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thèse_gonzalez-carpanetti_manuel_4 novembre - Thèses

Date post: 24-Feb-2023
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327
UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE Ecole doctorale Droit et Sciences Humaines Thèse présentée par Manuel GONZALEZ CARPANETTI En vue de l’obtention du DOCTORAT DE L’UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE Spécialité : Sciences de l’Éducation L’institutionnalisation du pilotage par la qualité des établissements scolaires chiliens. La boîte à outils des consultants. Laboratoire Ecole, Mutations, Apprentissages EA 4507 Pour soutenir le 27 septembre 2018 ________________ Membres du jury do NASCIMENTO Maria Lívia, Professeure titulaire en Psychologie, Université Fédérale Fluminense, rapporteure MALET Régis, Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université de Bordeaux PESCE Sébastien, Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université d’Orléans, rapporteur MONCEAU Gilles, Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université de Cergy-Pontoise, directeur de thèse
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UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE

Ecole doctorale Droit et Sciences Humaines

Thèse présentée par

Manuel GONZALEZ CARPANETTI

En vue de l’obtention du

DOCTORAT DE L’UNIVERSITE DE CERGY-PONTOISE

Spécialité : Sciences de l’Éducation

L’institutionnalisation du pilotage par la qualité des établissements scolaires chiliens.

La boîte à outils des consultants.

Laboratoire Ecole, Mutations, Apprentissages EA 4507

Pour soutenir le 27 septembre 2018

________________

Membres du jury

do NASCIMENTO Maria Lívia, Professeure titulaire en Psychologie, Université Fédérale Fluminense, rapporteure

MALET Régis, Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université de Bordeaux

PESCE Sébastien, Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université d’Orléans, rapporteur

MONCEAU Gilles, Professeur des universités en Sciences de l’éducation, Université de Cergy-Pontoise, directeur de thèse

Remerciements

À ma femme In Kyung qui est la principale supportrice de cette thèse.

À mes parents.

À mes filles.

À mes amis d’Allemagne, plus particulièrement Edgardo, mon meilleur ami, qui m’a reçu

dans sa maison.

À tous mes amis du laboratoire ÉMA, notamment Claire qui m’a hébergé dans sa maison.

À Gilles, mon Directeur de thèse, qui n’a cessé de se fier à moi et qui m’a permis de

développer mon potentiel en tant que chercheur.

Je tiens également à remercier mes anciens collègues consultants qui ont accepté de participer

à cette recherche.

Je remercie Anaïs et Virginie qui ont corrigé certaines parties de cette thèse.

Bien sûr, je remercie également la France par tout ce qu’elle m’a apporté ces dernières

années.

Enfin, au jury pour avoir accepté de participer à cette dernière étape.

!1

!2

Sommaire

Remerciements 1

Sommaire 3

Introduction 15

Le but de cette recherche 18

Les questions de recherche 18

Méthodologie 19

De la pertinence de la recherche 21

Les limites de cette recherche 22

Organisation de la thèse 23

Première partie : Un état des lieux 26

Chapitre 1 : État évaluateur et nouvelles régulations en éducation 27

1.1. La nouvelle gestion publique et les politiques de décentralisation dans l’éducation 27

1.2. Le modèle de quasi-marché 28

1.3. Les idées sous-jacentes dans le modèle de quasi-marché scolaire 28

1.3.1. La pression qu’exercent les familles serait plus efficace que celle d’une autorité publique sur les écoles 28

1.3.2. L’existence d’établissements privés favoriserait la concurrence avec les établissements publics 29

1.4. Trois types de modèles de situations de libre choix 30

1.5. Interaction entre les indices d’autonomie et la présence d’examens standardisés dans les systèmes éducatifs 31

1.6. Les effets de plus d’autonomie et de plus de choix sur l’apprentissage des élèves 31

1.7. Effets potentiels de l’autonomie des établissements sur les performances des élèves 32

1.8. Des dispositifs d’accountability ou de régulation post-bureaucratique en éducation 32

1.8.1. La capacité des dispositifs d’accountability à gérer les risques d’opacité et d’augmenter la transparence 35

1.8.2. Les quatre traits communs des nouvelles politiques d’accountability 35

1.8.3. Quatre types de logiques sous-tendant les instruments des nouvelles politiques d’accountability 36

1.8.4. Une market based accountability versus une government based accountability 38

1.9. Les évaluations externes : modes de régulation inspirés de la Nouvelle Gestion Publique 39

!3

1.9.1. Deux types de dispositifs d’évaluation externe : high-stakes tests versus low-stakes tests 40

1.9.2. Les systèmes d’indicateurs nationaux pour « piloter » le système 41

1.9.3. La diffusion des résultats des épreuves standardisées 42

1.9.4. Les effets des dispositifs d’évaluation standardisée sur l’apprentissage des élèves 43

1.10. Certaines considérations relatives au cas du Chili 44

1.10.1. Le système de voucher 46

1.10.2. Evaluation SIMCE : le principal indicateur de qualité du système éducatif chilien 47

1.10.3. La publication des résultats SIMCE 48

1.10.4. L’influence de l’OCDE sur les politiques éducatives du pays 48

1.10.5. Les autres mesures internationales auxquelles participe le Chili 50

Résumé du chapitre 50

Chapitre 2 : L’installation du pilotage de la qualité scolaire comme dispositif de contrôle dans le système scolaire chilien 53

2.1. L’émergence du concept de la qualité 53

2.2. Les modèles économiste et progressiste-humaniste de la qualité diffusés par des organismes internationaux 54

2.3. Conjuguer qualité et équité 55

2.4. Le concept de marché de la qualité 56

2.5. La qualité de l’éducation comme mode de régulation institutionnelle 56

2.6. Les programmes précurseurs d’auto-évaluation de la qualité au Chili 57

2.7. L’émergence des modèles de certification de la qualité au Chili 57

2.8. Fondation Schiller : le plus important centre de transfert technologique du pays 58

2.9. Le modèle de la Fondation Schiller : la création d’entreprises en tant que mécanisme de transfert technologique 59

2.10. Les projets de la Fondation Schiller dans l’éducation 60

2.11. La création d’un Conseil privé pour attribuer le label de qualité (2003) 62

2.12. La création d’un réseau national privé de consultants en qualité (2003) 63

2.13. Description du modèle privé de qualité de Fondation Schiller 63

2.13.1. Brève description des procédés de certification de la qualité scolaire 65

2.14. L’expansion du modèle de certification de la qualité à travers l’alliance avec la Fondation Brésil 66

2.15. L’émergence du modèle public de qualité : le SACGE (2003-2008) 67

2.16. La nouvelle loi LGE qui remplace la loi LOCE de Pinochet comme une réponse au mouvement des étudiants du secondaire 68

!4

2.17. La subvention scolaire préférentielle (2008) 69

2.18. L’apparition des Agences d’Assistance Technique (2008) 71

2.19. Grands changements des règles du jeu : création de l’Agence de Qualité de l’Éducation (2011) 72

Résumé du chapitre 75

Deuxième partie : Cadres théorique-épistémologique et méthodologique 76

Chapitre 3 : Mon champ de cohérence scientifique 77

3.1. Une révision du champ de cohérence scientifique du chercheur comme manière d’expliciter ses implications idéologiques ou secondaires 77

3.2. La notion de dispositif 77

3.3. La sociologie de la traduction 79

3.3.1. La notion de traduction 79

3.3.2. La notion d’acteur 80

3.3.3. La notion de réseau de traduction 81

3.3.4. Les objets techniques qui peuvent participer d’une chaîne de traduction 81

3.4. Le théâtre d’individuation des individus vivants 82

3.4.3. L’individuation psychique : une individuation qui ne peut épuiser toute la charge préindividuelle 84

3.4.4. L’individuation collective est une phase de l’être qui ne peut épuiser les virtualités et potentialités de l’être préindividuel 85

3.5. La transduction, en même temps qu’elle exprime l’individuation, permet de la penser 86

3.5.1. Le cas des objets techniques 87

3.6. Les notions d’actualisation et de potentialisation 89

3.7. Penser est construire des cohérences 91

3.8. La pensée locale comme champ de cohérence usuel 92

3.9. La pensée rationnelle peut « émerger » et « s’immerger » dans le Global 92

3.10. Les concepts de surlocalisation, délocalisation, relocalisation 93

3.11. Le chercheur doit trouver la cohérence dans l’autre C. de C. 94

3.12. Le jeu de la pseudo-objectivité scientifique 95

3.12.1. Aller au-delà de la relation sujet/objet pour accéder à de multiples visions 96

3.13. Le codage et décodage des flux 97

3.14. L’abstraction progressive ou le mouvement de déterritorialisation 98

3.15. L’État ou l’inconscient 99

!5

3.15.1. L’État moderne créé pour protéger les intérêts de la classe dominante 99

3.16. La machine capitaliste 100

3.16.1. Les composants sémiotiques du capital 101

3.16.2. La production de subjectivité capitaliste 101

3.16.3. L’aliénation inhérente au travail 102

3.16.4. La mystification du capitalisme 103

3.16.5. Le capitalisme mondial en guerre contre la diversité 103

3.17. Les raisons pour lesquelles il existe l’analyse institutionnelle 104

3.18. Le concept d’institution 105

3.19. Le concept d’implication 106

3.20. La réduction de l’institution à l’institué 106

3.21. Des possibilités de détournement et de réappropriation grâce à un processus de singularisation 107

3.22. Les analyseurs peuvent dissoudre l’État 108

3.23. Le concept d’autogestion est capable d’offrir un contenu réel au processus de disparition de l’État 109

3.24. L’émergence de l’observation participante, la caméra participante, le cinéma-vérité et l’anthropologie partagée 111

3.24.1. Tout film a un caractère sélectif et subjectif 112

3.24.2. L’avantage des caméras vidéo sur les caméras de cinéma de 16mm 112

Résumé du chapitre 113

Chapitre 4 : Dispositif de recherche 115

4.1. La problématisation 115

4.2. Les questions de la recherche 115

4.3. Critères de sélection des participants 116

4.4. Présentation des participants 116

4.5. Posture qualitative du chercheur 119

4.6. L’implication comme instrument de production de connaissance 120

4.6.1. Les dangers de la systématisation de l’analyse des implications 122

4.7. Le dispositif méthodologique pour la construction du corpus 122

4.7.1. Les entretiens individuels et collectifs 123

4.7.2. Analyse documentaire 125

4.7.3. Des situations d’observation tirées des entretiens filmés 128

4.8. Le dispositif filmique-socio-clinique 129

!6

4.8.1. La caméra vidéo est capable de pénétrer activement l’univers de chacun des sujets et rend possible une plus large collecte de données 129

4.8.2. Une collecte des données qui est cohérente avec une étude socio-clinique 131

4.8.3. Les avantages d’utiliser la caméra vidéo pour la recherche en sciences sociales 132

4.8.4. Le caractère ré-analysable des séquences du documentaire 133

4.8.5. Comment le rôle fédérateur de la caméra favorise l’implication des participants dans les entretiens 133

4.8.6. Une observation filmante exige une attitude plus transductive 135

4.8.7. Les objets techniques de mon dispositif d’observation filmant 136

4.8.8. Le montage du documentaire 137

4.8.9. L’utilisation de la voix off dans le montage 138

4.8.10. Les deux versions du montage 139

4.9. Les outils méthodologiques de l’analyse institutionnelle utilisés pour élargir les champs d’observation et d’analyse 142

4.9.1. Entretien de restitution et élaboration des résultats 142

4.9.2. Utilisation des analyseurs dans les entretiens 143

4.9.3. Travail de la commande et des demandes 145

4.9.4. Les interférences entre le champ d’intervention et le champ d’analyse 145

4.9.5. Analyse des effets de transformation du dispositif de recherche 146

4.9.6. « Gestion » de la transversalité 147

4.10. Le journal du chercheur et l’analyse de mes implications en tant que praticien-chercheur 148

4.10.1. Un chercheur « né deux fois » 152

4.11. Méthodologie de l’analyse des données 154

4.12. Limitations de la recherche 156

Résumé du chapitre 158

Troisième partie : Les résultats 160

Chapitre 5 : Les effets des mouvements institutionnels de FS sur l’implication professionnelle des consultants 161

5.1. La question de recherche 161

5.2. Pourquoi devenir consultant 163

5.2.1. Une activité qui s’annonçait comme lucrative 163

5.2.2. Évaluer le travail de leurs propres collègues enseignants et chefs d’établissements 164

5.2.3. Le souhait de concilier l’efficacité et la justice sociale 165

!7

5.2.4. La recherche d’indépendance 166

5.2.5. Tirer parti de l’expérience passée 167

5.3. Comment devenir consultant 168

5.3.1. Devenir consultant en qualité du réseau national de Fondation Schiller à travers du cours annuel de consultants 168

5.3.2. Devenir consultant du réseau de Fondation Schiller par le Master 168

5.3.3. La stage requis pour l’accréditation comme consultants 169

5.4. Les raisons de l’abandon des premiers consultants 171

5.4.1. La mise en place du SACGE durant l’année 2003 171

5.4.2. Le manque de demande d’établissements d’être accompagnés dans le processus de certification 172

5.4.2.1. Pourquoi en passer par un processus d’évaluation externe aussi difficile et pénible 172

5.4.2.2. L’exigence d’un score minimum SIMCE laissait de nombreux établissements dans l’impossibilité d’accéder à la certification 173

5.4.2.3. Le coût de la certification devrait être assumé par l’établissement 173

5.4.3. L’absence de tarif fixe et d’appui institutionnel 174

5.4.4. La difficulté d’avoir plusieurs emplois 175

5.5. Devenir membre des staffs d’autres programmes de FS 176

5.6. Devenir évaluateur externe 177

5.6.1. Passer de deux évaluateurs à un seul 178

5.6.2. Le manque de transversalité à l’intérieur de l’équipe d’évaluateurs et du staff 178

5.7. Devenir ATE et concurrencer les grands cabinets conseils 179

5.7.1. Concurrencer de grandes holdings d’entreprises qui ont créé leurs cabinets conseils pour obtenir du profit 180

5.7.2. Concurrencer la Fondation Schiller elle-même aux appels d’offres de fonds publics 181

5.7.2.1. La concurrence déloyale entre consultants 181

5.7.3. Les consultants qui travaillent dans une Agence Technique sous-traitée par une autre plus grande 182

5.8. Les implications idéologiques dans les logiques managériales 183

5.8.1. La surimplication des consultants dans le management 183

5.8.2. La certification de la qualité pour améliorer la capacité de soutenir la concurrence avec les autres établissements 185

5.8.3. Si un établissement ne peut avoir de profit, il ne peut pas offrir une éducation de qualité 186

!8

5.8.4. « Les établissements catholiques peuvent endoctriner les enfants avec la subvention de l’État laïc » 187

5.9. La désimplication affective et idéologique 188

5.9.1. L’absence d’une rémunération fixe 188

5.9.2. L’absence d’un collectif 188

5.10. Le retour de l’institution : les possibilités qu’offre l’ACE 189

En guise de conclusion 191

Résumé du chapitre 192

Chapitre 6 : Les opérations de traduction qui sont exécutées par les consultants avec les objets techniques de leur boîte à outils 195

6.1. La question de recherche 195

6.2. Les acteurs humains du réseau socio-technique 195

6.2.1. Les conseillers du CNCGE 195

6.2.2. Les membres du staff 198

6.2.2.1. La gestion avec les programmes de responsabilité sociale 199

6.2.2.2. La gestion faite avec les établissements qui doivent renouveler la certification 200

6.2.2.3. Les efforts pour maintenir en vigueur le modèle de qualité 200

6.2.3. Le consultant impliqué en tant que porteur du logos du pilotage de la qualité 201

6.2.4. Les évaluateurs externes 202

6.2.5. Le chef d’établissement et les professionnels qui composent l’équipe 203

6.2.6. Les enseignants 204

6.2.7. Les élèves 205

6.3. L’épreuve SIMCE 206

6.3.1. Une tâche essentielle du consultant vise à aider à maintenir et à augmenter le score au SIMCE 206

6.3.2. Les résultats du SIMCE sont associés au niveau socio-économique des familles 207

6.3.3. Le SIMCE un objet technique central dans les trois modèles de qualité 207

6.3.4. La tension entre le « quantitatif » et le « qualitatif » que génère le SIMCE 208

6.3.5. Publier et faire la promotion des résultats SIMCE 208

6.4. Les objets techniques qui constituent la boîte à outils du consultant en qualité 210

6.4.1. CMC : la plate-forme informatique FS 211

6.4.2. Les questionnaires de satisfaction pour les élèves, parents, enseignants et directeurs 212

6.4.3. L’écriture du rapport diagnostic 214

!9

6.4.4. La conception du plan d’amélioration de la qualité 215

6.4.4.1. La nécessité d’être accompagnés par un certain nombre de consultants 215

6.4.4.2. Le plan d’amélioration dans les modèles de qualité SACGE et SAC 216

6.4.5. La matrice d’indicateurs 217

6.4.5.1. La matrice d’indicateurs dans les modèles de qualité publique (SACGE et SAC) 218

6.4.5.2. L’utilisation de la matrice d’indicateurs pour mesurer l’état d’avancement du processus de certification 218

6.4.5.3. La réticence de certains consultants à partager la matrice avec l’équipe qualité 219

6.4.5.4. Décodification du processus de certification 219

6.4.5.5. Les établissements qui installent les 52 indicateurs du modèle de qualité et n’améliorent pas leurs résultats 220

6.4.5.6. Les établissements qui n’installent pas les 52 indicateurs et améliorent leurs résultats SIMCE 220

6.5. Le laxisme du rapport d’évaluation externe 220

6.6. Adaptations non hypertéliques des 18 profils de compétences professionnelles 223

6.7. Comment assurer la certification ? 225

6.7.1. Une question de chance ? 225

6.7.2. En recrutant un consultant ayant l’expérience d’évaluateur externe 225

6.7.3. La matrice d’indicateurs utilisés par les évaluateurs 226

6.7.4. Guider le processus de certification avec le rapport d’évaluation externe d’autres établissements 226

6.7.5. Utiliser le rapport d’évaluation externe de l’établissement pour renouveler la certification 227

6.7.6. Préparer les enseignants, élèves et parents pour les trois jours que dure la visite de l’évaluateur externe 228

6.7.7. Protester lorsqu’on n’obtient la certification peut être une bonne stratégie pour réussir à la prochaine évaluation 228

6.8. Le succès lié à l’illusion de fabriquer des preuves dans le processus de certification 228

6.9. L’utilisation de ces objets techniques n’empêche pas de produire des mensonges 229

6.10. Les stratégies qu’utilisent les consultants et les chefs d’établissements pour multiplier les moments de traduction 231

6.10.1. La création d’une équipe qualité dans l’établissement 232

6.10.2. Enrôlement d’autres acteurs 232

6.10.3. Mobiliser des objets techniques 233

!10

6.10.4. L’absence de problématisation de l’innovation 234

6.10.5. La propagande comme une autre opération de traduction 235

En guise de conclusion 236

Résumé du chapitre 237

Chapitre 7 : Les différentes logiques institutionnelles dans le discours des participants qui ont pu être saisies par mon dispositif de recherche 239

7.1. La question de recherche 239

7.2. Capter avec mon dispositif de recherche les nouvelles logiques institutionnelles 239

7.3. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par l’illusion de neutralité et d’objectivité du SIMCE 239

7.3.1. Comprendre la qualité comme valeur SIMCE 240

7.3.1.1. L’exigence d’un score SIMCE minimum pour accéder à la certification dans le modèle qualité de la Fondation Schiller établit une discrimination 241

7.3.1.2. Un établissement ayant un meilleur SIMCE n’est pas nécessairement un établissement efficace 241

7.3.1.3. Le poids excessif du score SIMCE dans le modèle qualité de l’Agence de Qualité de l’Éducation 242

7.3.2. La publication dans la presse des résultats du SIMCE des établissements 243

7.3.3. Limiter la formation des élèves exclusivement aux contenus que mesure le SIMCE 244

7.3.4. Les effets négatifs du SIMCE sur la professionnalisation des enseignants 247

7.3.5. La pratique frauduleuse de quelques établissements faisant s’absenter des enfants qui pourraient baisser la moyenne du score SIMCE le jour de l’épreuve 248

7.3.6. La sélection des enfants pour maintenir à la hausse le SIMCE 249

7.3.6.1. Sélection des élèves dans les lycées publics d’excellence pour maintenir à la hausse les scores SIMCE et PSU 250

7.4. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par le profit des propriétaires d’établissements 252

7.4.1. Le profit des propriétaires d’établissements associé à une mauvaise qualité du service éducatif 252

7.5. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par les fraudes commises par les propriétaires d’établissements et des ATE 253

7.5.1. Les grandes ATE qui n’ont rien à voir avec l’éducation mais qui absorbent les ressources provenant de la subvention SEP 254

7.5.1.2. Les grands magasins qui ont créé une ATE 256

7.5.2. Les ATE qui sont dirigées par des opérateurs politiques 257

!11

7.5.4. Les universités qui ont créé des ATE pour faire partie de ce groupe de « prédateurs » des ressources SEP 259

7.5.5. Les ATE constituées ou gérées par d’anciens fonctionnaires du MINEDUC 259

7.5.6. Les propriétaires des établissements qui financent d’autres comptes avec les ressources de la subvention SEP 260

7.5.7. Certains propriétaires d’établissements ont créé leurs propres ATE pour frauder le système 261

7.6. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par les incohérences du modèle de certification de la qualité 262

7.6.1. Les écoles qui certifient et n’améliorent pas leurs résultats 263

7.6.2. Découvrir qu’on ne peut pas améliorer la qualité de l’éducation sans observer et analyser ce qui se passe dans la salle de classe 264

7.6.3. L’existence d’un label de qualité pour les pauvres et d’un label de qualité pour les riches 265

7.6.4. Le label de qualité comme manière de démontrer artificiellement un certain leadership 267

7.6.5. Le label de qualité donne la possibilité aux propriétaires d’établissements de faire du profit 268

7.6.6. Les différences entre le modèle de la qualité de FS et les modèles publics SACGE et SAC 269

7.6.7. Les tensions éthiques que provoque la coexistence de deux dispositifs de qualité, celui privé de FS et celui public du nouveau SAC de l’ACE 271

7.6.8. Les familles ne choisissent pas les établissements en utilisant comme critère de sélection le label de qualité de Fondation Schiller 272

En guise de conclusion 273

Résumé du chapitre 274

Conclusions 275

Le réseau de réformes globales en éducation 275

Des acteurs humains impliqués dans ce réseau de traduction 277

Les concepteurs du réseau de traduction 277

Les consultants impliqués deviennent, pour un temps défini, des porte paroles du dispositif de pilotage par la qualité 278

L’efficacité d’un réseau de traduction pour installer le pilotage de la qualité dans le système scolaire 279

Décrire le scénario de la chaîne de traductions autour des objets techniques 280

Les opérations de traduction qui n’ont pas été mises en œuvre 280

Qu’est-ce qui a été traduit avec ce réseau ? : L’idéologie dominante des conseillers 281

!12

La légitimation de la reproduction de l’inégalité 282

Ceux qui perdent dans ce type de dispositifs ? 283

La rhétorique de la qualité 283

Alors, il est raisonnable de douter de ce type de dispositifs 284

Il faut continuer à étudier ces réseaux de traduction 285

Bilan sur le dispositif de recherche 288

Références bibliographiques 291

Documents et rapports officiels 315

Textes juridiques 316

Films 317

Glossaire des sigles et des abréviations utilisés 319

Liste des figures 321

Résumé 323

Abstract 325

!13

!14

Introduction

Au Chili, à partir de 1973, les références subjectives (Guattari, 2007) du socialisme

furent balayées par une version de néolibéralisme promue par la dictature de Pinochet. La

déterritorialisation des références subjectives portées par le socialisme d’Allende, fut aussi

réalisée avec le travail des organisations internationales comme l’OCDE et d’autres agences

des Nations Unies qui ont contribué à mondialiser de nouvelles références sur lesquelles ont

été formés, à la fois, les administrateurs et les chercheurs. Ces références ont progressivement

imprégné nos institutions.

Cela a été possible parce que, comme l’affirme Guattari (2007), le capitalisme est

capable de produire globalement une sérialisation et une normalisation de la subjectivité

autour d’une image projetée dans toutes les instances intrasubjectives. C’est donc précisément

dans ce domaine de la subjectivité que les groupes dominants exercent, selon l’auteur, le

contrôle social collectif. Cependant, d’après l’auteur, « la production machinique de

subjectivité peut œuvrer pour le meilleur comme pour le pire [...] On ne peut juger ni

positivement ni négativement une telle évolution machinique ; tout dépend de ce que sera son

articulation avec des agencements collectifs d’énonciation » (Guattari, 1992, p. 16).

En opérant une ellipse dans notre histoire, au cours de l’année 2006 et après des mois

de mobilisation, les élèves qui avaient occupé leurs établissements et étaient sortis dans les

rues ont demandé à la présidente Bachelet l’abrogation de la Loi Organique sur la Qualité de

l’Éducation (LOCE, 1990). Cette loi, instaurée sous le gouvernement de Pinochet, avait

privatisé l’éducation dans les années 80. La candidate avait répondu positivement à cette

demande, ce qui avait alors été considéré comme un triomphe du mouvement des étudiants.

Cependant cela peut aussi, avec le recul, être considéré comme une sorte de tromperie puisque

la nouvelle loi ne rompait pas avec la possibilité pour les propriétaires de faire des bénéfices

et de sélectionner les meilleurs élèves, ce qui étaient les principales revendications du

mouvement des étudiants.

Durant l’année 2011, les étudiants ont réactivé le mouvement de contestation, sous le

premier gouvernement de la droite pro-pinochetiste après la dictature. Le mouvement des

élèves du secondaire a alors été relancé avec beaucoup plus de force et a été rejoint par les

étudiants universitaires. Les étudiants ont alors fait promettre à la Présidente Bachelet, lors de

la campagne électorale, que si elle était réélue comme présidente de la République,

!15

l’administration des établissements municipaux reviendrait à l’État afin d’en finir avec les

profits des propriétaires d’établissements scolaires.

Sur les photos des manifestations massives qui ont eu lieu dans tout le pays, on

pouvait apercevoir des banderoles sur lesquelles il était écrit : « Fin al lucro » (Fin du profit)

pour dénoncer les bénéfices des propriétaires d’établissements. Toutefois sur d’autres, il était

question de la qualité scolaire : « Educación pública gratuita y de calidad » (Éducation

publique gratuite et de qualité). Dans le camp adverse, dans une contre-manifestation, les

propriétaires des établissements privés subventionnés défilaient aux côtés de leurs enseignants

pour s’opposer aux réformes de Bachelet. Sur leurs banderoles, on pouvait lire : « pero ...

cuando vamos a hablar de calidad? » (mais … quand allons-nous parler de qualité ?). Ce

concept néolibéral de qualité a été introduit non seulement dans le discours des propriétaires

des établissements, ce qui n’est pas étonnant, mais aussi comme un cheval de Troie qui a

également réussi à entrer dans le discours des étudiants.

Étant donné que la loi LGE (2009) n’était pas claire sur la fin de la sélection des

étudiants et ne prévoyait pas la fin du co-paiement et du profit des propriétaires, en 2014

Bachelet a signé un projet de loi introduisant des modifications. Ce projet de loi est entré en

vigueur en 2015 et sa dernière modification a été réalisée durant l’année 2017. Il met fin au

profit des propriétaires, au co-paiement dans les établissements privés subventionnés et à la

possibilité pour les établissements subventionnés et municipalisés et bientôt publics de

sélectionner les meilleurs élèves du système.

Une seconde ellipse dans le récit est alors nécessaire. La Fondation Schiller (FS) est

une institution consacrée à la recherche et au développement de l’innovation au Chili qui a été

créée pendant la dictature (Secrétariat Général de la Présidence, 1972). En 2003, FS a créé le

Conseil National de Certification de la Gestion Scolaire (CNCGE) qui confère un label de

qualité aux établissements, ainsi qu’un réseau national de consultants pour accompagner les

chefs des établissements dans le processus de certification. Depuis l’année 2003, FS a formé

300 consultants en qualité. Leur rôle était celui de consultant parce que les établissements

n’avaient aucune obligation à ce moment de lancer un processus de certification car il n’y

avait pas encore d’injonction ministérielle. Je faisais partie de ces consultants et nous devions

obtenir que les établissements concernés débutent un processus de certification afin qu’ils

deviennent des clients pour FS.

!16

Le processus de professionnalisation des consultants a été fondé sur leur appropriation

de la démarche qu’ils devaient mettre en œuvre dans les établissements. Le réseau national a

permis à près de 1000 établissements de passer au moins par le processus de l’évaluation

interne sur la base de questionnaires de satisfaction proposés par le modèle de qualité via une

plate-forme online. Plusieurs de ces établissements ont poursuivi jusqu’à la fin du processus

de certification de la qualité en étant accompagnés par les consultants du réseau dans tout le

pays.

À la tête du projet de la FS, se trouvait Javier Brunetti (2001-2006), un ex-ministre 1

secrétaire général de la présidence (1994-1998) et ses collaborateurs Cecilia Avendaño et

Sandro Andueza. Ils affirmaient qu’il y avait suffisamment de preuves empiriques, dans la

littérature, prouvant que l’installation d’un nouveau modèle de gestion de l’établissement

pouvait améliorer les performances des élèves. Les implications idéologiques des concepteurs

du modèle n’étaient pas, à ce moment, nécessairement partagées par les enseignants et autres

professionnels qui souhaitaient se former comme consultants en qualité. Cependant le pilotage

de la qualité scolaire au Chili est progressivement devenu un dispositif d’évaluation central

dans le système éducatif.

Les décideurs tiennent pour acquis que cette forme d’évaluation externe contribue à

l’efficacité des établissements et améliore la qualité et l’équité de l’éducation. Ils estiment

nécessaire de donner cette possibilité à tous les établissements malgré la disparité de

ressources et de capital culturel des familles des enfants qui les fréquentent. Tous les

établissements devraient donc améliorer leurs résultats à l’épreuve SIMCE (Système de

mesure de qualité de l’éducation), central dans les trois dispositifs de pilotage de la qualité

que notre pays a connus.

Jusqu’à présent, seuls quelques chercheurs (Casassus, 2010 ; Redondo, 2005) ont

remis en question ce qu’on entend par qualité. Mais il n’existait aucune enquête visant à

connaître la boîte noire de cet important processus de transfert d’innovation entre le monde de

l’entreprise privée et le secteur public.

Ce nom a été anonymé comme tous les autres.1

!17

Le but de cette recherche

Le but de cette recherche est de découvrir comment ceux qui ont été mes collègues

consultants en qualité de Fondation Schiller ont utilisé les objets techniques de leur boîte à

outils pour influer sur l’implication des chefs d’établissement et de leurs équipes de direction

dans l’institutionnalisation du pilotage du système scolaire par la qualité. Ce processus, qui a

abouti à la création de l’Agence de la Qualité de l’Éducation (Agencia de la Calidad de la

Educación [ACE], 2011), a été soutenu par la diffusion du discours de la qualité, au sens de

Foucault (1969). Ce dernier, qui préfère utiliser la notion de discours pour se référer à

l’idéologie, désigne ainsi des énoncés qui génèrent des discours accompagnant le

développement des micro-pouvoirs dans l’ensemble des institutions. De plus, je cherche à

comprendre comment le dispositif de FS agit sur les implications professionnelles des

consultants eux-mêmes. De facto pour Foucault (1976), le dispositif est capable de produire

de la connaissance, de multiplier les discours, d’induire du plaisir et de générer des pouvoirs.

C’est pourquoi, d’après l’auteur, il est crucial d’examiner et de suivre les conditions dans

lesquelles il s’est créé et fonctionne. Enfin, une des caractéristiques du pouvoir de ces

dispositifs est de dissimuler leurs mécanismes. Le secret dans lequel ils opèrent étant

indispensable à leur développement.

Pour mener l’analyse, j’ai mis en œuvre un dispositif de recherche visant à découvrir

les implications des consultants en qualité en provocant des transductions dans leurs discours.

J’ai ainsi été attentif aux effets produits par mon dispositif de recherche sur les implications

des consultants (Monceau, 2013). Lors des entretiens, j’ai travaillé sur les effets des

analyseurs naturels tels que l’émergence de l’ACE, les revendications du mouvement des

étudiants pour mettre fin au profit réalisé par le co-paiement et la sélection des meilleurs

étudiants effectués par les établissements.

Les questions de recherche

Les trois questions de recherche qui ont guidé le développement de mon travail ont été

les suivantes :

Quels sont les effets des évolutions institutionnelles de la Fondation Schiller

concernant la traduction du pilotage par la qualité dans le système scolaire sur l’implication

professionnelle des consultants ?

!18

Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986) exécutées par les consultants,

en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour influer sur l’implication des chefs

et des propriétaires d’établissements scolaires dans l’institutionnalisation du pilotage par la

qualité ? Ceci tout en leur permettant de réussir le processus de certification de la qualité.

Quels effets produisent les interférences entre les différentes logiques institutionnelles

qui traversent leurs pratiques sur le discours des consultants ?

Méthodologie

Cette étude qualitative m’a permis d’aborder la boîte noire du processus

d’institutionnalisation du pilotage par la qualité comme dispositif de savoir-pouvoir

(Mazabraud, 2010). En fait, j’utilise cette acception du concept de dispositif de Foucault

(2004a) car au travers de ce réseau socio-technique circule des types de savoir et de pouvoir

capables de produire des subjectivités par leurs capacités à assujettir les individus.

J’ai utilisé un dispositif de recherche pour la collecte de données consistant en des

entretiens individuels d’une part et collectifs avec sept participants d’autre part.

Dans ce mémoire, les noms des personnes qui ont participé à la recherche ont été

anonymisés. J’ai également choisi de changer le nom de la Fondation qui a été mon principal

terrain d’enquête ainsi que des dirigeants de cette organisme.

Tous les entretiens ont été filmés. En fait, l’un des objectifs de cette thèse a été

d’expérimenter un dispositif filmique clinique qui pourra être réutilisé dans d’autres

recherches.

En effet, depuis huit ans, je suis réalisateur de films documentaires comme auteur

individuel mais aussi dans des projets collectifs pour la recherche en sciences sociales et de

l’éducation. En plus de l’importance de produire des archives audio-visuelles du discours des

participants et de leur évolution, j’ai décidé de procéder, en parallèle à la thèse, à la

production d’un documentaire sur l’institutionnalisation du pilotage par la qualité dans notre

système scolaire.

La caméra vidéo est utilisée de manière expérimentale dans ce dispositif socio-

clinique. Dans mon dispositif de recherche, la caméra a un rôle important pour faciliter

l’implication et la production de transductions dans le discours des participants. C’est ce que

Lallier (2009) appelle le rôle fédérateur de la caméra, parce que le fait d’être filmé favorise

!19

l’engagement de l’individu dans son activité. Ceci incite les personnes à aller plus loin dans

leurs réflexions. Selon Colleyn (2008), cela se produit parce que la caméra a un rôle

catalyseur. Les personnes se montrent alors de façon plus authentique.

J’ai tout d’abord réalisé une analyse documentaire des outils des consultants.

Les entretiens ont été réalisés avec d’ex-collègues ayant supporté (même si

difficilement) le processus d’anomie institutionnel (Aballéa, 2013). Pour ma part, j’ai

abandonné la pratique de consultant, ne me sentant pas capable de suivre le mouvement

institutionnel en cours.

J’ai aussi réalisé des observations grâce à des images provenant des entretiens qui ont

tous été filmés. Ce registre holistique des vidéos m’a permis de revenir par la suite sur les

entretiens filmés.

Pour l’analyse des données, j’ai utilisé une méthode de comparaison permanente.

Chaque entretien a eu pour objectif d’élargir la diversité de données (Glaser & Strauss, 2006).

C’est-à-dire que chaque entretien, qu’il soit individuel ou collectif, est pensé dans une suite et

non comme indépendant des autres.

Cependant, le temps étant compté et irréversible, chaque possibilité d’être sur le

terrain devait être exploitée au maximum et je ne pouvais pas attendre pour transcrire tous les

entretiens. J’ai donc effectué une première codification primaire ou ouverte (codage primaire)

en cours de révision des entretiens avec le même logiciel d’édition de vidéo (Final Cut X).

Je divisais chaque plan et séquence comme s’il s’agissait d’un programme d’analyse

qualitative. Je prenais des notes chaque fois que cela était nécessaire, car l’analyse et la

collecte des données sont beaucoup plus efficaces lorsqu’elles sont menées simultanément. Je

ne pouvais pas attendre de retranscrire des dizaines d’heures d’entretiens, car cela aurait

entraîné un décalage entre la collecte et l’analyse des données qui aurait nuit à la dynamique

que je souhaitais mettre en place dans mon dispositif. De cette façon, j’ai pu avancer en

faisant des corrections en temps réel sur l’échantillonnage théorique (Glaser & Strauss, 2006)

et sur la grille d’entretien.

Le travail de montage nécessaire pour la production d’un documentaire vidéo

nécessite par exemple une thématisation que l’on retrouvera aussi dans l’exploitation des

entretiens individuels et collectifs. C’est-à-dire que le montage du documentaire et l’écriture

de la thèse ont été en permanent symbiose.

!20

Pour élargir le champ de l’analyse, j’ai ajouté à ce dispositif méthodologique quelques

outils propres à l’analyse institutionnelle comme l’utilisation des analyseurs qui ont surgi des

entretiens, ce que Lourau (1978) nommait des analyseurs naturels. Je les ai utilisés pour

interroger les contradictions en activant les résistances et les conflits dans les entretiens

suivants. Le profit des propriétaires des établissements, la sélection des élèves et la

ségrégation ont été les principaux analyseurs utilisés durant les entretiens. Ils ont produit les

perturbations nécessaires pour faire parler l’institué et laisser ouverte l’expression des forces

instituantes. Un autre analyseur naturel est apparu au cours du développement de la recherche

doctorale, celui de la création de l’Agence de la Qualité de l’Éducation.

J’ai effectué un temps de restitution de mes premiers résultats avec Carlos, mon

informateur privilégié, pour les affiner. Enfin, l’écriture d’un journal a été essentielle pour

l’analyse de mes propres implications primaires et secondaires en tant que praticien-

chercheur.

De la pertinence de la recherche

Cette étude permet de dévoiler la boîte noire de ce processus d’institutionnalisation du

pilotage par la qualité dans le système scolaire. Les établissements engagés dans ce type de

dispositif consacrent une grande partie de leur temps à la fabrication de preuves pour saturer

chaque indicateur. Ceci est jugé important par un groupe de spécialistes auto-désignés de

l’éducation de qualité. Cette recherche rend compte également du fait que ce type de dispositif

a des effets aliénants sur les professionnels de ces établissements.

Cette étude vise aussi à éclairer le contexte néolibéral qui détermine ce type

d’évaluation externe en limitant la possibilité que les acteurs ont de réfléchir sur leurs propres

pratiques et sur leurs possibilités de construire des indicateurs prenant en compte la réalité

locale de l’établissement. Cet effet semble contradictoire avec la volonté affichée d’améliorer

l’éducation reçue par les enfants dans ces mêmes établissements en associant les acteurs de

terrain.

Cette étude qualitative a enfin la prétention de remettre en question ce type

d’évaluation externe et d’ouvrir un champ d’investigation à d’autres chercheurs en Amérique

latine et ailleurs dans le monde. Le Chili, qui a déjà installé le pilotage par la qualité dans le

!21

système éducatif, n’est en effet pas le seul concerné. La FS a, par exemple, étendu son modèle

au Brésil.

Sur un plan plus méthodologique, cette recherche propose l’expérimentation d’un

dispositif filmique original dont je tenterai de montrer les intérêts et les limites.

Les limites de cette recherche

Cette recherche rencontre, comme toutes les enquêtes qualitatives, des limites en

termes de généralisation. La possibilité de transférer leurs résultats à toute la population, ici à

tous les consultants en qualité de FS, peut être remise en question car le choix de la

population d’enquête et sa taille réduite (dans notre cas sept participants) pourraient conduire

à juger la population d’étude trop limitée. Il est donc important de préciser d’emblée qu’il ne

s’agit pas d’un échantillon représentatif de l’ensemble des consultants mais d’un groupe de

consultants choisis pour le rapport singulier qu’ils ont avec l’objet de recherche.

Cette absence de pouvoir prédictif, selon Miles et Huberman (1994), est liée au

nombre restreint de cas dans une étude qualitative. Les méthodes de collecte et d’analyse de

données, pourrait aboutir à des conclusions différentes selon l’enquêteur (Merriam, 1988). Le

fait que les sujets participent volontairement à l’étude peut également être considéré comme

une limitation, parce que les opinions des volontaires peuvent refléter une perspective très

limitée ou partielle concernant le processus d’institutionnalisation de ce dispositif de contrôle

qu’est le pilotage par la qualité dans système éducatif chilien.

De plus, comme pour toute conception de recherche qui repose sur des entretiens, il y

a toujours la possibilité que les personnes interrogées ne donnent pas d’informations précises.

Ici, il leur est demandé de décrire le processus d’institutionnalisation du dispositif de pilotage

de la qualité du système éducatif chilien durant une décennie.

Concernant les effets de ma propre implication, j’ai présenté régulièrement mes

analyses à mon directeur de thèse ainsi que certains résultats publiquement. J’ai revu la

littérature scientifique pour déterminer la validité des explications alternatives plausibles

pouvant interroger les conclusions de mon étude. Finalement, comme dans toute démarche de

type socio-clinique, je suis le principal instrument de mon dispositif de recherche, ceci peut

être considéré comme une autre limite mais aussi comme une ressource lorsqu’il s’agit

!22

d’interroger les implications subjectives des sujets (ici les consultants) dans un processus liant

des dimensions techniques et idéologique.

Enfin, ce dispositif clinique (Ardoino, 1989), de caractère expérimental, qui mobilise

la caméra vidéo (Pesce & Robbes, 2014, 2015) pour faciliter l’implication et la production de

transductions dans le discours des participants, a eu deux visées, l’une de compréhension de la

réalité et l’autre de transformation des participants (Bibeau, 2010, cité dans Monceau &

Soulière, 2017). En fait, si les résultats de cette étude qualitative ne vont pas faire preuve

concernant l’impact positif ou négatif du dispositif de pilotage par la qualité dans notre pays,

ils vont éclairer les processus par lesquels des consultants agissent sur les implications

d’autres acteurs tout en étant eux-mêmes transformés par l’institutionnalisation du dispositif

par la qualité de FS.

Organisation de la thèse

Ce mémoire est organisé en trois parties suivies de références et d’appendices.

L’introduction présente l’approche du problème, le but, les questions de recherche,

l’intérêt de l’étude et ses limites.

La première partie propose un état des lieux et est constituée de deux chapitres. Dans

le premier chapitre, est présentée une revue de la littérature portant sur le contexte de quasi-

marché caractérisé par la liberté de choix et la concurrence entre établissements dans lesquels

s’impose l’évaluation externe comme partie prenante des dispositifs d’ « accountability ». Le

deuxième chapitre est une description du dispositif de pilotage de la qualité par FS à la

lumière du contexte socio-historique dans lequel il est implanté.

La deuxième partie propose les cadres théorique, épistémologique et méthodologique

présents dans les deux premiers chapitres. Le troisième chapitre est une révision du champ de

cohérence scientifique du chercheur, présent dans les différentes étapes de la recherche. Le

quatrième chapitre présente la conception de l’étude qui comprend les procédures et résume la

méthodologie utilisée : techniques de collecte de données, techniques d’analyse de données,

dispositif pour élargir le champ d’observation et le champ d’analyse.

La troisième partie propose les résultats liés aux analyses des trois questions de

recherche et est constituée de trois chapitres. Le cinquième chapitre est une présentation de

l’analyse en réponse à la première question de recherche qui interroge les effets des

!23

mouvements institutionnels de FS sur la traduction du pilotage de la qualité dans le système

scolaire et sur l’implication professionnelle des consultants. Le sixième chapitre est une

présentation de l’analyse liée à la deuxième question de recherche qui interroge les opérations

de traduction exécutées par des consultants. Celles-ci mobilisent les objets techniques de la

boîte à outils du consultant pour influer sur l’implication des chefs et des propriétaires

d’établissements scolaires dans le processus de certification de la qualité. Le septième

chapitre propose les résultats liés aux analyses de la troisième question de recherche portant

sur les effets produits dans le discours des participants pour mon dispositif de recherche

(Monceau, 2011, 2005).

Le huitième chapitre présente les conclusions de cette étude.

Enfin, les dernières sections du travail correspondent aux références bibliographiques,

au glossaire et au récapitulatif des figures.

!24

!25

Première partie : Un état des lieux

!26

Chapitre 1 : État évaluateur et nouvelles régulations en éducation

Dans ce premier chapitre, je propose une synthèse de travaux portant sur les nouvelles

régulations en éducation et le modèle de quasi-marché. Ces éléments de contexte me

permettront par la suite de mieux présenter la manière dont le travail des consultants qualité

s’inscrit dans l’évolution des modes de gouvernance dans le domaine scolaire.

1.1. La nouvelle gestion publique et les politiques de décentralisation dans

l’éducation

Pour Rondinelli, Nellis et Cheema (1984), la décentralisation peut être comprise de

trois manières possibles, selon le degré d’autonomie par rapport au gouvernement central.

D’abord, comme déconcentration dont le transfert des compétences se fait en faveur d’unités

locales qui demeurent sous l’autorité du gouvernement central ; deuxièmement, comme

délégation dont le transfert de responsabilités à des unités sub-nationales ou des unités

publiques, qui n’appartiennent pas au Ministère de l’Éducation, cependant dont les pouvoirs

sont explicitement encadrés par l’autorité centrale ; et en troisième lieu, comme dévolution

dont le transfert des responsabilités se fait au profit d’unités sub-nationales et/ou publiques,

indépendantes du Ministère de l’éducation et qui bénéficient d’une plus grande autonomie de

décision.

D’après Mons (2004b), ces politiques de décentralisation se caractérisent par le refus

de l’État-providence qui n’avait pas été capable de promouvoir « le développement

économique tant espéré ni la qualité de l’enseignement tant attendue » (p. 42). Mons (2004b ;

2007) écrit également que ces politiques éducatives d’apparence identiques ne se développent

pas de façon isolée et produisent des effets très différents dans chacun des pays.

Étant donné la quantité et la variété des pays touchés par ces réformes, il est probable

que ces changements, comme l’affirme Maroy (2008), « ne sont pas seulement

conjoncturelles, apparaissant comme les signes d’un changement de régime de régulation

institutionnelle » (p. 32-33).

Les dispositifs d’accountability (reddition de comptes) continuent de progresser dans

le secteur public. Lawn (2011) affirme ainsi que l’idée que le secteur privé serait plus efficace

!27

est partagée par les administrateurs du secteur public et que ceux-ci ne perçoivent

apparemment pas les signes des effets collatéraux de la décentralisation.

Jobert (1992) écrit que le mode de présentation de la politique publique, le repérage

des éléments qui pourraient sembler inutiles ou marginaux, les modes d’interprétation de la

réalité qui vont être proposés dans son discours concluent à rendre légitime ce mode de

perception, c’est-à-dire qu’il serait, selon l’auteur, « un puissant vecteur de construction

cognitive et normative qui affecte la définition de ce qui est visible et ce qui importe dans le

champ scolaire » (p. 45). Le problème, selon Derouet (1992), serait que ces concepts, qui se

focalisent sur l’efficience de l’organisation scolaire, négligent le fait que le travail enseignant

n’est pas totalement évaluable et que les tentatives pour le faire détournent l’école de son

« monde intérieur », c’est-à-dire des activités qui lui sont propres.

1.2. Le modèle de quasi-marché

Il est nécessaire de faire la distinction entre une logique de contractualisation et une

logique de quasi-marché. Maroy (2004) affirme que dans une logique de contractualisation,

l’autorité publique contrôle les résultats des établissements par le biais d’un corps

d’inspecteurs ou d’agents intermédiaires. Dans une logique de quasi-marché, selon l’auteur, le

rôle des autorités publiques est seulement d’informer les clients de l’école à travers la

diffusion d’informations sur la qualité des institutions. Toutefois dans les deux cas il y a une

logique de pilotage par les résultats avec des configurations différentes.

1.3. Les idées sous-jacentes dans le modèle de quasi-marché scolaire

1.3.1. La pression qu’exercent les familles serait plus efficace que celle d’une autorité

publique sur les écoles

Selon Dupriez et Dumay (2011), l’idée sous-jacente dans le modèle du quasi-marché

scolaire est que la pression exercée par des familles libres de changer d’établissement s’il

n’est pas conforme au service attendu, serait plus efficace que le contrôle que peut exercer

une autorité publique sur les écoles.

En effet, Vandenberghe (1999) affirme que la logique du marché correspond à un

système volontaire d’échange entre « des transactants autonomes » pour faire valoir leurs

!28

propres intérêts. Sur la notion de quasi-marché des systèmes scolaires, l’auteur soutient que

grâce aux ressources publiques, les familles peuvent choisir entre les divers établissements.

Concernant les critères d’efficacité scolaire sur lesquels les parents fondent leurs

décisions de choisir une école pour leurs enfants, Langouët (1995) affirme, que c’est là

précisément ce qui les pousse à faire du « zapping » entre les établissements. Cela se fonde

sur la conviction que le consommateur, en général, est responsable, rationnel et bien informé.

Toutefois les parents ne sont pas dans une situation d’information parfaite sur la qualité des

écoles et leur adéquation au profil de leurs enfants. Dans le cas du Chili, cette logique se

matérialise par des vouchers, une subvention que les parents reçoivent de l’État pour chaque

élève et qu’ils peuvent utiliser librement pour choisir l’école de leurs enfants (Mons, 2004b).

Pour Dupriez (2005), cette logique de quasi-marché se fonde sur l’hypothèse que la

concurrence est synonyme d’amélioration de la qualité et de satisfaction du client et que c’est

par cette raison que l’on justifie la publication des résultats. Cela favoriserait un choix plus

rationnel du consommateur et cette pression sur la qualité par des parents informés conduirait

les institutions à améliorer leurs pratiques.

1.3.2. L’existence d’établissements privés favoriserait la concurrence avec les

établissements publics

Une autre idée sous-jacente, d’après Dupriez et Dumay (2011), est que l’existence

d’établissements privés favoriserait la concurrence avec les établissements publics, ce qui

bénéficierait à l’ensemble du système éducatif. Bien que le problème de la sélection

complique le travail au moment d’établir des comparaisons entre les écoles dans un même

système éducatif, selon les auteurs ce problème disparaît lorsqu’on effectue des comparaisons

entre pays « au sein desquels la part de l’enseignement privé varie » (p. 86). Cependant, selon

eux, émerge un nouveau problème méthodologique, « qui est la nécessité de prendre en

considération suffisamment d’autres variables (au niveau des pays) susceptibles d’influencer

le score moyen des élèves afin de pouvoir attribuer, avec un degré de certitude suffisamment

élevé, un éventuel pouvoir explicatif à la présence de l’enseignement privé » (p. 86). Mais il

faut être attentif aux différences culturelles relatives entre les pays, qui pourraient exercer une

autre influence.

!29

Wößmann (2003), qui a effectué des analyses sur les épreuves TIMSS 1995, PISA 2 3

2000 et PISA 2003, a conclu que l’existence d’un secteur privé important est associé à un

rendement moyen un peu plus élevé que dans d’autres pays et que l’influence du secteur privé

sur les résultats des élèves est plus grande lorsque cela se combine avec un financement

public.

1.4. Trois types de modèles de situations de libre choix

Le libre choix de l’école par les familles est une des principales caractéristiques du

modèle de quasi-marché scolaire. Mons (2007) distingue trois types de modèles de situations

de libre choix, sur la base d’une analyse qu’elle a effectué sur 22 pays de l’OCDE. Le premier

modèle de situation, que l’auteure appelle « absence de choix » peut être de deux types. Le

premier d’entre eux, « une politique de sectorisation sans dérogation » concerne la Corée, le

Japon, Hong-Kong et la Grèce.

Le second type correspond à ce que l’auteure appelle la « carte scolaire avec

possibilité de dérogations ». Les exemples de ce type sont la France, le Portugal, l’Allemagne,

l’Autriche et les États-Unis. Le deuxième type de situation est appelé par Mons « libre choix

régulé » dans lequel les parents d’élèves expriment leurs préférences, qui doivent être

considérées par les autorités publiques. Ces dernières doivent arbitrer, lorsqu’il est nécessaire,

ces demandes des familles en prenant aussi en compte l’intérêt général, par exemple la mixité

sociale au sein des établissements. Des exemples de ce type sont les systèmes éducatifs de

l’Espagne, la Suède et du Danemark.

Enfin, elle ajoute le modèle de « libre choix total » où les familles peuvent choisir sans

régulation de la part des autorités. Dans ce dernier cas, les familles s’adressent directement

aux écoles qui vont prendre connaissance de leurs souhaits. Des exemples de ce type de

L’étude des Trends in International Mathematics and Science Study (TIMSS) est une évaluation 2

internationale de connaissances en mathématiques et en sciences des étudiants inscrits dans les classes de quatrième et huitième degrés de tout le monde. Le TIMSS a été développé par l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire (IEA), pour que les nations participantes puissent comparer la réalisation de l’éducation des étudiants.

Le rapport PISA (Programme for International Student Assessment) est une étude réalisée par 3

l’OCDE au niveau mondial qui mesure le rendement académique des élèves en mathématiques, sciences et de lecture dans le but de disposer de données comparables pour les pays participants puissent améliorer leurs politiques d’éducation et de ses résultats. L’étude se fonde sur l’analyse de la performance des étudiants de 15 ans à partir de tests standardisés.

!30

situation sont la Belgique, la Hongrie, la Nouvelle-Zélande et dans une certaine mesure

Royaume Uni.

1.5. Interaction entre les indices d’autonomie et la présence d’examens

standardisés dans les systèmes éducatifs

Wößmann, Lüdemann, Schütz et West (2007) ont trouvé une interaction significative

entre les indices d’autonomie et la présence des examens dans les systèmes éducatifs, lorsque

cela se combine avec une norme pédagogique extérieure claire, comme le test standardisé.

Enfin, une enquête menée par l’OCDE à partir de PISA 2000, Luyten, Scheerens, Visscher,

Maslowsky, Witziers et Steen (2005) concluait que l’autonomie pédagogique semble associée

à des résultats académiques plus élevés lorsqu’elle se combine avec les éléments d’épreuves

externes standardisées.

1.6. Les effets de plus d’autonomie et de plus de choix sur l’apprentissage des

élèves

Le rapport « A Nation at Risk » (1983), qui a redéfini aux États-Unis le rôle de l’État

dans l’éducation, a marqué un mouvement dans le sens contraire à la tendance vers

l’autonomie scolaire des années soixante-dix (Herrington & Kasten, 2001). L’idée qui sous

tendait cette politique était que l’autonomie institutionnelle était bonne en soi (Murphy &

Beck, 1995). Pour les auteurs, cette autonomie de l’établissement scolaire donne plus de

pouvoir aux acteurs et le droit de participer aux décisions. Les acteurs ainsi renforcés

devraient améliorer leur participation, leur professionnalisme, leur sentiment d’efficacité et

leur moral. Avec un personnel plus professionnel et plus engagé devrait alors se produire une

amélioration de la « santé organisationnelle » de l’école, se traduisant à son tour par une

amélioration de l’apprentissage des élèves et une plus grande satisfaction de la communauté

(Murphy & Beck, 1995). D’autres auteurs, comme Seddon, Angus et Poole (1990) ont

également une vision positive de l’autonomie scolaire, car elle permettrait une plus grande

implication des enseignants dans la prise de décisions, ce qui devrait avoir des effets positifs

sur leur motivation.

Selon Dupriez (2005), à partir des tests standardisés de performance scolaire, les

établissements sont informés et interpellés dans leur capacité à faire progresser leurs

!31

étudiants. Dans les systèmes plus décentralisés comme l’Angleterre, selon le même auteur, les

réformes adoptées depuis la fin des années quatre-vingt ont introduit un curriculum national et

des évaluations externes standardisées des étudiants. Pour ce chercheur, il y a dans ces deux

pays une redistribution des fonctions entre le centre et la périphérie avec un centre

essentiellement politique concentré en priorité sur la définition des objectifs et des indicateurs

pour mesurer le travail des unités décentralisées.

Ces dernières bénéficient de certaines marges de liberté variables selon les pays, ce

qui leur permet de construire leurs propres stratégies pour atteindre les objectifs définis. Dans

les pays ayant une tradition centralisée comme la France, selon Dupriez (2005), le pilotage a

été modifié en faveur d’une plus grande autonomie et de nouvelles responsabilités laissées

aux établissements.

1.7. Effets potentiels de l’autonomie des établissements sur les performances des

élèves

Leithwood et Menzies (1998) ont réalisé une méta-analyse à partir des recherches

effectuées principalement dans les pays anglo-saxons. Ces chercheurs se sont intéressés aux

effets de diverses formes de school-based management. Ils ont conclu qu’il fallait être

prudents en ce qui concerne les effets potentiels de l’autonomie des institutions sur le

rendement des élèves. Certaines formes d’autonomie, comme celles accordées au chef de

l’établissement et aux enseignants, sont plus prometteuses que celles accordées à la

communauté scolaire au sens large, y compris aux parents d’élèves. De fait, Wößmann (2007)

par le biais d’analyses secondaires de bases de données internationales ont trouvé un effet

positif sur les apprentissages des élèves, du fait de la décentralisation et d’une plus grande

autonomie laissée aux établissements dans la gestion du personnel et les prises de décisions

pédagogiques.

1.8. Des dispositifs d’accountability ou de régulation post-bureaucratique en

éducation

Une première étape, selon Mons (2007), concerne le développement de dispositifs

d’accountability. On peut le dater de l’an 1983, lorsqu’aux États-Unis l’intervention

monopolistique de l’État fut dénoncée comme inefficace par les néo-conservateurs à travers le

!32

document « A Nation at Risk » (1983), ce qui a redéfini le rôle de l’État dans l’éducation et

mis en œuvre des politiques d’accountability.

Une deuxième étape est représentée par le document « No Child Left Behind » (Mons

& Dupriez, 2011) élaboré en l’an 2001, cette fois par les républicains et les démocrates. Aux

États Unis va alors s’imposer l’installation de nouveaux dispositifs d’évaluation standardisés

qui vont être liés à des financements fédéraux. Ceci va air sur le développement de standards

de contenus nationaux et de nouvelles normes de qualification pour les enseignants dans le

but d’améliorer le niveau de certification de certains enseignants travaillant dans les écoles

publiques des districts les plus démunis. Ces politiques d’accountability, ont été

institutionnalisées un peu plus tard en Europe et l’Amérique latine (Tiana, 2010 ; Cox, 2004 ;

Varcher, 2012 ; Felouzis & Hanhart, 2011).

Selon Maroy (2012), la notion polysémique d’accountability en éducation, qui est

omniprésente dans la littérature américaine (Harris & Herrington, 2006) peut être traduite en

français comme responsabilisation, imputabilité ou reddition de comptes. Pour Maroy (2008)

les dispositifs d’accountability correspondent à un nouveau « régime de régulation post-

bureaucratique des systèmes d’enseignement » (p. 59). Le même Maroy (2012) affirme qu’il

est nécessaire de développer ces formes d’accountability à l’école, pour :

[...] réduire l’incertitude des clients/ managers quant aux risques d’opportunisme et

d’opacité des opérateurs scolaires. Il s’agit de favoriser la bonne marche « du

marché » ou de « l’organisation productive » scolaire, au risque d’une perte

d’autonomie professionnelle des enseignants et sans pour autant que l’École ne

redevienne une institution politique « digne de confiance » (p. 57).

Maroy (2008) affirme également que l’accountability dans l’éducation reviendrait à de

nouvelles formes de régulation basées sur les résultats qui permettent d’évaluer la

performance des établissements par rapport aux objectifs curriculaires et à sanctionner de

manière positive et négative dans le but de « favoriser des processus d’ajustement et de

correction des pratiques et fonctionnements des établissements en vue d’améliorer leurs

résultats » (Maroy, 2012, p. 57).

Maroy et Mangez (2011) distinguent des systèmes d’accountability qui prévalent dans

les pays anglo-saxons et le pilotage dans le reste de l’Europe, qui représentent différentes

configurations entre les outils et la manière dont sont appliquées les politiques éducatives,

!33

mais qui correspondent au même paradigme politique qui considère l’école comme un

système de production scolaire.

D’après Meuret (2016), l’apprentissage dépend de la contribution de plusieurs acteurs

qui ne disposent que d’informations incomplètes sur les efforts des autres acteurs. Pour

chacun d’entre eux, il semble raisonnable de penser que l’autre partie ne produit pas un effort

suffisant, ce qui peut saboter son propre investissement. Pour l’auteur, il semblerait que les

acteurs de l’école française républicaine soient plus méfiants que, par exemple, ceux des

écoles des États-Unis et du Canada où l’idée est admise que l’école est au service de la

communauté et vise à favoriser une plus grande confiance entre les acteurs de l’école.

Ces nouvelles méthodes de régulation « post-bureaucratiques » (Maroy, 2008 ; Ozga,

2009) dans l’éducation, ont été diffusées dans un contexte socio-économique global dans

lequel les états cherchaient à améliorer la performance de leurs systèmes éducatifs et la

qualité de leurs ressources humaines pour s’insérer dans une société de la connaissance

(Brown, Lauder & Ashton, 2008).

En suivant Malet (2013), ces processus d’accountability ont été promus par l’OCDE

depuis les années quatre-vingt, au même titre que l’évaluation des systèmes et des

organisations scolaires, dans le but de garantir la qualité et l’efficacité de l’action des

professionnels des établissements avec pour idée qu’il s’agit de « bon sens » (Harvey, 2007).

Toutefois ce concept managériale d’accountability « est en effet avant tout doté d’une

signification morale et politique » (Malet & Dupriez, 2013, p. 150).

Au cours des dernières décennies, selon Malet et Dupriez (2013), les systèmes

scolaires développent des dispositifs d’évaluation qui proviennent de l’économie marchande

du monde de l’entreprise où, selon l’auteur, « la référence au principe d’accountability ou de

reddition de comptes s’impose dorénavant comme la norme qui doit guider les dispositifs

d’évaluation » (p. 150). En fait, la reddition de comptes et le libre choix, affirme Harvey

(2007, cité dans Malet, 2012), semble avoir du sens, une fois qu’on accepte la mondialisation

des réformes éducatives et scolaires.

!34

1.8.1. La capacité des dispositifs d’accountability à gérer les risques d’opacité et

d’augmenter la transparence

Selon Maroy (2012), les dispositifs d’accountability, au niveau gouvernemental,

cherchent à gérer « les risques d’opacité et d’opportunisme dans des transactions locales entre

usagers et prestataires de service scolaire d’une part, entre administrateurs et employés

(professionnels) du système de l’autre » (p. 63-64), c’est-à-dire à permettent d’accroître la

transparence de l’offre éducative pour les usagers et d’informer l’administrateur scolaire et

par conséquent les parents que les enseignants disposent des compétences et de l’engagement

pour produire les résultats attendus d’eux (Maroy, 2012).

1.8.2. Les quatre traits communs des nouvelles politiques d’accountability

Pour Maroy (2013) quatre caractéristiques communes sont présentes dans les

nouvelles politiques d’accountability. Selon Maroy et Mangez (2011) c’est pour mettre en

acte et renforcer le nouveau paradigme politique où l’école n’est pas conçue comme une

institution mais comme un « système de production ».

Une seconde caractéristique de ces nouvelles politiques d’accountability, d’après Ozga

(2009), est que leurs « objectifs opérationnels sont exprimables par des données quantifiées,

qui deviennent des « standards » auxquels on confronte les résultats effectifs. On gouverne

ainsi par des « nombres ».

La troisième caractéristique, selon Maroy et Voisin (2014), est que « les instruments

divers d’évaluation des acquis des élèves (testing) sont centraux, même si les modalités de

mise en œuvre et d’usage de ces outils d’évaluation peuvent être très variables » (p. 3).

Enfin, selon Maroy et Voisin (2014), la quatrième caractéristique est que « divers

outils d’action publique (contractuels, financiers, règlementaires) organisent les

« conséquences » variables de la reddition de comptes pour les acteurs individuels ou

collectifs » (p. 3).

!35

1.8.3. Quatre types de logiques sous-tendant les instruments des nouvelles politiques

d’accountability

Maroy et Voisin (2013) distinguent deux systèmes d’accountability. Le premier

système d’accountability apparaît aux États-Unis. Il est défini par les auteurs comme ayant de

« forts enjeux », parce qu’il intervient à deux niveaux, tant au niveau fédéral qu’au niveau de

chaque état, ceci pour répondre à l’inquiétude croissante générée par les mauvais résultats du

système éducatif et à la différence persistante des résultats entre les minorités ethniques et la

majorité blanche (Harris & Herrington, 2006). Dans ce système d’accountability fixant les

normes curriculaires et le rendement au niveau central, c’est-à-dire « un «alignement » des

évaluations et des pratiques professionnelles sur la base de ces standards, des sanctions

importantes à l’égard des professionnels ou des institutions qui ne parviendraient pas à

rejoindre les objectifs déterminés en termes de performance » (Maroy & Voisin, 2013, p. 6).

En Europe et plus spécifiquement en Angleterre et au Pays de Galles (Broadfoot,

2000 ; Normand & Derouet, 2011), il a été créé un système d’accountability à « forts enjeux »

qui prévoit un contrôle suivi et permanent des performances effectives des élèves et des

écoles. Broadfoot (2000) affirme que ce type d’accountability est un processus en deux étapes

: d’abord identifier et mesurer le rendement du système éducatif en relation avec les objectifs

préalablement fixés et, en deuxième lieu, établir des mécanismes de contrôle pour détecter

toute différence entre les objectifs et les résultats.

Toutefois en Europe prévalent, selon Mons et Dupriez (2011), des politiques

d’accountability réflexives, qui constituent un modèle de reddition de résultats qui consiste en

une auto-évaluation et une sanction extérieures se fondant sur l’hypothèse de l’engagement et

de la réflexivité des acteurs. En Belgique, en France et en Suisse, on ne parle pas

d’accountability mais on utilise la notion de pilotage (de Landsheere, 1994) ou bien les

notions d’évaluation des politiques éducatives et d’obligation de résultats (Demailly, 2001 ;

Lessard & Meirieu, 2008).

Par la suite, dans une autre publication, les mêmes auteurs, Maroy et Voisin (2014),

distinguent quatre types de reddition de comptes : dure, néo-bureaucratique, réflexive et

douce. Cette nouvelle typologie explique l’évolution des politiques d’accountability durant les

dernières années. C’est pourquoi Carnoy et Loeb (2002) parlent de « new accountability »,

!36

parce que ces politiques de régulation des résultats sont en cours dans divers contextes et avec

divers instruments d’action publique.

D’après Maroy et Voisin (2014) quatre types de logiques sous-tendent les instruments

d’accountability et les politiques mises en œuvre dans les différents systèmes éducatifs.

Lorsque nous parlons d’une logique d’accountability « dure », nous qualifions ses

conséquences, car les instruments mobilisés sont étroitement alignés avec une conception de

l’acteur utilitariste qui suppose que l’action de régulation doit passer par des dispositifs

externes aux acteurs. Deux exemples de ce type sont le Texas et l’Angleterre (Broadfoot, 2000

; Ozga, 2009).

Un deuxième type de logique d’accountability, selon Maroy et Voisin (2014), est celle

qu’ils qualifient de « néo-bureaucratique ». Elle porte aussi une conception utilitariste de

l’acteur et considère également une régulation fondée sur un fort alignement des outils et des

différents niveaux d’action. Les dispositifs externes sont constitués d’outils de contrôle et

d’évaluation des résultats de l’action, mais l’accent est mis sur l’obligation de reddition de

comptes. Un exemple de cette logique est le Québec.

Une troisième logique d’accountability est qualifiée par plusieurs auteurs de

« réflexive » (Normand & Derouet, 2011 ; Ozga, 2009) ou aussi « self-evaluation » (Ozga &

Grek, 2012). Dans ce cas, les conséquences peuvent être fortes ou modérées, tant pour les

individus que pour les organisations bien que « l’alignement entre instruments et paliers reste

étroit » (p. 6). On espère davantage que les acteurs soient réflexifs que dans les autres

logiques et l’action de la régulation politique ne passe pas seulement par les périphéries

externes car on cherche en revanche de mobiliser leurs engagements et dispositions internes.

Cette logique propose divers dispositifs pour encadrer les finalités ou moyens de

l’action comme les standards curriculaires, d’évaluation ou de compétences, elle repose «

aussi sur des dispositifs sophistiqués de production de données et d’évaluation des processus

et résultats de l’action ; les dispositifs d’inspection et de contrôle restent forts, mais sont

accompagnés de dispositifs de soutien développés » (p. 6). En même temps l’objectif est de

mobiliser les dispositions cognitives et les régulations internes des acteurs à travers un

processus d’auto-évaluation pour agir non seulement sur les résultats de l’action, mais

également pour générer des processus de changement, d’apprentissage et d’amélioration des

!37

résultats. Des exemples de cette logique d’accountability sont l’Écosse et l’Ontario (Chang,

Fisher & Rubenson, 2007) et le district de Chicago (Finnigan & O’Day, 2003 ; Byrk, 2003).

La dernière logique, selon Maroy et Voisin (2014), est celle qu’ils qualifient de

« douce », car elle « repose d’abord sur des conséquences matérielles ou sociales faibles de la

reddition de comptes par rapport aux résultats, pour les individus ou les organisations

locales » (p. 6). L’alignement entre les outils et standards est plus lâche. On privilégie dans

cette logique un acteur local, réflexif, qui soit socialement enclin à améliorer ses pratiques

dans le sens prévu par les autorités éducatives et la régulation. Bien qu’elle opère par des

dispositifs externes aux acteurs, cette logique se fonde sur la disposition des acteurs scolaires

locaux qui devrait s’engager dans une réflexivité et un processus d’amélioration ou de

modification des pratiques locales pédagogiques et organisationnelles. Selon les auteurs, des

exemples de cette logique sont la Belgique francophone et la France.

1.8.4. Une market based accountability versus une government based accountability

Une autre distinction de types d’accountability est faite par Harris et Herrington

(2006). Ils distinguent deux types, le market based accountability (responsabilisation en

fonction du marché) qui fait référence à des dispositifs de promotion du choix de l’école par

les utilisateurs, c’est-à-dire par la mise à disposition de vouchers, comme c’est le cas du Chili

où les écoles sont tenues d’examiner les demandes de leurs clients et sont soumis à la

concurrence d’autres établissements pour attirer des élèves. Cette forme de

«responsabilisation» de l’école par rapport à ses clients passe nécessairement par la mise en

place d’une forme de quasi-marché (Maroy, 2006). L’autre type, selon Maroy (2011), est la

government based accountability (responsabilisation du gouvernement) qui comporte quatre

éléments : « des standards (ce que les élèves doivent apprendre) ; une évaluation,

habituellement par un organisme tiers ; un compte-rendu public des résultats de cette

évaluation et de ce qui a pu les causer ; des conséquences pour l’école, négatives ou positives

» (Harris & Herrington 2006).

!38

1.9. Les évaluations externes : modes de régulation inspirés de la Nouvelle

Gestion Publique

Le concept d’accountability dans l’éducation tend à être perçu comme synonyme de

dispositifs d’évaluation externe, tant des résultats des élèves que des pratiques éducatives des

établissements (Maroy, 2011).

De plus, l’évaluation a été imposée comme l’instrument de la modernisation de l’État

et des organisations parapubliques (Chauvière, 2013). Selon l’auteur, chaque fois que sont

impliqués des fonds publics, ces actions doivent être évaluées, et cette bonne gestion a un

double impératif : « celui de qualité, au nom des citoyens devenus des usagers, et celui de

transparence démocratique pour tous » (p. 954).

Dans de nombreux pays de l’OCDE (Mons 2009), les évaluations externes des

résultats des élèves, qui se développent dans les différentes étapes de la scolarité, constituent

un mode de régulation inspirée par les principes de la nouvelle gestion publique. Ces

évaluations s’inscrivent dans le cadre d’une politique plus large de transformation des modes

de régulation du système éducatif. C’est pourquoi, selon les auteurs, on peut parler ici d’un

État évaluateur, qui définit les objectifs du système en termes de résultats ou de compétences

à atteindre en établissant des mécanismes d’évaluation des résultats des élèves (Cattonar,

Dumay & Maroy, 2013).

Selon Cattonar et al. (2013), ces politiques éducatives qui correspondent à une

régulation post ou néobureaucratique du système éducatif, qui ont été lancées à la fin des

années quatre-vingt-dix, se fondent sur le contrôle par le biais d’évaluations externes en

même temps que les objectifs et les curriculums scolaires sont centralisés. Ce que cette

logique cherche à promouvoir, selon les auteurs, c’est une plus grande participation des

acteurs dans les établissements et une plus grande autonomie des chefs d’établissement

(Draelants et al. 2011).

Selon Maroy et Voisin (2014), c’est au cours des années 1990-2000 qu’est né un

important mouvement de transformation des modes de régulation et de la mise en place

d’appareils de recueil et d’analyse de données par l’État central dans le cadre d’une logique

« calculatrice et comptable » qu’on ne peut pas séparer des nouveaux instruments de

rationalisation technique (Bézès, 2005). L’État devient évaluateur et ne se limite pas à vérifier

!39

si les normes ou les budgets sont respectés, mais d’après les auteurs, il va multiplier les outils

d’évaluation des résultats pour les transformer en outils de pilotage des politiques (Broadfoot,

2000 ; Mons, 2009). Ces évaluations externes ont pour objet de réglementer et de guider les

comportements des agents intermédiaires et locales (Mons, 2009).

Les dispositifs d’évaluation externe, conçus comme des outils de régulation,

correspondent à une logique d’accountability douce ou réflexive (Maroy & Voisin, 2014 ;

Mons & Dupriez 2011) qui permettent aux acteurs des différents niveaux du système éducatif

d’améliorer leurs pratiques « via une meilleure connaissance des résultats de leurs actions et

l’incitation à une pratique réflexive » (Cattonar et al., p. 36).

En fait, selon Maroy et Voisin (2014), l’évaluation externe clarifie les standards

curriculaires et de performance, en même temps qu’elle encadre les pratiques et les

compétences professionnelles des enseignants.

Dans le même sens, Thélot (2002) a soutenu que l’évaluation a des effets positifs sur

le système et parle de « l’effet miroir » de l’évaluation :

[...] l’évaluation est capitale : comme levier, comme outil de régulation interne,

comme soutien, comme seul moyen pour que les professeurs, mais aussi les cadres de

l’école, améliorent leurs façons de faire. Pourquoi ? Parce que l’on crée un « effet

miroir ». Dès lors que vous allez donner à ces professeurs et à ces cadres le résultat de

leur action, si ce résultat n’est pas conforme à ce qu’ils souhaitent ou à ce qu’on

souhaite qu’ils fassent, ils changeront leur façon de faire (Thélot, 2002, p. 325-326).

Maroy (2012) se demande si ces nouvelles formes d’accountability et testing dans

l’éducation ne correspondent pas à un déclin de la confiance de l’État dans les administrateurs

scolaires, dans la capacité des organisations scolaires à s’acquitter correctement de leurs

fonctions et dans le professionnalisme et l’engagement des enseignants.

1.9.1. Deux types de dispositifs d’évaluation externe : high-stakes tests versus low-stakes

tests

Rozenwajn et Dumay (2014) affirment que dans la littérature scientifique on distingue

deux types d’épreuves externes en fonction des conséquences associées aux résultats des

enseignants et des établissements scolaires.

!40

Le premier type de dispositif d’évaluation est considéré comme ayant des « enjeux

élevés » parce que les conséquences pour les enseignants et les établissements sont

importantes. En cas de résultats insatisfaisants récurrents, il peut y avoir risque de

licenciement ou de sanction ou, au contraire, de récompenses financières pour les

établissements. Ce type de dispositif a été intégré à des mesures de reddition de comptes,

comme la diffusion médiatique des résultats, ce qui correspond à la notion d’« high-stakes

accountability » (dispositifs à enjeux élevés) (Rozenwajn & Dumay, 2014).

Le deuxième type d’évaluation est qualifié, dans la littérature, de « dispositifs à faibles

enjeux », car les résultats de l’évaluation externe ne vont pas à entraîner de conséquences

formelles pour les enseignants ou pour l’établissement. En Europe continentale, ce type de

tests sont intégrés à des dispositifs et sont appelés comme « low-stakes accountability » ou

« soft accountability » (reddition de comptes douce) (Rozenwajn & Dumay, 2014).

1.9.2. Les systèmes d’indicateurs nationaux pour « piloter » le système

Selon Maroy et Voisin (2014), il y a plus de vingt ans que, dans de nombreux pays, ont

également été installés des indicateurs pour piloter le respect des objectifs et, de cette façon,

réguler le fonctionnement des écoles ou des entités de gestion scolaire à un niveau

intermédiaire. Ces procédures d’évaluation des résultats des établissements doivent être

soumises à une obligation de résultats et de performance.

Pour Maroy (2008), ces nouvelles politiques impliquent de nouveaux modes de

régulation institutionnelle des systèmes éducatifs dont le principe est de contrôler l’action sur

la base de ses résultats (outputs du système de production), en remplacement des anciens

mécanismes qui visaient plutôt à agir sur les processus.

Le pilotage des résultats est devenu le principal dispositif d’accountability. Pour

Dupriez (2005), la plupart des analyses qui ont été faites sur le pilotage des systèmes scolaires

conviennent qu’il y a eu un renouvellement des modes de régulation, compte tenu de

l’importance qui a été assigné à l’évaluation et aux ajustements locaux entre l’offre et de la

demande d’éducation. Ces transformations ont pris différentes formes selon les pays et

l’histoire de leurs systèmes scolaires. C’est ce qui s’est passé en Angleterre, où, d’après Malet

(2001), l’État a commencé à se charger de l’évaluation des écoles et des enseignants, en

!41

augmentant considérablement son pouvoir sur les écoles et les autorités locales et en assumant

l’évaluation de la performance des établissements et des enseignants.

