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Valeria Buffon, David Piché, Ontologie et logique du mal au début du XIIIe siècle. Le problème...

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9 ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DÉBUT DU XIII E SIÈCLE Valeria Buffon * – David Piché ** Ontologie et logique du mal au début du XIII e siècle. Le problème du mal dans le Commentaire à l’Éthique du Pseudo-Peckham *** Abstract: Some time after the Albigeois’ crusade, philosophers are still concerned about the problem of Evil and theodicy. The Pseudo-Peckham’s Commentary on Nicomachean Ethics, written by a Parisian Arts Master around 1240-1244, resumes the issue from a logical point of view in order to avoid the acceptance of an ontology of Evil. As appendix, two questions on Evil are included in provisional edition and translation. Key words: Evil; Ontology; Logics; Commentaries on Nicomachean Ethics. Ancient and Medieval Authors: Aristotle; Pseudo-Peckham. Resumo: Algum tempo após a cruzada dos Albigenses os filósofos estão ainda preocupados com o problema do Mal e a teodiceia. O Comentário do pseudo-Peckham sobre a Ética a Nicómaco, escrito por um mestre de Artes parisiense por volta de 1240- 1244, retoma a questão de um ponto de vista lógico, a fim de evitar a aceitação de © Mediaevalia. Textos e estudos, 30 (2011), pp. 9-61 * Investigadora asistente CONICET, Centro de Estudios de Filosofía Medieval, Universidad de Buenos Aires, Puán 480, (1406) Ciudad Autónoma de Buenos Aires, Argentina; valeria. [email protected] ** David Piché, Professeur agrégé, Département de philosophie, Université de Montréal, 2910 Édouard-Montpetit, Local 408, Montréal (Québec) H3T 1J7, Canada; david.piche@umontreal. ca *** Nous tenons à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) ainsi que le Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas (CONICET) pour le soutien financier qu’ils accordent à nos recherches.
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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Valeria Buffon ndash David Picheacute

Ontologie et logique du mal au deacutebut du XIIIe siegravecleLe problegraveme du mal dans le Commentaire agrave lrsquoEacutethique

du Pseudo-Peckham

Abstract Some time after the Albigeoisrsquo crusade philosophers are still concerned about the problem of Evil and theodicy The Pseudo-Peckhamrsquos Commentary on Nicomachean Ethics written by a Parisian Arts Master around 1240-1244 resumes the issue from a logical point of view in order to avoid the acceptance of an ontology of Evil As appendix two questions on Evil are included in provisional edition and translation

Key words Evil Ontology Logics Commentaries on Nicomachean EthicsAncient and Medieval Authors Aristotle Pseudo-Peckham

Resumo Algum tempo apoacutes a cruzada dos Albigenses os filoacutesofos estatildeo ainda preocupados com o problema do Mal e a teodiceia O Comentaacuterio do pseudo-Peckham sobre a Eacutetica a Nicoacutemaco escrito por um mestre de Artes parisiense por volta de 1240-1244 retoma a questatildeo de um ponto de vista loacutegico a fim de evitar a aceitaccedilatildeo de

copy Mediaevalia Textos e estudos 30 (2011) pp 9-61

Investigadora asistente CONICET Centro de Estudios de Filosofiacutea Medieval Universidad de Buenos Aires Puaacuten 480 (1406) Ciudad Autoacutenoma de Buenos Aires Argentina valeriabuffongmailcom

David Picheacute Professeur agreacutegeacute Deacutepartement de philosophie Universiteacute de Montreacuteal 2910 Eacutedouard-Montpetit Local 408 Montreacuteal (Queacutebec) H3T 1J7 Canada davidpicheumontrealca

Nous tenons agrave remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) le Fonds queacutebeacutecois de recherche sur la socieacuteteacute et la culture (FQRSC) ainsi que le Consejo Nacional de Investigaciones Cientiacuteficas y Teacutecnicas (CONICET) pour le soutien financier qursquoils accordent agrave nos recherches

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

uma ontologia do Mal Em apecircndice a este estudo inclui-se a ediccedilatildeo provisoacuteria e a traduccedilatildeo de duas questotildees sobre o Mal desse Comentaacuterio

Palavras-chave Mal Ontologia Loacutegica Comentaacuterios sobre Eacutetica a NicoacutemacoAutores Antigos e Medievais Aristoacuteteles Pseudo-Peckham

1 Introduction historico-doctrinale

1 1 Lrsquoontologie du mal de Plotin agrave Denys synopsis des sources antiques de la penseacutee meacutedieacutevale latine

En deccedilagrave de lrsquoeacutethique les philosophes de lrsquoantiquiteacute et du Moyen Acircge se sont poseacute la question du statut ontologique et de lrsquoorigine du mal Sur ce thegraveme la reacuteflexion des penseurs scolastiques du XIIIe siegravecle celle du Pseudo-Peckham ne faisant pas exception est tributaire des efforts de penseacutee et des œuvres que lui a leacutegueacutees lrsquoAntiquiteacute tardive Pour scheacutematiser nous pourrions dire que durant cette peacuteriode deux grands courants de penseacutee se sont affronteacutes lrsquoun qui va du manicheacuteisme le plus strict agrave la position agrave la fois subtile et ambiguumle de Plotin (205-270) et qui identifie le mal agrave une reacutealiteacute doueacutee drsquoefficience lrsquoautre qui regroupe non sans qursquoils preacutesentent entre eux de notables diffeacuterences Augustin (354-430) Proclus (41012-485) et Denys le Pseudo-Areacuteopagite (fin Ve ndash deacutebut VIe siegravecle) et qui soutient que le mal est priveacute de reacutealiteacute et sans efficience reacuteelle

Il importe drsquoentreacutee de jeu de preacuteciser en quoi fondamentalement lrsquoexistence du mal pose problegraveme drsquoune part pour Plotin et ses successeurs de la tradition dite laquoneacuteo-platonicienneraquo drsquoautre part pour Augustin et les penseurs chreacutetiens qui srsquoinscriront dans son sillage Pour les neacuteo-platoniciens la question imparable est la suivante si tout procegravede de lrsquoUn qui est le Bien absolu par-delagrave tout eacutetant comment se fait-il qursquoil y ait du mal dans le monde Deux voies divergentes srsquoouvrent en reacuteponse agrave cette question La premiegravere consiste agrave soutenir que rien nrsquoeacutechappe agrave lrsquoinfluence universelle de lrsquoUn-Bien et par conseacutequent que le mal se reacuteduit agrave une sorte de contre-existence qui ne subsiste qursquoen vertu du bien auquel elle srsquooppose crsquoest la voie qursquoont emprunteacutee Proclus et Denys La seconde consiste agrave penser que lrsquoefficience positive du Bien est limiteacutee par son contraire neacutegatif le mal qui srsquoidentifie au niveau le plus bas de la hieacuterarchie processuelle des eacutetants crsquoest la voie qursquoa pratiqueacutee Plotin dans le Traiteacute 51 (Enneacuteades I 8) nonobstant les ideacutees diffeacuterentes qursquoil a pu soutenir ailleurs sur ce thegraveme

Pour Augustin la question se pose en des termes diffeacuterents comment expliquer qursquoil y ait du mal dans un univers qui est inteacutegralement creacuteeacute par un Dieu agrave la fois souverainement bon et tout-puissant Si nous admettons avec Augustin

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

qursquoil y a un seul et unique Dieu creacuteateur de toute chose il semble impossible de soutenir simultaneacutement les trois propositions en preacutesence agrave savoir laquoDieu est souverainement bonraquo laquoDieu est tout-puissantraquo et laquoil y a du mal dans le monderaquo En effet soit Dieu est tout-puissant mais dans ce cas il nrsquoest pas souverainement bon puisqursquoil laisse le mal se produire alors qursquoil pourrait lrsquoeacuteradiquer soit Dieu est souverainement bon mais dans ce cas il nrsquoest pas tout-puissant puisque sa creacuteation comporte du mal que lui-mecircme ne semble pas pouvoir eacuteliminer Reste neacuteanmoins une derniegravere possibiliteacute qursquoAugustin aura exploiteacutee et qui se deacutecline en deux temps agrave savoir que le mal nrsquoa pas de reacuteelle existence puisqursquoil est de lrsquoordre de la privation et qursquoil ne provient pas de Dieu mais deacutecoule plutocirct du libre vouloir drsquoune creacuteature rationnelle qui peut choisir de se deacutetourner de son Creacuteateur

Avant drsquoexaminer plus en profondeur la position drsquoAugustin nous aimerions faire ressortir les grandes lignes de la conception plotinienne du mal telle qursquoelle se preacutesente dans le Traiteacute 51 En premier lieu il convient de mettre au jour la matrice textuelle de toute reacuteflexion neacuteo-platonicienne sur le mal agrave savoir ce que Platon eacutecrit dans Theacuteeacutetegravete 176a-b dont voici le texte (Socrate srsquoadresse agrave son interlocuteur Theacuteodore)

[hellip] Il nrsquoest pas possible Theacuteodore que les maux disparaissent car il faut toujours qursquoil y ait quelque chose de contraire (ὕπεναντίον) au bien ni qursquoils aient place parmi les dieux et crsquoest une neacutecessiteacute qursquoils circulent dans le genre humain et sur cette terre Aussi faut-il tacirccher de fuir au plus vite de ce monde dans lrsquoautre Or fuir ainsi crsquoest se rendre autant que possible semblable agrave Dieu et ecirctre semblable agrave Dieu crsquoest ecirctre juste et saint avec lrsquoaide de lrsquointelligence1

Le Traiteacute 51 vise ultimement agrave assurer lrsquointelligence de ce texte de Platon dont nous nous contenterons pour lrsquoheure de souligner les trois aspects qui seront deacuteterminants pour la speacuteculation ulteacuterieure la caracteacuterisation du mal comme contraire au bien la neacutecessiteacute de la preacutesence du mal sur un certain plan du reacuteel lrsquoassimilation agrave Dieu comme reacuteponse au deacutefi lanceacute par lrsquoexistence du mal Mais revenons agrave Plotin Au seuil de son traiteacute il soulegraveve six questions qursquoil importe de rappeler (1) Qursquoest-ce que le mal (2) Est-ce que le mal existe (3) Quelle est lrsquoorigine des maux (4) Ougrave est-ce que le mal survient agrave tous les niveaux du reacuteel ou seulement agrave lrsquoun drsquoentre eux (5) Comment est-il possible de connaicirctre le mal

1 Platon Theacuteeacutetegravete 176a-b traduction drsquoEacute CHAMBRY Flammarion Paris 1967 pp 111-112

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(6) Quel type de contrarieacuteteacute oppose le bien et le mal La question fondamentale pour Plotin est la premiegravere qursquoest-ce que le mal Notre philosophe juge qursquoil faut drsquoabord speacutecifier lrsquoessence du mal pour ecirctre en mesure de reacutepondre ensuite aux autres interrogations relatives au mal

Partant du constat de la multipliciteacute des maux qui affectent notre monde Plo-tin met en œuvre une logique de reacuteduction du multiple agrave lrsquoun logique qui le con-duira agrave poser lrsquoexistence drsquoune nature unique du mal un mal en soi fondamental qui se trouve au principe des diverses choses mauvaises Drsquoougrave la distinction qui traverse lrsquoentiegravereteacute du Traiteacute 51 entre le mal premier ndash qui est identifieacute agrave la ma-tiegravere ndash et les maux secondaires dont la matiegravere est la source ou la cause lesquels sont soit drsquoordre corporel ndash ce sont la maladie la laideur et la pauvreteacute ndash soit drsquoor-dre moral ndash ce sont les vices et les fausses opinions qui brouillent le jugement mo-ral Concevant le mal comme contraire de ce bien qursquoest lrsquoecirctre intelligible Plotin parvient agrave eacutelaborer un concept du mal par neacutegation des attributs qui caracteacuterisent ce bien Ainsi puisque lrsquoecirctre intelligible est caracteacuteriseacute par la forme la limite la mesure et la pleacutenitude autarcique le mal est deacutefini a contrario comme ce qui est informe illimiteacute deacutemesureacute indigent et deacuteficient Lrsquoentiteacute qui recueille en soi tous ces attributs neacutegatifs est la matiegravere La matiegravere est donc le mal en soi et tout ce qui se trouve meacutelangeacute drsquoune maniegravere ou drsquoune autre agrave la matiegravere est mauvais2 En somme selon le Plotin du Traiteacute 51 le mal srsquoil est quasiment rien nrsquoen demeure pas moins une composante ontologique du reacuteel la matiegravere et par conseacutequent tout ce qui a part agrave cette derniegravere est mauvais3

2 Agrave ce propos il faut citer le passage suivant du Traiteacute 51 laquo [hellip] Si donc ceux-lagrave sont les ecirctres ltagrave savoir lrsquoIntellect et lrsquoAcircmegt et ce qui est au-delagrave des ecirctres ltagrave savoir lrsquoUngt le mal ne serait pas parmi les ecirctres ni dans ce qui est au-delagrave des ecirctres Car ils sont bons Il reste donc que srsquoil existe il est parmi ceux qui ne sont pas eacutetant comme une certaine espegravece du non-ecirctre et associeacute avec une des choses meacutelangeacutees avec le non-ecirctre ou ayant part de quelque maniegravere au non-ecirctre ndash non-ecirctre non en tant que non-ecirctre total mais seulement en tant que diffeacuterent de lrsquoecirctre [hellip] comme une image de lrsquoecirctre ou non-ecirctre agrave un degreacute encore plus bas Or ceci est lrsquoensemble sensible et les affections associeacutees au sensible ou quelque chose de posteacuterieur agrave celles-lagrave comme quelque chose qui leur est accidentel ou leur principe ltagrave savoir la matiegraveregt ou quelque chose parmi les composants de lrsquoensemble tel qursquoil est raquo Plotin Traiteacute 51 traduction de D OrsquoMEARA Cerf Paris 1999 p 59 (les preacutecisions entre crochets obliques sont de nous)

3 Pour une eacutetude approfondie et nuanceacutee de la notion de matiegravere chez Plotin voir J-M NARBONNE laquo La controverse agrave propos de la geacuteneacuteration de la matiegravere chez Plotin lrsquoeacutenigme reacutesolue raquo dans Quaestio 7 (2007) pp 123-163 Du mecircme auteur sur le mecircme thegraveme voir aussi Plotin Les deux matiegraveres [Enneacuteade II 4 (12)] Introduction texte grec traduction et commentaire preacuteceacutedeacute drsquoun Essai sur la probleacutematique plotinienne par J-M NARBONNE Vrin Paris 1993

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Augustin quant agrave lui offre une reacuteponse en deux temps agrave la question du mal un premier qui relegraveve drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation et un second qui ressortit agrave une meacutetaphysique du libre vouloir La deacutemarche augustinienne est semblable en son principe agrave celle que nous avons rencontreacutee chez Plotin lrsquoeacutevecircque drsquoHippone est drsquoavis qursquoil convient drsquoabord de se demander ce qursquoest le mal avant de chercher agrave en cerner lrsquoorigine Augustin deacutefinit le mal comme une corruption du bien qui affecte une nature autrement dit le mal se preacutesente lorsqursquoune creacuteature perd ce qui est un bien pour elle crsquoest-agrave-dire quelque chose qui lui convient speacutecifiquement Dans cette optique Augustin propose ce que nous pourrions appeler une conception transcendantale du bien creacuteeacute au sens tregraves preacutecis ougrave il admet lrsquoexistence de concomitants du bien creacuteeacute crsquoest-agrave-dire drsquoune part des proprieacuteteacutes qui toujours et neacutecessairement accompagnent ce bien et du coup le deacutefinissent intrinsegravequement et drsquoautre part des proprieacuteteacutes qui sont maximalement universelles et qui peuvent donc se preacutediquer de toute nature quelle qursquoelle soit4 Les concomitants du bien dont il srsquoagit sont les notions de modus species et ordo que lrsquoon peut traduire respectivement par laquomoderaquo ou laquomesureraquo laquoespegraveceraquo ou laquoformeraquo et laquoordreraquo En prenant appui sur les consideacuterations drsquoAugustin nous pouvons deacuteduire la formule suivante toute nature est un bien dans la mesure ougrave toute nature est modus species et ordo ndash formule drsquoougrave peut ecirctre tireacutee la fonction suivante la bonteacute ontologique drsquoune nature est directement proportionnelle au degreacute de modus species et ordo que cette nature reacutealise Nous pouvons degraves lors reprendre pour la preacuteciser la caracteacuterisation augustinienne du mal le mal est la corruption (la perte la deacuteteacuterioration) de modus species et ordo qui affecte une nature5 Notons que dans lrsquooptique augustinienne le mal nrsquoest jamais absolu car srsquoil lrsquoeacutetait il deacutetruirait totalement la nature qursquoil affecte et du coup srsquoauto-aneacuteantirait lui-mecircme puisqursquoil nrsquoexiste que pour autant qursquoil soit ontologiquement

4 La transcendantaliteacute dont il est ici question est eacutevidemment agrave prendre en un sens limiteacute puisqursquoelle ne concerne que le bien creacuteeacute elle ne srsquoapplique pas au Bien transcendant et increacuteeacute qursquoest Dieu On pourrait donc parler drsquoune transcendantaliteacute laquo immanente raquo ou laquo horizontale raquo par opposition agrave une theacuteorie laquo verticale raquo selon laquelle les notions transcendantales telle que la notion de bien srsquoappliqueraient eacuteminemment agrave Dieu Ecirctre premier

5 Cette caracteacuterisation du mal se rencontre notamment dans le passage suivant du traiteacute De natura boni (La nature du bien) chapitre 4 laquo Donc lorsqursquoon cherche drsquoougrave vient le mal on doit chercher drsquoabord ce qursquoest le mal Ce nrsquoest rien drsquoautre que la corruption du mode de la forme ou de lrsquoordre naturel [hellip] Une nature corrompue en tant qursquoelle est une nature est bonne en tant qursquoelle est corrompue elle est mauvaise raquo Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 445

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porteacute par la nature qursquoil corrompt En drsquoautres termes aussi infime soit-elle aussi grand que soit le degreacute de corruption qui lrsquoaffecte une nature en tant que nature demeure toujours un bien

La deacutefinition augustinienne du mal eacutetant poseacutee surgit lrsquointerrogation con-cernant son origine Drsquoougrave vient cette dynamique de corruption qui est susceptible drsquoaffecter toute nature Augustin reacutepond en un premier temps que la condition de possibiliteacute de la corruption reacuteside dans la mutabiliteacute de la nature Mais une telle reacuteponse ne suffit pas ou plutocirct elle appelle une autre question quelle est la source de la mutabiliteacute qui frappe toute nature Crsquoest la meacutetaphysique de la creacuteation qui permet agrave Augustin drsquoapporter une reacuteponse agrave cette derniegravere question Si les natures sont muables donc enclines agrave la corruption crsquoest que ayant eacuteteacute creacuteeacutees par Dieu crsquoest-agrave-dire tireacutees du neacuteant par Dieu elles portent en elles une certaine inclination au non-ecirctre Crsquoest donc dire que la corruption qursquoest le mal a le neacuteant pour origine Il convient drsquoecirctre bien attentif ici agrave la conceptualiteacute preacutecise agrave laquelle Augustin a recours Ecirctre creacuteeacutee pour une quelconque nature signifie ecirctre faite par Dieu agrave par-tir de rien agrave partir du neacuteant toute chose a eacuteteacute faite laquoa Deo de nihiloraquo Nous som-mes donc en preacutesence de deux couples notionnels dont la correspondance terme agrave terme est marqueacutee avec preacutecision par Augustin Du cocircteacute du Creacuteateur nous avons le couple Dieu-neacuteant auquel correspond du cocircteacute de la creacuteature le couple nature-corruptible Ainsi crsquoest en tant que nature et non en tant que corruptible que toute chose est creacuteeacutee par Dieu Conseacutequemment puisque tout ce que fait le Sou-verain bien est un bien toute nature en tant que telle est bonne Correacutelativement crsquoest en tant qursquoelle tire son origine du neacuteant en tant qursquoelle provient du non-ecirctre que la nature est corruptible et par conseacutequent qursquoil y a du mal en elle6

Le mal est donc un deacutefaut drsquoecirctre une certaine neacutegativiteacute ontologique qui ne subsiste qursquoagrave la faveur drsquoun double rapport agrave lrsquoecirctre agrave la positiviteacute existentielle agrave savoir drsquoune part le rapport agrave un degreacute de modus species et ordo en lrsquoabsence duquel il y a du mal et drsquoautre part le rapport agrave une nature qui tient lieu de substrat pour le mal dont elle est affecteacutee Chose certaine selon Augustin le mal ne saurait

6 Ces correspondances sont clairement eacutetablies dans le passage suivant du traiteacute Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 laquo [hellip] Lorsqursquoon parle de la nature corruptible on dit deux choses et non une seule chose de mecircme que lorsqursquoon dit que Dieu a creacuteeacute de rien on eacutenonce deux choses et non une seule Rapporte donc chaque mot agrave chaque chose quand tu entends nature comprend que cela a rapport agrave Dieu quand tu entends corruptible que cela a rapport au neacuteant [hellip] raquo Augustin Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 traduction de R JOLIVET et M JOURJON Paris 1961 p 499

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

en aucun cas ecirctre assimileacute agrave la matiegravere contre cette tendance du plotinisme que nous avons preacutesenteacutee plus haut ce dont teacutemoigne eacuteloquemment le passage suivant du traiteacute sur La nature du bien chapitre 18

On ne doit donc pas appeler mal cette hylegrave7 qui non seulement ne peut ecirctre saisie par une forme repreacutesentative (species) mais encore peut ecirctre agrave peine penseacutee par eacutelimination de toute sorte de forme repreacutesentative Elle a en effet elle-mecircme la capaciteacute des formes (forma) [hellip] Or si la forme est un bien il nrsquoy a pas de doute que la capaciteacute de la forme est aussi un bien [hellip] Et comme tout bien est par Dieu on ne doit pas douter que cette matiegravere dans la mesure ougrave elle est ne peut ecirctre que par Dieu8

Si nous nous haussons maintenant au niveau des creacuteatures raisonnables crsquoest-agrave-dire les anges et les hommes nous constatons que la grille de lecture qursquoAugus-tin a mise en place au moyen de sa meacutetaphysique de la creacuteation est toujours opeacute-rante le mal est penseacute encore ici comme une inclination de la creacuteature au neacuteant Cependant la prise en consideacuteration du cas speacutecifique des creacuteatures intelligentes conduit Augustin agrave apporter des deacuteterminations nouvelles agrave sa reacuteflexion sur lrsquoori-gine du mal La fine pointe de la reacuteflexion augustinienne sur le mal se trouve lagrave dans la mise en œuvre drsquoune meacutetaphysique du libre vouloir Le concept central de cette meacutetaphysique est celui de superbia litteacuteralement la superbe crsquoest-agrave-dire lrsquoorgueil qui deacutesigne ici non pas un vice ou un deacutefaut qui peut affecter une per-sonne en particulier ndash nous ne sommes pas sur le plan de la psychologie morale ndash mais plutocirct une orientation fondamentale de lrsquointentionnaliteacute en faveur de laquelle toute volonteacute libre peut se deacutecider Ainsi conccedilu lrsquoorgueil est la volition originelle qui rend possible le mal moral il est ce par quoi le mal advient dans le domaine de lrsquoesprit drsquoougrave il se reacutepand apregraves coup pour subvertir ou pervertir tous les ordres de la creacuteation Plus preacuteciseacutement lrsquoorgueil est la libre reacutesolution par laquelle la volonteacute de la creacuteature raisonnable choisit de se deacutetourner du Souverain bien pour se tourner vers elle-mecircme vers son propre bien Il srsquoagit donc drsquoun deacutetournement de la volonteacute par lequel lrsquoesprit creacuteeacute choisit de se substituer agrave son Creacuteateur en tant qursquoobjet premier et ultime du deacutesir9 Tel que lrsquoeacutevecircque drsquoHippone le conccediloit lrsquoor-

7 Ce mot est la translitteacuteration du terme grec signifiant laquo matiegravere raquo8 Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 4579 Voir en ce sens le passage suivant de La citeacute de Dieu livre XII chapitre 6 laquo [hellip] La veacuteritable

cause de la misegravere des mauvais anges ltet pareillement des hommes de mauvaise volonteacutegt crsquoest qursquoils se sont deacutetourneacutes de cet Ecirctre souverain pour se tourner vers eux-mecircmes Ce vice nrsquoest-il pas ce qursquoon appelle lrsquoorgueil Or laquo lrsquoorgueil est le commencement de tout peacutecheacute raquo (Eccl X 15) Ils nrsquoont pas voulu rapporter agrave Dieu leur grandeur et lorsqursquoil ne tenait qursquoagrave eux drsquoagrandir

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gueil deacutetient une structure paradoxale mouvement volontaire par lequel lrsquoesprit creacuteeacute cherche agrave srsquoeacutelever au-dessus du rang ontologique qui lui a eacuteteacute assigneacute donc volonteacute de transgresser le niveau de modus species et ordo qui est approprieacute agrave la creacuteature rationnelle lrsquoorgueil implique du mecircme coup la deacutecheacuteance ou la reacutetro-gradation ontologique de lrsquoesprit creacuteeacute

Maintenant la question suivante pourrait ecirctre souleveacutee si lrsquoorgueil est agrave lrsquoorigine du mal spirituel et de ce qui srsquoensuit y a-t-il une cause agrave lrsquoorgueil lui-mecircme La reacuteponse drsquoAugustin est neacutegative la volonteacute qui srsquoest corrompue par lrsquoorgueil la mauvaise volonteacute est sans cause aucun motif rationnel ne peut ecirctre invoqueacute qui rendrait compte de cette deacutecision originelle Cette absence de cause agrave la mauvaise volonteacute se comprend mieux si lrsquoon precircte attention agrave la terminologie preacutecise qursquoemploie Augustin pour deacutesigner le peacutecheacute originel En effet il parle de cet eacutevegravenement en termes de deacutefaillance drsquoabandon de deacutelaissement pour lui peacutecher eacutequivaut agrave deacutechoir tomber chuter Il ne srsquoagit donc pas drsquoun acte positif mais drsquoun deacutefaut du vouloir Or un deacutefaut un manque une deacutefaillance bref une neacutegativiteacute ne saurait avoir quelque chose de positif comme cause Crsquoest la raison pour laquelle Augustin affirme que la mauvaise volonteacute nrsquoa pas de cause efficiente mais seulement une cause deacuteficiente ce qui revient agrave dire que dans le cas de la mauvaise volonteacute il y a deacuteficience ou absence radicale de cause En somme bien que la volonteacute ait eacuteteacute creacuteeacutee faillible faillibiliteacute qui est la condition de sa liberteacute rien drsquoautre qursquoelle-mecircme ne peut ecirctre tenu responsable de sa perdition10

leur ecirctre en srsquoattachant agrave celui qui est souverainement ils ont preacutefeacutereacute ce qui a moins drsquoecirctre en se preacutefeacuterant agrave lui Voilagrave la premiegravere deacutefaillance et le premier vice de cette nature qui nrsquoavait pas eacuteteacute creacuteeacutee pour posseacuteder la perfection de lrsquoecirctre et qui neacuteanmoins pouvait ecirctre heureuse par la jouissance de lrsquoEcirctre souverain tandis que sa deacutesertion sans la preacutecipiter il est vrai dans le neacuteant lrsquoa rendue moindre qursquoelle nrsquoeacutetait et par conseacutequent miseacuterable raquo Augustin La citeacute de Dieu XII 6 traduction sous la direction de M POUJOULAT et de M RAULX Bar-le-Duc 1864-1872 (disponible sur le site URL httpwwwabbaye-saint-benoitch) Ce qui se trouve entre crochets obliques est de nous

10 Agrave lrsquoappui de ce qui vient drsquoecirctre exposeacute voir les extraits suivants de La citeacute de Dieu livre XII chapitres 6 7 et 8 (traduction ibidem) laquo Demandera-t-on la cause efficiente de cette mauvaise volonteacute Il nrsquoy en a point Rien ne fait la volonteacute mauvaise puisque crsquoest elle qui fait ce qui est mauvais La mauvaise volonteacute est donc la cause drsquoune mauvaise action mais rien nrsquoest la cause de cette mauvaise volonteacute [hellip] Lorsque la volonteacute quitte ce qui est au-dessus drsquoelle pour se tourner vers ce qui lui est infeacuterieur elle devient mauvaise non parce que la chose vers laquelle elle se tourne est mauvaise mais parce que crsquoest un mal que de srsquoy tourner Ainsi ce nrsquoest pas une chose infeacuterieure qui a fait la volonteacute mauvaise mais crsquoest la volonteacute mecircme qui srsquoest rendue mauvaise en se portant irreacuteguliegraverement sur une chose infeacuterieure [hellip] Que personne ne cherche donc une cause efficiente de la mauvaise volonteacute Cette cause nrsquoest point positive efficiente

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Tournons-nous maintenant vers le Pseudo-Denys Un texte de ce penseur qui alimentera profondeacutement la speacuteculation meacutedieacutevale sur le mal est la seconde partie du chapitre 4 du traiteacute De divinis nominibus (Des noms divins) Dans ce chapitre le problegraveme du mal est souleveacute incidemment agrave lrsquooccasion drsquoune objection concernant lrsquoexistence des deacutemons anges deacutechus puisque ceux-ci semblent opposer un deacutementi flagrant agrave la thegravese que lrsquoAreacuteopagite srsquoemploie agrave eacutetablir agrave savoir que tout ce qui existe tend vers le Bien Le traiteacute Des noms divins de Denys connaicirctra une large diffusion dans lrsquoOccident chreacutetien puisque pas moins de quatre traductions latines en seront faites respectivement par les carolingiens Hilduin et Jean Scot Eacuterigegravene au IXe siegravecle par Jean Sarrazin au XIIe siegravecle et par Robert Grosseteste dans les anneacutees 1240 Or il faut savoir que la digression sur le mal du chapitre 4 du traiteacute Des noms divins nrsquoest pas le fruit drsquoune reacuteflexion originale de la part de Denys il srsquoagit en fait du reacutesumeacute drsquoun opuscule de Proclus dont lrsquooriginal grec est perdu mais qui nous est neacuteanmoins parvenu dans la version latine reacutealiseacutee par Guillaume de Moerbeke vers 1280 ainsi que dans la reconstitution paraphrastique effectueacutee par Isaac Comnegravene le Seacutebastokrator un auteur byzantin de la fin du XIe siegravecle ou du deacutebut du XIIe siegravecle11 Il y aurait beaucoup agrave eacutecrire au sujet de la doctrine proclienne du mal au demeurant fort complexe mais nous nous limiterons pour lrsquoheure agrave preacutesenter ce qui nous semble ecirctre les quatre thegraveses majeures de lrsquoopuscule de Proclus qui est connu sous le titre latin De malorum subsistentia

Premiegravere thegravese le mal qui est de lrsquoordre de la deacutefaillance du deacutefaut ou du manque drsquoecirctre ne surgit que dans les strates infeacuterieures du reacuteel crsquoest-agrave-dire aux niveaux des acircmes particuliegraveres et des reacutealiteacutes mateacuterielles dans la mesure ougrave ces ecirctres participent de faccedilon intermittente au Bien

Deuxiegraveme thegravese il nrsquoy a pas de cause universelle ou de principe unique du mal contrairement aux diffeacuterents biens qui deacutecoulent tous drsquoun seul et unique Bien

mais neacutegative deacuteficiente parce que la volonteacute mauvaise nrsquoest point une action mais un deacutefaut drsquoaction Deacutechoir de ce qui est souverainement vers ce qui a moins drsquoecirctre crsquoest commencer agrave avoir une mauvaise volonteacute [hellip] La mauvaise volonteacute nrsquoest en celui en qui elle est que parce qursquoil le veut [hellip] Cette deacutefaillance ne consiste pas en ce que la volonteacute se porte vers une mauvaise chose puisqursquoelle ne peut se porter que vers une nature et que toutes les natures sont bonnes mais parce qursquoelle srsquoy porte mal crsquoest-agrave-dire contre lrsquoordre mecircme des natures en quittant ce qui est souverainement pour tendre vers ce qui a moins drsquoecirctre raquo

11 Cf C STEEL laquo Proclus et Denys sur lrsquoexistence du mal raquo dans Denys lrsquoAreacuteopagite et sa posteacuteriteacute en Orient et en Occident actes du colloque international Paris 21-24 septembre 1994 eacuted Y DE ANDIA Institut drsquoeacutetudes augustiniennes Paris 1997 pp 89-116

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absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

uma ontologia do Mal Em apecircndice a este estudo inclui-se a ediccedilatildeo provisoacuteria e a traduccedilatildeo de duas questotildees sobre o Mal desse Comentaacuterio

Palavras-chave Mal Ontologia Loacutegica Comentaacuterios sobre Eacutetica a NicoacutemacoAutores Antigos e Medievais Aristoacuteteles Pseudo-Peckham

1 Introduction historico-doctrinale

1 1 Lrsquoontologie du mal de Plotin agrave Denys synopsis des sources antiques de la penseacutee meacutedieacutevale latine

En deccedilagrave de lrsquoeacutethique les philosophes de lrsquoantiquiteacute et du Moyen Acircge se sont poseacute la question du statut ontologique et de lrsquoorigine du mal Sur ce thegraveme la reacuteflexion des penseurs scolastiques du XIIIe siegravecle celle du Pseudo-Peckham ne faisant pas exception est tributaire des efforts de penseacutee et des œuvres que lui a leacutegueacutees lrsquoAntiquiteacute tardive Pour scheacutematiser nous pourrions dire que durant cette peacuteriode deux grands courants de penseacutee se sont affronteacutes lrsquoun qui va du manicheacuteisme le plus strict agrave la position agrave la fois subtile et ambiguumle de Plotin (205-270) et qui identifie le mal agrave une reacutealiteacute doueacutee drsquoefficience lrsquoautre qui regroupe non sans qursquoils preacutesentent entre eux de notables diffeacuterences Augustin (354-430) Proclus (41012-485) et Denys le Pseudo-Areacuteopagite (fin Ve ndash deacutebut VIe siegravecle) et qui soutient que le mal est priveacute de reacutealiteacute et sans efficience reacuteelle

Il importe drsquoentreacutee de jeu de preacuteciser en quoi fondamentalement lrsquoexistence du mal pose problegraveme drsquoune part pour Plotin et ses successeurs de la tradition dite laquoneacuteo-platonicienneraquo drsquoautre part pour Augustin et les penseurs chreacutetiens qui srsquoinscriront dans son sillage Pour les neacuteo-platoniciens la question imparable est la suivante si tout procegravede de lrsquoUn qui est le Bien absolu par-delagrave tout eacutetant comment se fait-il qursquoil y ait du mal dans le monde Deux voies divergentes srsquoouvrent en reacuteponse agrave cette question La premiegravere consiste agrave soutenir que rien nrsquoeacutechappe agrave lrsquoinfluence universelle de lrsquoUn-Bien et par conseacutequent que le mal se reacuteduit agrave une sorte de contre-existence qui ne subsiste qursquoen vertu du bien auquel elle srsquooppose crsquoest la voie qursquoont emprunteacutee Proclus et Denys La seconde consiste agrave penser que lrsquoefficience positive du Bien est limiteacutee par son contraire neacutegatif le mal qui srsquoidentifie au niveau le plus bas de la hieacuterarchie processuelle des eacutetants crsquoest la voie qursquoa pratiqueacutee Plotin dans le Traiteacute 51 (Enneacuteades I 8) nonobstant les ideacutees diffeacuterentes qursquoil a pu soutenir ailleurs sur ce thegraveme

