournement du système est d’étoffer illégalement
les dépenses de location des propriétés où du fonctionnent des établissements, c’est devenu
une pratique généralisée pour masquer de manière significative les bénéfices et porter atteinte
aux règles fiscales et à l’esprit de la loi de ne pas faire de profit avec l’éducation.
7.6. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par les
incohérences du modèle de certification de la qualité
!262
7.6.1. Les écoles qui certifient et n’améliorent pas leurs résultats
J’ai pu entendre également le fait que des établissements qui passent par le processus
de certification et d’évaluation externe, en dépit d’avoir installé les 52 indicateurs de gestion,
n’améliorent pas leurs résultats au SIMCE.
Antonia : [...] Mais après nous avons examiné les données, et nous ne trouvons rien.
Chercheur : Il y a des établissements qui, en dépit de respecter tout, de s’être
transformés eux-mêmes en une véritable machine de gestion, conformément au
modèle, ne progressent pas dans leurs résultats, au SIMCE par exemple ?
Leticia : […] Aucune idée de ce qu’ils font. Ils disent : nous sommes un bon collège,
tout fonctionne correctement, mais tu vois les résultats ne s’améliorent pas […].
Chercheur : Est-ce qu’il y a vraiment des établissements qui semblent une máquina
(machine), avec tous les indicateurs installés, mais qui ne améliorent pas leurs
résultats, est-ce vrai ?
Leonardo : Il y avait une école où le chef était un collègue consultant de FS comme
nous, il avait appliqué le modèle avec beaucoup de rigueur […] Si tu voyais l’école,
elle satisfait tous les rituels techniques et de gestion qui sont à la base du modèle […]
l’école avait des systèmes, protocoles de fonctionnement, etc. […] avait une
planification stratégique, un projet éducatif, etc. […] il y avait tout […] en termes de
gestion, impeccable, mais les résultats ne venaient pas […].
Lucía : Il y a certains établissements qui sont très ordonnés, alors ils ont tous les
indicateurs, toutes les preuves […] très ordonnés.
Carlos : Certainement, je m’aperçois que la plupart des établissements qui ont installé
le modèle de qualité [...] si tu révises les indicateurs, ils sont très bien, chacun avec
ses évidences, tout ça, et toutefois tu vois que les résultats ne s’améliorent pas [...] Je
suis plus ou moins convaincu de cela, parce que je connais, au moins trois
établissements où tu peux voir que la gestion est une horloge […] les chefs ont tout
ordonné, mais il ne semble pas y avoir une incidence sur le travail des enseignants
[...] Selon l’expérience que j’ai eu, les établissements qui ont été certifiés en qualité
n’ont pas une tendance à l’amélioration […] La gestion aide, mais il y a d’autres
facteurs, il y a d’autres variables.
!263
7.6.2. Découvrir qu’on ne peut pas améliorer la qualité de l’éducation sans observer et
analyser ce qui se passe dans la salle de classe
L’ancienne logique institutionnelle des consultants était qu’améliorer seulement la
gestion de l’établissement serait suffisant pour améliorer les résultats des étudiants. « Moi, je
me souviens de ce que Brunner disait au début de 2000 qu’environ 10 % des résultats
pourraient s’améliorer avec une bonne gestion scolaire » (Carlos). Il ne semblait pas
nécessaire, par exemple, de procéder à des observations de ce qui se passe dans les salles de
classes avec les élèves et leurs enseignants ou d’analyser les pratiques d’enseignement. Mais
maintenant, j’ai pu saisir une nouvelle logique institutionnelle à cet égard, certainement
produite par des interférences entre ce qui est prévu, souhaité, et ce qui se passe effectivement
dans les établissements qui installent des indicateurs de gestion. Cependant maintenant, selon
certains participants, l’installation des 52 indicateurs n’est pas suffisante pour améliorer les
résultats d’apprentissage des élèves.
Chercheur : Tu crois vraiment qu’en améliorant seulement le management dans un
établissement, sans toucher la structure du système complet, nous
pourrions parvenir à une meilleure éducation, développer un meilleur système
scolaire ?.
Leonardo : Le modèle est ainsi. Il a été défini comme un modèle de gestion scolaire,
non curriculaire […] une caractéristique du modèle de FS est qu’il ne demande pas
d’entrer dans la salle de classe. Tu vas observer seulement la gestion [...] tu peux
avoir certaines conditions de gestion, qui peuvent donner de bons résultats, mais cela
n’est pas toujours ainsi. Ce n’est pas la manière de résoudre le problème des résultats
[...] Ce n’est pas nécessairement en s’acquittant des protocoles de gestion qu’on va
obtenir de bons résultats […].
Gabriel : Ce modèle aborde la gestion scolaire, rien de plus.
Leticia : Rien ne nous empêche d’aller voir dans les salles de classe […] Mais nous
devons construire des instruments pour pouvoir avoir un rapport beaucoup plus
objectif [...] nous n’avons pas l’opportunité de le faire […].
Face à la question : « si vous pouviez améliorer le modèle de FS, que devrait-il inclure
qui n’est pas encore dans le dispositif ? » (Chercheur), tous les consultants ont fait valoir
!264
qu’un modèle qui atteste de la qualité scolaire et qui ne s’intéresse pas en ce qui se passe dans
la salle de classe, entre le professeur et les élèves, est manifestement incomplet.
Carlos : […] Les consultants vont dans l’établissement et ne voient pas les enfants,
c’est-à-dire qu’ils constatent qu’il faut faire plus, alors cela n’a pas beaucoup de sens.
Je pense qu’on doit prêter attention aux élèves […] Je crois qu’il faut mettre d’autres
indicateurs […] il faut avoir une discussion […] il faut revoir pourquoi ce que les
enfants apprennent aujourd’hui, n’est pas aussi important pour eux. Alors, pourquoi
des élèves vont être attentifs dans une classe ?.
Leonardo : La seule chose qui m’a manqué est de voir des classes […].
Malgré les adaptations au modèle de la qualité scolaire de FS, ses concepteurs n’ont
jamais jugé important ce qui se passe dans la salle de classe. Selon eux, un bon management
est suffisant pour avoir un impact sur les résultats de l’apprentissage des élèves. Enfin, la
gestion, selon de Gaulejac (2006), est présenté comme un « outil parfaitement neutre destiné à
optimiser le fonctionnement des organisations », mais il est certain que la gestion est ce qui a
le moins de neutralité. Bien au contraire, selon l’auteur, son caractère idéologique véhicule
« une représentation du monde ».
7.6.3. L’existence d’un label de qualité pour les pauvres et d’un label de qualité pour les
riches
Les trois modèles de qualité FS, SACGE et SAC ont tous établis un score SIMCE
minimum pour que les établissements puissent être considérés comme de qualité. Dans le cas
du premier modèle de pilotage par la qualité de FS, qui est le précurseur des deux autres
modèles publics, il met en tant que condition pour des établissements qui
répondent aux familles à faibles revenus un score minimum acceptable de 250 points et pour
des établissements qui s’occupent de familles de plus de ressources, un minimum de 300
points.
Ces logiques institutionnelles des membres du staff de FS sur cette espèce de
discrimination positive qui font des écoles qui s’occupent des enfants vulnérables n’ont
évolué. Le dispositif de recherche permet d’activer le même discours il y a dix ans. Selon eux
pour diminuer les effets ségrégatifs du SIMCE les résultats ne doivent pas être interprétés de
la même manière dans tous les types d’établissements. Ils affirment qu’un établissement où
!265
vont des élèves provenant des groupes stratifiés comme vulnérables, obtenir une valeur
SIMCE sur la moyenne est plus important que dans un autre établissement où étudient des
étudiants à revenus plus élevés.
Pendant l’entretien collectif filmé tant Antonia que Leticia déclinent cette logique
institutionnelle de compensation par le biais de la discrimination positive des établissements
où sont les étudiants issus de familles de moins de ressources. En effet, FS, lorsqu’il s’agit
d’établissements qui s’occupent d’enfants vulnérables, exige un moindre score SIMCE pour
recommander la certification. Selon eux, cela se fait avec l’intention de ne pas exercer de
discrimination, comme s’il était posible d’effacer, de cette façon, les inégalités entre classes
sociales et les effets ségrégatifs du test SIMCE.
Antonia : [...] Un collège qui se présente à la certification, il faut avoir un standard
minimum de base, au moins dans la moyenne de son groupe socioéconomique,
idéalement, un point plus haut, pour faire une comparaison beaucoup plus juste.
Leticia : […] La FS également exige plus de score SIMCE aux écoles privées, les
plus chères. On ne peut pas donner le label de qualité à Santiago College avec 260
points.
Antonia : Regarde, le SIMCE va totalement de la main du type d’enfant, si tu as un
établissement de haute vulnérabilité, obtenir 260 est une grande réussite, mais si tu as
un collège d’un environnement socio-économique plus élevé, 260 points est une
honte.
