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Trouble du contrôle attentionnel et prématurité

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Revue de Neuropsychologie 2006, Vol. 16, n° 1 Trouble du contrôle attentionnel et prématurité Virginie Leclercq 1 , Isabelle Jambaqué 1 , Alain Picard 2 , Laure Bricout 1 & Éric Siéroff 1 1 Laboratoire de de la Cognition et du Comportement, FRE 2987 (CNRS, Université Paris 5, EPHE) 2 Hôpital Raymond-Poincaré : Service de Médecine Physique et Réadaptation de l’en- fant Résumé Notre étude a pour objectif de tester l’hypothèse d’un dysfonctionnement du contrôle attentionnel chez les enfants anciens prématurés. Nous avons utilisé un test informatisé, inspiré de l’Attention Network Test développé par Fan et al. (2002), dans le cadre du modèle attentionnel en réseau de Posner et Rothbart (1991). Ce test est une combinaison de l’expérience d’indiçage spatial avec un test de flankers. Il permet d’évaluer l’efficience des trois sous-systèmes du modèle en réseau : l’alerte, l’orientation de l’attention et le contrôle attentionnel. Les résultats ont montré que les enfants prématurés sont deux fois plus lents pour répondre à une situation de conflit ( flankers non congruents avec la cible) que les enfants du groupe contrôle, ce qui valide notre hypothèse d’un trouble du contrôle attentionnel. Ce dysfonctionnement pourrait expliquer, au moins en partie, la plus grande prévalence des troubles des apprentissages retrouvée chez les enfants prématurés. Notre étude révèle également une interférence entre les systèmes d’alerte et de contrôle, évoquant une moindre autonomie de ces deux systèmes chez les enfants prématurés. Key words : prematurity, learning disabilities, attention, attentional networks. Mots clés : prématurité, troubles des apprentissages, attention, réseaux attentionnels. Adresse de correspondance : Éric Siéroff, Laboratoire de la Cognition et du Comportement, Université Paris 5/CNRS, Centre Henri Piéron, 71 avenue Édouard-Vaillant, 92774 Boulogne- Billancourt Cedex.
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Revue de Neuropsychologie2006, Vol. 16, n° 1

Trouble du contrôle attentionnel et prématurité

Virginie Leclercq 1, Isabelle Jambaqué 1, Alain Picard 2, Laure Bricout 1& Éric Siéroff 1

1 Laboratoire de de la Cognition et du Comportement, FRE 2987 (CNRS, Université Paris 5, EPHE)2 Hôpital Raymond-Poincaré : Service de Médecine Physique et Réadaptation de l’en-fant

RésuméNotre étude a pour objectif de tester l’hypothèse d’un dysfonctionnement du contrôle attentionnel chez les enfants anciens prématurés. Nous avons utilisé un test informatisé, inspiré de l’Attention Network Test développé par Fan et al. (2002), dans le cadre du modèle attentionnel en réseau de Posner et Rothbart (1991). Ce test est une combinaison de l’expérience d’indiçage spatial avec un test de flankers. Il permet d’évaluer l’efficience des trois sous-systèmes du modèle en réseau : l’alerte, l’orientation de l’attention et le contrôle attentionnel. Les résultats ont montré que les enfants prématurés sont deux fois plus lents pour répondre à une situation de conflit ( flankers non congruents avec la cible) que les enfants du groupe contrôle, ce qui valide notre hypothèse d’un trouble du contrôle attentionnel. Ce dysfonctionnement pourrait expliquer, au moins en partie, la plus grande prévalence des troubles des apprentissages retrouvée chez les enfants prématurés. Notre étude révèle également une interférence entre les systèmes d’alerte et de contrôle, évoquant une moindre autonomie de ces deux systèmes chez les enfants prématurés.

Key words : prematurity, learning disabilities, attention, attentional networks.Mots clés : prématurité, troubles des apprentissages, attention, réseaux attentionnels.

Adresse de correspondance : Éric Siéroff, Laboratoire de la Cognition et du Comportement, Université Paris 5/CNRS, Centre Henri Piéron, 71 avenue Édouard-Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt Cedex.

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INTRODUCTION

La prématurité : caractéristiques neurocognitives générales

Selon les critères internationaux, la prématurité se définit comme une naissance intervenant à moins de 37 semaines révolues. La grande prématurité concerne les enfants nés avant un âge gestationnel de 33 semaines et la très grande prématurité ceux de moins de 28 semaines. Outre des complications prénatales comme une hypotrophie, la naissance prématurée peut s’accompagner de complications néonatales, les plus fréquentes étant d’ordre respiratoire et neurologique. Sur le plan du système nerveux central, les deux complications habituellement observées sont les hémorragies intra et périventriculaire et la leucomalacie périventriculaire (Dieber & Dulac, 1990). Ces lésions engendrent la perte d’une partie de la substance blanche et impliquent, dans les cas graves, une infirmité motrice cérébrale (Dalla Piazza, 1997). Cependant, beaucoup d’enfants nés prématurément ne présentent pas de pathologies motrices majeures ni de retard mental. Les chercheurs se sont donc penchés sur le développement de ces enfants afin d’identifier d’éventuels troubles comportementaux et cognitifs plus subtils.

