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Traités, parlamentos et le statut des nations amérindiennes

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Presses Universitaires du Midi is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caravelle (1988-). http://www.jstor.org Presses Universitaires du Midi Traités, parlamentos et le statut des nations amérindiennes Author(s): Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF Source: Caravelle (1988-), No. 63, 501 ANS PLUS TARD : AMÉRIQUE INDIENNE 93 (1994), pp. 175- 191 Published by: Presses Universitaires du Midi Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40852333 Accessed: 03-08-2015 14:52 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/ info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. This content downloaded from 129.194.8.73 on Mon, 03 Aug 2015 14:52:35 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions
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Presses Universitaires du Midi

Traités, parlamentos et le statut des nations amérindiennes Author(s): Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF Source: Caravelle (1988-), No. 63, 501 ANS PLUS TARD : AMÉRIQUE INDIENNE 93 (1994), pp. 175-

191Published by: Presses Universitaires du MidiStable URL: http://www.jstor.org/stable/40852333Accessed: 03-08-2015 14:52 UTC

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CM. H. L.B. CARAVELLE n° 63, pp. 175-192, Toulouse, 1994

Traités, parlamentos et le statut des nations amérindiennes*

PAR

Isabelle SCHULTE-TENCKHOFF Anthropologue - Geneve

vérité de convention de l'histoire du droit international veut qu'au XVIIIe et au XIXe siècles seule la "communauté des nations civilisées", regroupant les pays d'Europe auxquels s'ajouteront les

États-Unis d'Amérique, soit présente sur la scène internationale. Face à elle, une panoplie de peuples "barbares" ou de "tribus" qui - John Stuart Mill l'affirme sans ambages - n'ont pas de droit en tant que nations (Dörr 1991). Dans la pratique, les États dominants sont pourtant plus flexibles, si l'on considère les nombreux traités de droit international qu'ils ont conclus avec les peuples d'outre-mer.

C'est surtout la Grande-Bretagne qui se sert du traité comme un ins- trument privilégié de politique impériale pour démarquer doublement ses zones d'influence : face aux nations autochtones, et face aux nations rivales européennes (Jones 1982). Ainsi, de 1763 àl774, en douze ans à peine, la Couronne britannique négocie plus d'une vingtaine de traités en Amé- rique du nord, notamment avec les Creek, les Cherokee, les Iroquois, les Ottawa et les Wyandot.

Le plus souvent, il s'agit d'accords de paix, d'amitié et de commerce, stipulant parfois des cessions de terres à la colonie. A cette époque, le commerce avec les nations autochtones joue encore un rôle prépondérant, la pression proprement colonisatrice étant limitée à certaines régions. Dans un contexte où chaque puissance européenne cherche à contrôler,

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voire à éliminer ses concurrentes, les peuples amérindiens représentent des alliés potentiels. Forts du rôle stratégique qui leur est ainsi dévolu, ils réus- sissent à défendre l'intégrité de leurs territoires et à y maintenir leur juri- diction. Rien ne l'illustre mieux que la Covenant Chain unissant plusieurs nations indiennes groupées autour de la Confédération des Six Nations Iroquoises (Haudenosaunee) à une alliance européenne sous l'égide des Anglais établis dans l'actuel État de New York. Dans le cadre de ce pacte, toutes les décisions sont prises en consultation directe et entérinées sous forme de traités, chaque partie gardant sa souveraineté (Jennings 1984).

Autre grande protagoniste du "Nouveau Monde", l'Espagne semble s'être passée de conclure des traités dans sa conquête, voire sa "pacification" des peuples originels du "Royaume des Indes" - ou presque. Ainsi est-elle bel et bien contrainte de négocier des accords avec des nations autochtones établies à la périphérie de son vaste empire. Au nord, en Nueva Vizcaya, elle rivalise avec l'Angleterre et, dès 1776, avec les États-Unis pour obtenir les meilleurs conditions commerciales possibles des Choctaw et des Cherokee, avec lesquels elle conclut des traités dans les années 1780-90. Vers le sud, dans les basses terres qui ont échappé au contrôle centralisateur de l'empire inca, elle affronte des peuples qui résis- tent avec détermination à la conquête, notamment en Araucanie et dans le Chaco. Sans oublier l'exemple fascinant, du point de vue de la probléma- tique des traités, que représente la Misquitia, cette zone située à l'ouest du Nicaragua sur la côte Atlantique, restée sous influence britannique du dé- but du XVIIe jusqu'à la fin du XIXe siècle ; l'application de l' indirect rule y favorise des alliances avec des peuples autochtones et une certaine conti- nuité des structures pré-coloniales (Daza 1992).