Leticia : […] Un établissement plus vulnérable peut avoir installé le système et
atteindre 260 points, mais si tu vas dans un autre collège de la classe moyenne, la plus
élevée, tu peut trouver facilement un établissement avec 260 points dans le SIMCE,
nonobstant il n’a pas installé le modèle de qualité […].
Mais Carlos, lors du deuxième entretien individuel filmé, lorsque je lui ai restitué mes
résultats, a affirmé que le fait que FS exige un moindre score SIMCE des établissements
scolarisant des enfants vulnérables est, au mínimum, contradictoire. Ce que FS dit entre les
lignes, est qu’il ne s’agit pas d’un problème de gestion, mais d’un moindre capital culturel.
Les mêmes effets ségrégatifs du SIMCE entraînent des erreurs dans l’évaluation de la qualité
des établissements. En effet le label de qualité pourrait être octroyé à des écoles qui ne le
méritent pas. De même, on peut commettre l’injustice de refuser le label à d’autres
!266
établissements qui tentent d’améliorer leurs résultats SIMCE mais pour qui c’est difficile
parce qu’ils reçoivent les enfants issus des familles à faible capital culturel.
Carlos : On a un label de qualité pour les pauvres et un label de qualité pour les
riches. Cela ne me semble pas correct [...] En effet, lorsque FS accorde la certification
de qualité aux établissements qui accueillent des enfants de maigres ressources, ils
disent : nous allons exiger un moindre score SIMCE, un minimum de 250 points, mais
ils leur demandent aussi d’installer tous les indicateurs du modèle. Si un collège
scolarise les enfants de familles ayant plus de ressources nous allons demander 300
points. Ensuite, dans une même liste, ils ordonnent les établissements qui ont réussi
aux plus grands standards de qualité et apparaissent plus haut dans la liste des
établissements les pauvres et les riches. Ce type de discrimination positive semble
être une tentative de dissimuler ce qui ne va pas bien dans le système.
Un pays qui cherche à avoir deux types d’établissements, les uns de qualité pour les
pauvres et les autres de qualité pour les riches, est un pays qui cherche à avoir deux types
d’individus.
7.6.4. Le label de qualité comme manière de démontrer artificiellement un certain
leadership
La raison pour laquelle les propriétaires délèguent aux chefs d’établissement la gestion
de leurs propres affaires, est qu’ils vont utiliser leur expertise gestionnaire pour rendre
rentable l’entreprise familiale.
Ensuite, le label de qualité représente pour les directeurs une occasion d’exposer leurs
attributs de chef, pour se distinguer des autres collègues chefs d’établissement. D’ailleurs,
exposer la certification dans le curriculum pourrait signifier un grand avantage sur la
concurrence, par exemple, pour obtenir un nouveau poste. En fait, le label de qualité est une
forme de démonstration de sa capacité de gestion. Donc, cela a beaucoup à voir avec le
narcissisme du directeur ou du propriétaire de l’établissement. Dans l’entretien individuel
avec Leonardo j’ai pu percevoir cette nouvelle vision concernant l’obtention du label de
qualité qui est en réalité une tentative de prouver artificiellement une bonne gestion de la part
des dirigeants des établissements :
Leonardo : Le label ne signifie pas que l’établissement a une meilleure offre.
!267
Dans le premier entretien individuel avec Carlos, j’ai retrouvé cette idée :
Chercheur : Mais tu ne penses pas que c’est un risque aussi d’entrer dans un
processus de certification, car le chef d’établissement peut échouer à obtenir le label
de qualité ?
Carlos : Ces établissements n’avaient pas besoin d’avoir le label de qualité. Pourquoi
ce directeur le fait ? Parce que il avait des difficultés pour démontrer son leadership
par rapport aux autres chefs des autres établissements dans le même congrégation. Il
voulait que son lycée soit le premier avec ce label […] je vais être le premier de ma
congrégation.
Enfin, les dispositifs de gestion offrent des ressources à chaque manager pour
revendiquer sa propre place dans l’organisation. Ils se sentent obligés d’adopter un dispositif
de gestion pour éviter d’être considérés comme négligents s’ils ne suivent pas la même
tendance. Pour cette raison, ils vont imiter les autres chefs pionniers, ce qui correspond à un
usage opportuniste (Boussard, 2009b). En fait, pour bien faire son travail, le directeur est
formé par des savoirs en gestion et le travail du chef d’établissement est légitimé par ce logos
gestionnaire (Boussard, 2009a). Il n’existe rien de plus opportuniste que le benchmarking des
solutions de gestion adoptées par des organisations similaires. Cela n’est pas seulement pour
mettre en scène le logos gestionnaire général, mais pour défendre aussi leur légitimité à
intervenir sur les problèmes de l’organisation.
7.6.5. Le label de qualité donne la possibilité aux propriétaires d’établissements de faire
du profit
L’ancienne logique institutionnelle concernant l’obtention d’un label de qualité
permettait de maintenir ou d’accroître le nombre d’élèves et par conséquent les revenus des
propriétaires d’établissements comme j’ai pu l’entendre dans les entretiens individuels filmés
avec Lucía, Gabriel et Leonardo :
Lucía : Il faut lutter pour maintenir le nombre des élèves et la seule façon est avec
qualité.
Gabriel : Avoir, dans la vitrine de notre collège, le label de qualité nous donne une
distinction à l’intérieur de la communauté [...] Il nous permet de recevoir des fonds
publics.
!268
Leonardo : J’ai ce label de qualité de FS [...] donc je peux vendre mon établissement
comme un bon collège […].
Mais, une autre nouvelle logique institutionnelle concernant la relation entre la
certification et la possibilité pour les établissements de dégager plus de bénéfices avec le label
de qualité a pu également être saisie pendant l’entretien individuel avec Carlos :
Chercheur : C’est-à-dire que ce label de qualité permettra de mieux concurrencer les
autres ? Cela permet aux propriétaires de gagner plus de subventions ?.
Carlos : Il était conçu pour les établissements privés ou subventionnés mais il est
difficilement concevable pour les établissements municipaux […] Il peut servir de
propagande, pour avoir plus d’élèves, plus subventions, plus de ressources.
Chercheur : Donc, le label de qualité favorise le profit ?.
Carlos : Oui, tout à fait.
Chercheur : Et aussi la ségrégation ?.
Carlos : Oui, si cela peut arriver.
7.6.6. Les différences entre le modèle de la qualité de FS et les modèles publics SACGE
et SAC
Selon certains participants les trois modèles de qualité sont similaires dans leur
conception, en fait les domaines de gestion considérés par ces évaluations sont presque les
mêmes.
Lucía : Dans le SACGE, tu dois faire un plan d’amélioration dans les quatre zones
[…] qui ne sont pas identiques mais qui sont assez liées […] Il n’est pas différent du
modèle de gestion de la qualité de FS.
Leticia : De plus, ils utilisent les mêmes quatre domaines.
Les consultants décrivent aussi les différences entre les deux modèles : le public et
celui de FS. En effet, le principal avantage des modèles publics de pilotage par la qualité
SACGE (2004-2014) et SAC, en vigueur depuis 2014, sur le modèle de FS, est qu’ils ont pu
s’institutionnaliser avec l’aide de la loi puisque les établissements ne peuvent plus éviter
d’être évalués. Dans l’entretien collectif filmé de Leticia et Antonia j’ai pu saisir la vision
suivante sur les différences entre le modèle de certification de FS et le modèle public de
l’ACE.
!269
Leticia : En plus, le modèle de la qualité publique a été maintenant super validé avec
l’ACE et avec la loi SEP [...].
Antonia : Les établissements ne peuvent pas refuser l’évaluation de l’ACE, par
contre, l’évaluation externe FS est une visite qu’ils choisissent volontairement pour
obtenir un label de qualité.
Dans les entretiens individuels de Leonardo et Carlos, j’ai pu recueillir la même
vision :
Leonardo : Avec le SACGE nous avons atteint tous les établissements du pays […].
Carlos : Une mauvaise évaluation peut signifier que les établissements perdent
l’autonomie [...] Le SACGE était similaire au modèle de FS, mais il était un peu plus
long. Aujourd’hui, le modèle public SAC est réussi [...] Ils ont également ajouté et
précisé des indicateurs [...] C’est le modèle dans l’éducation primaire et secondaire du
pays […].
De plus, les consultants voient une différence en faveur du modèle de qualité de FS. Ils
estiment que la pondération du SIMCE de 67 % du SAC de l’ACE est excessive et qu’elle va
ordonner les établissements en groupes, selon les scores SIMCE, elle ne va par contre pas
octroyer un label de qualité comme le fait FS.
Antonia : Quel est la différence avec nous ? L’Agence ne certifie pas, en revanche
nous certifions.