Pour Augustin la question se pose en des termes diffeacuterents comment expliquer qursquoil y ait du mal dans un univers qui est inteacutegralement creacuteeacute par un Dieu agrave la fois souverainement bon et tout-puissant Si nous admettons avec Augustin

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

qursquoil y a un seul et unique Dieu creacuteateur de toute chose il semble impossible de soutenir simultaneacutement les trois propositions en preacutesence agrave savoir laquoDieu est souverainement bonraquo laquoDieu est tout-puissantraquo et laquoil y a du mal dans le monderaquo En effet soit Dieu est tout-puissant mais dans ce cas il nrsquoest pas souverainement bon puisqursquoil laisse le mal se produire alors qursquoil pourrait lrsquoeacuteradiquer soit Dieu est souverainement bon mais dans ce cas il nrsquoest pas tout-puissant puisque sa creacuteation comporte du mal que lui-mecircme ne semble pas pouvoir eacuteliminer Reste neacuteanmoins une derniegravere possibiliteacute qursquoAugustin aura exploiteacutee et qui se deacutecline en deux temps agrave savoir que le mal nrsquoa pas de reacuteelle existence puisqursquoil est de lrsquoordre de la privation et qursquoil ne provient pas de Dieu mais deacutecoule plutocirct du libre vouloir drsquoune creacuteature rationnelle qui peut choisir de se deacutetourner de son Creacuteateur

Avant drsquoexaminer plus en profondeur la position drsquoAugustin nous aimerions faire ressortir les grandes lignes de la conception plotinienne du mal telle qursquoelle se preacutesente dans le Traiteacute 51 En premier lieu il convient de mettre au jour la matrice textuelle de toute reacuteflexion neacuteo-platonicienne sur le mal agrave savoir ce que Platon eacutecrit dans Theacuteeacutetegravete 176a-b dont voici le texte (Socrate srsquoadresse agrave son interlocuteur Theacuteodore)

[hellip] Il nrsquoest pas possible Theacuteodore que les maux disparaissent car il faut toujours qursquoil y ait quelque chose de contraire (ὕπεναντίον) au bien ni qursquoils aient place parmi les dieux et crsquoest une neacutecessiteacute qursquoils circulent dans le genre humain et sur cette terre Aussi faut-il tacirccher de fuir au plus vite de ce monde dans lrsquoautre Or fuir ainsi crsquoest se rendre autant que possible semblable agrave Dieu et ecirctre semblable agrave Dieu crsquoest ecirctre juste et saint avec lrsquoaide de lrsquointelligence1

Le Traiteacute 51 vise ultimement agrave assurer lrsquointelligence de ce texte de Platon dont nous nous contenterons pour lrsquoheure de souligner les trois aspects qui seront deacuteterminants pour la speacuteculation ulteacuterieure la caracteacuterisation du mal comme contraire au bien la neacutecessiteacute de la preacutesence du mal sur un certain plan du reacuteel lrsquoassimilation agrave Dieu comme reacuteponse au deacutefi lanceacute par lrsquoexistence du mal Mais revenons agrave Plotin Au seuil de son traiteacute il soulegraveve six questions qursquoil importe de rappeler (1) Qursquoest-ce que le mal (2) Est-ce que le mal existe (3) Quelle est lrsquoorigine des maux (4) Ougrave est-ce que le mal survient agrave tous les niveaux du reacuteel ou seulement agrave lrsquoun drsquoentre eux (5) Comment est-il possible de connaicirctre le mal

1 Platon Theacuteeacutetegravete 176a-b traduction drsquoEacute CHAMBRY Flammarion Paris 1967 pp 111-112

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(6) Quel type de contrarieacuteteacute oppose le bien et le mal La question fondamentale pour Plotin est la premiegravere qursquoest-ce que le mal Notre philosophe juge qursquoil faut drsquoabord speacutecifier lrsquoessence du mal pour ecirctre en mesure de reacutepondre ensuite aux autres interrogations relatives au mal

Partant du constat de la multipliciteacute des maux qui affectent notre monde Plo-tin met en œuvre une logique de reacuteduction du multiple agrave lrsquoun logique qui le con-duira agrave poser lrsquoexistence drsquoune nature unique du mal un mal en soi fondamental qui se trouve au principe des diverses choses mauvaises Drsquoougrave la distinction qui traverse lrsquoentiegravereteacute du Traiteacute 51 entre le mal premier ndash qui est identifieacute agrave la ma-tiegravere ndash et les maux secondaires dont la matiegravere est la source ou la cause lesquels sont soit drsquoordre corporel ndash ce sont la maladie la laideur et la pauvreteacute ndash soit drsquoor-dre moral ndash ce sont les vices et les fausses opinions qui brouillent le jugement mo-ral Concevant le mal comme contraire de ce bien qursquoest lrsquoecirctre intelligible Plotin parvient agrave eacutelaborer un concept du mal par neacutegation des attributs qui caracteacuterisent ce bien Ainsi puisque lrsquoecirctre intelligible est caracteacuteriseacute par la forme la limite la mesure et la pleacutenitude autarcique le mal est deacutefini a contrario comme ce qui est informe illimiteacute deacutemesureacute indigent et deacuteficient Lrsquoentiteacute qui recueille en soi tous ces attributs neacutegatifs est la matiegravere La matiegravere est donc le mal en soi et tout ce qui se trouve meacutelangeacute drsquoune maniegravere ou drsquoune autre agrave la matiegravere est mauvais2 En somme selon le Plotin du Traiteacute 51 le mal srsquoil est quasiment rien nrsquoen demeure pas moins une composante ontologique du reacuteel la matiegravere et par conseacutequent tout ce qui a part agrave cette derniegravere est mauvais3

2 Agrave ce propos il faut citer le passage suivant du Traiteacute 51 laquo [hellip] Si donc ceux-lagrave sont les ecirctres ltagrave savoir lrsquoIntellect et lrsquoAcircmegt et ce qui est au-delagrave des ecirctres ltagrave savoir lrsquoUngt le mal ne serait pas parmi les ecirctres ni dans ce qui est au-delagrave des ecirctres Car ils sont bons Il reste donc que srsquoil existe il est parmi ceux qui ne sont pas eacutetant comme une certaine espegravece du non-ecirctre et associeacute avec une des choses meacutelangeacutees avec le non-ecirctre ou ayant part de quelque maniegravere au non-ecirctre ndash non-ecirctre non en tant que non-ecirctre total mais seulement en tant que diffeacuterent de lrsquoecirctre [hellip] comme une image de lrsquoecirctre ou non-ecirctre agrave un degreacute encore plus bas Or ceci est lrsquoensemble sensible et les affections associeacutees au sensible ou quelque chose de posteacuterieur agrave celles-lagrave comme quelque chose qui leur est accidentel ou leur principe ltagrave savoir la matiegraveregt ou quelque chose parmi les composants de lrsquoensemble tel qursquoil est raquo Plotin Traiteacute 51 traduction de D OrsquoMEARA Cerf Paris 1999 p 59 (les preacutecisions entre crochets obliques sont de nous)

3 Pour une eacutetude approfondie et nuanceacutee de la notion de matiegravere chez Plotin voir J-M NARBONNE laquo La controverse agrave propos de la geacuteneacuteration de la matiegravere chez Plotin lrsquoeacutenigme reacutesolue raquo dans Quaestio 7 (2007) pp 123-163 Du mecircme auteur sur le mecircme thegraveme voir aussi Plotin Les deux matiegraveres [Enneacuteade II 4 (12)] Introduction texte grec traduction et commentaire preacuteceacutedeacute drsquoun Essai sur la probleacutematique plotinienne par J-M NARBONNE Vrin Paris 1993

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Augustin quant agrave lui offre une reacuteponse en deux temps agrave la question du mal un premier qui relegraveve drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation et un second qui ressortit agrave une meacutetaphysique du libre vouloir La deacutemarche augustinienne est semblable en son principe agrave celle que nous avons rencontreacutee chez Plotin lrsquoeacutevecircque drsquoHippone est drsquoavis qursquoil convient drsquoabord de se demander ce qursquoest le mal avant de chercher agrave en cerner lrsquoorigine Augustin deacutefinit le mal comme une corruption du bien qui affecte une nature autrement dit le mal se preacutesente lorsqursquoune creacuteature perd ce qui est un bien pour elle crsquoest-agrave-dire quelque chose qui lui convient speacutecifiquement Dans cette optique Augustin propose ce que nous pourrions appeler une conception transcendantale du bien creacuteeacute au sens tregraves preacutecis ougrave il admet lrsquoexistence de concomitants du bien creacuteeacute crsquoest-agrave-dire drsquoune part des proprieacuteteacutes qui toujours et neacutecessairement accompagnent ce bien et du coup le deacutefinissent intrinsegravequement et drsquoautre part des proprieacuteteacutes qui sont maximalement universelles et qui peuvent donc se preacutediquer de toute nature quelle qursquoelle soit4 Les concomitants du bien dont il srsquoagit sont les notions de modus species et ordo que lrsquoon peut traduire respectivement par laquomoderaquo ou laquomesureraquo laquoespegraveceraquo ou laquoformeraquo et laquoordreraquo En prenant appui sur les consideacuterations drsquoAugustin nous pouvons deacuteduire la formule suivante toute nature est un bien dans la mesure ougrave toute nature est modus species et ordo ndash formule drsquoougrave peut ecirctre tireacutee la fonction suivante la bonteacute ontologique drsquoune nature est directement proportionnelle au degreacute de modus species et ordo que cette nature reacutealise Nous pouvons degraves lors reprendre pour la preacuteciser la caracteacuterisation augustinienne du mal le mal est la corruption (la perte la deacuteteacuterioration) de modus species et ordo qui affecte une nature5 Notons que dans lrsquooptique augustinienne le mal nrsquoest jamais absolu car srsquoil lrsquoeacutetait il deacutetruirait totalement la nature qursquoil affecte et du coup srsquoauto-aneacuteantirait lui-mecircme puisqursquoil nrsquoexiste que pour autant qursquoil soit ontologiquement

4 La transcendantaliteacute dont il est ici question est eacutevidemment agrave prendre en un sens limiteacute puisqursquoelle ne concerne que le bien creacuteeacute elle ne srsquoapplique pas au Bien transcendant et increacuteeacute qursquoest Dieu On pourrait donc parler drsquoune transcendantaliteacute laquo immanente raquo ou laquo horizontale raquo par opposition agrave une theacuteorie laquo verticale raquo selon laquelle les notions transcendantales telle que la notion de bien srsquoappliqueraient eacuteminemment agrave Dieu Ecirctre premier

5 Cette caracteacuterisation du mal se rencontre notamment dans le passage suivant du traiteacute De natura boni (La nature du bien) chapitre 4 laquo Donc lorsqursquoon cherche drsquoougrave vient le mal on doit chercher drsquoabord ce qursquoest le mal Ce nrsquoest rien drsquoautre que la corruption du mode de la forme ou de lrsquoordre naturel [hellip] Une nature corrompue en tant qursquoelle est une nature est bonne en tant qursquoelle est corrompue elle est mauvaise raquo Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 445

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porteacute par la nature qursquoil corrompt En drsquoautres termes aussi infime soit-elle aussi grand que soit le degreacute de corruption qui lrsquoaffecte une nature en tant que nature demeure toujours un bien

La deacutefinition augustinienne du mal eacutetant poseacutee surgit lrsquointerrogation con-cernant son origine Drsquoougrave vient cette dynamique de corruption qui est susceptible drsquoaffecter toute nature Augustin reacutepond en un premier temps que la condition de possibiliteacute de la corruption reacuteside dans la mutabiliteacute de la nature Mais une telle reacuteponse ne suffit pas ou plutocirct elle appelle une autre question quelle est la source de la mutabiliteacute qui frappe toute nature Crsquoest la meacutetaphysique de la creacuteation qui permet agrave Augustin drsquoapporter une reacuteponse agrave cette derniegravere question Si les natures sont muables donc enclines agrave la corruption crsquoest que ayant eacuteteacute creacuteeacutees par Dieu crsquoest-agrave-dire tireacutees du neacuteant par Dieu elles portent en elles une certaine inclination au non-ecirctre Crsquoest donc dire que la corruption qursquoest le mal a le neacuteant pour origine Il convient drsquoecirctre bien attentif ici agrave la conceptualiteacute preacutecise agrave laquelle Augustin a recours Ecirctre creacuteeacutee pour une quelconque nature signifie ecirctre faite par Dieu agrave par-tir de rien agrave partir du neacuteant toute chose a eacuteteacute faite laquoa Deo de nihiloraquo Nous som-mes donc en preacutesence de deux couples notionnels dont la correspondance terme agrave terme est marqueacutee avec preacutecision par Augustin Du cocircteacute du Creacuteateur nous avons le couple Dieu-neacuteant auquel correspond du cocircteacute de la creacuteature le couple nature-corruptible Ainsi crsquoest en tant que nature et non en tant que corruptible que toute chose est creacuteeacutee par Dieu Conseacutequemment puisque tout ce que fait le Sou-verain bien est un bien toute nature en tant que telle est bonne Correacutelativement crsquoest en tant qursquoelle tire son origine du neacuteant en tant qursquoelle provient du non-ecirctre que la nature est corruptible et par conseacutequent qursquoil y a du mal en elle6

Le mal est donc un deacutefaut drsquoecirctre une certaine neacutegativiteacute ontologique qui ne subsiste qursquoagrave la faveur drsquoun double rapport agrave lrsquoecirctre agrave la positiviteacute existentielle agrave savoir drsquoune part le rapport agrave un degreacute de modus species et ordo en lrsquoabsence duquel il y a du mal et drsquoautre part le rapport agrave une nature qui tient lieu de substrat pour le mal dont elle est affecteacutee Chose certaine selon Augustin le mal ne saurait

6 Ces correspondances sont clairement eacutetablies dans le passage suivant du traiteacute Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 laquo [hellip] Lorsqursquoon parle de la nature corruptible on dit deux choses et non une seule chose de mecircme que lorsqursquoon dit que Dieu a creacuteeacute de rien on eacutenonce deux choses et non une seule Rapporte donc chaque mot agrave chaque chose quand tu entends nature comprend que cela a rapport agrave Dieu quand tu entends corruptible que cela a rapport au neacuteant [hellip] raquo Augustin Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 traduction de R JOLIVET et M JOURJON Paris 1961 p 499

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

en aucun cas ecirctre assimileacute agrave la matiegravere contre cette tendance du plotinisme que nous avons preacutesenteacutee plus haut ce dont teacutemoigne eacuteloquemment le passage suivant du traiteacute sur La nature du bien chapitre 18

On ne doit donc pas appeler mal cette hylegrave7 qui non seulement ne peut ecirctre saisie par une forme repreacutesentative (species) mais encore peut ecirctre agrave peine penseacutee par eacutelimination de toute sorte de forme repreacutesentative Elle a en effet elle-mecircme la capaciteacute des formes (forma) [hellip] Or si la forme est un bien il nrsquoy a pas de doute que la capaciteacute de la forme est aussi un bien [hellip] Et comme tout bien est par Dieu on ne doit pas douter que cette matiegravere dans la mesure ougrave elle est ne peut ecirctre que par Dieu8

Si nous nous haussons maintenant au niveau des creacuteatures raisonnables crsquoest-agrave-dire les anges et les hommes nous constatons que la grille de lecture qursquoAugus-tin a mise en place au moyen de sa meacutetaphysique de la creacuteation est toujours opeacute-rante le mal est penseacute encore ici comme une inclination de la creacuteature au neacuteant Cependant la prise en consideacuteration du cas speacutecifique des creacuteatures intelligentes conduit Augustin agrave apporter des deacuteterminations nouvelles agrave sa reacuteflexion sur lrsquoori-gine du mal La fine pointe de la reacuteflexion augustinienne sur le mal se trouve lagrave dans la mise en œuvre drsquoune meacutetaphysique du libre vouloir Le concept central de cette meacutetaphysique est celui de superbia litteacuteralement la superbe crsquoest-agrave-dire lrsquoorgueil qui deacutesigne ici non pas un vice ou un deacutefaut qui peut affecter une per-sonne en particulier ndash nous ne sommes pas sur le plan de la psychologie morale ndash mais plutocirct une orientation fondamentale de lrsquointentionnaliteacute en faveur de laquelle toute volonteacute libre peut se deacutecider Ainsi conccedilu lrsquoorgueil est la volition originelle qui rend possible le mal moral il est ce par quoi le mal advient dans le domaine de lrsquoesprit drsquoougrave il se reacutepand apregraves coup pour subvertir ou pervertir tous les ordres de la creacuteation Plus preacuteciseacutement lrsquoorgueil est la libre reacutesolution par laquelle la volonteacute de la creacuteature raisonnable choisit de se deacutetourner du Souverain bien pour se tourner vers elle-mecircme vers son propre bien Il srsquoagit donc drsquoun deacutetournement de la volonteacute par lequel lrsquoesprit creacuteeacute choisit de se substituer agrave son Creacuteateur en tant qursquoobjet premier et ultime du deacutesir9 Tel que lrsquoeacutevecircque drsquoHippone le conccediloit lrsquoor-

7 Ce mot est la translitteacuteration du terme grec signifiant laquo matiegravere raquo8 Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 4579 Voir en ce sens le passage suivant de La citeacute de Dieu livre XII chapitre 6 laquo [hellip] La veacuteritable

cause de la misegravere des mauvais anges ltet pareillement des hommes de mauvaise volonteacutegt crsquoest qursquoils se sont deacutetourneacutes de cet Ecirctre souverain pour se tourner vers eux-mecircmes Ce vice nrsquoest-il pas ce qursquoon appelle lrsquoorgueil Or laquo lrsquoorgueil est le commencement de tout peacutecheacute raquo (Eccl X 15) Ils nrsquoont pas voulu rapporter agrave Dieu leur grandeur et lorsqursquoil ne tenait qursquoagrave eux drsquoagrandir

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gueil deacutetient une structure paradoxale mouvement volontaire par lequel lrsquoesprit creacuteeacute cherche agrave srsquoeacutelever au-dessus du rang ontologique qui lui a eacuteteacute assigneacute donc volonteacute de transgresser le niveau de modus species et ordo qui est approprieacute agrave la creacuteature rationnelle lrsquoorgueil implique du mecircme coup la deacutecheacuteance ou la reacutetro-gradation ontologique de lrsquoesprit creacuteeacute

Maintenant la question suivante pourrait ecirctre souleveacutee si lrsquoorgueil est agrave lrsquoorigine du mal spirituel et de ce qui srsquoensuit y a-t-il une cause agrave lrsquoorgueil lui-mecircme La reacuteponse drsquoAugustin est neacutegative la volonteacute qui srsquoest corrompue par lrsquoorgueil la mauvaise volonteacute est sans cause aucun motif rationnel ne peut ecirctre invoqueacute qui rendrait compte de cette deacutecision originelle Cette absence de cause agrave la mauvaise volonteacute se comprend mieux si lrsquoon precircte attention agrave la terminologie preacutecise qursquoemploie Augustin pour deacutesigner le peacutecheacute originel En effet il parle de cet eacutevegravenement en termes de deacutefaillance drsquoabandon de deacutelaissement pour lui peacutecher eacutequivaut agrave deacutechoir tomber chuter Il ne srsquoagit donc pas drsquoun acte positif mais drsquoun deacutefaut du vouloir Or un deacutefaut un manque une deacutefaillance bref une neacutegativiteacute ne saurait avoir quelque chose de positif comme cause Crsquoest la raison pour laquelle Augustin affirme que la mauvaise volonteacute nrsquoa pas de cause efficiente mais seulement une cause deacuteficiente ce qui revient agrave dire que dans le cas de la mauvaise volonteacute il y a deacuteficience ou absence radicale de cause En somme bien que la volonteacute ait eacuteteacute creacuteeacutee faillible faillibiliteacute qui est la condition de sa liberteacute rien drsquoautre qursquoelle-mecircme ne peut ecirctre tenu responsable de sa perdition10

leur ecirctre en srsquoattachant agrave celui qui est souverainement ils ont preacutefeacutereacute ce qui a moins drsquoecirctre en se preacutefeacuterant agrave lui Voilagrave la premiegravere deacutefaillance et le premier vice de cette nature qui nrsquoavait pas eacuteteacute creacuteeacutee pour posseacuteder la perfection de lrsquoecirctre et qui neacuteanmoins pouvait ecirctre heureuse par la jouissance de lrsquoEcirctre souverain tandis que sa deacutesertion sans la preacutecipiter il est vrai dans le neacuteant lrsquoa rendue moindre qursquoelle nrsquoeacutetait et par conseacutequent miseacuterable raquo Augustin La citeacute de Dieu XII 6 traduction sous la direction de M POUJOULAT et de M RAULX Bar-le-Duc 1864-1872 (disponible sur le site URL httpwwwabbaye-saint-benoitch) Ce qui se trouve entre crochets obliques est de nous

10 Agrave lrsquoappui de ce qui vient drsquoecirctre exposeacute voir les extraits suivants de La citeacute de Dieu livre XII chapitres 6 7 et 8 (traduction ibidem) laquo Demandera-t-on la cause efficiente de cette mauvaise volonteacute Il nrsquoy en a point Rien ne fait la volonteacute mauvaise puisque crsquoest elle qui fait ce qui est mauvais La mauvaise volonteacute est donc la cause drsquoune mauvaise action mais rien nrsquoest la cause de cette mauvaise volonteacute [hellip] Lorsque la volonteacute quitte ce qui est au-dessus drsquoelle pour se tourner vers ce qui lui est infeacuterieur elle devient mauvaise non parce que la chose vers laquelle elle se tourne est mauvaise mais parce que crsquoest un mal que de srsquoy tourner Ainsi ce nrsquoest pas une chose infeacuterieure qui a fait la volonteacute mauvaise mais crsquoest la volonteacute mecircme qui srsquoest rendue mauvaise en se portant irreacuteguliegraverement sur une chose infeacuterieure [hellip] Que personne ne cherche donc une cause efficiente de la mauvaise volonteacute Cette cause nrsquoest point positive efficiente

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Tournons-nous maintenant vers le Pseudo-Denys Un texte de ce penseur qui alimentera profondeacutement la speacuteculation meacutedieacutevale sur le mal est la seconde partie du chapitre 4 du traiteacute De divinis nominibus (Des noms divins) Dans ce chapitre le problegraveme du mal est souleveacute incidemment agrave lrsquooccasion drsquoune objection concernant lrsquoexistence des deacutemons anges deacutechus puisque ceux-ci semblent opposer un deacutementi flagrant agrave la thegravese que lrsquoAreacuteopagite srsquoemploie agrave eacutetablir agrave savoir que tout ce qui existe tend vers le Bien Le traiteacute Des noms divins de Denys connaicirctra une large diffusion dans lrsquoOccident chreacutetien puisque pas moins de quatre traductions latines en seront faites respectivement par les carolingiens Hilduin et Jean Scot Eacuterigegravene au IXe siegravecle par Jean Sarrazin au XIIe siegravecle et par Robert Grosseteste dans les anneacutees 1240 Or il faut savoir que la digression sur le mal du chapitre 4 du traiteacute Des noms divins nrsquoest pas le fruit drsquoune reacuteflexion originale de la part de Denys il srsquoagit en fait du reacutesumeacute drsquoun opuscule de Proclus dont lrsquooriginal grec est perdu mais qui nous est neacuteanmoins parvenu dans la version latine reacutealiseacutee par Guillaume de Moerbeke vers 1280 ainsi que dans la reconstitution paraphrastique effectueacutee par Isaac Comnegravene le Seacutebastokrator un auteur byzantin de la fin du XIe siegravecle ou du deacutebut du XIIe siegravecle11 Il y aurait beaucoup agrave eacutecrire au sujet de la doctrine proclienne du mal au demeurant fort complexe mais nous nous limiterons pour lrsquoheure agrave preacutesenter ce qui nous semble ecirctre les quatre thegraveses majeures de lrsquoopuscule de Proclus qui est connu sous le titre latin De malorum subsistentia

Premiegravere thegravese le mal qui est de lrsquoordre de la deacutefaillance du deacutefaut ou du manque drsquoecirctre ne surgit que dans les strates infeacuterieures du reacuteel crsquoest-agrave-dire aux niveaux des acircmes particuliegraveres et des reacutealiteacutes mateacuterielles dans la mesure ougrave ces ecirctres participent de faccedilon intermittente au Bien

Deuxiegraveme thegravese il nrsquoy a pas de cause universelle ou de principe unique du mal contrairement aux diffeacuterents biens qui deacutecoulent tous drsquoun seul et unique Bien

mais neacutegative deacuteficiente parce que la volonteacute mauvaise nrsquoest point une action mais un deacutefaut drsquoaction Deacutechoir de ce qui est souverainement vers ce qui a moins drsquoecirctre crsquoest commencer agrave avoir une mauvaise volonteacute [hellip] La mauvaise volonteacute nrsquoest en celui en qui elle est que parce qursquoil le veut [hellip] Cette deacutefaillance ne consiste pas en ce que la volonteacute se porte vers une mauvaise chose puisqursquoelle ne peut se porter que vers une nature et que toutes les natures sont bonnes mais parce qursquoelle srsquoy porte mal crsquoest-agrave-dire contre lrsquoordre mecircme des natures en quittant ce qui est souverainement pour tendre vers ce qui a moins drsquoecirctre raquo

11 Cf C STEEL laquo Proclus et Denys sur lrsquoexistence du mal raquo dans Denys lrsquoAreacuteopagite et sa posteacuteriteacute en Orient et en Occident actes du colloque international Paris 21-24 septembre 1994 eacuted Y DE ANDIA Institut drsquoeacutetudes augustiniennes Paris 1997 pp 89-116

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absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

qursquoil y a un seul et unique Dieu creacuteateur de toute chose il semble impossible de soutenir simultaneacutement les trois propositions en preacutesence agrave savoir laquoDieu est souverainement bonraquo laquoDieu est tout-puissantraquo et laquoil y a du mal dans le monderaquo En effet soit Dieu est tout-puissant mais dans ce cas il nrsquoest pas souverainement bon puisqursquoil laisse le mal se produire alors qursquoil pourrait lrsquoeacuteradiquer soit Dieu est souverainement bon mais dans ce cas il nrsquoest pas tout-puissant puisque sa creacuteation comporte du mal que lui-mecircme ne semble pas pouvoir eacuteliminer Reste neacuteanmoins une derniegravere possibiliteacute qursquoAugustin aura exploiteacutee et qui se deacutecline en deux temps agrave savoir que le mal nrsquoa pas de reacuteelle existence puisqursquoil est de lrsquoordre de la privation et qursquoil ne provient pas de Dieu mais deacutecoule plutocirct du libre vouloir drsquoune creacuteature rationnelle qui peut choisir de se deacutetourner de son Creacuteateur

Avant drsquoexaminer plus en profondeur la position drsquoAugustin nous aimerions faire ressortir les grandes lignes de la conception plotinienne du mal telle qursquoelle se preacutesente dans le Traiteacute 51 En premier lieu il convient de mettre au jour la matrice textuelle de toute reacuteflexion neacuteo-platonicienne sur le mal agrave savoir ce que Platon eacutecrit dans Theacuteeacutetegravete 176a-b dont voici le texte (Socrate srsquoadresse agrave son interlocuteur Theacuteodore)

[hellip] Il nrsquoest pas possible Theacuteodore que les maux disparaissent car il faut toujours qursquoil y ait quelque chose de contraire (ὕπεναντίον) au bien ni qursquoils aient place parmi les dieux et crsquoest une neacutecessiteacute qursquoils circulent dans le genre humain et sur cette terre Aussi faut-il tacirccher de fuir au plus vite de ce monde dans lrsquoautre Or fuir ainsi crsquoest se rendre autant que possible semblable agrave Dieu et ecirctre semblable agrave Dieu crsquoest ecirctre juste et saint avec lrsquoaide de lrsquointelligence1

Le Traiteacute 51 vise ultimement agrave assurer lrsquointelligence de ce texte de Platon dont nous nous contenterons pour lrsquoheure de souligner les trois aspects qui seront deacuteterminants pour la speacuteculation ulteacuterieure la caracteacuterisation du mal comme contraire au bien la neacutecessiteacute de la preacutesence du mal sur un certain plan du reacuteel lrsquoassimilation agrave Dieu comme reacuteponse au deacutefi lanceacute par lrsquoexistence du mal Mais revenons agrave Plotin Au seuil de son traiteacute il soulegraveve six questions qursquoil importe de rappeler (1) Qursquoest-ce que le mal (2) Est-ce que le mal existe (3) Quelle est lrsquoorigine des maux (4) Ougrave est-ce que le mal survient agrave tous les niveaux du reacuteel ou seulement agrave lrsquoun drsquoentre eux (5) Comment est-il possible de connaicirctre le mal

1 Platon Theacuteeacutetegravete 176a-b traduction drsquoEacute CHAMBRY Flammarion Paris 1967 pp 111-112

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(6) Quel type de contrarieacuteteacute oppose le bien et le mal La question fondamentale pour Plotin est la premiegravere qursquoest-ce que le mal Notre philosophe juge qursquoil faut drsquoabord speacutecifier lrsquoessence du mal pour ecirctre en mesure de reacutepondre ensuite aux autres interrogations relatives au mal

Partant du constat de la multipliciteacute des maux qui affectent notre monde Plo-tin met en œuvre une logique de reacuteduction du multiple agrave lrsquoun logique qui le con-duira agrave poser lrsquoexistence drsquoune nature unique du mal un mal en soi fondamental qui se trouve au principe des diverses choses mauvaises Drsquoougrave la distinction qui traverse lrsquoentiegravereteacute du Traiteacute 51 entre le mal premier ndash qui est identifieacute agrave la ma-tiegravere ndash et les maux secondaires dont la matiegravere est la source ou la cause lesquels sont soit drsquoordre corporel ndash ce sont la maladie la laideur et la pauvreteacute ndash soit drsquoor-dre moral ndash ce sont les vices et les fausses opinions qui brouillent le jugement mo-ral Concevant le mal comme contraire de ce bien qursquoest lrsquoecirctre intelligible Plotin parvient agrave eacutelaborer un concept du mal par neacutegation des attributs qui caracteacuterisent ce bien Ainsi puisque lrsquoecirctre intelligible est caracteacuteriseacute par la forme la limite la mesure et la pleacutenitude autarcique le mal est deacutefini a contrario comme ce qui est informe illimiteacute deacutemesureacute indigent et deacuteficient Lrsquoentiteacute qui recueille en soi tous ces attributs neacutegatifs est la matiegravere La matiegravere est donc le mal en soi et tout ce qui se trouve meacutelangeacute drsquoune maniegravere ou drsquoune autre agrave la matiegravere est mauvais2 En somme selon le Plotin du Traiteacute 51 le mal srsquoil est quasiment rien nrsquoen demeure pas moins une composante ontologique du reacuteel la matiegravere et par conseacutequent tout ce qui a part agrave cette derniegravere est mauvais3

2 Agrave ce propos il faut citer le passage suivant du Traiteacute 51 laquo [hellip] Si donc ceux-lagrave sont les ecirctres ltagrave savoir lrsquoIntellect et lrsquoAcircmegt et ce qui est au-delagrave des ecirctres ltagrave savoir lrsquoUngt le mal ne serait pas parmi les ecirctres ni dans ce qui est au-delagrave des ecirctres Car ils sont bons Il reste donc que srsquoil existe il est parmi ceux qui ne sont pas eacutetant comme une certaine espegravece du non-ecirctre et associeacute avec une des choses meacutelangeacutees avec le non-ecirctre ou ayant part de quelque maniegravere au non-ecirctre ndash non-ecirctre non en tant que non-ecirctre total mais seulement en tant que diffeacuterent de lrsquoecirctre [hellip] comme une image de lrsquoecirctre ou non-ecirctre agrave un degreacute encore plus bas Or ceci est lrsquoensemble sensible et les affections associeacutees au sensible ou quelque chose de posteacuterieur agrave celles-lagrave comme quelque chose qui leur est accidentel ou leur principe ltagrave savoir la matiegraveregt ou quelque chose parmi les composants de lrsquoensemble tel qursquoil est raquo Plotin Traiteacute 51 traduction de D OrsquoMEARA Cerf Paris 1999 p 59 (les preacutecisions entre crochets obliques sont de nous)

3 Pour une eacutetude approfondie et nuanceacutee de la notion de matiegravere chez Plotin voir J-M NARBONNE laquo La controverse agrave propos de la geacuteneacuteration de la matiegravere chez Plotin lrsquoeacutenigme reacutesolue raquo dans Quaestio 7 (2007) pp 123-163 Du mecircme auteur sur le mecircme thegraveme voir aussi Plotin Les deux matiegraveres [Enneacuteade II 4 (12)] Introduction texte grec traduction et commentaire preacuteceacutedeacute drsquoun Essai sur la probleacutematique plotinienne par J-M NARBONNE Vrin Paris 1993

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Augustin quant agrave lui offre une reacuteponse en deux temps agrave la question du mal un premier qui relegraveve drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation et un second qui ressortit agrave une meacutetaphysique du libre vouloir La deacutemarche augustinienne est semblable en son principe agrave celle que nous avons rencontreacutee chez Plotin lrsquoeacutevecircque drsquoHippone est drsquoavis qursquoil convient drsquoabord de se demander ce qursquoest le mal avant de chercher agrave en cerner lrsquoorigine Augustin deacutefinit le mal comme une corruption du bien qui affecte une nature autrement dit le mal se preacutesente lorsqursquoune creacuteature perd ce qui est un bien pour elle crsquoest-agrave-dire quelque chose qui lui convient speacutecifiquement Dans cette optique Augustin propose ce que nous pourrions appeler une conception transcendantale du bien creacuteeacute au sens tregraves preacutecis ougrave il admet lrsquoexistence de concomitants du bien creacuteeacute crsquoest-agrave-dire drsquoune part des proprieacuteteacutes qui toujours et neacutecessairement accompagnent ce bien et du coup le deacutefinissent intrinsegravequement et drsquoautre part des proprieacuteteacutes qui sont maximalement universelles et qui peuvent donc se preacutediquer de toute nature quelle qursquoelle soit4 Les concomitants du bien dont il srsquoagit sont les notions de modus species et ordo que lrsquoon peut traduire respectivement par laquomoderaquo ou laquomesureraquo laquoespegraveceraquo ou laquoformeraquo et laquoordreraquo En prenant appui sur les consideacuterations drsquoAugustin nous pouvons deacuteduire la formule suivante toute nature est un bien dans la mesure ougrave toute nature est modus species et ordo ndash formule drsquoougrave peut ecirctre tireacutee la fonction suivante la bonteacute ontologique drsquoune nature est directement proportionnelle au degreacute de modus species et ordo que cette nature reacutealise Nous pouvons degraves lors reprendre pour la preacuteciser la caracteacuterisation augustinienne du mal le mal est la corruption (la perte la deacuteteacuterioration) de modus species et ordo qui affecte une nature5 Notons que dans lrsquooptique augustinienne le mal nrsquoest jamais absolu car srsquoil lrsquoeacutetait il deacutetruirait totalement la nature qursquoil affecte et du coup srsquoauto-aneacuteantirait lui-mecircme puisqursquoil nrsquoexiste que pour autant qursquoil soit ontologiquement

4 La transcendantaliteacute dont il est ici question est eacutevidemment agrave prendre en un sens limiteacute puisqursquoelle ne concerne que le bien creacuteeacute elle ne srsquoapplique pas au Bien transcendant et increacuteeacute qursquoest Dieu On pourrait donc parler drsquoune transcendantaliteacute laquo immanente raquo ou laquo horizontale raquo par opposition agrave une theacuteorie laquo verticale raquo selon laquelle les notions transcendantales telle que la notion de bien srsquoappliqueraient eacuteminemment agrave Dieu Ecirctre premier