Les enfants prématurés sans trouble neuromoteur ou sensoriel majeur présentent souvent des déficits cognitifs conduisant à des difficultés d’apprentissages plus ou moins grandes (Cooke & Abernethy, 1999). Ces troubles des apprentissages touchent environ 20 à 30% des prématurés, soit deux à trois plus que les enfants nés à terme (Peterson, Vohr, Staib, Cannistraci, Dolberg, Schneider et al., 2000). Si les déficits intellectuels sévères sont rares (moins de 5% des anciens prématurés), des performances relativement faibles, bien que dans la norme, au niveau des échelles d’intelligence (WISC III, K-ABC) sont souvent retrouvées chez les enfants prématurés (Bhutta, Cleves, Casey, Cradock & Anand, 2002). D’ailleurs, les scores à ces échelles sont généralement corrélés avec l’âge gestationnel et le poids de naissance, même si une certaine variation inter-individuelle existe, avec des déficits pouvant toucher la sphère verbale ou la sphère

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non verbale selon les cas (Breslau, Chilcoat, DelDotto, Andreski & Brown, 1996 ; Marlow, Roberts & Cooke, 1993).

Outre la présence de capacités cognitives générales inférieures, de nombreuses études ont relevé l’existence de troubles comportementaux chez les enfants prématurés (Bhutta et al., 2002). Le risque majeur réside dans le développement d’un trouble hyperactif avec déficit d’attention (THADA), deux fois plus fréquent dans une population d’enfants prématurés que dans une population contrôle (Szatmari, Saigal, Rosenbaum, Campbell & King, 1990). Cependant, actuellement, la raison de cette plus grande prévalence n’est pas encore identifiée (Potgieter, Vervisch & Lagae, 2003).

Prématurité et fonctions exécutives

L’évaluation globale des capacités cognitives a été remise en cause par certains auteurs qui émettent l’hypothèse que les enfants prématurés souffriraient d’un déficit plus spécifique au niveau des fonctions exécutives (Espy, Stalets, McDiarmid, Senn, Cwik & Hamby, 2002). Ainsi, Harvey, O’Callaghan et Mohay (1999) ont relevé des difficultés dans la réalisation d’une tâche de «tapping» de type go/no go chez des enfants prématurés de 4-5 ans sans troubles neurologiques majeurs. L’ampleur de ces difficultés serait proportionnelle à l’importance de la prématurité. Les auteurs émettent l’hypothèse d’une performance moindre au niveau des processus d’inhibition, c’est-à-dire de la capacité à mettre en oeuvre un comportement adapté en supprimant des actions non pertinentes mais dominantes. Ils ont également retrouvé des performances inférieures à la normale au test de la Tour de Hanoï (temps de planification plus élevé et diminution des essais réussis). Les enfants prématurés présenteraient donc un déficit au niveau de la planification et de la gestion de la liste des buts à atteindre. Ces résultats concordent avec ceux obtenus par Deforge, André, Toniolo et Hascoët (2004) chez des enfants de 7 à 9 ans lors du test de la Tour de Londres (moins de modèles réussis au premier essai ; augmentation du nombre total d’essais pour faire les 12 modèles). Ces derniers auteurs concluent à une capacité de mémoire de travail déficitaire chez les enfants prématurés, en

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accord avec Luciana, Lindeke, Georgieff, Mills et Nelson (1999), qui ont trouvé des performances inférieures à celles des enfants contrôles dans une tâche de répétition de chiffres dans l’ordre inverse.

Une réussite aux épreuves neuropsychologiques des fonctions exécutives utilisées par les auteurs cités précédemment nécessite l’intervention et l’efficience du sous-système de contrôle attentionnel (Posner & Rothbart, 1991). Au vu des données de la littérature concernant les plus faibles performances des enfants prématurés à ces épreuves, il apparaît que le contrôle attentionnel puisse être déficitaire et ainsi engendrer les difficultés observées.

L’attention et le modèle de Posner

L’attention est un phénomène complexe, non unitaire. Ainsi, d’un point de vue anatomique, Posner et Rothbart (1991) ont proposé un modèle comprenant un réseau antérieur pour la commande attentionnelle (ou contrôle), un réseau postérieur pour l’orientation de l’attention sélective et un troisième réseau qui participerait activement à la fonction d’alerte. Le contrôle attentionnel serait donc sous la dépendance d’un réseau cérébral antérieur (Laberge, 1998 ; Norman & Shallice, 1986 ; Posner & Rothbart, 1991).