Leticia : L’importance que le modèle de l’ACE donne au SIMCE est très élevée [...].
Une autre différence selon les membres du staff est que dans le SAC, l’établissement
ne peut pas se préparer.
Antonia : L’ACE prévient 48 heures avant qu’il va se rendre à l’école. Alors, c’est un
terme super court [...] Pour évaluer si l’établissement répond aux normes qui sont
fixés par eux, mais dans le modelé de FS, lorsque des établissements demandent
l’évaluation, c’est qu’ils se sentent sûrs de réussir.
Enfin, une autre différence importante est que le SAC va mettre l’accent sur les
établissements ayant de mauvais résultats.
Antonia : L’Agence va s’occuper des écoles [...] de plus grande vulnérabilité [...] et
ayant de mauvais résultats.
!270
7.6.7. Les tensions éthiques que provoque la coexistence de deux dispositifs de qualité,
celui privé de FS et celui public du nouveau SAC de l’ACE
Enfin, les interférences institutionnelles provoquées par la coexistence des deux
dispositifs de qualité, celui de FS et celui de SAC et de l’ACE, ont eu des effets idéologiques
qui ont forcé une nouvelle logique institutionnelle:
Carlos : Alors, lorsque le propriétaire m’a dit : vous savez que nous avons terminé la
période de certification ? Selon toi, devons nous la demander de nouveau à CNCGE ?
Mais nous devons payer 3 millions de plus ? J’ai lui ai suggéré que c’est beaucoup
mieux d’attendre, de voir ce qui passe avec l’ACE […] Je dois être loyal avec lui. En
fait, moi-même, je ne le sais pas encore. C’est mieux, plus prudent, d’attendre un peu
[...] Je peux vous aider, je peux transmettre à votre équipe de direction certaines
façons de travailler pour que vous puissiez le faire vous-mêmes [...] pour éviter d’y
consacrer vainement de l’énergie et de l’argent [...] Tu ne dois pas demander
maintenant que FS fasse l’évaluation externe pour la certification, parce que la vérité
est que vous êtes très loin d’atteindre la certification [...] On fait un diagnostic et cela
va signifier au minimum un an [...] Je crois que vous ne devriez pas demander à FS
de venir effectuer l’évaluation, car l’établissement est vraiment très loin d’atteindre
la certification.
Mais cette acte éthique, selon Simondon (2005 [1964]) doit s’amplifier, se mettre en
relation, s’inscrire dans un réseau visant à construire un champ de résonance pour d’autres
actes ou ainsi les prolonger dans un champ de résonance. Une fois, d’après l’auteur, qu’il « est
bien structuré en réseau, c’est-à-dire qu’il y a une résonance des actes les uns par rapport aux
autres, non pas à travers leurs normes implicites ou explicites, mais directement dans le
système qu’ils forment et qui est le devenir de l’être » (p. 323). En fait, comme le dit
Ricœur (1991), la visée éthique est une bombe ayant une capacité à corroder les fondements
de la logique néolibérale.
Enfin, en dépit du fait que les consultants peuvent aller au-delà de leur idéologie
professionnelle « en produisant (leurs) propres repères pour la pratique » (Monceau, 2006, p.
57), cela ne signifie pas que l’idéologie professionnelle du consultant va disparaître
complètement (Monceau, 2006).
!271
7.6.8. Les familles ne choisissent pas les établissements en utilisant comme critère de
sélection le label de qualité de Fondation Schiller
Une autre transduction présente dans le discours des consultants concerne la stratégie
des parents pour choisir les établissements de leurs enfants. Une nouvelle logique
institutionnelle est que la qualité ne peut reposer exclusivement sur le critère de performance
des collèges à l’épreuve SIMCE et l’obtention du label de qualité. D’après Martinic (2010)
l’aspiration de tous les parents, peu importe le type d’établissement scolaire, est que leurs
enfants puissent entrer à l’université. C’est pourquoi l’épreuve la plus appréciée est la PSU, la
dernière bataille des élèves pour l’accès aux meilleures universités et les formations
universitaires les plus valorisées. Dans cette épreuve les élèves des classes défavorisées ont
très peu de chances. De fait les meilleures universités publiques reçoivent une grande majorité
de jeunes des classes favorisées. Dans les entretiens individuels de Leonardo et Carlos, ils
décrivent la façon dont les familles choisissent les établissements :
Leonardo : [...] Tu peux avoir un label de qualité, mais de nombreux pères ne
choisissent pas l’établissements pour le label de qualité.
Carlos : Lorsque les familles choisissent les établissements, ils ne prennent pas en
compte s’ils ont ou non un label de qualité. Ils le font presque toujours en pensant à
ceux qui vont être les compagnons de leurs enfants. S’ils envoient un enfant dans un
lycée public emblemático (phare), c’est parce que cet établissement reçoit les
meilleurs élèves et c’est une garantie de succès dans la PSU. Si une autre famille
envoie son enfant dans un établissement privé, elle le fait également en utilisant le
même critère. Ils ne veulent pas que leurs enfants soient mélangés avec des enfants
d’une classe sociale plus basse. Ils cherchent à s’aligner vers le haut dans l’échelle
sociale. C’est un critère classiste, c’est comme ça, par la faute du profit des
propriétaires des établissements.
Certes, les parents ne savent pas qu’un label de qualité signifie seulement que
l’établissement a satisfait à des protocoles et démontre surtout sa capacité bureaucratique pour
la collecte et la fabrication des données nécessaires pour réussir le processus d’évaluation
externe. Ils vont surtout considérer le niveau socio-économique des futurs compagnons de
leurs enfants qui est un critère beaucoup plus important pour eux, la barrière d’entrée étant le
prix. Les parents prennent soin de la socialisation de leurs enfants car ils savent que le type de
!272
société dans laquelle ils vivent est hautement compétitive, où les contacts, le pituto (les amis,
les contacts personnels), comme on dit au Chili, sont très importantes pour s’assurer un bon
emploi (Martinic, 2010). En fait, ils vivent dans un pays où la méritocratie républicaine n’est
pas la forme de l’ascension sociale. De fait, les dirigeants des entreprises les plus importantes,
viennent de seulement cinq lycées privés de Santiago où sont éduqués les plus riches. Ceci est
beaucoup plus important que le type d’université où sont ensuite effectuées leurs études.
Certains parents préfèrent des établissements avec une formation religieuse mais pas parce
qu’ils sont des personnes très croyantes, seulement parce que c’est de cette manière que se
renforcent les réseaux.
Selon Barrère (2009), « les choix des familles ne sont certes pas basés sur les seuls
critères de performance, mais synthétisent plusieurs types d’informations, où le nom d’élèves
issus de l’immigration, le climat et la sécurité jouent aussi un grand rôle » (p. 207). En fait, la
ségrégation urbaine, parle du peu de confiance que les parents ont dans la capacité des
établissements « à faire face à des publics majoritairement perçus comme
problématiques » (p. 208).
En guise de conclusion
Il y a des transductions dans le discours des participants à propos du SIMCE,
notamment de sa centralité dans les modèles de qualité de la FS et dans les deux autres
modèles publics, en particulier dans le nouveau modèle de pilotage par la qualité SAC, où il y
a maintenant une pondération de 67 %.
Désormais ils déclinent négativement leur implication dans le SIMCE, parce qu’il
établit vraiment une discrimination selon eux. De plus, ils ont déjà commencé à remettre en
question la valeur du SIMCE comme critère d’efficacité des établissements. On observe aussi
une remise en cause de la nécessité de publier et diffuser par la presse les résultats des
établissements.
Une autre remise en cause concerne la manière dont le curriculum, limité aux contenus
du SIMCE, a des effets négatifs sur le professionnalisme des enseignants et incite certains
propriétaires et chef d’établissements à quelques pratiques frauduleuses pour augmenter
artificiellement leur score. De plus l’idée apparait que le profit des propriétaires des
établissements serait associé, maintenant, à une mauvaise qualité du service éducatif.
!273
J’ai pu également percevoir, concernant le fonctionnement des ATE avec les
ressources provenant de la loi SEP (2008), que tous attendaient la mise en place d’un système
d’appels d’offres plus transparent. Selon les consultants, la loi SEP a entraîné l’apparition
d’un « butin » pour les ATE. Celles qui profitent abusivement de ces ressources sont souvent
constituées par des opérateurs politiques, par anciens fonctionnaires du Ministère et par des
entreprises qui n’ont rien à voir avec l’éducation mais qui ont profité de la grande quantité de
ressources et du manque de contrôle. En fait, les programmes de vouchers n’ont pas atteint
leurs objectifs d’excellence académique et n’ont pas amélioré l’équité dans les systèmes
éducatifs comme l’a déjà dit Mons (2004b).
