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Walaszek 2011 Mémoire M1 agriculture ukraine

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Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction dEve-Anne Bühler Ariane WALASZEK NOUVELLES FORMES DAGRICULTURE EN UKRAINE : IMPACT LOCAL DES ENTREPRISES AGRICOLES Mémoire de Master 1 « Sciences humaines et sociales » UFR Territoires Environnement Sociétés Département de Géographie Mention : Très Bien sous la direction de Mme Eve-Anne BÜHLER Année universitaire 2010-2011
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Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

Ariane WALASZEK

NOUVELLES FORMES D’AGRICULTURE EN UKRAINE :

IMPACT LOCAL DES ENTREPRISES AGRICOLES

Mémoire de Master 1 « Sciences humaines et sociales »

UFR Territoires Environnement Sociétés

Département de Géographie

Mention : Très Bien

sous la direction de Mme Eve-Anne BÜHLER

Année universitaire 2010-2011

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

REMERCIEMENT

Tout d’abord, je voudrais remercier ma directrice de recherche, Eve-Anne Bühler,

de m’avoir intéressée aux problématiques de l’agriculture à travers l’occasion unique

qu’elle m’a offerte de participer au séminaire PARCECO à Kiev. C’est le véritable point

de départ de mon investissement sur le terrain ukrainien où j’ai découvert les joies, et les

peines, du travail de terrain. Je tiens aussi à la remercier de m’avoir fait rencontrer ses

collègues du projet ANR Agrifirme. Enfin, j’ai apprécié la qualité de son suivi

pédagogique et sa présence continue. En plus, j’ai eu la chance qu’elle m’accompagne sur

le terrain. Sans ses conseils sur place, mon travail n’aurait pas été aussi riche.

Je souhaite aussi remercier Stéphane, mon compagnon, pour sa patience et son

soutien. Il m’a rejoint en Ukraine à un moment de terrain difficile, où il m’a redonné

confiance en mon travail.

Obrigada à Marine, mon amie et collègue géographe, avec qui j’ai découvert et

partagé toutes les émotions de cette année géographique et initiatique. On y a cru ensemble

et on l’a fait !

Un grand дякую (diakouiou) à Lena et sa famille. À Lena, mon interprète, pour

avoir accepté de me suivre dans ce périple ukrainien. Notre relation n’a pas toujours été

facile, mais Lena a toujours été là. Sans elle, le terrain ukrainien serait resté à l’état de

projet. Elle m’a fait rencontrer sa famille, de Kirovograd et Dnipropetrovsk, qui nous a très

bien accueillies et avec qui j’ai passé des moments magiques comme fêter la Pâques

orthodoxe. Plus particulièrement, je souhaite remercier babouchka qui m’a fait profiter de

ses talents culinaires et a eu la patience de m’enseigner « avec les mains » sa recette du

borsch.

Et enfin, je souhaite remercier les nombreux intermédiaires sans qui je n’aurais pas

pu entrer en contact avec les agriculteurs. D’ailleurs, je tiens à remercier les agriculteurs

que j’ai rencontrés, d’avoir pris le temps de nous accueillir, Lena et moi, sur leur

exploitation, de nous avoir fait découvrir leur métier et parfois même de nous avoir

hébergées.

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TABLE DES MATIÈRES

Remerciement ............................................................................................................................. 2

Table des matières ...................................................................................................................... 3

Introduction ................................................................................................................................ 5

Partie 1. L’Ukraine, théâtre de l’émergence d’un nouveau modèle agricole ..................... 11

1. Une mutation des modèles agricoles .............................................................. 11

A. État des lieux des modèles agricoles ........................................................... 11

B. Le phénomène de land grab ........................................................................ 18

2. Une mutation des modèles agricoles en Ukraine ............................................ 29

A. Une histoire agraire favorable aux restructurations foncières .................... 30

B. L’Ukraine : un pays à fort potentiel agricole, à proximité des deux principales

régions déficitaires en blé dans le monde ......................................................... 40

3. Méthodologie .................................................................................................. 46

A. Problématique ............................................................................................. 47

B. Hypothèses .................................................................................................. 49

C. Élaboration du protocole de recherche pour organiser la recherche des données

51

D. Moyens mis en place pour accéder aux données ........................................ 53

Partie 2. Types d’acteurs et trajectoires d’entreprises ........................................................ 58

1. 1ère

trajectoire d’entreprise : cas des entreprises Rousseau, Mercier, Sacha et

Mirko ................................................................................................................ 64

A. Entreprises Rousseau et Mercier, d’origine française ................................. 65

B. Entreprises Sacha et Mirko, d’origines ukrainiennes.................................. 72

C. Conclusion .................................................................................................. 78

2. 2ème

trajectoire d’entreprise : cas des entreprises Martin, Rimbaud, Dupont et

Luda .................................................................................................................. 79

A. L’entreprise Luda, d’origine ukrainienne ................................................... 80

B. Les entreprises Martin, Rimbaud et Dupont, d’origine française ............... 84

C. Conclusion .................................................................................................. 90

3. 3ème

trajectoire d’entreprise : la société holding, cas des entreprises Leroy et

Groen, Ivan, Petro ............................................................................................ 90

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A. La constitution d’un foncier abondant ........................................................ 91

B. La délégation des affaires courantes ........................................................... 93

C. Une société en holding, des objectifs financiers ......................................... 95

4. Conclusion ...................................................................................................... 98

Partie 3. Impact sur le territoire : les enjeux d’un nouveau modèle agricole ................... 100

1. Étude de cas : le conseil de village Zolotisti ................................................ 102

A. Présentation géographique et historique ................................................... 102

B. Voisinage agricole : collaboration et concurrence .................................... 107

C. Relation au territoire ................................................................................. 113

2. Étude de cas : le conseil de village Zelioni .................................................. 117

A. Présentation géographique et historique ................................................... 117

B. Voisinage agricole : collaboration et concurrence .................................... 121

C. Relation au territoire ................................................................................. 124

3. Un impact sur le territoire mitigé ................................................................. 131

A. Une aide au développement local ............................................................. 131

B. Les limites de l’appui au développement local ......................................... 136

C. Conclusion et schémas bilan ..................................................................... 141

Conclusion .............................................................................................................................. 147

Bibliographie .......................................................................................................................... 152

Webographie .......................................................................................................................... 157

Table des annexes ................................................................................................................... 158

Table des illustrations ............................................................................................................. 168

Table des matières .................................................................................................................. 169

Résumé ................................................................................................................................... 174

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INTRODUCTION

Tous les articles et les livres traitant de l’agriculture en parlent : l’agriculture doit

répondre au défi contradictoire de « produire plus et mieux mais avec moins » c'est-à-dire

d’être encore plus productive mais devenir soutenable. « Nourrir les hommes », « Nourrir

l’humanité », « Comment nourrir le monde en 2050 », « Qui nourrira qui au XXIème

siècle ? »

tels sont les grands titres de ces ouvrages. Depuis les émeutes de la faim en 2007-2008, on

constate le retour en force de la question alimentaire par le retentissement médiatique de la

crise alimentaire. Élément de déstabilisation , cette crise a eu aussi un retentissement

politique. Les émeutes de la faim ne sont donc qu’un aspect émergé de l’iceberg. Les crises

du monde contemporain appellent l’agriculture à de nouveaux enjeux.

On trouve des causes structurelles et conjoncturelles à cette crise alimentaire. Parmi

les causes conjoncturelles : la réduction des stocks alimentaires du fait de mauvaises récoltes

liées à de mauvaises conditions climatiques ; la fermeture des frontières à l’exportation ; une

baisse des stocks régulateurs ; la spéculation des matières premières considérées comme des

« valeurs sûres » ; le pari sur le développement des agrocarburants dans les années 2000 qui

entraine une concurrence de l’utilisation des céréales et des oléagineux à des fins énergétiques

et alimentaires. Parmi les causes structurelles : l’augmentation de la population mondiale qui

entraine une augmentation de la demande alimentaire particulièrement dans les pays en

développement tels que l’Inde ou la Chine ; l’impact du changement climatique sur la

production agricole mondiale ; le désengagement des États dans le financement de la

production agricole.

Toutes ces causes ont des répercussions à l’échelle planétaire parce que les échanges

agricoles sont maintenant mondialisés. La mondialisation est un phénomène

multidimensionnel d’ouverture des frontières commerciales, des produits, des biens et des

services. Cette extension économique capitaliste qui s’est accélérée à partir de la chute de

l’URSS1 est intimement liée à la globalisation. On parle de globalisation des processus

productifs, des systèmes de normalisation et des modèles de consommation. Ce phénomène

est basé sur une théorie économique : le libéralisme.

Ce modèle économique prône la libre concurrence à l’intérieur et entre les pays. Pour

ses théoriciens, cette libre concurrence serait un moyen d’accéder au développement, aux prix

les plus « justes », et donc au bien-être collectif. Chaque pays serait doté d’avantages

comparatifs sur les autres, et plutôt que de vouloir répondre à tous les besoins de sa

1 URSS est le sigle de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.

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population par une production variée, il serait plus cohérent que tous les pays produisent

chacun ce qu’ils savent faire de mieux – et de moins cher – afin qu’à une échelle mondialisée

chacun ait le meilleur au meilleur prix. Pour assurer le mouvement vers cet idéal, il faut

écarter toutes les entraves à la liberté de circulation des marchandises, d’accès à tous les

marchés. Ainsi, chacun des pays sera contraint, face à la concurrence, de se concentrer sur la

production de son ou de ses, avantages comparatifs. L’Organisation mondiale du commerce

(OMC) va dans ce sens, en supprimant les politiques d’encadrements agricoles. Les effets de

la mondialisation des échanges agricoles sont l’harmonisation des prix agricoles à l’échelle

internationale et une fluctuation plus importante des prix, qu’on appelle volatilité lorsque cette

fluctuation est très forte. L’OMC qui prône la libéralisation des échanges interdit la régulation

des prix par les pouvoirs publics, c’est donc le marché qui régule les prix avec la loi de l’offre

et de la demande. Les cours mondiaux des produits agricoles se forment sur les grands

marchés à terme du monde tel que le Chicago Board of Trade (CBOT). Ils jouent un rôle

primordial dans le niveau de rémunération des producteurs. Les agriculteurs doivent faire face

à des prix très fluctuants mais tendanciellement orientés à la baisse.

Seulement, « les produits agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres :

leur prix est celui de la vie et, en dessous d’un certain seuil, il est celui de la mort » (Mazoyer

et al., 2002 : 25). En effet, ils répondent à un besoin fondamental de l’homme. Cette

distinction avec les autres marchandises doit être philosophiquement acceptée. Or, pour les

théoriciens libéraux, un ordinateur équivaut à un kilogramme de riz. Est-il normal de

libéraliser le marché des produits agricoles alors que la compétitivité des agriculteurs de la

planète est très inégale ? En effet, les rendements par hectare sont très inégaux à travers le

monde. Ainsi, lorsqu’on mesure un rapport de un à trente entre le Sahel et les États-Unis, cela

veut dire qu’on met en compétition le rendement du mil au Sahel qui est de 5 q/ha avec celui

du maïs aux États-Unis qui est de 150 q/ha2. Mettre en compétition ces produits, c’est mettre

fin à l’activité agricole vivrière dans l’essentiel des pays du monde qui ne peuvent pas

rivaliser avec le rendement des pays occidentaux.

Ce qui explique une telle différence ne tient pourtant pas à des avantages comparatifs

« naturels ». Au Sahel, où la mécanisation est faible, le rendement de mil est de 5 quintaux par

personne soit 1 ha. Alors que, dans les pays occidentaux, hautement mécanisés, le rendement

en maïs est de 12 000 à 15 000 quintaux par personne soit 200 ha. Sur les 1,3 milliards

2 Quant au rendement par unité de main d’œuvre soit la productivité, on mesure un rapport de 1 à 3 000

entre le Sahel et les pays occidentaux.

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d’agriculteurs dans le monde : 3 % bénéficient d’une mécanisation importante et de toutes les

innovations technologiques, 22 % utilisent la culture attelée et la fumure des animaux comme

fertilisant, 75 % font de l’agriculture manuelle. Ainsi, la mécanisation, ou capitalisation de la

production, constitue un avantage comparatif pour les pays occidentaux. Les pays émergeants

qui sont moins bien dotés, sont contraints de pallier ce manque de mécanisation par une main

d’œuvre d’autant moins bien rémunérée qu’elle doit rivaliser avec cette différence. Dans ces

conditions, près de trois quart des individus sous-alimentés dans le monde sont des ruraux,

« quant aux autres sous-alimentés, beaucoup sont des ex-ruraux récemment poussés par la

misère vers des camps de réfugiés ou des périphéries urbaines » (Ibid. : 15).

Les institutions internationales prennent conscience que l’agriculture peut contribuer

au développement. Mais, leur point de vue est qu’il faut supprimer toute aide à l’agriculture

vivrière et favoriser, en diminuant les coûts notamment des impôts, l’implantation

d’investisseurs étrangers qui trouveront plus avantageux de venir créer une exploitation

agricole mécanisée et moderne ici que d’en créer ou d’en développer une en Occident. On

appelle cela favoriser les investissements directs étrangers (IDE), seule parade admise par le

libéralisme aux avantages comparatifs non « naturels ». Ainsi, le rapport 2008 de la Banque

mondiale peut porter enfin l’agriculture comme solution à la réduction de la pauvreté et la

libéralisation du commerce agricole comme sa voie royale. L’idée est de reconnaître que les

avantages comparatifs liés à la mécanisation agricole occidentale écrasent l’agriculture

vivrière lorsqu’elles sont mises en concurrence. Cependant, la solution proposée n’est pas une

régulation et un encadrement pour protéger l’agriculture vivrière des pays en développement,

mais au contraire une dérégulation et une libéralisation de l’agriculture comme du foncier

pour attirer les capitaux étrangers. Sortir de l’agriculture vivrière et favoriser l’insertion de

l’activité agricole dans l’économie permettraient d’apporter les capitaux et les outils

financiers de l’économie mondiale pour favoriser son développement. Il en résulte un

développement d’une agriculture répondant au contexte libéral par des caractéristiques de plus

en plus éloignées du modèle de production agricole familial.

Mais, quelles agricultures peuvent répondre aux enjeux du XXIème

siècle ? Et, ces

nouvelles formes déjà émergentes vont-elles dans ce sens ?

Pour certains, l’agriculture mondialisée ne répond pas aux enjeux des crises financière,

énergétique, environnementale, et alimentaire. La performance de l’agriculture productiviste a

certes permis une forte croissance des rendements agricoles au XXème

siècle, mais « s’est

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traduite par des retombées négatives multiples, en particulier dans le domaine de

l’environnement » (Charvet, 2010 : 5). Dans l’opinion public, l’agriculteur est passé de

nourricier à pollueur. Ce basculement du regard sur l’agriculteur entraine d’ailleurs une crise

identitaire dans ce métier. Plusieurs alternatives sont proposées pour répondre aux

dysfonctionnements sociaux et environnementaux de l’agriculture productiviste : l’agriculture

« raisonnée », l’agriculture biologique, les plantes génétiquement modifiées, les filières

courtes d’approvisionnement ou encore le commerce équitable (Charvet, 2007). Certaines de

ces solutions ne sont pas applicables partout et ne peuvent pas être proposées comme solution

aux agriculteurs les plus pauvres sauf dans une situation d’extrême dépendance. Précisons que

la révolution agricole du XXIème

ne doit pas reposer sur une seule mais de multiples solutions

adaptées au contexte régional puisque chaque région du monde a ses spécificités. Mais, le

principal problème reste que les modèles alternatifs ne sont pas soutenus politiquement car ils

ne répondent pas aux exigences du modèle libéral qui domine notre monde, en premier lieu,

l’OMC. Ou bien, quand certaines lois vont dans le sens d’une alternative, les moyens mis en

place ne sont pas suffisants pour démarrer un réel changement. L’émergence de nouvelles

formes d’agricultures pour un développement alternatif n’est pas insurmontable mais pas non

plus remportée d’avance : le pari n’est pas gagné.

En attendant, un autre modèle émergerait, dans le sillage de la financiarisation de

l’agriculture : l’ « agriculture de firme ». Ce nouveau modèle, soutenu par l’ « oligopole agro-

alimentaire », répond aux opportunités de bénéfices qu’assure la financiarisation de

l’agriculture. De nombreuses critiques et alternatives émergent d’une société civile

mondialisée interpelée par les conséquences écologiques et sociales de la financiarisation de

ce qui nous nourrit. Pourtant, Jean Lemierre, président de la BERD en mai 2008 déclarait à

propos à de l’Ukraine qu’« il est évident que l’Ukraine et une partie de la Russie peuvent

contribuer de façon décisive à l’augmentation de la production alimentaire mondiale, sans

avoir à entreprendre de grands travaux de mise en valeur, sans déforestation et en respectant

les normes environnementales qui font désormais intégralement partie des cahiers des

charges des entreprises et des organismes financiers ». Une solution à l’enjeu alimentaire

mondial, socialement et écologiquement respectueuse par la promotion d’une financiarisation

du marché agricole ukrainien et d’un développement agricole assurés par des entreprises

m’ont interpellé.

L’Ukraine est un pays cible des nouveaux investissements dans la production agricole.

Pourquoi l’Ukraine est-elle un pays qui attire ces investissements ? En quoi ces

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investissements sont-ils nouveaux ? Qui sont ces investisseurs ? Comment la production

agricole s’organise-t-elle ? Est-elle différente des formes agricoles qui préexistent ? Ces

investissements participeraient-ils à l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine ?

À celui de l’ « agriculture de firme » ? Ce pays difficilement accessible pour des raisons

linguistiques est très peu étudié, j’ai donc décidé de relever le défi d’un travail de terrain en

Ukraine, pays d’Europe orientale.

Figure 1. L’Ukraine, un pays d’Europe orientale au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du Proche-Orient

Réalisation : Ariane Walaszek, 2011.

Ma recherche porte donc sur la démonstration de l’émergence d’un nouveau modèle

agricole en Ukraine par la relation des entreprises agricoles au territoire. Cette relation au

territoire diffère-t-elle avec celle de l’agriculture familiale ? Si, oui quels sont ces facteurs de

différenciation ?

Dans une première partie, nous chercherons à comprendre pourquoi l’Ukraine est-elle

le théâtre de l’émergence d’un nouveau modèle agricole. Pour cela, il nous faudra d’abord

comprendre la mutation des modèles agricoles actuels qui amènerait à l’émergence de

nouveaux modèles qu’on connait encore mal tels que l’ « agriculture de firme ». Nous

sommes face à une alternative paradoxale des deux modèles qui ont structuré les choix

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politiques agricoles dans le monde au XXème

siècle : l’agriculture collectiviste et l’agriculture

productiviste. L’un a disparu avec la chute de l’URSS qui rend impossible son retour et

l’autre pose question face aux enjeux du XXIème

siècle. Alors que les pays occidentaux ont

une agriculture fonctionnelle structurée, les pays émergents ont une agriculture à construire.

Les institutions internationales incitent ces pays émergents à s’ouvrir aux IDE. Des nouveaux

investisseurs privés ou publics parfois extérieurs au milieu agricole apparaissent alors. Ce

phénomène qualifié de land grab, accaparement des terres ou implantation agricole offshore

fait débat sur son réel effet « win-win » (gagnant-gagnant). L’Ukraine est un des pays cibles

de cette nouvelle forme d’IDE, mais pour quelles raisons ? Lors des dix années qui ont suivi

la chute de l’URSS, les frontières du libre-échange se sont élargies. L’Ukraine apparait alors

comme une nouvelle région du monde accessible aux IDE, dans un contexte quand même

difficile sur le plan politique avec une confrontation entre un pouvoir pro-occidental et un

pouvoir pro-russe. L’Ukraine a une situation particulière : elle a libéralisé son secteur agricole

mais pour autant un moratoire interdisant la vente de terres agricoles est une entrave à

l’acquisition des terres. Ce statut paradoxal a pour conséquence une originalité ukrainienne du

développement agricole. C’est pourquoi, nous évoquerons ensuite la mutation des modèles

agricoles propre à l’Ukraine, et ses atouts qui font de cet ex-pays de l’URSS, un terrain

propice aux nouveaux investissements agricoles. Enfin, nous aborderons la méthodologie

utilisée pour tenter de démontrer l’émergence d’un nouveau modèle agricole. L’identification

des nouvelles formes d’organisations agricoles en Ukraine s’est fait à partir de trois

hypothèses : leur détachement au modèle familial, basé sur la flexibilité et la financiarisation,

a un impact négatif sur le territoire.

Dans une deuxième partie, nous élaborerons une typologie des entreprises de

production agricole rencontrées lors de mon travail de terrain, à partir de leur trajectoire.

L’objectif y sera d’identifier ce qui en Ukraine correspond le plus à une « agriculture de

firme » par contraste avec le modèle agricole familial. Nous partirons pour cela d’un regard

historique sur les entreprises observées à partir d’indicateurs tels que leur mécanisation, leur

organisation interne, leurs moyens de commercialisation, leur insertion dans les outils ou la

spéculation financière, leur dimension économique et leur stratégie de développement.

Dans une troisième partie, nous analyserons l’impact de ces entreprises sur le territoire

en tentant de distinguer cet impact en fonction de la trajectoire des entreprises. Cette analyse

sera la synthèse de deux études de cas de deux régions d’Ukraine très différentes.

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PARTIE 1. L’UKRAINE, THÉÂTRE DE L’ÉMERGENCE D’UN NOUVEAU MODÈLE

AGRICOLE

Il s’agit ici de comprendre pourquoi l’Ukraine est un des théâtres de l’émergence d’un

nouveau modèle agricole. Mais, d’abord de quel modèle agricole émergent s’agit-il ? Pour

répondre à cette question, nous ferons d’abord le point sur la mutation des modèles agricoles

qui amène au modèle émergent qui nous intéresse. Ensuite, nous citerons les raisons pour

lesquelles l’Ukraine est un terrain propice à l’émergence de ce modèle agricole émergent.

Enfin, nous expliquerons la méthodologie utilisée pour démontrer qu’une nouvelle agriculture

émerge en Ukraine.

1. UNE MUTATION DES MODÈLES AGRICOLES

Nous ferons d’abord un état des lieux des modèles agricoles pour comprendre vers

quelles formes tendrait la mutation de ces modèles. Ensuite, nous préciserons l’une de ces

nouvelles formes d’agriculture : l’implantation agricole offshore qualifiée de land grab en

anglais qui se traduit par accaparement des terres.

A. ÉTAT DES LIEUX DES MODÈLES AGRICOLES

Commençons ici par un état des lieux des modèles agricoles. Le XXème

siècle a vu se

développer deux grands modèles de fonctionnement agricole dans les pays du Nord : le

modèle collectiviste et le modèle productiviste. Le premier est fondé autour d’une

organisation collective du travail et des moyens de production. Il s'inscrit dans un système

économique planifié, tandis que le second est fondé sur des structures de production privées et

individuelles, et fonctionne dans un système économique libéral. Quant aux similitudes de ces

deux modèles, tous deux visent des marchés de masse et un accroissement de la production.

Ces objectifs communs aux deux modèles sont rendus possibles par l’industrialisation de la

production via la concentration foncière, la moto-mécanisation et l’usage d’intrants.

L'agriculture productiviste et son développement s'inscrivent dans le cadre d'une mutation

plus générale des systèmes alimentaires et permet d'accompagner ces mutations.

a) Une mutation des modèles agricoles qui va de pair avec une

mutation des systèmes alimentaires

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Face à ces mutations, Jean-Louis Rastoin3 propose une classification des quatre stades

de l’évolution des systèmes alimentaires. Le système alimentaire correspond à « la façon dont

les hommes s’organisent pour produire, distribuer et consommer leur nourriture »4.

Figure 2. Les quatre stades d’évolution des systèmes alimentaires

Source : Charvet (2010) d’après RASTOIN, Jean-Louis ; GHERSI, Gérard.

La Documentation française, Documentation photographique n°8059, septembre-octobre 2007

Jean-Paul Charvet ajoute à cette définition la dimension spatiale (voir Figure

2Erreur ! Source du renvoi introuvable.). Ainsi, il considère le système alimentaire comme

la façon dont les hommes s’organisent et organisent l’espace aux différentes échelles afin de

consommer et produire leur nourriture ».5 Le stade agro-tertiaire du système alimentaire

concerne particulièrement les pays riches et certains pays émergents. À ce stade, la

consommation hors-foyer est à égalité avec la consommation à domicile. La répartition du

prix final du produit alimentaire entre les acteurs est très inégale profitant largement aux

services. C’est pourquoi, ce modèle est qualifié de tertiarisé. L’agriculteur ne touche que 10 %

du prix final. Cet acteur n’est plus au centre du système alimentaire, de même que l’industrie

qui laisse la place du pilotage de la filière agro-alimentaire aux firmes de la grande

distribution. Quant à la dimension spatiale, celle-ci est analysée par l’indicateur appelé food

3 RASTOIN, Jean-Louis ; GHERSI, Gérard. La Documentation française, Documentation

photographique n°8059, septembre-octobre 2007. 4 MALASSIS, Louis. 1994. Nourrir les hommes. Dominos-Flammarion

5 CHARVET, Jean-Paul. 2007. « Agriculture et développement durable », dans VEYRET, Yvette (dir),

Le développement durable, SEDES, Paris

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miles (Charvet, 2010). Plus le système alimentaire tend vers le stade agro-tertiaire, plus la

distance parcourue par les produits alimentaires est importante. Cette amplification des food

miles indique donc une mondialisation accrue des approvisionnements alimentaires.

La révolution industrielle et les innovations technologiques (maîtrise de la chaine du

froid, etc.) ont permis l’émergence du modèle alimentaire agro-industriel tertiarisé (Mait). Ce

modèle de production de masse est basé sur la standardisation des produits. Le Mait présente

cinq caractéristiques. La première est l’intensification de la production par des rendements

techniques très élevés. La deuxième caractéristique est la spécialisation de la production par la

sélection des variétés et donc par la dévalorisation de la biodiversité. Mais, cette spécialisation

se constate aussi au niveau de l’industrie agroalimentaire (IAA) par les Food Miles. En effet,

les IAA multi-localisent leur industrie d’assemblage des ingrédients en fonction des coûts

relatifs. La troisième caractéristique du Mait est la concentration de la production par bassin

de production (Pérez, 2004 in Rastoin, 2006). La quatrième caractéristique est la globalisation

affirmée par la croissance du commerce international, le développement des IDE et la

diffusion du modèle de consommation occidental. Les firmes multinationales de l’IAA

concentrent deux tiers des transactions internationales de l’IAA. Enfin, la cinquième

caractéristique est la financiarisation du Mait puisque les firmes sont cotées en bourse,

soumises à la volonté de leurs actionnaires qui sont des fonds dont les gestionnaires

raisonnent en investisseurs et non en industriels en appliquant la « dictature des taux ». La

gouvernance devient actionnariale et non plus partenariale (Rastoin, 2008).

« La nourriture n’est pas une marchandise comme les autres » (Rastoin, 2008 : 69) et

pourtant, on constate la main mise d’une quarantaine de firme multinationale sur le marché

alimentaire. Cet « oligopole6 agro-alimentaire » est de plus en plus puissant. « On observe un

processus cumulatif, voire exponentiel, de constitution d’un énorme pouvoir de marché entre

les mains des multinationales » (Rastoin, 2008 : 68). Ce sont ces multinationales qui nous

nourrissent et nourriront les neuf milliards d’êtres humains en 2050. Elles ont un « pouvoir de

marché ». Dès lors, il est nécessaire de comprendre l’organisation des firmes qui

approvisionnent en nourriture la population mondiale.

Ces acteurs, qui sont le résultat d’une concentration du modèle productiviste, ouvrent

la voie au développement de ce modèle productiviste vers une forme qui se détache

progressivement de l’agriculture familiale.

6 Lorsque qu’il y a quelques offreurs pour de nombreux demandeurs.

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b) L’agriculture familiale

Le débat actuel portant sur les formes de productions agricoles fait suite à la

disparition du modèle socialiste et à la crise économique, sociale et environnementale du

modèle productiviste.

En Europe occidentale et en Amérique du Nord, l'agriculture productiviste a

historiquement reposé sur ce qu'il est convenu d'appeler l' « agriculture familiale ». Ce terme a

notamment été décrit et définit par le sociologue français Hugues Lamarche qui utilise

l’ « exploitation familiale » comme objet d’étude, comme concept d’analyse (Lamarche,

1991). D’après lui, « quels que soient les systèmes socio-politiques, quelques soient les

formations sociales, quelques soient les évolutions historiques, dans tous les pays où un

marché organise les échanges, la production agricole est toujours, plus ou moins, assurée par

des exploitations familiales, c'est-à-dire des exploitations où la famille participe à la

production » (Lamarche, 1991 : 9). La famille est l’unique centre de décision et de ressources,

dont la finalité reste sa propre reproduction. « Les mondes agricoles sont vus ici à travers le

prisme d’une "exploitation familiale" plus ou moins intégrée à l’économie de marché »

(Hervieu, Purseigle, 2009 : 186).

Lamarche décline l’ « exploitation familiale » en cinq sous-types d’organisations qu’il

appelle modèles : le modèle « vivrier », le modèle « paysan », le modèle « colonial », le

modèle « familial » et le modèle « entreprise agricole ». Ce sont ces deux derniers sous-types

d’organisations qui nous intéressent parce que la mutation de ces modèles agricoles conduirait

à l’émergence d’un nouveau modèle, contemporain, qui fait l’objet de cette recherche. Le

modèle « familial » repose sur les « exploitants familiaux dont le but n’est pas la reproduction

de l’exploitation en tant qu’unité de production mais la reproduction familiale » (Lamarche,

1991 : 13). Quant au modèle « entreprise agricole », il s’agit « d’exploitants familiaux dont

l’objectif est la formation d’une exploitation agricole organisée sur la base d’un travail

salarié pour la réalisation d’un profit maximum » (Lamarche, 1991 : 13). « L’exploitation

familiale n’est donc pas un élément de la diversité, mais contient en elle-même toute cette

diversité » (Lamarche, 1991 : 14). Ces modèles traduisent bien une « réalité polymorphe »7 de

l’agriculture familiale et se différencient par leur finalité et leur rapport à l’extérieur sur un

continuum allant de la survie de la famille à l’entreprise agricole.

7 Titre de l’ouvrage d’Hugues Lamarche, 1991

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Les sociologues français Bertrand Hervieu et François Purseigle (2009), axent leur

recherche sur la sociologie des mondes agricoles dans le contexte de globalisation. Ils

s’inscrivent dans le sillage de Lamarche avec une typologie distinguant trois formes

d’organisation du travail toujours dans la forme familiale de l’agriculture : « l’agriculture

familiale paysanne », « l’agriculture familiale moderne » et « l’agriculture familiale de type

sociétaire ». La première est restreinte aux échanges marchands dans le village ou dans une

zone de chalandise restreinte. La deuxième a été au cœur de la construction du modèle

européen. Quant à la troisième forme d’organisation, celle-ci « dissocie le travail agricole et

le capital d’exploitation de la gestion patrimoniale et du capital foncier » (Hervieu, Purseigle,

2009 : 189). En effet, l’agriculture familiale sociétaire n’a de familial plus que la constitution

de son capital et la propriété foncière qui assurent une rente à l’ensemble des associés. Cette

forme d’organisation « oscille entre la tentation d’une approche strictement financière et une

conservation de l’architecture familiale et patrimoniale » (Hervieu, Purseigle, 2011 : 4). Cette

troisième forme d’organisation familiale du travail agricole est un glissement par rapport aux

formes traditionnelles.

En ce début de XXIème

siècle, il est donc nécessaire de « penser la recomposition des

formes actuelles d’organisation du travail en agriculture » (Hervieu, Purseigle 2009 : 177).

Les mondes agricoles évoluent dans un processus de globalisation, il faut donc les

« réinterroger » (Ibid.). Vingt ans après Lamarche, ces deux sociologues français soulignent

l’émergence de deux nouveaux modèles agricoles qui s’affranchiraient de l’unité agricole

ancrée dans un lieu physique et culturel, creuset d’une culture agraire familiale.

c) Émergence de deux modèles agricole en rupture avec

l’agriculture familiale

À côté des trois grands types d’agriculture à forme familiale présentés ci-dessus, deux

autres types d’organisations sociales et économiques du travail en agriculture semblent

émerger (voir Figure 3Erreur ! Source du renvoi introuvable.).

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Figure 3. L’éclatement des formes d’organisation sociale et économique du travail en agriculture

Source : Hervieu & Purseigle, 2011

Les auteurs les nomment « agriculture de firme » et « agriculture de subsistance ». La

première se distingue des autres, par son caractère « hautement capitalistique et installée sur

les marchés des matières premières » (Hervieu, Purseigle, 2009 : 189). La seconde

correspond à la force de travail agricole précarisée, interchangeable et abondante.

L’ « agriculture de subsistance » ou de « relégation » évoquée par nos auteurs – affranchit de

l’agriculture familiale – est le produit de la globalisation en ce qu’elle en est la marge exclue

de l’évolution agricole. Il s’agirait d’une population marginalisée, déracinée souvent,

justement, par l’installation des grandes productions d’abord coloniales puis de

l’ « agriculture de firme ». Cette population nomade est souvent dépourvue de culture agraire

propre et en dehors du monde marchand. Mais, c’est la forme « agriculture de firme » qui

nous intéresse ici.

L’ « agriculture de firme », qu’on connait encore mal et dont il faudrait préciser les

formes, répondrait aux impératifs d’un monde globalisé. Par exemple, ce type d’entreprise

agricole doit offrir des produits standardisés sur le marché international, ou avoir une chaine

de production éclatée en fonction des avantages comparatifs de chaque pays. De plus, la

notion d’entreprise nationale s’efface derrière des investissements dont l’origine est souvent

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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plurielle et rarement tout à fait déterminable. Ainsi, à ce modèle agricole émergent

appartiendraient des sociétés anonymes, dont certaines sont cotées en bourse. Leurs unités de

productions hautement capitalisées seraient éclatées dans plusieurs pays. Enfin, les lieux de

production seraient dissociés du pôle de décision pourvu d’une expertise des leviers financiers

de l’économie. Dès lors, leurs sites de production ne seraient caractérisés ni par un lieu ni par

un savoir-faire agraire ni par une unité de gestion familiale. En effet, du fait du

développement capitalistique de l’ « agriculture de firme », la division du travail organiserait

l’activité de telle sorte que la force de travail ne serait plus détentrice de la compétence

agricole. L’ « agriculture de firme » apparaitrait alors comme l’adaptation d’un modèle

agricole aux exigences d’un système alimentaire tertiarisé, présenté précédemment.

Des programmes de recherche, tels que le projet Agrifirme ou l’Observatoire des

Agricultures du Monde8, se sont alors constitués pour « contribuer à la construction d’idéaux-

types permettant de mieux saisir une pluralité de mondes agricoles détachés de cet invariant

sociologique que serait le modèle familial » (Hervieu, Purseigle, 2009 : 187).

Dans cette diversité des mondes agricoles, je me suis intéressée plus particulièrement

aux agricultures insérées dans les marchés internationaux des matières premières agricoles. Le

programme de recherche Agrifirme propose la création d’indicateurs pour caractériser le

mode d’organisation des agriculteurs se rapprochant du modèle « agriculture de firme ». Trois

entrées sont privilégiées pour cette caractérisation : les formes organisationnelles et leur

fonctionnement, et, les stratégies spatiales des acteurs de la firme, par les dimensions

politiques et géopolitiques.

Pour tenter de caractériser ce modèle agricole émergent, il est nécessaire de

comprendre les raisons qui poussent de nouveaux acteurs à investir dans l’agriculture et de

fait, la font évoluer vers quelque chose qu’on connait mal. Ce qui nous intéresse plus

précisément ici, c’est le cas des nouveaux investissements dans la production agricole qui se

font dans un pays étranger au pays d’origine de l’investisseur. Ce phénomène est appelé land

grab en anglais soit accaparement des terres.

8 L’Observatoire des Agricultures du Monde (OAM) est un projet piloté par le CIRAD, la DGER, et la

FAO qui a pour mission une expertise collective sur la viabilité des agricultures à partir d’analyses comparatives

à différentes échelles, en organisant un réseau d’observation prenant en compte les différents types d’agriculture,

leurs dynamiques et leurs impacts en termes de développement durable.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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B. LE PHÉNOMÈNE DE LAND GRAB

Il s’agit ici de définir le phénomène de land grab. D’abord, nous expliquerons le

principe de cette nouvelle forme d’agriculture. Ensuite, nous chercherons à comprendre les

raisons de l’émergence de cette nouvelle forme de production agricole. Pour enfin, évoquer le

profil des acteurs à l’origine de ce nouveau phénomène.

a) Un processus d’implantation agricole offshore

Depuis la crise alimentaire de 2007-2008, on constate l’émergence d’un nouveau

processus d’acquisition de terres agricoles à l’étranger. Ce processus est qualifié de nouveau,

puisqu’il est animé par de nouveaux acteurs, États ou entreprises privées, tout à fait étrangers

au secteur agroalimentaire (Canfin, 2010). Les ONG appellent ce processus « land

grabbing », « accaparement des terres » ou « néo-colonialisme » alors que les institutions

telles que la Banque mondiale privilégient des termes plus neutres comme « acquisition » de

terres agricoles, « appropriation à grande échelle » ou encore, génériquement, comme un

regain d’intérêt à l’« investissements directs étrangers » dans le secteur agricole (Brondeau,

2010). En effet, le transfert des moyens de production devient techniquement possible dans le

secteur agricole, et, avec le déséquilibre offre/demande, devient économiquement rentable.

Le phénomène suscite en tout cas un intérêt croissant du monde scientifique, et fait

émerger différents facteurs explicatifs ou descriptifs tels que l’apparition de l’expression

« délocalisation offshore de la production agricole » (Charvet, 2010). Le terme

« délocalisation » n’est pas ici le plus approprié à ce flux d’investissement agricole offshore

puisque les acquéreurs ne délocalisent pas leur activité de production, il n’y a pas substitution

mais multiplication des lieux de production. Quant au terme « offshore », il faut le différencier

de l’expression économique offshore qui évoque un fond d’investissement provenant d’un

paradis fiscal. Il s’agit plutôt d’une production agricole offshore car, publique ou privée, elle

est en provenance de terres cultivées à l’étranger. Ainsi, l’État investit dans des terres

agricoles à l’étranger tout en maintenant sa production sur son territoire national. Il s’agit

donc plutôt d’ « implantation agricole offshore » (Charvet, 2010).

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Il est actuellement difficile d’avoir une idée précise de l’envergure de ce phénomène à

l’échelle mondiale. Comme le souligne l’ONG Grain9 dans son rapport publié en octobre

2008, Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, les

acquisitions de terres agricoles à l’étranger se font dans l’opacité. Il est donc difficile

d’obtenir des renseignements précis sur le nombre d’hectares ayant fait l’objet d’acquisition

finalisée ou en cours de négociation, sur les sommes impliquées, les finalités précises et les

conditions associées.

L’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI10

) estime

cependant que depuis 2006, quinze à vingt millions d'hectares, principalement en Afrique et

en Asie, ont été loués, achetés ou ont fait l'objet de négociations (de Shutter, 2009), ce qui,

représente plus des deux tiers de la surface agricole utile11

française. Comme il est difficile

d’obtenir des chiffres précis, l’étude se fonde essentiellement sur des communiqués de presse.

L’IFPRI estimerait que ces marchés représentent entre vingt et trente milliards de dollars

investis essentiellement en Afrique par la Chine, la Corée du Sud, l’Inde et les États du Golfe.

Environ un quart de ces terres sont consacrées à la culture de végétaux destinés à la

production d’agro-carburants (von Braun et Meinzen-Dick, 2009).

Ces phénomènes sont nouveaux car ils répondent à une situation d’augmentation du

prix des matières premières amorcée cette dernière décennie. Beaucoup considèrent cette

augmentation comme une tendance lourde où la crise alimentaire de 2007-2008 n’est en rien

un accident isolé de l’histoire mais préfigure bien un des enjeux essentiel du XXIème

siècle.

b) Opportunités d’investissement dans l’acquisition foncière

agricole

Les nouveaux acteurs trouvent de multiples opportunités d’investissement dans

l’acquisition foncière agricole à l’étranger. Ces opportunités d’investissement se sont révélées

brutalement, à l’occasion des « émeutes de la faim ». Le monde occidentale qui jusqu’alors

9 GRAIN est une organisation non gouvernementale, créée au début des années 1980, qui soutient la

lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes

alimentaires fondés sur la biodiversité. Source : www.grain.org 10

IFPRI : International Food Policy Research Institute (Institut international de recherche politique

alimentaire) 11

La superficie agricole utilisée (SAU) est une notion normalisée dans la statistique agricole

européenne. Elle comprend les terres arables (y compris pâturages temporaires, jachères, cultures sous abri,

jardins familiaux...), les surfaces toujours en herbe et les cultures permanentes (vignes, vergers...). Source :

www.insee.fr

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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n’avait ressenti cette crise que par l’augmentation du coût de son panier de consommation

alimentaire, a compris l’ampleur de cette crise pour les populations des pays en

développement.

L’augmentation du cours des matières premières agricoles à la fin de l’année 2007 et

au début de l’année 2008 a déclenché les « émeutes de la faim » en Amérique latine, en Asie

et en Afrique, du Mexique à l’Indonésie en passant par l’Égypte. En effet, les consommateurs

des pays du Sud consacrent entre 50 et 75% de leurs revenus à leur alimentation alors que les

populations riches des pays développés n’y consacrent que 10 à 15 % de leur budget

(Parmentier, 2009 [2007]). Particulièrement sensible aux variations du prix des matières

premières, l’impact de cet évènement sur les populations des pays en développement révèlent

l’ampleur de la demande alimentaire à l’échelle mondiale. Ainsi, entre janvier 2007 et juin

2008, l’indice global alimentaire ou l’indice FAO des prix des produits alimentaires12

a

progressé de + 167,5 % (voir Figure 4 et Figure 6). Quant à la hausse du prix des céréales13

, à

la même période, sa progression a été de + 166,5 % (voir Figure 5 et Figure 6).