Dans notre étude, nous nous sommes basés sur ce modèle en réseau pour évaluer les performances attentionnelles d’enfants nés prématurément. Nous avons utilisé un test informatisé inspiré de «l’Attention Network Test» (ANT) développé par Fan, McCandliss, Sommer, Raz et Posner (2002), permettant d’évaluer l’efficience des sous-systèmes d’alerte, d’orientation de l’attention et de contrôle attentionnel. Ce test est une combinaison de l’expérience d’indiçage de Posner (1980) avec le test des flankers d’Eriksen (1974). Dans le ANT, cinq stimulus alignés horizontalement apparaissent au-dessus ou au-dessous d’un point de fixation. Le sujet doit déterminer si la cible, le stimulus central, est une flèche pointant vers la gauche ou vers la droite. Les quatre autres stimulus, flankers, accompagnant la cible, peuvent être de simples traits (condition neutre) ou des flèches, allant dans la même direction que la cible (condition congruente) ou non (condition

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non congruente). Les deux premières conditions de flankers ne provoquent pas de conflit. En revanche, il existe un conflit au niveau de la réponse lorsque les flankers sont des flèches de direction opposée à la cible. La résolution de ce conflit nécessite l’intervention du contrôle attentionnel. Une augmentation de l’effet de conflit (différence des temps de réponse entre la condition congruente et la condition non congruente) par rapport à une population normale signale donc un déficit au niveau du contrôle attentionnel.

Afin de moduler l’alerte et l’orientation de l’attention, l’apparition de la cible peut être ou non précédée d’un indice. Celui-ci peut être «central», apparaissant au point de fixation et ayant simple valeur de signal d’alerte, ou «spatial», apparaissant à l’endroit où va apparaître la cible et permettant une orientation efficace de l’attention (l’indice spatial est toujours valide). L’alerte est évaluée en comparant les temps de réponse à la cible entre la condition sans indice et la condition avec indice central. L’orientation de l’attention est évaluée en comparant les temps de réponse à la cible entre la condition avec indice central et la condition avec indice spatial. Ainsi, le ANT permet d’évaluer l’efficience des trois réseaux attentionnels en comparant les performances d’une population présentant une pathologie par rapport à une population contrôle. Les données, recueillies lors de la passation de cette épreuve chez des adultes sains, objectivent une relative autonomie fonctionnelle de ces trois réseaux cérébraux (Fan et al., 2002 ; voir cependant Callejas, Lupiáñez & Tudella, 2004, pour une indépendance totale des trois réseaux).

L’expérience que nous présentons doit nous permettre d’évaluer les performances attentionnelles des enfants prématurés. Comme ces enfants présentent souvent des performances moindres aux tests des fonctions exécutives, nous émettons l’hypothèse que le déficit attentionnel se situerait essentiellement au niveau du sous-système de contrôle attentionnel. Outre la passation d’un test inspiré du ANT (Fan et al., 2002), notre étude comprend également, pour les enfants prématurés, une évaluation globale des capacités cognitives grâce à la WISC III et la passation d’épreuves neuropsychologiques classiques des fonctions exécutives.

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MÉTHODE

Participants

Enfants prématurés.Les enfants prématurés ont été vus dans le cadre d’une évaluation

neuropsychologique pour des difficultés d’apprentissage. Sur 10 enfants ren-contrés à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches et à l’hôpital d’Argenteuil, 7 ont finalement participé à notre étude ; 2 des enfants ont été exclus parce qu’ils présentaient un retard mental avec un QI performance en deça de 70 ; le troisième présentait une réduction du champ visuel pouvant compromet-tre la passation du ANT. Les enfants inclus ne présentaient pas d’anomalies importantes à l’examen neurologique : nous n’avons constaté ni retard men-tal ni trouble moteur. De même, ils ne présentaient pas de troubles visuels, ni de problèmes visuo-spatiaux importants pouvant compromettre la pas-sation du ANT. Ces enfants étaient âgés de 7 à 11 ans (m = 8,9 ans, σ = 1,5). L’âge gestationnel était compris entre 28 et 34 semaines (m = 30,2 semai-nes, σ = 2,1) et le poids de naissance se situait entre 1100 et 2310 grammes (m = 1534,3 g, σ = 443,8). Les caractéristiques cliniques de chaque enfant se trouvent dans le Tableau 1. Ce groupe est composé de 3 garçons dont un gaucher et de 4 filles dont une gauchère. Sur les 7 enfants, seuls 4 ont béné-ficié d’une Imagerie par Résonnance Magnétique (IRM) dans le cadre d’un bilan exploratoire ; celle-ci a permis de mettre en évidence des anomalies habituellement décrites dans cette population (voir Tableau 1). Enfin, deux enfants étaient traités par Ritaline dans une tentative d’amélioration de leur attention. En effet, ils présentaient certains troubles de l’attention dans la vie courante, mais ne répondaient pas entièrement aux critères du syndro-me d’hyperactivité. Ils ont été évalués lors d’une suspension de traitement.

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Tableau 1Caractéristiques démographiques et cliniques des enfants prématurés

Sujet Age LatéraliréAG (en

semainesPN (en

grammes)QIP QIV

Eléments neuro-psychologiques

Imagerie par Résonance Magnétique

A 10 D 31 1900 93 98

Difficultés de compréhension du langage et de lecture

Hémoragie intraventriculaire G > D

T 9 G 34 2310 130 113 Légère dyslexie Pas d’IRM

J 7 D 28 1100 92 85

Faiblesse au niveau du raisonnement non verbal

Pas d’IRM

O 7 D 29 1300 112 120Eléments de dyslexie/dysorthographie

Pas d’IRM

C 7 G 29 1150 106 82

Enfant en hôpital de jour pour des difficultés de lecture

Leucomalacie périventriculaire en postérieur T2

M 11 D 29 1330 111 70

Dyspraxie de développement et troubles attentionnelsTraitement: Ritaline

Leucomalacie périventiculaire bilatérale sous-pariétale d’intensité moyenneCorps calleux plus fin dans la région postérieure