Enfin, j’ai pu saisir d’autres logiques institutionnelles causées par certaines
incohérences du modèle de certification de la qualité de FS. Par exemple, certaines écoles qui
ont obtenu la certification n’améliorent pas leurs résultats. Apparait ici le paradoxe de vouloir
améliorer la qualité de l’éducation sans observer et analyser ce qui se passe dans la salle de
classe. De même pour la coexistence d’un label de qualité pour les pauvres et d’un label de
qualité pour les riches. En outre, il est maintenant considéré par certains consultant qu’il
s’agit plutôt d’une manière de démontrer artificiellement un certain leadership, ce qui donne
la possibilité aux propriétaires d’établissements qui obtiennent la certification d’en tirer
d’autres avantages.
Résumé du chapitre
Ce chapitre a présenté les résultats à la troisième question de recherche, que j’avais
formulée de la façon suivante : Quels effets produisent les interférences entre les différentes
logiques institutionnelles qui traversent leurs pratiques sur le discours des consultants ?
En construisant un dispositif filmique qui a condensé les discours des sept consultants, qui les
a croisés entre eux et qui les a mis en rapport avec les contextes professionnels, institutionnels
et politiques dans lesquels ils exercent leur travail, je pense avoir saisi la manière dont les
interférences entre logiques institutionnelles traversent les discours des consultants. C’est
ainsi qu’à travers leurs discours apparait la complexité de l’institutionnalisation du pilotage
par la qualité au Chili.
Ci-après seront présentées les conclusions de la recherche.
!274
Conclusions
Le réseau de réformes globales en éducation
La principale raison de mon intérêt pour étudier le modèle du pilotage par la qualité de
la Fondation Schiller est qu’il me semblait évident que le dispositif d’accountability (reddition
de comptes) en éducation était précurseur d’un autre dispositif qui s’est récemment
institutionnalisé dans notre pays avec l’Agence de Qualité de l’Éducation. Comme le disait
Lourau, dans la première variation de son livre Implication, transduction (1997a), il est
important d’analyser la production de subjectivité, parce que c’est là que peuvent se cacher les
forces de domination et d’exploitation prêtes à nous objectiver, à parasiter notre subjectivité.
Pendant la période où je participais comme consultant à cette institutionnalisation
(2003-2006), j’avais pu constater comment les consultants réalisaient un processus de
traduction avec la boîte à outils dont ils disposaient pour travailler dans les établissements :
les questionnaires d’auto-évaluation, le rapport d’auto-évaluation, le plan d’amélioration et la
matrice de 52 indicateurs pour contrôler les progrès dans la saturation de preuves pour chacun
des indicateurs. Mais tout ceci se faisait sans organiser de journées de réflexion et d’analyse
avec les acteurs les plus concernés, c’est-à-dire les élèves et les enseignants. L’idée semblait
être que l’équipe qualité de chaque établissement devait travailler à huis clos au processus
d’amélioration et ceci uniquement dans le domaine de la gestion en laissant au dehors et à
d’autres les autres dimensions comme la pédagogie.
Une autre chose qui avait fortement attiré mon attention était l’habileté avec laquelle
la Fondation Schiller gérait les moyens de communication et les stratégies de marketing pour
appuyer le processus d’institutionnalisation du dispositif. Tout cela était un peu aliénant parce
que le dispositif tournait autour du SIMCE bien que l’efficacité de celui-ci soit très contestée
(Mena & Corbalán, 2010).
Aujourd’hui, la pression du SIMCE, selon Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010), est
considérée comme ayant un caractère homogénéisant et standardisant qui rigidifie les
pratiques des enseignants et des cadres de l’établissement et laisse peu de marge pour agir
avec plus de liberté et trouver des solutions plus créatives.
Le problème de la coexistence de deux types de régulations, celle du quasi-marché et
celle de l’État évaluateur, est que cela stresse inutilement les établissements et nuit notamment
!275
aux établissements municipaux qui doivent à la fois être en concurrence avec les
établissements subventionnés et répondre aux exigences ministérielles (Martinic, 2010).
Au début des années 2000, aucun d’entre nous n’osait remettre en cause les
implications idéologiques des membres du Conseil, y compris l’absence d’indicateurs
correspondant aux dimensions pédagogiques. Le fait de ne pas prendre en compte les
dimensions pédagogiques était même considéré comme la preuve d’une neutralité
idéologique.
En somme, le dispositif de FS légitimait le développement d’une logique d’entreprise
dans les établissements et constituait une invitation à ignorer une fois les aspects qualitatifs
des processus institutionnels.
Toutes les politiques et réformes éducatives que nous avons connues dans les trente
dernières années étaient orientées par les mêmes « politiques supra-nationales » (Mons,
2004b). Il s’agit donc d’une seule grande réforme globale conservatrice et d’inspiration
libérale (Duru-Bellat & Meuret, 2001). L’OCDE et la Banque Mondiale, en association avec
d’autres organismes internationaux, ont encouragé une décennie auparavant (Grek, 2009) le
pilotage par la qualité dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Si les pays se distinguent
les uns des autres dans les spécificités de mise en œuvre de ces politiques nous pouvons
trouver des convergences en termes de pilotage (Malet, 2009).
Toutefois en dépit de l’ampleur de ces réformes décentralisatrices, elles ne semblent
pas très visibles pour les acteurs (Pérez-Roux & Salane, 2013).
Ces politiques se fondent sur l’hypothèse que le moteur du changement pédagogique
serait la motivation de l’individu pour éviter les sanctions ou pour obtenir des récompenses.
Cependant, ce feedback opéré par les résultats des évaluations, ne serait pas suffisant pour
produire des transformations qui puissent améliorer la qualité de l’enseignement. D’après des
auteurs comme Hanushek et Raymond (2002), une partie de cet effet est plus ou moins
automatique, mais dépend aussi du développement d’autres incitations explicites conduisant à
l’innovation, à l’efficience et à l’augmentation des performance. De plus, Mons (2009) écrit
que le lien n’a pas été établi entre les différentes formes d’accountability et la réduction des
inégalités scolaires d’origine sociales. Elle conclut qu’il n’a pas été trouvé d’association forte
entre les dispositifs d’évaluation et l’efficacité des établissements.
!276
Des acteurs humains impliqués dans ce réseau de traduction
Selon Latour (2008), toute chose ayant une incidence sur une situation donnée est un
acteur. Pour cette raison les questions à se poser sur tout acteur sont simplement les
suivantes : De quelle façon exerce-t’il une incidence sur d’autres acteurs ? Existe-t’il une
preuve permettant de détecter cette incidence ?
En premier lieu, le terme acteur-réseau souligne l’incertitude qui peut être à l’origine
de l’action (Latour, 2008). Comme cela s’avère être le cas ici, même si nous connaissons bien
les concepteurs du modèle de la qualité de FS, nous ignorons les autres groupes intéressés qui
éventuellement peuvent avoir réalisé différentes négociations nécessaires pour parvenir à
produire un niveau d’accord suffisant. Ma recherche n’avait pas pour but de démontrer la
présence d’autres réseaux de traduction ou des autres acteurs qui travaillent en arrière-plan. Il
était suffisant pour moi d’en observer les traces.
Ensuite, il ne faut pas chercher à faire porter les responsabilité à un sujet individuel.
D’après Foucault (1976), s’en abstenir est beaucoup plus complexe et plus puissant. Comme
tout dispositif, dans un réseau socio-technique, il n’y a pas de concepteur clair, identifiable,
mais il y a plutôt de grandes stratégies anonymes. Comme l’écrit Nascimento (2010), ces
micropouvoirs peuvent être « présents dans un champ de forces hétérogènes, dont la
distribution se fait en réseaux, souvent invisibles, mais quotidiennement actifs et produisant
des processus de subjectivation » (p. 152).
Les concepteurs du réseau de traduction
Les concepteurs du réseau de traduction, en plus de créer des institutions pour faire
circuler leurs énoncés, le CNCGE et le réseau national des consultants, ont aussi eu une
intervention active pour définir une liste d’acteurs humains et non humains. Avec l’aide de
leurs collaborateurs, ils ont étalonné les objets techniques de la boîte à outils du dispositif,
c’est-à-dire les questionnaires d’auto-évaluation, la plate-forme informatique, le rapport
d’auto-évaluation, le plan d’amélioration, la matrice d’indicateurs et le rapport d’évaluation
externe. Ces accords sur l’étalonnage des outils ont permis de réduire voire de supprimer les
risques de divergences avant leur intégration à la chaîne de traduction (Callon, 2006b).
Le pouvoir du storytelling (Simonet, 2009) est utilisé pour imposer un récit d’action
aux acteurs humains. Ainsi, afin de rendre plus efficace le scénario, une chaîne de traduction a
!277
été conçue autour des objets techniques de la boîte à outils. Les concepteurs ont incité les
membres du staff et les consultants à faire des choses qu’ils n’auraient jamais faites d’eux-
mêmes. Encouragés par l’OCDE et la Banque Mondiale, ils ont transformé un élan social
(dont le mouvement des étudiants contre la « crise » de l’éducation) en un dispositif
d’évaluation qui va de soi pour les membres du staff et les consultants, comme s’il était
devenu leur inconscient.