Dans ce qui va suivre, ce sont toutefois les Mapuche du Chili qui joueront un rôle central, pour diverses raisons qui apparaîtront en cours de démonstration. Mais il faut ajouter tout de suite que l'"araucanisation de la pampa" d'une part, l'importance de la "guerre du désert" en Argen- tine pour l'histoire des traités d'autre part, font que les frontières natio- nales actuelles ne sont pas toujours pertinentes pour délimiter un sujet comme celui qui est abordé dans ces pages. Il convient de préciser d'autre part que la dénomination Mapuche est prise ici dans un sens large, pour désigner tous les groupes qui parlent le mapudungu.

La problématique des traités C'est donc dans le contexte de la guerra de Arauco d'une part, de la

campana del desierto - et des diverses expéditions militaires qui la précè- dent, d'autre part - que s'inscrit l'histoire des accords négociés avec les peuples autochtones du Cône Sud. Ainsi Villalobos (1989) énumère-t-il

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une vingtaine de parlamentos^ couvrant la période 1551-1882. Pour sa part, Martínez Sarasola (1992) évoque des traités nettement plus nom- breux mais de portée moindre, impliquant des communautés autochtones de la Pampa et du Chaco, aux XVIIIe et XIXe siècles.

Or, si la configuration spécifique des rapports politiques et juridiques créée à travers l'extension du système des traités aux peuples autochtones a déjà été amplement étudiée pour l'Amérique britannique2, on en sait nettement moins pour la zone hispano-américaine. On est même amené à penser que la question des traités y soit dépourvue d'intérêt, non pas aca- démique - puisqu'il existe des études, ponctuelles il est vrai - mais poli- tique et juridique. Car de nombreuses communautés indiennes en Amé- rique du Sud qui possèdent une tradition de traités restent plutôt silen- cieuses sur ce point dans leurs revendications. Plus précisément, on constate un certain décalage entre les demandes formulées face à la com- munauté internationale et celles adressées aux instances gouvernementales locales. Des organisations représentant des Mapuche tant du Chili que de l'Argentine (comme le Consejo de Todas las Tierras et le Comité exterior Mapuche ; voir aussi Gray 1990), des Mocovi et des Toba ont évoqué les traités à plusieurs reprises lors des réunions annuelles du Groupe de travail sur les peuples autochtones des Nations Unies, à Genève. Sans doute, l'étude actuellement en cours sur les traités entre peuples autochtones et États (voir Alfonso Martínez 1992) a également joué un rôle dans cette évolution. En revanche, à lire les revendications - pourtant détaillées - des Mapuche face au gouvernement de transition démocratique du Chili, aucun des traités ou accords historiquement documentés n'y est men- tionné (Alwyn & Besnier 1990).

Il n'est donc pas inutile de s'interroger sur le rôle que pourraient jouer les traités dans le débat sur le statut des communautés autochtones face aux états latino-américains qui les englobent aujourd'hui. Anticipons toute critique de passéisme en évoquant deux exemples parmi beaucoup d'autres, montrant que les traités historiques sont susceptibles de contri-

* Le terme de parlamento n'est pas aisé à traduire dans la mesure où il recouvre plusieurs réalités. Korth (1968 : 133) utilise le terme áz peace conference que j'ai repris à mon compte en parlant de "pourparlers de paix"; mais il est entendu qu'un autre aspect est fondamental, celui de la négociation d'accords ou de traités, peu importe au demeurant que ceux-ci soient fixés par écrit ou oralement.

2 La littérature à ce sujet est extrêmement riche. A titre d'exemple, citons l'inventaire que l'Institute for the Development of Indian Law (1973) - institution indissociable du nom de VineDeloria - a établi des centaines de traités conclus entre les nations indiennes et les États-Unis ; l'étude de Brown & Maguire (1979) et un récent numéro de Recherches amérindiennes au Québec (Bissonnette et al. 1993) donnent une idée de l'envergure du débat au Canada.

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buer à mieux cerner les droits actuels des peuples autochtones. Ainsi, le jugement rendu dans Simon c. R (1985 R.C.S. 387) par la Cour Suprême du Canada réaffirme les droits de chasse inscrits dans un traité conclu en 1752 entre la Grande-Bretagne et les Micmacs. En 1990, dans Le Procu- reur général du Québec c. Régent Sioui etc., la Cour Suprême entérine les dispositions d'un traité conclu en 1760 entre les Hurons-Wendat et la Couronne britannique garantissant, entre autres, le respect de la religion huronne.