Figure 4. Indice FAO des prix des produits

alimentaires sur la période 2007-2011

Source : http://www.fao.org/

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

Figure 5. Indice FAO des prix des céréales sur la

période 2007-2011

Source : http://www.fao.org/

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

12

L'indice FAO des prix des produits alimentaires mesure la variation mensuelle des cours

internationaux d'un panier de denrées alimentaires. Il est établi à partir de la moyenne des indices de prix de cinq

catégories de produits (soit 55 cotations), pondérés en fonction de la part moyenne à l'exportation de chacune des

catégories pour la période 2002-2004. 13

L’indice FAO des prix des céréales est établi à partir des indices des prix des céréales et du riz

pondérés en fonction de leur part moyenne dans le commerce pour la période 2002-2004. L’indice des prix des

céréales est composé de l’indice des prix du blé établi par le Conseil international des céréales, qui représente

lui-même la moyenne de 9 cotations différentes pour le blé, et 1 cotation à l’exportation pour le maïs, après

formulation du prix du maïs sous forme d’indice et conversion de l’indice IGC pour la période 2002-2004.

L’indice du prix du riz comprend trois composantes établies à partir des prix moyen de 16 cotations de riz, à

savoir les variétés Indica, Japonica et aromatique ; la pondération de ces trois composantes est déterminée par la

part (fixe) supposée dans les échange de ces trois variétés.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Indice FAO des prix des : produits alimentaires céréales

janvier 2007 143,8 133,8

juin 2008 239,5 224,1

taux de la hausse des prix +167,5% +166,5%

Figure 6. Indice FAO des prix des produits alimentaires et des

céréales en janvier 2007 et juin 2008

Source : http://www.fao.org/

Réalisation : Ariane Walaszek, 2011

Cette flambée mondiale des prix des denrées alimentaires trouve des causes

structurelles. Elle s’appuie sur une croissance démographique globale et, au sein de celle-ci,

sur une croissance significative des classes moyennes liée à l’évolution économique des pays

émergents. Les prévisions fixent au double d’aujourd’hui, la demande alimentaire en 2050.

Même si à l’heure actuelle, la Chine et l’Inde, emblématique en ce sens, présentent une

demande encore largement couverte par leur propre production et sont même, pour part,

exportateurs (Demarthon, 2008). On peut aussi citer, le changement de régime alimentaire à

inscrire sur le long terme dans les pays émergents. En effet, on constate une augmentation

importante de la consommation de protéines d’origine animale. Sept calories végétales sont

nécessaires pour produire une calorie animale. Cette transition nutritionnelle additionnée à

l’accroissement démographique particulièrement marqué dans ces pays entraine une demande

accrue en matière première agricole. Par conséquent, la demande solvable est supérieure à

l’offre, et le secteur agricole devient un secteur d’investissement porteur. D’autant que

d’autres facteurs non moins importants participent à ces prévisions.

Ainsi, le changement climatique est un autre facteur agissant sur cet état de fait. Sur le

court terme, les accidents climatiques (sécheresse, incendie, inondation, maladies et

prolifération de nuisibles) voit leur fréquence amplifiée par le changement climatique et

rendent de plus en plus incertaines les récoltes annuelles. Ces aléas climatiques provoquent de

graves crises dans la production agricole. Bien que celles-ci soient localisées et ponctuelles,

leurs imprévisibilités et leur multiplication suscitent l’inquiétude et nourrissent une forte

spéculation.

Parallèlement, le changement climatique entraîne aussi un phénomène de

désertification tel que c’est le cas en Afrique subsaharienne ou en Asie centrale. « Certains

experts des Nations unies estiment actuellement que 40 % des terres émergées du globe sont

touchées de près ou de loin par ce phénomène » (Parmentier, 2009 [2007] : 46). Cette cause

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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climatique a pour conséquence une baisse tendancielle de l’offre alimentaire. Ainsi, comme

l’indique Parmentier (Ibid.) d’après une étude du GLASOD14

datant de 2001, trois cent cinq

millions d’hectares sont fortement dégradés dans le monde, voire devenus inaptes à

l’agriculture.

Des éléments plus conjoncturels sont également à l’origine de la crise de 2007-2008.

Ceux-ci sont directement le résultat de choix politiques et économiques dont le leadership

occidental est incontestable.

Parmi eux, on trouve la hausse du prix du pétrole et les pressions environnementales

qui ont mené à l’émergence de la production d’agrocarburants. Celle-ci est largement

soutenue par les subventions comme réponse à la crise énergétique. D’ailleurs, ce type de

culture devient ainsi suffisamment rentable pour que cette production d’agrocarburants

consomme aujourd’hui « 4,6 % des céréales récoltées par an dans le monde » (Canfin, 2010 :

15). Cette consommation à des fins non alimentaires crée une demande additionnelle en

matières premières agricoles (Charvet, 2010). La hausse du prix du pétrole, entraine d’ailleurs

une augmentation des coûts de transports et d’engrais modifiant les seuils de rentabilités des

exploitations et favorisant un peu plus les grandes exploitations capables d’économies

d’échelles. Par conséquent, ces multiples pressions sur le foncier agricole réduisent les

surfaces agricoles destinées à la l’alimentation humaine et plus généralement toutes les

surfaces agricoles.

De même, parmi les facteurs conjoncturels sur le moyen terme, on peut citer les

politiques de gel des terres et de quotas qui protègent l’agriculture occidentale. Ces politiques

ont fait disparaître les stocks de réserve. Alors que ces stocks sont un facteur important de

stabilisation des prix. La baisse volontaire des stocks a pour objectif d’adapter la production

agricole au marché par une politique de flux tendus (Demarthon, 2008). En effet, depuis les

années 2000, les grands États producteurs, tels que les États-Unis, ont changé la gestion de

leurs stocks céréaliers, vers une gestion en flux tendu (Charvet, 2010). Actuellement, le stock

mondial en céréales n’est que de sept semaines. Ainsi, certains pays ont été contraints

d’imposer des quotas à l’exportation pour assurer l’approvisionnement de leur marché

intérieur.

Dans le même temps, les ajustements structurels des pays cibles ont ouvert la voie aux

investisseurs. En effet, parmi les facteurs conjoncturels, les politiques d’aide au

14

GLASSOD est un programme d’évaluation mondiale de la dégradation des sols

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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développement de la Banque mondiale et du FMI mettent en péril l’agriculture familiale. Les

ajustements structurels exigés par ces institutions internationales auprès des pays endettés se

sont traduits par l’arrêt au soutien de l’agriculture vivrière et par le soutien aux productions

tropicales destinées à l’exportation pour obtenir des devises étrangères. Sous la pression de

ces instances internationales, les États changent leur législation foncière pour créer un marché

foncier et ainsi attirer les investissements. En contrepartie, ces États reçoivent des institutions

un soutien financier pour lutter contre la crise alimentaire (Canfin, 2010). Ces ajustements

structurels sont donc une aubaine pour les acquéreurs de terre agricole. Mais, la conséquence

immédiate de cette politique est le renforcement de la fragilité de la sécurité alimentaire

nationale du pays cible.

La fluctuation des prix pèse sur les pays importateurs et les populations pauvres

comme on vient de l’indiquer. Mais, cette fluctuation pèse également sur le revenu des

producteurs. Les producteurs voient dans la variation des cours un risque toujours plus élevé

au regard de leurs coûts d’investissement. En effet, si en tendance, le prix des matières

premières augmente, cette augmentation se fait avec des variations importantes, y compris à la

baisse, ce qui rend difficile l’investissement. En effet, le marché international des céréales

caractérisé par la volatilité des prix rend la réalisation de stock difficilement finançable. Le

stockage des céréales permet une politique de régulation des prix et de l’offre des céréales.

Les mauvaises années de récolte, la population bénéficie des stocks ainsi constitués. Tandis

que les bonnes années, les producteurs bénéficient du rachat partiel de leur production pour

reconstituer les stocks. Pourtant, ces politiques ont été progressivement abandonnées puisque

la réalisation de stocks n’apporte pas de valeur ajoutée. Les excédents sont aujourd’hui

écoulés de manière privilégiée par l’aide alimentaire. Les investissements sur le marché

agricole sont donc spéculatifs (Madaule, 2009). Les spéculateurs ne s’intéressent pas à un

marché régulé. Il s’ensuit que les fluctuations basses du marché se répercutent immédiatement

sur les agriculteurs les plus fragiles. Alors qu’en période de forte production agricole, lorsque

l’activité agricole est la plus rentable, la concurrence trop importante et l’imprévisibilité des

années suivantes, ne stimulent pas les investissements destinés à une capitalisation des

exploitations agricoles, et notamment des moins compétitives.

En 2007-2008, aux premiers signes de pénuries, les taxes préventives à l’exportation

de pays traditionnellement exportateurs nets et la spéculation ont fait dérayer le système et

provoqué les famines que l’on a connues lors de la crise alimentaire. Ainsi, la fluctuation des

prix génère un terrain propice à la spéculation et aux spéculateurs, qui se nourrissent de ces

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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fluctuations et de la difficulté à en prédire l’ampleur. Cette fluctuation des prix pourrait

pourtant être une raison qui pousse de nouveaux acteurs à investir dans l’agriculture.

Pour conclure, ce nouveau processus d’acquisition foncière agricole montre l’intérêt

géostratégique porté sur le contrôle des terres arables. Les acquéreurs, qu’il s’agisse de

sociétés d’investissements privés ou de puissances publiques étrangères, trouvent de multiples

opportunités d’investissement dans l’acquisition foncière agricole offshore. De même, les

pays d’accueil trouvent des intérêts à la présence de ces nouveaux investisseurs. Cette

nouvelle forme de production agricole résulte d’acteurs aux origines multiples suivant une

typologie de facteurs en fonction des échelles de temps15

qui les mobilisent. Et, ces différents

investisseurs interviennent souvent dans le pays cible sous la forme d’un montage en mille-

feuilles de leur organisation qui ajoute à l’opacité d’un système dont on peut rarement définir

le ou les commanditaire(s).

c) Acteurs acquéreurs et pays cibles

Ce processus d’implantation agricole offshore résulte d’une entente entre deux groupes

d’acteurs : les acteurs acquéreurs et les pays cibles. Les supports d’intéressement dans

l’acquisition foncière agricole, nous permettent de distinguer différents profils d’acteurs

acquéreurs selon leurs objectifs politiques, sociaux ou simplement économiques.

Les acquéreurs, dit land grabbers en anglais soit « accapareurs de terre » en français,

peuvent être acheteurs ou locataires. On distingue deux profils d’acquéreurs à partir de leur

stratégie : les acquéreurs privés et publics.

Investisseurs privés

Le premier groupe d’acquéreurs est celui des investisseurs privés, motivés par les

retombées financières obtenues par la vente spéculative de matière première agricole sur le

marché mondial et/ou par les plus-values sur le foncier agricole. Parmi les investisseurs

privés, on distingue deux sous-groupes, celui du secteur agro-alimentaire qui participait au

processus d’acquisition des terres avant même la crise alimentaire de 2007-2008 (Canfin,

2010), et celui du secteur financier.

15

Origine conjoncturelle ou structurelle des causes.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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L’innovation des nouveaux modes de production provient de ce dernier sous-groupe.

Ce sont des sociétés d’investissement qui gèrent des fonds de capital investissement ; il s’agit

souvent de fonds de pension des retraites privés des salariés occidentaux. Ces fonds

spéculatifs trouvent, dans le secteur agricole, une opportunité économique et une valeur

refuge depuis la crise immobilière en automne 2008 dite crise des subprimes. En effet, les

secteurs d’investissements traditionnels souffrent d’un manque d’attractivité suite à

l’effondrement du système financier à l’échelle international, « ainsi entre 2005 et 2008, la

part des acteurs non commerciaux dans les prises de position sur le marché du maïs est

passée de 17 % à 43 % et de 28 % à 42 % sur le marché du blé » (Canfin 2010 : 14). La

valeur des matières premières agricoles est alors déconnectée de sa valeur réelle. Comme le

soulignent Dufumier et Hugon (2008 : 928), « les produits alimentaires sont devenus

des "produits" financiers pour les spéculateurs ». En d’autres termes, cette spéculation a pour

conséquence une augmentation artificielle du cours des matières premières agricoles.

Les spéculateurs parient aussi sur l’augmentation de la valeur des terres arables dont le

coût d’acquisition reste pour l’instant particulièrement attractif dans certains pays émergeant

par défaut d’une véritable organisation d’un marché foncier mais aussi sous-valorisé en raison

d’une faible capitalisation à l’hectare. C’est donc le moment pour les investisseurs d’acquérir

des terres agricoles pour profiter des futures plus-values.

Les sociétés d’investissements ne sont pas les seuls nouveaux entrants, face à cette

augmentation des cours. En effet, les entreprises du secteur agro-alimentaire cherchent à

maîtriser la chaîne de production de l’amont à l’aval. Ainsi MHP, une entreprise ukrainienne

de la filière avicole, a développé une stratégie de remontée de la filière qui lui permet

aujourd’hui d’assurer sa propre production céréalière. La variation des cours et notamment

l’augmentation du prix des matières premières touchent également les marges en aval des

distributeurs et des industriels de l’agroalimentaire d’où la nécessité pour ses acteurs de

remonter la filière de leurs métier et maitriser autant que possible la production.

La pression foncière ne cesse donc de se renforcer et les acteurs traditionnels se

trouvent confrontés à de nouveaux équilibres économiques mobilisant de nouveaux acteurs

mués par des intérêts propres. Ainsi, depuis leur entrée, ces nouveaux acteurs ont provoqué

des changements structurels qui poussent dans leurs sillages tous les autres acteurs, en

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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premier lieu les négociants en céréales mais aussi les agriculteurs, vers la recherche de

nouvelles stratégies de croissance16

.

États investisseurs

Le second groupe d’acquéreurs correspond aux États investisseurs. Dans leur cas,

l’implantation agricole offshore résulte de trois niveau de politique publique : d’une politique

nationale dirigiste, par l’action directe d’achat (ou de location) de bail foncier agricole à un

autre État ; d’une politique nationale indirecte via la création d’entreprises mixtes

publiques/privées ; du soutien et de la promotion aux initiatives privées. Ces dernières

naissant, par ailleurs, indépendamment d’une politique nationale, dans les nouvelles

opportunités liées à l’évolution du marché. Cette nouvelle forme d’organisation de la

production agricole se manifeste toujours dans le pays cible sous l’apparence de marques

privées mais qui cachent un montage en holding, qui peut être plus ou moins liées aux intérêts

étatiques. On parle alors d’investisseurs parapublics.

L’objectif de toutes ces politiques publiques a, in fine, pour vocation d’assurer la

sécurité alimentaire nationale par un approvisionnement stable et suffisant du pays par une

production à l’étranger. Ce qui n’empêche pas certains États d’avoir également ou simplement

pour objectif de tirer bénéfice de l’activité de spéculation elle-même.

La vulnérabilité de la production agricole de ces États investisseurs peut être due à une

politique agricole défaillante mais aussi à une croissance démographique mettant à mal ses

propres ressources agricoles, à une dégradation des ressources ou parfois, à un milieu

physique non propice à l’agriculture tels que les pays du Golfe.

La défaillance de nombres d’États investisseurs s’explique par leurs options politiques.

Suite aux ajustements structurels incités par la Banque mondiale et le FMI17

, de nombreux

pays ont négligé leur agriculture et par conséquent ont pris conscience à leurs dépens de leur

dépendance alimentaire. En effet, cette fragile politique d’approvisionnement est basée sur

l’achat à bas prix des surplus alimentaires du marché mondial (Parmentier, 2009 [2007]), tel

que c’est le cas pour la Corée du Sud ou le Japon.

D’autre part, on constate une dégradation des sols due par exemple à la salinisation18

qui touche de plus en plus les régions irriguées, et particulièrement les pays arides ou semi-

arides où ce phénomène touche 10 % à 15 % des superficies irriguées. Ces sels réduisent la

fertilité du sol, et donc les rendements voire rendent la terre définitivement stérile. La FAO

16

VAN EECKHOUT, Laetitia. « Agriculteurs traders », Le Monde, 25.01.11 17

FMI est le sigle du Fond Monétaire International. 18

L’évaporation provoque la remontée des sels minéraux par capillarité.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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estime que 3 % des terres agricoles mondiales seraient affectées par la salinisation. Ce

pourcentage atteindrait 6 % en Asie de l’Est et 8 % en Asie du Sud (Parmentier, 2009 [2007]).

L’irrigation, responsable d’une partie de la dégradation des sols et de la ressource en eau, a

permis le développement agricole de nombreuses régions du monde pour accompagner la

croissance de la demande alimentaire. L’irrigation est de plus en plus onéreuse, et ne peut

donc pas constituer l’unique solution.

L’implantation agricole offshore permet donc à ces États de réduire la vulnérabilité de

leur production face à la volatilité des prix et d’augmenter les superficies cultivées pour leur

approvisionnement.

Parmi ces États acquéreurs, on distingue de même deux sous-groupes. Le premier est

composé de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud. Le second est composé des États

pétroliers du golfe Persique et quelques États d’Afrique du nord tel que l’Égypte et la Libye.

Ces deux aires géographiques sont les plus déficitaires en grains dans le monde (Charvet,

2010) et dépendent du marché mondial pour assurer leur approvisionnement alimentaire.

Cependant, ces États ont suffisamment de réserve de devises étrangères pour investir dans

leur propre sécurité alimentaire à l’étranger.

Ces États acquéreurs mettent de multiples actions en œuvre pour parvenir à leur

objectif de sécurité alimentaire : diversification de leurs lieux de productions pour réduire leur

vulnérabilité face aux accidents climatiques ; augmentation de la superficie des terres

cultivées destinées à l’approvisionnement du marché intérieur ; prémunition contre la

volatilité des prix des marchés agricoles devenus de plus en plus spéculatifs ; promotion de

partenariat avec pour monnaie d’échange une transaction « nourriture contre énergie » telle

que c’est le cas avec les États du golfe qui possèdent d’énormes quantités de pétrole et peu de

terres arables.

Pour conclure, les acquéreurs étatiques, face à l’augmentation du cours mondiaux des

matières premières, cherchent à trouver par le contrôle de terres agricoles à l’étranger une

sécurité alimentaire qu’ils ne peuvent pas assurer sur leur territoire national. Cependant,

Pascal Canfin (2010 : 14) nuance cette stratégie car « l’achat de terre n’est pas une garantie

d’approvisionnement » du fait du risque politique. En effet, en 2008, au plus fort de la crise

alimentaire, de nombreux pays, tel que l’Inde ou l’Égypte ont appliqué une politique des

quotas à l’exportation très contraignante limitant ainsi l’exportation de certains produits

alimentaires nécessaires au marché intérieur. On en déduit que la stratégie de land grab se

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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heurte à la souveraineté nationale des pays cibles qui ne manqueront pas, lorsque le cours

international les touchera, d’user des leviers nécessaires à l’utilisation nationale de cette

production sur leur territoire.

Pays cibles

Les « pays cibles » (Grain, 2008) appelés aussi « pays vendeurs » (Brondeau, 2010) ou

« pays d’accueil » (Charvet, 2010) manquent généralement de capitaux pour financer leur

développement agricole et perçoivent ces investissements comme une opportunité. Ces pays

sont souvent importateurs nets de denrées alimentaires. Leur production agricole, familiale et

rudimentaire, n’assure pas toujours les besoins à l’échelle nationale et ne participe que

marginalement au développement économique. Cependant, certains pays cibles peuvent être

exportateur net agricole tels que l’Ukraine. Ces nouvelles opportunités qu’apportent les

investisseurs étrangers pourraient provoquer une mutation du secteur agricole. Mais, cela ne

va pas sans poser question quant au bilan social, environnemental et microéconomique de ces

changements profonds.

De nombreux scientifiques (Brondeau, 2010) et ONG (Grain) dénoncent ces

acquisitions foncières qui conduiraient à exproprier les populations locales. En effet, il

n’existe plus de terre agricole de plusieurs milliers d’hectares qui ne soient ni habitées ni

cultivées. De plus, ces productions ne bénéficient pas au marché local. Aussi, avec l’arrivée

des investisseurs, un mode de production intensif est mis en place, tourné vers la monoculture

à grande échelle de quelques produits entièrement destinés à l’exportation. La production

vivrière locale diminue car l’ouverture de l’accès au foncier aux IDE « implique une politique

d’attribution foncière conditionnée par les capacités d’investissements des exploitants, qu’ils

soient nationaux ou étrangers » (Brondeau, 2010 : 10). La politique du pays cible a pour

objectif d’assurer sa propre suffisance alimentaire grâce à l’importation de produits

alimentaires. Ces importations seront financées par les taxes aux exportations dégagées de la

présence des nouveaux investisseurs agricoles, tout en permettant de nouvelles opportunités

de développement. Cette politique – tout à fait dans la ligne de la Banque mondiale – s’inscrit

dans les idéaux libéraux du développement économique par une inscription dans le commerce

international et par la mise à profit des avantages comparatifs. Les pays cibles attendent

beaucoup de ces transactions foncières encouragées par la Banque mondiale : importante

rente financière à la vente des terres ou par la contractualisation de baux emphytéotiques,

développement des infrastructures agricoles, rurales, routières, ferroviaires et portuaires, soit

un transfert de technologie pris en charge par l’investisseur étranger. Seulement « peu

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

29/174

d’informations scientifiques sont toutefois disponibles pour dresser une analyse objective de

cette évolution aussi rapide que récente. Les sources restent essentiellement journalistiques et

les rapports réalisés par les ONG présentent des analyses fortement engagées et sans doute

pas toujours objectives. Deux sources font référence aujourd’hui : la première est un rapport

récent demandé par la FAO19

et l’IFAD20

et réalisé par l’IIED21

(Cotula, 2009) » (Brondeau,

2010 : 10) ; le second est un rapport commandé par la Banque mondiale (Deininger et al.,

2011).

Ces transactions foncières présentent ainsi un risque social et écologique pour les

populations locales qui ne bénéficieront certainement pas des retombées financières. Comme

l’explique Brondeau (2010 : 10) « l’ouverture de l’accès au foncier aux IDE semble bien une

des conséquences directes des échecs des politiques de développement agricole précédentes.

Elle s’inscrit dans une tendance nette à la remise en question du modèle de développement

agricole basé sur les exploitations familiales au profit d’un modèle basé sur l’agrobusiness. »

Ce processus pose le débat en ces termes « Land grab or development opportunity ? »22

(Cotula, 2009), au moment où la planète compte un milliard d’individus souffrant de sous-

alimentation dont 75 % d’entre eux sont des paysans pratiquant une agriculture vivrière.

Pour conclure, le phénomène de land grab est un processus d’acquisition des terres à

l’étranger par des acteurs privés ou publics exogènes au monde agricole. Certains de ces

acteurs appartiennent au secteur financier et trouvent une valeur refuge dans les denrées

alimentaires. Celles-ci sont devenues l’objet de spéculation notamment sur les marchés

dérivés.

Des exemples de cette nouvelle forme d’agriculture par l’implantation agricole

offshore existent dans d’autres pays que ceux d’Asie, d’Afrique subsaharienne ou d’Amérique

du Sud tels que l’Ukraine. C’est pourquoi, l’argumentaire qui suit traite de la mutation des

modèles agricoles en Ukraine.

2. UNE MUTATION DES MODÈLES AGRICOLES EN UKRAINE

L’Ukraine, pays d’Europe orientale, indépendant en 1991, est une des anciennes

républiques de l’Union soviétique. L’agriculture est un des piliers traditionnel de l’économie

19

Food and Agriculture Organisation 20

International Fund for Agricultural Development 21

International Institute for Environment and Development 22

Traduction : « Accaparement des terres ou opportunité de développement ? »

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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ukrainienne, caractérisée par sa spécialisation dans les produits de base. Au XIXème

siècle,

l'Ukraine sous l’Empire russe23

était le « grenier à blé » de l’Empire et exportait sa production

jusqu’en Europe, suite au développement du chemin de fer dans les années 1880 (de

Laroussilhe, 2002 [1998]). En 1867, près de la moitié des céréales consommées en Angleterre

venaient de Russie et d'Ukraine24

, et transitaient par le port d'Odessa. Puis dans les années

1920, une longue période de tarissement des exportations s’est installée, en même temps que

la collectivisation forcée des terres sous Staline. Mais dans les années 2000, les céréales de la

Mer Noire reviennent sur les marchés, « surprenant la plupart des opérateurs, convaincus que

l’effondrement de l’URSS en 1991 et l’ampleur de la décapitalisation agricole qui

l’accompagnait ne permettraient ni une reprise aussi rapide de la production, ni le

dégagement d’un surplus exportable suffisamment important pour déstabiliser des positions

commerciales considérées comme acquises » (Hervé, 2008c : 259). Malgré des handicaps

structurels du pays, encore en transition, tel que son parc matériel agricole vétuste,

« aujourd’hui, les grands négociants internationaux sont tous présents dans cette zone de

production, et les exportateurs de la Communauté des États Indépendants - la structure qui

réunit les pays de l’ancienne URSS - sont de plus en plus fortement présents dans les grandes

rencontres de traders, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Asie, en Europe... » (Ibid. :

259).

Il s’agit ici de comprendre pourquoi l’Ukraine est un pays cible des investissements

dans l’agriculture, et quels sont les avantages comparatifs de la production agricole

ukrainienne.

D’abord, nous expliquerons comment l’histoire agraire de l’Ukraine l’amène à une

période actuelle de restructurations foncières. Ensuite, nous évoquerons le fort potentiel

agricole de ce pays d’Europe orientale par ses atouts naturels et ses réseaux de

communication qui lui donnent un avantage stratégique.

A. UNE HISTOIRE AGRAIRE FAVORABLE AUX RESTRUCTURATIONS FONCIÈRES

Les exploitations agricoles ukrainiennes ont fonctionné pendant soixante ans dans un

contexte politique, social et économique spécifique, celui d’un système socialiste à

planification centralisée. Il s’agit ici de retracer les grandes étapes de l’histoire agraire

23

L’Ukraine a appartenu à l’Empire russe de 1667 à 1917. 24

Source : http://pierregonzva-finance.blogspot.com/2010/01/le-grain-et-leconomie.html

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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ukrainienne du milieu du XXème

siècle à aujourd’hui afin d’expliquer pourquoi l’Ukraine est

un pays si particulier qui attire l’intérêt des institutions internationales et des investissements

étrangers dans l’agriculture.

a) L’agriculture collectiviste

En URSS, dont l’Ukraine était partie intégrante, les terres ont été autoritairement

collectivisées à partir de 1929. « La collectivisation de l’agriculture, réalisée entre 1929 et

1933, a été un évènement particulièrement dramatique pour l’Ukraine et compte parmi les

grands génocides du XXème

siècle » (de Laroussilhe, 2002[1998] : 62). Cependant, nous

évoquerons ici seulement les réformes foncières qui ont amené au parcellaire agricole

ukrainien d’aujourd’hui, sans entrer dans le détail de leur mise en place.

Exemple de définition de l’agriculture collectivisée25

Pierre George définissait l’agriculture collectivisée comme devant « être une

agriculture coopérative, mettant en œuvre des moyens matériels puissants, mobilisant le

travail des collectivités de village organisées, pour obtenir une production croissante

répondant à un double besoin : celui de ravitailler des villes dont la population croit avec

l’industrialisation, et celui d’assurer une rémunération de plus en plus élevée de l’effort et de

la qualification dans le travail à la campagne » 26

(Lebeau, 2004[1969] b : 160).

Marie-Claude Maurel définit quant à elle, l’agriculture collectivisée comme reposant

« sur l’appropriation sociale de la terre et des moyens de production, l’organisation

collective du travail et la généralisation d’un rapport de type salarial au sein de grandes

exploitations, ainsi qu’un mode d’administration centralement planifiée réduisant

l’autonomie de gestion des unités de production » (Maurel in Charvet, 2009[2008] : 101).

La réforme agraire visant la collectivisation des terres, commence par la suppression

de la propriété individuelle de la terre. Pour ce faire, l’introduction de la mécanisation et de la

motorisation sont allés de pair avec la constitution de parcelles géométriques de grandes

tailles, constituées par le regroupement des petites parcelles préexistantes ; c’est cette

25

Différents qualificatifs sont utilisés pour désigner l’organisation de l’agriculture sous l’URSS. Ainsi,

on peut entendre parler d’agriculture « collectivisée », « socialiste » ou « soviétique ». Afin, d’éviter les

ambiguïtés du terme « socialiste » et puisque nous nous intéressons ici plus à l’organisation du travail agricole

qu’à l’organisation politique, nous privilégierons ici l’emploi du terme agriculture « collectivisée ». 26

On voit dans cette citation de Pierre Georges, connu pour son inspiration marxiste, l’engouement

qu’il y avait encore à l’époque de l’URSS lorsqu’on n’en connaissait pas encore les dérives.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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concentration foncière et ce gigantisme des unités d’exploitation qui caractérisent la

morphologie agraire de l’agriculture collectivisée (Lebeau, 2004[1969] b).

L’histoire de l’agriculture collectivisée se déroule en trois étapes : le partage des

grands domaines, la collectivisation de l’exploitation et enfin la décollectivisation. Nous

évoquerons ici seulement les deux dernières étapes.

Exploitations collectives et lopins : deux types d’exploitation résultant de la collectivisation

Suite à la collectivisation des terres, deux types d’exploitation se distinguaient : les

exploitations collectives, appelés kolkhozes et sovkhozes, et les lopins de terres (voir Figure

7).

Les kolkhozes étaient des coopératives de production qui s’identifiaient chacune avec

le finage d’un village. Le finage et les moyens de production devenaient collectifs. Les

membres de la coopérative étaient rémunérés « sur la base de la journée de travail forfaitaire »

appelé troudodieny. Chaque opération culturale valait une fraction de troudodieny (Lebeau,

2004[1969] b). Cependant, les kolkhoziens détenaient chacun un lopin individuel pour leur

autoconsommation et la vente sur le marché du village.

Les sovkhozes étaient quant à eux des fermes d’État. Les ouvriers étaient des salariés.

Les sovkhozes servaient d’exploitations pilotes pour l’agriculture scientifique et mécanisée.

Ils étaient immenses et très spécialisés (Ibid.).

Figure 7. Structure foncière soviétique

Source : Anne Gautier, 2008.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Il existait une relation d’interdépendance entre ces deux types d’exploitation,

collective et individuelle. Par exemple, les lopins complétaient le manque des faibles salaires

des exploitations collectives. À l’inverse, les lopins à eux seuls n’étaient pas suffisants pour

vivre. D’autre part, les exploitations collectives assuraient de nombreux services tels que le

prêt de matériel pour les lopins ou des travaux de labours mais aussi des services médicaux ou

de loisir aux kolkhoziens et sovkhoziens (Jaubertie et al., 2010).

Décollectivisation

En 1965, la réforme Libermann tend vers la décollectivisation en introduisant

l’autonomie des entreprises. Puis en 1985, Gorbatchev, secrétaire général du Parti

communiste de 1985 à 1991, accentue la décollectivisation avec la réforme dite de la

Perestroïka27

. Cette réforme a pour but de dynamiser le secteur privé agricole et stimuler la

production des lopins privés des kolkhoziens et sovkhoziens (voir

Figure 8).

Figure 8. Dénationalisation foncière et exploitations individuelles

Source : Anne Gautier, 2008.

C’est véritablement en 1992-1993 qu’a lieu une accélération de la décollectivisation

avec la transformation des droits de propriétés des fermes collectives. Puis, la Constitution de

1996 garantit la propriété privée de la terre. Cependant, sous la pression du Parlement, un

27

Perestroïka se traduit par « reconstruction ».

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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moratoire est adopté pour interdire la libre commercialisation des terres agricoles. Ce

moratoire qui au départ avait été pour six années, est toujours en vigueur.

Héritage agraire : le poids de soixante années de collectivisation

L’indépendance de l’Ukraine en 1991 a apporté des changements politiques passant

par des réformes économiques tendant à transformer l’économie socialiste en économie de

marché. Cette transition s’est pas faite avec une baisse globale de la production agricole et

n’est pas encore tout à fait achevée.

Les conditions initiales28

à la transition économique (Maurel in Charvet,

2009[2008] : 102) que connait chaque pays de l’ex-URSS varient en fonction de l’importance

de l’héritage communiste dans le pays. L’Ukraine et la Russie sont l’exemple de pays

connaissant un ancrage très fort des logiques collectivistes dans leur culture, leur expérience

collectiviste ayant duré plus d’un demi-siècle.

La principale mesure politique du processus de décollectivisation a été celui de la

privatisation du foncier et des biens soit la transformation des droits de propriété. Se

distinguent alors trois principaux facteurs de production : la terre, le capital et le travail

(Ibid. : 104). Dans ce contexte de décollectivisation, la renaissance d’une agriculture

familiale « s’opère sous des formes très hétérogènes tant du point de vue des structures

d’exploitation que du mode d’insertion au marché » (Maurel, 1997).

Maintenant que nous avons vu les deux types de structures d’exploitations, collectives

et individuelles, à l’origine de l’agriculture collectivisée, nous pouvons évoquer les grandes

étapes des réformes foncières de ces vingt dernières années en Ukraine qui ont amené à

l’émergence d’une structure agricole tri-modale.

b) Réformes foncières post-collectivistes

1991-1999, 1ère

étape de la réforme foncière

La première étape de la réforme foncière porte sur la période 1991-1999 et consiste en

la décapitalisation-distribution des exploitations collectives.

Distribution du capital d’exploitation

En 1993-1994, les sovkhozes et kolkhozes sont surendettés et font faillite. En effet,

suite au démantèlement de l’Union soviétique, les filières d’approvisionnement et

28

Marie-Claude Maurel entend par « conditions initiales », le poids de l’héritage collectiviste.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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d’écoulement de la production ne sont plus en activité. Le capital de l’exploitation collective

est réparti entre les salariés. Les sovkhoziens et kolkhoziens bénéficient alors de la

décapitalisation des exploitations collectives pour se faire payer leurs arriérés de salaires.

Cependant, l’exploitation de la terre – le capital foncier – reste le fait de collectivités.

Distribution du capital foncier par la délivrance d’un certificat de propriété

Il faut attendre la loi du 31 mars 1995 pour que le partage des terres des ex-sovkhozes

et ex-kolkhozes devienne effectif. La distribution du capital foncier se fait ainsi : une part

foncière appelée paille29

est distribuée sous forme de certificat de propriété à chaque ancien

salarié ou retraité des ex-exploitations collectives. La surface théorique de chaque part

foncière est calculée en fonction de la taille de l’ancienne exploitation collective et du nombre

d’ayants droit (Jaubertie et al., 2010). Mais, cette part foncière n’est pas encore définie sur le

cadastre. Les paillitevistes30

ne savent donc pas où se trouve leur paille dans le village. Cette

distribution du capital foncier n’est donc pas tout à fait achevée.

Suite à cette distribution du capital d’exploitation et du capital foncier, les anciennes

structures collectives deviennent soit des entreprises agricoles collectives au statut de

coopérative soit des sociétés par action où chaque salarié de l’ancienne structure est

propriétaire du capital d’exploitation (voir

Figure 9).

Figure 9. Division des terres en parts foncières, délivrance de certificats de propriété

29

Le terme paille du russe « пай » peut aussi s’orthographier paye ou paï. 30

Nom donné aux propriétaires d’une part foncière, d’une paille.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Source : Anne Gautier, 2008.

Un fonctionnement des exploitations inchangé

Le fonctionnement des exploitations reste sensiblement le même qu’avant la chute de

l’URSS. D’ailleurs, il est courant que le directeur soit l’ancien dirigeant de l’exploitation

collective. La différence du fonctionnement des exploitations porte sur le statut, cette fois-ci

privé de l’exploitation. Administrativement, l’ex-kolkhoze ou sovkhoze devient un conseil de

village composé de trois à cinq villages en moyenne qui correspondent chacun à une unité de

production de l’ancienne exploitation collective. Les entreprises agricoles qui succèdent aux

exploitations collectives se répartissent sur les anciennes unités de production. Ainsi, à chaque

village correspond une entreprise agricole.

Un moratoire qui interdit la vente des terres

En parallèle de cette distribution du capital foncier, un moratoire est mis en place. Il

consiste à interdire la vente des terres agricoles pour protéger les villageois du vide juridique

concernant le marché foncier. Ce moratoire, reconduit plusieurs fois, est toujours en vigueur.

Cependant le gouvernement ukrainien actuel, élu en janvier 2010, semble déterminé à abroger

cette loi en 201231

.

Les années 2000, 2ème

étape de la réforme foncière

La deuxième étape de la réforme foncière au début des années 2000 est celle du

partage définitif du capital foncier.

Le partage définitif du capital foncier par la délivrance d’un titre de propriété individuelle

Le 3 décembre 1999, une loi est votée afin de fixer les modalités de partage des actifs

restants, et les modalités de délivrance de titre de propriété individuelle. Ce titre de propriété

individuelle remplace le certificat de propriété de la première étape de la réforme foncière.

Cette fois-ci, le titre de propriété de la part foncière est précisément délimité sur le cadastre.

Les paillitevistes peuvent localiser leur propriété foncière et donc jouir de l’usage de leur

paille. De plus, le calcul de la surface théorique des pailles est révisé pour un partage plus

égalitaire des parcelles. En effet, à la taille de l’ancienne structure et au nombre d’ayants

droit, s’ajoute un nouveau facteur : la valeur vénale de la terre. Celle-ci est déterminée en

fonction de la qualité des terres (Ibid.).

Mais, ces parts foncières de quelques hectares sont comprises au sein de très grandes

parcelles issues du parcellaire soviétique. Souvent, pour atteindre sa paille, le pailliteviste doit

31

http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/ukraine-privatiser-les-terres-pour-soutenir-la-

production-agricole-premier-ministre-37069.html consulté le 10.08.2011

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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traverser toutes les pailles des autres propriétaires. D’abord, la distance entre la bordure de la

parcelle et la paille peut être grande. D’autre part, l’apport de matériel sans abîmer les cultures

des voisins est difficile. Ces difficultés rencontrées par le villageois pour accéder à sa paille,

le décourage. Ainsi, de nombreuses pailles sont abandonnées et laissées en friche ou louées à

des entreprises agricoles souvent elles-mêmes en difficultés financières.

Des artéfacts dans la distribution du capital d’exploitation et du capital foncier

La répartition des biens matériels et immobiliers, comme dans l’allocation des

meilleures terres ne s’est pas faite sans inégalités. Par exemple, les villageois qui ont accès à

plusieurs parts foncières par regroupement familial ont plus de facilité à mettre celles-ci en

culture. Ceux qui n’en ont pas les moyens financiers ou relationnels cèdent leur paille en

location (Ibid.). En effet, avoir des relations permet par exemple d’obtenir une part foncière

en bordure de champ avec une terre fertile. De plus, le capital non-immobilier tel que les

tracteurs, a été récupéré par les anciens dirigeants, devenus les directeurs des nouvelles

entreprises agricoles. Le patrimoine bâti, quant à lui, a été partagé entre les anciens salariés

qui en ont récupéré les briques.

Ainsi, « la différenciation économique observable aujourd’hui [entre les structures

d’exploitation] est donc en grande partie le fruit de cette répartition inégale du capital

d’exploitation » (Ibid. : 44) (voir Figure 10).

Figure 10. Fragmentation, recomposition variable des exploitations

Source : Anne Gautier, 2008.

Émergence d’une nouvelle structure agricole : les « agroholdings »

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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En parallèle, dans les années 2000, des grandes entreprises capitalistes émergent à

partir de capitaux externes à l’agriculture ukrainienne. Ces capitaux exogènes sont attirés par

le potentiel agronomique des terres ukrainiennes, par le grand parcellaire adapté à la

mécanisation, par les modalités d’accès au foncier via une location peu couteuse et par l’accès

à une main d’œuvre bon marché. Certaines de

ces grandes entreprises, à la recherche d’une

rentabilité financière rapide, sont qualifiées

d’ « agroholdings ».

Mode d’emploi pour accéder à une

concentration foncière de plus de 50 000 ha

De capitaux ukrainiens ou étrangers,

ces entreprises rachètent le capital social de

plusieurs grandes exploitations agricoles en

faillite cumulant ainsi des baux de plus de

50 000 ha voire 100 000 ha32

pour certaines

auprès de plusieurs milliers de paillitevistes.

De plus, un pas de porte est souvent nécessaire

pour racheter une entreprise agricole.

La structure juridique de ces

« agroholdings » est une holding dont le siège

social est à Kiev, la capitale, ou dans une

capitale régionale. Cette holding a plusieurs

pôles de production régionaux eux-mêmes

gérant plusieurs unités de production. Chaque

unité de production correspond au rachat d’une

entreprise agricole en faillite.

C’est le statut de fermage qui permet

une concentration foncière aussi importante.

En effet, la location permet à l’entreprise

d’investir plus de capital dans la production. Le statut de fermage en Ukraine privilégie le

locataire, ici la grande exploitation. Le droit au renouvellement du bail est autorisé mais en

limitant le droit de reprise par le bailleur, ici le petit propriétaire villageois appelé pailliteviste

32

Ces superficies sont données ici comme ordre de grandeur. L’ « agroholding » n’est pas un terme

scientifiquement définit.

ÉCLAIRAGE SUR LE TERME

« agroholding »

Une société est appelée holding1 quand

sa seule activité consiste à détenir des actions

d’autres sociétés. Ces autres sociétés sont

appelées « filiales » lorsque 50 % au moins du

capital est détenu et « participations » lorsque la

part du capital détenue est comprise entre 10 et

50 %. La société holding ne produit rien par elle-

même : ce sont ses filiales qui produisent. « Le

capitalisme est parvenu à son degré maximum

d’abstraction : il n’y a plus aucun lien entre ceux

qui produisent et ceux qui dirigent, pas même – le

plus souvent – de lien de proximité » (Clerc,

2007[2004] : 96).