Les conseillers ont également produit d’autres opérations de traduction pour mobiliser
les énoncés du pilotage par la qualité. Certains d’entre eux écrivent des articles sur le pilotage
de la qualité, parlent avec la presse, soutiennent des discussions avec le ministère dans leurs
rôles d’experts en qualité scolaire. Leurs actions et leurs relations ont eu des effets durables
sur le réseau de traduction, ceci à partir de la production et de la diffusion d’outils et de
procédures sur lesquels ils sont parvenus à créer un consensus.
Les consultants impliqués deviennent, pour un temps défini, des porte paroles du
dispositif de pilotage par la qualité
Les nouvelles méthodes de domination ne peuvent pas fonctionner sans l’aide de
professionnels hautement engagés (Dejours, 2006). Pour reproduire des dynamiques de
pouvoir il convient donc de disposer de « serviteurs zélés » (Dejours, 2006). En fait, ce
processus de traduction de l’innovation n’aurait pas pu être possible sans la surimplication
(Lourau, 1990) de consultants, comme ceux qui ont participé à cette recherche. Ils sont
devenus porte paroles et médiateurs de l’innovation par une succession d’associations
mobilisant les objets techniques et les membres des équipes qualité des établissements
scolaires.
Ce petit groupe de consultants correspond à un groupe ayant des caractéristiques
uniques, ce sont ceux qui ont réussi à s’adapter à tous les mouvements institutionnels que la
Fondation Schiller a réalisés pour maintenir en vigueur son modèle de certification de la
qualité malgré les changements de politiques éducatives. Cependant ces mutations
institutionnelles (Pérez-Roux & Balleux, 2014) ont perturbé leurs logiques et ont affecté
négativement leur implication professionnelle.
Selon Callon (2006a), lorsque naît un réseau de traduction, il met en œuvre une boîte
noire (Callon, 2006a). Cette boîte noire j’ai pu la saisir dans un moment de crise
!278
institutionnelle : la création de l’ACE. La Fondation Schiller y a répondu par un mouvement
institutionnel visant à maintenir et renforcer son réseau de traduction dans ce nouveau
contexte. J’en ai retrouvé la trace dans les discours des consultants appartenant à ce groupe,
en particulier sous forme de contradictions institutionnelles comme cela apparaît dans mes
résultats.
Les autres consultants, ceux qui ne sont pas pris en compte dans cette recherche, ne
sont plus actifs dans le réseau. Ils sont probablement passés par un processus d’anomie
professionnelle comme moi, c’est-à-dire d’un processus de professionnalisation et
d’institutionnalisation à un processus inverse de désinstitutionnalisation, qui aboutit à la
désimplication affective et idéologique et enfin à la déprofessionnalisation (Aballéa, 2013).
L’angoisse des consultants est produite par l’absence du transindividuel (Simondon,
2005 [1964]). En effet, la Fondation Schiller ne visait pas à définir un projet collectif pour
maintenir les consultants mobilisés. Au contraire, une fois qu’ils ont accompagné un
établissement et obtenu une attestation comme consultant, c’est la FS elle-même qui a brisé la
relation, entrant même en concurrence avec eux pour les appels d’offres.
L’efficacité d’un réseau de traduction pour installer le pilotage de la qualité dans
le système scolaire
Ce réseau de traduction a réussi à se stabiliser et à se renforcer, en dépit de
l’incertitude qu’a générée l’apparition précoce d’un modèle propre du MINEDUC, le
SACGE, et la faiblesse de la demande de certification des établissements. En effet, le réseau
semble n’avoir jamais cessé de progresser. La raison est qu’un réseau de traduction est
constitué par de multiples et successives interactions qui les rendent, de plus en plus forts
(Callon, 1986). En fait, une nouvelle traduction peut contribuer à modifier, à transformer, à
contredire, mais peut aussi renforcer les traductions antérieures (Latour, 2008). L’efficacité de
ce type de réseau de traduction réside dans leur longueur, leur stabilité, leur degré
d’hétérogénéité (Callon, 2006a). Certes, ce réseau a pu s’arrêter parfois, d’autres fois il a pu
s’accélérer, mais en dépit de tous ces aléas, il a gagné en stabilité et peut encore devenir plus
stable.
!279
Décrire le scénario de la chaîne de traductions autour des objets techniques
L’avantage d’un réseau socio-technique est qu’il n’est pas constitué uniquement de
liens sociaux. En effet, s’il dépendait exclusivement des liens sociaux, il aurait des difficultés
pour étendre les effets de ses actions dans le temps et dans l’espace.
Les objets techniques participent à la construction de la réalité et ils sont capables de
fabriquer l’action dans l’interaction avec des personnes (Maroy et al., 2012). Cela est vrai
dans notre cas, le scénario des opérations de traduction a été écrit autour des objets techniques
(Akrich, 2006), à travers les innombrables et successives interactions entre eux, les
consultants et les membres des équipes qualité des établissements. C’est en particulier les cas
pour les opérations d’écriture du rapport d’auto-évaluation et pour le plan d’amélioration.
Toutes ces interactions fondées sur la rédaction de ces documents ont contribué au maintien et
au renforcement de la chaîne de traduction et de la production des énoncés du pilotage par la
qualité (Callon, 2006a).
Les opérations de traduction qui n’ont pas été mises en œuvre
Toutefois, malgré la succession de déplacements et de changements d’échelle, qui sont
la source de toute innovation (Latour, 1983), ce processus de traduction du dispositif vers les
établissements se concentrait sur le chef d’établissement et son équipe de direction.
Nul doute que le fait de consulter l’opinion des élèves, des enseignants et des parents à
travers les questionnaires lors du processus d’auto-évaluation, les conférences ou ateliers pour
les préparer à la visite d’inspection et leur participation à la cérémonie de remise du label
qualité sont des actions importantes dans la chaîne de traduction. Cependant, les étudiants,
dont le mouvement de protestation avait interrogé la qualité de l’éducation, sont finalement
traités comme des acteurs passifs. Par ailleurs, le fait de ne pas rechercher la participation
active des enseignants peut apparaître comme une manière de nier leur professionnalisme.
Le processus de traduction pour institutionnaliser le pilotage par la qualité s’est fait
sans problématiser et, évidement, sans inclure les dissidences. Pourtant, des opérations de
problématisation pourraient multiplier les moments de traduction afin de renforcer les acteurs
et développer une capacité accrue des acteurs et démocratiser l’innovation (Callon, 1986). En
d’autres termes, à instituer dans le groupe un dialogue et une plus grande liberté d’expression
(Guattari, 1972). Au contraire, le dispositif a été installé en limitant les possibilités
!280
d’interaction entre acteurs humains clés, tels que les enseignants, les élèves et les parents ainsi
qu’avec les acteurs non humains du réseau socio-technique.
S’il n’existe aucune opération de traduction dans laquelle on envisage la participation
des enseignants et des élèves, pendant le processus d’élaboration du diagnostic, du plan
d’amélioration et de la mise en œuvre des améliorations, c’est certainement que ce dispositif
n’était pas pensé comme un outil de changement.
Lorsque les propriétaires des établissements emploient un consultant qui a de
l’expérience comme évaluateur externe, tels que les participants à cette recherche, en plus de
se libérer d’une charge de travail, ils confient la tâche à un étranger qui n’a pas de contact
avec les élèves, les enseignants et les parents. La relation est alors limitée au consultant et à
son client.
Cependant le réseau de traduction a été renforcé en dépit d’être privé de certaines
opérations de traduction impliquant certains acteurs potentiels. Les nombreuses opérations de
traduction effectuées pour la mise en place du dispositifs dans plus de mille établissements a
ainsi rendu le réseau capable de résister à d’éventuelles contre-traductions, de se renforcer et
de devenir plus stable.
Qu’est-ce qui a été traduit avec ce réseau ? : L’idéologie dominante des conseillers
Il ne fait aucun doute que la sélection des indicateurs sur lesquels se construisent des
objets techniques n’est pas neutre, n’est pas désintéressée. En effet, près de la moitié des
conseillers du CNCGE sont des représentantes des propriétaires des établissements privés et
subventionnés laïcs et religieux qui tirent profit de l’éducation. Ils souhaitaient avoir des
établissements plus efficaces et rentables. En fait, ces indicateurs n’émergent pas de la réalité
des établissements mais plutôt de l’esprit des membres du Conseil et sont inspirés par les
systèmes de management de l’entreprise.