Comme on le verra, la question de la pertinence globale de tels traités n'en reste pas moins posée. Du point de vue officiel, c'est le flou délibéré. Si la jurisprudence récente tend à confirmer, comme au Canada, certains droits de traité aux Indiens, elle ne reconnaît pas pour autant le caractère international des traités eux-mêmes ; elle part plutôt du principe qu'il s'agit d'instruments uniques qui ne sont ni engendrés ni abrogés selon les règles du droit international {Simon c. R.)> ou encore que les relations his- toriques avec les peuples autochtones se situent quelque part à mi-chemin entre le type de relations liant des États souverains entre eux et les relations qui existent entre un État et ses propres citoyens {Le Procureur général du Québec c. Régent Sioui etc.). Or, ces deux points de vue sont controversés - et pour cause, l'enjeu étant de taille. En attendant que le Rapporteur spécial sur les traités tranche définitivement, bornons-nous à poser le problème par rapport à l'histoire mapuche, en nous servant comme fil conducteur d'une situation déjà bien étudiée, celle de l'évolution de la po- litique des traités menée par le gouvernement des États-Unis vis-à-vis des nations indiennes.

Souveraineté et tutelle D'entrée, deux points méritent d'être soulignés à propos des peuples

autochtones d'Amérique du Nord. D'une part, pris à la lettre, les centaines de traités existants s'opposent à ce que les peuples amérindiens soient considérés d'emblée comme des sujets colonisés : aucun d'entre eux ne stipule que leurs signataires autochtones renoncent à exercer la juridic- tion dans les limites de leurs territoires, ou de ce qui leur en reste ; et au- cun d'entre eux n'a jamais été formellement abrogé. D'autre part, adop- tant le principe d'analyse qui veut que l'on ne peut évaluer le statut d'un fait ou d'une personnalité juridique du passé qu'en vertu du droit en vi- gueur à l'époque, le Rapporteur spécial a précisé ceci :

"Las investigaciones del Relator Especial lo han convencido de que, al entablar relaciones jurídicas oficiales con los indígenas norteameri- canos, las partes europeas tenían absolutamente en claro [...] un hecho

muy importante, a saber, que sin lugar a dudas estaban negociando y

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entablando relaciones contractuales con naciones soberanas, con todas las consecuencias jurídicas que este término tenía en quel momento para las relaciones internacionales" (Alfonso Martínez 1992 : § 138).

D'une manière genérale, les peuples autochtones parties à des traités avec la Couronne britannique ou ses successeurs territoriaux voient dans ces documents le fondement historique de leur souveraineté et, par voie de conséquence, de leur droit à l'autodétermination ; quant aux Etats concernés, ils y voient tout au plus l'une des sources du droit applicable à leur population autochtone. Que ces deux visions soient loin d'être com- patibles est attesté par le processus appelé domestication en anglais, terme désignant le transfert progressif de la gestion des rapports avec les nations amérindiennes du domaine des relations entre Etats à celui de la politique intérieure. Aux États-Unis, rien n'illustre mieux l'étrange mélange juri- dique résultant de ce processus que l'opposition entre "souveraineté tri- bale" et "principe tutélaire" - deux concepts qui circonscrivent, à eux seuls, toute l'histoire de la coexistence précaire entre Indiens et colons eu- ropéens.

Les États-Unis indépendants (1776) n'ont d'autre choix que de pour- suivre la politique menée pendant des générations par la Grande-Bretagne, en continuant à conclure des traités avec les peuples amérindiens. Il convient de rappeler à ce sujet que le nouvel État est littéralement encer- clé : par des nations indiennes militairement fortes, comme la Confédéra- tion des Six Nations Iroquoises (Haudenosaunee), et par les zones d'in- fluence de la Grande-Bretagne et de l'Espagne. Il y a donc lieu de s'inquié- ter d'alliances potentielles entre les unes et les autres, susceptibles de me- nacer l'État encore fragile. Il en résulte une politique quelque peu contra- dictoire, qui vise à la fois à maintenir la paix avec les Indiens et à élargir le territoire national ; dans ce contexte, les cessions territoriales obtenues par traité jouent bien évidemment un rôle central.

Avec le temps et l'affirmation de la position euro-américaine, le traité devient même un instrument de choix pour déposséder les Indiens. Si le Traité de Fort Pitt (1778) avec les Delaware stipule encore la nomination d'un représentant des tribus indiennes au Congrès - disposition qui ne sera toutefois jamais appliquée - une génération à peine suffit pour que les termes des traités soient nettement plus défavorables : le Traité de Greenville (1795) par exemple, conclu après la bataille de Fallen Timber et la défaite d'une coalition amérindienne menée par Tecumseh, stipule la cession d'un énorme territoire couvrant la majeure partie de l'actuel État d'Ohio. Après la guerre anglo-américaine de 1812 qui confirme la supré- matie des Etats-Unis, cette tendance se renforce.

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Guerre et paix en Araucanie Les historiens en conviennent : la caractéristique principale de la

conquête espagnole du Chili est l'affrontement interminable avec les Ma- puche. Pour finir, ceux-ci résisteront pendant plus de trois siècles à la domination espagnole d'abord, chilienne ensuite. Selon les spécialistes, le succès de cette résistance est du à plusieurs facteurs, dont le mode d'orga- nisation décentralisé de la société mapuche, son habitat favorable à la guerrilla, ainsi que la "mapuchisation"du cheval et des armes du colonisa- teur (à l'exception des armes à feu).