Selon de nombreux chercheurs (Apple, 2004 ; Broadfoot, 2000), le pilotage des

résultats renforce le contrôle de l’État par le biais de réformes scolaires « pilotées par les

résultats (top-down policies) » (Malet, 2012, p. 208). Le pilotage par les résultats, selon

Dupriez (2005), redistribue les fonctions du centre et de la périphérie, laissant un centre

essentiellement politique qui est celui qui va définir des objectifs et des indicateurs pour

évaluer les unités décentralisées. Ces unités décentralisées, avec certaines marges de liberté,

selon les pays, peuvent concevoir leur propre plan pour atteindre les objectifs définis par le

centre. Selon Maroy (2008), les pays considérés par la littérature comme hautement

décentralisées (Royaume-Uni, Suisse, etc.), ont adopté un pilotage central des programmes

scolaires, en plus de l’évaluation normalisée alors que d’autres, comme la France, considérés

par la littérature comme hautement centralisés, ont commencé à adopter des politiques qui

donnent une plus grande autonomie aux écoles. Cela peut sembler, selon l’auteur,

apparemment contradictoire, mais peut s’expliquer par l’existence d’un État évaluateur plus

fort.

1.9.3. La diffusion des résultats des épreuves standardisées

Pour Dupriez et Malet (2013) des dispositifs d’évaluation en général sont « censés

apporter un éclairage sur la qualité du travail mené au sein des écoles » (p. 10). Cette

information sur les résultats du système doit contribuer au « pilotage du système » pour

l’amélioration de la qualité (de Landsheere, 1994). De plus, des tests standardisés comme le

centre du dispositif général, selon Dupriez (2005), prouvent la présence d’un État évaluateur.

Selon l’auteur ces essais visent plutôt à fournir un standard de ce qui est nécessaire pour un

étudiant à un moment de leur scolarisation. La capacité d’influencer les pratiques

d’enseignement à travers la diffusion de ce type d’essais dépend de la volonté et la force pour

interpeller les deux catégories d’acteurs (inspecteurs et parents) qui sont ceux qui vont

pouvoir agir en invoquant ces normes.

La raison, d’après Mons (2004b, 2009), est que l’école moderne a toujours eu des

difficultés pour pouvoir réguler les procédures et l’adhésion de ses établissements à des

normes nationales. Le recours généralisé à des évaluations nationales a permis au

!42

gouvernement central de procéder à un contrôle direct du système par le biais de plusieurs

mécanismes et à des tests standardisés administrés régulièrement au cours de l’année scolaire.

Des exemples de cela sont le Chili, Suède, Royaume-Uni et l’Argentine.

Enfin, pour Mons (2009), il n’y aurait pas consensus empirique sur le fait que

l’évaluation standardisée soit associée à une réduction des inégalités scolaires entre groupes

sociaux et ethniques, c’est-à-dire que « les relations entre efficacité et testing apparaissent peu

consistantes : elles ne sont ni univoques, ni automatiques » (p. 22).

1.9.4. Les effets des dispositifs d’évaluation standardisée sur l’apprentissage des élèves

Mons (2009) écrit que les évaluations standardisées ont été mises au point

principalement dans les pays les plus riches de l’OCDE, c’est pour cela que les bons résultats,

en termes d’efficacité, pourraient être expliqués par le haut niveau de développement

économique de ces pays, qui ont les ressources pour organiser ces épreuves. Mais

curieusement, c’est la même OCDE qui, selon Mons (2009), dans une étude de l’année 2007

fondée sur sa propre enquête PISA de l’année 2006, n’établit pas de liens entre les différentes

formes d’accountability et la diminution des inégalités scolaires d’origine sociale. C’est-à-

dire, que cette étude n’a pas trouvé de liens forts entre dispositifs d’évaluation standardisée et

une plus grande efficacité des établissements. Enfin, Mons (2007) conclut que l’existence de

mécanismes de reddition de comptes n’est pas associée aux indicateurs de l’efficacité.

Pour Mons (2009), l’évaluation standardisée a été généralisé pour améliorer les

pratiques éducatives et suppose implicitement que les attentes doivent être identiques pour

tous les étudiants qui ont été reconnus par les mêmes capacités cognitives. La combinaison

d’un plan d’études national, d’un système d’évaluation normalisé et d’un dispositif de

diffusion de l’information en Angleterre, d’après Dupriez (2005), a permis d’améliorer le

niveau moyen de l’éducation en Angleterre. Il en résulte que l’apparition des notions de

standards, d’usagers et d’accountability, écrit l’auteur, ont un impact significatif dans la

définition de qui est important et de ce qui est moins important dans l’espace scolaire.

Dupriez (2005) avance aussi qu’il est évident que ces dispositifs opèrent une transformation

des représentations sociales du monde scolaire qui accompagnent les évolutions dans le

pilotage de l’école. Par exemple Mons (2009), mentionne le cas du Texas et du district de

!43

Chicago où certains dispositifs d’évaluation standardisée ont conduit à l’entraînement intensif

aux tests.

Enfin, selon Dupriez et Malet (2013), des logiques de reddition de compte fondées sur

l’évaluation des performances sont une réforme qui a restructuré « le rôle des États dans la

construction et l’accompagnement des politiques en direction de l’école et de ses acteurs,

s’accompagnant d’une transformation des formes d’organisation du travail éducatif et d’une

recomposition des rôles des professionnels engagés dans ce travail » (p. 10).

1.10. Certaines considérations relatives au cas du Chili

Le Chili constitue avec la Hongrie, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni le groupe

des États décentralisateurs volontaristes (Mons, 2004b). Les raisons pour lesquelles le Chili a

vécu, comme le dit Mons (2004b), une décentralisation plus volontariste, peuvent se

comprendre parce que le Chili et l’Argentine, pendant les dictatures, ont mis en place des

réformes qui, après le retour de la démocratie, ont été laissées en l’état (Mons, 2004b). De

facto, c’est la même OCDE (2004) qui affirmé que le système éducatif chilien est sous la

domination d’une idéologie qui accorde une importance disproportionnée aux mécanismes du

marché.

Selon Martinic (2010), le Chili a vécu deux grandes réformes paradigmatiques dans

l’éducation au cours des trente dernières années. La première a eu lieu au cours de la dictature

de Pinochet, durant l’année 1981, où les établissements qui étaient gérés par l’État ont été

livrés aux municipalités. Dans le même temps, le système a été mis entre les mains du

marché, en comptant sur la concurrence entre établissements pour améliorer la qualié de

l’éducation. La possibilité de faire des affaires en créant des établissements scolaire a été

soutenue par le financement public avec le système du voucher permettant aux familles de

choisir l’école de leur enfant. Cette réforme a été influencée par l’économiste de l’Université

de Chicago Milton Friedman, qui a fait du Chili son expérience sociale. Étant donné que ces

principes concernant le marché et la concurrence avaient déjà été installés, il n’était pas

difficile de le transposer au secteur de l’éducation (Martinic, 2010). C’est ainsi que le

paiement ou voucher par des élèves qui fréquentent les établissements, se transforme en un

financement, qui est devenu un véritable « butin » pour les « escueleros » ou entrepreneurs de

l’éducation qui ont pu s’enrichir en éduquant les pauvres. Les enseignants ont cessé d’être des

!44

fonctionnaires publics, ce qui a incité à la création d’établissements privés concurrençant les

établissements gérés par les municipalités grâce au financement de l’État (Cox, 2012).

La deuxième réforme, selon Martinic (2010), est mise en place pendant les années

1990 lorsque Pinochet laisse le pouvoir. En démocratie l’État commence à prendre en charge

la régulation du programme scolaire et de l’évaluation des résultats. Au cours de cette période,

est créé le SIMCE (1988), qui est l’épreuve standardisée qui mesure les apprentissages de tous

les élèves de l’enseignement primaire et secondaire. Il existe dès lors un plus grand contrôle

de l’État, mais qui ne modifie pas le modèle de quasi-marché. En fait, le premier

gouvernement démocratique, celui de Aylwin (1990-1994), a décidé de faire des changements

sans modifier la loi LOCE (1990) de Pinochet, probablement pour éviter les problèmes, car

beaucoup de leurs coreligionnaires de la démocratie chrétienne et de la Concertation des

Partis pour la démocratie, souhaitaient continuer à entreprendre dans l’éducation, la loi de

Pinochet garantissant le succès de leurs entreprises. D’après Martinic (2010) Bachelet dans

son premier gouvernement a décidé d’intervenir uniquement sur les contenus et les processus

pour améliorer les apprentissages et de cette tenter ainsi d’améliorer la qualité et d’atténuer un

peu les effets de la décentralisation et de la privatisation. Selon l’auteur, elle a assumé que

ceci était la voie pour réduire les écarts d’apprentissage entre les établissements. Depuis cette

époque, la focale a été mise sur la promotion de normes de qualité dans les établissements de

faible performance.

Aussi Cox (2012) affirme que lorsque se termine la dictature (1990), le seul

changement important a été de redonner en partie un statut de fonctionnaire aux enseignants,

mais les autres réformes sont demeurées intactes. C’est le Ministère de l’Education qui doit

gérer ce système de quasi-marché et pour cela il met l’accent sur des objectifs de qualité et

d’équité comprises comme résultats des apprentissages. Les dépenses publiques, selon Cox

(2012), ont été réduites d’un tiers entre 1982 et 1990. Les inscriptions ont diminué

sensiblement dans les établissements municipaux et ont progressé dans l’éducation privée

subventionnée en créant un apartheid socio-économique dans les établissements, les élèves

fréquentant les écoles où ils retrouvent leurs pairs de même niveau socio-économique. Les

gouvernements démocratiques sont parvenus à accroître la couverture de l’offre scolaire mais

pas à améliorer la qualité et l’équité. La ségrégation est donc maintenue jusqu’à aujourd’hui.

De fait, le rapport élaboré durant l’année 2004 par l’OCDE soutenait que le système éducatif

!45

chilien est ouvertement « classiste ». Dans le même sens le nouveau rapport de l’OCDE

(2017) affirme que les étudiants chiliens appartenant aux catégories sociales défavorisées sont

plus souvent ségrégués dans les écoles à faible rendement que leurs pairs défavorisés des

autres pays de l’OCDE.

À la suite de la décentralisation, des élèves migrèrent vers les établissements privés

subventionnés. Selon Martinic (2010), entre 1980 et 1990, le nombre de ce type

d’établissements a augmenté de 50 % et l’inscription est passée de 19,6 % à 32,3 %. Depuis

cette date jusqu’à présent la migration des élèves vers ce type d’établissements a continué à la

hausse et l’année 2008, ces établissements représentaient 44 % (5.263 établissements), ce qui

représente 48 % du total des étudiants. Ces étudiants viennent de l’éducation municipale,

raison pour laquelle celle-ci a vu diminuer ses effectifs de 78 % l’année 1981 à 47 % en l’an

2008 (Corvalán, Elacqua, & Salazar, 2008).

1.10.1. Le système de voucher

Pendant la dictature militaire (1973 à 1990) les écoles publiques ont été transférées

aux municipalités et cette réforme a encouragé la participation du secteur privé comme

fournisseur de l’éducation gratuite. Ce qui précède a été réalisé par le biais de la création d’un

mécanisme de voucher par élève, accordé aux établissements du secteur subventionné avec ou

sans but lucratif, comme à ceux du secteur municipal. Selon Friedman (2010) [1962] avec le

voucher, les parents pourraient choisir librement l’établissement de leur enfant en dépensant

la somme correspondant au voucher et y ajouter éventuellement toute autre somme qu’ils

souhaitent. En fait, pour l’auteur, lorsque l’État laisse aux mains du privé l’éducation, les

élèves et leurs familles sont seuls à décider. L’État, selon l’auteur, ne doit pas s’en occuper.

« Ce qui est désirable, c’est, non pas de redistribuer les revenus, mais de rendre les

capitaux disponibles dans des conditions comparables pour les investissements

humains et pour les investissements physiques. Les individus devraient supporter les

coûts des investissements faits en eux-mêmes et en recevoir les avantages. Les

imperfections du marché ne devraient pas les empêcher d’investir lorsqu’ils sont prêts

à en supporter les frais (Friedman, 2010 [1962], p. 178-179).

!46

Mons (2004b) a mentionné justement le Chili, dans un groupe à côté de Colombie et

de la Suède, qui sont de bons exemples de pays avec des systèmes qui fournissent une aide

financière pour permettre aux parents de choisir une école.

Pour Duru-Bellat et Meuret (2001), l’explication donnée par ceux qui promeuvent ces

politiques est que les vouchers compensent l’inégalité économique entre les familles. L’État

est, selon les auteurs, le bailleur de fonds qui soumet ses subventions à certaines conditions.

1.10.2. Evaluation SIMCE : le principal indicateur de qualité du système éducatif chilien

L’année 1985, a été créé au Chili le système d’évaluation de la qualité de l’éducation

(SIMCE). Le SIMCE est une épreuve standardisée qui se concentre sur certains domaines

prioritaires ou sur des aspects plus larges du programme scolaire. Il a été expressément créé

pour évaluer la qualité de l’éducation entendue comme la réalisation d’apprentissages en

langage, mathématiques et sciences. D’autres disciplines ont été ensuite ajoutée qui figurent

dans les programmes du MINEDUC. Tous les deux ans les élèves de quatrième année de

l’enseignement primaire sont évalués par le SIMCE et l’année suivante le SIMCE est utilisé

pour évaluer les élèves de huitième année de l’enseignement primaire et les élèves de

deuxième année de l’enseignement secondaire. Un total d’environ 500.000 élèves est ainsi

évalué chaque année. Les critères reposent sur le curriculum de MINEDUC. Les indicateurs

clés de la qualité sont les pourcentages d’élèves qui ont atteint le standard. Les résultats sont

publiés sur une liste nationale où apparaissent les classements des écoles. Depuis 2011, le

SIMCE est devenue partie intégrante du système d’évaluation de l’ACE. Cette évaluation est

obligatoire, tous les étudiants sont appelés à passer l’épreuve. Les résultats de l’établissement

reflètent réellement les connaissances et les compétences de tous les étudiants évalués

Pour Maroy et Dupriez (2000), l’utilisation d’outils d’évaluation ne doit pas être

entendu comme une irrationalité des décideurs. Cet usage particulier des tests d’évaluation

n’est pas un accident, il s’agit d’une puissante illustration de l’État évaluateur, en tenant

compte des formes spécifiques de coordination qui prévalent nationalement (Dupriez, 2005).

La valeur de chaque établissement est une moyenne qui représente la performance

générale des étudiants qui ont répondu à l’épreuve, dans chaque discipline et chaque degré

scolaire évalué. Selon les chercheurs Cox et Lemaitre (1999), le SIMCE a beaucoup contribué

à améliorer les résultats. De la même façon Mons (2004b) a affirmé que le Chili est un bon

!47

exemple avec l’Argentine, que l’évaluation peut avoir des effets positifs sur les performances

des élèves. Au Chili, les résultats du SIMCE sont la source primaire pour élaborer les

classements des écoles. Ces listes sont diffusées et sont reçues avec une attention particulière

par les media. Les classements sont présentés par types de financement, privés, particuliers

subventionnés et municipaux. Les parents peuvent consulter les résultats des évaluations pour

prendre des décisions plus éclairées.

1.10.3. La publication des résultats SIMCE

Mais les parents, écrit Mons (2009), dans le cadre d’un système de libre choix

d’établissement, vont utiliser ces indicateurs pour demander l’inscription à l’école qui se

révèle la plus performante, en encourageant de cette manière une concurrence positive entre

les institutions qui tendent à améliorer les résultats du système éducatif. Aussi, selon Varcher

(2012), une partie importante du dispositif d’accountability est la publication des résultats de

tests de la performance des élèves et des évaluations des établissements. Ainsi, selon le

chercheur, le chef de l’établissement se fait responsable des résultats de chaque évaluation. La

publication des résultats SIMCE sont utilisés pour interpeller chaque établissement et le

pousser à améliorer ses résultats. Varcher (2012) ajoute que les données sur la qualité sont de

l’intérêt des consommateurs et leur caractère technique les rend assez fiables pour qu’ils ne

soient pas remises en cause. Mais, selon l’auteur, il est clair qu’il s’agit d’un instrument au

service de la redéfinition idéologique du sens de l’école, d’une nouvelle réalité redéfinie par le

néolibéralisme et le réductionnisme. La publication des données représente sans aucun doute

un progrès du néolibéralisme. Selon plusieurs auteurs (McNeil, 2000 ; Rowe, 2000), il s’agit

d’un instrument au service de la redéfinition idéologique de l’école. Au Chili, la publication

des données de la performance des établissements dans le SIMCE, à la différence d’autres

pays, n’a soulevé jusqu’ici aucune controverse.

1.10.4. L’influence de l’OCDE sur les politiques éducatives du pays

Comme l’écrit Mons (2009), l’OCDE a comme priorité l’efficacité des systèmes et

c’est la raison pour laquelle ont été développés des dispositifs de pilotage pour mesurer les

outputs, par le biais de tests pour évaluer les acquisitions cognitives. Pour la chercheuse,

l’OCDE sans avoir les instruments juridiques ni les leviers financiers pour promouvoir des

!48

politiques au niveau national dans les pays membres comme la Banque mondiale et l’Union

européenne (UE), est devenue extrêmement influente dans la création de politiques nationales

et mondiales d’éducation par le biais de l’enquête PISA (Programme for International Student

Assessment) (Lingard & Grek 2007 ; Lingard, Rawolle & Taylor 2005).

L’enquête PISA est réalisée par cycles de trois ans en commençant en 2000 et examine

les connaissances et compétences des enfants de 15 ans dans l’enseignement obligatoire.

L’OCDE a ajouté des pays qui n’étaient pas membres de l’Union européenne, comme c’est le

cas du Chili. Un avantage de l’enquête PISA, selon Grek (2009), est qu’elle n’évalue pas les

étudiants par rapport au curriculum local ou national mais qu’elle se concentre sur

l’évaluation de la capacité des jeunes à mettre en œuvre des compétences dans les situations

de la vie quotidienne et leur capacité à entrer sur le marché du travail, ceci en se focalisant sur

des compétences de base (lecture et arithmétique). Elle laisse ainsi de côté les objectifs

éducatifs moins explicites qui résistent à la mesure.

Pour l’enquête PISA 2009, la focale était mise sur la lecture et 65 pays ont participé

dont 9 en d’Amérique latine et aux Caraïbes (Argentine, Brésil, Colombie, Mexique, Pérou,

Panama, Trinité et Tobago, Uruguay). Dans cette enquête, le Chili a montré une forte

progression entre les années 2000 et 2009, par comparaison avec les autres pays. Le Chili a

également la meilleure performance par rapport à d’autres pays d’Amérique latine. Mais il est

encore très en deçà des attentes et beaucoup plus bas que la performance des élèves des pays

développés. Ces résultats montrent également des inégalités très fortes entre les performances

des étudiants de faible et haut niveau socio-économique.

Cependant dans des pays comme l’Angleterre, l’importance des données de l’enquête

PISA ne sont pas aussi importantes, parce qu’ils disposent, selon Grek (2009), d’un système

hautement sophistiqué de création et d’utilisation de données. En conséquence, l’enquête

PISA occupe une position moins centrale.

Dans la plupart des pays, comme l’affirme Grek (2009), les indicateurs de l’enquête

PISA deviennent des quasi-normes et ne sont pas contestés pour leur orientation politique

explicite. Cependant, pour Lascoumes et Le Galès (2007), les dispositifs de l’OCDE ne sont

pas des dispositifs neutres, ils ont bien une logique politique.

!49

1.10.5. Les autres mesures internationales auxquelles participe le Chili

Actuellement, selon le calendrier présenté sur le site web de l’Agence de qualité

(2017), plusieurs épreuves internationales seront appliquées dans les années suivantes.

L’épreuve ERCE (Étude régionale comparative et explicative) administrée par le bureau

régional de l’UNESCO à travers LLECE (Laboratoire latino-américain d’évaluation de la

qualité de l’éducation), pour enfants de troisième (enfants de neuf ans) et sixième de

l’enseignement primaire (enfants de douze ans) s’appliquera de manière expérimentale à

partir de l’année 2018 et au cours de l’année 2019 de manière définitive. L’épreuve PIRLS

(Progress in International Reading Literacy Study) pour les enfants de quatrième année

d’enseignement primaire (enfants de dix ans) s’appliquera dans les versions pilote et

définitive de l’année 2020. L’épreuve TIMMS (Trends in International Mathematics and

Science Study) de l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement

(IEA) s’appliquera aux enfants de quatrième (enfants de dix ans) et huitième (enfants de

quatorze ans) d’enseignement primaire de l’année 2018 dans sa version pilote et définitive.

L’épreuve ICCS (International Civic and Citizenship Education Study) est une évaluation à

laquelle participe le Chili est le ICCS qui évalue les connaissances, les attitudes, les

perceptions et les activités relatives à l’éducation civique et la formation des citoyens. En

2009, 38 pays ont participé dont six d’Amérique latine (Chili, Colombie, Guatemala,

Mexique, Paraguay et République dominicaine). Elle sera mise en œuvre en version pilote

pour les enfants de la huitième d’enseignement primaire (enfants de quatorze ans) l’année

2020. L’épreuve ICILS (International Computer and Information Literacy Study) également

pour les enfants de la huitième d’enseignement primaire de l’année 2017 s’appliquera dans

une version pilote et l’année 2018 dans une version définitive. L’épreuve PISA auprès des

enfants de 15 ans de l’année 2017 va mettre en œuvre en version expérimentale et l’année

2018 sous forme définitive.

Résumé du chapitre

Dans ce chapitre, j’ai essayé de réaliser un état de l’art de la littérature sur l’évaluation

de l’éducation. Il est facile de constater que les évolutions des politiques d’éducation, au Chili

!50

comme dans d’autres pays, reposent sur des systèmes d’évaluation constitués d’outils

techniques.

Dans le chapitre suivant, je présenterai des dispositifs de pilotage de la qualité qui ont

précédé le pilotage par la qualité mis en place par FS dans lequel mes collègues consultants

ont été formés et qui a facilité l’institutionnalisation de ce dispositif de contrôle dans notre

système éducatif.

!51

!52

Chapitre 2 : L’installation du pilotage de la qualité scolaire comme dispositif de contrôle dans le système scolaire chilien

2.1. L’émergence du concept de la qualité

D’où émerge la popularité de la qualité, un terme aussi ambigu et polysémique ? Un

concept, affirme Aflalo (2009), qui a la capacité de séduire, parce que l’homme a toujours

voulu avoir un rendement plus élevé et surmonter le « défaut originaire de l’homme qui ne

fonctionne pas comme une machine » (p. 89) . Le contrôle de la qualité offre l’espoir de se

rapprocher de la perfection de la machine en termes de rendement, selon l’auteur.

À partir de 1950, William Deming était souvent invité au Japon pour donner des

conférences sur les statistiques appliquées aux problèmes du management industriel dans tout

le cycle de production (Aflalo, 2009). C’est précisément le Japon qui a introduit le Total

Quality Control (TQC) après la seconde guerre mondiale. Puis, comme l’écrit l’auteure,

l’admiration que suscitait le mode de production japonais a entraîné depuis les années 1980

l’apparition d’autres approches de la qualité, comme le contrôle de la qualité, l’assurance

qualité, le total quality management (TQM). Bien entendu, il s’agit d’un discours tenu par

quelques hommes ayant des intérêts dans le contrôle de la production. Le même type de

discours se présentant comme rationnel avait transformé les modes de production industrielle,

un peu avant et un peu après la Seconde Guerre mondiale. Selon Aflalo, celui qui a commencé

à parler de qualité dans les années 1930 aux États-Unis, a été Shewhart. Ensuite, selon elle,

Deming, Juran et Feigenbaum, ont inventé la qualité comme nouvelle méthode de contrôle

statistique de la fabrication industrielle. D’après Aflalo (2009), la méthode qu’ils avaient

appliqué avec succès à la Western Electric de Chicago, entreprise célèbre pour les enquêtes

d’Elton Mayo, s’est étendue avec l’objectif d’améliorer et contrôler la productivité des

ouvriers. Le contrôle TQC constitue une nouvelle politique économique industrielle se

présentant comme horizontale, comme une démocratie participative rendant obsolète le

modèle paternaliste et autoritaire du taylorisme. Enfin l’auteure avance que cela « masque la

prise du pouvoir par l’évaluateur. Dès lors, l’usage des calculs ne cessera plus d’effacer l’idéal

de l’homme de qualité au profit des calculs de l’homme sans qualité » (p. 88).

!53

2.2. Les modèles économiste et progressiste-humaniste de la qualité diffusés par

des organismes internationaux

L’OCDE et la Banque Mondiale (Grek, 2009 ; Nascimento, 2010) ont lancé la

« qualité de l’éducation » comme un mode de régulation. Celui-ci est devenu l’un des

objectifs de gestion des systèmes éducatifs s’appuyant sur des résultats mesurables

quantitatifs (taux de scolarisation, taux de rétention, taux de retour de l’investissement dans

l’éducation) et à l’utilisation de tests standardisés nationaux ou internationaux pour mesurer la

performance des élèves. Le pouvoir de l’OCDE consiste, comme le soutient Martens (2007), à

établir des comparaisons entre les pays par une approche relativement scientifique. Ceci

facilite la prise de décision politique. Ses statistiques et ses recommandations sont acceptées

par les acteurs politiques et les chercheurs, même si certains les remettent en cause (Porter &

Webb, 2004). Selon Grek (2009), l’enquête PISA est ainsi utilisée pour légitimer les nouvelles

politiques et désactiver ou apaiser les discussions ou contestations (Steiner-Khamsi, 2004).

Selon Derouet (1992), le problème est que la qualité du travail enseignant n’est pas mesurable

et que cette volonté détourne l’école de sa mission, de son « monde intérieur ». Au Chili les

changements introduits dans le pilotage du système scolaire ont ainsi entraîné une

transformation des représentations sociales du monde scolaire (Dupriez, 2005).

Si un intérêt pour la qualité du travail enseignant se manifeste depuis les années 1950,

la préoccupation pour la qualité, au sens actuel, n’aurait émergé qu’à partir des années 1990

(Mons, 2004a). Barrett, Chawla-Duggan, Lowe, Nikel et Ukpo (2006), après un examen de la

littérature existante sur la qualité de l’éducation dans les pays en développement et pour les

groupes sociaux défavorisés, distinguent deux traditions dominantes qui coexistent dans le

discours contemporain. La première, désignée par l’auteur comme la « tradition économiste »,

est représentée par l’OCDE et bien installée dans tous les pays développés, en

progressant vers une couverture universelle. Selon Barrett et al. (2006), on peut constater que

l’OCDE, via l’enquête PISA, a pris une position dominante avec la promesse que la grande

majorité des élèves aurait la possibilité d’acquérir des compétences élevées, indépendamment

de leur situation personnelle et socio-économiques. L’OCDE décrit aujourd’hui la qualité

principalement en termes de performances d’élèves. Selon les auteurs, cette approche séduit

en donnant l’impression d’une certaine objectivité. Toutefois, concluent les auteurs, ce

!54

dispositif d’évaluation a également tendance à effacer ce que les enseignants et les parents

perçoivent subjectivement comme qualité dans l’interaction formatrice.

La deuxième tradition est d’ordre progressiste et humaniste. L’UNESCO l’a promue à

travers la diffusion de son programme Éducation pour Tous (EPT) qui affirme que l’éducation

doit être considérée comme un droit humain fondamental accessible aux citoyens. De

nombreuses ONG défendent des positions liées à cette tradition qui est profondément ancrée

dans le monde de l’éducation. Les influences les plus importantes, selon Barrett et al. (2006),

sont ici celles de Pestalozzi, Froebel et Dewey.

Cependant, pour Felouzis et Hanhart (2011), l’idée de la qualité de l’éducation et de

son évaluation est désormais associée à une nouvelle conception du rôle de l’État dans la

société du New Public Management (NGP) qui considère les citoyens comme usagers et

clients. Grek (2009), écrit ainsi que les pays qui ont accepté l’idée de globalisation de l’OCDE

et de la Banque Mondiale pour mener leurs politiques, voient l’éducation comme une chose

particulièrement importante pour leur développement économique et le pilotage de la qualité

comme un bon dispositif de régulation du système éducatif. En fait ce type de dispositif pour

le pilotage de la qualité de l’éducation pourrait bien être l’ADN de la NGP. Actuellement, en

Amérique latine, le pilotage de la qualité est devenu une panacée. C’est FLACSO elle-même 4

qui a soutenu que la qualité de l’éducation est la seule garantie dans la lutte contre l’exclusion

et les inégalités (Tiana, 2010).

2.3. Conjuguer qualité et équité

La vision économiste de l’OCDE repose sur les critères de l’efficacité et l’efficience,

mais le système éducatif idéal aux yeux de l’OCDE (Behrens, 2012) doit aussi conjuguer

qualité et équité. L’OCDE a énoncé des recommandations pour améliorer la qualité des

systèmes éducatifs fondées sur le concept d’équité. Ce dernier est mobilisé, dans ce cas,

comme un critère supplémentaire d’efficacité tout en étant associé à un droit humain (Sayed

1997 ; UNESCO, 2000). Certains auteurs (Welch, 2000 ; Barrett et al, 2006) font alors

remarquer que l’équité entre en tension avec l’efficacité du fait du coût élevé de l’éducation

des groupes désavantagés.

FLACSO ou Faculté latino-américaine de sciences sociales est une organisation 4

intergouvernementale régionale autonome pour l’Amérique latine et les Caraïbes, consacrée à la recherche, l’enseignement et la diffusion des sciences sociales.

!55

2.4. Le concept de marché de la qualité

Felouzis (2011) utilise le terme « marché de la qualité », c’est-à-dire un marché régulé

principalement par la perception de la qualité « des établissements, ce qui produit des effets

de fuite et d’attraction selon les cas » (p. 13). La concurrence entre établissements, selon

Felouzis (2011), se situe nécessairement sur les petits espaces locaux pour « capter » des

élèves dont la mobilité est encore limitée.

Maroy (2008) fait référence au concept de « qualité de l’éducation » comme un mode

de régulation institutionnel. Un mode de régulation institutionnel, selon l’auteur serait :

L’ensemble des mécanismes d’orientation, de coordination, de contrôle des actions

des établissements, des professionnels ou des familles au sein du système éducatif,

modes de régulation mis en place par les autorités éducatives (Maroy, 2008, p. 4)

2.5. La qualité de l’éducation comme mode de régulation institutionnelle

Varcher (2012) affirme que la qualité, pour Deming, était initialement une philosophie

de gestion qui avait pour objectif de parvenir à réduire les coûts tout en améliorant la qualité.

Ce modèle, dont le principe était applicable non seulement aux installations de production

industrielle mais aussi aux bureaux, hôpitaux, entreprises de services, etc. C’est pourquoi,

selon l’auteur, il ne semblait pas étrange que ce concept ait été intégré à la NGP. L’évaluation,

selon cette logique, consiste à comparer l’existant observable à ce qui est « désiré » afin

d’apporter un jugement de valeur sur son état (Bouchard & Plante, 2002). Un autre auteur,

Segerholm (2009), affirme qu’il faut agir sur des échelles macro et méso pour parvenir à une

amélioration de la qualité à l’échelle micro. La qualité peut être évaluée par l’État à deux

niveaux, par le biais de tests standardisés à un niveau macro et par le biais de l’évaluation des

établissements à un niveau intermédiaire. Pour l’auteur, dans un quasi-marché, les parents ont

besoin d’informations sur l’évaluation de la qualité des établissements pour prendre leurs

décisions. Les tensions liées à l’assurance de la qualité seront, selon Segerholm (2009),

toujours présentes car elles reflètent des conflits idéologiques fondamentaux entre la justice

sociale et la liberté individuelle sur un terrain politique en mouvement perpétuel.

Toutefois on doit souligner, affirme Bauman (2000), que le pilotage par les objectifs,

les résultats et l’assurance-qualité pourraient avoir un effet de fragmentation ou de

!56

« liquéfaction » dans le système éducatif, ce qui exige beaucoup de soins, vigilance et efforts

à chaque moment.

2.6. Les programmes précurseurs d’auto-évaluation de la qualité au Chili

Selon Duru-Bellat et Meuret (2001), dans plusieurs pays européens, comme

l’Angleterre, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Norvège « inspection et auto-évaluation se

combinent » (p. 183). Toutefois au Chili les programmes précurseurs du pilotage de la qualité

insistaient uniquement sur l’auto-évaluation. Le Ministère a ainsi lancé au cours des années

1990, les programmes : MECE, P-900, LPT, PME et Montegrande. Le programme

d’amélioration de la qualité et de l’équité de l’éducation MECE concernait différents niveaux

(MECE pour l’éducation préscolaire, MECE pour l’éducation primaire, MECE pour

l’éducation secondaire et MECE pour l’éducation supérieure). Toutefois les écoles et les

lycées devaient concourir pour obtenir des ressources pour la mise en œuvre de projets

d’amélioration conçus par eux-mêmes, afin de renforcer l’autonomie et la capacité de trouver

des solutions aux problèmes qu’ils rencontraient. Les établissements faisaient une analyse de

leur réalité et indiquaient leurs objectifs par le biais de la mise en œuvre de ces programmes.

Toutefois cette orientation n’a pas eu de succès et a perdu en importance (MINEDUC, 2000).

Le P-900 était un programme qui visait à améliorer la qualité de l’apprentissage des élèves de

900 écoles primaires vulnérables. Il constitue une stratégie d’appui technique et matériel lancé

par le MINEDUC en 1990 dans le but d’améliorer la qualité de l’apprentissage des élèves des

écoles primaires en « risque scolaire ». À partir de 1998 il a étendu son rayon d’action à toute

l’éducation primaire. Le programme Lycée pour Tous (LPT) échangeait des ressources et de

matériaux pour proposer et mener des stratégies de soutien aux élèves à risque de déserter,

c’est-à-dire les lycées stigmatisés comme vulnérables. Le plan d’amélioration de l’éducation

(PME) finance les projets en dotant de matériel pédagogique les écoles sélectionnées. Enfin,

le projet Montegrande, qui a été connu précédemment comme « Liceos de Anticipación »

cherchait à transformer un groupe de lycées en « lycées d’excellence » (MINEDUC, 2000).

2.7. L’émergence des modèles de certification de la qualité au Chili

À partir de l’an 2000, Alvariño, Arzola, Brunner, Recart et Vizcarra (2000) ont su

donner un caractère d’urgence à la certification de la qualité scolaire, sur la base d’une étude

!57

qu’ils avaient réalisée et selon laquelle la gestion était identifiée comme un facteur crucial de

la qualité de l’éducation. Ils affirmaient qu’il était devenu nécessaire de disposer de modèles

et d’outils permettant de diagnostiquer la capacité des unités éducatives à produire de la

valeur ajoutée à leurs processus d’enseignement et d’apprentissage mais aussi de leur gestion

(Alvariño et al., 2000). Ils ont donc développé le modèle de certification qualité FS pour les

établissements d’enseignement primaire et secondaire, sur la base des modèles Baldrige,

EFQM et Deming. Alvariño, et al. (2000) affirment que la gestion est un élément déterminant

de la qualité de la performance des écoles, en particulier dans la mesure où elle accroît la

décentralisation des processus de décision dans les systèmes éducatifs. Pour cette raison, le

modèle de FS a été concentré sur l’installation de systèmes de gestion et en même temps sur

les résultats des épreuves SIMCE. Pour être considérés comme éligibles pour la certification,

les établissements devaient avoir une valeur minimale de 250 points, représentant la moyenne

arithmétique du système. Cependant seuls quelques rares établissements municipaux et

subventionnés pouvaient atteindre un tel score.

2.8. Fondation Schiller : le plus important centre de transfert technologique du

pays

FS, qui se définit elle-même comme une institution privée à but non lucratif, a été

créée au cours de la dictature de Pinochet en 1976 dans le but de promouvoir le

développement économique du pays à travers le développement et le transfert de

technologies.

En effet, sous la dictature de Pinochet (1973-1990), la FS a été créée pour apporter des

compensations aux entreprises américaines qui avaient été expropriées par le gouvernement

de Salvador Allende (1970-1973). En fait Allende avait découvert le complot d’un certain

nombre de sociétés américaines dirigées par l’ITT (qui était le propriétaire de la Compagnie

de Téléphones du Chili) pour empêcher que le Parlement confirme la victoire de l’unité

populaire (partis de gauche). Le même gouvernement Allende qui, en 1972, avait publié le

rapport Les documents secrets de l’ITT et la République du Chili dans lesquels sont reproduits

les mémorandums (en anglais et dans une traduction en espagnol) envoyés à de hauts

responsables de la multinationale ITT par des agents américains au Chili en vue d’intervenir

!58

sur le processus démocratique du gouvernement chilien (Secrétariat général du

Gouvernement, 1972).

D’après Cordua et Klima (2017), le Ministre de la coordination économique de cette

époque, Raúl Sáez, n’était pas en accord avec les montants de l’indemnité, il a alors négocié

en compensation un partenariat avec ITT pour fonder la Fondation Schiller pour une période

de 15 ans. Dans cet accord, ont été mentionnés les caractéristiques que devait avoir ce centre

technologique. Depuis sa naissance, son rôle a consisté en la collaboration avec le secteur

productif national pour exécuter des projets de développement en matière de gestion et de

transfert technologique dans les zones industrielles avec de plus grandes possibilités de

croissance, comme l’extraction minière, l’agriculture, la pêche et la production forestière. À la

Fondation Schiller ont été accordées des franchises fiscales et, compte tenu de son autonomie,

la seule entité qui pouvait connaître ses opérations était jusqu’à présent le Contrôleur

général de la République. En outre, les fondateurs, c’est-à-dire l’État du Chili et ITT ont

décidé d’apporter à la Fondation, à parts égales et pendant dix ans, un fonds patrimonial total

de US$50 millions.

ITT a intégré le conseil de direction durant les années 1976-1991. Le premier

Président du Conseil a été le général d’armée en retraite Manuel Pinochet, qui à l’époque

présidait la Commission nationale de la science et de la technologie, CONICYT. La Fondation

Schiller dépend exclusivement du Président de la République qui peut nommer des directeurs

au nom de l’État. Initialement avec 50 % de participation pour le gouvernement du Chili et

l’autre 50 % pour ITT Corporation (États-Unis). En 2005, la société minière (BHP Billiton)

s’est associée à la Fondation. Actuellement, le conseil d’administration de FS est donc

constitué par un 50 % du Gouvernement, 33 % d’ITT Corporation et 17 % par la compagnie

minière (Cordua & Klima, 2017).

2.9. Le modèle de la Fondation Schiller : la création d’entreprises en tant que

mécanisme de transfert technologique

La Fondation Schiller s’est intéressé à différents secteurs industriels stratégiques : le

secteur alimentaire, la sylviculture, les industries minières, les énergies renouvelables, etc.

Selon Cordua et Klima (2017), plus de 5000 professionnels ont travaillé dans les différents

projets de la Fondation.

!59

Le travail de la Fondation Schiller consiste à détecter et sélectionner des secteurs ou

domaines d’action à haut potentiel économique où sont transférés des techniques de la façon

la plus rapide et économique possible, puis de diffuser les résultats par le biais d’entreprises

exemplaires. L’idée est de fournir les informations nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre

ces innovations dans les secteurs industriels ou dans l’État. Selon Fondation Schiller,

lorsqu’une entreprise exemplaire fonctionne, elle est pleine de données, tels que le montant de

l’investissement, les dépenses opérationnelles, le montant des bénéfices.

Une fois que Fondation Schiller parvient à démontrer les avantages d’une nouvelle

technologie, elle revend ces entreprises et incite ainsi d’autres entrepreneurs à les reproduire,

en fonction de leurs caractéristiques et des résultats obtenus (Cordua & Klima, 2017).

Selon Cordua et Klima (2017), durant la période 1976-1990, les projets qui ont été

développés sous le modèle d’entreprises exemplaires appartenaient au domaine de

l’alimentation, comme l’élevage des saumons, les plantations de baies ou les semences

d’huîtres du Pacifique. Ces espèces n’existaient plus dans le pays et le Chili en est devenu

l’un des principaux producteurs au niveau mondial, en particulier pour le saumon.

2.10. Les projets de la Fondation Schiller dans l’éducation

FS est une institution semi-publique consacrée au développement et à l’articulation

des biens publics, comme par exemple la construction de normes, de la certification et de

soutien aux politiques publiques.

En 1996, FS a créé le Programme de gestion scolaire et le portail web EducarChile

avec des fonds publics et l’appui d’entreprises privées, de fondations et institutions

internationales comme la Banque Mondiale, la Compagnie de Téléphones du Chili, la

Fondation Andes, la Fondation Ford et l’OEA (Cordua & Klima, 2017).

La Fondation, qui possédait déjà une expérience dans les processus de certification

dans différents secteurs économiques a élaboré conjointement avec l’Université Catholique un

modèle de gestion scolaire de la qualité pour certifier les établissements dans le cadre d’un

projet FONDEF (1999-2005) . Fondation Schiller a alors constitué un Conseil national de 5

FONDEF N° D99/1007 (2000). Système d’auto-évaluation et certification de la qualité de la gestion 5

scolaire, Brunner, J. (dir.), Projet de politiques comparées de l’enseignement supérieur en Amérique latine, avec le soutien de la Fondation Ford.

!60

Certification de Qualité de la Gestion scolaire (CNCGE) et un réseau national de consultants.

Le CNCGE était initialement composé de 13 membres provenant du milieu éducatif.

Jusqu’à aujourd’hui, plus de 140 écoles ont reçu un label de qualité.

Ce programme a incité le développement ultérieur d’un autre type d’initiatives, qui a

formé au total 1200 directeurs en administration et gestion scolaire.

Le portail EducarChile a été un autre projet financé par la Banque Interaméricaine de

Développement (BID) dans le cadre d’un réseau latino-américain de portails éducatifs

(RELPE) sur lequel les membres pouvaient échanger librement leurs expériences et les

contenus qu’ils produisaient.

À partir de 2003, lorsque le portail EducarChile a été consolidé, le Ministère

l’Éducation a commencé à l’utiliser. Dans le contexte de ce projet le premier test pré-

universitaire gratuit et en ligne a été créé en 2003, PSU-Educarchile, un an avant le début de

l’épreuve de sélection universitaire (PSU).

Entre les années 2006 et 2014, d’autres programmes associés au modèle de la qualité

ont été mis en œuvre.

Le programme Mejor Escuela (Meilleure École) a commencé en 2006, il visait à

améliorer les résultats des écoles au test SIMCE.

Le Conseil prévoit la participation de deux consultants spécialisés dans les domaines

de la gestion institutionnelle et pédagogique pour accompagner les directeurs et les

enseignants de l’école pendant les trois années de mise en œuvre du processus, ceci tout en

effectuant des visites hebdomadaires de l’établissement. En outre, il prévoit la livraison de

matériel éducatif pour les professeurs et les élèves (Cordua & Klima, 2017).

Le programme Mejor Liceo (Meilleur Lycée) consiste en la même intervention sur des

établissements secondaires et le programme Mejor Liceo Técnico (Meilleur Lycée Technique)

sur les établissements secondaires techniques (Cordua & Klima, 2017).

Ensuite le domaine de l’éducation a créé le réseau « Escuelas Líderes » (Écoles

Leaders) pour diffuser les expériences d’écoles se trouvant dans des contextes vulnérables et

effectuant des innovations pédagogiques. Chaque année, de nouvelles écoles sont

sélectionnées pour intégrer le réseau et un séminaire international est organisé pour environ

un millier de cadres et d’enseignants. FS invite les meilleurs experts internationaux à exposer

les nouvelles tendances et approches de l’éducation. Habituellement le programme traduit la

!61

principale publication de la personne invitée, l’imprime et la distribue aux participants. Cette

procédure aide à la bonne compréhension du point qui précède et permet à l’enseignant de

conserver le matériel utilisé. Actuellement, le réseau comprend un total de 110 écoles. Les

établissements qui participent chaque année au programme sont élus par voie de concours.

Toutes les dépenses du programme sont financées par la compagnie Minière Escondida (BHP)

et la Fondation d’éducation Arauco. De fait, la Fondation Schiller recherche la participation

des entreprises en faisant appel à leurs programmes de responsabilité sociale (Cordua &

Klima, 2017).

Enfin, c’est ainsi que FS a créé plus de 76 entreprises, et apporté plus de US$ 2

milliards à l’économie chilienne. Selon la Banque Mondiale (2014), elle est l’organisation

chilienne sans but lucratif qui est la plus proche du modèle entrepreneurial et qui soutient

l’innovation.

2.11. La création d’un Conseil privé pour attribuer le label de qualité (2003)

FS a créé deux organismes qui fonctionnent séparément, le Conseil National de

Certification de la Gestion Scolaire (CNCGE), qui est le seul organisme qui accorde la

certification de la qualité aux écoles et aux lycées du Chili depuis 2002 d’une part, et le réseau

de plus de 300 consultants accrédités et formés par la Fondation Schiller (Uribe, 2008), qui

sont répartis dans toutes les régions du pays d’autre part.

Le modèle de FS est axé explicitement sur la gestion. Dans un texte sur le modèle, des

cadres (Weinstein & Uribe, 2010), le justifient comme un dépassement de « la vision

réductrice qui met en équivalence de qualité avec les résultats d’apprentissage des élèves » (p.

188). Par contre, pour eux, la qualité de l’éducation serait « une résultante complexe des

aspects proprement pédagogiques, mais en même temps des variables organisationnelles qui

fournissent des conditions favorables dans la salle de classe en matière de formation et

d’apprentissage » (p. 188).

Weinstein et Uribe (2010) disent que le pilotage par la qualité a été légitimé face aux

autorités ministérielles et les divers acteurs du système, en particulier les écoles, selon eux,

grâce à la large représentation du Conseil . Ce réseau national a permis à près de 1000 6

Le Conseil national de Certification de la Gestion scolaire (CNCGE).6

!62

établissements de passer au moins par le processus d’auto-évaluation avec les questionnaires

de satisfaction que propose le modèle de qualité sur sa plate-forme en ligne..

Sur les établissements qui se présentaient à l’évaluation externe, 49 %

correspondent aux établissements subventionnés qui avaient terminé le processus

d’amélioration avec un des consultants de FS. Selon, les cadres du secteur de l’éducation de

FS, Weinstein et Uribe (2010), ces établissements « cherchent à se différencier de façon

positive du reste de l’offre éducative existante » (p. 197). Par ailleurs, concernant les

établissements municipaux, qui représentent 40 % du système, ils affirment que ceux-ci

« voient une possibilité d’empêcher la baisse plus importante que subit l’éducation publique

en termes de scolarisation et de préférence des citoyens » (p. 197).

2.12. La création d’un réseau national privé de consultants en qualité (2003)

La plupart des 300 consultants du réseau de Fondation Schiller ont été accrédités par

le CNCGE, ont participé à un processus de professionnalisation qui repose sur la pratique

guidée dans des établissements avec les mêmes outils qui seront utilisés ultérieurement dans

les établissements qu’ils accompagneront eux-mêmes. Le nombre de consultants actifs ne

dépasse pas les 10 % de ce total.

La première promotion de consultants (2003) a été financée intégralement par le projet

FONDEF.

2.13. Description du modèle privé de qualité de Fondation Schiller

Ce modèle se compose de six domaines : orientation vers les élèves, leurs familles et

la communauté ; leadership de la direction ; gestion des compétences professionnelles des

enseignants ; planification ; gestion de processus et gestion des résultats.

Orientation vers les élèves, leurs familles et la communauté, avec une pondération de

9,6 % et 5 indicateurs qui font référence à la manière dont l’établissement s’informe

sur leurs attentes et leur niveau de satisfaction (des mêmes), afin de pouvoir

correctement analyser la manière dont l’établissement favorise et organise la

participation des élèves, des familles et de la communauté à la gestion scolaire

(Weinstein & Uribe, 2010 ; Uribe, 2008) ;

!63

Leadership de la direction, avec une pondération de 9,6 % et 5 indicateurs sur la

manière dont les autorités de l’établissement s’orientent vers l’obtention de résultats,

la satisfaction des bénéficiaires et des utilisateurs et à l’« agrégation de valeur » dans

la performance organisationnelle. Cela comprend aussi la mise en place de

mécanismes de participation de la communauté à la mission et aux objectifs

institutionnels. Il considère également la manière dont les cadres rendent des comptes

et assument la responsabilité publique par les résultats des établissements (Weinstein

& Uribe, 2010 ; Uribe, 2008) ;

Gestion des compétences professionnelles des enseignants, avec une pondération de

13 % et 7 indicateurs, comprend le développement des compétences des enseignants

et considère la conception et la mise en œuvre de systèmes et de mécanismes de

soutien pour générer un leadership pédagogique, l’intégration des équipes de travail,

le domaines de contenus pédagogiques et des ressources didactiques. Ce qui se traduit

dans les systèmes qui supposent l’existence et l’utilisation de profils de compétences

des enseignants, qui permettent les processus de sélection, de formation, de

promotion et de découplage des professionnels de l’institution (Weinstein & Uribe,

2010 ; Uribe, 2008) ;

Planification, avec une pondération de 17 % et 9 indicateurs, ce domaine concerne les

systèmes et procédures systématiquement utilisés par l’établissement pour aborder les

processus de planification (Projet éducatif institutionnel et du Plan annuel), la

conception du suivi, l’évaluation des processus et des résultats prévus (Weinstein &

Uribe, 2010 ; Uribe, 2008) ;

Gestion de processus, avec une pondération de 27 % et 14 indicateurs aborde le

développement systématique des processus institutionnels dans le domaine des

programmes scolaires, pédagogique, administratif et financier. La dimension des

programmes scolaires et pédagogiques, considère les procédures et mécanismes qui

assurent l’adéquation et l’amélioration de l’offre des programmes scolaires, sa bonne

programmation, mise en œuvre, de suivi et d’évaluation en classe, en assurant la

qualité des processus d’enseignement et d’apprentissage des élèves. Il incorpore des

éléments de l’innovation et des projets développés au service des apprentissages.

Dans sa dimension administrative il considère l’installation des procédures d’appui à

!64

la gestion de l’éducation, tels que les règlements internes, registres, normes, définition

des rôles et des fonctions, des ressources pédagogiques, d’infrastructures etc. Dans sa

dimension financière il comprend des contrôles budgétaires, des systèmes d’achat,

l’obtention et l’allocation de ressources à des projets institutionnels (Weinstein &

Uribe, 2010 ; Uribe, 2008) ;

Gestion des résultats, avec une pondération de 21 % et 11 indicateurs comprend

l’analyse des résultats de l’apprentissage des élèves, mesurés en termes absolus et

relatifs ; l’efficacité organisationnelle exprimée en termes de satisfaction des

bénéficiaires et des utilisateurs ; les résultats financiers et la réalisation des objectifs

annuels et la façon dont sont utilisés les résultats pour la prise de décisions concernant

les processus de l’établissement (Weinstein & Uribe, 2010 ; Uribe, 2008).

Les indicateurs de gestion, qui étaient au nombre de 79, ont été réduits à 74, et enfin à

52 indicateurs.

2.13.1. Brève description des procédés de certification de la qualité scolaire

Le cycle d’amélioration continue (CMC) désigne les étapes que les établissements

doivent passer pour obtenir la certification. Ces cinq étapes sont successives et prennent fin

lorsque l’établissement décide de procéder à l’évaluation externe pour obtenir le label de

qualité.

Dimensionnement. Avant de demander l’auto-évaluation, l’équipe de gestion doit

compléter le dimensionnement de l’établissement pour obtenir le nombre d’enquêtés

nécessaires pour mener à bien le processus de diagnostic. Si l’établissement demande

une auto-évaluation avec une indication erronée dans le dimensionnement, cette

donnée ne peut être changée par le responsable du processus dans l’établissement.

Pour modifier ces données ils doivent contacter l’administrateur du système en FS

pour modifier la taille des échantillons. Ils reçoivent une clé pour accéder au système

pour entrer les résultats des enquêtes. Cette clé est différente de celle qui est

nécessaire pour accéder au CMC.

Processus d’auto-évaluation. Le processus d’auto-évaluation est la base de tout le

processus de certification. Les résultats des enquêtes auprès des enseignants, des

chefs d’enseignants, élèves et parents sont présentés dans un rapport. Les résultats de

!65

l’auto-évaluation seront considérés, ultérieurement, dans le plan d’amélioration et

dans les rapports d’évaluation externe.

Plan d’amélioration. À partir des domaines critiques identifiés par l’auto-évaluation,

un plan peut être conçu pour se concentrer sur les faiblesses dans ces domaines et sur

ses indicateurs. Si ce processus d’amélioration est terminé, l’établissement peut

postuler à une évaluation extérieure pour obtenir la certification.

Collecte et fabrication de preuves. Bien que cette phase soit postérieure à celle de

l’auto-évaluation, il est possible de réaliser les deux en même temps. Alors que les

divers acteurs répondent aux enquêtes, l’équipe de direction peut faire avancer la

collecte ou la fabrication de preuves pour chacun des indicateurs de gestion de qualité

qui décrit le modèle.

Évaluation externe. Lorsqu’on complète le cycle d’amélioration continue, il est

possible de demander l’évaluation externe au CNGCE. Les établissements sont

présentés volontairement à la certification et doivent payer l’évaluation externe à FS

(environ 6000 euros). L’évaluation externe confère une valeur finale. Si

l’établissement obtient un score minimum de 70 %, il peut être considéré comme

certifiable.

2.14. L’expansion du modèle de certification de la qualité à travers l’alliance avec

la Fondation Brésil

En 2010, la Fondation Schiller a élargi son modèle au Brésil comme le fruit de

l’alliance avec la Fondation Brésil . Les deux organisations ont mis en place au Brésil un 7

cours de consultants en gestion scolaire dans le but d’installer le modèle dans 85 écoles

publiques et privées de différentes villes brésiliennes, comme São Paulo, Bahia, Belo

Horizonte, Rio de Janeiro et Brasilia. Les élèves brésiliens de Fondation Brésil ont fait partie

du cours de consultants à Santiago du Chili (Diario La Tercera, 2010) . 8

La Fondation Brésil (c’est le nom choisi pour maintenir l’anonymat) est une organisation à but non 7

lucratif créée l’année 1996 qui a pour mission de soutenir les institutions d’éducation et de la santé du Brésil à travers de la mise en œuvre de programmes de conseils en gestion organisationnelle.

Diario La Tercera, le 13 avril de 2010 <http://www2.latercera.com/noticia/fundacion-chile-inaugura-8

curso-de-gestion-educativa-en-brasil/>

!66

Comme résultat de l’alliance entre la Fondation Schiller et la Fondation Brésil, le

premier Conseil National de Certification de la Qualité de la Gestion Scolaire (CNCGE) a été

créé à Brasilia en 2011. Le directeur du programme de gestion et de direction scolaire de la

fondation et Jorge Winter, directeur du domaine de l’éducation de Fondation Schiller ont

participé à la cérémonie d’inauguration.

Le Conseil de la Fondation Brésil est constitué par l’ex-ministre de l’éducation de Sao

Paulo, Guiomar Namo de Mello, Simon Schwartzman, de l’American Institute for Research ;

Ivania Siqueira, directrice de l’OEI au Brésil ; Marcos Magalhaes, entrepreneur qui a lancé un

nouveau modèle d’école secondaire dans les États du nord-est du Brésil et María Auxiliadora

Seabra Resende, présidente du Conseil national des secrétaires de l’éducation (CONSED)

(Diario La Nación, 2011) . 9

La Fondation Brésil avait reproduit l’initiative en tant que programme pilote dans plus

de 45 écoles dans son pays en l’adaptant à la réalité scolaire brésilienne. L’institution a

développé le Cycle d’amélioration continue, a créé la version locale du cours de formation de

consultants en gestion scolaire et a élaboré des profils de compétences des enseignants et des

directives pour les professionnels brésiliens.

2.15. L’émergence du modèle public de qualité : le SACGE (2003-2008)

Un an seulement après que FS ait lancé son modèle de certification de qualité scolaire,

le Ministère de l’Éducation Nationale (MINEDUC), pour éviter probablement que le

dispositif de contrôle des établissements soit entre les mains du privé (MINEDUC, 2005a), a

réagi et a lancé son propre modèle de qualité qu’il a appelé Système d’Assurance de la

Qualité de la Gestion Scolaire (SACGE). Mais le SACGE a été abandonné entre 2007 et 2008

(Donoso & Alarcón, 2012) et n’a ressurgi qu’en 2008, avec l’entrée en vigueur de la loi de la

subvention scolaire préférentielle (SEP, 2008), qui a fourni de nouvelles ressources aux

engagements pris dans les plans d’amélioration des zones de SACGE.

Diario La Nación, le 27 mai 2011 <http://lanacion.cl/2011/05/27/brasil-replica-modelo-de-9

certificacion-de-gestion-escolar-de-fundacion-chile/>

!67

2.16. La nouvelle loi LGE qui remplace la loi LOCE de Pinochet comme une

réponse au mouvement des étudiants du secondaire

En 2006, au cours du premier gouvernement Bachelet, le mouvement des étudiants

émerge et commence à exiger plus d’équité et de qualité dans le système éducatif, en mettant

en évidence le profit des propriétaires des établissements comme étant le principal problème

du système. Ce mouvement a joui d’un large soutien citoyen (Martinic, 2010). Des

manifestations massives d’étudiants dans les principales villes du pays ont eu le soutien de

l’opinion publique, selon les enquêtes de la même année, 87 % des Chiliens était en faveur

des exigences des étudiants (OCDE & Banque Mondiale, 2009).

Les mobilisations des « pingüinos » (pingouins), comme on appelle les élèves du

secondaire au Chili à cause de la couleur de leurs uniformes provenaient, en grande partie de

lycées municipaux. Les élèves constataient que la différence des résultats pour accéder à

l’université, c’est-à-dire les notes obtenues à l’épreuve d’accès, la PSU, était très importante.

En fait, les jeunes dont les familles ont les ressources suffisantes pour payer un meilleur

établissement privé ou subventionné peuvent entrer dans les carrières d’élite et les meilleures

universités publiques.

Compte tenu du large soutien des demandes d’étudiants, la présidente Bachelet a

convoqué un Conseil consultatif présidentiel de l’éducation auquel ont participé plus de 80

représentants du mouvement étudiant et les experts et représentants de droite, du centre et de

gauche (Cox, 2012).

Les étudiants ont obtenu, par la rédaction d’un document préliminaire (pré-projet de

loi), l’Accord pour la qualité de l’éducation (2007), approuvé en 2009, après beaucoup de

débats au parlement.

La Loi Générale sur l’Éducation ([LGE], 2009) a remplacé la loi organique

constitutionnelle relative à l’éducation (LOCE, 1990) que Pinochet avait créée et réglée pour

le système éducatif pendant plus de 20 ans.

Selon Cox (2012), cette nouvelle loi n’en termine pas avec le profit des propriétaires

d’établissements ni avec la sélection qu’effectuent les établissements pour attirer les étudiants

ayant de meilleurs résultats. Ceux qui sont les plus faciles et les moins coûteux à éduquer et

qui permettent à l’établissement de concurrencer les autres établissements au SIMCE.

!68

2.17. La subvention scolaire préférentielle (2008)

La loi SEP (2008) consiste à donner un deuxième voucher aux établissements qui 10

reçoivent les élèves les plus vulnérables. Selon MINEDUC (2018) la subvention scolaire

préférentielle (SEP) est une loi visant à donner des ressources publiques pour améliorer 11

l’équité et la qualité de l’enseignement des établissements d’enseignement subventionnés.

Cette subvention supplémentaire est remise aux responsables d’établissements et est destinée

aux élèves prioritaires, que le MINEDUC définit comme étant des élèves issus de familles

disposant de conditions socio-économiques défavorables ne leur permettant pas de participer

au processus éducatif à égalité de conditions.

Le MINEDUC (2010) soutient que la nouvelle subvention (SEP, 2008) qui apporte des

ressources considérables, vise à améliorer la qualité et l’équité de l’éducation. La loi SEP

représente 50 % d’augmentation par rapport à la subvention ordinaire. Pour Weinstein,

Fuenzalida et Muñoz (2010) , ceci est optimal car ce sont les établissements eux-mêmes qui 12

reçoivent ces ressources et qui, mieux que personne, savent à quoi doivent être destinées ces

ressources pour améliorer des résultats des élèves. Dans le but d’éviter la mauvaise utilisation

de ces financements, la loi SEP (2008) oblige chaque établissement à élaborer des plans

d’amélioration de l’éducation (PME) et à établir des objectifs de score SIMCE devant être

atteints dans un délai de quatre ans.

Une première phase a concerné les élèves de l’enseignement primaire et préscolaire et

le dispositif est maintenant étendu aux étudiants de l’enseignement secondaire. La loi

reconnait ainsi, d’après Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010) et comme l’affirme Mizala

(2008), que l’éducation des enfants, ayant une plus grande vulnérabilité socio-économique,

est plus difficile et nécessite davantage de ressources économiques.

Afin d’éviter qu’il s’agisse uniquement d’une politique d’assistance, selon Marcel et

Raczynski (2009), les établissements qui reçoivent cette subvention doivent élaborer et mettre

en oeuvre un plan d’amélioration. De cette manière, d’après Weinstein, Fuenzalida et Muñoz

Loi 20.428 (2008).10

Repére´à https://www.ayudamineduc.cl/ficha/antecedentes-generales-sep-1011

!69

(2010), la décentralisation est renforcée parce qu’on donne la possibilité aux propriétaires des

établissements de gérer la mise en place des systèmes de qualité d’une manière plus simple.

Espínola et Claro (2010) affirment que l’allocation des ressources provenant de la loi

SEP (2008) introduit un facteur de correction, parce qu’une subvention égale pour tous les

étudiants était un mécanisme de financement régressif qui favorisait l’inégalité des résultats.

Ces nouvelles ressources représentent une augmentation allant jusqu’à 60 % de la

valeur de la subvention par élève vulnérable.

Selon Mena et Corbalán (2010), les établissements qui adhèrent à la convention

peuvent recevoir la subvention SEP (2008), destinée aux élèves prioritaires. Ils doivent pour

cela renoncer à la possibilité de sélectionner les élèves et au financement partagé. L’idée est

de ne pas choisir les meilleurs élèves du groupe prioritaire pour concurrencer les autres

établissements, et ainsi, selon eux, éviter de « masquer sa productivité pédagogique et fausser

les évaluations de performance » (p. 348).

Pour Elacqua, Mosqueira et Santos (2009), 60 % des établissements privés

subventionnés participent à la SEP. En plus, selon les auteurs, de nombreux collèges privés

appartenant à des sociétés de tout type, religieuses et professionnelles, qui s’occupent des

enfants vulnérables et qui ne perçoivent pas de financement partagé, participent à la SEP.

Toutefois, d’après Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010), il y aurait des difficultés

internes au MINEDUC qui affecteraient la mise en oeuvre des ressources SEP. C’est la grande

rotation de personnel, due aux changements de gouvernement qui par deux fois sont passés de

gauche à droite, ce qui a affecté les délais de mise en œuvre de révision et d’approbation des

plans d’amélioration et aussi qui ont affecté sérieusement la mise en oeuvre des améliorations.

Les établissements des municipalités ont beaucoup de difficultés financières, c’est

pourquoi 99,9 % des établissements municipaux ayant des élèves prioritaires sont entrés dans

le système SEP (Marcel & Raczynski, 2009). Enfin, selon le MINEDUC (2010), ce sont déjà

6740 établissements qui ont adhéré au système de subvention SEP, ce qui équivaut à environ

95 % des établissements. Ils ont tous dû élaborer leurs plans d’améliorations qui doivent être

approuvés par le Ministère pour recevoir la subvention.

Pour CEPPE-Fondation Chili (2010), cette loi est une très bonne occasion pour

améliorer la qualité de l’éducation et décentraliser les actions d’amélioration, car c’est la

communauté éducative elle-même qui décide des actions à réaliser et de quelle manière vont

!70

être utilisées les ressources. Selon CEPPE-Fondation Chili (2010), adhérer à la SEP a

cependant des coûts associés, tels que le temps investi pour postuler et pour élaborer le plan

d’amélioration. Les établissements se mettent alors au service de la SEP, ils doivent canaliser

leurs énergies, leur temps et des ressources humaines pour ne pas échouer dans la mise en

oeuvre des améliorations. Ceci a aussi pour effet de les détourner d’autres tâches importantes

pour les enseignants et les élèves.

Un des aspects positifs, selon Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010), est une plus

grande implication dans les tâches éducatives des propriétaires des établissements qui, jusqu’à

présent, étaient exclusivement concentrés sur l’administration financière. Dans le cas des

municipalités, d’après les auteurs, les unités techniques ont été renforcés pour mettre en

oeuvre ces améliorations et il a fallu recruter des assistants techniques.

2.18. L’apparition des Agences d’Assistance Technique (2008)

Durant l’année 2008, lorsque la loi SEP (2008) a augmenté la subvention pour les

étudiants des secteurs les plus vulnérables, le répertoire des institutions privées d’assistance

technique (ATE) a été créé. Selon le MINEDUC (2018) , le répertoire ATE est : 13

Un registre public de personnes ou entités pédagogiques et techniques d’appui, qui

peuvent fournir des conseils ou des services d’appui aux établissements

d’enseignement, pour l’élaboration, la mise en oeuvre et/ou le suivi du Plan

d’amélioration éducative (PME). Le registre est constitué de personnes, entreprises et

institutions d’enseignement supérieur, qui doivent respecter les conditions énoncées

dans le règlement et passer par un processus de révision pour pouvoir être validées et

habilitées par le MINEDUC pour intégrer le répertoire ATE.

Cet annuaire d’assistance technique éducative est composé de personnes qui sont des

experts en gestion scolaire et d’entreprises, de cabinets conseil, universités, fondations, etc.

C’est ainsi que les écoles et les lycées qui s’occupaient des enfants vulnérables avec le

deuxième voucher de la subvention scolaire préférentiel (SEP) se sont transformés en une

immense opportunité pour les entreprises qui font partie du répertoire ATE.

La première année 100 agences ont été inscrites au registre public des ATE. Ce sont

désormais plus de 800. Les ressources SEP qui sont arrivées à destination ont eu un impact

Article 2 de la Loi N° 20.248. 13

!71

positif sur les résultats SIMCE des élèves ayant moins de ressources. Difficile de savoir s’il

s’agissait de vocation publique ou seulement d’opportunisme de l’entreprise, mais avec

l’apparition de la loi SEP (2008) les efforts se sont concentrés. FS, pour gagner ces fonds, a

aussi créé deux programmes, ML et ME , déjà inscrits dans le répertoire ATE, pour postuler 14 15

à ces appels d’offres. Les établissements cherchent à être accompagnés dans le processus

d’élaboration et mise en œuvre du Projet d’amélioration de l’éducation (PME) dans quatre

domaines : gestion pédagogique, leadership, coexistence scolaire et gestion des ressources.

Sur le site web d’ATE est publié le répertoire des services d’assistance technique éducative

validées par le MINEDUC où apparaissent aussi les résultats publiés d’une évaluation de leur

travail, en tant que consultants, sur la base des réponses à un questionnaire de satisfaction que

doivent renseigner les directions des établissements.

Les ATE reposent sur l’hypothèse que bien qu’on leur fournisse des ressources, les

établissements ne peuvent pas s’améliorer seuls (Weinstein, Fuenzalida & Muñoz, 2010).

Selon Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010), la sélection des ATE est devenue une

tâche essentielle pour les établissements. Dans les municipalités, selon les auteurs, il existe

désormais un directeur SEP, car les ressources concernées sont importantes. Un autre

problème, selon Vanni et Bravo (2010), est que les ATE sont concentrées dans quelques villes

du Chili et en particulier à Santiago. L’État, paradoxalement n’a pas mis au point de normes

de qualité ni de système d’accréditation pour les ATE et le MINEDUC a été incapable de

contrôler que les ressources qui s’adressent aux enfants les plus vulnérables du système aient

été bien utilisées.

2.19. Grands changements des règles du jeu : création de l’Agence de Qualité de

l’Éducation (2011)

En 2006, après plusieurs mois de mobilisation, les élèves du secondaire ayant occupé

leurs établissements et étant sorti dans les rues pour demander à la présidente Bachelet

l’abrogation de la loi LOCE (1990) de Pinochet, qui avait privatisé l’éducation, ont obtenu

l’abrogation de la loi puis la formulation d’une nouvelle par le gouvernement.

L’acronyme utilisé pour le programme Mejor Liceo (Meilleur Lycée).14

L’acronyme utilisé pour le programme Mejor Escuela (Meilleur École).15

!72

En 2011, avec la relance du mouvement des étudiants, le gouvernement a constitué un

groupe d’experts, le Conseil consultatif présidentiel, pour élaborer des réponses pour les

étudiants. Une des recommandations du Conseil a été la création d’une direction générale et

d’une Agence de la Qualité de l’Éducation (Uribe, 2008) pour contrôler les 7000

établissements du système qui ne dépendent pas de l’État. Ainsi, pendant l’année 2011, deux

institutions ont été créées : la Surintendance de l’éducation et l’Agence de qualité de

l’éducation qui consolide le pilotage par la qualité comme dispositif de contrôle du système

d’éducation.

Selon l’ACE (2015), le SAC va cibler les écoles ayant les plus mauvais résultats.

Le travail principal de l’ACE sera d’établir des rapports et de les communiquer aux

établissements et aux familles des enfants, malgré le fait que ceci soit une perte de temps et de

ressources économiques selon certains auteurs (Vanni & Bravo, 2010).

Dans son rapport final, le conseil (MINEDUC, 2006) a proposé que le Ministère

élabore des indicateurs pour évaluer la qualité de l’éducation. Ainsi, on redéfinissait certaines

fonctions du Ministère de l’éducation, exercées dans leur intégralité par deux nouvelles

agences de l’État, l’Agence de la qualité de l’éducation et la Direction générale de l’éducation

scolaire.

L’ACE, depuis sa création, est aussi en charge de la mise en œuvre du SIMCE afin

d’évaluer les résultats de l’apprentissage et d’autres indicateurs de qualité et de performances

des établissements pour pouvoir les orienter dans leur activité institutionnelle et pédagogique,

mais aussi d’informer la communauté scolaire de ces processus.

La SE est chargée de contrôler le respect de la réglementation nécessaire au

fonctionnement des établissements dans un contexte de qualité, d’assurer un bon usage des

ressources, en outre d’étudier et de répondre aux plaintes en agissant en tant que médiateur

dans les cas nécessaires. La SE va contrôler l’utilisation des ressources et le respect de la

réglementation de l’éducation, recevoir les plaintes et revendications, et prévoir des sanctions,

de sorte que les écoles respectent les besoins minimaux des étudiants. Maintenant, le

Ministère de l’Éducation se concentrera sur la fourniture des appuis techniques et

pédagogiques que les écoles demandent pour commencer à améliorer leurs savoir-faire.

!73

En outre, l’ACE est chargée de coordonner la mise en œuvre d’enquêtes

internationales comme PISA, TIMSS et TERCE, entre autres, qui permettent de comparer les

savoir-faire avec d’autres pays.

L’autre rôle est d’évaluer chaque établissement conformément aux autres indicateurs

de la qualité de l’éducation avec des questionnaires de satisfaction adressés aux différents

acteurs de la communauté éducative et pouvant influer sur le processus d’apprentissage :

climat de coexistence scolaire, habitudes de vie saine, estime de soi et motivation scolaire, la

participation et la formation des citoyens, l’assistance scolaire, de rétention, d’équité entre les

sexes et la qualification professionnelle et technique.

Le système de l’ACE se fonde sur les résultats de l’apprentissage dans tous les

domaines : résultats des élèves par rapport à des normes d’apprentissage et degré de respect

des autres indicateurs de qualité de l’enseignement. On prend aussi en compte la vulnérabilité

des élèves de l’établissement.

La gestion des établissements d’enseignement primaire et secondaire est présentée en

quatre niveaux de performance : haute, moyenne, moyenne-basse et insuffisante. Ces quatre

catégories de résultats sont focalisées sur les établissements qui l’exigent le plus. Une fois que

les résultats de ce processus sont diffusés aux établissements, ils reçoivent un appui technique

pédagogique qui peut être demandé au ministère sous forme directe ou au travers d’une

assistance technique éducative (Agence de la qualité de l’éducation, 2015).

Si après trois ans, l’établissement ne présente pas d’amélioration significative, on

informe les parents et représentants légaux de cette situation et on leur indique les 30

établissements les plus proches se trouvant dans une catégorie supérieure. Si après quatre ans,

l’établissement reste dans la catégorie de performance insuffisante, l’ACE atteste cette

situation et l’établissement perd la reconnaissance officielle et sa subvention (Agence de la

qualité de l’éducation, 2015).

L’évaluation indicative de la performance des établissements d’enseignement et de

leurs propriétaires se concentre sur les processus de gestion et considère les normes

indicatives de performance élaborées par le ministère et approuvées par le Conseil National de

l’Éducation. Leur périodicité est déterminée sur la base de la gestion des établissements, de

plus en plus fréquent. Les visites aux établissements classées dans les dernières catégories

auront comme résultat un rapport public portant sur leurs points forts et leurs faiblesses et

!74

mentionnant des recommandations pour les aider à identifier les efforts qu’ils doivent

entreprendre.

Les inspections sont appelées, dans le modèle SAC, des visites d’évaluation et

d’orientation. Ces visites, comme celles de FS, ont une durée de trois jours et les évaluateurs

se présentent dans les établissements avec leur boîte à outils. Les inspecteurs émettent un

rapport diagnostic qualitatif qui, selon l’ACE, doit bénéficier au développement pédagogique

et institutionnel des établissements et renforcer les capacités institutionnelles et

d’autoévaluation des établissements pour promouvoir l’amélioration continue de la qualité de

l’éducation. Le rapport que livre l’ACE est de caractère public et indique les points forts et les

faiblesses de l’établissement scolaire, ainsi que les recommandations dans le but d’identifier

les efforts qui doivent être entrepris pour améliorer les possibilités d’apprentissage des élèves.

Dans le SAC, la première chose que l’établissement doit faire est de produire un

diagnostic de la situation initiale dont l’aspect principal doit porter sur les derniers résultats

concernant les apprentissages. Ce que l’ACE (2015) recommande, comme l’indiqué son site

web, est l’installation progressive d’un système de gestion des résultats permettant de

procéder à une analyse détaillée des apprentissages réalisés par les étudiants. Selon eux, la

collecte de preuves pour chaque indicateur doit permettre une économie de temps et de

ressources pour les prochaines étapes du processus d’évaluation. Selon l’ACE, le plan

d’amélioration consiste en une programmation annuelle pour améliorer les apprentissages, le

système de planification des classes, la gestion des enseignements, le renforcement

pédagogique pour les étudiants à faible rendement et tous les autres aspects de la gestion

institutionnelle.

Résumé du chapitre

Dans ce chapitre j’ai présenté un aperçu du contexte socio-historique du pilotage par la

qualité dans le monde puis réalisé une description des premiers dispositifs mis en oeuvre au

Chili. Ceux-ci ont précédé ce que la Fondation Schiller a elle-même créé jusqu’à l’émergence

de l’Agence de la Qualité de l’éducation.

Dans le chapitre suivant, je présenterai le champ de cohérence scientifique du

chercheur, présent à toutes les étapes de cette recherche, ce qui permettra de mieux situer mes

implications épistémologiques.

!75

Deuxième partie : Cadres théorique-épistémologique et méthodologique

!76

Chapitre 3 : Mon champ de cohérence scientifique

3.1. Une révision du champ de cohérence scientifique du chercheur comme

manière d’expliciter ses implications idéologiques ou secondaires

Dans ce chapitre, je vais présenter les concepts qui correspondent à mon champ de

cohérence scientifique, ceci afin de rendre plus explicites mes implications idéologiques ou

secondaires. Il s’agit des concepts de dispositif, d’individuation, d’institution, d’implication,

de singularisation, de champ de cohérence (C. de C.) et quelques autres qui m’ont servi de

repères. Toutefois ces notions ne sont que la partie consciente de la « cuisine » de ma

recherche, car, comme l’affirmait Lourau (1997a), il est probable qu’une grande partie de mon

système de référence ait été potentialisé et me soit donc inaccessible.

Les références théoriques que je mobilise articulent l’analyse institutionnelle, en

particulier les travaux de René Lourau, et des approches épistémologiques, comme celles de

Simondon, Ravatin, Callon et Latour. Elles me permettent de penser ma problématique en

tenant ensemble les dimensions individuelle et collective d’une part et les dynamiques

institutionnelle et politique d’autre part. L’appropriation de ces références a été longue et

difficile mais elle était nécessaire pour analyser le processus d’institutionnalisation du

pilotage par la qualité à partir des pratiques et des outils des consultants. Je devais changer de

logique, changer de champ de cohérence.

3.2. La notion de dispositif

Lorsque je me réfère au réseau socio-technique de la Fondation Schiller, c’est en tant

que dispositif de savoir-pouvoir (Foucault, 2004a) par lequel il a été possible

d’institutionnaliser le discours de la qualité au Chili. Je considère que dans ce réseau circulent

des micropouvoirs qui sont capables de produire de la subjectivité, de discipliner.

Effectivement, selon Deleuze (1988), pour Foucault les machines sont sociales avant d’être

techniques. En revanche, une technologie humaine pour exister est aussi une technologie

matérielle. D’ailleurs, un dispositif a besoin d’instruments pour exercer ses effets sur tout le

domaine social et ceux-ci vont être sélectionnés par un diagramme et soutenus par des

agencements (Deleuze, 1988) distribués dans des segments durs, compacts et séparés les uns

des autres, comme l’école, l’armée, la prison, etc.. A contrario, ils peuvent être transmis dans

!77

la machine abstraite que leur confère une micro-segmentarité diffuse. Ainsi, tous vont tendre à

se ressembler. La prison, par exemple, s’étend à travers les autres institutions comme une

même fonction continue et sans forme, par exemple à l’école, le quartier, l’atelier. De facto,

lorsque Akrich, Callon et Latour parlent de l’importance des objets techniques dans les

réseaux constitués par des humains, ils le font en référence à la notion de dispositif de

Foucault (Beuscart & Peerbaye, 2006). Il est vrai que Foucault a consacré sa philosophie à

l’analyse des dispositifs.