La holding sépare les activités de

production et celles de gestion du capital. C’est

au niveau de la holding que se prennent les

décisions stratégiques telles que le montant des

investissements, le choix des filières à développer

ou à sacrifier. Les holdings sont des

« concentrés » de pouvoirs. La centralisation du

capital dans la holding facilite la mobilité du

capital (Ibid.).

Une « agroholding » est donc une

société holding dont la seule activité consiste à

détenir les actions de ses filiales dont l’activité de

production appartient au secteur agricole.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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(Ibid.). Malgré le moratoire interdisant la vente de terres agricoles, des ventes déguisées se

font sous forme de don à des prix dérisoires. Le moratoire « empêche la dépossession des

villageois de leurs pailles » (Ibid. : 45).

L’Ukraine compte quelques milliers d’exploitations agricoles de ce type. Sans

l’existence de ce moratoire, ces « agroholding » n’auraient pas pu accéder à cette

concentration foncière qui fait leur force.

Structure agricole tri-modale

Une structure agricole tri-modale se dégage à l’issue des exploitations collectives : la

grande exploitation reprenant le parcellaire soviétique, quelques entreprises individuelles

(voir Figure 11) familiales qui ont réussi tant bien que mal à profiter de la décollectivisation et

les exploitations dites de « population » majoritaires.

La grande exploitation est spécialisée en grande culture. Elle loue les pailles des petits

propriétaires villageois pour cumuler une superficie cultivable de 1 000 à 5 000 ha. On

distingue trois sous-catégories à ce premier type. L’entreprise agricole de polyculture élevage,

l’entreprise agricole spécialisée en grande culture financée par des capitaux extérieurs à

l’agriculture et enfin l’ « agroholding » qui cumule plus de 50 000 ha, financée par des

capitaux extérieurs voire étrangers.

Les exploitations individuelles familiales, peu nombreuses, utilisent le matériel

récupéré des anciennes structures collectives.

Les micro-exploitations dite exploitations de population, de moins d’1 ha, sont très

nombreuses, de quatre à cinq millions en Ukraine. Cette structure agricole assure les trois

quart de la production animale nationale. Les industries agro-alimentaires dépendent de ces

micro-exploitations pour assurer leur approvisionnement en matière première agricole,

particulièrement en produits carnés, laitiers et maraichers.

exploitations collectives

(sovkhoze ou kolkhoze)

décollectivisation

grande exploitation de 5 000 ha

dont les agroholdings > 10 000 ha

exploitation individuelles familiales de 500 ha

lopins exploitations dites de « population » < 1 ha

Figure 11. Une agriculture à trois vitesses, dix ans après la décollectivisation

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Figure 12. Concentration foncière par location, mise en place d’un marché foncier

Source : Anne Gautier, 2008.

C’est donc le retrait des ex-exploitations collectives qui laisse la place à des

restructurations foncières avec d’immenses superficies agricoles disponibles (voir

Figure 12). Cependant, autant la terre avait encore peu de valeur il y a quelques

années, autant l’arrivée croissante d’investissements, a rendu le paiement de pas de porte

nécessaire à l’accès au foncier agricole. De même, la durée des baux a tendance à être réduite.

En effet, celle-ci est passée d’une moyenne de quinze à cinq ans en moyenne.

La troisième étape de la réforme foncière sera certainement l’abrogation du moratoire.

Cependant avant d’envisager de mettre fin au moratoire interdisant la vente des terres

agricoles, l’Ukraine doit mettre en place une véritable politique agricole de développement.

Pour conclure, de l’agriculture collectivisée aux sociétés d’investissements, l’évolution

des systèmes agraires a abouti à un environnement propice aux restructurations foncières, qui

attire les investissements dans l’acquisition de terres agricoles à des fins productives.

En plus de cet environnement propice aux restructurations foncières, l’Ukraine a

d’autres atouts tels que son fort potentiel agricole et une localisation stratégique.

B. L’UKRAINE : UN PAYS À FORT POTENTIEL AGRICOLE, À PROXIMITÉ DES

DEUX PRINCIPALES RÉGIONS DÉFICITAIRES EN BLÉ DANS LE MONDE

L’Ukraine, pays d’Europe orientale, dispose d’un fort potentiel agricole grâce à de

bonnes conditions pédoclimatiques. De plus, sa localisation géographique joue le rôle

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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d’articulation entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie à proximité des deux principales

régions déficitaires en blé dans le monde.

Les conditions pédoclimatiques ukrainiennes présentent un fort potentiel pour le

développement agricole du pays.

a) Un climat continental modéré et une ressource en eau favorables

à l’agriculture

Figure 13. Diagramme ombrothermique de Kiev (Ukraine)

Source : Euroweather. Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011.

Le climat continental ukrainien se caractérise par des précipitations maximales en été,

un été chaud avec une moyenne maximale de 20°C à Kiev mais un hiver froid avec une

moyenne minimale de -6°C à Kiev. Le climat continental ukrainien est dit modéré puisque les

températures hivernales sont négatives, qu’il y a des années sèches ou des années humides et

que les précipitations sont marquées par une irrégularité spatio-temporelle. Le climat

continental ukrainien modéré est donc un climat favorable aux pratiques agricoles bien

qu’accompagné de perturbations climatiques récurrentes telles que des gels tardifs ou des

sécheresses. Ces dernières sont cependant tout à fait surmontables car la ressource en eau est

abondante et aisément mobilisable. Le Dniepr, plus long fleuve du pays, recouvre 40 % du

territoire ukrainien par son bassin hydrographique. Les gels aléatoires et destructeurs, quant à

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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eux, limitent les choix de culture et de semence. L’Ukraine dispose d’autres qualités

naturelles : ses terres noires très fertiles.

b) Les tchernozioms, des terres noires très fertiles

Les terres noires, appelées tchernozioms33

en russe, sont un type de sol très

fertile et caractéristique des grandes

prairies des régions à climat

continental modéré. « Dans ces

régions, la chaleur et la sécheresse

de l’été provoquent un arrêt marqué

de la végétation, qui empêche le

développement des arbres, mais

chaleur et sécheresse favorisent

aussi l’évaporation et la remontée

capillaire de la solution du sol. En

s’opposant au lessivage des

éléments fins et au drainage des sels

minéraux solubles, ce mécanisme conduit à la formation des sols noirs » (Mazoyer et

al., 2002 [1997] : 299). « Leur richesse en matière organique humifiée sur une grande

épaisseur du profil leur confère de très forte réserves hydriques et favorise la minéralisation

et la mise en solution d’éléments nutritifs » (Hervé, 2010 : 62). 40 % des tchernozioms dans le

monde se concentrent en Ukraine, qui abrite la plus grande surface au monde des terres

considérées comme parmi les plus fertiles au monde. Ces terres noires recouvrent un tiers du

territoire ukrainien (voir Figure 14).

Sur ce type de sols, les besoins en produits phyto-sanitaires sont plus faibles que dans

le reste de l’Europe et le travail du sol est moins lourd, permettant notamment des semailles

avec une préparation du sol réduite (semi-direct ou technique cultural simplifiée).

Ce potentiel est pourtant loin d’être pleinement exploité, puisque le rendement moyen

actuel reste faible avec 3 t/ha. Les professionnels et les experts tels que Jean-Jacques Hervé34

,

33

Du russe « чернозём ». 34

Chargé des affaires agricoles pour Index Bank, la filière ukrainienne de Crédit Agricole SA. Il a été

ancien conseiller auprès du gouvernement ukrainien pour les questions agricoles, après avoir été conseiller

agricole à l’Ambassade de France en Russie.

Figure 14. Carte des principaux sols ukrainiens

Source : ITCF et atlas de l’Ukraine 1998 éditions Cartographia.

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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attribuent ces faibles résultats, à la vétusté des machines et à l’inadaptation des pratiques à

une production rationnalisée.

Cependant, cet eldorado agricole exige quelques précautions. En effet, les accidents

climatiques sont fréquents et rendent nécessaire voire indispensable l’usage en quantité de

machines agricoles performantes, capables d’assurer la récolte le plus rapidement possible sur

des surfaces très importantes. Les pertes peuvent être conséquentes, d’où la nécessité de

terminer la moisson le plus rapidement possible. On note ainsi qu’avec l’arrivée progressive

de technologies modernes, un accroissement des rendements et notamment des pertes de

récolte sont plus limités. C’est un processus inabouti qui laisse encore d’importante marge de

gain de productivité.

À chaque type de sol, correspond une région biogéographique (voir Figure 15) plus ou

moins propice à l’agriculture.

Figure 15. Régions biogéographiques de l’Ukraine

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

Deux de ces régions, le centre et le sud de l’Ukraine, sont sujettes à de nouvelles

acquisitions foncières agricoles. La première, recouverte de steppe et de forêt, recouvre 33 %

du territoire national. C’est la région la plus propice à l’intensification agricole, où les

rendements sont les meilleurs. Certains la qualifient même de « Beauce ukrainienne »

(Hervé, 2010). La seconde, recouverte de steppe, couvre 40 % du territoire national. Cette

région est caractérisée par un mode de production intensif spécialisé dans les grandes cultures.

Cependant, l’extrême sud de cette région est sec et ne permet que la viticulture et les

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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industries animales telles que le mouton. Un autre

atout de ces deux régions est leur relief

particulièrement plat.

En plus de ses atouts naturels, l’Ukraine se

trouve au cœur de l’Europe, du Moyen-Orient et

de l’Asie, à proximité des deux principales régions

déficitaires en blé dans le monde, l’Afrique du

Nord et le Proche-Orient.

c) La « Zernovoï Belt » à proximité des deux principales régions

déficitaires en blé dans le monde, l’Afrique du nord et le Proche-

Orient

La Zernovoï Belt (Hervé, 2010), par analogie avec la Corn Belt américaine, regroupe

les trois grands pays agricoles de l’ex-URSS ouvert sur la Mer Noire, l’Ukraine, la Russie et

le Kazakhstan. Selon Jean-Jacques Hervé (2010), envisager une production de 250 millions de

tonnes dans cette région est un objectif réaliste. Cependant, les mauvaises conditions de

stockage entrainent souvent des pertes ou des déclassements des céréales.

L’Ukraine est traversée par trois fleuves, le Dniepr, le Dniestr et le Danube qui se

jettent dans la Mer Noire et drainent le transport fluviomaritime des céréales jusqu’aux ports

de la Mer Noire. « Sur le plan agricole, la mer Noire est le point de convergence des voies

fluviales et ferroviaires par lesquelles transitent les céréales et les autres grandes productions

végétales associées, depuis l’Asie centrale, la Sibérie occidentale et toute l’Europe orientale.

Elle est aussi la zone de convergence de la demande céréalière du pourtour méditerranéen et

du Moyen-Orient. À cet égard, la mer Caspienne peut être rattachée à la mer Noire car elle

contribue aussi à relier directement l’Iran et ses ports vers le Moyen-Orient, au Kazakhstan

et à la Russie. Les ports en eaux profondes sont en Ukraine. Le premier est celui d’Odessa,

considérablement agrandi au cours de la dernière décennie avec des silos modernes de

groupes occidentaux. » (Hervé, 2008 : 259).

Terres arables

Les terres arables sont des terres cultivées.

Elles comprennent les grandes cultures, les

cultures maraichères, les prairies artificielles

et les terrains en jachère.

Les terres arables ukrainiennes représentent

plus de 50 % du territoire. La disponibilité de

ces terres ramenée au nombre d’habitants est

une des plus élevées d’Europe puisqu’un

ukrainien dispose de 0,68 ha de terres arables

tandis qu’un européen en dispose seulement

de 0,25 ha.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Ces réseaux de communication donnent à l’Ukraine un avantage stratégique. C’est

aussi une des raisons pour lesquelles les institutions internationales portent un intérêt croissant

pour la zone des « blés de la Mer Noire ». Ainsi, Jean-Jacques Hervé cite Jean Lemierre,

président de la BERD35

« qui concluait sa dernière réunion des gouverneurs à Kiev en mai

2008, "Il est évident que l’Ukraine et une partie de la Russie peuvent contribuer de façon

décisive à l’augmentation de la production alimentaire mondiale, sans avoir à entreprendre

de grands travaux de mise en valeur, sans déforestation et en respectant les normes

environnementales qui font désormais intégralement partie des cahiers des charges des

entreprises et des organismes financiers". » (Hervé, 2010 : 64).

Au XIXème

siècle, l’empire Russe était le premier exportateur mondial de blé, devant

les États-Unis. Puis, l’agriculture collectivisée avec ses dérives, a fait passer l’URSS au

premier rang mondial d’importateur de blé dans les années 1980. Comme nous l’avons vu

dans l’histoire agraire de l’Ukraine, depuis les années 2000 des « agroholdings » gérées par

des oligarques ukrainiens ou des sociétés d’investissements étrangères, ont remis en

production les ex-kolkhozes. La production et les exportations céréalières ont ainsi été

relancées. Les trois pays de la Zernovoï Belt exportent désormais davantage de blé que les

États-Unis, jusque-là premier exportateur mondial (Charvet, 2010). De plus, la zone des « blé

de la Mer Noire » a pour avantage d’être à proximité avec la principale région déficitaire en

blé du monde : l’Afrique du Nord et le Proche-Orient.

« Au-delà de leur divergences politiques, les États de la zone Mer Noire ont

pleinement pris conscience des potentialités et des enjeux » (Hervé, 2010 : 65). La région

Ukraine-Russie-Kazakhstan devient un acteur majeur du marché céréalier mondial. La

Zernovoï Belt pourrait répondre aux besoins en céréales du marché mondial, à condition de

s’organiser. Ainsi, l’évolution des accords agricoles entre ces trois pays pourraient s’orienter

vers une politique des marchés agricoles de la zone Mer Noire (Ibid.). D’ailleurs, en 2009, le

gouvernement russe a introduit l’idée d’un OPEP36

des céréales de la Mer Noire (Visser &

Spoor, 2011).

Pour conclure, l’Ukraine avec une balance commerciale agricole positive, accueille

des IDE. Ce pays cible a été identifié pour ses atouts historiques, sociaux, politiques et

naturels. De plus, suite à la décollectivisation et au redressement progressif de son économie,

35

Banque Européenne de Reconstruction et de Développement 36

Organisation des pays exportateurs de pétrole. L’OPEP coordonne les politiques pétrolières de ses dix

États-membres.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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ses propres structures de production évoluent rapidement. L’Ukraine est donc un terrain

propice aux nouvelles agricultures dont on essaie de mieux comprendre les formes. Mais,

encore faut-il démontrer qu’un nouveau modèle émerge effectivement dans ce pays cible.

Pour ce faire, une méthodologie a été mise en place.

3. MÉTHODOLOGIE

Comment j’en suis venue à m’intéresser à l’agriculture en Ukraine ?

En troisième année de licence, je participe au cours « Géographie économique et

politique des systèmes agro-alimentaires » d’Eve-Anne Bühler, devenue ma directrice de

recherche. À cette occasion, je rends un travail sur la production de la fraise dans le monde.

Eve-Anne Bühler m’interpelle alors sur une sous-partie que j’ai intitulée « Les fraises

d’Espagne délocalisées au Maroc ». Elle me propose de l’approfondir et me fait part du

programme de recherche Agrifirme qui a pour but de caractériser le modèle agricole émergent

qualifié d’« agriculture de firme ».

En parallèle, je réfléchis au sujet de mon mémoire de Master 1. Je pensais plutôt

travailler sur l’accès à la ressource en eau. Mais, comprendre le système alimentaire du

XXIème

siècle m’intéresse aussi, particulièrement depuis la médiatisation de la crise

alimentaire de 2008-2009. L’eau et l’alimentation sont deux éléments essentiels au bien-être

de l’homme. Ces deux thématiques passionnantes se rejoignent sur la question plus générale

de « l’accès aux ressources » et relèvent des droits de l’homme. Or, bien des inégalités

perdurent à ce sujet. De plus, un grand titre du Courrier International « Touche pas à mes

terres : le Sud face à la razzia des pays riches »37

, m’interpelle. J’ai toujours voulu en savoir

plus au sujet de l’accaparement des terres parfois qualifié de « néocolonialisme ». Qu’en est-il

vraiment ? Choisir cette thématique pour mon mémoire est donc l’occasion d’approfondir mes

connaissances sur un sujet qui me passionne. D’autre part, le monde économique et financier

qui gère nos sociétés est encore une énigme pour moi. J’ai envie d’en comprendre le

fonctionnement. Travailler sur la financiarisation de l’agriculture est donc l’occasion

d’assouvir ma curiosité du monde financier.

Mais, c’est surtout ma participation au séminaire franco-ukrainien PARCECO intitulé

« Les coopératives agricoles ukrainiennes, entre réticence et espoir », organisé par

37

Courrier International, n°991, du 29 octobre au 4 novembre 2009

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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AgroSupDijon et l’Académie des Sciences d’Ukraine à Kiev, qui a confirmé le choix de ma

thématique de recherche. En effet, ces deux jours de séminaire suivis d’une journée de terrain

aux alentours de Kiev m’ont permis de constituer un réseau de contacts franco-ukrainiens,

chercheurs et professionnels du monde agricole, sur lequel m’appuyer pour organiser mon

terrain.

Mon choix est donc fait : ma recherche portera sur l’agriculture en Ukraine.

Cependant, la réalisation de ce travail ne peut se faire qu’à condition de résoudre le problème

linguistique. Je ne parle ni russe ni ukrainien, et peu d’Ukrainiens parlent anglais dans les

campagnes. Heureusement, mon réseau de contact ukrainien m’a permis de joindre Oléna

Ternavskaya, étudiante ukrainienne francophone, qui a accepté d’être mon interprète pendant

mon séjour en Ukraine. Le problème linguistique résolu, je peux enfin préciser mon sujet, et

construire ma méthodologie, en commençant par la problématique.

A. PROBLÉMATIQUE

Au moment où la Banque mondiale propose des règles de bonnes conduites à suivre

pour les implantations agricoles offshores, j’ai envie de voir par moi-même quel est l’impact

de cette nouvelle forme d’agriculture dans les pays cibles. Le mythe du « gagnant-gagnant »

de cette nouvelle agriculture prôné par les institutions internationales est-il un mythe ou une

réalité ?

Pour analyser l’impact sur les territoires locaux de ce modèle agricole émergent, j’ai

privilégié comme indicateur, la relation au territoire des nouveaux acteurs. Quelle relation ont

ces nouveaux acteurs avec leur territoire d’implantation, lui-même nouveau pour certains

d’entre eux ? Ainsi, pour comprendre l’impact sur les territoires locaux de ce nouveau modèle

agricole émergent, je souhaite identifier les gagnants et les perdants de ces nouveaux

investissements dans l’agriculture. J’ai décidé de m’intéresser à un pays cible peu médiatique

et rarement étudié : l’Ukraine. D’autant qu’il est pertinent d’analyser l’impact de cette

nouvelle agriculture sur le territoire ukrainien avant à la fin du moratoire interdisant la vente

des terres. En effet, son abrogation changera certainement la relation au territoire des

nouveaux acteurs dans la production agricole puisqu’ils deviendront propriétaires.

Ainsi, j’ai élaboré la problématique suivante :

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Les nouvelles formes d’agriculture en Ukraine :

la relation au territoire des différents acteurs d’une entreprise de production agricole

tendant vers une « agriculture de firme ».

Pour répondre à la question des nouvelles formes d’agriculture en Ukraine, il faut déjà

connaître les formes préexistantes, et les comparer avec celles qui pourraient être nouvelles.

Ainsi, la différence pourrait être la présence de nouveaux acteurs. Il s’agit alors, de savoir si

ces acteurs sont nouveaux en Ukraine ou bien nouveau dans le secteur de la production

agricole, c'est-à-dire en reconversion d’activité. En effet, les investisseurs peuvent être

étrangers mais aussi nationaux, tels que les oligarques ukrainiens faisant fortune dans ce

nouveau secteur d’investissement qu’est devenu l’agriculture.

Pour répondre à la question de la relation au territoire, il faut d’abord se demander ce

qu’apporte ce nouveau territoire d’implantation aux investisseurs et où se trouve le siège

social de l’entreprise (les montages juridiques peuvent être complexes). Premièrement, le

territoire ukrainien se décline en quatre échelles administratives38

: nationale, régionale

(oblast), départementale (raion) et communale (conseil de village). Le potentiel agronomique

et la disponibilité des terres ne sont pas les mêmes sur l’ensemble du territoire national alors

que le coût de la main d’œuvre, lui, est homogène. Donc, quels critères territoriaux l’acteur a-

t-il choisi pour s’implanter ? Deuxièmement, l’entreprise échantillonnée n’est souvent qu’une

filiale d’une holding siégeant à Kiev voire à l’étranger. La relation au territoire peut changer

en fonction de la taille de l’entreprise, de son appartenance à une holding en Ukraine ou à

l’étranger. Les jeux relationnels avec l’administration peuvent aussi changer en fonction de la

taille de l’entreprise.

Enfin, il y a plusieurs acteurs dans une entreprise agricole. On peut décliner les acteurs

de l’entreprise à partir de l’organisation du pouvoir. J’ai été contrainte de m’intéresser

principalement aux acteurs ayant un pouvoir décisionnaire pour trois raisons. Premièrement,

parce qu’ils sont les mieux informés des choix de l’entreprise. Deuxièmement, parce que dans

le cas des entreprises étrangères, il est plus facile de communiquer avec un interlocuteur

français. Troisièmement, parce qu’en Ukraine l’approche des entreprises se fait par la

38

Le découpage administratif en Ukraine se fait ainsi : « conseil de village », « raion », « oblast ». Le

« Conseil de village » est la traduction littérale de « cільська рада » (silska rada) en ukrainien, l’équivalent de ce

que nous appellerions « commune » en français. Le « raion » est la traduction phonétique de « район » en

ukrainien qui peut se traduire par « district », « département », « espace », « secteur », « région ». Enfin,

« oblast » est la traduction phonétique de « област », en ukrainien qui peut se traduire par « région ».

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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« grande porte ». Il est alors difficile de communiquer avec un ouvrier agricole en présence de

son supérieur.

Pour des raisons linguistiques et de relatives facilitées d’approche, j’ai choisi de faire

ma recherche à partir du cas des acteurs Français, agriculteurs ou groupe financier, qui

investissent dans l’activité de production agricole en Ukraine. Ce type d’acteurs, pratiquant la

multilocalisation internationale voire la délocalisation, correspondrait aux caractéristiques de

l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine. Suite à un reportage de l’émission

Global Mag sur la chaine de télévision Arte, j’apprends qu’une entreprise française cotée en

bourse développe une activité de production agricole en Ukraine. Le journaliste explique que

les petits propriétaires qui louent leur paille ignorent que leur locataire est une filiale d’une

holding française. Cette information m’amène à me demander avec quels acteurs locaux ces

nouveaux acteurs investisseurs ont-ils des relations ? Dans un même temps, un reportage de

l’émission Zone Interdite de la chaine M6 raconte l’aventure agricole d’un jeune agriculteur

français installé en Ukraine. L’opinion publique s’interroge sur le fait de voir des agriculteurs

Français en Ukraine. L’agriculture française est connue pour son appartenance au modèle

familial. Qui sont ces agriculteurs qui « osent » rompre avec le lien à la terre, avec leur

patrimoine familial ? Pourquoi quittent-ils la France ? D’ailleurs, la quittent-t-ils vraiment ?

Comment ont-ils fait ? En effet, il y a de nombreux obstacles à l’implantation en Ukraine.

D’ailleurs, pas seulement pour les agriculteurs. La barrière linguistique en est le premier.

Mais, la culture aussi. Parmi les nouveaux acteurs qui m’intéressent, il y a donc des Français –

on le verra plus tard, investisseurs plus ou moins agriculteurs. Certes, leur présence en

Ukraine est marginale mais on parle d’un modèle émergent alors il ne peut pas être

représentatif quantitativement. Mais, comment démontrer qu’il s’agit-là non pas

d’expériences isolées mais d’une nouvelle dynamique annonçant l’arrivée d’un nouveau

modèle agricole ? Pour cela, j’ai définit trois hypothèses.

B. HYPOTHÈSES

Ma recherche porte sur la démonstration de l’émergence d’un nouveau modèle

agricole en Ukraine. Je suis donc à la recherche d’une nouvelle forme de production agricole

en Ukraine. Pour ce faire, je dois identifier les formes d’organisations agricoles détachées du

modèle familial, comme le propose la théorie Lamarche-Hervieu-Purseigle et identifier les

acteurs à l’origine de ces nouvelles formes. Il faudrait réussir à définir les entreprises de

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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production agricole avec des critères spatiaux. En effet, l’objectif plus général au programme

de recherche Agrifirme est d’aboutir à une typologie des entreprises de production agricole.

Cette typologie existe déjà en économie (rendement, rentabilité, etc). En tant qu’étudiante en

géographie, je participe donc à la construction d’une typologie, cette fois-ci, géographique

(impact sur le territoire) des entreprises de production agricole à partir de mon échantillon

d’entreprises de production agricole implantées en Ukraine.

La construction de mes hypothèses, c’est faite à partir de la réflexion suivante.

Premièrement, le qualificatif « émergent » d’un modèle entend que ce modèle n’est

pas pleinement existant et naît de la mutation d’un modèle préexistant. Ainsi, dans le cas du

modèle émergent appelé « agriculture de firme », le modèle familial serait son modèle

préexistant. Pour qu’il y ait émergence d’un nouveau modèle agricole, il faut que celui-ci soit

en rupture avec le modèle familial. La première hypothèse est donc l’émergence d’un

nouveau modèle agricole en Ukraine qui n’aurait plus de lien avec l’agriculture familiale.

Deuxièmement, Hervieu et Purseigle définisse l’ « agriculture de firme » comme un

modèle « hautement capitalistique et installée sur les marchés des matières premières »

(Hervieu, Purseigle, 2009 : 189). De plus, l’implantation agricole offshore est en rupture avec

l’ancrage territoriale fort de l’agriculture familial. Le patrimoine familial foncier n’aurait donc

plus sa place dans ce nouveau modèle émergent. La multilocalisation des entreprises devient

un avantage. Enfin, le point fait sur les acteurs à l’origine du phénomène de Land Grab, nous

indique que cette nouvelle forme d’agriculture est nouvelle d’abord par l’intervention du

secteur financier. Ce modèle serait donc celui d’une agriculture financiarisée. La seconde

hypothèse est donc que le modèle agricole qui émergerait en Ukraine est basé sur la flexibilité

et la financiarisation.

Troisièmement, comme le dénonce certaines ONG, le phénomène de Land Grab censé

avoir un effet « gagnant-gagnant » pour le pays cible et l’investisseur, aurait pour

conséquence l’expropriation des populations locales, des pollutions environnementales par

exemple par l’épuisement de la ressource en eau, la non création d’emploi par l’importation

de main d’œuvre originaire du pays de l’investisseur, etc. Cette nouvelle forme d’agriculture

ne bénéficierait pas à la majorité de la population du pays cible voire serait le lieu d’injustice.

La troisième hypothèse est donc que ce modèle agricole émergent en Ukraine a un impact

négatif sur les territoires locaux en Ukraine.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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C’est donc à partir de la théorie Lamarche-Hervieu-Purseigle et de la description des

acteurs à l’origine du phénomène de Land Grab que j’ai pu élaborer mes trois hypothèses de

départ :

Hypothèse 1. On constate l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine qui

n’a plus de lien avec l’agriculture familiale.

Hypothèse 2. Ce nouveau modèle agricole est basé sur la flexibilité et la

financiarisation.

Hypothèse 3. Ce nouveau modèle a un impact territorial négatif.

Ensuite, j’ai eu besoin de construire un protocole de recherche pour organiser la

recherche de données nécessaires pour répondre à mes hypothèses.

C. ÉLABORATION DU PROTOCOLE DE RECHERCHE POUR ORGANISER LA

RECHERCHE DES DONNÉES

a) Méthode utilisée pour construire mon protocole de recherche39

La vérification de mes trois hypothèses implique d’identifier les données nécessaires à

leur confirmation ou infirmation. Pour ce faire, j’ai décliné ma problématique en trois

thématiques, avec pour angle d’analyse, l’entreprise de production agricole. J’ai alors

construit mon protocole de recherche à partir des thématiques suivantes :

- l’organisation de l’entreprise

- la flexibilité de l’entreprise

- l’intégration de l’entreprise

Ensuite, j’ai subdivisée chaque thématique en sous-thématiques : thématique

« organisation de l’entreprise » : l’entreprise et ses acteurs, l’entreprises et sa stratégie,

l’entreprise et sa trajectoire ; thématique « flexibilité de l’entreprise » : le droit foncier, le

rapport à l’espace ; thématique « intégration de l’entreprise » : propriétaire foncier, réseaux

locaux, développement d’infrastructures, emploi, formes de production agricole.

Enfin, j’ai subdivisé chaque sous-thématique en questions empiriques à chercher sur le

terrain pour apporter des réponses à mes thématiques afin de vérifier mes hypothèses et

39

Disponible en annexe.

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répondre à ma problématique. Chaque thématique est donc subdivisée en catégories de

renseignement à obtenir. Ces catégories correspondent aux données que je recherche pour

répondre à mes trois hypothèses.

b) Comment accéder aux données que je recherche ?

Quelles ressources solliciter pour obtenir ces renseignements ? À chaque catégorie de

renseignement à obtenir correspond un acteur à rencontrer ou un support à trouver.

La bibliographie francophone sur l’agriculture ukrainienne au XXIème

siècle est très

peu fournie. J’ai donc fait des recherches bibliographiques par thématiques générales

distinctes les unes des autres et indépendamment de l’Ukraine, parce que très peu d’auteurs

traitent de l’agriculture en Ukraine. J’ai élargi ma recherche bibliographique à l’agriculture

des pays de l’Est (qui ne comprend pas l’Ukraine) et à l’agriculture russe. En effet, la Russie

et l’Ukraine partage la même histoire agraire et l’évolution actuelle de leur agriculture est

assez proche.

Mais, j’ai choisis de valider mes hypothèses par la caractérisation des entreprises que

je rencontrerai et plus précisément par leur trajectoire d’entreprise. Pour déterminer ces

trajectoires, l’accès le plus direct aux informations est l’obtention de documents internes.

Ceux-ci sont généralement mis en ligne sous forme de communiqué de presse,

particulièrement pour les entreprises cotées en bourse. Cependant, trouver ces communiqués

n’est pas toujours facile, particulièrement pour les « agroholdings » ukrainiennes. L’accès aux

documents internes doit donc se faire à la suite d’entretien, ce qui nécessite d’aller sur le

terrain.

D’autre part, la webographie est difficilement accessible, la majorité des entreprises de

production agricole rencontrées n’ont soit pas de site linguistiquement accessible (en anglais

ou en français), soit tout simplement n’ont pas de site internet. L’accès aux données

recherchées aurait pu être plus fructueux par l’utilisation de ressources ukrainophones ou

russophones, mais la barrière linguistique m’en a empêché.

Enfin, les documents institutionnels peuvent permettre l’accès au nom d’entreprise

étrangère par exemple via les ambassades ou via l’administration locale (en théorie). Les

mémoires des étudiants d’AgroParisTech m’ont aussi été utiles. Mais, ce sont les entretiens

qui ont représenté la plus grande source de données.

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D. MOYENS MIS EN PLACE POUR ACCÉDER AUX DONNÉES

De ce protocole de recherche s’est dégagé un guide d’entretien dense composé de

vingt-cinq questions. Ce guide a été long à construire parce qu’il m’a amené à faire des choix,

à poser certaines questions et pas d’autres, à réfléchir à leur ordre.

a) Méthode des entretiens : construction du guide

Au départ, j’avais l’intention de construire un guide par type d’acteur. Mais, je n’ai

finalement construit qu’un seul guide d’entretien destiné aux agriculteurs français qui

investissent en Ukraine. En effet, c’est d’abord avec eux que je suis entrée en contact.

J’ai construit mon guide en trois parties : dix-sept questions sur l’entreprise, six

questions sur l’intégration territoriale de l’entreprise et de l’agriculteur, et deux questions sur

les perspectives d’avenir de l’entreprise. Novice dans le milieu agricole, j’ignorai tout du

fonctionnement de la société ukrainienne. Des entretiens préliminaires téléphoniques

préliminaires m’ont alors permis de mieux comprendre les réalités locales d’implantation des

entreprises agricoles en Ukraine. Ainsi, j’ai pu améliorer mon guide d’entretien par la prise en

considération de certains facteurs essentiels à l’intégration territoriale tel que la corruption de

l’administration. Ces entretiens préliminaires m’ont permis de revoir mon guide d’entretien en

prenant en compte par exemple, la place des pots de vins dans la relation de l’investisseur

avec l’administration locale, que j’avais ignoré de mon guide jusqu’ici.

b) Méthode des entretiens : méthode pour entrer en contact avec les

acteurs

Qui peut m’aider à savoir où se trouvent les entreprises que je cherche à identifier et

les acteurs concernés ? Je dois entrer en contact avec deux types d’entreprises : des entreprises

d’investissement étranger mais aussi des entreprises nationales.

Dans le cas du premier type d’entreprise, j’ai ciblé les entreprises agricoles françaises.

Pour entrer en contact avec elles, je me suis d’abord appuyée sur les annonces de vente

d’exploitation agricole en Ukraine déposées dans le journal La France agricole et sur le site

Internet agriaffaires40

. De plus, je me suis déplacée au siège du journal La France agricole

pour avoir des renseignements sur le profil de ces agriculteurs, sans succès. En parallèle, j’ai

40

http://www.agriaffaires.com/occasion/vente-ferme/1628541/exploitation-en-ukraine.html consulté le

05.01.2011

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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contacté les quelques journalistes français, auteurs d’articles voire de reportages télévisuels

ayant eu pour sujet les agriculteurs français qui investissent en Ukraine. À ma grande surprise,

la majorité d’entre eux m’ont répondu. Par ailleurs, j’ai assisté à la soutenance de mémoire de

Master 2 de deux étudiantes d’AgroParisTech. Cette présence m’a permis d’entrer en contact

avec leur directeur de recherche Hubert Cochet, spécialiste des questions agraires, et de

rencontrer d’autres étudiants qui avaient eux aussi fait du terrain en Ukraine pour faire un

diagnostic agraire dans le cadre de leur master 2. De même, j’ai participé à plusieurs

séminaires, « Veut-on nourrir le monde ? L’agriculture au cœur de la géopolitique mondiale.

Quelles réponses politiques multilatérales pour la sécurité alimentaire ? » organisé par

Science Po Paris, « Les terres agricoles au cœur des enjeux mondiaux » organisé par la SAF-

agriculteurs de France, « Agricultures d’entreprises dans les Amériques : formes, impacts et

enjeux » organisé par des laboratoires de recherche de l’université de Toulouse, « Rencontre

franco-ukrainienne sur l’agriculture » organisé par le Salon International du Machinisme

Agricole, et enfin, les trois derniers séminaires dirigés par Marie-Claude Maurel à l’EHESS,

« Héritages agraires et nouvelles ruralités ». Ces séminaires ont été l’occasion de rencontrer

des chercheurs travaillant sur l’émergence du nouveau modèle agricole que serait

l’ « agriculture de firme », des représentants d’institutions françaises voire internationales,

mais aussi directement des professionnels du monde agricole dont les agriculteurs français qui

investissent en Ukraine.

Pour me faire accepter par les agriculteurs, j’ai dû insister sur mon statut d’étudiante

(et non de journaliste). De plus, j’ai dû proposer de garder les entretiens confidentiels et de ne

pas diffuser d’information entre les agriculteurs rencontrés.

C’est ainsi que j’ai pu entrer en contact avec les acteurs français. Quant aux acteurs

ukrainiens, un séjour en Ukraine a été nécessaire. Mais, je ne savais toujours pas où trouver ce

second groupe d’acteur.

c) Où aller en Ukraine ?

Pour choisir mon ou mes terrains de recherche en Ukraine, j’ai décidé d’aller sur les

exploitations agricoles des acteurs français avec qui j’étais en contact. C’est donc à partir de

la localisation des entreprises agricoles à capitaux français en Ukraine, que le choix des zones

d’étude s’est fait. Les zones étudiées recouvrent différentes régions ukrainiennes, politiques et

climatiques : sud-est, centre ouest, nord-est (voir Figure 16).

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Figure 16. Zones étudiées au cours de mon travail de terrain en Ukraine

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

L’ordre de passage dans les zones étudiées a nécessité une grande organisation. En

effet, la majorité des acteurs français rencontrés ne vivent pas en Ukraine, mais y passent

ponctuellement de cinq à dix jours. Pour rencontrer ces acteurs dispatchés dans toutes

l’Ukraine, je devais être sur l’exploitation au bon moment sans que ma présence à cet endroit

m’empêche d’être ailleurs avec un autre agriculteur. De plus, nos déplacements dépendaient

de la disponibilité des bus.

Parmi les quatorze entreprises agricoles françaises recensées en Ukraine, six non pas

pu faire l’objet de rencontre pour diverses raisons : l’une a refusé à ma visite, trois n’ont pas

été joignables, une autre a été vendu et j’ai manqué de temps pour aller sur l’exploitation de la

dernière.

En Ukraine, j’ai rapidement voulu élargir mon champ d’acteurs à celui des entreprises

agricoles installées en Ukraine et pas seulement aux entreprises agricoles à capitaux français.

D’ailleurs ce champ d’acteurs étrangers et nationaux était le champ prévu au départ. En effet,

j’avais renoncé à faire un guide d’entretien pour les entreprises à capitaux ukrainiens parce

que de France, je n’étais en contact avec aucune d’entre elles. Mais sur place, premièrement,

je me suis rendu compte que les entreprises agricoles à capitaux français ne sont pas les

entreprises agricoles les plus financiarisées d’Ukraine. Et deuxièmement, j’ai pu entrer en

contact avec d’autres entreprises que celles à capitaux français.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Comment suis-je entrer en contact avec les entreprises agricoles ukrainiennes ?

Chaque semaine passée sur une exploitation commençait par la rencontre de l’agriculteur

français. À ma demande, celui-ci me mettait en contact avec le maire du conseil de village

voire l’administration du raion, qui elle-même me mettait en contact avec des entreprises

agricoles. Dans certains oblast, il valait mieux passer par le maire, dans d’autres par

l’administration supérieure. Mais, ça pouvait aussi bien être l’agriculteur lui-même qui me

mettait en contact avec son réseau de fournisseurs pour me permettre de rencontrer ses

concurrents. Ce travail de recherche de contact a été long et très prenant. Il en résulte un

carnet d’adresse d’une centaine de contacts franco-ukrainiens, dont beaucoup ne sont que des

intermédiaires.

Mon travail de terrain a ainsi duré quarante-sept jours. J’étais accompagnée d’Oléna

Ternavskaya, étudiante ukrainienne francophone. Nous avons recueillis trente-neuf entretiens

dans cinq régions différentes d’Ukraine au sujet de douze entreprises agricoles ukrainiennes

ou étrangères dont sept à capitaux français. Nous avons pu enregistrer sept entretiens dont un

en ukrainien. Les conditions d’entretiens ne se prêtaient pas à l’enregistrement,

particulièrement dans le cas des entretiens avec l’administration ukrainienne, très méfiante.

Nous avons rencontrés d’autres difficultés. Par exemple, les acteurs administratifs,

habitués à la corruption, ou à une forme ou une autre de rétribution, ont entravé l’accès aux

données statistiques de l’oblast, du raion, des conseils de villages, mais aussi aux cadastres et

aux listes d’entreprises agricoles installées dans la région. Malgré tout, nous avons obtenu

quelques données que j’ai malheureusement eu l’occasion d’infirmer sur le terrain. D’autre

part, même si la rencontre d’entreprises agricoles ukrainiennes a été possible, les entretiens

sont souvent de moins bonne qualité que les entretiens auprès des acteurs français. Plusieurs

raisons à cela : premièrement, la difficulté à travailler avec un interprète, en plus dont ça n’est

pas la formation. Plus il y a d’intermédiaire dans la traduction de la question et de la réponse,

moins l’entretien est claire et précis. Deuxièmement, les Ukrainiens, particulièrement

l’administration, restent évasif dans leur réponse. En effet, mes questions surprennent et

rendent les interviewés méfiants. L’obtention de documents internes m’a été quasi

systématiquement refusée. Troisièmement, les réponses peuvent être techniques et dépasser

nos connaissances. De même, les informations obtenues dans les entretiens avec

l’administration ne sont pas toujours vérifiées sur le terrain, notamment les données

numériques. Le système politique local n’étant pas soutenu par une administration de

fonctionnaires indépendants des logiques partisanes, les alternances politiques locales mettent

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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à mal la stabilité de mon réseau d’information ; de même que mes contacts villageois du fait

de leur âge avancé. Enfin, à Kiev, nous avons tenté d’accéder au siège social de l’entreprise

Petro, une des grandes entreprises agricoles ukrainiennes, sans succès. Les locaux de la

société sont difficilement accessibles et le site internet officiel hors service. Pourtant, cette

entreprise serait cotée en bourse. La recherche d’information a été longue, et les obstacles

rencontrés l’ont parfois rendue décourageante.

Heureusement, le terrain ukrainien a aussi des avantages. D’abord, la réalisation

d’entretien sans rendez-vous est encore faisable aussi bien au sein du privé que de

l’administration. Les gens s’adaptent très bien à notre présence imprévue. La période de

terrain de fin mars à début mai en Ukraine est idéale pour rencontrer les agriculteurs qui ne

peuvent pas travailler au champ du fait de conditions climatiques fraiches et pluvieuses. C’est

seulement moi drôle pour le confort de deux étudiantes en vadrouille. De plus, les agriculteurs

proposent naturellement de faire visiter leur exploitation, ça leur permet ainsi de jeter un coup

d’œil sur l’état des champs en cours de séchage avant l’ensemencement. Cependant, pour les

prochaines fois, il faudra penser à insister pour faire l’entretien avant la visite. En effet, c’est

plus pratique pour l’enregistrement et la compréhension de l’entretien.