Dans le contexte de la guerre de l'Araucanie, une importance cruciale revient à l'organisation de pourparlers et à la conclusion d'accords négo- ciés fixés oralement ou par écrit, non seulement pendant le premier siècle de la présence espagnole (1550-1665) qui, selon la récente chronologie de Villalobos (1989), est le plus fortement marqué par les hostilités, mais en- core dès la moitié du XVIIe siècle, lorsque des relations plus pacifiques commen cent à prédominer.

Ce n'est donc guère un hasard si le XVIIe siècle, el siglo de los parlamentos selon la formule de Frias Valenzuela (1959 : 243), fut inauguré par la défaite de l'armée espagnole à Curalaba, en 1598. Après la destruction des établissements coloniaux en territoire mapuche (ceux de l'intérieur ne seront reconstruits qu'avec l'occupation de l'Araucanie dans la seconde moitié du XIXe siècle), l'Espagne se résigne en effet à négocier la paix avec les Mapuche. Elle le fait dans un esprit tout à fait pragmatique, étant engagée dans une guerre qui lui coûte cher, alors que réside en Araucanie une population espagnole et créole fort peu nombreuse.

Dans de telle conditions, la stratégie de la "guerre défensive" préconisée par l'Église, en premier le père jésuite Luis de Valdivia, est accueillie favorablement par la Couronne.

"A la corona se le abría una doble alternativa. Por una parte, llevar la guerra a sangre y fuego, para obligar al indígena rebelde a someterse. Por otra parte estaba el lograr la paz con el mapuche. Una línea divisoria o frontera natural separaría ambas sociedades. En la primera mitad del siglo XVII se intentó, sin éxito, desarrollar alternativamente una u otra política" (Zapater 1989 : 58).

D'après Valdivia, qui se situe dans la lignée des défenseurs espagnols des droits des Indiens comme Las Casas ou Vitoria, la raison de la résis- tance des Mapuche doit être cherchée dans les mauvais traitements qu'ils subissent aux mains du colonisateur, en particulier dans 1' encomienda et le travail forcé. Il suffirait donc de supprimer ceux-ci et de laisser évoluer les

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Indiens librement au contact de la société coloniale, notamment par le commerce et l'intervention missionnaire. A titre de précaution, seule une armée rudimentaire serait maintenue afin de défendre le territoire déjà conquis.

Les premiers pas en vue de cette paz armada (Frias V. 1959 : 245) sont franchis avec l'organisation de deux parlamentos à Paicavi et Capiray, en mai puis en décembre 1612. L'organisation de pourparlers de paix inau- gure donc une nouvelle étape dans la guerra de Arauco, jouant sur des rap- ports de force plutôt ambigus : l'initiative en vue d'une cessation des hostilités vient du roi, mais ce sont les Mapuche qui invitent notamment Valdivia à s'entretenir avec eux à Catiray (voir Zapater 1989 : 68-81 ; Korth 1968 : 177-38). Mais cette stratégie est de courte durée : la promulgation, en 1626, d'une cédule royale autorisant la mise en esclavage des Mapuche met officiellement un terme à la guerra defensiva.. En provoquant des incursions répétées des militaires hispano-créoles en territoire indien pour faire des captifs, elle ne fait qu'exacerber une hostilité latente qui affecte aussi la position des jésuites.

La guerre continue, de même que les victoires des Mapuche. Il faudra une accalmie relative pour que puisse se tenir le parlamento décisif du XVIIe siècle, celui de Quillin, en 1641. L'importance de cet accord réside moins dans le fait qu'il fournit le modèle de tous les accords ultérieurs jusqu'au dernier parlamento de l'époque coloniale réuni à Negrete en 1803, que dans la reconnaissance espagnole de la souveraineté mapuche. En effet, la Couronne reconnaît le fleuve Bio-Bio comme frontière avec les Mapuche et l'indépendance de ceux-ci dans la région s'étendant au sud jusqu'au río Toltén, qui échappe désormais à la Capitainerie générale du Chili (Bengoa 1985 : 33). Les Espagnols abandonnent aussi Angol, leur seule forteresse au sud du Bio-Bio. Mais il n'y a pas moins dans l'accord une certaine ambiguïté, dans la mesure ou il entérine la perte d'une partie non négligeable des territoires autochtones, ceux qui se situent précisé- ment au nord du Bio-Bio.