V 8 D 31 1650 101 74

Enfant en hôpital de jour pour des difficultés de lecture, de légers troubles praxiques et attentionnelsTraitement: Ritaline

Leucomalacie touchant les 2 voies principales de communication occipito-temporale et pariétale

AG = âge gestationnel PN : poids de naissance

Table 1Demographic and clinical characteristics of premature children

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Enfants contrôlesAfin d’analyser les performances des enfants prématurés, le ANT a

été proposé à 55 enfants contrôles âgés de 7 à 11 ans (m = 9 ans, σ = 1,2). Seuls les enfants nés à terme et ne présentant pas de troubles attentionnels avérés ont été inclus. Ce groupe se compose de 32 filles, dont 3 gauchères, et 23 garçons tous droitiers.

Tests neuropsychologiques classiques

Les enfants prématurés ont passé la WISC III. Des épreuves complémentaires ont été présentées aux enfants prématurés dans l’ordre suivant : une évaluation de la latéralité grâce au questionnaire de De Agostini et Dellatolas (1998), une évaluation de la fluence verbale (subtests de la Nepsy évaluant la fluence sémantique et littérale pendant une minute chacune ; Korkman, Kirk & Kemp, 1998), le Stroop (Albaret & Migliore, 1999), le Trail Making Test (voir Spreen & Strauss, 1991, pour les normes chez les enfants), le Wisconsin Card Storing Test (Grant & Berg, 1948) et le test de Mesulam (1985).

Test informatisé ANT

MatérielLe dispositif auquel le sujet doit répondre consiste en un ensemble

de 5 stimulus présentés horizontalement. Ces stimulus sont présentés en noir sur un fond d’écran blanc. Ils ont été construits grâce au logiciel Aldus Super Paint 3.0. Chaque stimulus mesure 5 mm de long et un peu moins de 1 mm d’épaisseur. L’espace entre chaque stimulus est d’environ 1 mm. La cible, constituée par le stimulus central, est une flèche qui pointe vers la gauche ou la droite. Les quatre autres stimulus, entourant la cible (deux de chaque côté), sont des distracteurs ou flankers. Ces flankers peuvent être des flèches pointant dans la même direction que la cible (condition congruente), des flèches pointant dans la direction opposée (condition non-congruente) ou encore de simples traits (condition neutre). Ces trois conditions de flankers sont présentées dans la Figure 1. Le sujet est placé

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à 50 cm en face de l’écran. Ainsi, l’ensemble des 5 stimulus (la cible plus les quatre flankers) constitue un angle visuel de 3 deg. environ. Les stimulus apparaissent 1,4 cm (soit un angle visuel de 1,6 deg.) au-dessus ou au-dessous de l’item de fixation (une croix) situé au centre de l’écran. L’indice est un astérisque apparaissant à la place de l’item de fixation pour l’indice central (mise en jeu de l’alerte) et à l’endroit d’apparition de la cible (condition toujours valide) pour l’indice spatial (mise en jeu de l’orientation de l’attention)

Figure 1Procédure et stimulus utilisés dans l’expérience

Figure 1 Procedure and stimuli used in the experiment

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ProcédureL’expérience est pilotée par un ordinateur Apple Macintosh Powerbook

possédant un écran de 14 pouces. La tâche du participant consiste à indiquer la direction de la flèche centrale en appuyant le plus vite possible sur une touche du clavier, avec l’index (pour la direction gauche de la flèche) ou le majeur (pour la direction droite) de sa main droite dominante (doigts inversés pour la main gauche dominante). Les réponses sont collectées via deux touches du clavier correspondant chacune à une des deux directions (shift et slash pour un droitier, ascent et shift pour un gaucher). Le logiciel PSYCHLAB V.2.3.1 (Bub & Gum, 1995) gère le déroulement des essais et l’enregistrement des réponses.

Chaque essai est composé d’une succession de 4 évènements (Figure 1). Au début de l’essai, la croix de fixation apparaît au centre ; le sujet doit fixer cette croix. Son temps de présentation varie pseudo-aléatoirement (400, 800, 1200 ou 1600 ms). Ces 4 conditions de temps de présentation sont équiprobables et utilisées afin de varier le degré d’incertitude quant au moment d’apparition de l’indice. Ensuite, dans deux tiers des essais, un indice apparaît ; il s’agit d’un indice central dans un tiers des essais et d’un indice spatial dans l’autre tiers. Cet indice est présenté pendant 100 ms, puis est suivi par la croix de fixation. Dans le tiers restant des essais, aucun indice n’apparaît et l’item de fixation reste présent. La cible et les flankers apparaissent 400 ms après la disparition de l’indice et ils restent affichés jusqu’à ce que le sujet réponde. Suite à la réponse du sujet, tous les stimulus disparaissent et un nouvel essai est engagé après 1000 ms.