La première notion de dispositif de Foucault remplace celle d’épistémè apparue dans

son livre Les mots et les choses (1966). En fait, l’épistémè correspondait à un concept de

dispositif spécifiquement discursif, qui a évolué d’une décennie à l’autre dans l’œuvre de

Foucault. Il englobera des institutions et des pratiques, tout ce qui est social et non-discursif

(Revel, 2002). Puis, dans Surveiller et punir (1975), Foucault utilise l’acception de dispositif

panoptique capable de faire fonctionner des relations de pouvoir. Un an après, dans La volonté

de savoir (1976), il affirme que le pouvoir dans un dispositif émane de toutes les parties. Dans

cette dernière œuvre Foucault va jusqu’à affirmer que tout rapport de pouvoir constitue un

champ parallèle de savoir et à l’inverse un savoir constitue des relations de pouvoir. C’est-à-

dire qu’il n’existe pas de modèle de vérité qui ne renvoie pas à un type de pouvoir, qui

n’exprime ou n’implique un pouvoir qui s’exerce en tant que force transversale. De plus, dans

Dits et écrits (2001), on peut trouver la définition suivante du concept de dispositif : « un

ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des

aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures

administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales,

philanthropiques, bref du dit aussi bien que du non-dit » (Foucault, 2001, p. 299).

Selon Deleuze (1992) trois aspects caractérisent le concept de dispositif de Foucault.

Ils imposent une forme de connaissance, détiennent le pouvoir et sont capables de produire de

la subjectivité. Un parallèle peut donc être fait avec le concept de Rhizome dans la

philosophie de Deleuze et Guattari (1980) :

[...] des chaînons sémiotiques de toute nature y sont connectés à des modes

d’encodage très divers, chaînons biologiques, politiques, économiques, etc., mettant

en jeu non seulement des régimes de signes différents, mais aussi des statuts d’états

de choses. Les agencements collectifs d’énonciation fonctionnent en effet directement

!78

dans les agencements machiniques et l’on ne peut pas établir de coupure radicale

entre les régimes de signes et leurs objets (p. 13).

C’est précisément dans l’œuvre consacrée à Foucault, que Deleuze (1989) affirme que

le dispositif est un réseau qui a une fonction stratégique dominante et suppose une

manipulation des rapports de force supportant différents types de connaissances. En fait, à

travers les éléments d’un dispositif (appareils, institutions, savoirs, techniques) circulent un

type de pouvoir. De facto, le savoir est inséparable du pouvoir qui agence pour assujettir les

individus, c’est pourquoi Foucault, selon Deleuze (1989), parle de dispositif de savoir-pouvoir

et c’est le sens que nous préférons aussi utiliser. Enfin, ce que veut dire Foucault est que le

pouvoir est un pouvoir d’Etat, qui « apparaît lui-même comme un effet d’ensemble ou une

résultante d’une multiplicité de rouages et de foyers qui se situent à un niveau tout différent et

qui constituent pour leur compte une microphysique du pouvoir » (p. 33).

3.3. La sociologie de la traduction

La sociologie de la traduction est née dans les années 1970 comme une tentative pour

expliquer, selon Callon (2006a), « à partir d’études de cas, le processus de fabrication des faits

scientifiques et des artefacts techniques pour comprendre comment leur validité ou leur

efficacité sont établies et comment s’opère leur diffusion » (p. 267-268).

C’est un cadre analytique approprié pour l’étude de ce que jouent la science et la

technologie dans la structuration de relations de pouvoir (Callon, 2006a). En fait, expliquer

une traduction exige une analyse approfondie, pour les rendre partiellement visibles et

contrôlables (Latour, 2008).

3.3.1. La notion de traduction

Callon (2006b) a défini la traduction comme :

L’ensemble des opérations par lesquelles des énoncés sont mis en relation non

seulement les uns avec les autres [...] mais également avec des éléments matériels

(des substances, des instruments techniques), des compétences incorporées dans des

êtres humains, des procédures ou des règles. Chacun de ces éléments permet aux

autres de fonctionner, et chacun tire en partie sa signification et sa portée des relations

qu’il entretient avec les autres (p. 235).

!79

En effet, toutes les interactions peuvent être analysées comme des traductions qui

contribuent à la constitution de chaînes de traduction et par le biais de la production de 16

contenus (Callon, 2006b).

Le travail des innovateurs dans un réseau de traduction est de créer des expériences

qui favorisent les traductions successives, pour que s’articulent, s’enchaînent, en laissant de

traces et d’inscriptions (Callon, 2006b), et ainsi faciliter la connexion avec de nouvelles

traductions.

3.3.2. La notion d’acteur

La sociologie de la traduction, selon Callon (2006a), considère que la société « ne

constitue pas un cadre à l’intérieur duquel évoluent les acteurs. La société est le résultat

toujours provisoire des actions en cours » (p. 267). En fait, l’hypothèse du modèle de la

traduction est que le monde est peuplé d’acteurs. Pour Latour (2008), le monde est plein de

concaténations de médiateurs. Les acteurs, selon ce dernier auteur, sont construits par des

actions antérieures, ce que les engage à de nouvelles traductions, ce qui augmente les risques

et les occasions de divergence, mais à la fin leur permettent d’être de plus en plus stables dans

le temps. Ces acteurs, selon l’auteur, doivent laisser des traces suffisantes pour être visibles,

pour produire une différence, pour transformer, pour lancer de nouvelles traductions.

Selon Latour (2008), le terme acteur réseau, suggère que l’acteur n’est pas la source de

l’action, mais l’objectif mobile d’une grande quantité d’autres entités qui convergent vers lui.

En fait, pour l’auteur, acteur est un mot qui dirige l’attention vers une dislocation totale de

l’action. Une action qui en outre est toujours traduite. Les acteurs construits et associés au

réseau de traduction seront impliqués dans de nouvelles traductions, dans de nouveaux

partenariats avec de nouveaux acteurs. De toute évidence, cela augmente le risque de créer

des occasions de divergence. De fait, chacun de ces acteurs confrontés à des événements

inédits devient imprévisible, parce qu’il est séparé de sa trajectoire, expérimente une nouvelle

trajectoire, recompose partiellement son monde (Latour, 2008).

Ce n’est pas par hasard, selon Latour (2008), que le mot acteur vient du théâtre. Il

existe un scénario et par conséquent un metteur en scène et, en général, tout peut faire partie

Le concept de chaîne de traduction est défini par Callon (2006b) comme ce qui permet de transférer 16

l’innovation, depuis le papier au monde matériel, à travers des inscriptions circulantes.

!80

du scénario. Tous les acteurs, les cachés et les manifestes. Dans notre cas les conseillers, les

consultants et les membres du staff peuvent faire sentir leur effet. C’est pourquoi, selon

l’auteur, les acteurs sont métaphysiques, pleinement réflexifs et capables, en effet ils ont leur

propre méta-théorie concernant la manière dont les gens agissent.

Il est donc intéressant de connaître les diverses associations entre des entités dans la

chaîne de traduction (Callon, 2006b), bien que momentanées, elles sont capables de générer

de nouvelles interactions temporelles ou délocalisées qui peuvent devenir significatives et

durables.

Enfin, pour Latour (2008), le concepteur, est un metteur en scène qui non seulement

distribue leurs rôles aux acteurs, mais qui écrit aussi le scénario et effectue la mise en forme

technique selon son point de vue en tant que concepteur sur les relations nécessaires entre les

objets techniques et les acteurs humains qu’il met en scène. Certes, c’est le concepteur qui va

affiner le scénario, compte tenu de sa vision de l’histoire future que le dispositif doit mettre au

point.

3.3.3. La notion de réseau de traduction

Callon (2006b) appelle réseau de traduction le processus d’enchevêtrement de

traductions. Un réseau de traduction augmente dans la mesure où il engage un nombre

croissant d’acteurs divers qui peuvent être enrôlés à l’intérieur ou à l’extérieur du laboratoire

d’innovation des concepteurs. Tout ce qui est fait dans un réseau de traduction : les énoncés,

les dispositifs pilotes, les savoir-faire qui ont été incorporés ne vont pas à sortir de cette. De

cette manière, selon l’auteur, les traductions augmentent avec le temps leur degré de

consolidation et de robustesse, ce qui fait que les traductions sont en même temps

imprévisibles et inévitables, à un certain moment les réseaux deviennent irréversibles. Grâce

au réseau de traduction, l’apprentissage collectif peut gagner en intensité et en extension, ce

qui assure l’accumulation de savoirs et de savoir-faire (Callon, 2006b).

3.3.4. Les objets techniques qui peuvent participer d’une chaîne de traduction

Latour (2008) dit que la sociologie de l’acteur-réseau repose sur la conviction

qu’aucune science sociale ne peut être engagée si nous n’examinons pas qui et de quelle

manière participe à l’action, ce qui suppose d’intégrer des éléments que nous pourrions

!81

appeler non humains. L’auteur écrit que ce que cherche cette théorie de la traduction est

d’expliquer la durabilité et l’extension de toute interaction entre acteurs humains et non

humains. En effet, d’après l’auteur, la théorie de l’acteur réseau tente d’expliquer le paysage

hétérogène, les pouvoirs dominants de la société, les énormes asymétries, l’exercice écrasant

du pouvoir. Même si les objets ne peuvent pas être à l’origine de l’activité sociale, ils

expriment des relations de pouvoir, symbolisent une hiérarchie sociale et renforcent les

inégalités sociales, transportent le pouvoir social, objectivent l’inégalité, etc. (Latour, 2008).

Ce sont d’innombrables objets techniques qui peuvent participer d’une chaîne de

traduction. Certes des objets techniques définissent le cadre d’action, car ils représentent une

grande diversité d’utilisations pour négocier avec les autres acteurs sa participation à de

nouveaux efforts de traduction (Callon, 1986).

Akrich (2006) dit que les objets techniques participent du scénario du réseau de

traduction, accordent des rôles et des responsabilités à chacun des acteurs.

3.4. Le théâtre d’individuation des individus vivants

L’un des auteurs les plus cités dans cette thèse est Simondon. En fait, les concepts de

l’auteur, tels que l’individuation, le transindividuel ou la transduction apparaissent dans tout

ce mémoire. Pour penser la relation sujet/objet, j’ai choisi, comme le suggère Lourau (1997a),

de m’aider des concepts de Simondon.

L’œuvre de Simondon est principalement constituée par sa thèse de doctorat, soutenue

durant l’année 1958, qui a été publiée ensuite en deux tomes. Le premier volume a été publié

au cours de l’année 1964 sous le titre L’individu et sa genèse physico-biologique. Vingt-cinq

ans après, paraissait le deuxième ouvrage intitulé L’individuation psychique et collective.

Dans ces deux livres, Simondon affirme qu’il n’est pas possible de connaître l’individuation

(le processus) à partir de l’être individué, mais qu’au contraire il est nécessaire de saisir l’être

individué à partir de l’individuation. Pour Simondon, il n’existe pas une unité humaine stable,

un individu terminé, a contrario les personnes se trouvent dans un processus permanent

d’individuation. En effet, l’individu n’est pas une réalité consommée mais une réalité partielle

et relative (Alvaro, 2016). Dans le même sens, Combes (1999) affirme que pour l’auteur

l’individu vivant « n’est pas fini mais limité, c’est-à-dire capable d’un accroissement

indéfini » (p. 38). À partir de leur naissance, de leur individuation initiale, les individus

!82

vivants vont être en permanente individuation, ils vivent, ce que Simondon (1995 [1964])

appelle un « théâtre d’individuation ». Ceci est possible parce que l’individu vivant possède

une véritable intériorité, une intériorité dans laquelle l’individuation peut s’accomplir.

Simondon (2005 [1964]) affirme qu’« on comprendrait ainsi pourquoi ces catégories

d’individus de plus en plus complexes, mais aussi de plus en plus inachevés, de moins en

moins stables et auto-suffisants, ont besoin, comme milieu associé, de couches d’individus

plus achevés et plus stables » (p. 152).

Pour Lapassade, dans L’entrée dans la vie (1972), l’homme est essentiellement

néoténique, c’est-à-dire inachevé, il ne sera jamais véritablement adulte. En fait, il « naît

inachevé » et a besoin d’assistance et cet inachèvement permanent n’est pas différent de

« l’inachèvement permanent de l’espèce ».

Selon les chercheuses Bidet et Macé (2011), l’individuation est, pour Simondon,

l’interaction d’un individu et d’un environnement, à partir de phasages et de déphasages de

tensions, de conflits entre l’individu et son milieu. En effet, Simondon (2005 [1964]) va

soutenir dans toute son œuvre, que l’individuation permanente d’un être vivant progresse de

métastabilité en métastabilité. Un autre auteur, Tourneux (2016), soutient, en référence au

mode de pensée de Simondon, que jamais il n’y a une complète individuation parce qu’il n’est

pas possible qu’un individu soit vide de potentiel.

3.4.1. S’individuer en résolvant les problèmes du milieu

Un être vivant, selon Simondon (2005 [1964]), lorsqu’il résout des problèmes, non

seulement s’adapte ou modifie sa relation avec l’environnement, mais se modifié aussi lui-

même, crée lui-même de nouvelles structures internes. En fait, Deleuze (2002) écrit que la

dialectique de l’individuation de Simondon repose sur une problématique qui va organiser une

solution à « un système objectivement problématique ». Le sujet continue, selon Simondon

(2005 [1964]), de résoudre en permanence des problèmes présents dans l’environnement qui

l’entoure pour poursuivre son individuation. Mais ces résolutions sont partielles et relatives,

car le sujet contient d’autres potentiels de résolutions de problèmes, conflits, tensions à venir.

En fait, chaque résolution « se manifeste dans un système recélant des potentiels et renfermant

une certaine incompatibilité par rapport à lui-même » (p. 25). Ces mises en phase et ces

!83

déphasages successifs avec l’environnement expliquent la métastabilité de l’individu

s’individuant.

3.4.2 Les trois phases de l’être

L’individuation pour Simondon (2005 [1964]) correspond à l’apparition de phases

dans l’être, dans un devenir où l’être se conserve, mais ces échanges entre structure et

opération constituent un décalage avec lui-même. Telle est la capacité des êtres vivants, bien

que ces individuations soient d’importance variable selon les espèces (Bidet & Macé, 2011).

En reprenant les termes de Simondon (2005 [1964]) : « le sujet n’est pas une phase de l’être

opposée à celle de l’objet, mais l’unité condensée et systématisée des trois phases de l’être

» (p. 301). C’est trois phases étant préindividuelle, individuelle et transindividuelle.

Enfin, selon l’auteur, un individu individué (état qui n’est jamais totalement atteint) est

indissociable de sa charge préindividuelle. De fait, il ne pourrait pas s’individuer si ce n’est à

partir d’une réalité préindividuelle. Le sujet ne découvre cependant la signification de ces

deux phases de l’être que lorsqu’il doit résoudre un problème et prendre en compte la

dimension transindividuelle du collectif. L’environnement de l’individu est en effet d’abord

social. Les problèmes à résoudre sont inscrits dans des dynamiques collectives.

3.4.3. L’individuation psychique : une individuation qui ne peut épuiser toute la charge

préindividuelle

Combes (1999) affirme qu’il existe une réciprocité entre la pensée de Simondon et la

philosophie de la nature du philosophe présocratique Anaximandre concernant la notion

d’apeiron . Les êtres individués garderaient toujours une charge d’indétermination, une 17

« véritable réalité chargée de potentiels actuellement existants comme potentiels, c’est-à-dire

comme énergie d’un système métastable » (p. 81). Dans le même sens, Tourneux (2016) écrit

que ces notions de métastabilité, de potentiel, de phases d’être ou de transduction sont une

référence au préindividuel, à l’apeiron présocratique. De facto, dans la pensée de Simondon

cette nature préindividuelle, « l’être sans phase », ne se limite pas à la première individuation

physico-biologique. Pour Simondon (1989a), « cette charge d’apeiron permettrait d’aller vers

Anaximandre (610-545 av. J.-C.) un des philosophes physiques, a nommé la matière principale de 17

laquelle naissent et dans laquelle se résorbent des mondes, par le terme apeiron, c’est-à-dire l’indéterminée, l’absence de limites externes (Mugler, 1966).

!84

une seconde individuation » (p. 196). Le concept d’apeiron soutient la théorie de

l’individuation de Simondon (2005 [1964]). Par exemple, l’idée que l’individuation ne

parvient pas à épuiser toute la réalité préindividuelle, que l’individu résultant du processus

d’individuation transporte en lui-même une certaine charge associée de réalité préindividuelle,

de telle sorte que cette individuation est relative et enfin l’idée que les potentiels qui

caractérisent l’individuation vont être conservés comme une source d’états métastables pour

d’autres individuations à venir. L’être individué transporte donc avec lui ses individuations

futures. En effet, dans sa première œuvre, republiée en 2006 sous le titre L’individuation à la

lumière des notions de forme et d’information, l’auteur affirme que « l’être précédant

l’individu n’a pas été individué sans reste; il n’a pas été totalement résolu en individu et

milieu; l’individu a conservé avec lui du pré-individuel, et tous les individus ensemble ont

ainsi une sorte de fond non structuré à partir duquel une nouvelle individuation peut se

produire » (Simondon, 2005, p. 295). Pour Deleuze (2002), l’être pré-individuel, le métastable

de Simondon « est parfaitement pourvu des singularités qui correspondent à l’existence et à la

répartition des potentiels [...] singulier sans être individuel, tel est l’état de l’être pré-

individuel. Il est différence, disparité, disparition » (p. 121). Enfin, l’individuation psychique

n’est pas un événement mais un processus, une série d’individuations pour prolonger dans le

temps l’individuation initiale. En effet, pour Simondon (1989a), « chaque pensée, chaque

découverte conceptuelle, chaque surgissement affectif est une reprise de l’individuation

première ; elle se développe comme une reprise de ce schème de l’individuation première,

dont elle est une renaissance éloignée, partielle, mais fidèle » (p. 127).

3.4.4. L’individuation collective est une phase de l’être qui ne peut épuiser les virtualités

et potentialités de l’être préindividuel

En fait, les individuations psychique et collective se caractérisent, selon Simondon

(2005 [1964]), par leurs réciprocités systématiques. D’abord, l’être psychique ne peut régler

sa propre problématique sans cette réalité préindividuelle, qui est dans le sujet individué.

Deuxièmement, il y aura toujours « rémanence de la phase primitive et originelle de l’être

dans la seconde phase, et cette rémanence implique tendance vers une troisième phase qui est

celle du collectif » (Simondon, 1989a, p. 197). Effectivement, le sujet individué peut aller au-

delà de ses limites en se transformant en un individu vivant dans du collectif. C’est la charge

!85

préindividuelle qui le pousse à participer à une nouvelle individuation, à participer du

collectif. Enfin, le collectif pour Simondon (2005 [1964]) « n’est pas nature, mais il suppose

l’existence préalable d’une nature attachée aux sujets entre lesquels la collectivité s’institue en

les recouvrant » (p. 301).

Pour Simondon (2005 [1964]), le social a un caractère non déterministe,

c’est pourquoi l’être individué n’achève jamais son individuation, en conséquence il y a

toujours une autre individuation possible, en attente. C’est-à-dire que ce potentiel, pour

devenir autre, pour une nouvelle individuation, ne détruit pas la première. Autrement dit,

l’individuation collective est une phase de l’être qui ne peut épuiser les virtualités et

potentiels de l’être préindividuel, c’est pourquoi peut s’opérer une deuxième individuation,

collective, capable de lier les êtres individués entre eux par le biais du préindividuel qu’ils

conservent en eux. Ces potentiels de la réalité préindividuelle, que l’ontogenèse du collectif

utilise pour aider à résoudre la problématique individuelle, « sont portés par plusieurs

individus, mais non pas contenues dans les individualités déjà constituées de ces individus

» (Simondon (1989a, p. 197).

Dans l’opération d’individuation qui produit une personnalité de collectif, les êtres

individuels vont être à la fois des moyens et des agents. Selon Simondon (2005 [1964]), il faut

que le groupe soit présents. Il faut aussi qu’il soit tendu et partiellement indéterminé, comme

l’être préindividuel avant l’individuation. De facto « un individu absolument complet et

parfait ne pourrait entrer dans un groupe » (p. 290). En conclusion, l’adulte socialement

intégré « est par rapport au social un être également social dans la mesure où il possède une

conscience active actuelle, c’est-à-dire dans la mesure où il prolonge et perpétue le

mouvement d’individuation qui lui a donné naissance, au lieu de résulter seulement de cette

individuation » (p. 286).

3.5. La transduction, en même temps qu’elle exprime l’individuation, permet de

la penser

Simondon (1995 [1964]) définit la transduction comme une opération physique,

biologique, mentale et sociale « par laquelle une activité se propage de proche en proche à

l’intérieur d’un domaine, en fondant cette propagation sur une structuration du domaine

opérée de place en place : chaque région de structure constituée sert à la région suivante de

!86

principe de constitution » (p. 30). En fait, l’être possède une unité transductive, qui selon

Combes (1999), est un mode d’unité de l’être dans ses différentes phases, dans ses multiples

individuations. C’est-à-dire que la transduction est une notion autant métaphysique que

logique, parce qu’elle exprime l’individuation et permet de la penser. C’est l’un des effets de

la problématique de l’individuation selon Combes (1999), celui de restructurer le « rapport »

entre pensée et être.

Pour Simondon, être et pensée sont deux « côtés» inséparables de l’individuation. Il

cite d’ailleurs le poème de Parménide dans lequel la Déesse s’exprime ainsi : « Le même, lui,

est à la fois penser et être » (Traduit par Beaufret, 1973, p. 79). Selon les termes de Combes

(1999), « ce qui constitue la pensée ne diffère pas de ce qui constitue l’être ; la pensée comme

l’être ne sont adéquatement saisis que lorsqu’est saisie leur dimension transductive : le fond

de la pensée et de l’être est transduction » (p. 19).

C’est en m’inspirant de ces réflexions de Simondon sur le processus d’individuation

comme étant à la fois individuel et collectif que j’ai conduit mon dispositif et analysé les

matériaux recueillis. Non seulement elles me permettent d’échapper à une analyse causaliste

ou déterministe mais elles me font aussi regarder la boîte à outils des consultants comme

constituée d’objets techniques contribuant à l’institutionnalisation (considérée comme une

individuation institutionnelle ) du dispositif de pilotage par la qualité du système éducatif 18

chilien.

3.5.1. Le cas des objets techniques

A la différence des êtres vivants, les objets techniques ne peuvent développer leur

propre individuation (Simondon, 1964), ni se modifier eux-mêmes lorsqu’ils requièrent de

nouvelles structures internes, ni être dans l’axiomatique des problèmes vitaux (Simondon,

1964). Simondon (1989b) a soutenu que les objets techniques ne sont jamais complètement

concrets, ils ont besoin d’être corrigés, améliorés pour avoir une durée de vie utile plus

longue. Pour cette raison, pour connaître un objet technique, dit Simondon (1989b), il est

nécessaire de connaître son évolution, depuis l’état abstrait à l’état concret. D’après Combes

(1999) pour Simondon l’ancêtre d’une lignée technologique « est nécessairement plus abstrait

Je voudrais dire institutionnalisation. Il s’agit d’une sorte de lapsus provoqué par des interférences 18

entre deux cadres, celui de l’analyse institutionnelle et celui de la théorie de la individuation de Simondon.

!87

qui les individus techniques qui lui succèdent à l’intérieur de la même lignée » (p. 96). Bien

que les améliorations mineures peuvent être produit du hasard, le schéma de l’objet technique

est essentiellement guidé par des mutations orientées, et pour cette raison, dit Simondon

(1989b), que les objets techniques vont toujours maintenir une abstraction résiduelle. De

facto, la concrétude de chacun de ces objets techniques va tendre à l’organisation. De facto

des objets techniques, selon l’auteur, vont intégrer leurs fonctions par « surdétermination

fonctionnelle » (Simondon, 1989b), par le renforcement du caractère transductif de leur

fonctionnement.

Simondon (1989b) soutient que « l’homme qui pense le progrès n’est pas le même que

celui qui travaille » (p. 116). Pour Simondon (2005 [1964]) nous sommes dans cette situation

sociale historique qui est décrite comme une « opération commandée par l’homme libre et

exécutée par l’esclave » (p. 118). En fait, l’auteur va affirmer que :

La relation à l’objet technique ne peut pas devenir adéquate individu par individu,

sauf en des cas très rares et isolés ; elle ne peut s’instituer que dans la mesure où elle

arrivera à faire exister cette réalité interindividuelle collective, que nous nommons

transindividuelle, parce qu’elle crée un couplage entre les capacités inventives et

organisatrices de plusieurs sujets. Il y a relation de causalité et de conditionnement

réciproque entre l’existence d’objets techniques nets, non aliénés, utilisés selon un

statut qui n’aliène pas, et la constitution d’une telle relation transindividuelle. On

pourrait souhaiter que la vie industrielle et les entreprises comportent, au niveau des

comités d’entreprise, des comités techniques ; pour être efficace et créateur, un comité

d’entreprise devrait être essentiellement technique. L’organisation des canaux

d’information dans une entreprise doit suivre les lignes de l’opération technique et

non celles de la hiérarchie sociale ou des relations purement interindividuelles,

inessentielles par rapport à l’opération technique (Simondon, 1989b, p. 253).

Si les outils des consultants qualité sont, comme on le verra, produits et diffusés par

les experts de la Fondation Schiller pour répondre à des besoins d’évaluation, leurs usages et

effets sont à analyser plus largement en pensant leur développement comme lié à

l’individuation psychologique et collective des consultants.

!88

3.6. Les notions d’actualisation et de potentialisation

L’idée de Lupasco est que l’abstraction fait partie de la réalité, que la réalité est une

construction sociale fondée sur un accord trans-subjectif et que toute actualisation constitue

une potentialisation, ce qui veut dire que l’acte de connaissance va entraîner une perte de

connaissance. Cette idée participe de mon inventaire épistémologique.

Selon Simondon, Lupasco a pleinement établi son « principe de dualisme

antagoniste » et les notions d’actualisation et de potentialisation dès sa thèse de doctorat,

intitulée Du devenir logique et de l’affectivité, publiée en 1935. Dans son livre Principe

d’antagonisme et la logique de l’énergie, l’auteur met en doute l’absoluité du principe de tiers

exclu, c’est-à-dire du principe de non-contradiction ou d’une contradiction irréductible dans

les opérations de la logique (Lupasco, 1951). Mais lorsqu’il introduit l’axiome du tiers inclus,

c’est-à-dire l’existence d’« un troisième terme t qui est à la fois A et non-A », il ne veut pas

rejeter le principe aristotélicien de non-contradiction qui consiste en trois axiomes : l’axiome

d’identité (A est A), l’axiome de non-contradiction (A n’est pas non-A) et l’axiome du tiers

exclu où il n’existe pas un troisième terme t qui est à la fois A et non-A. L’introduction de la

notion de « niveaux de réalité » (Nicolescu, 2005) vise à démontrer que le principe

aristotélicien de non-contradiction ne peut être que relatif, élargissant ainsi le domaine de

validité du principe de non-contradiction. En conclusion, la logique de Lupasco consiste en

trois états ou principes : l’actualisation A, la potentialisation P et le tiers inclus T. C’est-à-dire

e et non-e formellement peuvent traverser l’un quelconque de ces trois états, A, P et T. En

effet, pour Nicolescu (2005) « l’actualisation de e est associée à la potentialisation de non-e,

l’actualisation de non-e est associée à la potentialisation de e et le tiers inclus de e est, en

même temps, le tiers inclus de non-e » (p. 435). Ce tiers inclus est unificateur, selon l’auteur,

parce que « il unifie e et non-e ». En conclusion, le postulat fondamental de la logique

dynamique du contradictoire de Lupasco (1951) est le suivant :

À tout phénomène ou élément ou événement logique quelconque, et donc au

jugement qui le pense, à la proposition qui l’exprime, au signe qui le symbolise : e,

par exemple, doit toujours être associé, structurellement et fonctionnellement, à un

anti-phénomène ou anti-élément ou anti-événement logique, et donc un jugement, une

proposition, un signe contradictoire : non-e (Lupasco, 1951, p. 9).

!89

Sur ce principe d’antagonisme de Lupasco, Ravatin (1985) affirme que lorsqu’une

énergie « s’actualise » provoque un déséquilibre et une transformation du système sous

observation, à l’inverse lorsqu’une énergie antagoniste « est potentialisée », elle se prépare

pour des « actualisations contradictoires » (p. 5). Cette transition d’un état potentiel à un état

actuel, selon l’auteur, implique de façon contradictoire une transformation dans le sens

inverse. Il estime que la transformation « d’un état potentiel à un état actuel » dans la logique

du tiers inclus de Lupasco, n’est jamais totale. Elle ne sera jamais totalement actuelle ou

totalement potentielle, elle ne sera « ni-potentielle-ni-actuelle ». Dans la logique de Lupasco,

la transformation contraire va passer par un état intermédiaire de non-actualisation non-

potentialisation, un état T. C’est pourquoi, selon Lourau (1997a), la logique antagoniste de

Lupasco a aussi influencé la pensée de Ravatin. De facto, il soutient que toute actualisation

constitue une potentialisation, ou autrement dit, que dans l’acte de connaissance il y aurait

toujours « perte de connaissance » (p. 13). Enfin, Lourau (1997a) affirme aussi que Lupasco a

influencé la pensée de Simondon, que nous avons déjà présentée, c’est ce qu’on peut voir

dans l’extrait suivant :

[...] le devenir potentialise des existences actuelles et actualise des existences

potentielles [...] sujet et objet ne sont envisageables que dans la métastabilité, l’un

potentialisant l’autre en s’actualisant, et réciproquement [...] Ce mouvement, suite de

potentialisations et d’actualisations, est la transduction ( p. 4).

Cette nouvelle théorie de la connaissance, qui a remplacé le principe de non-

contradiction par le principe de complémentarité contradictoire (Breton, 1952) permet de

dialectiser le conscient et l’inconscient. Selon Nicolescu (2012), « dans la structure même de

tout processus cognitif, il y a donc un sujet d’inconnaissance et un objet de connaissance [...]

et c’est là la source de la logique inconsciente et de la logique consciente, qui caractérisent

l’expérience logique » (p. 36). Enfin, dans la pensée de Lupasco, Nicolescu (2012) affirme

que la conscience est liée au processus de potentialisation, tandis que l’inconscience serait liée

à l’actualisation. De ce fait, l’abstraction pour Lupasco, d’après Nicolescu (2005), est la partie

constitutive de la réalité, une réalité qui non seulement est une construction sociale, le

consensus de la communauté, un accord intersubjectif, mais qui a également une dimension

trans-subjective.

!90

3.7. Penser est construire des cohérences

Jacques Ravatin, qui publie quelques fois sous le pseudonyme de Vladimir Rosgnilk,

parle du champ de cohérence (C. de C.), qu’il définit comme « l’ensemble de toutes les

cohérences connues ou inconnues » (Ravatin, 1985, p. 1). Selon l’auteur, chaque fois qu’un

être humain pense, il est en train de construire des cohérences et dans chaque cohérence il est

possible de trouver d’autres cohérences. L’auteur a tenté d’expliquer cette notion de la façon

suivante :

La médecine a sa cohérence et dans différentes branches de la médecine apparaissent

des cohérences, comme celle de la psychiatrie, celle de la psychanalyse, celle de la

chirurgie, ... et dans ces cohérences, il y en a encore d’autres qui sont liées à celles

d’équipes, de chapelles, comme on dit souvent le mot chapelle est fréquemment

utilisé dans le monde des chercheurs pour signifier qu’en plus de la cohérence, il y a

une impression de fermeture, d’isolement volontaires vis à vis d’autres équipes

travaillant dans le même domaine (p. 1).

Dans le concept de C. de C., le terme cohérence dénote l’existence et le champ dénote

le transport d’une structure (Ravatin, 1985).

Comme le dit Ravatin (1997), il ne peut y avoir que deux C. de C., l’usuel ou rationnel

et l’autre, le dynamique. Le C. de C. rationnel ne permet pas qu’une seule vision, n’a qu’un

seul rayon de cohérence (R. de C.), qui est lui-même. Toutefois l’autre C. de C. dispose d’un

menu plus riche de multiples rayons de cohérence globale, ce qui fait que de multiples visions

et approches sont possibles. Dans l’autre champ de cohérence, il y a aussi des sortes de

repères, mais chacun d’eux constitue un R. de C. Le R. de C. est le « local » dans le global.

Certainement, les pensées de Ravatin et de Lupasco justifient pleinement l’utilisation

du caractère expérimental de la caméra vidéo dans mon dispositif de recherche socio-clinique,

dispositif qui est également un réseau socio-technique et avec lequel j’ai pu me lancer dans le

champ de cohérence (C. de C.) des participants. Une fois situé à l’intérieur de ce C. de C., je

peux mieux approcher ce qui se passe dans leur monde, en abandonnant ainsi le C. de C.

cartésien pour tirer pleinement parti de cette immersion. Cette démarche a favorisé leurs

implications et la production de transductions dans leur discours, et cela a permis de

surmonter la limite constituée par le fait que je n’ai pu rencontrer six d’entre eux qu’une seule

!91

fois. La possibilité de pouvoir revoir les séquences filmées à plusieurs reprises après la

réalisation de chaque entretien puis lors de l’analyse du corpus, a augmenté ma

compréhension du vécu des consultants durant le processus d’institutionnalisation du discours

de la qualité dans notre système scolaire. Le fait d’être immergé dans le C. de C. des

participants a favorisé mon implication et, grâce à la perte de mes repères antérieurs, en tant

que chercheur, a également stimulé ma pensée globale. C’est ce qui m’a permis d’accéder aux

visions et aux approches des participants. Cela a aussi facilité d’autres types de transductions,

les leurs comme les miennes. Je vais donc présenter ci-après quelques concepts de Ravatin,

qui, à mon avis, sont les plus pertinents par rapport à mon dispositif de recherche.

3.8. La pensée locale comme champ de cohérence usuel

Ravatin (1985) appelle « champ de cohérence habituel » ou « pensée locale », les

descriptions que nous faisons du monde dans lequel nous vivons selon une représentation

usuelle. Il s’agit, selon lui, du « champ de cohérence utilisé dans notre représentation

cartésienne du monde » (p. 1). La force du C. de C. rationnel, pour l’auteur, est que tous

peuvent y avoir accès. En fait, ce langage est facile à établir, car il utilise le minimum d’effort

pour transmettre une idée étant donné son caractère cartésien.

3.9. La pensée rationnelle peut « émerger » et « s’immerger » dans le Global

Pour Ravatin (1985), le Local est synonyme d’une existence avec repères, des repères

qui vont se dissocier une fois que le Local commence à être appréhendé et analysé. Une idée

intéressante, pour moi, dans la pensée de l’auteur, est que le monde décrit par la pensée

rationnelle peut « émerger » du Global ou plutôt « s’immerger » dans le Global. Ravatin

(1986) soutient également que toute existence sans repère est liée au Global du fait de son

caractère ensembliste. Il y a différentes réalités locales possibles, que l’auteur appelle

« rayons de cohérence », qui ne peuvent être séparées du Global, car on ne peut séparer

l’ensemble et l’élément, ils participent d’une même dualité dynamique. C’est pourquoi

l’auteur a créé le concept de l’Enel qui est une contraction à partir des mots ensemble et

élément. Par exemple, la forêt, pour l’auteur, est un Enel parce qu’elle est délocalisée (le mot

désigne le concept de forêt mais aussi des réalités locales), parce que lorsque nous parlons de

la forêt, nous ne parlons pas seulement d’un ensemble d’arbres.

!92

De facto, selon Ravatin (1986), dans la pensée rationnelle on essaie de mettre des

repères sur tout ce qui est existant. Afin de pouvoir établir des comparaisons entre

phénomènes il est courant de mettre en place des repères. Ravatin (1985) constate cependant

que « l’observateur met le plus possible de repères, mais certains de ceux-ci peuvent

s’évanouir avec les nécessités liées à la forme » (p. 7). De fait, les repères apportés par

l’observateur depuis son C. de C. extérieur à la situation observée peuvent être inopérants

dans la situation d’observation.

3.10. Les concepts de surlocalisation, délocalisation, relocalisation

Quelques idées de Ravatin sont d’une grande importance pour Lourau (1997a),

notamment l’idée que dans le Global ou homogène il existe une perte des repères, une

délocalisation. Le Local ou hétérogène serait pour sa part composé de repères en fuite :

« localisations, relocalisations, surlocalisations s’actualisent mais sont potentialisables dans le

global » (p. 4). L’auteur utilise ces concepts de la façon suivante : un être vivant peut nous

servir de repères, dans une forme « partiellement localisée » à « très peu localisée » (Ravatin,

1985). De plus, un individu, dans notre société rationnelle, devient parfaitement repérable

« dans la masse des individus, (il est) surlocalisé, mais va amener des brisures dans les

concepts de foule, de société, entités déjà délocalisées, pour les relocaliser et ces localisations

vont elles-mêmes produire des surlocalisations » (p. 7). En fait dans un système non-cartésien,

selon lui, il y a délocalisation, parce que les fonctionnalités ne sont plus distinguées par la

forme et sans forme elles ne sont pas mesurables, au moins avec les échelles connues. En fait,

d’après Ravatin (1985), bien que certaines formes peuvent être liées au Global cela ne signifie

pas qu’elles soient dans le Global parce que cela impliquerait une relation d’appartenance, de

contenant et de contenu, d’ensemble et d’élément et nous parlerions alors depuis « une autre

partie », ce qui impliquerait une délimitation, un repérage.

Mais le Global, selon l’auteur, n’est pas composé d’éléments, il est l’existence sans

repères. L’auteur utilise l’exemple de l’acupuncture pour expliquer qu’au sortir du champ de

cohérence rationnel nous pouvons prendre conscience de la délocalisation, où se trouvent des

réalités « beaucoup plus primordiales » (p. 4). L’auteur affirme que ce « renversement par

rapport à la vision habituelle [...] d’ordre observationnel [...] lignes et points autour desquels

on va repenser le corps [...] sont le résultat d’une représentation, d’une cohérence des Chinois

!93

qui se place dans un autre champ de cohérence et nous n’en avons qu’une trace dans notre

locale » (p. 4). Lourau (1997a) dit que Ravatin utilise les notions de Lupasco pour affirmer

aussi que il y a une contradiction entre Local et Global. En fait, selon l’auteur « dans toute

opération de connaissance, qui est tentative de localisation, il y a du Global, de

l’indéterminé » (p. 33).

3.11. Le chercheur doit trouver la cohérence dans l’autre C. de C.

Mais la liberté, que donne le Global, dit Ravatin (1985), est celle qui correspond à un

autre C. de C., « celui-ci dans lequel l’être se projette en même temps qu’il se met

dedans » (p. 8) et c’est là que le chercheur doit trouver la cohérence.

[...] le champ de cohérence rationnel peut être repensé à partir de cet autre champ; peu

à peu la notion de champ de cohérence s’éclaire, toujours sans se définir, le champ

usuel étant par construction la négation de champ de cohérence puisqu’il se considère

comme universel, voulant expliquer l’univers qu’il permet de découvrir; alors qu’avec

l’autre champ l’obs. prend conscience qu’il crée parce qu’il lance et se met dedans à 19

la fois (p. 8).

Et justement l’observation dans cet autre C. de C., selon Lourau (1997a), est celle qui

facilite l’acte par lequel émerge une représentation, dénommée par Ravatin, comme stoven,

une représentation qui « est écho possible du C. de C. » (p. 11). Le concept de stoven pour

l’auteur équivaut à « une construction de l’Obs qui se lance dans le C. de C. » (p. 11), pour

élaborer le monde et en même temps une fois de l’intérieur l’observer. Toutefois cette stoven,

selon Lourau (1997a), pourrait être non « parfaitement accordé » (p. 11) et trouver de

l’incohérence plus que de la cohérence. Enfin, pour Lourau (1997a), dans ce débordement

phénoménologique, « l’inclusion de l’Obs dans toute tentative d’objectivation » (p. 18) est

évidente. Ceci est une autre manière de dire que le chercheur est toujours impliqué dans ce qui

constitue son objet de recherche, aussi bien affectivement que théoriquement.

Dans la pensée de Ravatin (Ravatin & Branca, 1998), le concept de l’observateur de la physique est 19

abrégé en tant que obs. En fait, lorsque Ravatin (1985) parle de l’obs. c’est parce qu’il veut dire que l’être lance son C. de C. pour se situer à l’intérieur. Pour l’auteur, l’obs équivaut à « l’observateur se pensant pensant ». Par ailleurs, selon lui, l’Obs (Ravatin, 1997), qui lance le champ de cohérence. La majuscule est là pour signifier que l’observateur est compris dans son propre champ de cohérence (Ravatin, 1985).

!94

Me concernant, cette question du champ de cohérence est particulièrement délicate

puisque j’ai moi-même exercé comme consultant qualité dans l’institution où je mène

aujourd’hui ma recherche. Entrer dans le C. de C. des consultants avec lesquels je mène cette

recherche suppose de me défaire de celui que j’avais moi-même construit comme consultant.

Entrer dans le C. de C. des consultants actuels demande un dispositif et un mode

d’implication permettant de mieux saisir le sens qu’ils donnent à leurs pratiques, aux outils

qu’ils utilisent et comment ils tentent de les mettre en cohérence avec les transformations

institutionnelles qu’ils vivent.

3.12. Le jeu de la pseudo-objectivité scientifique

Il est certain qu’il ne suffit pas d’une seule vision de ce qui nous entoure. Les

scientifiques, comme le dit Ravatin (1997), exigent de multiples visions. L’auteur cite Paul-

Émile Victor, ethnologue et explorateur français qui a participé à une expédition qui a traversé

le Groenland : « Les vrais scientifiques sont des poètes et des imaginatifs. Les autres sont des

comptables et des épiciers : ils ne découvrent pas. Et d’ailleurs que la vie serait triste sans

imagination » (Ravatin, 1997, p. 12).

Précisément dans l’autre C. de C., si nous renonçons à l’approche rationnelle, vont

apparaître d’autres états, d’autres concepts, qui ne peuvent pas être définis par une approche

rationnelle.

Mais il semble logique que la pensée rationnelle, qui a été imposé dans la société dans

laquelle nous vivons soit économique, même si cela paraît non rationnel, dans le même sens

que ce terme est utilisé dans une approche rationnelle. Certes, il est possible, selon Ravatin

(1997), de constater qu’il n’existe pas un local unique dans la pensée rationnelle, mais qu’en

coexistent plusieurs. Enfin, en fait, la méthode rationnelle, décompose le local en plusieurs

unités. Dans le global, il n’est pas possible de séparer les éléments et l’ensemble. À l’inverse,

c’est pour cette raison que peut être aussi difficile à expliquer le global en utilisant une

méthode qui consiste à séparer l’ensemble et l’élément, à diviser les concepts ou les

processus.

!95

3.12.1. Aller au-delà de la relation sujet/objet pour accéder à de multiples visions

Selon Varela (1996), le monde objectif est seulement une construction de l’expérience

que chaque être vivant fait lorsqu’il doit s’accorder à un environnement tout en agissant

conformément à ses propres structure et dynamique. Cependant il n’existe donc pas un

«monde en soi», déjà-là, espérant être découvert. D’après l’auteur, la méthode scientifique est

un ensemble de régulations sociales et de procédures qui, selon Varela et Shear (1999), nous

ont permis de créer un corps de connaissances partagé concernant la nature. La vérification et

la validation publique, conformément à complexes échanges humains. Selon ces auteurs, ce

corps de connaissance est en partie subjectif car il dépend de l’observation et l’expérience

individuelle. Il est aussi en partie objectif car il est régi par des phénomènes naturels

empiriques. De la même façon, Ravatin (1985) soutient que la séparation entre objectif et

subjectif est fictive. En fait, dans le C. de C.. usuel l’individu joue uniquement « le jeu de la

pseudo-objectivité scientifique ». En effet, il a l’illusion de construire de multiples échelles de

comparaison, souvent arbitraires, pour aligner des valeurs et pour comparer les résultats. Tout

se passe comme s’il s’agissait vraiment de la vérité, comme si en décrivant un système ou ses

composants, on saisissait vraiment ces composants (Ravatin, 1985, p. 12). De facto, pour

Ravatin (1997), ce que produit le C. de C. rationnel, c’est une déformation de la réalité,

comme « un chapeau que l’on veut faire entrer dans une boîte trop petite pour lui » (p. 7). Il

écrit que le champ de cohérence rationnel ne permet qu’une seule vision, mais qu’en réalité,

« le processus n’est pas rationnel même pour la construction du C. de C. rationnel » (p. 7). En

conclusion, selon Lourau (1997a), toute tentative de construction de multiples échelles de

comparaison, est souvent arbitraire, pseudo-scientifique : « Cet «avant» imaginaire ou ce

prétendu «caché» que veut construire l’objectivisme est pure fiction, symétrique à celle du

subjectivisme sous ses diverses formes » (p. 63). Pourtant, d’après l’auteur, cette pseudo-

objectivité nous prive de « la position de l’Obs, qui est celle de l’autre C. de C. » (p. 8).

Selon Ravatin (1985), « rien que le fait de penser en termes d’objectif et de subjectif

empêche d’avoir accès à une autre représentation, une autre cohérence » (p. 11). Lourau

(1997a) affirme pour sa part que la contribution du concept de champ de cohérence de

Ravatin permet de penser au-delà de la relation sujet/objet et permet de reconnaître la relation

global/local comme un « foyer intense de transductions ».

!96

3.13. Le codage et décodage des flux

Le dispositif de recherche a pour objectif de décoder le dispositif de Fondation

Schiller pour institutionnaliser le discours de la qualité dans notre pays. C’est pourquoi les

notions de flux de désir et de schizo-analyse, de Deleuze et Guattari, font partie de mon

inventaire épistémologique pour décoder les flux

Dans l’Anti-Œdipe (1972), selon Ramond (2010), Deleuze et Guattari décrivent le

capitalisme comme l’aboutissement du « mouvement général de l’histoire humaine » (p. 100),

l’individu comme une machine désirante et la réalité comme constituée de « flux » qui passent

inévitablement d’abord par un « codage » et ensuite par un « décodage » par essence

schizophrénique. La raison pour laquelle ces « flux de désir », dont parlent Deleuze et

Guattari, ont été présentés comme « codés » est qu’ils ne peuvent pas apparaître de manière

réelle, ils ne peuvent pas émerger directement dans la conscience et c’est ainsi qu’ils

permettent au capitalisme et la société d’avancer. De facto, selon les auteurs, l’humanité

progresse « vers la situation capitalistique actuelle, c’est-à-dire vers un décodage achevé,

destructeur, des flux » (p. 101) de façon constante mais non toujours de manière linéaire.

Pour Deleuze et Guattari (1972), le décodage et la déterritorialisation des flux de

production capitaliste, qui avaient été codifiés et sur-codifiés par d’autres formations sociales,

définissent la civilisation. Toute procédure peut être utile pour décoder tout code, pour le

comprendre, le traduire et le détruire en tant que code ou « lui assigner une fonction

archaïque, folklorique ou résiduelle, qui fait de la psychanalyse et de l’ethnologie deux

disciplines appréciées dans nos sociétés modernes » (p. 291). Pour sa part, le capitalisme,

pour les auteurs, utilise « la privatisation qui porte sur les biens, les moyens de production,

mais aussi sur les organes de « l’homme privé » lui-même » (p. 291).

D’après Ramond (2010), le capitalisme, dans la pensée de Deleuze et Guattari, est « le

cauchemar de toutes les sociétés, un peu à la manière dont la folie est le cauchemar de tout

individu » (p. 103). En effet, Deleuze et Guattari (1972) soutiennent que si les flux libres sont

la réalité du capitalisme, alors les fous devraient être les héros, l’expression maximale de

réalisation du capitalisme, pourtant ils sont envoyés à l’hôpital psychiatrique. La même chose

se passe avec les artistes et les intellectuels qui consacrent leur vie au travail créatif personnel

de décoder les flux. Ils sont surveillés par une énorme machine de répression pour ne pas les

!97

laisser se promener chargés de potentiel révolutionnaire s’il n’est pas possible de les récupérer

ou de les absorber dans le flux capitaliste.

3.14. L’abstraction progressive ou le mouvement de déterritorialisation

Je fais l’hypothèse d’une abstraction progressive grâce à la logique narrative chiffrée

(Barrère, 2009) du SIMCE afin que les dominés ne puissent pas développer la capacité de

décodage des instruments. C’est pourquoi, les notions de « déterritorialisation » et

d’« abstraction progressive », proposées par Deleuze et Guattari, font partie du cadre

théorique de ma recherche.

D’aprés Ramond (2010), pour Deleuze et Guattari (1972) le mouvement de

« déterritorialisation » est une « abstraction progressive », qui correspond tout simplement au

mouvement général de l’histoire. Selon la pensée de Deleuze et Guattari, analysée par

Ramond (2010), le travailleur libre a subi la déterritorialisation par la privatisation du sol et

du décodage des instruments de production. Les entreprises où il travaille ont également subi

la déterritorialisation par le « décodage enfin du travailleur au profit du travail lui-même ou de

la machine » (p. 105). Le capital a aussi subi la « déterritorialisation de la richesse par

abstraction monétaire ; décodage des flux de production par capital marchand ; décodage des

États par le capital financier et les dettes publiques ; décodage des moyens de production par

la formation du capital industriel, etc. » (p. 105).

Toutefois, pour Ramond (2010), Deleuze et Guattari (1972) reconnaissent une

dimension positive au capitalisme, qui est l’association capitalisme-schizophrénie-révolution.

Le capitalisme serait, selon les auteurs, un système schizophrénique, « par essence

révolutionnaire, propre à accomplir le mouvement historique de la déterritorialisation, c’est-à-

dire de la «libération» schizophrénique des «flux» de «désir» au détriment des «codes»

archaïques ou despotiques » (Ramond, 2010, p. 107).

Enfin, selon Ramond (2010), dans son interprétation de l’Anti-Œdipe « la

schizophrénie est le grand «oui» aux flux du désir » (p. 110). Mais à la différence du

capitalisme, le schizo-flux de la schizophrénie ne sont pas liés à « l’instinct de mort ». Pour

l’auteur, Deleuze et Guattari font valoir que le capitalisme ne peut être aboli par lui-même,

par un processus identique à celui du capitalisme, « celui de la schizophrénie, à savoir le

décodage des flux ou la déterritorialisation » (p. 112). C’est de cette manière que je considère

!98

le processus d’institutionnalisation du pilotage par la qualité, comme un flux dans lequel la

déterritorialisation produite par les outils techniques joue un grand rôle.

3.15. L’État ou l’inconscient

Certes, certaines institutions comme l’école, l’hôpital, l’entreprise industrielle ou

commerciale, dans le mode de production capitaliste, monopolistique ou socialiste de l’Etat,

comme l’affirme Lapassade (1977), possèdent, elles aussi, un potentiel total ou totalitaire. En

fait l’école, l’hôpital, l’usine, la bureaucratie tendent à priver de toute liberté l’individu qui

leur est lié. Ce sont des institutions totalitaires, dans la mesure où elles exercent directement

ou indirectement une pression et une violence sur l’ensemble d’une société ou d’une classe.

Lourau, Marx, Deleuze, Guattari et Foucault font partie de mon cadre théorique parce qu’ils

ont une pensée de l’Etat et que mon objet est directement lié à l’Etat.

Lato sensu, selon Lourau (1978), toute forme sociale s’institutionnalise, lorsque l’État

garantit juridiquement et politiquement l’équivalence avec d’autres formes existantes, c’est ce

qu’il nomme le principe d’équivalence élargi. Ce que veut imposer l’État, affirme l’auteur, ce

ne sont pas seulement des formes, mais c’est aussi une force qui double toutes les formes, des

plus « publiques » aux plus « privées », dans le sens souhaité par l’État. C’est ce qui constitue

le processus d’institutionnalisation.

3.15.1. L’État moderne créé pour protéger les intérêts de la classe dominante

Dans l’histoire de la philosophie, selon Bobbio (1999), la réponse de Marx à Hegel va

rompre avec la tradition, en ce qui concerne à la relation entre la société civile et l’État. En

effet, Marx affirme que si Hegel fondait son système de philosophie du droit en donnant la

priorité à l’État sur la famille et sur la société civile, c’était parce qu’il était plongé dans

l’idéalisme, ignorant la réalité historique de son temps en ne voyant pas que l’État moderne

avait été créé pour protéger les intérêts de la classe dominante. D’après Bobbio, Marx va

mettre en lumière l’innocence de Hegel à croire que l’État peut être perfectible. Selon Marx,

au contraire, le but de l’histoire de l’État serait sa propre dissolution (Bobbio, 1999), comme

l’atteste la lutte des classes.

Selon Bobbio (1999), pour Hegel la vie matérielle des individus dépend de leur pure

volonté, de la façon dont ils produisent. Mais pour Marx, selon l’auteur, il était trop évident

!99

que la division du travail et la propriété privée, ne dépendent pas de la volonté des individus

mais qu’elles ont été créées par l’État, c’est-à-dire par la classe dominante. En effet, selon lui,

Marx va soutenir dans le Manifeste que la fin du colonialisme n’a pas été la fin de la lutte des

classes, mais bien au contraire le perfectionnement de nouvelles conditions d’oppression.

Enfin pour Bobbio (1999), l’idéalisme de Hegel voyait l’aliénation dans l’objet non

pas dans les idées. Dans son système idéaliste, la désaliénation dépendait exclusivement du

développement de la conscience philosophique. En revanche, d’après l’auteur, le matérialisme

de Marx voit l’aliénation dans le caractère abstrait de la chose créée et les hommes ne peuvent

surmonter les aliénations qu’à travers des combats réels dans lesquels la théorie est seulement

un moyen, conformément à ce qu’écrit Lefebvre (1975). C’est cependant un moyen

insuffisant dans la lutte contre les actions permanentes de la machine de l’État pour éviter le

développement de la conscience humaine.

3.16. La machine capitaliste

Ainsi que Marx, d’autres auteurs, notamment Guattari, Foucault et Lourau, ont alerté

sur le fonctionnement de la machine de production de subjectivité capitaliste pour impliquer

et aliéner. D’abord Guattari (2004) s’est demandé comment les travailleurs finissent par être

les complices inconscients de la technocratie capitaliste et de la bureaucratie du mouvement

ouvrier par les effets de la contre-révolution bourgeoise. Selon l’auteur, un ensemble de

machines sémiotiques et désirantes fonctionnent comme un logiciel des comportements

sociaux à tous les niveaux de sensibilité et d’intériorisation des systèmes hiérarchiques. Cette

axiomatisation ne dépend pas d’un centre conducteur. L’auteur affirme que l’axiomatique du

capitalisme n’est pas fondée sur des analyses idéologiques, mais qu’il fait plutôt fait partie

intégrante de son processus de production. D’après l’auteur, elle diffuse tous les domaines de

la société grâce à la forme de rhizome multidimensionnelle intégrant d’innombrables

singularités.

Pour Guattari (2006) la machine de formation de la subjectivité capitaliste est installée

sur le terrain de l’économie libidinale, au sein des familles. En fait le capital n’est pas

rationnel, il est plutôt hégémonique. Il ne constitue pas une opération de bénéfice mais une

opération de pouvoir. Le capital s’articule dans diverses dimensions, politiques, sociales,

techniques et scientifiques, de manière générale, aidé par l’État, qui est devenu le relais de la

!100

mondialisation du capital. Comme je le montrerai plus tard, le capital et sa circulation jouent

un rôle important dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité.

3.16.1. Les composants sémiotiques du capital

Pour Guattari (2004), le capital n’est pas une catégorie abstraite. Le capital est plutôt

un opérateur sémiotique, au service de formulations sociales déterminées. Les modes de

production sémiotique, selon l’auteur, permettent d’assurer une division sociale de la

production, sans pour cela enfermer les individus dans des systèmes de ségrégation

d’oppression ou classer leurs productions sémiotiques dans d’autres domaines que la culture.

Pour lui, le capital assume l’enregistrement, l’équilibre, la régulation et la surcodification à

travers ses composants sémiotiques. Selon l’auteur, au-delà d’une simple catégorie

économique relative à la circulation des biens et à leur accumulation, le capital représente une

catégorie sémiotique qui concerne l’ensemble des niveaux de la production et l’ensemble des

niveaux de la stratification des pouvoirs.

Enfin, la sémiotisation du capital, pour Guattari (2004), est endémique grâce à son

propre travail pour acquérir de plus en plus de moyens pour détecter, quantifier et manipuler

les valorisations concrètes de pouvoir. Pour l’auteur, l’aliénation qui produit la sémiotisation

du capital est assurée par le biais des images et des idées et fait partie d’un système général de

domination au niveau individuel et collectif. Grâce à ce dispositif, le capitalisme s’empare des

êtres humains depuis l’intérieur, parce que les individus sont équipés de modes de perception

et de normalisation du désir.

3.16.2. La production de subjectivité capitaliste

Selon Bertolo et Lourau (1984), l’imaginaire influe largement sur les conceptions

sociales tant scientifiques qu’utopiques. Selon les auteurs, nous serions déterminés par

l’image que nous nous faisons de l’avenir et ces images courbent nos pensées les plus intimes

et abstraites.

Dans le même sens, pour Guattari (2004), le capitalisme périphérique, comme les

économies socialistes, vivent dans une sorte de dépendance et contre-dépendance au

capitalisme. Pour l’auteur, l’essence même du profit capitaliste est qu’il ne se réduit pas au

champ de la plus-value économique, mais qu’il effectue également une prise de pouvoir sur la

!101

subjectivité. La production de subjectivité capitalistique, grâce à la culture de masse, est

capable de normaliser les individus et de les articuler avec d’autres individus, par le biais de

systèmes hiérarchiques, systèmes de valeurs et de soumission, mais beaucoup mieux déguisés

comparés à ceux qui étaient utilisés dans les sociétés archaïques ou précapitalistes (Guattari,

2006).

De facto, d’après Guattari (2006), tous les niveaux de la production et de la

consommation servent pour produire la subjectivité. Le capitalisme, selon l’auteur, est un

dispositif, une grande usine capable de produire ce dont nous rêvons et de cette façon il peut

assurer un rôle hégémonique dans tous les domaines.

3.16.3. L’aliénation inhérente au travail

Du point de vue de Marx (1983 [1848]), la première aliénation à prendre en compte

serait économique, ce qui se produit parce que le travailleur n’est pas propriétaire des moyens

de production et qu’il est tenu de vendre sa force de travail sur le marché. Confronté au

produit de son travail et au travail lui-même, comme à des réalités qui ne lui sont pas propres

et qu’il ne contrôle pas.

Pour Sigaut (2004), être aliéné, comme le suggère l’étymologie « c’est être coupé du

réel » (p. 119). Pour l’auteur il y a deux façons d’être aliéné. La première, l’aliénation

mentale, qui est la vraie folie. La deuxième, l’aliénation sociale, lorsque le réel est

incompréhensible. Mais l’aliénation sociale la plus importante, dans ce réseau technique,

provient des objets techniques est (Simondon, 1989b).

Pour Guattari (2004), le travail fait aussi partie de la servitude machinique. De facto,

le capitalisme, selon l’auteur, non seulement exploite le salarié, au-delà de son temps de

travail, pendant ses temps de loisirs, mais en outre, il l’utilise comme relais pour en exploiter

d’autres : ses subalternes et ses proches non salariés, comme les femmes, les enfants, parents,

etc. En effet, selon lui, la force collective du travail est soumise et aliénée par le pouvoir

capitaliste et la meilleure façon de les soumettre est le contrôle de la subjectivité collective

très bien menés par les moyens de communication de masse. Enfin, il est impossible, selon

l’auteur, que cet ensemble de formes sociales stratifiées, puisse réagir aux mutations

machiniques, car constamment le capitalisme va les réterritorialiser et les restratifier.

!102

3.16.4. La mystification du capitalisme

Pour Bertolo et Lourau (1984), l’idéologie libérale est la forme optimale du conflit

d’intérêts. Par le biais du libre jeu de la concurrence commerciale et de la concurrence

politique, elle est pleine de mystifications, parce qu’elle s’applique à une société inégalitaire

dans laquelle le jeu n’est pas libre, mais est défini exactement comme pratiques d’escrocs, à

travers des lois de division hiérarchique du travail. Marx (1983 [1848]) affirme dans le

Manifeste que :

De toutes les classes qui à l’heure présente se trouvent face à face avec la

Bourgeoisie, le Prolétariat seul est la classe vraiment révolutionnaire. Les autres

classes périclitent et périssent avec la grande industrie ; le Prolétariat, au contraire, est

son produit tout spécial. La classe moyenne, les petits fabricants, les détaillants, les

artisans, les paysans combattent la Bourgeoisie, parce qu’elle compromet leur

existence en tant que classe moyenne. Ils ne sont donc pas révolutionnaires, mais

conservateurs ; qui plus est, ils sont réactionnaires ; ils demandent que l’histoire fasse

machine en arrière. S’ils agissent révolutionnairement, c’est par crainte de tomber

dans le Prolétariat : ils défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels

; ils abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat (p.

14-15).

3.16.5. Le capitalisme mondial en guerre contre la diversité

Le pouvoir, selon Bertolo et Lourau (1984), se base, dans l’élimination des différences

culturelles, pouvoirs précédent et diversités individuelles. Ces diversités, selon eux se

transforment ensuite en des inégalités, simplement parce que le pouvoir serait, selon les

chercheurs, dans une guerre à mort contre la diversité, ou pour la transformer en inégalité. De

facto, pour eux, le pouvoir de tendance totalitaire est ennemi de la diversité,

car elle est considérée comme une forme de pouvoir inacceptable. Les auteurs affirment que

le monde idéal, dans une logique capitaliste classique, est un monde dans lequel

nous devenons tous des marchandises.

!103

3.17. Les raisons pour lesquelles il existe l’analyse institutionnelle

Cette étude a été réalisée dans le cadre théorique de l’analyse institutionnelle, car ses

outils et concepts sont conçus pour mettre en analyse les formes organisationnelles. Ceci par

le biais de l’analyse des implications de mes anciens collègues consultants dans le dispositif

qui a institutionnalisé le pilotage de la qualité. En fait, je n’avais pas imaginé que ces concepts

et outils me permettraient de connaître la boîte noire du processus d’institutionnalisation du

discours (Foucault, 1969) de la qualité.

Monceau (2009b) soutient que durant les années soixante, les courants de l’analyse

organisationnelle et de l’analyse institutionnelle élaboraient des analyses critiques de la

bureaucratie (Crozier, 1963) et des institutions (Lourau, 1969). En effet, la crise générale des

institutions, en mai 68, selon Lapassade (1971), « a permis l’entrée de l’analyse

institutionnelle dans notre enseignement universitaire et dans la pratique sociologique » (p.

185). Pour sa part, Lourau (1978) affirme que si l’internationalisme actif en avait fini d’un

coup avec l’hégémonie de la forme État et, par conséquent, avec toutes les formes sociales

instituées, alors l’analyse institutionnelle aurait séjourné dans les limbes d’une temporalité

parallèle. D’après l’auteur, si la stratégie des organisations autoproclamées marxistes avait été

axée non seulement vers la prise du pouvoir de l’État, mais également et simultanément vers

la dissolution de l’État, si les concepts de socialisme et de communisme n’avaient pas été

bureaucratisés, pour faire revenir le marxisme vers un dogmatisme d’État et faire disparaître

la théorie de la dissolution de l’État, avant que celle-ci ait jamais été prouvée dans la pratique,

l’analyse institutionnelle en situation d’intervention, la socianalyse, n’aurait pas de raison

d’être.

Effectivement, Lapassade (1971) affirme que Lourau qui a montré qui l’analyse

institutionnelle existait déjà :

[...] au moins implicite, dans la philosophie du droit, le marxisme, l’économie,

l’histoire, la sociologie, la psychologie, la pédagogie [...] Pour faire l’histoire du

concept d’institution et de l’analyse institutionnelle on pourrait commencer par les

origines grecques de l’analyse institutionnelle. On y trouverait, déjà, une « théorie »

des analyseurs, de la déviance qui dévoile les systèmes institutionnels, celle d’Œdipe

et d’Antigone, « ces grands transgresseurs de l’institué (p. 185-186).

!104

3.18. Le concept d’institution

Ce fut Castoriadis, selon Lapassade, Bruce, Cosson, Savoye et Ville (1973), qui fut le

premier a utiliser le concept d’institution de la manière dont on commençait à l’utiliser dans la

psychothérapie institutionnelle et dans la pédagogie institutionnelle, notamment en ce qui

concerne le conflit entre la société instituante, la société instituée et l’institution du

capitalisme. Mais Lapassade (1971), qui compare l’ouvrage L’analyse institutionnelle de

Lourau avec le Manifeste de Marx, fait valoir qu’il a été le premier à en établir la nécessité de

produire « un nouveau concept de l’institution et d’en faire en même temps un élément central

pour une nouvelle politique » (p. 189). Lapassade et al. (1973) vont conclure, que le concept

d’institution conserve le même sens actif que pour Castoriadis, en effet, il affirme que « la

notion de l’institué renvoie à des formes universelles de rapports sociaux qui sont nés

originairement, dans une société instituante, qui ne sont jamais définitives mais au contraire se

transforment et peuvent même entrer dans le temps de leur déclin » (p. 273). Pour Monceau

(2013), lorsque Lourau utilise le terme institution, il l’utilise comme un concept plus

opératoire que descriptif et dans un mouvement dialectique qui s’exprime dans la triade

institué/instituant/institutionnalisation. Enfin mon directeur de thèse affirme que l’institution

fait référence aux formes sociales en devenir qui sont traversées par des contradictions actives

(Monceau, 2011b). En fait, selon Monceau (2006), le concept d’institutionnalisation élaboré

par Lourau est fondé sur la dialectique hégélienne parce que « cela suppose un processus

constitutivement contradictoire, fait de tensions et de conflits évolutifs internes et

externes » (p. 56). Ce fut dans son livre Les actes manqués de la recherche que Lourau

(1994a) a établi le caractère dialectique de l’institutionnalisation :

L’institutionnalisation n’est pas réplication et répétition quasi mécanique ; c’est le

mouvement de l’institué qui exige de se ré-instituer en permanence, de se religitimer

en se modernisant, de se moderniser en préservant une structure sociale, tout en

ménageant le jeu des mobilités sociales ascendantes et descendantes (p. 10-11).

Pour Lourau (1978) les trois moments de la notion d’institution montrent que

l’institutionnalisation est un processus, une lutte, une transformation qui fait référence à tous

les aspects du phénomène social et non pas seulement à un seul. Il est vrai que le moment de

l’instituant a toujours été muni d’un fort potentiel dynamique, que l’institué représente le

!105

résultat d’une stabilisation en faveur de l’institution et que le moment de

l’institutionnalisation indique une phase active de stabilisation (mais non de stabilité).

Toutefois, pour Lourau (1997a), le concept d’institution grâce auquel « les forces

sociales deviennent des formes sociales » (p. 56), à la lumière de la pensée de Simondon, est

de nature transductive, ce qui suggère le mouvement. Par ailleurs, en référence à la pensée de

Ravatin (1992 cité dans Lourau, 1997a), tout se passe dans un devenir qui se présente comme

une « onde de forme ».

3.19. Le concept d’implication

Lourau (1970) utilise la triade idéologique, organisationnelle et libidinale pour

caractériser la manière dont les groupes humains s’instituent. Cette triade est utilisée par la

suite, dans l’analyse institutionnelle, tant pour penser les différentes dimensions de

l’institution, que les diverses dimensions de l’implication des personnes par rapport à

l’institution (Monceau, 2010). Autrement dit, pour Lourau (1969), l’implication serait la

somme d’appartenances, subjectives et objectives et de références dans lesquelles s’inscrit

l’individu par opposition à la distance institutionnelle. Enfin Lourau affirme que les

appartenances, la participation et l’engagement sont situés dans le domaine de

l’analysable » (Lourau, 1997 b, p. 27), toutefois dans cette courbure du concept d’implication,

la désimplication et la surimplication sont situées dans le domaine de l’inanalysable en

situation socianalytique.

3.20. La réduction de l’institution à l’institué

Selon Lourau (1970) dans la théorie marxiste qui se rebelle contre l’idéologie

dominante et le droit, le concept d’institution a généré de la méfiance et du rejet, parce qu’il

peut servir de façade idéologique pour masquer des relations de production. De facto, pour

l’auteur, l’idéologie dominante s’appuie sur la philosophie du droit et ainsi il suffit à l’État de

se répéter pour légitimer l’institution. Mais la singularité de la pensée de Lourau (1970) est

que l’institution appartient à la fois à l’institué et à l’instituant. Un exemple par lequel

l’auteur, expose cette idée est celui du syndicat dont la négativité par rapport aux institutions

économiques et politiques s’exerce, au moins potentiellement, sous la forme de revendications

ou de mouvements de protestation. Mais le syndicat est également un moyen de contrôler

!106

indirectement les initiatives de la base ouvrière. En effet le droit syndical a été

institutionnalisé dans la plupart des pays les plus industrialisés. Un mouvement social peut

devenir une contre-institution, un contre-pouvoir qui perdure dans une forme sociale, ceci

malgré les obstacles extérieurs et la négativité qui le ronge parle rappel de l’instituant. Les

mouvements sociaux sont comme obligés de s’aligner sur les institutions dominantes et de

reproduire les relations sociales dominantes. Il existe une contradiction, selon l’auteur, entre

la lutte contre l’institution et la lutte en faveur de l’institutionnalisation. Ainsi une contre-

Eglise peut finalement s’intégrer au sein du système institutionnel et perd, donc, sa nature

anti-institutionnelle. D’après Lourau (1978), le refus d’analyser les contradictions indiquerait

une intégration progressive du mouvement révolutionnaire à l’institué. En fait ce qui ressort

plus clairement de cette victoire de l’institutionnalisation sur les énergies anti-

institutionnelles, n’est pas tant le caractère fatal de la récupération et de la normalisation, mais

plutôt l’inaptitude radicale au dépassement manifesté par le mouvement révolutionnaire, du

fait du rejet des analyseurs de sa propre institutionnalisation.

3.21. Des possibilités de détournement et de réappropriation grâce à un processus

de singularisation

Quelles possibilités avons-nous pour sortir de l’aliénation, pour dissoudre les

institutions qui réussissent à s’installer avec ce type de dispositifs de savoir-pouvoir

(Foucault, 2004a) sur lequel j’ai décidé d’enquêter ? Est-ce que nous devons laisser le pouvoir

aux machines étatiques qui, comme le suggère Guattari (2006), contrôlent tout ? Selon

l’auteur, a contrario nous devons agir, reprendre le pouvoir sur notre propre action

quotidienne contre tous ces schémas de pouvoir. D’après lui, nous pouvons le faire dans le

cadre d’une micropolitique. Selon l’auteur, l’attaque à la logique du système ne doit pas être

réalisée de manière abstraite mais par le biais de l’expérience. C’est ce que les auteurs

appellent le processus de singularisation, qui n’est pas un salut au drapeau, un simple acte

symbolique de résistance politique. C’est pourquoi nous devons, dit l’auteur, résister à tout

type de sérialisation ou de normalisation de la subjectivité et, en revanche, produire d’autres

modes singuliers de subjectivité. Ces processus de différenciation sont appelés, par Guattari,

révolutions moléculaires. Pour rendre effectifs les processus de réappropriation de la

subjectivité, une minorité sociale doit organiser sa vie autrement ou se débarrasser des

!107

systèmes de coercition qui tendent à la modéliser. D’après l’auteur, elle doit créer ses propres

modes de référence, ses propres cartographies, inventer sa propre praxis, de manière à

provoquer des ouvertures dans le système de subjectivité dominante. C’est-à-dire qu’il est

nécessaire de construire une autre logique, construire ses propres modes de subjectivation, de

réponse micropolitique. Enfin, nous devons, selon l’auteur, éviter la réponse normative et

chercher à construire un processus qui pourrait changer la situation, au-delà du niveau local.

Pour Guattari (2006) les modes de subjectivation uniques ou processus de

singularisation sont la seule façon de rejeter les modes de codification préétablis, les modes de

manipulation et de contrôle à distance. Le but est de produire un type de subjectivation

différent du capitalisme pour atteindre la retérritorialisation sur les petits ghettos subjectifs

dans la ligne contraire à la subjectivité/subjectivation dominante. Selon l’auteur ces processus

de singularisation vont agir au niveau des idéologies et également sur la subjectivité des

personnes. Ils vont changer leur façon de percevoir le monde et de s’articuler collectivement,

parce que tout type de transformation au niveau macropolitique et macroéconomique, va

également affecter la production de subjectivité. Si un groupe est capable de produire sa

propre sémiotique, selon Guattari (2006), il peut produire sa propre cartographie et influer sur

les relations au niveau local. Pour l’auteur, la principale caractéristique d’un processus de

singularisation est qu’il doit être capable de capter les éléments de la situation et de construire

ses propres types de références pratiques et théoriques, sans rester dans une position constante

de dépendance à l’égard du pouvoir global.

3.22. Les analyseurs peuvent dissoudre l’État

Selon Lapassade (1971) l’analyseur serait un dispositif matériel qui produit de

l’analyse. Mais les événements analyseurs, d’après l’auteur, peuvent être ambigus : « cette

ambiguïté de l’événement est un élément important de son efficacité symbolique » (p. 189).

Pour Lourau (1978), l’analyseur est ce qui permet de révéler la structure de l’institution, ce

qui peut le provoquer, qui va l’obliger à parler.

D’un texte de Freud Psychologie collective et analyse du moi, Lourau extrait la triade

libidinal, idéologique, organisationnel, qu’il mobilise pour caractériser la façon dont les

groupes humains sont institués. Selon Monceau (2009a), Lourau va les utiliser pour décliner

aussi les trois types de déviances qui peuvent être observées dans les institutions.

!108

Selon Lourau (1970), tout négatif, qu’il s’agisse de conflits interpersonnels ou lutte

des classes, doit être considéré comme un analyseur. Pour Lourau (1978), l’analyse

institutionnelle en situation d’intervention peut utiliser les analyseurs naturels. Tel est le cas

des analyseurs historiques, événements qui révèlent les contradictions d’une époque passée et

produisent une analyse dans le présent.

Lapassade (1971), plaide aussi pour la construction d’analyseurs artificiels. L’auteur

va soutenir que ces analyseurs artificiels, provocateurs, « sont nécessaires, pour avancer dans

la connaissance, lorsque les hommes qui font l’histoire n’ont pas eux-mêmes produit des

provocations de sens » (p. 188).

Selon Lapassade (1971), des déviants naissent de contre-institutions, de contre-culture,

de contre-société. « La théorie institutionnelle de la déviance, des radicaux, des marginaux,

c’est aussi l’analyse de cette contre-société avec ses groupes d’opposition et de refus qui se

rencontrent parfois dans le projet collectif de l’ordre établi » (p. 192). Mais provoquer l’acting

out institutionnel, affirme l’auteur, suppose de donner la parole et cela exige, « la médiation

d’individus particuliers que leur situation dans l’organisation fait accéder à la singularité de

provocateur. Ces provocateurs, les bureaucrates les appellent aujourd’hui gauchistes ; les

sociologues préfèrent le terme de déviants » (p. 191). Tous ces déviants, selon Lourau (1970),

vont se décliner de la même manière que dans le reste de sa théorie, c’est-à-dire comme

idéologiques, libidinaux et organisationnels. Pour l’auteur le déviant idéologique « c’est le

déviant «politisé», au sens le plus classique de ce terme » (p. 191); le déviant libidinal « c’est

le plus hippie des déviants. Il introduit dans les groupes le trip, le jeu, l’humour et la

distanciation » (p. 191); le déviant organisationnel c’est « le point où se rencontrent les

problèmes les plus pratiques et matériels d’une part, les questions les plus théoriques d’autre

part : l’organisation » (p. 191).

3.23. Le concept d’autogestion est capable d’offrir un contenu réel au processus

de disparition de l’État

Je suis intéressé par le concept d’autogestion car il représente le terme opposé à

l’hétérogestion. De fait, le pilotage par la qualité constitue une négation de l’autogestion. Pour

Lourau (1978) le contenu de l’alternative est essentiel dans la définition de la contre-

institution. Si l’effet souhaité est la dissolution de la super-forme d’État, les moyens pour y

!109

parvenir tournent le dos aux méthodes habituelles du combat politique dirigé et élaboré par les

partis. La désinstitutionnalisation, alors, selon l’auteur, n’est pas synonyme de vide,

d’absence, de faute et encore moins de refus de lutter. Pour l’auteur l’État est un concept

nominaliste qui n’a besoin pour exister de rien de plus que le fait d’être un produit

intellectuel. En revanche, selon lui, l’autogestion est un concept réaliste, il se manifeste dans

la réalité sociale. Le concept d’autogestion donnerait un contenu réel au processus de

disparition de l’État. Pour l’auteur, ces collectivisations dirigées contre le capitalisme et

contre l’État, sont une tentative dynamique, un processus de désinstitutionalisation de la

société de l’État, par l’action d’une forme alternative qui affecte la politique par le biais de

l’économie. C’est, dit l’auteur, la contre-institution qui propose une alternative aux formes

sacralisées de l’ordre existant. Dans le même sens, Bertolo et Lourau (1984) affirment que

l’autogestion n’est pas une méthode neutre, elle est anarchique. En effet aucun pouvoir n’est

suffisamment élastique pour gérer l’infiniment divers, de fait la diversité est ingouvernable,

s’autogère. L’autogestion est bien la négation de l’hétérogestion.

La cogestion, selon Lapassade (1977), équivaut à la simple participation au processus

de travail capitaliste, dans des entreprises dirigées par le capital. En revanche l’autogestion est

un rejet de la participation au processus de travail capitaliste et une lutte pour un processus de

travail socialiste où le travailleur collectif s’approprie finalement les instruments de

production. La cogestion, selon lui, équivaut à la simple participation au processus de travail

capitaliste, c’est-à-dire pour une entreprise appartenant au système capitaliste En revanche

l’autogestion constitue le rejet de la participation au processus de travail capitaliste et la lutte

pour un processus de travail socialiste où le travailleur collectif s’approprie finalement les

instruments de production.

Enfin, selon Monceau (2010), la méthode d’enseignement promue par Lourau,

l’autogestion, est proposée pour repolitiser des institutions éducatives non pas pour

promouvoir un dogme politique, mais pour lutter chaque jour contre ce qui peut dissimuler les

déterminations institutionnelles.

!110

3.24. L’émergence de l’observation participante, la caméra participante, le

cinéma-vérité et l’anthropologie partagée

Une autre référence importante pour construire ma recherche est l’anthropologie

partagée telle qu’elle a été proposée par Jean Rouch en s’inspirant de Robert Flaherty. Cette

démarche se retrouve dans ma propre manière d’utiliser la caméra dans les entretiens que j’ai

organisés avec les sujets de ma recherche, les consultants en qualité.