A partir des paces de Quillin et tout au long du XVIIIe siècle règne un climat relativement pacifique dans la zone de frontière, grâce à l'émer- gence d'une sorte de culture frontalière à laquelle concourent à la fois le commerce, le métissage, l'activité missionnaire et la transformation des méthodes officielles selon les conditions du milieu (Villalobos 1989) ; ce qui n'exclut nullement des flambées de violence, notamment en 1723 et en 1766, lorsque les Mapuche se soulèvent contre la colonie et les intérêts économiques et militaires établis (Casanova Guarda 1987). Les parlamen - tos font partie intégrante de la vie frontalière pendant tout le XVIIIe siècle, non pas pour assurer une paix qui règne déjà, mais pour servir de plate- forme permettant la négociation et la recherche de solutions aux pro-

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blêmes courants. Selon Casanova Guarda, ce système s'est à tel point sta- bilisé que les violences sporadiques ne parviennent pas à le mettre en péril (1987:47).

Le parlamento de Negrete de 1 726 est généralement vu comme le mo - dèle des divers pourparlers de paix. A Negrete, il y a accord sur les points suivants :

"1) Los indios debían deponer las armas ; 2) reconocerse vasallos del rey de España ; 3) enemigos de los enemigos de éste ; 4) no oponer resis - tencia al restablecimiento de fuertes al sur del Bío-Bío en caso que la corte lo dispusiese así ; "5) aceptar misioneros en sus tierras, i concurrir a la Iglesia los que fueren bautizados ; 6) por cuanto de los conchavos [échange de type troc selon Bengoa n. 55], nacen los agravios que han dado motivo en todos tiempos a los alzamientos por hacerse estos clan - destinamentey sin autoridad pública, todo en contravención de las leyes que a favor de los indios deben guardarse, será conveniente que tengan los conchavos libremente, pero reducidos a los tiempos y parajes en que se han de celebrar tres o cuatro ferias al año, concurriendo los indios y españoles tal día, en tal punto, con sus jéner os donde se hallare el cabo (comandante militar) i las personas que nombraren los indios en nú - mero igual; 7) se prohibía el robo de indios del territorio mapuche, se prohibía a los españoles ir a negociar privadamente al interior y otras cláusulas más, referidas a la aplicación de la justicia" (cité d'après Bengoa 1985 : 35).

D'une manière générale, les parlamentos sont convoqués par le gouver- neur du Chili et célébrés en grande pompe, discours, banquets et échange de présents compris. A Negrete, en 1726, assistent outre le gouverneur, des fonctionnaires coloniaux, des représentants du clergé et de l'armée et d'autres personnages haut placés du côté espagnol (Méndez Beltrán 1982), ce qui donnne une idée de l'importance accordée à ces rencontres. Ce type de procédure est réitéré à plus ou moins grande échelle lors des parlamentos consécutifs (il y a en tout une dizaine au XVIIIe siècle), soit en territoire mapuche, notamment à Negrete et à Tapihue, soit à Santiago pour impressionner les chefs indiens avec les splendeurs de la capitale. En 1774, les autorités coloniales accréditent même des ambassadeurs mapuche auprès du gouverneur de la royauté - mesure qui semble laisser stupéfait un historien comme Frias V. : " El virrey del Perú y después el rey, asesorado por el Consejo de Indias, aprobaron la medida, como si los mapuche formasen un Estado organizado y comprendiesen de qué se trataba" (1959 : 248).

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D'un autre côté, à l'instar de ce qui se passera peu après aux États- Unis, ces accords sont également susceptibles de servir d'instruments co- loniaux. Ainsi le parlamento organisé en 1793 par Ambrosio O'Higgins après le soulèvement des Huilliche contre la colonie et leur défaite consé- cutive contraint la partie amérindienne à céder une partie considérable de son territoire à la Couronne.

A ce stade de la démonstration, il convient de souligner que les traités et les parlamentos soulèvent dès le départ une double problématique, for- melle et substantielle. Mais ce sont là deux aspects qu'il s'agit de ne pas confondre. Le glissement dans les termes des accords, que l'on constate aux États-Unis tout comme au Chili selon le rapport de force régnant entre les parties, ne préjuge en rien, au demeurant, du fait qu'il s'agit d'ac- cords négociés présupposant, notamment du point de vue du colonisateur, une certaine vision des nations autochtones. De nos jours, les tribunaux et les avocats s'interrogent principalement sur ce que les traités représentent en tant que source des droits que l'État devrait concéder à ses habitants autochtones. Mais, tout aussi importante est la question de savoir quelle leçon il faut tirer de ce que les traités nous apprennent sur le rapport entre deux sociétés, ainsi que sur les modalités de ce rapport. Le changement fondamental dans cette relation ne tient pas aux termes des accords, mais à l'abandon du principe de la négociation.

Lf usurpation Un problème spécifique aux États-Unis dès l'époque constitutionnelle

sont les conflits, inscrits dans la structure fédérale même, entre le gouver- nement central soucieux de monopoliser la gestion des rapports avec les Indiens, et certains États comme New York State ou la Géorgie, situés sur la frontier et avides de nouvelles terres pour arrondir leurs possessions. C'est ainsi que la Géorgie tente de traiter directement avec les Cherokee, en violation des dispositions constitutionnelles aussi bien que des traités conclus par le gouvernement fédéral - traités qui reconnaissent la souve- raineté et l'indépendance des signataires autochtones.