Notre test n’est pas strictement identique à celui développé par Fan et al. (2002). La condition comportant deux indices spatiaux (un à chaque localisation possible de la cible ; ou condition neutre) a été supprimée, car elle donnait les mêmes résultats que la condition avec l’indice central. Nous avons fait ce choix pour raccourcir le temps de passation de l’expérience. Par ailleurs, la croix de fixation disparaît entre deux essais dans notre expérience, alors qu’elle est toujours présente dans l’expérience originale. Une conséquence possible de cette modification est que la réapparition de cette croix au début de chaque essai aide à recruter l’alerte du participant.

La passation de l’expérience s’effectue dans une pièce calme et

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consiste en deux sessions, chacune comportant 144 essais et durant environ 10 minutes, entrecoupées d’un intervalle pendant lequel le participant effectue l’épreuve du Stroop. Une phase de pratique et d’apprentissage du ANT, comportant 12 essais, précède chaque session. L’apparition des différents types d’essai dans chaque session est aléatoire.

RÉSULTATS

Temps de réponse (ANT)

Pour vérifier la validité de notre test, qui n’est pas en tout point identique au ANT développé par Fan et al. (2002), nous avons d’abord conduit une analyse de variance chez les enfants du groupe contrôle. L’ANOVA comporte un facteur inter-sujets, l’Age, et deux facteurs intra-sujets, la Congruence entre les flankers et la cible (congruent, non congruent, neutre) et le type d’Indice (central, spatial, absent). Cette analyse objective un effet de l’Age [F (4,50) = 7,81 ; p < 0,01], les temps de réponse aux cibles diminuant avec l’âge, un effet de la Congruence [F (2,100) = 186,72 ; p < 0,01] et un effet de l’Indice [F (2,100) = 172,72 ; p < 0,01] (voir analyse suivante pour les détails sur ces deux derniers effets). Aucune interaction n’est significative, mais il existe une tendance à l’interaction Congruence x Indice [F (4,200) = 2,40 ; p = 0,051] (voir plus loin). Comme Fan et al. (2002 ; voir aussi Rueda, Fan, McCandliss, Halparin, Gruber, Lercari & Posner, 2004), nous avons calculé les scores d’alerte (différence entre la condition sans indice et la condition avec indice central), d’orientation de l’attention (différence entre la condition avec indice central et la condition avec indice spatial) et de conflit (différence entre la condition non congruente et la condition congruente) (Tableau 2). Ces scores mettent en évidence des effets significatifs pour l’alerte [F (1,50) = 12,13 ; p < 0,01], l’orientation de l’attention [F (1,50) = 215,73 ; p < 0,01] et le conflit [F (1,50) = 175,27 ; p < 0,01]. L’existence de tels effets valide notre version du ANT, même si ces effets ne sont pas strictement identiques à ceux observés par Rueda et al. (2004) chez des enfants appartenant à la classe d’âge de 10 ans, surtout

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pour l’effet d’alerte (voir Tableau 2).

Tableau 2Scores (en ms) et écart-types (entre parenthèses) d’alerte, d’orientation et de conflit attentionnel obtenus chez les enfants contrôles et prématurés de notre étude et chez les enfants normaux de 10 ans de l’étude de Rueda et al. (2004).

Contrôles PrématurésRueda et al.

(2004)

Alerte 29 (40) 58 (25) 78 (61)

Orientation 77 (41) 84 (47) 60 (56)

Conflit 212 (107) 404 ( 348) 156 (76)

Table 2Alert, orientation and attentional control scores in the control and premature children of our study and in the 10-years old control children of the study of Rueda et al. (2004).

Une deuxième ANOVA sur les temps de réponse des deux groupes d’enfants a été effectuée afin d’évaluer l’hypothèse d’un trouble du contrôle attentionnel chez les enfants prématurés. Elle comporte un facteur inter-sujets, le Groupe (prématurés, contrôles), et les deux facteurs intra-sujets de l’analyse précédente (Congruence et Indice).

Cette analyse révèle un effet du Groupe [F (1,60) = 5,89 ; p < 0,05], les enfants prématurés étant significativement plus lents pour répondre à la cible (m = 1014ms, σ = 366 ms) que les enfants contrôles ( m = 863 ms, σ =

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191 ms). Il existe également un effet de la Congruence [F ( 2,120) = 92,73 ; p < 0,01], dû à des temps de réponse plus rapides dans la condition neutre (m = 815 ms, σ = 134 ms) que dans la condition congruente (m = 846 ms, σ = 159 ms) [F (1,60) = 9,54 ; p < 0,01] et plus rapides que dans la condition congruente que dans la condition non congruente (m = 1154 ms, σ = 231) [F (1,60) = 104,83 ; p < 0,01], cette dernière différence correspondant à l’effet de conflit. Un effet de l’Indice existe également [F (2,120) = 110,95 ; p < 0,01] : les sujets sont plus rapides pour répondre aux cibles précédées d’un indice spatial (m = 870 ms, σ = 217 ms) par rapport aux cibles précédées d’un indice central (m = 951 ms, σ = 207 ms) [F (1,60) = 91,27 ; p < 0,01], et plus rapides pour les cibles précédées d’un indice central que pour les cibles non précédées d’indice (m = 994, σ = 210 ms) [F (1,60) = 33,91 ; p < 0,01).