Pour mettre en scène la vie des autochtones du Grand Nord, le cinéaste Robert

Flaherty a découvert l’observation participante (Rouch, 1979). Pour tourner le documentaire

« Nanook of the North » (1922) qui est devenu un film très célèbre, il a rapidement compris

que pour montrer plus fidèlement la réalité, il devait réviser les images qu’il prenait de

Nanook, son seul sujet. Toutefois, pour Rouch (1979), outre Flaherty et Nanook, il y avait un

troisième personnage, « une petite machine capricieuse mais fidèle, d’une mémoire visuelle

infaillible » (p. 56), la « caméra participante » (Heusch, 1962). Ainsi, pour donner à voir par

le cinéma la réalité d’une situation, il est nécessaire de la reconstruire.

L’invention du cinéma-vérité peut être attribuée à Dziga Vertov. Son film « L’homme

et la caméra » (1929) est une tentative pour documenter fidèlement ce qui se passe dans les

rues pendant la révolution bolchevique. Vertov affirmait que le « ciné-oeil » comprend toutes

les techniques de tournage et toutes les méthodes sans exception permettant de parvenir à la

vérité, qui, selon lui, est toujours en mouvement (Rouch, 1979).

Le « cinéma direct », créé par Jean Rouch, est une façon de prolonger la vision

cinématographique et documentaire du cinéma-vérité de Flaherty et Vertov. Rouch utilisait

une caméra inspirée, à la première personne, et son impératif était l’improvisation. Rouch

partage la qualité d’auteur du film avec les participants, pour créer une réalité

cinématographique au lieu de décrire un monde extérieur (Colleyn, 2004), ce qu’il appelle une

anthropologie partagée (Gaspar de Alba, 2006). Il s’agit en permanence de déconstruire

l’opposition dualiste fiction/non-fiction, en mettant les personnages en situation de se

construire eux-mêmes pendant la réalisation du film (Diop, 2007). Rouch renie une attitude

objectiviste pour donner lieu à une anthropologie partagée où l’autre a quelque chose à dire;

en cultivant même un surréalisme ethnographique. Selon Colleyn (2004) « l’enquête l’affecte

et il affecte l’enquête : en filmant, il s’est absorbé dans une ciné-transe qui le place au centre

du rituel » (p. 538). Pour Rouch ce qui est intéressant, ce sont les intentions propres de chacun

!111

des acteurs et la perception par le réalisateur de l’évolution de sa relation avec les acteurs dans

le film (Piault, 2004).

3.24.1. Tout film a un caractère sélectif et subjectif

Pour Colleyn (1999) aucun film n’est un reflet précis de la réalité, aucun film ne peut

fournir une contextualisation fidèle et complète. En effet, le tournage et le montage sont de

nature soustractive. Selon l’auteur, pendant le tournage et encore plus au montage, il s’opère

une rupture avec « la linéarité empirique du temps et la contiguïté spatiale » (p. 27). Tout

enregistrement et film ont un caractère sélectif et subjectif (Mead, 1979) et toute information

obtenue est contextuel (Colleyn, 1999). Pour Colleyn (1999) « en filmant l’objet que je

choisis, je le cadre (ou l’éclaire) et laisse hors champ (ou dans l’ombre) une infinité d’objets

possibles, qui seraient découpés autrement, dans le flux de l’expérience de terrain » (p. 27). Il

est impossible de réaliser un enregistrement totalement objectif de la réalité, de fait le choix

d’un sujet est essentiellement subjectif, y compris le choix du matériel utilisé, les objectifs

pour la prise de vue par exemple. Rien de plus subjectif que le montage en dépit des efforts du

monteur pour donner de l’objectivité au film (Gaspar de Alba, 2006). De fait, le réalisateur ne

peut pas vraiment saisir ce qui se passe naturellement et spontanément auprès de son appareil

(MacDougall, 1979). Une infinité d’objets possibles peuvent être découpés sur le terrain

(Colleyn, 1999). En effet, on ne peut afficher quelque chose sans en cacher d’autres (France,

1979). MacDougall (1979) l’explique clairement de la façon suivante :

En un sens, la fonction du viseur de la caméra est l’inverse de celle du viseur d’un

fusil avec lequel le soldat met en joue son ennemi. Le viseur du fusil cadre une image

pour la détruire; celui de la caméra, au contraire, cadre une image pour la conserver,

annihilant de ce fait la multitude d’images environnantes qu’il aurait pu prendre

forme au même moment, à partir du même point d’observation (p. 98).

3.24.2. L’avantage des caméras vidéo sur les caméras de cinéma de 16mm

Nous disposons maintenant de caméras mobiles et de microphones qui peuvent se

connecter, via une mixette, à la caméra. Jean Rouch disposait lui de caméras de cinéma de 16

mm avec une autonomie de dix minutes de pellicule. Toute les dix minutes, il devait cesser

d’enregistrer pour recharger la chambre. Nous n’avons plus cette contrainte, ce qui est

!112

important car dans le cinéma documentaire des scènes ne peuvent être répétées. Par contre,

avec cette ancienne technologie, les réalisateurs avaient le temps de réfléchir sur la prise de

vue en termes de montage (Colleyn, 2008).

Résumé du chapitre

Dans ce chapitre, j’ai présenté le champ de cohérence scientifique qui est

présent dans toutes les étapes de ma recherche et qui correspond à mes implications

secondaires ou épistémologiques.

Dans le chapitre suivant je présenterai le dispositif de recherche pour la collecte et

l’analyse des données, ainsi que les outils de l’analyse institutionnelle que j’ai utilisés pour

élargir le champ d’analyse.

!113

!114

Chapitre 4 : Dispositif de recherche

4.1. La problématisation

Dans ce chapitre, je vais présenter le dispositif de recherche qui m’a permis de mieux

connaître la manière dont les consultants utilisent les objets techniques de leur boîte à outils

pour influer sur l’implication des chefs et des équipes de direction des établissements. Dans le

même temps, je vais également explorer la manière dont ces mêmes consultants s’impliquent

professionnellement dans les mouvements institutionnels de FS pour institutionnaliser le

pilotage par la qualité dans le système scolaire. Enfin, je porterai également attention à la

manière dont mon dispositif de recherche et ma propre action, ont pu influer les implications

des participants (Monceau, 2010).

Cette étude des pratiques quotidiennes de mes ex-collègues consultants, dans le

contexte d’une éducation de marché, n’a été ni commandée ni financée par aucune institution.

Cette recherche est née de mon propre intérêt, dans une posture de praticien-chercheur (Kohn,

2001), pour dévoiler la boîte noire du processus de certification de la qualité.

4.2. Les questions de la recherche

Il me semble nécessaire de rappeler ici les trois questions de recherche qui ont guidé le

développement de ce travail :

Quels sont les effets des évolutions institutionnelles de la Fondation Schiller

concernant la traduction du pilotage par la qualité dans le système scolaire sur l’implication

professionnelle des consultants ?

Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986) exécutées par les consultants,

en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour influer sur l’implication des chefs

et des propriétaires d’établissements scolaires dans l’institutionnalisation du pilotage par la

qualité ? Ceci tout en leur permettant de réussir le processus de certification de la qualité.

Quels effets produisent les interférences entre les différentes logiques institutionnelles

qui traversent leurs pratiques sur le discours des consultants ?

!115

4.3. Critères de sélection des participants

Un groupe de sept collègues consultants a accepté de participer à cette recherche. Les

trois critères utilisés pour la sélection des participants ont été les suivants :

(a) qu’ils aient conduit avec succès des processus de certification de la qualité

d’établissements scolaires dans leur rôle de consultant, c’est-à-dire qu’au moins un

établissement accompagné par eux ait réussi à obtenir le label de qualité ;

(b) que, de plus, ils aient joué le rôle d’évaluateur externe, qui est la contrepartie du

rôle de consultant, dans le processus de certification ;

(c) enfin, qu’ils aient aussi participé au pilotage du modèle de l’ACE qui est le nouvel

organisme institué par l’État pour couronner le processus d’institutionnalisation du

pilotage par la qualité dans le système scolaire.

J’ai donc choisi des consultants impliqués dans les différentes logiques d’action

(consultation, évaluation externe, pilotage) engagées dans le processus d’institutionnalisation

du pilotage par la qualité, ceci afin d’augmenter les opportunités d’analyser les interférences

institutionnelles présentes dans leurs discours et tensions idéologiques (Foucault, 1969).

4.4. Présentation des participants

Sept des dix anciens collègues ayant « survécu » aux mutations institutionnelles de FS

et remplissant les exigences fixées pour la sélection des participants ont accepté de participer

à cette recherche. Si ce nombre peut sembler réduit, il est aussi la garantie de pouvoir mener

une investigation de type socio-clinique qui nécessite à la fois l’adhésion et la permanence des

participants. De plus, l’objet de la recherche étant particulièrement sensible au plan

idéologique, il était nécessaire de créer les conditions de la confiance pour accéder aux

pratiques réelles de ces consultants encore en activité.

Compte tenu de l’approche socio-clinique de la recherche, il est nécessaire de procéder

à une présentation de chacun des participants. En effet, leurs expériences et parcours sont

importants pour mieux comprendre la manière dont ils sont impliqués professionnellement.

Carlos a un statut particulier dans mon dispositif de recherche. Je le qualifie de 20

« collaborateur ». Il est titulaire d’une licence d’espagnol obtenue à l’Université de

Les prénoms des sept participants ont été modifiés. Mais de toute évidence les participants vont 20

sortir de l’anonymat lors de la diffusion du documentaire, bien sûr après la signature de leur consentement.

!116

Concepción. Dans les années 80, pendant la dictature, il a été poète et auteur-interprète plus

ou moins connu dans sa région, dans le sud du pays. Il a publié son premier recueil de poèmes

en 1988 et son premier livre de contes en 1994.

Carlos a 63 ans et habite à Santiago. Il a exercé des responsabilités administratives. Il

a été directeur du lycée Mariano Latorre (1994-2001) après avoir été enseignant pendant six

ans dans le même établissement où il a été le créateur du premier « Orchestre de jeunes »,

projet qui s’est ensuite étendu à tout le pays. Il a aussi été directeur du collège Francisco de

Miranda à Santiago (2007-2013).

De plus, il a dirigé deux ONG dans la région du BioBio dans le sud du Chili

(1998-2003). Il appartient à la première génération de consultants de FS . 21

Carlos est évaluateur pour le CNCGE depuis 2008. Lorsqu’il a quitté son dernier poste

de chef d’établissement, il s’est consacré entièrement à son propre cabinet-conseil. Il est en

même temps militant et dissident du dispositif. Son leadership alternatif incarne bien le

négatif de l’institution, il est une sorte de déviant libidinal (Lourau, 1970). En tant que

collaborateur de la recherche, il a vécu une grande transformation au cours du déroulement de

celle-ci. Il a participé à la restitution et à l’élaboration des résultats.

En 2013, avec d’autres consultants, il a créé une Fondation d’éducation. Il a assuré le

succès de son entreprise en invitant cinq grands chefs d’entreprises à participer au directoire

de la fondation, ce qui lui a permis de se lier rapidement à des entreprises et des lycées

techniques par le biais de programmes de formation duale dans diverses spécialités 22

techniques qu’exigent ces entreprises qui ont été associées.

Leonardo a 53 ans et habite à Santiago. En tant que fonctionnaire du MINEDUC, il a

participé à l’institutionnalisation du dispositif de qualité SACGE durant les années 2003 et

2004. Ce consultant a obtenu une licence en éducation à l’UMCE (Université Métropolitaine

de Sciences de l’Éducation) et en outre il est diplômé en éducation primaire de la PUC

(Université Catholique du Chili). Par la suite, il a obtenu un Master en direction et gestion

scolaire de la qualité) à l’UDD (Université du Développement), ce qui l’accrédite comme

consultant en qualité.

Il a réalisé sa formation de consultant en qualité, comme moi, durant l’année 2003.21

La formation professionnelle duale est une modalité de formation professionnelle dans laquelle le 22

centre éducatif et l’entreprise ont la responsabilité partagée de la formation de l’apprenti.

!117

À partir de 2010, il a été évaluateur externe du CNCGE. De plus, il a été

coordonnateur du programme de Master de l’UDD qui a été construit en coopération avec la

Fondation Schiller et l’Université de Toronto entre les années 2011 et 2013.

Enfin, il est aussi professeur à la faculté d’éducation de l’Université Finis Terrae

depuis 2014. Leonardo a un positionnement très différent de celui de Carlos, il est le

consultant en qualité et l’évaluateur externe le plus performant. Il est directeur de sa propre

Agence Technique inscrite dans le répertoire ATE depuis 2011, cette société travaille sous

la forme de contrats de sous-traitance avec une plus grande entreprise dans le but

d’accompagner un grand nombre d’établissements. Il compte sur tous ses contacts, obtenus

grâce aux nombreuses années passées au MINEDUC et en travaillant avec les municipalités.

D’ailleurs, au moment où j’ai réalisé l’entretien individuel avec lui, il fournissait des services

de cabinet-conseil à de nombreuses municipalités. L’une d’entre elles avait 12 établissements.

Pour pouvoir assumer cette grande charge de travail, il devait confier certains travaux à

d’autres cabinets de conseil plus petits. Carlos ne peut pas concurrencer avec des entreprises

comme celle de Leonardo.

Gabriel a 62 ans et habite à Santiago, il est directeur académique d’une holding

d’établissements subventionnés dans la commune de Maipú à Santiago depuis 11 ans. Il est

professeur d’État et diplômé de Master en éducation. Il appartient aussi à la première

génération de consultants de FS. Il est l’un des consultants qui a le plus d’expérience.

Lucía a 54 ans et habite à Santiago, elle est ingénieur agronome de l’Université

Catholique du Chili et diplômée en Master de direction et gestion scolaire de l’UDD. Elle est,

en outre, secrétaire exécutive d’une fondation de l’Eglise qui gère des établissements

subventionnés dans la commune de Quinta Normal à Santiago depuis 10 ans. Elle est aussi

évaluatrice du CNCGE depuis 2010.

Leticia a 59 ans et habite à Santiago, elle est titulaire d’une licence en physique à

l’Université de Santiago et aussi d’un Master en direction et gestion scolaire de l’UDD. Elle

appartient à la première génération de consultants de FS. Elle est aussi évaluatrice depuis

2008. Elle a occupé des postes de direction dans divers établissements de Santiago, à La

Cisterna et Maipú. Depuis 2006, elle exerce également comme conseil en gestion

institutionnelle pour le programme Mejor Escuela (ME, Meilleure École) de FS dans les

communes de Santiago et Los Andes.

!118

Enfin, les deux autres participants suivants sont membres du staff de FS. 23

David a 53 ans et habite à Santiago. Il est sous-directeur du Programme de Gestion et

de Direction Scolaire de la Fondation Chili et Secrétaire technique du Conseil National de

Certification de la Qualité de la Gestion Scolaire depuis 2003. Il participe en tant que

chercheur au Centre des Politiques et Pratiques de l’Éducation (CEPPE) dans l’axe

« liderazgo directivo » (leadership directif). En ce qui concerne sa formation, il a réalisé une

licence en religion et morale à l’Université Catholique du Chili et suivi un cours universitaire

d’administration des organisations éducatives dans la même université, puis un DEA et un

doctorat en sciences de l’éducation à l’Université Complutense de Madrid.

Antonia a 59 ans et habite à Santiago, elle est la coordinatrice du processus de

certification depuis 2009. Elle est licenciée en histoire et géographie à l’Université Catholique

du Chili et diplômée d’un Master of Arts en sciences de l’éducation à l’Université Catholique

de Louvain, Belgique. Elle a suivi la formation de consultants en gestion scolaire à la

Fondation du Chili, ainsi que le Master de direction et de gestion scolaire de l’UDD qui l’a

accréditée comme consultante.

En conclusion, ces consultants, dont la moyenne d’âge est de 58 ans, ont en commun

de vivre dans la région métropolitaine et d’avoir eu des responsabilités administratives

importantes dans des établissements scolaires. Carlos, Gabriel, Antonia et Leticia ont travaillé

avec David il y a plus de dix ans. Lucía et Leonardo ont connu David, le secrétaire technique

du CNCGE, dans le Master et grâce à cette affinité, ils ont été intégrés à ce groupe restreint.

Les consultants qui ont déserté, comme moi-même, ne sont tout simplement pas apparentés à

ces staffs. Il s’agit d’un processus de cooptation plus que de mérite.

On peut également constater, à la lecture de ces portraits, que cette première

génération de consultants qualité est impliquée de différentes manières dans le dispositif de

pilotage par la qualité.

4.5. Posture qualitative du chercheur

L’approche socio-clinique institutionnelle qui oriente nos recherches, très bien décrit

par Valentim et Monceau (2011), est « résolument qualitative ». Les auteurs précisent que

c’est la diversité des sujets de la recherche plus que leur nombre qui importe et ils ajoutent :

Le rôle des membres du staff est la médiation entre les évaluateurs et conseillers.23

!119

« Nous ne cherchons pas à quantifier les opinions de nos interlocuteurs mais à comprendre

comment leurs subjectivités se forment et évoluent » (p. 8). De plus, comme dans toute

recherche menée dans le cadre théorique de l’analyse institutionnelle, il est impératif d’avoir

une position flexible comme chercheur.

Selon cette démarche, il est important que le chercheur réalise l’analyse de ses propres

implications (Lourau, 1997a). Selon la même logique, Ravatin (1986) recommande de passer

du C. de C. (champ de cohérence) usuel à l’autre C. de C. : « [...] on ne fera pas de séparation

entre objectif et subjectif, non pas parce que cette frontière est plutôt floue, mais parce que le

fait de penser objectif-subjectif brise une richesse de pensée, ramène au champ de cohérence

usuel, si on est dans l’autre champ de cohérence » (p. 4).

4.6. L’implication comme instrument de production de connaissance

Le champ de cohérence scientifique de cette recherche correspond principalement à

l’analyse institutionnelle (Lamihi et Monceau, 2002). Dans celui-ci, le concept d’implication

est non seulement un outil de critique radicale de la connaissance scientifique établie (Lourau,

1997a), mais aussi la clé instituante d’une autre manière de faire recherche (Monceau, 2013).

L’implication est définie par Lourau (1970) comme l’ensemble des rapports, conscients ou

non, qui existent entre l’individu et les institutions. Ces implications peuvent se décliner de

manière idéologique, organisationnelle ou libidinale (Monceau, 2010). Selon Lourau (1969),

nous ne pouvons pas abandonner totalement l’institution car nous lui sommes liés par un

certain degré de consentement, d’appartenance, d’engagement, de participation ou

d’intégration, bien que la soumission à ces institutions ne soit jamais totale (Monceau, 2010).

En effet, la même personne, selon l’auteur, peut jouer durant sa vie privée ou professionnelle

les différents moments du concept d’institution. Un même sujet peut, en effet, être à la fois

serviteur de l’institué et promoteur de l’instituant, ce qui ne va pas sans contradictions

internes. C’est par exemple le cas des enseignants qui mettent en œuvre des innovations

pédagogiques qui dérangent le fonctionnement scolaire habituel tout en restant des

fonctionnaires attachés à leurs statuts et à l’organisation scolaire.

Par ailleurs, d’après Lourau (1990), un citoyen participant activement à différentes

associations et votant régulièrement, pourrait ne pas être plus impliqué que celui qui ne

participe pas. Pour l’auteur les deux situations doivent être analysées avec plus de précision.

!120

De fait, les actes de celui qui ne veut pas s’engager, ou qui est absent, peut témoigner d’un

type de participation contestataire, exprimant une désaffectation pleine de force instituante.

Toutes les actions sont significatives, aussi bien celles qui prennent les apparences

institutionnellement attendues que celles qui s’y opposent. Enfin, bien que la représentation

instituée de l’implication soit désormais considérée comme un outil d’auto-réalisation

(Thévenet, 2002) et de productivité (Le Strat, 1996), il est également utilisé comme un outil

d’aliénation (Monceau, 2003a).

Pour Lourau (1997a), tenter d’objectiver une recherche est très subjectif. L’intention

de mener une enquête puis la manière de présenter ses résultats, supposent l’implication

« dans l’acte de recherche lui-même comme processus existentiel » (p. 19). Pour Lourau

(1997a), il est matériellement impossible de ne pas être impliqué, « le degré zéro de

l’implication est l’inclusion de l’Obs dans la situation observée » (p. 61). De fait, selon

l’auteur, les actes de paroles « sont pris dans des processus d’individuation qu’ils alimentent

eux-mêmes » (p. 63). Mais, selon l’auteur, l’implication à analyser ici n’est pas seulement

celle du chercheur dans sa pratique de recherche mais elle engage tout son être.

Dans la première variation de son livre Implication, Transduction, Lourau (1997a) se

pose la question suivante : « Comment actualiser tout ce que l’institution nous oblige à

potentialiser afin de survivre sans trop de vagues, comment potentialiser sans honte la réalité

de l’acte de recherche ? » (p. 7). Selon lui, l’analyse des implications est la meilleure façon de

mettre à jour ce que l’institution nous a obligé à potentialiser. L’auteur fait référence à

Ravatin, pour affirmer que l’Obs s’implique dans l’acte de connaissance en lançant un champ

de cohérence et « se met à l’intérieur de ce champ de cohérence » (p. 7). De plus, selon lui et

en mobilisant les notions du philosophe Simondon, il considère qu’il s’agit d’une plongée

« dans le trans-individuel (…) donc également plongée dans le pré-individuel » (p. 54). Il fait

alors référence à Lupasco, concernant l’exclusion ou potentialisation dans l’implication

négative, pour dire que « si une implication s’actualise, une exclusion ou implication négative

est potentialisée » (Lourau, 1997a, p. 56). En conclusion, la distanciation, selon l’auteur, ne

semble pas une posture idéale. Il serait absurde de nous priver des avantages de « l’analyse

des implications qui s’actualisent collectivement » (Lourau, 1997a, p. 10). Le fait d’analyser

ces implications revient à prendre en compte un autre C. de C. et il y a donc transduction. De

facto, pour l’auteur, « l’implication est un instrument de production de connaissance » (p. 8)

!121

et pour cette même raison, toutes les actions de recherche doivent être considérées comme une

intervention.

Toutefois, comme l’affirme Lourau (1991), avec l’exigence institutionnalisée

d’effectuer la recherche le plus rapidement possible, la vie quotidienne des chercheurs est

censurée. Ils disposent de moins de temps pour réaliser l’analyse de leurs propres implications

et par conséquent pour inclure le négatif dans la présentation de leurs résultats, ce qui revient

à se tirer une balle dans le pied.

4.6.1. Les dangers de la systématisation de l’analyse des implications

Selon Lapassade et Lourau (1971), l’implication d’un chercheur est l’ensemble des

relations qu’il entretient, consciemment ou non, avec l’institution. Un chercheur peut se sentir

très capable d’analyser et objectiver ce qui se passe pour les autres et s’exclure de manière

automatique, des relations avec ses objets d’étude, avec l’institution à laquelle il appartient, de

son milieu familial ou autre, de l’argent, du pouvoir de la libido et de la société en général à

laquelle appartient. Mais il peut aussi faire l’analyse institutionnelle, selon Lourau (1997a),

d’une manière trop systématique, même s’il adopte une « conception élargie, globaliste » (p.

62). Le systématisme est plus grave encore lorsque le chercheur adopte une conception

restreinte « qui technicise l’implication, l’instrumentalise sur la base de quelques procédures

limitées, comme l’analyse de la commande et des demandes d’intervention ou de recherche-

action » (p. 62).

Pour conduire cette recherche doctorale, je me suis appuyé sur mes propres

implications dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité. En renouant contact avec

certains de mes anciens collègues et en organisant le dispositif de recherche, j’ai lancé un

champ de cohérence dans lequel je me trouve impliqué.

4.7. Le dispositif méthodologique pour la construction du corpus

J’ai utilisé des techniques de collecte de données qui sont communes à toute enquête

qualitative, ainsi que certaines variations propres de l’analyse institutionnelle. Pour créer les

conditions de la mise en réflexivité des consultants, j’ai effectué cinq entretiens individuels et

deux entretiens collectifs.

!122

4.7.1. Les entretiens individuels et collectifs

J’ai donc réalisé cinq entretiens individuels avec des anciens collègues. Carlos a été

interviewé deux fois, dont une à la fin de la recherche pour la restitution et l’élaboration de

résultats. Les trois autres personnes interrogées de manière individuelle ont été Leonardo,

Gabriel et Lucía.

J’ai également effectué deux entretiens collectifs (Duchesne & Haegel, 2004), au

cours d’une même journée et dans les bureaux de FS. Le premier entretien collectif a été mené

avec David, Antonia et Leticia et le second avec Antonia et Leticia.

C’est Antonia qui m’a envoyé la liste des sept consultants actifs.

Le premier de cette liste avec lequel je me suis d’abord entretenu a été Gabriel qui

s'est avéré être le plus impliqué dans le modèle de la qualité parmi les consultants qui ne sont

pas membres du staff.

Ensuite Carlos, qui est consultant en temps partiel du programme Mejor Liceo

(Meilleur Lycée) et qui peut être considéré comme déviant institutionnel. À partir de ce

deuxième entretien individuel, j’ai compris que je devais rencontrer des membres du staff

avant de poursuivre les entretiens individuels avec les consultants.

J’ai donc interrogé ensemble David, secrétaire technique du Conseil, et l’évaluatrice

paire Antonia. Leticia, consultante du programme Mejor Escuela (Meilleure École), s’est joint

à eux. J’ai prolongé par un second entretien collectif auquel ont seulement participé Antonia

et Leticia. Ces entretiens ont eu lieu dans les locaux de la Fondation mais les entretiens

individuels ont été réalisés en dehors de ses locaux.

Après ces deux entretiens collectifs j’ai décidé d’interviewer les deux consultants qui

avaient obtenu leur accréditation à travers le Master.

Le premier d’entre eux a été Leonardo, qui est le consultant ayant le plus de client.

Ensuite, j’ai rencontré Lucía qui s’est révélée la plus impliquée dans les aspects

néolibéraux du modèle et la plus réfractaire aux réformes du système scolaire pour lesquelles

militent les forces instituantes du mouvement des étudiants.

Enfin, j’ai réalisé le second entretien avec Carlos qui est devenu partenaire de cette

recherche pour lui restituer des résultats partiels.

Les entretiens collectifs sont intéressants pour la recherche car les participants sont

tenus de procéder à des mouvements de rapprochement et d’éloignement, jusqu’à trouver une

!123

distance optimale leur permettant, selon Guattari (1972), de se sentir à l’aise avec le sujet

inconscient du groupe, d’où émerge les désirs du groupe.

En fait, une source d’interférences est produite par la rencontre entre l’émergence de

l’Agence de Qualité de l’Éducation (ACE) et celle du mouvement des étudiants, qui a sans

doute provoqué des perturbations qui sont en train de changer le discours de ce groupe de

consultants.

Une autre source d’interférences surgit en relation avec les différents contextes

institutionnels dans lesquels sont intégrés le chercheur et le groupe de participants, autrement

dit entre l’axiologie du chercheur et celle des consultants. En effet, le seul fait d’expliquer,

succinctement, le sujet de la recherche, au cours de chaque entretien, a certainement fait

évoluer les discours des participants. En effet, durant les entretiens individuels et collectifs,

quelques questions ont provoqué une sorte de choc idéologique parmi les consultants. Cela a

été, par exemple, le cas avec la question : « Tu crois qu’en améliorant la gestion par

établissement, c’est-à-dire à un niveau micro, au lieu de la gestion totale du système éducatif,

cela va être suffisant ? » (Chercheur).

J’ai aussi mieux réussi à régler le coefficient de transversalité avec deux des sept

participants, Carlos et Leonardo. Lors du premier entretien, avec Carlos, j’ai dû commencer à

comprendre et m’adapter au nouveau discours de mes ex-collègues. Il était plein de

nouveautés sur les transformations de FS pour institutionnaliser le pilotage de la qualité dans

le système scolaire chilien. J’ignorais absolument le niveau d’aliénation sociale, l’absence de

reconnaissance et de rémunération de mes collègues encore liés à FS malgré les mutations

institutionnelles.

À l’inverse, lors de l’entretien de restitution avec Carlos, c’est lui qui a dû ajuster son

coefficient de transversalité car mes conclusions l’ont surpris, même s’il était entièrement

d’accord avec elles. « Je n’avais jamais pensé que nous pourrions arriver aussi loin pour

révéler tout ce qui était caché ici, je suis surpris et je me sens un peu dupé » (Carlos). Il s’est

alors senti méprisé et exploité par les conseillers de FS. 24

Le rôle des conseillers est d’évaluer le rapport présenté par l’évaluateur externe.24

!124

4.7.2. Analyse documentaire

J’ai récolté, ordonné et analysé les outils et écrits utilisés par les consultants durant le

processus d’institutionnalisation du dispositif de pilotage par la qualité, tels que les rapports

finaux d’évaluation (ceux établis par les participants à mon dispositif de recherche en leur

qualité d’évaluateurs), les plans d’amélioration élaborés par des consultants avec les équipes

de direction des établissements, certains rapports d’auto-évaluation et la matrice de 52

indicateurs de gestion, associés à chacune des zones du modèle de gestion scolaire de qualité

de la Fondation Schiller. Ce travail de collecte a été long et compliqué car il s’agissait d’une

part d’identifier, en dialogue avec les consultants, quels étaient les documents pertinents et

d’autre part, de me les procurer. Certains sont disponibles sur internet mais d’autres sont plus

confidentiels.

La matrice était en principe la check-list des évaluateurs externes mais certains

consultants ont commencé à l’utiliser pour évaluer l’état d’avancement du plan d’amélioration

des établissements qu’ils accompagnaient. Cependant elle n’est pas toujours partagée avec

leurs clients dans les établissements.

Les documents téléchargés sur internet, comme les questionnaires d’auto-évaluation

(destinés aux élèves, parents, enseignants et cadres), ainsi que d’autres documents d’aide ont

été créés par FS pour que les établissements puissent effectuer, éventuellement, tout le

processus de certification, sans l’aide d’un consultant. Il s’agit du manuel de diagnostic

institutionnel et de conception du plan d’amélioration, des sept fiches de soutien du manuel de

diagnostic institutionnel et de conception du plan d’amélioration, ainsi que des 18 profils de

compétences professionnelles des enseignants.

Ces documents m’ont permis de mener les entretiens individuels et collectifs sur une

base matérielle concrète. J’ai ainsi profité au maximum du temps qui m’était accordé par les

participants.

Le tableau suivant montre des outils utilisés par les consultants, évaluateurs, chefs

d’établissement et les professionnels qui composent l’équipe qualité et des questions de ma

grille d’entretien afin de clarifier leurs usages.

!125

Nom de l’outil Utilisateurs Usage Questions posées aux consultants

Plateforme informatique CMC et questionnaires d’évaluation pour des parents, élèves, enseignants et directifs.

Chefs d’établissement, consultants et les professionnels qui composent l’équipe qualité

Utilisés pour l’auto-évaluation

• Comment les élèves, parents, enseignants et directeurs répondent ils aux questionnaires? En ligne, sur ordinateur ou par écrit sur des questionnaires en versión papier?

• Dans les deux cas, veuillez m’expliquer comment est-ce que c’est organisé, quel est le flux de travail ?

• Qui sont les responsables de la distribution et du recueil des questionnaires ?

• Qui est responsable de l’enregistrement des réponses sur questionnaire papier sur la plate-forme CMC ?

• À ce stade, est-ce que les enseignants collaborent ou bien ce processus est-il conduit uniquement par l’équipe de direction ?

Rapport d’auto-évaluation

Chefs d’établissement, consultants et les professionnels qui composent l’équipe qualité

C’est un document qui est nécessaire pour obtenir la certification.

• Quels sont les acteurs qui sont impliqués dans la rédaction du rapport d’auto-évaluation ?

• L’équipe de direction et vous-même tentez-vous de faire participer les enseignants ou leurs représentants dans l’élaboration du rapport d’auto-évaluation ? Si c’est ainsi combien d’eux participent ? Pouvez-vous me décrire ces réunions ? S’ils ne le font pas, pourquoi pas ?

• Quelles activités sont menées pour socialiser le rapport d’auto-évaluation ? Comment, où, à quel moment et combien de temps durent ces réunions ?

• La communauté des enseignants dans nos écoles est silencieuse, mais il est parfois possible trouver des professeurs dissidents par rapport au processus de certification ? Si c’est ainsi, que faites-vous ? Que fait l’équipe de direction?

• Quel type de critiques reçoivent-vous ?

!126

Plan d’amélioration

Chefs d’établissement, consultants et professionnels qui composent l’équipe qualité.

C’est un document qui est nécessaire pour obtenir la certification et que depuis 2008 est exigé des établissements qui reçoivent des subventions de l’État.

• Est-ce que l’équipe de direction participe à la rédaction du rapport ou bien est-ce que vous l’écrivez seul ?

• Quels autres acteurs de l’établissement participent à la rédaction ? Représentants des enseignants, élèves et parents ?

• Comment est-ce que la participation de ces autres acteurs est encouragée ?

• Comment le rapport est-il rendu public à l’intérieur de chaque établissement ?

• Comment, une fois élaboré, le plan d’amélioration est-il diffusé aux enseignants, élèves et parents ?

• Quel type d’activités sont menées pendant l’évaluation ?

• Est-ce qu’on cherche à réfléchir collectivement à partir du rapport avec les enseignants, élèves et parents une fois le plan élaboré ? Si c’est ainsi, quels types d’activités sont menés pour cela ?

• Est-ce qu’il y a des enseignants qui manifestent des différends avec le rapport ?

• Comment sont traitées ces critiques par l’équipe de direction ?

Matrice des 52 indicateurs

Évaluateur et consultants et parfois pour des chefs d’établissement et les professionnels qui composent l’équipe qualité

Elle a d’abord été utilisée par les évaluateurs pour procéder à l’évaluation externe et deuxièmement par certains consultants pour contrôler l’état d’avancement du plan d’amélioration

• Ne pensez-vous pas que les établissements qui emploient un évaluateur externe ont un avantage sur les autres établissements qui travaillent avec les consultants qui n’ont pas l’expérience dans l’évaluation externe ?

• Est-ce que vous utilisez la matrice de 52 indicateurs, avec laquelle les évaluateurs externes comme vous guident le processus de révision de preuves pour chacun des indicateurs dans les établissements au cours du processus d’évaluation externe, pour recueillir et de fabriquer des preuves dans les établissements qui accompagnent en tant que consultant ?

• Qui recueille des preuves ? Vous-même ou l’équipe directif ?

• Dans votre rôle d’évaluateur vous devez évaluer les preuves que les établissements présentent pour chacun des 52 indicateurs. Qu’est-ce qui caractérise une bonne preuve ?

• Partagez-vous la matrice de 52 indicateurs avec l’équipe de direction pour évaluer les progrès dans le processus de certification ?

• Vous ne considérez pas que guider le processus de certification de l’établissement par la matrice est la clé pour réussir dans le processus de certification ?

• Vous ne pensez pas que cette pratique est de-codifier le modèle de la qualité et il est beaucoup plus facile ainsi de certifier un établissement ?

• Vous ne considérez pas que de cette façon l’établissement obtient des avantages injustes par rapport aux autres qui recherchent la certification et qui n’ont engagé un consultant qui a l’expérience d’avoir travaillé comme évaluateur externe ?

Nom de l’outil Utilisateurs Usage Questions posées aux consultants

!127

Figure 1 : Tableau récapitulatif des outils utilisés par les consultants

Cette analyse documentaire m’a permis de préparer la grille d’entretien avec l’objectif

d’enquêter sur l’usage de ces instruments qui circulent entre les acteurs, au cours du processus

de certification.

4.7.3. Des situations d’observation tirées des entretiens filmés

Étant familier avec les outils cinématographiques, j’ai souhaité les utiliser pour

recueillir des données durant mon enquête. Cependant il n’est pas facile d’introduire une

caméra dans certaines situations. Cela vaut cependant la peine de faire l’effort, parce que,

comme l’écrit Truchon (2016), l’utilisation de la caméra vidéo rend possible une plus grande

Rapport d’évaluation externe

Évaluateurs et conseillers

Les directions d’établissements peuvent le utiliser pour faire la promotion de l’établissement et attirer les élèves lorsqu’il est positif et comme une façon de forcer les enseignants à s’améliorer lorsqu’il est négatif.

• Combien temps avez-vous besoin pour élaborer le rapport que vous devez envoyer au CNCGE ?

• Quel type de rectifications sont demandés pour les conseillers à votre rapport ?

• Quel est le flux de travail et les responsables qui interagissent dans chacune des étapes ?

• Combien temps prennent les conseillers pour réviser le rapport et déterminer si l’établissement mérite du label de qualité ?

• Comment le rapport est diffusé lorsqu’il est positif ? • Le rapport est-il partagé en plénière avec les

enseignants, élèves et parents ? • Quelle est la procédure qui est mise en place avec le

rapport lorsqu’il est négatif ? • Quelles autres usages les directions des

établissements font du rapport ?

Chefs d’établissement et professionnels qui composent l’équipe qualité..

Chefs d’établissement et professionnels qui composent l’équipe qualité.

Les directions d’établissements peuvent les utiliser pour les processus de sélection et certains établissements les adaptent pour effectuer des évaluations de performance.

• Avez-vous utilisé ou recommandé les 18 profils de compétences pour la sélection des enseignants et des directions d’établissements ? Si c’est ainsi, quel est le flux de travail ?

• Est-il vrai que les 18 profils de compétences sont modifiés pour être utilisés dans les processus d’évaluation, développement et promotion des enseignants et directeurs des établissements ? Si c’est ainsi, quel est le flux de travail ?

Nom de l’outil Utilisateurs Usage Questions posées aux consultants

!128

visibilisation et elle est porteuse de reconnaissance: « comme méthode et posture de

recherche, elle offre aux anthropologues et aux participants de leurs recherches des occasions

de réflexivité » (p. 146).

Il ne m’a pas été possible d’obtenir l’autorisation de filmer des séquences

d’observation dans les établissements. En fait il n’y a eu aucune possibilité de filmer les

interactions des évaluateurs durant les visites d’évaluation dans les établissements, parce qu’il

est interdit à des tiers d’y participer et encore moins de filmer durant l’évaluation. De facto, la

confidentialité est prévue par le contrat que signe FS et l’établissement qui paie pour son

évaluation. Il n’est pas non plus possible de filmer les interactions entre les consultants et les

chefs et propriétaires d’établissements ni avec l’équipe de direction, ceci pour ne pas exposer

les clients.

Pour cette raison tout ce que j’ai filmé avant, durant et après les entretiens a eu une

grande valeur pour mon étude. Étant donné que la caméra vidéo était allumée avant et après

les séquences d’entretiens, j’ai enregistré certaines séquences qui constituent de fait des

situations d’observation. Ceci m’a permis de saisir ainsi certaines logiques d’action de mes

anciens collègues consultants. En outre, avoir la caméra vidéo toujours allumée favorise la

relation filmant-filmé (Lallier, 2009). J’ai réglé la caméra pour empêcher l’arrêt

automatique tous les 4 GB d’enregistrement, que les caméras reflex DSLR ont par défaut dans

leur logiciel, afin de ne pas mettre sous tension les participants et de ne pas affecter mon

implication et celle des participants.

4.8. Le dispositif filmique-socio-clinique

4.8.1. La caméra vidéo est capable de pénétrer activement l’univers de chacun des sujets

et rend possible une plus large collecte de données

Sur l’utilisation de la caméra vidéo dans un dispositif méthodologique, Rouch (1979),

a soutenu que cet outil possède une extraordinaire capacité de communication avec le groupe

étudié. Par ailleurs MacDougall (2009), écrit qu’à la différence de l’écriture de notes dans un

journal, l’enregistrement documentaire avec une caméra vidéo est capable de pénétrer

activement l’univers de chacun des sujets, rendant ainsi possible une collecte plus large de

données. Grâce à ce mode d’échange, un film peut mieux refléter la manière dont les sujets

filmés perçoivent le monde. Dans le même sens, selon Colleyn (1999) le film est plus difficile

!129

à gérer que l’écrit, mais sa richesse offre un large éventail de possibilités de traitement. Les

images entretiennent « une épaisseur et une polysémie » beaucoup plus que les transcriptions

verbales et conservent une empreinte indélébile de notre expérience de terrain. Pour cette

raison, selon l’auteur, une image, un plan, une séquence peuvent montrer beaucoup plus que

ce que le réalisateur croit montrer. Dans le même sens, pour De France (1979) :

La description filmique et l’observation de l’image offrent au langage la matière à une

analyse fine des relations entre scène et coulisses, entre ce que les personnes filmées

souhaitent montrer et ce qu’elles souhaitent cacher, entre ce qu’elles considèrent

comme l’essentiel et ce qu’elles rejettent dans l’accessoire (p. 143-144).

Certes, souvent les images parlent d’elles-mêmes, car l’image contient une infinie

quantité de détails et, à la différence des mots, la vision est un phénomène beaucoup plus

instantané qui souvent ne nécessite pas une traduction (Lajoux, 1979).

Peut-être, le plus important est que les personnes filmées, selon MacDougall (1979),

sont porteuses « de l’incommensurable richesse » et de l’effort de l’expérience humaine.

Selon l’auteur, la vie des personnes filmées a une « telle épaisseur » que, quelque soit le

temps passé à filmer, il semble toujours insuffisant.

Il m’a été impossible d’écarter la tentation de réaliser un documentaire basé sur ce qui

s’est passé au cours de ces années de recherche et d’écriture de ma thèse.

En général, le travail de réalisation de films documentaires professionnels ou de

fictions est un travail d’équipe, qui exige au moins un preneur de son en plus du cameraman.

Cependant il y a aussi de bonnes raisons de travailler seul dans un registre ethnographique. La

première est le coût parce qu’il faudrait des dizaines ou centaines de journées de travail. Si les

films réalisés par une seule personne sont moins achevés techniquement, ils ont comme le

disait Rouch (1979), la qualité irremplaçable d’un contact réel entre celui qui filme et ceux

qui sont filmés. Lors du premier entretien, j’étais accompagné par un preneur de son.

Cependant je me suis rendu compte immédiatement que la présence de deux personnes était

trop pesante et affectait négativement mon implication comme observateur filmant et celle des

participants. Certes dans le cinéma direct, le cameraman ne peut être que le réalisateur

(Rouch, 1979 ; Mead, 1979) parce qu’il est le seul à savoir « quand, où, comment filmer,

c’est-à-dire réaliser » (Rouch, 1979, p. 61). Le plus important est que toute « impureté causée

ne peut être assumée que par lui-même » (Rouch, 1979, p. 61).

!130

Au moment de la réalisation des entretiens, nous n’apprécions pas pleinement leur

valeur comme séquence d’observation. C’est seulement ensuite, lorsque nous les revivons

grâce à l’éditeur vidéo, que nous apprécions leur richesse. Bresson (1975) affirmait ainsi

qu’aucun oeil humain n’est capable de capturer tout ce qu’une caméra peut filmer avec une

scrupuleuse indifférence. Mais, pour l’auteur, l’important n’est pas ce que montrent les filmés

mais ce qu’ils cachent, et surtout ce qu’ils ne soupçonnent pas être en eux. Une facette

du travail du chercheur-réalisateur que je voudrais souligner est la puissance du cinéma direct.

Selon Ruiz (1986) :

La première chose que quelqu’un sent quand il commence à faire des films est que la

traduction d’un récit à l’image nous montre que les choses sont trop elles-mêmes,

plus elles-mêmes que dans le récit [...] En ce moment chacun juge qu’il est absurde et

inutile, de raconter leur histoire et que, de plus, il convient de laisser parler les choses.

C’est ce qu’on peut appeler la pulsion du néo réalisme (p. 37).

4.8.2. Une collecte des données qui est cohérente avec une étude socio-clinique

Une collecte de données visuelles du type observationnel ne suffirait pas dans cette

étude. Pour restituer au maximum la richesse de l’information, selon Sorenson (1979), les

images doivent inclure une grande diversité d’angle, cadrages et situations. Ce type de

collecte de données est ainsi cohérente avec une étude socio-clinique.

Les sujets figurant dans le documentaire sont traités dans une perspective subjective et

interactive, en dépit qu’il s’agit d’une rencontre face à face avec les sujets filmés. A partir du

moment où j’ai décidé d’utiliser mes propres commentaires, ceux de mon collaborateur et

ceux que mon directeur de thèse pourrait faire pour les intégrer dans les versions suivantes du

film dans une première version du documentaire. Cette première étape de formalisation de

mes analyses sera utilisée comme un outil de restitution et pour provoquer de nouveaux

commentaires qui seront intégrés à une version définitive. De manière que dans les prochaines

versions de montage, l’autorité textuelle se déplacera vers les participants (Nichols, 1997).

C’est-à-dire que la méthode de fabrication de la version définitive du film est encore

plus expérimentale, parce que les participants vont aller en proposant ou en sanctionnant les

faits qui veulent fixer sur film.

!131

C’est pourquoi je vais organiser, après la soutenance de thèse, une rencontre avec les

participants et/ou autres qui ne sont pas actifs pour faciliter une mise en scène de leur

expérience dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité. Ce type de restitutions

s’éloigne de la méthode ethnographique et de ses mécanismes d’observation objectivistes

(Malinowski, 1970). En effet, il ne s’agit pas de prendre une distance critique par rapport aux

filmés mais au contraire ce qui est recherchée est de partager avec eux leur expérience, pour

en faire surgir d’autres en commun, pour configurer, comme l’affirme Rouch (1979), un type

d’énonciation collective, pour nous laisser entendre leurs problèmes et leurs rêves.

4.8.3. Les avantages d’utiliser la caméra vidéo pour la recherche en sciences sociales

Pour Rouch la caméra, en plus d’être un instrument qui permet la diffusion et la

communication scientifique, permet une connaissance plus souple et réaliste par rapport à

d’autres types d’enregistrement des activités humaines (Gaspar de Alba, 2006). Rouch (1979)

affirme que le film « est le seul moyen dont je dispose pour montrer à l’autre comment je le

vois » (p. 68). En effet, selon l’auteur, la caméra participante offre une plus grande possibilité

de communication avec les groupes étudiés.

L’avantage d’utiliser la caméra repose, selon MacDougall (1979), sur le fait que les

personnes aiment parler d’elles-mêmes, de leur présent et de leur passé. Bien qu’ils soient

toujours conscients d’être filmés, il est évident, selon l’auteur, que :

[...] des scènes à caractère même très intime ont été enregistrées sans embarras

apparent ni simulation de la part des sujets filmés [...] ils continuent à vivre et le font

comme à l’habitude [...] les gens acceptaient d’être filmés, même dans des sociétés où

l’on aurait pu s’attendre à ce que la présence de la caméra suscite une inquiétude

considérable (p. 93).

Mais plus encore, selon MacDougall (1979), des personnes se comportent plus

naturellement lorsqu’elles sont filmées que lorsqu’elles sont en présence d’un observateur

ordinaire, parce qu’un homme avec une caméra a une occupation supplémentaire qui est de

filmer. Cette attention portée au tournage lui-même rend l’observateur moins pesant pour le

sujet. Dans le cas particulier de mon enquête, les participants sont les derniers consultants

actifs du réseau socio-technique qui a institutionnalisé le pilotage par la qualité de notre pays.

Ce choix se justifie pour des raisons scientifiques, comme l’affirme Rouch (1979), la

!132

réalisation d’archives audio-visuelles pour conserver le discours des participants, qui est en

voie de transformation, et leur métier en voie de disparition. Au moment même où notre pays

a installé avec l’Agence de la Qualité un dispositif d’accountability non réfléxif, plus dur que

le précédent en reposant sur le SIMCE, la production de documents qui pourront servir

d’archives est importante.

Rouch (2005) a réalisé une comparaison entre l’anthropologie classique et

l’anthropologie visuelle. Selon lui, un rapport écrit est moins accessible et puissant qu’un

film. Le film peut être montré à un public pour être discuté avec eux. Même si le film est

mauvais, il leur permettra de réfléchir sur eux-mêmes, à ce qui leur est arrivé et leur donnera

une possibilité de distanciation. En outre, le film apporte à la recherche en termes d’un retour

sur les aléas du terrain (Despoix, 2004, cité dans Diop, 2007).

4.8.4. Le caractère ré-analysable des séquences du documentaire

Pour Sorenson (1979), par le biais de l’enregistrement filmique des phénomènes,

peuvent être traitées les subtilités et les complexités des interactions sociales qui ne pourraient

être réalisés autrement. En outre, peuvent être recueillies des données précieuses qui n’étaient

pas prévues par le chercheur. Mais quelque chose de très important est que cela rend possible

« un réexamen et une vérification des déductions ». Dans le même sens, selon Mead (1979),

ces données visuelles et auditives reproductibles peuvent être re-analysés avec soin « à la

lumière des nouvelles théories ».

4.8.5. Comment le rôle fédérateur de la caméra favorise l’implication des participants

dans les entretiens

Pour Diop (2007), la caméra devient objet rituel qui libère les sujets de leurs

comportements habituels et provoque un certain processus de possession. Cela ne signifie pas

qu’ils vont se montrer tels qu’ils n’en sont pas. En fait, cela les entraîne au contraire dans le

sens de se montrer de la manière la plus authentique. La caméra a un rôle catalyseur pour

accélérer une « transe » qui était latente (Colleyn, 2008). Effectivement, il n’était pas difficile

pour Rouch de parvenir à capter la spontanéité alors qu’il était occupé à filmer directement

sur le terrain sans arrangements particuliers (Gaspar de Alba, 2006). Quelque chose de

similaire se produit avec ce dispositif filmique-socio-clinique, qui sans aucun doute m’a

!133

permis d’arriver là où je n’avais pas pu parvenir avant, lors de discussions préalables avec

mes collègues sans la présence de la caméra. En fait, l’implication des personnes interrogées

est plus authentique en face de la caméra. En outre, l’évidence de mon dispositif filmique

masque mon travail d’observateur et facilite mon implication dans le groupe observé (Lallier,

2009).

Mon travail clinique consiste à maintenir la participation des professionnels interrogés

et observés, tout d’abord pour protéger « l’intensité de la séquence représentée » et par

ailleurs, parce que de cette manière les personnes restent impliqués et se laissent mieux filmer

(Lallier, 2009). Face à la caméra vidéo des questions semblent être plus solennelles, plus

pointues. De fait, la caméra vidéo est une forme qui favorise l’implication des participants et

permet un inventaire de leurs implications dans le processus d’institutionnalisation du

dispositif de qualité en provoquant des transductions dans leurs discours.

La caméra vidéo a également la capacité de faire apparaître des logiques de pouvoir

entre les participants aux entretiens collectifs. Face à la caméra vidéo, ils semblent plus

impliqués dans la tâche de livrer un témoignage qui comporte des dimensions intimes. De

facto tout ce qui précède est rendu possible par le « rôle fédérateur de la caméra » (Lallier,

2009).

De fait, selon Lallier (2009), être filmé favorise l’engagement de l’individu dans son

activité. Toutefois, selon l’auteur, la caméra permet de s’exclure de la situation sociale

observée en même temps que de s’impliquer. En plus d’être l’interviewer je suis alors

l’opérateur d’un objet technique. L’ensemble constitue un dispositif, un réseau socio-

technique. De fait, dans ce dispositif, l’objectif de la caméra pointe l’action observée sur

laquelle vont se concentrer filmant et filmés. Lallier affirme que la personne filmée va

s’impliquer dans l’activité, se retirer du monde et en même temps va justifier la raison pour

laquelle elle est filmée tout en évitant d’être exposée excessivement.

La caméra vidéo fait partie de la mise en scène de la situation filmée et permet au

réalisateur de ne pas être perçu comme un intrus. Au contraire, il est vu comme une personne

engagée et consacrée à la représentation filmée, en valorisant la personne dans son action

(Lallier, 2009). De fait, le succès de la recherche repose également sur ma propre implication

de chercheur dans la situation d’observation, ce qui entraîne encore plus les personnes

interrogées dans la situation filmée.

!134

Effectivement, comme chercheur et réalisateur je suis impliqué dans la situation

observée et, dans le même temps, exposé aux personnes filmées. En fait, je ne peux pas me

réfugier derrière la caméra vidéo et je dois me comporter selon les conventions sociales

jusqu’à être accepté par les participants et que mon comportement devienne naturel (Lallier,

2009). De fait, durant les entretiens, j’en arrive à oublier que je suis également enregistré.

Grâce à cette réciprocité de l’implication, les sujets filmés comprennent que je suis

vraiment intéressé par leurs pratiques, c’est d’ailleurs pourquoi ils m’autorisent à filmer. Je

peux alors abandonner ma position d’observateur-expert pour être en résonance avec la

situation observée (Lallier, 2009). Plutôt que de savoir filmer, il s’agit de « savoir être là » ou

d’« être affecté » (Favret-Saada, 2009). Malgré ma réputation d’être plus mercenaire 25

qu’engagé avec conviction dans la pratique de consultant, mes collègues d’il y a plus de dix

ans semble me voir comme l’un des leurs, voulant sauvegarder la mémoire du processus

d’institutionnalisation du discours de la qualité grâce au dispositif socio-technique de FS.

Mon travail de distanciation n’était cependant pas à réaliser vis-à-vis d’eux mais de moi-

même.

4.8.6. Une observation filmante exige une attitude plus transductive

Essayer de dissimuler notre rôle, poussés par l’illusion d’être objectifs, serait selon

Young (1979), une attitude défaitiste. C’est pourquoi au cours du tournage et du montage je

ne cherche pas à être un observateur invisible, un narrateur neutre (Rouch, 1979). A contrario,

comme l’écrit Colleyn (2008), avec la caméra on doit chercher à modifier, provoquer, créer la

réalité pour que le film soit dans une permanente construction. Mais je suis aussi concerné,

modifié dans cette relation filmant-filmés. À cet égard Colleyn (2004) affirme ce qui suit :

Dès qu’il filme, le cinéaste n’est plus le même, sa personnalité se modifie, il est avec

les autres, mais dans son monde, absorbé, comme dominé par son équipement [...]

Cette position d’auteur, à laquelle il n’a jamais renoncé, il la ressent néanmoins

comme partagée, tant il tenait à la connivence d’une création collective (p. 539).

L’observation filmante transforme le chercheur par une sorte de « ciné-transe ». Selon

Lourau (1997a), le chercheur peut vivre une sorte de « dédoublement de la personnalité ». De

fait, une observation filmante exige une attitude plus transductive de la part du chercheur.

J’étais devenu consultant uniquement car je n’avais pas obtenu d’emploi plus satisfaisant. 25

!135

Pour Lourau (1997a), la « perte de repères » peut être souhaitable dans la recherche en

analyse institutionnelle. Selon lui, une attitude transductive ouvre à un autre champ de

cohérence, une « grande ouverture d’esprit en même temps qu’une rigueur de tous les instants

quant aux possibilités de relocaliser les éléments de la situation planant dans le flou du

global » (p. 62). Selon l’auteur, l’implication peut être considérée comme instrument de

production de connaissance.

Le dispositif socio-technique formé par moi-même, ma caméra vidéo et les

participants, favorise la production de subjectivité par les participants.

4.8.7. Les objets techniques de mon dispositif d’observation filmant

J’utilise généralement la caméra à l’épaule dans mes documentaires ce qui me 26

permet des mouvements entre les prises et en général je fais de grands plans-séquences à pied,

avec la caméra vivante. Selon Rouch (1979) la caméra en main (ou à l’épaule) permet de

s’adapter à l’action en fonction de l’espace et de pénétrer dans la réalité du terrain, parce que

dans un documentaire il n’y a pas de mise en scène forcée par l’observateur. Cet

accompagnement est comme une espèce de danse, de gymnastique, que nous faisons pour

accompagner l’action des filmés et également une espèce de transformation, de possession,

que Rouch (1979) appelait « ciné-transe ».

Pour travailler avec une plus grande liberté de mouvement, j’utilise pour ma caméra

reflex DSLR, un objectif grand angle de 16mm ou un objectif de 35mm lorsque les personnes

ne se déplacent pas. Toutefois dans ce cas, j’ai utilisé un trépied au cours des entretiens, parce

que je dois réviser ma grille d’entretien et que je ne peux pas soutenir la caméra et revoir mes

écrits à la fois. Dans les entretiens individuels, j’ai utilisé des objectifs fixes de 35mm et de

85mm pour leur luminosité. Toutefois au cours des entretiens collectifs, j’ai utilisé un objectif

de distance focale variable (zoom), mais pas pour créer un effet optique de travelling.

Ce matériel est juste ce dont j’ai besoin. De fait, selon Lallier (2009), l’équipe

technique doit être fonctionnelle, ce qui est nécessaire à l’enquête. Selon lui, la caméra doit

être désacralisée, autrement dit, l’observateur-filmant doit prendre ses distances avec les

conditions techniques et intellectuelles de son observation pour rester lui-même et avec les

Il s’agit d’un stabilisateur pour s’assurer que les prises soient stables et pour éliminer une grande 26

partie de la charge de la caméra et aussi un viseur (viewfinder) loupe qui multiplie par trois l’image de l’écran de la caméra ce qui me permet de bien faire le focus.

!136

participants impliqués dans l’action. Cela est vrai, car trop matériel nécessiterait plus

d’attention de ma part et l’implication des participants dépend de ma propre implication dans

la situation filmée.

Par mesure de sécurité, j’ai aussi enregistré les entretiens sur mon ordinateur portable,

dans le cas où il y aurait un problème avec la caméra. Les objets techniques que j’utilise,

plutôt que me distancier des consultants, m’intègrent à la situation observée. Ils participent de

ma représentation sociale en tant que chercheur et rendent plus crédible et authentique le

rapport filmant-filmés.

4.8.8. Le montage du documentaire

Le montage est une opération d’écriture pour façonner un discours documentaire.

Certes, le réalisateur et le monteur effectuent un travail similaire à celui de l’écrivain

(Colleyn, 1999). Pour Colleyn (1999), la règle d’or de l’esthétique du montage est toujours de

nature économique, c’est-à-dire de faire plus avec moins. Selon l’auteur, il s’agit de couper et

coller pour tenter de parvenir à un plus grand degré de vérité ou d’intelligibilité avec moins de

plans, en éliminant les redondances, les ambiguïtés et les centres d’intérêts contradictoires qui

entravent leur narrativité. En anglais, nous utilisons l’expression cutting parce qu’il s’agit

d’un processus soustractif. De fait, si une attitude subjective est idéale pendant le tournage,

dans le montage il s’agit de concilier cette subjectivité avec des critères plus objectifs (Rouch,

1979).

Comme le disait Vertov, selon Brigard (1979), le montage est effectué pendant toutes

les étapes de la production d’un documentaire. Choisir un thème parmi les milliers de sujets

possibles fait déjà partie du montage, également durant et après le repérage, pendant et après

le tournage et durant les différentes étapes du montage jusqu’à sa version définitive.

Véritablement, le montage d’un documentaire est en cours depuis la pré-production. Le

montage préliminaire en plaçant tous les entretiens sur la ligne du temps de l’éditeur vidéo,

m’a permis de taper des commentaires sur la façon dont les participants utilisaient les objets

techniques de leur boîte à outils, leurs implications dans le dispositif et dans le processus

d’institutionnalisation du pilotage par la qualité.

Pour Rouch (1979) il ne doit pas y avoir un scénario qui fixe à l’avance un ordre de

séquences et de plans. Au contraire, chaque plan est déterminé par le plan précédent et

!137

conditionne le plan suivant. En fait, Rouch (1998) n’a jamais écrit un scénario. Certes, dans le

cinéma direct et participatif, rien ne devrait être décidé au préalable. Dans ce cas le scénario

se construit après la dernière version du montage.

Enfin, dans le cas de ma recherche, le montage repose sur une variété de situations

vécues par les participants au cours de l’institutionnalisation du dispositif de pilotage par la

qualité au Chili.

De manière à constituer un inventaire des situations dans lesquelles les consultants ont

été impliqués, je m’appuie sur les « cassures » qui se produisent dans leurs discours. J’y vois

des transductions qui sont des effets de mon dispositif vidéo-socio-clinique.

Le fait de revoir les entretiens m’a permis une plus grande immersion dans le champ

de cohérence des participants. Certes, l’analyse finale a été réalisée avec les entretiens

transcrits, mais en général, les marques à titre préliminaire que j’avais déjà inscrites dans la

ligne de temps de l’éditeur vidéo, correspondaient dans une large mesure à des citations que

j’ai finalement présentées dans le mémoire de thèse. Il s’agit d’un avantage mutuel. La thèse a

bénéficié du dispositif vidéo-socio-clinique et du montage préliminaire. Par ailleurs, la valeur

du documentaire est donnée par l’articulation avec la thèse.

4.8.9. L’utilisation de la voix off dans le montage

Dès que j’ai commencé la première version du montage, j’ai utilisé ma voix off pour

renforcer le caractère expérimental du documentaire, pour présenter les participants, la

problématique, les questions de recherche, les commentaires des citations des participants, les

résultats et les conclusions. La voix off produit une espèce de « fabulation » qui ajoute un

effet de fiction, ce qui est positif pour la production de cette version expérimentale et pour

l’aspect cinématographique. Dans la mesure où je pourrai ajouter de nouveaux commentaires

et des dialogues avec les participants et d’autres acteurs face à la caméra dans la version finale

du documentaire, ma voix off va perdre son caractère omniscient (Despoix, 2004, cité dans

Diop, 2007). Cette recherche d’une plus grande contextualisation rend possible une plus

grande réflexivité. Il est vrai, en outre, que l’absence de commentaires rendrait

incompréhensible le récit. Enfin, le fait d’utiliser différentes voix, celle du réalisateur, du

collaborateur, des autres participants, du directeur de thèse, et de « spectateurs-questionneurs

!138

de l’altérité que nous sommes » (Piault, 2004) vont permettre de donner une plus grande

épaisseur au film.

De fait, le documentaire ne serait pas intéressant sans ma voix off en relatant les

résultats fondés sur des analyses liées aux trois questions de recherche, sans la lecture

d’extraits de mon journal, sans les conclusions, sans les considérations finales et sans le

contexte historique dans lequel émerge le dispositif que j’ai élaboré dans le mémoire.

4.8.10. Les deux versions du montage

Je suis le monteur du documentaire. Je ne pourrais pas laisser ce travail à une autre

personne. Jusqu’à présent, je travaille sur deux premières versions du documentaire. J’ai eu

une version longue du documentaire qu’il est pratiquement impossible d’exporter en un seul

fichier de mon logiciel d’édition, parce qu’il s’agit de plus de 12 heures d’enregistrement, une

sorte de film brut pour sauvegarder le travail des consultants et leurs objets techniques dans le

processus d’institutionnalisation du pilotage par la qualité de notre système scolaire. Il s’agit

d’un montage dans l’ordre du tournage. Mais parallèlement, je produis une version utilisable

dans les futurs entretiens et des projections où les plans sont organisés sous forme logique,

thématique et argumentative (Gerstenkorn, 2001).

Avec ce montage, je tente de fabriquer un objet technique qui puisse être utilisé de

façon expérimentale et aussi pour faire la restitution aux participants et aussi à d’autres

collègues consultants qui ne sont plus dans le réseau et qui ne sont pas présents dans l’étude.

L’objectif est de les provoquer, pour faire émerger de nouveaux commentaires qui pourraient

être intégrés ensuite à la version définitive. Il n’a pas été facile de produire cette version de

plus de deux heures et il est un peu dommage parfois de couper un plan qui aurait été trop

long. Comme le dit MacDougall (1992), c’est un peu comme une mutilation car un plan long

contient des ambiguïtés et des centres d’intérêt pouvant être contradictoires et qui peuvent

donc être très riches. Il est donc préjudiciable de réduire un montage pour ce qui semble utile.

En fait, il faut éviter de couper même ce qui n’est pas propre, comme les interactions

préalables ou lorsque l’entretien est terminé. À cette version je vais ajouter mes

commentaires, ceux de mon collaborateur et ceux de mon directeur de thèse. Cette version a

un style narratif semblable à un mémoire de thèse. La deuxième version définitive

cinématographique devrait avoir une extension de plus de trois heures. Pour effectuer cette

!139

dernière étape, j’ai besoin d’un an de travail supplémentaire et d’un séjour de deux mois au

moins dans mon pays. La projection du documentaire après la soutenance face à ces « autres

jurés » pourraient fournir de nouveaux éléments et me permettre de parvenir à un

documentaire de plus grande valeur scientifique. Je dois avouer que, dans le cas des

participants de cette thèse, j’ai peur de leurs réactions négatives. À l’exception de mon

collaborateur, ils ont certainement pensé que je ne faisais que réaliser une enquête pour

décrire la manière dont ils utilisaient les objets techniques. L’analyse développée étant plus

large, ils pourraient se sentir trahis. Je ne peux cependant pas me passer de cette dimension

réflexive (Gerstenkorn, 2001). La recherche d’une plus grande participation n’est pas, ou pas

seulement recherchée par idéalisme, elle vise à ajouter des dimensions auxquelles nous

n’aurions pas pensé, à clarifier certains points, pour tenir compte de la manière dont les sujets

filmés perçoivent le monde (MacDougall, 1979). Ceci pourra contredire nos commentaires,

nos conclusions. Comme le disait Rouch (1979), c’est aussi un impératif moral et scientifique.

Cette possibilité de contre-don (Mauss, 1923), que donne le cinéma documentaire, est un

aboutissement logique et rigoureux de la dynamique du projet.

Le tableau suivant montre l’évolution des versions successives du montage et la

manière dont je vais les utiliser dans la restitution des résultats aux participants et aux autres

consultants non actifs actuellement dans le réseau. Tout ceci après la soutenance, afin

d’inclure ces commentaires dans une version définitive.

Version brute du documentaire Première version pour projection expérimentale et de restitution

Deuxième version définitive

Cette version de montage du documentaire a une durée de plus de 12 heures et il est pratiquement impossible de l’exporter dans un seul fichier à partir du logiciel d’édition.

Cette version d’un montage du documentaire sera de plus de 2 heures.

Cette deuxième version d’un montage du documentaire sera de plus de 3 heures.

!140

Il s’agit d’un montage dans l’ordre du tournage, en évitant la soustraction et en ajoutant dans chacune d’elles mes commentaires, ceux de mon informateur privilégié et ceux de mon directeur de thèse.

Dans ce montage est utilisé le critère d’économie de plans et le matériel s’organise de façon logique, thématique et argumentative. Seront ajoutés les commentaires du chercheur, ceux de mon collaborateur et ceux de mon directeur de thèse. Il a une structure similaire au mémoire de thèse.

Dans ce montage est également utilisé le critère d’économie de plans et le matériel s’organise de façon logique, thématique et argumentative. S’y ajoutent aussi d’autres commentaires du chercheur, ceux de mon collaborateur, ceux de mon directeur de thèse et de tous ceux qui vont participer aux projections futures après la thèse.

C’est une espèce de film brut pour préserver intégralement le matériel à utiliser dans les futures enquêtes et le partager avec d’autres chercheurs.

Ce montage a pour but d’être un objet technique capable d’inciter les spectateurs à apporter de nouveaux commentaires qui peuvent être enregistrés et intégrés au Master du documentaire et au version définitive du film.

Ce montage a un but scientifique, non commercial, qui consiste à rendre compte du travail des consultants et de leurs objets techniques qui ont participé au processus d’institutionnalisation du pilotage par la qualité de notre système scolaire.

Il va être utilisée comme Master du documentaire, parce qu’il peut être nécessaire à la lumière de nouveaux commentaires d’utiliser des fragments pour clarifier et ajouter aux versions expérimentale et définitive.

Il est prévu de projeter aux participants de cette recherche et à d’autres collègues consultants qui ne sont pas maintenant sur le réseau et à d’autres types d’acteurs qui ne sont pas considérés dans la recherche.

Cette version définitive peut être soumise à d’autres chercheurs et grand public comme une production cinématographique.

Cette version du montage est déjà terminée.

Cette version du montage va être achevée peu avant la soutenance.

Achever cette troisième version exige au moins un an de plus de travail et un séjour d’au moins deux mois dans mon pays.

Cette version ne comprend pas de narration avec ma voix off.

Cette version contient une narration avec ma voix off qui renforce le caractère expérimental du documentaire, que j’utilise pour présenter aux participants, la problématique, les questions de recherche, les commentaires des citations des participants, les résultats et les conclusions.

Cette version contient également une version finale d’une narration avec ma voix sur off.

Aucun scénario ne sera écrit. Aucun scénario ne sera écrit. Le scénario est écrit après le montage final, car il s’agit d’un film expérimental où le scénario se réalise conjointement avec les citations des participants, du chercheur, du collaborateur, du directeur de thèse et des nouveaux spectateurs.

Il n’y a pas prologue ni épilogue. Il y a prologue avec voix off. Il y a prologue et épilogue avec voix off.

Version brute du documentaire Première version pour projection expérimentale et de restitution

Deuxième version définitive

!141

Figure 2 : Tableau récapitulatif des versions du montage.

4.9. Les outils méthodologiques de l’analyse institutionnelle utilisés pour élargir

les champs d’observation et d’analyse

Les pratiques de ces consultants en qualité, autrement dit, les stratégies utilisées pour

multiplier les moments de traduction du pilotage par la qualité dans les établissements qu’ils

accompagnent, sont chargées de représentations instituées. Il est donc « naturel » qu’ils

n’aient pas analysé les éléments institutionnels présents dans leurs pratiques. Pour cette

raison, il a été nécessaire d’élargir le champ d’observation et d’analyse des pratiques des

consultants afin de découvrir leurs implications, c’est-à-dire leurs rapports à l’institution. Pour

cela, j’ai mobilisé des outils méthodologiques de l’analyse institutionnelle.

Je dois encore préciser que mon dispositif n’a pas pris en compte, dans les mêmes

proportions, les implications libidinales, organisationnelles et idéologiques des consultants.

Certes, comme l’affirme Monceau (2012b) « les dispositifs mobilisés peuvent donc mettre

l’accent sur telle ou telle dimension des implications mais en situant celles-ci dans leurs

contextes institutionnels donc politiques » (p. 7).

Enfin Monceau (2017) écrit que les chercheurs se référant à l’analyse institutionnelle

rompent avec la tradition de neutralité et de distance parce que « les démarches socio-

cliniques assument l’implication et la proximité des chercheurs sur les terrains où ils

effectuent leurs travaux » (p. 15).

4.9.1. Entretien de restitution et élaboration des résultats

J’ai pu restituer mes analyses lors d’un deuxième entretien réalisé avec l’un des

consultants, mon informateur privilégié Carlos. Avec lui, j’ai pu décrire et analyser les

conditions de ma recherche. Ceci m’a permis de tester mes interprétations et d’affiner mes

analyses sans les enfermer. Cet entretien a également été filmé.

L’intérêt de la pratique de la restitution aux participants, selon Monceau (2009a), est

qu’elle donne la possibilité d’approfondir et de remettre en question les interprétations que le

chercheur a produites et permet de réorienter le dispositif de recherche. En échange de cette

restitution, Carlos a partagé avec moi ses propres expériences et analyses. Ce dispositif

méthodologique m’a permis de mieux comprendre la manière dont mon collaborateur exerçait

!142

sa logique institutionnelle. Ce temps a aussi été l’occasion de mieux comprendre les effets des

dispositifs méthodologiques utilisés sur les subjectivités des participants. J’espère que cette

profondeur de champ sera perceptible dans le produit écrit. Enfin, ce dernier entretien a aussi

eu des effets analyseurs de ma propre démarche.

4.9.2. Utilisation des analyseurs dans les entretiens

D’après Monceau (2008), pour analyser les institutions, il est nécessaire de provoquer

une perturbation dans les rapports entre les sujets et l’institution, c’est-à-dire leur implication.

C’est ainsi que les conflits de perception, d’interprétation et de positionnement entre les sujets

participants à l’analyse collective ne doivent pas être évités mais qu’au contraire, ils doivent

être travaillés. C’est grâce à ce travail des analyseurs qu’il est possible d’introduire ou plutôt

de laisser s’exprimer les dilemmes qui mettent en tension les professionnels (Monceau,

2009a) et d’avoir ainsi accès aux enjeux qui ne s’expriment pas en temps normal. L’analyseur,

selon l’auteur, est capable d’activer ou de cristalliser des contradictions institutionnelles dans

une situation donnée.

L’attention portée aux analyseurs, permet de révéler la transversalité dans un groupe

qui semblait homogène. C’est un dispositif qui peut être vu comme « subversif » (Monceau,

2003b) parce qu’il dérange les modes de penser ordinaire. Le principal effet d’un analyseur

est de faire parler l’institué, d’ouvrir la voie à la manifestation de forces instituantes qui

étaient cachées (Romagnoli, 2012). Les analyseurs peuvent provoquer la ré-

institutionnalisation mais également l’auto-dissolution des institutions (Lourau, 1978), ces

deux processus étant dialectiquement liés selon la théorie de l’analyse institutionnelle. Dès les

premiers contacts avec les sujets de la recherche, cela peut déclencher certaines résistances

dans le travail collectif au sein du groupe de partenaires. Cette résistance va se décliner, selon

Monceau (2009c), dans trois moments, offensive, défensive et intégrative. D’après l’auteur,

ces résistances ne doivent pas être comprises comme irrationnelles, mais comme des

analyseurs, qui permettent de comprendre quelque chose au sujet de ce que fait la dynamique

du groupe.

Les analyseurs naturels que nous utilisons dans les entretiens collectifs sont ceux que

le mouvement des étudiants a mis en avant pour tenter de dissoudre l’institution du marché en

éducation. Par exemple, la gratuité (ou droit universel à l’éducation), le profit des

!143

propriétaires des établissements, la sélection des élèves et la ségrégation dans le système

éducatif.

Les mots qui apparaissent dans les interactions avec les participants ou partenaires,

peuvent également devenir des analyseurs en ce qu’elles « conduisaient chaque participant à

se situer par rapport à elles : en les relativisant, en les contestant ou encore en s’en saisissant

pour soutenir ses propres réflexions » (Valentim & Monceau, 2011, p. 7). Ceux qui ont surgi

dès le premier entretien sont le SIMCE et l’ACE récemment créée. J’ai commencé à utiliser

des analyseurs dans les entretiens suivants.

Les raisons, pour lesquelles, selon Nascimento (2017), Lourau recommande

l’utilisation d’analyseurs dans un dispositif d’analyse collective sont les suivantes :

Il s’agit de mettre en place un dispositif d’analyse collective, suscitant le mouvement

et permettant d’échapper à l’anesthésie et au naturel [...] La puissance des analyseurs

permet de déstabiliser, de déshabituer, de dynamiser la pensée en lien avec certains

sujets qui, souvent, ne font même pas l’objet d’une thématisation et favorisent la pure

répétition, la pure reproduction, sans aucun questionnement des pratiques. De telles

questions sont fréquemment considérées comme des vérités absolues, statiques,

fermées, qui ne sauraient, apparemment, être vues ou traitées d’une manière

différente. L’analyseur jouerait ainsi un rôle de déclencheur, suscitant la remise en

question des vérités instituées et des croyances figées. Peuvent aussi bien servir

d’analyseurs un épisode survenu, une erreur commise, bref, tout ce qui perturbe,

dérange, tout ce qui d’une certaine manière fait signe vers les jeux de force qui

structurent l’institution en question et permet une certaine prise de distance à son

égard (p. 85).

Enfin pour Nascimento et Scheinvar (2009), produire des analyseurs permet de

construire des espaces collectifs, où le chercheur en analyse institutionnelle peut faciliter les

conflits, produire la crise, travailler avec la différence, analyser les mouvements, les savoirs

cristallisés, les vérités indiscutables, mettre en évidence les processus d’individualisation

d’une profession et de ses pratiques surimpliquées. De fait l’intervention, selon les auteurs,

repose sur l’idée de l’existence d’une multiplicité de manière de vivre, c’est pourquoi il faut

construire des dispositifs provocateurs d’analyses, de ruptures pouvant faire émerger de

nouvelles significations, en dénaturalisant les institutions présentes.

!144

4.9.3. Travail de la commande et des demandes

Selon Monceau (2003b), la commande et les demandes ne sont jamais immédiatement

lisibles, parce que leurs motifs réels ne sont pas nécessairement ceux qui s’expriment et sont

souvent inconscients. Bien que je n’aie pas effectué un travail d’analyse collective de la

commande et des demandes, je me suis efforcé de le faire de manière individuelle lors de

l’écriture de mon journal et lors du deuxième entretien de restitution avec mon collaborateur

privilégié. Dans le journal j’ai essayé de répondre à la question de mes implications dans

l’objet, ceci pour identifier les contradictions et le négatif, de manière à fortifier ma recherche.

La commande a surgi lorsque mon directeur a accepté de diriger cette thèse. Cette commande

a été de mener à bien cette enquête sur les éléments institutionnels impliqués dans le

processus de certification de la qualité. Certaines demandes ont surgi dans ces premières

rencontres entre étudiant et professeur. La première a évidemment été de m’approprier le

concept d’implication et d’autres concepts de l’analyse institutionnelle et de me familiariser

avec l’usage des dispositifs méthodologiques. L’autre demande a été de me concentrer sur la

manière dont ces consultants utilisaient des objets techniques, ceux dont ils disposaient en tant

que consultants et qu’ils faisaient circuler pour traduire leur discours de la qualité. Enfin

« aucune université ou centre d’études de mon pays a participé à cette enquête. Je n’ai aucune

relation de boursier avec mon pays. Je n’ai pas demandé d’aide à l’État français » (Journal du

chercheur, le 3 décembre 2012). Cette indépendance était importante pour moi.

4.9.4. Les interférences entre le champ d’intervention et le champ d’analyse

Il n’est pas surprenant que cette enquête ait été menée dans une interférence

institutionnelle (Monceau, 2005). De fait, des interférences entre le champ d’intervention et le

champ d’analyse sont toujours inévitables. Les limites entre le champ qui concerne

directement ou indirectement la commande, que nous appelons en socianalyse le champ

d’intervention (Lourau, 1997a), et le reste de l’espace-temps, qui est métastable, que nous

appelons le champ d’analyse. L’existence d’un champ d’analyse et d’un champ

d’intervention, d’après l’auteur, correspond à une « délocalisation ». En effet, dans l’analyse

du dispositif matériel apparaît un nouveau champ de cohérence. Toutefois à mesure que nous

avançons dans l’analyse, cette « délocalisation » initiale laisse « des traces » dans le nouvel

!145

« ensemble de repères » que nous avons créé. Enfin, ce nouveau champ de cohérence devient

un « nouveau repérage pour les clients » (p. 10).