Dès 1828, la Géorgie adopte des lois stipulant, entre autres, le dé- membrement du territoire cherokee et l'intégration de ses parties aux divi- sions administratives de l'État, ainsi que la soumission de la nation chero- kee à la juridiction étatique. Excédés, les Cherokee font appel à la Cour Suprême des États-Unis pour que celle-ci interdise à la Géorgie de passer des lois mettant en péril le gouvernement tribal et l'intégrité territoriale de leur nation. Or, dans Cherokee Nation v. Georgia (30 U.S. 5 Pet. 1, 1831), la Cour Suprême se déclare incompétente, car elle refuse de considérer la nation cherokee comme un État étranger. Avec le jugement rendu l'année

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suivante dans Worcester v. Georgia (31 U.S. 6 Pet. 551, 1832), cette deci- sion représente une étape cruciale dans la définition de la "quasi-souverai- neté" concédée désormais aux peuples autochtones, selon une logique fon- cièrement colonialiste : ceux-ci sont déclarés trop peu souverains pour fonctionner comme entités politiques indépendantes ; mais ils sont assez souverains pour conclure des traités et céder par ce moyen une partie de leurs terres ; et ils le sont surtout pour accepter par traité leur relogement forcé à l'ouest du Mississippi, afin de laisser la place aux colons européens, comme il advient aux Cherokee à la fin des années 1830.

Aux États-Unis, selon la logique du système juridique anglo-saxon, il revient donc aux tribunaux de définir le statut des nations indiennes. Dans ses jugements relatifs à la nation cherokee, le juge de la Cour Su- prême John Marshall rappelle trois points importants : qu'au moment de la "découverte" de l'Amérique les autochtones forment des nations indé- pendantes et souveraines ; que la Grande-Bretagne admet le caractère in- dépendant et souverain de ces nations en concluant des traités avec elles ; qu'enfin les États-Unis reconnaissent un statut spécial, "tribal", aux na- tions indiennes et la nécessité consécutive de traiter avec elles exclusive- ment par l'intermédiaire du gouvernement fédéral. Mais en même temps, Marshall affirme la précarité du statut des tribus : la souveraineté tribale est inhérente aux nations indiennes mais néanmoins restreinte par la sou- veraineté eminente des États-Unis. Marshall n'a d'ailleurs d'autre choix que de raisonner ainsi, quitte à remettre en cause les bases juridiques mêmes sur lesquelles repose l'édifice des États fédérés (Werhan 1978). Quant aux tribus, celles-ci se trouvent, selon lui, dans un rapport de pu- pille à tuteur {guardianship) envers le gouvernement américain. Mais il faut préciser tout de suite que les sentences du juge Marshall font dériver cette guardianship des relations de traités, l'assimilant ainsi à une sorte de protectorat international : on n'en est pas encore à l'assertion unilatérale du rapport tutélaire qui gouvernera la politique fédérale dès la seconde moitié du XIXe siècle afin de légitimer des mesures essentiellement inter- ventionnistes se passant du consentement des premiers concernés. Cette forme élargie de tutelle se réalise au moyen de lois qui sapent les bases de la souveraineté tribale, dont la plus néfaste est l'Abolition Act de 1887, qui stipule la répartition des terres de réserves en lopins individuels. De cette manière, le gouvernement espère transformer les Indiens en paysans et à les assimiler à la société dominante, "civilisée". On estime qu'en vertu de cette loi, les Indiens ont été dépossédés de près d'un million d'acres de leurs terres ancestrales (Kickingbird & Duchesneaux 1974).

D'autre part, soutenu en ceci par le droit jurisprudentiel, le pouvoir lé- gislatif - c'est-à-dire le Congrès - s'impose toujours davantage dans le domaine des relations avec les Indiens, en revendiquant des pouvoirs abso-

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lus qui l'autorisent notamment à voter des lois dérogeant aux droits poli- tiques et territoriaux reconnus antérieurement aux tribus par traité ou au- trement. On constate donc un glissement significatif, passant du principe des pouvoirs absolus {plenary powers) attribués par la Constitution au gou- vernement central par rapport aux États fédérés dans la gestion des rela- tions avec les nations indiennes, au principe de pouvoirs absolus revendi- qués et exercés par le Congrès sur les nations indiennes. La politique des traités elle-même n'échappe pas à cette logique, ce qui a fait dire à Deloria (1992 : 292) qu'à partir du milieu du XIXème siècle, les traités sont utili- sés comme une forme particulière de législation.