L’analyse révèle aussi une interaction Congruence x Groupe [F (2,120) = 8,85 ; p < 0,01], qui résulte d’un effet de congruence, et plus précisément d’un effet de conflit, significativement plus important chez les enfants prématurés (m = 404 ms, σ = 332 ms) que chez les enfants contrôles (m = 212 ms, σ = 169 ms) [F (1,60) = 10,24 ; p < 0,01]. Les enfants prématurés sont donc anormalement affectés par la présence de flankers non congruents, ce qui va dans le sens d’un trouble du contrôle attentionnel, comme nous l’avons prédit.

Une interaction Congruence x Indice [F (4,240) = 9,54 ; p < 0,01] est également observée. L’effet de congruence existe dans toutes les conditions d’indiçage, mais l’effet particulier du conflit (temps de réponse plus élevés dans la condition non congruente que dans la condition congruente) est significativement plus important lorsque la cible apparaît sans indice (347 ms) [F (1,60) = 26,8 ; p < 0,01] ou après un indice central (327 ms) [F (1,60) = 17,74 ; p < 0,01] que lorsque la cible est précédée d’un indice spatial (249 ms). Ce résultat évoque une interférence entre les sous-systèmes d’orientation et de contrôle attentionnel.

Une tendance à l’interaction Groupe x Indice [F (2,120) = 2,90 ; p = 0,059] pourrait indiquer que les enfants prématurés sont plus sensibles à l’alerte (score d’alerte = 58 ms) que les enfants contrôles (27 ms). Enfin, notre analyse objective une triple interaction Groupe x Congruence x Indice [F

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(4,240) = 5,30 ; p < 0,01] (Figure 2). Malgré une différence numérique non négligeable, l’effet d’orientation (différence entre la condition avec indice spatial et la condition avec indice central) dans la condition non congruente n’est pas significativement plus important chez les enfants prématurés (157 ms ; σ = 44) que chez les enfants contrôles (99 ms ; σ = 84) [F (1,60) = 3,06 ; p = 0,086]. En revanche, l’effet d’alerte (différence entre la condition avec indice central et la condition sans indice) dans la condition non congruente est significativement plus important chez les enfants prématurés (95 ms) que chez les enfants contrôles (20 ms) [F (1,60) = 5,02 ; p < 0,05], alors qu’il n’y pas de différence significative dans les autres conditions de congruence (différence de 13 s dans la condition congruente et de 33 ms dans la condition neutre). Ce résultat, qui explique la triple interaction, pourrait évoquer une interférence anormale entre les sous-systèmes d’alerte et de contrôle attentionnel chez les enfants prématurés.

Erreurs (ANT)

Les enfants prématurés commettent numériquement plus d’erreurs que les enfants contrôles (3,5 % vs 1,4 %). Ces faibles pourcentages ne nous permettent cependant pas de réaliser une analyse de variance.

Tests neuropsychologiques classiques

Seuls les enfants prématurés ont passé des tests neuropsychologiques. Comme il a été précisé dans la section méthode, tous les enfants prématurés ont un QI verbal et performance dans la norme. De plus, il apparaît que les moyennes des résultats obtenus aux différentes épreuves testant les fonctions exécutives sont également dans la norme (Tableau 3).

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Figure 2Temps de réponse (en ms) aux différents types de conditions chez les contrôles et chez les enfants prématurés.

Figure 2Results (reponse times) in different conditions in controls and premature children.

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Tableau 3Moyennes et écart-types (entre parenthèses) des enfants prématurés lors des épreuves neuropsychologiques, pour les scores bruts ou standards (SS) ou pour les déviations standards des scores par rapport à la norme (DS).

WISC

score QIVscore QIPscore QIT

106 (13)92 (19)99 (16)

TMTDS temps TMT ADS temps TMT B

-0,4 (1,4)-0,4 (0,9)

Empan de chiffresscore empan endroitscore empan envers

4,7 (1)3,5 (1,4)

Test des fluences SS 11,7 (2)

WCSTSS erreurs persévératives

score du nombre de catégories113,6 (10,8)

4,9 (1,7)

STROOPDS du score d’interférence

DS du nombre d’erreurs interférentes0 (0,5)

-0,4 (1,3)

Test de Mesulam

A ordonnésDS tempsDS erreur

A désordonnésDS tempsDS erreur

S ordonnésDS tempsDS erreur

S désordonnésDS tempsDS erreur

-0,8 (1,6)-0,1 (0,8)

-0,6 (1,1)-0,1 (1,2)

0 (0,9)-0,9 (1,3)

-0,2 (0,8)-0,8 (2)

Table 3Means and standard deviations (in parenthesis) of premature children in neuropsychological tests for different scores (SS) or for standard deviations (DS) of these scores compared to normals.