4.9.5. Analyse des effets de transformation du dispositif de recherche

Nous devons être conscients, selon Lapassade et al. (1973), que lors de chaque

intervention, nous pouvons introduire des variables nouvelles qui bouleversent nos méthodes

et techniques. Nous devons tenir compte des effets perturbateurs sur le plan symbolique. Ma

seule présence pourrait mettre en évidence quelque structure cachée ou tacite de

l’organisation (Lourau, 1970). Je reconnais que mon dispositif de recherche a transformé

probablement les faits que j’ai étudiés, ce qui n’est pas étrange car ils sont constamment en

cours d’élaboration. Cela est compatible avec le point de vue de l’analyse institutionnelle

selon laquelle toute pratique de recherche, y compris une observation comme l’affirme

Monceau (2003b), doit être considérée comme une intervention, parce qu’il est naturel que le

chercheur introduise sur son terrain de recherche de nouvelles idées et questions, des

références théoriques, des interprétations. De fait, le même sujet de la recherche et le

dispositif de recherche provoque une reformulation du « sens qu’ils donnent à leurs

actions » (Monceau, 2011a, p. 18). Le même Monceau soutient que :

Les chercheurs ne sont évidemment pas sans contaminer les entités sociales avec

lesquelles ils travaillent en y introduisant des idées et des questions nouvelles

(Monceau, 2006, p. 55).

Le chercheur a ainsi accès non pas à une opinion constituée mais à une élaboration en

cours. Le dispositif de recherche transforme (et donc contribue à produire) les faits

qu’il étudie (Monceau, 2011a, p. 18).

Pour cette raison il était raisonnable que je me demande quels ont été ces effets

transformateurs du dispositif de recherche (Monceau, 2013) et que « l’analyse de leurs effets

méthodologiques, épistémologiques, éthiques et politiques ouvre nécessairement à

l’interrogation critique de la recherche contemporaine en sciences sociales » (Monceau, 2017,

p. 15). De facto, l’auteur soutient que l’objectif scientifique principal est « d’analyser la

manière dont les pratiques de recherche transforment les situations étudiées, les contributions

explicitent d’une part l’effet d’intervention résultant du travail d’enquête et d’autre part le

type de connaissances produites par ce type de recherche » (p. 15).

!146

4.9.6. « Gestion » de la transversalité

L’opération de transversalisation, d’après Nascimento (2017), permet des croisements

des regards :

L’idée de transversalité tend à faire apparaître les intersections d’une multiplicité de

réseaux de savoir, qui produisent des différenciations, une dissolution des frontières,

et divers modes d’existence [...] par ce biais il devient possible de produire des

croisements sociaux, politiques, économiques, culturels et désirants qui marquent le

monde et la vie dans toute sa puissance, et génèrent des sens transversaux (p. 86).

J’ai pu constater deux types de relations très différents en termes de transversalité,

avec deux genres de groupes. Celles que j’ai eu avec les participants informateurs et celle que

j’ai eu avec mon seul collaborateur. Selon Guattari (1972), lorsque la participation et la

communication des individus est optimale entre les différents niveaux et dans différents sens,

nous avons un niveau élevé de transversalité. La consolidation d’un niveau de transversalité

dans une institution permet la libre expression, selon l’auteur, jusqu’à atteindre un mode

d’expression collective. Ce niveau de transversalité n’a été réalisé qu’avec Carlos. Au

contraire, la subjectivité des autres consultants est restée un peu aliénée, perdue dans l’altérité

sociale, avec un faible niveau de transversalité. Le groupe constitué seulement par moi, le

chercheur, et mon seul collaborateur, a été vraiment un groupe sujet réunissant des conditions

favorables à l’analyse, par exemple, de mes implications. Dans ce groupe sujet, les relations

ont été plus authentiques.

Les entretiens individuels et collectifs ont fourni une occasion pour augmenter le

faible coefficient de transversalité dans le groupe de consultants participants à la recherche.

Ceci a favorisé leur mise en réflexivité et enrichi l’interprétation qu’ils font de leurs pratiques

et des mouvements institutionnels de FS pour institutionnaliser le pilotage de la qualité dans

notre système éducatif.

Les effets des interférences du dispositif et des nouvelles forces instituantes ont sans

doute contribué de façon positive au coefficient de transversalité, car, en augmentant leur

autonomie intellectuelle par rapport au groupe dominant de FS, ils ont pu mettre en question

le dispositif du pilotage par la qualité. Si le groupe de consultants a alors un peu échappé à

une certaine « aliénation » de la pensée résultant de ses implications dans le dispositif de la

!147

qualité, c’est par l’instauration d’un dialogue entre eux via la réflexion collective produite par

le dispositif de recherche. Comme le disait Guattari (1972), le délire et d’autres manifestations

inconscientes du groupe de dominés, peut atteindre un mode d’expression collective quand on

installe, même temporairement, une structure de transversalité. Toutefois, il est très probable

que le coefficient de transversalité après les entretiens ait diminué à nouveau. De toute

évidence, les relations entre chercheur et praticiens, du fait que nous avons été collègues par

le passé, ont facilité les échanges. Ceci d’autant plus que ces entretiens collectifs se sont

déroulés en l’absence du groupe dominant.

4.10. Le journal du chercheur et l’analyse de mes implications en tant que

praticien-chercheur

Je me suis proposé d’identifier de manière progressive mes propres implications

(Hess, 1975) et contradictions. En effet, l’écriture et l’analyse de mon journal, m’ont aidé à

découvrir quelques motivations conscientes et semi-conscientes. D’après Devereux (1980), le

contre-transfert, au lieu de transfert, est l’élément le plus crucial en sciences du

comportement. Il s’agit, d’après Lourau (1994a), d’étudier le négatif dans les actes de

recherche, comme manière de relativiser les résultats. Pour l’auteur, alors, il n’est pas

rationnel « d’accumuler les actes manqués en remplaçant cette psychanalyse des concepts,

comme dirait Bachelard, par la poudre aux yeux d’une rhétorique scientiste et une virtuosité

syntaxique » (p. 43). Popper (1979) écrit que le fait de séparer le contexte de découverte de la

justification n’est pas précisément scientifique, parce que toujours « il y a imbrication,

implication, entre ce qui se passe lors du processus de la recherche et ce qui se passe dans la

mise en forme des résultats » (Lourau, 1994a, p. 16).

Pour construire la théorie, selon Lourau (1994a), on doit prendre en compte le travail

du négatif. Selon l’auteur, toutes les pratiques du chercheur constituent l’acte de recherche :

Le dispositif est un tout indissociable (comprenant aussi, on l’oublie trop, les

intentions et intérêts conscients et inconscients de l’observateur). Le dissocier, par

exemple en faisant abstraction de l’observateur, comme le dit Niels Bohr, est par

excellence un acte manqué. De même, les circonstances de la découverte et le

processus d’échange informel sont tous deux cruciaux pour le procès de production ;

ils sont ce qui permet à la science d’exister, souligne Bruno Latour (p. 9-10).

!148

Lourau (1978) affirme qu’être impliqué consiste à admettre que je suis objectivé par

les phénomènes, événements, groupes ou idées que je prétends objectiver. Selon l’auteur

l’implication fait référence à une réciprocité entre le chercheur et son objet. Pour cette raison,

la principale action de recherche sera toujours d’interroger mon propre domaine de recherche,

comme le suggère Lourau (1997a), pour discerner comment j’étais impliqué et comment j’ai

pu « contaminer » ces entités sociales avec lesquels j’ai travaillé. De cette façon, écrit Lourau

(1994a), émerge « une nouvelle éthique du chercheur » (p.80). L’analyse de l’implication a un

caractère coercitif, étant donné la place que le chercheur occupe dans la division du travail,

qui lui permet de légitimer, de façon plus ou moins consciente, son dispositif et les résultats

de la recherche (Lourau, 1978).

La manière dont je traite mes données et toutes mes interactions sur le terrain, soutient

Lourau (1994a), est déterminée idéologiquement et saturée de subjectivité. L’auteur écrit que

« le sentiment, la sensation et l’émotion doivent eux-mêmes être identifiés et décrits en

fonction de la présence immédiate d’une situation qualitative totale » (p. 38). L’auteur écrit

alors que s’il y a une interférence permanente entre champs, il est déraisonnable de vouloir

isoler ces champs. Lourau (1978) affirme que cette implication est présente dans le choix de

mon objet de recherche, même si celui-ci peut se trouver loin de mon projet politique, de mon

idéologie et de ma pratique comme chercheur.

De plus, l’écriture ne peut, selon Lourau (1994b), « échapper au système de référence

institutionnel » (p. 157) ou au « contexte spatio-temporel, social-historique » (p. 163). À ce

phénomène, qu’il a qualifié d’« effet Goody », correspond une sorte de « domestication de la

pensée sauvage » (p. 163). C’est que ce champ où nous intervenons, où a été institué la

situation de recherche ou d’intervention, « est peuplé de singuliers, de logiciens imbus de

leurs intérêts personnels, d’enjeux beaucoup plus locaux, beaucoup moins globaux. Il y a du

discontinu qui s’introduit dans le continuum de l’enquête » (Lourau, 1994a, p. 36).

Toutefois la reconnaissance de cette implication n’en neutralise pas totalement

l’impact sur la collecte et l’analyse des données (Barus-Michel, 1987), car la solution pour

gérer cette angoisse épistémologique, n’est pas de nous débarrasser de nos idéologies, mais

d’essayer de les analyser collectivement. Hess (1975) affirme que reconnaître les implications

est la plus grande partie du travail socianalytique, et que les résistances à cette analyse sont

!149

l’essence du champ d’analyse. Le véritable travail scientifique devrait être là (Monceau,

2008).

Pour Lourau (1997a), les institutions sont avec nous partout, car nous les transportons

dans notre subjectivité, il est difficile d’en réprimer les effets qui peuvent survenir à tout

moment sur le terrain en ajoutant des interférences dans le champ d’observation, en

introduisant de nouvelles idées et questions, en contaminant les entités sociales avec

lesquelles nous travaillons. Par conséquent, l’analyse de l’implication du chercheur, de

l’interférence entre le champ d’observation et le domaine de recherche, ne constitue pas un

privilège, c’est une opération très contraignante dans mon rôle en tant que chercheur. Cette

analyse de mes propres implications a comme objectif de spécifier les conditions et

procédures de production de mes conclusions (Kohn & Nègre, 2003). Une double analyse du

transfert et contre-transfert institutionnel tentera d’objectiver ou réduire au maximum l’effet

de ma subjectivité (Monceau, 2012a). L’analyse de nos propres implications, a contrario, est

contraire à l’idée de la neutralité du chercheur, héritage positiviste du paradigme moderne

(Romagnoli, 2012).

Sur le lien entre implication et transduction, Lourau (1997a) affirme que l’analyse des

implications, « dans la situation de recherche instituée comme telle est analyse transductive,

ce qui n’annule pas l’existence du C. de C. habituel et les opérations d’induction et de

déduction, par exemple lorsqu’il s’agit de saisir concrètement la base matérielle, les

ressources, le financement, les modes de paiement, etc. » (p. 60).

Mes implications comme chercheur doivent être considérées dans l’analyse, non

seulement pour être contrôlées, mais pour éclairer le chemin dans cette enquête. Le fait de

considérer mes propres implications m’a permis d’accroître le coefficient de transversalité

dans le dispositif de recherche. Il est nécessaire de s’interroger sur les relations idéologiques

par rapport à nos laboratoires, les manières dont nous traitons les données issues du terrain,

les interactions avec les participants ou collaborateurs (Lourau, 1994a).

L’analyse de mes implications est une tâche que j’ai essayé de réaliser dans l’écriture

de tous les chapitres de ma thèse. Par exemple, en introduisant des extraits de mon journal de

recherche, lorsque cela permet de clarifier un point, ou simplement pour laisser apparaître,

intentionnellement, une ellipse dans le texte. Cette attention portée à l’analyse de nos

implications, selon Lourau (1994a), est partie intégrante de l’acte de recherche. Comme le

!150

soutient Monceau (2010), c’est à travers l’analyse de leurs implications dans l’institution

scientifique, que les chercheurs peuvent trouver une ligne de fuite pour échapper à la pensée

instituée. Toutefois comme affirme également Monceau (2012a), il n’est pas possible de

mener cette analyse en totalité, elle échappe toujours en partie et de nombreux effets de la

recherche restent invisibles.

Mes implications primaires en tant que praticien-chercheur, correspondent aux enjeux

locaux sur le terrain où je me suis installé avec mon dispositif de recherche (Monceau, 2005),

aux relations avec mes anciens collègues consultants de la Fondation Schiller. Ces

implications, j’ai essayé de les capturer dans mon journal de la recherche.

En revanche, mes implications secondaires font référence, selon Monceau (2005), aux

relations que j’entretiens, comme chercheur, avec mon laboratoire et avec les autres

institutions scientifiques auxquelles je participe, comme par exemple le réseau Recherche

Avec. Aussi, cela concerne les relations avec mon cadre théorique, épistémologique et

méthodologique et par conséquent avec les questions que j’ai importées sur le terrain

(Monceau, 2009a). Selon Lourau (1994a), nous devons être autoréflexifs et dévoiler nos

appartenances et références théoriques, notamment les implications plus larges dans les

institutions avec lesquelles nous sommes liés en tant que chercheurs (Monceau, 2010), à

savoir les implications sociales, historiques, épistémologiques, dans l’écriture ou à l’aide de

tout autre moyen utilisé pour la présentation de la recherche (Lourau, 1988 ; Monceau, 2010).

Au cours de la recherche, j’ai découvert que ma principale implication secondaire est

épistémologique et qu’elle était encore plus forte à la fin de cette enquête. Le fait d’être aussi

impliqué dans mon paradigme, dans mes méthodes et dans mes lectures a été une constante,

sans aucun doute, dans toutes les étapes de la recherche. Ces éléments institutionnels qui sont

absolument inconnus du groupe de consultants, ont influé sur l’écriture de ma thèse

(Monceau, 2008).

Deux des sept participants, que je connaissais déjà, ont pu certainement deviner que

j’allais essayer de me glisser fortement dans cette recherche par mon désir de naviguer sur

« les flux décodés » comme affirment Deleuze et Guattari (1972). Si l’on reprend la

théorisation de Ramond, on pourrait peut-être me situer au pôle schizophrénique-

révolutionnaire alors que le staff de FS se situe au pôle opposé, le paranoïaque-réactionnaire

(Ramond, 2010). Toutefois, selon les auteurs, un capitaliste comme un schizophrène sont du

!151

même « côté des flux de désir » et tous deux ont la capacité de faire face pour fonctionner en

utilisant leurs « propres dysfonctionnements ». De facto, les membres du staff sont beaucoup

plus mobilisés sur les aspects concrets et vont réagir de façon névrotique, pour gérer leurs

parcelles de territoire et de pouvoir, en renforçant la codification. Cette « plus-value de code »

est produite par une « plus-value de flux », un excès de symbolique, qui est toujours reversé

au flux (Ramond, 2010).

4.10.1. Un chercheur « né deux fois »

Pour réfléchir à mes implications secondaires et à mon rapport avec l’institution

universitaire, j’ai trouvé des résonances chez James et chez quelques autres auteurs en me

pensant comme un chercheur né deux fois.

Comme le soutiennent Varela et Shear (1999), les choses apparaissent de façon

différente si l’on est une chauve-souris ou un être humain, il s’agit d’une autre phénoménalité.

Ainsi, un organisme possédant un système sonar comme celui de la chauve-souris, ne perçoit

pas comme un organisme équipé d’un système visuel humain. Le monde extérieur est donc

probablement très différent pour les deux. Nous vivons des situations similaires entre humains

tel que les chercheurs d’un même laboratoire, mais dans une moindre mesure.

Il y a plus d’un siècle que William James, dans son livre Les variétés de l’expérience

religieuse, invente sa typologie de la personnalité. Pour James (2002) [1902], il y aurait deux

types de personnes, celles du type « nés une fois » et celles du type « nés deux fois ». Les

premiers sont nés avec une constitution intérieur harmonieuse et équilibrée dès le début.

L’auteur écrit que les pulsions des nés une fois sont concordantes, ils ne sont pas impulsifs,

parce que leurs passions ne les débordent pas, leurs vies sont calmes et sans grands

problèmes. Mais les nés deux fois, à l’opposé, sont discordants, à des degrés divers. Selon

l’auteur, il y aurait deux types, certains nés deux fois sont légèrement discordants, mais

d’autres sont très excentriques. Pour l’auteur, la base psychologique des nés deux fois produit

une certaine divergence ou hétérogénéité dans le tempérament, ce qui peut être inné chez

l’individu ou acquis par une faible socialisation. Selon lui la discordance avec

l’environnement, et avec les autres, rend très difficile la socialisation pour les nés deux fois.

Selon Zaleznik (1997), lorsque le sujet manque de socialisation, la constitution morale et

!152

intellectuelle va exiger une maîtrise personnelle pour être unifiée. Certes on peut trouver,

selon l’auteur, une grande variété d’êtres humains intermédiaires et de mélange de deux types.

Par la suite, dans son article « PhD Octopus », James (1903), applique cette typologie

à la personnalité des chercheurs. L’auteur écrit que les chercheurs nés une fois pourraient être

de deux types, d’un côté les vrais talents et de l’autre, les talents moyens. Les premiers

seraient dotés d’une grande capacité à passer les épreuves que la vie leur présente. Ils sont nés

pour le succès professionnel. De manière progressive, ils sont même allés plus loin, avec

succès, franchissant chaque étape pour améliorer leur statut universitaire. Ils sont très

efficaces dans l’obtention de différentes qualifications. L’autre groupe, dit James (1903), de

chercheurs nés une fois, bien qu’ils ne soient pas aussi talentueux, ont de l’énergie et une

bonne socialisation. Ceci est plus que suffisant pour pouvoir obtenir des aides de toutes

natures, des bourses ou tout simplement la sympathie de leurs professeurs et collègues pour

parvenir à progresser. Pour ce deuxième groupe, le doctorat va beaucoup leur apporter dans

leur vie. En dépit de leurs limitations, par rapport au premier groupe, ils satisfont tous les

indicateurs quantitatifs. Les universités, qui adorent ces résultats quantitatifs, les apprécient.

Ainsi pour les nés une fois, des deux types susmentionnés, l’adaptation a été un jeu simple,

sans heurt (Zaleznik, 1997).

Toutefois les chercheurs du type nés deux fois, non dotés d’un bon niveau de

socialisation, bien que pouvant être très doués pour la recherche, peuvent susciter beaucoup

de méfiance par leur incapacité à se soumettre aux routines du métier de chercheur. Ils

considèrent les règlements comme une difficulté insurmontable. Certes, ce sont probablement

des chercheurs surimpliqués dans leur sujet et leurs autres domaines vitaux sont affectés

négativement (par leur surimplication) dans la recherche. Pour les nés deux fois, rien n’est

facile, ils doivent s’efforcer de maintenir un équilibre et progresser et leurs vies sont marquées

par l’effort continu pour atteindre un certain sens de l’ordre. Selon Zaleznik (1997), le sens du

moi des nés deux fois vient d’un sentiment de profonde séparation, très différente de ceux qui

ont une personnalité du type né une fois, où le sens du moi circule harmonieusement. Comme

les enfants nés deux fois ont ce sentiment de séparation, ils ne développent pas le même type

d’appartenance. Si le chercheur ayant une personnalité du type né une fois ferme rapidement

son enquête en affichant un « impeccable curriculum », ce qui importe aux nés deux fois n’est

pas l’opinion des autres. En fait, il est certain que pour eux, la vie universitaire peut être une

!153

calamité et que, jusqu’à la soutenance de leur thèse ils peuvent paraître plus faibles aux yeux

des autres. Mais les échecs ne découragent pas les nés deux fois, de fait leur vie en est

remplie. Mais ils vont se rétablir et poursuivre leur chemin.

Si cette manière de penser en distinguant des types de chercheurs peut sembler un peu

caricaturale, elle m’a cependant permis de mieux situer mon rapport parfois difficile à

l’institution universitaire et avec les étapes instituées du processus de recherche.

Si cette manière de penser en distinguant des types de chercheurs peut sembler un peu

caricaturale, elle m’a cependant permis de mieux situer mon rapport parfois difficile à

l’institution universitaire et avec les étapes instituées du processus de recherche.

4.11. Méthodologie de l’analyse des données

L’analyse de données, selon Merriam (1988), doit être dynamique et récursive. D’autre

part, selon Ravatin (1985), pour connaître un autre champ de cohérence, nous devons lancer

notre propre champ de cohérence dans cet autre domaine. Toutefois pour capturer tous les

détails, comme l’affirme l’auteur, il est nécessaire de changer notre champ de cohérence

cartésien par un (champ de cohérence) non cartésien, car beaucoup de ces données peuvent

être capturées seulement de manière intuitive. Selon Merriam (1988), les chercheurs

qualitatifs sont davantage préoccupés par les processus que par les résultats et le chercheur

qualitatif est le principal instrument de la collecte et de l’analyse de l’information. Enfin,

comme l’affirment Lincoln et Guba (1985), la validité d’une recherche qualitative va toujours

reposer sur le chercheur. Je voulais comprendre comment les implications de mes collègues

consultants avaient évolué dans ce nouveau discours de la qualité. Durant le temps qu’a duré

la recherche, les consultants ont été touchés par des mouvements institutionnels initiés par les

membres du staff et les conseillers de FS pour avancer dans l’institutionnalisation du

dispositif de pilotage par la qualité.

Selon moi, la meilleure façon de faire est de procéder par la double capture de l’image

et du son grâce à mon dispositif filmique. Le fait de revoir les images des entretiens à

plusieurs reprises a facilité, par exemple, ma perception des détails des situations d’entretien,

du langage corporel, des micro-gestes, des regards entre les participants, que j’aurais ignoré si

n’avais pas eu la possibilité de revoir à nouveau les entretiens. Je me suis rendu compte, par

exemple, de la tension, entre David et deux autres, Antonia et Leticia. Dans le langage

!154

corporel, j’ai pu faire d’autres lectures et interprétations qui, durant la seule expérience d’une

heure et demie, m’auraient été impossible de percevoir. Cela m’a donné la possibilité, aussi,

d’entendre ma voix, mes questions, d’observer comment je déclinais ma propre implication

dans le pilotage par la qualité. C’est la répétition des images lors du montage qui m’a permis

une nouvelle immersion. Ceci a été complété par les notes que j’ai prises au cours des

entretiens. Mais également, ce dispositif a favorisé une plus grande implication des

participants par la seule présence de la caméra vidéo, grâce au rôle fédérateur qu’elle possède

(Lallier, 2009).

D’après Creswell (1994) le processus d’analyse qualitative doit se fonder sur une

réduction permanente et l’interprétation des données. C’est-à-dire que la collecte des données

doit se faire simultanément avec l’analyse même partielle.

Les méthodes que nous utilisons dans la recherche qualitative permettent l’induction,

c’est la création d’abstractions, de théories et l’identification des généralisations possibles à

partir du corpus de données. C’est-à-dire que le processus pour tisser le discours des

participants sur la qualité qui s’est institutionnalisé dans le système scolaire a été

essentiellement inductif et théorique (Strauss & Corbin, 1998). Chaque entretien me

permettait de créer la dimension ou codes primaires et de cette façon de poursuivre avec les

nouveaux entretiens. D’ailleurs, comme je n’avais pas le temps de transcrire entre les

entretiens individuels, une révision du matériel dans le logiciel d’édition vidéo me permettait

de réaliser une codification primaire et ainsi d’ajouter ou de reformuler des questions aux

entretiens suivants.

Lorsque j’ai finalement transcrit tous les entretiens, j’ai utilisé un logiciel pour

l’analyse qualitative (Atlas-ti) dans le but de faire une codification primaire ou ouverte pour

construire le corpus définitif. Une fois que j’ai complété l’analyse primaire dans l’Atlas-ti, j’ai

exporté tous les codes qui ont surgi pour les raffiner et les classer de manière logique. Puis j’ai

exporté toutes les notes de Final Cut à ce corpus définitif pour lui donner plus de profondeur

de champ. Avec cette nouvelle liste ordonnée par codes, j’ai effectué un codage sélectif pour

affiner et intégrer théoriquement les dimensions (Glaser & Strauss, 2006) et pour comparer

les dimensions nouvelles avec la littérature existante. Avec la saturation théorique d’une

dimension, selon Strauss et Corbin (1998), s’arrête la recherche de mise en contraste pour

cette dimension et se poursuit avec d’autres qui ne sont pas encore saturées. Tout ce qui

!155

précède a seulement été fait en vue de la construction du corpus que j’ai analysé par la suite à

partir de ce moment dans le même traitement de textes de mon ordinateur.

4.12. Limitations de la recherche

Une des spécificités de cette étude est qu’elle repose sur un groupe de sept collègues

consultants en qualité. Cette population d’étude réduite peut être considérée comme ne

permettant pas une généralisation des résultats à l’ensemble des consultants de FS.

Cependant, dans la démarche socio-clinique adoptée, qui s’appuie sur un dispositif filmique,

le nombre de sujets à moins d’importance que la possibilité de saisir leurs implications

singulières. C’est en effet, parallèlement à l’étude de leurs outils, par l’analyse des

implications individuelles et collectives de ces consultants expérimentés qu’il s’agit de

comprendre l’évolution de leurs pratiques et l’institutionnalisation du pilotage par la qualité.

Par ailleurs, les consultants font référence à des événements qui se sont produits

durant les dix dernières années et leurs souvenirs peuvent être déformés par le temps.

Cependant les entretiens collectifs corrigent en partie cette difficulté. Cette dynamique de

réflexivité collective peut aussi limiter les effets d’induction des questions que je pose aux

consultants.

Cette étude porte sur la période qui va du début du programme d’assurance de la

qualité de FS en 2001 jusqu’à 2014, lorsqu’est entrée en scène l’ACE, mettant en évidence

l’institutionnalisation du pilotage par la qualité dans notre système scolaire. Ce qui s’est passé

entre 2014 et 2017 n’a pas été pris en compte. Cela aurait pourtant été intéressant, parce que

tous les établissements sont tenus à présent d’installer le dispositif. Certains des consultants,

probablement, travaillent aujourd’hui pour l’ACE et il serait très intéressant d’enquêter sur ce

nouveau processus de professionnalisation, cela pourrait faire l’objet à l’avenir de futures

enquêtes. Ma présente recherche ne peut pas offrir une perspective temporelle plus large sur

l’installation du dispositif dans le système scolaire.

J’ai été collègue des participants au cours des années 2001 à 2006 et je suis

évidemment impliqué dans la situation que j’étudie, même si cette implication est négative,

car en tant que praticien-chercheur, j’appartiens au groupe de ceux qui n’ont pas reçu les

bénéfices de leur travail. Avec le recul, je pense avoir été soumis à un processus d’anomie

professionnelle, qui, comme l’affirme Aballéa (2013) est un processus simultané de

!156

déprofessionnalisation et de désinstitutionalisation. Cette implication négative pourrait

contaminer les résultats et l’utilisation du journal de recherche visant à identifier ces effets.

C’est aussi pour limiter la partialité que j’ai restitué à l’un des participants ayant le statut de

collaborateur informateur du chercheur les résultats de la recherche pour les discuter et

valider, dans la mesure du possible.

Je suis conscient de ces différents biais en dépit de mon intention de les contrôler

durant les différentes étapes de cette enquête. J’ai voulu contribuer à une meilleure

compréhension des conséquences du discours de la qualité dans un de ces pays où l’on peut

trouver la plus grande marchandisation de l’éducation et qui a vécu une décentralisation

volontariste (Mons, 2004a ; 2007). Mais, comme le soutiennent Denzin et Lincoln (1994)

bon nombre de ces limites sont inhérentes à une étude qualitative et ne devraient pas influer

de manière significative sur les résultats.

Enfin, ce dispositif clinique de recherche, de caractère expérimental, a intégré

l’utilisation de la caméra vidéo pour faciliter l’implication et la production de transductions

dans le discours des participants. Je donne au terme « clinique » le sens proposé par Ardoino

(1989), c’est-à-dire que les chercheurs, comme leurs partenaires, « se reconnaissent

effectivement impliqués, qu’il s’agisse de viser l’évolution, le développement, la

transformation d’un tel sujet ou la production de connaissances » (p. 65). Certes, comme

l’écrit Pesce (2017) :

J’ai tendance, de plus en plus systématiquement, à pousser un peu plus loin cette

logique : non seulement en proposant aux acteurs d’envisager l’écriture en parallèle

de la recherche, mais plus encore en faisant du projet de production un préalable de la

recherche… c’est une manière de pratiquer, avec l’écriture, ce qui est une évidence

dans la recherche audiovisuelle dont je parlerai dans le développement suivant : la

recherche ne commence effectivement quand on a commencé à filmer, voire à

travailler le montage (p. 58).

En fait, ce dispositif avait pour objectif l’expression individuelle et collective pour

atteindre les objectifs de compréhension du contexte dans lequel prend place le dispositif de

FS et de la manière dont ce réseau socio-technique devient un puissant vecteur de changement

au niveau national, capable d’affecter la subjectivité des différents acteurs sociaux. Tout en

poursuivant cet objectif, le dispositif de recherche socio-clinique produit la transformation des

!157

participants du fait qu’ils sont amenés à percevoir autrement leurs propres réalités (Monceau

& Soulière, 2017).

Résumé du chapitre

Ce chapitre a été centré sur la conception du dispositif et de la démarche de recherche,

en soulignant son caractère qualitatif, son champ de cohérence scientifique et les questions de

recherche. J’ai présenté le dispositif de collecte des données qui intègre des outils de l’analyse

institutionnelle pour élargir le champ de l’analyse, la stratégie pour l’analyse des données et

des limitations de l’étude. Le chapitre suivant présente les résultats obtenus correspondant à la

première question de recherche.

!158

!159

Troisième partie : Les résultats

!160

Chapitre 5 : Les effets des mouvements institutionnels de FS sur l’implication professionnelle des consultants

5.1. La question de recherche

Dans ce chapitre, je vais essayer de répondre pleinement à la première question de

recherche qui a guidé le développement de cette étude : Quels sont les effets des évolutions

institutionnelles de la Fondation Schiller concernant la traduction du pilotage par la qualité

dans le système scolaire et sur l’implication professionnelle des consultants ?

Je vais maintenant présenter mes découvertes sur la manière dont ces consultants

repèrent, résistent ou accompagnent (Monceau, 2009a) les mouvements institutionnels de FS

pour institutionnaliser le discours de la qualité scolaire dans tout notre système scolaire. En

effet, sans aucun doute, les changements internes de la Fondation Schiller, qu’ils ont vécus,

ont eu des effets sur leurs implications professionnelles. Pour les chercheurs qui effectuent des

recherches dans le cadre théorique de l’analyse institutionnelle, l’analyse de l’implication

(Lourau, 1991) est essentielle. C’est par l’analyse de ces implications individuelles que l’on

cherche à saisir les mouvements institutionnels.

Je précise tout d’abord que, lorsque je parle d’implication professionnelle, je fais

référence à la définition de Monceau (2012a) :

L’ensemble des relations que le sujet entretient avec la profession (pensée comme une

institution ayant sa dynamique propre) à laquelle il « appartient » et avec les autres

institutions dans lesquelles ou en lien avec lesquelles il exerce sa profession. Cette

implication peut se décliner par rapport à la profession, à l’établissement, à

l’organisation de l’Éducation nationale ou encore à l’institution scolaire. Et ceci, selon

les dimensions libidinale, organisationnelle et idéologique [...] (elles) s’actualisent et

se potentialisent selon les situations. Multiples, elles ne sont pas pour autant

distribuées de manière aléatoire ; elles ont leur cohérence (p. 15-16).

Selon Monceau (2010), les implications n’ont de sens que dans un processus analytique

(ce qui suppose un dispositif approprié) parce qu’elles ne sont pas facilement lisibles dans le

récit et ne sont pas nécessairement volontaires ni conscientes. De plus, l’implication dans le

travail, n’est pas limitée au temps de travail, comme le dit Dejours (2007) « c’est toute la

subjectivité qui est prise dans ce mouvement, jusque très loin dans l’intimité » (p. 272) . En

fait, d’après l’auteur, c’est une des raisons pour lesquelles une personne peut devenir malade

!161

ou au contraire être heureuse à cause du travail. Les implications, selon Lourau, ne sont pas

stabilisées et se déplacent constamment entre les pôles de la désimplication (hypertrophie de

l’objectivité) et de la surimplication (subjectivité élargie) que Lourau (1997b) appelait la

courbure du concept d’implication « dans laquelle la désimplication et la surimplication sont

situées dans le domaine de l’inanalysable en situation socianalytique alors que les

appartenances, la participation et l’engagement sont situés dans celui de

l’analysable » (Monceau, 2010, p. 27).

Ma recherche doctorale est menée au moment où les consultants qualité traversent, avec

la création de l’ACE, une nouvelle période d’incertitude institutionnelle. Ceci rend

particulièrement intéressante l’étude, dans ce moment d’interrogation sur leur avenir

professionnel. Une nouvelle période de transition met de nouveau à l’épreuve les consultants.

J’ai donc engagé la réflexion avec un groupe de consultants sur les évolutions qu’ils

vivent. Au cours du second entretien individuel avec Carlos, qui a également été filmé, mon

principal partenaire pour cette recherche a soutenu ce qui suit :

Chercheur : Comment vous les consultants, avez-vous été touchés par l’évolution du

modèle de la qualité de FS ?

Carlos : De toute évidence, elle nous a concernés. Dans mon cas, comme je l’ai déjà

dit dans l’entretien précédent, il y avait peu d’établissements intéressés à entamer un

processus de certification, C’est la raison pour laquelle j’ai dû m’adapter

économiquement. Puis ils (la direction de la Fondation Schiller) m’ont offert être

évaluateur et d’avoir un travail stable à temps partiel dans le programme « Meilleur

Lycée ». Lorsque fut créée l’Agence de la qualité de l’éducation, nous travaillions

dans le pilotage du SAC (Système d’assurance de la qualité), son modèle de qualité.

C’est pourquoi nous pensions que nous allions avoir une chance parce qu’ils allaient

avoir besoin de nous. Mais ils ont décidé de recruter d’autres personnes et de les

former eux-mêmes. Enfin, en tirant parti de l’expérience du programme « Meilleur

Lycée », j’ai décidé de créer avec d’autres collègues ma propre Fondation pour les

lycées techniques, en invitant certains entrepreneurs pour garantir la réussite du

projet. Maintenant, enfin je peux engranger les fruits de tant d’années de dévouement

[...] (Carlos).

!162

David, Gabriel, Antonia et Leticia, qui font partie du projet depuis sa création,

ont témoigné également qu’ils ont dû s’adapter en permanence aux mouvements

institutionnels au sein de la Fondation pour installer le pilotage de la qualité dans le pays.

Lucía et Leonardo, en revanche, sont moins impliqués dans l’évolution du programme de

qualité parce que leurs formations ont été réalisées à travers le Master et dans le seul but de

valider leurs expertises dans leurs postes de travail. En fait, ces derniers sont ceux qui ont

plus rentabilisé leur investissement dans leur accréditation comme consultants.

5.2. Pourquoi devenir consultant

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles de nombreux professionnels dans le pays ont

décidé de se former comme consultants du modèle de qualité de FS.

5.2.1. Une activité qui s’annonçait comme lucrative

La plupart des consultants actuels occupaient des postes de direction dans les

établissements et comprenaient bien les logiques d’action associées au fonctionnement

quotidien des établissements. Mais ils avaient de grandes attentes quant à ce nouveau métier

de consultants en qualité.

Les conseillers et les membres du staff de la Fondation Schiller promouvaient ce

nouveau métier comme une activité très lucrative étant donné la quantité d’établissements que

pourraient se répartir les premiers consultants. En effet, ils supposaient, qu’il y aurait des

dizaines d’établissements intéressés chaque année pour commencer le processus de

certification, mais cela n’a pas été le cas. Un des participants, qui a été homologué en tant que

consultant à travers le Master, a également le souvenir que la formation était présentée comme

très lucrative.

Chercheur : Je voudrais vérifier avec toi s’il est vrai que dans le cours que nous avons

fait ensemble l’année 2003, Brunetti, Avendaño et les membres du staff promettaient

que ce nouveau métier de consultant allait être super lucratif, que nous pourrions nous

consacrer exclusivement à ce nouveau travail ? [...] Les enseignants du Master, qui

sont membres de FS, ont largement diffusé cette option professionnelle comme une

activité très lucrative [...] ?

!163

Leonardo : Le Master professionnel est diffusé comme une possibilité prometteuse,

avec de grosses projections et nous pensions que c’était vrai, parce que la Fondation

Schiller a la réputation d’être le cerveau de l’innovation dans le pays, mais après tu

t’aperçois qu’en réalité c’est uniquement avantageux en termes de curriculum. C’est

mon cas je crois.

Mais pour Leonardo et Lucía, le fait que la promesse d’une carrière lucrative en tant

que consultants indépendants ne soit pas vraiment satisfaite n’était pas un grand problème.

Certes, ce sont eux qui ont obtenu le plus d’avantages économiques grâce à la formation mais

qui sont apparemment les moins impliqués dans le modèle de qualité et dans FS. Pour leurs

parts, David et Antonia ont réussi à devenir membres du staff de la Fondation. Toutefois, pour

d’autres consultants, comme Leticia, Carlos et Gabriel, le manque de clients a entraîné une

plus grande déception, comme nous le verrons ensuite.

5.2.2. Évaluer le travail de leurs propres collègues enseignants et chefs d’établissements

Très probablement une partie importante de ceux qui étaient déjà reconnus comme de

« bons » cadres d’établissements scolaires, ceux qui avaient une performance optimale, en

tant que dirigeants, n’étaient pas vraiment intéressés à s’impliquer dans le pilotage de la

qualité scolaire. Mais, certains professionnels de l’éducation, qui ne parvenaient pas à trouver

le moyen de se sentir suffisamment productifs (Dejours, 2006) pouvaient souhaiter devenir

consultants, pour s’éloigner ainsi de leurs habitudes de travail. Mais, en plus d’obtenir

l’accréditation comme spécialistes en qualité scolaire, ils obtenaient le pouvoir d’évaluer le

travail de leurs propres collègues (les enseignants et chefs d’établissements), comme étant de

bonne ou de mauvaise qualité. Cette motivation des consultants pour obtenir davantage de

pouvoir se reflète dans cet extrait du deuxième entretien avec mon principal partenaire.

Dans le premier entretien individuel, qui a également été filmé, mon partenaire

confirme que le statut d’évaluateur du travail de ses propres collègues était intéressant pour

lui.

Carlos : T’as raison. C’est que nous tous, en plus de développer un travail

indépendant, on aimait beaucoup l’idée d’être une espèce d’évaluateurs de nos

collègues [...]

!164

Au cours d’un autre entretien individuel filmé, une des participants décrit son travail

d’accompagnement du processus d’amélioration pour postuler à la certification comme étant

celui de « certificateur » de la qualité des établissements. Ceci n’est pas vraiment exacte parce

que ce ne sont pas les consultants qui certifient, mais le CNCGE. De fait des établissements

que les consultants accompagnent peuvent échouer dans le processus de certification, ce qui

peut donner l’impression aux consultants que leur travail est central pour la certification.

D’ailleurs, des chefs d’établissements pensent eux aussi que les consultants font la

certification, comme le dit cette consultante :

Lucía : Les établissements m’appellent pour les certifier [...]

Enfin, dans un autre entretien individuel filmé, Gabriel parle ainsi de l’importance du

rôle de consultant pour un établissement.

Gabriel : Je crois qu’il est toujours important d’avoir un regard extérieur d’un expert

indépendant dans les établissements.

Cette image d’évaluateurs/certificateurs extérieurs semble beaucoup valoriser les

consultants, ce que j’ai retrouvée aussi dans d’autres témoignages.

5.2.3. Le souhait de concilier l’efficacité et la justice sociale

Enfin, la plupart des consultants qui ont accepté de bonne foi l’appel de FS parce

qu’ils pensaient qu’il était possible de concilier l’efficacité et la justice sociale.

Gabriel : J’appartiens à la première génération de consultants, arrivée durant l’année

2003. Je travaillais déjà comme membre d’une équipe de direction dans la même

holding d’établissements. Je me suis intéressé immédiatement au modèle de la qualité.

Je savais que cela avait un grand avenir, que cela pourrait être d’un grand apport à

notre éducation et notamment parce que la FS est une institution sérieuse qui a fait de

grands apports à l’économie du pays.

Carlos : Je suis encore convaincu que FS a fait un grand apport à notre pays avec ce

modèle de gestion. Il existe d’autres aspects tels que les pédagogies, que le modèle ne

prend pas, ou bien aussi, des aspects négatifs de notre système éducatif, comme le

profit et la sélection des meilleurs élèves du système. Mais, tout cela, c’est une

discussion récente.

!165

Globalement, les consultants disent qu’ils ont cru, et pour certains qu’ils croient

encore, au fait que leur travail pouvait avoir des effets pour une plus grande justice sociale

dans l’éducation, ceci par l’amélioration de l’efficacité des établissements. Cependant le doute

arrive dans leurs discours avec le constat de certains aspects qu’ils jugent négatifs.

5.2.4. La recherche d’indépendance

Tous les consultants cherchaient à répondre à la nécessité naturelle, qui est toujours à

l’origine d’une nouvelle individuation de groupe (Simondon, 2005), celle de résoudre un

problème existentiel. Dans leurs cas, ils souhaitaient échapper aux routines de l’établissement

ou simplement travailler de manière indépendante. Il est très important de faire le lien entre

les désirs individuels des consultants et l’institutionnalistion du pilotage par la qualité.

Chercheur : Mais il y a aussi que tu voulais effectuer une carrière indépendante en tant

que consultant, c’est vrai ?

Carlos : C’est vrai, cela a été une de mes principales motivations. Il ne me plaît pas de

dépendre de chefs parce que tout à coup ils peuvent te licencier et cela personne ne

va aimer. C’est le cas pour nous, les directeurs d’établissements subventionnés. A ce

moment là, je travaillais au collège Francisco de Miranda, à tout moment on pouvait

me licencier. D’ailleurs, ils l’ont fait et, après ça, j’ai commencé à travailler dans le

programme Mejor Liceo (Meilleur Lycée) de la Fondation [...].

Leonardo : Un travail indépendant de consultant, pour moi, c’est beaucoup plus

réconfortant et encourageant, par comparaison avec mon ancien travail comme

fonctionnaire public.

Carlos et Leonardo ne sont pas les seuls à avoir cherché dans la carrière de consultant

une plus grande indépendance. C’est aussi le cas de Leticia qui a été associée à des projets

avec Carlos. Par contre, Gabriel, Antonia et Lucía, qui ont le privilège d’un travail stable

comme membres du staff et sont plus ou moins bien rémunéré, ne privilégient plus maintenant

la recherche de l’indépendance. Pourtant, ils avaient initialement suivi la formation de

consultant dans ce but. Au contraire, pour David ceci n’a jamais été un objectif, étant donné

que depuis le début du programme de qualité, il occupe un poste de direction important. De

fait au cours de l’entretien collectif, David n’en fait pas mention. Toutefois, lors des entretiens

collectifs filmés, j’ai observé une certaine gêne de Leticia et Antonia, en présence de David,

!166

concernant les dynamiques institutionnelles. Ceci apparaît de manière répétée sur les images

filmées.

5.2.5. Tirer parti de l’expérience passée

Les consultants espèrent transposer leurs dynamiques identitaires construites sur la

base des trajectoires précédentes, leur registre de compétences, leur expérience antérieure et

l’ensemble de leurs repères (Pérez-Roux, 2011). En effet, l’identité de ce groupe de

consultants va se reconstruire dans un environnement qui va être de nouveau plein de

mutations, en passant, selon l’auteure, par les étapes de déstabilisation, de doute et de

recomposition d’identité.

Chercheur : Pourquoi une personne comme toi, qui à ce moment était le directeur

d’un établissement, a décidé de se former comme consultant en qualité ?

Carlos : J’ai vu en cela une grande opportunité professionnelle, mais aussi pour

apporter aux établissements. J’avait déjà constaté que la gestion était importante dans

mon travail en tant que directeur du lycée […] Il s’agit d’un établissement très pauvre

qui a ensuite été transformé en une icône du pays. De fait, les orchestres

symphoniques de jeunes du pays sont une des innovations que j’ai implémentées. Un

de nos élèves est maintenant musicien professionnel, il a étudié ensuite en Europe. Je

crois que tout cela montre que j’étais très bon gestionnaire dans mon établissement.

C’est pour ça que ça m’a semblé intéressant. Mais, ce n’est pas vrai qu’il

suffit d’améliorer la gestion dans un établissement. Je ne pense pas que ce soit vrai,

car on ne peut laisser en dehors l’analyse des pratiques des enseignants. Et pire

encore, s’il existe des externalités négatives, comme le profit, la sélection, le SIMCE,

etc. Tout ce que nous discutons aujourd’hui.

Le terme d’« externalité négative » est une notion d’économie, reprise par Carlos mais

qui est également utilisée par d’autres. Par opposition à la notion d’« externalité positive », il

signifie qu’un dispositif peut avoir des effets positifs dans un champ limité donné, comme les

résultats scolaires, tout en produisant des effets négatifs si on considère plus largement ce

dispositif dans son environnement. Dans le domaine de l’industrie, c’est le cas lorsqu’une

entreprise industrielle a une forte productivité et créé des emplois mais pollue tout son

environnement.

!167

Comme je l’ai déjà remarqué, la prise en compte d’éléments d’analyse larges

(économiques, politiques, etc.) est difficile pour certains consultants comme pour les chefs

d’établissements. Les instruments d’évaluation se focalisent sur une partie réduite de la réalité

et ignorent le reste.

5.3. Comment devenir consultant

5.3.1. Devenir consultant en qualité du réseau national de Fondation Schiller à travers

du cours annuel de consultants

Les consultants en qualité de FS, jusqu’à l’année 2008, se formaient exclusivement par

un cours annuel. Ce cours leur a permis de donner un certain monopole d’intervention à ceux

qui le terminaient.

La formation proposée consistait essentiellement à explorer la boîte à outils pendant

qu’ils accompagnaient un établissement au cours du processus d’auto-évaluation et dans la

rédaction d’un plan d’amélioration. Il s’agissait d’ « […] un accompagnement pour apprendre

à utiliser les instruments » (Leonardo).

Quatre des sept participants de cette étude ont suivi le cours pour être attestés comme

consultant en qualité scolaire.

Carlos : Leticia et moi sommes marqués par la formation que nous avons eue. Nous

pensions que pour faire un bon conseil, en réalité, il était nécessaire de suivre le cours

de FS [...] il est très puissant, aidait beaucoup. Cela marque une différence avec ceux

qui ne sont jamais passés par là. Il était très exigeant [...] les autres sont arrivés par

un autre chemin. Presque tous par le MINEDUC (Ministère de l’Éducation).

Il est vrai que les premiers consultants ont été comme des pionniers et pour cette

raison ils bénéficiaient d’un grand prestige parmi leurs pairs. Ils ont été responsables de la

diffusion du modèle de la qualité de FS dans les établissements. En fait, ils constituaient une

équipe et avaient un projet idéologique à défendre.

5.3.2. Devenir consultant du réseau de Fondation Schiller par le Master

Bien que FS se soit engagé à ne pas permettre l’entrée dans les fonctions de

consultants d’agents qui n’avaient pas suivis le cours annuel, elle a créé en 2008 un Master en

gestion scolaire de la qualité, celui-ci était délivré par l’Université du Développement (UDD),

ce qui représente une autre source de recettes pour FS, qui peut également accréditer les

!168

diplômés comme consultants du réseau. Cela, certainement, pour légitimer encore plus à

l’activité : « Pour amplifier un peu la conception on a créé un Master. Comme la FS ne peut

pas donner le titre seule, elle s’est associée à l’UDD » (Leonardo).

Ceux qui sont passés par le Master de deux ans se sentent mieux préparés que les

consultants qui ont fait le cours d’un an, ceci bien qu’il s’agisse d’un programme presque

identique. « Le cours est un cours et l’autre est un Master, alors il y a une préparation

beaucoup plus profonde […] » (Leonardo).

Les consultants doivent payer eux-mêmes le cours annuel ou le Master qui les habilite

en tant que consultants. On promet aussi aux étudiants du Master qu’ils vont avoir un retour

sûr de leur investissement ou qu’ils vont améliorer leurs chances dans les processus de

sélection pour les postes de direction des établissements ou des fondations consacrées à

l’éducation, ou à partir de maintenant dans la nouvelle ACE (Agence de la qualité en

éducation).

Leonardo : Bien que ça ne soit pas vrai, on nous promettait dans le Master que nous

aurions de nombreux clients dans le rôle de consultant. Une fois que

j’ai très respectueusement démissionné du MINEDUC, j’ai décidé de créer mon

propre cabinet conseil avec ma femme qui possède un doctorat en éducation. Après,

nous nous sommes inscrits dans le registre ATE, mais cela ne fonctionnait pas. En

revanche, maintenant que j’ai été recruté pour une autre ATE, plus grande que la

mienne, qui à son tour est sous-traité par une autre plus grande, j’accompagne une

grande quantité d’établissements dans tout le Chili.

Comme cela est également dit par d’autres consultants mais aussi comme on peut le

constater à la lecture de la documentation, il y a une sorte de concurrence entre les consultants

formés par le premier cours et ceux formés par le Master. Avec l’institutionnalisation du

pilotage par la qualité et l’influence croissante des facteurs économiques, la détention du

Master devient de plus en plus importante et permet aux consultants de changer d’employeurs

plus facilement, d’être mieux reconnus.

5.3.3. La stage requis pour l’accréditation comme consultants

Pour apprendre à utiliser la boîte à outils, les consultants doivent accompagner un

établissement, mais avec la restriction qu’il ne soit pas l’établissement où ils travaillent.

!169

David : Pendant la formation des consultants, ils ne doivent pas travailler dans leur

propre institution, ils doivent exercer toujours comme consultant extérieur […] Après

la formation de consultant, ils peuvent l’appliquer à leurs collèges, parce qu’ils savent

déjà utiliser les outils.

Jusqu’en 2005, l’accompagnement des établissements devait se terminer avec la

certification d’un établissement. Maintenant il suffit de l’élaboration du plan d’amélioration.

D’après les témoignages des consultants, la formation de consultants a été transformée en un

commerce de FS et pour cela les exigences se sont considérablement assouplies.

Leonardo : Notre accréditation en tant que consultant était soumise à ce que nous

devions certifier une école, mais maintenant c’est une activité que préparent des

dizaines de personnes tant dans le cours annuel que dans le Master sans cette exigence.

Ceci a provoqué la saturation de l’offre, dans un marché qui n’était pas suffisamment

important du fait du manque d’établissements qui demandent la certification.

Ainsi, le cours annuel est devenu un commerce pour FS, car outre des recettes par la

scolarité annuelle de chaque consultant, de manière ad honorem les futurs consultants doivent

chercher par eux-mêmes un établissement à accompagner, un chef et son équipe de direction.

De cette façon FS obtient un nouveau client qui aura besoin de la certification de qualité qui

reste la principale source de revenu du CNCGE (Conseil national de certification de la gestion

scolaire).

Chercheur : Les consultants devaient eux-mêmes trouver un établissement, ce qui

était très utile pour FS parce que chaque consultant amenait un nouveau client. Ne

crois-tu pas que dans ce jeu l’unique gagnant était FS ?

Carlos : À ce moment-là je trouvais cela juste, mais maintenant en le regardant avec

distance, je pense que c’est faux. À partir de la seconde génération, ils vont encaisser

pour le cours de consultant et capter de nouveaux clients sans bouger du bureau, le

business pour eux et pour nous rien, c’est vrai [...]

Comme je l’ai également entendu à d’autres moments dans les propos d’autres

consultants, même si de manière moins claire, les consultants ont progressivement compris

qu’il ne s’agissait pas seulement d’améliorer l’efficacité des établissements scolaires pour

produire plus de justice sociale mais que FS souhaitait diversifier ses sources de revenus par

l’activité des consultants.

!170

5.4. Les raisons de l’abandon des premiers consultants

5.4.1. La mise en place du SACGE durant l’année 2003

La grande campagne de marketing au niveau national de FS pour installer le modèle

avait déclenché l’intérêt de MINEDUC qui a réagi rapidement face à cette proposition du

secteur privé visant à ordonner le système scolaire. Le ministère a alors créé son propre

modèle de qualité : le SACGE (Système d’assurance de la qualité de la gestion scolaire). De

cette manière, le ministère se mettait en cohérence avec les recommandations des organismes

internationaux, notamment l’OCDE, la Banque mondiale et l’UNESCO, qui ont proposé le

pilotage de la qualité de l’éducation il y a plus d’une décennie et reprenait en partie le contrôle

sur l’évaluation des établissements.

La rapidité de lancement du SACGE par le MINEDUC a entraîné beaucoup de bruits

parmi les conseillers du CNCGE, les membres du staff et les consultants de la Fondation

Schiller. Les tensions provoquées, parmi les consultants du réseau, par la coexistence des

deux modèles peuvent se résumer ainsi : « Pour quelle raison les établissements

demanderaient-ils à être certifiés par FS, s’il existe un autre modèle presque identique qui est

public ? » (Carlos).

Également, selon David, Leticia, Antonia et Gabriel le lancement du SACGE a eu des

effets négatifs sur la demande des établissements scolaires envers les consultants. Selon eux la

coexistence des deux modèles a fait que de nombreux établissements subventionnés et

municipaux n’avaient plus intérêts à se tourner vers les consultants de FS.

Seulement deux participants à mon dispositif socio-clinique n’ont pas été touchés par

le SACGE : Leonardo et Lucía.

Leonardo était à ce moment fonctionnaire du MINEDUC. La mise en oeuvre du

SACGE faisait partie de sa routine et il ignorait qu’elle pouvait nuire aux intérêts des

consultants du réseau. Lucía, qui n’était pas encore membre de l’équipe de direction de la

société d’établissements où elle travaille aujourd’hui, avait encore moins perçu la tension

entre les deux systèmes.

Par la suite, toutes les incitations économiques faites en direction des établissements

ont été associées au SACGE. Nonobstant, le SACGE a eu beaucoup de difficultés de mise en

oeuvre parce que le MINEDUC ne disposait pas de ressources humaines. « Les superviseurs

!171

du ministère qui devaient mettre en oeuvre le SACGE ont eu des difficultés car, à cette

époque, il y avait des gens qui avaient du mal à comprendre le modèle de la qualité » (David).

C’est aussi pourquoi le modèle SACGE a progressivement cessé d’être utilisé dans les

programmes ministériels entre les années 2006 et 2008.

5.4.2. Le manque de demande d’établissements d’être accompagnés dans le processus de

certification

5.4.2.1. Pourquoi en passer par un processus d’évaluation externe aussi difficile et pénible

Pourquoi les établissements payeraient-ils pour passer par une évaluation externe ?

Les chefs d’établissement et leurs propriétaires se rendent compte que la participation au

processus d’évaluation a deux résultats. D’une part, recevoir une certification mais sans savoir

si cela sera vraiment utile à l’établissement. D’autre part, il existait aussi le risque d’être

confronté à l’échec professionnel que représentait pour eux le fait de ne pas obtenir la

certification. Globalement, cela n’avait pas beaucoup de sens pour la plupart des cadres et des

propriétaires de risquer ainsi leur carrière.

Carlos : Il restait un groupe d’établissements […] qui décidait d’améliorer ses

indicateurs et bénéficier du label de qualité […] mais c’était très exigeant. J’ai été

évaluateur […] on exigeait pratiquement d’avoir tous les indicateurs pour obtenir la

certification.

D’après les consultants, le niveau d’exigence n’a donc pas diminué malgré la baisse

des demandes venant des établissements.

Bien que tous les consultants participants soient d’accord avec le constat d’un manque

d’établissements intéressés, raison pour laquelle les revenus des consultants ont diminué, pour

Leonardo cela n’a plus d’importance car il n’accompagne plus d’établissements dans le

processus de certification. En tant que directeur d’une ATE, il travaille avec des dizaines

d’établissements chaque année. Ceci pour les conseiller dans leur processus d’amélioration

pour remplir les objectifs poursuivis par le Ministère et désormais par l’ACE.

!172

5.4.2.2. L’exigence d’un score minimum SIMCE laissait de nombreux établissements dans

l’impossibilité d’accéder à la certification

L’exigence d’un score minimum SIMCE pour obtenir la certification était une

contrainte parce qu’il laissait la plupart des établissements dans l’impossibilité de postuler à la

certification.

Carlos : [...] Car de fait on demandait un score minimum [...] de 250 points au SIMCE

[...] Mais, plus de la moitié des établissements pauvres du pays avaient un score

inférieur à cela, alors il était impossible de les certifier [...]. L’attention était mise sur

ceux qui, en outre, pouvaient payer […].

Antonia : [...] On supposait, en principe, que davantage d’écoles devaient participer

[...] mais l’exigence d’un score minimum SIMCE est si difficile à remplir, tout

comme réussir l’évaluation externe [...] c’est pour ça qu’il n’y a presque pas

d’établissements volontaires.

Carlos : […] La plupart des établissements est en dessous du score de 250 au SIMCE

et la majorité de ceux qui avaient la moyenne, n’avait pas besoin de faire la

certification pour soutenir la concurrence, parce qu’ils avaient des effectifs importants

[…] de même ils devaient effectuer une sélection des élèves.

Ces propos de consultants font apparaître un paradoxe intéressant : les établissements

qui obtiennent de bons scores n’ont pas besoin de la certification et ceux qui en auraient

besoin ne sont pas en mesure de l’obtenir.

5.4.2.3. Le coût de la certification devrait être assumé par l’établissement

Un obstacle important associé à la difficulté de la généralisation est le coût de la

certification. On espérait qu’il soit associé à des incitations financières pour que les

établissements s’intéressent à participer à l’évaluation externe, mais cela n’a été ainsi.

Carlos : Parce que la Fondation n’avait pas d’établissements à certifier. Personne ne

pouvait les obliger. Il n’y avait aucune loi qui les obligeait.

Carlos : Je ne sais pas si, une fois, on pensait qu’il allait y avoir une portée

relativement importante [...] mais, il y a un problème de coûts, c’est une option qu’il

faut la penser beaucoup [...].

Leticia : Il y avait également un problème de ressources dans les écoles.

!173

Carlos : Les gens étaient ennuyés […] Ils payaient deux fois, le processus durait deux

ou trois ans car ils n’avaient pas obtenu 100 % des indicateurs.

Carlos : C’est si difficile et coûteux qu’ils ont perdu l’intérêt pour la certification.

Cependant, la loi SEP, qui oblige les établissements à concevoir et mettre en oeuvre un

plan d’amélioration, a conduit à une relance dans la prestation de services de consultants pour

l’élaboration des plans d’amélioration, avant la création de l’ACE.

Chercheur : Depuis l’entrée en vigueur de la loi SEP, en 2008, il y a eu un plus grand

intérêt de la part des établissements à être conseillés dans l’élaboration des plans

d’amélioration ?

Carlos : Je dirais que oui. Les raisons sont parce qu’ils étaient maintenant tenus de

réaliser le plan d’amélioration, et nous à la FS, nous avons l’expertise et l’autonomie,

nous ne sommes pas le ministère. Je crois que travailler avec nous est plus confortable

pour les directeurs d’établissements.

Ainsi, la généralisation, par la loi, de l’injonction faite aux établissements de mettre en

place un plan d’amélioration permet aux consultants de FS de retrouver des possibilités

d’intervention alors que l’arrivée du système SACGE l’avait antérieurement réduite. Tous les

participants sont d’accord sur le fait que l’obligation faite aux établissements d’élaborer un

plan d’amélioration signifie davantage de possibilités pour eux. Cependant, dans la réalité les

seuls bénéficiaires sont Carlos, Leticia et Léonardo. Leticia est consultante à temps partiel du

programme Mejor Escuela (Meilleure École) et Leonardo dirige une ATE qui est

pratiquement saturée de clients.

5.4.3. L’absence de tarif fixe et d’appui institutionnel

À peine les consultants terminent leur formation que débute un processus de

déprofessionnalisation, spécifiquement lorsque les consultants doivent chercher des clients.

De plus, à la fin de leur formation, FS ne leur garantit pas un monopole d’intervention.

Carlos : [...] Ils nous ont promis de l’exclusivité. Ceux d’entre nous qui étions

accrédités comme consultants pouvaient travailler au nom de FS, mais chacun pouvait

accompagner des établissements sans être accrédité, parce que la Fondation n’est pas

l’État [...].

!174

Mais le manque d’appui institutionnel est encore aggravé à partir de l’année 2008

parce que les consultants doivent entrer en concurrence avec la FS elle-même pour répondre

aux appels d’offres du système des adjudications publiques.

Ils ont aussi de grandes difficultés à négocier leurs honoraires. Tous les consultants

auraient aimé qu’un tarif soit convenu avec FS pour éviter la négociation avec les

propriétaires et les chefs d’établissements.

Lucía : Il a été demandé que ce soit tarifé, mais la vérité est que la FS ne s’implique

pas dans cela [...] Il me semble logique, chacun est libre d’avoir ses tarifs

professionnels.

Carlos : Jamais ils ne se sont mis d’accord pour établir une tarification [...] La

négociation des honoraires pour nous était très compliqué [...].

Une difficulté pour les consultants est donc qu’ils se trouvent pris entre deux logiques,

celle du secteur public qui nécessite une régulation des tarifs et celle du secteur privé qui

fonctionne avec des tarifs libres évoluant selon le marché. Les consultants doivent travailler

dans cette incertitude.

5.4.4. La difficulté d’avoir plusieurs emplois

Certes, les établissements qui demandent la certification ne sont pas nombreux et ce

sont les membres du staff qui décident librement à quel évaluateur ils attribuent un

établissement. Mais, dans tous les cas, les honoraires de ce groupe de privilégiés sont très bas.

De plus, les consultants interrogés n’ont effectué que quelques évaluations pour le CNCGE

les cinq dernières années, ce qui est très loin du minimum souhaitable, en termes de recettes

annuelles. Comme ils ne pouvaient pas vivre exclusivement de ce travail, ils ont conservé

leurs autres activités professionnelles, mais pour nombre d’entre eux, ce deuxième travail les

ennuie. De plus il peut se révéler aussi incompatible avec l’activité de consultant.

Leonardo : Parce que il s’agissait aussi d’un jeu complexe, si tu te dédies à évaluer

[...] tu abandonnes ton travail [...] dans mon cas il était un complément à ce que je

faisais, à cet égard ça fonctionnait très bien […] mais je ne sais pas si quelqu’un peut

se consacrer uniquement à évaluer des écoles [...].

Carlos : Sincèrement ces années de consultant ont été très dures. Nous avions de

grandes attentes et jamais nous n’avons pu vivre de cela [...].

!175

La plupart des consultants ont déserté parce qu’on ne les appelle jamais. Avec cela tu

ne peux pas manger […] Le commerce entre guillemets va mal […] Tu pourrais

demander aux autres consultants si aucun d’entre eux a pu faire de ça une profession

[...] de laquelle on puisse vivre [...] je crois qu’aucun d’eux.

En fait FS, comme institution, est diluée pour eux. C’est ainsi que commencent à

surgir des sentiments de frustration par l’absence de rémunération. De facto, dès ce moment,

FS est incapable de définir un projet véritable pour maintenir les consultants mobilisés plus

longtemps.

5.5. Devenir membre des staffs d’autres programmes de FS

Le domaine de l’éducation a mis en place d’autres programmes de FS, ML et ME, qui

ont été conçus pour répondre aux établissements qui continuent à avoir de mauvais résultats

pour attirer les établissements qui ne sont pas dignes de la certification. Deux d’entre eux, qui

ont été recrutés pour ces programmes, participent à cette étude: Carlos et Leticia. Bien que ce

soit un travail à temps partiel, il constitue une reconnaissance dans leur

carrière professionnelle mais ils sont affectés par la faible rémunération.

Carlos : J’ai quitté mon poste de direction à cent pour cent [...] la Fondation m’a dit :

Nous n’avons besoin de toi qu’à temps partiel, un soixante pour cent [...] nous ne

pouvons pas payer la même rémunération que celle que tu percevais comme chef

d’établissement.

Leticia : Je travaille dans le programme « Meilleure École » accompagnant des

établissements qui n’ont pas de bons résultats [...] J’ai une rémunération par mon

travail à mi-temps [...] c’est une reconnaissance de mon travail en tant que

consultante.

On retrouve ici la même difficulté pour les consultants. Leur désir de reconnaissance

les conduit à accepter des conditions financières défavorables. La promesse de développement

d’un marché de la consultation ne débouche pas sur une réalité. Leur individuation comme

consultants ne trouve pas les conditions favorables dans l’environnement institutionnel.

!176

5.6. Devenir évaluateur externe

L’élite des consultants du modèle de FS est constituée par ceux qui ont atteint le statut

d’évaluateurs externes. En effet, dans la pratique professionnelle, les évaluateurs ont un

avantage sur les consultants du réseau et sont mieux considérés par les chefs et propriétaires

qui préfèrent choisir un consultant qui possède une expérience comme évaluateur externe.

Mais ces évaluateurs ne bénéficient pas de publicité sur les sites web de FS.

Chercheur : Nous avons le réseau de consultants free-lance qui ne sont pas des

évaluateurs et nous avons vous qui avez un double rôle (consultant et évaluateur).

Est-ce que les collèges préfèrent vous recruter vous qui avez un double rôle ? Vous

avez un avantage sur les autres consultants ?

Antonia : Nous n’avons aucune visibilité. Nous ne sommes pas dans une liste

publique.

Depuis le début, l’idée était que les consultants les plus performants pourraient en

arriver à occuper le rôle d’évaluateur externe, mais le système utilisé pour les sélectionner est

loin d’être une méritocratie. A contrario, dans la sélection ce qui compte est un certain type

d’affinité avec les staffs qui prennent la décision, sans aucun type de concours entre les

consultants. Par exemple, une participante qui est une des deux staffs de FS qui participent à

cette étude, confirme que pour faire partie de ce nouveau groupe, il n’existe pas de processus

de sélection qui garantisse l’égalité des chances à tous les consultants : « Ont été retenus les

bons élèves du cours de consultants ou du cours de Master, ceux qui ont montré un certain

profil et qui pourraient développer ce travail […] » (Leticia).

D’après une autre des participants, qui a commencé directement comme évaluatrice

sans expérience comme consultante et seulement par affinité avec un conseiller du CNCGE

qui aujourd’hui est cadre dans l’ACE : « Ce qui se passe est que j’ai été d’abord évaluatrice et

après consultante [...] le directeur m’a offert de faire partie du staff des certificateurs […] J’ai

trouvé cela intéressant parce que cela enrichit mon travail, ça me permettait d’avoir un autre

regard » (Lucía).

Pour Leticia la liste est en constante évolution. « La liste est évaluée périodiquement et

se modifie [...] » (Leticia), parce qu’ils ont d’autres emplois stables et qu’ils ne peuvent pas

vivre de l’évaluation.

Ainsi, plusieurs évaluateurs de ce groupe ont dû émigrer à cause du manque de travail.

!177

Leticia : Ils doivent demander des permis à leurs chefs pour s’absenter pendant les

trois jours que dure la visite externe […].

Carlos : Il n’avait plus de travail [...] c’est pourquoi ce groupe a commencé à émigrer,

parce qu’on ne leur donnait pas de boulot, jamais […] Il y avait parfois des

évaluateurs qui ne pouvaient pas aller faire le travail parce qu’ils devaient être en

dehors de Santiago trois jours consécutifs. C’est pour ça que ces évaluateurs ont

commencé à déserter […].

Enfin, compte tenu de cette haute rotation, Carlos a eu l’occasion de devenir

évaluateur.

5.6.1. Passer de deux évaluateurs à un seul

FS a décidé d’éliminer un évaluateur pour faire des économies en remplaçant le

deuxième par un membre du staff de FS qui va jouer dès à présent le rôle d’évaluateur pair

sans être payé davantage pour réaliser la première visite avec le premier évaluateur.

L’évaluateur qui effectue ensuite seul le travail reçoit vingt pour cent de rémunération

supplémentaire pour effectuer le travail qui se faisait auparavant à deux.

Carlos : Mais maintenant tout le boulot est fait par un seul évaluateur, un travail de

chinois [...] Au début, j’ai travaillé avec une autre personne [...] mais en raison des

coûts, ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas envoyer deux évaluateurs, parce que cela

peut être fait par un seul [...] pourtant, ils nous payent un peu plus.

5.6.2. Le manque de transversalité à l’intérieur de l’équipe d’évaluateurs et du staff

FS fonctionne comme de nombreuses entreprises où quelqu’un qui suggère beaucoup

des modifications ou effectue des critiques, mêmes constructives, pourrait être stigmatisé

comme conflictuel.

Carlos : Notre programme marche sur une seule patte, parce que notre programme

n’est pas conçu pour, etc. […] si je dis quelque chose comme ça, je peux être remis en

question, car problématiser ne fait pas partie de mon travail.

Car FS ne peut pas payer plus d’une demi-journée et cherche des candidats qui aient

un autre travail stable pour ainsi éviter les conflits avec la précarité des revenus, en évitant

!178

toujours l’expression de différends dans le groupe. « Tous sont des personnes super occupées

[…] » (Lucía).

Bien évidemment, le temps que les évaluateurs consacrent à ces activités de groupe est

insuffisant. Pour cette raison, ils bénéficient d’une unique réunion annuelle au maximum, il

s’agit d’une occasion pour clarifier tout ce qu’ils peuvent avec les membres du staff de

CNCGE. « C’est le seul espace de réflexion [...] pour savoir ce qui se passe, pour voir les

changements qui interviennent dans le modèle » (Leonardo).

Mais de toutes façons il est très étrange que quelqu’un critique l’institué dans FS.

« Non, car, comme tu le dis, étant donné que nous sommes employés de FS

[…] » (Leonardo).

Certes, ils doivent s’occuper de leur travail et ne pas exprimer de différends avec le

modèle de la qualité. « Il n’y a pas la possibilité même d’auto-critiques […] dans la Fondation

chacun s’occupe de son boulot » (Carlos).

Mais probablement, pour FS, cette fragmentation des consultants est idéale. Ainsi, les

consultants du réseau lorsqu’ils sont déconnectés de FS n’ont rien à dire, rien à revendiquer.

Cela est également valable pour ce groupe qui ne peut se réunir qu’une ou deux fois par an

avec ses collègues membres du staff. « Pour unifier les critères, savoir comment ils sont,

réviser s’il existe une modification des schémas […] » (Leticia).

Dans l’une de ces réunions, un contrat annuel est signé. « Ils doivent signer une

convention tous les ans […] où la confidentialité est stipulée, la responsabilité du rapport, les

délais qu’ils ont pour le rapport » (Leticia).

Il n’existe pas de nombreuses possibilités pour bénéficier des avantages d’une pratique

réflexive. « Nous avons peu d’instances pour mener des travaux collaboratifs. C’est un travail

individuel » (Antonia).

5.7. Devenir ATE et concurrencer les grands cabinets conseils

Depuis la création de l’annuaire ATE (2008), le consultant doit s’inscrire et donc

concurrencer les grands cabinet conseils. Carlos et Leonardo ont décidé de participer, en tant

que personnes naturelles, au répertoire ATE. En fait, c’était l’occasion qu’ils avaient attendue,

d’une plus grande transparence dans le système public d’appels d’offres. Enfin, des ressources

!179

supplémentaires arrivent avec la loi SEP pour que les établissements puissent payer les

services des consultants pour accompagner le processus de certification.

Carlos est le seul des consultants qui n’a pas utilisé le camouflage d’une entreprise de

cabinet conseil, comme par exemple Leonardo, pour s’inscrire dans le répertoire ATE, car

c’est la manière, selon lui, de pouvoir améliorer leurs chances dans les adjudications, avec une

plus grande crédibilité juridique. Leonardo en revanche a choisi de créer une entreprise de

cabinet conseil pour s’inscrire sur la liste ATE.

Carlos : Je me suis inscrit en tant que personne naturelle dans le registre ATE. En fait,

je suis le seul à l’avoir fait de cette manière. Les autres collègues ont créé des

entreprises en partenariat avec d’autres consultants pour s’enregistrer, mais il semble

que cela ne signifie pas de meilleurs résultats.

Leonardo : Je ne souhaitais plus travailler toute ma vie au ministère, j’avais déjà

achevé un cycle. J’ai décidé de constituer mon entreprise, d’être indépendant et le

Master est une formation professionnelle qui m’accrédite aussi comme consultant.

Mais cela n’a pas été facile car il y a une grande concurrence, mais je suis en train de

progresser.

Cependant, les témoignages des consultants conduisent à penser que le répertoire ATE

n’a pas signifié une plus grande transparence dans l’attribution des appels d’offres.

5.7.1. Concurrencer de grandes holdings d’entreprises qui ont créé leurs cabinets

conseils pour obtenir du profit

Les entreprises stimulées par l’absence de contrôle des grandes holdings d’entreprises,

en dépit de ne pas appartenir au secteur de l’éducation, ont décidé de créer leurs propres ATE,

pour profiter des ressources provenant de la loi SEP (2008). Par exemple, une entreprise qui

vend des produits pour laboratoires chimiques a commencé à vendre des équipements aux

établissements qui ont besoin d’installer un laboratoire pour les élèves de l’établissement.

Leonardo : Les grandes entreprises [...] tout cela a à voir avec la question du profit

[...] En fait depuis peu certains m’ont appelé pour travailler dans l’ATE de Santillana,

qui se consacre à l’édition de livres mais qui a vu en cela une occasion

de faire du business.

!180

Carlos : De nombreuses entreprises ont vu que cela est une activité de milliards de

pesos et que c’est possible de vendre toute chose. De fait, les entreprises qui gagnent

plus ne viennent pas du monde de l’éducation, ce sont des entreprises opportunistes.

Je pense que l’esprit de la loi était que les établissements allaient recruter des

consultants sérieux comme nous, mais nous sommes les moins favorisés. Presque

depuis le premier jour, nous avons vu des cas de corruption [...].

5.7.2. Concurrencer la Fondation Schiller elle-même aux appels d’offres de fonds publics

Avec la création du répertoire ATE, en pratique le réseau de consultants se détache

définitivement du FS. Ceci bien que de nouveaux consultants, formés par la Fondation,

continuent à rejoindre le réseau chaque année.

Une des évaluatrices du programme ME avoue qu’eux-mêmes ne savent pas combien

exactement il y a de consultants actifs :

Leticia : Les consultants sont présents sur tout le pays, certains sont inscrits comme

ATE, d’autres font des travaux privés et certains ne travaillent pas. Alors il est très

difficile d’avoir ce chiffre.

De plus, FS commence à être en concurrence dans les appels d’offres avec les

consultants qu’elle a elle-même formés et auxquels elle devrait assurer un créneau

professionnel. Il est impossible pour les consultants individuels de concurrencer les grandes

ATE comme FS. C’est parce que dans le système d’adjudication ATE, les consultants

apparaissent sans expérience en comparaison des grands fournisseurs comme FS. Mais en

plus de l’expérience ce qui compte pour avoir plus de succès dans les appels d’offres concerne

les ressources humaines. Ce n’est pas la même chose de travailler seul ou avec d’autres pour

téléphoner aux établissements, organiser des réunions, envoyer des offres, etc.

Chercheur : Il est très difficile de concurrencer FS dans les appels d’offres ?

Carlos : C’est vrai, il est très difficile de les concurrencer. Ils peuvent faire valoir

l’expérience, bien que cette expérience soit la nôtre, celle des consultants.

5.7.2.1. La concurrence déloyale entre consultants

Les consultants des programmes ML et ME utilisent l’appellation de consultants de FS

pour se différencier des autres consultants du réseau externe. Ceci bien en dépit du fait qu’ils

!181

ont le même type d’accréditation. Ainsi, ils font croire aux chefs et propriétaires d’

établissements que les autres collègues ne disposent pas de la même légitimité. Ils font valoir

une plus grande proximité institutionnelle. Un petit mensonge banalisé pour résoudre leurs

problèmes à court terme.

Leticia : Il y a certains consultants qui disent qu’ils sont de FS, mais ils font partie du

réseau externe [...].

Chercheur : Mais les consultants qui travaillent ici dans les programmes ML et ME

sont consultants aussi du réseau. Ils sont passés par la même formation, pourquoi

établir cette différence ?

Leticia : Parce que cela prête à confusion dire « nous », car ils n’ont pas un contrat

avec nous [...].

Chercheur : Mais ils ne disent pas cela exactement, ils disent appartenir au réseau de

consultants de FS. Est-ce correct ?

Antonia : Oui c’est clair, mais nous avons eu des cas où des établissements ont cru

qu’ils travaillaient ici avec nous et ce n’est pas ainsi.

Ce moment de l’entretien collectif a été un peu gênant pour moi et pour les

participants car Leticia et Antonia parlaient de consultants comme moi (à l’époque où j’avais

cette fonction), qui n’étaient pas proches des membres du staff mais qui se présentaient, de

bonne foi, comme consultants du réseau de FS. En regardant à plusieurs reprises les images,

je peux voir des signes d’inconfort sur leurs visages. D’ailleurs, elles évitent de mentionner

ceux qui eu à leur avis des comportements peu éthiques.

5.7.3. Les consultants qui travaillent dans une Agence Technique sous-traitée par une

autre plus grande

La raison principale pour laquelle Leonardo a été recruté par une ATE de taille moyenne

est son expérience dans le MINEDUC et ses contacts avec les chefs de DAEM.

Leonardo : Nous travaillons dans trois communes différentes [...] nous sommes en

train d’accompagner dix établissements de la commune de San Ramón, dix-huit

établissements des communes de Conchalí et des dix écoles de la commune de Ñuñoa.

De plus, il n’est pas surprenant, que dans cet état de choses, les ATE les plus grandes

sous-traitent aux autres plus petites pour diviser le travail lorsqu’il a été adjugé par les grands

!182

appels d’offres. « [...] C’est une grande entreprise de cabinet conseil et je travaille pour une

plus petite qui fournit des services à cette autre [...] Nous sommes sous-traités par cette grande

[...] (Leonardo).

Mais avec le profit excessif des propriétaires des grandes ATE, les consultants voient

diminuer leurs revenus par heure et augmenter leur charge de travail, bien qu’ils pourraient

globalement améliorer leurs revenus.