Pour conclure, la mutation des modèles agricoles dans le contexte de globalisation

amène à l’émergence d’un nouveau modèle qui serait l’ « agriculture de firme ». Cette

nouvelle forme d’organisation de l’agriculture émergerait en Ukraine, nous l’avons vu, terrain

propice à de nouvelles formes d’investissements agricoles. Mais, concrètement quels sont les

acteurs à l’origine de ces investissements ? Ces acteurs ont-ils les mêmes objectifs ? Ce

phénomène en Ukraine présente-t-il les caractéristiques de l’ « agriculture de firme » ?

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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PARTIE 2. TYPES D’ACTEURS ET TRAJECTOIRES D’ENTREPRISES

Ces dernières années, l’Ukraine a connu un afflux importants d’investissements

étrangers dans le secteur agricole notamment sous la forme d’acquisitions foncières dont la

production céréalière est destinée à l’exportation. Comme nous l’avons vu dans la partie 1.2,

l’Ukraine est un pays cible des IDE qui a été identifié pour ses terres fertiles, son abondance

en eau et son potentiel de productivité agricole.

Cela se traduit sur le terrain par l’arrivée récente, depuis 2005, d’investisseurs

développant des projets d’installation d’exploitation agricole. Ces projets sont des reprises

d’anciennes exploitations collectives et sont menés par des acteurs différents tant du point de

vue de leur parcours que de leurs objectifs. C’est la raison pour laquelle nous proposons dans

cette deuxième partie, une typologie de trois types de trajectoire d’entreprise. Ces trajectoires

se différencient par le profil de leurs initiateurs, par la dimension du projet, par la stratégie de

développement de l’entreprise, et par l’objectif visé. Certains investissements sont une vitrine

de ce phénomène qui cache en réalité beaucoup d’autres initiatives moins importantes.

Parmi les investisseurs étrangers en Ukraine, on trouve ainsi : le fond d’investissement

Morgan Stanley qui a racheté 40 000 ha de terres agricoles en Ukraine (Grain, 2008). Mais

aussi, Renaissance Capital, société d’investissement russe, qui a acquis des droits de propriété

en Ukraine (Grain, 2008). Landkom aussi, un groupe d’investissement britannique, a loué

100 000 ha de terres agricoles en Ukraine et s’engage à porter ce chiffre à 350 000 ha d’ici

2011 (Grain, 2008). Trigon Agri, société danoise, a plus de 70 000 ha répartis en Ukraine,

Russie et Estonie (Grain, 2008). La Libye, État investisseur en Ukraine aurait obtenu 100 000

ha suite à un accord annoncé en mai 2009 (Visser et Spoor, 2011) voire 250 000 ha d’après

l’ONG Grain en échange d’approvisionnement en gaz (Grain, 2008). De même, les sociétés à

fond d’investissement étranger citées ci-dessous investiraient en Ukraine (Visser et Spoor,

2011) : Agrisar de fonds anglais, néerlandais et suisse ; Alpcot Agro de fond suédois ; GAIA

World Agri Fund de fond suisse ; Kyiv-Atlantic Ukraine de fonds américains, danois et

ukrainiens ; Land West Company de nationalité ukrainienne avec des actionnaires européens,

américains et ukrainiens ; Maharishi Organic Farm de fonds japonais et australiens ; MTB

Agricole de fonds ukrainiens et australiens ; Oringin Enterprises de fonds anglais et irlandais

(voir Annexe 3 pour la liste détaillée).

Parmi les investisseurs étrangers dans la production agricole, on constate aussi la

présence d’investisseurs français comme AgroGeneration qui a investi vingt-deux millions

d’euros en 2007 pour louer des terres en Ukraine. En 2010, la société a annoncé une

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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augmentation de capital et sa cotation sur Alternext de NYSE-Euronext, marché bousier

destiné aux PME41

, pour accélérer ses acquisition de terres en Ukraine. De même, le 29 juin

2011, AgroGeneration annonçait, sur son site internet et via la publicité dans les journaux

économiques tels que La Tribune42

, le lancement d’une nouvelle augmentation de capital de

dix millions d’euros, cette fois-ci pour investir dans les infrastructures de stockage en Ukraine

mais surtout pour lancer le développement de la société en Argentine. La société se décrit

comme « un acteur industriel pragmatique et agile qui propose des réponses concrètes au

défi alimentaire mondial »43

. De même, des groupes agro-alimentaires français sont présents

tels que Malteurop, filiale de Champagne Céréales et Soufflet pour la production d’orge de

brasserie. À côté de ces sociétés de production agricole, des sociétés de conseil accompagnent

également ce mouvement, à l’exemple d’Agritel44

, société française de conseil crée en 2000,

spécialisée dans la gestion du risque de prix dans les filières agricoles et agro-alimentaires. La

société propose des formations aux professionnels du secteur agricole en Ukraine, notamment

sur la réglementation à l’acquisition de terres. Dans le même but, depuis 2010, Agritel

International propose des voyages d’étude en Ukraine. On trouve ainsi des opérateurs à tous

les niveaux : de la production agricole au secteur agroalimentaire en passant par tous les

prestataires de service et d’agence de conseil ou d’influence.

Le tableau ci-après fait le point sur les conditions requises pour s’installer en Ukraine.

Sa lecture permettra de mieux comprendre le contexte général d’implantation des entreprises

agricoles rencontrées et les enjeux qui s’ensuivent.

Figure 17. Défrichage d’une parcelle de l’entreprise Rousseau en 2006. Réalisation : Rousseau

41

Petites et Moyenne Entreprises. 42

La Tribune, jeudi 30 juin 2011 43

www.agrogeneration.com 44

www.agritel.com

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Conditions requises pour s’installer en Ukraine

Pour connaître les premières démarches administratives quand « t’as pas la langue, t’arrives là, tu ne

sais pas quoi faire » (Martin), l’investisseur a besoin d’un prête-nom local qui puisse faire profiter de son

expérience ukrainienne.

Étape 1. Prospecter pour trouver un endroit favorable.

Après plusieurs visites en Ukraine, l’investisseur a pu rencontrer des étrangers déjà installés et

apprendre de leurs erreurs. « Le monde agricole des étrangers en Ukraine est petit » (Martin), pour rencontrer

les agriculteurs expatriés, il suffit de se présenter aux salons agricoles. De plus, par l’analyse des conditions

pédoclimatiques régionales, l’investisseur peut cibler une région. Il lui reste alors à trouver une entreprise

ukrainienne en faillite à racheter. Or, cette information est devenue de plus en plus stratégique. Une fois la

région ciblée, l’investisseur rencontre l’administration, crée un réseau sur place et propose une « récompense »

en échange de noms d’entreprises prêtent à vendre.

Étape 2. Trouver des financements.

Dans le cas de la première trajectoire : une fois l’entreprise en faillite trouvée, le jeune investisseur doit

convaincre ses parents de la pertinence de son projet et négocier une aide financière de leur part.

Dans le cas des deuxième et troisième trajectoires : une fois l’entreprise en faillite trouvée,

l’investisseur monte un business plan et fait appel pour part à sa capacité d’investissement mais surtout aux

financements bancaires auxquels il a accès.

Pour que le projet soit viable, il faut 1 000 000 € d’investissement pour 1 000 ha.

Pour s’installer en Ukraine, il faut donc de l’argent à investir et un réseau de contact ukrainophone

mais aussi de relations pour monter le projet.

Étape 3. Procéder à l’achat.

Pour acheter le capital social de l’entreprise en faillite, l’investisseur doit acheter un pas de porte.

Cependant, le rachat du capital social ne donne pas accès aux terres, propriétés des villageois. La nouvelle

entreprise doit donc obtenir la confiance des propriétaires et mettre en règle les contrats de location souvent

caduques jusqu’ici.

Le loyer payé par les entreprises de l’échantillon est de 40 € par hectare par an. La durée moyenne du

bail est de cinq ans.

Étape 4. Défricher.

À l’arrivée des investisseurs, il y a cinq ans, les terres étaient souvent en état de friche. Or, une

exploitation ne peut pas devenir rentable sur un champ envahit de chiendent (voir Figure 17). Le défrichement

des terres pour obtenir des terres aptes à la production agricole dans de bonnes conditions de rentabilité, ce

qu’on appelle une remise en culture de terres, exige un travail important. L’exploitation doit donc disposer d’un

cash flot suffisant pour faire face à un an et demi d’absence de recette significative.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Dans cette deuxième partie, il s’agit de construire une typologie des entreprises

rencontrées à partir de leur trajectoire. Mais, présentons d’abord la méthode utilisée pour

construire les trajectoires d’entreprise. Même si les acteurs ont le même caractère final, ils

n’ont pas la même trajectoire. Cette différenciation s’est faite à partir d’indicateurs,

principalement qualitatifs : organisation du pouvoir, présence d’associé ; maintien ou

substitution de l’activité agricole en France ; âge des investisseurs ; objectifs de l’entreprise,

choix d’innovation technologique ; stratégie spatiale, superficie, flexibilité, mobilités ;

stratégie financière ; montage juridique, lieu du siège social, nombre de filiales et

d’établissements ; lieux d’investissements, infrastructure, agrandissement ; montage financier,

origine des capitaux.

Le matériel utilisé pour répondre à ces indicateurs est composé d’entretiens

téléphoniques, d’entretiens en face à face et d’observation in situ réalisés au cours du premier

semestre 2011 auprès d’un échantillon de douze entreprises et d’autres acteurs tels que

l’administration ukrainienne, Ubifrance, la filiale ukrainienne du Crédit Agricole et Agritel.

L’échantillon étudié se divise en deux parties : les entreprises dont les investisseurs

sont français (il s’agit des entreprises Martin, Rimbaud, Rousseau, Mercier, Dupont, Leroy

dont ses deux établissements Leroy 1 et Leroy 2)45

et les entreprises dont les investisseurs

sont ukrainiens et/ou étrangers non français (Sacha, Mirko, Ivan, Petro, Groen, Luda).

Le premier groupe, d’investisseurs français, présente des motivations variables au

projet d’implantation en Ukraine. Cependant, tous les directeurs d’entreprises

d’investissements français ont exprimé, de manière plus ou moins affirmée, leur aspiration à

ce qu’ils appellent « un modèle libéral » qu’ils entendent avant tout comme un monde à

l’économie capitaliste et accordant aux individus une grande liberté, notamment celle

d’entreprendre. Ainsi, la politique européenne d’aide et de régulation à l’agriculture est vécue

par tous comme une contrainte dont ils entendent se libérer : s’implanter en Ukraine, c’est

accepter la dérégulation du marché international dans un environnement plus concurrentiel,

s’est se blottir dans le creux de la main invisible mais convenante du marché.

Les motivations à ce projet sont à la fois idéologiques et économiques. C’est l’envie

d’entreprendre qui est mise en avant ; bâtir, dans un eldorado : le pays mythique du grenier à

blé, y apporter le progrès. S’est aussi s’inscrire en rupture avec l’agriculture subventionnée et

les normes qu’elle impose, devenir un acteur libre : être indépendant des aides et avoir une

45

Pour des questions de confidentialité, le nom des entreprises évoquées a été changé.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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activité économiquement viable. De plus, la production céréalière est un marché de plus en

plus attractif en raison de la demande alimentaire croissante et de la non extensibilité des

bassins de production, contexte d’opportunité de marché décrit dans la partie 1.1. Certains ont

ainsi expliqué être à l’affut de ce qui se passe à l’étranger (Martin), lorsque d’autres ont mis

en avant la volonté de répondre à la demande alimentaire croissante (Dupont). Ils adossent

donc leur quête d’indépendance et de recherche de profit – motifs très individualistes – à des

vues plus altruistes ou instruites sur l’état de la planète et le rôle qu’ils pourraient y jouer.

Les motivations évoquées ci-dessus sont donc en rupture avec le modèle de

l’agriculture familiale et pourtant la famille est très présente, avec peut-être un nouveau rôle.

Ainsi, tous les entretiens se concluent par l’évocation d’une aventure d’abord familiale où

l’accord de l’épouse ou des parents a été décisif. Dans le cas d’une entreprise sociétaire,

systématiquement au moins deux des associés ont un lien de parenté. L’inscription dans une

filiation est encore plus évidente lorsqu’on constate que tous les directeurs d’entreprise et la

majorité des associés ont une activité agricole héritée de leurs parents en France excepté

l’entreprise Leroy. Cette dernière résulte d’un choix, à partir d’une logique de réflexion

financière, d’intégration verticale par une remonté de l’activité de traders sur le marché des

matières premières à celle de producteur. Cette origine familiale montre bien le lien à

l’agriculture familiale par la transmission culturelle et familiale du métier.

Le choix de l’implantation en Ukraine est l’aboutissement, souvent, d’une recherche

approfondie dans plusieurs pays tels que la Roumanie, la Pologne ou la Russie. L’Ukraine, à

quatre heures de Paris en avion, a l’avantage de permettre et même de promouvoir le fermage.

Les entreprises ont donc choisit l’Ukraine comme pays d’implantation pour son mode de

faire-valoir46

, permettant de lier faible coût d’accès au foncier et flexibilité. En effet, la

location limite le coût d’investissement, le mode d’entrée du marché permet ainsi d’accéder à

un foncier abondant plus rapidement et avec un capital immobilisé plus limité. Cependant, il

faut nuancer l’avantage de ce mode de faire-valoir confortable pour l’entreprise seulement sur

le court terme. En effet, très rapidement au bout de quelques années, la majorité des

entreprises cherchent à sécuriser leur foncier afin de garantir leurs nécessaires investissements

en machines-outils et en infrastructures d’exploitation (silos, etc.).

46

Le mode de faire-valoir correspond au mode de gestion du capital foncier de l'exploitation. On

distingue le mode de faire valoir direct où l'exploitant est le propriétaire foncier, du mode de faire-valoir indirect

où l'exploitant n'est pas le propriétaire. Le mode de faire-valoir indirect est qualifié de métayage lorsque le

métayer partage ses récoltes avec le bailleur alors qu'il est qualifié de fermage lorsque l'exploitant agricole

conserve son indépendance et gère son exploitation comme il l’entend, que les produits lui reviennent et qu'il en

assure les risques.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Parmi le deuxième groupe, d’investisseurs ukrainiens, deux entreprises ukrainiennes,

Sacha et Mirko, sont à la marge puisqu’elles ont un fonctionnement encore très proches du

modèle familial et disposent de moins de 1 000 ha, contrairement au reste de l’échantillon. Il

s’agit de reprises réussies d’une exploitation kolkhozienne par le directeur pour la première et

par l’ingénieur pour la seconde. Cependant, leur cas est intéressant car elles représentent le

deuxième type de structure agricole rencontré en Ukraine décrit dans la partie 1.2. De plus, si

leur existence persiste dans l’environnement concurrentiel des « agroholdings » c’est bien que

ces deux entreprises présentent des capacités d’adaptation qu’on comparera avec les

adaptations liées à l’implantation d’entreprises françaises.

Une troisième entreprise ukrainienne, Luda, propose un profil qui se veut résolument

tourné vers l’innovation, c'est-à-dire vers les pratiques agricoles occidentales. Cette

orientation atypique dans le monde des entreprises agricoles ukrainiennes nous a cependant

semblé intéressant dans ce travail comparatif, à une échelle d’exploitation, plus importante,

avec leurs homologues français.

Enfin, il reste, parmi les grandes sociétés présentes sur le territoire ukrainien, les

entreprises Groen, Ivan et Petro. Si Groen et Ivan sont des sociétés enregistrées en Ukraine

mais à capitaux étrangers à l’image de l’entreprise française Leroy, la société Petro présente la

particularité d’un capital essentiellement ukrainien.

Les entreprises ukrainiennes au contraire des entreprises françaises, ne vivent pas le

passage d’une agriculture familiale à l’agriculture de firme mais celui d’un modèle

collectiviste à la propriété privée. Car, elles sont elles aussi soumises à des dynamiques

introduites par la financiarisation de l’agriculture et se trouvent contraintes de s’y adapter.

Toutes les entreprises sont spécialisées dans la production extensive47

en céréaliculture

et oléoprotéagineux alors qu’en Ukraine le mode de production adopté était plutôt de la

polyculture-élevage même dans les exploitations collectives type sovkhoze et kolkhoze.

Certaines des entreprises ukrainiennes rencontrées présentent ainsi une part variable de leur

exploitation tournée vers une production de polyculture-élevage. Elles ont, par ailleurs, une

parenté plus ou moins marquée avec les structures d’exploitations collectives qui les ont

précédées.

47

L’agriculture extensive est un système de production agricole que l’on retrouve dans les régions à

grandes superficies agricoles qui n’ont pas les moyens ou qui prennent le partie de ne pas mobiliser autant

d’intrants et d’aménagement qu’en agriculture intensive. Le rendement à l’hectare est donc généralement plus

faible, mais compensé par des conditions naturelles meilleures, par une superficie plus importante ou par un

produit revendiquant un impact écologique réduit. Cependant, l’immense majorité des exploitations sont

extensives non pas par choix mais par manque de capacité de financement.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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À partir de l’analyse des entretiens, trois trajectoires d’entreprises se dégagent comme

marquant les étapes entre le modèle d’agriculture familiale moderne et l’agriculture

financiarisée en totale rupture avec le modèle familial. J’y ai intégré les entreprises

ukrainiennes bien qu’elles marquent plutôt une origine collectiviste que familiale parce qu’en

dehors de cette origine, elles présentent des caractéristiques identiques aux différents

indicateurs choisi dans la méthodologie pour définir les trois trajectoires. Notamment, en

termes de dimension économique, d’intensification et de commercialisation de la production.

Ces trois derniers indicateurs nous permettrons de comparer les différences d’insertion

économique que les entreprises ukrainiennes partagent ou non avec les entreprises françaises.

1. 1ÈRE

TRAJECTOIRE D’ENTREPRISE : CAS DES ENTREPRISES ROUSSEAU,

MERCIER, SACHA ET MIRKO

Trajectoire 1

entreprise Rousseau Mercier Mirko Sacha

année de création 2006 2010 1997 2001

nombre associés 0 2 0 0

nombre hectares 2011 1 500 1 500 450 706

nombre propriétaires 600 400 n.r n.r

durée du bail 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans

zone d'étude B B B B

Remarque : « n.r » signifie non renseigné

Les quatre entreprises Rousseau, Mercier, Sacha et Mirko sont situées dans le même

conseil de village48

. Chacune d’entre elles est installée sur une des anciennes unités de

production du kolkhoze. Les entreprises Rousseau et Mercier sont d’origine française tandis

que les entreprises Sacha et Mirko sont d’origine ukrainienne. L’analyse de la première

trajectoire est ici séparée en deux groupes par l’origine des capitaux de l’entreprise. Dans le

cas français, il s’agit de faire ressortir la tension continuité/changement avec le modèle

familial français. Alors que dans le cas ukrainien, il s’agit plutôt de montrer la tension

continuité/changement avec le modèle agricole de l’époque soviétique.

48

Un conseil de village, est un ensemble de trois à cinq villages regroupés sous l’autorité d’une seule

mairie. Le nombre de village dans un conseil de village correspond souvent au nombre d’unité de production

d’un kolkhoze. Le conseil de village était le kolkhoze et chaque village correspondait à une unité de production.

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A. ENTREPRISES ROUSSEAU ET MERCIER, D’ORIGINE FRANÇAISE

Les entreprises Rousseau et Mercier sont arrivées en Ukraine respectivement en 2006

et 2010. Toutes deux louent 1 500 ha. Seule l’entreprise Mercier a plusieurs associés, ils sont

au nombre de deux, tous deux agriculteurs. L’associé principal a 80 % des parts tandis que le

second en a 20 %, arrivé quelques mois après la création de l’entreprise. Si l’entreprise

Mercier a cherché un associé c’est parce qu’au départ, le directeur avait encore son activité en

France et ne pouvait donc pas gérer seul ses 600 ha en France et 1 500 ha en Ukraine.

L’entreprise Mercier s’est établie dans le sillage et avec l’aide de l’entreprise Rousseau. En

effet, l’associé principal de l’entreprise Mercier s’est porté acquéreur de l’exploitation

Rousseau dont le propriétaire voulait s’agrandir et cherchait à cette fin une nouvelle

exploitation plus grande ou comparable mais extensible. Finalement, le projet du propriétaire

de l’exploitation Rousseau ne s’est pas réalisé mais le contact a abouti par un soutien

logistique à la création de l’entreprise Mercier.

Les directeurs de ces deux entreprises sont ceux qui ont exprimé le plus fortement leur

« ras-le-bol » de la France, de la PAC49

, de ne pas pouvoir s’agrandir. Tous trois fils

d’agriculteurs, ils n’avaient aucune autre perspective professionnelle que celle de reprendre

l’exploitation agricole familiale déjà agrandie à son maximum par leur père respectif. Ces

trois agriculteurs, les plus jeunes de l’échantillon, sont âgés de moins de trente ans. Pour deux

d’entre eux, c’est leur première expérience de création d’une exploitation agricole. Ils sont

aux commandes de toutes les tâches quotidiennes et des décisions stratégiques de leur

exploitation. Au cours des entretiens l’un d’entre eux affirme ainsi « Je suis agriculteur avant

tout » (Rousseau). Ils font le travail manuel eux-mêmes parce qu’ils aiment ça, parce qu’ils

aiment être sur leur tracteur et voir leur champ.

Ces trois agriculteurs s’inscrivent dans une démarche de changement malgré une

continuité avec le modèle familial.

a) Un changement d’espace social, l’aspiration à une vie nouvelle

L’exploitation agricole en France est, pour les trois associés, celle de leur parent ou est

un regroupement de leur propre exploitation avec celle de leur parent dans le cas de l’associé

principal de l’entreprise Mercier. L’exploitation en France semble avoir toutes les

49

Sigle de la Politique Agricole Commune

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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caractéristiques d’une exploitation familiale classique. En effet, comme ça l’est décrit dans la

partie 1.1, la famille est bien l’unique centre de décision et de ressources, dont la finalité est

sa propre reproduction. La rupture avec le modèle familial se fait donc au passage d’une

génération à l’autre.

Changement du lieu de vie

Dans cette trajectoire, il s’agit d’abord d’un changement d’espace pour une nouvelle

vie. Ces agriculteurs sont les seuls de l’échantillon à avoir quitté la France de façon définitive

puisqu’ils ont migré en Ukraine, où ils ont établi leur domicile principal. Jusqu’ici, suite à leur

formation agricole, d’un niveau Bac+3, ils n’avaient été exploitants agricoles que sur ou avec

l’exploitation de leur parent. Mais, refusant de reprendre l’exploitation agricole familiale sans

perspective d’évolution, ils ont fait le choix de vivre à temps complet en Ukraine, en dehors

des deux mois hivernaux, sans activités : décembre et janvier.

D’autre part, ces trois directeurs d’entreprise expriment plus que les autres leur

aspiration à une autre image du métier d’agriculteur. En s’installant en Ukraine, ils fuient ce

qu’ils voient comme une dépréciation sociale, « l’image de l’agriculteur bouseux » (Mercier).

Changement du mode de vie

Ce changement de lieu de vie entraine un changement de mode de vie. Premièrement,

les agriculteurs vivent en ville à une quarantaine de kilomètres de leur exploitation alors qu’en

France, ils vivaient sur l’exploitation même. Deuxièmement, la distance avec la France rend

les visites amicales et familiales beaucoup moins fréquentes. Troisièmement, la barrière

linguistique rend les rencontres difficiles. Les us et coutumes de la société ukrainienne sont

différents, les agriculteurs doivent s’y adapter.

Délocalisation ou déménagement de l’activité agricole

La création des entreprises s’est faite par transfert du capital de l’exploitation de leurs

parents. Il s’agit donc d’une véritable délocalisation économique. Le flux de capital est

substitutif, au sens où il révèle le transfert d’une activité et/ou de son revenu familial en

France vers la création de l’activité en Ukraine. Ces trois agriculteurs ont ainsi liquidé ou

liquident progressivement les exploitations de leurs parents. Ils n’ont plus d’activité en

France. Cependant, il faut noter que le second associé de l’entreprise Mercier a encore des

droits sur l’exploitation française même s’il ne participe plus aux tâches quotidiennes de

l’exploitation. D’ailleurs, s’il détient seulement 20 % des parts de l’entreprise c’est parce que

contrairement aux deux autres, il n’a pas vendu l’exploitation familiale.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Ces agriculteurs ont substitué l’activité de l’exploitation agricole familiale française

par une nouvelle activité en Ukraine. Ils ont fait le choix de délocaliser l’activité de

l’exploitation familiale par un transfert des trois principaux facteurs de production qui sont la

terre, le capital et le travail50

. Précisons que ces agriculteurs ne qualifieront pas eux-mêmes ce

choix de délocalisation. Pour eux, il s’agit d’un choix de vie qui a été négocié avec les parents

ou la fratrie afin de financer ce changement qui s’apparente, dans leur esprit, bien plus à un

déménagement.

Le choix de quitter la terre familiale pour s’implanter à l’étranger est un phénomène

nouveau. Il y a eu historiquement des migrations rurales d’agriculteurs en France, comme

celles depuis la Bretagne vers le Sud-Ouest étudiées par l’historien Paul André Rosental. Une

migration porte en soi un processus d’évolution, et en l’occurrence, les migrations agricoles

étudiées ici ne sont pas seulement intra-nationales mais internationales. Ce qui change, c’est

donc l’échelle à laquelle se fait la migration. Mais, ce changement plus radical de lieu ne se

fait pas sans changement des pratiques d’exploitation agricole.

b) Un changement des pratiques agricoles…

Cette migration/délocalisation a donc constitué une rupture sociale pour ces

agriculteurs. Toutes les campagnes ne se ressemblent pas et leur existence en Ukraine

demande d’inévitables adaptations. Le contexte ukrainien est porteur de changement quant à

l’exploitation elle-même, car la législation, les acteurs économiques et le marché ne sont pas

les mêmes qu’en France. On observe donc un changement des pratiques agricoles du au

contexte de développement de ces entreprises agricoles.

La production en Ukraine est à une échelle différente

On constate une rupture de la pratique agricole, avec celle des générations

précédentes, en termes d’échelle et de commercialisation. En effet, les productions des parents

s’appuyaient sur une exploitation de 200 à 600 hectares et étaient destinées à la vente à une

coopérative. Alors que, les trois jeunes agriculteurs installés en Ukraine, premièrement

travaillent sur une exploitation de 1 500 hectares soit 2,5 à 7,5 fois plus grande que celle de

leur parent ; et deuxièmement, le statut de coopérative n’existant pas en Ukraine, la

commercialisation de la production se fait par des réseaux différents parfois plus directs.

50

Maurel in Charvet, 2009[2008]

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Les modalités possibles de commercialisation de la production agricole en Ukraine

Le statut de coopérative n’existant pas en Ukraine, la commercialisation de la production se fait par des réseaux

différents parfois plus directs.

Les agriculteurs traitent généralement avec les sociétés occidentales. Parmi les sociétés françaises Soufflet

Négoce et Louis Dreyfus Négoce sont très présentes. Parmi les autres Cargill, Toepfer, Glencore et Nidera sont

très présentes aussi. Certains traitent aussi avec des opérateurs privés locaux à condition d’avoir un contact

fiable.

Dans le cas des entreprises échantillonnées

- pour les cultures d’exportation, les entreprises n’exportent pas elles-mêmes la production. Elles

s’adressent à un trader qui a des droits à l’exportation et qui achète directement la production aux

agriculteurs.

- pour les cultures transformées en Ukraine, l’agriculteur travaille avec un intermédiaire qui a ses entrées

dans les usines de transformation locale particulièrement dans le secteur du blé et de l’huile de

tournesol.

- pour l’orge de brasserie, les entreprises travaillent avec les filiales de la coopérative française

Champagne Céréales.

Dans cette commercialisation moins encadrée, la « petite » taille relative de ce premier

type d’entreprise est aussi un signe de fragilité : elles n’ont « que » 1 500 ha dans un pays où

les exploitations peuvent être encore beaucoup plus grande. Elles sont alors plus vulnérables

aux acteurs de l’aval, elles ont moins de pouvoir de négociation. L’Ukraine apporte aussi ce

changement d’échelle : ces agriculteurs veulent jouer dans la cours des grands mais n’en sont

pas, dans le contexte ukrainien. La taille de leur exploitation est due à un contexte national,

dans un pays où les exploitations se constituent toutes par un système de baux, le capital

d’investissement à l’hectare est réduit pour tous les acteurs. Ils dimensionnent donc leur

exploitation à la hausse, leur « petite » exploitation est plus grande qu’elle ne l’était en

France, mais les grandes exploitations qui les concurrencent bénéficient elles-aussi du même

contexte. On verra par la suite que malgré la taille de l’exploitation, la production, la

commercialisation et l’accès aux crédits sont aussi en continuité avec le modèle familial

acquis dans l’enfance.

Une flexibilité nouvelle des unités de production : émancipation au territoire ?

La migration internationale France-Ukraine, s’accompagne d’une mobilité intra-

nationale dans le pays étranger. Par exemple, depuis un an, l’entreprise Rousseau souhaite

changer d’exploitation. En effet, elle n’a plus de possibilité pour s’agrandir à cause de la

présence de l’ « agroholding » ukrainienne Ivan présentée dans la troisième trajectoire. La

volonté de l’entreprise Rousseau de changer son lieu d’exploitation, pour trouver un terrain

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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plus grand, montre une possible mobilité - cette fois intra-nationale - de l’activité agricole tout

à fait nouvelle. L’entreprise trouve en Ukraine, où le moratoire empêche une répartition figée

des exploitations, le lieu idéal de son développement. En France, le lieu d’exploitation est

aussi le lieu de vie, marqué par un héritage patrimonial fort. La propriété, les dettes et

l’immobilité des investissements personnels, familiaux aussi bien qu’économiques rendent

souvent inenvisageable cette logique de flexibilité intra-nationale. Ces acteurs montrent là une

émancipation vis-à-vis de l’attachement à un territoire qui caractérise l’agriculture familiale.

Ces agriculteurs ont fait leur « deuil du lien à la terre » (Rimbaud). Nous sommes donc en

présence d’une rupture avec la nature patrimoniale de l’exploitation de leurs aïeuls. Rupture à

nuancer toutefois car si la mobilité est possible, celle-ci est loin d’être répandue. Ainsi, le

directeur de l’entreprise Rousseau envisage de changer d’exploitation mais craint tout à la fois

d’y perdre la relation qu’il a construite à sa localité. Seule l’entreprise Rimbaud, de la

deuxième trajectoire, a entamé des démarches concrètes de prospection. Il y a donc un

attachement au territoire même s’il n’est plus tenu par des contraintes matérielles et

financières.

Commercialisation de la production : financiarisation ?

Les entreprises françaises de cette trajectoire tentent d’abord de traiter avec des

sociétés françaises pour la commercialisation de leur production. Ainsi, l’entreprise Rousseau,

les premières années, a travaillé en contrat de production pour de l’orge de brasserie avec le

groupe français Soufflet. Cependant, la jeune entreprise n’a pas souhaité réitérer cette

expérience. En effet, son directeur explique que la société Soufflet, bien que française et

implantée en Ukraine, travaille selon les modalités locales et n’a pas été un partenaire fiable

tant dans l’évaluation de la qualité des grains produits que dans les quantités vendues. Du fait

de l’absence d’encadrement juridique – et donc du manque de confiance entre partenaires

commerciaux – peu d’agriculteurs ukrainiens travaillent en contrat de production. Suite à cette

mauvaise expérience, l’entreprise Rousseau a perdu confiance, même auprès des partenaires

français et s’est donc orientée vers un système de vente direct auprès de traders.

Alors que cette réalité se serait imposée comme telle pour les parents de ces trois

agriculteurs, leur nouvelle exploitation atteint 1 500 hectares. Ce seuil de production, leur

permet de s’adresser directement au marché international sans toutefois avoir une activité

proprement financière, via la vente directe à un trader. Cette production sert à l’économie

financière puisque le trader spécule avec. Cependant, l’agriculteur n’assume pas cet usage

spéculatif de sa production, il vend simplement sa récolte directement à un trader plutôt

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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qu’aux partenaires commerciaux habituels en France (coopérative, contrat de production…).

Cette forme de financiarisation de la production agricole est donc indirecte.

Les acteurs français de cette première trajectoire aspirent donc à une rupture avec leur

exploitation familiale et leur pays d’origine. Cependant, même s’ils y aspirent, ces trois jeunes

agriculteurs ne sont pas en rupture totale avec leur héritage familial, culturel et économique.

c) …mais une inscription dans la continuité du modèle familial

L’origine des capitaux

L’origine des capitaux de ces deux entreprises est entièrement familiale. Dans le cas

du directeur de l’entreprise Rousseau, le transfert de capital s’est fait sous forme d’une avance

sur héritage par donation de matériel et de capital, négocié avec les parents. Le projet ne

pouvait donc pas se réaliser sans l’approbation des parents. Dans le cas de l’entreprise

Mercier, le principal associé disposant de 80 % des parts était en regroupement agricole avec

son père. Son entreprise familiale française n’est plus en activité et était en cours de cessation

en avril 2011. Quant au second associé de l’entreprise Mercier, disposant de 20 % des parts,

celui-ci travaillait avec son frère sur l’exploitation familiale. Pour investir dans l’entreprise

Mercier, il lui a cédé ses parts de l’exploitation. Mais en parallèle, ils ont créé une société

pour rester associés.

Ce choix de mode d’investissement – l’origine familiale des capitaux – a été contraint.

Les entreprises Rousseau et Mercier ont bien fait une demande de prêt bancaire en France et

en Ukraine mais sans résultat. La principale raison donnée a été la jeunesse de l’entreprise et

sa trop petite taille. L’augmentation du capital par le marché nécessite une concentration

foncière plus importante. En l’absence d’une propriété hypothécable, dans un environnement

d’affaire imprévisible, ce type d’entreprise n’offre pas les garanties suffisantes d’accès au

crédit bancaire. Justement du fait de ces contraintes de financement, le lien à l’agriculture

familiale de cette première trajectoire d’entreprise est maintenu via l’origine des capitaux.

L’organisation du système de production

L’organisation de l’exploitation reste essentiellement familiale. Il y a bien des salariés

mais la gestion du personnel et le management, sont paternalistes et assurés par des personnes

qui incarnent pleinement la fonction. Le management est assuré en permanence par les

propriétaires de l’exploitation.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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D’autre part, le système de production adopté est en continuité avec un modèle acquis

dans l’enfance. Ainsi, les entreprises Rousseau et Mercier sont spécialisées dans la production

en céréaliculture et oléoprotéagineux comme celles de leurs parents.

Enfin, le matériel de l’exploitation est familial. En effet, les entreprises Rousseau et

Mercier importent en Ukraine le matériel de l’exploitation agricole familiale française. Il y a

donc un flux de matériel allant de l’exploitation familiale française vers l’exploitation

ukrainienne. Les trois jeunes agriculteurs appliquent les mêmes méthodes de travail que celles

apprises en France, avec les mêmes outils que ceux utilisés en France. Il y a donc une

continuité des méthodes de travail appliquées en Ukraine avec celles acquises dans le cadre

familial en France.

Pour conclure, du fait de la « petite » taille de leur entreprise, ces acteurs sont

contraints à demeurer dans le cadre familial ou social de l’entraide. Ils ne peuvent faire appel

totalement aux instruments de financement de la Société capitaliste et financiarisée. S’ils ont

encore des caractéristiques familiales, c’est bien par impossibilité de faire appel aux banques,

que par choix. Cette migration leur permet donc certes de troquer leur identité d’agriculteur

pour celle de l’entreprise « libérée », notamment du cadre législatif de la PAC. Mais, cette

« émancipation » n’est possible qu’à partir des acquis de l’agriculture régulée européenne et

donc aussi dans la limite de ces acquis. C’est par ailleurs un changement assumé mais il

s’inscrit pleinement dans un système qui le permet : le contexte ukrainien.

En effet, toutes les exploitations en Ukraine sont ainsi le résultat d’une concentration

des baux, ce qui laisse la possibilité à de nombreuses reconfigurations et a des tailles

d’exploitations plus importantes pour un même capital d’investissement. Ainsi, cette liberté

nourrit également des incertitudes et des réserves.

L’envers de la médaille est l’insécurité inhérente quant aux investissements.

La propriété de baux rend plus difficile l’accès au crédit qui, par ailleurs, est de toute façon

moins développé en Ukraine. En effet, les baux peuvent être remis en cause par leurs

propriétaires, même si ceux-ci ont peu de droits. L’activité agricole en Ukraine est beaucoup

moins encadrée par le législateur mais aussi beaucoup moins protégée. Ainsi, pour sécuriser

leur accès au foncier, les entreprises Rousseau et Mercier prévoient d’acheter une partie des

terres dès la fin du moratoire, principalement parce qu’elles craignent la concurrence des

« agroholdings ».

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Mais le fait est là, cette première trajectoire d’entreprise entame déjà une rupture avec

le modèle familial. Un changement souhaité et revendiqué ; bien que les ressources et les

valeurs de l’agriculture familiale restent encore bien ancrées dans cette trajectoire.

B. ENTREPRISES SACHA ET MIRKO, D’ORIGINES UKRAINIENNES

Les entreprises Mirko et Sacha créées respectivement en 1997 et 2001 sont nées dans

la continuité des anciennes exploitations collectives au statut privé. Ces deux entreprises

louent comme les autres, les baux aux petits propriétaires villageois, anciens salariés de

l’exploitation collective. On peut questionner les différences de ces entreprises avec celles

décrites précédemment. Les entreprises Sacha et Mirko ne proviennent ni d’investissement

étranger ni d’une délocalisation française. Cependant, elles restent des exploitations

individuelles d’échelle comparable et se développent, comme les entreprises françaises, dans

un contexte ukrainien qui semble favoriser une évolution vers le modèle émergeant qualifié

d’« agriculture de firme ». Il apparait donc intéressant de poser un point de comparaison entre

ces entreprises. Elles n’ont certes pas la même rupture, rupture avec l’agriculture familiale en

France pour les unes, rupture avec l’agriculture collectivisée pour les autres. Mais, ces

entreprises évoluent et se développent dans un même contexte d’interactions national et local.

Cette proximité de contexte se double d’une proximité géographique qui rend intéressante la

recherche des mêmes effets d’évolution vers un modèle d’ « agriculture de firme ». Ces

entreprises françaises ont des caractéristiques qu’elles n’avaient pas en France. La présence,

ou l’absence, de ces caractéristiques chez les entreprises ukrainiennes nous permettra de

conclure, ou pas, qu’il s’agit bien d’une évolution due au contexte ukrainien.

a) L’aspiration du développement dans son ancrage local

Ici aussi, comme ça l’est décrit pour les entreprises françaises, la famille est bien

l’unique centre de décision et de ressources, dont la finalité est sa propre reproduction. Il

s’agit d’agriculteurs formés qui ont profité d’une loi d’allocation de 50 ha de terre agricole

réservés aux citoyens ukrainiens pouvant prouver d’une formation agronome. Ils sont donc

repartis de là pour construire des exploitations agricoles économiquement viables.

Nombreuses des exploitations ainsi reconstruites sur les ruines des sites d’anciens kolkhozes

n’ont pas tenues et constituent le corps gras des entreprises en faillites que les investisseurs

recherchent. L’évolution positive des entreprises Sasha et Mirko, les place donc parmi les

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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rares exploitations agricoles ukrainiennes qui réussissent. Il s’agit ici de comprendre les

adaptations qui leur ont permis d’arriver à cette réussite. À partir de leur propre histoire et de

leur parcours, on pose la question de savoir si leurs pratiques, agricoles et commerciales, et

leurs objectifs sont comparables à ceux des entreprises françaises Rousseau et Mercier,

évoquées plus haut.

Des directeurs et salariés, anciens employés du kolkhoze

Les directeurs âgés de 45 ans et 50 ans sont originaires du village où siège leur

entreprise. L’un d’entre eux a fait ses études d’agronomies à Kiev avant de commencer sa

carrière de directeur de kolkhoze. De même, le directeur de l’entreprise Mirko est l’ancien

ingénieur principal de l’ancien kolkhoze. L’origine des directeurs et des salariés s’inscrit ainsi

dans la continuité du kolkhoze. En effet, les salariés étaient eux-mêmes ouvriers du kolkhoze.

Ainsi, ils vivent tous dans le village en face de l’exploitation. Leur vie, leur famille et leur

travail sont au village qu’il s’agisse des salariés permanents ou saisonniers sauf la comptable

de l’entreprise Sacha qui vit en ville.

L’entreprise Mirko, pourtant de plus petite taille que l’entreprise Sacha, emploie huit

salariés permanents et cinq saisonniers pour les vergers tandis que l’autre entreprise emploie

quatre salariés permanents (le directeur, la comptable, deux gardiens) et quarante saisonniers.

Dans le cas de l’entreprise Sacha, les salariés n’auraient pas de lien de parenté avec le

directeur contrairement à deux des salariés de l’entreprise Mirko qui sont la femme et le fils

du directeur. Ces derniers, respectivement comptable et « bras droit », ont des rôles de

« cadres » dans l’entreprise.

Au temps du kolkhoze

Ainsi, ce sont des gens qui se connaissent depuis l’époque soviétique et qui se

retrouvent à travailler sur l’exploitation, elle-même vestige du kolkhoze.

En effet, ces deux entreprises font moins de 1 000 ha, respectivement 706 ha pour

Sacha et 450 ha pour Mirko. Les entreprises Sacha et Mirko sont déjà propriétaires, par acte

d’État, respectivement de 25 ha et 50 ha. À l’année de leur création, ces entreprises ne

disposaient que de ces terres en propriété. La location de baux leur a permi une concentration

foncière. Cependant, l’entreprise Sacha a mis du temps à retrouver la confiance des petits

propriétaires. En effet, à la fin de la période soviétique, les petits propriétaires ne percevaient

plus leur rente foncière du fait des difficultés économiques du kolkhoze représenté par le

même directeur de l’actuelle entreprise Sacha. Après six années de « bonne conduite »,

l’entreprise a obtenu la location de 215 ha, pour cinq années plus tard atteindre 681 ha en

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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location. L’entreprise Mirko quant à elle est passée de 50 ha en propriété en 1997 à 450 ha en

2011 dont les 50 ha en propriété, 330 ha en location et 70 ha de terre d’État.