V. Leclercq, I. Jambaqué, A. Picard, L. Bricout & É. Siéroff

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Il existe toutefois des cas spécifiques d’enfants qui ont obtenu des scores à la limite du pathologique voire pathologiques à certaines épreuves. À l’épreuve du Stroop, J a un score très proche de la limite pathologique au niveau du nombre d’erreurs interférentes (déviation standard par rapport à la norme, DS = -1,9). Au TMT, M et V présentent une certaine lenteur à la partie A (DS = -2). Enfin, V obtient des scores pathologiques à l’épreuve de Mesulam, soit au niveau du temps d’exécution (DS = -3,4 à l’épreuve des A ordonnés et -1,5 à celle des A désordonnés) soit au niveau du nombre d’erreurs commises (DS = -2,7 à l’épreuve des S ordonnés et -4 à celle des S désordonnés). En conclusion, trois enfants prématurés présentent des troubles à certains tests cliniques. Si M et J obtiennent des résultats à l’épreuve du ANT dans la moyenne par rapport aux autres enfants prématurés, V présente des scores nettement pathologiques (2 écart-types par rapport à la moyenne des prématurés) pour le conflit et l’alerte.

DISCUSSION

Pour mettre en évidence un dysfonctionnement du contrôle attentionnel chez les enfants prématurés, nous avons utilisé un test inspiré de l’Attention Network Test développé par Fan et al. (2002). Malgré les différences entre notre test et le test original, nos résultats chez des enfants contrôles de 7 à 11 ans ont permis de mettre en évidence des effets d’orientation de l’attention et de conflit (congruence) comparables à ceux obtenus par Rueda et al. (2004) chez des enfants de 10 ans. Nous obtenons aussi un effet d’alerte, bien que celui-ci soit inférieur à celui obtenu par ces auteurs. De plus, tous les participants ont été plus rapides pour répondre aux cibles accompagnées de flankers neutres que congruents. Une telle différence avait été retrouvée dans l’étude de Fan, Flombaum, McCandliss, Thomas et Posner (2003), mais de manière non significative. Ce résultat pourrait s’expliquer par une saillance plus importante de la cible dans le cas de flankers neutres. L’uniformité du dispositif dans la condition de flankers congruents, composé d’éléments semblables, perturberait vraisemblablement la recherche et l’individualisation de la cible.

Attention et Prématurité

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Concernant la dépendance fonctionnelle relative des trois réseaux attentionnels (alerte, orientation de l’attention, contrôle attentionnel), nous retrouvons une interaction entre les facteurs Indice et Congruence dans l’analyse globale (forte tendance dans l’analyse des résultats des sujets contrôles seuls). Ce résultat est semblable à celui obtenu par Fan et al. (2002) chez les adultes sains. L’effet de conflit est plus important dans les conditions sans indice et avec indice d’alerte que dans la condition avec indice spatial. Ceci s’accorde avec les résultats de la littérature montrant qu’une attention dirigée à l’endroit où la cible apparaît permet de réduire l’influence des flankers en facilitant le choix de la réponse appropriée (Van der Molen, 2000). Cette interaction suggère l’existence d’une dépendance relative du contrôle attentionnel et de l’orientation de l’attention sélective, l’orientation modulant le degré d’interférence induit par les flankers non congruents (Fan et al., 2002).

Surtout, nos résultats montrent que les enfants prématurés sont significativement plus lents pour répondre à la cible que les enfants contrôles. Ce résultat est important car peu d’études ont utilisé les temps de réponse pour mettre en évidence un déficit cognitif chez des enfants prématurés (voir cependant Potgieter et al., 2003). Plus précisément, concernant notre problématique, nos résultats montrent que le sous-système de contrôle attentionnel est perturbé chez les enfants prématurés. En effet, l’effet de conflit dans ce groupe est deux fois supérieur à celui retrouvé chez des enfants contrôles. Il reste difficile d’établir une corrélation entre un tel trouble et la présence de lésions cérébrales, vu le petit nombre de patients de notre étude. Cependant, plusieurs recherches ont tenté de retrouver des particularités cérébrales, autres que les leucomalacies périventriculaires ou les hémorragies intraventriculaires et périventriculaires, qui pourraient expliquer les déficits observés. Ainsi, Peterson et al. (2000), utilisant la technique d’IRM, ont mis en évidence, chez des enfants de 8 ans nés prématurément et n’ayant pas eu de complications neurologiques à la naissance, une diminution du volume de certaines régions, notamment sous-corticales comme les ganglions de la base, l’amygdale, l’hippocampe et le corps calleux. De plus, une corrélation positive entre de faibles mesures cognitives et la diminution du volume de certaines régions est observée.

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Pour Peterson et al. (2000), les raisons de ces diminutions de volume ne sont pas encore expliquées mais elles pourraient en partie résulter de troubles du débit sanguin et de phénomènes hypoxiques plus subtils et chroniques. Allin, Henderson, Suckling, Nosarti, Rushe, Fearon et al. (2004) ont récemment mis en évidence une distribution anormale entre la substance blanche et la substance grise, également associée à un élargissement des ventricules latéraux. Une atteinte des ganglions de la base, associée à des problèmes retrouvés au niveau de la substance blanche, pourrait expliquer un trouble du contrôle attentionnel. En effet, les connexions qui relient le cortex frontal aux noyaux gris centraux définissent des boucles striato-frontales qui jouent un rôle important dans le processus de contrôle attentionnel (Fernandez-Duque & Posner, 2001).