Leonardo : Dans ce type d’ATE lorsque les professionnels sont recrutés pour apporter

une assistance technique, on paie un salaire horaire très mineur […] en fait sur le

marché une heure professionnelle vaut vingt mille pesos, ici on t’offre huit mille pesos

[…].

Leonardo : Où vont les recettes ? On doit financer les propriétaires de l’entreprise […]

voilà pourquoi on commence à réduire les bénéfices des professionnels qui sont

finalement ceux qui font le travail directement avec les écoles.

Bien sûr, on retrouve ici une tension courante dans les entreprises privées qui désormais

se retrouve dans le secteur de l’éducation. Les consultants se trouvent pris dans ces tensions

qui peuvent les mettre en contradiction avec leurs propres motivations et désirs.

5.8. Les implications idéologiques dans les logiques managériales

Le pilotage de la qualité est une des mutations du monde de l’entreprise diffusée dans

le monde de l’éducation (Dutercq & Lang, 2001). En fait, nombreux sont les systèmes

éducatifs, comme le dit Pérez-Roux et Salane (2013), qui ont traversé ces « mutations

relativement importantes ».

5.8.1. La surimplication des consultants dans le management

La diffusion de la logique managériale dans l’éducation des participants est déclinée

de la façon suivante par un des participants :

Leonardo : Les vagues de réformes politiques internationales, latino-américaines

disaient où tu dois mettre les efforts pour améliorer les résultats et à juste titre la

gestion devient un élément clé […] ce que font les entreprises qui ont de bons

résultats.

!183

Les valeurs et les références éthiques de l’entreprise, bien qu’il soit difficile de le

croire, étaient à l’avant-garde de la dernière décennie. Des consultants ont vu dans la

formation en management ce qui leur manquait pour être des professionnels plus efficaces

dans le système scolaire. Leonardo décline de cette manière son implication dans la logique

managériale : « J’ai la vertu d’avoir développé ma carrière professionnelle en la purifiant avec

la gestion […] » (Leonardo).

En fait, les consultants sont impliqués positivement dans le management scolaire.

Selon Leonardo, qui travaillait à la mise en œuvre du modèle public de qualité SACGE (2003)

:

Leonardo : Ce que faisait le SACGE, lorsqu’il a été créé, était de regarder les

systèmes de qualité des entreprises qui existaient à ce moment pour tirer les aspects

les plus pertinents et les plus puissants pour les traduire, ou l’associer à un modèle

scolaire […] quelles sont les pratiques que peut avoir toute organisation qui

produisent de bons résultats, celles qui devraient s’appliquer dans un établissement ?

Gabriel : […] Le modèle nous a permis d’intégrer tout cela à l’intérieur […] ordonner

notre collège, notre pratique professionnelle.

Leonardo : […] Les établissements développent certaines pratiques de travail,

certaines façons de faire les choses, qui devraient aboutir à l’amélioration de la

qualité […].

Carlos : […] Tous améliorent leurs pratiques […] les résultats […] la même école

administrée d’une autre façon peut être formidable […] Nous ne savons pas ce qui se

passe dans les établissements que nous n’avons pas aidés.

Véritablement, ils se sentent jusqu’à présent très fiers de ce que la notion de qualité a

été institutionnalisée et reprise par le SACGE du MINEDUC et le SAC de l’ACE.

David : Nous avons également participé au SACGE, dans une première étape, et

regardé comment le modèle était mis en œuvre.

Carlos : FS a été un catalyseur de l’expérience de pointe dans la gestion scolaire, une

de ces expériences a été la certification […] FS est un des organismes, celui qui le

premier avait parlé de la qualité […] sérieux […].

Leticia : Nous avons eu le grand mérite [...] par le travail que nous avons fait dans les

établissements.

!184

La plupart des consultants pensent que le thème de la qualité est libre d’idéologies et

rejettent une position politique cachée ou explicite. Ils imaginent que leur participation à

l’institutionnalisation du pilotage par la qualité n’a pas de dimension politique.

Gabriel : Il n’existe aucune proximité avec un regard politique de droite ni de gauche

[…] si ce modèle avait une implication politique, il ne serait pas repris par les maçons

et les catholiques. Impossible […] parce qu’ils y voient une question qui permet aux

écoles de fonctionner bien.

Bien au contraire, ce même consultant considère que ce sont les représentants des

professeurs qui exercent des pressions politiques pour s’opposer au développement de

l’évaluation des enseignants dans les établissements.

Gabriel : Toutes les écoles devraient passer par ce processus, mais malheureusement,

et où il y a une implication politique […] par des questions de type politique cela ne

peut pas être possible.

Enfin, Leonardo qui travaillait au MINEDUC en mettant en œuvre le SACGE s’étonne

de la sur-implication des consultants de FS pendant les premières années. Pour eux, depuis le

secteur public, l’existence d’un modèle de la qualité n’avait pas la même importance. Certes,

travailler dans le cadre du SACGE était un travail rémunéré par l’État et ne nécessitait pas de

surimplication :

Leonardo : […] J’étais dans le ministère lorsque cela a commencé. Nous avions

formellement la charge de tous les établissements publics, précisément de six mille

établissements. Toutefois cela faisait alors partie de notre travail habituel. Pour nous,

cela ne signifiait rien de nouveau, sauf à développer un processus intéressant

d’accompagnement des écoles dans un processus d’amélioration, mais en termes

d’emploi, au plan professionnel ou à propos de rémunération, cela n’avait aucune

signification.

5.8.2. La certification de la qualité pour améliorer la capacité de soutenir la concurrence

avec les autres établissements

Les établissements qui cherchent à obtenir le label de qualité de FS le font parce que

cela pourrait améliorer leurs chances face aux autres établissements avec lesquels ils sont en

!185

concurrence, c’est-à-dire pour attirer plus d’élèves ou de subventions de l’État. Certains

consultants déclinent positivement leur implication dans cette logique :

Leonardo : J’ai le label de qualité de FS [...] alors je peux vendre mon établissement

comme un bon collège […].

Lucía : […] Au Chili il y a de nombreux collèges, de moins en moins d’enfants, par

conséquent il y a une concurrence forte entre les collèges […] Il faut lutter pour

maintenir votre inscription et la seule façon de le faire est la qualité.

Lucía : L’établissement subventionné pour conserver ses élèves doit offrir une

meilleure qualité.

5.8.3. Si un établissement ne peut avoir de profit, il ne peut pas offrir une éducation de

qualité

Ce fut Friedman (2010) qui a dit que les établissements à but lucratif peuvent

améliorer constamment la qualité en étant en concurrence avec d’autres pour attirer des

élèves.

Dans l’entretien individuel avec Lucía, j’ai pu saisir la logique institutionnelle

suivante, qui n’est pas partagée par les autres participants. Elle décline ainsi son implication

dans la logique du profit :

Lucía : Pour offrir une éducation de qualité, les établissements doivent être à but

lucratif. Un collège gratuit, qui reçoit seulement la subvention et qui veut offrir la

qualité […] selon moi, s’il ne dégage pas de profit, je ne sais pas comment il va faire,

car la subvention n’est pas élevée.

Chercheur : Ne crois-tu pas qu’il existe une sorte de perversion dans la certification ?

Lucía : […] J’ai travaillé dans un collège gratuit, qui reçoit seulement la subvention,

mais qui veut offrir de la qualité. À mon avis, si le collège ne peut pas dégager de

profit, il ne peut pas offrir une éducation de qualité, en fait je ne sais pas comment le

collège se maintient, car la subvention est très limitée […].

Lucía : Au contraire, j’ai vu des collèges qui effectivement ont de bons revenus pour

leurs propriétaires […] Ce collège offre une très bonne qualité pour ses étudiants,

alors il ne me semble pas un problème […].

!186

5.8.4. « Les établissements catholiques peuvent endoctriner les enfants avec la

subvention de l’État laïc »

Dans notre système, les établissements catholiques peuvent recevoir des subventions

de l’État, même si leur projet éducatif n’est pas laïque.

De nombreux parents ne sont pas gênés par le fait que leurs enfants soient influencés

par une religion, s’il leur semble que l’établissement est un établissement meilleur que les

autres auquel ils peuvent accéder par le prix et par l’emplacement.

Bien que, dans de nombreux pays, les établissements catholiques peuvent recevoir un

financement de l’État, dans notre cas les établissements peuvent aussi choisir leurs élèves,

conformément aux critères liés à leur projet religieux.

Par exemple, un enfant de parents du même sexe ou simplement de parents divorcés

peut être rejeté parce qu’il ne correspond pas au profil de cet établissement. Une fois inscrit

l’enfant ne peut pas refuser l’influence religieuse. De fait, dans ces établissements est

dispensé un cours de religion.

De plus, il existe de nombreux établissements qui, pour attirer les parents, cherchent à

obtenir l’appui d’une congrégation religieuse, peut-être en échange d’un paiement ou d’un

don périodique. En réalité le curriculum scolaire doit être quasiment le même pour tous les

établissements qui reçoivent des subventions de l’État.

Mais certains participants déclinent positivement leur implication dans la possibilité

que les établissements puissent imprégner religieusement les élèves avec des ressources de

l’État dans un pays qui est défini comme laïc.

Leticia : Si le soutien que nous faisons n’est pas en accord avec vos attentes, vous

devrez trouver un autre collège, mais c’est votre décision, le collège fonctionne ainsi

[...] c’est vous qui avez amené votre enfant ici.

Leticia : Les parents choisissent les collèges [...] mais après, ceux qui sont à

l’intérieur ne souscrivent pas à des projets éducatifs [...] veulent faire les choses à leur

manière et c’est là que commencent les discussions [...] si je vais à l’école catholique,

c’est parce que dans le fond je suis catholique et si mon fils va aller à la messe, c’est

parce que je suis d’accord, mais sinon pourquoi j’ai amené mon fis à une école

catholique ?

!187

5.9. La désimplication affective et idéologique

Selon Aballéa (2013) la desinstitutionnalisation arrive avec la désimplication affective

et idéologique. Cela s’est passé pour la majorité des consultants qui après de nombreuses

tentatives pour obtenir des bénéfices de leur nouvelle profession (en ajoutant à l’absence de

rémunération, l’absence de reconnaissance, l’absence d’un collectif) ont deserté.

5.9.1. L’absence d’une rémunération fixe

L’absence d’une juste rémunération n’avait pas été possible à supporter sans la

surimplication des participants.

Chercheur : Je me suis rendu compte que certains d’entre vous ont de très bons

revenus dans leurs autres travaux, mais pourquoi veulent-ils continuer à évaluer des

écoles pour FS ?

Carlos : […] Personne ne vivrait d’être consultant, en effet tous les consultants étaient

en même temps directeur d’un établissement […].

Antonia : Oui, c’est pour ce que signifie la FS (son image), l’expérience que nous

vivons lors des trois jours dans l’établissement est très riche, alors, je crois que c’est

cela, c’est pour maintenir ce lien, et pour être en rodage.

Lucía : Pas de problème que j’aille une semaine certifier les collèges, parce que c’est

un apprentissage. Il nous sert et après, ici dans mon établissement, je peux apporter

des idées : Regarde ça, ils le font comme nous, et cette autre question […] pas plus de

deux ou trois choses à l’année, parce que je n’ai pas le temps.

5.9.2. L’absence d’un collectif

Ce qui a fini par épuiser les espoirs des consultants a été la priorisation des membres

staff de FS et de leurs propres besoins et objectifs institutionnels, en violant l’accord avec les

consultants concernant le monopole d’intervention et l’apport d’un certain appui

institutionnel, ce qui vient affaiblir encore plus les logiques professionnelles des consultants,

ceci en plus de limiter leur autonomie pratique et éthique.

Les consultants ne pouvaient pas faire valoir leurs prérogatives, parce que FS a

suspendu les réunions annuelles avec les consultants du réseau. De fait, la majorité, comme

moi, s’était éloignée de plein gré. Ainsi les consultants sont passés d’un contact intermittent à

!188

un contact nul avec FS. Sur les réunions annuelles des consultants, l’un des participants

affirme que :

Carlos : [...] C’est une pratique qui a été abandonnée, qui existait au début lorsque

cela fleurissait, lorsqu’on voyait que cela avait beaucoup d’avenir [...] Mais au cours

des derniers cinq ans [...] vu que cela ne prospérait pas, cette pratique a été

abandonnée.

5.10. Le retour de l’institution : les possibilités qu’offre l’ACE

L’émergence de l’ACE et son propre modèle de pilotage par la qualité, le SAC, va

affaiblir encore plus l’implication des consultants.

Carlos : La Fondation n’avait plus d’établissements à certifier, car si un établissement

le faisait, c’était plutôt de manière volontaire, il n’y avait aucune loi qui les obligeait,

une autre chose est maintenant avec cet instrument qui s’appelle Agence de la qualité

[…].

Carlos : Le modèle qualité de FS ne fonctionnait pas […] Lorsqu’on a créé par la loi

l’Agence de la qualité […] à FS, ils se sont-ils posés des questions : bon aujourd’hui

définitivement nous allons sortir de la carte, parce que l’ACE est publique ?.

Leonardo : […] La FS, doit se re-penser, car il ne va pas y avoir beaucoup de sens

pour les écoles d’avoir une certification de qualité donnée par la FS, parce que tu vas

avoir l’ACE qui doit évaluer tous les établissements et les classer selon leurs résultats

[…] il pourrait y avoir une redondance.

Leonardo : Quel est le futur du modèle de FS maintenant s’il existe l’ACE ? […]

L’Agence va évaluer toutes les écoles publiques et privées […] ils vont avoir la tutelle

des enfants, mettre le label de qualité et, en effet, il est une entité étatique

indépendante, avec une validité nationale […] il ne s’agit pas d’une entreprise privée,

donc qu’est-ce qui va se passer avec le modèle de FS ?

Leonardo : L’ACE vient enterrer ce qui est la logique de certification de la qualité de

FS, parce que tu vas avoir tous les établissements classés par l’ACE […] par

conséquent, aucun établissement ne va être exclu, qui va avoir besoin de FS ?

!189

Mais l’émergence de l’ACE représente aussi pour les participants un triomphe. « Il me

semble qu’il est valable et il existe maintenant une possibilité de le massifier avec l’Agence

de la qualité » (Carlos).

En fait, l’ACE considère la possibilité d’externaliser certains services et il peut y avoir

ensuite une occasion pour les évaluateurs et consultants. « Il y a certains conseillers au sein de

ce conseil qui préfèrent l’externalisation de quelques services, c’est-à-dire que le système

puisse fonctionner avec une participation des privés […] » (Antonia). Cette fois-ci, peut-être,

il y aura une occasion pour les consultants comme ceux de ce groupe de participants et ceux

qui ne sont pas actifs dans le réseau.

Leticia : Par la quantité d’établissements, ils devraient y avoir un bataillon géant pour

pouvoir accompagner six mille établissements.

Carlos : […] Nous faisons ce boulot, ils n’ont pas d’évaluateurs […] par conséquent

ça pourrait ouvrir une formidable opportunité […].

Carlos : Dans la FS, on pense que maintenant nous avons peut-être notre opportunité

[…] l’ACE nous embauche tous comme équipe […].

Carlos : D’où il tire des gens ? Ils vont nous appeler, parce que nous sommes déjà

formés ?

Carlos : […] Avec l’ACE, probablement est arrivé le moment pour nous où ils nous

diront : venez ici. Ce que n’a pas fait la Fondation […] En effet, il pourrait s’ouvrir un

énorme marché pour nous […].

Carlos : A FS, on se frotte les mains [...] mais non, maintenant c’est nous, les

consultants, qui nous frottons les mains.

Enfin, en dépit de la grande similitude entre les modèles de la qualité de FS et le SAC

de l’ACE, les consultants de FS, ne jouissent d’aucun type d’avantage spécial pour parvenir à

être recrutés par l’ACE, car, ils doivent participer au processus de sélection « de masse » pour

entrer. Mais le passage du consultant du modèle de la qualité de FS au SAC ne va pas

signifier un grand changement, parce qu’il y a certainement une continuité avec l’expérience

précédente. Évidemment, s’ils parviennent à entrer à l’ACE, ils doivent s’adapter à une

dimension symbolique, un autre cadre pour la reconnaissance de leurs contributions et pour

faire valoir leurs savoirs. Enfin, ce type de retour de l’institution, comme l’affirme Aballéa

!190

(2013), va entraîner un nouveau processus d’institutionnalisation et de professionnalisation (p.

21).

Chercheur : Est-ce que vous pouvez me confirmer s’il est vrai que vous, les

participants qui sont les seuls consultants actifs dans le réseau, avez dû vous adapter

aux changements permanents de la Fondation pour ne pas perdre sa source de revenus

? Et si c’est ainsi de quelle manière pensez-vous que cela a affecté votre motivation,

votre morale, à vous les consultants, l’émergence de l’ACE ?

Carlos : C’est vrai. Nous avons dû nous adapter toujours. Par exemple, quand

j’ai été licencié de mon travail en tant que directeur, j’ai cru que pourrais vivre du

conseil. Mais avec l’émergence du SACGE et le manque d’établissements intéressés

par la certification, il était très difficile d’obtenir la certification qui est coûteuse. Elle

doit être renouvelée et vous devez payer de nouveau. Pour cette raison ils ont créé des

programmes Meilleure École et Meilleur Lycée pour pouvoir obtenir des ressources

pour payer les coûts fixes. Ce modèle d’affaires a été efficace. Ils peuvent demander

des dons à des entreprises pour accompagner les établissements ayant de mauvais

résultats. C’est un bon exemple de comment nous nous adaptons, nous passons de la

peine à l’espoir, certaines joies, puis la désolation, puis l’espoir de nouveau. Avec la

création de l’ACE, mais ensuite nous nous rendons compte que nous ne sommes pas

considérés par eux. C’est pourquoi j’ai décidé de créer ma propre Fondation.

Maintenant, à la fin, je sens qu’on va progresser.

En guise de conclusion

Les collègues qui ne sont plus actifs dans le réseau avaient probablement le sentiment

qu’ils étaient incompétents, qu’ils n’étaient pas à la hauteur des circonstances (Dejours,

1998). Sans doute, la perte de certains repères institutionnels et l’absence de reconnaissance a

provoqué en eux un malaise général (Aballéa, 2013). C’est pourquoi les mouvements

institutionnels que FS a dû effectuer ont affecté évidemment le processus de

professionnalisation des consultants et leur implication professionnelle.

En fait, les autres consultants sont passés d’un processus de professionnalisation et

d’institutionnalisation à un processus inverse de desinstitutionnalisation et de

déprofessionnalisation ou anomie professionnelle (Aballéa, 2013). Parallèlement à ce déclin

!191

de l’institution (Dubet, 2002), il s’est produit une disparition du discours de la logique

professionnelle. En conséquence, le groupe a perdu l’intérêt de participer. Il n’existe alors

aucune possibilité de définir de façon autonome des références normatives et des règles

éthiques (Aballéa, 2013).

Mais dans le cas de ce groupe de participants à ma recherche, ils ont réussi à continuer

leur activité de consultants grâce à une plus grande proximité avec le groupe dominant

constitué par les membres du staff. Grâce à cela, certains d’entre eux ont eu la possibilité de

recevoir une rémunération, probablement en échange de l’obéissance à un certain type de

consignes implicites (Lourau, 1991). Mais, bien qu’ils soient un groupe de privilégiés par

rapport au reste du réseau de consultants, l’exploitation de la subjectivité de ce groupe de

participants semble assez claire. Comme le disait Lourau (1991), la surimplication est

l’idéologie normative du surtravail. Effectivement, dans le cas de mes collègues, la

surimplication a été nécessaire. En fait, la surimplication leur a donné la force nécessaire pour

effectuer d’innombrables opérations de traduction au niveau des établissements.

L’angoisse des consultants est la preuve de l’absence d’un collectif. En effet, il n’y pas

d’espace de résonance ayant une ampleur suffisante, car l’individuation est la coproduction

d’un individu et d’un milieu, comme le dit Simondon (2005 [1964]). Seule l’individuation

collective donne l’espace pour que ces problèmes puissent être pris en charge. D’après

Simondon (2005 [1964]), le sujet ne va pas être capable d’agir, de s’intégrer, de participer à

une individuation lorsqu’on le prive de collectif. En fait, cette absence du transindividuel,

selon lui, génère la pathologie. La force de cette attaque, selon l’auteur, rend incohérente ses

structures, mais cette expérience angoissante pourrait conduire à une nouvelle individuation.

Enfin, comme le dit Erikson (1959), un temps de crise est en partie inévitable dans la

construction de l’identité. Certes, le processus identitaire, d’après Balleux et Pérez-Roux

(2013), est en permanence construction, déconstruction et reconstruction. Selon les auteurs, ce

qui se passe dans une transition professionnelle est que ces changements s’accélèrent.

Résumé du chapitre

Ce chapitre a présenté les résultats de la première question de recherche, que j’avais

formulée de la façon suivante : Quels sont les effets des évolutions institutionnelles de la

Fondation Schiller concernant la traduction du pilotage par la qualité dans le système scolaire

!192

sur l’implication professionnelle des consultants ? On a vu comment les consultants ont pu

évoluer dans leur rapport à la logique du pilotage par la qualité et comment ils peuvent être

traversés par des contradictions institutionnelles assez fortes.

Ci-après, dans le chapitre suivant seront présentés les résultats obtenus à la deuxième

question de recherche.

!193

!194

Chapitre 6 : Les opérations de traduction qui sont exécutées par les consultants avec les objets techniques de leur boîte à outils

6.1. La question de recherche

Dans ce chapitre, je vais essayer de répondre pleinement à la deuxième question de

recherche : Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986) exécutées par les

consultants, en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour influer sur

l’implication des chefs et des propriétaires d’établissements scolaires dans

l’institutionnalisation du pilotage par la qualité ? Ceci tout en leur permettant de réussir le

processus de certification de la qualité.

6.2. Les acteurs humains du réseau socio-technique

Il est utile de rappeler que les acteurs humains de ce réseau socio-technique qui se

trouvent directement dans mon champ d’observation et d’analyse sont :

Premièrement, les membres du staff de FS, les consultants du réseau national de FS et

les évaluateurs du CNCGE.

Deuxièmement, les acteurs humains de ce réseau socio-technique qui sont

indirectement dans mon champ d’observation et d’analyse sont les conseillers du CNCGE.

Dans ce second groupe, certains acteurs ont participé à la conception du modèle, il y a aussi

des chefs d’établissement et des professionnels de l’équipe qualité.

Tous sont porteurs de leurs propres intérêts et valeurs (Cros, 2004).

6.2.1. Les conseillers du CNCGE

Le rôle des conseillers est d’estimer le rapport présenté par l’évaluateur externe qui a

fait l’audit de l’établissement en ce qui concerne la saturation de preuves pour chacun des

indicateurs, ainsi que la qualité et la pertinence des éléments de preuve pour rendre un verdict

sur sa possibilité de certifier l’établissement.

Dans le groupe de conseillers du CNCGE, nous pouvons trouver les créateurs de ce

premier modèle de qualité dans notre pays. Ils ont participé à la fabrication du dispositif et lui

ont donné une forme « matérielle, symbolique, discursive » (Boussard, 2009b). Brunetti,

Avendaño et Andueza, et quelques membres du staff tel que David (qui participe à l’un des

deux entretiens collectifs filmés), ont participé aux modifications successives des objets

!195

techniques. Ce groupe de conseillers a investi plus d’une décennie pour l’instituer, avec

succès, comme dispositif de contrôle de notre système scolaire.

De part leurs appartenances, les conseillers du CNCGE représentent principalement

les intérêts des propriétaires des établissements privés et subventionnés qui sont en faveur du

modèle de marchandisation de l’éducation.

En me basant sur une recherche sur internet, pour mieux connaître ce que ces

personnes font par ailleurs dans leur vie professionnelle, j’ai écrit dans mon journal la note

suivante sur les conseillers.

La Présidente du CNCGE est María Andrade. Elle est la fille d’un ancien Président,

démocrate-chrétien qui a été le premier président de la transition après la dictature.

María Andrade, outre le fait d’être la Présidente du Conseil, est cadre à la Fondation

Futuro, qui est une propriété de l’ex-Président de droite, Sebastián Piñera, qui

actuellement cherche à conquérir la présidence pour la deuxième fois. María Andrade

est célèbre car lorsqu’elle était ministre de l’éducation (1990-1994), elle a supprimé la

philosophie du curriculum pour se concentrer uniquement sur les matières qui sont

évaluées par le SIMCE. María est une défenseur obstinée du profit des propriétaires

d’établissements. Elle a une grande visibilité et l’exploite pour critiquer en

permanence les intentions d’aller vers la gratuité de l’éducation, un droit que les

chiliens ont perdu durant la dictature. Parmi les conseillers du CNCGE, se trouvent

aussi plusieurs créateurs du modèle de la qualité : Cecilia Avendaño qui est

propriétaire d’un établissement privé et Sandro Andueza qui est professeur à

l’Université Catholique (PUC). Le plus connu de tous est Javier Brunetti, professeur

titulaire à la faculté d’éducation de l’Université Diego Portales (UDP), qui est un

fervent défenseur de la marchandisation de l’éducation. D’autres conseillers sont des

représentants des associations de propriétaires d’établissements. Raúl Borghi est

Président de la Société nationale des collèges privés. Le religieux Jorge Torrealba est

Président de la Fédération des institutions éducatives catholiques et Winston Ortiz, est

le propriétaire d’une grand holding d’établissements. Une autre conseillère est

Patricia Román, qui dans le passé a été cadre du MINEDUC et qui est aujourd’hui au

Vice-rectrice académique de l’Université des Amériques. Une autre conseillère est

Lorena Fuentes, elle est chargée de recherche au Centre d’études publiques, qui est un

!196

think tank de droite. Une autre conseillère est Carla García, propriétaire de

l’entreprise de logiciels pour l’éducation, 3S Sustainable Learning for Successful

Solutions SpA. García est aussi cadre à la Fondation Andes. Le conseiller James

Mackay est le Président de la société minière Mantos Copper. Marco Ureta est

directeur du programme de gestion et de direction scolaire du Centre d’innovation en

éducation de la Fondation du Chili et conseiller de la nouvelle Agence de Qualité de

l’Éducation. De la conseillère María Trinidad Salvatierra, je sais seulement qu’elle est

professeure. Je n’ai pas trouvé d’informations sur ses autres activités professionnelles

seulement son profil Facebook (Journal du chercheur, le 3 novembre 2017).

Mon collaborateur (Carlos) a confirmé pendant le deuxième entretien collectif filmé

mon impression sur les tendances des conseillers.

Chercheur : Est-ce que tu peux me dire quelque chose sur les tendances politiques ou

idéologiques des conseillers ?

Carlos : La première chose c’est que ce sont toujours les mêmes qui vont permuter

entre eux à la présidence. La deuxième chose est que tous les conseillers sont pro

marché dans l’éducation. C’est vrai que Brunetti et Andrade ont toujours défendu le

profit et une grande partie des conseillers sont possesseurs d’établissements.

Il y a toutefois d'autres consultants comme Gabriel qui trouvent que le CNCGE est

politiquement pluraliste :

Gabriel : Les conseillers représentent tout le spectre politique dans l’éducation. Ils ne

me semblent pas si aussi orientés à droite. De fait Winston Ortiz est chrétien-

démocrate et Brunetti était PPD.

D’après les conseillers, installer ces indicateurs de gestion dans l’établissement devrait

se traduire par une « éducation de qualité », sans avoir besoin de transformer les dimensions

structurelles du modèle de marchandisation de l’éducation.

Lorsqu’on établit une norme de vérité, on gagne du pouvoir (Zarka, 2009). Les

créateurs du premier modèle de pilotage de la qualité, Avendaño, Andueza et Brunetti, ont

rejoint une tendance dictée par les organismes internationaux, comme l’OCDE, la Banque

mondiale et l’UNESCO, qui ont été principalement les organisations qui ont suggéré le

pilotage par la qualité comme dispositif de contrôle. « La Fondation est devenue le leader au

!197

Chili de la qualité scolaire. Cela nous ne pouvons pas le nier. Ils ont été les premiers à parler

de qualité » (Leonardo).

Cela n’a pas été très difficile car, il y a deux décennies, les établissements déjà étaient

ordonnés sur la base d’indicateurs quantitatifs du même type comme le SIMCE. « De toute

façon, avant cela la principale tâche des chefs de nos établissements était déjà d’améliorer les

scores de leurs élèves sur l’épreuve SIMCE » (Leonardo).

Enfin, comme le dit Chomsky (2015), la machine de propagande, la création de think

tanks, la promotion de leurs experts, qui sont ceux qui parlent toujours sur les problèmes les

plus importants, sous prétexte qu’ils parlent du bien commun de l’intérêt général, de l’intérêt

national, de la technocratie. Tout ce complexe renvoie la population à une position de

spectateur, d’apathie et d’obéissance, qui est celle qui lui revient dans un jeu d’élites

privilégiées. Enfin, ce système idéologique est très restrictif et exclusif, pour ceux qui

n’acceptent ces bases. Comme le dit l’auteur, le débat est autorisé et aussi encouragé à

condition que soit conforme aux principes fondamentaux du système idéologique.

6.2.2. Les membres du staff

Les membres du staff sont des acteurs humains qui sont à l’intérieur de mon champ

d’observation et d’analyse. Deux des participants appartiennent à cette catégorie. L’un d’entre

eux est le Secrétaire technique du CNCGE. Ils reçoivent une rémunération mensuelle qui est

dans les valeurs du marché et répondent à une hiérarchie dans FS. Ils ont un contrat de travail

à durée indéterminée.

Le rôle des membres du staff est la médiation entre les évaluateurs et conseillers. Ils

transmettent les questions nécessaires pour clarifier leurs rapports, exigent des corrections et

des preuves supplémentaires nécessaires pour soutenir le rapport de l’évaluateur.

Leonardo : Le rapport que nous élaborons est discuté avec Antonia. Elle est la

coordinatrice du processus de certification, et notre pair évaluateur. David, qui est le

Secrétaire technique du Conseil, peut demander également des rectifications. David

est la personne qui discute le rapport avec le Conseil, le secrétaire technique.

En outre, ils représentent le CNCGE de manière officielle dans les établissements.

Gabriel : C’est le secrétaire technique qui vient dans l’établissement pour la

cérémonie de remise du label de qualité.

!198

6.2.2.1. La gestion avec les programmes de responsabilité sociale

Les membres du staff et les conseillers invitent de grandes sociétés minières à faire

don de l’argent comme une action de responsabilité sociale pour financer la mise en œuvre du

plan d’amélioration dans les écoles ayant de faibles résultats SIMCE. Ce sont les programmes

ML et ME qui bénéficient de ces dons d’entreprises, en majorité minières, tirant ainsi parti de

la loi.

Carlos : Ce cluster d’entreprises a été créé pour soutenir les coûts fixes de CNCGE,

ML et ME. Minière Escondida, Collahuasi, Pelambres, Cerro Colorado ont financé

des projets importants pour les lycées [...] environ 50 établissements […].

Antonia : Nous avons le financement privé pour tous les projets.

Mais ce don représente une franchise fiscale pour ces entreprises, de manière qu’il

n’est pas un apport uniquement altruiste. Selon l’un des consultants les entreprises font leur

propre marketing avec ces programmes de RSE de FS. « Blanchiment de l’image rien de plus

[...] » (Carlos). Dans ce cas, il s’agit d’établissements ayant de mauvais résultats. Par

revanche le CNCGE se focalise sur les établissements ayant des scores SIMCE dans la

moyenne nationale. En revanche, ML et ME ont adapté le programme pour les établissements

ayant de mauvais résultats en profitant des nouveaux ressources provenant de la nouvelle loi

SEP (2008).

Carlos : Il a fallu aller évaluer avec un système similaire, un peu plus simple, non

pour certifier, mais pour améliorer le score SIMCE [...] J’ai été évaluateur également

de ce système […].

Les deux programmes ML et ME ont été inscrits dans le répertoire ATE pour capter des

ressources provenant de la loi SEP (2008) et ainsi financer les coûts fixes en ressources

humaines des staff. « En cela la loi SEP a appuyé beaucoup » (Leticia). En fait, l’activité

principale des staffs de CNCGE, ML et ME est d’utiliser la plate-forme de FS pour vendre

leurs services en profitant des possibilités dans le monde privé et public. De facto, en général,

les staffs se montrent favorables au système des adjudications.

Chercheur : Depuis l’extérieur, en tant que consultant, je suis impressionné encore, par

la manière dont vous évoluez. Souvent vous dites : c’est la première fois pour ceci, la

première fois pour cela […].

!199

Antonia : Comme nous devons rechercher un financement tous les ans, nous devons

absolument nous exposer.

Aussi, ils postulent au fond que les gouvernements régionaux n’ont pas réussi à les

utiliser et que pour cette raison sont recyclés dans de nouveaux appels d’offres dans les

domaines de l’éducation et de la culture :

Leticia : Il faut rechercher un financement pour appuyer des programmes des

gouvernements régionaux [...] diffuser ces appels d’offres […].

Leticia : […] Nous avons un projet dans la sixième région [...] qui est le premier dans

le pays avec un gouvernement régional […].

Antonia : Maintenant un éventail de possibilités s’est aujourd’hui ouvert, étant donné

que les établissements, des municipalités, reçoivent différentes voies de soutien à

travers les réaffectations de ressources, alors aussi ils peuvent armer ses plans

d’amélioration, ses propres programmes et recruter, soumissionner.

6.2.2.2. La gestion faite avec les établissements qui doivent renouveler la certification

Le CNCGE dispose d’un portefeuille d’établissements captifs qui doivent renouveler

la certification et, avant l’expiration de cette date, les contactent pour les inviter à renouveler

la certification de qualité, raison pour laquelle ils doivent payer une nouvelle évaluation.

Lucía : La certification dure trois ans, la deuxième est de cinq et après ça,

l’établissement doit passer de nouveau par une évaluation externe […].

Carlos : [...] la Fondation a des clients captifs [...] avec l’argent suffisant pour payer

[…].

6.2.2.3. Les efforts pour maintenir en vigueur le modèle de qualité

Malgré l’émergence de l’ACE représente un progrès pour les conseillers et les

membres du staff, parce qu’il signifie qui ont réussi à institutionnaliser le pilotage par la

qualité comme dispositif de contrôle du système scolaire, elle représente également le défi

d’adapter le propre modèle de qualité pour rester en vigueur.

Carlos : Alors, nous pouvons régler un peu ce produit qui n’a pas pu être massifié, qui

n’a pas pu être vendu, que nous avions inventé […].

!200

Antonia : C’est quelque chose dont nous avons parlé […] Nous allons […] adapter,

aligner les indicateurs avec l’Agence, pour que nous puissions effectivement aider les

écoles dans le même sens.

6.2.3. Le consultant impliqué en tant que porteur du logos du pilotage de la qualité

Tous les participants dans cette étude, à l’exception de David, sont accrédités comme

consultants. C’est-à-dire que cette catégorie professionnelle est dans mon champ

d’observation et d’analyse.

Le rôle des consultants est d’accompagner les professionnels dans le processus

d’installer les indicateurs de qualité et dans la construction des éléments de preuve suffisants

pour obtenir la certification et élaborer avec eux deux objets techniques qui sont nécessaires

pour obtenir la certification : le rapport d’auto-évaluation et le plan d’amélioration. On espère

qu’ils puissent effectuer des opérations de traduction avec des objets techniques.

Selon Weinstein et Uribe (2010), le rôle de chacun des 300 consultants en gestion

scolaire dans toutes les régions du pays fut conçu comme étant celui d’ :

Un conseiller indépendant et objectif qui aide les membres de l’organisation scolaire

à clarifier et proposer des solutions. Les consultants proviennent de tout le territoire

national, permettant ainsi un transfert potentiel du modèle à l’école de la même zone

géographique (p. 193).

L’activité de conseil qu’effectuent les consultants du réseau se distingue par

l’utilisation du concept de qualité scolaire et d’indicateurs de gestion, ce qui constitue une

nouveauté dans le système scolaire et aussi parce que l’installation des 52 indicateurs de

gestion conduit à la certification de la qualité. Les consultants sont des pionniers dans ce type

de conseils auprès des établissements.

Le consultant réalise une opération d’intéressement avec les objets techniques dont il

dispose dans sa boîte à outils, le rapport d’auto-évaluation, le plan d’amélioration et la matrice

d’indicateurs.

Chercheur : Comment crois-tu possible de provoquer l’intéressement des membres de

l’équipe qualité dans le processus de certification ?

Carlos : C’est pas difficile parce que les directions de l’établissement étaient déjà

intéressées. En fait, la Fondation Schiller a beaucoup aidé à la diffusion, notamment

!201

par des séminaires où vont les directeurs les cadres d’enseignement. Ainsi mon travail

est simple. Le processus d’auto-évaluation est un recensement dans l’établissement et

les répondants ont une curiosité naturelle d’en connaître les résultats.Tous les

membres de l’équipe qualité ne participent pas de la même manière à la rédaction du

rapport d’auto-évaluation. Dans le plan d’amélioration, ce que je propose au directeur

qui est presque toujours le chef de l’équipe de qualité, c’est de diviser la tâche de

collecte d’évidences et le processus de créer d’autres éléments de preuve et donc de

cette manière tous peuvent participer.

Les consultants du réseau, comme les participants, ont mobilisé les objets techniques

de leur boîte à outils dans presque mille établissements. C’est le grand nombre

d’établissements qui ont participé au processus qui a facilité l’institutionnalisation du pilotage

de la qualité dans tout le système scolaire.

Le pilotage par la qualité de FS, constitue un dispositif de contrôle de gestion que

respecte la logique commune d’un logos gestionnaire (Boussard, 2008). Le consultant est

formé au savoir gestionnaire à travers une formation continue débouchant sur la qualification

de consultant en qualité du réseau de FS. Lato sensu ils acquièrent la légitimité d’utiliser les

objets de leur boîte à outils, en développant une expertise de cette utilisation. Les consultants

offrent ensuite cette expertise aux chefs et propriétaires d’établissements et le travail va

s’effectuer dans un espace gestionnaire, « un ensemble d’activités lié à la gestion » (Boussard,

2009b). Donc, les consultants sont les porteurs de ce logos.

Lucía : Nous sommes ceux qui ont fait tout le processus d’évaluation des

établissements, parce que nous avons l’expertise pour accompagner l’école et rendre

le processus de certification aussi facile que possible […].

Carlos : Je leur dis : Je vais vous aider à installer tout le modèle, les indicateurs [...]

je vais vérifier et leur transférer tout.

6.2.4. Les évaluateurs externes

Tous les participants de cette étude, à l’exception de David, sont accrédités comme

évaluateurs.

Le rôle des évaluateurs représente la contrepartie du rôle de consultant. Leur travail

consiste à vérifier que les indicateurs de qualité soient effectivement installés dans chaque

!202

établissement, à travers une visite de trois jours où ils font une analyse documentaire du

rapport d’auto-évaluation du plan d’amélioration et de toutes les preuves pour chacun des

indicateurs, effectuent des entretiens individuels et collectifs avec les enseignants, les

directions, les élèves et les parents et émettent le rapport d’évaluation externe. Ce processus

d’évaluation est guidé par la matrice d’indicateurs où ils peuvent intégrer et valoriser toutes

les preuves livrées par l’établissement. Enfin, l’évaluateur va proposer ou non la certification,

ce qui par la suite est discuté par les conseillers.

Carlos : La visite à l’établissement a une durée de trois jours. Je collecte les données

de l’établissement pour chaque indicateur, le plan d’amélioration et le rapport d’auto-

évaluation et j’organise aussi des focus groups avec les enseignants, les parents et les

élèves pour évaluer si ces données sont authentiques. En plus, je fais des entretiens

avec le chef et les membres de l’équipe de direction. Je fais aussi des observations.

Alors, la collecte des données est aussi qualitative, même si les résultats par

indicateur sont exprimés en chiffres. Ensuite, je rédige un rapport avec mon verdict,

je discute et corrige le rapport avec Antonia et elle avec David qui est chargé de le

communiquer au Conseil.

Carlos : C’est la personne qui est dans FS même [...], un pair évaluateur à l’intérieur

[...] elle révise ton travail et te demande plus de choses [...] la deuxième révision est

faite par David, dans son rôle de secrétaire du CNCGE [...].

Leonardo : Antonia révise les rapports d’évaluation externe que nous avons élaborés

[...] si elle a des doutes, elle me pose des questions, je souligne certains points de mon

rapport [...] Elle discute après avec David pour le présenter au Conseil [...] Ce

processus s’appelle calibrage [...] les appréciations des deux évaluateurs [...]

détermine la note [...] le Conseil est celui qui prend la décision [...].

Deux mois après, la commission du Conseil va publier le rapport final qui va

recommander ou rejeter la certification de l’établissement.

6.2.5. Le chef d’établissement et les professionnels qui composent l’équipe

Les directions d’établissement sont en dehors de mon champ d’observation et

d’analyse. Les chefs des établissements doivent concurrencer avec les autres établissements

!203

pour accroître le nombre d’élèves et obtenir ainsi plus de bénéfices pour les propriétaires

d’établissement.

Leur fonction dans ce réseau socio-technique est de produire deux objets techniques,

le rapport d’auto-évaluation et le plan d’amélioration, et aussi de créer des éléments de preuve

pour chacun des indicateurs du modèle de qualité. Ils sont les partenaires des consultants qui

transfèrent à l’établissement des objets techniques, comme le rapport d’auto-évaluation et le

plan d’amélioration, c’est-à-dire le logos gestionnaire du dispositif de pilotage par la qualité.

On espère qu’ils puissent aussi effectuer des opérations de traduction avec des objets

techniques. De cette manière les directions peuvent renforcer son leadership. Certes, selon

Barrère (2008), ce sont les chefs d’établissement qui effectuent le travail

d’intermédiation entre les niveaux national et local, en faisant ainsi ils renforcent leurs rôles et

élargissent leurs tâches stratégiques (Dutercq & Lang, 2001).

Chercheur : Crois-tu que les directeurs ont renforcé leur rôle avec le pilotage de la

qualité ?

Carlos : De toute évidence, lorsqu’un directeur dirige une équipe de qualité, il

acquiert plus de pouvoir [...].

6.2.6. Les enseignants

Les autres acteurs humains de ce réseau socio-technique, qui sont en dehors de mon

champ d’observation et d’analyse sont les enseignants qui, comme je l’ai dit auparavant, sont

uniquement appelés à répondre à des questionnaires de satisfaction pendant le processus de

diagnostic.

Chercheur : Est-ce que les enseignants participent à l’équipe qualité ?

Carlos : En effet la certification est un travail de l’équipe qualité. Quelques fois il y a

un professeur qui est plus proche de l’equipe qualité [...].

Chercheur : Ils y ont participé en tant que représentants de leurs collègues ?

Carlos : Non, ce sont des professeurs sans un contrat comme membres de l’équipe de

direction mais qui participent aux réunions. Mais ce n’est pas habituel. En fait, j’ai pu

constater cette situation une seule fois.

Leonardo : C’est pas habituel. L’equipe qualité est toujours constituée par le directeur,

parfois le propriétaire et des directions de l’établissement. Personne d’autre.

!204

On peut trouver cela un peu étonnant puisque les enseignants pourraient s’intéresser et

s’impliquer dans le processus de transfert de l’innovation et prendre une part active au réseau

socio-technique.

6.2.7. Les élèves

Les autres acteurs humains de ce réseau socio-technique sont les élèves qui pendant le

processus de diagnostic sont aussi appelés à répondre à des questionnaires de satisfaction.

Chercheur : Pour clarifier, je voudrais savoir si les élèves participent au processus

d’élaboration du rapport d’auto-évaluation, du plan d’amélioration ?

Carlos : Comme je te l’ai déjà dit, ils répondent seulement aux questionnaires d’auto-

évaluation. C’est leur participation.

Chercheur : L`équipe qualité de l’établissement invite à participer des représentants

des élèves dans la rédaction du plan d’amélioration ou du rapport d’auto-évaluation ?

Carlos : Non. En fait, une fois je l’ai suggéré mais pour les informer que

l’établissement était un processus de certification [...] On ne peut pas aller au-delà

[...].

Par ailleurs, les étudiants, qui sont devenus de puissants acteurs du système à partir de

l’émergence du mouvement étudiants (2006-2011), pourraient être le groupe le plus intéressé,

mais ils ne sont pas considérés comme des acteurs du réseau. Pourtant, l’Agence de la Qualité

de l’Éducation (2007) souligne que dans les processus scolaires les élèves doivent doivent être

consultés pour faciliter les processus démocratiques. Mais ils semblent être seulement des

clients captifs, peut-être est-ce la raison pour laquelle il importe peu aux propriétaires

d’établissements d’améliorer réellement les services qui leur sont fournis. Ce qui est en

contradiction est, selon Contreras (2010), le fait que le Chili se soit engagé en 1990 en signant

la Convention sur les Droits de l’Enfant. En effet, cela signifie aussi de garantir le droit à

l’éducation qui est également consacré dans la constitution de la République (Atria, 2010).

Selon Contreras (2010), la Convention sur les Droits de l’Enfant dispose de quatre

principes, le premier étant celui de la non discrimination; le deuxième príncipe est de toujours

considérer l’intérêt supérieur de l’enfant ; le troisième príncipe est le droit à la vie, à la survie

et au développement ; le dernier est celui d’assurer le respect et la considération à sa vision.

En fait, l’UNICEF (2008) et l’UNESCO (2008) ont soutenu que le curriculum scolaire doit

!205

être global et que l’évaluation ne doit pas empiéter sur les droits des enfants (Contreras,

2010).

6.3. L’épreuve SIMCE

6.3.1. Une tâche essentielle du consultant vise à aider à maintenir et à augmenter le score

au SIMCE

Malgré tout, le SIMCE n’est pas un objet technique de la boîte à outils des consultants,

il joue un rôle central dans le modèle de la qualité de FS. En fait, pour postuler à la

certification qu’octroie le CNCGE, l’école doit avoir un minimum de 250 points de SIMCE.

C’est pour ça que les consultants participants dans cette étude, font constamment référence à

cet indicateur quantitatif, qui ordonne des établissements selon leur efficacité.

Leonardo : La FS, pour évaluer une école exige un standard de qualité, un

minimum de 250 points [...] donc à la certification du CNCGE de FS ne pourraient

postuler que les établissements avec un score supérieur à la moyenne nationale qui est

précisément de 250 [...]. Alors, à cet égard, il y a une considération et une validation

des résultats d’apprentissage […].

De facto, la principale difficulté de fonctionnement des établissements ou de tension

existentielle que la boîte à outils du consultant vise à aider à résoudre est de maintenir ou

d’augmenter le score sur l’épreuve SIMCE.

Leonardo : Malgré le fait que maintenant il est aussi remis en question, c’est la seule

façon pour nous de savoir quels établissements le font bien.

D’après Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010) c’est fréquent que les établissements

se proposent d’atteindre des objectifs difficiles dans le SIMCE, ce qui finit par étouffer toute

tentative d’amélioration. Ils recommandent des cibles de performance ni trop faibles ni très

élevées.

Lucía : La vérité est qu’il faut former les enfants à répondre aux questions du SIMCE,

parce qu’en effet il existe un modèle de questions […] cela pourrait prendre

beaucoup de temps.

!206

6.3.2. Les résultats du SIMCE sont associés au niveau socio-économique des familles

La qualité scolaire dans notre pays est identifiée comme le score de l’épreuve SIMCE.

Comme l’écart de résultats s’est maintenu, on pourrait affirmer que la qualité des

établissements dans le système scolaire n’a pas changé depuis la création de l’épreuve.

Chercheur : Les collèges de riches, un haut SIMCE, les écoles pour pauvres, un faible

SIMCE, que penses-tu de cela ?

Carlos : Le SIMCE est l’instrument qui ségrégue le système. Il existe une relation

significative entre le SIMCE et le profit, ils vont de pair.

Certes, selon Valenzuela (2008), la ségrégation affecte négativement les résultats dans

le score SIMCE, ce qui doit être attribué, selon l’auteur, à l’effet de pairs à l’intérieur du cours

et à la distribution ségrégués des enseignants. En effet, les enseignants les plus qualifiés sont

recrutés dans les établissements où étudient les élèves ayant de meilleurs résultats et capitaux

culturels.

6.3.3. Le SIMCE un objet technique central dans les trois modèles de qualité

Nonobstant ce qui précède, les conseillers concepteurs du modèle de la qualité de FS

ont lié tout le processus de certification à l’épreuve SIMCE. Probablement, ils le font pour

insuffler au dispositif une prétendue neutralité et objectivité. Mais la relation entre la sélection

et la ségrégation dans le système éducatif chilien est corroboré par différentes chercheurs dans

notre pays (Contreras, 2010 ; Valenzuela, 2008).

Le modèle SACGE (2004) de MINEDUC oblige les établissements à signer un accord

pour renforcer leur score SIMCE et d’autres indicateurs quantitatifs.

Leticia : S’ils ne remplissent pas les objectifs SIMCE, l’Agence de qualité peut

fermer ces établissements.

Dans le SAC de la nouvelle ACE, le SIMCE est aussi central. Le modèle de qualité

SAC persistera à utiliser comme référence les valeurs de l’épreuve SIMCE, mais avec une

pondération beaucoup plus grande, de 67 %. En fait, l’ACE peut éliminer les établissements

qui persistent à avoir de mauvais résultats.

Antonia : A la Fondation Schiller, nous demandons également un minimum SIMCE

[...] mais dans le SAC il y a une pondération super élevée de 67 %.

!207

Gabriel : Dans le modèle SACGE et SAC si les établissements ne parviennent pas aux

objectifs SIMCE, ils peuvent perdre leur autonomie dans l’utilisation des subventions.

6.3.4. La tension entre le « quantitatif » et le « qualitatif » que génère le SIMCE

Le SIMCE est utilisé pour lister les établissements de manière ordonnée du plus au

moins efficace. Cependant Dejours (2006) affirme que le travail ne peut être évaluée de façon

objective et quantitative. En fait, Del Volgo et Gori (2010) concluent que la traduction du

qualitatif dans un langage binaire est impossible. Peu importe la validité ou la valeur

intrinsèque de ces dispositifs de contrôle et d’évaluation, ce qui vraiment doit nous importer,

selon les auteurs, « c’est l’aliénation qu’ils produisent et la soumission de tous à des schémas

de production d’indices facilement utilisables, commodes » (p. 53).

Carlos : Les enseignants se demandent : et pour cela nous avons étudié cinq ans ?,

pour répéter les mêmes classes ?, pour nous concentrer seulement sur quelques

matières ?, pour être des sortes d’automates, afin de permettre au propriétaire de

gagner plus ?. La vérité est qu’on décourage les meilleurs professeurs [...].

De plus, Barrère (2009) affirme que cette logique narrative chiffrée de l’évaluation

contient la tension suivante entre le « quantitatif » et le « qualitatif ».

En France, d’après Barrère (2009), il se passe quelque chose de similaire, lorsque les

chefs d’établissement sont priés de décrire leur école, ils font référence aux chiffres pour

parler, par exemple, de « l’effectif du collège, de la composition sociale du public de

l’établissement mais aussi du nombre d’enseignants, et leur statut » (p. 201). En plus, selon

l’auteure, ils vont mentionner les résultats les plus marquants de leur établissement, « à la

hausse ou à la baisse, soit en termes de réussite aux examens, soit en termes

d’orientation » (p. 201). Enfin, pour Barrère (2009), cette tendance à la

« quantophrénie » (Gaulejac, 2005), va créer des tensions multiples entre les chefs

d’établissement.

6.3.5. Publier et faire la promotion des résultats SIMCE

Les résultats SIMCE sont publiés dans la presse écrite et sur internet dans le but que

toutes les familles puissent les utiliser pour choisir dans une liste d’établissements

financièrement abordables pour elles. Ainsi, les familles peuvent comparer un établissement

!208

avec les autres et apprécier l’évolution de leurs valeurs SIMCE. L’objectif est aussi, qu’à

partir de ces comparaisons, chaque établissement dispose d’une vision complète à l’égard des

résultats de leurs étudiants.

Leonardo : Je ne crois pas, en principe, que la diffusion des résultats soit une

mauvaise chose, il n’existe aucune autre manière de comparer la gestion entre les

différents établissements.

Lucía : Tous les parents ne peuvent pas envoyer leurs enfants dans un établissement

ayant un SIMCE de 300 points, parce que même s’ils sont publics comme les lycées

d’excellence, ils sont super sélectifs et s’ils sont subventionnés ou privés les parents

doivent avoir les ressources économiques.

Comme l’affirme Lascoumes et Le Galès (2007) la publication de résultats est en soi

un instrument politique. Le pouvoir normalisateur d’un dispositif comme celui-ci pourrait

affecter les structures cognitives et le comportement des acteurs (Broadfoot, 2000).

De fait les établissements vont tout faire pour dépasser les scores des autres

établissements ayant des caractéristiques similaires aux leurs afin de montrer

qu’ils progressent plus que les autres.

Chercheur : Maintenant, que nous avons examiné ensemble les résultats partiels de

cette recherche que pourrais-tu dire sur le SIMCE ? C’est un outil utile, bien que son

utilisation pendant deux décennies n’a pas permis de réduire l’inégalité dans

l’éducation ? Ne crois-tu pas que la publication a des effets ségrégationnistes ?

Carlos : En effet, quelque chose ne va pas bien avec le SIMCE. Je te l’avais déjà dit

dans le premier entretien. J’avais dit que c’était le problème du modèle de la qualité

de FS. Nous donnons, à la Fondation, une grande importance au SIMCE, mais

maintenant l’ACE donne presque un 70% de pondération. Le SIMCE permet

d’améliorer un peu, très peu, mais en échange il ségrégue davantage, décourage les

enseignants, encourage le propriétaire de l’établissement à profiter plus. Au final, il y

aurait plus de mauvais que de bon. On ne voit pas bien. Sur la publication des

résultats, avant j’avais des doutes, mais maintenant je suis convaincu que ça ne

convient pas de les publier. C’est pas bon, ils ségréguent le système et crée l’illusion

qu’un établissement est meilleur qu’un autre car il a une valeur sur 300. En effet, je

suis un informateur crédible parce que j’ai l’expérience d’avoir été directeur dans

!209

deux établissements, l’un pour les pauvres en Chiloé et un pour les riches ici à

Santiago. Dans aucun des collèges je prêchais le SIMCE parce qu’un collège avec

bon SIMCE n’est pas nécessairement un bon établissement. On peut investir toutes

ses ressources pour monter le score et négliger d’autres aspects de la formation des

élèves. Je ne suis pas d’accord avec la publication car cela perpétue ce problème.

En fait, Felouzis et Hahnart (2011) disent que cette publicité donnée aux résultats des

évaluations a pour objectif de produire une dynamique externe par le biais de mécanismes de

marché à travers le débat public. Pour sa part Varcher (2012) dit que la publication des

données engendre une concurrence entre établissements, ce qui est toujours injuste et qui a

des effets négatifs sur les élèves qui ont des désavantages ethniques et socio-économiques.

6.4. Les objets techniques qui constituent la boîte à outils du consultant en qualité

Les objets techniques suivants sont dans mon champ d’observation et d’analyse : la

plate-forme informatique CMC, les questionnaires de satisfaction, le rapport d’auto-

évaluation, le plan d’amélioration, le rapport d’évaluation externe, la matrice d’indicateurs

pour surveiller les progrès accomplis dans la saturation d’épreuves pour chaque indicateur et

les 18 profils de compétences professionnelles.

Ces objets techniques sont tous conçus à partir des 52 indicateurs de gestion du

modèle du CNCGE. Les outils n’ont pas suivi une ligne continue d’améliorations, a contrario

il s’agit plutôt de cycles de sauts techniques (Simondon, 1989b).

Antonia : D’abord le modèle fonctionnait sur la base de 79 indicateurs, puis avec 74

et enfin avec 52.

David : Le plan d’amélioration, le rapport d’auto-évaluation, le rapport d’évaluation

externe à 52 indicateurs, qui étaient auparavant 74, et lorsqu’a débuté le modèle il y

en avait 79.

L’intention utilisatrice de ces objets techniques est d’améliorer le management dans les

établissements.

Leonardo : Avec les indicateurs ce qui est recherché c’est l’installation de systèmes de

gestion, par exemple de sélection, de formation des enseignants, etc., qui font que les

établissements soient efficaces dans l’obtention de résultats [...].

!210

6.4.1. CMC : la plate-forme informatique FS

La plate-forme informatique CMC a été créée pour automatiser l’autoévaluation, là

« se trouvent les ressources pour répondre aux enquêtes d’autoévaluation de manière massive,

élaborer des plans de qualité et réaliser leur suivi » (Uribe, 2010, p. 194).

Les établissements doivent enregistrer les réponses aux questionnaires dans le

système. Ils vont obtenir de façon automatique un résumé quantitatif par secteurs et pour

chaque indicateur. Cette plate-forme a été actualisée en 2008 pour que les établissements

puissent aussi réaliser le plan d’amélioration avec la seule aide des guides d’utilisation.

D’après David :

David : [...] la première version de la plate-forme était utilisée exclusivement pour

l’autoévaluation, mais à partir de 2008, le CMC, y a mis à disposition des guides pour

l’élaboration du plan d’amélioration. Ceci a favorisé une explosion du nombre

d’établissements qui tentaient d’achever le processus de certification [...] cette année,

nous avons eu une énorme quantité de collèges qui a achevé enfin l’autoévaluation et

a continué ensuite son plan d’amélioration.

Même si tous les établissements peuvent s’inscrire et accéder à la plate-forme CMC

pour effectuer le cycle complet de manière autonome, ils ne le font généralement que pour la

première partie du processus, l’autoévaluation. Pour l’élaboration du plan d’amélioration,

la plupart des chefs d’établissement préfèrent être accompagnés par un consultant.

Chercheur : Et avec la plate-forme on-line complète, est-ce que les écoles préfèrent

réaliser le processus de manière autonome, maintenant qu’elles ont tous les éléments

à disposition ? […]

David : Je crois qu’il existe un nombre relativement limité d’écoles qui élaborent un

plan d’amélioration sans être accompagnées par un consultant.

Carlos : Ils te disent : regardez je pourrais le faire moi-même sur la plate-forme

online, mais ils savent qu’ils pourraient consacrer ce temps à d’autres choses plus

importantes que ces bêtises.

Lucía : Je pense que le regard d’une personne de l’extérieur est toujours bon.

!211

6.4.2. Les questionnaires de satisfaction pour les élèves, parents, enseignants et

directeurs

Ces instruments d’autoévaluation pour élèves, parents, enseignants et directions sont

les seuls instruments qui vont être connus par tous les membres de la communauté scolaire.

Les questionnaires ont été conçus pour évaluer la satisfaction de tous les acteurs de

l’établissement pour chacun des 52 indicateurs de gestion. J’ai révisé les nouveaux

questionnaires de 52 indicateurs, et j’ai noté :

Les questionnaires peuvent être complétés directement en ligne. Si le contexte de

l’établissement ne permet pas que les différents acteurs (élèves, parents, enseignants

et directifs) répondent aux enquêtes par le biais du système numérique en ligne, ils

peuvent les administrer en format papier, puis enregistrer les réponses aux

questionnaires dans le système. Le questionnaire de satisfaction des élèves, selon les

indications du modèle, ne peut être renseigné que par des étudiants à partir des

septième et huitième degrés, exceptionnellement pour une école où il n’existe pas ces

degrés, l’enquête peut être appliquée à des enfants de cinquième et sixième degrés à

condition qu’on leur fournisse une assistance pour répondre aux questions. L’enquête

de satisfaction pour les élèves et les parents comporte 62 questions. Dans la première

partie de l’enquête ils sont priés de répondre à 56 questions sur une échelle de Likert

5 points. Il s’agit de connaître leur niveau de satisfaction sur la gestion institutionnelle

de l’établissement pour chacun des 52 indicateurs. Dans la deuxième section, il est

demandé aux personnes leur avis sur le degré d’amélioration dont l’établissement

aurait besoin pour les 6 aspects indiqués, qui correspondent à chacune des zones du

modèle, qui vont de la question 57 à 62, sur une échelle de Likert 4 points. L’enquête

pour les cadres et les enseignants comporte 118 questions divisées en 4 sections. La

première vise à connaître le niveau de satisfaction sur la gestion institutionnelle de

l’établissement, de la question 1 à 56, sur une échelle de Likert 5 points. Dans la

deuxième section il est demandé un avis sur le degré d’amélioration dont a besoin

l’établissement dans les 6 aspects indiqués (57 à 62), ceci sur une échelle de Likert 4

points. La question 63 est ouverte et on y demande des suggestions ou observations

pour améliorer la qualité de l’établissement. Dans la quatrième section on demande

l’avis sur le degré d’installation des différents systèmes de gestion dont

!212

l’établissement aurait besoin pour son bon fonctionnement (64 à 118), ceci sur une

échelle de Likert 4 points (Questionnaires de auto-évaluation, révisés en décembre

2012).

Les questionnaires ont été appliqués, entre 2003 et 2008 dans 1686 établissements, ce

qui représente 65 % du total des 3200 établissements qui existaient à l’époque. Sur ce total,

919 établissements ont désormais suivi le processus complet d’autoévaluation proposé par FS.

Au moins une troisième partie de ces établissements ont été accompagnés par des consultants

dans le processus d’auto-évaluation.

Cela confirme l’importance des opérations de traduction effectuées par les consultants.

Ils ont mobilisé les objets techniques aux établissements, en jouant un rôle actif dans

l’institutionnalisation du pilotage de qualité.

Le tableau suivant montre le total d’établissements qui ont achevé le processus

d’autoévaluation durant les années 2003-2008.

Figure 3 : Tableau récapitulatif du total d’établissements qui ont complété le processus

d’autoévaluation proposé par FS (Information actualisée le 20 août 2008 du site de la

Fondation Schiller).

Source : http://www.consejogestionescolar.cl/interiorestable.htm

Dans le tableau précédent, nous pouvons constater que sur un total de 632

établissements, qui ont été accompagnés par différents consultants dans la réalisation du plan

d’amélioration et dans la collecte ou la fabrication des évidences pour saturer chacun des

Processus de certification de

qualité

2003-2004 2005-2006 2007-2008 Total jusqu’à

2008

Établissements en cours

d’autoévaluation.

549 627 510 1686

É t a b l i s s e m e n t s a v e c

autoévaluation achevée.

275 382 262 919

Établissements avec l’appui de

consultants.

271 361 Aucune information reçue

632

Établissements ayant obtenu la

certification

16 31 27 74

!213

indicateurs de gestion du modèle, 74 établissements ont réussi à obtenir le label de qualité.

« L’année 2006 l’un des 74 établissements a été certifié par moi » (Journal du chercheur, le 4

décembre 2012).

6.4.3. L’écriture du rapport diagnostic

L’élaboration du rapport diagnostic se fait sur la base de résultats quantitatifs qui sont

issus des questionnaires auxquels s’ajoutent les résultats de tests standardisés SIMCE. Dans le

cas des lycées, le PSU. Il est également exécuté une Analyse FFPM (forces, faiblesses,

possibilités et menaces).

Carlos : C’est un travail qui est fait exclusivement par l’équipe qualité du collège. Les

enseignants aident à distribuer les questionnaires aux élèves et aux parents, seulement

cela [...] Dans la plupart des établissements par lesquels j’ai été recruté à cette étape,

j’ai l’écrit avec l’équipe qualité. Les établissements qui m’ont recruté dans la phase

suivante, c’est-à-dire pour exécuter le plan d’amélioration, me demandent de le

réviser, car c’est un élément clé dans le processus de certification.

En outre il est très courant que ce soit le consultant qui élabore le document, souvent

sans la participation de l’équipe qualité.

Chercheur : Il est habituel que ce document soit rédigé exclusivement par le

consultant sans la participation des membres de l’équipe qualité, avec les données

produites par la plate-forme informatique CMC ?

Carlos : C’est clair. Il y a des directeurs et propriétaires qui préfèrent que les

consultants fassent tout seuls.

Aux yeux de la plupart des chefs et propriétaires d’établissement, il semble inutile de

mettre les enseignants en relation directe avec les objets techniques du processus de

certification. Par la suite, dans la formulation du plan d’amélioration, ils vont aussi éviter leur

participation. Dans la plupart des cas, ils réalisent avec les cadres une lecture des résultats du

rapport diagnostic pour les enseignants en visant uniquement à les informer du processus, car

cela pourrait aussi être évalué par les évaluateurs externes pendant les trois jours que dure le

processus.

!214

Lucía : Il est très important que les enseignants, élèves et parents soient informés des

résultats du rapport [...] le jour de l’audit, des évaluateurs externes vont leur demander

s’ils ont entendu parler, au moins, du rapport.

L’intention des concepteurs du modèle est que dans l’élaboration de ce document

participent, en plus du chef d’établissement et l’equipe qualité, les représentants de tous les

acteurs de la communauté scolaire.

6.4.4. La conception du plan d’amélioration de la qualité

Le plan d’amélioration s’élabore sur la base du rapport d’autoévaluation. Ces deux

instruments sont requis par le CNCGE pour demander la certification.

Leticia : […] L’autoévaluation a un effet. Il aide, mais il est plus important de

poursuivre systématiquement tout le cycle […] c’est beaucoup plus efficace lorsqu’un

plan d’amélioration est un plan d’action fondé sur l’auto-évaluation.

En dépit de l’intérêt des différents acteurs de l’établissement, que peut provoquer la

rédaction du plan d’amélioration, cette motivation des acteurs n’est pas exploitée pour avoir

un plus grand nombre de traductions, parce que comme le disent Maroy et al. (2012), ce sont

les nouveaux liens entre les « outils » et les « acteurs humains » qui induisent des

changements dans les pratiques et les représentations. C’est par ces liens que le réseau socio-

technique acquiert sa force, en laissant de côté un instant, les relations hiérarchiques

traditionnelles et les règles habituelles. Toutefois, dans l’élaboration du plan d’amélioration, le

plus habituel est que l’équipe de direction travaille, de façon isolée, sans envisager la

participation des enseignants et des élèves.

Leonardo : Le plan d’amélioration est un instrument qui est bien installé […] c’est

pas habituel que ce soit communiqué à la communauté.

6.4.4.1. La nécessité d’être accompagnés par un certain nombre de consultants

Il y a des holdings d’établissements subventionnés et municipaux qui doivent être

accompagnés par plus d’un consultant afin d’exécuter le plan d’amélioration de chaque

établissement. Une des consultants, Lucía, a eu cette expérience :

Lucía : [...] Au cours de l’année 2006, les collèges Salésiens ont établi comme

objectif de certifier tous les collèges Salésiens du Chili sur une période de trois ans

!215

[...] les vingt-deux collèges [...] C’est pour ça qu’ils ont recruté trois personnes à

temps partiel et une d’entre elles était moi, pour les aider à développer un plan

d’amélioration […] Nous appuyons les cadres pour installer un plan d’amélioration et

l’évaluer.

6.4.4.2. Le plan d’amélioration dans les modèles de qualité SACGE et SAC

Un autre objet technique de la boîte à outils du consultant de FS est le plan

d’amélioration.

Leonardo : Il a été créé avec les mêmes domaines qui définissait le système de

certification […] il maintient cette même structure […].

Le fait que les établissements qui reçoivent des vouchers soient tenus d’élaborer un

plan d’amélioration et de respecter les objectifs annuels et bi-annuels a facilité leur

institutionnalisation dans le système scolaire. Cela a été le cas avec le modèle de qualité

public SACGE depuis l’année 2004 à 2013 et maintenant avec le SAC qui est entré en

vigueur durant l’année 2014.

Leonardo : Le plan d’amélioration est un instrument qui est bien installé dans le

système scolaire […].

Carlos : Si tu as un grand nombre de gamins pauvres, je vais te passer de l’argent,

donc, tu ne pourras pas dire que les gamins pauvres de tes écoles ou lycées ne peuvent

pas concurrencer les autres.

Lucía : […] L’établissement doit rendre au Ministère les ressources de la SEP si elles

ne sont pas utilisées exclusivement pour le plan pour lequel elles ont été accordées.

Leonardo : L’instrument est extrêmement clés dans la planification, parce qu’après,

avec cela, on va mesurer ou évaluer.

Le plan d’amélioration permet de focaliser sur les faiblesses des établissements,

comme il est habituel, sur des résultats quantitatifs, comme le SIMCE, PSU, taux de

redoublement, etc.

Les établissements doivent mettre en place des moyens de vérification et les preuves

qui sont en train de produire ce résultat. De fait, si l’établissement ne respecte pas les accords

pris, dans chaque domaine de gestion et les objectifs proposés dans le SIMCE, il peut perdre

l’autonomie dans l’utilisation de ces ressources SEP.

!216

6.4.5. La matrice d’indicateurs

La matrice d’indicateurs est l’objet technique qui guide tout le processus de fabrication

et de collecte des données.

La concrétude d’un objet technique ne s’obtient pas d’un coup (Simondon, 1989b).

Cela est particulièrement vrai dans ce cas, parce que les créateurs du modèle de qualité de FS

ont réduit deux fois le nombre d’indicateurs, de 79 à 74 et après à 52. Enfin le dispositif a dû

se conformer à ces nouveaux 52 indicateurs.

D’après les consultants la pratique instituée de collecter et fabriquer des preuves a été

le principal apport du modèle de FS et du SACGE au système scolaire.

Chercheur : C’est vrai que tu crois que le plus important a été la pratique de collecter

et de créer des évidences ?

Leticia : Il fait partie d’une culture […] les établissements ont déjà cette culture de

laisser l’enregistrement, de la normalisation des actions menées et qui peuvent

prouver par le biais de documents écrits ou de registres graphiques […] Il a été super

important.

Leonardo : […] Les collèges ont réussi à internaliser et comprendre l’ordre qu’il faut

tenir […] de laisser le registre et de donner un ordre, car souvent les collèges faisaient

choses, mais ne laissaient pas un registre […].

Lucía : Pour armer des preuves tu dois développer un processus […] pour avoir des

preuves sur l’accompagnement des enseignants en classe, tu dois avoir l’observation

de classe, le feedback de l’enseignant et cela tu dois le faire.

Leonardo : Comme instruments, les évidences sont extrêmement importantes et sont

très bien installées dans le système […] Rien de ce que tu as dit est suffisante, sauf

que tu peux le prouver à travers l’évidence […] C’est extrêmement essentiel dans la

planification, parce qu’après, pour cela ils vont mesurer ou évaluer, l’existence ou

non de ce que tu as dit qu’il existe ou non […].

Leonardo : C’est un outil très puissant, parce que tu as l’obligation de construire ou

de définir de bons moyens de vérification […] ce qui se passe est que, avec cet outil,

vous pouvez démontrer que ce que tu as dit est vrai.

Lucía : Avec cet outil tu peux afficher et démontrer que ce que tu dis existe […].

!217

Leonardo : […] La démonstration presque incontestable de l’existence des processus,

des procédures, etc, à cet égard, est très valide.

6.4.5.1. La matrice d’indicateurs dans les modèles de qualité publique (SACGE et SAC)

Les deux modèles de qualité publics, le SACGE et le SAC suivent la même logique de

la collecte et de création de preuves.

Leticia : Le modèle de FS comme le SACGE fonctionnent de la même manière. [...]

on doit avoir des preuves […] C’est la démonstration presque indiscutable de

l’existence des processus, des procédures, etc. À cet égard, il est très valide [...] tu

dois afficher tous les protocoles qui tu as installé. Rien de ce que tu as dit est

suffisant, si tu ne montres pas les protocoles [...].

Leonardo : Les deux modèles partent et s’articulent avec cette même logique […] Les

écoles privées ou subventionnées qui s’inscrivent au modèle de FS vont fonctionner

avec ces critères, avec ces outils, avec ces instruments.

Le fait de recueillir ou de créer des évidences est une tâche des chefs d’établissement

et des équipes de direction.

6.4.5.2. L’utilisation de la matrice d’indicateurs pour mesurer l’état d’avancement du

processus de certification

La matrice de 52 indicateurs était un instrument que les évaluateurs utilisaient comme

check-list. Elle est devenue l’objet technique central dans le réseau socio-technique, car il

permet aux directions d’établissements et aux consultants de guider le processus de

fabrication d’éléments de preuve.

Chercheur : Crois-tu que la clef du succès dans le processus de certification est

l’utilisation de la matrice des indicateurs, pour évaluer les progrès réalisés, pour

compléter les évidences ?

Lucía : C’est l’instrument qu’on utilise en tant qu’évaluateur, à partir duquel on

réalise des entretiens, il y a le rapport et on révise l’évidence […] nous travaillons sur

la base de cela […].

Gabriel : Alors, nous travaillons avec eux, avec la matrice […] jamais ils ne t’ont dit,

que tu ne pouvais pas l’utiliser […] Il n’y a rien d’illicite dans cela.

!218

Lucía : De toutes façons, il est l’instrument que l’évaluateur utilise, sur lequel il

réalise des entretiens, rédige le rapport et révise l’évidence […] nous travaillons sur la

base de cela […].

6.4.5.3. La réticence de certains consultants à partager la matrice avec l’équipe qualité

Le fait que le consultant partage avec l’équipe qualité la matrice d’indicateurs semble

être critique pour obtenir la certification. Tous les participants considèrent qu’il est beaucoup

plus facile de réussir dans l’évaluation externe en utilisant cet outil d’évaluateur externe.

Néanmoins ne sont pas rares les consultants qui ne veulent pas que ses collèges utilisent la

matrice, car ils ont peur que, de cette manière, les directions des établissements peuvent

effectuer tout le processus de manière autonome. « Certains consultants veulent que les écoles

ne sachent rien de son existence » (Carlos).

6.4.5.4. Décodification du processus de certification

Le processus consiste alors à se laisser guider par la matrice et ainsi assurer la

certification. Il s’agit d’une forme de décodification du processus de certification. En effet,

tout se réduit à la simple fabrication de preuves pour chaque indicateur. Par exemple, si un

établissement effectue une formation des enseignants, il faut enregistré, faire des vidéos, des

photos ou produire des documents pour en rendre compte.

Chercheur : Tu crois aussi que la clef du succès a été l’utilisation de la matrice

d’indicateurs ? […].

Gabriel : Alors, nous travaillons avec eux, nous faisons une check-list avec la matrice

durant l’évaluation […] jamais te ont dit, que tu ne peux pas le faire durant le

processus d’évaluation […] C’est clair qu’il n’y a rien d’illicite dans cela.

Leonardo : La manière dont vous pouvez démontrer, est seulement à travers de

l’évidence, ce qui vous permet de constater que ce que vous dites existe et que ce ne

soit pas seulement une opinion, parce que vous pouvez construire un faux rapport,

absolument [...].

Mais il est toujours possible de créer de nouvelles preuves pour saturer un indicateur

afin d’être couronné de succès dans l’évaluation externe.

!219

Gabriel : Il est toujours possible d’obtenir des situations extra, pour qu’ils puissent

mieux faire les choses.

6.4.5.5. Les établissements qui installent les 52 indicateurs du modèle de qualité et

n’améliorent pas leurs résultats

Les participants sont conscients qu’il existe des établissements qui ont installé le

modèle de qualité et qui, en dépit d’avoir obtenu le label de qualité, n’améliorent pas leurs

résultats SIMCE. Certains participants le justifient comme suit.

Lucía : À peine les établissements sont certifiés, ils baissent un peu les résultats, car il

y a un point de relâchement [...] mais après ils les augmentent à cause de la re-

certification […].

Leticia : Et ceux qui sont certifiés, dorment sur leurs lauriers [...] toute la première

année […] mais après, ils s’améliorent […] dans la deuxième et la troisième année, ce

qui est lié au moment où tu dois solliciter le renouvellement de la certification.

Lucía : [...] On leur demande plus, parce que n’est pas la même exigence pour le

collège qui se certifie par la première fois, lorsqu’il s’agit d’être certifié pour la

deuxième fois.

6.4.5.6. Les établissements qui n’installent pas les 52 indicateurs et améliorent leurs résultats

SIMCE

A contrario, il y a certains établissements qui n’ont pas obtenu la certification, car ils

n’ont pas pu installer tous les indicateurs du modèle, nonobstant ils améliorent les résultats de

leurs élèves dans le SIMCE.

Lucía : Je me rappelle bien de deux collèges que j’ai accompagné dans le processus

de certification […] qui avaient des bons résultats, mais qui n’ont pas réussi à installer

les systèmes de gestion, par contre ils avaient des résultats, car ils travaillaient avec

les enfants.

6.5. Le laxisme du rapport d’évaluation externe

Le rapport d’évaluation externe est elaboré pour un évaluateur après la visite

d’inspection de trois jours et sur la base de l’analyse des données pour chacun des 52

!220

indicateurs. Sont aussi examinés : le rapport d’auto-évaluation, le plan d’amélioration,

l’évolution des résultats SIMCE, les entretiens collectifs avec les enseignants, élèves et

parents, les entretiens individuels avec le chef et les membres de l’équipe de direction de

l’établissement, ceci afin de vérifier la pertinence des éléments de preuve.

Antonia : La livraison d’un verdict se fait par consensus avec le pair évaluateur.

David : Par la suite, ce rapport est révisé et corrigé par les conseillers qui peuvent

confirmer ou non ce verdict avec l’intermédiation du Secrétaire technique du

CNCGE.