5 Cette caracteacuterisation du mal se rencontre notamment dans le passage suivant du traiteacute De natura boni (La nature du bien) chapitre 4 laquo Donc lorsqursquoon cherche drsquoougrave vient le mal on doit chercher drsquoabord ce qursquoest le mal Ce nrsquoest rien drsquoautre que la corruption du mode de la forme ou de lrsquoordre naturel [hellip] Une nature corrompue en tant qursquoelle est une nature est bonne en tant qursquoelle est corrompue elle est mauvaise raquo Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 445

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porteacute par la nature qursquoil corrompt En drsquoautres termes aussi infime soit-elle aussi grand que soit le degreacute de corruption qui lrsquoaffecte une nature en tant que nature demeure toujours un bien

La deacutefinition augustinienne du mal eacutetant poseacutee surgit lrsquointerrogation con-cernant son origine Drsquoougrave vient cette dynamique de corruption qui est susceptible drsquoaffecter toute nature Augustin reacutepond en un premier temps que la condition de possibiliteacute de la corruption reacuteside dans la mutabiliteacute de la nature Mais une telle reacuteponse ne suffit pas ou plutocirct elle appelle une autre question quelle est la source de la mutabiliteacute qui frappe toute nature Crsquoest la meacutetaphysique de la creacuteation qui permet agrave Augustin drsquoapporter une reacuteponse agrave cette derniegravere question Si les natures sont muables donc enclines agrave la corruption crsquoest que ayant eacuteteacute creacuteeacutees par Dieu crsquoest-agrave-dire tireacutees du neacuteant par Dieu elles portent en elles une certaine inclination au non-ecirctre Crsquoest donc dire que la corruption qursquoest le mal a le neacuteant pour origine Il convient drsquoecirctre bien attentif ici agrave la conceptualiteacute preacutecise agrave laquelle Augustin a recours Ecirctre creacuteeacutee pour une quelconque nature signifie ecirctre faite par Dieu agrave par-tir de rien agrave partir du neacuteant toute chose a eacuteteacute faite laquoa Deo de nihiloraquo Nous som-mes donc en preacutesence de deux couples notionnels dont la correspondance terme agrave terme est marqueacutee avec preacutecision par Augustin Du cocircteacute du Creacuteateur nous avons le couple Dieu-neacuteant auquel correspond du cocircteacute de la creacuteature le couple nature-corruptible Ainsi crsquoest en tant que nature et non en tant que corruptible que toute chose est creacuteeacutee par Dieu Conseacutequemment puisque tout ce que fait le Sou-verain bien est un bien toute nature en tant que telle est bonne Correacutelativement crsquoest en tant qursquoelle tire son origine du neacuteant en tant qursquoelle provient du non-ecirctre que la nature est corruptible et par conseacutequent qursquoil y a du mal en elle6

Le mal est donc un deacutefaut drsquoecirctre une certaine neacutegativiteacute ontologique qui ne subsiste qursquoagrave la faveur drsquoun double rapport agrave lrsquoecirctre agrave la positiviteacute existentielle agrave savoir drsquoune part le rapport agrave un degreacute de modus species et ordo en lrsquoabsence duquel il y a du mal et drsquoautre part le rapport agrave une nature qui tient lieu de substrat pour le mal dont elle est affecteacutee Chose certaine selon Augustin le mal ne saurait

6 Ces correspondances sont clairement eacutetablies dans le passage suivant du traiteacute Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 laquo [hellip] Lorsqursquoon parle de la nature corruptible on dit deux choses et non une seule chose de mecircme que lorsqursquoon dit que Dieu a creacuteeacute de rien on eacutenonce deux choses et non une seule Rapporte donc chaque mot agrave chaque chose quand tu entends nature comprend que cela a rapport agrave Dieu quand tu entends corruptible que cela a rapport au neacuteant [hellip] raquo Augustin Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 traduction de R JOLIVET et M JOURJON Paris 1961 p 499

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en aucun cas ecirctre assimileacute agrave la matiegravere contre cette tendance du plotinisme que nous avons preacutesenteacutee plus haut ce dont teacutemoigne eacuteloquemment le passage suivant du traiteacute sur La nature du bien chapitre 18

On ne doit donc pas appeler mal cette hylegrave7 qui non seulement ne peut ecirctre saisie par une forme repreacutesentative (species) mais encore peut ecirctre agrave peine penseacutee par eacutelimination de toute sorte de forme repreacutesentative Elle a en effet elle-mecircme la capaciteacute des formes (forma) [hellip] Or si la forme est un bien il nrsquoy a pas de doute que la capaciteacute de la forme est aussi un bien [hellip] Et comme tout bien est par Dieu on ne doit pas douter que cette matiegravere dans la mesure ougrave elle est ne peut ecirctre que par Dieu8

Si nous nous haussons maintenant au niveau des creacuteatures raisonnables crsquoest-agrave-dire les anges et les hommes nous constatons que la grille de lecture qursquoAugus-tin a mise en place au moyen de sa meacutetaphysique de la creacuteation est toujours opeacute-rante le mal est penseacute encore ici comme une inclination de la creacuteature au neacuteant Cependant la prise en consideacuteration du cas speacutecifique des creacuteatures intelligentes conduit Augustin agrave apporter des deacuteterminations nouvelles agrave sa reacuteflexion sur lrsquoori-gine du mal La fine pointe de la reacuteflexion augustinienne sur le mal se trouve lagrave dans la mise en œuvre drsquoune meacutetaphysique du libre vouloir Le concept central de cette meacutetaphysique est celui de superbia litteacuteralement la superbe crsquoest-agrave-dire lrsquoorgueil qui deacutesigne ici non pas un vice ou un deacutefaut qui peut affecter une per-sonne en particulier ndash nous ne sommes pas sur le plan de la psychologie morale ndash mais plutocirct une orientation fondamentale de lrsquointentionnaliteacute en faveur de laquelle toute volonteacute libre peut se deacutecider Ainsi conccedilu lrsquoorgueil est la volition originelle qui rend possible le mal moral il est ce par quoi le mal advient dans le domaine de lrsquoesprit drsquoougrave il se reacutepand apregraves coup pour subvertir ou pervertir tous les ordres de la creacuteation Plus preacuteciseacutement lrsquoorgueil est la libre reacutesolution par laquelle la volonteacute de la creacuteature raisonnable choisit de se deacutetourner du Souverain bien pour se tourner vers elle-mecircme vers son propre bien Il srsquoagit donc drsquoun deacutetournement de la volonteacute par lequel lrsquoesprit creacuteeacute choisit de se substituer agrave son Creacuteateur en tant qursquoobjet premier et ultime du deacutesir9 Tel que lrsquoeacutevecircque drsquoHippone le conccediloit lrsquoor-

7 Ce mot est la translitteacuteration du terme grec signifiant laquo matiegravere raquo8 Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 4579 Voir en ce sens le passage suivant de La citeacute de Dieu livre XII chapitre 6 laquo [hellip] La veacuteritable

cause de la misegravere des mauvais anges ltet pareillement des hommes de mauvaise volonteacutegt crsquoest qursquoils se sont deacutetourneacutes de cet Ecirctre souverain pour se tourner vers eux-mecircmes Ce vice nrsquoest-il pas ce qursquoon appelle lrsquoorgueil Or laquo lrsquoorgueil est le commencement de tout peacutecheacute raquo (Eccl X 15) Ils nrsquoont pas voulu rapporter agrave Dieu leur grandeur et lorsqursquoil ne tenait qursquoagrave eux drsquoagrandir

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gueil deacutetient une structure paradoxale mouvement volontaire par lequel lrsquoesprit creacuteeacute cherche agrave srsquoeacutelever au-dessus du rang ontologique qui lui a eacuteteacute assigneacute donc volonteacute de transgresser le niveau de modus species et ordo qui est approprieacute agrave la creacuteature rationnelle lrsquoorgueil implique du mecircme coup la deacutecheacuteance ou la reacutetro-gradation ontologique de lrsquoesprit creacuteeacute

Maintenant la question suivante pourrait ecirctre souleveacutee si lrsquoorgueil est agrave lrsquoorigine du mal spirituel et de ce qui srsquoensuit y a-t-il une cause agrave lrsquoorgueil lui-mecircme La reacuteponse drsquoAugustin est neacutegative la volonteacute qui srsquoest corrompue par lrsquoorgueil la mauvaise volonteacute est sans cause aucun motif rationnel ne peut ecirctre invoqueacute qui rendrait compte de cette deacutecision originelle Cette absence de cause agrave la mauvaise volonteacute se comprend mieux si lrsquoon precircte attention agrave la terminologie preacutecise qursquoemploie Augustin pour deacutesigner le peacutecheacute originel En effet il parle de cet eacutevegravenement en termes de deacutefaillance drsquoabandon de deacutelaissement pour lui peacutecher eacutequivaut agrave deacutechoir tomber chuter Il ne srsquoagit donc pas drsquoun acte positif mais drsquoun deacutefaut du vouloir Or un deacutefaut un manque une deacutefaillance bref une neacutegativiteacute ne saurait avoir quelque chose de positif comme cause Crsquoest la raison pour laquelle Augustin affirme que la mauvaise volonteacute nrsquoa pas de cause efficiente mais seulement une cause deacuteficiente ce qui revient agrave dire que dans le cas de la mauvaise volonteacute il y a deacuteficience ou absence radicale de cause En somme bien que la volonteacute ait eacuteteacute creacuteeacutee faillible faillibiliteacute qui est la condition de sa liberteacute rien drsquoautre qursquoelle-mecircme ne peut ecirctre tenu responsable de sa perdition10

leur ecirctre en srsquoattachant agrave celui qui est souverainement ils ont preacutefeacutereacute ce qui a moins drsquoecirctre en se preacutefeacuterant agrave lui Voilagrave la premiegravere deacutefaillance et le premier vice de cette nature qui nrsquoavait pas eacuteteacute creacuteeacutee pour posseacuteder la perfection de lrsquoecirctre et qui neacuteanmoins pouvait ecirctre heureuse par la jouissance de lrsquoEcirctre souverain tandis que sa deacutesertion sans la preacutecipiter il est vrai dans le neacuteant lrsquoa rendue moindre qursquoelle nrsquoeacutetait et par conseacutequent miseacuterable raquo Augustin La citeacute de Dieu XII 6 traduction sous la direction de M POUJOULAT et de M RAULX Bar-le-Duc 1864-1872 (disponible sur le site URL httpwwwabbaye-saint-benoitch) Ce qui se trouve entre crochets obliques est de nous

10 Agrave lrsquoappui de ce qui vient drsquoecirctre exposeacute voir les extraits suivants de La citeacute de Dieu livre XII chapitres 6 7 et 8 (traduction ibidem) laquo Demandera-t-on la cause efficiente de cette mauvaise volonteacute Il nrsquoy en a point Rien ne fait la volonteacute mauvaise puisque crsquoest elle qui fait ce qui est mauvais La mauvaise volonteacute est donc la cause drsquoune mauvaise action mais rien nrsquoest la cause de cette mauvaise volonteacute [hellip] Lorsque la volonteacute quitte ce qui est au-dessus drsquoelle pour se tourner vers ce qui lui est infeacuterieur elle devient mauvaise non parce que la chose vers laquelle elle se tourne est mauvaise mais parce que crsquoest un mal que de srsquoy tourner Ainsi ce nrsquoest pas une chose infeacuterieure qui a fait la volonteacute mauvaise mais crsquoest la volonteacute mecircme qui srsquoest rendue mauvaise en se portant irreacuteguliegraverement sur une chose infeacuterieure [hellip] Que personne ne cherche donc une cause efficiente de la mauvaise volonteacute Cette cause nrsquoest point positive efficiente

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Tournons-nous maintenant vers le Pseudo-Denys Un texte de ce penseur qui alimentera profondeacutement la speacuteculation meacutedieacutevale sur le mal est la seconde partie du chapitre 4 du traiteacute De divinis nominibus (Des noms divins) Dans ce chapitre le problegraveme du mal est souleveacute incidemment agrave lrsquooccasion drsquoune objection concernant lrsquoexistence des deacutemons anges deacutechus puisque ceux-ci semblent opposer un deacutementi flagrant agrave la thegravese que lrsquoAreacuteopagite srsquoemploie agrave eacutetablir agrave savoir que tout ce qui existe tend vers le Bien Le traiteacute Des noms divins de Denys connaicirctra une large diffusion dans lrsquoOccident chreacutetien puisque pas moins de quatre traductions latines en seront faites respectivement par les carolingiens Hilduin et Jean Scot Eacuterigegravene au IXe siegravecle par Jean Sarrazin au XIIe siegravecle et par Robert Grosseteste dans les anneacutees 1240 Or il faut savoir que la digression sur le mal du chapitre 4 du traiteacute Des noms divins nrsquoest pas le fruit drsquoune reacuteflexion originale de la part de Denys il srsquoagit en fait du reacutesumeacute drsquoun opuscule de Proclus dont lrsquooriginal grec est perdu mais qui nous est neacuteanmoins parvenu dans la version latine reacutealiseacutee par Guillaume de Moerbeke vers 1280 ainsi que dans la reconstitution paraphrastique effectueacutee par Isaac Comnegravene le Seacutebastokrator un auteur byzantin de la fin du XIe siegravecle ou du deacutebut du XIIe siegravecle11 Il y aurait beaucoup agrave eacutecrire au sujet de la doctrine proclienne du mal au demeurant fort complexe mais nous nous limiterons pour lrsquoheure agrave preacutesenter ce qui nous semble ecirctre les quatre thegraveses majeures de lrsquoopuscule de Proclus qui est connu sous le titre latin De malorum subsistentia

Premiegravere thegravese le mal qui est de lrsquoordre de la deacutefaillance du deacutefaut ou du manque drsquoecirctre ne surgit que dans les strates infeacuterieures du reacuteel crsquoest-agrave-dire aux niveaux des acircmes particuliegraveres et des reacutealiteacutes mateacuterielles dans la mesure ougrave ces ecirctres participent de faccedilon intermittente au Bien

Deuxiegraveme thegravese il nrsquoy a pas de cause universelle ou de principe unique du mal contrairement aux diffeacuterents biens qui deacutecoulent tous drsquoun seul et unique Bien

mais neacutegative deacuteficiente parce que la volonteacute mauvaise nrsquoest point une action mais un deacutefaut drsquoaction Deacutechoir de ce qui est souverainement vers ce qui a moins drsquoecirctre crsquoest commencer agrave avoir une mauvaise volonteacute [hellip] La mauvaise volonteacute nrsquoest en celui en qui elle est que parce qursquoil le veut [hellip] Cette deacutefaillance ne consiste pas en ce que la volonteacute se porte vers une mauvaise chose puisqursquoelle ne peut se porter que vers une nature et que toutes les natures sont bonnes mais parce qursquoelle srsquoy porte mal crsquoest-agrave-dire contre lrsquoordre mecircme des natures en quittant ce qui est souverainement pour tendre vers ce qui a moins drsquoecirctre raquo

11 Cf C STEEL laquo Proclus et Denys sur lrsquoexistence du mal raquo dans Denys lrsquoAreacuteopagite et sa posteacuteriteacute en Orient et en Occident actes du colloque international Paris 21-24 septembre 1994 eacuted Y DE ANDIA Institut drsquoeacutetudes augustiniennes Paris 1997 pp 89-116

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absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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(6) Quel type de contrarieacuteteacute oppose le bien et le mal La question fondamentale pour Plotin est la premiegravere qursquoest-ce que le mal Notre philosophe juge qursquoil faut drsquoabord speacutecifier lrsquoessence du mal pour ecirctre en mesure de reacutepondre ensuite aux autres interrogations relatives au mal

Partant du constat de la multipliciteacute des maux qui affectent notre monde Plo-tin met en œuvre une logique de reacuteduction du multiple agrave lrsquoun logique qui le con-duira agrave poser lrsquoexistence drsquoune nature unique du mal un mal en soi fondamental qui se trouve au principe des diverses choses mauvaises Drsquoougrave la distinction qui traverse lrsquoentiegravereteacute du Traiteacute 51 entre le mal premier ndash qui est identifieacute agrave la ma-tiegravere ndash et les maux secondaires dont la matiegravere est la source ou la cause lesquels sont soit drsquoordre corporel ndash ce sont la maladie la laideur et la pauvreteacute ndash soit drsquoor-dre moral ndash ce sont les vices et les fausses opinions qui brouillent le jugement mo-ral Concevant le mal comme contraire de ce bien qursquoest lrsquoecirctre intelligible Plotin parvient agrave eacutelaborer un concept du mal par neacutegation des attributs qui caracteacuterisent ce bien Ainsi puisque lrsquoecirctre intelligible est caracteacuteriseacute par la forme la limite la mesure et la pleacutenitude autarcique le mal est deacutefini a contrario comme ce qui est informe illimiteacute deacutemesureacute indigent et deacuteficient Lrsquoentiteacute qui recueille en soi tous ces attributs neacutegatifs est la matiegravere La matiegravere est donc le mal en soi et tout ce qui se trouve meacutelangeacute drsquoune maniegravere ou drsquoune autre agrave la matiegravere est mauvais2 En somme selon le Plotin du Traiteacute 51 le mal srsquoil est quasiment rien nrsquoen demeure pas moins une composante ontologique du reacuteel la matiegravere et par conseacutequent tout ce qui a part agrave cette derniegravere est mauvais3

2 Agrave ce propos il faut citer le passage suivant du Traiteacute 51 laquo [hellip] Si donc ceux-lagrave sont les ecirctres ltagrave savoir lrsquoIntellect et lrsquoAcircmegt et ce qui est au-delagrave des ecirctres ltagrave savoir lrsquoUngt le mal ne serait pas parmi les ecirctres ni dans ce qui est au-delagrave des ecirctres Car ils sont bons Il reste donc que srsquoil existe il est parmi ceux qui ne sont pas eacutetant comme une certaine espegravece du non-ecirctre et associeacute avec une des choses meacutelangeacutees avec le non-ecirctre ou ayant part de quelque maniegravere au non-ecirctre ndash non-ecirctre non en tant que non-ecirctre total mais seulement en tant que diffeacuterent de lrsquoecirctre [hellip] comme une image de lrsquoecirctre ou non-ecirctre agrave un degreacute encore plus bas Or ceci est lrsquoensemble sensible et les affections associeacutees au sensible ou quelque chose de posteacuterieur agrave celles-lagrave comme quelque chose qui leur est accidentel ou leur principe ltagrave savoir la matiegraveregt ou quelque chose parmi les composants de lrsquoensemble tel qursquoil est raquo Plotin Traiteacute 51 traduction de D OrsquoMEARA Cerf Paris 1999 p 59 (les preacutecisions entre crochets obliques sont de nous)

3 Pour une eacutetude approfondie et nuanceacutee de la notion de matiegravere chez Plotin voir J-M NARBONNE laquo La controverse agrave propos de la geacuteneacuteration de la matiegravere chez Plotin lrsquoeacutenigme reacutesolue raquo dans Quaestio 7 (2007) pp 123-163 Du mecircme auteur sur le mecircme thegraveme voir aussi Plotin Les deux matiegraveres [Enneacuteade II 4 (12)] Introduction texte grec traduction et commentaire preacuteceacutedeacute drsquoun Essai sur la probleacutematique plotinienne par J-M NARBONNE Vrin Paris 1993

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Augustin quant agrave lui offre une reacuteponse en deux temps agrave la question du mal un premier qui relegraveve drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation et un second qui ressortit agrave une meacutetaphysique du libre vouloir La deacutemarche augustinienne est semblable en son principe agrave celle que nous avons rencontreacutee chez Plotin lrsquoeacutevecircque drsquoHippone est drsquoavis qursquoil convient drsquoabord de se demander ce qursquoest le mal avant de chercher agrave en cerner lrsquoorigine Augustin deacutefinit le mal comme une corruption du bien qui affecte une nature autrement dit le mal se preacutesente lorsqursquoune creacuteature perd ce qui est un bien pour elle crsquoest-agrave-dire quelque chose qui lui convient speacutecifiquement Dans cette optique Augustin propose ce que nous pourrions appeler une conception transcendantale du bien creacuteeacute au sens tregraves preacutecis ougrave il admet lrsquoexistence de concomitants du bien creacuteeacute crsquoest-agrave-dire drsquoune part des proprieacuteteacutes qui toujours et neacutecessairement accompagnent ce bien et du coup le deacutefinissent intrinsegravequement et drsquoautre part des proprieacuteteacutes qui sont maximalement universelles et qui peuvent donc se preacutediquer de toute nature quelle qursquoelle soit4 Les concomitants du bien dont il srsquoagit sont les notions de modus species et ordo que lrsquoon peut traduire respectivement par laquomoderaquo ou laquomesureraquo laquoespegraveceraquo ou laquoformeraquo et laquoordreraquo En prenant appui sur les consideacuterations drsquoAugustin nous pouvons deacuteduire la formule suivante toute nature est un bien dans la mesure ougrave toute nature est modus species et ordo ndash formule drsquoougrave peut ecirctre tireacutee la fonction suivante la bonteacute ontologique drsquoune nature est directement proportionnelle au degreacute de modus species et ordo que cette nature reacutealise Nous pouvons degraves lors reprendre pour la preacuteciser la caracteacuterisation augustinienne du mal le mal est la corruption (la perte la deacuteteacuterioration) de modus species et ordo qui affecte une nature5 Notons que dans lrsquooptique augustinienne le mal nrsquoest jamais absolu car srsquoil lrsquoeacutetait il deacutetruirait totalement la nature qursquoil affecte et du coup srsquoauto-aneacuteantirait lui-mecircme puisqursquoil nrsquoexiste que pour autant qursquoil soit ontologiquement

4 La transcendantaliteacute dont il est ici question est eacutevidemment agrave prendre en un sens limiteacute puisqursquoelle ne concerne que le bien creacuteeacute elle ne srsquoapplique pas au Bien transcendant et increacuteeacute qursquoest Dieu On pourrait donc parler drsquoune transcendantaliteacute laquo immanente raquo ou laquo horizontale raquo par opposition agrave une theacuteorie laquo verticale raquo selon laquelle les notions transcendantales telle que la notion de bien srsquoappliqueraient eacuteminemment agrave Dieu Ecirctre premier

5 Cette caracteacuterisation du mal se rencontre notamment dans le passage suivant du traiteacute De natura boni (La nature du bien) chapitre 4 laquo Donc lorsqursquoon cherche drsquoougrave vient le mal on doit chercher drsquoabord ce qursquoest le mal Ce nrsquoest rien drsquoautre que la corruption du mode de la forme ou de lrsquoordre naturel [hellip] Une nature corrompue en tant qursquoelle est une nature est bonne en tant qursquoelle est corrompue elle est mauvaise raquo Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 445

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porteacute par la nature qursquoil corrompt En drsquoautres termes aussi infime soit-elle aussi grand que soit le degreacute de corruption qui lrsquoaffecte une nature en tant que nature demeure toujours un bien

La deacutefinition augustinienne du mal eacutetant poseacutee surgit lrsquointerrogation con-cernant son origine Drsquoougrave vient cette dynamique de corruption qui est susceptible drsquoaffecter toute nature Augustin reacutepond en un premier temps que la condition de possibiliteacute de la corruption reacuteside dans la mutabiliteacute de la nature Mais une telle reacuteponse ne suffit pas ou plutocirct elle appelle une autre question quelle est la source de la mutabiliteacute qui frappe toute nature Crsquoest la meacutetaphysique de la creacuteation qui permet agrave Augustin drsquoapporter une reacuteponse agrave cette derniegravere question Si les natures sont muables donc enclines agrave la corruption crsquoest que ayant eacuteteacute creacuteeacutees par Dieu crsquoest-agrave-dire tireacutees du neacuteant par Dieu elles portent en elles une certaine inclination au non-ecirctre Crsquoest donc dire que la corruption qursquoest le mal a le neacuteant pour origine Il convient drsquoecirctre bien attentif ici agrave la conceptualiteacute preacutecise agrave laquelle Augustin a recours Ecirctre creacuteeacutee pour une quelconque nature signifie ecirctre faite par Dieu agrave par-tir de rien agrave partir du neacuteant toute chose a eacuteteacute faite laquoa Deo de nihiloraquo Nous som-mes donc en preacutesence de deux couples notionnels dont la correspondance terme agrave terme est marqueacutee avec preacutecision par Augustin Du cocircteacute du Creacuteateur nous avons le couple Dieu-neacuteant auquel correspond du cocircteacute de la creacuteature le couple nature-corruptible Ainsi crsquoest en tant que nature et non en tant que corruptible que toute chose est creacuteeacutee par Dieu Conseacutequemment puisque tout ce que fait le Sou-verain bien est un bien toute nature en tant que telle est bonne Correacutelativement crsquoest en tant qursquoelle tire son origine du neacuteant en tant qursquoelle provient du non-ecirctre que la nature est corruptible et par conseacutequent qursquoil y a du mal en elle6

Le mal est donc un deacutefaut drsquoecirctre une certaine neacutegativiteacute ontologique qui ne subsiste qursquoagrave la faveur drsquoun double rapport agrave lrsquoecirctre agrave la positiviteacute existentielle agrave savoir drsquoune part le rapport agrave un degreacute de modus species et ordo en lrsquoabsence duquel il y a du mal et drsquoautre part le rapport agrave une nature qui tient lieu de substrat pour le mal dont elle est affecteacutee Chose certaine selon Augustin le mal ne saurait

6 Ces correspondances sont clairement eacutetablies dans le passage suivant du traiteacute Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 laquo [hellip] Lorsqursquoon parle de la nature corruptible on dit deux choses et non une seule chose de mecircme que lorsqursquoon dit que Dieu a creacuteeacute de rien on eacutenonce deux choses et non une seule Rapporte donc chaque mot agrave chaque chose quand tu entends nature comprend que cela a rapport agrave Dieu quand tu entends corruptible que cela a rapport au neacuteant [hellip] raquo Augustin Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 traduction de R JOLIVET et M JOURJON Paris 1961 p 499

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

en aucun cas ecirctre assimileacute agrave la matiegravere contre cette tendance du plotinisme que nous avons preacutesenteacutee plus haut ce dont teacutemoigne eacuteloquemment le passage suivant du traiteacute sur La nature du bien chapitre 18

On ne doit donc pas appeler mal cette hylegrave7 qui non seulement ne peut ecirctre saisie par une forme repreacutesentative (species) mais encore peut ecirctre agrave peine penseacutee par eacutelimination de toute sorte de forme repreacutesentative Elle a en effet elle-mecircme la capaciteacute des formes (forma) [hellip] Or si la forme est un bien il nrsquoy a pas de doute que la capaciteacute de la forme est aussi un bien [hellip] Et comme tout bien est par Dieu on ne doit pas douter que cette matiegravere dans la mesure ougrave elle est ne peut ecirctre que par Dieu8

Si nous nous haussons maintenant au niveau des creacuteatures raisonnables crsquoest-agrave-dire les anges et les hommes nous constatons que la grille de lecture qursquoAugus-tin a mise en place au moyen de sa meacutetaphysique de la creacuteation est toujours opeacute-rante le mal est penseacute encore ici comme une inclination de la creacuteature au neacuteant Cependant la prise en consideacuteration du cas speacutecifique des creacuteatures intelligentes conduit Augustin agrave apporter des deacuteterminations nouvelles agrave sa reacuteflexion sur lrsquoori-gine du mal La fine pointe de la reacuteflexion augustinienne sur le mal se trouve lagrave dans la mise en œuvre drsquoune meacutetaphysique du libre vouloir Le concept central de cette meacutetaphysique est celui de superbia litteacuteralement la superbe crsquoest-agrave-dire lrsquoorgueil qui deacutesigne ici non pas un vice ou un deacutefaut qui peut affecter une per-sonne en particulier ndash nous ne sommes pas sur le plan de la psychologie morale ndash mais plutocirct une orientation fondamentale de lrsquointentionnaliteacute en faveur de laquelle toute volonteacute libre peut se deacutecider Ainsi conccedilu lrsquoorgueil est la volition originelle qui rend possible le mal moral il est ce par quoi le mal advient dans le domaine de lrsquoesprit drsquoougrave il se reacutepand apregraves coup pour subvertir ou pervertir tous les ordres de la creacuteation Plus preacuteciseacutement lrsquoorgueil est la libre reacutesolution par laquelle la volonteacute de la creacuteature raisonnable choisit de se deacutetourner du Souverain bien pour se tourner vers elle-mecircme vers son propre bien Il srsquoagit donc drsquoun deacutetournement de la volonteacute par lequel lrsquoesprit creacuteeacute choisit de se substituer agrave son Creacuteateur en tant qursquoobjet premier et ultime du deacutesir9 Tel que lrsquoeacutevecircque drsquoHippone le conccediloit lrsquoor-

7 Ce mot est la translitteacuteration du terme grec signifiant laquo matiegravere raquo8 Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 4579 Voir en ce sens le passage suivant de La citeacute de Dieu livre XII chapitre 6 laquo [hellip] La veacuteritable

cause de la misegravere des mauvais anges ltet pareillement des hommes de mauvaise volonteacutegt crsquoest qursquoils se sont deacutetourneacutes de cet Ecirctre souverain pour se tourner vers eux-mecircmes Ce vice nrsquoest-il pas ce qursquoon appelle lrsquoorgueil Or laquo lrsquoorgueil est le commencement de tout peacutecheacute raquo (Eccl X 15) Ils nrsquoont pas voulu rapporter agrave Dieu leur grandeur et lorsqursquoil ne tenait qursquoagrave eux drsquoagrandir

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gueil deacutetient une structure paradoxale mouvement volontaire par lequel lrsquoesprit creacuteeacute cherche agrave srsquoeacutelever au-dessus du rang ontologique qui lui a eacuteteacute assigneacute donc volonteacute de transgresser le niveau de modus species et ordo qui est approprieacute agrave la creacuteature rationnelle lrsquoorgueil implique du mecircme coup la deacutecheacuteance ou la reacutetro-gradation ontologique de lrsquoesprit creacuteeacute

Maintenant la question suivante pourrait ecirctre souleveacutee si lrsquoorgueil est agrave lrsquoorigine du mal spirituel et de ce qui srsquoensuit y a-t-il une cause agrave lrsquoorgueil lui-mecircme La reacuteponse drsquoAugustin est neacutegative la volonteacute qui srsquoest corrompue par lrsquoorgueil la mauvaise volonteacute est sans cause aucun motif rationnel ne peut ecirctre invoqueacute qui rendrait compte de cette deacutecision originelle Cette absence de cause agrave la mauvaise volonteacute se comprend mieux si lrsquoon precircte attention agrave la terminologie preacutecise qursquoemploie Augustin pour deacutesigner le peacutecheacute originel En effet il parle de cet eacutevegravenement en termes de deacutefaillance drsquoabandon de deacutelaissement pour lui peacutecher eacutequivaut agrave deacutechoir tomber chuter Il ne srsquoagit donc pas drsquoun acte positif mais drsquoun deacutefaut du vouloir Or un deacutefaut un manque une deacutefaillance bref une neacutegativiteacute ne saurait avoir quelque chose de positif comme cause Crsquoest la raison pour laquelle Augustin affirme que la mauvaise volonteacute nrsquoa pas de cause efficiente mais seulement une cause deacuteficiente ce qui revient agrave dire que dans le cas de la mauvaise volonteacute il y a deacuteficience ou absence radicale de cause En somme bien que la volonteacute ait eacuteteacute creacuteeacutee faillible faillibiliteacute qui est la condition de sa liberteacute rien drsquoautre qursquoelle-mecircme ne peut ecirctre tenu responsable de sa perdition10

leur ecirctre en srsquoattachant agrave celui qui est souverainement ils ont preacutefeacutereacute ce qui a moins drsquoecirctre en se preacutefeacuterant agrave lui Voilagrave la premiegravere deacutefaillance et le premier vice de cette nature qui nrsquoavait pas eacuteteacute creacuteeacutee pour posseacuteder la perfection de lrsquoecirctre et qui neacuteanmoins pouvait ecirctre heureuse par la jouissance de lrsquoEcirctre souverain tandis que sa deacutesertion sans la preacutecipiter il est vrai dans le neacuteant lrsquoa rendue moindre qursquoelle nrsquoeacutetait et par conseacutequent miseacuterable raquo Augustin La citeacute de Dieu XII 6 traduction sous la direction de M POUJOULAT et de M RAULX Bar-le-Duc 1864-1872 (disponible sur le site URL httpwwwabbaye-saint-benoitch) Ce qui se trouve entre crochets obliques est de nous

10 Agrave lrsquoappui de ce qui vient drsquoecirctre exposeacute voir les extraits suivants de La citeacute de Dieu livre XII chapitres 6 7 et 8 (traduction ibidem) laquo Demandera-t-on la cause efficiente de cette mauvaise volonteacute Il nrsquoy en a point Rien ne fait la volonteacute mauvaise puisque crsquoest elle qui fait ce qui est mauvais La mauvaise volonteacute est donc la cause drsquoune mauvaise action mais rien nrsquoest la cause de cette mauvaise volonteacute [hellip] Lorsque la volonteacute quitte ce qui est au-dessus drsquoelle pour se tourner vers ce qui lui est infeacuterieur elle devient mauvaise non parce que la chose vers laquelle elle se tourne est mauvaise mais parce que crsquoest un mal que de srsquoy tourner Ainsi ce nrsquoest pas une chose infeacuterieure qui a fait la volonteacute mauvaise mais crsquoest la volonteacute mecircme qui srsquoest rendue mauvaise en se portant irreacuteguliegraverement sur une chose infeacuterieure [hellip] Que personne ne cherche donc une cause efficiente de la mauvaise volonteacute Cette cause nrsquoest point positive efficiente

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Tournons-nous maintenant vers le Pseudo-Denys Un texte de ce penseur qui alimentera profondeacutement la speacuteculation meacutedieacutevale sur le mal est la seconde partie du chapitre 4 du traiteacute De divinis nominibus (Des noms divins) Dans ce chapitre le problegraveme du mal est souleveacute incidemment agrave lrsquooccasion drsquoune objection concernant lrsquoexistence des deacutemons anges deacutechus puisque ceux-ci semblent opposer un deacutementi flagrant agrave la thegravese que lrsquoAreacuteopagite srsquoemploie agrave eacutetablir agrave savoir que tout ce qui existe tend vers le Bien Le traiteacute Des noms divins de Denys connaicirctra une large diffusion dans lrsquoOccident chreacutetien puisque pas moins de quatre traductions latines en seront faites respectivement par les carolingiens Hilduin et Jean Scot Eacuterigegravene au IXe siegravecle par Jean Sarrazin au XIIe siegravecle et par Robert Grosseteste dans les anneacutees 1240 Or il faut savoir que la digression sur le mal du chapitre 4 du traiteacute Des noms divins nrsquoest pas le fruit drsquoune reacuteflexion originale de la part de Denys il srsquoagit en fait du reacutesumeacute drsquoun opuscule de Proclus dont lrsquooriginal grec est perdu mais qui nous est neacuteanmoins parvenu dans la version latine reacutealiseacutee par Guillaume de Moerbeke vers 1280 ainsi que dans la reconstitution paraphrastique effectueacutee par Isaac Comnegravene le Seacutebastokrator un auteur byzantin de la fin du XIe siegravecle ou du deacutebut du XIIe siegravecle11 Il y aurait beaucoup agrave eacutecrire au sujet de la doctrine proclienne du mal au demeurant fort complexe mais nous nous limiterons pour lrsquoheure agrave preacutesenter ce qui nous semble ecirctre les quatre thegraveses majeures de lrsquoopuscule de Proclus qui est connu sous le titre latin De malorum subsistentia