Ce modèle de certification se fonde sur le jugement expert des conseillers , en 29
agissant comme modèle de vérité, comme un savoir-pouvoir (Foucault, 2004a). La procédure
d’évaluation externe se résume à faire circuler entre les conseillers le rapport élaboré par
l’évaluateur externe, après une visite d’inspection de trois jours dans chaque établissement.
Le CNCGE est composé d’un président et de douze conseillers.29
!281
Cette mise en circulation vise à confronter les subjectivités et corriger les imperfections
propres à l’objectivité quantitative, à objectiver la subjectivité (Zarka, 2009).
Le dispositif de pilotage par la qualité de FS, n’est ni plus ni moins qu’une tentative de
contrôler les comportements des professionnels de l’établissement, d’homogénéiser leurs
pratiques professionnelles. Maintenant, avec l’Agence de Qualité, on veut aller plus loin dans
ce processus d’homogénéisation des pratiques de gestion en contrôlant plus rigoureusement
les résultats au SIMCE.
Certes, la mesure des apprentissages des élèves, comme ceux qu’ils obtiennent au
SIMCE, constitue une intervention idéologique. Comme déjà indiqué, lorsqu’on décide quel
contenu mesurer, on décide d’en laisser d’autres de côté (Apple, 1995).
Mais l’intervention idéologique est plus large, parce que les établissements sont
classés explicitement dans le système, principalement par leur score SIMCE, qui dans le
nouveau modèle de la qualité de l’ACE, le SAC, a une pondération de 67 %. Les
établissements qui ne satisfont pas aux objectifs SIMCE peuvent perdre leur autonomie dans
leur usage des subventions. L’établissement peut même être fermé.
C’est-à-dire, finalement, qu’un modèle « dur » d’accountability a été choisi,
comportant peu de réflexion de la part des enseignants, parents et élèves (Maroy & Voisin,
2014).
La légitimation de la reproduction de l’inégalité
Mais qui profite de cette innovation ? Cette innovation ne semble bénéficier qu’aux
groupes qui fixent l’agenda politique, reproduisant le modèle néolibéral en éducation (Apple,
1996). De fait, les créations récentes de l’ACE et de la Surintendance par le MINEDUC sont
un reflet de la volonté d’exercer plus de contrôle sur les établissements financés par l’État. En
fait, les établissements privés, où vont les enfants des dirigeants, ceux qui ne nécessitent pas
d’être financés par des fonds publics, ne vont pas à être contrôlés.
Actuellement, sont discutées des lois qui visent à en finir avec le profit et la sélection
des étudiants, celles-ci semblent aller à l’encontre des principaux objectifs de l’agenda
néolibéral, peut-être constituent-elles une concession provisoire (Apple, 1996). Le
mouvement des étudiants avait constitué une contre-traduction mais ce mouvement avait aussi
contribué à l’institutionnalisation du pilotage par la qualité (Apple, 1996).
!282
Les administrateurs du ministère, les conseillers du CNCGE et ceux de l’ACE,
s’abritent sous un même « parapluie idéologique ». Tous sont également attachés à l’idéologie
véhiculée par les dispositifs de reddition de comptes et la culture de l’audit. Le discours
méritocratique permet de dissimuler temporairement les inégalités sociales (Apple, 2015).
Ceux qui perdent dans ce type de dispositifs ?
Constatons tout d’abord qu’un système de reddition de comptes beaucoup plus strict,
comme celui de l’ACE, exerce un contrôle plus fort sur les établissement scolarisant les plus
pauvres et laisse beaucoup de liberté aux autres. Les grands perdants sont les étudiants des
établissements qui reçoivent des subventions. En fait, selon Apple (1996), un système de
curriculum et de tests d’évaluation nationale exacerbe les différences de sexe, de race et de
classe sociale lorsqu’il manque de ressources humaines et matérielles.
Avec l’ACE, la centration sur les scores SIMCE est encore plus forte. Si ces réformes
néolibérales sont souvent présentées comme de grandes opportunités d’enrichissement de la
professionnalité (Demailly, 2016), a contrario, la centration sur les scores SIMCE fait
craindre un appauvrissement du professionnalisme et de l’autonomie professionnelle des
enseignants (Maroy, 2012).
Demailly (2016) utilise le terme uberisation pour désigner les nombreux effets
négatifs, comme par exemple la fragmentation des groupes profesionnels, la diminution de
l’autonomie professionnelle ou plus largement la détérioration de la professionnalité.
La rhétorique de la qualité
Probablement, nous sommes en présence d’une rhétorique, qui selon Gori (2011),
appelle en permanence à l’objectivité, mais sans rigueur méthodologique. En effet, vouloir
saisir la complexité de cette réalité par la construction d’une batterie d’indicateurs ou d’un
indicateur composé est « largement illusoire » (Guillaume, 2009).
Ainsi, comme le dit Foucault (2004a, 2004b), l’art de gouverner repose sur
l’exaltation de la notion de liberté, d’où surgit automatiquement la nécessité de la protéger.
L’auteur a qualifié cet art de tromperie puisqu’il consiste finalement à mettre en œuvre des
dispositifs de sécurité.
!283
En fait, l’institutionnalisation du discours de la qualité s’explique par la capacité de la
machine capitaliste, comme le dit Guattari (2007), à fabriquer de la subjectivité au niveau
international, avec les équipements collectifs et les média de communication de masse dont
disposent les États bourgeois.
Certes, l’idéologie gestionnaire, selon de Gaulejac (2006), a envahi l’ensemble de la
société et ses responsables. Les hommes politiques l’appliquent massivement comme
méthode de gouvernement. Pour être efficace, selon l’auteur, il faut gérer la société comme
une entreprise.
Selon Barrère (2013), il est très difficile de critiquer ces dispositifs parce qu’ils
prennent en charge des objectifs généraux qui sont difficiles à remettre en cause. Par exemple,
qui pourrait refuser d’améliorer, dans notre cas, les apprentissages des élèves et la gestion des
établissements. En outre, par rapport à de grands changements structurels, les modifications
proposées par ces dispositifs sont modestes, ne nécessitent pas de grandes justifications. Une
autre manière de rendre incontestables ces logiques, est de déplacer l’attention sur les objets
techniques.
Le problème, selon Gather Thurler (1997), du management par la qualité est que les
étudiants ne peuvent pas être considérés comme un simple « bout de la chaîne de
production », qui subissent passivement les effets de l’activité éducative. Ceci est
manifestement une grande erreur parce qu’ils sont les principaux partenaires dans le processus
d’apprentissage et de développement.
Dans le même sens, Casassus (2010) dit que la logique narrative d’un dispositif de
pilotage par la qualité basé sur des standards est facile à comprendre. C’est justement à cause
de cette simplicité que les standards en éducation disposent de tant de pouvoir au sein des
politiques éducatives. Ce qui est dangereux et grave dans ce sens commun, selon l’auteur, est
de croire qu’il est si évident qu’il serait absurde de le remettre en cause.
Alors, il est raisonnable de douter de ce type de dispositifs
Il est raisonnable de douter de la validité d’un label de qualité. Il est certain qu’un
processus de certification de la qualité est une invitation faite aux professionnels de simuler,
mentir, déformer, enjoliver, nier la réalité pour obtenir le label de qualité (Dejours, 2006).
Dans notre cas, pour un établissement c’est aussi simple que de gérer des preuves pour chacun
!284
des 52 indicateurs et fabriquer des données manquantes. Rien de plus. Un établissement peut
même confier cette tâche à un consultant pour être bien sûr d’avoir atteint le standard avant de
demander la visite d’inspection.
Le succès de la Fondation Schiller dans le processus de certification est lié à l’illusion
de fabriquer des preuves, qui ne sont pas la réalité. De fait les établissements qui fabriquent
des preuves ne changent pas leur fonctionnement, ce qui change est l’évaluation mais pas
l’activité réelle.
L’illusion que nous appelons l’évidence ne renseigne en rien sur la réalité de
l’établissement, elle est comme un monde à côté. Ceci nous amène à la question du transfert
de ce succès qui n’est pas un succès mais le dispositif d’évaluation lui-même. En effet, les
objets techniques produisent une illusion de l’évidence. Il y a l’idée d’une production de
données, d’une analyse fondée sur des éléments de preuve, mais cette démarche de la
production de preuves n’est pas adaptée à l’ensemble du processus ou à toute réalité sociale. Il
s’agit de la création de l’illusion d’un monde à part qui parle de la réalité mais qui n’est pas la
réalité.
Les consultants qui ont participé aux entretiens individuels et collectifs de cette
recherche ont apporté une vision relativement homogène de la manière dont est mis en œuvre
le pilotage par la qualité dans les établissements scolaires chiliens. Pourtant ces consultants
ont des expériences, des formations et même des orientations idéologiques assez hétérogènes.