Dans un de ces rapport d’évaluation externe que j’ai trouvé sur internet, ce qui me

semble nouveau, ce sont les résultats pour chaque indicateur, mais dans le reste, tous les

rapports sont presque identiques :

La première partie du document est consacré à présenter les données que chaque

établissement a dans le système éducatif, leur identification, le type d’établissement,

s’il s’agit d’un établissement subventionné, privé ou municipal. Il apparaît aussi le

nom du consultant qui a accompagné le processus. Il y a une description de

l’établissement, sa mission, sa vision, l’objectif général, des objectifs stratégiques,

comme dans toute entreprise. Pour chaque domaine du modèle de qualité, quelques

établissements ajoutent des nomenclatures comunes, ils représentent environ 30 %

des établissements. Par exemple, certains établissements catholiques vont utiliser un

peu le langage de l’Eglise. Puis il y a une synthèse historique de l’établissement : ses

principaux jalons dans la gestion scolaire, le type de curriculum, le type d’élève et de

familles qui sont les usagers et l’environnement socio-économique dans lequel est

situé l’établissement pour déterminer le profil des élèves. Le rapport présente

également une brève analyse de l’environnement de travail, de l’éducation, de la

santé, de la pauvreté et du logement des familles de la commune où l’établissement

est situé. S’enchaîne ensuite toutes les données générales et quantitatives de

l’établissement et la description des installations. Puis on compare les résultats

scolaires des élèves, des résultats généraux de l’évaluation SIMCE. La deuxième

partie du document présente les résultats de l’autoévaluation institutionnelle, c’est-à-

dire dans les termes du dispositif, la satisfaction avec la gestion de l’établissement. En

plus, quelques opinions exprimées dans les focus groups sur les zones qui peuvent

!221

être améliorées et les résultats de l’autoévaluation des systèmes de gestión sont

également mentionnées. La troisième partie présente le plan d’amélioration élaboré

dans/par ce qui a été mis en œuvre dans/par le processus de certification. La

quatrième partie fait apparaître les résultats de l’évaluation externe, qui figurent dans

un tableau comparatif et qui résume l’évaluation des systèmes de gestion. Selon les

mots des conseillers : les recommandations qui figurent ci-après, sont présentées par

zone. À l’intérieur de chacune, elles sont structurées hiérarchiquement selon le degré

d’impact qu’elles peuvent provoquer dans les systèmes de gestion de l’institution

évaluée. Enfin, on présente les conclusions générales sur la mise en place à partir de

l’évaluation externe et des conclusions spécifiques par domaines (points forts et

faiblesses) et les recommandations du CNCGE. Dans le dernier paragraphe du

document apparaît la décision du Conseil qui accorde la certification : En fonction des

antécédents exposés dans l’ensemble de l’évaluation externe, et en vertu de la

normative interne, le Conseil certifie que le lycée Laura Vicuña de La Cisterna,

répond aux normes et exigences du standard approuvé et obtient la certification

officielle par un délai de trois ans à compter du 18 août 2009. Le Conseil reconnaît

l’action menée par le propriétaire de l’établissement, la direction du même et son

équipe enseignante, les félicite par les résultats obtenus et les encourage à poursuivre

son programme de renforcement institutionnel. La présente décision a été prise à

l’unanimité par les membres du Conseil National de Certification de la Qualité de la

gestion scolaire, composé des personnalités suivantes liées au domaine de

l’éducation [...] (Rapport d’évaluation externe qui accorde la certification à un

établissement, 2009).

De fait, lorsque j’ai comparé les conclusions d’un autre rapport d’établissement qui

n’a pas été couronné de succès, on peut noter qu’il s’agit de formules toutes prêtes,

standardisées, qui a la lecture n’enseignent rien sur l’établissement. Ces objets techniques

donnent l’illusion de la précision de l’analyse détaillée. Enfin, les rapports font état de

conclusions standardisées, trop générales et qui informent très peu sur l’établissement lui-

même.

En fonction des antécédents exposés, le Conseil n’est pas en mesure de certifier la

gestion de la qualité de cet établissement scolaire, mais l’encourage à continuer à

!222

avancer dans la mise en œuvre de son plan d’amélioration et à se présenter à nouveau

pour être évalué à moyen terme. Le résultat final de l’évaluation donne en moyenne

finale de 66,4 %, ce qui ne répond pas au standard minimum adopté par le Conseil.

Comme il est indiqué dans ce rapport, il y a plusieurs domaines à haut niveau de

développement (leadership directif, orientation vers la communauté et gestion de

processus), qui constituent une importante forteresse, pour capitaliser en fonction des

domaines à améliorer notamment ceux concernant à la gestion des résultats. Dans le

même contexte, il y a des procédures appropriées qui sont dans la bonne direction,

d’autres qui sont en installation mais qui ne donnent encore pas leurs fruits. Dans

d’autres cas, l’absence de mise en place des systèmes et procédures qui assurent une

gestion scolaire de qualité est pointée. Nous reconnaissons les travaux développés par

la congrégation propriétaire de l’établissement, la direction du même et son équipe

directive et nous les encourageons à continuer à progresser vers une gestion de qualité

pour mener à bien les améliorations nécessaires en considérant des suggestions et

recommandations livrées dans ce rapport (Rapport d’évaluation externe qui refuse

d’accorder la certification à un établissement, 2004).

Dans ce cas il y a une sorte d’arrangement qui se produit pour qu’un établissement qui

n’atteint pas le standard puisse demander une autre évaluation.

6.6. Adaptations non hypertéliques des 18 profils de compétences professionnelles

Combes (1999) affirme qu’il n’est pas toujours possible d’ « expliquer le mode d’être

d’un objet technique par l’intention fabricatrice qui lui a donné le jour » (p. 96): En fait, dans

l’évolution des objets techniques, parfois se produit un changement même léger, qui pourrait

signifier une spécialisation, quelques fois exagérée de l’objet technique, ce qui finalement

parviendrait à un déséquilibre, comme une perte de sa capacité d’adaptation au milieu.

Simondon (1989b) appelle ce phénomène hypertélie ou la possibilité que quelque chose

excède les fins pour ce qui était conçu. Par ailleurs, d’après l’auteur, il pourrait s’agir d’une

adaptation non hypertélique, c’est-à-dire lorsqu’un objet technique peut être utilisé de

manières différentes de l’« intention fabricatrice » de son créateur, et créant de nouvelles

conditions pour la concrétisation, produisant des nouvelles conditions, un nouveau milieu

pour l’objet technique.

!223

Un premier exemple serait de prendre le rapport diagnostic, qui selon un des

participants, peut être utilisé par certains établissements en dehors du contexte du processus

de certification comme un audit annuel de la satisfaction des acteurs. « Nous avons utilisé une

fois les instruments pour savoir comment nous sommes maintenant en ce qui concerne la

certification » (Gabriel).

D’autres objets techniques qui ont été mentionnés sont les 18 profils de compétences

pour les différents postes des établissements : directeurs, sous-directeurs, enseignants et autres

professionnels qui sont considérées par FS comme compétences nécessaires pour mener à

bien leur travail. Certes, ces profils de compétences peuvent être modifiés et adaptés pour

sélectionner, évaluer, développer et promouvoir les professionnels à l’intérieur de

l’établissement. Le modèle s’appelle taxonomie de compétences, à travers lesquelles les

établissements peuvent élaborer leurs propres profils. C’est un des outils bien appréciés par

les consultants qui font valoir que la principale faiblesse des établissements est la gestion des

compétences professionnelles des enseignants. « Tout ce qui est autour d’un processus de

compétences professionnelles des enseignants sont des zones qui sont généralement plus

faibles. Il existe des établissements qui les ont super installées, mais c’est pas habituel

» (Lucía).

D’après Simondon (1989b), si les modifications des objets techniques sont auto-

subordonnées, c’est-à-dire, si les objets sont libres dans leur évolution, il n’y a pas besoin

d’une hypertélie fatale, nous pouvons parler d’une évolution constructive de ces outils.

Effectivement, le cas des profils professionnels enseignants est un bon exemple d’adaptation

non hypertélique. De fait, ils sont utilisés pour être adaptés pour l’évaluation de performance

ou pour guider le processus de sélection des enseignants.

Gabriel : Tu sais que le site de FS a publié les compétences professionnelles de tous

les enseignants ? Nous avons trouvé tous ces antécédents. Nous ne pouvons pas

sélectionner les gens ainsi à l’oeil […] La première chose que je fais est d’utiliser les

compétences qu’exigent FS pour qualifier, pour faire un classement. Je demande : es-

tu orienté vers la qualité ? Oui. Alors, donne-moi des exemples. Travailles-tu en

équipe ? Que fais-tu dans ton équipe ? De quelle manière tu participes ? Comment

fais-tu le transfert aux pairs ? Comment les mets-tu au courant ? Es-tu un innovateur ?

Fais-moi le récit de comment tu participes de l’innovation ? Et là, je dis au

!224

propriétaire de l’établissement, regardez, nous avons besoin de ça, ça convient pour

cela [...].

6.7. Comment assurer la certification ?

Le succès dans le processus de certification va dépendre des situations suivantes et des

opérations que mène le consultant et l’équipe qualité des établissements.

6.7.1. Une question de chance ?

Certains consultants affirment que le fait d’obtenir la certification aurait beaucoup à

voir avec le type d’évaluateur qui effectue l’évaluation externe. Certains seraient plus durs

qu’autres.

Lucía : Je trouve injuste [...] que certains établissements reçoivent un label de qualité,

pour ce que les évaluateurs peuvent voir dans un seul jour […] parce ce qu’il peut y

avoir un évaluateur plus dur ou plus facile. Jamais on ne sait.

Chercheur : Un des participants a mentionné que réussir dans le processus de

certification dépendait beaucoup de qui était l’évaluateur. Par exemple, certains d’eux

ont tendance à ne pas certifier et d’autres à accorder la certification facilement. Elle

disait que c’était une question de chance. Quelle est ton opinion à cet égard ?

Carlos : Il est vrai, certains des évaluateurs sont très durs et ont tendance à ne pas

accorder la certification et d’autres, en revanche, ont tendance à accorder la

certification [...].

6.7.2. En recrutant un consultant ayant l’expérience d’évaluateur externe

Sans aucun doute, les chefs et les propriétaires des établissements préfèrent être

accompagnés par des consultants qui ont eu l’expérience du rôle d’évaluateur externe, parce

que cela, selon eux, cela peut améliorer les possibilités dans le processus de certification et les

préparer plus efficacement à l’évaluation finale. En effet, un consultant qui a travaillé comme

évaluateur externe de FS connaît le type de preuves qui peuvent être fabriquées pour saturer

les 52 indicateurs du modèle.

Chercheur : Est-ce vrai que certains établissements préfèrent engager un consultant

qui a aussi eu l’expérience comme évaluateur externe ?

!225

Gabriel : J’ai partagé avec eux des rapports d’évaluation : Voilà un rapport

d’évaluation [...] bon, selon moi, cela c’est le plus important [...].

Gabriel : Comme j’ai l’expérience d’évaluateur, je leur dis : Ce sont ces données

qu’ils vont vous demander pour obtenir la certification.

Ce qui précède pourrait être une absence d’impartialité, une espèce de fraude.

6.7.3. La matrice d’indicateurs utilisés par les évaluateurs

Les consultants qui partagent la matrice d’indicateurs avec les chefs et leurs équipes

de direction ont un grand avantage par rapport à la visite d’inspection, parce qu’en fait, ils

peuvent toujours améliorer et compléter avec d’autres éléments de preuve existants ou

simplement en fabriquer de nouvelles. Une fois que les chefs des établissements se rendent

compte qu’ils peuvent produire des preuves, ils peuvent alors contrôler le processus de

certification. Ils ont réussi à décoder le processus de certification et à partir de là, ils peuvent

réussir l’évaluation externe. Donc, ils la demandent uniquement lorsqu’ils sont sûrs que tous

les indicateurs dans l’établissement sont installés.

Chercheur : C’est lorsque j’accompagnais un établissement dans la certification,

aucun consultant n’utilisait la matrice. Je crois que nous avons été les premiers à

partager avec le chef d’établissement [...] ?

Lucía : Les indicateurs ne sont pas des inventions d’un autre monde, ce sont des

éléments pour qu’un collège fonctionne bien et donc, ils doivent être installés […]

sinon, vous ne pouvez pas certifier […].

Lucía : Les écoles qui ont installés tous les indicateurs qui ont toutes les évidences,

obtiennent de bons résultats […].

6.7.4. Guider le processus de certification avec le rapport d’évaluation externe d’autres

établissements

Certains consultants préfèrent guider le processus de certification en révisant d’autres

rapports d’évaluation externe d’établissements qui ont obtenu la certification et qui peuvent

être trouvés facilement sur le web, parce que ces établissements les diffusent sur leurs propres

sites pour ainsi faire la publicité avec l’objectif d’attirer plus d’élèves.

!226

Leticia : Dépend du collège. Le rapport appartient au collège. Il existe des écoles qui

le mettent sur internet, mais nous ne pouvons les rendre publics, parce que sont la

propriété du collège.

Chercheur : Alors, ils peuvent étudier ces rapports pour se préparer [...].

Carlos : Tout à fait. C’est vrai. Quelques rapports sont disponibles sur internet. Au

moins quelques rapports des établissements qui ont été couronnés de succès. Ils

peuvent les utiliser et nous pouvons partager avec eux le rapport d’un établissement

qui n’a pas passé l’évaluation, comme celui qui j’ai apporté [...].

6.7.5. Utiliser le rapport d’évaluation externe de l’établissement pour renouveler la

certification

Lorsqu’il s’agit d’établissements qui renouvellent la certification, les évaluateurs

tiennent compte des recommandations formulées dans le rapport final par les conseillers du

CNCGE. De fait, pour obtenir de nouveau la certification, l’établissement doit se concentrer

sur la collecte et la fabrication de nouvelles et meilleures preuves dans les indicateurs que les

conseillers ont suggérés comme déficitaires dans le rapport précédent.

Gabriel : Le rapport nous permet de voir les choses que nous faisons bien et les

choses que nous ne faisons pas bien.

Antonia : Nous avons le rapport, il est important de revoir ce qu’il nous ont dit pour

décider de se mettre à travailler sur ces recommandations [...].

Leticia : Au cours de la troisième année, tu as besoin de renouveler la certification et

par conséquent, tu as besoin d’un temps avant pour regarder le rapport, voir ce qu’ils

nous ont recommandé, ce que nous devons montrer à la prochaine évaluation. Alors,

cela les motive à poursuivre.

Gabriel : À la suite de ce rapport, en plus de tout ce que tu as bien installé, il faut

démontrer que les autres choses tu as fait en plus pour pouvoir mériter de la re-

certification, ce qui s’est passé avec le processus d’amélioration continue.

!227

6.7.6. Préparer les enseignants, élèves et parents pour les trois jours que dure la visite de

l’évaluateur externe

Avant la visite s’organisent certaines activités, telles que des discussions dans les

réunions de parents, avec des élèves et aussi des ateliers avec les enseignants comme une

façon de diffuser le processus de certification pour les préparer à l’évaluation.

Carlos : Dans le collège que j’ai accompagné et qui a réussi à obtenir la certification,

ce qui a été déterminant à mon avis, c’est l’atelier que nous faisons pour les

enseignants, car même s’ils n’ont pas participé à l’élaboration des documents pour la

certification, cela a permis de les informer du processus et surtout de les inciter à voir

l’importance d’obtenir la certification.

6.7.7. Protester lorsqu’on n’obtient la certification peut être une bonne stratégie pour

réussir à la prochaine évaluation

Par ailleurs certains établissements plus généralement « du quartier bourgeois » ne

parviennent pas à la certification, ils ont tendance à être plus assertifs pour exprimer leur

désaccord avec l’évaluation que les établissements subventionnés ou privés d’autres quartiers

ayant des ressources moindre.

Leticia : Nous avons accompagné un collège de Lo Barnechea qui a participé avec

nous au pilotage et qui n’a pas été certifié. Alors les cadres de cet établissement se

sont fâchés avec nous, beaucoup d’entre eux [...] Ils ont obtenu la certification par la

suite [...].

Antonia : Et lorsqu’ils ont reçu la certification, la Directrice a dit la phrase suivante :

même si nous nous fâchions, nous n’aurions jamais rendu compte des nombreuses

faiblesses qu’effectivement nous avions et que nous ne voulions pas écouter.

Cet établissement n’a pas accepté d’échouer à l’évaluation et a demandé à FS une

autre évaluation et un an après ont obtenu le label de qualité.

6.8. Le succès lié à l’illusion de fabriquer des preuves dans le processus de

certification

De facto, dans le cas du pilotage par la qualité, en tant que dispositif qui vise à

améliorer la gestion des établissements, il semble renforcer la bureaucratie, parce que les

!228

établissements qui l’installent, investissent beaucoup de temps dans la collecte, la fabrication

et l’archivage d’évidences pour chacun des indicateurs. En effet, les chefs d’établissement qui

ont participé au processus de certification sont bien loin d’imaginer que lorsqu’ils installent le

modèle de qualité de FS, c’est-à-dire les 52 indicateurs de gestion, cela augmente la

bureaucratie dans l’établissement et ils ignorent que cela peu affecter négativement la culture

des enseignants.

Antonia : Dans d’autres établissements qui sont très structurés, qui ont beaucoup de

choses, beaucoup de papier, il y a beaucoup d’insatisfaction chez les enseignants,

notamment dans la manière de communiquer, de mener les processus, car personne ne

les écoute.

6.9. L’utilisation de ces objets techniques n’empêche pas de produire des

mensonges

Comme j’ai déjà mentionné, dans certains établissements les chefs et leurs équipes ont

adapté de manière non hypertélique des profils de compétences trouvés sur internet pour

effectuer des évaluations de performance et les associer à un système de motivation. Mais ce

benchmarking se fait de manière lâche, peu réfléchie, et dans certains cas, les directions

d’établissements copient simplement d’autres documents qui sont la propriété d’autres

établissements qu’ils ont trouvés sur internet et qui sont à peine modifiés par eux.

Gabriel : Moi, comme chef de ce établissement, je me fixe un standard [...] les

enseignants commencent à travailler sur la base d’un standard basé sur

un modèle copié à partir d’un autre document des établissements de la Société

Maçonnique, réputés pour avoir une politique de motivation très bien conçue […] en

plus, comme nous n’avions pas un système d’évaluation de performance installé,

nous avons fait la même chose. Nous avons utilisé un schéma d’évaluation que nous

avons trouvé sur internet, qui s’adapte à notre réalité, et à partir de celui-ci, nous

avons maintenant, un schéma d’évaluation des performances.

Il pourrait s’agir de pratiques non éthiques ou frauduleuses, comme le dit Dejours

(2006), forcées par la qualité totale et qui représentent un coût psychologique pour ceux qui

travaillent dans l’établissement. Cette sorte de contrainte à mentir peut dégrader le sentiment

d’éthique personnelle et professionnelle.

!229

Un autre exemple, FS a élaboré un schéma pour que les établissements puissent

effectuer leur projet éducatif (PEI) avec le but d’orienter tous les processus qui se produisent

dans un établissement et permettre de clarifier ainsi les objectifs d’amélioration de chacun des

acteurs. Néanmoins, en dépit de l’importance que FS donne au projet éducatif institutionnel

(PEI), elle a publié un schéma pour réaliser le projet éducatif. Comme le dirait Guattari

(2007), une infantilisation, très propre au néolibéralisme.

Dans le guide (voir dans annexes), FS recommande d’élaborer très sérieusement le

projet éducatif parce que « le PEI permet de prendre des décisions pédagogiques et

didactiques, d’articuler les projets et les actions innovantes, d’ordonner les tâches stratégiques

pour atteindre les objectifs partagés par toute la communauté scolaire et d’établir la vision et

la mission de l’établissement » (Guide du PEI, Fondation Schiller).

Mais le projet éducatif dans nos établissements semble être un document qui n’est pas

sérieux. Par exemple, certains établissements créent un projet éducatif catholique, parce qu’il

est plus intéressant pour les familles. C’est aussi une sorte de garantie de qualité, mais en

réalité cela relèverait du camouflage avec pour seule intention d’attirer plus d’élèves.

Chercheur : J’ai vu des établissements qui ont un projet éducatif chrétien, avec des

messes et tout cela, mais les propriétaires ne sont pas une société religieuse, il s’agit

d’un camouflage pour se différencier des autres dans leur commune, cela est-il

fréquent?

Carlos : Oui, il n’est pas rare.

En dépit de l’importance que devrait avoir le PEI dans une système de quasi-marché et

parce que les établissements ont besoin de se différencier entre eux pour se concurrencer.

Mais ce que les établissements font et qui est corroboré par l’un des participants, c’est le fait

d’être réduit à copier et à modifier un peu d’autres documents similaires disponibles sur

internet.

Gabriel : [...] Comme le Ministère exigeait de nous un projet éducatif pour la mise en

œuvre d’une journée scolaire complète, nous avons copié d’autres projets trouvés par

internet [...].

Leonardo : [...] Il n’était pas un projet éducatif approprié pour eux.

Pour Amado et Enriquez (2009) tout système de contrôle « qui ne tient pas compte du

«réel» entraîne inévitablement simulations et dissimulations de la part des salariés » (p. 9).

!230

Dans le même sens, Dejours (2006) conclut que lorsqu’il s’agit d’imposer une chimère

comme la qualité totale, cela peut générer inévitablement, « une course aux infractions, aux

tricheries, voire aux fraudes » (p. 135) pour satisfaire aux contrôles et audits. Le fait

d’annoncer la qualité totale, pas comme un objectif, mais comme une contrainte, selon

l’auteur, génère une série d’effets négatifs qui auront des conséquences désastreuses sur le

moral des personnes qui travaillent dans l’établissement. L’objectif est de profiter, peu

importe, si cela signifie contourner et tromper.

Véritablement, l’aliénation culturelle que vivent les personnes au cours d’un processus

de certification de qualité, d’après Dejours (2006), constitue pour eux un grand coût

psychologique. C’est « une dérive qui passe par la distorsion des descriptions de la réalité

d’une part, par l’euphémisation ou la dissimulation de l’expérience du réel et des fraudes

commises pour obtenir ou sauver les certifications qualité » (p. 132). Ce processus implique

tous ceux qui travaillent dans l’organisation et qui participent d’un « mensonge sur lequel

repose l’aliénation culturelle » (p. 132). Ils participent, bien que ne le souhaitant pas, à une

« fraude sur la qualité » (p. 132). En fait, cette « souffrance éthique », selon l’auteur, découle

du conflit entre « les convictions morales et l’injonction à participer à des actes qu’on

réprouve » (p. 132).

6.10. Les stratégies qu’utilisent les consultants et les chefs d’établissements pour

multiplier les moments de traduction

Dans le modèle de la traduction nous pouvons distinguer pratiques pour problématiser,

intéresser, enrôler, mobiliser et faire de la dissidence (Callon, 1986 ; Latour, 1983). Le critère

général à suivre pour transférer l’innovation est de rechercher des possibilités d’interaction

entre les acteurs humains et non humains du réseau socio-technique. Donc, quelles sont les

stratégies qu’utilisent les consultants et les chefs d’établissement pour multiplier les moments

de traduction dans les établissements qu’ils accompagnent et qui leur permettent de réussir

dans le processus de certification ?

!231

6.10.1. La création d’une équipe qualité dans l’établissement

La première chose que doivent faire des consultants est de créer un équipe qualité dans

l’établissement ce qui est une importante opération de traduction car c’est ainsi que l’on

installe une sorte de laboratoire pour le pilotage par la qualité.

L’équipe qualité est un lieu où on peut reproduire isolément et à petite échelle la

réalité de l’établissement. Les objets techniques peuvent alors arriver à être des acteurs non

humains importants dans le processus de transfert de l’innovation (Callon, 1986 ; Latour,

1983 ; Cros, 2004).

Gabriel : L’équipe qualité de l’établissement est presque toujours dirigée par le chef

d’établissement et dans lequel participent les directions, mais pas tous avec la même

intensité et de motivation, ce qui est normal dans tous les groupes. Je les aide à

réaliser les deux documents nécessaires pour obtenir la certification, le rapport

d’auto-évaluation et le plan d’amélioration.

En fait, Latour (1983) affirme que la succession de déplacements et de changements

d’échelle est la source de toute innovation. Grâce à cette abstraction quantitative, les élèves,

enseignants et parents sont transportables, reproductibles et facilement diffusés en utilisant

des représentations graphiques et des analyses quantitatives. Toute la réalité de l’école est

placée dans un petit nombre de feuilles du rapport d’auto-évaluation où est rendu visible et

lisible la réalité de tous les acteurs grâce à l’effet de la réduction.

6.10.2. Enrôlement d’autres acteurs

Selon Maroy et al. (2012) lorsque les associations entre acteurs humains et non

humains sont suffisamment fortes, un élément peut devenir le « porte parole » de toute la

chaîne. Les auteurs disent que la traduction d’innovation ne peut être réalisée qu’avec des

déplacements et des transformations, accompagnés de négociations et d’ajustements. Mais

aussi, selon Callon (1986), les acteurs ne peuvent pas conclurent d’alliance si les controverses

ne peuvent pas s’exprimer. Les porte paroles, comme le dit l’auteur, peuvent représenter leur

catégorie sociale, ce qui constitue une nouvelle opération de traduction. Ainsi, selon l’auteur,

ces discussions pourraient mobiliser activement les groupes, ceci au travers d’intéressements

spécifiques pour chaque groupe.

!232

Lors des opérations d’évaluation menées dans les établissements, certains enseignants

sont enrôlés dans cette équipe, mais pas dans le rôle démocratique de porte parole (Callon,

1986) de leurs collègues. En effet, un tel état de conscience collective semble impossible dans

nos établissements.

Chercheur : Pour être sûr d’avoir bien compris, est-il vrai que les enseignants ne

participent pas au travail de l’équipe qualité ?

Carlos : Parfois ils peuvent participer [...].

Chercheur : Mais le font-ils au nom de tous les enseignants, discutent-ils après avec

leurs collègues de ce qui se passe dans l’équipe qualité ? Y a-t’il un retraitement

collectif ou le font-ils de manière individuelle [...] ?

Carlos : Non à titre individuel, car il s’agit d’enseignants qui font partie de la

direction, mais qui n’ont pas contrat comme tel, rien de plus [...].

Enfin, on cherche à aligner les enseignants, les élèves et les parents sur les intérêts de

l’équipe de direction avec un produit fini. Je n’ai pas constaté d’intérêt à développer, au

niveau micro, des pratiques participatives.

6.10.3. Mobiliser des objets techniques

Pour faciliter l’institutionnalisation du discours de la qualité, le consultant doit opérer

l’intéressement des membres de l’équipe qualité avec les objets techniques de sa boîte à outils

qu’il mobilise à l’intérieur de l’établissement.

Ces déplacements peuvent survenir à toutes les phases du processus de transfert de

l’innovation et chacun constitue une nouvelle traduction (Callon, 1986).

Tout d’abord, les questionnaires d’auto-évaluation sont les seuls qui sont connus de

tous les acteurs. Ensuite, le rapport d’auto-évaluation, le plan d’amélioration et la matrice

d’indicateurs sont mobilisés par le consultant uniquement avec l’équipe de qualité. Enfin,

après la visite d’inspection, le rapport d’évaluation externe, s’il est positif, va être largement

diffusé par l’équipe qualité auprès des enseignants, élèves et parents et ainsi ces acteurs

peuvent être un peu enrôlés dans le processus.

!233

6.10.4. L’absence de problématisation de l’innovation

Trop de consensus pourrait réduire fortement les marges de manœuvre de chaque

acteur et, a contrario, le fait de problématiser autour du rapport d’autoévaluation et du plan

d’amélioration pourrait produire un plus grand nombre de traductions (Callon, 1986).

L’équipe qualité n’est pas un espace prévu pour que chacun puisse discuter de

solutions alternatives et des priorités, contrairement à ce que recommandent les auteurs (Cros,

2004).

Carlos : C’est l’équipe (de direction) qui va faire avancer le processus, parce que les

autres ne sont pas concernés […].

Lucía : Cela a été rédigé exclusivement par l’équipe de direction de ce collège.

Les élèves doivent se conformer à ce que proposent le propriétaire et le chef

d’établissement. En fait, l’un des consultants participants, qui travaille comme chef dans un

établissement, compare son propre établissement à un régiment.

Gabriel : Nous avons fait une évaluation plus systématique et périodique [...] cela a

permis des améliorations, ici à l’intérieur, parce que le professeur sait que c’est

comme dans les forces armées. Dans un schéma de performance, le professeur doit

savoir pourquoi les choses doivent être ainsi.

Les chefs et leurs équipes de direction, généralement, évitent de faire participer les

enseignants. Certes, ils font participer les enseignants, les élèves et les parents, juste à ce qui

est nécessaire pour préparer la visite d’inspection, de manière à qu’ils paraissent plus

concernés que ce qu’ils sont en réalité et de cette manière à influer positivement sur

l’évaluateur pour améliorer les chances d’une bonne évaluation. Il faut donc tout de même

qu’ils sachent en quoi consiste la certification et l’intérêt que peut avoir le processus

d’amélioration mis en œuvre.

Les chefs et les consultants se rendent compte de la nécessité de ce type de simulation

parce que la visite comporte des entretiens individuels et collectifs, et pour cette raison les

enseignants, élèves et parents doivent au moins être informés. Pourtant, un dialogue auquel

pourrait participer tous les groupes intéressés produirait de nouvelles formes de

fonctionnement qui favoriseraient notamment les indicateurs proposés par les conseillers du

CNCGE.

!234

Le fait de ne pas inclure la communauté scolaire pourrait indiquer que l’intention

fabricatrice du dispositif est de censurer la « voix du peuple » pour les soumettre aux

indicateurs de la classe dominante représentée par les conseillers de CNCGE.

Ce qui précède n’empêche pas que lorsque les établissements obtiennent la

certification, soit toute la communauté scolaire qui célèbre ce succès. À ce moment se produit

un certain niveau d’enrôlement des élèves, enseignants et parents qui n’avaient pas été

considéré par le processus antérieur.

Gabriel : La FS a pour habitude de venir physiquement livrer le label de qualité

scolaire aux établissements. Le secrétaire de CNCGE est venu ici faire la remise du

diplôme, en fait, celui qui est maintenant dans un tableau suspendu dans le bureau du

chef d’établissement […] Et là-bas, au casino, nous avons fait une cérémonie avec

environ 300 personnes, où le secrétaire et le propriétaire ont parlé [...] devant toute la

communauté, devant tous les représentants, des étudiants, parents, enseignants, et

toutes les personnes qui travaillent dans l’administration du collège. Nous avons

invité aussi toutes les autorités de la commune, des conseillers municipaux, des gens

du Ministère. Il s’agit d’une cérémonie très formelle et protocolaire.

Contreras (2010) affirme que la participation est un élément de la qualité scolaire,

après tout, selon l’auteur, il est invraisemblable de construire un projet éducatif de qualité sans

la participation des enseignants, parents et élèves, toutefois ils seront tenus responsables de

leur comportement sans avoir la possibilité de participer. L’auteur conclut qu’ « une école plus

participative est une école de plus de qualité » (p. 316). L’expérience des consultants, dont

certains sont aussi chefs d’établissements, n’est pas exactement conforme à ce principe.

6.10.5. La propagande comme une autre opération de traduction

Les conseillers ont présenté le pilotage par la qualité comme la panacée pour le

système éducatif, ceci en mobilisant un grand dispositif de propagande. Si l’on peut la

considérer comme une opération de traduction, elle vise aussi à ce que les consultants puissent

attirer des établissements.

Les conférences annuelles de chercheurs qu’organise FS sur le leadership scolaire et

d’autres types de thématiques anglo-saxonnes au siège central de l’Université Catholique,

l’une des universités les plus influentes, peuvent être suivies sur internet par les autres cadres

!235

des établissements qui ne peuvent pas y assister physiquement. Cet événement est réalisé dans

le but d’associer ce type de contenu au programme de pilotage par la qualité.

Chercheur : Tu es d’accord avec moi sur le fait que la campagne de marketing de FS a

été essentielle pour installer le pilotage de la qualité dans le pays ? Il est possible de

constater aussi avec la création de l’Agence de qualité. En fait, nous nous trouvions

une fois dans un séminaire à l’Université catholique et j’avais été impressionné,

comment dire, par la somptuosité [...] ?

Carlos : Tout à fait d’accord. Ces séminaires attirent des clients et élargissent le

modèle de la qualité [...].

Chercheur : Selon moi, c’est la principale opération pour installer l’innovation [...].

Carlos : C’est vrai, je suis d’accord.

En guise de conclusion

La première chose que l’on peut conclure est que le concepteur et le consultant de ce

réseau de traduction n’ont pas eu le même type d’expérience technique (Simondon, 1989a,

1989b).

Comme le dit Akrich (2006), les objets techniques accordent des rôles et des

responsabilités aux acteurs et peuvent ainsi imposer des « cadres de pensée ». Ils organisent

les relations entre les acteurs humains et leur environnement. Et pour cette raison, les objets

techniques ont un contenu politique, ils expriment une volonté politique. En fait, selon Maroy

et al. (2012), les objets techniques sont loin d’être neutres, ils vont influer sur les relations de

pouvoir.

D’abord, le pilotage des résultats correspond à une culture de l’évaluation qui n’arrive

pas jusqu’aux enseignants. Ces tâches stratégiques sont exclusivement exécutées par le chef

d’établissement et l’équipe qualité. Les chefs et les propriétaires n’ont pas l’intention de

prendre en compte les enseignants, élèves et parents dans l’élaboration des améliorations. En

fait, ils ne souhaitent pas que des différends apparaissent, même si cela peut favoriser le

processus d’innovation.

Mais, d’après Simondon (1989b), un objet technique ne peut devenir adéquat que dans

la mesure où sont réunies les conditions pour l’émergence d’une relation transindividuelle.

Certainement, sans cette relation transindividuelle, il n’existe pas de transduction. En effet, la

!236

façon dont sont utilisés les objets techniques de la boîte à outils du consultant en qualité ne

génère pas une relation transductive avec les enseignants, qui devraient pourtant être des

acteurs véritablement clés dans le réseau socio-technique, privant ainsi l’établissement de leur

propre intériorité et de l’expérience collective.

Par conséquent, ce processus de traduction est axé sur les interactions qu’établissent le

consultant avec le chef et l’équipe qualité de l’établissement, lorsque des objets techniques

sont présents. On ne constate pas une véritable socialisation entre les enseignants et les objets

techniques, liens qui pourraient créer de nouveaux liens entre les outils et les acteurs humains.

A leur tour, ils pourraient multiplier les opérations de traduction, qui sans aucun doute

pourraient induire des changements plus profonds dans les pratiques et représentations des

acteurs humains. Le travail réalisé effectivement se limite à la fabrication d’éléments de

preuve pour saturer les indicateurs et obtenir ainsi la certification.

Probablement il en est ainsi parce que le dispositif de FS n’a pas été conçu pour

problématiser l’innovation à l’intérieur de l’établissement, autour des objets techniques. Il y a

clairement absence d’une perspective dialogique (Brunod & Savio, 2009). C’est pour cela que

le processus de transfert d’innovation pourrait avoir les caractéristiques « d’un renvoi » dos à

dos « des dominants et des dominés eu égard à leur situation également aliénée face à la

technicité » (Combes, 1999, p. 122).

De toutes façons, les opérations de traduction qui sont menées pour faire circuler des

objets techniques uniquement dans l’équipe qualité sont suffisantes pour installer le pilotage

de la qualité dans l’établissement.

Enfin, il semble que le succès du programme de pilotage par la qualité dans notre

système est dû à une combinaison de campagnes de marketing et à un processus non réfléchi

de traductions et de mécanismes de coercition aux niveaux méso et macro (DiMaggio &

Powell, 1991), qui se conclut à ce stade par la création de l’ACE qui généralise le pilotage par

la qualité, en tant que dispositif de contrôle pour tous les établissements.

Résumé du chapitre

Ce chapitre a présenté les résultats à la deuxième question de recherche, que j’avais

formulée de la façon suivante : Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986)

exécutées par les consultants, en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour

!237

influer sur l’implication des chefs et des propriétaires d’établissements scolaires dans

l’institutionnalisation du pilotage par la qualité ? Ceci tout en leur permettant de réussir le

processus de certification de la qualité.

Ci-après dans le chapitre suivant seront présentés les résultats obtenus à la troisième

question de recherche.

!238

Chapitre 7 : Les différentes logiques institutionnelles dans le discours des participants qui ont pu être saisies par mon dispositif de recherche

7.1. La question de recherche

Dans ce chapitre, je vais essayer de répondre à la troisième question de recherche qui a

guidé le développement de cette étude en tant que praticien-chercheur : Quels effets

produisent les interférences entre les différentes logiques institutionnelles qui traversent leurs

pratiques sur le discours des consultants ?

7.2. Capter avec mon dispositif de recherche les nouvelles logiques

institutionnelles

Un des objectifs naturels d’une enquête dans le cadre théorique de l’analyse

institutionnelle est de découvrir le contenu latent, de déchiffrer à partir de l’interprétation des

ruptures de sens, le désir du groupe (Guattari, 1972). Selon Lourau (1973), de découvrir « le

négatif non intégré, non récupéré, non dépassé, par l’intermédiaire des analyseurs qui

provoquent l’impensé de la structure sociale à se manifester » (p. 26).

Dans l’analyse institutionnelle, il est aussi impératif de découvrir les transductions

dans le discours des participants (Monceau, 2013), les effets de transformation et de nouvelles

connaissances (Monceau, 2005). Dans tous les cas, il est vrai que les nouvelles logiques

institutionnelles des participants étaient déjà là avant le début de ma recherche, mon dispositif

de recherche a uniquement permis de saisir ces interférences, en permettant aux participants

de découvrir qu’ils sont objets de ces interférences, en construisant une situation dans laquelle

ils se mettent à réfléchir sur leur propre parcours, leurs propres idées, permettant ainsi à ces

effets idéologiques d’apparaître, d’être appréhendés par les consultants.

7.3. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par l’illusion

de neutralité et d’objectivité du SIMCE

Sur la prétendue neutralité et objectivité de l’évaluation SIMCE, il est possible de

constater les transductions suivantes dans le discours des consultants.

!239

7.3.1. Comprendre la qualité comme valeur SIMCE

Le SIMCE est la mesure standardisée des apprentissages des élèves qui depuis deux

décennies est au centre de toutes les politiques de l’éducation dans notre système scolaire, ce

qui a probablement abouti à installer « une culture du constat chiffré » (Barrère, 2009). Pour

cette raison, il n’était pas étrange que la qualité soit encore comprise par les différents acteurs

comme des résultats quantitatifs.

C’est pour cette raison qu’il est encore possible de constater, chez quelques

participants, la persistance des anciennes logiques institutionnelles dans le sentiment d’utilité

du SIMCE. Ceci d’autant plus que cette évaluation pousse les établissements à améliorer leurs

résultats, en dépit de toutes les critiques actuelles.

Lucía : Je crois que le SIMCE est bon. Je n’ai rien à dire contre le SIMCE […] Bien

que cela soit très fastidieux pour les écoles, je pense que, dans le long terme, il permet

d’améliorer tout le système.

Lucía : […] Le SIMCE oblige à améliorer les apprentissages.

Leonardo : […] Aujourd’hui, il n’existe pas un autre instrument qui reflète ce que

sont les apprentissages des élèves, toutefois il est de plus en plus remis en question.

Mais il est aussi possible d’observer dans les entretiens individuels et collectifs

certaines évolutions dans le discours sur la qualité scolaire considérée comme une valeur du

SIMCE, qui étaient déjà là auparavant.

Par exemple, dans les entretiens individuels, les participants probablement catalysés

par la présence de la caméra vidéo ont élaboré de cette manière leurs nouvelles idées sur le

SIMCE comme indicateur de qualité dans le système scolaire.

Lucía : C’est pas facile à dire que nous allons rehausser le SIMCE, parce que c’est un

travail super difficile pour un établissement, car il dépend de nombreux facteurs [...]

En effet ce gouvernement a misé beaucoup sur le SIMCE […].

Carlos : On a imposé l’idée que la qualité est égale aux résultats, résultats SIMCE,

résultats PSU […] C’est vrai qu’il faut améliorer le score, mais il ne faut pas négliger

d’autres aspects du processus.

Leonardo : La qualité scolaire dans la pratique est assimilée au score SIMCE.

!240

7.3.1.1. L’exigence d’un score SIMCE minimum pour accéder à la certification dans le

modèle qualité de la Fondation Schiller établit une discrimination

Dans les entretiens individuels filmés de Gabriel et Leonardo, certaines transitions ont

été captées entre les anciennes et les nouvelles logiques institutionnelles concernant

l’exigence d’un score minimum au SIMCE pour postuler à la certification de FS. Même la

participante la plus impliquée dans les anciennes logiques institutionnelles constatait qu’il

était difficile pour les élèves les plus défavorisés d’améliorer leur score SIMCE, malgré les

efforts déployés par les équipes dirigeantes des établissements.

Lucía : Dans ce collège, nous avons implémenté notre plan d’amélioration [...] mais

en dépit de tout cela, nous n’avons pas pu certifier, car nous ne sommes pas arrivés au

SIMCE requis.

De plus, mon collaborateur (Carlos) a changé son discours lors du second entretien par

rapport au premier entretien concernant le fait que l’exigence d’un score mínimum au SIMCE

établit une discrimination qui nuit aux établissements où vont les élèves pauvres.

Chercheur : Cela veut dire que les établissements où vont les élèves vulnérables,

qui n’ont pas de bonnes performances dans le SIMCE, ne peuvent pas être certifiés.

Ne te semble-t’il pas qu’il y a une espèce de discrimination envers ces enfants ?

Carlos : OK. Je pense qu’aucun de mes collègues n’est d’accord (avec ce phénomène)

et c’est, peut-être, la grande erreur de ce modèle de qualité.

7.3.1.2. Un établissement ayant un meilleur SIMCE n’est pas nécessairement un

établissement efficace

Une autre idée nouvelle, que j’ai pu capturer avec mon dispositif de recherche, c’est

que certains établissements ayant un meilleur score SIMCE ne sont pas nécessairement des

établissements efficaces, parce qu’il est un fait incontestable que l’épreuve ne peut isoler les

effets que produisent, sur le score, les différents capitaux culturels des élèves scolarisés dans

des établissements très ségrégués par classe sociale et valeur SIMCE.

Par exemple, dans l’entretien collectif que j’ai filmé, autant Leticia qu’Antonia sont

d’accord sur le fait qu’un meilleur score SIMCE n’a rien à voir avec l’efficacité des

établissements. Antonia, membre du staff du programme de certification de la Fondation,

soutient maintenant ce qui suit :

!241

Chercheur : Qu’est-ce que dit, de la qualité d’un établissement, le niveau socio-

économique de leurs élèves ?

Antonia : Tous les enfants n’arrivent pas exactement égaux au collège. Certains

établissements doivent travailler beaucoup plus avec les enfants des populations

vulnérables […].

Chercheur : Si le SIMCE dépend de facteurs exogènes comme le niveau socio-

économique, comment pouvons nous être sûrs qu’il s’agit d’établissements efficaces ?

Antonia : […] En revanche, ce que les enfants sont, est apporté par leur foyer, sa

famille, alors pratiquement, l’enfant cherche seulement des filets de sécurité dans

l’établissement, plus que ce qu’il pourrait apprendre, parce ce qu’ils en apportent,

ce qui a été appris à la maison.

Dans l’entretien individuel filmé avec Leonardo, on peut constater également une

évolution à cet égard.

Leonardo : Le capital culturel et social qu’apportent les étudiants est essentiel pour

réussir […] il y a des écoles privées dans lesquelles tu payes une quantité d’argent

énorme, mais qui ne sont pas nécessairement des écoles efficaces, même si eux aussi

ont 300 points […].

7.3.1.3. Le poids excessif du score SIMCE dans le modèle qualité de l’Agence de Qualité de

l’Éducation

De plus, on peut observer les effets des interférences dans le discours des membres du

staff sur la place centrale du score SIMCE dans le nouveau dispositif public de pilotage par la

qualité de la nouvelle ACE, le SAC. En fait, des membres du staff de FS considèrent la

pondération de 67% que l’ACE assigne à l’épreuve SIMCE dans l’évaluation globale de

l’établissement est exagérée. Antonia, dans l’entretien collectif, a affirmé ce qui suit :

Antonia : Alors pourquoi allons nous nous préoccuper d’autres choses, même si elles

sont importantes, si elles ne sont pas aussi pondérées. Si la seule chose que nous

devons faire est d’améliorer le SIMCE […] 67 % de SIMCE […] Ce pourcentage est

très élevé, alors on laisse de côté des autres choses. Mais je crois qu’un établissement

est plus que le résultat du SIMCE […].

!242

Dans l’un des entretiens individuels filmés, Leonardo donne les signes de certaines

transductions dans son discours sur le poids du SIMCE dans le nouveau modèle de la qualité

SAC :

Leonardo : La pondération que l’ACE a donné au SIMCE est proche de soixante dix

pour cent […] et cela a suscité de nombreuses critiques, car il donne une valeur très

élevée à un instrument qui ne parle pas du tout de ce qui est l’expérience éducative,

qui est beaucoup plus que les résultats dans les tests standardisés.

En fait, à la lecture des cahiers de consignes, qui peuvent être téléchargés sur le site

web de l’ACE (2015), il se confirme que la préparation du SIMCE va être la première tache.

Selon l’ACE, les étudiants doivent se familiariser avec le mode de réponse aux épreuves du

SIMCE. En plus, il n’y pas de règles qui empêchent les établissements d’enseignement de

mettre en œuvre des activités de préparation. Mais de façon contradictoire, il est important,

selon l’ACE, qu’elles ne surchargent pas les étudiants et ne leur fassent pas perdre du temps

aux dépens d’autres matières. En plus, l’ACE suggère qu’il serait bon de disposer de

l’approbation des parents pour mener des activités spéciales de préparation, surtout si elles

interfèrent avec d’autres activités scolaires.

Il peut paraître absurde que le nouveau dispositif de l’ACE, qui se présente comme la

grande réforme du système éducatif, repose aussi sur un objet technique, le SIMCE,

maintenant avec une pondération de presque 70 %. De cette manière, toutes les normes de

gestion de l’établissement vont tourner autour de lui, obligeant les directeurs, enseignants et

élèves à s’y référer.

7.3.2. La publication dans la presse des résultats du SIMCE des établissements

Les résultats du SIMCE sont publiés dans la presse écrite et par internet. Comme

d’habitude, les meilleurs scores sont obtenus par les établissements privés du quartier

bourgeois de Santiago et dans les régions où se trouvent les établissements privés et

subventionnés les plus sélectifs. Rares sont les établissements municipaux qui se trouvent

dans le top, à l’exception des « lycées d’excellence » qui, malgré le fait d’être municipaux,

sont très sélectifs, et qui grâce à leurs tests d’admission exigeants parviennent à garder les

meilleurs élèves du système. En fait, le SIMCE est un dispositif d’accountability (reddition de

comptes) qui met en concurrence les écoles et laisse intact les profits des entrepreneurs de

l’éducation.

!243

L’idée sous-jacente est que la circulation de l’information provenant du SIMCE va

encourager les établissements qui n’obtiennent pas de bons résultats à les améliorer pour ne

pas être exposés à la honte et à des sanctions ministérielles (Casassus, 2010). À cet égard,

certaines logiques institutionnelles des participants, spécialement Carlos et Leonardo, ont

évolué et cela a été enregistré par le dispositif de recherche. Par exemple, j’ai pu capturer avec

mon dispositif filmique, une transduction dans le discours de Leonardo qui met en doute les

avantages de la publication des résultats SIMCE :

Chercheur : Maintenant que près de cinq ans sont passées et en vertu de ce dont nous

avons parlé, quelle est ton opinion sur la publication des résultats SIMCE ?

Leonardo : La publication des résultats SIMCE dans la presse est désormais mise en

cause, ce qui me semble bien, car les avantages à publier ces données ne sont pas aussi

importants et au contraire ils ont influencé l’opinion des propriétaires, des directeurs,

des enseignants et des familles, pour penser qu’un établissement avec un   score

plus élevé SIMCE est de meilleure qualité et cela n’est pas réelle.

Bien que les consultants aient un intérêt professionnel à soutenir le système du

pilotage par la qualité, leur expérience les conduit à relativiser beaucoup les discours officiels.

Ils sont également en mesure d’apprécier certaines «  externalités négatives  », comme les

effets négatifs de la survalorisation du score SIMCE.

7.3.3. Limiter la formation des élèves exclusivement aux contenus que mesure le SIMCE

L’intérêt principal des propriétaires et des chefs des établissements est de préparer les

enfants pour l’épreuve SIMCE, parce qu’un collège de meilleure score attire plus d’élèves.

Avec le dispositif de recherche j’ai pu capturer certaines logiques institutionnelles nouvelles

des participants sur le travail que font les établissements pour maintenir à la hausse le score

SIMCE. J’ai pu constater, avec mon dispositif de recherche, que les participants la considèrent

maintenant comme une pratique perverse, parce que les établissements spécialisés dans les

matières qui mesure le SIMCE consacrent beaucoup de ressources pour préparer leurs élèves.

On retrouve ici le phénomène du « teaching the test » (Mons, 2009). Ceci peut se faire au

détriment d’une meilleure éducation en termes globaux. Par exemple, dans l’entretien

collectif, une des participants manifeste la transduction suivante dans son discours sur le fait

de concentrer la formation des élèves sur les contenus que mesure le SIMCE :

!244

Antonia : […] Les propriétaires et chefs d’établissement disent : s’ils vont me

mesurer, principalement par le SIMCE, il faut que je me préoccupe seulement de cela

et pourtant, le niveau d’éducation est de plus en plus de mauvais.

Ce même type de transduction a été capturé avec mon dispositif de recherche dans les

entretiens individuels filmés :

Carlos : Certes, il est inutile de publier les données et cela peut faire plus de mal que

de bien. En fait, la concurrence entre établissements pour obtenir un meilleur score

provoque de la ségrégation parce que les établissements préfèrent éviter la

scolarisation des enfants qui vont faire baisser ses résultats. Comme je l’avais dit

avant dans le premier entretien, toute l’activité de l’établissement est concentrée sur le

SIMCE. Les établissements doivent investir toutes les ressources possibles dans les

disciplines qui font l’objet de mesures. Cette façon de voir la qualité comme égale au

score SIMCE va tuer l’éducation.

Leonardo : Un des buts qu’ont tous les établissements, c’est précisément d’améliorer

le SIMCE, parce que l’épreuve qui est associée à la qualité de l’apprentissage est le

SIMCE […] En fait, durant ces quatre dernières années il y a eu une grande

préoccupation pour le SIMCE […] Mais je crois que cela aussi est de plus en plus

remis en question, car enfin tu soumets les établissements à une pression indésirable

[…] parce que la qualité de l’éducation devrait être interprétée comme une éducation

plus intégrale, un développement plus global de l’être humain, non seulement dans les

matières que mesure le SIMCE […] ce qui est devenu un entraînement des enfants

pour répondre au SIMCE […].

De facto si le MINEDUC subordonne la fourniture de ressources aux établissements

en échange de l’augmentation du score SIMCE, il paraît logique que les chefs préfèrent

investir une grande partie des ressources pour améliorer les performances des élèves.

Toutefois le temps qui est consacré à la tâche de former les enfants pour le SIMCE dans de

nombreux établissements se révèle menée au détriment d’autres activités de formation,

beaucoup plus importantes pour leur développement cognitif et affectif.

Carlos : Si j’étais chef d’établissement, je pourrais recevoir 100 millions de pesos

extras pour les enfants, mais je suis un peu obligé de cibler le maximum possible de

cet argent vers une amélioration des résultats SIMCE, pour que l’établissement puisse

!245

continuer à bénéficier de ces subventions […] c’est pourquoi nous allons recruter plus

de professeurs de mathématiques […] Les propriétaires refusent de rester en bas des

classements. Le ministère peut leur supprimer l’argent si ils ne sont pas

conformes au critère SIMCE […].

Mais les curricula, selon Apple (1996), consiste en la sélection de quelques uns, ils

représentent une vision de groupe quant à la connaissance considérée comme légitime. Selon

l’auteur, sous des justifications éducatives peut se cacher une attaque idéologique très

dangereuse, très nocive pour les plus pauvres. Sur ce sujet, mon collaborateur (Carlos) avait

déjà affiché, dans le premier entretien, l’évolution suivante dans son discours.

Carlos : Alors, ce que nous devons faire est de discuter sérieusement dans ce pays ce

que nous comprenons par qualité de l’éducation, quel est le type d’homme que nous

voulons former dans cette société.

7.3.3.1. Le manque de diversité des projets éducatifs que produisent le SIMCE et le profit

Sur la relation entre le SIMCE, le profit et la diversité des projets éducatifs, le discours

des participants met en évidence les effets idéologiques des diverses interférences

institutionnelles. Le dispositif de recherche a permis de saisir de nouvelles logiques

institutionnelles. Tant dans le premier que dans le deuxième entretien individuel avec mon

partenaire, j’ai capté chez Carlos une transduction dans son discours sur le rapport entre le

SIMCE et le profit des propriétaires d’établissements:

Chercheur : Crois-tu que le fait que l’enseignement dans les établissements se

concentre sur les matières qui permettent d’améliorer le SIMCE se fasse au détriment

des autres disciplines et qu’il homogénéise les projets éducatifs ? Après tout, un

système d’éducation de marché devrait tendre à diversifier les projets éducatifs

comme dans toute entreprise, qui cherche à se différencier pour soutenir la

concurrence ?

Carlos : De toute évidence, ce qui se passe maintenant que tous les établissements

sont devenus mauvais, c’est qu’ils concentrent toutes leurs ressources dans le SIMCE,

synonyme de qualité scolaire. C’est lourd et ennuyeux pour les élèves, très mauvais

pour la formation.

!246

Carlos : [...] Pour augmenter leur SIMCE, il ne sert à rien que les enfants apprennent

à jouer la trompette ou apprennent le cinéma.

Ce « culte de l’efficacité » (Gross Stein, 2002) devrait entraîner le développement

d’une plus grande capacité d’innovation et l’amélioration continue des pratiques éducatives et

de la qualité. Mais, les propriétaires ne sont pas nécessairement des innovateurs ou sensibles

aux besoins des familles. La dimension financière prime.

De fait, l’absence de diversité dans les projets éducatifs est le résultat de la recherche

du profit (Villalobos & Salazar, 2014). Enfin, les établissements qui produisent des profits

vont faire tout leur possible pour attirer les meilleurs élèves du système et ainsi maximiser

leurs bénéfices. Ils essaient aussi de réaliser des économies en recrutant des enseignants ayant

moins d’expérience, leur offrant des conditions de travail plus mauvaises en leur demandant

de se concentrer uniquement sur l’amélioration des résultats SIMCE et PSU.

Les discours des consultants confirment ces évolutions qu’ils regrettent.

7.3.4. Les effets négatifs du SIMCE sur la professionnalisation des enseignants

La pression que subissent les enseignants afin d’améliorer le SIMCE leur laisse peu de

marge de liberté pour trouver des solutions plus créatives (Weinstein, Fuenzalida & Muñoz,

2010). J’ai réussi à saisir dans le discours des consultants cette nouvelle logique

insti tutionnelle concernant les pratiques des enseignants. Selon eux, les

enseignants seraient aussi épuisés par les journées pénibles et leurs conditions de travail. Sur

cette question, dans les entretiens individuels, deux participants ont mis en évidence une

évolution dans leurs discours :

Carlos : Pour les professeurs, cet aspect du SIMCE, est décourageant, parce qu’on

leur demande d’enseigner uniquement des matières qui mesurent la preuve en

utilisant le type de questions du test. Il n’existe pas de place pour faire d’autres choses

dans les classes, pour innover. En outre les jeunes aujourd’hui ont d’autres des

intérêts qui ne sont pas satisfaits, on ne les forme pas de manière intégrée. Ils

s’ennuient, se fatiguent, et cela attriste les enseignants. Ils se sentent déprimés.

Leonardo : C’est quelque chose que l’on peut observer en tant que père. On constate

que même dans les établissements où on paie beaucoup, il y a peu de place pour

d’autres apprentissages, pour une éducation plus globale. Je ne pense pas que cette

!247

situation soit agréable pour les enseignants, je me doute qu’outre la pression,

l’absence de repos et la monotonie dans les habitudes de travail doivent être pénibles

pour eux.

Cette situation est paradoxale parce qu’il pourrait être mieux pour les familles

d’inscrire leurs enfants dans les établissements qui ont des résultats plus faibles au SIMCE,

car ils ne se concentrent peut-être pas uniquement sur le test. Ils pourraient dégager des

ressources pour d’autres domaines qui peuvent être plus importants pour le développement

des jeunes enfants.

7.3.5. La pratique frauduleuse de quelques établissements faisant s’absenter des enfants

qui pourraient baisser la moyenne du score SIMCE le jour de l’épreuve

Sur certaines pratiques frauduleuses liées au SIMCE, comme celle de demander aux

enfants qui pourraient faire baisser la moyenne de l’établissement de s’absenter le jour de

l’épreuve, émerge une nouvelle logique institutionnelle de certains participants que j’ai pu

saisir avec mon dispositif de recherche. Sur ces pratiques, la position des consultants est

probablement plus stricte maintenant qu’il y a environ cinq ans. Ceci en raison des effets

idéologiques des nouvelles forces instituantes, en particulier le mouvement des étudiants. Sur

ces pratiques frauduleuses dans le SIMCE, au cours de l’entretien collectif que j’ai filmé avec

Antonia et Leticia, j’ai pu saisir la transduction dans son discours :

Antonia : […] Ils disent : non cet enfant ne va pas nous servir, cet enfant va modifier

le résultat. Au moment où ils rendent l’évaluation, ils sont exclus du SIMCE.

Antonia : C’est une pratique habituelle dans quelques établissements [...].

Chercheur : Ne crois-tu pas c’est frauder le système d’évaluation [...] ?

Antonia : C’est bien sûr une fraude qui, comme beaucoup d’autres, n’est pas

poursuivie par la justice [...].

Chercheur : Vous ne croyez pas que si nous étions rigoureux, ces pratiques

invalideraient le système d’évaluation [...] ?

Leticia : En étant plus stricts, oui, je crois que c’est un motif suffisant pour contester

les résultats de l’évaluation.

!248

C’est ainsi que le doute pénètre le discours des consultants en remettant finalement en

cause l’ensemble du système. Par ailleurs, durant le premier entretien individuel avec Carlos,

j’ai saisi l’évolution suivante dans son discours :

Carlos : Demander à des enfants ayant de mauvais résultats de s’absenter les jours de

l’épreuve est une pratique courante dans le SIMCE. Mais, incroyablement, cela ne

semble pas affecter la confiance que le Ministère a dans l’évaluation. Je ne sais pas si

cela est le cas dans d’autres pays. Une évaluation complète des irrégularités serait

nécessaire de ce système qui est fait pour améliorer la qualité de l’éducation mais qui,

toutefois, pendant plus de vingt ans d’existence, a favorisé la ségrégation et a

détérioré la qualité de l’éducation.

On retrouve encore dans ces propos, une contradiction permanente entre un

attachement aux objectifs du pilotage par la qualité et un constat négatif portant sur certains

de ses effets.

7.3.6. La sélection des enfants pour maintenir à la hausse le SIMCE

En ce qui concerne les pratiques des propriétaires et des chefs d’établissements

subventionnés concernant la sélection des élèves afin de filtrer les meilleurs et de maintenir

ainsi ou d’augmenter le score SIMCE, les consultants pensent qu’il s’agit d’une

discrimination faite aux élèves qui pourraient nuire à la hausse du score. Depuis le début de

l’investigation on peut distinguer une transduction dans la pensée des consultants. Une

nouvelle logique institutionnelle dans leurs discours qui est apparue avec mon dispositif. Par

exemple au cours de l’entretien collectif filmé avec Antonia et Leticia, j’ai pu constater une

transduction sur la sélection des meilleurs élèves du système scolaire faite par les

établissements :

Leticia : […] Il y a des collèges qui n’acceptent pas d’enfants avec problèmes, avec

des besoins éducatifs spéciaux, car cela peut diminuer les résultats, c’est absolument

discriminatoire […].

De la même manière, dans le deuxième entretien avec Carlos, j’ai pu constater une

évolution dans le discours sur ce type de pratiques des établissements :

Carlos : La sélection est un sujet qui n’était pas en cause jusqu’à l’émergence du

mouvement des étudiants. Il est étonnant que ne l’ayons pas mis en cause d’abord,

!249

nous même. Il est bon qu’aujourd’hui la loi a été corrigé pour l’interdire, bien que

celle-ci le fait de manière partielle, c’est déjà un progrès. Ce point a été traité et cela

me semble bon pour le pays.

De fait les établissements peuvent réduire les coûts en sélectionnant les élèves les

moins difficiles à éduquer, et deuxièmement investir moins (Levin, 2001). Mais la sélection

est finalement une atteinte à la liberté des parents de choisir les établissements où scolariser

leurs enfants. Cette liberté est pourtant consacrée dans la constitution de la République. Ceci

ne semble favoriser que les propriétaires des établissements (Atria, 2010).

7.3.6.1. Sélection des élèves dans les lycées publics d’excellence pour maintenir à la hausse

les scores SIMCE et PSU

J’ai pu saisir, dans l’un des entretiens individuels, la logique institutionnelle antérieure

concernant les pratiques de sélection des meilleurs élèves dans les lycées publics, ce qui était

considéré comme de d’excellence.

Lucía : L’enfant qui veut étudier la médecine, mais qui est d’une famille qui n’a pas

d’argent pour payer un collège privé, je crois qu’il a le droit aussi d’aller à l’Institut

National ou aller dans un autre lycée d’excellence […].

Certes, jusqu’à présent personne ne mettait en cause les processus de sélection dans

ces lycées, car ils étaient par définition sélectifs. Mais, il est probable qu’à partir des

interférences institutionnelles provoquées par la force instituante du mouvement étudiant les

logiques institutionnelles des participants ont évolué. Le dispositif de recherche a aussi forcé à

la réflexion les consultants et ils ont élaboré un discours plus conforme avec ces effets

idéologiques. Ils se sont interrogé sur le fait de savoir s’il était acceptable, licite et éthique de

choisir des élèves dans les établissements publics, appelés lycées d’excellence, icônes de

l’éducation publique, mais qui se comportent comme s’ils étaient des entreprises qui

choisissent un type de cible, un segment de marché, tout en ayant des ressources publiques.

Dans l’un des entretiens individuels, un des participants a fait valoir ce qui suit sur la

sélection par les lycées publics ayant les meilleurs résultats au SIMCE et à la PSU.

Leonardo : Au lieu de sélectionner certains enfants, pour leur donner une éducation de

bonne qualité, nous devons faire des efforts pour élargir la base et livrer la bonne

qualité à tous les élèves.

!250

Certes, de toute évidence, la sélection dans ces établissements a des effets ségrégatifs

ainsi que le font les établissements qui sélectionnent par le prix. La contradiction est qu’on ne

peut pas parler d’un lycée d’excellence, d’un établissement efficace, si seulement il travaille

avec les meilleurs élèves du système. Le même participant a mis en évidence de cette manière

l’évolution de son discours sur ce sujet :

Leonardo : […] L’Institut national n’est pas nécessairement une école effective […]

ce qu’ils font est de travailler avec la crème de tous les élèves […] ils travaillent

uniquement avec les enfants ayant de bons résultats. Alors ce sont les enfants, ce n’est

pas le lycée qui a de bons résultats […] Ces établissements travaillent par commodité

avec des pastèques prouvées, ces enfants vont aller bien dans toutes les écoles.

En fait, le mouvement des étudiants secondaires, à partir de l’année 2006, témoigne de

la tension entre les politiques mises en œuvre pour améliorer la qualité de l’éducation et la

réalité. Il est très difficile pour un jeune qui sort d’un lycée municipal, tout en étant le meilleur

élève de l’établissement, de concurrencer d’égal à égal les élèves qui sortent d’un

établissement privé ou subventionné. Ce jeune qui a étudié dans un lycée municipal va être

entravé pour accéder aux meilleures universités publiques et aux meilleurs emplois.

L’affirmation suivante peut confirmer l’évolution dans le discours de Leonardo :

Leonardo : Personne ne peut être d’accord avec la ségrégation […] ces établissements

sont les exemples phares de la ségrégation sociale du pays.

De la même manière au cours du second entretien individuel avec Carlos, j’ai pu saisir

la transduction suivante dans son discours :

Carlos : Je ne suis pas d’accord avec les lycées d’excellence, car ils ségréguent et

laissent sans bons élèves les autres établissements municipaux. Ces écoles où se

concentrent les enfants ayant de mauvais résultats sont transformés en de véritables

guettos culturels parce ce qu’on les prive de l’effet de leurs pairs.

Mais donner exclusivement une éducation de qualité aux élèves des lycées

d’excellence est presque aussi injuste que livrer une éducation de qualité uniquement aux

élèves de familles à revenus élevés. La sélection dans ce type d’établissements, selon Atria

(2012), cristallise une énorme injustice parce qu’on suppose que les enfants sont libres de

choisir les conditions ou les externalités positives pour réussir dans leurs études. Cependant,

ceci est en dehors du contrôle des enfants et de leurs parents. Enfin, il est très difficile de

!251

savoir qui est vraiment méritant ou qui a eu le bonheur de naître dans un foyer disposant de

revenus suffisants pour acheter ce privilège. La vision économiste consistant à récompenser

ou encourager les meilleurs, les plus persévérants, pour leur donner une éducation de

meilleure qualité est similaire à un système d’apartheid, la mise en scène d’un système de

sélection des plus aptes (Atria, 2012).

Enfin, selon Martinic (2010), qui se fonde sur des données de l’enquête CASEN de

2009, les étudiants du quintile le plus élevé par rapport à ceux du quintile le plus bas avaient

trois fois plus de chances d’entrer à l’université.

Enfin, durant l’entretien individuel filmée avec Leonardo j’ai pu saisir la transduction

suivante :

Leonardo : Un défi et une obligation de l’État, d’un gouvernement, c’est que nous

devons fournir aux enfants un service d’éducation qui soit bon et, là est le défi,

comment vas-tu générer et développer des politiques afin que cela se concrétise.

7.4. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par le profit

des propriétaires d’établissements

7.4.1. Le profit des propriétaires d’établissements associé à une mauvaise qualité du

service éducatif

J’ai pu aussi saisir, avec ce dispositif de recherche, une nouvelle logique

institutionnelle des consultants par rapport au fait que les établissements qui reçoivent des

subventions de l’État puissent demander un paiement additionnel des familles.

Chercheur : Que penses-tu de mettre fin au financement partagé ?

Leonardo : Il a produit la ségrégation [...] des écoles pour les riches, des écoles pour

les pauvres […] Si j’étais Ministre d’éducation, j’interdirais le financement partagé et

m’efforcerais à ce que tous les élèves puissent avoir des conditions similaires […] il a

approfondi la ségrégation […] les enfants peuvent transiter toute la vie dans le sytème

scolaire et il n’existe aucune possibilité d’être mélangé avec des élèves d’autres

classes sociales.

Dans le second entretien avec Carlos, il indique la possibilité de faire des profits pour

les propriétaires d’établissement, par le financement partagé ou par des vouchers, et l’absence

!252

de contrôle. Il y a ici un problème du système scolaire qui cause une ségrégation importante.

En effet, il y a deux types d’établissements ceux des élèves avec de bons résultats et un

meilleur capital culturel et les établissements convertis en ghettos où les élèves n’ont pas la

possibilité d’évoluer par le haut.

Carlos : Eh bien, je crois que d’après la loi, de toute évidence cela ne devrait pas

exister, parce que s’ils reçoivent les vouchers, ils ne doivent pas recevoir un autre

paiement additionnel, les autres établissements privés destinés aux gens qui peuvent

payer, évidemment que oui, mais ceux qui reçoivent de l’argent de l’État ne devraient

pas facturer autre chose.

Certes, actuellement 80 % des familles payent un montant supplémentaire, le

financement partagé, qui peut être variable (Valenzuela, Bellei & De los Ríos, 2009). En effet,

au Chili, selon Bellei (2013), plus de 75 % des établissements privés subventionnés sont

qualifiés comme étant à but lucratif et dans ces établissements étudient un tiers des enfants du

pays.

C’est pour le profit que les propriétaires consacrent plus de ressources économiques à

la publicité que d’autres types d’établissements (Corvalan, Elacqua & Salazar, 2008). En fait,

les propriétaires d’établissements ne réinvestissent pas les excédents de leurs bénéfices

(Donoso & Alarcón, 2012). A contrario ils préfèrent les prélever pour accroître leur

patrimoine personnel. L’autre problème est que cette tendance à réaliser des économies pour

dégager plus de profit peut créer des conditions de travail dégradées et des carences dans

l’infrastructure et la gestion des établissements (Elacqua, Martínez & Santos, 2011).

En effet, l’OCDE (2010) dans son rapport de 2010 reconnaît à nouveau que le

principal problème du système scolaire chilien est qu’il est plus qu’un système de quasi-

marché.

7.5. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par les fraudes

commises par les propriétaires d’établissements et des ATE

A travers les discours des consultants, j’ai mieux compris comment la création du

registre ATE entre en interférence avec le fonctionnement des marchés publics.

La plupart des universités ont constitué leurs ATE pour accompagner les

établissements dans la conception et la mise en oeuvre de leurs plans d’amélioration. De

!253

même, des organisations comme la FS elle-même se sont enregistrées. Certains consultants

FS se sont associés et ont constitué leurs ATE, comme par exemple Leonardo. D’anciens

fonctionnaires du MINEDUC ont également créé des entreprises et ont été enregistrés. Il n’est

pas rare non plus que des opérateurs politiques constituent des entreprises et s’enregistrent. En

fait, toute entreprise peut créer une entreprise de cabinet-conseil, un exemple de cela est un

grand magasin qui a constitué un cabinet-conseil et a été enregistré ensuite comme ATE. Les

propriétaires d’établissements l’ont fait également. Toutefois, des consultants comme Carlos

ont été enregistrés comme des personnes naturelles. Presque tous le font pour tirer bénéfice de

la grande quantité de ressources de la SEP peu contrôlée par l’État.

Les ressources SEP peuvent aussi être utilisées pour acheter des matériaux, de

nombreuses entreprises participent donc aux adjudications sans avoir besoin d’être

enregistrées comme ATE mais il leur suffit d’être enregistrées en tant que fournisseurs sur le

portail d’offres de l’État.

7.5.1. Les grandes ATE qui n’ont rien à voir avec l’éducation mais qui absorbent les

ressources provenant de la subvention SEP

Dès le premier entretien, j’ai pu saisir une transduction en ce qui concerne la manière

dont les grandes ATE prennent les ressources provenant de la subvention SEP en utilisant peu

cet argent pour les élèves. Carlos, par exemple, dit que ces ressources ne sont pas toujours

utilisées pour améliorer la gestion des établissements. Selon lui, certaines entreprises font de

grandes campagnes de marketing, avec des vendeurs recrutés pour cela.

Carlos : […] Il y a ici beaucoup d’argent, alors ceux qui ont fait du profit avec cela

[…] par la loi SEP […] entre eux se demandent ce que vont faire les écoles avec

autant d’argent ? […].

Une autre version de cette transduction je l’ai perçue dans l’entretien individuel avec

Leonardo.

Leonardo : Aujourd’hui il existe de nombreuses ATE qui sont très mauvaises. C’est

un nouveau marché qui commence, sans beaucoup d’orientation, sans beaucoup

d’appui. On a créé plusieurs ATE qui croient qu’elles peuvent facilement générer des

revenus […] Certaines sont hautement professionnelles et d’autres ont été créées par

les entrepreneurs avec le seul but de gagner de l’argent facile.

!254

De facto la plate-forme qui avait été faite pour rendre transparents les services des

consultants et fournir des ressources aux établissements pour les payer, avait été transformée

en une grande opportunité pour tous types d’entreprises. Par exemple, une entreprise qui

vendait des instruments médicaux, a vendu à de nombreux établissements l’équipement des

laboratoires ainsi que des ardoises électroniques. C’est ainsi que les chefs d’établissements,

avec ces nouvelles technologies, peuvent attirer plus d’élèves. Donc, c’est un bon business

pour les deux côtés, mais cela n’améliore pas les apprentissages des élèves et les compétences

des enseignants.

Carlos : Ce ne sont pas des personnes physiques […] il s’agit d’entreprises

qui ont été créées pour gagner de l’argent.

Déjà au cours du même entretien j’ai pu constater la déception de mon partenaire avec

le nouveau système du répertoire ATE :

Carlos : FS m’a commandé d’accompagner une école à Maipú qui était très pauvre,

mais par conséquent très riche en subvention SEP […] elle était si pauvre qu’elle ne

comptait plus que l’argent. Alors, le chef d’établissement dit : mon problème c’est que

je ne sais pas comment dépenser l’argent, ainsi aide moi à voir comment nous

pouvons le dépenser […] déjà nous avons acheté tout ce matériel. Il est là, sans

usage, personne ne l’utilise. Je lui dis : écoute il y a une chose qui va toujours donner

des résultats, former vos professeurs […] tu dois aussi embaucher une assistance

technique.

Durant le second entretien persiste la vision qu’il a du système public d’offres et du

répertoire ATE :

Carlos : Une entreprise a vendu des ardoises électroniques à presque toutes les écoles

du pays. J’imagine un gaspillage de centaines ou de milliers de millions de pesos. Un

autre exemple, un laboratoire qui fabrique des médicaments, a décidé de vendre des

laboratoires pour les classes de chimie dans les lycées, une affaire millionnaire.

Un autre participant confirme :

Leonardo : En général, les établissements investissent bien peu dans les services de

consultants en qualité scolaire. Pratiquement rien. Ils préfèrent acheter des choses ou

recruter des conseillers pour améliorer leurs scores SIMCE.

!255

Il est maintenant paradoxal que la subvention, fruit de la loi SEP (2008) pour les

établissements qui s’occupent des enfants ayant le moins de ressources, produise aujourd’hui

un marché si intéressant qu’il est capable d’attirer divers fournisseurs de services.

Certains propriétaires d’ATE sont devenus riches même si certains offrent un très

mauvais service. Sur cette nouvelle vision concernant le système public d’adjudication les

discours de Carlos et Leonardo coïncident :

Carlos : Lorsque nous parlons d’en finir avec le profit dans l’éducation, nous avons

toujours pensé à ceux qui sont propriétaires de collèges, mais personne n’a rien dit sur

les propriétaires des ATE […] sont des millions de millions de pesos […] eux font

des grandes affaires […].

Chercheur : C’est-à-dire qu’ils gagnent plus d’argent que les propriétaires

d’établissements ?

Carlos : Beaucoup plus.

Leonardo : Et là nous entrons dans un problème d’éthique, que nous n’avons pas

traité, lorsque l’État finance l’assistance technique pour améliorer les résultats des

écoles vulnérables […] combien de cet argent que l’État investit arrive enfin à ces

enfants ? […] Une question extrêmement complexe.

7.5.1.2. Les grands magasins qui ont créé une ATE

Une autre nouvelle logique, saisie par mon dispositif de recherche, dans le discours

des participants c’est sur le fait qu’un grand magasin a créé son propre ATE pour tirer parti de

l’absence de contrôle sur les subventions SEP.

C’est le même Leonardo, qui est administrateur d’une ATE de taille moyenne, qui a été

sous-traitée par une autre plus grande qui a confirmé cette vision des autres consultants sur

cette réalité.

Leonardo : Falabella a une ATE […] il s’agit de gens liés au groupe des écoles Matte,

la Société de l’Instruction Primaire […] qui entre eux ont généré une ATE […] pour

répliquer ses bonnes expériences […].

Leonardo : Lorsque tu postules aux concours publics des municipalités, ils te

demandent une expérience [...] Et ainsi tu ne peux pas gagner l’adjudication.

!256

Déjà dans le premier entretien avec mon partenaire, il avait manifesté cette vision du

système ATE.

Carlos : Regarde ça, Falabella et d’autres Holdings, qui n’ont rien à voir avec

l’éducation, ont monté leurs propres ATE. Comment peux-tu concurrencer avec cela,

toi ? Je ne sais pas pourquoi cela n’a pas été transformé par un scandale.

Enfin, c’est vraiment difficile pour les consultants comme ceux de ce groupe de

concurrencer les entreprises ayant ce niveau de ressources.

7.5.2. Les ATE qui sont dirigées par des opérateurs politiques

En ce qui concerne la difficulté pour les consultants à concurrencer les ATE gérées par

des opérateurs politiques, le problème est que ceux-ci mobilisent leurs contacts avec les

maires qui appartiennent au même parti qu’eux pour gagner les adjudications.

Chercheur : Dans le premier entretien nous parlions des opérateurs politiques dans les

ATE. Ce sont eux ceux qui gagnent la plupart des appels d’offres ?

Carlos : Oui, c’est vrai. Ils gagnent la plupart des appels d’offres, les plus importants,

ceux des municipalités où se trouvent le plus d’enfants vulnérables. Où il y a le plus

de fonds SEP. Il y a des municipalités qui administrent dix établissements et le chef

est donc le maire qui va tenter de favoriser les opérateurs politiques de son parti.

Les opérateurs politiques de ces sociétés de cabinet-conseil offrent de payer des pots-

de vin aux chefs des DAEM (Direction de l’administration de l’éducation municipale) De

cette manière, ils peuvent gagner des adjudications. Carlos doit affronter la concurrence

lors des appels d’offres de ces entreprises. Le système de subvention SEP et le répertoire ATE

qui était censé être totalement transparent est devenu lui aussi hostile aux petites structures de

consultants compte tenu des pratiques des opérateurs politiques. Dans un extrait du premier

entretien filmé avec Carlos, nous parlions sur ce point.

Carlos : J’ai vu comment ces choses fonctionnaient, lorsque des opérateurs politiques

de ces ATE sont arrivés à parler avec les maires […] alors ils disaient au maire :

Regarde, nous sommes du même parti politique, nous sommes associés à cette ATE et

tu as sept écoles ici […] Les données figurent sur le portail public. Alors, ils entraient

comme des vautours pour regarder l’argent que recevaient des établissements [...]

Alors, ils mettent une croix sur ceux qui ont peu d’argent pour choisir exclusivement

!257

les établissements qui ont beaucoup d’argent et ensuite : c’est notre camarade de la

municipalité [...] Un appel téléphonique et voilà [...] Il y a des maires qui ont fait des

affaires […] Le maire peut dire que tout est presque prêt avec la société X, et

qu’uniquement cette société doit travailler avec les écoles de la commune, etc. […]

Ces mecs ont vendu des conseils pour 400 millions […] Après les maires ont passé le

panier pour les campagnes politiques. Alors tout a été corrompu, il est aussi

regrettable que le profit des propriétaires des établissements.

Chercheur : Il n’existe aucune autre possibilité ?

Carlos : Si, dans certains cas ce sont les chefs d’établissement qui décident et ils le

font mieux.

Chercheur : Il y a certains qui sont dignes ? […]

Carlos : Oui, car ce pays n’est pas entièrement pourri, il y a encore beaucoup de

bonnes personnes.

Leonardo préfère être prudent pour affirmer ce qui de toutes façons est un secret de

polichinelle. Il s’agit de la même transduction qui j’ai pu percevoir avec mon dispositif de

recherche.

Chercheur : Un autre consultant m’a dit qu’il y a des municipalités qui font quelques

affaires illicites avec des ressources SEP, notamment avec les ATE contrôlées par des

opérateurs politiques ? [...].