Ainsi, bien sûr, ces exploitations ne sont pas une résurgence kolkhozienne dans un

pays libéralisé. Et, si elles n’ont finalement jamais vraiment quitté le kolkhoze, pour ainsi

dire, c’est le kolkhoze qui les a quittées. Le sens de notre propos est d’expliquer que ces

agriculteurs ukrainiens ne vivent pas l’expérience de changement, ou plus exactement de

migration, comme les exploitants agricoles français. En fait, il y a bien changement, mais ce

changement est essentiellement subit, c’est celui de l’environnement tant social, politique,

législatif qu’économique. Cette difficulté d’agrandissement de l’exploitation Sacha montre

que l’héritage soviétique ne disparait que progressivement. Mais, qu’il est à la fois un atout et

un défaut. L’héritage soviétique a donc à la fois marqué le sillage dans lequel l’exploitation

évolue, mais c’est aussi l’héritage duquel l’exploitation doit se démarquer.

Lieu d’investissement et projet d’avenir

Ainsi, le parc matériel de l’entreprise Sacha est le même que celui du kolkhoze mais

l’entreprise a acheté en 2010 une moissonneuse batteuse grâce à un crédit qu’elle a obtenu sur

cinq ans. Quant à l’entreprise Mirko, son parc matériel est principalement le fait d’achat

personnel dont deux des mêmes tracteurs que l’entreprise Rousseau et seulement 10 % a été

hérité du kolkhoze. Les marques rencontrées sur ces exploitations sont donc russes et

allemandes. Les outils agricoles de l’agriculture collectivisée ont permis de réduire le coût de

lancement de l’exploitation, même s’ils ne sont plus aujourd’hui suffisants, leur disponibilité

a été déterminante dans cette trajectoire. Ces choix matériels répondent à la fois à la volonté

de capitaliser et de développer l’exploitation tout en répondant aux contraintes financières qui

rendent l’usage, au moins en partie pertinent, d’outils agricoles du kolkhoze. Ces outils

assurent le levier nécessaire à l’édification d’une exploitation agricole de dimension suffisante

pour exister en tant qu’acteur économique. C’est-à-dire qu’une telle entreprise peut vendre sa

production à des magasins ou des distributeurs, trouver des partenaires ou des fournisseurs,

bénéficier de crédit d’État en tant qu’activité économique contrairement aux lopins de terre

dont l’exploitation ne peut pas être un emploi au sens économique.

D’ailleurs, l’entreprise Sacha a d’autres projets tels que l’élevage laitier et surtout la

production d’engrais naturels pour son propre usage. Ce projet permettrait à l’entreprise d’être

moins vulnérable face à l’augmentation du cours du pétrole et ainsi d’assurer une meilleure

rentabilité par une pratique alternative à l’agriculture intensive. D’après l’entreprise

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Rousseau, l’entreprise Sacha obtient ainsi de bon rendement proportionnellement à la faible

quantité d’intrants qu’elle utilise pour des raisons économiques.

b) Des pratiques agricoles en marge de la mondialisation

Une échelle de production familière

Même si la quasi-totalité des exploitations ukrainiennes sont des micro-exploitations,

survivance de l’époque soviétique, il faut rappeler que les dirigeants des entreprises Sacha et

Mirko participaient à la gestion du kolkhoze. Il s’agit de cas réussis de restructuration

politique du capital agricole kolkhozien. En effet, à la fin des années 90, l’objectif de la loi

d’allocation de parcelles de 50 ha aux citoyens présentant une formation d’agronomie était de

redémarrer une production agricole déclinante à partir des kolkhozes.

Dès lors, les échelles d’exploitations s’inscrivent en continuité avec celles des

kolkhozes. Mais, bien qu’elles soient de grande dimension du fait de cette première parenté,

les entreprises Sacha et Mirko s’inscrivent aussi dans le modèle familial modernisé décrit

dans la partie 1.1.

En cas de fin du moratoire, ces entreprises n’ont pas l’ambition d’acquérir la propriété

des pailles qu’elles louent. Elles pensent pouvoir garder ce fonctionnement avec un foncier

essentiellement de location. L’entreprise Mirko préfère investir dans la modernisation de son

matériel en grande partie vétuste alors que l’entreprise Sacha organise le rachat du matériel du

kolkhoze. En effet, une partie du matériel présent sur l’exploitation n’est pas la propriété de

l’entreprise mais celle des paillitevistes.

La taille de l’exploitation est donc, aux yeux de leur propriétaire, suffisante. La

propriété foncière n’est pas économiquement envisageable et le fonctionnement en location

leur convient. Pour des exploitants agricoles qui ne peuvent pas rivaliser avec le capital des

grosses sociétés d’investissements, le fermage limite l’investissement à l’entrée du marché et

donc limite le risque. Mais surtout, pour la majorité des exploitants agricoles de cette

trajectoire, ce mode de faire-valoir rend tout simplement possible le projet d’exploitation

agricole. Et, il permet à ces exploitants ukrainiens d’y organiser l’exploitation agricole

souhaitée, une activité dans le modèle traditionnel familial. L’idée d’y développer une activité

financière et de spéculer sur la valeur boursière de l’entreprise ou sur la valeur future du

foncier, leur est tout simplement étrangère.

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Commercialisation de la production

Les directeurs des entreprises Sacha et Mirko sont porteurs d’une logique plus proche

encore du modèle familial en ce qu’ils ont une production plus diversifiée. Les céréales

locales, telles que le sarrasin, sont vendues sur le marché national. Les betteraves sont-elles

aussi destinées au marché national. Les autres productions comme le seigle, la luzerne,

l’avoine et les pois sont destinées à l’alimentation de leur élevage destiné lui-aussi au marché

national. Pour le reste de la production, il s’agit de marchandises normalisées pour le marché

international, à savoir une production céréalière et d’oléoprotéagineux, de même que les

exploitations françaises. Le stockage des céréales et oléoprotéagineux se fait comme pour les

entreprises Rousseau et Mercier dans un grand silo d’État situé à 40 km du conseil de village.

Les entreprises Sacha et Mirko développent une « stratégie d’évitement » aux

contraintes extérieures de la libéralisation du marché :

- elles limitent au maximum leurs intrants pour ne pas dépendre de la fluctuation du

marché international,

- elles ont une logique de capitalisation raisonnée et partent souvent de ce qu’elles ont

déjà hérité du kolkhoze pour investir,

- elles établissent des contrats de production et développent des activités plus variées,

- elles ne s’inscrivent pas dans l’engouement des investisseurs étrangers en projetant

d’investir dans le foncier ou dans une entreprise tournée vers la spéculation boursière

inscrite dans un marché international.

Ces deux entreprises développent donc un profil finalement assez classique de

production familiale prise cependant entre sa « parenté kolkhozienne » et une adaptation à la

libéralisation économique de l’Ukraine. Ces entreprises se libèrent progressivement de leur

héritage. Seulement, la question est maintenant de savoir si leur évolution tendra à confirmer

leur appartenance au modèle familial ou orientera finalement leur production vers le nouveau

modèle que serait l’ « agriculture de firme ».

c) L’émergence d’un modèle familial en Ukraine ?

Nous abordons donc cette question sur les aspects financiers et d’organisation des

entreprises étudiées. Ce sont en effet des aspects déterminants l’émergence évoquée d’un

nouveau mode de production dit « agriculture de firme ».

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Origine nationale, familiale et kolkhozienne des capitaux

L’origine des capitaux de ces deux entreprises est 100 % ukrainienne. Les capitaux

sont personnels et l’héritage de la décollectivisation du kolkhoze pose de nouveaux

problèmes. Les bâtiments et les outils agricoles sont un capital qui n’appartient pas toujours à

l’exploitant. La propriété est en fait celle d’une multitude d’anciens ouvriers ou de leurs

héritiers lorsqu’ils sont décédés, difficile à identifier pour se porter acquéreur et régulariser la

situation. Pour le matériel agricole, ce travail d’identification est non seulement fastidieux

mais inutile, car ces outils agricoles n’ont plus de valeur économique, et gardent simplement

une valeur d’usage en voie de disparition.

De nouveaux capitaux viennent s’ajouter. Ainsi, la totalité des capitaux investit dans

les vergers de l’entreprise Mirko sont des subventions de l’État suite à une incitation

financière du gouvernement ukrainien pour maintenir la production fruitière nationale. Quant

à l’entreprise Sacha, elle a réussi à obtenir un crédit de campagne pour l’achat d’engrais et

d’essence. L’entreprise Sacha accède d’ailleurs aussi à un crédit pour l’acquisition d’une

moissonneuse batteuse et travaille en contrat de production pour les semences de betterave.

L’entreprise Mirko a pour particularité de disposer d’un verger de 20 ha, cette activité est

subventionnée par l’État car emploie beaucoup de main d’œuvre. Cet accès au financement et

au partenariat n’est pas commun en Ukraine pour les exploitations familiales françaises de

cette trajectoire. L’entreprise Mirko n’a pas détaillé comment elle en est parvenue à la

constitution d’un réseau d’aides et de partenaires mais celui-ci semble être déterminant. Par

exemple, pour accéder à l’approvisionnement de produits phytosanitaires à bas coût, le

directeur de l’entreprise Sacha a fait jouer ses relations rencontrées à l’université agraire de

Kiev pour entrer en contact avec le fournisseur. L’entreprise Rousseau profite du même

contact que son voisin, opportunité qu’elle n’aurait pas eue sans l’aide de celui-ci.

Organisation du pouvoir et système de production

Ces petites structures d’entreprises n’ont pas d’associé. Seul le directeur a le pouvoir

de décision stratégique et économique. De plus, il gère lui-même l’exploitation au quotidien.

Ces deux entreprises sont les seules de l’échantillon à être en polyculture-élevage dans la

continuité du mode de production du kolkhoze. L’activité d’élevage (de porcs) s’est

développée plus de cinq ans après la création de l’entreprise. L’entreprise Sacha n’arrive pas à

rendre rentable sa production de cent-trente porcs. Mais, elle tient à son activité d’élevage.

Depuis un an, elle teste la production de bovins avec un cheptel actuel de quarante têtes. Ces

deux activités de production, céréaliculture et élevage, sont gérées par la même entreprise et

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non deux filiales différentes telles qu’on le verra dans la troisième trajectoire d’entreprise. De

même que son voisin ukrainien, l’entreprise Mirko pratique aussi la polyculture-élevage avec

notamment un élevage de porcs qui forme un cheptel de cent têtes.

C. CONCLUSION

Les acteurs de cette première trajectoire sont avant tout des agriculteurs par opposition

aux profils d’acteurs suivants. En effet, même si les acteurs français de cette trajectoire

s’inscrivent en rupture avec le système agricole européen, leur projet n’est viable que grâce à

l’apport en capital des exploitations agricoles qui en proviennent. Les opérateurs financiers et

le contexte socio-politique ukrainien permet difficilement ce type de trajectoire pour les

français.

Pour conclure, cette première trajectoire d’entreprise est caractérisée par des

exploitations agricoles essentiellement commerciales. Si les entreprises françaises sont

tournées résolument vers le marché international mais indirectement inscrites dans l’économie

financière, les entreprises ukrainiennes s’adressent essentiellement au marché local bien que

pour part, leur production céréalière s’adresse aux mêmes opérateurs que les français. Cette

première trajectoire d’entreprise ne se distingue pas radicalement du modèle de l’agriculture

familiale.

Les entreprises françaises, du fait de leur mobilité, de leurs moyens de production,

fortement salariés et adaptés à un marché mondialisé, et de la flexibilité économique de leurs

unités de production, s’écartent du modèle familial. Cependant, d’abord, c’est un changement

qui s’inscrit directement dans la continuité du modèle agricole familial, qui le préexiste et en

est la condition nécessaire, tant en termes de compétences qu’en termes financiers. Mais

surtout, il semble que cette évolution soit essentiellement due, à ce stade, à la migration elle-

même. En effet, les entreprises ukrainiennes sont certes de dimension plus modestes et restent

des exceptions mais elles démontrent qu’un modèle de production plus familial est – encore –

possible.

Reste à nuancer cette réalité pour les entreprises françaises car, dans le contexte

ukrainien, cela nécessite d’avoir un capital, celui des kolkhozes qui a été fondamental aux

entreprises ukrainiennes. Mais surtout, un modèle d’exploitation plus familial n’est possible

qu’à condition d’avoir un réseau mobilisable pour assurer des ressources et des relais de

distributions adaptés et d’être en capacité de répondre aux rares occasions de financements

publics. Or, les entreprises françaises et plus généralement étrangères ne bénéficient pas d’un

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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traitement égal sur le plan des aides publiques. Elles ne peuvent pas prétendre au même

réseau et à la même réactivité que des acteurs du pays, et ont dû elles-mêmes apporter leur

capital, souvent au prix de leur exploitation en France.

Il s’ensuit que la séparation, partielle nous le verrons dans la partie 3, du rapport au

territoire, les choix d’organisation productive, économique et financière avec le modèle

familial dépend bien plus de la migration elle-même que du contexte ukrainien. En tout cas

dans son intensité actuelle, c’est la migration bien plus que le contexte qui joue sur l’ampleur

de cette évolution. Cette dernière remarque doit cependant être nuancée car, d’une part, nous

avons vu que ces réussites ukrainiennes sont plutôt des exceptions et que, d’autre part, elles

dépendent de deux facteurs en voie de disparition : l’héritage de l’agriculture collectivisée et

le moratoire qui oblige à un fonctionnement du foncier par location.

2. 2ÈME

TRAJECTOIRE D’ENTREPRISE : CAS DES ENTREPRISES MARTIN,

RIMBAUD, DUPONT ET LUDA

Trajectoire 2

entreprise Dupont Rimbaud Martin Luda

année de création 2008 2006 2006 2000

nombre associés 5 4 5 6

nombre hectares 2011 4 600 1 000 3 550 8 400

nombre propriétaires 600 n.r 950 n.r

durée du bail 10 ans 15 ans 5 ans n.r

zone d'étude C E A C

Remarque : « n.r » signifie non renseigné

Nous aborderons, ici aussi, les entreprises françaises et ukrainiennes séparément pour

pouvoir les comparer. Là encore, les entreprises ont des profils assez proches si on excepte

leurs parcours. Et, on attend donc dans ce travail comparatif des éléments sur la part du

changement liée à la migration et celle liée au contexte ukrainien.

Cependant, il y a des limites à cet exercice de comparaison sur ce nouvel échantillon.

D’abord, l’entreprise ukrainienne Luda, avec 8 400 ha, est nettement plus grande que les

entreprises françaises de sa trajectoire. De même, l’entreprise Rimbaud, avec 1 000 ha, est

très petite. Par ailleurs, le travail de terrain effectué n’a permis d’identifier qu’une seule

entreprise ukrainienne de cette trajectoire et il est plus difficile encore de projeter cette

entreprise comme un modèle possible d’entreprise agricole en Ukraine. Enfin, nous avions

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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rendez-vous avec la directrice de cette entreprise mais elle était finalement trop occupée pour

nous recevoir. L’entretien s’est donc déroulé avec une de ses associées, peu intéressée par nos

questions restées trop souvent sans réponses. Mais Valérie, le stagiaire et responsable

vétérinaire âgé d’un peu plus d’une vingtaine d’années a assisté à l’entretien au fond du

bureau et a été chargé de nous faire visiter une des « bases » d’élevage où nous avons

également pu échanger avec quelques ouvriers. Malgré donc toutes ces limites ainsi énoncées

et bien que le contact avec cette entreprise ait été moins étendu et qu’il n’a consisté qu’à une

visite en compagnie d’un stagiaire de la direction, son originalité m’a semblé justifier cette

présentation.

Par ailleurs, l’entreprise Rimbaud présente certes une superficie inférieure aux cas

français de la première trajectoire pour une activité initialement projetée d’élevage laitier.

Mais, il faut rappeler que ce type d’activité est beaucoup plus onéreux en termes de

concentration capitalistique qu’en superficie. C’est pourquoi le projet d’élevage n’a pas abouti

et l’entreprise a pour activité la céréaliculture à grande échelle. Cependant, l’entreprise

Rimbaud se considère trop petite pour cette activité et est activement à la recherche d’une

exploitation d’un seul tenant d’au moins 2 500 ha. Tant au regard de cette réalité que du

fonctionnement de l’entreprise, j’ai pris le parti de l’intégrer à la deuxième trajectoire.

L’autre entreprise française, Martin, dispose d’une exploitation de 3 550 ha soit une

taille plus classique pour la deuxième trajectoire. On trouve également, a une taille

comparable de 4 600 ha, l’entreprise Dupont qui présente un profil en accord avec cette

deuxième trajectoire, et pour laquelle les recueils de données sur le terrain nous amènent à

l’aborder aussi dans la troisième partie de ce mémoire. En effet, dans cette entreprise agricole,

nous avons pu recueillir de nombreux éléments d’information sur la relation au territoire

qu’ont les entreprises de cette trajectoire.

Les entreprises de cette trajectoire se distinguent nettement des entreprises françaises

de la première trajectoire du point de vue de leur superficie, de leur organisation de la

production que de leur organisation économique.

A. L’ENTREPRISE LUDA, D’ORIGINE UKRAINIENNE

a) Une grande entreprise locale

L’entreprise Luda créée en 2000 avec 5 000 ha en location dispose en 2011 de 8 400

ha soit une contractualisation de baux auprès de deux mille huit cents propriétaires. Depuis

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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2005, l’entreprise compte six associés également salariés. Deux de ces associés sont des

femmes, les seules de l’échantillon, dont la directrice. Il n’y aurait pas de lien de parenté entre

les associés. Pour autant, tous les associés ont en commun une ancienneté en tant qu’expert

dans des domaines clefs de l’entreprise agricole (vétérinaire, agronome, etc.).

L’entreprise compte quatre unités de production réparties sur cinq villages sous

l’autorité de deux conseils de villages distincts à proximité l’un de l’autre. L’entreprise Luda

compte également trois cent soixante salariés permanents de nationalité ukrainienne. Elle a

trois activités agricoles : culture de céréale, production de lait et de viande mais on ignore

l’importance relative de chacune de ces activités agricoles. Le nombre important de salariés

s’explique d’ailleurs par l’activité d’élevage, de deux mille cent têtes de bétail, beaucoup plus

exigeante en main-d’œuvre. C’est donc, suivant la classification française, une grande

entreprise. Les salariés vivent en ville ou au village et ne constituent donc que partiellement

un milieu d’interconnaissance en dehors de l’entreprise.

L’origine des capitaux de l’entreprise Luda est ukrainienne. Il n’a pas été possible

d’être plus informé sur le sujet mais si l’on suit les projections citées par Jean Jacques

Hervé51

, une production céréalière sur une superficie de 8 500 ha représente un investissement

de plus de dix millions d’euros. Il s’agit d’une estimation basse si l’on considère que

l’entreprise a une activité d’élevages laitiers et bovins, et que celle-ci exige un investissement

encore plus important.

Un investissement de cet ordre est inaccessible à d’anciens dirigeants de kolkhoze

comme les directeurs des entreprises Sacha et Mirko de la première trajectoire. L’allocation

de 50 ha de terre et les ressources propres de ces acteurs ne permettent pas le développement

d’entreprises avec le capital de Luda. Il s’agit là véritablement d’une création d’entreprise où

les capitaux ont peu à voir avec la reprise du kolkhoze qui a précédé l’entreprise. On est donc

en rupture avec les entreprises ukrainiennes de première trajectoire qui s’inscrivaient

directement dans le sillage d’un kolkhoze qu’elles avaient repris.

D’après l’entreprise Dupont qui s’inscrit dans la même trajectoire et située à

proximité, l’entreprise Luda brasse de bons bénéfices. Selon l’économiste de l’entreprise

Luda, la marge nette s’élève à un million quatre cent mille euros.

51

Présenté dans la partie précédente : Jean-Jacques Hervé est chargé des affaires agricoles pour Index

Bank, la filière ukrainienne de Crédit Agricole SA. Il a été ancien conseiller auprès du gouvernement ukrainien

pour les questions agricoles, après avoir été conseiller agricole à l’Ambassade de France en Russie.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Au-delà de sa capacité d’autofinancement, sur une dimension d’investissement de cet

ordre et avec de tels résultats d’activité, il est probable que l’échelle de l’exploitation lui

permette, à l’instar des autres entreprises de cette trajectoire, d’accéder à une plus large

panoplie de financement.

b) Une organisation moderne en cellules52

autonomes

L’entreprise Luda est partagée en quatre unités de production à laquelle s’ajoute

l’unité de production principale avec les bureaux de la direction. Chacune de ces unités est

gérée par un responsable qui est un des associés. La directrice, elle, supervise la direction des

cinq bases et assure donc le pilotage de l’ensemble. Une fois par mois, cette même directrice

assiste à une réunion du raion destinée à l’ensemble des entreprises agricoles.

Les décisions stratégiques et quotidiennes sont prises au siège de l’entreprise qui

correspond à une des unités de production. Quotidiennement, une réunion matinale entre les

associés a lieu, ils ont tous une compétence particulière (ingénieur mécanique, agronome,

zootechnicien, vétérinaire, juriste, économiste). C’est à ce moment-là que sont prises les

décisions importantes, comme l’achat de nouveau matériel.

Si le matériel et les intrants sont mutualisés entre les unités de production c’est

certainement que cela permet à l’entreprise de faire des économies d’échelle. Mais, chaque

unité a sa propre production agricole, sa propre alimentation pour le bétail et son personnel

affecté, ouvriers mais également des rôles clefs comme celui de vétérinaire. Cela n’empêche

pas la possibilité d’échange occasionnel des ressources propres de chaque unité si nécessaire.

Mais, ce fonctionnement permet à l’entreprise Luda de croître en dupliquant une nouvelle

exploitation sur le modèle des exploitations déjà actives et lui assure une flexibilité qu’on ne

trouve pas dans le modèle de production agricole familial.

Cependant, l’agriculture familiale transparait encore dans quelques détails. Ainsi, à

l’image de la répartition patriarcale des tâches du mode d’organisation familial, les femmes

travaillent dans la production d’élevage, à la traite par exemple, et les hommes dans la

production céréalière. Le gardiennage peut être une activité mixte.

On trouve aussi une caractéristique du mode familial d’organisation dans le choix

même de la production. En effet, tout comme les entreprises ukrainiennes de la première

52

On entend par là une organisation où chaque unité de production est autonome dans ses ressources

comme dans son fonctionnement vis-à-vis des autres unités de production.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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trajectoire, l’entreprise Luda est installée en polyculture élevage. Une partie de la production

céréalière et oléoprotéagineuse est destinée à l’alimentation de l’élevage. Ainsi, l’entreprise

est autosuffisante en alimentation pour le bétail. Le reste de la production végétale et la

viande est vendu. Le lait est vendu à une entreprise qui se charge de la collecte quotidienne

destinée à une usine de transformation dans un raion voisin.

Mais, cette proximité avec les entreprises de l’héritage kolkhozien s’arrête à la nature

de la production, les moyens et procédés mis en œuvre connaissent une capitalisation

croissante. De ce point de vu, l’entreprise Luda industrialise progressivement sa production

agricole et s’écarte de la première trajectoire par des moyens mobilisés beaucoup plus

important.

c) Une ambition de modernité et de compétitivité

L’entreprise Luda est en rupture avec le mode de production du kolkhoze alors que la

majorité de ses salariés et associés en sont originaires. Elle l’est par son innovation

technologique comme par sa dimension financière. Ainsi, l’entreprise pratique l’insémination

artificielle et la sélection génétique. Cette innovation a permis à l’entreprise de voire

augmenter considérablement la quantité de lait produite. Le projet actuel de l’entreprise est de

maintenir sa stratégie d’innovation par la construction d’une salle de traite automatisée.

Les projets d’investissements y sont aussi nombreux. Ainsi, en 2011, l’entreprise a

investi dans l’achat de quatre machines neuves dont deux tracteurs de marques européenne et

américaine.

Nous sommes en présence d’une société d’associés, véritables entrepreneurs, assurant

une activité de production agricole à grande échelle. Seulement, il ne s’agit pas d’une

entreprise de trading à l’exportation. Elle s’appuie sur des partenaires commerciaux et vend

sa production sur le marché national. Les associés rencontrés ne s’opposent pas à l’idée de

développer une activité financière si elle leur permet de maximiser leurs profits. La question

ne se pose simplement pas car pour l’instant l’entreprise est orientée vers un système de

production agricole en voie d’intensification progressive.

L’activité reste agricole, mais il s’agit d’entrepreneurs dont la finalité n’est plus la

reproduction familiale mais bien l’accumulation d’une rentabilité la plus importante possible.

Des aspects du mode de production familial persistent encore mais pour autant l’entreprise

Luda n’a pas d’objectif financier ni autour de la valorisation boursière de son entreprise dont

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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le capital est détenu par les associés ni autour de la spéculation sur les marchés

internationaux.

Les entreprises françaises de cette trajectoire, bien que plus petites que l’entreprise

ukrainienne, déploient un accès plus large aux outils financiers.

B. LES ENTREPRISES MARTIN, RIMBAUD ET DUPONT, D’ORIGINE FRANÇAISE

Les entreprises Martin, Rimbaud et Dupont sont arrivées en Ukraine respectivement

en 2006, 2006 et 2008 et louent respectivement 3 550 ha, 1 000 ha et 4 600 ha. L’entreprise

Martin a cinq associés dont quatre agriculteurs et un dont la profession n’appartient pas au

secteur agricole et dont l’apport est uniquement financier. L’entreprise Rimbaud a quatre

associés dont trois agriculteurs et un dont la profession n’appartient pas au secteur agricole

mais au secteur des transports et donc en lien avec le projet originel de l’entreprise.

L’entreprise Dupont a cinq associés dont trois agriculteurs, majoritaires en parts, viticulteurs

de champagne et deux dont la profession n’appartient pas directement au secteur agricole

mais qui ont des liens familiaux avec un des viticulteurs.

Les entreprises Martin, Rimbaud et Dupont ont trois profils très différents si on

s’attache à l’origine des associés et à leurs ambitions professionnelles. Elles n’ont pas de liens

directs entre elles comme les exploitations françaises étudiées de la première trajectoire bien

que l’ensemble des exploitations françaises en Ukraine appartiennent à « un petit monde qui

se connait ». Cependant, ces associés se retrouvent tous sur un point : leur représentation

d’eux même qu’ils expriment ainsi : « Je suis plus un entrepreneur qu’un agriculteur »

(Rimbaud). Ces entreprises ont des activités parfois différentes mais en tout cas

complémentaires et inscrites dans le secteur agricole. Syndiqués aux Jeunes Agriculteurs pour

certains des associés des entreprise Martin, Dupont et Rimbaud puis directeurs

départementales à la FNSEA53

pour les associés de l’entreprise Martin, tous conservent des

activités en France dont l’organisation est déjà le fait d’un modèle en rupture avec

l’agriculture familiale. En France, ils se sont écartés du modèle proprement familial

notamment par la grande superficie des terres cultivées, par une main d’œuvre sans lien de

parenté et par des montages juridiques permettant des optimisations fiscales.

53

Fédération nationale syndicale des exploitants agricoles.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Par exemple, trois des associés de l’entreprise Martin ont créé en 2003 – soit trois ans

avant leur implantation en Ukraine – un groupement d’employeur54

pour mutualiser les outils

de travail (machine et employés) de leur ETA55

respectives afin de gérer 1 200 ha. Seule la

comptabilité est gérée séparément. De plus, pour des raisons d’optimisation fiscale, l’un des

associés a ensuite crée une société qui travaille pour les deux ETA mais aussi pour des tiers.

Avec son épouse, formée sur le tas, ils donnent des conseils sur l’achat et la vente de produits

phyto-sanitaires, sur la mise en place de programmes phyto-sanitaires, sur la mise en place de

programme agronomique et sur la vente de céréales.

Il ne s’agit donc pas, contrairement à la première trajectoire, de jeunes dans une

démarche de création d’entreprise qui trouvent leurs comptes à un nouveau contexte de

contraintes et d’opportunités. La délocalisation des entreprises françaises de cette deuxième

trajectoire n’est pas du tout envisagée. Il s’agit bien plus d’un processus d’extension et de

diversification de l’activité agricole.

a) Un mouvement d’extension/ diversification de l’activité agricole

Les associés des entreprises Martin, Rimbaud et Dupont ont conservé leurs activités en

France et n’envisagent pas de les abandonner. Ils sont dans un processus d’extension de leurs

activités au-delà des frontières de l’Union Européenne car, fort de leurs réussite sociale en

France, ils ont atteint une dimension d’investisseur à part entière. Ces exploitations sont de

plus en plus inscrites dans une économie mondialisée. Jusqu’alors, elles ne s’étaient

internationalisées qu’au sens où elles vendaient leur production sur le marché international.

Elles développent maintenant une stratégie de développement international de leurs unités de

production.

Les associés de ces entreprises répondent en effet aux opportunités qu’offrent les

avantages comparatifs ukrainiens par une multilocalisation internationale de leur activité

agricole puisqu’ils maintiennent leur activité en France. On précisera d’ailleurs qu’il ne s’agit

donc pas de délocalisation de l’activité. En effet, il n’y a pas substitution de l’activité mais

adaptation de l’une par rapport à l’autre. Ensuite, c’est une logique d’extension raisonnée, au

sens où les perspectives de développement de l’entreprise priment sur les gains à court et

moyen termes.

54

Deux entreprises qui adhèrent au même groupement d’employeur peuvent faire travailler leurs

employés sur toutes les exploitations sans qu’il n’y ait de problème auprès de l’URSSAF (Union de

Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales). 55

Entreprise de Travaux Agricoles. Une ETA propose des prestations de services aux agriculteurs de

façon à leur éviter d’investir dans du matériel agricole coûteux.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Ainsi, ces entreprises ne cherchent pas à s’agrandir au-delà d’un rayon de 50 km. Elles

effectuent plutôt un travail d’approfondissement du contrôle de leur foncier. Pour sécuriser

son foncier, l’entreprise Martin propose l’augmentation de la rente foncière à ses bailleurs à

condition de l’augmentation de la durée du bail. Certaines prévoient aussi d’acheter une partie

des terres en cas de fin de moratoire pour se préserver de la concurrence des « agroholdings ».

L’entreprise Martin investit avec une perspective à long terme, d’au moins dix ans. En effet,

une activité agricole dans un établissement supplémentaire nécessite une nouvelle équipe de

confiance. Leurs démarches d’extension s’inscrivent dans une logique d’évolution continue

plutôt que dans une configuration flexible où chaque unité de production peut se voir

supprimer d’une année à l’autre. En effet, nombreuses sont celles qui investissent dans

l’aménagement du lieu d’hébergement et du lieu de travail, des infrastructures de stockage et

des infrastructures de séchage.

D’autre part, le manque d’encadrement technique agronomique disponible en Ukraine

a entrainé les agriculteurs investisseurs français vers une intégration verticale de leur métier

notamment par l’expérimentation des semences en Ukraine. Par ailleurs, suite à son

implantation en Ukraine, l’entreprise Rimbaud a diversifié son activité en créant une filiale de

transport avec ses mêmes associés, réalisant du fret industriel et agricole. Il s’agit donc d’une

forme de diversification de l’activité dans le même secteur agricole. Et, si ce projet précède

celui de l’exploitation, il s’apparente toutefois à une diversification de l’activité dans la

continuité de leur activité en France.

L’entreprise Martin a fait le choix d’une optimisation des coûts et du temps passé au

champ. Ainsi, l’entreprise développe une activité de prestation de service de gestion des terres

pour d’autres investisseurs étrangers dont l’exploitation doit être installée à proximité de

l’exploitation de Martin, c'est-à-dire dans un rayon de moins de 50 km. Cette nouvelle activité

de prestation de service agricole a pour but de réduire les coûts matériels par l’amortissement

accéléré du parc des machines agricoles. L’entreprise a aussi investi dans l’aménagement des

routes, des chemins et des champs pour optimiser le temps passé en 4x4 ou sur les tracteurs et

le coût en carburant.

Sur le plan de leurs choix ou des contraintes du système politique et économique

ukrainien, ces acteurs montrent à la fois une maitrise et une insertion économique à la

mondialisation. Pour autant, leur stratégie de développement s’appuie sur une capitalisation

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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cohérente de leur production afin de dégager les meilleures marges de bénéfices possible. Les

investissements s’orientent vers un développement structurel par la mécanisation agricole de

la production. Cela ne permet pas une rentabilité à court terme car nécessite une période

d’amortissement importante, mais ces acteurs envisagent leur implantation en Ukraine à long

termes.

b) Une entreprise ouverte à l’économie mondialisée

Ce choix de mouvement par extension ou diversification plutôt que par déplacement

inter ou intra-national est une liberté de choix acquise probablement du fait des bénéfices que

les activités françaises dégagent. Leurs exploitations sont déjà des entreprises performantes

constituées de plusieurs unités de productions pouvant atteindre des chiffres d’affaires de

plusieurs dizaines de millions d’euros. Leurs activités, diversifiées, s’adressent déjà

clairement au marché international. On retrouve donc logiquement un accès au crédit facilité,

des moyens matériel et une dimension économique de l’entreprise propre à une intégration

plus importante dans l’économie financière. Mais, leur usage des produits financiers sert au

financement et à la couverture des risques d’une activité dont la finalité est d’abord

commerciale.

Les entreprises de cette deuxième trajectoire ont un accès à des financements exogènes

à l’Ukraine alors que les Ukrainiens ont difficilement accès aux financements bancaires.

Ainsi, les capitaux de l’entreprise Martin proviennent à 100 % d’emprunts bancaires en

France, ceux de l’entreprise Rimbaud proviennent à 50% d’emprunts bancaires et à 50% en

provenance des associés, ceux de l’entreprise Dupont proviennent des associés sauf

l’obtention des crédits de campagne.

Dans le capital de l’entreprise agricole, on compte aussi le matériel agricole. Les

entreprises Martin, Rimbaud et Dupont importent majoritairement le matériel de l’exploitation

agricole française en Ukraine. Il y a plusieurs raisons à cela, les défaillances du système de

distribution et de maintenance de machines-outils en Ukraine mais aussi certainement des

opportunités fiscales. Il y a donc un flux de capital entre la France et l’Ukraine. Ces

entreprises importent du matériel d’occasion américain et européen amortit en trois ans sur

l’exploitation en France avant de l’importer en Ukraine. On peut penser qu’il s’agit là d’un

montage fiscal afin de bénéficier des aides et des facilités à l’investissement disponible en

France mais mes interlocuteurs n’ont jamais souhaité s’étendre sur cet aspect des choses.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Leur production est écoulée via des partenaires locaux de la filière agroalimentaire ou

indirectement sur les marchés internationaux par la vente à des opérateurs locaux ou

européens. Ils ne sont en ce sens pas en rupture avec les producteurs de la première

trajectoire. Mais, certaines de ces entreprises innovent par la mise en place de stratégie

commerciale et de couverture des risques. Ainsi, les entreprises Martin et Rimbaud mobilisent

les marchés à terme. Cependant, cette nouvelle activité de l’entreprise est à nuancer

puisqu’elle est à un stade beaucoup plus avancé que les autres entreprises dans ce domaine-là.

Cette caractéristique d’agriculteur est une constance de l’activité en France des associés de

l’entreprise Martin mais une évolution en cours ou envisagée pour les associés des deux

autres entreprises françaises.

c) L’implantation en Ukraine : adaptation de l’entreprise

Cette décision de conserver l’activité en France nécessite d’innover dans

l’organisation de l’exploitation en France et en Ukraine et constitue en cela un saut qualitatif

supplémentaire. Ainsi, en France trois des associés de l’entreprise Martin, l’un avec et l’autre

sans lien familial avec le dernier, ont mis en commun leur exploitation de travail agricole pour

en faire un GAEC56

afin de se dégager du temps pour leur projet d’implantation à l’étranger.

De même, l’un des associés de l’entreprise Rimbaud est en GAEC avec sa famille qui gère

l’exploitation en son absence. L’implantation en Ukraine a été le moteur du changement de

l’organisation des activités en France pour permettre aux associés de se dégager plus de

temps. La gestion de l’exploitation agricole en Ukraine ne serait pas possible sans cette

réorganisation juridique du statut de l’exploitation. Le projet a aussi nécessité l’accord des

associés de l’exploitation en France pour gérer l’exploitation française. Ainsi, les associés

peuvent être présents à tour de rôle sur l’exploitation dix mois sur douze. On constate donc

que cette extension internationale de la localisation de la production constitue une véritable

étape supplémentaire vers l’ « agriculture de firme ».

L’organisation du travail en Ukraine a dû s’adapter aussi à la présence ponctuelle des

associés. Certaines de ces entreprises ont importé les techniques de management occidental.

Pour permettre cette extension internationale, les sociétaires délèguent la gestion quotidienne

de l’exploitation à un salarié français. Ainsi, l’entreprise Dupont vient d’engager deux salariés

français, l’un chef mécano, l’autre chef de culture, à plein temps sur l’exploitation en Ukraine

pour assurer la gestion quotidienne de son exploitation. Certains tels que les associés de

56

GAEC est le sigle de Groupement Agricole d’Exploitation en Commun

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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l’entreprise Martin délèguent aussi bien l’activité quotidienne de l’exploitation en Ukraine

qu’en France. L’atout de l’entreprise Martin est d'avoir un salarié français ukrainophone qui

est la « courroie de transmission » entre les prises de décision et leur application. Il est

l’interlocuteur privilégié avec les Ukrainiens et représente la société. Le degré de liberté et de

concertation entre les associés et le gestionnaire salarié permanent varie en fonction des

entreprises. Ainsi, en ce qui concerne l’entreprise Martin, les choix agronomiques et

économiques se font en France et la sous-stratégie est gérée par téléphone. De même,

l’entreprise Dupont donne les consignes sur place ou par téléphone. D’ailleurs, la facture

téléphonique représente un coût non négligeable pour ces entreprises.

Cette organisation du travail par délégation est bien à la marge du modèle de

l’exploitation traditionnelle française et s’inscrit pleinement dans un modèle de management

d’entreprise dans une économie de marché. L’attachement aux techniques de management le

plus marqué est celui de l’entreprise Martin. En termes d’organisation de la ressource

humaine, les entreprises se plaignent d’un « manque d’initiative » de leurs salariés qu’ils

attribuent à l’organisation collectiviste du travail. Celle-ci aurait entrainé pendant ces

soixante-dix dernières années comme non souhaitable toute initiative personnelle.

L’entreprise Martin a donc insisté sur l’autonomisation de ses salariés ukrainiens et les a

formé afin qu’ils soient polyvalents. De même, les autres entreprises forment leurs salariés à

la manipulation des machines importées souvent très électroniques.

À travers tous ces arguments allant vers l’émergence d’un nouveau modèle agricole,

on peut classer ces trois entreprises par degré d’orientation croissant vers une « agriculture de

firme » : l’entreprise Dupont, l’entreprise Rimbaud et enfin l’entreprise Martin. Cette

trajectoire supporte des contraintes de taille d’exploitations, de gestion financière, et des

contraintes liées à l’adaptation à une extension en Ukraine. Les contraintes de superficie font

évoluer l’entreprise vers une maîtrise des outils d’organisation du travail et de gestion de leurs

personnels. Les contraintes de gestion financière nécessitent une expertise légale et financière

pour assurer une optimisation fiscale. Et, la couverture d’une entreprise agricole

multinationale sur le marché international devient indispensable pour gérer le risque de

change ou la volatilité des prix. Cependant, ces adaptations n’oblitèrent pas leur activité

première de production agricole qui reste le cœur de leur métier. Ce sont des entrepreneurs

agricoles qui s’inscrivent souvent dans un sillage familial et portent des valeurs

traditionnelles.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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C. CONCLUSION

Les entreprises que nous décrivons dans cette deuxième trajectoire sont nettement

différentes des entreprises de la première trajectoire.

D’abord par leurs dimensions, à l’exception de l’entreprise Rimbaud, toutes les autres

entreprises font plus de 3 000 ha. Les caractéristiques de ces entreprises correspondent, en

fait, aux conditions évoquées par un contact, Jean Jacques Hervé, pour développer une

activité agricole rentable. Ses critères sont ceux d’un banquier de renom dans le milieu

agricole ukrainien. Il préconise des tailles d’exploitations de 2 500 ha à 3 000 ha pour justifier

un équipement agricole moderne et dégager une marge nette d’environ 150 € à l’hectare.

L’investissement nécessaire est, selon lui, de 1 000 € à l’hectare avec un an et demi de cash-

flow avant la structuration de l’entreprise. Avec des sommes d’investissements qui atteignent

quatre millions d’euros pour 450 000 € de bénéfices net par an dans le cas d’une exploitation

de 3 000 ha, on atteint donc des objectifs financiers bien au-delà du modèle agricole familial

conventionnel où l’objectif est d’abord la reproduction de la famille.

3. 3ÈME

TRAJECTOIRE D’ENTREPRISE : LA SOCIÉTÉ HOLDING, CAS DES

ENTREPRISES LEROY ET GROEN, IVAN, PETRO

Il s’agit ici du type de trajectoire correspondant le plus à une agriculture inscrite dans

une économie financiarisée.