Premiegravere thegravese le mal qui est de lrsquoordre de la deacutefaillance du deacutefaut ou du manque drsquoecirctre ne surgit que dans les strates infeacuterieures du reacuteel crsquoest-agrave-dire aux niveaux des acircmes particuliegraveres et des reacutealiteacutes mateacuterielles dans la mesure ougrave ces ecirctres participent de faccedilon intermittente au Bien

Deuxiegraveme thegravese il nrsquoy a pas de cause universelle ou de principe unique du mal contrairement aux diffeacuterents biens qui deacutecoulent tous drsquoun seul et unique Bien

mais neacutegative deacuteficiente parce que la volonteacute mauvaise nrsquoest point une action mais un deacutefaut drsquoaction Deacutechoir de ce qui est souverainement vers ce qui a moins drsquoecirctre crsquoest commencer agrave avoir une mauvaise volonteacute [hellip] La mauvaise volonteacute nrsquoest en celui en qui elle est que parce qursquoil le veut [hellip] Cette deacutefaillance ne consiste pas en ce que la volonteacute se porte vers une mauvaise chose puisqursquoelle ne peut se porter que vers une nature et que toutes les natures sont bonnes mais parce qursquoelle srsquoy porte mal crsquoest-agrave-dire contre lrsquoordre mecircme des natures en quittant ce qui est souverainement pour tendre vers ce qui a moins drsquoecirctre raquo

11 Cf C STEEL laquo Proclus et Denys sur lrsquoexistence du mal raquo dans Denys lrsquoAreacuteopagite et sa posteacuteriteacute en Orient et en Occident actes du colloque international Paris 21-24 septembre 1994 eacuted Y DE ANDIA Institut drsquoeacutetudes augustiniennes Paris 1997 pp 89-116

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absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Augustin quant agrave lui offre une reacuteponse en deux temps agrave la question du mal un premier qui relegraveve drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation et un second qui ressortit agrave une meacutetaphysique du libre vouloir La deacutemarche augustinienne est semblable en son principe agrave celle que nous avons rencontreacutee chez Plotin lrsquoeacutevecircque drsquoHippone est drsquoavis qursquoil convient drsquoabord de se demander ce qursquoest le mal avant de chercher agrave en cerner lrsquoorigine Augustin deacutefinit le mal comme une corruption du bien qui affecte une nature autrement dit le mal se preacutesente lorsqursquoune creacuteature perd ce qui est un bien pour elle crsquoest-agrave-dire quelque chose qui lui convient speacutecifiquement Dans cette optique Augustin propose ce que nous pourrions appeler une conception transcendantale du bien creacuteeacute au sens tregraves preacutecis ougrave il admet lrsquoexistence de concomitants du bien creacuteeacute crsquoest-agrave-dire drsquoune part des proprieacuteteacutes qui toujours et neacutecessairement accompagnent ce bien et du coup le deacutefinissent intrinsegravequement et drsquoautre part des proprieacuteteacutes qui sont maximalement universelles et qui peuvent donc se preacutediquer de toute nature quelle qursquoelle soit4 Les concomitants du bien dont il srsquoagit sont les notions de modus species et ordo que lrsquoon peut traduire respectivement par laquomoderaquo ou laquomesureraquo laquoespegraveceraquo ou laquoformeraquo et laquoordreraquo En prenant appui sur les consideacuterations drsquoAugustin nous pouvons deacuteduire la formule suivante toute nature est un bien dans la mesure ougrave toute nature est modus species et ordo ndash formule drsquoougrave peut ecirctre tireacutee la fonction suivante la bonteacute ontologique drsquoune nature est directement proportionnelle au degreacute de modus species et ordo que cette nature reacutealise Nous pouvons degraves lors reprendre pour la preacuteciser la caracteacuterisation augustinienne du mal le mal est la corruption (la perte la deacuteteacuterioration) de modus species et ordo qui affecte une nature5 Notons que dans lrsquooptique augustinienne le mal nrsquoest jamais absolu car srsquoil lrsquoeacutetait il deacutetruirait totalement la nature qursquoil affecte et du coup srsquoauto-aneacuteantirait lui-mecircme puisqursquoil nrsquoexiste que pour autant qursquoil soit ontologiquement

4 La transcendantaliteacute dont il est ici question est eacutevidemment agrave prendre en un sens limiteacute puisqursquoelle ne concerne que le bien creacuteeacute elle ne srsquoapplique pas au Bien transcendant et increacuteeacute qursquoest Dieu On pourrait donc parler drsquoune transcendantaliteacute laquo immanente raquo ou laquo horizontale raquo par opposition agrave une theacuteorie laquo verticale raquo selon laquelle les notions transcendantales telle que la notion de bien srsquoappliqueraient eacuteminemment agrave Dieu Ecirctre premier

5 Cette caracteacuterisation du mal se rencontre notamment dans le passage suivant du traiteacute De natura boni (La nature du bien) chapitre 4 laquo Donc lorsqursquoon cherche drsquoougrave vient le mal on doit chercher drsquoabord ce qursquoest le mal Ce nrsquoest rien drsquoautre que la corruption du mode de la forme ou de lrsquoordre naturel [hellip] Une nature corrompue en tant qursquoelle est une nature est bonne en tant qursquoelle est corrompue elle est mauvaise raquo Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 445

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porteacute par la nature qursquoil corrompt En drsquoautres termes aussi infime soit-elle aussi grand que soit le degreacute de corruption qui lrsquoaffecte une nature en tant que nature demeure toujours un bien

La deacutefinition augustinienne du mal eacutetant poseacutee surgit lrsquointerrogation con-cernant son origine Drsquoougrave vient cette dynamique de corruption qui est susceptible drsquoaffecter toute nature Augustin reacutepond en un premier temps que la condition de possibiliteacute de la corruption reacuteside dans la mutabiliteacute de la nature Mais une telle reacuteponse ne suffit pas ou plutocirct elle appelle une autre question quelle est la source de la mutabiliteacute qui frappe toute nature Crsquoest la meacutetaphysique de la creacuteation qui permet agrave Augustin drsquoapporter une reacuteponse agrave cette derniegravere question Si les natures sont muables donc enclines agrave la corruption crsquoest que ayant eacuteteacute creacuteeacutees par Dieu crsquoest-agrave-dire tireacutees du neacuteant par Dieu elles portent en elles une certaine inclination au non-ecirctre Crsquoest donc dire que la corruption qursquoest le mal a le neacuteant pour origine Il convient drsquoecirctre bien attentif ici agrave la conceptualiteacute preacutecise agrave laquelle Augustin a recours Ecirctre creacuteeacutee pour une quelconque nature signifie ecirctre faite par Dieu agrave par-tir de rien agrave partir du neacuteant toute chose a eacuteteacute faite laquoa Deo de nihiloraquo Nous som-mes donc en preacutesence de deux couples notionnels dont la correspondance terme agrave terme est marqueacutee avec preacutecision par Augustin Du cocircteacute du Creacuteateur nous avons le couple Dieu-neacuteant auquel correspond du cocircteacute de la creacuteature le couple nature-corruptible Ainsi crsquoest en tant que nature et non en tant que corruptible que toute chose est creacuteeacutee par Dieu Conseacutequemment puisque tout ce que fait le Sou-verain bien est un bien toute nature en tant que telle est bonne Correacutelativement crsquoest en tant qursquoelle tire son origine du neacuteant en tant qursquoelle provient du non-ecirctre que la nature est corruptible et par conseacutequent qursquoil y a du mal en elle6

Le mal est donc un deacutefaut drsquoecirctre une certaine neacutegativiteacute ontologique qui ne subsiste qursquoagrave la faveur drsquoun double rapport agrave lrsquoecirctre agrave la positiviteacute existentielle agrave savoir drsquoune part le rapport agrave un degreacute de modus species et ordo en lrsquoabsence duquel il y a du mal et drsquoautre part le rapport agrave une nature qui tient lieu de substrat pour le mal dont elle est affecteacutee Chose certaine selon Augustin le mal ne saurait

6 Ces correspondances sont clairement eacutetablies dans le passage suivant du traiteacute Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 laquo [hellip] Lorsqursquoon parle de la nature corruptible on dit deux choses et non une seule chose de mecircme que lorsqursquoon dit que Dieu a creacuteeacute de rien on eacutenonce deux choses et non une seule Rapporte donc chaque mot agrave chaque chose quand tu entends nature comprend que cela a rapport agrave Dieu quand tu entends corruptible que cela a rapport au neacuteant [hellip] raquo Augustin Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 traduction de R JOLIVET et M JOURJON Paris 1961 p 499

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

en aucun cas ecirctre assimileacute agrave la matiegravere contre cette tendance du plotinisme que nous avons preacutesenteacutee plus haut ce dont teacutemoigne eacuteloquemment le passage suivant du traiteacute sur La nature du bien chapitre 18

On ne doit donc pas appeler mal cette hylegrave7 qui non seulement ne peut ecirctre saisie par une forme repreacutesentative (species) mais encore peut ecirctre agrave peine penseacutee par eacutelimination de toute sorte de forme repreacutesentative Elle a en effet elle-mecircme la capaciteacute des formes (forma) [hellip] Or si la forme est un bien il nrsquoy a pas de doute que la capaciteacute de la forme est aussi un bien [hellip] Et comme tout bien est par Dieu on ne doit pas douter que cette matiegravere dans la mesure ougrave elle est ne peut ecirctre que par Dieu8

Si nous nous haussons maintenant au niveau des creacuteatures raisonnables crsquoest-agrave-dire les anges et les hommes nous constatons que la grille de lecture qursquoAugus-tin a mise en place au moyen de sa meacutetaphysique de la creacuteation est toujours opeacute-rante le mal est penseacute encore ici comme une inclination de la creacuteature au neacuteant Cependant la prise en consideacuteration du cas speacutecifique des creacuteatures intelligentes conduit Augustin agrave apporter des deacuteterminations nouvelles agrave sa reacuteflexion sur lrsquoori-gine du mal La fine pointe de la reacuteflexion augustinienne sur le mal se trouve lagrave dans la mise en œuvre drsquoune meacutetaphysique du libre vouloir Le concept central de cette meacutetaphysique est celui de superbia litteacuteralement la superbe crsquoest-agrave-dire lrsquoorgueil qui deacutesigne ici non pas un vice ou un deacutefaut qui peut affecter une per-sonne en particulier ndash nous ne sommes pas sur le plan de la psychologie morale ndash mais plutocirct une orientation fondamentale de lrsquointentionnaliteacute en faveur de laquelle toute volonteacute libre peut se deacutecider Ainsi conccedilu lrsquoorgueil est la volition originelle qui rend possible le mal moral il est ce par quoi le mal advient dans le domaine de lrsquoesprit drsquoougrave il se reacutepand apregraves coup pour subvertir ou pervertir tous les ordres de la creacuteation Plus preacuteciseacutement lrsquoorgueil est la libre reacutesolution par laquelle la volonteacute de la creacuteature raisonnable choisit de se deacutetourner du Souverain bien pour se tourner vers elle-mecircme vers son propre bien Il srsquoagit donc drsquoun deacutetournement de la volonteacute par lequel lrsquoesprit creacuteeacute choisit de se substituer agrave son Creacuteateur en tant qursquoobjet premier et ultime du deacutesir9 Tel que lrsquoeacutevecircque drsquoHippone le conccediloit lrsquoor-

7 Ce mot est la translitteacuteration du terme grec signifiant laquo matiegravere raquo8 Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 4579 Voir en ce sens le passage suivant de La citeacute de Dieu livre XII chapitre 6 laquo [hellip] La veacuteritable

cause de la misegravere des mauvais anges ltet pareillement des hommes de mauvaise volonteacutegt crsquoest qursquoils se sont deacutetourneacutes de cet Ecirctre souverain pour se tourner vers eux-mecircmes Ce vice nrsquoest-il pas ce qursquoon appelle lrsquoorgueil Or laquo lrsquoorgueil est le commencement de tout peacutecheacute raquo (Eccl X 15) Ils nrsquoont pas voulu rapporter agrave Dieu leur grandeur et lorsqursquoil ne tenait qursquoagrave eux drsquoagrandir

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gueil deacutetient une structure paradoxale mouvement volontaire par lequel lrsquoesprit creacuteeacute cherche agrave srsquoeacutelever au-dessus du rang ontologique qui lui a eacuteteacute assigneacute donc volonteacute de transgresser le niveau de modus species et ordo qui est approprieacute agrave la creacuteature rationnelle lrsquoorgueil implique du mecircme coup la deacutecheacuteance ou la reacutetro-gradation ontologique de lrsquoesprit creacuteeacute

Maintenant la question suivante pourrait ecirctre souleveacutee si lrsquoorgueil est agrave lrsquoorigine du mal spirituel et de ce qui srsquoensuit y a-t-il une cause agrave lrsquoorgueil lui-mecircme La reacuteponse drsquoAugustin est neacutegative la volonteacute qui srsquoest corrompue par lrsquoorgueil la mauvaise volonteacute est sans cause aucun motif rationnel ne peut ecirctre invoqueacute qui rendrait compte de cette deacutecision originelle Cette absence de cause agrave la mauvaise volonteacute se comprend mieux si lrsquoon precircte attention agrave la terminologie preacutecise qursquoemploie Augustin pour deacutesigner le peacutecheacute originel En effet il parle de cet eacutevegravenement en termes de deacutefaillance drsquoabandon de deacutelaissement pour lui peacutecher eacutequivaut agrave deacutechoir tomber chuter Il ne srsquoagit donc pas drsquoun acte positif mais drsquoun deacutefaut du vouloir Or un deacutefaut un manque une deacutefaillance bref une neacutegativiteacute ne saurait avoir quelque chose de positif comme cause Crsquoest la raison pour laquelle Augustin affirme que la mauvaise volonteacute nrsquoa pas de cause efficiente mais seulement une cause deacuteficiente ce qui revient agrave dire que dans le cas de la mauvaise volonteacute il y a deacuteficience ou absence radicale de cause En somme bien que la volonteacute ait eacuteteacute creacuteeacutee faillible faillibiliteacute qui est la condition de sa liberteacute rien drsquoautre qursquoelle-mecircme ne peut ecirctre tenu responsable de sa perdition10

leur ecirctre en srsquoattachant agrave celui qui est souverainement ils ont preacutefeacutereacute ce qui a moins drsquoecirctre en se preacutefeacuterant agrave lui Voilagrave la premiegravere deacutefaillance et le premier vice de cette nature qui nrsquoavait pas eacuteteacute creacuteeacutee pour posseacuteder la perfection de lrsquoecirctre et qui neacuteanmoins pouvait ecirctre heureuse par la jouissance de lrsquoEcirctre souverain tandis que sa deacutesertion sans la preacutecipiter il est vrai dans le neacuteant lrsquoa rendue moindre qursquoelle nrsquoeacutetait et par conseacutequent miseacuterable raquo Augustin La citeacute de Dieu XII 6 traduction sous la direction de M POUJOULAT et de M RAULX Bar-le-Duc 1864-1872 (disponible sur le site URL httpwwwabbaye-saint-benoitch) Ce qui se trouve entre crochets obliques est de nous

10 Agrave lrsquoappui de ce qui vient drsquoecirctre exposeacute voir les extraits suivants de La citeacute de Dieu livre XII chapitres 6 7 et 8 (traduction ibidem) laquo Demandera-t-on la cause efficiente de cette mauvaise volonteacute Il nrsquoy en a point Rien ne fait la volonteacute mauvaise puisque crsquoest elle qui fait ce qui est mauvais La mauvaise volonteacute est donc la cause drsquoune mauvaise action mais rien nrsquoest la cause de cette mauvaise volonteacute [hellip] Lorsque la volonteacute quitte ce qui est au-dessus drsquoelle pour se tourner vers ce qui lui est infeacuterieur elle devient mauvaise non parce que la chose vers laquelle elle se tourne est mauvaise mais parce que crsquoest un mal que de srsquoy tourner Ainsi ce nrsquoest pas une chose infeacuterieure qui a fait la volonteacute mauvaise mais crsquoest la volonteacute mecircme qui srsquoest rendue mauvaise en se portant irreacuteguliegraverement sur une chose infeacuterieure [hellip] Que personne ne cherche donc une cause efficiente de la mauvaise volonteacute Cette cause nrsquoest point positive efficiente

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Tournons-nous maintenant vers le Pseudo-Denys Un texte de ce penseur qui alimentera profondeacutement la speacuteculation meacutedieacutevale sur le mal est la seconde partie du chapitre 4 du traiteacute De divinis nominibus (Des noms divins) Dans ce chapitre le problegraveme du mal est souleveacute incidemment agrave lrsquooccasion drsquoune objection concernant lrsquoexistence des deacutemons anges deacutechus puisque ceux-ci semblent opposer un deacutementi flagrant agrave la thegravese que lrsquoAreacuteopagite srsquoemploie agrave eacutetablir agrave savoir que tout ce qui existe tend vers le Bien Le traiteacute Des noms divins de Denys connaicirctra une large diffusion dans lrsquoOccident chreacutetien puisque pas moins de quatre traductions latines en seront faites respectivement par les carolingiens Hilduin et Jean Scot Eacuterigegravene au IXe siegravecle par Jean Sarrazin au XIIe siegravecle et par Robert Grosseteste dans les anneacutees 1240 Or il faut savoir que la digression sur le mal du chapitre 4 du traiteacute Des noms divins nrsquoest pas le fruit drsquoune reacuteflexion originale de la part de Denys il srsquoagit en fait du reacutesumeacute drsquoun opuscule de Proclus dont lrsquooriginal grec est perdu mais qui nous est neacuteanmoins parvenu dans la version latine reacutealiseacutee par Guillaume de Moerbeke vers 1280 ainsi que dans la reconstitution paraphrastique effectueacutee par Isaac Comnegravene le Seacutebastokrator un auteur byzantin de la fin du XIe siegravecle ou du deacutebut du XIIe siegravecle11 Il y aurait beaucoup agrave eacutecrire au sujet de la doctrine proclienne du mal au demeurant fort complexe mais nous nous limiterons pour lrsquoheure agrave preacutesenter ce qui nous semble ecirctre les quatre thegraveses majeures de lrsquoopuscule de Proclus qui est connu sous le titre latin De malorum subsistentia

Premiegravere thegravese le mal qui est de lrsquoordre de la deacutefaillance du deacutefaut ou du manque drsquoecirctre ne surgit que dans les strates infeacuterieures du reacuteel crsquoest-agrave-dire aux niveaux des acircmes particuliegraveres et des reacutealiteacutes mateacuterielles dans la mesure ougrave ces ecirctres participent de faccedilon intermittente au Bien

Deuxiegraveme thegravese il nrsquoy a pas de cause universelle ou de principe unique du mal contrairement aux diffeacuterents biens qui deacutecoulent tous drsquoun seul et unique Bien

mais neacutegative deacuteficiente parce que la volonteacute mauvaise nrsquoest point une action mais un deacutefaut drsquoaction Deacutechoir de ce qui est souverainement vers ce qui a moins drsquoecirctre crsquoest commencer agrave avoir une mauvaise volonteacute [hellip] La mauvaise volonteacute nrsquoest en celui en qui elle est que parce qursquoil le veut [hellip] Cette deacutefaillance ne consiste pas en ce que la volonteacute se porte vers une mauvaise chose puisqursquoelle ne peut se porter que vers une nature et que toutes les natures sont bonnes mais parce qursquoelle srsquoy porte mal crsquoest-agrave-dire contre lrsquoordre mecircme des natures en quittant ce qui est souverainement pour tendre vers ce qui a moins drsquoecirctre raquo

11 Cf C STEEL laquo Proclus et Denys sur lrsquoexistence du mal raquo dans Denys lrsquoAreacuteopagite et sa posteacuteriteacute en Orient et en Occident actes du colloque international Paris 21-24 septembre 1994 eacuted Y DE ANDIA Institut drsquoeacutetudes augustiniennes Paris 1997 pp 89-116

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absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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porteacute par la nature qursquoil corrompt En drsquoautres termes aussi infime soit-elle aussi grand que soit le degreacute de corruption qui lrsquoaffecte une nature en tant que nature demeure toujours un bien

La deacutefinition augustinienne du mal eacutetant poseacutee surgit lrsquointerrogation con-cernant son origine Drsquoougrave vient cette dynamique de corruption qui est susceptible drsquoaffecter toute nature Augustin reacutepond en un premier temps que la condition de possibiliteacute de la corruption reacuteside dans la mutabiliteacute de la nature Mais une telle reacuteponse ne suffit pas ou plutocirct elle appelle une autre question quelle est la source de la mutabiliteacute qui frappe toute nature Crsquoest la meacutetaphysique de la creacuteation qui permet agrave Augustin drsquoapporter une reacuteponse agrave cette derniegravere question Si les natures sont muables donc enclines agrave la corruption crsquoest que ayant eacuteteacute creacuteeacutees par Dieu crsquoest-agrave-dire tireacutees du neacuteant par Dieu elles portent en elles une certaine inclination au non-ecirctre Crsquoest donc dire que la corruption qursquoest le mal a le neacuteant pour origine Il convient drsquoecirctre bien attentif ici agrave la conceptualiteacute preacutecise agrave laquelle Augustin a recours Ecirctre creacuteeacutee pour une quelconque nature signifie ecirctre faite par Dieu agrave par-tir de rien agrave partir du neacuteant toute chose a eacuteteacute faite laquoa Deo de nihiloraquo Nous som-mes donc en preacutesence de deux couples notionnels dont la correspondance terme agrave terme est marqueacutee avec preacutecision par Augustin Du cocircteacute du Creacuteateur nous avons le couple Dieu-neacuteant auquel correspond du cocircteacute de la creacuteature le couple nature-corruptible Ainsi crsquoest en tant que nature et non en tant que corruptible que toute chose est creacuteeacutee par Dieu Conseacutequemment puisque tout ce que fait le Sou-verain bien est un bien toute nature en tant que telle est bonne Correacutelativement crsquoest en tant qursquoelle tire son origine du neacuteant en tant qursquoelle provient du non-ecirctre que la nature est corruptible et par conseacutequent qursquoil y a du mal en elle6

Le mal est donc un deacutefaut drsquoecirctre une certaine neacutegativiteacute ontologique qui ne subsiste qursquoagrave la faveur drsquoun double rapport agrave lrsquoecirctre agrave la positiviteacute existentielle agrave savoir drsquoune part le rapport agrave un degreacute de modus species et ordo en lrsquoabsence duquel il y a du mal et drsquoautre part le rapport agrave une nature qui tient lieu de substrat pour le mal dont elle est affecteacutee Chose certaine selon Augustin le mal ne saurait

6 Ces correspondances sont clairement eacutetablies dans le passage suivant du traiteacute Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 laquo [hellip] Lorsqursquoon parle de la nature corruptible on dit deux choses et non une seule chose de mecircme que lorsqursquoon dit que Dieu a creacuteeacute de rien on eacutenonce deux choses et non une seule Rapporte donc chaque mot agrave chaque chose quand tu entends nature comprend que cela a rapport agrave Dieu quand tu entends corruptible que cela a rapport au neacuteant [hellip] raquo Augustin Contre lrsquoEacutepicirctre du fondement chap 38 traduction de R JOLIVET et M JOURJON Paris 1961 p 499

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

en aucun cas ecirctre assimileacute agrave la matiegravere contre cette tendance du plotinisme que nous avons preacutesenteacutee plus haut ce dont teacutemoigne eacuteloquemment le passage suivant du traiteacute sur La nature du bien chapitre 18

On ne doit donc pas appeler mal cette hylegrave7 qui non seulement ne peut ecirctre saisie par une forme repreacutesentative (species) mais encore peut ecirctre agrave peine penseacutee par eacutelimination de toute sorte de forme repreacutesentative Elle a en effet elle-mecircme la capaciteacute des formes (forma) [hellip] Or si la forme est un bien il nrsquoy a pas de doute que la capaciteacute de la forme est aussi un bien [hellip] Et comme tout bien est par Dieu on ne doit pas douter que cette matiegravere dans la mesure ougrave elle est ne peut ecirctre que par Dieu8

Si nous nous haussons maintenant au niveau des creacuteatures raisonnables crsquoest-agrave-dire les anges et les hommes nous constatons que la grille de lecture qursquoAugus-tin a mise en place au moyen de sa meacutetaphysique de la creacuteation est toujours opeacute-rante le mal est penseacute encore ici comme une inclination de la creacuteature au neacuteant Cependant la prise en consideacuteration du cas speacutecifique des creacuteatures intelligentes conduit Augustin agrave apporter des deacuteterminations nouvelles agrave sa reacuteflexion sur lrsquoori-gine du mal La fine pointe de la reacuteflexion augustinienne sur le mal se trouve lagrave dans la mise en œuvre drsquoune meacutetaphysique du libre vouloir Le concept central de cette meacutetaphysique est celui de superbia litteacuteralement la superbe crsquoest-agrave-dire lrsquoorgueil qui deacutesigne ici non pas un vice ou un deacutefaut qui peut affecter une per-sonne en particulier ndash nous ne sommes pas sur le plan de la psychologie morale ndash mais plutocirct une orientation fondamentale de lrsquointentionnaliteacute en faveur de laquelle toute volonteacute libre peut se deacutecider Ainsi conccedilu lrsquoorgueil est la volition originelle qui rend possible le mal moral il est ce par quoi le mal advient dans le domaine de lrsquoesprit drsquoougrave il se reacutepand apregraves coup pour subvertir ou pervertir tous les ordres de la creacuteation Plus preacuteciseacutement lrsquoorgueil est la libre reacutesolution par laquelle la volonteacute de la creacuteature raisonnable choisit de se deacutetourner du Souverain bien pour se tourner vers elle-mecircme vers son propre bien Il srsquoagit donc drsquoun deacutetournement de la volonteacute par lequel lrsquoesprit creacuteeacute choisit de se substituer agrave son Creacuteateur en tant qursquoobjet premier et ultime du deacutesir9 Tel que lrsquoeacutevecircque drsquoHippone le conccediloit lrsquoor-

7 Ce mot est la translitteacuteration du terme grec signifiant laquo matiegravere raquo8 Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 4579 Voir en ce sens le passage suivant de La citeacute de Dieu livre XII chapitre 6 laquo [hellip] La veacuteritable

cause de la misegravere des mauvais anges ltet pareillement des hommes de mauvaise volonteacutegt crsquoest qursquoils se sont deacutetourneacutes de cet Ecirctre souverain pour se tourner vers eux-mecircmes Ce vice nrsquoest-il pas ce qursquoon appelle lrsquoorgueil Or laquo lrsquoorgueil est le commencement de tout peacutecheacute raquo (Eccl X 15) Ils nrsquoont pas voulu rapporter agrave Dieu leur grandeur et lorsqursquoil ne tenait qursquoagrave eux drsquoagrandir

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

gueil deacutetient une structure paradoxale mouvement volontaire par lequel lrsquoesprit creacuteeacute cherche agrave srsquoeacutelever au-dessus du rang ontologique qui lui a eacuteteacute assigneacute donc volonteacute de transgresser le niveau de modus species et ordo qui est approprieacute agrave la creacuteature rationnelle lrsquoorgueil implique du mecircme coup la deacutecheacuteance ou la reacutetro-gradation ontologique de lrsquoesprit creacuteeacute

Maintenant la question suivante pourrait ecirctre souleveacutee si lrsquoorgueil est agrave lrsquoorigine du mal spirituel et de ce qui srsquoensuit y a-t-il une cause agrave lrsquoorgueil lui-mecircme La reacuteponse drsquoAugustin est neacutegative la volonteacute qui srsquoest corrompue par lrsquoorgueil la mauvaise volonteacute est sans cause aucun motif rationnel ne peut ecirctre invoqueacute qui rendrait compte de cette deacutecision originelle Cette absence de cause agrave la mauvaise volonteacute se comprend mieux si lrsquoon precircte attention agrave la terminologie preacutecise qursquoemploie Augustin pour deacutesigner le peacutecheacute originel En effet il parle de cet eacutevegravenement en termes de deacutefaillance drsquoabandon de deacutelaissement pour lui peacutecher eacutequivaut agrave deacutechoir tomber chuter Il ne srsquoagit donc pas drsquoun acte positif mais drsquoun deacutefaut du vouloir Or un deacutefaut un manque une deacutefaillance bref une neacutegativiteacute ne saurait avoir quelque chose de positif comme cause Crsquoest la raison pour laquelle Augustin affirme que la mauvaise volonteacute nrsquoa pas de cause efficiente mais seulement une cause deacuteficiente ce qui revient agrave dire que dans le cas de la mauvaise volonteacute il y a deacuteficience ou absence radicale de cause En somme bien que la volonteacute ait eacuteteacute creacuteeacutee faillible faillibiliteacute qui est la condition de sa liberteacute rien drsquoautre qursquoelle-mecircme ne peut ecirctre tenu responsable de sa perdition10

leur ecirctre en srsquoattachant agrave celui qui est souverainement ils ont preacutefeacutereacute ce qui a moins drsquoecirctre en se preacutefeacuterant agrave lui Voilagrave la premiegravere deacutefaillance et le premier vice de cette nature qui nrsquoavait pas eacuteteacute creacuteeacutee pour posseacuteder la perfection de lrsquoecirctre et qui neacuteanmoins pouvait ecirctre heureuse par la jouissance de lrsquoEcirctre souverain tandis que sa deacutesertion sans la preacutecipiter il est vrai dans le neacuteant lrsquoa rendue moindre qursquoelle nrsquoeacutetait et par conseacutequent miseacuterable raquo Augustin La citeacute de Dieu XII 6 traduction sous la direction de M POUJOULAT et de M RAULX Bar-le-Duc 1864-1872 (disponible sur le site URL httpwwwabbaye-saint-benoitch) Ce qui se trouve entre crochets obliques est de nous

10 Agrave lrsquoappui de ce qui vient drsquoecirctre exposeacute voir les extraits suivants de La citeacute de Dieu livre XII chapitres 6 7 et 8 (traduction ibidem) laquo Demandera-t-on la cause efficiente de cette mauvaise volonteacute Il nrsquoy en a point Rien ne fait la volonteacute mauvaise puisque crsquoest elle qui fait ce qui est mauvais La mauvaise volonteacute est donc la cause drsquoune mauvaise action mais rien nrsquoest la cause de cette mauvaise volonteacute [hellip] Lorsque la volonteacute quitte ce qui est au-dessus drsquoelle pour se tourner vers ce qui lui est infeacuterieur elle devient mauvaise non parce que la chose vers laquelle elle se tourne est mauvaise mais parce que crsquoest un mal que de srsquoy tourner Ainsi ce nrsquoest pas une chose infeacuterieure qui a fait la volonteacute mauvaise mais crsquoest la volonteacute mecircme qui srsquoest rendue mauvaise en se portant irreacuteguliegraverement sur une chose infeacuterieure [hellip] Que personne ne cherche donc une cause efficiente de la mauvaise volonteacute Cette cause nrsquoest point positive efficiente

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Tournons-nous maintenant vers le Pseudo-Denys Un texte de ce penseur qui alimentera profondeacutement la speacuteculation meacutedieacutevale sur le mal est la seconde partie du chapitre 4 du traiteacute De divinis nominibus (Des noms divins) Dans ce chapitre le problegraveme du mal est souleveacute incidemment agrave lrsquooccasion drsquoune objection concernant lrsquoexistence des deacutemons anges deacutechus puisque ceux-ci semblent opposer un deacutementi flagrant agrave la thegravese que lrsquoAreacuteopagite srsquoemploie agrave eacutetablir agrave savoir que tout ce qui existe tend vers le Bien Le traiteacute Des noms divins de Denys connaicirctra une large diffusion dans lrsquoOccident chreacutetien puisque pas moins de quatre traductions latines en seront faites respectivement par les carolingiens Hilduin et Jean Scot Eacuterigegravene au IXe siegravecle par Jean Sarrazin au XIIe siegravecle et par Robert Grosseteste dans les anneacutees 1240 Or il faut savoir que la digression sur le mal du chapitre 4 du traiteacute Des noms divins nrsquoest pas le fruit drsquoune reacuteflexion originale de la part de Denys il srsquoagit en fait du reacutesumeacute drsquoun opuscule de Proclus dont lrsquooriginal grec est perdu mais qui nous est neacuteanmoins parvenu dans la version latine reacutealiseacutee par Guillaume de Moerbeke vers 1280 ainsi que dans la reconstitution paraphrastique effectueacutee par Isaac Comnegravene le Seacutebastokrator un auteur byzantin de la fin du XIe siegravecle ou du deacutebut du XIIe siegravecle11 Il y aurait beaucoup agrave eacutecrire au sujet de la doctrine proclienne du mal au demeurant fort complexe mais nous nous limiterons pour lrsquoheure agrave preacutesenter ce qui nous semble ecirctre les quatre thegraveses majeures de lrsquoopuscule de Proclus qui est connu sous le titre latin De malorum subsistentia

Premiegravere thegravese le mal qui est de lrsquoordre de la deacutefaillance du deacutefaut ou du manque drsquoecirctre ne surgit que dans les strates infeacuterieures du reacuteel crsquoest-agrave-dire aux niveaux des acircmes particuliegraveres et des reacutealiteacutes mateacuterielles dans la mesure ougrave ces ecirctres participent de faccedilon intermittente au Bien

Deuxiegraveme thegravese il nrsquoy a pas de cause universelle ou de principe unique du mal contrairement aux diffeacuterents biens qui deacutecoulent tous drsquoun seul et unique Bien

mais neacutegative deacuteficiente parce que la volonteacute mauvaise nrsquoest point une action mais un deacutefaut drsquoaction Deacutechoir de ce qui est souverainement vers ce qui a moins drsquoecirctre crsquoest commencer agrave avoir une mauvaise volonteacute [hellip] La mauvaise volonteacute nrsquoest en celui en qui elle est que parce qursquoil le veut [hellip] Cette deacutefaillance ne consiste pas en ce que la volonteacute se porte vers une mauvaise chose puisqursquoelle ne peut se porter que vers une nature et que toutes les natures sont bonnes mais parce qursquoelle srsquoy porte mal crsquoest-agrave-dire contre lrsquoordre mecircme des natures en quittant ce qui est souverainement pour tendre vers ce qui a moins drsquoecirctre raquo

11 Cf C STEEL laquo Proclus et Denys sur lrsquoexistence du mal raquo dans Denys lrsquoAreacuteopagite et sa posteacuteriteacute en Orient et en Occident actes du colloque international Paris 21-24 septembre 1994 eacuted Y DE ANDIA Institut drsquoeacutetudes augustiniennes Paris 1997 pp 89-116

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absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

en aucun cas ecirctre assimileacute agrave la matiegravere contre cette tendance du plotinisme que nous avons preacutesenteacutee plus haut ce dont teacutemoigne eacuteloquemment le passage suivant du traiteacute sur La nature du bien chapitre 18

On ne doit donc pas appeler mal cette hylegrave7 qui non seulement ne peut ecirctre saisie par une forme repreacutesentative (species) mais encore peut ecirctre agrave peine penseacutee par eacutelimination de toute sorte de forme repreacutesentative Elle a en effet elle-mecircme la capaciteacute des formes (forma) [hellip] Or si la forme est un bien il nrsquoy a pas de doute que la capaciteacute de la forme est aussi un bien [hellip] Et comme tout bien est par Dieu on ne doit pas douter que cette matiegravere dans la mesure ougrave elle est ne peut ecirctre que par Dieu8