Le contrôle attentionnel est très sollicité dans les activités scolaires où l’enfant doit acquérir de nouvelles connaissances, ajuster son comportement social et résoudre des problèmes. Un trouble de ce contrôle pourrait donc expliquer, du moins en partie, la plus grande prévalence des troubles des apprentissages observés chez les enfants prématurés. Ce résultat permet de souligner la nécessité d’évaluer l’efficience du contrôle attentionnel dans cette population d’enfants afin de pouvoir leur proposer, si nécessaire, des adaptations scolaires. Il apparaît, en outre, que le ANT est plus sensible que les épreuves neuropsychologiques classiques pour mettre en évidence un trouble du contrôle attentionnel. En effet, les résultats de notre groupe d’enfants prématurés à ces épreuves se situent dans la norme, même si certains enfants présentent une certaine lenteur lors de leur réalisation.

Nos résultats ne révèlent pas de troubles du sous-système attentionnel de l’orientation de l’attention sélective. Cependant, les enfants prématurés de notre étude ne présentaient pas de troubles visuo-spatiaux importants. Il est donc difficile de généraliser à tous les enfants prématurés. Si les mécanismes de l’alerte semblent globalement indemnes chez nos prématurés, l’effet d’alerte est cinq fois plus important dans la condition non congruente pour les enfants prématurés par rapport aux enfants du groupe contrôle. Une telle interférence entre le sous-système de l’alerte et celui du contrôle attentionnel montre que ces deux sous-systèmes sont moins bien individualisés chez les enfants prématurés que chez les enfants du groupe contrôle. D’après Posner

Attention et Prématurité

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et Rothbart (1991), les réseaux du contrôle attentionnel et de l’alerte seraient sous la dépendance du cortex préfrontal. Cependant, une différenciation hémisphérique existerait, le contrôle attentionnel étant sous la dépendance d’un réseau préfrontal gauche tandis que le sous-système d’alerte dépendrait d’un réseau préfrontal droit, incluant d’autres structures sous-corticales (Siéroff & Auclair, 2002). L’interaction observée dans notre étude entre ces deux sous-systèmes chez les enfants prématurés pourrait provenir d’une moins bonne différenciation hémisphérique. Un des signes extérieurs d’une moindre différenciation hémisphérique est une latéralité manuelle gauche, or il apparaît, dans notre étude, que le groupe d’enfants prématurés présente une plus grande proportion de gauchers (2 sur 7) que le groupe contrôle (3 sur 55). Plusieurs études signalent d’ailleurs une proportion de gauchers manuels plus importante chez les enfants prématurés (Marlow, Roberts & Cooke, 1989 ; Ross, Lipper & Auld, 1992). Par ailleurs, même si les enfants prématurés de notre étude ne présentaient pas de syndrome d’hyperactivité, signalons que d’autres auteurs ont trouvé une prévalence plus forte d’un syndrome d’hyperactivité avec déficit d’attention (THADA) chez les enfants prématurés (Szatmari et al., 1990). Or, les études vont dans le sens d’un double déficit au niveau des réseaux d’alerte et du contrôle attentionnel dans le THADA (Swanson, Posner, Cantwell, Wigal, Crinella, Filipek et al., 1998).

CONCLUSION

Malgré les variations inter-individuelles, les résultats de cette étude suggèrent qu’il existe chez les enfants anciens prématurés un dysfonctionnement qui se situe essentiellement au niveau du contrôle attentionnel. Ceci pourrait expliquer la plus grande prévalence des difficultés scolaires rencontrées dans cette population d’enfants. Nos résultats suggèrent également une moindre individualisation des réseaux d’alerte et de contrôle chez les enfants prématurés ou encore un dysfonctionnement au sein même du réseau d’alerte. D’autres études, incluant davantage de sujets prématurés, contrôlant l’hétérogénéité des caractéristiques cliniques

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et précisant les anomalies morphologiques cérébrales, seront nécessaires afin de vérifier les effets observés, de les approfondir et d’en étayer les causes lésionnelles sur le plan anatomique.

REMERCIEMENTS

Nous remercions Marie-Laure Royer pour l’aide apportée à l’évaluation des enfants prématurés. Nous remercions également le directeur et les enseignants de l’École Élémentaire Thiers à Boulogne-Billancourt d’avoir accepté de nous accueillir, de même que les enfants et leurs parents pour leur participation à cette étude.

ABSTRACT

Attentional control disorder and prematurity

The goal of our study was to test the possibility of an attentional deficit in premature children and to evaluate the nature of this deficit. We used a computerized test inspired by the Attention Network Test (developped by Fan et al., 2002), measuring the effects of the three attentionnal subsystems described by Posner & Rothbart (1991) : anterior control, alert or vigilance and posterior selective attention. This test combines the spatial cueing paradigm and the flankers paradigm. Our results showed that the conflict effect (difference between congruent and incongruent flankers) was twice as large in premature children compared to age-matched controls. This result indicates a disorder of attentional control in these premature children. Such a dysfunction could explain, at least partly, the largest incidence of the learning disorders in premature children. In addition, our study revealed an interference between control and alert systems, possibly indicating that these systems have not been individualized in the premature population, a result which could be related to a problem in hemispheric differentiation.

Attention et Prématurité

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