Trajectoire 3

entreprise Leroy Groen Ivan Petro

année de création 2007 2006 2000 1993 ou 2003

nombre associés 24 actionnaires

principaux 2 n.r n.r

nombre hectares 2011 45 000 19 000 31 000 > 100 000

nombre propriétaires +/- 10 000 n.r n.r n.r

durée du bail 10 ans n.r n.r n.r

zone d'étude C et D C B B

Remarque : « n.r » signifie non renseigné

L’entreprise Leroy a été créée pour reprendre le projet avorté d’une grande

coopérative céréalière française en Ukraine. C’est une holding siégeant en France, actionnaire

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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unique de la société ukrainienne Leroy Ukraine et créé en même temps que celle-ci. La

société ukrainienne Leroy Ukraine est donc une filiale de la holding française Leroy, mais les

unités de production appartiennent soit à la première soit à la seconde, soit même à une autre

filiale de Leroy holding française. Pourtant, l’ensemble de ce conglomérat, si on excepte une

activité en développement tout juste lancé en Argentine, a pour seule activité de production

agricole ses six exploitations agricoles en Ukraine. Pour des raisons de simplification, nous

désignerons par Leroy Ukraine toutes les entités dont l’activité d’exploitation se déploie en

Ukraine et par Leroy Holding toutes les autres entités. La première activité de l’entreprise

Leroy a été dès 2007, année de sa création, la production extensive de céréales et

oléoprotéagineux sur le territoire ukrainien, destiné au marché international. Cette société

fonctionne sur une production commerciale et sur une base financière de spéculation. Les

associés ont peu, voire même n’ont pas, de lien avec la production agricole. Ce sont avant tout

des investisseurs qui se tournent aujourd’hui sur le secteur agricole à la faveur des

opportunités qu’offre le marché international des matières premières. Ainsi, la participation

des actionnaires a pour but de diversifier leurs activités.

Dans le cas de l’entreprise hollandaise Groen, la création de l’entreprise s’est faite

pour diversifier les activités de la holding. La holding hollandaise n’avait jusque-là pas

d’activité dans le secteur agricole et ses activités n’ont pas vocation à s’inscrire dans une

démarche cohérente de métier mais c’est l’activité d’investisseur qui est le métier en soi.

L’entreprise étrangère Ivan est quant à elle à l’origine de multiples investissement

étrangers qui se sont succédés. En 2007, la direction allemande aurait vendu l’entreprise au

fond d’investissement, Morgan Stanley qui l’a revendu en 2009 au fond d’investissement

Finch Investment. Ce dernier est actionnaire dans divers secteurs d’activités sans lien avec le

secteur agricole.

Enfin, l’entreprise ukrainienne Petro est le résultat de la diversification du portefeuille

d’un oligarque ukrainien qui, il y a vingt ans, a fait fortune dans un autre secteur d’activité, le

transfert de gaz russe. Cette entreprise a pour particularité d’être la seule à s’être diversifiée

dans la transformation agro-alimentaire. Ces deux dernières sociétés crées dans les années

2000 trouvent des actionnaires étrangers aux capitaux souvent originaires de paradis fiscaux.

A. LA CONSTITUTION D’UN FONCIER ABONDANT

Les entreprises Leroy et Groen sont arrivées en Ukraine en 2006 et louent

respectivement 45 000 ha (soit plus de 10 000 contrats de location et 400 salariés plus 150

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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saisonniers) et 19 000 ha. L’entreprise Leroy a une dizaine d’associés et une vingtaine

d’actionnaires principaux. Entre 2007 et 2011, l’entreprise Leroy a doublé ses unités de

production en passant de trois à six soit de 20 000 ha à plus de 45 000 ha. Chaque unité de

production fait 8 000 ha en moyenne. Pour son introduction en bourse, l’entreprise Leroy a

annoncé son objectif d’atteindre une superficie de 100 000 ha en 2012. Ces 100 000 ha

seraient répartit entre douze unités de production en Ukraine et deux ou trois clusters57

principalement de machinisme agricole. Cette société a donc pour principal objectif sa

concentration foncière avant même l’objectif d’une production abondante.

L’entreprise Ivan concentre 31 000 ha dans deux régions de l’Ukraine éloignées l’une

de l’autre. Une unité de production concentre en moyenne le foncier d’une vingtaine de

villages. L’entreprise Petro à travers ses nombreuses unités de production est quant à elle

implantée dans cinq cent villages.

Dans le cas de ces quatre sociétés, la concentration d’un foncier aussi abondant est le

fait de rachat de plusieurs entreprises en faillite ayant elle-même succédées à la

décapitalisation des exploitations collectives, sovkhozes et kolkhozes. Ainsi, le nom des

entreprises agricoles en faillite devient une information stratégique pour ces entreprises à

l’affut de bonnes affaires. Pour être tenu informé avant ses concurrents de la bonne affaire

mieux vaut être en très bonne relation avec l’administration du raion. Des cadeaux tels que

des 4x4 aident ces entreprises à obtenir l’information. La recherche active de foncier

disponible crée des emplois sous-terrain. Les vendeurs d’intrants sont en contact permanent

avec les gens de leur village et leurs clients. Ils sont donc les mieux placés pour connaître le

nom des entreprises en faillite favorables à leur mise en vente. L’entreprise intéressée paie ces

vendeurs d’intrants pour qu’ils fassent ce travail de recherche. Dans un même temps, les

mêmes vendeurs d’intrants sont payés par d’autres entreprises, qui parfois augmentent la

récompense.

La direction française de l’entreprise Leroy n’assure pas une présence permanente en

Ukraine. La direction se déplace seulement pour la contractualisation d’acquisition

d’entreprise en faillite. Cependant, la direction aurait déjà procédé à une acquisition par

téléphone sans même se déplacer sur l’exploitation en question. L’entreprise n’accorderait

57

Terme utilisé par le directeur de la Leroy holding pour ses unités de production. En principe, ce terme

est réservé à un lieu géographique regroupant une concentration d’acteurs de la production, de la recherche et de

l’enseignement supérieur.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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donc pas une grande importance à la qualité des terres et des bâtiments repris. L’objectif est

bien avant tout de concentrer du foncier quel que soit sa qualité.

B. LA DÉLÉGATION DES AFFAIRES COURANTES

Dans le cas de l’entreprise Ivan c’est le siège Ivan Ukraine, à Kiev, qui décide de la

stratégie d’entreprise, qui gère les ressources humaines et la prospection foncière, alors que

les unités de production ont seulement le pouvoir de décision des choix quotidiens et de

l’assolement mais toujours en accord avec le siège à Kiev. Ainsi, l’établissement Leroy 1

adapte son plan d’assolement aux us et coutumes du pays. En effet, le plan d’assolement est

décidé en fonction des cultures les plus volées. Cette décision de l’organisation de

l’assolement est faite par le chef de culture français présent sur l’exploitation avec l’accord de

sa direction en France sans même passer par la holding ukrainienne.

Les actionnaires de ces entreprises ne s’investissent donc pas dans le processus

décisionnaire de l’entreprise. Dans le cas de l’entreprise Leroy, les actionnaires ne participent

pas aux décisions agricoles qu’elles soient quotidiennes ou annuelles. Ils sont tenus informés

des résultats économiques et des grandes décisions, une fois par an, lors de l’assemblé

générale des actionnaires, s’ils y assistent. Seuls les salariés, généralement associés, de la

holding prennent les décisions agronomiques et stratégiques de l’entreprise, de ses filiales et

multiples établissements. Cependant, les salariés de la holding française, eux-mêmes

délèguent la gestion quotidienne de l’exploitation soit à un salarié français présent en

permanence sur l’unité d’exploitation soit à un salarié ukrainien vivant en ville mais assisté

d’un salarié français. Ainsi, l’entreprise Leroy insiste sur sa stratégie de management par

l’association des compétences France-Ukraine. Le vice-président de l’entreprise expliquait

que « les agriculteurs ukrainiens ne maîtrisent pas la technique européenne mais les

agriculteurs français ne maitrisent pas la grandeur et l’environnement ukrainien ».

L’entreprise n’aurait qu’une dizaine de salariés français sur les quatre-cents qu’elle

compte. Cette dizaine de salariés français a des postes à responsabilités sur une des unités de

production comme chef de culture, d’autres tels que les analystes financiers, sont au siège

social de la filiale Leroy Ukraine à Kiev. Le directeur de Leroy Ukraine ne prend aucune

décision. Cependant, la filiale ukrainienne se charge tout de même de la prospection foncière

avec l’aide de ses multiples unités de production et gère la logistique des intrants.

Le directeur de Leroy Ukraine 1 a changé trois fois. Le directeur actuel, mécanicien de

formation, est un ancien manager de Coca-Cola Ukraine. Le directeur de Leroy Ukraine 2 est

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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un ancien salarié du kolkhoze. L’exploitation a connu un chef de culture par an depuis la

création de l’entreprise. En effet, la solitude en aurait découragé plus d’un. De plus, la

communication entre les salariés à poste à responsabilité est rendu difficile par la barrière

linguistique. Ce problème de communication ralentirait le travail sur l’exploitation.

L’entreprise hollandaise Groen procède de la même manière que l’entreprise Leroy.

Cependant, la gestion de l’exploitation est systématiquement déléguée à un « local »

ukrainien. Ainsi, le directeur ukrainien de l’établissement Groen Ukraine 1 est à la fois un

ancien chef de kolkhoze et un ancien haut responsable administratif du raion. Pour des raisons

juridiques et fiscales, le directeur de l’unité de production est ukrainien. Il n’intervient pas

dans la gestion technique agricole de l’exploitation. Chaque unité de production définit son

budget annuel validé ensuite par la hiérarchie en France sans passer par le siège à Kiev.

Cependant, il assure la gestion de l’exploitation et est entouré, pour cela, d’une équipe

administrative et technique qualifiée. Les ouvriers agricoles des multiples établissements des

entreprises Leroy et Groen sont les anciens ouvriers des kolkhozes repris par les entreprises :

leur méthode de travail n’a pas beaucoup changé. L’origine des salariés n’est donc pas en

rupture avec le secteur agricole, comme c’est le cas pour les autres trajectoires.

Cette organisation entièrement délégatrice du travail est en rupture avec le modèle

agricole familial. L’entreprise française Leroy est donc en totale rupture avec le modèle de

l’agriculture familiale.

Les unités de production des filiales ukrainiennes sont indépendantes dans leur

production. C'est-à-dire qu’il n’y a aucun échange entre les unités de production d’une même

filiale sauf dans le cas des unités de production Leroy qui s’échangent du matériel et la filiale

de machinisme agricole qui fournit les filiales de production de la holding Ivan.

Le matériel agricole acheté en Ukraine pour les sociétés ukrainiennes et hollandaise

est de marque allemande, française, américaine et japonaise. Les exploitations cumulent

souvent du matériel de l’ancien kolkhoze et du matériel moderne. Les silos d’État souvent

vétustes entrainent les entreprises à investir dans leur propre matériel de séchage et de

stockage souvent implanté à 40 km des exploitations. L’entreprise Ivan s’est trouvée

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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confrontée à la saturation de ses emplacements de stockage et a investi dans des silos bag58

argentin. Ce genre de matériel est le signe d’un secteur agricole en manque d’investissement.

Pour conclure, les sociétés étrangères ne sont pas les seules à amener des nouveaux

modèles agricoles, puisqu’en Ukraine, les grandes sociétés agricoles ukrainiennes – créées à

l’initiative de riches et puissants oligarques ukrainiens – sont, elles aussi, en rupture avec le

modèle familial traditionnel et le modèle agricole de l’époque soviétique. Certaines, cotées en

bourse, sont de taille plus importante que les sociétés étrangères. À partir de quelques cas

effleurés pendant le terrain, je peux évoquer quelques sociétés paraissant emblématiques : les

sociétés Astarta, Enselko, Kernel, MHP, MRIA, Stiomi Holding et les entreprises rachetées

par le milliardaire ukrainien Avant-Garde.

Cependant, le montage juridique de ces entreprises est complexe, il est alors difficile

de remonter à l’origine exacte des capitaux. D’autant plus que très peu d’informations

circulent sur internet à leur sujet, ou bien il faut accéder aux sites Internet russes et ukrainiens

mais pour cela une bonne maîtrise des langues russes et ukrainiennes est nécessaire. Un état

des lieux du fonctionnement économique de ces sociétés pourrait être le sujet d’un futur

travail afin de comprendre où ces sociétés se situent dans les trajectoires construites ici et dans

quelles dynamiques de développement elles s’inscrivent. Finalement, c’était ces entreprises là

que j’avais pour objectif de rencontrer, mais cela nécessite une maitrise de la langue russe et

la création d’un réseau que j’ai pu former au cours de mon premier terrain.

C. UNE SOCIÉTÉ EN HOLDING, DES OBJECTIFS FINANCIERS

Le montage juridique de l’entreprise Leroy est celui d’une holding siégeant en France

propriétaire à 100 % de sa filiale Leroy Ukraine, elle-même propriétaire à 100 % de ses six

établissements en Ukraine ou d’autres filiales propriétaires à 100 % d’un des six

établissements.

La filiale Ivan Ukraine est spécialisée dans la production extensive céréalière répartie

elle-même en deux filiales de production dont l’une a dix unités de production. La filiale

ukrainienne possède aussi une filiale de prestation de service en machinisme agricole pour les

deux filiales de production.

58

Un silo bag est une longue bâche plastique utilisée comme mesure temporaire lorsque l’importance

des récoltes nécessite plus d'espace. Mais, certaines exploitations agricoles utilisent ce système de stockage de

manière continue parce que cette alternative au stockage « en dur » nécessite peu d'investissements.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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La société ukrainienne Petro est spécialisée dans la production extensive céréalière

répartie sur deux filiales de production dans la même région. La société compterait en tout

4 700 parcelles entre 10 et 1 000 ha. D’autre part, la société s’est lancée dans l’intégration

verticale de la filière vers l’aval en développant des usines de transformation du blé en farine

pour faire du pain, lui-même commercialisé dans ses deux boulangeries. Cette intégration

verticale de la production permet à la société de dégager une plus-value bien plus importante.

Ce choix de l’intégration verticale résulte bien d’une recherche d’optimisation de la valeur-

ajoutée.

Dans le cas d’entreprises cotées en bourse, Petro et Leroy, l’origine des capitaux est

multinationale et multisectorielle. De plus, puisque aucune de ces deux entreprises n’avaient

d’activité agricole avant le projet ukrainien, il n’y a pas eu de flux de matériel d’une

exploitation à une autre. Les capitaux des entreprises émanent donc des marchés financiers en

rupture avec l’origine rurale et agricole des capitaux. Dans le cas de l’entreprise Leroy, deux

de ces principaux actionnaires sont des sociétés de « gestion de fonds d’investissement dédiés

aux sociétés dont le développement à l’échelle mondiale prend en compte le développement

durable ».

Les origines professionnelles des responsables de l’entreprise Leroy sont diverses mais

toujours fortement liées au secteur financier. Ainsi, parmi les associés deux seulement ont

reçu une formation agricole mais tous ont travaillé dans la finance comme trader par exemple.

Les six unités de production détenues par Leroy holding partagent en théorie leur matériel

même si les membres de chaque établissement sont très peu en contact les uns les autres.

La société hollandaise Groen est une entreprise dont les deux associés hollandais sont

de la même famille. La société Groen a onze compagnies aux activités diverses dont la

production de béton, en Grande-Bretagne et en Irlande. En Ukraine, sa filiale Groen Ukraine

est elle-même actionnaire de deux filiales crée à deux ans d’intervalle, l’une en 2006, l’autre

en 2008 dans la même région. Chaque filiale est spécialisée dans une production agricole

différente, l’une dans la céréaliculture, l’autre dans l’élevage. Les deux filiales sont

autonomes l’une de l’autre.

L’entreprise étrangère Ivan est la propriété du fond d’investissement londonien Finch

Investment lui-même gestionnaire de placement exclusif de la société JadenFinch Limited,

basée à Jersey. Ce fond d’investissements investit dans des activités telles que le BTP, les

maisons de loisir et de luxe en Europe du nord et en Ukraine, la production de pétrole et le

captage de méthane « dans un processus de développement durable ».

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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L’entreprise Leroy a mis en place une stratégie de flexibilité, pour pouvoir s’inscrire

dans des stratégies spéculatives qui imposent de pouvoir modifier rapidement son offre, d’être

réactive. L’entreprise Leroy aurait pour objectif une fois une certaine superficie atteinte à un

moment T de revendre la société et bénéficier d’une plus-value suite à l’augmentation du

capital à l’hectare. Cette société est donc « prête à partir ». C’est pourquoi, elle gèlerait les

dépenses en équipement, et par conséquent louerait le matériel pour la moisson, tarderait à

investir dans les infrastructures de stockage. Les investisseurs étrangers sont arrivés pour la

grande majorité en Ukraine il y a cinq ans, lorsque la valeur foncière était encore faible. Et,

les investisseurs de la troisième trajectoire y ont trouvé une triple opportunité : une plus-value

foncière, une activité portée par la hausse du prix des matières première sur les marchés

internationaux, des conditions de productions extensives et donc moins exigeantes à

l’investissement.

L’entreprise Leroy a fait le choix d’une stratégie spéculative assise sur la flexibilité ;

elle développe cette stratégie à différentes échelles, pour jouer sur davantage de tableaux. En

Ukraine, elle a opté pour la création de six établissements, volontairement éloignés les uns des

autres, à plus de 200 km de distance. Cette multilocalisation intra-nationale est pour elle un

moyen d’équilibrer les risques climatiques. À l’internationale, l’entreprise vient de

s’implanter en Argentine. Cette multilocalisation internationale lui permet d’équilibrer les

risques de ses revenus cette fois-ci climatiques mais surtout géopolitiques. L’entreprise a

prospecté en Roumanie mais a fait le choix de l’Ukraine pour deux raisons : premièrement

parce que l’Ukraine ne fait pas partie de l’Union-Européenne, son économie est viable, c'est-

à-dire qu’une économie subventionnée par la PAC telle que c’est le cas en Roumanie ne serait

pas viable ; deuxièmement parce que l’implantation en Roumanie devait se faire

obligatoirement par l’achat des terres, ce que l’entreprise ne souhaitait pas.

De même, l’entreprise hollandaise Groen a mis en place une stratégie de flexibilité par

la sous-traitance du service marketing qui s’occupe de la vente des biens agricoles produits et

de la gestion des marchés à terme. Cette stratégie de flexibilité s’inscrit dans la stratégie

d’innovation dont émerge un nouveau modèle agricole.

L’entreprise Leroy assure ses récoltes sur les marchés à terme via deux sociétés : une

allemande et une russe. D’après mes contacts, l’entreprise Leroy n’aurait pas de stratégie de

vente contrairement à ce qu’elle déclare dans les communiqués de presse.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Quant à l’entreprise hollandaise Groen, sa filiale Groen Ukraine gère les ventes de la

production mais sous-traite les activités financières que sont les conseils de vente et les

marchés à terme.

Avant la mise en place des quotas, l’entreprise ukrainienne Petro faisait de

l’exportation directe c'est-à-dire qu’elle maitrisait le transfert de sa production de l’unité de

production au complexe industrialo-portuaire d’Odessa. Les produits transformés, c'est-à-dire

les produits boulangers, sont vendus sur le marché national voire même régional et assure

70 % de la consommation en pain de l’oblast.

La production est vendue à des exportateurs nationaux tels que Nibulon ou certaines

productions telles que le tournesol sur le marché national. En effet, il existe une filière de la

transformation du tournesol en Ukraine. Tout ce qui n’est pas transformé en Ukraine est

exporté. L’entreprise ne se charge pas de l’exportation. C’est à l’acheteur de s’organiser.

Cependant, l’entreprise hollandaise Groen paierait pour avoir le droit à exporter malgré la

politique des quotas.

4. CONCLUSION

Les trois trajectoires d’entreprises ainsi décrites dans cette partie provoque une

impression de continuité entre un modèle encore fortement familial dans la première

trajectoire, puis une agriculture capitalistique dans la deuxième et, enfin, une agriculture

financiarisée dans la troisième. Cette impression de continuité n’est pas établie : on ne sait pas

si la première trajectoire va devenir une deuxième trajectoire dans quelques années, bien qu’il

y ait un lien de progressivité lié à la superficie, et la dimension économique de ou des unités

de production. Pour ainsi dire, les lieux de commercialisation et l’organisation de la

production ne peuvent pas être les mêmes à l’échelle de la première trajectoire qu’aux

échelles des deuxième et troisième trajectoires. Les caractéristiques sont à la fois endogènes et

exogènes, c’est à dire à la fois liées aux choix économiques des acteurs et à une adaptation qui

n’est pas de leur propre initiative. Mais, ces caractéristiques sont aussi liées à une adaptation

aux particularités de la réalité ukrainienne.

L’Ukraine, et ce n’est pas anecdotique, n’a pas d’agriculture familiale sinon une agriculture

de subsistance dans les interstices laissées par le modèle agricole collectivisé. Ce qui équivaut

à étudier l’implantation agricole et son développement dans un contexte libéralisé qui, à la

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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différence de la France, n’a pas une agriculture de tradition familiale. En fait, il n’y a pas, en

Ukraine, véritablement de passage d’une agriculture familiale qui ait permis une

intensification productive progressive. La disparition de l’agriculture collectivisée après la

chute de l’URSS a laissé un vide qui a attiré des investissements aux objectifs bien

différentiés. Le projet des investisseurs nécessite ainsi un apport de capitaux adapté. Même

s’il est possible de constater des porosités, les trajectoires présentent des objectifs stratégiques

différents et parfois même contradictoire. La première trajectoire a l’objectif d’assurer la

reproduction familiale. La deuxième trajectoire constitue un choix stratégique de

développement par intensification de la production dans une perspective de long terme. Et, la

troisième trajectoire relève d’un « développement optimal » dans une perspective de

valorisation du foncier, du capital de l’entreprise et des productions sur les marchés

financiers. Maintenant que nous avons établi ces trois trajectoires d’entreprises, nous pouvons

tenter de « mesurer » l’impact de leur présence sur le territoire locale ukrainien.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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PARTIE 3. IMPACT SUR LE TERRITOIRE : LES ENJEUX D’UN NOUVEAU MODÈLE

AGRICOLE

Dans cette troisième partie, il s’agit de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse selon

laquelle l’entreprise aurait un impact négatif sur les territoires locaux en Ukraine.

Tout comme pour la construction des trajectoires évoquées dans la deuxième partie, le

matériel utilisé est celui d’entretiens, qu’ils soient téléphoniques ou en face à face. Ils ont été

réalisés au cours du premier semestre 2011 auprès d’un échantillon de douze entreprises

françaises et ukrainiennes et d’autres acteurs tels que l’administration ukrainienne, Ubifrance,

la filiale ukrainienne du Crédit Agricole ou Agritel. Les rencontres avec l’administration

ukrainienne aux échelles du conseil de village59

, du raion, de l’oblast et du gouvernement ont

donné accès à des statistiques. Les données statistiques étant imprécises, il est plus prudent de

s’en tenir aux ordres de grandeurs. Comme le confirme Marie-Claude Maurel, les statistiques

agricoles ne sont ni fiables ni comparables entre les pays car « les définitions retenues par les

organismes statistiques varient d’un pays à l’autre, l’enregistrement des unités de production

est peu fiable, notamment concernant les micro-exploitations individuelles qui ne sont pas

systématiquement prises en compte » (Maurel in Charvet, 2007). Dans le cas de l’Ukraine, les

micro-exploitations sont majoritaires et leur activité est essentielle dans le pays ; pourtant,

elles sont écartées de tous les recueils statistiques. Celles-ci sont d’ailleurs souvent

inexploitables. Ainsi, j’aurai souhaité illustrer l’analyse qui suit avec des arguments

statistiques, par exemple sur l’évolution des structures de production agricole dans le conseil

de village Zolotisti. Malheureusement, les statistiques dont je dispose sur le conseil de village

Zolotisti abordent seulement l’année 2009 et ne permettent donc pas une étude diachronique.

De plus, les deux sources de statistique sur ce conseil de village se contredisent. Cette

contradiction est certainement due à des différences de définitions statistiques. Enfin, malgré

une longue recherche d’explications, je n’ai pas réussi à distinguer les catégories statistiques

que recouvrent les expressions « exploitation agricole de marché », « investisseur », « société

anonyme », « coopérative de production », « coopérative préposée », « exploitation

agricole », ou encore « entrepreneur privé ». Mes sources statistiques sont donc difficilement

exploitables. D’autre part, je dispose d’un livre statistique complet avec les définitions

59

Le découpage administratif en Ukraine se fait ainsi : « conseil de village », « raion », « oblast ». Le

« Conseil de village » est la traduction littérale de « cільська рада » (silska rada) en ukrainien, l’équivalent de ce

que nous appellerions « commune » en français. Le « raion » est la traduction phonétique de « район » en

ukrainien qui peut se traduire par « district », « département », « espace », « secteur », « région ». Enfin,

« oblast » est la traduction phonétique de « област », en ukrainien qui peut se traduire par « région ».

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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statistiques. Cependant, les statistiques sont générales à l’échelle de l’oblast. Cette échelle

d’analyse n’est pas suffisamment pointue pour compléter notre étude de cas du conseil de

village.

Pour répondre à l’hypothèse, les indicateurs utilisés sont les enjeux locaux qui

émergent de la présence des exploitations étudiées, tant au niveau institutionnel, social que

économique. Par enjeux, on entend les intérêts que mobilise la présence de l’exploitation pour

les petits propriétaires fonciers, les élus, l’administration, la population, les autres

exploitations et tous les acteurs à l’échelle du conseil de village d’abord et plus largement du

raion. On s’intéressera au travers des réseaux locaux intégrés par l’entreprise : à la dynamique

locale, au développement d’infrastructures, à la création d’emplois, aux échanges marchands

et non marchands. Enfin, on tentera de dégager de ces enjeux, la relation entre les systèmes de

production, c’est-à-dire, les interdépendances entre les différents types de productions

agricoles en Ukraine.

D’abord, nous procèderons à deux études de cas, afin de comprendre les effets et

dynamiques qui se mettent en place localement lors de l’arrivée de grandes entreprises

agricoles. Je prendrai l’exemple de deux conseils de village dans lesquels sont arrivées des

entreprises françaises. Puis, nous terminerons par une réflexion, ainsi nourrit par le terrain, sur

l’étendu et les limites des avantages socio-économiques de la présence des entreprises

agricoles étrangères en termes de dynamique locale.

Les deux sites choisis se distinguent par l’attractivité de la région dans laquelle les

entreprises agricoles étrangères se trouvent. Par conséquent, elles développent leur relation au

territoire dans des contextes bien différents. Dans un cas, la relation de ces entreprises se

développe dans un contexte de forte concurrence, dans l’autre, l’accès au foncier est moins

conflictuel. Cette variable ayant une influence sur les relations au territoire, on la distribuera

dans les deux études de cas suivantes.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Figure 18. Localisation des conseils de villages Zolotisti et Zelioni ayant fait l’objet d’une étude de cas

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011.

1. ÉTUDE DE CAS : LE CONSEIL DE VILLAGE ZOLOTISTI

A. PRÉSENTATION GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE

À l’époque de l’URSS, le conseil de village Zolotisti était un kolkhoze de 7 896 ha

dont 6 232 ha étaient destinés à l’activité agricole, avec 5 317 ha de terres arables et le reste

de terres fourragères et de pâturages. Le conseil de villages Zolotisti, déjà composé de cinq

villages60

(voir Figure 19) à l’époque, comptait 3 500 habitants contre 2 300 habitants en

2011. L’exode rural, avec une baisse de 35 % de sa population en vingt ans, associé au fort

taux de chômage actuel, ont changé « le paysage » de Zolotisti (Maire du conseil de village

Zolotisti). L’agriculture est l’activité qui occupe la majorité des habitants « occupé par une

activité ». D’après un fichier statistique obtenu auprès du raion Rozovi, 45 % des habitants du

conseil de village sont occupés par une activité agricole. On remarquera que ce critère

statistique est différent de la population active.

60

Pour faciliter la compréhension des lieux, les cinq villages du conseil de village Zolotisti seront

appelés village 1 de Zolotisti, village 2 de Zolotisti, village 3 de Zolotisti, etc.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Figure 19. Ensemble des villages du conseil de village Zolotisti

Réalisation. Ariane WALASZEK, 2011

Les entreprises agricoles les plus anciennes du conseil de village Zolotisti, Sacha et

Mirko, créées en 2000, sont dirigées par des anciens chefs de poste du kolkhoze, un agronome

et un ingénieur mécanique. Ce sont aussi les plus petites en termes de superficie cultivée.

Quant aux deux entreprises agricoles les plus récentes, Rousseau et Ivan, celles-ci ont été

créées en 2006 et sont toutes deux à capitaux étrangers. Ce sont les plus grandes en termes de

superficie cultivée mais leur expansion voit déjà poindre d’autres géants à l’horizon.

a) L’arrivée de l’entreprise Rousseau

Le directeur de l’entreprise Rousseau a commencé son activité agricole en Ukraine en

2006 à l’âge de vingt-deux ans avec 400 ha et du matériel. En parallèle de sa propre

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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installation, il a installé un français, Henri, sur 600 ha mais celui-ci disposait déjà d’une

exploitation en France. C’est pourquoi, il ne pouvait pas investir trop d’argent en Ukraine et

« n’a pas tout bien fait » (Rousseau). Rarement sur place en Ukraine, c’est le directeur de

l’entreprise Rousseau qui cultivait 200 ha puis la totalité des 600 ha d’Henri. Au bout d’une

ou deux années, le directeur de l’entreprise Rousseau est devenu le gérant de l’exploitation

d’Henri, en plus d’y faire de la prestation de services agricoles. En difficulté dès le début,

Henri ne rémunérait pas le directeur de l’entreprise Rousseau pour les services rendus, pas

plus qu’il ne lui payait son salaire de gérant. Il a ainsi cumulé une somme d’impayés

importante, qui, au fil du temps a atteint 200 000 €, valeur équivalente au montant du capital

d’exploitation qu’avait Henri. Lorsque Rousseau a décidé d’arrêter de travailler pour Henri,

celui-ci a arrêté son projet en Ukraine et le directeur de l’entreprise Rousseau a repris sa

ferme avec toutes les dettes. De son côté, l’entreprise Rousseau s’est agrandit en ajoutant

400 ha à ses terres, parvenant à un total de 800 ha. C’est ainsi qu’en 2009, l’entreprise

Rousseau a atteint les 1 000 ha. Puis, 1 500 ha en 2011. Cet agrandissement progressif de

l’exploitation de l’entreprise Rousseau est, de l’aveu même de son directeur, une raison

essentielle de son succès. Les délais de remise en culture de terres en friches auraient

nécessité – sinon – des coûts à l’ouverture beaucoup plus importants. L’agrandissement

progressif de son installation a permis à l’entreprise d’assurer une rentabilité sur ses premières

terres qui a financièrement soutenu l’expansion de l’exploitation agricole.

Les 1 500 ha de l’entreprise Rousseau sont répartis sur trois conseils de villages de

trois raions différents, dont deux villages voisins et un à 40 km des deux autres qui

correspond à la dernière acquisition de 500 ha. L’entreprise Rousseau est enregistrée dans

chaque village sous un nom différent. La partie de l’exploitation dans le conseil de village

Zolotisti fait 400 ha, principalement concentrés dans le village 2 de Zolotisti. L’exploitation

se situe dans l’une des zones les plus fertiles du pays. Les terres et la pluviométrie sont

« exceptionnelles » (Rousseau), permettant des rendements comparables aux bonnes régions

françaises, le tout sans irriguer.

Le directeur aurait pu prendre beaucoup plus de terres à son installation mais il ne

voulait pas prendre de risque. Arrivé en 2011, il ne regrette pas ce choix qui lui a permis

d’avoir une exploitation rentable très rapidement. Mais, la concurrence foncière l’empêche

maintenant de s’agrandir.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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b) L’ « agroholding » Ivan

L’entreprise Ivan est arrivée deux mois après l’entreprise Rousseau et, si Rousseau

l’avait su, il ne se serait pas lancé dans ce projet. Il est obligé de faire 40 km pour ne plus être

sur le territoire de l’« agroholding » Ivan et donc trouver des terres. En effet, entre les deux

sites de production de l’entreprise Rousseau éloignés de 40 km, les trois quarts des champs

sont exploités par l’entreprise Ivan. Si l’entreprise Rousseau était arrivée quelques mois plus

tard, elle n’aurait pas pu s’installer puisqu’Ivan aurait pris toutes les terres.

Chacune des deux entreprises gênent l’expansion de leur voisin. Ainsi, en 2010, une

société en faillite de 5 000 ha dans un village du raion Rozovi était à vendre. L’entreprise

Rousseau voulait récupérer 1 000 des 5 000 ha de cette société mais l’entreprise Ivan a

récupéré la totalité des baux. « Il [Ivan] mange toutes les entreprises en faillite ». « Il

m’encercle » (Rousseau).

L’« agroholding » Ivan a beaucoup de moyens, puisqu’elle a toujours de nouvelles

machines et s’agrandit chaque année de plusieurs milliers d’hectares. D’après l’entreprise

Rousseau, l’entreprise Ivan est très spécialisée. Selon l’exploitant, elle « ne sait faire que du

maïs » car sur le raion Rozovi, l’entreprise sème 14 000 ha de ses 20 000 ha en maïs.

c) Les autres « agroholdings »

Dans la région, d’autres « agroholdings » sont présentes. Mais, celles-ci semblent

moins gêner l’entreprise Rousseau car elles étaient présentes avant elle, et ne sont pas en

compétition directement dans le conseil de village Zolotisti.

Présentée dans la troisième trajectoire, l’entreprise Petro est effectivement arrivée

avant les entreprises Rousseau et Ivan. Avec ses 136 000 ha et des activités très intégrées,

depuis la production agricole jusqu’aux boulangeries, elle est bien plus grande que

l’entreprise Ivan. C’est d’ailleurs la plus grande société agricole de la région. L’objectif de

cette « agroholding » serait d’entrer en bourse, mais pour cela elle dit devoir atteindre les

200 000 ha. L’entreprise Petro serait devenue trop grande. « Tant que tu développes ça va,

mais quand tu stagnes au bout d’un moment, il faut tenir la machine, il faut gérer ».

« L’entreprise serait restée à 50 000 ha bien gérés, elle se tiendrait tout aussi bien »

(Rousseau). Mais, ce n’est de toute évidence pas l’objectif de ses directeurs : « Leur optique

normalement, c’est de se foutre à la bourse ». Toutes les « agroholdings » veulent arriver à

200 000 ha pour entrer en bourse. En effet, plusieurs directeurs interviewés indiquent que

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200 000 ha est une taille qui intéresse au niveau mondial pour être rachetée par des grosses

sociétés multinationales.

Concurrent de l’entreprise Petro, l’ « agroholding » MRIA siège 100 km plus loin,

dans l’oblast voisin. À l’origine, spécialisée dans la production de pomme de terre sur

50 000 ha, cette entreprise atteint maintenant les 200 000 ha. Mais, il faut de la place pour

toutes ces terres. C’est pourquoi, les entreprises Petro et MRIA sont maintenant voisines et

empiètent sur le territoire de l’une et l’autre. Ces « empires » sont des entreprises qui savent

faire de l’argent. Les capitaux de départ aux origines douteuses, ont permis à ces sociétés

d’investir cet argent dans les terres. « Elles ont su s’y prendre et faire de l’argent. Quand une

société a un bilan financier positif, elle se développe. Il y a des gens qui savent faire et

d’autres qui ne savent pas faire. Ceux qui savent faire, ils se développent et ça donne des

empires » (Rousseau).

D’autres « agroholdings » sont présentes telles que l’entreprise ATK, basée à 60 km,

qui appartient à un fond de pension américain. Enfin, Agro-Region, une entreprise de

50 000 ha, est dirigée par un ancien ministre de l’agriculture ukrainien.

Cependant ces « empires » ne s’agrandiraient plus, ou moins rapidement, depuis ces

trois dernières années à cause de la concurrence foncière.

d) Perspectives

Si l’entreprise Rousseau et les autres entreprises à gros capitaux étrangers ou

ukrainiens ont pu s’implanter en Ukraine, c’est parce qu’elles sont arrivées quand la terre

n’avait pas de valeur. « On a pu profiter du manque de financement des banques et avoir des

terres pour presque rien » (Rousseau). Tant que les banques ne fonctionnent pas,

l’investisseur étranger a beaucoup plus de facilité que les Ukrainiens et seules les

« agroholdings » arrivent à s’agrandir rapidement parce qu’elles accèdent à des banques

internationales. L’argent injecté au début de la course vers les terres ukrainiennes venait donc

essentiellement de l’extérieur alors que les entreprises agricoles ukrainiennes de moins de

1 000 ha ont, aujourd’hui encore, très peu accès au crédit. Lorsqu’elles obtiennent des

financements, c’est avec un taux d’intérêt prohibitif de 15 %.

En cas de levée du moratoire, la situation pourrait se reproduire : l’accès aux crédits

étant difficile sur place, seules les entreprises dont les capitaux viennent de l’étranger, ou les

entreprises nationales très capitalisées, en lien avec les marchés financiers internationaux,

pourraient accéder à l’achat des terres. Pourtant, le directeur de l’entreprise Rousseau voit

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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cette levée du moratoire comme une opportunité pour battre ses puissants concurrents. En

effet, d’après lui, son capital à l’hectare beaucoup plus élevé que celui des « agroholdings »

lui donnera l’avantage, parce que son capital est réparti sur des superficies beaucoup moins

importantes. Ainsi, le directeur de l’entreprise Rousseau pense que les « agroholdings »

tireront leurs offres de prix d’achat vers le bas pour acquérir le plus de pailles possible. Alors

que lui, qui souhaite ne pas dépasser les 5 000 ha, pourra en offrir un prix plus élevé et plus

compétitif lors de la vente. C’est pourquoi, ce directeur conseille de ne pas s’agrandir trop

vite, afin de s’assurer d’avoir en permanence le capital nécessaire pour être prêt à l’achat de

terre quand le moratoire prendra fin. Ses réserves se portent plutôt du côté des villageois qui

ne seront pas prêts à vendre leur paille, sauf ceux qui auront besoin d’argent rapidement pour

des raisons familiales. Et même dans le cas où les propriétaires voudraient vendre, il faudrait

attendre alors la fin du bail.

Maintenant que nous avons présenté successivement ces exploitations agricoles du

conseil de village Zolotisti, nous pouvons analyser les nombreuses interactions qu’elles

entretiennent tout au long de leur développement. Ces interactions s’inscrivent dans des

relations de partenariat ou de compétition.

B. VOISINAGE AGRICOLE : COLLABORATION ET CONCURRENCE

Il y a cinq ans, à l’arrivée des deux investisseurs étrangers, le conseil de village

Zolotisti était constitué d’un paysage principalement de friches. Depuis, toutes les terres ont

été remises en culture, de même que les « terres de réserve ». En cinq ans, l’accès au foncier

est devenu difficile. On constate aujourd’hui une lutte des entreprises agricoles pour sécuriser

leur foncier et obtenir les baux restants.

a) Collaboration et concurrence autour du foncier

La répartition des entreprises sur le territoire du conseil de village Zolotisti s’est faite à

partir des unités de production de l’ancien kolkhoze et quatre à cinq entreprises agricoles se

battent pour avoir les terres du conseil de village.

Chaque entreprise agricole occupe l’unité de production d’un des cinq villages. Les

agriculteurs appellent ces unités de production, « base ». Chaque entreprise privilégie la

location des pailles les plus proches de leur « base ». C’est ainsi que se répartissent les

entreprises sur le territoire communal.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Le schéma (voir Figure 20) est un exemple de la répartition spatiale des entreprises

dans le village 1 de Zolotisti où l’entreprise Sacha a sa « base ».

Figure 20. Plan de zonage des entreprises agricoles dans le village 1 Zolotisti

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

Ainsi, comme on le voit sur la Figure 20, les pailles louées par l’entreprise Sacha sont

concentrées à l’ouest du village 1 de Zolotisti alors que celles de l’entreprise Mirko sont à

l’est plus près de sa « base » implantée dans le village 2 de Zolotisti; celles-louées par

l’entreprise Rousseau sont concentrées au centre et au sud du village. Quant à l’entreprise

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Ivan classée dans la troisième trajectoire, les parcelles qu’elle exploite entourent les autres

entreprises.

Cependant, dans les faits les parcelles sont rarement parfaitement homogènes, une

entreprise loue toujours quelques pailles éparpillées sur des parcelles dont la majorité des

pailles ne sont pas sous sa location mais sous celle d’une autre entreprise. Dans ce cas,

l’entreprise échange le droit d’usufruit de la paille avec l’entreprise majoritairement présente

sur la parcelle afin d’obtenir des superficies continues. Cet échange est officieux et s’opère

lors de réunions entre voisins agricoles.

Ces réunions sont rares et ne sont pas bon signe. « Quand il y a des réunions, c’est

quand il y a des problèmes » (Rousseau). Mais, lors de la mise en route de l’entreprise, des

réunions ont eu lieu pour mettre au point l’échange de terre entre les entreprises pour

optimiser la continuité du parcellaire. Ainsi, depuis ses réunions, l’entreprise Rousseau a

échangé l’usage de parcelle avec la petite entreprise Mirko.

L’entreprise Rousseau est en concurrence pour l’accès au foncier principalement avec

l’ « agroholding » Ivan. L’entreprise Rousseau essaie d’obtenir des baux de longue durée

pour sécuriser son foncier. D’après la loi ukrainienne, la durée d’un bail peut varier de un à

quarante-neuf ans et onze mois. Mais, dans certains raions, la durée du bail est fixée

officieusement par l’administration. C’est le cas du raion Rozovi du conseil de village

Zolotisti. En 2006, à son arrivée, l’entreprise Rousseau contractait des baux de dix ans.

Depuis, la durée d’un bail a été réduite à cinq ans, sous la pression du raion auprès des

propriétaires. Pour obtenir une concentration foncière de 1 500 ha, l’entreprise Rousseau loue

ainsi les pailles de six-cents propriétaires.

Plusieurs alternatives se présentent pour contrer la difficulté d’accès au foncier

agricole dans le jeu des modalités locales. Du fait de la forte concurrence foncière depuis

quelques années, la recherche de foncier disponible est une activité permanente de

l’entreprise. Les « terres idéales » (Rousseau) à proximité de l’exploitation Rousseau, c’est

l’« agroholding » Ivan qui les occupe : une surface plane de plusieurs centaines d’hectares (la

grande parcelle au Nord sur la Figure 20). Dans ce cadre, l’information sur le foncier

disponible est stratégique.