Si nous nous haussons maintenant au niveau des creacuteatures raisonnables crsquoest-agrave-dire les anges et les hommes nous constatons que la grille de lecture qursquoAugus-tin a mise en place au moyen de sa meacutetaphysique de la creacuteation est toujours opeacute-rante le mal est penseacute encore ici comme une inclination de la creacuteature au neacuteant Cependant la prise en consideacuteration du cas speacutecifique des creacuteatures intelligentes conduit Augustin agrave apporter des deacuteterminations nouvelles agrave sa reacuteflexion sur lrsquoori-gine du mal La fine pointe de la reacuteflexion augustinienne sur le mal se trouve lagrave dans la mise en œuvre drsquoune meacutetaphysique du libre vouloir Le concept central de cette meacutetaphysique est celui de superbia litteacuteralement la superbe crsquoest-agrave-dire lrsquoorgueil qui deacutesigne ici non pas un vice ou un deacutefaut qui peut affecter une per-sonne en particulier ndash nous ne sommes pas sur le plan de la psychologie morale ndash mais plutocirct une orientation fondamentale de lrsquointentionnaliteacute en faveur de laquelle toute volonteacute libre peut se deacutecider Ainsi conccedilu lrsquoorgueil est la volition originelle qui rend possible le mal moral il est ce par quoi le mal advient dans le domaine de lrsquoesprit drsquoougrave il se reacutepand apregraves coup pour subvertir ou pervertir tous les ordres de la creacuteation Plus preacuteciseacutement lrsquoorgueil est la libre reacutesolution par laquelle la volonteacute de la creacuteature raisonnable choisit de se deacutetourner du Souverain bien pour se tourner vers elle-mecircme vers son propre bien Il srsquoagit donc drsquoun deacutetournement de la volonteacute par lequel lrsquoesprit creacuteeacute choisit de se substituer agrave son Creacuteateur en tant qursquoobjet premier et ultime du deacutesir9 Tel que lrsquoeacutevecircque drsquoHippone le conccediloit lrsquoor-

7 Ce mot est la translitteacuteration du terme grec signifiant laquo matiegravere raquo8 Traduction de la Bibliothegraveque augustinienne t 1 p 4579 Voir en ce sens le passage suivant de La citeacute de Dieu livre XII chapitre 6 laquo [hellip] La veacuteritable

cause de la misegravere des mauvais anges ltet pareillement des hommes de mauvaise volonteacutegt crsquoest qursquoils se sont deacutetourneacutes de cet Ecirctre souverain pour se tourner vers eux-mecircmes Ce vice nrsquoest-il pas ce qursquoon appelle lrsquoorgueil Or laquo lrsquoorgueil est le commencement de tout peacutecheacute raquo (Eccl X 15) Ils nrsquoont pas voulu rapporter agrave Dieu leur grandeur et lorsqursquoil ne tenait qursquoagrave eux drsquoagrandir

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

gueil deacutetient une structure paradoxale mouvement volontaire par lequel lrsquoesprit creacuteeacute cherche agrave srsquoeacutelever au-dessus du rang ontologique qui lui a eacuteteacute assigneacute donc volonteacute de transgresser le niveau de modus species et ordo qui est approprieacute agrave la creacuteature rationnelle lrsquoorgueil implique du mecircme coup la deacutecheacuteance ou la reacutetro-gradation ontologique de lrsquoesprit creacuteeacute

Maintenant la question suivante pourrait ecirctre souleveacutee si lrsquoorgueil est agrave lrsquoorigine du mal spirituel et de ce qui srsquoensuit y a-t-il une cause agrave lrsquoorgueil lui-mecircme La reacuteponse drsquoAugustin est neacutegative la volonteacute qui srsquoest corrompue par lrsquoorgueil la mauvaise volonteacute est sans cause aucun motif rationnel ne peut ecirctre invoqueacute qui rendrait compte de cette deacutecision originelle Cette absence de cause agrave la mauvaise volonteacute se comprend mieux si lrsquoon precircte attention agrave la terminologie preacutecise qursquoemploie Augustin pour deacutesigner le peacutecheacute originel En effet il parle de cet eacutevegravenement en termes de deacutefaillance drsquoabandon de deacutelaissement pour lui peacutecher eacutequivaut agrave deacutechoir tomber chuter Il ne srsquoagit donc pas drsquoun acte positif mais drsquoun deacutefaut du vouloir Or un deacutefaut un manque une deacutefaillance bref une neacutegativiteacute ne saurait avoir quelque chose de positif comme cause Crsquoest la raison pour laquelle Augustin affirme que la mauvaise volonteacute nrsquoa pas de cause efficiente mais seulement une cause deacuteficiente ce qui revient agrave dire que dans le cas de la mauvaise volonteacute il y a deacuteficience ou absence radicale de cause En somme bien que la volonteacute ait eacuteteacute creacuteeacutee faillible faillibiliteacute qui est la condition de sa liberteacute rien drsquoautre qursquoelle-mecircme ne peut ecirctre tenu responsable de sa perdition10

leur ecirctre en srsquoattachant agrave celui qui est souverainement ils ont preacutefeacutereacute ce qui a moins drsquoecirctre en se preacutefeacuterant agrave lui Voilagrave la premiegravere deacutefaillance et le premier vice de cette nature qui nrsquoavait pas eacuteteacute creacuteeacutee pour posseacuteder la perfection de lrsquoecirctre et qui neacuteanmoins pouvait ecirctre heureuse par la jouissance de lrsquoEcirctre souverain tandis que sa deacutesertion sans la preacutecipiter il est vrai dans le neacuteant lrsquoa rendue moindre qursquoelle nrsquoeacutetait et par conseacutequent miseacuterable raquo Augustin La citeacute de Dieu XII 6 traduction sous la direction de M POUJOULAT et de M RAULX Bar-le-Duc 1864-1872 (disponible sur le site URL httpwwwabbaye-saint-benoitch) Ce qui se trouve entre crochets obliques est de nous

10 Agrave lrsquoappui de ce qui vient drsquoecirctre exposeacute voir les extraits suivants de La citeacute de Dieu livre XII chapitres 6 7 et 8 (traduction ibidem) laquo Demandera-t-on la cause efficiente de cette mauvaise volonteacute Il nrsquoy en a point Rien ne fait la volonteacute mauvaise puisque crsquoest elle qui fait ce qui est mauvais La mauvaise volonteacute est donc la cause drsquoune mauvaise action mais rien nrsquoest la cause de cette mauvaise volonteacute [hellip] Lorsque la volonteacute quitte ce qui est au-dessus drsquoelle pour se tourner vers ce qui lui est infeacuterieur elle devient mauvaise non parce que la chose vers laquelle elle se tourne est mauvaise mais parce que crsquoest un mal que de srsquoy tourner Ainsi ce nrsquoest pas une chose infeacuterieure qui a fait la volonteacute mauvaise mais crsquoest la volonteacute mecircme qui srsquoest rendue mauvaise en se portant irreacuteguliegraverement sur une chose infeacuterieure [hellip] Que personne ne cherche donc une cause efficiente de la mauvaise volonteacute Cette cause nrsquoest point positive efficiente

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Tournons-nous maintenant vers le Pseudo-Denys Un texte de ce penseur qui alimentera profondeacutement la speacuteculation meacutedieacutevale sur le mal est la seconde partie du chapitre 4 du traiteacute De divinis nominibus (Des noms divins) Dans ce chapitre le problegraveme du mal est souleveacute incidemment agrave lrsquooccasion drsquoune objection concernant lrsquoexistence des deacutemons anges deacutechus puisque ceux-ci semblent opposer un deacutementi flagrant agrave la thegravese que lrsquoAreacuteopagite srsquoemploie agrave eacutetablir agrave savoir que tout ce qui existe tend vers le Bien Le traiteacute Des noms divins de Denys connaicirctra une large diffusion dans lrsquoOccident chreacutetien puisque pas moins de quatre traductions latines en seront faites respectivement par les carolingiens Hilduin et Jean Scot Eacuterigegravene au IXe siegravecle par Jean Sarrazin au XIIe siegravecle et par Robert Grosseteste dans les anneacutees 1240 Or il faut savoir que la digression sur le mal du chapitre 4 du traiteacute Des noms divins nrsquoest pas le fruit drsquoune reacuteflexion originale de la part de Denys il srsquoagit en fait du reacutesumeacute drsquoun opuscule de Proclus dont lrsquooriginal grec est perdu mais qui nous est neacuteanmoins parvenu dans la version latine reacutealiseacutee par Guillaume de Moerbeke vers 1280 ainsi que dans la reconstitution paraphrastique effectueacutee par Isaac Comnegravene le Seacutebastokrator un auteur byzantin de la fin du XIe siegravecle ou du deacutebut du XIIe siegravecle11 Il y aurait beaucoup agrave eacutecrire au sujet de la doctrine proclienne du mal au demeurant fort complexe mais nous nous limiterons pour lrsquoheure agrave preacutesenter ce qui nous semble ecirctre les quatre thegraveses majeures de lrsquoopuscule de Proclus qui est connu sous le titre latin De malorum subsistentia

Premiegravere thegravese le mal qui est de lrsquoordre de la deacutefaillance du deacutefaut ou du manque drsquoecirctre ne surgit que dans les strates infeacuterieures du reacuteel crsquoest-agrave-dire aux niveaux des acircmes particuliegraveres et des reacutealiteacutes mateacuterielles dans la mesure ougrave ces ecirctres participent de faccedilon intermittente au Bien

Deuxiegraveme thegravese il nrsquoy a pas de cause universelle ou de principe unique du mal contrairement aux diffeacuterents biens qui deacutecoulent tous drsquoun seul et unique Bien

mais neacutegative deacuteficiente parce que la volonteacute mauvaise nrsquoest point une action mais un deacutefaut drsquoaction Deacutechoir de ce qui est souverainement vers ce qui a moins drsquoecirctre crsquoest commencer agrave avoir une mauvaise volonteacute [hellip] La mauvaise volonteacute nrsquoest en celui en qui elle est que parce qursquoil le veut [hellip] Cette deacutefaillance ne consiste pas en ce que la volonteacute se porte vers une mauvaise chose puisqursquoelle ne peut se porter que vers une nature et que toutes les natures sont bonnes mais parce qursquoelle srsquoy porte mal crsquoest-agrave-dire contre lrsquoordre mecircme des natures en quittant ce qui est souverainement pour tendre vers ce qui a moins drsquoecirctre raquo

11 Cf C STEEL laquo Proclus et Denys sur lrsquoexistence du mal raquo dans Denys lrsquoAreacuteopagite et sa posteacuteriteacute en Orient et en Occident actes du colloque international Paris 21-24 septembre 1994 eacuted Y DE ANDIA Institut drsquoeacutetudes augustiniennes Paris 1997 pp 89-116

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absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

gueil deacutetient une structure paradoxale mouvement volontaire par lequel lrsquoesprit creacuteeacute cherche agrave srsquoeacutelever au-dessus du rang ontologique qui lui a eacuteteacute assigneacute donc volonteacute de transgresser le niveau de modus species et ordo qui est approprieacute agrave la creacuteature rationnelle lrsquoorgueil implique du mecircme coup la deacutecheacuteance ou la reacutetro-gradation ontologique de lrsquoesprit creacuteeacute

Maintenant la question suivante pourrait ecirctre souleveacutee si lrsquoorgueil est agrave lrsquoorigine du mal spirituel et de ce qui srsquoensuit y a-t-il une cause agrave lrsquoorgueil lui-mecircme La reacuteponse drsquoAugustin est neacutegative la volonteacute qui srsquoest corrompue par lrsquoorgueil la mauvaise volonteacute est sans cause aucun motif rationnel ne peut ecirctre invoqueacute qui rendrait compte de cette deacutecision originelle Cette absence de cause agrave la mauvaise volonteacute se comprend mieux si lrsquoon precircte attention agrave la terminologie preacutecise qursquoemploie Augustin pour deacutesigner le peacutecheacute originel En effet il parle de cet eacutevegravenement en termes de deacutefaillance drsquoabandon de deacutelaissement pour lui peacutecher eacutequivaut agrave deacutechoir tomber chuter Il ne srsquoagit donc pas drsquoun acte positif mais drsquoun deacutefaut du vouloir Or un deacutefaut un manque une deacutefaillance bref une neacutegativiteacute ne saurait avoir quelque chose de positif comme cause Crsquoest la raison pour laquelle Augustin affirme que la mauvaise volonteacute nrsquoa pas de cause efficiente mais seulement une cause deacuteficiente ce qui revient agrave dire que dans le cas de la mauvaise volonteacute il y a deacuteficience ou absence radicale de cause En somme bien que la volonteacute ait eacuteteacute creacuteeacutee faillible faillibiliteacute qui est la condition de sa liberteacute rien drsquoautre qursquoelle-mecircme ne peut ecirctre tenu responsable de sa perdition10

leur ecirctre en srsquoattachant agrave celui qui est souverainement ils ont preacutefeacutereacute ce qui a moins drsquoecirctre en se preacutefeacuterant agrave lui Voilagrave la premiegravere deacutefaillance et le premier vice de cette nature qui nrsquoavait pas eacuteteacute creacuteeacutee pour posseacuteder la perfection de lrsquoecirctre et qui neacuteanmoins pouvait ecirctre heureuse par la jouissance de lrsquoEcirctre souverain tandis que sa deacutesertion sans la preacutecipiter il est vrai dans le neacuteant lrsquoa rendue moindre qursquoelle nrsquoeacutetait et par conseacutequent miseacuterable raquo Augustin La citeacute de Dieu XII 6 traduction sous la direction de M POUJOULAT et de M RAULX Bar-le-Duc 1864-1872 (disponible sur le site URL httpwwwabbaye-saint-benoitch) Ce qui se trouve entre crochets obliques est de nous

10 Agrave lrsquoappui de ce qui vient drsquoecirctre exposeacute voir les extraits suivants de La citeacute de Dieu livre XII chapitres 6 7 et 8 (traduction ibidem) laquo Demandera-t-on la cause efficiente de cette mauvaise volonteacute Il nrsquoy en a point Rien ne fait la volonteacute mauvaise puisque crsquoest elle qui fait ce qui est mauvais La mauvaise volonteacute est donc la cause drsquoune mauvaise action mais rien nrsquoest la cause de cette mauvaise volonteacute [hellip] Lorsque la volonteacute quitte ce qui est au-dessus drsquoelle pour se tourner vers ce qui lui est infeacuterieur elle devient mauvaise non parce que la chose vers laquelle elle se tourne est mauvaise mais parce que crsquoest un mal que de srsquoy tourner Ainsi ce nrsquoest pas une chose infeacuterieure qui a fait la volonteacute mauvaise mais crsquoest la volonteacute mecircme qui srsquoest rendue mauvaise en se portant irreacuteguliegraverement sur une chose infeacuterieure [hellip] Que personne ne cherche donc une cause efficiente de la mauvaise volonteacute Cette cause nrsquoest point positive efficiente

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Tournons-nous maintenant vers le Pseudo-Denys Un texte de ce penseur qui alimentera profondeacutement la speacuteculation meacutedieacutevale sur le mal est la seconde partie du chapitre 4 du traiteacute De divinis nominibus (Des noms divins) Dans ce chapitre le problegraveme du mal est souleveacute incidemment agrave lrsquooccasion drsquoune objection concernant lrsquoexistence des deacutemons anges deacutechus puisque ceux-ci semblent opposer un deacutementi flagrant agrave la thegravese que lrsquoAreacuteopagite srsquoemploie agrave eacutetablir agrave savoir que tout ce qui existe tend vers le Bien Le traiteacute Des noms divins de Denys connaicirctra une large diffusion dans lrsquoOccident chreacutetien puisque pas moins de quatre traductions latines en seront faites respectivement par les carolingiens Hilduin et Jean Scot Eacuterigegravene au IXe siegravecle par Jean Sarrazin au XIIe siegravecle et par Robert Grosseteste dans les anneacutees 1240 Or il faut savoir que la digression sur le mal du chapitre 4 du traiteacute Des noms divins nrsquoest pas le fruit drsquoune reacuteflexion originale de la part de Denys il srsquoagit en fait du reacutesumeacute drsquoun opuscule de Proclus dont lrsquooriginal grec est perdu mais qui nous est neacuteanmoins parvenu dans la version latine reacutealiseacutee par Guillaume de Moerbeke vers 1280 ainsi que dans la reconstitution paraphrastique effectueacutee par Isaac Comnegravene le Seacutebastokrator un auteur byzantin de la fin du XIe siegravecle ou du deacutebut du XIIe siegravecle11 Il y aurait beaucoup agrave eacutecrire au sujet de la doctrine proclienne du mal au demeurant fort complexe mais nous nous limiterons pour lrsquoheure agrave preacutesenter ce qui nous semble ecirctre les quatre thegraveses majeures de lrsquoopuscule de Proclus qui est connu sous le titre latin De malorum subsistentia

Premiegravere thegravese le mal qui est de lrsquoordre de la deacutefaillance du deacutefaut ou du manque drsquoecirctre ne surgit que dans les strates infeacuterieures du reacuteel crsquoest-agrave-dire aux niveaux des acircmes particuliegraveres et des reacutealiteacutes mateacuterielles dans la mesure ougrave ces ecirctres participent de faccedilon intermittente au Bien

Deuxiegraveme thegravese il nrsquoy a pas de cause universelle ou de principe unique du mal contrairement aux diffeacuterents biens qui deacutecoulent tous drsquoun seul et unique Bien

mais neacutegative deacuteficiente parce que la volonteacute mauvaise nrsquoest point une action mais un deacutefaut drsquoaction Deacutechoir de ce qui est souverainement vers ce qui a moins drsquoecirctre crsquoest commencer agrave avoir une mauvaise volonteacute [hellip] La mauvaise volonteacute nrsquoest en celui en qui elle est que parce qursquoil le veut [hellip] Cette deacutefaillance ne consiste pas en ce que la volonteacute se porte vers une mauvaise chose puisqursquoelle ne peut se porter que vers une nature et que toutes les natures sont bonnes mais parce qursquoelle srsquoy porte mal crsquoest-agrave-dire contre lrsquoordre mecircme des natures en quittant ce qui est souverainement pour tendre vers ce qui a moins drsquoecirctre raquo

11 Cf C STEEL laquo Proclus et Denys sur lrsquoexistence du mal raquo dans Denys lrsquoAreacuteopagite et sa posteacuteriteacute en Orient et en Occident actes du colloque international Paris 21-24 septembre 1994 eacuted Y DE ANDIA Institut drsquoeacutetudes augustiniennes Paris 1997 pp 89-116

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absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Tournons-nous maintenant vers le Pseudo-Denys Un texte de ce penseur qui alimentera profondeacutement la speacuteculation meacutedieacutevale sur le mal est la seconde partie du chapitre 4 du traiteacute De divinis nominibus (Des noms divins) Dans ce chapitre le problegraveme du mal est souleveacute incidemment agrave lrsquooccasion drsquoune objection concernant lrsquoexistence des deacutemons anges deacutechus puisque ceux-ci semblent opposer un deacutementi flagrant agrave la thegravese que lrsquoAreacuteopagite srsquoemploie agrave eacutetablir agrave savoir que tout ce qui existe tend vers le Bien Le traiteacute Des noms divins de Denys connaicirctra une large diffusion dans lrsquoOccident chreacutetien puisque pas moins de quatre traductions latines en seront faites respectivement par les carolingiens Hilduin et Jean Scot Eacuterigegravene au IXe siegravecle par Jean Sarrazin au XIIe siegravecle et par Robert Grosseteste dans les anneacutees 1240 Or il faut savoir que la digression sur le mal du chapitre 4 du traiteacute Des noms divins nrsquoest pas le fruit drsquoune reacuteflexion originale de la part de Denys il srsquoagit en fait du reacutesumeacute drsquoun opuscule de Proclus dont lrsquooriginal grec est perdu mais qui nous est neacuteanmoins parvenu dans la version latine reacutealiseacutee par Guillaume de Moerbeke vers 1280 ainsi que dans la reconstitution paraphrastique effectueacutee par Isaac Comnegravene le Seacutebastokrator un auteur byzantin de la fin du XIe siegravecle ou du deacutebut du XIIe siegravecle11 Il y aurait beaucoup agrave eacutecrire au sujet de la doctrine proclienne du mal au demeurant fort complexe mais nous nous limiterons pour lrsquoheure agrave preacutesenter ce qui nous semble ecirctre les quatre thegraveses majeures de lrsquoopuscule de Proclus qui est connu sous le titre latin De malorum subsistentia

Premiegravere thegravese le mal qui est de lrsquoordre de la deacutefaillance du deacutefaut ou du manque drsquoecirctre ne surgit que dans les strates infeacuterieures du reacuteel crsquoest-agrave-dire aux niveaux des acircmes particuliegraveres et des reacutealiteacutes mateacuterielles dans la mesure ougrave ces ecirctres participent de faccedilon intermittente au Bien

Deuxiegraveme thegravese il nrsquoy a pas de cause universelle ou de principe unique du mal contrairement aux diffeacuterents biens qui deacutecoulent tous drsquoun seul et unique Bien

mais neacutegative deacuteficiente parce que la volonteacute mauvaise nrsquoest point une action mais un deacutefaut drsquoaction Deacutechoir de ce qui est souverainement vers ce qui a moins drsquoecirctre crsquoest commencer agrave avoir une mauvaise volonteacute [hellip] La mauvaise volonteacute nrsquoest en celui en qui elle est que parce qursquoil le veut [hellip] Cette deacutefaillance ne consiste pas en ce que la volonteacute se porte vers une mauvaise chose puisqursquoelle ne peut se porter que vers une nature et que toutes les natures sont bonnes mais parce qursquoelle srsquoy porte mal crsquoest-agrave-dire contre lrsquoordre mecircme des natures en quittant ce qui est souverainement pour tendre vers ce qui a moins drsquoecirctre raquo

11 Cf C STEEL laquo Proclus et Denys sur lrsquoexistence du mal raquo dans Denys lrsquoAreacuteopagite et sa posteacuteriteacute en Orient et en Occident actes du colloque international Paris 21-24 septembre 1994 eacuted Y DE ANDIA Institut drsquoeacutetudes augustiniennes Paris 1997 pp 89-116

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absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

absolu La multipliciteacute heacuteteacuterogegravene des maux particuliers deacutepend drsquoune pluraliteacute irreacuteductible de causes agrave la fois partielles et accidentelles12

Troisiegraveme thegravese le mal se preacutesente sous le mode drsquoexistence de la parhypostase crsquoest-agrave-dire qursquoil est une entiteacute dont la subsistance ne tient qursquoagrave la relation de contrarieacuteteacute qui lrsquooppose au bien Le mal est de soi impotent sa puissance lui vient entiegraverement du bien dont il est le sous-contraire neacutecessaire

Quatriegraveme thegravese le mal en soi le mal absolu nrsquoexiste pas il srsquoidentifie au non-ecirctre total les diffeacuterents maux nrsquoexistent qursquoen tant qursquoils sont meacutelangeacutes agrave des biens13

Nous verrons plus bas que le Pseudo-Peckham maicirctre egraves arts agrave lrsquoUniversiteacute de Paris dans les anneacutees 1240 tout comme la vaste majoriteacute sinon la totaliteacute des intellectuels universitaires de son temps reacutecusant un modegravele de type plotinien (qursquoil ne pouvait drsquoailleurs connaicirctre qursquoindirectement) souscrit au scheacutema ontologique commun agrave Augustin et Proclus-Denys ndash agrave savoir le mal conccedilu comme privation drsquoecirctre qui nrsquoexiste qursquoagrave la faveur du bien qursquoil contamine ndash et plus speacutecifiquement endosse le paradigme augustinien dans la mesure ougrave lrsquoorigine du mal est penseacutee non pas dans lrsquooptique drsquoune participation intermittente au Bien qui ne concerne que certains rangs infeacuterieurs de la hieacuterarchie cosmique mais bien plutocirct sous lrsquoangle drsquoune meacutetaphysique de la creacuteation ex nihilo qui embrasse la totaliteacute de lrsquoecirctre causeacute Outre cette eacutevidente influence augustinienne la doctrine du Pseudo-Peckham au sujet du mal (et lagrave encore il ne fait pas exception parmi les philosophes et theacuteologiens de son eacutepoque) comme nous allons pouvoir le

12 On notera le caractegravere anti-plotinien de cette thegravese13 Notre reconstruction srsquoappuie pour lrsquoessentiel sur les passages suivants du traiteacute De la subsistance

des maux chapitre IV sect50 et sect54 laquo [hellip] Les maux ne doivent pas leur naissance agrave une cause principale dont on dirait qursquoelle est leur cause efficiente ndash car la nature nrsquoest pas cause du contre-nature ni la raison de ce qui est irrationnel ndash et ils ne vont pas vers une fin celle en vue de laquelle a eacuteteacute creacuteeacute tout ce qui existe Crsquoest donc bien le mot laquo parhypostase raquo qui convient pour deacutesigner ce genre de geacuteneacuteration sans fin sans but en quelque sorte sans cause et sans deacutetermination [hellip] car si crsquoest en vue du bien qursquoexiste tout ce qui existe le mal lui est extrinsegraveque et subsidiaire il est frustration de la fin qui convient agrave chacun et cette frustration est due agrave la deacutebiliteacute de lrsquoagent et ceci parce que ce dernier a eacuteteacute doueacute drsquoune nature qui comporte du pire et du meilleur lrsquoun alternant avec lrsquoautre [hellip] Socrate dans le Theacuteeacutetegravete lt176agt [hellip] appelle le mal laquo subcontraire raquo parce qursquoil est en soi privation mais non privation totale et parce que crsquoest en empruntant au bien en mecircme temps que son eacutetat sa puissance et son activiteacute qursquoil assume son destin de contraire et il nrsquoest ni privation totale ni contraire mais subcontraire au bien ce qui signifie [hellip] une sorte de parhypostase de la reacutealiteacute raquo Proclus De la subsistence des maux IV sect 50 et 54 traduction D ISAAC Les Belles Lettres Paris 1982 p 95 et p 101

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constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

constater ci-apregraves est fortement marqueacutee du sceau drsquoun certain aristoteacutelisme indissolublement logique et ontologique

1 2 Le treiziegraveme siegravecle les sources immeacutediates du Pseudo-PeckhamBien qursquohistoriquement il ne semble pas y avoir de liens entre le manicheacuteisme

contre lequel precircchait Augustin et les mouvements dualistes meacutedieacutevaux14 les protagonistes de cette nouvelle controverse se considegraverent en quelque maniegravere les heacuteritiers des anciens La poleacutemique meacutedieacutevale au sujet du statut ontologique du mal reprenant la discussion tardo-antique lrsquoenrichit de nouveaux deacuteveloppements Au vieux problegraveme ontologique de lrsquoexistence du mal et de son principe repris dans les textes des cathares15 et de leurs adversaires inquisiteurs les philosophes meacutedieacutevaux appliquent des traitements novateurs suivant ce que nous pourrions appeler le tournant logico-linguistique dont Anselme de Cantorbeacutery (103334 - 1109) fut lrsquoun des promoteurs

Nouvel abord pour un vieux problegraveme lrsquoapproche logico-linguistique telle qursquoelle se deacuteploie au XIIIe siegravecle entre en consideacuteration drsquoabord dans les eacutecrits heacuteteacuterodoxes Crsquoest le cas du Liber de duobus principiis16 un ouvrage anonyme

14 Anne BRENON laquo La religion des Bons Hommes reacuteveacuteleacutee raquo dans Eacuteric THIEacuteBAUD et al Les Cathares La croisade albigeoise (coll laquo Dossiers Historia raquo 13) Tallandier Paris 1999 p 46-60 Selon lrsquohistorienne Anne Brenon ce qursquoon appelle le laquo mouvement cathare raquo devrait plutocirct ecirctre appeleacute laquo la religion des Bons Hommes raquo Selon elle le mot laquo catharisme raquo est un anachronisme Le terme laquo cathari raquo est cependant employeacute par certains auteurs du XIIe siegravecle voir la note suivante

15 Le premier agrave avoir utiliseacute systeacutematiquement le terme semble ecirctre Eckbert de Schoumlnau Chanoine puis abbeacute des bords du Rhin il eacutecrivit vers 1163 une seacuterie de sermons de reacutefutation antiheacutereacutetique (Sermones contra Catharos dans Patrologia Latina (PL) eacuted MIGNE tome 195) indiquant qursquoil avait rencontreacute dans la reacutegion de Mayence et de Cologne de laquo meacutechants heacutereacutetiques raquo assez orgueilleux pour srsquointituler eux-mecircmes laquo Cathares raquo du grec laquo katharos raquo crsquoest-agrave-dire laquo purs raquo En fait Eckbert avait emprunteacute le mot laquo cathari raquo agrave Augustin (De haeresibus) traitant au IVe siegravecle des manicheacuteens Selon Brenon (p 46) laquo les heacutereacutetiques rheacutenans rencontreacutes par le chanoine [Eckbert] nrsquoeacutetaient pas plus manicheacuteens que cathares Ils ne se donnaient eux-mecircmes drsquoautre nom que chreacutetiens ou apocirctres Leurs fidegraveles les appelaient Bons Chreacutetiens et Bonnes Chreacutetiennes Vrais Chreacutetiens Amis de Dieu Bons Hommes et Bonnes Dames raquo Cette eacutetymologie est reprise par Alain de Lille entre autres qui a donneacute eacutegalement une autre explication du terme assez impudique pour devenir par le fait mecircme tregraves ceacutelegravebre laquo Vel Cathari dicuntur a cato quia ut dicitur osculantur posteriora catti in cujus specie ut dicunt apparet eis Lucifer raquo Alain de Lille Contra haereticos libri quatuor I c 63 PL 210 col 366A Sur le sort de cette description voir N COHEN Europersquos inner demons Revised Edition University of Chicago Press Chicago 2000 p 40 et suivantes

16 Le texte cathare et sa reacutefutation ont eacuteteacute eacutediteacutes par Antoine DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle le Liber de duobus principiis suivi drsquoun fragment de rituel cathare Istituto storico

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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du milieu du XIIIe siegravecle qui reprend presque agrave la lettre un traiteacute du theacuteoricien cathare Jean de Lugio connu gracircce agrave la reacutefutation de lrsquoinquisiteur Reynier Sacconi (Summa de catharis)17 La neacutecessiteacute de reacutefuter non seulement lrsquoontologie dualiste des cathares (les eacuteleacutements pour ce faire eacutetant deacutejagrave tregraves nombreux dans les œuvres drsquoAugustin et du Pseudo-Denys) mais aussi la logique qui soutenait ce dualisme a eacuteteacute mise en lumiegravere par Jean Jolivet dans une petite mais substantielle eacutetude sur la logique cathare qui pour reprendre son expression opegravere une laquoscission de lrsquouniverselraquo18 En effet on repegravere une sorte de theacuteorie de la restriction en ce qui concerne les termes universels tels que omnia cuncta universa parce que selon lrsquoauteur du Livre des deux principes les signes universels sont pris dans les Saintes Eacutecritures en des acceptions multiples ils srsquoappliquent drsquoune part aux choses pures bonnes drsquoautre part aux choses vaines transitoires ainsi qursquoaux choses emprisonneacutees sous la loi du peacutecheacute et de lrsquoincreacuteduliteacute

Crsquoest pourquoi aux yeux des sages il est clair que par ces signes universels agrave savoir omnia universa cuncta et les autres signes qui se trouvent dans les divines Eacutecritures ne sont pas compris ltensemblegt les ecirctres bons et les mauvais les purs et les impurs les transitoires et les permanents surtout du fait qursquoils sont tout agrave fait opposeacutes (adversa) et contraires et qursquoils ne peuvent reacuteellement (simpliciter) provenir drsquoune seule cause [hellip] Il srsquoensuit donc qursquoil y a un autre principe celui du mal qui est lrsquoorigine et cause de toute iniquiteacute impureteacute et infideacuteliteacute et mecircme de toutes les teacutenegravebres autrement le vrai Dieu lui-mecircme qui est tregraves fidegravele justice suprecircme pureteacute limpide serait tout agrave fait cause et principe de tout mal et tous les opposeacutes (adversa) et les contraires eacutemaneraient tout agrave fait du Seigneur lui-mecircme ce qui est tregraves vain et stupide de penser19

Domenicano S Sabina Roma 1939 Il existe aussi une traduction franccedilaise et une reacuteeacutedition de Christine Thouzellier ANONYME Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (coll laquo Sources chreacutetiennes raquo 198) eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973

17 Cf DONDAINE Un traiteacute neacuteo-Manicheacuteen du XIIIe siegravecle p 64-7818 J JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo dans EP BOSS (eacuted) Mediaeval

Semantics and Metaphysics studies dedicated to LM de Rijk (coll laquo Artistarium raquo Supplementa 2) Ingenium Publishers Nijmegen 1985 p 143-160

19 Anonyme Livre des deux principes Rub 39 trad et eacuted C THOUZELLIER p 294-297 laquo Quare apud sapientes manifestum est quod per hec signa universalia scilicet lsquoomniarsquo et lsquouniversarsquo et lsquocunctarsquo et alia signa que in divinis scripturis reperiuntur non comprehenduntur bona et mala munda et poluta transitoria et permanentia et maxime cum sint adversa penitus et contraria nec ab una causa simpliciter esse possint Sequitur autem adhuc quod sit aliud principium mali quod caput et causa est omnis polutionis et infidelitatis et etiam omnium tenebrarum alioquin ipse deus verus qui fidelissimus est et iustitia summa et munditia pura esset penitus causa et principium omnis mali et omnia adversa atque contraria ab ipso domino penitus emanarent quod vanissimum est et stultum opinari raquo

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Selon Jolivet cette restriction provoque une scission reacuteelle des universaux laquode la mecircme scission qui affecte les signes universels qui leur sont accoleacutes Le mot omnia qui pris substantivement les contient tous nrsquoa pas pour reacutefeacuterent la totaliteacute de ce qui existe ou ne suppose pas pour elle ce reacutefeacuterent se reacutepartit en deux domaines antagonistes imparticipables lrsquoun par lrsquoautreraquo20 Bref la scission des termes universels implique une scission reacuteelle des champs reacutefeacuterentiels auxquels renvoient ces termes et donc justifie agrave la fois lrsquoexistence reacuteelle du mal et la neacutecessiteacute pour celui-ci drsquoavoir un principe propre

Ce pourrait ecirctre notamment pour combattre ce type de logiques dualistes que Philippe (ca 1160-1236) Chancelier de lrsquoUniversiteacute de Paris aurait confectionneacute sa theacuteorie des transcendantaux21 Dans sa Summa de bono (1225-1228) Philippe considegravere que le bien est parmi les concepts les plus communs (communissima) dont il limite le nombre agrave quatre lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien22 Pour Philippe le bien et lrsquoeacutetant sont convertibles parce que chaque chose qui est (eacutetant) est bonne Cette relation de convertibiliteacute opegravere entre les quatre transcendantaux Ainsi lrsquoeacutetant lrsquoun le vrai et le bien ont le mecircme champ de reacutefeacuterence qui est maximalement universel bien qursquoils diffegraverent conceptuellement Crsquoest clairement ce que le Chancelier affirme dans le passage suivant ougrave son propos porte directement sur le rapport entre le bien et lrsquoeacutetant

Le fait que le bien et lrsquoeacutetant soient convertibles nrsquoempecircche pas que ltle biengt ne soit caracteacuteriseacute au moyen de lrsquoeacutetant parce que bien qursquoils soient convertibles quant au contenu et agrave lrsquoextension des supposeacutes ltcrsquoest-agrave-dire des sujets reacuteels dont ils sont preacutedicablesgt cependant le bien surpasse lrsquoeacutetant en raison ltcrsquoest-agrave-dire conceptuellementgt en ce sens que ltle biengt est ltlrsquoeacutetantgt non diviseacute de la fin ou de lrsquoacte qui est dit lsquocompleacutementrsquo ltou lsquoachegravevementrsquogt23