La contradiction inhérente à la dichotomie entre tutelle gouvernemen- tale et souveraineté tribale est résolue en vertu de principes politiques plutôt que juridiques. Pour reprendre l'exemple du relogement des Che- rokee, celui-ci se fait en violation flagrante des traités conclus antérieure- ment, garantissant aux Indiens leur base territoriale aussi bien que leur gouvernement autonome. Lorsque les Cherokees invoquent la loi pour faire respecter les traités, ils se trouvent confrontés à un discours qui reflète le point de vue de la colonie européenne dans un contexte qui la favorise politiquement à deux égards : par l'idéologie de leur prétendue manifest destiny ; et par la configuration des rapports de force régnant dans l'est du continent après un afflux massif d'immigrants. Dès lors, il devient politi- quement acceptable, voire même souhaitable de violer la loi, comme nous le rappelle d'ailleurs Tocqueville, qui fut témoin de la tragédie cherokee :

"Les Espagnols lâchent leurs chiens sur les Indiens comme sur des bêtes farouches ; ils pillent le nouveau monde ainsi qu'une ville prise d'assaut, sans discernement et sans pitié ; mais on ne peut tout détruire, la fureur a un terme : le reste des populations indiennes échappées aux massacres finit par se mêler à ses vainqueurs et par adopter leur religion et leurs mœurs. La conduite des Américains des États-Unis envers les indigènes respire au contraire le plus pur amour des formes de la léga - lité. Pourvu que les Indiens demeurent dans l'état sauvage, les Améri - cains ne se mêlent nullement de leurs affaires et les traitent en peuples indépendants ; ils ne se permettent point d'occuper leurs terres sans les avoir dûment acquises au moyen d'un contrat ; et si par hasard une nation indienne ne peut plus vivre sur son territoire, ils la prennent fraternellement par la main et la conduisent eux-mêmes mourir hors du pays de ses pères. Les Espagnols, à l'aide de monstruosités sans exemples, en se couvrant d'une honte ineffaçable, n 'ont pu parvenir à exterminer la race indienne, ni même à l'empêcher de partager leurs droits ; les Américains des États-Unis ont atteint ce double résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philantropique -

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ment, sans répandre de sang, sans violer un seul des grands principes de la morale aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l'humanité". (1963 : 188).

L'occupation Le Chili indépendant (1810) hérite le problème de l'Araucanie: "... el

territorio mapuche gozaba de un status jurídico particular a consecuencia de los parlamentos realizados con los autoridades españolas, el último de los cuales (Negrete, 1803) había reconocido una vez más la frontera territorial en el río Bío-Bío" (Bengoa 1985 : 137-38) - frontière réelle, même dans la conscience des Chiliens qui savent bien que pour dominer les Mapuche, il faut conquérir l'Araucanie. Cela durera soixante-dix ans.

Le Chili entretient avec les Mapuche des rapports pour le moins contradictoires, oscillant entre l'admiration, la crainte et l'incompréhen- sion - à tel point qu'il devient plus facile de les ignorer dans l'historiogra- phie officielle du XIXe siècle, tout comme l'occupation de l'Araucanie dans les années 1880 : pasado glorioso y presente silenciado (Bengoa 1985 : 149). Concrètement, la question de savoir quel était, dans la première moitié du XIXe siècle, le degré d'intégration des Mapuche à la société na- tionale, prête à controverse : Bengoa maintient (1985 : 154) que l'indé- pendance politique de la société mapuche vis-à-vis du Chili ne préjuge en rien de relations mutuelles des plus diverses et profitables, notamment par le commerce et l'emprunt sélectif de biens, voire de pratiques de la culture hispano-créole. D'autre part, il n'est pas inutile de rappeler la courte pé- riode de d' "égalité en droit" dont bénéficient les Mapuche dans la pre- mière moitié du XIXe siècle, après la promulgation en 1813, sous la prési- dence de Bernardo O'Higgins, d'un décret-loi leur octroyant la citoyen- neté.

La situation change de manière significative lorsque, sous l'effet d'une conjoncture internationale extrêmement favorable à l'agriculture, on commence à convoiter les terres mapuche : rien de plus "classique" en ef- fet que ce phénomène. C'est au milieu du XIXe siècle que commence au Chili l'immigration de colons européens, que le gouvernement encourage à s'installer sur les terres méridionales. En peu de temps, la frontière agri- cole traverse le Bio-Bio et avance jusqu'au Malleco, provoquant le dépla- cement de nombreuses familles mapuche.