Pour accéder au foncier en situation de rareté, la pratique la plus efficace reste le

rachat d’entreprise en faillite. L’information stratégique essentielle est alors le nom des

entreprises en faillite prête à vendre. L’entreprise doit créer son réseau et alimenter celui-ci

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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financièrement de façon à ce qu’il lui communique les offres de locations intéressantes. Une

autre solution est de corrompre l’administration, comme le ferait l’« agroholding » Ivan, pour

être la première informée des entreprises en faillite. C’est d’ailleurs pour cette raison que les

rencontres avec l’administration ont été peu fructueuses lors de mes entretiens, celle-ci

refusant de donner le nom et la localisation des entreprises agricoles du raion. Ainsi depuis

quelques années, l’entreprise Ivan rafle toutes les opportunités d’agrandissement de

l’entreprise Rousseau. Le directeur de l’entreprise Rousseau soudoie lui aussi

l’administration : après avoir donné un pot de vin au chef de l’administration en échange de

proposition pour reprendre des terres, il a eu une proposition de l’administration pour

récupérer 400 ha d’une « agroholding » qui ne paie pas ses impôts. Mais, à ce jeu-là,

l’entreprise Rousseau ne peut rivaliser avec les moyens dont dispose son concurrent Ivan.

Il existe, malgré tout, des moyens alternatifs et horizontaux pour accéder à

l’information. Le directeur de l’entreprise Rousseau dit ironiquement que « c’est avec les

agroholdings qu’on fait les meilleures affaires ». Il explique ainsi que ce genre d’entreprise

délègue tout, au sein d’un montage juridique pyramidal et reprend aussi bien les bonnes que

les mauvaises terres. De sorte qu’un responsable chargé de reprendre des terres de

l’« agroholding », simple ouvrier, gagne 2 500 UAH/mois61

. Ce responsable travaille donc en

off pour l’entreprise Rousseau afin de lui permettre de contracter quelques hectares sur les

pailles les plus intéressantes. Il reçoit en échange un paiement de 1 000 UAH/ha62

. S’il

contracte une affaire de 500 ha, il pourrait ainsi gagner 500 000 UAH63

. « 500 000 grivna,

c’est rien pour moi, mais pour lui [l’employé de l’« agroholding »], ça lui ferait combien

d’année de travail ? » (Rousseau).

Ainsi, pour Rousseau, « ces grands empires délèguent de partout et ça part en

déconfiture ». Pourtant, même en y ajoutant les problèmes de vols sur les « bases », ces

« agroholdings » gagnent encore de l’argent. Selon le directeur de l’entreprise Rousseau, elles

font des bénéfices importants parce que les récoltes sont bonnes et se vendent chères. Mais,

quand arrivera une mauvaise année, seules les entreprises travaillant pour elle-même comme

l’entreprise Rousseau pourront se permettre de continuer à investir pour se développer. Il

suffit d’une année avec un bilan négatif et l’investisseur partira. « Ces agroholdings ne

peuvent pas tout maitriser » (Rousseau). L’entreprise Rousseau ne s’inquiète donc pas de son

avenir en Ukraine, bien au contraire « c’est plutôt pas mal pour moi » (Rousseau).

61

Un peu plus de 200 €. 62

Un peu moins de 100 €/ha. 63

Un peu moins de 45 000 € pour 500 ha.

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Comme nous avons pu le constater, cette concurrence s’exprime essentiellement

autour du foncier. L’arbitrage de la compétition est assumé d’une part par les institutions

administratives et représentatives sous la forme de rémunération marchande et non

marchande, et d’autre part par les habitants notamment les paillitevistes64

et les employés.

b) Autres collaborations et coopérations

Abordons maintenant les échanges qui ne sont pas liés par l’enjeu foncier. Il s’agit

d’échanges d’informations et de services entre exploitants avec des partenaires commerciaux,

des prestataires de service et tous les acteurs associés à l’implantation agricole française en

Ukraine.

Le réseau associatif agricole n’est pas très développé dans la région. L’entreprise

Rousseau est bien adhérente à une « association des producteurs agricoles » qui regroupe les

exploitants de moins de 2 000 ha. Mais, le président de l’association avait des informations

sur une entreprise en faillite, et c’est la raison pour laquelle le directeur de l’entreprise

Rousseau à juger opportun d’y adhérer. Cependant un des rôles de l’association consiste à

mettre les adhérents d’accord sur un prix de loyer à payer aux propriétaires. Ainsi, chaque

année, l’entreprise Rousseau reçoit un appel téléphonique de l’association qui lui demande

combien elle a l’intention de payer ses propriétaires. Cela permet à l’entreprise Rousseau

d’avoir un repère pour la rémunération de ses pailletivistes bien que l’entreprise paie

généralement plus que le montant du loyer décidé par l’association. Si elle paie beaucoup plus

que le montant décidé, l’association viendra le lui faire savoir.

Les collaborations observées sont plus généralement le fruit d’un contact direct. Ainsi,

l’entreprise Rousseau est en contact avec l’entreprise Martin, de la deuxième trajectoire.

Éloignées par la distance l’une de l’autre, ces deux entreprises se tiennent par exemple,

informées de l’évolution de leur récolte. Les échanges peuvent aborder des services d’une

autre nature : l’entreprise Rousseau a accompagné la récente installation de l’entreprise

Mercier, implantée dans un raion voisin. Ces deux entreprises sont en contact quotidien dans

le cadre d’aides diverses liées à l’exploitation agricole. D’autre part, l’entreprise Rousseau

reçoit par exemple des visites organisées par un agriculteur français retraité qui propose aux

64

Rappel : nom donné aux propriétaires d’une part foncière, d’une paille.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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agriculteurs français un service d’« agrotourisme » en Ukraine. Ainsi, le groupe visite

l’exploitation Rousseau. Toutefois, le directeur de l’entreprise se lasserait de ces visites

d’agriculteurs curieux sans projet concret. Il montre ainsi une réelle volonté de collaboration

autour de l’implantation de nouvelles exploitations françaises en Ukraine si tenté qu’il

s’agisse de projets concrets.

En dehors des agriculteurs, les partenariats et les collaborations peuvent s’établir avec

tout un ensemble de prestataires de services ou de fournisseurs.

Ainsi, le directeur Rousseau a appris que son collègue Mercier travaille au montage

d’un partenariat avec une société française spécialisée dans l’ingénierie agronomique qui voit

l’Ukraine comme un marché porteur. L’entreprise met à disposition une partie de ses champs

en échange de matériel pour faire ses propres expérimentations. Alors qu’en France, ce sont

généralement des organismes publics/privés qui se chargent de l’expérimentation

agronomique ; ce type de partenariats existe aussi, mais avec des conditions différentes. Le

manque d’encadrement technique agronomique et de moyens logistiques et financiers

disponibles en Ukraine ont donc entrainé les agriculteurs investisseurs français vers une

intégration verticale partielle de leur métier notamment par l’expérimentation des semences

en Ukraine.

L’entreprise Rousseau reçoit d’autres visites telles que celles de la société de conseil

Agritel qui lui a demandé d'organiser une rencontre avec les agriculteurs Français du coin.

L’objectif de la rencontre n’a pas été spécifié. La société Agritel cherche certainement à créer

un réseau de clients potentiels, auxquels vendre des informations ou des services. Cette

société organise aussi des voyages professionnels et fait du consulting.

Les entreprises Martin et Rimbaud, d’ailleurs, mobilisent aussi les marchés à terme

alors qu’il n’existe pas d’organisation des marchés à terme en Ukraine. Pour pouvoir le faire,

les associés qui se sont formés en France, font appel à un partenariat avec des sociétés

françaises telles que Desnagrain. Ainsi, l’implantation des entreprises agricoles charrient avec

elles tout un réseau de prestataires disponible qui propose des services destinés à répondre à

des besoins spécifiques de cette nouvelle agriculture au regard des lacunes du contexte

économique, juridique et administratif ukrainien.

Toutes ces collaborations avec des prestataires ou des exploitants sont souvent

éloignées ou en tout cas pas directement en concurrence foncière. La matrice de celles-ci est

un lien maintenu avec la France. On constate un effet d’attraction et d'entraînement que les

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français exercent les uns sur les autres : l'un va en Ukraine, a besoin de services n'existant pas

sur place et crée ainsi un marché pour des prestataires, qui vont ainsi répondre à une demande,

ou bien innove et met en place des pratiques auparavant inenvisagées, que d'autres vont

imiter. Produit de l'arrivée de nouveaux agriculteurs et du manque d'organisations collectives

dans l'agriculture ukrainienne, ces initiatives sont liées à l'arrivée d'une nouvelle agriculture et

les français ne sont pas seuls à les mener. Tout cela finit par produire un effet d’entrainement

plus général sur l'agriculture locale : les semences sélectionnées pour Mercier et pour les

entrepreneurs étrangers vont certainement finir par être vendues à d'autres, ou par donner à

des locaux l'idée d'en faire de même.

C. RELATION AU TERRITOIRE

La relation au territoire de l’entreprise et celle de l’entrepreneur dans un

environnement de forte interconnaissance sont intimement liées. Les liens non formalisés

d’échanges et de rétributions créent de fortes interdépendances. De sorte que dans un milieu

social d’interconnaissance et d’interdépendance, le dirigeant de l’exploitation, représente

celle-ci auprès de ses interlocuteurs. Cette dernière remarque concerne bien plus le gérant que

le propriétaire de l’entreprise. De la qualité de son intégration va dépendre celle de son

entreprise et de la qualité de celle-ci dépendra en retour la sienne. C’est pourquoi, nous

étudierons de front et indistinctement autant la relation de l’entrepreneur que celle de

l’entreprise. Nous aborderons donc ici la relation au milieu social puis celle avec les

institutions locales.

a) Relation au milieu social ukrainien

Le directeur de l’entreprise Rousseau vit en ville à vingt minutes en voiture de son

exploitation. Il a d’abord vécu dans un appartement, puis s’est acheté une maison neuve dans

une petite résidence, construite sur le modèle des gated communities65

. Il rentre peu en France

mais ça ne lui manque pas. « Je ne m’affole pas à rentrer » (Rousseau). D’ailleurs, il n’a pas

l’intention de retourner vivre en France. Il se sent bien en Ukraine, sur son exploitation avec

ses ouvriers et propriétaires dont il a gagné la confiance. Malgré tout, la concurrence foncière

avec son voisin agricole Ivan le pousse à changer d’exploitation. Ainsi, le directeur de

65

De l’américain « communauté fermée ». Quartier résidentiel ultra sécurisé où l’espace public est

privatisé.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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l’entreprise Rousseau a cherché à vendre son exploitation pour en reprendre une plus grande.

Il a trouvé l’acheteur mais n’est plus vendeur parce qu’il n’a pas trouvé la « ferme idéale »

(Rousseau) de 3 000 ha. D’autre part, il ajoute « ici, je n’ai aucun problème ». Il est bien

intégré auprès des villageois, il est « en place » (Rousseau) et hésite à prendre le risque de

quitter cette région pour une autre et devoir tout recommencer sans l’assurance de bien

s’intégrer. D’ailleurs, on constate une véritable appropriation du territoire par cet exploitant

qui utilise systématiquement des pronoms possessifs lorsqu’il désigne « ses » villages

d’implantation. Une bonne relation au territoire est ainsi pour lui un enjeu et un acquis

précieux. Pourtant, ce directeur de l’entreprise Rousseau a un discours très condescendant sur

les ukrainiens, qui seraient pacifistes – ce qui signifie « soumis » pour lui. Les Ukrainiens

auraient peur de tout et manqueraient d'autonomie. C’est ce qui l’amènerait à être omniprésent

sur l’exploitation pour leur indiquer ce qu’ils doivent faire et vérifier qu’ils le fassent bien.

Selon lui, il doit montrer qu’il est capable de faire le même travail que celui qu’il demande à

ses ouvriers et doit travailler aussi dur qu’eux. Mais surtout, le directeur justifie son

omniprésence comme nécessaire pour être respecté par ses ouvriers et ainsi ne pas être volé.

Tous ses faits et gestes sont réfléchis, pour être bien vu et respecté par ses ouvriers à la fois

villageois et parfois même bailleurs.

En Ukraine, le système de vol est organisé. « Ce n’est pas du vol, c’est de la

répartition de la richesse, c’est normal » (Rousseau). Le directeur de l’entreprise Rousseau ne

pense pas être volé par ses ouvriers car il établit ainsi une différence entre les petits larcins

qu’il constate dans son exploitation et le vol. En revanche, il insiste sur la fréquence et la

dimension des vols sur les exploitations des « agroholdings ». Par exemple, les agronomes

des « agroholdings » volent les produits phytosanitaires : ils font acheter de fortes doses à

l’employeur, puis n’en appliquent que deux tiers. Le résultat est suffisant dans le champ avec

un tiers de produits en moins. Mais, les un-tiers de produits phytosanitaires restants sont

vendus par l’agronome à d’autres entreprises. Le coût moyen des produits phytosanitaires est

de 100 €/ha, sur une entreprise de 100 000 ha cela revient à prélever une quantité de produit

prévue pour 30 000 ha soit d’une valeur de 3 000 000 €. L’agronome n’est pas seul, c’est une

centaine de personnes qui se répartissent le gain de ce vol. L’explication des belles voitures en

Ukraine des fonctionnaires locaux montrent à quel point le maillage des interdépendances

peut être dense et engage les acteurs bien au-delà des clivages institutionnels ou des

appartenances à une entreprise agricole.

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b) Relation dans le système politico-administratif local

L’entreprise Rousseau ne reçoit pas de soutiens locaux particuliers. Elle s’assure

seulement d’ « être bien avec tout le monde ». Et cette différence est parfaitement intégrée,

dans l’esprit du directeur Rousseau qui dissocie « je n’ai pas de problème avec cette

personne-là » et « cette personne-là ne m’apporte pas d’aide ». Ne pas avoir de problème

avec l’administration locale signifie que l’administration ne pose aucune entrave abusive de

contrôle administratif, fiscale ou sanitaire. Et cela nécessite pour l’entreprise Rousseau de

fonctionner selon les modalités locales : arrangements, corruption, etc. Ces modalités locales

sont certes nécessaires, mais ne sont pas suffisantes pour que l’administration locale offre à

l’entreprise Rousseau de quelconques facilitées. Ainsi, l’entreprise Rousseau cède aux

exigences locales de corruption non pas pour être avantagé mais simplement et

« normalement » pour ne pas être désavantagé.

Relation avec l’administration du raion Rozovi

Les entreprises agricoles sont en relation régulière avec le raion Rozovi, au moins une

fois par semaine, particulièrement pendant la saison de travail pour déclarer les superficies

ensemencées, etc. Dans le cas de l’entreprise Rousseau, c’est la directrice-traductrice qui

s’occupe des relations administratives. « Le raion m’embête car je n’embauche pas beaucoup,

je ne paie pas beaucoup d’impôt et je ne fais pas d’élevage » (Rousseau). L’élevage est un

secteur d’activité qui embauche beaucoup de monde. De plus, plus le raion compte des

activités d’élevage dans ses statistiques plus il touche de subvention. Les entreprises évitent à

tout prix d’avoir le raion contre elles, sinon elles subissent beaucoup plus de contrôles

fiscaux.

Lorsque l’entreprise Rousseau est arrivée, l’administration lui a fait visiter toutes les

terres disponibles du raion Rozovi. Beaucoup étaient en friche. Mais, depuis l’arrivée de

l’ « agroholding » Ivan, l’administration du raion Rozovi ne lui propose plus que les terres

dont Ivan ne veut pas c'est-à-dire les mauvaises terres. L’entreprise Ivan paierait

l’administration du raion Rozovi pour qu’elle garde le silence sur la localisation de ses terres

et ses projets ainsi que le nom des entreprises en faillite prêtent à vendre. L’entreprise Ivan

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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paierait au moins 200 $/ha66

(140 €/ha) pour avoir la priorité. En plus de ces 200 $/ha,

l’entreprise paierait « tout le système autour » (Rousseau) sous-entendu l’administration.

« Depuis qu’il [l’entreprise Ivan] est là, je vois qu’ils [les gens de l’administration] ont tous

des voitures neuves. Tu vois bien. L’argent sort d’où ? » (Rousseau). L’administration

gagnerait un salaire de 2 000 UAH (173€). Le directeur Rousseau souligne ainsi que ça n’est

pas avec ce salaire que les employés de l’administration peuvent se payer une voiture de

200 000 UAH (17 300€). La valeur des voitures de l’administration correspond à plus de huit

ans de salaire. « En pourcentage, il [Ivan] ne donne pas plus que ce que moi je donne. Mais,

sur 20 000 ha, ça leur [employés de l’administration] permet d’acheter une maison, une

voiture alors que moi ça leur permet de nourrir seulement leurs poules » (Rousseau). Donc,

l’entreprise Rousseau elle aussi, procède à certains arrangements avec l’administration locale,

mais à son échelle et celle-ci n’a pas les prétentions de l’entreprise Ivan.

Relation avec le conseil de village Zolotisti

Les entreprises agricoles sont en relation quotidienne avec le maire du conseil de

village Zolotisti. Le maire peut aider les entreprises à trouver des propriétaires prêts à louer

leur paille. Dans le cas de l’entreprise Rousseau, c’est ce qu’a fait l’ancien maire avec qui

l’entreprise était en bons termes. Mais, depuis qu’il a été remplacé il y a un an et demi, les

relations ont changé car le nouveau maire aimerait beaucoup plus l’argent que son

prédécesseur et favoriserait l’entreprise Ivan.

L’ « agroholding » Ivan aurait maintenant des relais locaux pour exercer des pressions

ou corrompre les représentants publics (maires, raion, gestion foncier), sans compter que sa

superficie et les capitaux qu’elle manipule lui donnent un poids considérable. Suite à

l'activisme d’Ivan, le maire n’aide plus Rousseau. Ivan soudoie les caciques locaux et possède

une influence particulièrement grande auprès des maires de « ses »67

villages. Rousseau est

donc plutôt en froid avec le maire mais évite tout conflit ouvert.

Pour tenter de renverser la situation, l’entreprise Rousseau paie son loyer plus cher que

son concurrent Ivan, discute avec les villageois, emploie plus d'ouvriers que nécessaire pour

soigner sa réputation et mettre les villageois de son côté. L’entreprise prête quelques services

aux locaux également, par exemple, par des avances sur loyer lorsque les villageois ont des

66

La devise monétaire ukrainienne s’appelle le « Hryvnia » de l’ukrainien « гривня ». UAH est le code

ISO, norme internationale d’appelation de la monnaie, ₴ est le signe de la monnaie. 100 UAH = 8,66 € = 12,5 $

soit 1 600 UAH = 140 € = 200 $. 67

Le pronom possessif « ses » désignes les villages de Rousseau.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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problèmes sérieux de type santé. Elle aide au village en livrant un peu de grain et en finançant

quelques travaux.

Ces petits arrangements viennent en plus d’un accord déjà entendu. L’entreprise ne

reçoit plus d’aide particulière de la mairie mais elle continue en revanche à aider la mairie.

Les entreprises considèrent cette aide comme un « impôt social ». Le cas du conseil de village

Zolotisti est particulier. En effet, chaque entreprise paie 10 UAH/ha/an (4,33 €/ha/an). Cet

accord s’applique dans tout le raion Rozovi mais il est facultatif. Seule l’entreprise Mirko a

refusé de signer cet accord « hypocrite » selon elle. L’entreprise Mirko dit préférer adresser

son aide directement aux villageois sans passer par les « mains mafieuses » du maire.

Procédons maintenant à une seconde étude de cas, cette fois-ci dans le raion Zelioni au

nord-est de l’Ukraine.

2. ÉTUDE DE CAS : LE CONSEIL DE VILLAGE ZELIONI

A. PRÉSENTATION GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE

a) Histoire de la production agricole

Cette seconde région d’étude a pour particularité de se situer à la frontière russe. À

l’époque de l’URSS, cette frontière n’existait pas. Chaque oblast était spécialisé dans une

production agricole et celle du raion Galouboï était exportée à Moscou. Mais à la chute de

l’URSS, une frontière sépara l’Ukraine et la Russie. L’apparition brutale de cette frontière a

fermé le marché d’exportation de cette région vers Moscou. La production a alors été

redirigée vers Kiev et d’autres régions d’Ukraine, mais dans des conditions de marché peu

favorables. Par conséquent, le raion Galouboï a abandonné son activité agricole. Un paysage

de friche s’est alors développé. C’est seulement depuis ces cinq dernières années que 80 %

des terres agricoles ont été remises en culture.

Pendant l’URSS, le raion Galouboï comptait une vingtaine de kolkhozes et l’élevage

était l’activité agricole la plus importante. Vingt ans plus tard, seuls trois ou quatre kolkhozes

ont survécu. Les autres, tous en faillite, ont été rachetés par des investisseurs étrangers, dont

l’arrivée a permis le retour de la production de céréales. Ainsi, en 2011, la production

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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céréalière occupe 60 % de la surface agricole du raion Galouboï, principalement avec du blé

d’hiver.

En six ans, l’agriculture est devenue la principale source de revenu du raion Galouboï

grâce aux impôts des entreprises étrangères. Les entreprises présentes dans ce raion sont les

entreprises Dupont et Luda, relevant de la deuxième trajectoire et les entreprises Groen et

Leroy 2 de la troisième trajectoire. Les deux premières louent une partie de leurs terres dans le

même conseil de village : le conseil de village Zelioni.

Figure 21. Répartition spatiale des entreprises agricoles du raion Galouboï

Réalisation. Ariane WALASZEK, 2011

Le conseil de village de Zelioni se situe au bord de la route allant à Moscou. Avant

2000, le village se composait de quatre-cent-vingt-cinq pailles d’une moyenne de 5 ha

chacune. Il y avait trois exploitations agricoles de 50 ha en moyenne. Une seule des trois a

survécu avec ses 46 ha, semés de sarrasin, blé et orge par un agriculteur du village. Cette

petite exploitation résiste bien à la concurrence des grandes entreprises agricoles voisines.

L’entreprise Dupont a repris les baux des pailles des deux autres exploitations agricoles. La

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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première entreprise agricole étrangère, Dupont, est arrivée en 2008. Ensuite, est arrivée

l’entreprise Leroy.

Les entreprises rencontrées ont évoqué la présence de l’ « agroholding » AgroInvest

qui serait locataire de 11 000 ha dans le raion mais n’en cultiverait que 6 000. Le département

agricole du raion, quant à lui, a évoqué la présence de l’entreprise Chaligniskié qui cultiverait

4 700 ha et serait spécialisée dans le trading pour l’exportation.

b) L’implantation des exploitations agricoles françaises

Le choix d’implantation dans le nord-est de l’Ukraine est étonnant de la part des

entreprises agricoles françaises car le climat est plus rude qu’ailleurs, l’hiver plus long et plus

froid. À cette interrogation, le directeur de l’entreprise Dupont répond que « la fertilité des

sols ne fait pas tout. C’est surtout l’accès aux axes routiers et donc au marché qui fait le

choix de la localisation » (Dupont). En réalité, c’est surtout les réseaux sociaux qui ont amené

les entreprises Dupont et Leroy 2 à s’implanter ici : la coopérative française Champagne

Céréales avait un contact français dans ce raion et a joué un rôle déterminant.

Tout a commencé, il y a trois générations avec un Ukrainien qui possédait plusieurs

usines en Ukraine qui dû s’expatrier en France pendant la Révolution russe. Trois générations

plus tard, son arrière-petit-fils français cherche à remettre en activité ses usines dans la région

pour transformer du lin. Dans un même temps, la coopérative française Champagne Céréales

souhaite se rapprocher du bassin céréalier de la Mer Noire. Le Français du lin installé en

Ukraine est en contact avec la coopérative et lui conseille ce raion frontalier avec la Russie.

Le projet est lancé. La coopérative fait alors appel à des agriculteurs français prêts à s’installer

en Ukraine. C’est ainsi que l’entreprise Dupont, qui réfléchissait depuis déjà quelques années

à un tel projet, s’est associée au projet de Champagne Céréales. Le projet était basé sur une

organisation en coopération croisée : la coopérative choisit la région cible, y met en place un

réseau de silos et d’achat des céréales ; les agriculteurs exploitent les terres. Mais, un an et

demi plus tard, constatant la complexité du projet en termes d’organisation et d’agriculteurs à

installer, les adhérents décident de mettre un terme au projet. En 2008, la coopérative

française cède le projet à l’entreprise Leroy. Seulement, alors qu’entre temps, l’entreprise

Dupont s’est installée, l’entreprise Leroy n’a pas les mêmes intentions que Champagne

Céréales. Ainsi, le retrait de la coopérative va de pair avec le désengagement quant à

l’accompagnement à l’installation des agriculteurs. L’entreprise Dupont est la première à

s’être lancée puisque elle y songeait avant même la proposition de Champagne Céréales.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Quant aux autres agriculteurs, ceux-là s’y étant pris un an plus tard, ils ont eu le temps de se

rétracter. D’autant plus qu’à cette période, le contexte de la crise mondiale de 2008 a

provoqué une perte de confiance.

L’installation de l’entreprise Dupont a été relativement compliquée. Sa localisation

avait déjà été décidée par Champagne Céréales. La coopérative devait s’occuper de tout.

L’agriculteur, lui, devait arriver en Ukraine et avoir toutes les terres qu’il voulait. « Le projet

avec Champagne Céréales nous était présenté comme simple » (Dupont). Dans les faits, la

partie juridique a été lourde. La location s’est donc faite progressivement. La région était

quasiment abandonnée par l’agriculture. Il n’y avait donc pas d’entreprise à racheter. La

création de l’entreprise Dupont ne s’est pas faite par le rachat d’entreprise en faillite mais par

l’acquisition d’immobilier et de pailles au fur et à mesure.

c) Perspectives

Seules les deux entreprises françaises, Dupont et Leroy 2 se partagent les baux du

village Zelioni. L’entreprise Leroy 2 loue plus de terres que l’entreprise Dupont,

respectivement cent quarante-six pailles (soit environ 700 ha) contre cinquante pailles soit

(environ 250 ha).

Dans le village passe une voie ferrée qui, à l’époque de l’URSS, allait jusqu’en

Russie. L’unité de production de l’entreprise Dupont se trouve de part et d’autre de cette voie

ferrée qui traverse le village. L’acquisition des bâtiments de la « base » côté Est s’est faite par

une vente aux enchères. Un villageois, voyant l’annonce de cette vente aux enchères dans le

journal en a avisé le directeur de l’entreprise Dupont. La présence de la voie ferrée est un

atout pour l’entreprise qui l’utilise pour se faire livrer les intrants. Même le silo de séchage a

été acheminé par train. Quant à l’entreprise Leroy 2 celle-ci a construit un silo du côté Est de

la voie ferrée.

Depuis, le village connaît un essor démographique ; en quatre ans, la population a

augmenté de quarante-trois habitants, soit un total de six cent cinquante habitants

actuellement. La reprise démographique du village va de pair avec une augmentation de

l’offre d’emploi. Cette hausse démographique est due aux jeunes familles qui reviennent au

village parce que les entreprises présentes créent de l’emploi, principalement du fait du silo de

l’entreprise Leroy 2 qui emploie vingt-cinq salariés permanents et une cinquantaine de

saisonniers. Ainsi, d’après la maîresse du conseil de village Zelioni, 30 % de la population

active du conseil de village occupe un emploi agricole.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Selon la responsable du département économique du raion Galouboï, les entreprises

étrangères paieraient mieux leurs salariés que les entreprises ukrainiennes. Par exemple, en

2010, les salariés de l’entreprise Leroy 2 auraient reçu un salaire moyen de 2 500 UAH/mois

(250 €), soit 2,6 fois le salaire minimum légal. Mais, d’après cette même responsable, le

nombre d’emploi aurait diminué à cause des nouvelles technologies. Ainsi, une entreprise

venant de faire l’acquisition d’une société en faillite a licencié tous les salariés.

Cependant, la mairesse du village infirme cet argument puisque son village connait

une augmentation de l’offre d’emploi. Donc, à l’échelle du conseil de village, l’offre d’emploi

peut augmenter mais à l’échelle du raion la tendance reste à la baisse.

Abordons maintenant les relations de collaboration et de concurrence, cette fois dans

un contexte où l’enjeu foncier est levé. En effet, nous avons vu dans le cas du conseil de

village Zolotisti à quel point l’enjeu foncier entraine une situation de compétition largement

instrumentalisée dans la relation au territoire. Toutes les entreprises étaient alors attachées à

obtenir les meilleures faveurs des institutions et la satisfaction des paillitevistes et salariés

c'est-à-dire, par extension, de la population locale.

B. VOISINAGE AGRICOLE : COLLABORATION ET CONCURRENCE

La concurrence foncière agricole dans cette région d’étude est beaucoup moins

exacerbée que dans d’autres régions plus prisées d’Ukraine, en partie parce que les terres de

cette région ne sont pas une priorité dans les choix d’implantation des investisseurs étrangers

et en premier lieu des « agroholdings ». Il est donc intéressant de constater les jeux et

développements sur le territoire dans un contexte de concurrence tout à fait différent de

l’étude de cas précédente.

a) Collaboration et concurrence autour du foncier

Au vu de la faible concurrence pour accéder au foncier, l’entreprise Dupont continue

de s’agrandir à proximité de ses terres sans difficulté. Les entreprises ne communiquent pas

entre elles. C’est seulement en passant devant le champ du voisin que chacune devine ce qu’il

a semé. Quant à la réussite ou non d’essais de culture, les entreprises s’en informent bien plus

tard. Les entreprises agricoles du conseil de village Zelioni entretiennent donc très peu de

liens entre elles.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Cependant, dans certains cas, on constate une collaboration entre les entreprises par

l’échange ou la sous-location de terre. Par exemple, dans le conseil de village Zelioni,

l’entreprise Leroy 2 possède des terres à cultiver qui sont trop éloignées de sa « base »

principale. Elle ne travaille pas ces terres-là parce qu’elle n’a pas le matériel disponible prêt

du site hormis le silo. En effet, le coût d’exploitation serait relativement élevé par rapport à la

« petite » surface de 670 ha. L’entreprise Leroy 2 sous-loue donc ses pailles à l’entreprise

Dupont.

b) Autres collaborations et coopérations

L’entreprise Dupont n’appartient à aucune association ou organisation locale mais

possède toutefois des relations. D’après elle, il n’y a pas beaucoup d’agriculteurs dans cette

région. Si le projet collectif avec Champagne Céréales s’était réalisé, la situation aurait été

différente. Le réseau de relation aurait été plus dynamique. D’autant que l’entreprise Dupont

exprime à ce sujet une attente en creux de l’échec du projet initial. Le directeur de l’entreprise

Dupont est déçu de ne pas avoir vécu ce projet initial avec plusieurs agriculteurs français

installés dans la même région sous la chapelle de la coopérative française Champagne

Céréales. L’aventure devait être celle d’un collectif d’agriculteurs français.

Géographiquement, l’exploitation de cette entreprise agricole française est isolée des autres

entreprises de sa même trajectoire.

Cependant, sur le plan de la collaboration franco-française, on note avec intérêt que les

bureaux administratifs des entreprises françaises Dupont et Leroy 2 sont situés en ville dans le

même bâtiment… Ce bâtiment abrite aussi la banque française Crédit Agricole sous le nom de

sa filiale IndexBank. Le compte bancaire de l’entreprise Dupont est d’ailleurs au Crédit

Agricole où elle sollicite régulièrement des crédits de campagne. Pourtant, cette proximité

géographique n’engage pas forcément, nous le verrons plus loin, une relation positive. Mais,

elle signe plus encore l’effet d’entrainement déjà abordé dans l’étude de cas du conseil de

village Zolotisti.

Le directeur Dupont ne connaît quasiment aucun des français agriculteurs en Ukraine.

Cependant, ses deux jeunes salariés français, respectivement chef de culture et chef mécano,

sont en contact ou cherchent à l’être avec les expatriés de leur profession, susceptibles de les

employer à l’avenir. D’ailleurs, l’ingénieur agronome, dont le rêve était de gérer une

exploitation agricole avec beaucoup de moyens, avait aussi candidaté chez l’entreprise Leroy,

sans résultat. D’après lui, l’entreprise a décidé de restructurer son personnel en remplaçant

chaque gérant français des exploitations par des ukrainiens. Quant au mécanicien, celui-ci a

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déjà travaillé avec le frère du gérant de l’exploitation de l’entreprise Martin, qui s’occupe de

l’importation du matériel agricole. De plus, depuis sa présence en Ukraine, il aide son ancien

employeur français pour le stockage des machines sur la route vers Moscou.

De cette attente des salariés comme du directeur de l’entreprise Dupont, on pourrait

prédire une recherche active de relation avec les autres acteurs présents dans le raion

Galouboï.

Les entreprises Dupont et Leroy ont une relation ambigüe. À la question « travaillez-

vous avec l’entreprise Leroy qui a succédé au projet de Champagne Céréales ? », le directeur

de l’entreprise Dupont répond « Non, Leroy est un groupe financier ». Il refuse ainsi toute

confusion entre son activité et celle de l’entreprise Leroy qu’il assimile à un groupe financier

comme. Cependant, et contrairement au directeur de l’exploitation Rousseau de la première

étude de cas, l’exploitation Dupont pense que l’avenir des structures d’exploitation agricole

est celui des sociétés à gros capitaux, et la disparition des exploitations individuelles.

L’entreprise Dupont ne s’identifie pas du tout à l’entreprise Leroy et rejette ainsi tout lien

avec ce groupe financier. Pourtant des relations existent entre son exploitation et celle de

Leroy.

D’abord, le directeur a des liens affectifs avec une des salariés de l’entreprise Leroy.

La nouvelle femme du directeur de l’entreprise Dupont est ukrainienne. Celle-ci travaille

entre la France et l’Ukraine depuis 2000. Après avoir travaillé comme juriste pour la

coopérative française Champagne Céréales, elle a été la juriste de l’entreprise Leroy pendant

deux ans, qui se sont mal passés : elle a été licenciée pour conflit d’intérêt suite à son mariage

en France avec le directeur de l’entreprise Dupont. Ensuite, l’entreprise Dupont entretiendrait

des relations économiques avec l’entreprise Leroy, qui détient 10 % des parts de l’entreprise

Dupont. D’après un des gérants salarié de l’exploitation Dupont, ce lien économique pourrait

s’expliquer par la succession de l’entreprise Leroy au projet de la coopérative Champagne

Céréales. Celle-ci aurait alors repris les parts engagées par Champagne Céréales.

S’il y a donc bien une concurrence, c’est une concurrence de point de vue sur le métier

même d’agriculteur. Et, c’est la principale entrave au partenariat entre l’entreprise Dupont et

Leroy 2. L’entraide n’est pas possible entre les entreprises Dupont et Leroy en raison d’un

positionnement identitaire et idéologique de l’entreprise Leroy.

Ainsi, d’autres entreprises agricoles du raion s’entraident. Par exemple, l’entreprise

Dupont a sollicité le petit agriculteur du conseil de village Zelioni pour le prêt de son semoir à

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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tournesol. L’entreprise Dupont apporte également son aide matériel aux micro-exploitations

du conseil de village, comme pour la plantation de la pomme de terre. En effet, ces

exploitations manquent d’outils, alors elles empruntent un tracteur de l’entreprise Dupont qui

passe quinze minutes par jardin. À la question « En échange de quoi ? », le directeur de

l’entreprise répond « En échange de rien, ça fait partie de la relation ».

Cette inscription spontanée au territoire est cette fois spécifique à l’entreprise Dupont.

Cette inscription relève d’un sentiment d’identification positive liée à une conception

paternaliste de l’activité agricole, alors que l’entreprise Leroy ne pratique l’impôt social que

dans les raions à forte concurrence foncière. L’ « impôt social » payé par l’entreprise Leroy

s’adresse quasi exclusivement et personnellement aux représentants institutionnels plutôt qu’à

la population locale. Pour l’entreprise Leroy, l’ « impôt social » est donc une mesure perçue

comme contraignante dans sa relation au territoire.

Pour conclure, l’entreprise Dupont venue en Ukraine dans la perspective d’un grand

projet collectif français est déçue mais trouve une proximité plus évidente avec les

exploitations agricoles ukrainiennes qu’avec l’ « agroholding » française Leroy. La relation

au territoire de l’entreprise Dupont est structurée par cette proximité de trajectoire et de

provenance.

C. RELATION AU TERRITOIRE

Nous aborderons ici la relation au milieu social puis celle avec les institutions locales.

Mon travail de terrain dans ce raion ayant été précédé d’une prise de contact avec l’entreprise

Dupont, je suis partie d’un travail sur cette entreprise pour l’élargir aux entreprises du raion.

a) Relation au milieu social ukrainien

Un des lieux privilégiés de l’étude de la relation sociale des investisseurs français avec

le milieu social ukrainien est l’organisation même de leur entreprise. La présence discontinue

du directeur de l’entreprise Dupont sur l’exploitation ukrainienne entraine des tensions

relationnelles dans l’organisation de celle-ci. Si l’entreprise Dupont a confié la gestion

quotidienne de l’exploitation à deux français, c’est parce qu’elle considère que ces salariés

français ont une meilleure connaissance des machines occidentales et du travail agricole sur

une exploitation de cette dimension (4600 ha). Mais, les salariés français de l’exploitation

expriment clairement une distance avec leur employeur, y compris en compagnie des

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ouvriers. Les gestionnaires français se retrouvent même complices avec les ouvriers

ukrainiens pour railler le directeur de l’entreprise. Celui-ci exprime, de son côté, le sentiment

que ses employés ukrainiens instrumentalisent leurs relations au travail afin de maximiser

leurs gains. Par exemple, l’entreprise Dupont vient d’engager un homme pour gérer la

contractualisation des terres d’État dans un nouveau conseil de village. L’épouse de cet

homme est malade. Le directeur pense que ce contractuel va travailler le plus lentement

possible pour continuer à être employé afin de gagner suffisamment d’argent pour payer les

frais d’hospitalisation de sa femme. De même, il pense que si son traducteur refuse de donner

des cours de russe aux salariés français et aux associés de l’entreprise, c’est parce qu’il craint

de ne plus être utile ensuite et donc de perdre son poste. La nature des propos du directeur

Dupont n’est pas une aversion vis-à-vis des Ukrainiens. Ses propos expriment plutôt un

malaise, celui d’un homme qui se trouve relativement isolé dans un pays où il n’a pas accès à

la langue et où il n’a pas établi des liens sociaux lui permettant de s’y épanouir. Le directeur

de l’entreprise Dupont ne voudrait pas vivre en Ukraine, dans la région de son exploitation

parce qu’« il n’y a rien à faire le week-end » (Dupont).

D’après les deux jeunes salariés français employés sur l’exploitation Dupont, le

directeur s’entendrait difficilement avec l’équipe sur place que ce soit les Français ou les

Ukrainiens. Le directeur qui vient une fois par mois, le temps d’une semaine, voudrait tout

maîtriser alors que sa présence est irrégulière. Ses salariés lui reprochent cette instabilité de

son engagement : « soit il investit comme les autres associés, soit il vient vivre ici à temps

plein mais pas un peu de chaque » (salarié Dupont). L’ingénieur agronome et le mécanicien

se réjouissait de ma présence qui occupe leur patron et ainsi lui laisse moins de temps « pour

mettre son nez dans toutes nos affaires » (salarié Dupont). Mais « leurs » affaires sont

financées par le directeur et lui appartiennent. Ces deux jeunes salariés ont accepté ce poste

pour la liberté qu’il offre. Alors, quand leur supérieur une fois par mois inspecte, ils attendent

avec impatience son départ. Cependant, si le directeur Dupont vérifie la qualité du travail de

ces deux nouveaux salariés, c’est à cause des deux mauvaises expériences passées avec ses

anciens employés. En effet, l’un ne s’était pas adapté aux conditions de vie locale. L’autre

n’avait pas les compétences qu’il prétendait. Mais, ce qui est le plus insupportable pour les

deux nouveaux salariés, c’est que le directeur ferait mine de tout savoir alors qu’il ne connaît

rien en céréaliculture (il est viticulteur en France). Enfin, lors d’un pot en l’honneur de la

naissance de l’enfant d’un des ouvriers, les salariés français et ukrainiens font quelques

blagues sur l’idée de saouler leur directeur et ensuite de le jeter dans un fossé.

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La barrière de la langue joue beaucoup dans ses difficultés. D’après les salariés

français de l’entreprise Dupont, ne pas parler russe ferait perdre beaucoup d’argent et de

contrat de terre au directeur de l’entreprise. De plus, les salariés français aimeraient parler

russe. Cela leur permettrait de mieux se faire comprendre par les ouvriers et donc « de mieux

les faire travailler » (salarié Dupont). Une des clés de la réussite de l’entreprise étrangère

pour s’intégrer est d’avoir un salarié référent ukrainophone. Ainsi, l’entreprise Leroy qui avait

basé son management sur la complémentarité des compétences françaises et ukrainiennes a

changé de stratégie. En effet, depuis un an, l’entreprise restructure son organisation salariale

en remplaçant les directeurs français de chaque unité de production par un directeur ukrainien,

tel que c’est le cas sur le site Leroy 2. De même, le directeur ukrainien de l’entreprise

hollandaise Groen est l’ancien président du raion Galoboï et, le juriste est le fils de l’actuel

président du raion.

La relation au territoire à l’échelle nationale n’est pas meilleure. Le directeur de

l’entreprise rousseau trouve que depuis l’élection en janvier 2010 du nouveau président

ukrainien, « il n’y a que des problèmes » (Dupont). Par exemple, l’entreprise devait se faire

livrer un wagon d’engrais. Mais, la livraison avait quinze jours de retard. D’abord, l’entreprise

a été informée que le train avait du retard, puis, que le train avait disparu de la circulation,

pour enfin apprendre que le train d’engrais avait été réquisitionné par le gouvernement.

« C’est un gouvernement de copains qui fait des lois sans queue ni tête » (Dupont). Le

directeur de l’entreprise Dupont affirme qu’avant 2010, ce genre de problèmes n’existait pas.

D’autre part, le problème des quotas serait d’après lui aussi de la responsabilité de « ce

gouvernement de copains ».