A travers leurs discours, on perçoit à la fois leur attachement à un idéal de qualité tel qu’il a
pu être porté par la Fondation Schiller mais aussi une déception directement issue de leurs
observations et expériences de terrain. Ils semblent vouloir croire que les problèmes qu’ils
observent résultent de mauvais comportements individuels ou collectifs mais qu’ils ne sont
pas directement liés au dispositif lui-même.
Il faut continuer à étudier ces réseaux de traduction
Cette logique d’accountability, qui a entraîné une augmentation de l’efficacité
constatée, a aussi produit une perte d’équité et un écart de réussite, de plus en plus important,
entre établissements (Dupriez, 2005).
Mais pourquoi ce type de politiques et de discours dominants subsiste-il ? La raison
principale, selon Apple (2015), c’est que le sens commun sur l’éducation est en permanence
!285
altéré. En fait, sur l’idée de transférer les modèles du management de l’entreprise à
l’éducation, de maintenir les administrateurs et les enseignants sous la pression de la
concurrence pour en obtenir une plus grande productivité, et ainsi améliorer le système
scolaire, il existe très peu de preuves à l’appui (Apple, 2006 ; Lipman, 2011).
Les concepteurs de ces modèles de qualité et tous les groupes de pouvoir qui les
soutiennent semblent être immunisés contre l’évidence empirique et voient dans le
néolibéralisme une espèce de religion (Apple, 2001). Bien que les solutions proposées pour
améliorer les normes de qualité puissent être de bonne foi, il est problématique qu’ils ignorent
l’importance des processus démocratiques, des désaccords, des questions complexes. Ils
préfèrent ignorer la voix d’autres acteurs comme les étudiants. De fait, les demandes de ceux-
ci semblent être uniquement utilisées pour maquiller leurs propres propositions et poursuivre
la réforme néolibérale.
Il y a trois réseaux de traduction du modèle de la qualité ayant le même objectif 30
d’installer le pilotage par la qualité de notre système scolaire. La raison pour laquelle les trois
modèles de FS, le SACGE et le SAC sont assez similaires, c’est qu’ils font partie d’un même
réseau de traduction et que les concepteurs du premier modèle de pilotage par la qualité sont
impliqués dans la création des deux autres modèles. Selon Brunner (2007), le modèle de
certification de la qualité de FS a servi de guide pour la création du premier modèle public de
qualité, le SACGE (2003). Enfin, le modèle de la qualité SAC de l’ACE, qui a remplacé
l’ancien modèle SACGE, a aussi été piloté par FS durant l’année 2014, pour évaluer ses
méthodologies. Alors, il n’est pas étonnant que les zones du modèle de la qualité de l’ACE et
ses indicateurs soient très similaires à celui du modèle de FS. D’ailleurs, un conseiller du
CNCGE de FS est maintenant également conseiller de l’ACE. C’est ainsi que ces réseaux de
traduction ont mis en place leur propre cohérence. Tous font partie d’une chaîne de traduction
globale. En effet, ce sont la Banque Mondiale (2007) et l’OCDE (2004) qui ont recommandé
d’opérationaliser le concept de qualité et de constituer des standards ou des indicateurs, pour
que la qualité puisse s’observer et se mesurer afin que les établissements puissent être
contrôlés par la reddition des comptes (Hopkins, 2007).
Les trois modèles dont nous parlons sont le modèle de la qualité de FS et le modèle SAGCE du 30
MINEDUC, en vigueur dans les périodes 2003-2006 et 2008-2013 et le SAC de la nouvelle ACE, en vigueur depuis 2014.
!286
Dans un article sur le modèle de gestion scolaire de la qualité, les cadres du
programme, Weinstein et Uribe (2010), affirment l’importance du leadership dans le pilotage
par la qualité de FS comme suit :
Le développement de l’expérience de certification de la qualité de la gestion scolaire
a été pertinent pour introduire une «culture de la qualité» dans le système scolaire
chilien [...] la qualité du service éducatif est maintenant un droit exigible par les
citoyens et c’est un devoir de l’État d’en sécuriser le respect de la part des
fournisseurs du service [...] un système d’assurance de la qualité (est nécessaire pour
fixer) des normes minimales que les prestataires du service pédagogique doivent
obligatoirement respecter (Weinstein & Uribe, 2010, p. 201).
Un dispositif d’évaluation « à enjeux élevés », selon Rozenwajn et Dumay (2014),
comme celui de l’ACE, va probablement relancer une série de pratiques non pédagogiques, va
provoquer l’inflation des scores aux épreuves externes, c’est-à-dire gonfler artificiellement les
scores. Le problème est que si tel est le cas, il n’est pas possible de bénéficier de l’effet miroir
de la preuve SIMCE.
De plus, l’évaluation est un processus qui peut aussi dégrader les relations de travail
entre les professionnels, consommer leurs énergies qui pourraient être utilisées dans d’autres
activités allant dans l’intérêt d’une meilleure éducation (Dejours, 2006).
Il semble qu’un dispositif d’accountability réflexive pourrait avoir quelques effets
positifs pour les enseignants qui deviendraient ainsi praticiens réflexifs, et les directeurs
pourraient devenir animateurs pédagogiques (Dupriez & Mons, 2011). De fait, l’expertise et
l’autonomie de réflexion sont caractéristiques du professionnalisme et sont évidemment
nécessaires dans l’enseignement (Champy, 2009 ; Tardif & Lessard, 1999).
Une recherche comme la mienne, sans avoir la prétention d’être politique, est contre-
hégémonique (Gramsci, 1971). J’ai écrit, sans le savoir en commençant, une thèse critique du
modèle chilien qui a été un pionnier dans la mise en œuvre des vouchers et agendas
néolibérales. J’espère que ce travail qualitatif va laisser au lecteur la possibilité de découvrir
lui-même d’autres dimensions que je n’aurais pas vues, affiner les conclusions et interroger
l’importance que revêt aujourd’hui le pilotage par la qualité comme dispositif de contrôle.
!287
Bilan sur le dispositif de recherche
L’objectif méthodologique de cette thèse était aussi de construire un dispositif
expérimental, que je peux qualifier de « dispositif filmique socio-clinique », qui me
permettrait de favoriser l’implication des sujets participants à la recherche en provoquant des
transductions dans leurs discours. Pour cela, mon dispositif visait une condensation des
discours des consultants dans une suite d’entretiens individuels et collectifs avec sept
consultants impliqués depuis le début dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité
dans le système scolaire chilien. Bien sûr, les séquences filmées ne constituent qu’une partie
des données de la recherche puisque celle-ci intègre aussi l’étude de la littérature scientifique
et de la boîte à outils des consultants. Néanmoins, ces séquences filmées constituent le cœur
de ma recherche, là où se condensent les discours, là où les tensions et contradictions
institutionnelles sont perceptibles.
Certes, le dispositif a stimulé ma propre pensée et la production d’insights, tout au
long de la thèse. Les images pouvaient être revues à tout moment au cours de l’écriture du
mémoire. En fait, la répétition des images dans de petites capsules éditées thématiquement
permet de vérifier si les thématiques retenues atteignent une saturation suffisante (Strauss &
Corbin, 1998).
D’autre part, la répétition des images a rendu possible une espèce de transe, le
lancement d’un autre champ de cohérence (Ravatin, 1985) permettant d’avoir une
compréhension globale de la réalité des consultants, une sorte de voyage dans le temps qui
permet de réaliser de nouvelles liaisons entre des observations, des discours et des écrits. La
répétition des images a été une espèce de switch dans le champ de cohérence, pour aller d’un
champ de cohérence cartésien à un autre qui ne l’est pas. La répétition des images des deux
entretiens collectifs m’a permis de mieux comprendre la déception de mes collègues, ainsi
que leurs émotions. Par exemple, les regards attestant de la complicité d’Antonia et Leticia
lorsque David parle. C’est la répétition des images qui m’a permis de constater leur attitude
de soumission apparente au discours de leur supérieur hiérarchique. C’est quelque chose qui
serait certainement passé inaperçu s’il n’avait pas été visible dans la répétition des images
vidéo.
!288
Je connaissais en partie la situation de mes anciens collègues ainsi que le dispositif de
pilotage par la qualité mis en œuvre au Chili. Cette connaissance antérieure m’a aidé mais elle
a aussi pu m’aveugler (Kohn, 2001). Le dispositif filmique socio-clinique, par la mise à
distance qu’il produit lorsque les images sont révisées et lorsqu’un plan de montage est
produit, a aussi un effet d’objectivation.
L’organisation de temps de restitution, d’abord avec les consultants ayant participé à la
recherche, prolongera ce travail de thèse et élargira l’analyse des pratiques des consultants et
de l’évolution de leurs implications professionnelles.