Leonardo : Dans certains cas tu peux avoir la même couleur politique [...] je ne dis

pas que ce soit dans toutes les municipalités et je ne sais pas tous les détails, c’est

plutôt ce qui se dit [...] qu’il y a du détournement de certaines ressources, que tu peux

recevoir comme ATE, une quantité des fonds, du maire […].

De fait, les établissements municipaux qui travaillent pour les familles les plus

pauvres, sont ceux qui sont devenues un véritable butin pour les ATE.

Le CIPER (Centre de Recherche Journalistique) a étudié et dénoncé les innombrables

fraudes commises avec les ressources provenant de la loi SEP par les propriétaires des ATE et

les municipalités qui reçoivent ces ressources. Par exemple, dans la municipalité de La

Pintana dans la région métropolitaine, une ATE a remporté l’appel d’offres la plus coûteuse de

!258

près de deux millions de dollars de l’époque (2014) . Ils ont offert les conseils de deux 27

consultants ayant le grade de docteur et quatre du niveau de Master, ce qui leur a permis de

remporter le marché. Cependant, il a été constaté qu’ils ne sont jamais venus dans cette

municipalité et qu’ils n’étaient même pas informés du fait qu’ils étaient concernés par cette

adjudication. Enfin, selon CIPER, le Contraloría de la República (Contrôleur de la

République) a détecté durant l’année 2012 la disparition d’environ 30 millions d’euros en

subventions SEP . 28

7.5.4. Les universités qui ont créé des ATE pour faire partie de ce groupe de

« prédateurs » des ressources SEP

Dans le premier entretien individuel avec Carlos, a surgi une autre logique

institutionnelle que j’ai pu capter avec mon dispositif en ce qui concerne les universités qui

ont décidé de créer leurs propres ATE, pour faire partie de ce groupe qui capte les ressources

SEP, ceci en profitant de l’absence de contrôle du MINEDUC concernant l’utilisation des

fonds. D’après Carlos, les meilleurs professeurs, mais au moment de la mise en œuvre, ceux-

ci sont remplacés par d’autres consultants moins chevronnés.

Carlos : La plupart des universités sont devenues ATE, par exemple, nous allons

supposer que l’Université Catholique est devenue ATE, elle a mis ses meilleurs

professeurs dans le projet et ça lui a permis d’avoir du prestige […] en offrant ces

professeurs avec d’énormes CV […] Avec cela ils gagnent les appels d’offres, mais

après, quand ils doivent commencer à travailler, ils enverront d’autres professeurs. Il

faut avoir plusieurs clones pour gagner des adjudications en même temps à Chiloé, La

Serena et Concepción […] Il s’agit de beaucoup d’argent […].

7.5.5. Les ATE constituées ou gérées par d’anciens fonctionnaires du MINEDUC

D’autres logiques sont apparues dans le discours des participants sur les ATE

constituées par d’anciens fonctionnaires de MINEDUC qui profitent de cet avantage pour

s’adjuger les appels d’offres. C’est le cas de Leonardo qui a créé son ATE. Dans l’entretien

Repéré à https://ciperchile.cl/2014/11/19/sostenedores-vinculados-a-la-dc-recibieron-en-2013-mas-27

de-41-mil-millones-en-subvenciones-escolares/

Repéré à https://ciperchile.cl/2012/05/10/ley-sep-contraloria-revela-masiva-perdida-de-recursos-28

destinados-a-educacion-de-los-mas-pobres/

!259

individuel que j’ai filmé, j’ai pu voir les transductions suivantes dans son discours concernant

le fonctionnement du répertoire ATE. Leonardo a été engagé pour diriger une ATE qui à son

tour a été engagée par une autre de plus grande taille.

Leonardo : Nous constituons une grande ATE et nous sommes connus dans le

Ministère, nous avons des contacts avec toutes les parties [...] Cette ATE, qui est de

taille moyenne, a été sous-traitée par une autre plus grande. Nous travaillons avec de

nombreuses municipalités à la fois et certaines d’entre elles ont plus de dix

établissements. Au contraire, ma propre ATE n’a jamais obtenu une adjudication. Il

est très difficile de concurrencer les grandes ATE.

Selon Carlos, il est impossible de soutenir la concurrence dans les appels d’offres avec

des sociétés comme celle que dirige Leonardo.

Carlos : Dans les ATE il n’existe pas uniquement des personnes naturelles comme

dans mon cas, dans la plupart des cas sont des entreprises formées par les mêmes

fonctionnaires du Ministère de l’éducation, lorsqu’ils se sont rendus compte que

c’était une grande affaire […] Il existe une danse de millions. Il serait étrange qu’ils

ne saisissent pas cette occasion […].

7.5.6. Les propriétaires des établissements qui financent d’autres comptes avec les

ressources de la subvention SEP

Pourquoi des établissements qui reçoivent la même quantité de recettes par des

subventions, ont ils des résultats SIMCE si différents ? À cet égard, j’ai vu apparaître une

autre logique dans le discours des consultants. Il y a beaucoup d’établissements qui n’utilisent

pas ces fonds en faveur des élèves. En fait, de nombreuses municipalités utilisent ces

ressources pour payer d’autres factures qui n’ont rien à voir avec les établissements scolaires.

Dans cet extrait du premier entretien filmé avec Carlos, cette nouvelle logique institutionnelle

peut être perçue.

Carlos : [...] Dans le cas des municipalités, qui sont aussi pauvres, certaines utilisent

l’argent pour boucher certains trous, pour payer d’autres dettes.

Chercheur : L’esprit de la loi était de ne pas faire de profit […].

Carlos : Ils utilisent l’expression rendre transparent le profit, ils ne disent pas

l’éliminer […].

!260

Chercheur : Aujourd’hui, est-ce qu’ils sont en train d’escroquer et voler les

étudiants ?

Carlos : Il me semble que les propriétaires des établissements, ceux qui ont été invités

à participer à toutes ces modifications, peu à peu, continuent de tordre le bras à cette

loi […] Oui, c’est comme ça […] je suis d’accord qu’il faut en finir avec cela, mais il

faut mettre l’accent sur les propriétaires d’établissements […] enlever tout cela à ceux

qui font une mauvaise gestion et une mauvaise utilisation des ressources [...] Ceci est

très pourri et maintenant la subvention ATE va commencer dans l’enseignement

secondaire. Imagine-toi que cela était limité à l’enseignement primaire.

C’est-à-dire que le faible contrôle et les faibles amendes contre la violation de la loi a

permis aux propriétaires de transformer cet argent des subventions en patrimoine personnel.

7.5.7. Certains propriétaires d’établissements ont créé leurs propres ATE pour frauder

le système

Il y a une autre logique présente dans le discours des participants. Les propriétaires

d’établissements qui créent leurs propres ATE à travers des tierces personnes pour frauder le

système de subventions. Ces ATE vendent des services à leurs propres établissements, des

services qui souvent ne sont pas réalisés. Ainsi, ils peuvent s’approprier des ressources

provenant des subventions, c’est-à-dire qui de toutes façons constitue une fraude.

Chercheur : En 2008 (lorsque j’étais consultant) une holding d’établissements m’a

appelé pour leur fournir des services au travers d’une ATE qu’ils avaient eux-

mêmes avaient créée, pour de cette façon, c’est ce que j’ai imaginé, recevoir des

fonds provenant de la subvention SEP de leurs établissements [...].

Carlos : Je sais de qui nous parlons.

Selon Carlos, ce problème ne peut être résolu sans contrôle fort de la part de l’autorité.

Les ressources, qui en théorie étaient pour les plus pauvres, ont enrichi certains propriétaires

corrompus d’ATE et d’établissements.

Carlos : Il n’existe aucun contrôle. Dans tout autre pays ils seraient tous emprisonnés.

Je te l’avais dit plus tôt. Si vous pensiez que le problème du profit était uniquement

avec les subventions des élèves, la fraude avec les ressources SEP des propriétaires

des ATE et des établissements est considérable. Nous devons parler de millions de

!261

dollars [...] Il n’y a personne pour superviser […] donc cela permet un peu plus de

liberté et certains propriétaires ont dilapidé l’argent […] qui était censé servir pour les

enfants les plus pauvres […] L’éducation, en général, n’a pas changé ces dernières

quatre années [...] En fait ils n’ont pas contrôlé dans quoi les établissements

dépensent leurs ressources [...] Une école peut recevoir 6 millions de pesos par mois

[...] en fonction de la quantité d’enfants vulnérables [...] mais les propriétaires

les utilisent pour accroître leur patrimoine personnel. Avant le contrôlé était plus strict

[…] Nous avons accepté de faire ces choses et nous avons donné plus d’argent aux

lycées pauvres et avec cela nous devrions être OK […] mais la question ne se résout

pas […] Il y a beaucoup d’argent qui a été mis sur la table, mais l’argent n’est

pas parvenu à résoudre les problèmes.

Chercheur : La solution du MINEDUC surprend : il faut certifier la qualité des ATE

[...].

En écoutant les consultants, on a l’impression qu’il s’agit d’un grand butin pour les

propriétaires d’écoles et lycées qui ont trouvé le moyen de contourner l’esprit de la loi SEP

(2008) en créant eux-mêmes ou par l’un de leurs proches une ATE de manière à trianguler des

fonds, en détournant la subvention par des ATE dont ils sont propriétaires. La Surintendance

de l’éducation ne peut pas vérifier s’il existe des contrats entre des sociétés ayant des liens

entre elles. Ni non plus si des surcoûts ont été facturés.

D’après ce que disent les consultants, une pratique courante consiste à mettre en

place, d’un commun accord avec le propriétaire d’établissement, un surcoût pour ensuite

répartir cet excédent. Une autre forme de contournement du système est d’étoffer illégalement

les dépenses de location des propriétés où du fonctionnent des établissements, c’est devenu

une pratique généralisée pour masquer de manière significative les bénéfices et porter atteinte

aux règles fiscales et à l’esprit de la loi de ne pas faire de profit avec l’éducation.

7.6. Des transductions dans le discours des consultants provoquées par les

incohérences du modèle de certification de la qualité

!262

7.6.1. Les écoles qui certifient et n’améliorent pas leurs résultats

J’ai pu entendre également le fait que des établissements qui passent par le processus

de certification et d’évaluation externe, en dépit d’avoir installé les 52 indicateurs de gestion,

n’améliorent pas leurs résultats au SIMCE.

Antonia : [...] Mais après nous avons examiné les données, et nous ne trouvons rien.

Chercheur : Il y a des établissements qui, en dépit de respecter tout, de s’être

transformés eux-mêmes en une véritable machine de gestion, conformément au

modèle, ne progressent pas dans leurs résultats, au SIMCE par exemple ?

Leticia : […] Aucune idée de ce qu’ils font. Ils disent : nous sommes un bon collège,

tout fonctionne correctement, mais tu vois les résultats ne s’améliorent pas […].

Chercheur : Est-ce qu’il y a vraiment des établissements qui semblent une máquina

(machine), avec tous les indicateurs installés, mais qui ne améliorent pas leurs

résultats, est-ce vrai ?

Leonardo : Il y avait une école où le chef était un collègue consultant de FS comme

nous, il avait appliqué le modèle avec beaucoup de rigueur […] Si tu voyais l’école,

elle satisfait tous les rituels techniques et de gestion qui sont à la base du modèle […]

l’école avait des systèmes, protocoles de fonctionnement, etc. […] avait une

planification stratégique, un projet éducatif, etc. […] il y avait tout […] en termes de

gestion, impeccable, mais les résultats ne venaient pas […].

Lucía : Il y a certains établissements qui sont très ordonnés, alors ils ont tous les

indicateurs, toutes les preuves […] très ordonnés.

Carlos : Certainement, je m’aperçois que la plupart des établissements qui ont installé

le modèle de qualité [...] si tu révises les indicateurs, ils sont très bien, chacun avec

ses évidences, tout ça, et toutefois tu vois que les résultats ne s’améliorent pas [...] Je

suis plus ou moins convaincu de cela, parce que je connais, au moins trois

établissements où tu peux voir que la gestion est une horloge […] les chefs ont tout

ordonné, mais il ne semble pas y avoir une incidence sur le travail des enseignants

[...] Selon l’expérience que j’ai eu, les établissements qui ont été certifiés en qualité

n’ont pas une tendance à l’amélioration […] La gestion aide, mais il y a d’autres

facteurs, il y a d’autres variables.

!263

7.6.2. Découvrir qu’on ne peut pas améliorer la qualité de l’éducation sans observer et

analyser ce qui se passe dans la salle de classe

L’ancienne logique institutionnelle des consultants était qu’améliorer seulement la

gestion de l’établissement serait suffisant pour améliorer les résultats des étudiants. « Moi, je

me souviens de ce que Brunner disait au début de 2000 qu’environ 10 % des résultats

pourraient s’améliorer avec une bonne gestion scolaire » (Carlos). Il ne semblait pas

nécessaire, par exemple, de procéder à des observations de ce qui se passe dans les salles de

classes avec les élèves et leurs enseignants ou d’analyser les pratiques d’enseignement. Mais

maintenant, j’ai pu saisir une nouvelle logique institutionnelle à cet égard, certainement

produite par des interférences entre ce qui est prévu, souhaité, et ce qui se passe effectivement

dans les établissements qui installent des indicateurs de gestion. Cependant maintenant, selon

certains participants, l’installation des 52 indicateurs n’est pas suffisante pour améliorer les

résultats d’apprentissage des élèves.

Chercheur : Tu crois vraiment qu’en améliorant seulement le management dans un

établissement, sans toucher la structure du système complet, nous

pourrions parvenir à une meilleure éducation, développer un meilleur système

scolaire ?.

Leonardo : Le modèle est ainsi. Il a été défini comme un modèle de gestion scolaire,

non curriculaire […] une caractéristique du modèle de FS est qu’il ne demande pas

d’entrer dans la salle de classe. Tu vas observer seulement la gestion [...] tu peux

avoir certaines conditions de gestion, qui peuvent donner de bons résultats, mais cela

n’est pas toujours ainsi. Ce n’est pas la manière de résoudre le problème des résultats

[...] Ce n’est pas nécessairement en s’acquittant des protocoles de gestion qu’on va

obtenir de bons résultats […].

Gabriel : Ce modèle aborde la gestion scolaire, rien de plus.

Leticia : Rien ne nous empêche d’aller voir dans les salles de classe […] Mais nous

devons construire des instruments pour pouvoir avoir un rapport beaucoup plus

objectif [...] nous n’avons pas l’opportunité de le faire […].

Face à la question : « si vous pouviez améliorer le modèle de FS, que devrait-il inclure

qui n’est pas encore dans le dispositif ? » (Chercheur), tous les consultants ont fait valoir

!264

qu’un modèle qui atteste de la qualité scolaire et qui ne s’intéresse pas en ce qui se passe dans

la salle de classe, entre le professeur et les élèves, est manifestement incomplet.

Carlos : […] Les consultants vont dans l’établissement et ne voient pas les enfants,

c’est-à-dire qu’ils constatent qu’il faut faire plus, alors cela n’a pas beaucoup de sens.

Je pense qu’on doit prêter attention aux élèves […] Je crois qu’il faut mettre d’autres

indicateurs […] il faut avoir une discussion […] il faut revoir pourquoi ce que les

enfants apprennent aujourd’hui, n’est pas aussi important pour eux. Alors, pourquoi

des élèves vont être attentifs dans une classe ?.

Leonardo : La seule chose qui m’a manqué est de voir des classes […].

Malgré les adaptations au modèle de la qualité scolaire de FS, ses concepteurs n’ont

jamais jugé important ce qui se passe dans la salle de classe. Selon eux, un bon management

est suffisant pour avoir un impact sur les résultats de l’apprentissage des élèves. Enfin, la

gestion, selon de Gaulejac (2006), est présenté comme un « outil parfaitement neutre destiné à

optimiser le fonctionnement des organisations », mais il est certain que la gestion est ce qui a

le moins de neutralité. Bien au contraire, selon l’auteur, son caractère idéologique véhicule

« une représentation du monde ».

7.6.3. L’existence d’un label de qualité pour les pauvres et d’un label de qualité pour les

riches

Les trois modèles de qualité FS, SACGE et SAC ont tous établis un score SIMCE

minimum pour que les établissements puissent être considérés comme de qualité. Dans le cas

du premier modèle de pilotage par la qualité de FS, qui est le précurseur des deux autres

modèles publics, il met en tant que condition pour des établissements qui

répondent aux familles à faibles revenus un score minimum acceptable de 250 points et pour

des établissements qui s’occupent de familles de plus de ressources, un minimum de 300

points.

Ces logiques institutionnelles des membres du staff de FS sur cette espèce de

discrimination positive qui font des écoles qui s’occupent des enfants vulnérables n’ont

évolué. Le dispositif de recherche permet d’activer le même discours il y a dix ans. Selon eux

pour diminuer les effets ségrégatifs du SIMCE les résultats ne doivent pas être interprétés de

la même manière dans tous les types d’établissements. Ils affirment qu’un établissement où

!265

vont des élèves provenant des groupes stratifiés comme vulnérables, obtenir une valeur

SIMCE sur la moyenne est plus important que dans un autre établissement où étudient des

étudiants à revenus plus élevés.

Pendant l’entretien collectif filmé tant Antonia que Leticia déclinent cette logique

institutionnelle de compensation par le biais de la discrimination positive des établissements

où sont les étudiants issus de familles de moins de ressources. En effet, FS, lorsqu’il s’agit

d’établissements qui s’occupent d’enfants vulnérables, exige un moindre score SIMCE pour

recommander la certification. Selon eux, cela se fait avec l’intention de ne pas exercer de

discrimination, comme s’il était posible d’effacer, de cette façon, les inégalités entre classes

sociales et les effets ségrégatifs du test SIMCE.

Antonia : [...] Un collège qui se présente à la certification, il faut avoir un standard

minimum de base, au moins dans la moyenne de son groupe socioéconomique,

idéalement, un point plus haut, pour faire une comparaison beaucoup plus juste.

Leticia : […] La FS également exige plus de score SIMCE aux écoles privées, les

plus chères. On ne peut pas donner le label de qualité à Santiago College avec 260

points.

Antonia : Regarde, le SIMCE va totalement de la main du type d’enfant, si tu as un

établissement de haute vulnérabilité, obtenir 260 est une grande réussite, mais si tu as

un collège d’un environnement socio-économique plus élevé, 260 points est une

honte.

Leticia : […] Un établissement plus vulnérable peut avoir installé le système et

atteindre 260 points, mais si tu vas dans un autre collège de la classe moyenne, la plus

élevée, tu peut trouver facilement un établissement avec 260 points dans le SIMCE,

nonobstant il n’a pas installé le modèle de qualité […].

Mais Carlos, lors du deuxième entretien individuel filmé, lorsque je lui ai restitué mes

résultats, a affirmé que le fait que FS exige un moindre score SIMCE des établissements

scolarisant des enfants vulnérables est, au mínimum, contradictoire. Ce que FS dit entre les

lignes, est qu’il ne s’agit pas d’un problème de gestion, mais d’un moindre capital culturel.

Les mêmes effets ségrégatifs du SIMCE entraînent des erreurs dans l’évaluation de la qualité

des établissements. En effet le label de qualité pourrait être octroyé à des écoles qui ne le

méritent pas. De même, on peut commettre l’injustice de refuser le label à d’autres

!266

établissements qui tentent d’améliorer leurs résultats SIMCE mais pour qui c’est difficile

parce qu’ils reçoivent les enfants issus des familles à faible capital culturel.

Carlos : On a un label de qualité pour les pauvres et un label de qualité pour les

riches. Cela ne me semble pas correct [...] En effet, lorsque FS accorde la certification

de qualité aux établissements qui accueillent des enfants de maigres ressources, ils

disent : nous allons exiger un moindre score SIMCE, un minimum de 250 points, mais

ils leur demandent aussi d’installer tous les indicateurs du modèle. Si un collège

scolarise les enfants de familles ayant plus de ressources nous allons demander 300

points. Ensuite, dans une même liste, ils ordonnent les établissements qui ont réussi

aux plus grands standards de qualité et apparaissent plus haut dans la liste des

établissements les pauvres et les riches. Ce type de discrimination positive semble

être une tentative de dissimuler ce qui ne va pas bien dans le système.

Un pays qui cherche à avoir deux types d’établissements, les uns de qualité pour les

pauvres et les autres de qualité pour les riches, est un pays qui cherche à avoir deux types

d’individus.

7.6.4. Le label de qualité comme manière de démontrer artificiellement un certain

leadership

La raison pour laquelle les propriétaires délèguent aux chefs d’établissement la gestion

de leurs propres affaires, est qu’ils vont utiliser leur expertise gestionnaire pour rendre

rentable l’entreprise familiale.

Ensuite, le label de qualité représente pour les directeurs une occasion d’exposer leurs

attributs de chef, pour se distinguer des autres collègues chefs d’établissement. D’ailleurs,

exposer la certification dans le curriculum pourrait signifier un grand avantage sur la

concurrence, par exemple, pour obtenir un nouveau poste. En fait, le label de qualité est une

forme de démonstration de sa capacité de gestion. Donc, cela a beaucoup à voir avec le

narcissisme du directeur ou du propriétaire de l’établissement. Dans l’entretien individuel

avec Leonardo j’ai pu percevoir cette nouvelle vision concernant l’obtention du label de

qualité qui est en réalité une tentative de prouver artificiellement une bonne gestion de la part

des dirigeants des établissements :

Leonardo : Le label ne signifie pas que l’établissement a une meilleure offre.

!267

Dans le premier entretien individuel avec Carlos, j’ai retrouvé cette idée :

Chercheur : Mais tu ne penses pas que c’est un risque aussi d’entrer dans un

processus de certification, car le chef d’établissement peut échouer à obtenir le label

de qualité ?

Carlos : Ces établissements n’avaient pas besoin d’avoir le label de qualité. Pourquoi

ce directeur le fait ? Parce que il avait des difficultés pour démontrer son leadership

par rapport aux autres chefs des autres établissements dans le même congrégation. Il

voulait que son lycée soit le premier avec ce label […] je vais être le premier de ma

congrégation.

Enfin, les dispositifs de gestion offrent des ressources à chaque manager pour

revendiquer sa propre place dans l’organisation. Ils se sentent obligés d’adopter un dispositif

de gestion pour éviter d’être considérés comme négligents s’ils ne suivent pas la même

tendance. Pour cette raison, ils vont imiter les autres chefs pionniers, ce qui correspond à un

usage opportuniste (Boussard, 2009b). En fait, pour bien faire son travail, le directeur est

formé par des savoirs en gestion et le travail du chef d’établissement est légitimé par ce logos

gestionnaire (Boussard, 2009a). Il n’existe rien de plus opportuniste que le benchmarking des

solutions de gestion adoptées par des organisations similaires. Cela n’est pas seulement pour

mettre en scène le logos gestionnaire général, mais pour défendre aussi leur légitimité à

intervenir sur les problèmes de l’organisation.

7.6.5. Le label de qualité donne la possibilité aux propriétaires d’établissements de faire

du profit

L’ancienne logique institutionnelle concernant l’obtention d’un label de qualité

permettait de maintenir ou d’accroître le nombre d’élèves et par conséquent les revenus des

propriétaires d’établissements comme j’ai pu l’entendre dans les entretiens individuels filmés

avec Lucía, Gabriel et Leonardo :

Lucía : Il faut lutter pour maintenir le nombre des élèves et la seule façon est avec

qualité.

Gabriel : Avoir, dans la vitrine de notre collège, le label de qualité nous donne une

distinction à l’intérieur de la communauté [...] Il nous permet de recevoir des fonds

publics.

!268

Leonardo : J’ai ce label de qualité de FS [...] donc je peux vendre mon établissement

comme un bon collège […].

Mais, une autre nouvelle logique institutionnelle concernant la relation entre la

certification et la possibilité pour les établissements de dégager plus de bénéfices avec le label

de qualité a pu également être saisie pendant l’entretien individuel avec Carlos :

Chercheur : C’est-à-dire que ce label de qualité permettra de mieux concurrencer les

autres ? Cela permet aux propriétaires de gagner plus de subventions ?.

Carlos : Il était conçu pour les établissements privés ou subventionnés mais il est

difficilement concevable pour les établissements municipaux […] Il peut servir de

propagande, pour avoir plus d’élèves, plus subventions, plus de ressources.

Chercheur : Donc, le label de qualité favorise le profit ?.

Carlos : Oui, tout à fait.

Chercheur : Et aussi la ségrégation ?.

Carlos : Oui, si cela peut arriver.

7.6.6. Les différences entre le modèle de la qualité de FS et les modèles publics SACGE

et SAC

Selon certains participants les trois modèles de qualité sont similaires dans leur

conception, en fait les domaines de gestion considérés par ces évaluations sont presque les

mêmes.

Lucía : Dans le SACGE, tu dois faire un plan d’amélioration dans les quatre zones

[…] qui ne sont pas identiques mais qui sont assez liées […] Il n’est pas différent du

modèle de gestion de la qualité de FS.

Leticia : De plus, ils utilisent les mêmes quatre domaines.

Les consultants décrivent aussi les différences entre les deux modèles : le public et

celui de FS. En effet, le principal avantage des modèles publics de pilotage par la qualité

SACGE (2004-2014) et SAC, en vigueur depuis 2014, sur le modèle de FS, est qu’ils ont pu

s’institutionnaliser avec l’aide de la loi puisque les établissements ne peuvent plus éviter

d’être évalués. Dans l’entretien collectif filmé de Leticia et Antonia j’ai pu saisir la vision

suivante sur les différences entre le modèle de certification de FS et le modèle public de

l’ACE.

!269

Leticia : En plus, le modèle de la qualité publique a été maintenant super validé avec

l’ACE et avec la loi SEP [...].

Antonia : Les établissements ne peuvent pas refuser l’évaluation de l’ACE, par

contre, l’évaluation externe FS est une visite qu’ils choisissent volontairement pour

obtenir un label de qualité.

Dans les entretiens individuels de Leonardo et Carlos, j’ai pu recueillir la même

vision :

Leonardo : Avec le SACGE nous avons atteint tous les établissements du pays […].

Carlos : Une mauvaise évaluation peut signifier que les établissements perdent

l’autonomie [...] Le SACGE était similaire au modèle de FS, mais il était un peu plus

long. Aujourd’hui, le modèle public SAC est réussi [...] Ils ont également ajouté et

précisé des indicateurs [...] C’est le modèle dans l’éducation primaire et secondaire du

pays […].

De plus, les consultants voient une différence en faveur du modèle de qualité de FS. Ils

estiment que la pondération du SIMCE de 67 % du SAC de l’ACE est excessive et qu’elle va

ordonner les établissements en groupes, selon les scores SIMCE, elle ne va par contre pas

octroyer un label de qualité comme le fait FS.

Antonia : Quel est la différence avec nous ? L’Agence ne certifie pas, en revanche

nous certifions.

Leticia : L’importance que le modèle de l’ACE donne au SIMCE est très élevée [...].

Une autre différence selon les membres du staff est que dans le SAC, l’établissement

ne peut pas se préparer.

Antonia : L’ACE prévient 48 heures avant qu’il va se rendre à l’école. Alors, c’est un

terme super court [...] Pour évaluer si l’établissement répond aux normes qui sont

fixés par eux, mais dans le modelé de FS, lorsque des établissements demandent

l’évaluation, c’est qu’ils se sentent sûrs de réussir.

Enfin, une autre différence importante est que le SAC va mettre l’accent sur les

établissements ayant de mauvais résultats.

Antonia : L’Agence va s’occuper des écoles [...] de plus grande vulnérabilité [...] et

ayant de mauvais résultats.

!270

7.6.7. Les tensions éthiques que provoque la coexistence de deux dispositifs de qualité,

celui privé de FS et celui public du nouveau SAC de l’ACE

Enfin, les interférences institutionnelles provoquées par la coexistence des deux

dispositifs de qualité, celui de FS et celui de SAC et de l’ACE, ont eu des effets idéologiques

qui ont forcé une nouvelle logique institutionnelle:

Carlos : Alors, lorsque le propriétaire m’a dit : vous savez que nous avons terminé la

période de certification ? Selon toi, devons nous la demander de nouveau à CNCGE ?

Mais nous devons payer 3 millions de plus ? J’ai lui ai suggéré que c’est beaucoup

mieux d’attendre, de voir ce qui passe avec l’ACE […] Je dois être loyal avec lui. En

fait, moi-même, je ne le sais pas encore. C’est mieux, plus prudent, d’attendre un peu

[...] Je peux vous aider, je peux transmettre à votre équipe de direction certaines

façons de travailler pour que vous puissiez le faire vous-mêmes [...] pour éviter d’y

consacrer vainement de l’énergie et de l’argent [...] Tu ne dois pas demander

maintenant que FS fasse l’évaluation externe pour la certification, parce que la vérité

est que vous êtes très loin d’atteindre la certification [...] On fait un diagnostic et cela

va signifier au minimum un an [...] Je crois que vous ne devriez pas demander à FS

de venir effectuer l’évaluation, car l’établissement est vraiment très loin d’atteindre

la certification.

Mais cette acte éthique, selon Simondon (2005 [1964]) doit s’amplifier, se mettre en

relation, s’inscrire dans un réseau visant à construire un champ de résonance pour d’autres

actes ou ainsi les prolonger dans un champ de résonance. Une fois, d’après l’auteur, qu’il « est

bien structuré en réseau, c’est-à-dire qu’il y a une résonance des actes les uns par rapport aux

autres, non pas à travers leurs normes implicites ou explicites, mais directement dans le

système qu’ils forment et qui est le devenir de l’être » (p. 323). En fait, comme le dit

Ricœur (1991), la visée éthique est une bombe ayant une capacité à corroder les fondements

de la logique néolibérale.

Enfin, en dépit du fait que les consultants peuvent aller au-delà de leur idéologie

professionnelle « en produisant (leurs) propres repères pour la pratique » (Monceau, 2006, p.

57), cela ne signifie pas que l’idéologie professionnelle du consultant va disparaître

complètement (Monceau, 2006).

!271

7.6.8. Les familles ne choisissent pas les établissements en utilisant comme critère de

sélection le label de qualité de Fondation Schiller

Une autre transduction présente dans le discours des consultants concerne la stratégie

des parents pour choisir les établissements de leurs enfants. Une nouvelle logique

institutionnelle est que la qualité ne peut reposer exclusivement sur le critère de performance

des collèges à l’épreuve SIMCE et l’obtention du label de qualité. D’après Martinic (2010)

l’aspiration de tous les parents, peu importe le type d’établissement scolaire, est que leurs

enfants puissent entrer à l’université. C’est pourquoi l’épreuve la plus appréciée est la PSU, la

dernière bataille des élèves pour l’accès aux meilleures universités et les formations

universitaires les plus valorisées. Dans cette épreuve les élèves des classes défavorisées ont

très peu de chances. De fait les meilleures universités publiques reçoivent une grande majorité

de jeunes des classes favorisées. Dans les entretiens individuels de Leonardo et Carlos, ils

décrivent la façon dont les familles choisissent les établissements :

Leonardo : [...] Tu peux avoir un label de qualité, mais de nombreux pères ne

choisissent pas l’établissements pour le label de qualité.

Carlos : Lorsque les familles choisissent les établissements, ils ne prennent pas en

compte s’ils ont ou non un label de qualité. Ils le font presque toujours en pensant à

ceux qui vont être les compagnons de leurs enfants. S’ils envoient un enfant dans un

lycée public emblemático (phare), c’est parce que cet établissement reçoit les

meilleurs élèves et c’est une garantie de succès dans la PSU. Si une autre famille

envoie son enfant dans un établissement privé, elle le fait également en utilisant le

même critère. Ils ne veulent pas que leurs enfants soient mélangés avec des enfants

d’une classe sociale plus basse. Ils cherchent à s’aligner vers le haut dans l’échelle

sociale. C’est un critère classiste, c’est comme ça, par la faute du profit des

propriétaires des établissements.

Certes, les parents ne savent pas qu’un label de qualité signifie seulement que

l’établissement a satisfait à des protocoles et démontre surtout sa capacité bureaucratique pour

la collecte et la fabrication des données nécessaires pour réussir le processus d’évaluation

externe. Ils vont surtout considérer le niveau socio-économique des futurs compagnons de

leurs enfants qui est un critère beaucoup plus important pour eux, la barrière d’entrée étant le

prix. Les parents prennent soin de la socialisation de leurs enfants car ils savent que le type de

!272

société dans laquelle ils vivent est hautement compétitive, où les contacts, le pituto (les amis,

les contacts personnels), comme on dit au Chili, sont très importantes pour s’assurer un bon

emploi (Martinic, 2010). En fait, ils vivent dans un pays où la méritocratie républicaine n’est

pas la forme de l’ascension sociale. De fait, les dirigeants des entreprises les plus importantes,

viennent de seulement cinq lycées privés de Santiago où sont éduqués les plus riches. Ceci est

beaucoup plus important que le type d’université où sont ensuite effectuées leurs études.

Certains parents préfèrent des établissements avec une formation religieuse mais pas parce

qu’ils sont des personnes très croyantes, seulement parce que c’est de cette manière que se

renforcent les réseaux.

Selon Barrère (2009), « les choix des familles ne sont certes pas basés sur les seuls

critères de performance, mais synthétisent plusieurs types d’informations, où le nom d’élèves

issus de l’immigration, le climat et la sécurité jouent aussi un grand rôle » (p. 207). En fait, la

ségrégation urbaine, parle du peu de confiance que les parents ont dans la capacité des

établissements « à faire face à des publics majoritairement perçus comme

problématiques » (p. 208).

En guise de conclusion

Il y a des transductions dans le discours des participants à propos du SIMCE,

notamment de sa centralité dans les modèles de qualité de la FS et dans les deux autres

modèles publics, en particulier dans le nouveau modèle de pilotage par la qualité SAC, où il y

a maintenant une pondération de 67 %.

Désormais ils déclinent négativement leur implication dans le SIMCE, parce qu’il

établit vraiment une discrimination selon eux. De plus, ils ont déjà commencé à remettre en

question la valeur du SIMCE comme critère d’efficacité des établissements. On observe aussi

une remise en cause de la nécessité de publier et diffuser par la presse les résultats des

établissements.

Une autre remise en cause concerne la manière dont le curriculum, limité aux contenus

du SIMCE, a des effets négatifs sur le professionnalisme des enseignants et incite certains

propriétaires et chef d’établissements à quelques pratiques frauduleuses pour augmenter

artificiellement leur score. De plus l’idée apparait que le profit des propriétaires des

établissements serait associé, maintenant, à une mauvaise qualité du service éducatif.

!273

J’ai pu également percevoir, concernant le fonctionnement des ATE avec les

ressources provenant de la loi SEP (2008), que tous attendaient la mise en place d’un système

d’appels d’offres plus transparent. Selon les consultants, la loi SEP a entraîné l’apparition

d’un « butin » pour les ATE. Celles qui profitent abusivement de ces ressources sont souvent

constituées par des opérateurs politiques, par anciens fonctionnaires du Ministère et par des

entreprises qui n’ont rien à voir avec l’éducation mais qui ont profité de la grande quantité de

ressources et du manque de contrôle. En fait, les programmes de vouchers n’ont pas atteint

leurs objectifs d’excellence académique et n’ont pas amélioré l’équité dans les systèmes

éducatifs comme l’a déjà dit Mons (2004b).

Enfin, j’ai pu saisir d’autres logiques institutionnelles causées par certaines

incohérences du modèle de certification de la qualité de FS. Par exemple, certaines écoles qui

ont obtenu la certification n’améliorent pas leurs résultats. Apparait ici le paradoxe de vouloir

améliorer la qualité de l’éducation sans observer et analyser ce qui se passe dans la salle de

classe. De même pour la coexistence d’un label de qualité pour les pauvres et d’un label de

qualité pour les riches. En outre, il est maintenant considéré par certains consultant qu’il

s’agit plutôt d’une manière de démontrer artificiellement un certain leadership, ce qui donne

la possibilité aux propriétaires d’établissements qui obtiennent la certification d’en tirer

d’autres avantages.

Résumé du chapitre

Ce chapitre a présenté les résultats à la troisième question de recherche, que j’avais

formulée de la façon suivante : Quels effets produisent les interférences entre les différentes

logiques institutionnelles qui traversent leurs pratiques sur le discours des consultants ?

En construisant un dispositif filmique qui a condensé les discours des sept consultants, qui les

a croisés entre eux et qui les a mis en rapport avec les contextes professionnels, institutionnels

et politiques dans lesquels ils exercent leur travail, je pense avoir saisi la manière dont les

interférences entre logiques institutionnelles traversent les discours des consultants. C’est

ainsi qu’à travers leurs discours apparait la complexité de l’institutionnalisation du pilotage

par la qualité au Chili.

Ci-après seront présentées les conclusions de la recherche.

!274

Conclusions

Le réseau de réformes globales en éducation

La principale raison de mon intérêt pour étudier le modèle du pilotage par la qualité de

la Fondation Schiller est qu’il me semblait évident que le dispositif d’accountability (reddition

de comptes) en éducation était précurseur d’un autre dispositif qui s’est récemment

institutionnalisé dans notre pays avec l’Agence de Qualité de l’Éducation. Comme le disait

Lourau, dans la première variation de son livre Implication, transduction (1997a), il est

important d’analyser la production de subjectivité, parce que c’est là que peuvent se cacher les

forces de domination et d’exploitation prêtes à nous objectiver, à parasiter notre subjectivité.

Pendant la période où je participais comme consultant à cette institutionnalisation

(2003-2006), j’avais pu constater comment les consultants réalisaient un processus de

traduction avec la boîte à outils dont ils disposaient pour travailler dans les établissements :

les questionnaires d’auto-évaluation, le rapport d’auto-évaluation, le plan d’amélioration et la

matrice de 52 indicateurs pour contrôler les progrès dans la saturation de preuves pour chacun

des indicateurs. Mais tout ceci se faisait sans organiser de journées de réflexion et d’analyse

avec les acteurs les plus concernés, c’est-à-dire les élèves et les enseignants. L’idée semblait

être que l’équipe qualité de chaque établissement devait travailler à huis clos au processus

d’amélioration et ceci uniquement dans le domaine de la gestion en laissant au dehors et à

d’autres les autres dimensions comme la pédagogie.

Une autre chose qui avait fortement attiré mon attention était l’habileté avec laquelle

la Fondation Schiller gérait les moyens de communication et les stratégies de marketing pour

appuyer le processus d’institutionnalisation du dispositif. Tout cela était un peu aliénant parce

que le dispositif tournait autour du SIMCE bien que l’efficacité de celui-ci soit très contestée

(Mena & Corbalán, 2010).

Aujourd’hui, la pression du SIMCE, selon Weinstein, Fuenzalida et Muñoz (2010), est

considérée comme ayant un caractère homogénéisant et standardisant qui rigidifie les

pratiques des enseignants et des cadres de l’établissement et laisse peu de marge pour agir

avec plus de liberté et trouver des solutions plus créatives.

Le problème de la coexistence de deux types de régulations, celle du quasi-marché et

celle de l’État évaluateur, est que cela stresse inutilement les établissements et nuit notamment

!275

aux établissements municipaux qui doivent à la fois être en concurrence avec les

établissements subventionnés et répondre aux exigences ministérielles (Martinic, 2010).

Au début des années 2000, aucun d’entre nous n’osait remettre en cause les

implications idéologiques des membres du Conseil, y compris l’absence d’indicateurs

correspondant aux dimensions pédagogiques. Le fait de ne pas prendre en compte les

dimensions pédagogiques était même considéré comme la preuve d’une neutralité

idéologique.

En somme, le dispositif de FS légitimait le développement d’une logique d’entreprise

dans les établissements et constituait une invitation à ignorer une fois les aspects qualitatifs

des processus institutionnels.

Toutes les politiques et réformes éducatives que nous avons connues dans les trente

dernières années étaient orientées par les mêmes « politiques supra-nationales » (Mons,

2004b). Il s’agit donc d’une seule grande réforme globale conservatrice et d’inspiration

libérale (Duru-Bellat & Meuret, 2001). L’OCDE et la Banque Mondiale, en association avec

d’autres organismes internationaux, ont encouragé une décennie auparavant (Grek, 2009) le

pilotage par la qualité dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Si les pays se distinguent

les uns des autres dans les spécificités de mise en œuvre de ces politiques nous pouvons

trouver des convergences en termes de pilotage (Malet, 2009).

Toutefois en dépit de l’ampleur de ces réformes décentralisatrices, elles ne semblent

pas très visibles pour les acteurs (Pérez-Roux & Salane, 2013).

Ces politiques se fondent sur l’hypothèse que le moteur du changement pédagogique

serait la motivation de l’individu pour éviter les sanctions ou pour obtenir des récompenses.

Cependant, ce feedback opéré par les résultats des évaluations, ne serait pas suffisant pour

produire des transformations qui puissent améliorer la qualité de l’enseignement. D’après des

auteurs comme Hanushek et Raymond (2002), une partie de cet effet est plus ou moins

automatique, mais dépend aussi du développement d’autres incitations explicites conduisant à

l’innovation, à l’efficience et à l’augmentation des performance. De plus, Mons (2009) écrit

que le lien n’a pas été établi entre les différentes formes d’accountability et la réduction des

inégalités scolaires d’origine sociales. Elle conclut qu’il n’a pas été trouvé d’association forte

entre les dispositifs d’évaluation et l’efficacité des établissements.

!276

Des acteurs humains impliqués dans ce réseau de traduction

Selon Latour (2008), toute chose ayant une incidence sur une situation donnée est un

acteur. Pour cette raison les questions à se poser sur tout acteur sont simplement les

suivantes : De quelle façon exerce-t’il une incidence sur d’autres acteurs ? Existe-t’il une

preuve permettant de détecter cette incidence ?

En premier lieu, le terme acteur-réseau souligne l’incertitude qui peut être à l’origine

de l’action (Latour, 2008). Comme cela s’avère être le cas ici, même si nous connaissons bien

les concepteurs du modèle de la qualité de FS, nous ignorons les autres groupes intéressés qui

éventuellement peuvent avoir réalisé différentes négociations nécessaires pour parvenir à

produire un niveau d’accord suffisant. Ma recherche n’avait pas pour but de démontrer la

présence d’autres réseaux de traduction ou des autres acteurs qui travaillent en arrière-plan. Il

était suffisant pour moi d’en observer les traces.

Ensuite, il ne faut pas chercher à faire porter les responsabilité à un sujet individuel.

D’après Foucault (1976), s’en abstenir est beaucoup plus complexe et plus puissant. Comme

tout dispositif, dans un réseau socio-technique, il n’y a pas de concepteur clair, identifiable,

mais il y a plutôt de grandes stratégies anonymes. Comme l’écrit Nascimento (2010), ces

micropouvoirs peuvent être « présents dans un champ de forces hétérogènes, dont la

distribution se fait en réseaux, souvent invisibles, mais quotidiennement actifs et produisant

des processus de subjectivation » (p. 152).

Les concepteurs du réseau de traduction

Les concepteurs du réseau de traduction, en plus de créer des institutions pour faire

circuler leurs énoncés, le CNCGE et le réseau national des consultants, ont aussi eu une

intervention active pour définir une liste d’acteurs humains et non humains. Avec l’aide de

leurs collaborateurs, ils ont étalonné les objets techniques de la boîte à outils du dispositif,

c’est-à-dire les questionnaires d’auto-évaluation, la plate-forme informatique, le rapport

d’auto-évaluation, le plan d’amélioration, la matrice d’indicateurs et le rapport d’évaluation

externe. Ces accords sur l’étalonnage des outils ont permis de réduire voire de supprimer les

risques de divergences avant leur intégration à la chaîne de traduction (Callon, 2006b).

Le pouvoir du storytelling (Simonet, 2009) est utilisé pour imposer un récit d’action

aux acteurs humains. Ainsi, afin de rendre plus efficace le scénario, une chaîne de traduction a

!277

été conçue autour des objets techniques de la boîte à outils. Les concepteurs ont incité les

membres du staff et les consultants à faire des choses qu’ils n’auraient jamais faites d’eux-

mêmes. Encouragés par l’OCDE et la Banque Mondiale, ils ont transformé un élan social

(dont le mouvement des étudiants contre la « crise » de l’éducation) en un dispositif

d’évaluation qui va de soi pour les membres du staff et les consultants, comme s’il était

devenu leur inconscient.

Les conseillers ont également produit d’autres opérations de traduction pour mobiliser

les énoncés du pilotage par la qualité. Certains d’entre eux écrivent des articles sur le pilotage

de la qualité, parlent avec la presse, soutiennent des discussions avec le ministère dans leurs

rôles d’experts en qualité scolaire. Leurs actions et leurs relations ont eu des effets durables

sur le réseau de traduction, ceci à partir de la production et de la diffusion d’outils et de

procédures sur lesquels ils sont parvenus à créer un consensus.

Les consultants impliqués deviennent, pour un temps défini, des porte paroles du

dispositif de pilotage par la qualité

Les nouvelles méthodes de domination ne peuvent pas fonctionner sans l’aide de

professionnels hautement engagés (Dejours, 2006). Pour reproduire des dynamiques de

pouvoir il convient donc de disposer de « serviteurs zélés » (Dejours, 2006). En fait, ce

processus de traduction de l’innovation n’aurait pas pu être possible sans la surimplication

(Lourau, 1990) de consultants, comme ceux qui ont participé à cette recherche. Ils sont

devenus porte paroles et médiateurs de l’innovation par une succession d’associations

mobilisant les objets techniques et les membres des équipes qualité des établissements

scolaires.

Ce petit groupe de consultants correspond à un groupe ayant des caractéristiques

uniques, ce sont ceux qui ont réussi à s’adapter à tous les mouvements institutionnels que la

Fondation Schiller a réalisés pour maintenir en vigueur son modèle de certification de la

qualité malgré les changements de politiques éducatives. Cependant ces mutations

institutionnelles (Pérez-Roux & Balleux, 2014) ont perturbé leurs logiques et ont affecté

négativement leur implication professionnelle.

Selon Callon (2006a), lorsque naît un réseau de traduction, il met en œuvre une boîte

noire (Callon, 2006a). Cette boîte noire j’ai pu la saisir dans un moment de crise

!278

institutionnelle : la création de l’ACE. La Fondation Schiller y a répondu par un mouvement

institutionnel visant à maintenir et renforcer son réseau de traduction dans ce nouveau

contexte. J’en ai retrouvé la trace dans les discours des consultants appartenant à ce groupe,

en particulier sous forme de contradictions institutionnelles comme cela apparaît dans mes

résultats.

Les autres consultants, ceux qui ne sont pas pris en compte dans cette recherche, ne

sont plus actifs dans le réseau. Ils sont probablement passés par un processus d’anomie

professionnelle comme moi, c’est-à-dire d’un processus de professionnalisation et

d’institutionnalisation à un processus inverse de désinstitutionnalisation, qui aboutit à la

désimplication affective et idéologique et enfin à la déprofessionnalisation (Aballéa, 2013).

L’angoisse des consultants est produite par l’absence du transindividuel (Simondon,

2005 [1964]). En effet, la Fondation Schiller ne visait pas à définir un projet collectif pour

maintenir les consultants mobilisés. Au contraire, une fois qu’ils ont accompagné un

établissement et obtenu une attestation comme consultant, c’est la FS elle-même qui a brisé la

relation, entrant même en concurrence avec eux pour les appels d’offres.

L’efficacité d’un réseau de traduction pour installer le pilotage de la qualité dans

le système scolaire

Ce réseau de traduction a réussi à se stabiliser et à se renforcer, en dépit de

l’incertitude qu’a générée l’apparition précoce d’un modèle propre du MINEDUC, le

SACGE, et la faiblesse de la demande de certification des établissements. En effet, le réseau

semble n’avoir jamais cessé de progresser. La raison est qu’un réseau de traduction est

constitué par de multiples et successives interactions qui les rendent, de plus en plus forts

(Callon, 1986). En fait, une nouvelle traduction peut contribuer à modifier, à transformer, à

contredire, mais peut aussi renforcer les traductions antérieures (Latour, 2008). L’efficacité de

ce type de réseau de traduction réside dans leur longueur, leur stabilité, leur degré

d’hétérogénéité (Callon, 2006a). Certes, ce réseau a pu s’arrêter parfois, d’autres fois il a pu

s’accélérer, mais en dépit de tous ces aléas, il a gagné en stabilité et peut encore devenir plus

stable.

!279

Décrire le scénario de la chaîne de traductions autour des objets techniques

L’avantage d’un réseau socio-technique est qu’il n’est pas constitué uniquement de

liens sociaux. En effet, s’il dépendait exclusivement des liens sociaux, il aurait des difficultés

pour étendre les effets de ses actions dans le temps et dans l’espace.

Les objets techniques participent à la construction de la réalité et ils sont capables de

fabriquer l’action dans l’interaction avec des personnes (Maroy et al., 2012). Cela est vrai

dans notre cas, le scénario des opérations de traduction a été écrit autour des objets techniques

(Akrich, 2006), à travers les innombrables et successives interactions entre eux, les

consultants et les membres des équipes qualité des établissements. C’est en particulier les cas

pour les opérations d’écriture du rapport d’auto-évaluation et pour le plan d’amélioration.

Toutes ces interactions fondées sur la rédaction de ces documents ont contribué au maintien et

au renforcement de la chaîne de traduction et de la production des énoncés du pilotage par la

qualité (Callon, 2006a).

Les opérations de traduction qui n’ont pas été mises en œuvre

Toutefois, malgré la succession de déplacements et de changements d’échelle, qui sont

la source de toute innovation (Latour, 1983), ce processus de traduction du dispositif vers les

établissements se concentrait sur le chef d’établissement et son équipe de direction.

Nul doute que le fait de consulter l’opinion des élèves, des enseignants et des parents à

travers les questionnaires lors du processus d’auto-évaluation, les conférences ou ateliers pour

les préparer à la visite d’inspection et leur participation à la cérémonie de remise du label

qualité sont des actions importantes dans la chaîne de traduction. Cependant, les étudiants,

dont le mouvement de protestation avait interrogé la qualité de l’éducation, sont finalement

traités comme des acteurs passifs. Par ailleurs, le fait de ne pas rechercher la participation

active des enseignants peut apparaître comme une manière de nier leur professionnalisme.

Le processus de traduction pour institutionnaliser le pilotage par la qualité s’est fait

sans problématiser et, évidement, sans inclure les dissidences. Pourtant, des opérations de

problématisation pourraient multiplier les moments de traduction afin de renforcer les acteurs

et développer une capacité accrue des acteurs et démocratiser l’innovation (Callon, 1986). En

d’autres termes, à instituer dans le groupe un dialogue et une plus grande liberté d’expression

(Guattari, 1972). Au contraire, le dispositif a été installé en limitant les possibilités

!280

d’interaction entre acteurs humains clés, tels que les enseignants, les élèves et les parents ainsi

qu’avec les acteurs non humains du réseau socio-technique.

S’il n’existe aucune opération de traduction dans laquelle on envisage la participation

des enseignants et des élèves, pendant le processus d’élaboration du diagnostic, du plan

d’amélioration et de la mise en œuvre des améliorations, c’est certainement que ce dispositif

n’était pas pensé comme un outil de changement.

Lorsque les propriétaires des établissements emploient un consultant qui a de

l’expérience comme évaluateur externe, tels que les participants à cette recherche, en plus de

se libérer d’une charge de travail, ils confient la tâche à un étranger qui n’a pas de contact

avec les élèves, les enseignants et les parents. La relation est alors limitée au consultant et à

son client.

Cependant le réseau de traduction a été renforcé en dépit d’être privé de certaines

opérations de traduction impliquant certains acteurs potentiels. Les nombreuses opérations de

traduction effectuées pour la mise en place du dispositifs dans plus de mille établissements a

ainsi rendu le réseau capable de résister à d’éventuelles contre-traductions, de se renforcer et

de devenir plus stable.

Qu’est-ce qui a été traduit avec ce réseau ? : L’idéologie dominante des conseillers

Il ne fait aucun doute que la sélection des indicateurs sur lesquels se construisent des

objets techniques n’est pas neutre, n’est pas désintéressée. En effet, près de la moitié des

conseillers du CNCGE sont des représentantes des propriétaires des établissements privés et

subventionnés laïcs et religieux qui tirent profit de l’éducation. Ils souhaitaient avoir des

établissements plus efficaces et rentables. En fait, ces indicateurs n’émergent pas de la réalité

des établissements mais plutôt de l’esprit des membres du Conseil et sont inspirés par les

systèmes de management de l’entreprise.

Ce modèle de certification se fonde sur le jugement expert des conseillers , en 29

agissant comme modèle de vérité, comme un savoir-pouvoir (Foucault, 2004a). La procédure

d’évaluation externe se résume à faire circuler entre les conseillers le rapport élaboré par

l’évaluateur externe, après une visite d’inspection de trois jours dans chaque établissement.

Le CNCGE est composé d’un président et de douze conseillers.29

!281

Cette mise en circulation vise à confronter les subjectivités et corriger les imperfections

propres à l’objectivité quantitative, à objectiver la subjectivité (Zarka, 2009).

Le dispositif de pilotage par la qualité de FS, n’est ni plus ni moins qu’une tentative de

contrôler les comportements des professionnels de l’établissement, d’homogénéiser leurs

pratiques professionnelles. Maintenant, avec l’Agence de Qualité, on veut aller plus loin dans

ce processus d’homogénéisation des pratiques de gestion en contrôlant plus rigoureusement

les résultats au SIMCE.

Certes, la mesure des apprentissages des élèves, comme ceux qu’ils obtiennent au

SIMCE, constitue une intervention idéologique. Comme déjà indiqué, lorsqu’on décide quel

contenu mesurer, on décide d’en laisser d’autres de côté (Apple, 1995).

Mais l’intervention idéologique est plus large, parce que les établissements sont

classés explicitement dans le système, principalement par leur score SIMCE, qui dans le

nouveau modèle de la qualité de l’ACE, le SAC, a une pondération de 67 %. Les

établissements qui ne satisfont pas aux objectifs SIMCE peuvent perdre leur autonomie dans

leur usage des subventions. L’établissement peut même être fermé.

C’est-à-dire, finalement, qu’un modèle « dur » d’accountability a été choisi,

comportant peu de réflexion de la part des enseignants, parents et élèves (Maroy & Voisin,

2014).

La légitimation de la reproduction de l’inégalité

Mais qui profite de cette innovation ? Cette innovation ne semble bénéficier qu’aux

groupes qui fixent l’agenda politique, reproduisant le modèle néolibéral en éducation (Apple,

1996). De fait, les créations récentes de l’ACE et de la Surintendance par le MINEDUC sont

un reflet de la volonté d’exercer plus de contrôle sur les établissements financés par l’État. En

fait, les établissements privés, où vont les enfants des dirigeants, ceux qui ne nécessitent pas

d’être financés par des fonds publics, ne vont pas à être contrôlés.

Actuellement, sont discutées des lois qui visent à en finir avec le profit et la sélection

des étudiants, celles-ci semblent aller à l’encontre des principaux objectifs de l’agenda

néolibéral, peut-être constituent-elles une concession provisoire (Apple, 1996). Le

mouvement des étudiants avait constitué une contre-traduction mais ce mouvement avait aussi

contribué à l’institutionnalisation du pilotage par la qualité (Apple, 1996).

!282

Les administrateurs du ministère, les conseillers du CNCGE et ceux de l’ACE,

s’abritent sous un même « parapluie idéologique ». Tous sont également attachés à l’idéologie

véhiculée par les dispositifs de reddition de comptes et la culture de l’audit. Le discours

méritocratique permet de dissimuler temporairement les inégalités sociales (Apple, 2015).

Ceux qui perdent dans ce type de dispositifs ?

Constatons tout d’abord qu’un système de reddition de comptes beaucoup plus strict,

comme celui de l’ACE, exerce un contrôle plus fort sur les établissement scolarisant les plus

pauvres et laisse beaucoup de liberté aux autres. Les grands perdants sont les étudiants des

établissements qui reçoivent des subventions. En fait, selon Apple (1996), un système de

curriculum et de tests d’évaluation nationale exacerbe les différences de sexe, de race et de

classe sociale lorsqu’il manque de ressources humaines et matérielles.

Avec l’ACE, la centration sur les scores SIMCE est encore plus forte. Si ces réformes

néolibérales sont souvent présentées comme de grandes opportunités d’enrichissement de la

professionnalité (Demailly, 2016), a contrario, la centration sur les scores SIMCE fait

craindre un appauvrissement du professionnalisme et de l’autonomie professionnelle des

enseignants (Maroy, 2012).

Demailly (2016) utilise le terme uberisation pour désigner les nombreux effets

négatifs, comme par exemple la fragmentation des groupes profesionnels, la diminution de

l’autonomie professionnelle ou plus largement la détérioration de la professionnalité.

La rhétorique de la qualité

Probablement, nous sommes en présence d’une rhétorique, qui selon Gori (2011),

appelle en permanence à l’objectivité, mais sans rigueur méthodologique. En effet, vouloir

saisir la complexité de cette réalité par la construction d’une batterie d’indicateurs ou d’un

indicateur composé est « largement illusoire » (Guillaume, 2009).

Ainsi, comme le dit Foucault (2004a, 2004b), l’art de gouverner repose sur

l’exaltation de la notion de liberté, d’où surgit automatiquement la nécessité de la protéger.

L’auteur a qualifié cet art de tromperie puisqu’il consiste finalement à mettre en œuvre des

dispositifs de sécurité.

!283

En fait, l’institutionnalisation du discours de la qualité s’explique par la capacité de la

machine capitaliste, comme le dit Guattari (2007), à fabriquer de la subjectivité au niveau

international, avec les équipements collectifs et les média de communication de masse dont

disposent les États bourgeois.

Certes, l’idéologie gestionnaire, selon de Gaulejac (2006), a envahi l’ensemble de la

société et ses responsables. Les hommes politiques l’appliquent massivement comme

méthode de gouvernement. Pour être efficace, selon l’auteur, il faut gérer la société comme

une entreprise.

Selon Barrère (2013), il est très difficile de critiquer ces dispositifs parce qu’ils

prennent en charge des objectifs généraux qui sont difficiles à remettre en cause. Par exemple,

qui pourrait refuser d’améliorer, dans notre cas, les apprentissages des élèves et la gestion des

établissements. En outre, par rapport à de grands changements structurels, les modifications

proposées par ces dispositifs sont modestes, ne nécessitent pas de grandes justifications. Une

autre manière de rendre incontestables ces logiques, est de déplacer l’attention sur les objets

techniques.

Le problème, selon Gather Thurler (1997), du management par la qualité est que les

étudiants ne peuvent pas être considérés comme un simple « bout de la chaîne de

production », qui subissent passivement les effets de l’activité éducative. Ceci est

manifestement une grande erreur parce qu’ils sont les principaux partenaires dans le processus

d’apprentissage et de développement.

Dans le même sens, Casassus (2010) dit que la logique narrative d’un dispositif de

pilotage par la qualité basé sur des standards est facile à comprendre. C’est justement à cause

de cette simplicité que les standards en éducation disposent de tant de pouvoir au sein des

politiques éducatives. Ce qui est dangereux et grave dans ce sens commun, selon l’auteur, est

de croire qu’il est si évident qu’il serait absurde de le remettre en cause.

Alors, il est raisonnable de douter de ce type de dispositifs

Il est raisonnable de douter de la validité d’un label de qualité. Il est certain qu’un

processus de certification de la qualité est une invitation faite aux professionnels de simuler,

mentir, déformer, enjoliver, nier la réalité pour obtenir le label de qualité (Dejours, 2006).

Dans notre cas, pour un établissement c’est aussi simple que de gérer des preuves pour chacun

!284

des 52 indicateurs et fabriquer des données manquantes. Rien de plus. Un établissement peut

même confier cette tâche à un consultant pour être bien sûr d’avoir atteint le standard avant de

demander la visite d’inspection.

Le succès de la Fondation Schiller dans le processus de certification est lié à l’illusion

de fabriquer des preuves, qui ne sont pas la réalité. De fait les établissements qui fabriquent

des preuves ne changent pas leur fonctionnement, ce qui change est l’évaluation mais pas

l’activité réelle.

L’illusion que nous appelons l’évidence ne renseigne en rien sur la réalité de

l’établissement, elle est comme un monde à côté. Ceci nous amène à la question du transfert

de ce succès qui n’est pas un succès mais le dispositif d’évaluation lui-même. En effet, les

objets techniques produisent une illusion de l’évidence. Il y a l’idée d’une production de

données, d’une analyse fondée sur des éléments de preuve, mais cette démarche de la

production de preuves n’est pas adaptée à l’ensemble du processus ou à toute réalité sociale. Il

s’agit de la création de l’illusion d’un monde à part qui parle de la réalité mais qui n’est pas la

réalité.

Les consultants qui ont participé aux entretiens individuels et collectifs de cette

recherche ont apporté une vision relativement homogène de la manière dont est mis en œuvre

le pilotage par la qualité dans les établissements scolaires chiliens. Pourtant ces consultants

ont des expériences, des formations et même des orientations idéologiques assez hétérogènes.

A travers leurs discours, on perçoit à la fois leur attachement à un idéal de qualité tel qu’il a

pu être porté par la Fondation Schiller mais aussi une déception directement issue de leurs

observations et expériences de terrain. Ils semblent vouloir croire que les problèmes qu’ils

observent résultent de mauvais comportements individuels ou collectifs mais qu’ils ne sont

pas directement liés au dispositif lui-même.

Il faut continuer à étudier ces réseaux de traduction

Cette logique d’accountability, qui a entraîné une augmentation de l’efficacité

constatée, a aussi produit une perte d’équité et un écart de réussite, de plus en plus important,

entre établissements (Dupriez, 2005).

Mais pourquoi ce type de politiques et de discours dominants subsiste-il ? La raison

principale, selon Apple (2015), c’est que le sens commun sur l’éducation est en permanence

!285

altéré. En fait, sur l’idée de transférer les modèles du management de l’entreprise à

l’éducation, de maintenir les administrateurs et les enseignants sous la pression de la

concurrence pour en obtenir une plus grande productivité, et ainsi améliorer le système

scolaire, il existe très peu de preuves à l’appui (Apple, 2006 ; Lipman, 2011).

Les concepteurs de ces modèles de qualité et tous les groupes de pouvoir qui les

soutiennent semblent être immunisés contre l’évidence empirique et voient dans le

néolibéralisme une espèce de religion (Apple, 2001). Bien que les solutions proposées pour

améliorer les normes de qualité puissent être de bonne foi, il est problématique qu’ils ignorent

l’importance des processus démocratiques, des désaccords, des questions complexes. Ils

préfèrent ignorer la voix d’autres acteurs comme les étudiants. De fait, les demandes de ceux-

ci semblent être uniquement utilisées pour maquiller leurs propres propositions et poursuivre

la réforme néolibérale.

Il y a trois réseaux de traduction du modèle de la qualité ayant le même objectif 30

d’installer le pilotage par la qualité de notre système scolaire. La raison pour laquelle les trois

modèles de FS, le SACGE et le SAC sont assez similaires, c’est qu’ils font partie d’un même

réseau de traduction et que les concepteurs du premier modèle de pilotage par la qualité sont

impliqués dans la création des deux autres modèles. Selon Brunner (2007), le modèle de

certification de la qualité de FS a servi de guide pour la création du premier modèle public de

qualité, le SACGE (2003). Enfin, le modèle de la qualité SAC de l’ACE, qui a remplacé

l’ancien modèle SACGE, a aussi été piloté par FS durant l’année 2014, pour évaluer ses

méthodologies. Alors, il n’est pas étonnant que les zones du modèle de la qualité de l’ACE et

ses indicateurs soient très similaires à celui du modèle de FS. D’ailleurs, un conseiller du

CNCGE de FS est maintenant également conseiller de l’ACE. C’est ainsi que ces réseaux de

traduction ont mis en place leur propre cohérence. Tous font partie d’une chaîne de traduction

globale. En effet, ce sont la Banque Mondiale (2007) et l’OCDE (2004) qui ont recommandé

d’opérationaliser le concept de qualité et de constituer des standards ou des indicateurs, pour

que la qualité puisse s’observer et se mesurer afin que les établissements puissent être

contrôlés par la reddition des comptes (Hopkins, 2007).

Les trois modèles dont nous parlons sont le modèle de la qualité de FS et le modèle SAGCE du 30

MINEDUC, en vigueur dans les périodes 2003-2006 et 2008-2013 et le SAC de la nouvelle ACE, en vigueur depuis 2014.

!286

Dans un article sur le modèle de gestion scolaire de la qualité, les cadres du

programme, Weinstein et Uribe (2010), affirment l’importance du leadership dans le pilotage

par la qualité de FS comme suit :

Le développement de l’expérience de certification de la qualité de la gestion scolaire

a été pertinent pour introduire une «culture de la qualité» dans le système scolaire

chilien [...] la qualité du service éducatif est maintenant un droit exigible par les

citoyens et c’est un devoir de l’État d’en sécuriser le respect de la part des

fournisseurs du service [...] un système d’assurance de la qualité (est nécessaire pour

fixer) des normes minimales que les prestataires du service pédagogique doivent

obligatoirement respecter (Weinstein & Uribe, 2010, p. 201).

Un dispositif d’évaluation « à enjeux élevés », selon Rozenwajn et Dumay (2014),

comme celui de l’ACE, va probablement relancer une série de pratiques non pédagogiques, va

provoquer l’inflation des scores aux épreuves externes, c’est-à-dire gonfler artificiellement les

scores. Le problème est que si tel est le cas, il n’est pas possible de bénéficier de l’effet miroir

de la preuve SIMCE.

De plus, l’évaluation est un processus qui peut aussi dégrader les relations de travail

entre les professionnels, consommer leurs énergies qui pourraient être utilisées dans d’autres

activités allant dans l’intérêt d’une meilleure éducation (Dejours, 2006).

Il semble qu’un dispositif d’accountability réflexive pourrait avoir quelques effets

positifs pour les enseignants qui deviendraient ainsi praticiens réflexifs, et les directeurs

pourraient devenir animateurs pédagogiques (Dupriez & Mons, 2011). De fait, l’expertise et

l’autonomie de réflexion sont caractéristiques du professionnalisme et sont évidemment

nécessaires dans l’enseignement (Champy, 2009 ; Tardif & Lessard, 1999).

Une recherche comme la mienne, sans avoir la prétention d’être politique, est contre-

hégémonique (Gramsci, 1971). J’ai écrit, sans le savoir en commençant, une thèse critique du

modèle chilien qui a été un pionnier dans la mise en œuvre des vouchers et agendas

néolibérales. J’espère que ce travail qualitatif va laisser au lecteur la possibilité de découvrir

lui-même d’autres dimensions que je n’aurais pas vues, affiner les conclusions et interroger

l’importance que revêt aujourd’hui le pilotage par la qualité comme dispositif de contrôle.

!287

Bilan sur le dispositif de recherche

L’objectif méthodologique de cette thèse était aussi de construire un dispositif

expérimental, que je peux qualifier de « dispositif filmique socio-clinique », qui me

permettrait de favoriser l’implication des sujets participants à la recherche en provoquant des

transductions dans leurs discours. Pour cela, mon dispositif visait une condensation des

discours des consultants dans une suite d’entretiens individuels et collectifs avec sept

consultants impliqués depuis le début dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité

dans le système scolaire chilien. Bien sûr, les séquences filmées ne constituent qu’une partie

des données de la recherche puisque celle-ci intègre aussi l’étude de la littérature scientifique

et de la boîte à outils des consultants. Néanmoins, ces séquences filmées constituent le cœur

de ma recherche, là où se condensent les discours, là où les tensions et contradictions

institutionnelles sont perceptibles.

Certes, le dispositif a stimulé ma propre pensée et la production d’insights, tout au

long de la thèse. Les images pouvaient être revues à tout moment au cours de l’écriture du

mémoire. En fait, la répétition des images dans de petites capsules éditées thématiquement

permet de vérifier si les thématiques retenues atteignent une saturation suffisante (Strauss &

Corbin, 1998).

D’autre part, la répétition des images a rendu possible une espèce de transe, le

lancement d’un autre champ de cohérence (Ravatin, 1985) permettant d’avoir une

compréhension globale de la réalité des consultants, une sorte de voyage dans le temps qui

permet de réaliser de nouvelles liaisons entre des observations, des discours et des écrits. La

répétition des images a été une espèce de switch dans le champ de cohérence, pour aller d’un

champ de cohérence cartésien à un autre qui ne l’est pas. La répétition des images des deux

entretiens collectifs m’a permis de mieux comprendre la déception de mes collègues, ainsi

que leurs émotions. Par exemple, les regards attestant de la complicité d’Antonia et Leticia

lorsque David parle. C’est la répétition des images qui m’a permis de constater leur attitude

de soumission apparente au discours de leur supérieur hiérarchique. C’est quelque chose qui

serait certainement passé inaperçu s’il n’avait pas été visible dans la répétition des images

vidéo.

!288

Je connaissais en partie la situation de mes anciens collègues ainsi que le dispositif de

pilotage par la qualité mis en œuvre au Chili. Cette connaissance antérieure m’a aidé mais elle

a aussi pu m’aveugler (Kohn, 2001). Le dispositif filmique socio-clinique, par la mise à

distance qu’il produit lorsque les images sont révisées et lorsqu’un plan de montage est

produit, a aussi un effet d’objectivation.

L’organisation de temps de restitution, d’abord avec les consultants ayant participé à la

recherche, prolongera ce travail de thèse et élargira l’analyse des pratiques des consultants et

de l’évolution de leurs implications professionnelles.

Comme c’est toujours le cas en analyse institutionnelle, c’est dans l’analyse des

tensions et contradictions vécues par les sujets dans leurs rapports à l’institution que cette

dernière se dévoile. Ma recherche n’est donc ni « micro » ni « macro », elle vise à éclairer un

processus d’institutionnalisation à partir des implications de ceux qui le vivent, ceci sans

prétendre le décrire dans sa globalité. La complexité que ma recherche met en évidence

interroge fortement la supposée rationalité du pilotage par la qualité.

!289

!290

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Glossaire des sigles et des abréviations utilisés

ACE : Agence de la qualité de l’éducation

BID : Banque Interaméricaine de Développement

CMC : Cycle d’amélioration continue

CNCGE : Conseil national de certification de la gestion scolaire

DAEM : Direction de l’administration de l’éducation municipal

FS : Fondation Schiller

FONDEF : Fonds d’encouragement au développement scientifique et technologique

ITT : International Telephone and Telegraph

LGE : Loi générale de éducation

LOCE : Loi organique sur la qualité de l’éducation

LPT : Programme lycée pour tous

ME : Programme meilleure école

MECE : Programme d’amélioration de la qualité et l’équité de l’éducation secondaire

MINEDUC : Ministère d’éducation

ML : Programme meilleur lycée

NGP : Nouvelle Gestion Publique

OCDE : Organisation pour la coopération et le développement économiques

OEA : Organisation des États américains

PIRLS : Progress in International Reading Literacy Study

PISA : Programme international pour l’évaluation des étudiants

PME : Projet d’amélioration de l’éducation

PPD : Parti pour la Démocratie

PSU : Épreuve de sélection universitaire

PUC : Université catholique pontificale

RELPE : Réseau latino-américain de portails éducatifs

SAC : Système d’assurance de la qualité

SACGE : Système d’assurance de la qualité de la gestion scolaire

SE : Surintendance de l’éducation

!319

SEP : Subvention scolaire préférentiel

SIMCE : Système de mesure de la qualité de l’éducation

ERCE : Étude régionale comparative et explicatif

TIMSS : Trends in International Mathematics and Science Study

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’enfance

!320

Liste des figures

Figure 1 : Tableau récapitulatif des outils. 128

Figure 2 : Tableau récapitulatif des versions de montage. 141

Figure 3 : Tableau récapitulatif du total d’établissements qui ont complété le processus d’auto-

évaluation proposé par FS. 213

!321

!322

Résumé

« L’institutionnalisation du pilotage par la qualité des établissements scolaires chiliens. La boîte à outils des consultants » Le système scolaire chilien a été parmi les premiers à instaurer un « pilotage par la qualité ». La Fondation Schiller a été l’un des principaux acteurs de cette institutionnalisation et le précurseur de la création de l’Agence de Qualité de l’Éducation chilienne en 2011.

Le but de cette recherche doctorale est de découvrir comment les consultants en qualité de la Fondation Schiller ont utilisé les objets techniques (Simondon, 1989) de leur boîte à outils pour influer sur l’implication des chefs d’établissements et de leurs équipes dans le processus d’institutionnalisation du pilotage par la qualité. Il s’agit également de découvrir comment ce dispositif a agi sur les implications professionnelles des consultants eux-mêmes.

Comme tout dispositif pris dans un réseau socio-technique (Callon, 1986), il n’y a pas de concepteur clairement identifiable mais plutôt de grandes stratégies anonymes. Cependant le dispositif a été créé en appui sur les rapports de la Banque Mondiale (2007) et de l’OCDE (2004) recommandant d’opérationnaliser le concept de qualité.

Les trois questions de recherche qui ont guidé ce travail ont été les suivantes : Quels sont les effets des évolutions institutionnelles de la Fondation Schiller concernant la traduction du pilotage par la qualité dans le système scolaire sur l’implication professionnelle des consultants ? Quelles sont les opérations de traduction (Callon, 1986) exécutées par les consultants, en utilisant les objets techniques de leur boîte à outils, pour influer sur l’implication des chefs et des propriétaires d’établissements scolaires dans l’institutionnalisation du pilotage par la qualité ? Quels effets produisent les interférences entre les différentes logiques institutionnelles qui traversent leurs pratiques sur le discours des consultants ?

Le champ de cohérence scientifique de cette recherche est celui de l’analyse institutionnelle (Lamihi & Monceau, 2002). Dans celui-ci, le concept d’implication est central et constitue une clé instituante d’une autre manière de faire la recherche (Monceau, 2013). Cependant, si l’implication est souvent considérée comme un outil d’auto-réalisation (Thévenet, 2002) et de productivité (Le Strat, 1996), il peut également être mobilisé comme un outil d’aliénation (Monceau, 2003a).

Sept des dix anciens collègues du chercheur, toujours actifs comme consultants ont participé à cette recherche.

Le dispositif de recherche a eu pour objectif prioritaire de permettre l’expression individuelle et collective des consultants pour faire émerger leurs implications en provocant des transductions dans leurs discours. La collecte des données empiriques a été effectuée à travers des entretiens individuels et collectifs, enregistrés en vidéo (Pesce, 2017). Le dispositif

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filmique a facilité la mise en réflexivité (Lallier, 2009 ; Rouch, 1979) des consultants sur leurs parcours et leurs pratiques au sein de la Fondation Schiller.

Pour élargir le champ d’analyse, quelques outils propres à l’analyse institutionnelle ont été intégrés au dispositif. Il s’agit tout d’abord de l’utilisation des analyseurs qui ont surgi des entretiens, ce que Lourau (1978) nommait des analyseurs naturels. J’ai également effectué une restitution des résultats avec celui des participants qui a été mon informateur privilégié, ceci afin d’affiner mes analyses. Enfin, l’écriture d’un journal de recherche a été essentielle pour l’analyse de mes propres implications primaires et secondaires en tant que praticien-chercheur.

Bien que cette recherche qualitative, de type socio-clinique (Monceau, 2012), ne vise pas à évaluer l’impact positif ou négatif du dispositif de pilotage par la qualité au Chili, ses résultats apportent une meilleure connaissance de la manière dont les consultants agissent sur les implications d’autres acteurs tout en étant eux-mêmes transformés par l’institutionnalisation du dispositif de la Fondation Schiller.

Mots clés : accountability, institutionnalisation, implication, traduction, socio-clinique, transduction.

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Abstract

« The institutionalization of the pilotage by the quality of the chilean schools. The toolbox of consultants »

The Foundation Schiller was one of the main actors of this institutionalization and a precursor of the creation of the Agency of the Quality of the Education in 2011.

The purpose of this doctoral research is to discover how the consultants in quality of the Foundation Schiller have used the technical objects (Simondon, 1989) of their toolbox to influence the implication of school principals and their teams in the process of institutionalization of the pilotage by the quality. It is also to discover how this apparatus has acted on the implications of professional consultants themselves.

As any apparatus caught in a socio-technical network (Callon, 1986), there is no clearly designer identifiable but rather broad strategies anonymous. However, the apparatus has been created in support on the reports of the World Bank (2007) and the OECD (2004) recommending to operationalize the concept of quality.

The three research questions that have guided this work have been the following : What are the effects of institutional developments of the Foundation Schiller, to translate the pilotage by the quality in the school system, on the implication of professional consultants ? What are the operations of translation (Callon, 1986) which are executed by the consultants, using the technical objects from their toolbox, to influence the implication of principals and owners of schools in the institutionalization of the pilotage by the quality ? What the effects, on the discourse of the consultants, are produced by the interferences between the different institutional logics that cross their practices ?

The field of scientific coherence of this research is that of the institutional analysis (Lamihi & Monceau, 2002). In the latter, the concept of implication is central and constitutes a key instituting of another way of doing research (Monceau, 2013). However, if the implication is often considered as a tool for self-realization (Thévenet, 2002) and productivity (Le Strat, 1996), it can also be mobilized as a tool of alienation (Monceau, 2003a).

Seven of the ten former colleagues of the researcher are participated in this research.

The research apparatus had for priority objective to allow the individual and collective expression of consultants, to make emerge their implications and provoke transductions in their discourse. The collection of empirical data has been carried out through individual and collective interviews, all recorded in video (Pesce, 2017). The film apparatus has facilitated the reflexivity (Lallier, 2009 ; Rouch, 1979) of consultants on their backgrounds and their practices within the Foundation Schiller.

To broaden the field of analysis, a few specific tools of the institutional analysis have been integrated to the research apparatus. The use of the analyzers which have arisen out of the

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interviews, that Lourau (1978) appointed of natural analyzers. I have also carried out a restitution of the results with that of participants who was my informant privileged, this in order to refine my analyzes. Finally, the writing of a diary study has been essential for the analysis of my own primary and secondary implications as a practitioner-researcher.

Although this qualitative research, type socio-clinic (Monceau, 2012), is not intended to assess the positive or negative impact of the apparatus of pilotage by the quality in Chile, other than, the results, providing a better knowledge of the manner in which the consultants are acting on the implications of other actors while being themselves transformed by the institutionalization of the apparatus of the Foundation Schiller.

Key words: accountability, institutionalization, implication, translation, socio-clinical, transduction.

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