Pendant la guerre et la "pacification" de l'Araucanie (1866-1885), di- verses lois sont adoptées qui visent à incorporer le territoire mapuche au système chilien, selon un plan concocté par Cornelio Saavedra qui a bien étudié l'expérience nord-américaine. D'après lui, l'appropriation des terres indiennes exige diverses mesures interdépendantes : la pacification du ter-

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ritoire par l'armée ; la construction de chemins de fer pour assurer les communications et les transports ; le monopole étatique dans l'acquisition et la vente de terres, enfin l'immigration européenne (Bengoa 1985 : 173, 174). En effet, l'État se déclarera l'unique propriétaire des terres de l'Arau- canie, alors qu'on nie toute propriété foncière aux Mapuche ; ceux-ci de- vront acquérir des titres fonciers de la part de l'État sous forme de títulos de merced, comme le préconise la loi de 1866.

Mais ce n'est qu'une fois l'occupation réalisée que le gouvernement procédera au démembrement des terres mapuche par l'intermédiaire de la Comisión Radicadora de Indígenas établie en 1883. Cette commission re- cense les familles mapuche et détermine l'étendue du territoire utilisée pour l'élevage et l'agriculture. Puis elle décide, généralement sur la base des terres cultivées de manière permanente, combien de terres accorder à la famille. Le plus souvent, celles-ci couvrent une étendue nettement moindre qu'auparavant : voici les reducciones, au sens propre du terme, pour lesquelles les familles reçoivent leur título de merced (Bengoa 1 992 : 39-40). Pendant sa période de fonctionnement (jusqu'en 1920), la Commission n'attribue que 77.752 titres fonciers (Bengoa 1992 : 40-41). Un tiers des familles mapuche au moins ne recevra jamais de titre de pro- priété reconnu par l'État. Ceux qui ne bénéficient pas de la radicación sont considérés désormais comme des occupants illégaux sur leur propres terres ancestrales, cas illustré notamment par les événements de Quinquén. La sentence rendue à cette occasion par la Cour Suprême du Chili est une première dans le domaine jurisprudentiel en ce qui concerne les droits autochtones à la terre (Bengoa 1992).

La question du processus de domestication - si l'on peut appliquer cet anglicisme ici - des rapports historiques du Chili avec les Mapuche n'a encore guère été abordée dans la littérature. Mais sans doute, la loi qui crée la province de l'Araucanie (1852) et la soumet à la juridiction du gouvernement chilien et toute la législation traitant spécifiquement de la terre, notamment la loi de 1 866 incorporant le territoire situé au sud du Bio-Bio au domaine public et les diverses lois autorisant le morcellement des terres mapuche {títulos de merced), enfin l'installation délibérée de co- lons européens portent atteinte aux dispositions des accords passés avec les Indiens, du moins pour ce qui est de la région située au sud du Bio-Bio. Reste à savoir quel rôle reviendrait aux parlamentos dans le débat sur l'au- tonomie, tel qu'il a été posé par José Marimán (1990), notamment par rapport à la notion de "territoire historique" des Mapuche ; ou encore par rapport à la reconnaissance constitutionnelle revendiquée par de nom- breuses organisations autochtones. Mais ce ne sont pas, de loin, les seules questions qui se posent à ce stade. D'une manière générale, un travail de recherche considérable reste à faire, qui n'a pu être entrepris pour cet ar-

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ticle, en particulier à propos de la tradition et l'interprétation mapuche des parlamentos.

Perspectives En septembre 1977, une centaine de délégués autochtones du Canada,

des États-Unis, de l'Amérique centrale et du sud (certains, comme les Iro- quois, avec le passeport de leur nation) se sont rendus au Palais des Na- tions à Genève pour participer à la première conférence internationale qui leur soit consacrée depuis le début des l'ère onusienne. Convoquée à l'ini- tiative d'organisation non gouvernementales et ayant pour thème la dis- crimination des populations autochtones, cette rencontre a marqué la ren- trée des premières nations de l'hémisphère occidental sur la scène interna- tionale, un demi-siècle après la mission infructueuse du chef iroquois Deskaheh auprès de la Société des Nations (Rostkowski 1985), et des gé- nérations après l'ère des rapports diplomatiques entre nations amérin- diennes et puissances occidentales. La question fondamentale du statut ju- ridique des peuples autochtones est ainsi revenue à l'ordre du jour. On s'en doute, la plupart des États membres des Nations Unies, soucieux de préserver l'intégrité du territoire national et le contrôle sur les richesses considérables que renferment - ironie de l'histoire ! - de nombreux ter- ritoires autochtones, réserves ou "réductions", nie aux peuples autochtones un statut autre que celui défini par la législation nationale. Or, comme on a vu, il n'en a pas toujours été ainsi.

D'autre part, il convient de souligner un point fondamental : la "discrimination positive" que certains gouvernements concernés par la question autochtone se complaisent à évoquer, voire les "privilèges" in- dûment accordés aux autochtones selon d'autres (comme Brownlie 1992 : 73 à propos des Maori) ne sont en fait ni plus ni moins que des droits dont l'origine remonte aux temps immémoriaux. La problématique des traités ne cesse de nous le rappeler.

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