En somme selon Philippe tout ce qui est est bon est vrai est un les notions transcendantales couvrent la totaliteacute de lrsquoecirctre et du coup elles deacutetiennent une universaliteacute qui ne connaicirct pas de restriction Le fait de deacuteterminer le bien comme

20 JOLIVET laquo Logique cathare la scission de lrsquouniversel raquo p 146-14721 Cf H POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo Revue neacuteoscolastique de

philosophie 42 (1939) 40-7722 laquo Communissima autem haec sunt ens unum verum bonum raquo Philippe le Chancelier Summa

de bono Prologue q 1 eacuted N WICKI (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi raquo Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta 2) Editiones Francke Bernae 1985 p 4

23 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 60-63 laquo Bonum et ens converti non impedit quin notificetur per ens quia licet convertantur quantum ad continentiam et ambitum suppositorum bonum tamen habundat ratione super ens scilicet per hoc quod est indivisum a fine vel actu qui dicitur complementum raquo

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concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

concomitant neacutecessaire de lrsquoeacutetant exclut la possibiliteacute drsquoun eacutetant qui ne soit pas bon ce qui empecircche la scission poseacutee par le Livre des deux principes puisqursquoen vertu de ce qursquoil y a de plus fondamental agrave savoir la regravegle de convertibiliteacute des transcendantaux lrsquoaccegraves du mal agrave lrsquoexistence devient radicalement impossible

Du point de vue de la signification les notions transcendantales semblent indeacutefinissables pour cette raison qursquoelles nrsquoont ni genre ni diffeacuterence speacutecifique pas plus qursquoelles ne sont elles-mecircmes des genres24 Pourtant Philippe en offre des caracteacuterisations en prenant lrsquoun (unum) comme point de deacutepart deacutefinitionnel25 et il les expose suivant un ordre de complexiteacute croissante De lrsquoeacutetant le Chancelier ne donne pas de deacutefinition - sans doute qursquoil va de soi pour lui que lrsquoeacutetant signifie la simple ideacutee de ce qui est de lrsquoun il dit qursquoil est lrsquoeacutetant indivis26 du vrai qursquoil est indivision de lrsquoecirctre et de ce qui est27 finalement du bien qursquoil est ce qui a in-division drsquoacte par rapport agrave la puissance absolument ou drsquoune certaine faccedilon28

24 Cette ideacutee provient drsquoAristote Meacutetaphysique Β 3 998b17-28 Sur ce point voir JA AERTSEN Medieval philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas (coll laquo Studien und Texte zur Geschichte des Mittelalters raquo 52) Brill Leiden New York et Koumlln 1996 p 31

25 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 8 l 78-79 laquo hellip per hunc enim modum oportet prima determinari ut unum raquo

26 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 1 eacuted WICKI p 7 l 30-33 laquo Et ita non diffinietur ltbonumgt per ens et aliquam positionem superadditam sicut nec unum cum dicitur unum est ens indivisum lsquoindivisumrsquo enim ponit ens et privat ab ente divisionem raquo Cf Aristote Metaphysica X 3 1054a22-23 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) Brill Leiden 1976 p 190 laquo nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum raquo

27 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono Prologue q 2 eacuted WICKI p 10 l 34-35 laquo Veritas est indivisio esse et eius quod est raquo

28 Cf Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted WICKI p 6 laquo Item alia extrahitur ab Aristotele et aliis philosophis lsquoBonum est habens indivisionem actus a potentia simpliciter vel quodam modorsquo raquo Les sources dont comme lrsquoeacutecrit Philippe laquo on extrait raquo cette deacutefinition semblent ecirctre Aristote et Avicenne cf POUILLON laquo Le premier traiteacute des proprieacuteteacutes transcendantales raquo p 45 Pour une archeacuteologie de cette deacutefinition cf Albert le Grand De Bono (coll laquo Alberti Magni Opera omnia raquo dir B GEYER Institutum Alberti Magni Coloniense 38) eacuted W KUumlBEL Aschendorff Muumlnster 1951 p 5 laquo in IV Primae philosophiae Avicennae II capitulo inveniuntur ista verba quod lsquobonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectursquo et lsquoquod est in effectu inquantum est sic est bonumrsquo In Metaphysica autem Aristotelis in IX libro inveniuntur ista verba lsquoNecesse est ut alterum contrariorum sit bonum potentia vero similiter aut neutrum ergo actus est melior et necesse est etiam in rebus malis ut actus et complementum sit peius potentiarsquo Et ex istis duobus locis volunt quidam trahere hanc diffinitionem quod lsquobonum est indivisio actus a potentiarsquo raquo Albert avait lui-mecircme anteacuterieurement attribueacute cette deacutefinition agrave Avicenne ibid p 1 Voici le texte aristoteacutelicien Aristote Metaphysica IX 9 1051a13 et suivantes trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted VUILLEMIN-DIEM p 180-181 laquo contraria vero impossibile est

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

En appliquant les communissima au problegraveme du mal Philippe reprend surtout cette derniegravere caracteacuterisation du bien comme indivision de la puissance et de lrsquoacte Ce faisant il apporte des preacutecisions importantes agrave la conception traditionnelle du mal comme privation Le Chancelier conccediloit le mal comme un possible et selon lui lrsquoopposition entre le bien et le mal nrsquoest pas la mecircme que celle entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant

Il faut remarquer que le mal reste un possible Par conseacutequent il nrsquoest pas dit indiffeacuteremment de chaque chose ltcrsquoest-agrave-dire que ce qui est un mal pour une chose ne lrsquoest pas forceacutement pour une autregt De lagrave vient que lrsquoopposition du bien et du mal nrsquoest pas la mecircme que celle de lrsquoeacutetant et du non-eacutetant mais la premiegravere est selon la privation la seconde selon la contradiction on reviendra sur cela apregraves Cependant le mal implique le non-ecirctre dans ce qui est mauvais mais non entiegraverement Et cela est agrave cause de ceci le mal implique un deacutefaut drsquoordonnancement essentiel agrave une cause agrave savoir agrave la ltcausegt finale29

Le rapport drsquoopposition entre le bien et le mal est diffeacuterent de celui entre lrsquoeacutetant et le non-eacutetant agrave cause de la distinction des notions Selon Philippe la notion de bien est lieacutee agrave la notion de cause finale le bien eacutequivaut agrave la fin et puisque

simul existere (ut sanum esse et laborare) quare necesse horum alterum esse bonum posse vero similiter utrumque aut neutrum actus vero melior raquo ainsi que celui drsquoAvicenne Liber de philosophia prima siue de scientia divina IV 2 eacuted S VAN RIET (coll laquo Avicenna Latinus raquo) Peeters Brill Louvain Leiden 1977-1983 p 212 laquo Item effectus prior est potentia perfectione et fine Potentia enim est imperfectio et effectus est perfectio et bonum in omni re non est nisi ipsam esse in effectu ubi autem fuerit malum ibi est aliquid in potentia aliquo modo raquo On trouve une variante ou plutocirct un autre deacuteveloppement dans lrsquoAnonyme Lectio cum questionibus (connue aussi comme le Commentaire de Naples eacutediteacute dans Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) p 31 l 122-123 laquo perfectio nichil aliud est nisi delectatio coniunctionis potentie cum suo actu raquo Le Pseudo-Peckham aussi tient compte de cette deacutefinition du bien cf Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio 1 q 2 F f 3vb O f 4ra laquo Ad ultimum dicendum quod bonum comparatur ad potentiam in triplici genere Comparatur enim ad potentiam sicut forma et perficit potentiam per sui unionem et hoc mediante operatione et sic datur hec diffinitio lsquoBonum est indiuisio actus a potentiarsquo raquo

29 Notre traduction Cf Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 23 laquo Advertendum est quod malum relinquit possibile Unde non dicitur de unoquoque indifferenter Unde non est talis oppositio boni et mali qualis est entis et non entis sed hec secundum privationem illa secundum contradictionem et de hoc dicetur postea Et tamen malum ponit non esse in eo quod malum non tamen omnino Et hoc est propter hoc quod malum ponit defectum essentialis ordinationis ad unam causam scilicet ad finalem raquo

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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la finaliteacute de toute puissance est de parvenir agrave lrsquoacte auquel elle est essentiellement ordonneacutee le mal deacutesigne alors la non-actualisation drsquoune puissance crsquoest-agrave-dire le fait qursquoune puissance ne passe pas agrave son actualiteacute comme elle le devrait mais reste le possible qursquoelle est Si lrsquoon veut parler rigoureusement suivant Philippe il faudra dire non pas que le mal est une privation drsquoecirctre purement et simplement mais plutocirct qursquoil est une privation drsquoacte une privation de la perfection de lrsquoecirctre Est un mal lrsquoeacutetant qui demeure une potentialiteacute non acheveacutee un possible non reacutealiseacute agrave cause drsquoun deacutefaut qui affecte son ordonnancement essentiel agrave la perfection ontologique qursquoil est censeacute atteindre On pourrait se demander alors si la regravegle de convertibiliteacute devrait ecirctre nuanceacutee en conseacutequence de la maniegravere suivante tout ce qui est est bon dans la mesure ougrave il atteint la perfection ontologique qui lui est essentiellement due mais une telle nuance ne trouve pas place dans la doctrine du Chancelier

1 3 Le point de vue logiquePar ailleurs Philippe pose une distinction entre deux points de vue

ontologique et logique lorsqursquoil est question de savoir si le mal est un genre Examinons le passage suivant pris de la reacuteponse

Il nrsquoy a pas deux principes et agrave ce que le bien et le mal sont dits deux genres je reacuteponds que le mal drsquoune maniegravere est genre drsquoune autre maniegravere non En effet si on appelle laquo genre raquo lrsquoessence dite relativement agrave ce qursquoest ltune chosegt le mal nrsquoest pas de soi un genre parce que de soi il nrsquoa pas drsquoessence selon Denys mais si on appelle le mal laquo genre raquo parce qursquoil est premier selon la raison de la preacutedication dans sa coordination au mode selon lequel la privation est dite le principe par lequel un changement se produit agrave partir de lrsquoopposeacute de la forme alors on dira que le mal est un genre Par exemple ce qui est injuste est vicieux ce qui est vicieux est un mal Or bien qursquoil ait quelque chose avant lui le mal ltnrsquoagt cependant aucune privation ltavant luigt drsquoougrave il sera dit le genre de toutes les privations Mais cela ne contraint pas agrave poser deux principes30

30 Cf Philippe le Chancellier Summa de bono De bono nature eacuted WICKI q 2 p 47 laquo Non sunt duo principia et quod bonum et malum dicuntur duo genera respondeo quod malum uno modo est genus alio modo non Si enim dicatur genus essentia dicta in quid non est malum de se genus quia de se non habet essentiam secundum Dyonisium si vero dicatur malum genus quia est primum secundum rationem predicandi in sua coordinatione ad hunc modum quo privatio dicitur principium a quo fit mutatio ex opposito contra speciem tunc dicetur malum genus Verbi gratia iniustum est vitiosum vitiosum malum Malum autem licet habeat ante se aliquid nullam tamen privationem unde omnium privationum dicetur genus Sed hoc non cogit ponere duo principia raquo

Nous ne pouvons ecirctre drsquoaccord avec Gillon (cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 54) lorsqursquoil eacutecrit laquo Ces derniers textes

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

Renvoyant agrave lrsquoautoriteacute de Denys31 le Chancelier considegravere que le mal de soi nrsquoa pas drsquoessence et puisque suivant lrsquoune de ses acceptions le genre signifie lrsquoessence en tant qursquoelle exprime ce qursquoest une chose le mal ne sera pas un genre pris en ce sens Lrsquoautoriteacute de Denys cautionne ici le refus drsquoaccorder au mal un statut ontologique qui en ferait un eacutetant veacuteritable Or le genre peut ecirctre consideacutereacute aussi en un sens purement logique en ce sens le mal est un genre crsquoest-agrave-dire un principe selon la notion de preacutedication (secundum rationem predicandi) Du point de vue logique donc on pourra dire que le mal est un genre agrave savoir le genre de toutes les privations la privation eacutetant le principe par lequel se produit un change-ment par opposition de contrarieacuteteacute envers la forme (ex opposito contra speciem) Mais cela nrsquooblige aucunement agrave poser deux principes reacuteels dont lrsquoun serait le mal lrsquoautre le bien Lrsquoecirctre du mal srsquoil en est un se reacuteduit au statut de la privation drsquoacte qui elle-mecircme nrsquoa de reacutealiteacute que par son opposition agrave la forme contraire et ne peut se manifester comme telle que dans lrsquoordre logique de la preacutedication

Dans le passage preacuteciteacute Philippe preacutesente deux positions quant au statut ontologique de lrsquouniversel32 drsquoune part il caracteacuterise le genre comme une essence qui dit ce qursquoest lrsquoecirctre drsquoune chose pointant ainsi en direction drsquoune ontologie reacutealiste de lrsquouniversel drsquoautre part il relegravegue le genre au domaine preacutedicatif inclinant de la sorte vers une interpreacutetation plutocirct nominaliste de lrsquouniversel Cette seconde lecture permet de traiter sur un plan purement logique la question du mal comme genre ou principe Tel est selon nous le point saillant de lrsquointervention doctrinale du Chancelier elle srsquoengage dans une nouvelle voie pour examiner le problegraveme du mal agrave savoir le point de vue logique de la preacutedication des genres33

nous ramegravenent sagement aux conceptions traditionnelles Le mal y apparaicirct comme une pure privation le bien constitue le sujet du mal raquo En fait du point de vue ontologique le Chancelier ne considegravere pas le mal comme pure privation mais nous lrsquoavons vu il le fait demeurer sur le registre de la possibiliteacute Dans le preacutesent extrait Philippe adopte un point de vue purement logique qui lui permet de consideacuterer le mal comme genre de toutes les privations

31 Cf Ps-Denys De divinis nominibus chap 4 sect 2032 Gillon juge que cette position est ambigueuml cf GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie

du peacutecheacute au XIIIe siegravecle p 54 Notons seulement que Philippe se contente drsquoexposer de maniegravere conditionnelle et impersonnelle deux acceptions possibles de laquo genre raquo (Si enim dicatur (hellip) si vero dicatur)

33 Srsquoil srsquoagit drsquoune nouvelle voie par rapport agrave la tradition de penseacutee qursquoont initieacutee Augustin et Denys il faut remarquer qursquoelle repreacutesente tout autant un retour agrave un certain aristoteacutelisme celui des Cateacutegories chapitre 11 dans lequel le bien et le mal sont donneacutes agrave titre drsquoexemples de genres contraires Cf Aristoteles Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

1 4 Aperccedilu de la position du Pseudo-PeckhamComme le texte que nous traduisons ci-dessous va le montrer le Pseudo-

Peckham empruntera la voie ouverte par Philippe le Chancelier mais il ira plus loin que ce dernier en radicalisant le geste de transposition du problegraveme du mal vers le domaine de la logique Pourtant notre maicirctre prend ses preacutecautions pour ne pas apparaicirctre heacuteteacuterodoxe il se sert drsquoembleacutee de la convertibiliteacute des transcendantaux comme argument pour deacuteterminer le mal comme privation du point de vue ontologique34 un argument qursquoil emprunte drsquoailleurs litteacuteralement agrave Alexandre de Halegraves35 Il soutient certes lui-mecircme que le mal est une privation mais sans srsquoabstenir drsquoexprimer quelques reacuteserves le mal est une privation au regard de la difformiteacute que subit une nature et non au regard du composeacute36 Le composeacute deacutesigne ici une nature ndash une reacutealiteacute ayant une essence speacutecifique ndash avec une certaine privation autrement dit une substance affecteacutee par le mal De ce point de vue le mal en tant que forme privative pour ainsi dire tire une certaine existence du substrat ontologique qui le porte

Par ailleurs aux fins de la question deacutebattue le Pseudo-Peckham nous fournit un lot drsquoarguments en faveur du mal comme nature Dans les solutions agrave ces arguments notre maicirctre distingue les diffeacuterents points de vue qui peuvent ecirctre adopteacutes agrave lrsquoeacutegard du mal physique meacutetaphysique et logique Distinction capitale qui lui permet de consideacuterer le mal comme une nature logique et de transposer ainsi le problegraveme dans le domaine de la logique Deacutecision fort significative drsquoabord parce que en lrsquoabordant sous cet angle notre maicirctre peut eacutetudier le thegraveme du mal sans reacuteel danger politique (le statut ontologique du mal est un sujet auquel les autoriteacutes de lrsquoeacutepoque ndash tant eccleacutesiastiques que seacuteculiegraveres ndash sont tregraves sensibles eacutetant donneacute la prolifeacuteration des sectes cathares) ensuite pour cette raison qursquoelle installe solidement le Pseudo-Peckham dans son domaine de leacutegitimiteacute eacutepisteacutemique (rappelons que les maicirctres egraves arts eacutetaient notamment les professeurs attitreacutes de logique dans les universiteacutes meacutedieacutevales) ce qui lrsquoautorise agrave traiter une question eacutepineuse qui jusqursquoalors eacutetait reacuteserveacutee aux seuls theacuteologiens Ce point fort de la position du Pseudo-Peckham ressort clairement de la solution qursquoil

et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

34 Cf ci-dessous argument lt1gt de la seconde question35 Cf ci-dessous la note-source agrave lrsquoargument lt1gt36 Cf ci-dessous la reacuteponse agrave la seconde question

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

apporte agrave lrsquoargument ltIIgt de la seconde question37 Cet argument soutient que le mal est une nature puisque le mal est dans le genre de la qualiteacute et tout ce qui est dans un genre est une nature Notre maicirctre reacutetorque que srsquoil est vrai que le mal est une nature il ne lrsquoest pas cependant selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique38 mais seulement selon lrsquoecirctre logique39

Dans la solution agrave lrsquoargument ltVIgt de la mecircme question40 ndash argument qui preacutetend eacutetablir que le mal est une nature existante puisqursquoil peut srsquointensifier ou srsquoaffaiblir qualitativement ndash le Pseudo-Peckham revient agrave la charge en laquo sublimant raquo cette existence en un ecirctre logique Il affirme en effet que le mal nrsquoexiste pas selon les modaliteacutes de lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique et que ce nrsquoest que du point de vue de lrsquoecirctre logique qursquoil peut se voir octroyer des degreacutes drsquointensiteacute Le mal ainsi conccedilu comme qualiteacute logique bien qursquoil puisse ecirctre preacutediqueacute nrsquoimplique en soi aucune nature reacuteellement existante Pour illustrer cette thegravese notre maicirctre fournit lrsquoexemple suivant on peut eacutenoncer un jugement sur la chimegravere mais ce jugement sera vide sans correacutelat reacuteel car la chimegravere nrsquoexiste pas ce sera une simple opinion Suivant le Pseudo-Peckham il est possible de geacuteneacuteraliser agrave partir de cet exemple toute opinion qualificative existe

37 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltIIgt38 Il importe de rappeler qursquoavant la promulgation des statuts de 1255 il eacutetait interdit de donner

cours agrave la Faculteacute des arts de Paris sur les livres peacuteripateacuteticiens de philosophie naturelle (libri naturales) ce qui incluait les traiteacutes de physique et de meacutetaphysique Agrave ce sujet voir la note suivante

39 Conformeacutement aux statuts de 1215 lrsquoenseignement de la logique eacutetait obligatoire agrave la Faculteacute des arts de Paris laquo Et quod legant libros Aristotelis de dialectica tam de veteri quam de nova in scolis ordinarie et non ad cursum Legant etiam in scolis ordinarie duos Priscianos uel alterum ad minus Non legant in festivis diebus nisi philosophos et rethoricas et quadruvialia et barbarismum et ethicam si placet et quartum topichorum Non legantur libri Aristotelis de methafisica et de naturali philosophia nec summe de eisdem aut de doctrina magistri David de Dinant aut Almarici heretici aut Mauricii hyspani raquo Cf H DENIFLE et E CHAcircTELAIN Chartularium Universitatis Parisiensis (CUP) Delalain Paris 1889 t I no 20 p 78 Pour les statuts de 1255 cf CUP t I p 277-279 nordm 246 Sur les cours prescrits dans le cartulaire de lrsquoUniversiteacute de Paris et la correspondance avec les textes artiens cf C LAFLEUR et J CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans C LAFLEUR et J CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement de la philosophie au XIIIe siegravecle Autour du laquo Guide de lrsquoeacutetudiant raquo du ms Ripoll 109 Actes du colloque international eacutediteacutes avec un compleacutement drsquoeacutetudes et de textes (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 5) par C LAFLEUR et J CARRIER Index et bibliographie avec lrsquoassistance de L GILBERT et de D PICHEacute Brepols Turnhout 1997 p 521-548

40 Cf ci-dessous seconde question contre-argument ltVIgt

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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logiquement parlant dans le genre de la qualiteacute mais dans la mesure ougrave elle ne suppose ni ne reacutefegravere agrave aucune nature reacuteelle elle nrsquoimplique aucun engagement ontologique en faveur drsquoune entiteacute reacuteellement existante De la mecircme maniegravere le mal en tant que qualificatif se trouve sous le genre de la qualiteacute si nous le consideacuterons strictement sous cet angle il nrsquoest pas neacutecessaire de lui attribuer une existence dans la reacutealiteacute41

Agrave la scission cathare de lrsquouniversel reacuteel le Pseudo-Peckham applique donc le remegravede transcendantal lequel est efficace dans la sphegravere ontologique qui est celle des suppocircts individuels Mais ce nrsquoest pas tout Bien qursquoil demeure drsquoune certaine maniegravere laquo traditionaliste raquo quant agrave son refus drsquooctroyer une existence reacuteelle au mal notre maicirctre se distingue appreacuteciablement en cette matiegravere par le fait de deacutegager un point de vue strictement logique sur le mal ce faisant il jette un regard neuf sur un problegraveme seacuteculaire

2 Proleacutegomegravenes philologiques agrave lrsquoeacutedition et agrave la traduction

2 1 Lrsquoœuvre et son milieu de compositionLrsquoenseignement de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque (EacuteN) agrave lrsquoUniversiteacute de Paris au

XIIIe siegravecle constituait la tacircche des maicirctres de la Faculteacute des arts (magistri artium) veacuteritables professeurs de philosophie42 Le texte qui nous occupe appartient agrave

41 Sur ce point nous pouvons rapprocher la solution du Pseudo-Peckham des propos drsquoEacutetienne Langton (mort en 1228) laquo Huiusmodi enim nomina lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo nichil ponunt immo privat pocius sicut hec nomina lsquocarentiarsquo lsquoabsentiarsquo [hellip] Talia ergo nomina significant aliquid sed nichil copulant nec appellant sic hoc nomen lsquofalsumrsquo cum dicitur lsquoaliquid est falsumrsquo significat enim falsitatem sed nichil copulat Significat etiam veritatem id est dat intelligi more nominis relativi Si enim aliquid est falsum oportet quod aliquid sit verum cuius respectu dicitur aliquid falsum esse Similiter cum dicitur homo est malus hoc nomen lsquomalusrsquo nichil predicat ibi vel copulat significat tamen id est dat intelligi bonam naturam quam privat malus Idem dicunt de his nominibus lsquotenebrersquo lsquonuditasrsquo scilicet quod hoc nomen nichil copulat vel appellat dat tamen lucem intelligi [hellip] Nobis autem videtur quod non potest dici de hoc nomine lsquotenebrersquo quod dicitur de his nominibus lsquomalusrsquo lsquofalsumrsquo que sunt adiectiva quia hoc nomen lsquotenebrersquo substantivum est et cum non sit nomen significativum ut chimera aliquid debet appellare raquo Eacutetienne Langton Glosa in Historiam scholasticam dans G LACOMBE laquo Studies on the Commentaries of Cardinal Stephen Langton (Part I) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 5 (1930) 5-151 (p 45)

42 Cf Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER laquo La reacuteglementation lsquocurriculairersquo (lsquode formarsquo) dans les introductions agrave la philosophie et les guides de lrsquoeacutetudiant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle une mise en contexte raquo dans Claude LAFLEUR et Joanne CARRIER (eacuteds) Lrsquoenseignement

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

29

ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

la premiegravere reacuteception43 de lrsquoEacutethique crsquoest-agrave-dire la reacuteception des trois premiers livres (EacuteN I = Ethica Noua EacuteN II-III = Ethica Vetus) provenant drsquoune traduction de Burgundio de Pise reacutealiseacutee vers 115044 ndash la traduction complegravete de Robert Grosseteste nrsquoeacutetant acheveacutee que vers 1246-745

Appartenant agrave un corpus qui a reacutecemment reccedilu une attention accrue46 la Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem a eacuteteacute attribueacute anteacuterieure-

de la philosophie au XIIIe siegravecle op cit p 521-548 Voir aussi Alain DE LIBERA laquo Faculteacute des arts ou Faculteacute de philosophie Sur lrsquoideacutee de philosophie et lrsquoideacuteal philosophique au XIIIe siegravecle raquo dans Olga WEIJERS et Louis HOLTZ (eacuteds) Lrsquoenseignement des disciplines agrave la Faculteacute des arts (Paris et Oxford XIIIe - XIVe siegravecles) (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 4) Brepols Turnhout 1997 p 429-444

43 Nous distinguons deux reacuteceptions de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque selon les textes incorporeacutes agrave la culture philosophique la premiegravere reacuteception inclut seulement les trois premiers livres provenant de faccedilon fragmenteacutee (drsquoabord lrsquoEthica Vetus circule agrave Paris degraves la fin du XIIe siegravecle ensuite agrave partir de 1220 environ on constate la preacutesence de lrsquoEthica Noua) drsquoune traduction reacutealiseacutee par Burgundio de Pise vers 1150 tandis que vers 1246-7 Robert Grosseteste achegraveve une traduction complegravete de lrsquoEacutethique laquelle suscite une nouvelle interpreacutetation des trois premiers livres agrave la lumiegravere des livres suivants et des commentaires grecs reacutecemment traduits Cette deuxiegraveme reacuteception est inaugureacutee par Albert le Grand dans son commentaire Super Ethica (1250-1252) Sur la reacuteception de lrsquoeacutethique aristoteacutelicienne en geacuteneacuteral voir Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Introduction raquo dans Aristote Eacutethique agrave Nicomaque (coll laquo Aristote traductions et eacutetudes raquo) eacuted et trad Reneacute-Antoine GAUTHIER et Jean-Yves JOLIF Beacuteatrice Nauwelaerts Paris 1970 voir aussi pour la premiegravere reacuteception Georg WIELAND Ethica-Scientia Practica Die Anfaumlnge der philosophischen Ethik im 13 Jahrhundert (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters raquo Neue Folge 21) Aschendorff Muumlnster Westfallen 1981 et Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Saint Thomas et lrsquoEacutethique agrave Nicomaque raquo dans Thomas drsquoAquin Sententia libri politicorum Tabula libri ethicorum (coll laquo Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia raquo 48) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte Sabine Rome 1971

44 Cf Fernand BOSSIER laquo Lrsquoeacutelaboration du vocabulaire philosophique chez Burgundio de Pise raquo in Jaqueline HAMESSE (eacuted) Aux origines du lexique philosophique europeacuteen Actes du Colloque international organiseacute agrave Rome par la FIDEM (coll laquo Textes et eacutetudes du Moyen Acircge raquo 8) FIDEM Louvain-la-Neuve 1997 p 102

45 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Praefatio raquo dans Aristote Ethica Nicomachea (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 26 1) eacuted RA GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1974

46 En effet la plupart des commentaires de lrsquoEacutethique agrave Nicomaque datant de cette eacutepoque sont en cours drsquoeacutedition cf Valeria BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham thegravese de doctorat Faculteacute de Philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 p 7-9 (chez httpwwweruditorg) Voir aussi V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 2 (2011) 297-382 Le Commentaire de Paris sur lrsquoEthica Noua a eacuteteacute eacutediteacute par Reneacute-Antoine Gauthier en 1975 (RA GAUTHIER laquo Le cours sur

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

ment au theacuteologien franciscain Jean Peckham47 crsquoest pourquoi on a lrsquohabitude de nommer son auteur le laquo Pseudo-Peckham raquo48 Il srsquoagit en fait drsquoun commentaire avec questions sur lrsquoEthica Noua (EacuteN I) et sur lrsquoEthica Vetus (EacuteN II-III) qui pro-vient vraisemblablement de la Faculteacute des arts de Paris entre 1240 et 124449 Pour contribuer agrave lrsquoeacutetude du corpus si feacutecond de cette eacutepoque nous offrons ici lrsquoeacutedition et la traduction de deux questions sur le mal situeacutees dans la deuxiegraveme partie (q 3 et 4) de la leccedilon II dudit commentaire

2 2 Les manuscrits et la structure du texteQuatre teacutemoins manuscrits nous sont parvenus de la Lectura cum questio-

nibus in Ethicam Nouam et Veterem du Pseudo-Peckham dont deux complets et deux partiels Oxford Bodleian Library misc lat c 71 f 2r-52r (= O) Florence Biblioteca Nazionale conv sopp G 4 853 f 1r-77v (= F) Prague Naacuterodniacute Knihovna eskeacute Republiky (auparavant Universitniacute Knihovna) III F 10 f 12r-23v (= P teacutemoin partiel comprenant le commentaire de lrsquoEthica Vetus leccedilons 22 agrave 39 sans les questions) et Avranches Bibliothegraveque Municipale 232

lrsquoEthica nova drsquoun maicirctre egraves arts de Paris (vers 1235-1240) raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 42 (1975) 71-141) tandis que le Commentaire de Naples a eacuteteacute eacutediteacute en 2006 par M Tracey (Martin J TRACEY laquo An early 13th Century Commentary on Aristotlersquos Nicomachean Ethics I 4-10 The Lectio cum Questionibus of an Arts-Master at Paris in MS Napoli Biblioteca Nazionale VIII G8 ff 4r-9v raquo Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 17 (2006) 23-69) Reacutecemment est parue aussi lrsquoeacutedition drsquoIrene ZAVATTERO laquo Le prologue de la Lectura in Ethicam ueterem du ldquoCommentaire de Parisrdquo (1235-1240) Introduction et texte critique raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie Meacutedieacutevales 77 1 (2010) 1-33 Pour la deuxiegraveme moitieacute du siegravecle voir les eacuteditions de Iacopo COSTA Radulphus Brito Questiones super librum ethicorum Aristotelis (coll laquo Studia Artistarum raquo 17) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2008 Anonymi artium magistri Questiones super Librum Ethicorum Aristotelis (Paris BnF lat 14698) (coll laquo Studia Artistarum raquo 23) eacuted I COSTA Brepols Turnhout 2010

47 Cf Hieronymus SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo dans Abhandlungen zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Festgabe C BAEUMKER zum 70 Geburtstag (16 September 1923) (coll laquo Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Texte und Untersuchungen raquo Supplementband 2) Aschendorff Muumlnster 1923 p 221-242

48 Cf Reneacute-Antoine GAUTHIER laquo Arnoul de Provence et la doctrine de la fronesis vertu mystique suprecircme raquo Revue du Moyen Acircge Latin 19 (1963) 151 et suivantes Georg WIELAND Ethica - Scientia Practica p 44 49-50 Anthony CELANO laquo The Finis hominis in the thirteenth-century commentaries on Aristotlersquos Nicomachean Ethics raquo Archives drsquohistoire doctrinale et litteacuteraire du Moyen Acircge 53 (1986) 23-53 id laquo The understanding of the concept of Felicitas in the pre-1250 commentaries on the Ethica Nicomachea raquo Medioevo 12 (1986) 29-54

49 Une discusion approfondie sur la datation et la parenteacute intellectuelle du commentaire se trouve dans V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo pp 304-314

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

f 123r-125v (= A50 teacutemoin partiel commenccedilant agrave la leccedilon 43 et nrsquoincluant que lrsquoexplication litteacuterale de chaque leccedilon)51 La Leccedilon II dont est extrait le passage que nous eacuteditons et traduisons ci-apregraves est attesteacutee seulement par les deux teacute-moins complets F et O

En ce qui concerne la structure du commentaire lrsquoauteur a diviseacute le texte de lrsquoEacutethique en quarante-cinq leccedilons dont vingt-et-une sur lrsquoEthica Noua et les vingt-quatre suivantes sur lrsquoEthica Vetus Les leccedilons possegravedent une structure assez reacuteguliegravere tout au long de lrsquoouvrage52 Regravegle geacuteneacuterale chaque leccedilon comporte quatre parties 1 Diuisio textus qui preacutesente le sujet de la leccedilon avec division et subdivision du texte de lrsquoEacutethique correspondant agrave la portion traiteacutee 2 Sententia lectionis qui fournit le sens geacuteneacuteral des propos de la portion traiteacutee 3 Questiones qui deacutebute par lrsquoeacutenumeacuteration des questions suivie de leur deacuteveloppement respectif avec insertion de sous-questions au besoin Lrsquoextrait ci-dessous ndash deux questions ndash est tireacute de cette partie du commentaire 4 Expositio littere qui fournit le sens exact selon lrsquoauteur des propos drsquoAristote Cette architecture peut varier selon les leccedilons En outre certaines leccedilons peuvent ecirctre priveacutees drsquoune de ces sections ou lrsquoordre de celles-ci peut ecirctre modifieacute53

50 Pour la description des manuscrits mentionneacutes voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 198-202 Pour F voir aussi H SPETTMANN laquo Der Ethikkommentar des Johannes Pecham raquo p 223-225 pour O voir RW HUNT laquo Notable accessions raquo Bodleian Library Record 5 3 (1955) 166 pour P voir Thomas drsquoAquin Sententia libri Ethicorum (coll laquo Sancti Thomae opera omnia raquo 47 1) eacuted Reneacute-Antoine GAUTHIER Sainte-Sabine Rome 1969 p 12 ainsi que J TRUHLAacuteŘ Catalogus codicum manu scriptorum latinorum qui in CR Bibliotheca Publica atque Universitatis Pragensis asservantur Prague Regia societatis scientiarum bohemicae 1905-1906 t I p 514 pour A voir George LACOMBE et al Aristoteles Latinus Codices (coll laquo Corpus philosophorum medii aevi raquo) La libreria dello Stato Rome 1939 Pars prior p 437 nordm 408

51 Cf Olga WEIJERS Le travail intellectuel agrave la Faculteacute des arts de Paris textes et maicirctres (ca 1200-1500) 5 Reacutepertoire des noms commenccedilant par J (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 11) Brepols Turnhout 2003 p 145-146 (entreacutee laquo Pseudo-Johannes Peckham raquo) et Victorin DOUCET laquo Notulae bibliographicae de quibusdam operibus Fr Ioannis Pecham OFM (Continuatio et finis) raquo Antonianum 8 (1933) 425-449

52 Agrave propos de ce type de construction voir David PICHEacute Le problegraveme des universaux agrave la Faculteacute des Arts de Paris entre 1230 et 1260 (coll laquo Sic et non raquo) Vrin Paris 2005 p 62-69 Voir aussi Olga WEIJERS La lsquodisputatiorsquo agrave la Faculteacute des arts de Paris (1200-1350 environ) Esquisse drsquoune typologie (coll laquo Studia Artistarum Eacutetudes sur la Faculteacute des arts dans les Universiteacutes meacutedieacutevales raquo 2) Brepols Amsterdam 1995 p 12-13 ainsi que RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Nova raquo p 75-77

53 Pour une description complegravete voir V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 209-210 Le commentaire du Pseudo-Peckham correspond au type qursquoon a appeleacute laquo commentaire