Comme c’est toujours le cas en analyse institutionnelle, c’est dans l’analyse des
tensions et contradictions vécues par les sujets dans leurs rapports à l’institution que cette
dernière se dévoile. Ma recherche n’est donc ni « micro » ni « macro », elle vise à éclairer un
processus d’institutionnalisation à partir des implications de ceux qui le vivent, ceci sans
prétendre le décrire dans sa globalité. La complexité que ma recherche met en évidence
interroge fortement la supposée rationalité du pilotage par la qualité.
!289
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Glossaire des sigles et des abréviations utilisés
ACE : Agence de la qualité de l’éducation
BID : Banque Interaméricaine de Développement
CMC : Cycle d’amélioration continue
CNCGE : Conseil national de certification de la gestion scolaire
DAEM : Direction de l’administration de l’éducation municipal
FS : Fondation Schiller
FONDEF : Fonds d’encouragement au développement scientifique et technologique
ITT : International Telephone and Telegraph
LGE : Loi générale de éducation
LOCE : Loi organique sur la qualité de l’éducation
LPT : Programme lycée pour tous
ME : Programme meilleure école
MECE : Programme d’amélioration de la qualité et l’équité de l’éducation secondaire
MINEDUC : Ministère d’éducation
ML : Programme meilleur lycée
NGP : Nouvelle Gestion Publique
OCDE : Organisation pour la coopération et le développement économiques
OEA : Organisation des États américains
PIRLS : Progress in International Reading Literacy Study
PISA : Programme international pour l’évaluation des étudiants
PME : Projet d’amélioration de l’éducation
PPD : Parti pour la Démocratie
PSU : Épreuve de sélection universitaire
PUC : Université catholique pontificale
RELPE : Réseau latino-américain de portails éducatifs
SAC : Système d’assurance de la qualité
SACGE : Système d’assurance de la qualité de la gestion scolaire
SE : Surintendance de l’éducation
!319
SEP : Subvention scolaire préférentiel
SIMCE : Système de mesure de la qualité de l’éducation
ERCE : Étude régionale comparative et explicatif
TIMSS : Trends in International Mathematics and Science Study
UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’enfance
!320
Liste des figures
Figure 1 : Tableau récapitulatif des outils. 128
Figure 2 : Tableau récapitulatif des versions de montage. 141
Figure 3 : Tableau récapitulatif du total d’établissements qui ont complété le processus d’auto-
évaluation proposé par FS. 213
!321
Résumé
« L’institutionnalisation du pilotage par la qualité des établissements scolaires chiliens. La boîte à outils des consultants » Le système scolaire chilien a été parmi les premiers à instaurer un « pilotage par la qualité ». La Fondation Schiller a été l’un des principaux acteurs de cette institutionnalisation et le précurseur de la création de l’Agence de Qualité de l’Éducation chilienne en 2011.
Le but de cette recherche doctorale est de découvrir comment les consultants en qualité de la Fondation Schiller ont utilisé les objets techniques (Simondon, 1989) de leur boîte à outils pour influer sur l’implication des chefs d’établissements et de leurs équipes dans le processus d’institutionnalisation du pilotage par la qualité. Il s’agit également de découvrir comment ce dispositif a agi sur les implications professionnelles des consultants eux-mêmes.
Comme tout dispositif pris dans un réseau socio-technique (Callon, 1986), il n’y a pas de concepteur clairement identifiable mais plutôt de grandes stratégies anonymes. Cependant le dispositif a été créé en appui sur les rapports de la Banque Mondiale (2007) et de l’OCDE (2004) recommandant d’opérationnaliser le concept de qualité.
Les trois questions de recherche qui ont guidé ce travail ont été les suivantes : Quels sont les effets des évolutions institutionnelles de la Fondation Schiller concernant la traduction du pilotage par la qualité dans le système scolaire sur l’implication professionnelle des consultants ? Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986) exécutées par les consultants, en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour influer sur l’implication des chefs et des propriétaires d’établissements scolaires dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité ? Quels effets produisent les interférences entre les différentes logiques institutionnelles qui traversent leurs pratiques sur le discours des consultants ?
Le champ de cohérence scientifique de cette recherche est celui de l’analyse institutionnelle (Lamihi & Monceau, 2002). Dans celui-ci, le concept d’implication est central et constitue une clé instituante d’une autre manière de faire la recherche (Monceau, 2013). Cependant, si l’implication est souvent considérée comme un outil d’auto-réalisation (Thévenet, 2002) et de productivité (Le Strat, 1996), il peut également être mobilisé comme un outil d’aliénation (Monceau, 2003a).
Sept des dix anciens collègues du chercheur, toujours actifs comme consultants ont participé à cette recherche.
Le dispositif de recherche a eu pour objectif prioritaire de permettre l’expression individuelle et collective des consultants pour faire émerger leurs implications en provocant des transductions dans leurs discours. La collecte des données empiriques a été effectuée à travers des entretiens individuels et collectifs, enregistrés en vidéo (Pesce, 2017). Le dispositif
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filmique a facilité la mise en réflexivité (Lallier, 2009 ; Rouch, 1979) des consultants sur leurs parcours et leurs pratiques au sein de la Fondation Schiller.
Pour élargir le champ d’analyse, quelques outils propres à l’analyse institutionnelle ont été intégrés au dispositif. Il s’agit tout d’abord de l’utilisation des analyseurs qui ont surgi des entretiens, ce que Lourau (1978) nommait des analyseurs naturels. J’ai également effectué une restitution des résultats avec celui des participants qui a été mon informateur privilégié, ceci afin d’affiner mes analyses. Enfin, l’écriture d’un journal de recherche a été essentielle pour l’analyse de mes propres implications primaires et secondaires en tant que praticien-chercheur.
Bien que cette recherche qualitative, de type socio-clinique (Monceau, 2012), ne vise pas à évaluer l’impact positif ou négatif du dispositif de pilotage par la qualité au Chili, ses résultats apportent une meilleure connaissance de la manière dont les consultants agissent sur les implications d’autres acteurs tout en étant eux-mêmes transformés par l’institutionnalisation du dispositif de la Fondation Schiller.
Mots clés : accountability, institutionnalisation, implication, traduction, socio-clinique, transduction.
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Abstract
« The institutionalization of the pilotage by the quality of the chilean schools. The toolbox of consultants »
The Foundation Schiller was one of the main actors of this institutionalization and a precursor of the creation of the Agency of the Quality of the Education in 2011.
The purpose of this doctoral research is to discover how the consultants in quality of the Foundation Schiller have used the technical objects (Simondon, 1989) of their toolbox to influence the implication of school principals and their teams in the process of institutionalization of the pilotage by the quality. It is also to discover how this apparatus has acted on the implications of professional consultants themselves.
As any apparatus caught in a socio-technical network (Callon, 1986), there is no clearly designer identifiable but rather broad strategies anonymous. However, the apparatus has been created in support on the reports of the World Bank (2007) and the OECD (2004) recommending to operationalize the concept of quality.
The three research questions that have guided this work have been the following : What are the effects of institutional developments of the Foundation Schiller, to translate the pilotage by the quality in the school system, on the implication of professional consultants ? What are the operations of translation (Callon, 1986) which are executed by the consultants, using the technical objects from their toolbox, to influence the implication of principals and owners of schools in the institutionalization of the pilotage by the quality ? What the effects, on the discourse of the consultants, are produced by the interferences between the different institutional logics that cross their practices ?
The field of scientific coherence of this research is that of the institutional analysis (Lamihi & Monceau, 2002). In the latter, the concept of implication is central and constitutes a key instituting of another way of doing research (Monceau, 2013). However, if the implication is often considered as a tool for self-realization (Thévenet, 2002) and productivity (Le Strat, 1996), it can also be mobilized as a tool of alienation (Monceau, 2003a).
Seven of the ten former colleagues of the researcher are participated in this research.
The research apparatus had for priority objective to allow the individual and collective expression of consultants, to make emerge their implications and provoke transductions in their discourse. The collection of empirical data has been carried out through individual and collective interviews, all recorded in video (Pesce, 2017). The film apparatus has facilitated the reflexivity (Lallier, 2009 ; Rouch, 1979) of consultants on their backgrounds and their practices within the Foundation Schiller.
To broaden the field of analysis, a few specific tools of the institutional analysis have been integrated to the research apparatus. The use of the analyzers which have arisen out of the
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interviews, that Lourau (1978) appointed of natural analyzers. I have also carried out a restitution of the results with that of participants who was my informant privileged, this in order to refine my analyzes. Finally, the writing of a diary study has been essential for the analysis of my own primary and secondary implications as a practitioner-researcher.
Although this qualitative research, type socio-clinic (Monceau, 2012), is not intended to assess the positive or negative impact of the apparatus of pilotage by the quality in Chile, other than, the results, providing a better knowledge of the manner in which the consultants are acting on the implications of other actors while being themselves transformed by the institutionalization of the apparatus of the Foundation Schiller.
Key words: accountability, institutionalization, implication, translation, socio-clinical, transduction.
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