32

VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

La configuration des questions du Commentaire du Pseudo-Peckham reacutepond aux steacutereacuteotypes de son temps54 (1) drsquoabord les arguments qui soutiennent la position contraire agrave celle du maicirctre (2) ensuite les arguments qui vont dans le sens de la position du maicirctre (parfois ces deux premiegraveres sections sont inverseacutees ndash crsquoest le cas pour la seconde des questions eacutediteacutees et traduites ci-dessous) (3) suit la reacuteponse du maicirctre agrave la question initialement poseacutee (4) enfin les solutions aux arguments qui appuient la position contraire agrave celle du maicirctre

2 3 Normes de lrsquoeacutedition latine provisoireDans cette eacutetude nous explorons les questions sur le Mal dans la deuxiegraveme

leccedilon de notre Commentaire en vue de lrsquoeacutedition de ladite leccedilon Nous fournissons ci-dessous le texte latin provisoire selon quelques normes que nous avons fixeacutees pour lrsquoeacutedition

Notre eacutedition conserve lrsquoorthographe des teacutemoins principaux Lorsqursquoil y a manque drsquouniformiteacute nous adoptons la forme la mieux attesteacutee par les manus-crits Quand un mot figure en abreacutegeacute dans tous les teacutemoins manuscrits nous reacutesol-vons les abreacuteviations en tenant compte du contexte orthographique du XIIIe siegravecle En voici quelques caracteacuteristiques Puisque nos scribes nrsquoen font pas usage les diphtongues ne sont pas incluses dans lrsquoeacutedition Plutocirct que les lettres laquo v raquo et laquo j raquo (rarement attesteacutees) les scribes preacutefegraverent laquo u raquo et laquo i raquo respectivement En majus-cule la lettre laquo u raquo devient laquo V raquo Quant agrave lrsquousage du -ti- ou -ci- devant une autre voyelle nos scribes en font parfois un usage indistinct de plus agrave lrsquooccasion il demeure paleacuteographiquement incertain qursquoil srsquoagisse drsquoun laquocraquo ou drsquoun laquotraquo Nous avons donc uniformiseacute le texte en adoptant systeacutematiquement la forme -ti- En ce qui concerne la conjonction de coordination sed elle est le plus souvent abreacute-

sous forme de lectiones raquo ou laquo commentaire de type parisien raquo ou encore laquo lectura cum questionibus raquo (laquo leccedilon avec questions raquo) Sur la typologie des commentaires eacutemanant de la Faculteacute des arts de Paris au XIIIe siegravecle voir Olga WEIJERS laquo La structure des commentaires philosophiques agrave la Faculteacute des arts quelques observations raquo dans Giorgio FIORAVANTI et al Il commento filosofico nellrsquooccidente latino (secoli XIII-XIV) Atti del colloquio Firenze-Pisa 19-22 ottobre 2000 organizzato dalla SISMEL (coll laquo Rencontres de Philosophie Meacutedieacutevale raquo 10) Brepols Turnhout 2002 p 17-41 (voir p 17-19) Voir aussi RA GAUTHIER laquo Le cours sur lrsquoEthica Noua raquo p 75-77 ainsi que F DEL PUNTA laquo The Genre of Commentaries in the Middle Ages and Its Relation to the Nature and Originality of Mediaeval Thought raquo dans J AERTSEN et A SPEER (eacuteds) Was ist Philosophie im Mittelalter (coll laquo Miscellanea Mediaevalia raquo 26) De Gruyter Berlin 1998 p 138-151

54 Pour une description des diverses structures des questions agrave lrsquoeacutepoque de notre commentaire voir D PICHEacute Le problegraveme des universaux p 71-97

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ONTOLOGIE ET LOGIQUE DU MAL AU DEacuteBUT DU XIIIE SIEgraveCLE

geacutee en lsquoS3rsquo (= set) Toutefois dans chacun de nos teacutemoins complets nous avons trouveacute une occurrence de cette conjonction en toutes lettres F donne alors laquosedraquo tandis que O preacutesente laquo set raquo En vertu de lrsquousage reacutepandu de set durant la peacuteriode agrave laquelle appartiennent nos manuscrits nous avons donc choisi la forme laquo set raquo Agrave propos des noms propres nos scribes preacutefegraverent Aristotiles ndash quoiqursquoils deacuteve-loppent rarement lrsquoabreacuteviation laquoarraquo ndash nous utilisons donc la forme meacutedieacutevale du nom ainsi que pour Boetius qui srsquoeacutecrit le plus souvent sans h

Lrsquoapparat des variantes se trouve dans les notes de bas de page Nous y avons consigneacute toutes les variantes que nous avons recueillies en effectuant la collation de nos teacutemoins complets F et O55 Nous preacutesentons un apparat positif (crsquoest-agrave-dire que les manuscrits appuyant le lemme apparaissent agrave gauche des crochets obliques lsquo ]rsquo et les manuscrits qui nrsquoappuient pas le lemme apparaissent agrave droite des crochets obliques) Lrsquoapparat des variantes reprend le lemme tel qursquoil est dans le texte (sauf lrsquoitalique les majuscules et les guillemets) et donne les variantes telles qursquoelles figurent dans les manuscrits Lrsquoapparat des sources se trouve dans les notes en bas de page de la traduction Nous y preacutecisons les reacutefeacuterences aux auteurs et aux œuvres citeacutees dans lrsquoeacutedition Les sources tacites sont exprimeacutees dans la mesure ougrave nous avons pu les identifier

Lrsquohabillage du textea) Les majuscules Lrsquoemploi des majuscules dans les manuscrits est presque

inexistant Crsquoest nous qui avons mis une majuscule (1) en tecircte de toute nouvelle phrase (2) au deacutebut de tous les noms propres (4) au premier mot des titres drsquoouvrages

b) La ponctuation La ponctuation ndash eacuteparse et aleacuteatoire ndash qui se trouve dans les manuscrits ne reacutepond pas agrave nos conventions linguistiques modernes Nous avons deacutecideacute de ponctuer le texte de telle sorte qursquoen ressortent clairement les articulations logiques

c) Lrsquoitalique Dans le corps du texte eacutediteacute nous avons reacuteserveacute lrsquoitalique pour les mentions de titres drsquoouvrages Dans lrsquoapparat des variantes lrsquoitalique a eacuteteacute utiliseacute seulement pour nos annotations critiques de telle sorte qursquoun titre de livre affecteacute drsquoune variante sera eacutecrit en italique dans le texte et sans italique dans lrsquoapparat

55 Les teacutemoins partiels A et P nrsquoapparaissent pas dans cette eacutedition parce qursquoils contiennent seulement les leccedilons 22 agrave 45 (P = 22 agrave 39 et A = 43-45)

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

ANONYMI MAGISTRI ARTIVM(PSEUDO-PECKHAM)

ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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VALERIA BUFFON | DAVID PICHEacute

d) Signes varieacutes Les suppleacuteances que nous proposons pour expliciter des mots sous-entendus afin de faciliter la lecture sont incluses entre crochets obliques ltgt tandis que les suppleacuteances que nous proposons pour combler une omission du texte original sont indiqueacutees dans lrsquoapparat des variantes Les guillemets simples lsquorsquo ont eacuteteacute utiliseacutes pour distinguer certains mots devant ecirctre mis en relief comme dans le cas des eacutetymologies ou des deacutefinitions Les guillemets franccedilais laquo raquo sont reacuteserveacutes aux citations litteacuterales

e) Titres et divisions du texte Le titre de lrsquoouvrage nrsquoest pas de lrsquoauteur crsquoest nous qui lrsquoavons forgeacute en donnant une description geacuteneacuterale de la nature du texte et puisqursquoil srsquoagit drsquoun ajout de lrsquoeacutediteur il est inseacutereacute entre crochets obliques Le partage du texte en diverses leccedilons est une configuration du texte lui-mecircme qui nrsquoest pas noteacutee ni numeacuteroteacutee dans les teacutemoins manuscrits mais qui comporte certaines marques textuelles que nous avons montreacutees ailleurs56 Nous avons donc ajouteacute entre crochets obliques la numeacuterotation des leccedilons et les titres qui deacutenotent leur organisation pour rendre la structure plus manifeste

2 4 La traduction et ses notesNotre traduction preacutetend refleacuteter le texte latin le plus fidegravelement possible

sans compromettre pour autant la lisibiliteacute du texte Tout ajout de notre part qui ne rend pas immeacutediatement un terme ou un syntagme du texte latin a eacuteteacute placeacute entre crochets obliques ltgt Nous avons essayeacute de maintenir une uniformiteacute terminologique surtout lorsqursquoil srsquoagissait de termes techniques

Les notes que nous avons ajouteacutees au texte traduit sont de trois sortes des notes terminologiques dans lesquelles nous donnons le(s) terme(s) latin(s) lorsque cela srsquoavegravere neacutecessaire des notes explicatives qui visent agrave assurer la compreacutehension de passages dont le sens ne nous paraissait pas immeacutediatement eacutevident des notes sur les sources qui indiquent la provenance drsquoune citation litteacuterale fournie par notre maicirctre drsquoun argument que ce dernier emprunte agrave un autre auteur ou drsquoun philosophegraveme communeacutement admis agrave lrsquoeacutepoque

Nous avons fait ressortir lrsquoarmature logique du texte drsquoune part en le divisant en sections munies de titres ndash suivant la configuration des questions que nous avons exposeacutee ci-dessus ndash drsquoautre part en numeacuterotant les divers arguments

56 Cf V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris p 210-212

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3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

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ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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3 Le Texte latin et traduction franccedilaise

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ltLECTVRA CVM QVESTIONIBVS IN ETHICAM NOVAM ET VETEREMgtltLECTIO IIgt

MVLTIS AVTEM EXISTENTIBVS OPERATIONIBVS1 ET CETERA (1094a7) [F f 4va O f 4va]

ltTEXTVSgtltMultis2 autem operationibus existentibus et artibus et doctrinis multi sunt fines Medicine

enim sanitas Nauium autem structure navigatio Militaris autem uictoria Yconomice uero diuitie Quecumque autem sunt talium sub una aliqua virtute quemadmodum sub equestri frenorum factrix et quecumque alie equestrium instrumentorum sunt hec autem et omnis bellica operatio sub militari secundum eundem utique modum et alie sub altera In omnibus utique architectoricarum fines omnibus erunt desiderabiliores hiis que sub ipsis horum enim gratia et illa secuntur Differt autem nichil actus ipsos fines esse operationum aut preter hos aliquid aliud quemadmodum in predictis doctrinis Si utique quis finis est operatorum que per se uolumus alia uero propter illum et non omnia propter aliud optamus Procederet enim ita in infinitum quod esset uanum et inane desiderium Manifestum est quod hic utique erit bonus et optimus Ac sibi adiuncta cognitio eius maximum facit incrementum Et quemadmodum sagittatores signum habentes magis utique adipiscemur quod oportetgt

SIGLA CODICVM F = Florence Biblioteca Nazionale conventi soppressi G 4 853 O = Oxford Bodleian Library miscellanea latina c 71

1 existentibus operationibus F] om O2 Aristote Ethica Noua I 1 1094a7-25 trad Burgundio dans Aristote Ethica Nicomachea (coll

laquo Aristoteles Latinus raquo 26 2) eacuted Reneacute Antoine GAUTHIER Brill Descleacutee de Brouwer Leiden Bruxelles 1972 p 65-66 Le textus a eacuteteacute reconstruit drsquoapregraves lrsquoExpositio Littere cf F f 6rb-va O f 6ra-rb Le gras indique des variantes du Pseudo-Peckham au texte eacutetabli par Gauthier (dans la plupart des cas ces variantes coiumlncident avec lrsquoune ou lrsquoautre variantes donneacutees par Gauthier dans son eacutedition) Nous utilisons lrsquoorthographe du Pseudo-Peckham laquelle diffegravere de celle de lrsquoeacutedition de Gauthier

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ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ltPRIMA PARS QVESTIO 3gtltPROPOSITVMgt

sect 36 lt1gt Tertio queritur sic lsquoArsquo est malum aut3 ergo creatum4 aut increatum5 si increatum est6 ab eterno et bonum ab eterno et ita ab eterno plura si est7 creatum8 non a bono cum sit ei contrarium ergo a malo Et de illo erit querere sicut prius et ita erit ponere primum9 siue summe malum sicut primum siue summe bonum10

sect 37 lt2gt Item sicut11 dicit Aristoteles laquo bonum et malum12 non sunt in genere set sunt genera aliorum raquo et constat quod non appellat lsquogenusrsquo sicut forma uniuersalis predicabilis lsquogenusrsquo13 dicitur set sicut principium ergo erit ponere malum principium14 aliorum malorum15 sicut bonum16 bonorum

sect 38 lt3gt Item contrarietas est eorum17 que sunt sub eodem genere distantia

3 aut F] om O4 creatum F] causatum O 5 aut increatum F] quia O6 increatum est F] non esset O 7 est O] om F 8 creatum F] causatum O 9 primum F] primum malum O10 siue summe bonum F] bonum siue summe O11 sicut O] om F12 bonum et malum O] inu F13 genus F] ergo O 14 malum principium O] inu F15 malorum F] om O16 bonum F] boni O17 est eorum O] inu F

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1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

1 Les questions sont la troisiegraveme et quatriegraveme dans la leccedilon mais la premiegravere et la deuxiegraveme concernant le mal le sujet qui nous occupe

2 Aristote Categoriae (coll laquo Aristoteles Latinus raquo I 1-5) XI 14a 23-25 trad Boegravece eacuted L MINIO-PALUELLO Descleacutee de Brouwer Paris 1961 p 37 laquo bonum vero et malum non sunt in aliquo genere sed ipsa sunt genera raquo trad Guillaume de Moerbeke ibid p 114 laquo bonum autem et malum non sunt in genere sed ipsa quorundam genera existunt raquo editio composita ibid p 75 laquo bonum vero et malum non sunt in genere sed ipsa sunt genera aliquorum existentia raquo

3 Anonyme Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) (Sources chreacutetiennes 198) Rubrique 7 eacuted et trad Christine THOUZELLIER Eacuteditions du Cerf Paris 1973 p 174-175 laquo il faut reconnaicirctre qursquoil y a deux principes lrsquoun du bien lrsquoautre du mal qui est lrsquoorigine et cause de lrsquoimperfection des anges et aussi de tout mal raquo laquo duo oportet confiteri principia unum scili-cet boni reliquum vero mali quod caput et causa est imperfectionis angelorum et etiam omnis mali raquo

4 Nous avons traduit par laquo distance maximale raquo le syntagme laquo distantia completa raquo5 Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 135 n 243 laquo Contraria sunt quae sub eodem

genere posita sunt et maxime a se invicem distant et eidem susceptibili vicissim insunt et mutuo

ltPSEUDO-PECKHAM Sur le malgt

ltPremiegravere questiongt1 est-ce qursquoil convient de poser un mal suprecircme comme lton posegt un souverain bien

ltSeconde questiongt est-ce que le mal deacutesigne une nature ou seulement un deacutefaut

ltPREMIEgraveRE QUESTIONgt[hellip] La ltpremiegraveregt question se pose de la maniegravere suivante

ltARGUMENTS POUR LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt ltSupposons quegt A soit un mal il est donc soit creacuteeacute soit increacuteeacute Srsquoil

est increacuteeacute il est depuis lrsquoeacuteterniteacute et le bien est depuis lrsquoeacuteterniteacute et ainsi plusieurs ltchosesgt sont depuis lrsquoeacuteterniteacute Srsquoil est creacuteeacute il ne lrsquoest pas par le bien puisqursquoil est son contraire il lrsquoest donc par le mal Au sujet de ce dernier il conviendra de se questionner comme on vient de le faire et ainsi on devra poser un mal premier ou suprecircme comme lton posegt un bien premier ou souverain

lt2gt De mecircme comme Aristote lrsquoaffirme laquo le bien et le mal ne sont pas dans un genre mais sont les genres drsquoautres ltchosesgt raquo2 Il est eacutevident qursquoil ne dit pas laquo genre raquo au sens ougrave la forme universelle preacutedicable est dite laquo genre raquo mais au sens de laquo principe raquo Donc on devra poser qursquoun mal est principe des autres maux comme lton posegt qursquoun bien est ltprincipegt des biens3

lt3gt De mecircme il y a contrarieacuteteacute entre ces ltchosesgt qui se trouvent agrave une distance maximale4 sous un mecircme genre5 Mais le bien et le mal sont des

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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completa set bonum et malum sunt contraria cum ergo a summe bono nichil complete distet nisi summe malum18 erit ponere summe malum

sect 39 lt4gt Item si bonum contrariatur malo ergo magis bonum magis malo quare maxime bonum maxime malo est ergo maxime malum

sect 40 lt5gt Item contrariorum contrarie sunt cause bonum et malum sunt contraria ergo causas habent contrarias ergo si est ponere summe bonum quod est causa omnibus aliis ut sint bona19 erit ponere summe malum quod erit causa omnibus aliis ut sint mala

18 complete distet nisi summe malum O] distet nisi summe malum complete F19 bona F] bonum O

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se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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se expellunt raquo Cf Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) V 10 1018a25-31 trad Anonyme ou lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM Brill Leiden 1976 p 97 laquo Contraria dicuntur que non possunt simul adesse eidem differentium secundum genus et que plurimum differunt eorum que sunt sub eadem potestate et quorum differentia maxima aut simpliciter aut secundum genus aut secundum speciem raquo Cf aussi ibid X 4 1055a4-10 p 192 laquo Sed quoniam differre contingunt ab invicem differentia plus et minus est aliqua maxima differentia quam dicimus contrarietatem Quia vero maxima est differentia palam ex inductione Genere namque differentia non habent viam ad invicem sed distant magis non convenientia differentibus specie generationes ex contrariis sunt ut ultimis ultimorum vero distantia maxima est quare et que est maxime contrariorum raquo

6 Aristote Categoriae XI 13b36 trad Boegravece p 36 laquo Contrarium autem est bono quidem ex necessitate malum [] malum vero aliquotiens contrarium est aliquotiens malum raquo Boegravece In Categorias Aristotelis libri quatuor PL 64 264 B-C laquo Dicitur autem alterum alteri opponi qua-drupliciter aut ut ad aliquid aut ut contraria aut ut habitus et privatio aut ut affirmatio et nega-tio opponitur autem unumquodque istorum ut figura dicam relativa quidem ut duplum dimidio Contraria autem ut malo bonum secundum privationem et habitum ut caecitas visui secun-dum affirmationem et negationem ut sedet non sedet raquo Philippe le Chancelier Summa de bono (coll laquo Corpus Philosophorum Medii Aevi Opera Philosophica Mediae Aetatis Selecta raquo 2) eacuted N WICKI Editiones Francke Bernae 1985 p 42 laquo Sequitur de bono et malo que ponuntur principia rerum ut magis evacuetur error Manicheorum qui ortum videbatur habere ex hiis verbis philosophorum prout philosophi ponunt bonum et malum esse contraria principia et contraria genera raquo

7 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24 laquo Item si bonum et malum opponuntur ergo magis bonum magis malo et maximum maximo raquo

8 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 tertium eacuted B KLUMPER Collegravege S Bonaventure Florence 1924 p 127 laquo Item contrariorum contrariae sunt causae sed in universitate sunt multae contrarietates et multa contraria ergo et cause contrariae sed una est causa omnium bonorum quae nec est causa malorum ergo necesse est quod sit una causa omnium malorum sicut ergo illa ponitur summum bonum ita et ista ponetur summum malum raquo

contraires6 Donc puisque rien ne se trouve agrave une distance maximale du souverain bien si ce nrsquoest le mal suprecircme on devra poser un mal suprecircme

lt4gt De mecircme si le bien est contraire au mal alors un plus grand bien ltsera contrairegt agrave un plus grand mal Crsquoest pourquoi le plus haut degreacute du bien ltsera contrairegt au plus haut degreacute du mal Il y a donc un degreacute suprecircme du mal7

lt5gt De mecircme les causes des contraires sont contraires ltOrgt le bien et le mal sont des contraires Donc ils ont des causes contraires Par conseacutequent srsquoil convient de poser un souverain bien qui est pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des biens on devra poser un mal suprecircme qui sera pour toutes les autres ltchosesgt cause qursquoelles soient des maux8

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ltOPPOSITVMgtsect 41 ltIgt Contra Quod est in termino contrario est20 impermixtum21 ergo si

est malum in termino siue summe malum oportet quod sit bono impermixtum22 set contra dicit Augustinus quod in opppositione boni et mali fallit regula dyalecticorum23 ndash dicentium impossibile esse contraria inesse24 eidem uel unum in altero ndash quia malum est in bono nec sine eo potest esse

sect 42 ltIIgt Item si malum est accidens est ergo in aliquo sicut in subiecto Et illud necessario est bonum cum sit ens et natura25 aliqua ergo semper est permixtum bono quare non potest esse malum in termino

sect 43 ltIIIgt Item malum est26 priuatio est ergo alicuius non mali (quia post augmentaret per naturam oppositionis) quia si27 contingat28 malum destruere29 alterum malum non tamen generaliter est uerum erit ergo boni et ita non est sine bono

sect 44 ltIVgt Item laquo sicut se habet unumquodque ad esse ita se habet30 ad uerum raquo set bonum et uerum31 idem quare quod se habet ad esse eo modo quo

20 contrario est O] inu F21 impermixtum F] inpermistum O 22 impermixtum F] inpermistum O 23 dyalecticorum F] dialeticorum O 24 inesse scr] in esse FO 25 natura F] non O 26 est O] om F 27 si O] etsi F28 contingat F] continguat O29 destruere F] destruerre O 30 se habet O] om F31 bonum et uerum O] inu F

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ltARGUMENTS POUR LA NEacuteGATIVEgtEn sens contraire ltIgt Ce qui est agrave lrsquoextrecircme9 nrsquoest pas meacutelangeacute agrave son con-

traire Donc srsquoil y a un mal agrave lrsquoextrecircme crsquoest-agrave-dire un mal suprecircme il faut qursquoil soit non meacutelangeacute au bien Mais en sens contraire Augustin affirme10 que laquo pour lrsquoopposition du bien et du mal la regravegle des dialecticiens est fallacieuse eux qui disent qursquoil est impossible que les contraires soient dans une mecircme ltchosegt raquo ou que lrsquoun soit dans lrsquoautre parce que le mal est dans le bien et ne peut ecirctre sans lui

ltIIgt De mecircme si le mal est un accident alors il est dans quelque chose comme dans un sujet Or ce dernier est neacutecessairement un bien puisqursquoil est un eacutetant et une certaine nature11 Donc ltle malgt est toujours meacutelangeacute au bien Crsquoest pourquoi il ne peut y avoir un mal agrave lrsquoextrecircme

ltIIIgt De mecircme le mal est une privation Donc il est ltprivationgt de quelque chose mais non du mal (parce qursquoensuite il grandirait par la nature de lrsquoopposition) car srsquoil arrive qursquoun mal deacutetruise un autre mal cela nrsquoest cependant pas vrai de maniegravere geacuteneacuterale Par conseacutequent ltle malgt est ltprivationgt du bien et ainsi il nrsquoexiste pas sans le bien12

ltIVgt De mecircme laquo chaque chose se rapporte au vrai agrave la maniegravere dont elle se rapporte agrave lrsquoecirctre raquo13 Mais le vrai et le bien sont identiques Crsquoest pourquoi ce qui

9 Nous avons traduit par laquo est agrave lrsquoextrecircme raquo le syntagme laquo est in termino raquo10 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo

46) cap 4 sect 14 eacuted E EVANS Brepols Turnholt 1969 p 55 laquo quapropter in hiis contrariis quae mala et bona uocantur illa dialecticorum regula deficit qua dicunt nulli rei duo simul inesse contraria raquo Le Lombard a peut-ecirctre contribueacute agrave la ceacuteleacutebriteacute de ce texte Cf Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 5 sect 1 Grottaferrata (Rome) Collegium S Bonaventurae (coll laquo Spicilegium Bonaventurianum raquo 4) 1971 p 528 laquo Quod regula dialecticorum de contrariis fallit in his scilicet bono et malo raquo Ce texte est discuteacute entre autres par Roland de Creacutemone Hugues de Saint-Cher et Godefroid de Poitiers cf L-B GILLON La theacuteorie des oppositions et la theacuteologie du peacutecheacute au XIIIe siegravecle Vrin Paris 1937 p 38-41 p 56

11 Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni dans Dionysiaca recueil donnant lrsquoensemble des traductions latines des ouvrages attribueacutes agrave Denys lrsquoAreacuteopagite eacuted Ph CHEVALLIER et al Descleacutee de Brouwer Bruges 1937 p 236 laquo Et si exsistentia omnia ex bono et bonum supra exsistentia est quidem in bono et non exsistens malum autem non exsistens est alioquin non omnino malum neque non exsistens nihil enim est uniuersaliter non exsistens nisi in bono secundum supersubstantiale dicatur raquo

12 Augustin Enchiridion de fide et spe et caritate cap 3 sect 11 eacuted E EVANS p 53 laquo quid est autem aliud quod malum dicitur nisi priuatio boni raquo Cf aussi Pierre Lombard Sententiae in IV libris distinctae II dist 34 chap 4 sect 2 p 526 laquo Malum enim est corruptio uel priuatio boni ubi autem bonum non est non potest esse corruptio uel priuatio boni peccatum igitur non potest esse nisi in re bona raquo

13 Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 2) II 1 993b30-31 trad Anonyme

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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se habet ad esse32 se habet ad bonum Si ergo malum33 [F f 5va O f 5rb55] aliquo modo habet esse etsi34 sub deformitate aliquo modo habet bonum et ita non est omnino sine bono quare non est summe malum35

Et hoc concedimus sub distinctione tamen

ltRESPONSIOgtsect 45 Aliquid enim36 dicitur lsquosumme malumrsquo quia eo nichil peius Et sic est

32 esse F] esse eo modo O33 malum O] malum malum F 34 etsi scr] et si FO35 malum F] bonum O36 enim F] est O

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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se rapporte agrave lrsquoecirctre se rapporte au bien agrave la maniegravere dont il se rapporte agrave lrsquoecirctre14 Donc si le mal existe15 drsquoune certaine maniegravere mecircme si crsquoest agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute il a du bien drsquoune certaine maniegravere et ainsi il nrsquoexiste pas totalement sans le bien Crsquoest pourquoi il nrsquoy a pas de mal suprecircme

Nous conceacutedons cette ltconclusion non sans faire quelquegt distinction cependant

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtEn effet quelque chose est appeleacute laquo mal suprecircme raquo parce qursquoil nrsquoy a rien de

pire que lui En ce sens il convient de poser un mal suprecircme mais improprement

lsquoMediarsquo eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1976 p 37 laquo unumquodque sicut habet esse ita et veritatem raquo Aristote Metaphysica (coll laquo Aristoteles Latinus raquo 25 1-1a) II 1 993b27-31 trad Jacques de Venise eacuted Gudrun VUILLEMIN-DIEM Descleacutee de Brouwer Bruxelles et Paris 1970 p 37 laquo Unde eorum que semper sunt principia necesse est semper esse verissima (non enim aliquando vera neque illis causa est aliqua ipsius esse sed illa aliis) quare unumquodque sicut se habet ad esse sic et ad veritatem raquo Les Auctoritates Aristotelis eacuted J HAMESSE p 118 n 42 laquo Unumquodque sicut se habet ad entitatem sic se habet ad veritatem raquo Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted N WICKI q 2 p 7 l 9 laquo Unumquodque sicut se habet ad esse ita ad veritatem raquo Cf David PICHEacute laquo Le concept de veacuteriteacute dans la Summa de bono (Q I-III) de Philippe le Chancelier raquo Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 921 (2008) 3-32

14 Chaque eacutetant est vrai selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne donc chaque eacutetant est bien selon la modaliteacute drsquoecirctre qui est la sienne puisque le vrai et le bien sont identiques quant aux substrats onto-logiques dont ils se preacutediquent le preacutesent argument srsquoappuie sur la doctrine que lrsquohistoriographie appelle laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo Les transcendantaux deacutesignent les notions les plus geacuteneacuterales les notions maximalement universelles agrave savoir lrsquoeacutetant et ses concomitants lrsquoun le bien et le vrai suivant la liste la plus reacutepandue dans la premiegravere moitieacute du XIIIe siegravecle Ces notions qui transcendent la distinction de lrsquoeacutetant en cateacutegories deacutetermineacutees (substance qualiteacute quantiteacute etc) sont identiques quant agrave leurs suppocircts (supposita) crsquoest-agrave-dire qursquoelles se preacutediquent des mecircmes substrats onto-logiques tout ce dont on preacutedique lrsquoeacutetant est eacutegalement sujet de preacutedication pour lrsquoun le bien et le vrai ndash et reacuteciproquement En revanche ces notions diffegraverent quant agrave leur contenu conceptuel respectif crsquoest-agrave-dire que chacun des transcendantaux que sont lrsquoun le bien et le vrai ajoute agrave lrsquoeacutetant certaines deacuteterminations conceptuelles qui ne sont pas exprimeacutees par la simple notion drsquoeacutetant Pour une eacutetude approfondie de la theacuteorie des transcendantaux chez le Pseudo-Peckham voir V BUFFON laquo Anonyme (Pseudo-Johannes Peckham) Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem (vers 1240-1244) Prologue raquo Recherches de Theacuteologie et Philosophie meacutedieacutevales 78 (2011) pp 297-382 aussi V BUFFON Lrsquoideacuteal eacutethique des maicirctres egraves arts de Paris vers 1250 avec eacutedition critique et traduction seacutelectives du Commentaire sur la Nouvelle et la Vieille Eacutethique du Pseudo-Peckham Faculteacute de philosophie Universiteacute Laval Queacutebec 2007 ch 1 p 20-83 Le classique de la litteacuterature secondaire au sujet de cette theacuteorie est lrsquoouvrage de J AERTSEN Medieval Philosophy and the Transcendentals the case of Thomas Aquinas Brill Leiden 1996

15 Nous avons traduit par laquo existe raquo le syntagme laquo habet esse raquo

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ponere summe37 malum set improprie Aliter dicitur lsquosumme malumrsquo quod38 nichil habet de bono Et hoc modo non est summe malum sicut39 ostendunt rationes

ltSOLVTIONESgtsect 46 lt1gt Ad primo obiectum in contrarium dicendum40 quod bonum41 causa

est mali42 eo modo quod43 habet causam Malum enim44 sicut dicit Augustinus laquo non habet causam efficientem set deficientem45 raquo unde notandum est46 quod duplex est bonum [O f 5va F f 5va8] increatum47 ndash et hoc nullo modo causa mali48 ndash et bonum creatum49 quod est ex nichilo et ab aliquo et quia ex nichilo naturaliter habet defectum ratione eius defectus est causa50 mali Bonum ergo non simpliciter set in quantum deficiens causa est mali et ratione defectus non contrariatur bonum malo set potius conuenit cum eo

sect 47 lt2gt Ad aliud dicendum quod bonum et malum51 sunt genera siue principia aliorum set52 in genere moris solum Vnde simpliciter loquendo malum non est principium set solum in genere moris et hoc ratione oppositionis quam habet ad bonum quod illi est principium

37 summe O] summum F38 quod F] quo O 39 sicut F] ut O40 dicendum F] dicimus O 41 bonum FsO] malum O42 mali F] malo O 43 quod F] quo O44 enim FsO] om pO 45 deficientem F] defficientem O46 est O] om F47 increatum F] incausatum O 48 mali F] boni O 49 creatum F] causa cum O 50 est causa F] inu O51 bonum et malum F] inu O52 set F] om O

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En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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En un autre sens on appelle laquo mal suprecircme raquo ce qui nrsquoa rien de bien En ce sens il nrsquoy a pas de mal suprecircme comme le montrent les arguments ltqui preacutecegravedentgt

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DE LrsquoAFFIRMATIVEgtlt1gt Au premier argument en sens contraire il faut reacutepondre que le bien

est cause du mal agrave la maniegravere dont ltle malgt a une cause En effet comme le dit Augustin le mal laquo nrsquoa pas une cause efficiente mais deacuteficiente raquo16 De lagrave vient qursquoil faille noter que le bien est double increacuteeacute ndash et celui-ci nrsquoest drsquoaucune faccedilon cause du mal ndash et creacuteeacute lequel est ltproduitgt par quelque ecirctre et agrave partir du neacuteant Et parce qursquoil provient du neacuteant il a par nature un deacutefaut et en raison de son deacutefaut il est cause du mal17 Donc le bien non de maniegravere absolue mais en tant qursquoil est deacuteficient est cause du mal et en raison de ce deacutefaut le bien nrsquoest pas contraire au mal mais il est plutocirct compatible avec lui

lt2gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le bien et le mal sont des genres crsquoest-agrave-dire des principes drsquoautres ltchosesgt mais seulement dans le genre moral18 Par conseacutequent le mal nrsquoest pas un principe si lrsquoon parle de maniegravere absolue mais seulement dans le genre moral et ce en raison de lrsquoopposition qursquoil a envers le bien qui est pour lui un principe19

16 Augustin De civitate Dei (coll laquo Corpus Christianorum Series Latina raquo 48 XIV 2) XII 7 dans Aurelii Augustini Opera eacuted Bernhard DOMBART et Alfons KALB Brepols Turnhout 1955 p 362 laquo Nemo igitur quaerat efficientem causam malae voluntatis non enim est efficiens sed deficiens quia nec illa effectio sed defectio raquo

17 Dans le mecircme sens voir le lieu parallegravele suivant chez le Pseudo-Peckham Lectura cum questionibus in Ethicam Nouam et Veterem Lectio I sect70 ltαgt laquo Respondendum quod creatura omnis et ex nichilo est et ab aliquo Secundum hoc defectus creature potest comparari ad illud ex quo est creatura et secundum hoc creatura ratione defectus non appetit uel mouetur ad bonum set potius ad non esse siue malum Vel potest considerari per comparationem ad illud a quo et secundum hoc creatura ratione defectus quem habet respectu cause a qua nata est perfici et compleri appetit Primum ens siue summum bonum raquo

18 Cette affirmation peut ecirctre comprise de la maniegravere suivante la volonteacute mauvaise crsquoest-agrave-dire celle qui se deacutetourne du bien et se deacutecide pour un mal relatif qui est pris pour un bien est le principe agrave savoir la cause et le point de deacutepart des actions mauvaises et des reacutepercussions dommageables qui srsquoen suivent

19 Le Pseudo-Peckham veut dire sans doute que le vice ou mal moral qui est une mauvaise disposition implanteacutee dans lrsquoacircme (laquelle est en soi un bien) est la privation de la vertu agrave laquelle il srsquooppose (voir en ce sens infra q 2 solution ltIIIgt) En outre le mal volontairement commis suppose toujours comme principe ou cause la volonteacute qui en tant que faculteacute capable drsquoopter librement pour telle ou telle action est fonciegraverement quelque chose de bien Lrsquoargument de notre maicirctre est agrave comparer avec ce qursquoaffirme Philippe le Chancelier Summa de bono eacuted

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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sect 48 lt3gt Ad aliud dic quod bonum duplex est increatum53 ndash et huic54 nichil per se est contrarium ndash et creatum55 et huic potest esse aliquid56 contrarium Et potest esse summe malum57 in genere siue causatum non quia nichil habeat de bono set quia nichil58 est59 eo peius sicut est summum bonum creatum60 non quia nichil habeat defectus set quia non est bonum creatum61 melius eo Preterea62 intelligendum est de eis que determinantur in genere sicut63 patet ex auctoritate Aristotelis

sect 49 lt4gt Et hoc ultimo64 modo respondendum ad rationem sequentem cum dicit quod si bonum malo opponitur et magis ad magis et maxime ad maxime

sect 50 lt5gt Ad aliud dic65 quod bonum et malum non sunt proprie loquendo66 contraria set magis se habent per naturam priuationis et habitus et propter hoc non oportet quod causas habeant67 contrarias Et quod dicitur quod sunt contraria respondendum est68 per interemptionem uel dicendum quod dicuntur contraria non ratione rei set magis quia modum habent69 contrariorum

ltQVESTIO 4gtltPROPOSITVMgt

sect 51 lt1gt Circa quartum70 queritur sic Ens bonum et uerum71 conuertuntur

53 increatum F] incausatum O 54 huic F] hoc O55 creatum F] causatum O 56 aliquid O] malum F57 summe malum F] malum summum O58 nichil O] om F59 est F] om O 60 creatum F] causatum O 61 bonum creatum F] causatum bonum O 62 preterea F] preterea illud O 63 sicut F] et hoc O 64 ultimo O] om F65 dic F] dicendum O66 loquendo F] om O 67 habeant F] habent O 68 est] om O 69 magis quia modum habent F] quia magis habent modum O 70 quartum F] quintum O 71 bonum et uerum F] uerum bonum O

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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lt3gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien est double increacuteeacute ndash et rien ne lui est contraire par soi ndash et creacuteeacute et quelque chose peut ecirctre contraire agrave ce dernier Et il peut y avoir un mal suprecircme dans un genre ltdonneacutegt crsquoest-agrave-dire ltun malgt causeacute non pas qursquoil nrsquoait rien de bien mais parce que rien nrsquoest pire que lui tout comme il y a un souverain bien creacuteeacute non pas qursquoil nrsquoait aucun deacutefaut mais parce qursquoaucun bien creacuteeacute nrsquoest meilleur que lui20 En outre ce ltqui preacutecegravedegt doit ecirctre compris au sujet de ces ltchosesgt qui sont deacutetermineacutees dans un genre ltdonneacutegt comme il ressort de lrsquoautoriteacute drsquoAristote21

lt4gt Il faut reacutepondre de la mecircme maniegravere agrave lrsquoargument qui suit quand il dit que si le bien srsquooppose au mal alors un plus grand ltbien srsquoopposeragt agrave un plus grand ltmalgt et le plus haut degreacute ltdu bien srsquoopposeragt au plus haut degreacute ltdu malgt

lt5gt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le bien et le mal ne sont pas agrave proprement parler des contraires mais se rapportent plutocirct lrsquoun agrave lrsquoautre selon la nature de la privation et de lrsquohabitus Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire qursquoils aient des causes contraires Agrave ce qui est dit ltagrave savoirgt qursquoils sont des contraires il faut reacutepondre par destruction22 ou affirmer qursquoils sont dits laquo contraires raquo non pas en raison de la reacutealiteacute mais plutocirct parce qursquoils ont le mode des contraires23

ltSECONDE QUESTIONgtLa ltsecondegt question se pose de la maniegravere suivante

N WICKI De bono nature in communi q 2 (quod malum non potest esse principium nec genus) p 42-47 et De bono in genere q 1 p 334 laquo Similiter ex parte mali dicitur malum in genere et accipitur genus pro forma generali et in actibus et in habitibus ita quod deformitas etiam dicitur forma Et secundum hoc privatio malum est in genere et intelligitur de genere morali raquo

20 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 ad secundum eacuted KLUMPER p 128 laquo Propterea non potest aliquo modo esse nec etiam intelligi summum malum simpliciter Distinguendum tamen est quod summum malum potest dici duobus modis uno modo quo nihil potest esse peius nec habet aliqui boni et hoc modo nihil est summum malum alio modo dicitur summum malum quo nihil est peius et hoc modo summum malum est ipsa inordinatio creaturae qua nil est peius raquo

21 Cf ci-dessus paragraphe lt3gt22 Reacutepondre par destruction eacutequivaut agrave reacutepondre par neacutegation pure et simple de ce qursquoaffirme

lrsquoadversaire plutocirct que drsquoapporter des nuances agrave son affirmation ce que fait le Pseudo-Peckham immeacutediatement apregraves

23 Il semble que notre maicirctre veuille dire que le bien et le mal bien qursquoon en parle comme srsquoils eacutetaient des contraires pouvant ecirctre dits laquo contraires raquo au sens large ne sont pas reacuteellement des contraires mais plutocirct des opposeacutes du type laquo privation et habitus raquo

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ergo eorum opposita conuertuntur non ens scilicet falsum et malum malum ergo uel est72 non ens uel est73 in non entitate existens est ergo priuatio secundum74 ueritatem

sect 52 lt2gt Item dicit Augustinus laquo malum est75 priuatio speciei modi et ordinis76 raquo ergo malum est priuatio quare malum non dicit naturam set defectum circa naturam

sect 53 lt3gt Item diuisibilitas77 et multitudo proueniunt ex defectu unde ea in quibus non est defectus non habent diuisibilitatem78 ergo cum malum sit diuisibile sicut inferius dicetur malum erit defectus siue ex defectu procedens

sect 54 lt4gt Item sicut dicit in principio libri sequentis laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa fit et corrumpitur tam ars quam uirtus raquo differenter79 tamen se habentibus Verbi gratia ex eo quod est dare cui quando et quomodo et propter quid est dandum fit largus80 ex eo uero quod est dare81 cum defectu alicuius istarum circunstantiarum uel82 plurium fit83 auarus uel prodigus Et constat cum actus dandi sit communis84 in uirtute et uitio ltquodgt uitium siue malum non

72 est F] quia O 73 est F] om O 74 secundum O] per F 75 est F] et O76 speciei modi et ordinis F] modi et orditus et speciei O77 diuisibilitas F] diuersitas O 78 non habent diuisibilitatem F] diuersitatem non habent O 79 differenter F] dissimiliter O 80 largus FsO] larlus pO81 dare F] dare ex O 82 uel O] om F 83 fit F] sicut O84 sit communis O] inu F

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME DEacuteFAUTgtlt1gt Lrsquoeacutetant le bien et le vrai sont convertibles24 Donc leurs opposeacutes sont

convertibles agrave savoir le non-eacutetant le faux et le mal Par conseacutequent soit le mal est un non-eacutetant25 soit il existe dans la non-entiteacute26 Selon la veacuteriteacute il est donc une privation

lt2gt De mecircme Augustin affirme laquo le mal est une privation de forme de mesure et drsquoordre raquo27 Le mal est donc une privation Crsquoest pourquoi le mal ne deacutesigne pas une nature mais un deacutefaut relatif agrave une nature

lt3gt De mecircme la divisibiliteacute et la multitude proviennent drsquoun deacutefaut Par conseacutequent les ltchosesgt en lesquelles il nrsquoy a pas de deacutefaut nrsquoont pas de divisibiliteacute Donc puisque le mal est divisible comme on le dira plus bas il est un deacutefaut ou ce qui procegravede drsquoun deacutefaut28

lt4gt De mecircme comme ltAristotegt le dit au deacutebut du livre suivant laquo tant lrsquoart que la vertu sont produits et sont deacutetruits par les mecircmes ltchosesgt et agrave partir des mecircmes ltchosesgt raquo29 lesquelles se preacutesentent cependant de maniegravere diffeacuterente Par exemple on devient geacuteneacutereux de ce que lrsquoon donne agrave qui quand comment et pourquoi il faut donner tandis qursquoon devient avare ou prodigue de ce que lrsquoon donne alors qursquoune ou plusieurs de ces circonstances fait deacutefaut Or puisque lrsquoacte de donner est commun agrave la vertu et au vice il est eacutevident que le vice ou le mal

24 Nous avons traduit par laquo sont convertibles raquo le verbe laquo conuertuntur raquo Pour la doctrine de laquo la convertibiliteacute des transcendantaux raquo voir ci-dessus la note explicative du paragraphe ltIVgt

25 Alexandre de Halegraves Summa Theologica Pars I Inq 1 tract III q 1 art 2 eacuted KLUMPER p 126 laquo Bonum verum et ens convertuntur ergo eorum opposita scilicet malum falsum non-ens malum ergo in quantum malum est non-ens ergo multo magis summum malum raquo

26 Ce dernier syntagme laquo in non entitate existens raquo semble inspireacute du Pseudo-Denys Cf Ps-Dionysius Areopagita De diuinis nominibus trad Iohannis Sarraceni p 236 laquo Igitur bonum erit quidem et supersimpliciter exsistens et non exsistens multo prius collocatum malum autem neque in exsistentibus neque in non exsistentibus sed ab ipso non exsistente magis absistens quam a bono et alienum et magis non substantia raquo Voir aussi ibid trad Grosseteste p 309 laquo Non est malum secundum quod malum neque ens neque in exsistentibus et nihil entium improuisum neque enim est malum ens immixtum exsistens bono raquo

27 Augustin De natura boni (coll laquo Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum raquo 25) IV 4 eacuted Joseph ZYCHA F Tempsky Vienne 1892 p 857 laquo Proinde cum quaeritur unde sit malum prius quaerendum est quid sit malum quod nihil aliud est quam corruptio vel modi vel speciei vel ordinis naturalis raquo

28 Cet argument semble faire jouer une certaine logique de convertibiliteacute des transcendantaux si lrsquoun est conccedilu comme eacutetant lrsquoindivisible (suivant Aristote Meacutetaphysique X 3 cf ci-dessous la citation donneacutee en note du paragraphe ltIgt) et lrsquoun (lrsquoindivisible) et le bien sont convertibles alors le mal lrsquoopposeacute du bien peut ecirctre attribueacute au divisible lrsquoopposeacute de lrsquoindivisible

29 Aristote Ethica Vetus II 1 1003b6-9 trad Burgundio eacuted GAUTHIER p 6 laquo ex eisdem ipsis et per eadem ipsa et fit omnis virtus et corrumpitur Similiter et ars raquo

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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attenditur ratione actus set85 ratione circunstantie debite deficientis uel indebite que apponitur siue ergo inducetur uitium ratione circunstantie indebite86 apposite siue debite deficientis constat quod semper causatur ex defectu quare non est natura aliqua set potius priuatio

sect 55 lt5gt Item dicit Boetius quod mali homines non sunt et hoc dicitur non quia87 homines set quia mali quare malum in eo quod malum priuat esse quocumque modo accipiatur88 esse est ergo malum priuatio non est ergo malum natura aliqua

ltOPPOSITVMgtsect 56 ltIgt Contra Sicut dicit Aristoteles laquo contrariorum89 utrumque est

natura aliqua90 raquo cum ergo bonum et malum sint contraria utrumque erit natura aliqua

sect 57 ltIIgt Item quod non est natura aliqua non est in genere ergo quod est

85 set F] si O86 indebite F] debite O87 quia F] quod O88 accipiatur F] accipitur O89 sicut dicit Aristoteles contrariorum O] contrariorum sicut dicit Aristoteles F90 aliqua FsO] om pO

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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nrsquoest pas atteint en raison de lrsquoacte mais en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise ou bien en raison drsquoune circonstance indue qui est ajouteacutee Donc que le vice soit induit en raison de lrsquoajout drsquoune circonstance indue ou bien en raison du deacutefaut drsquoune circonstance requise il est eacutevident que ltle vice ou le malgt est toujours causeacute par un deacutefaut Crsquoest pourquoi il nrsquoest pas une nature mais plutocirct une privation

lt5gt De mecircme Boegravece dit qursquoil nrsquoy a pas de mauvais hommes30 Cela est dit non pas pour laquo hommes raquo mais pour laquo mauvais raquo Crsquoest pourquoi le mal en tant que mal prive drsquoecirctre quel que soit le sens selon lequel on comprend laquo ecirctre raquo Le mal est donc une privation et par conseacutequent il nrsquoest pas une nature

ltARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtEn sens contraireltIgt Comme le dit Aristote laquo lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature raquo31

Donc puisque le bien et le mal sont des contraires lrsquoun et lrsquoautre sera une nature

ltIIgt De mecircme ce qui nrsquoest pas une nature nrsquoest pas dans un genre Donc ce

30 Boegravece De consolatione philosophiae (coll laquo Bibliotheca Teubneriana raquo) IV pr 2 eacuted Claudio MORESCHINI Saur Munich et Leipzig 2000 p 106 sect 33 laquo quod quidem cuipiam mirum forte uideatur ut malos qui plures hominum sunt eosdem non esse dicamus raquo Voir aussi Les aucto-ritates Aristotelis eacuted HAMESSE p 291 n 62 laquo Qui mali sunt non sunt homines simpliciter sed secundum quid sicut cadaver hominis non potest dici homo simpliciter sed homo mortuus raquo

31 Aristote Metaphysica VII 7 1032b3 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 133 laquo Et enim contrariorum modo quodam eadem species raquo Lrsquoadage se rencontre freacutequemment chez Thomas drsquoAquin notamment dans la Somme theacuteologique et le Commentaire agrave la Meacutetaphysique Thomas drsquoAquin Summa Theologica Ia q 48 a 1 tertium laquo Utrumque contrariorum est natura quedam raquo Id In Aristotelis libros Metaphysicorum IV lectio 15 ed Leonina Rome Marietti 1950 p 197 laquo Et etiam dictum est quae inconvenientia accidunt dicentibus eas simul esse veras et ex qua causa moti sunt ad illa dicendum Deinde cum dicit ldquoquoniam autemrdquo concludit corollarium dicens ex dictis quod quia impossibile est simul contradictionem verificari de eodem manifestum est quod nec etiam contraria eidem inesse possunt quia manifestum est quod non minus in contrariis alterum eorum est privatio quam in aliis oppositis licet utrumque contrariorum sit natura aliqua quod non est in affirmatione et negatione vel in privatione et habitu raquo Thomas commente le texte suivant drsquoAristote laquo quoniam autem impossibile est contradictionem simul veram esse de eodem palam quia nec contraria simul inesse eidem contingit contrariorum enim alterum est privatio non minus vero substantie privatio sed privatio negatio est ab aliquo determinato genere raquo Aristote Metaphysica IV 6 1011b16-20 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 80 Voir aussi Thomas drsquoAquin In Aristotelis libros Metaphysicorum X lectio 4 p 475 laquo Sed cum dixerit quod unum et multitudo opponuntur ut indivisibile et divisibile quae videntur opponi secundum privationem et habitum concludit tamen quod unum et multitudo opponuntur ut contraria Oppositio enim

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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in genere est natura aliqua set malum cum91 secundum ipsum quales dicamur92 est in genere qualitatis est ergo natura aliqua

sect 58 ltIIIgt Item hominum alii sunt boni alii mali Vnde sicut uirtus est habitus bonus93 sic uitium est habitus malus est ergo uitium siue malum habitus quare non est priuatio

sect 59 ltIVgt Item est94 lux corporalis ut celi et est lux spiritualis ut deus siue bonum est95 similiter tenebra corporalis ut terra96 et tenebra spiritualis ut malum Ex quo potest sic argui cum tenebra corporalis sit natura aliqua97 et non solum priuatio respectu lucis corporalis similiter tenebra spiritualis erit natura aliqua et non solum priuatio respectu lucis spiritualis

sect 60 ltVgt Item malum est boni98 corruptio corrumpit ergo bonum quare

91 cum F] om O 92 dicamur F] dicamus O93 bonus F] boni O94 est FsO] est uox pO95 est F] et O96 terra F] terre O 97 natura aliqua O] naturalis siue natura aliqua F 98 boni F] bonum O

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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qui est dans un genre est une nature Mais le mal puisque nous sommes qualifieacutes drsquoapregraves lui est dans le genre de la qualiteacute Il est donc une nature

ltIIIgt De mecircme parmi les hommes certains sont bons drsquoautres mauvais Par conseacutequent de mecircme que la vertu est un bon habitus pareillement le vice est un mauvais habitus Donc le vice ou le mal est un habitus Crsquoest pourquoi ltle malgt nrsquoest pas une privation32

ltIVgt De mecircme il y a la lumiegravere corporelle comme les ciels et la lumiegravere spirituelle comme Dieu ou le bien Pareillement il y a les teacutenegravebres corporelles comme la terre et les teacutenegravebres spirituelles comme le mal33 Agrave partir de cela on peut argumenter de la maniegravere suivante puisque les teacutenegravebres corporelles sont une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere corporelle pareillement les teacutenegravebres spirituelles seront une nature et non pas seulement une privation au regard de la lumiegravere spirituelle

ltVgt De mecircme le mal est la destruction34 du bien35 Donc il deacutetruit le bien

quae est secundum privationem et habitum est principium oppositionis quae est secundum contrarietatem ut infra patebit Alterum enim contrariorum semper est privatio sed non privatio pura Sic enim non participaret naturam generis cum contraria sint in eodem genere Oportet igitur quod utrumque contrariorum sit natura quaedam licet alterum eorum participet naturam generis cum quodam defectu sicut nigrum se habet ad album ut supra dictum est raquo Thomas commente ici Aristote Metaphysica X 3 1054a20-26 trad Anonyme lsquoMediarsquo eacuted G VUILLEMIN-DIEM p 189-190 laquo Opponuntur autem unum et multa quibusdam modis quorum uno unum et pluralitas sunt tamquam indivisibile et divisibile nam aut divisum aut divisibile plurale quid dicitur indivisibile vero aut non divisum unum Quoniam ergo hee contrapositiones quatuor modis dicuntur et horum secundum privationem dicitur alterum contraria erunt et neque ut contradictiones neque ut ad aliquid dicta raquo

32 Cf Aristote Cateacutegories chap X 11b15-12b15 Il y a quatre types drsquoopposeacutes chez Aristote (cf ci-dessus n 23 de la tradution) a) les correacutelatifs ndash comme le double et la moitieacute ndash b) les con-traires ndash comme le noir et le blanc ndash c) ceux par privation et habitus (ici habitus est entendu comme possession) ndash comme la ceacuteciteacute et la vue ndash et d) ceux par affirmation et neacutegation ndash comme pour les propositions laquo il est assis raquo et laquo il nrsquoest pas assis raquo Lrsquoargument que notre maicirctre expose tente de consideacuterer que le vice en tant qursquohabitus de lrsquoacircme (ici habitus est consideacutereacute comme ha-bitude relieacutee drsquoune certaine faccedilon agrave la possession) ne peut pas ecirctre une privation car la privation est lrsquoopposeacute de lrsquohabitus

33 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Sed quia questio mota est de malo si habeat summum inducamus quod induxit Manicheus ponens duo principia principium lucis et principium tenebrarum Et dixerunt tenebras penetrare lumen in aliqua parte participan-tium lumen Sed decepti erant per comparationem cum enim bonum sit lumen intelligibile et malum tenebre intelligibiles videtur quod sic se habeat ut luce corporali et suo opposito Sed lux corporalis ab uno principio causatur et tenebre ab alio raquo

34 Nous avons traduit par laquo destruction raquo et laquo deacutetruire raquo respectivement le nom laquo corruptio raquo et le verbe laquo corrumpere raquo

35 Voir ci-dessus les reacutefeacuterences donneacutees en note agrave lrsquoargument ltIIIgt de la premiegravere question

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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cum priuatio non dominetur habitui99 et contingit malum dominari bono100 corrumpendo ipsum malum non erit priuatio

sect 61 ltVIgt Item cum augmentum et diminutio sint motus ad quantitatem101 similiter intensio et remissio sint motus ad qualitatem qualitas autem magis supponit ens quam quantitas cum sequatur102 hoc augmentatur uel103 diminuitur ergo est multo plus debet sequi hoc104 intenditur uel105 remittitur106 ergo est cum ergo malum possit intendi et remitti107 malum est108 et ita erit109 natura aliqua

ltRESPONSIOgtsect 62 Respondendum quod cum dico lsquomalumrsquo duo dico rem et malitiam

99 habitui FO Note grammaticale geacuteneacuteralement le verbe dominari se construit avec in suivi drsquoun ablatif ou

drsquoun accusatif selon qursquoil srsquoagisse de choses (ablatif) ou de personnes (accusatif) Or il y a une construction possible avec le datif avec le sens de commander agrave La plupart du temps le maicirctre garde la regravegle de construction plus classique Nous avons repereacute deux fois lrsquousage du datif dans ce commentaire ici et dans la Lectio XVII Comme le maicirctre a choisi drsquoutiliser le datif dans la premiegravere occurrence nous corrigeons la deuxiegraveme occurrence (voir prochaine variante) pour maintenir lrsquouniformiteacute et la correction grammaticale

100 bono scr] bonum FO101 quantitatem O] quantitatem et F102 cum sequatur F] consequitur O103 uel O] et F104 hoc O] om F 105 uel F] et O106 remittitur F] remititur O 107 remitti F] remiti O 108 est FsO] om O 109 erit F] malum esset O

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Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

Crsquoest pourquoi puisque la privation ne lrsquoemporte pas sur lrsquohabitus alors qursquoil arrive que le mal lrsquoemporte sur le bien en le deacutetruisant le mal ne sera pas une privation

ltVIgt De mecircme comme lrsquoaugmentation et la diminution sont des mouvements relatifs agrave la quantiteacute pareillement lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute36 Or la qualiteacute suppose lrsquoeacutetant davantage que la quantiteacute ltne le supposegt37 Puisque ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo suit ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela est augmenteacute ou diminueacute raquo bien davantage ltle conseacutequentgt laquo donc cela existe raquo doit-il suivre ltde lrsquoanteacuteceacutedentgt laquo cela srsquointensifie ou srsquoaffaiblit raquo Donc puisque le mal peut srsquointensifier et srsquoaffaiblir le mal existe Ainsi il est une nature

ltREacutePONSE Agrave LA QUESTIONgtIl faut reacutepondre ceci quand je dis laquo le mal raquo je dis deux ltchosesgt la reacutealiteacute

et la maligniteacute38 ltqui se preacutesentegt agrave la maniegravere drsquoune difformiteacute39 relative agrave

36 Une quantiteacute est susceptible drsquoaugmenter ou de diminuer tandis qursquoune qualiteacute est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute la quantiteacute change en termes drsquoaugmentation et de diminution alors que la qualiteacute change en srsquointensifiant ou en srsquoaffaiblissant

Lrsquoargument diffegravere chez Philippe le Chancelier (Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 24) laquo Malum et bonum opponuntur et utrumque est intensibile et remissibile Sed intensio non dicitur esse nisi in habentibus terminum quia intensio est motus in terminum Ergo bonum habet summum et etiam malum summum raquo

37 Le Pseudo-Peckham semble vouloir dire qursquoagrave lrsquoinstar de la quantiteacute mais agrave un degreacute supeacuterieur la qualiteacute existe pour autant qursquoun existant reacuteel soit poseacute sous elle pour autant qursquoil la porte dans lrsquoexistence la qualiteacute serait ainsi doteacutee drsquoun poids ontologique supeacuterieur agrave celui de la quantiteacute mais toutes deux impliqueraient lrsquoexistence drsquoun eacutetant substantiel Notre maicirctre pourrait avoir agrave lrsquoesprit lrsquoideacutee selon laquelle la qualiteacute est une forme accidentelle bien reacuteelle qui srsquoajoute agrave la substance tandis que la quantiteacute est une abstraction que lrsquointellect forge agrave partir du nombre de la disposition spatiale de la proportion etc qursquoil deacutecouvre dans les choses Quoi qursquoil en soit le sens de lrsquoargument est clair si quelque chose est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute il est une qualiteacute srsquoil est une qualiteacute il existe selon la modaliteacute drsquoexistence qui est propre agrave la qualiteacute or le mal est susceptible de gagner ou de perdre en degreacutes drsquointensiteacute donc le mal est une certaine qualiteacute et par conseacutequent il existe agrave titre de nature crsquoest-agrave-dire en tant que chose qui appartient agrave une cateacutegorie bien deacutefinie (en lrsquooccurrence la cateacutegorie de la qualiteacute)

38 La maligniteacute (malitia) est le caractegravere mauvais de quelque chose Une distinction entre malum et malitia se trouve chez Roland de Creacutemone laquo Diximus supra super sententiam B Dionysii quod malum est mixtum ex ente et non ente ut dicatur malum ipsa actio cum deformitate uel cum ipsa privatione Hoc autem nomen lsquomalitiarsquo non videtur dicere nisi ipsam privationem aut ipsam deformitatem raquo Cf GILLON La theacuteorie des oppositions p 38

39 La difformiteacute (deformitas) est lrsquoabsence totale ou partielle drsquoune forme crsquoest-agrave-dire drsquoune deacutetermination actualisation ou perfection qui est due agrave une nature

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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110 est F] et O 111 nec O] uel F 112 ratione F] rationem O 113 compositi F] compositionem O 114 ostenditur F] obicitur O 115 primo F] om O 116 ultimo O] om F117 de tali autem F] set de tali O118 contrariorum FsO] om pO119 natura F] natura aliqua O 120 est F] om O 121 obicitur scr] obicit FO122 sicut O] sicut et F123 respondendum O] dicendum F124 uitium O] om F 125 sic F] fit O126 luce spirituali F] inu O

[F f 5vb O f 5va48] sub deformitate circa rem subiectam Possum ergo loqui de malo ratione deformitatis solum que est110 circa rem subiectam et sic est priuatio solum uel possum loqui de ipso ratione coniuncti et tunc non est natura solum nec111 priuatio solum set dicit naturam cum quadam priuatione Secundum ergo acceptionem primam scilicet ratione112 deformitatis in natura non ratione compositi113 concedo rationes per quas ostenditur114 quod malum sit priuatio

ltSOLVTIONES AD OPPOSITVMgtsect 63 ltIgt Ad illud quod primo115 obicitur contra respondendum quod duplex

est contrarietas secundum rem ndash et de tali uerum est quod utrumque est natura aliqua ndash et est contrarietas secundum modum ndash et hoc ultimo116 modo bonum et malum possunt dici contraria de tali autem117 non tenet quod contrariorum118 utrumque sit natura aliqua

ltIIgt Vel dico quod bonum et malum possunt considerari secundum esse phisicum uel methaphisicum et neutro modo malum est natura119 set nature priuatio uel possunt considerari secundum esse logicum et sic malum potest dici natura aliqua et esse in genere Et secundum hunc modum respondendum est120 ad rationem sequentem

ltIIIgt Quod obicitur121 quod uitium est habitus anime sicut122 uirtus respondendum123 quod uitium124 comparatur ad animam in qua est et sic125 non est priuatio uel potest comparari ad uirtutem respectu cuius est priuatio

sect 64 ltIVgt Ad aliud dic quod non est simile de luce spirituali126 ad tenebram

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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ANONYMI MAGISTRI ARTIVM (PSEUDO-PECKHAM)

secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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LECTURA IN ETHICAM NOVAM ET VETEREM LECT II

46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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la reacutealiteacute sous-jacente40 Je peux donc parler du mal en raison seulement de la difformiteacute qui est relative agrave la reacutealiteacute sous-jacente et en ce sens ltle malgt est seulement une privation par ailleurs je peux parler de lui en raison du composeacute et dans ce cas ltle malgt nrsquoest pas seulement une nature ni seulement une privation mais il deacutesigne une nature avec une certaine privation Par conseacutequent suivant la premiegravere acception agrave savoir en raison de la difformiteacute dans une nature et non pas en raison du composeacute je concegravede les arguments par lesquels on montre que le mal est une privation

ltSOLUTIONS DES ARGUMENTS EN FAVEUR DU MAL COMME NATUREgtltIgt Agrave cet ltargumentgt qui est poseacute en premier lieu comme objection il faut

reacutepondre qursquoil y a deux lttypesgt de contrarieacuteteacute selon la reacutealiteacute ndash et pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt il est vrai que lrsquoun et lrsquoautre ltdes contrairesgt est une nature ndash et selon le mode41 ndash et en ce sens le bien et le mal peuvent ecirctre dits laquo contraires raquo Or pour une telle ltcontrarieacuteteacutegt ltAristotegt ne soutient pas que lrsquoun et lrsquoautre des contraires est une nature

ltIIgt Je dis aussi que le bien et le mal peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre physique ou meacutetaphysique en aucun de ces deux sens le mal est une nature mais il est une privation de nature en outre ltle bien et le malgt peuvent ecirctre consideacutereacutes selon lrsquoecirctre logique en ce sens on peut dire que le mal est une nature et qursquoil est dans un genre42 Crsquoest drsquoapregraves ce sens qursquoil faut reacutepondre agrave lrsquoargument qui fait suite ltau premiergt

ltIIIgt Agrave ce qui est poseacute ltensuitegt comme objection ltagrave savoirgt que le vice est un habitus de lrsquoacircme tout comme la vertu il faut reacutepondre que le vice se rapporte agrave lrsquoacircme en laquelle il se trouve ndash et dans ce cas il nrsquoest pas une privation ndash ou il peut se rapporter agrave la vertu au regard de laquelle il est une privation

ltIVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt reacuteponds que le cas de la lumiegravere spirituelle envers les teacutenegravebres spirituelles nrsquoest pas semblable au cas de la ltlumiegraveregt

40 La reacutealiteacute sous-jacente (res subiecta) est la chose la substance qui en tout ou en partie tient lieu de sujet substrat ou support ontologique pour une forme (une deacutetermination perfection actualisation) qui lui convient naturellement mais dont elle peut ecirctre priveacutee

41 Le mode semble renvoyer ici au plan logique de lrsquousage des termes il y a un sens agrave dire comme le fait Aristote que le bien et le mal sont des contraires mais en reacutealiteacute ils correspondent plutocirct agrave un autre type drsquoopposeacutes agrave savoir lrsquoopposition entre la forme (le bien) et la privation de celle-ci (le mal) Cf ci-dessus n 32 de la traduction

42 Sur le plan logique le mal relegraveve de la cateacutegorie de la qualiteacute il peut figurer comme preacutedicat agrave lrsquointeacuterieur de propositions par lesquelles nous qualifions quelque chose ou quelqursquoun de mauvais Mais le mal ainsi consideacutereacute nrsquoest qursquoune nature logique et non pas une nature reacuteelle

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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127 corporali O] corporalis F128 neque sic manet in ipsa F] om O 129 tenebra spiritualis F] inu O130 corpus FsO] opus pO131 opacum FpO] ocupatum sO132 fortasse F] formale O 133 ratione F] rationem O134 sustinetur F] sustentatur O 135 aliqua O] om F136 remissio F] remisio O137 ad qualitatem O] om F 138 siue F] om O139 naturale F] materiale O 140 quo ad O] secundum F141 secundum F] om O 142 in quantum malum neutro modo est F] neutro modo est in quantum malum O143 esse F] om O 144 intensio O] intentio F145 ens siue F] om O 146 aliquam F] om O147 qualis F] quid O

spiritualem et corporali127 ad corporalem Non enim sic manet neque sustinetur tenebra corporalis a luce corporali ndash neque sic manet in ipsa128 ndash sicut tenebra spiritualis129 a luce spirituali

Preterea posset dici quod terra nominat naturam et priuationem unde terra est corpus130 opacum131 Vnde fortasse132 sicut dicere est quod tenebra spiritualis [O f 5vb F f 5vb20] non est natura aliqua loquendo de ipsa non ratione133 subiecti set ratione tenebre sic tenebra corporalis loquendo de ipsa non ratione subiecti set tenebre non est natura aliqua

sect 65 ltVgt Ad aliud dicendum quod malum non agit in bonum per se set ratione boni in quo sustinetur134 et manet Et propter hoc non oportet ponere quod sit natura aliqua135

sect 66 ltVIgt Ad ultimum dicendum quod intensio et remissio136 sunt motus ad qualitatem137 Set hoc potest esse siue138 quo ad esse qualitatis naturale139 ndash et sic supponunt qualitatem quo ad140 esse naturale ndash uel secundum ltessegt methaphisicum ndash et tunc hoc modo supponunt qualitatem secundum141 esse methaphisicum Neutro modo intensio et remissio sunt circa malum sicut malum in quantum malum neutro modo est142 Set secundum esse logicum potest esse malum et quo ad hoc esse143 intensio144 et remissio circa malum Set sic non supponit ens siue145 naturam aliquam146 Quod sic patet opinio qualis147 est

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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corporelle envers les ltteacutenegravebresgt corporelles En effet les teacutenegravebres corporelles ne subsistent ni ne sont soutenues par la lumiegravere corporelle ndash pas plus qursquoelles ne subsistent en elle ndash agrave la maniegravere dont les teacutenegravebres spirituelles le sont par la lumiegravere spirituelle43

En outre on pourrait dire que la terre deacutesigne une nature et une privation drsquoougrave le fait que la terre est un corps opaque Ou bien peut-ecirctre faudrait-il dire que de mecircme que les teacutenegravebres spirituelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet44 mais en raison des teacutenegravebres pareillement les teacutenegravebres corporelles ne sont pas une nature si lrsquoon parle drsquoelles non pas en raison du sujet mais lten raisongt des teacutenegravebres

ltVgt Agrave lrsquoautre ltargumentgt il faut reacutepondre que le mal nrsquoagit pas par soi sur le bien mais en raison du bien en lequel il subsiste et est soutenu Pour cette raison il nrsquoest pas neacutecessaire de poser qursquoil est une nature

ltVIgt Au dernier ltargumentgt il faut dire que lrsquointension et la reacutemission sont des mouvements relatifs agrave la qualiteacute Mais cela peut ecirctre ou bien selon lrsquoecirctre naturel de la qualiteacute ndash et en ce sens ltintension et reacutemissiongt supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre naturel ndash ou bien selon ltlrsquoecirctregt meacutetaphysique ndash et alors en ce sens elles supposent une qualiteacute selon lrsquoecirctre meacutetaphysique Lrsquointension et la reacutemission ne se rapportent au mal selon aucune de ces deux modaliteacutes de mecircme que le mal en tant que mal nrsquoexiste selon aucune de ces deux modaliteacutes Mais le mal peut exister selon lrsquoecirctre logique et selon cet ltecirctregt il peut y avoir intension et reacutemission relativement au mal Mais en ce sens ltle malgt ne suppose pas lrsquoeacutetant ou une nature45 Ce qui appert de la maniegravere suivante lrsquoopinion du qualifieacute se

43 Philippe le Chancelier Summa de bono q 6 eacuted WICKI p 25 laquo Nec est simile de luce et tenebra corporali et luce et tenebra spirituali Nam in corporali est accipere duas naturas quarum una habet in se opacitatem et altera lucem licet hec sit magis potens illa lux vero spiritutalis omne esse comprehendit et propter hoc tenebra non proveniet nisi ex defectu alicuius esse raquo

44 On peut consideacuterer les teacutenegravebres non pas en tant que telles mais du point de vue de leur sujet (ratione subiecti) crsquoest-agrave-dire en consideacuterant preacuteciseacutement leur substrat ou support ontologique agrave savoir la reacutealiteacute positive gracircce agrave laquelle elles sont porteacutees dans lrsquoexistence

45 Voir ci-dessus dans la mecircme question la solution ltIIgt et sa note

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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secundum ltessegt logicum in genere qualitatis148 non tamen supponit naturam subiectam Possum enim dicere opinio est chimere149 quoniam non est et aliorum que non sunt entia

148 qualitatis F] quantitatis O 149 chimere scr] cimere F chime O

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46

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46 Pour lrsquoexplication de cet argument voir ci-dessus dans notre introduction historico-doctrinale la section intituleacutee laquo Aperccedilu de la position du Pseudo-Peckham raquo

trouve selon ltlrsquoecirctregt logique dans le genre de la qualiteacute mais ne suppose pas une nature sous-jacente En effet je peux dire il y a une opinion de la chimegravere puisque celle-ci nrsquoexiste pas et des autres ltchosesgt qui ne sont pas des eacutetants46


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