Cette relation détériorée au milieu social au sein de l’entreprise n’a pas d’effet direct

sur le territoire local. L’entreprise, dans ses échanges avec les paillitevistes et les villageois se

montre serviable et disponible.

D’après la maîresse du conseil de village Zelioni, au début, les villageois avaient peur

d’être volés. Les conditions, la régularité et le montant du paiement de la location font de

bonne ou mauvaise relation entre propriétaire et locataire. Par exemple, la législation a changé

en passant le seuil minimum de loyer de 1,5 % à 3% de la valeur vénale d’achat de la paille.

Mais, l’entreprise Leroy a retardé d’un an l’application de cette loi auprès de ses propriétaires

alors que l’entreprise Dupont l’a appliqué tout de suite. Ainsi, depuis 2009, l’entreprise

Dupont applique la nouvelle loi et paie son loyer en respectant le seuil des 3 %. Depuis, les

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villageois sont plus confiants. Cependant, la maîresse fait remarquer que le seuil de 3% est un

seuil minimal et que certaines entreprises, dont une entreprise étrangère dans un oblast voisin,

paient leur loyer à 8 % de la valeur d’achat. Un loyer correspondant au 3% de la valeur

d’achat de la terre correspond au montant de 1 050 UAH/an (105 €), insuffisant pour générer

une véritable rente. De plus, l’entreprise Dupont aide ses paillitevistes en cas de besoin, par

exemple avec une avance sur salaire. Alors que l’entreprise Leroy retarde la prise en charge

de ses paillitevistes dans le besoin. Ironiquement, la maîresse explique : « le pailliteviste a le

temps de mourir avant d’être pris en charge ». Cette lente réaction de l’entreprise Leroy 2

s’expliquerait par la dépendance de l’unité de production Leroy 2 avec la direction à Kiev.

L’entreprise Leroy 2 n’a pas le droit de prendre ce genre d’initiative. Elle doit négocier et

attendre l’accord de la maison mère, de même que pour le prêt de matériel. D’autre part, le

montant du loyer dépendrait aussi du rendement obtenu. En 2010, l’entreprise Dupont a

obtenu de meilleurs rendements que l’entreprise Leroy 2. Les paillitevistes l’ont ressenti dans

la différence du montant du loyer versé par leur locataire.

On peut en conclure que la déshumanisation de grandes structures telles que

l’entreprise Leroy rend l’application de stratégie de relation au territoire difficile ou du moins

celle-ci ne se fait pas à la même échelle que les autres entreprises. Enfin, la complexité des

relations de l’entreprise Dupont indique que malgré l’interconnaissance et l’interdépendance

du milieu local la présence du directeur s’avère jouer bien plus au sein de l’entreprise que sur

le reste du territoire local. Le directeur de l’entreprise Rousseau, toujours présent, « a la main

aux affaires » et entretient une relation continue avec ses ouvriers alors que l’entreprise

Dupont semble rencontrer plus de difficultés. Pourtant, les deux entreprises pratiquent une

politique sociale bienveillante sur le territoire de leur exploitation. La relation aux

paillitevistes et aux villageois s’appuie sur des interactions indirectes, plus matérielles et plus

espacées dans le temps ; alors que la relation aux employés s’appuie – elle – sur une présence

continue et sur la capacité d’assurer un leadership dans l’entreprise, comme l’indique le

directeur de l’entreprise Rousseau lorsqu’il évoque son implication directe sur l’exploitation.

Cette dernière idée est bien illustrée par le contraste entre les gérants français de l’entreprise

Dupont qui se demandent pourquoi le directeur se mêle de leur travail alors « qu’il y connait

rien » et le directeur de l’entreprise Rousseau qui insiste sur la nécessité de montrer qu’il

« sait travailler autant qu’eux » pour « se faire respecter ».

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Maintenant que nous avons analysé la relation de l’entreprise au milieu social

ukrainien, nous pouvons expliquer la relation de l’entreprise cette-fois ci avec le système

politico-administratif local qui porte également ses spécificités.

b) Relation au système politico-administratif local

Relation avec l’administration du raion Galouboï

Les entreprises agricoles du raion Galouboï entretiennent des relations formelles avec

l’administration du raion. Une fois par mois, ces entreprises sont convoquées à une réunion

organisée par le raion. Cette réunion consiste à l’écoute du discours du président du

département agricole de l’oblast transmis par radio. Dans son discours, le président donne des

informations sur les quantités mensuelles produites, etc. Cette réunion, héritage de l’époque

soviétique, n’intéresse pas les entreprises agricoles. Cependant, toutes y assistent, car leur

présence fait partie des règles de bonne conduite à avoir avec l’administration ukrainienne

pour mieux s’intégrer.

Les entreprises agricoles, mais pas seulement, participent à la rénovation des

infrastructures dans le raion. Ainsi, en 2010, les aides à la rénovation ont représenté deux

millions de grivnas soit deux milles euros. Cette aide financière est facultative mais

recommandée. Si l’entreprise n’y participe pas, elle donnera une mauvaise image d’elle-

même. L’administration du raion Galouboï n’apporte pas d’aide financière aux entreprises

agricoles. En effet, le budget du ministère de l’agriculture n’est pas très élevé. « On est dans

un pays en restructuration » (Dupont). Mais, les entreprises agricoles reçoivent des « coups

de main administratifs » (Dupont). Les entreprises agricoles aident moins le raion que les

conseils de villages où sont implantées leur (s) unité (s) de production.

C’est donc principalement à l’échelle du village que se jouent les stratégies de relation

au territoire.

Relation avec le village

C’est avec la plus petite échelle de l’administration que les entreprises agricoles

privilégient leur relation.

Le rôle du maire est d’aider au développement économique de ses villages. Dans le cas

du conseil de village Zelioni, la maîresse a donc pour rôle de trouver des exploitants

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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souhaitant remettre en activité les terres en friche de ses villages. C’est alors sous l’impulsion

de l’administration communale que l’entreprise Dupont a pu contractualiser des baux et donc

accéder à l’exploitation des terres du conseil de village Zelioni. Parmi ses fonctions, le conseil

de village peut aussi aider les entreprises agricoles à choisir des employés bien formés. Une

autre raison qui peut amener l’entreprise à être en contact avec le conseil de village est sa

grande consommation d’eau. L’usage de l’eau est réglementé et limité. Le seuil de pompage

est alors négocié entre le conseil de village et l’entreprise agricole, tel que c’est le cas pour

l’entreprise Dupont. Le directeur de l’entreprise traduit sa relation avec l’administration locale

ukrainienne ainsi : « la réussite des uns dépend de l’accord des autres » (Dupont).

Comme c’est le cas pour toutes les entreprises rencontrées, le conseil de village aide

lesentreprises à trouver des terres et en échange, les entreprises participent à la rénovation des

bâtiments tels que l’église, l’école ou la polyclinique. C’est cette fameuse participation que les

entreprises appellent « l’impôt social ». L’entreprise Groen va même jusqu’à financer une des

fêtes du village à la demande du conseil de village. D’autre part, les entreprises agricoles ont

des machines adaptées au déneigement des routes alors elles prennent en charge cet entretien

hivernal. De plus, à la sortie de l’hiver, les routes ont besoin de rénovation. La maîresse du

conseil de village Zelioni considère que l’entretien des routes revient de droit aux entreprises

car celles-ci, du fait du passage des poids lourds, sont les principales responsables de l’usure

de la voierie.

Les entreprises et le conseil de village peuvent aussi avoir une relation de bailleur-

locataire. Dans cette région d’étude, il y a une partie relativement importante de « terre non

réclamée », c’est-à-dire que l’héritier de la paille, souvent inconnu et parti en ville, ne paie

plus ses impôts. Ce type de paille est géré par le conseil de village, jusqu’à ce que l’héritier

réclame ses terres à condition de payer ses impôts. Les entreprises agricoles louent donc ces

« terres non réclamées » au conseil de village. Ils ont alors une relation de bailleur-locataire.

Les chefs de conseil de village préfèrent souvent une entreprise à une autre. La

mairesse du conseil de village Zelioni préfère travailler avec l’entreprise Dupont parce que

son directeur est présent régulièrement. Et, lorsqu’il vient au village, il prend

systématiquement contact avec elle pour faire un bilan des dernières semaines, des choses à

faire, etc. Le directeur de l’entreprise Dupont entretient sa relation avec l’administration du

conseil de village Zelioni. Il est ici intéressant de souligner encore une fois que la principale

source d’emploi dans le village reste le fait du silo de l’entreprise Leroy 2 pour lequel

l’ « agroholding » vient d’annoncer son projet de rendre le silo indépendant, c’est-à-dire de

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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créer une nouvelle entité juridique. Si ce projet se concrétise, l’offre d’emploi sera encore plus

importante. Pour autant, la maîresse ne « travaille » pas avec l’entreprise Leroy, c'est-à-dire

qu’elle n’a pas de relation régulière avec sa direction. Ainsi, la qualité de la relation avec cet

élue ne dépend pas directement de la taille économique de l’entreprise, ni même du nombre

d’emplois que l’entreprise assure, mais dépend du travail collaboratif avec la maîresse. La

réglementation de l’époque soviétique, toujours en usage, amène les entreprises agricoles à

être en relation avec l’administration. « Le lien entre l’entreprise et l’administration est

toujours d’usage » (Dupont). Prenons l’exemple du projet communal de raccordement du

village au réseau du gaz. L’entreprise Dupont a proposé ce projet car il lui est nécessaire pour

sécher le maïs. L’entreprise a soumis ce projet au conseil de village. C’est alors, que le conseil

de village a repris le projet en l’adaptant aux besoins de l’ensemble des villageois. Ce projet

est devenu collectif. Le conseil de village en a pris en charge la réalisation. Ainsi, il s’occupe

de la demande administrative au raccordement du gaz.

Les deux études de cas précédentes nous ont permis d’aborder la relation au territoire

des nouveaux acteurs dans la production agricole. La relation au territoire est bien trop

complexe pour être abordée de manière unilatérale, sur le seul impact d’un acteur sur le

territoire. Le matériel que nous avons recueilli nous amène à relativiser l’hypothèse de départ

selon laquelle l’entreprise aurait un impact négatif sur les territoires locaux en Ukraine. Les

trois trajectoires que nous avons décrites agissent différemment sur le territoire et il s’agira

donc de les dissociées. Même si nous constatons une interdépendance et une

interconnaissance forte sur le territoire, l’intérêt du développement local, des paillitevistes,

des ouvriers, des élus et des administratifs peuvent diverger. Nous essaierons donc d’aborder

notre travail sur le territoire en différenciant, lorsque cela sera nécessaire, ces différents

intérêts.

Faisons donc une synthèse des différents impacts des entreprises rencontrées en

fonction de leur trajectoire. Nous chercherons à comprendre quelles relations ces entreprises

entretiennent entre-elles, avec les acteurs du territoire et comment ces entreprises

interviennent sur le développement local des territoires étudiés.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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3. UN IMPACT SUR LE TERRITOIRE MITIGÉ

Ces deux études de cas nous ont permis de brosser de nombreux éléments de terrain

sur les réseaux d’entraides entre expatriés, sur les effets de collaboration et de concurrence

entre les acteurs du secteur agricole, et sur la relation au territoire local de ceux-ci. Fort de

toutes ces observations mais aussi du matériel recueilli sur les autres zones étudiées, nous

tenterons ici d’en faire la synthèse. C'est-à-dire de discuter de l’influence mutuelle exercée par

l’arrivée de ces nouveaux acteurs sur le territoire local comme de l’adaptation nécessaire de

ces acteurs à un nouveau contexte social, politique et économique.

A. UNE AIDE AU DÉVELOPPEMENT LOCAL

a) Reprise de l’activité agricole : une « renaissance » des villages

après vingt ans d’abandon

L’arrivée des entreprises à gros capitaux d’investissement a entrainé une mutation des

paysages. En effet, d’après les directeurs des entreprises rencontrées, il y a encore cinq ans de

ça, le paysage agricole était en état de friche dans sa grande majorité. Tel que c’est expliqué

dans l’introduction de la deuxième partie, la décollectivisation des terres fut suivie d’une

baisse vertigineuse de la production agricole de l’Ukraine. En effet, les petits propriétaires

héritiers de la décapitalisation des exploitations collectives n’avaient pas les moyens matériels

et financiers de travailler leur paille. Les nouvelles entreprises défrichent, remettent en

activité les terres dans des régions abandonnées par l’activité agricole depuis une vingtaine

d’année et les villageois perçoivent ce phénomène avec fierté, qu’ils associent à une

« renaissance » de leur village.

b) Création d’emplois bénéficiant au maintien de la population

rurale masculine

En fonction des régions cible de l’échantillon, l’entreprise crée ou maintient l’emploi.

Pour une des régions d’étude, 2005 est l’année de la reprise de l’activité agricole grâce

aux investissements étrangers et ukrainiens, suite à une politique d’attrait des capitaux pour

l’agriculture. On constate alors le retour des hommes au village. Auparavant, pour faire vivre

leur famille, les pères étaient contraints de migrer à Kiev, capitale de l’Ukraine, ou à Moscou,

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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capitale russe, pour travailler six mois de l’année, généralement en été. Cependant, la situation

de cette région d’étude est particulière, puisqu’elle avait été complètement abandonnée par

l’activité agricole : toutes les entreprises agricoles avaient disparu, contrairement aux autres

régions d’étude. La reprise de l’activité agricole et la création d’emploi qui s’ensuivent

peuvent faire revenir ou, plus généralement, maintiennent la population rurale masculine au

village.

Ainsi, dans le cas des autres régions, l’arrivée des nouveaux investisseurs étrangers ne

crée pas d’emplois dans les villages car les investisseurs rachètent une entreprise et ne la

créent pas. Cependant, puisque l’entreprise rachetée était en faillite et qu’elle ne pouvait

honorer les salaires de ses employés, l’arrivée de nouveaux investisseurs a permis le maintien

ou la reprise de la rémunération des salariés.

c) Rente foncière

Les entreprises agricoles louent la terre aux petits propriétaires villageois qui touchent

ainsi une rente foncière. Dans la majorité des conseils de village, cette rente existait déjà avant

l’arrivée des nouveaux investisseurs, car les entreprises privées formées à partir des anciennes

exploitations collectives louaient formellement les pailles aux villageois. Mais, beaucoup

d’entre elles honoraient rarement les baux, étant en faillite ou en situation de monopole. Dans

certains villages, c’est l’arrivée des nouveaux investisseurs qui a normalisé cette situation et a

permis aux villageois d’avoir enfin, un revenu régulier de leur propriété foncière.

Il y a six ans donc, les investisseurs étrangers ont apportés les capitaux nécessaires au

démarrage d’un secteur agricole sinistré. En effet, les entreprises locales, héritées des

exploitations collectivisées, étaient en difficultés depuis longtemps. De fait, la place était

libre, la terre disponible et les villageois prêt à louer leurs terres à des entreprises solvables.

Cette situation est maintenant très différente, les observations de terrain montrent que

dans la majorité des raions étudiés, les entreprises ainsi arrivées connaissent des difficultés de

développement car le foncier disponible est devenu rare et l’information à son sujet

stratégique. De sorte que de nombreux acteurs, maires de conseil de villages, responsables de

raion, ou employés d’autres entreprises monnayent cette information. La rente foncière est

alors un moyen pour l’entreprise de sécuriser son foncier face à la reprise possible de ses baux

par ses concurrents. En situation de pénurie, les entreprises souhaitent établir des baux de

location les plus longs possibles.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Pour les paillitevistes, la rente foncière correspond à un treizième mois de salaire. Les

difficultés de paiements de l’époque qui à suivit la décollectivisation sont oubliées et les

investisseurs potentiels nombreux et avenants. Le versement du loyer se fait une fois par an,

après la moisson, en nature ou en espèces. Il ne s’agit pas d’une grande somme d’argent mais

celle-ci permet un véritable effet de levier. Les petits propriétaires, retraités pour 80 % d’entre

eux, préfèrent être payés en grain pour nourrir leur cheptel souvent composé d’une vache, de

quelques cochons et de poules. Ce micro-élevage sert à la consommation domestique mais

constitue aussi un complément de revenu. En effet, tous les matins, les babouchkas68

prennent

le bus en direction de la ville pour vendre du lait, du beurre, des œufs, du lard, du saindoux,

de la volaille et les légumes de leur potager (voir Figure 22).

Figure 22. Marché informel des babouchkas dans la ville de Khmelnitski

Source : Ariane WALASZEK, 2011

Il y a donc une relation d’interdépendance entre les deux structures de production, les

micro-exploitations et les grandes exploitations spécialisées en grande culture. En effet, les

petits propriétaires n’ont ni les outils ni la force de travail pour travailler leur paille seuls.

Sans la présence de l’entreprise locataire, les villageois ne pourraient pas nourrir leur cheptel

68

Du russe « бабушка », qui signifie grand-mère.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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et donc n’auraient pas de complément de revenu. Les villageois bénéficient ainsi à la fois du

paiement en céréales pour leur cheptel et de l’usage occasionnel des outils agricoles pour leur

lopin. À l’inverse, sans l’accord des villageois de louer leur paille, l’entreprise n’aurait pas

accès à une concentration foncière suffisante et n’aurait donc plus d’intérêt à s’implanter en

Ukraine.

Cependant, le paiement en nature ne convient pas toujours aux propriétaires ou aux

entreprises. Premièrement, certains bailleurs, âgés de trente à quarante ans, vivent maintenant

en ville et n’ont donc plus de bêtes à nourrir. Ils n’ont plus l’utilité d’un paiement en nature et

leur rémunération n’a que peu d’effet d’entrainement sur l’économie locale. Parfois ce sont

les entreprises qui préfèrent payer en espèces car c’est plus simple à gérer pour elles. En effet,

une exploitation agricole de 4 000 ha contractualise des baux emphytéotiques auprès de 1 000

villageois. Il faut s’imaginer le travail que représente le paiement de mille personnes avec du

grain, qu’il faut peser, servir, charger. Une file d’attente de quatre cent mètres de long se

forme devant l’exploitation, avec des vélos, des charrues, des chevaux, des voitures. Bien que

certains préfèrent une autre modalité de paiement, un tiers à trois-quarts des bailleurs ont

besoin de grain pour nourrir leur cheptel. Pour répondre à cette demande de leurs

propriétaires, certaines des entreprises, telles que les entreprises Martin et Leroy 1, ont décidé

de faire une à deux journées portes ouvertes par an, pendant lesquelles les propriétaires

peuvent acheter du grain à prix réduit avec l’argent de leur rente. Malgré tout, un problème

persiste : le cours des céréales varie en fonction des années. Ainsi, ces petits rentiers avec le

même montant du loyer ne reçoivent pas la même quantité de céréales ou bien avec la même

somme d’argent, ne peuvent pas acheter la même quantité de céréales d’une année sur l’autre.

Peu habitués à ces variations pour des raisons historiques, ils les ressentent comme une

injustice qui crée des tensions dans la relation locataire/bailleur même lorsque certaines

entreprises leur cèdent des grains à prix réduit. Dans le cas de l’entreprise Rousseau, celle-ci a

trop à perdre par rapport à ses concurrents, pour se permettre de perdre des propriétaires qui

se sont sentis volés. L’enjeu du foncier est en effet essentiel, le lien de location est un lien

fragile et chaque villageois peut décider de trouver preneur ailleurs dans un contexte où la

disponibilité des terres n’est plus d’actualité. Ainsi cette année, l’entreprise a payé ses loyers

en offrant les mêmes quantités de grain que les années précédentes, bien que le prix du blé

soit plus élevé et que par conséquent, elle aurait dû en donner moins. On constate ici que ce

lien de location entre l’entreprise et les paillitevistes, lorsqu’il sert au développement de micro

exploitations, est utile au développement du village car il assure une activité et des revenus à

la population. Cette population est ainsi incitée à rester dans le village. La présence de

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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villageois ayant des ressources permet d’entretenir l’usage des services publics (écoles, poste,

bureaux administratifs, etc.) et des commerces locaux et apporte un développement du

territoire ou au moins une résistance à sa désertification.

d) Un « impôt social » permettant une dynamique locale

Toutes les entreprises de l’échantillon financent des travaux communaux tels que

l’entretien des routes69

, de l’école, du centre culturel ou de structures médicales. Elles

financent aussi les fêtes locales ou certaines initiatives culturelles. Les entreprises appellent ça

payer un « impôt social ». Dans la plupart des villages, ce mécénat n’est pas une obligation

légale. Il résulte d’un travail incitatif du maire, qui passe régulièrement sur l’exploitation,

pour demander de l’aide soit sous forme de prêt de voiture, de camion, de tracteur ou parfois,

plus directement, sous forme d’argent.

Cet « impôt social » payé par l’entreprise redynamise le village ou, a minima, assure

l’entretient une partie des infrastructures. Le cas le plus parlant est celui de l’entreprise Martin

qui a financé la réhabilitation d’une maison de repos médicalisée. L’ouverture de cet

établissement, unique dans le raion, a créé une cinquantaine d’emplois et attiré les populations

du raion concernées par ce service gériatrique. Ces flux de personnes ont permis d’augmenter

la fréquence des bus et ainsi aux membres des familles employées à la maison de repos de

travailler en ville. C’est pourquoi ce village de huit cents habitants a vu sa croissance

démographique se stabiliser et connait même une légère augmentation alors qu’elle était en

chute libre depuis une vingtaine d’années. Cette tendance est propre à deux villages de

l’échantillon puisque la décroissance démographique comme l’exode rural, restent des

problèmes nationaux, qui participent tous deux à un déclin démographique dans tous les

autres villages échantillonnés. En effet, cette redynamisation locale, tout en ayant un effet

bénéfique, n’est pas toujours d’ampleur à contrebalancer un phénomène national.

e) D’un climat de suspicion à un climat de confiance : point de vue

de la population locale

Tous ces changements – de plus en plus nombreux et visibles, proportionnellement au

temps de présence de l’entreprise – font doucement évoluer le point du vue des villageois. Au

départ, c’est plutôt un climat de suspicion qui domine et les villageois considèrent les

investisseurs comme des « voleurs de terre ». Mais, à peine trois ans plus tard, l’entreprise a

défriché les terres et le village donne l’impression de « revivre ». Les villageois expriment le

69

Si les routes ont besoin d’un entretien régulier, c’est principalement à cause de la présence des

entreprises agricoles qui transportent des poids lourds.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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plaisir qu’ils ont à voir leur paille être travaillée, « vivante ». Cette qualité esthétique les

touche beaucoup. En outre, toute entreprise paie régulièrement, embauche et finance les

aménagements et infrastructures du village. Elles reprennent ainsi le rôle territorial qui était

dévolu aux exploitations collectives communistes. Un climat de confiance s’installe donc

progressivement.

Pour conclure, depuis la présence des nouveaux investisseurs dans la production

agricole en Ukraine, les villages ukrainiens « renaissent ». Les terres sont défrichées et

travaillées ; les paillitevistes touchent leur rente pour nourrir leur cheptel ; les villageois ont

un emploi rémunéré et certains villages voient leur déclin démographique freiné. De plus, les

activités culturelles, éducatives et médicales, abandonnées progressivement depuis la chute de

l’URSS, retrouvent leurs fonctions. On a vu ainsi la restructuration de la polyclinique par

l’entreprise Martin qui a également aidé à la rénovation du centre culturel, des trois écoles et

de la mairie, comme l’entreprise Leroy 1 d’ailleurs, ou l’entreprise Rousseau qui fournit

l’orphelinat en grains, mais ce peut être aussi le financement d’une fête de village par

l’entreprise Groen, et de nombreux autres occasions. L’impact économique se ressentirait

même à l’échelle du raion. Le raion d’une des zones étudiées aurait ainsi vu sa recette

budgétaire annuelle multipliée par trois entre 2009 et 2011. Cette information nous a été

certifiée par l’ancien directeur du département agricole du raion concerné.

Cependant, on peut poser la question de la pérennité et des conditions nécessaires à la

dynamique autour de la présence des entreprises. Toutes les entreprise participent-elles de la

même manière et dans les mêmes conditions à cette dynamique ? L’appartenance des

entreprises à un modèle proche d’une agriculture familiale ou d’une « agriculture de firme »

change-t-elle leurs rapports au territoire ?

B. LES LIMITES DE L’APPUI AU DÉVELOPPEMENT LOCAL

a) Une dynamique de l’emploi qui n’est pas structurelle

Certains changements liés à la présence de l’entreprise agricole ne sont pas pérennes.

Par exemple, le nombre d’emploi créés est surdimensionné au regard des besoins de

l’entreprise. Mais, si les nouveaux investisseurs maintiennent l’emploi, c’est dans un but

purement stratégique. En effet, cela leur permet de mieux s’intégrer, de mieux être accepté et

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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donc indirectement de stabiliser leur accès au foncier. Sur le long terme, c’est bien la

suppression des emplois agricoles qui est à craindre. « Je pourrais travailler avec seulement

deux ou trois ouvriers sur mes 1 500 ha » (Rousseau). Chaque entreprise a une dizaine de

salariés en trop en moyenne. C’est pourquoi, à son arrivée, l’entreprise Mercier a licencié tous

les salariés de l’entreprise rachetée. Mais, quelques semaines plus tard, elle a réalisé les

enjeux de la relation au territoire pour mieux sécuriser ses baux et a réemployé tout le monde.

La gestion des ressources humaines dans les exploitations est indissociable des

considérations stratégiques liées à la sécurisation de l’implantation de l’exploitation agricole

dans son environnement. Souvent, une partie des ouvriers de l’entreprise sont aussi les

propriétaires des pailles ou leurs proches. Le bassin d’emploi est donc tout à la fois le milieu

social dans lequel l’entreprise trouve ses bailleurs comme ses interlocuteurs administratifs et

institutionnels. Maintenir une interrelation étroite entre l’entreprise et le bassin d’emploi des

villages d’implantation permet donc également de pérenniser les baux et les liens avec

l’administration.

b) Le moratoire : fragile clef de voûte d’un système social

Le moratoire – mis en place en Ukraine en 1996 et toujours en vigueur – interdisant la

vente des terres, pourrait bien être levé au cours de l’année 2012. Pourtant, il constitue la clef

de voûte des liens d’interdépendance qui se développent dans ce que nous avons appelé la

relation au territoire des entreprises. La levée du moratoire inquiète donc à plus d’un titre.

Si le moratoire est levé, les petits propriétaires retraités pourront vendre leur paille,

c'est-à-dire leur seule source de revenu. C’est souvent grâce à celle-ci qu’ils assurent

l’alimentation de leur élevage et par là, une partie de l’économie locale. Certains pensent que

les villageois retraités risquent de « flamber » le gain qu’ils réaliseraient lors d’une vente

parce que dans les villages on vivrait « au jour le jour ». Les conditions de vie en Ukraine ne

sont pas sans difficultés et, d’un jour à l’autre, tout accident pourrait contraindre les

paillitevistes à la vente. Dans le cas où les villageois vendront effectivement leur paille, ils

n’auront plus de revenus, et moins de moyens pour exploiter leur lopin de terre. Certains

craignent ainsi un exode rural plus important que celui existant déjà, et la formation de

bidonvilles dans les périphéries urbaines.

De plus, si les entreprises deviennent propriétaires du foncier, elles n’auront plus

besoin de sécuriser leur foncier et donc auront moins d’intérêts stratégiques à apporter leur

aide au développement local, même si ces efforts de relation au territoire pourraient rester

encore nécessaires pour obtenir des facilitées institutionnelles. Mais, les interactions induites

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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par la location participent pleinement au maillage social et aux relations d’influence entre les

acteurs du village. En effet, l’intéressement d’un plus grand nombre d’habitants par les liens

de locations ou par l’embauche plus importante d’ouvriers dans l’exploitation élargit le

nombre de personnes intéressé à l’évolution de l’entreprise et à ses relations avec les

institutionnels. Cela pousse les élus et administratifs locaux à prendre compte aussi, mais pas

seulement, l’intérêt général dans leurs sollicitations aux entreprises et cela réduit leurs marges

de manœuvre pour entraver les intérêts d’une entreprise appréciée par ses habitants. Si la

relation au territoire de l’entreprise se voit réduite à quelques institutionnels, l’intérêt collectif

risque de rester plus marginal encore dans leurs interactions.

Enfin, les effets directs de la fin du moratoire sur l’économie et l’emploi sont difficiles

à prévoir. Si le moratoire prenait fin, le lien permanent bailleurs/locataire disparaîtrait au

profit d’un rachat des terres dont le caractère définitif met fin à cette interdépendance,

déstabilisant ainsi la base d’une économie locale renaissante. La disparition de ce lien pourrait

s’accompagner de celle des ouvriers « surnuméraires » et des propriétaires, qui tenteront alors

leur chance ailleurs. Ces abandons risqueraient de remettre en cause tout ce qui a –

jusqu’alors – été préservé. Les villageois vivraient alors un véritable déclin de leur village. Le

village, lieu d’interconnaissance, deviendrait alors beaucoup plus hostile aux investisseurs

étrangers, et les autres petits services fournis par l’exploitant seront alors insuffisants.

c) La levée du moratoire : un risque de concentration foncière

L’hypothétique levée du moratoire inquiète une partie de la population et de la classe

politique à l’échelle nationale pour d’autres raisons : la corruption va poser problème. Qui va

acheter la terre ? L’Ukraine est partagée entre cinq à six oligarques répartis par région.

L’ouverture du marché foncier permettrait aux oligarques ukrainiens de s’enrichir à nouveau.

En effet, « il ne reste plus grand-chose à voler en Ukraine » (Martin), le secteur sidérurgique

étant déjà privatisé. « Aujourd’hui, il reste la terre » (Martin). « Libérer » le moratoire

permettrait à ces oligarques d’acheter à bas prix les pailles des villageois. À l’ouverture du

marché foncier, la terre aura sans doute une faible valeur vénale, puis elle pourrait prendre de

la valeur et motiver des comportements spéculatifs des oligarques. Si la loi autorise la vente

de terre aux étrangers, la concentration foncière des terres agricoles se jouerait alors entre

deux acteurs : les oligarques ukrainiens et les investisseurs étrangers à gros capitaux.

L’avantage du lien locatif est le faible coût en capital qu’il exige, un agriculteur peut ainsi

lancer une activité sans le capital dévolu à l’achat des terres. Mais le coût d’achat des grandes

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surfaces d’exploitation risque d’être inaccessible à une partie notamment des agriculteurs de

la première trajectoire.

Cependant, le bruit court dans le milieu agricole que le gouvernement aurait

l’intention, en complément de la levée du moratoire, d’interdire la vente des terres aux

étrangers. Mais, les montages juridiques possibles aujourd’hui font penser qu’un directeur

ukrainien et une entreprise au siège social en Ukraine peut « cacher » des capitaux et une

direction essentiellement étrangère. Quasiment toutes les entreprises de l’échantillon à

capitaux étrangers ont un directeur ou une directrice de nationalité ukrainienne puisque la loi

y oblige. Aujourd’hui un étranger ne peut pas être à la tête d’une exploitation agricole. Aux

yeux de la loi, l’entreprise est déjà ukrainienne et non étrangère.

Dans tous les cas, les entreprises agricoles des trajectoires une et deux, présentées dans

la seconde partie, n’auront pas les moyens d’acheter la totalité des terres qu’elles louent car

elles risquent de ne pas pouvoir concurrencer les capacités de financement des « agricultures

de firmes » de la troisième trajectoire. Les entreprises à capitaux français des première et

deuxième trajectoires ont l’intention d’acheter une partie de leurs terres, pour se prémunir de

la concurrence des « agroholdings ». Ainsi, l’entreprise Martin explique qu’« acheter n’est

pas un avantage et n’a pas d’intérêt, à moins de vouloir spéculer sur le prix du foncier. Mais,

ça n’est pas notre intention. Si la fin du moratoire se concrétise, on se forcera à acheter par

sécurité, au moins une partie : en prévision des pressions que peuvent engendrer les agro-

holdings sur le coût du foncier. En effet, il se peut que la location un jour nous coûtera plus

cher que l’achat. C’est pourquoi, on achètera par sécurité ». Mais, encore faut-il que les

paillitevistes souhaitent vendre et que les prix exigés le lui permettent.

Bien que les grandes institutions internationales voient la levée du moratoire comme la

condition à la création d’un marché foncier, d’autres la perçoivent comme un risque social. Il

existe, par ailleurs, un risque de concentration foncière entre les mains des investisseurs

ukrainiens ou étrangers à gros capitaux. Mais rien n’est encore sûr. Tout sera fonction de

l’existence ou non d’un encadrement juridique efficace du marché foncier, du choix des

paillitevistes de vendre ou non, et du profil des acheteurs.

d) Implantation locale et « agriculture de firme »

En partant sur le terrain, je m’attendais à rencontrer essentiellement des entreprises

très flexibles, sans projection à long terme sur le territoire. Or, cinq des six entreprises

françaises de l’échantillon cherchent à tout prix à sécuriser leur foncier pour projeter leurs

activités sur du long terme et ne chercheraient pas à spéculer, ni sur la valeur foncière de leur

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exploitation ni sur leurs activités. L’échantillon ne reflète certainement pas le mieux le

modèle tendant vers une « agriculture de firme », mais cela révèle la coprésence d’une

pluralité de modèles agricoles où l’ « agriculture de firme » est portée, dans l’échantillon, par

l’entreprise Leroy et les grandes entreprises de l’oligarchie ukrainienne de la troisième

trajectoire. De façon assez prévisible, c’est justement l’entreprise Leroy qui entretient le

moins de liens et de relations locales.

Bien que la stratégie spéculative ne soit pas un choix qui puisse s’afficher

officiellement et bien que l’échantillon reste inégal,

l’observation nous montre qu’une entreprise qui a

pour objectif de spéculer, sur la valeur foncière ou

sur sa valorisation boursière, n’a pas d’intérêt à

sécuriser son foncier et n’a pas besoin de s’intégrer.

On constate chez ces entreprises, un souci limité de

développer une relation au territoire local. Ces

entreprises sont présentes sur plusieurs raions et

préfèrent assurer un réseau de caciques locaux ou, au

mieux, de contacts hauts placés dans l’administration

centrale. Elles n’ont ainsi pas besoin de « dorer » leur image auprès des petits propriétaires

fonciers ou des villageois, les ordres et les solutions viennent de plus haut. Ainsi, l’entreprise

accède plus rapidement que les autres à un foncier abondant puisqu’elle est la première

informée des meilleures opportunités de rachats d’entreprises en faillite. De plus, elle est la

première informée des « terres de réserve » pouvant faire l’objet d’une demande de droit au

bail (voir encadré « terre de réserve »).

Enfin, si les entreprises acceptent de payer un « impôt social », ce n’est pas par

philanthropie, il s’agit bien d’un comportement stratégique. Payer pour s’intégrer, assure une

stabilisation foncière et limite les pressions institutionnelles (contrôle sanitaire, fiscal ou de

sécurité incendie répétés, longueur appuyé de l’administration, etc.). La pérennité de l’aide au

développement local dépend donc des objectifs de l’entreprise : si elle cherche ou non une

sécurisation foncière et si elle a ou non des contacts hauts placés dans l’administration.

Enfin, les entreprises agricoles qui s’implantent dans les villages ukrainiens sont

spécialisées dans des productions destinées à l’exportation. On constate d’ailleurs, une

augmentation de la production de céréales et oléoprotéagineux qui va de pair avec une baisse

de l’élevage. Les nouveaux investisseurs agricoles ne choisissent pas des productions

« Terre de réserve »

La loi adoptée fin 1991 en Ukraine a

imposé la création de « terres de réserve »

autour de chaque village. 15 % de la

surface de chaque kolkhoze et sovkhoze

passent alors sous le contrôle du Conseil

de Village (Jaubertie, 2011).

Pour obtenir le droit de cultiver ces terres,

l’entreprise agricole doit monter un dossier

avec l’accord du Conseil de Village pour

enfin adresser la demande au raion.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

141/174

destinées au marché intérieur pour la sécurité alimentaire. Ce choix de mode de production ne

va pas dans le sens de la recherche d’une autosuffisance alimentaire pour l’Ukraine. Pour

autant, les entreprises de la première et de la deuxième trajectoire entretiennent une petite

production maraichère, pour employer plus de main d’œuvre et donc encore une fois de plus,

pour assurer leur relation au territoire. De plus, elles fournissent une aide et des outils

agricoles aux villageois, qu’ils soient paillitevistes ou simples producteurs maraîchers sur leur

lopin. Et, ce sont essentiellement ces micro-exploitations qui contribuent à la sécurité

alimentaire nationale.

C. CONCLUSION ET SCHÉMAS BILAN

Pour conclure, la présence de ces entreprises apporte effectivement une aide au

développement local du village et parfois même du raion mais la durabilité de cette aide

dépend des objectifs stratégiques de l’entreprise. Tous ont intérêt à entretenir, y compris

financièrement, des relations afin de se protéger d’un harcèlement administratif et de

contrôles intempestifs, afin aussi d’obtenir les informations stratégiques notamment sur le

foncier, et de maintenir de bonnes relations avec les paillitevistes pour sécuriser leur foncier.

Mais, pour les entreprises se rapprochant de l’ « agriculture de firme », cette relation

au territoire n’est pas incarnée par un homme identifiable au patron. Il y a des gérants, des

employés qui renouvellent les baux, d’autres qui cherchent des exploitations à reprendre et

enfin des responsables qui assurent des réseaux d’influence à l’échelle nationale. Ces

entreprises-là distribuent certes quelques subsides aux caciques locaux, mais cet argent

n’apporte rien au développement local. Si elles n’avaient pas cette dépendance foncière vis-à-

vis des paillitevistes, elles n’auraient aucun intérêt à entretenir une quelconque relation au

territoire.

La situation est toute autre pour les entreprises encore tenues par des logiques du

modèle agricole familiale. Les entreprises des trajectoires une et deux voient généralement

toutes ces fonctions incarnées par un ou quelques associés reconnaissables par tous. Celles-ci

appartiennent en faits ou en conscience à une agriculture familiale qui se souci de ses bonnes

relations au territoire mais aussi de l’intérêt collectif d’une communauté dans ce territoire.

Ces entreprises gardent un ancrage essentiellement local, contrairement aux entreprises de la

troisième trajectoire qui partagent des valeurs en rupture avec le modèle familial. Toutes les

implantations ne se valent donc pas, et, celles qui catalysent une dynamique locale ne

correspondent pas au modèle émergent que serait l’ « agriculture de firme ».

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Les entreprises de cette troisième trajectoire n’ont pas de stratégie à long terme et

souhaitent valoriser leur capital pour pouvoir le revendre avec le maximum de plus-value. De

plus, elles spéculent sur les matières premières. Il s’ensuit qu’elles n’ont pas plus d’intérêt à

une implantation sociale durable qu’a une production agricole soutenable. Ce sont donc les

entreprises agricoles occidentales ou ukrainiennes, s’implantant en Ukraine avec des objectifs

financiers, qui s’orientent le plus vers une intensification de la production70

. On y constate

l’usage de certains produits phytosanitaires interdits dans l’Union-Européenne pour leur effet

extrêmement polluant. Pourtant, il existerait un institut public dans chaque oblast qui testerait

et réglementerait l’usage des produits phytosanitaires. Même si la législation interdit l’usage

de ces produits, dans la pratique la loi se contourne facilement avec quelques pots de vin. On

peut donc regretter aussi que ce nouveau modèle agricole ne réponde pas aux exigences

environnementales.

Toute mon analyse présentée dans ce mémoire repose sur l’existence du moratoire

interdisant la vente des terres en Ukraine. Or, il est régulièrement question de l’abroger, cette

fois-ci peut-être en 2012. J’ai donc décidé d’aller plus loin dans mon analyse en imaginant la

relation au territoire des trois trajectoires d’entreprises dans le cas d’une légalisation de la

vente des terres en Ukraine. À partir des trois trajectoires qui ressortent de l’analyse faite dans

la deuxième partie de ce mémoire, voici donc ci-après trois schémas bilan indiquant la qualité

de la relation des entreprises avec leur territoire d’influence en cas de fin de moratoire,

actuellement clé de voûte de leur relation.

Le squelette du schéma en noir suppose que nous sommes dans un contexte ukrainien

où le seul mode de faire-valoir est le fermage et où la concurrence foncière est forte.

L’exploitation agricole met alors en place des stratégies pour accéder au foncier. Dans ce cas,

deux solutions s’offrent à elle : partir ou s’intégrer par l’usage des modalités locales auprès

des villageois et/ou auprès de l’administration locale. Par s’intégrer, il faut entendre avoir une

relation privilégiée.

70

Remarque sur les termes production intensive/extensive. En Ukraine la production est extensive du

fait des superficies, mais même si on utilise moins d’intrants qu’en France, parce que la terre y est plus fertile,

tous les produits chimiques destinés à l’agriculture sont présents et utilisés. Pire, les ouvriers agricoles qui les

épandent n’ont pas conscience des risques encourus par l’usage de ces produits ou du moins se soucient peu des

dégâts environnementaux. Ainsi, j’ai vu des champs avec des taches d’herbe brûlée : les ouvriers ne savaient pas

où déverser le surplus de produits, ils ont alors vidé la cuve dans le champ concentré en un endroit.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Figure 23. Schéma bilan de la 1ère

trajectoire d’entreprise :

le moratoire, clé de voûte de la relation au territoire

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

Dans le cas d’une légalisation de la vente des terres, quel scénario peut-on imaginer

pour les entreprises de la 1ère

trajectoire ? De par sa trajectoire appartenant encore à un modèle

familial, l’exploitation agricole entretient une forte relation d’interdépendance avec les

villageois quel que soit le mode de faire valoir en place. Le lien à la location ici « s’ajoute ».

La relation d’interdépendance sera donc maintenue. De même, l’exploitation agricole

maintiendra sa relation avec l’administration locale pour limiter les pressions institutionnelles

qui ne dépendent pas du mode faire-valoir en place mais de la corruption. Pour conclure, la

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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fin du moratoire ne changera pas profondément la qualité des liens au territoire des entreprises

de la première trajectoire.

Figure 24. Schéma bilan de la 2ème

trajectoire d’entreprise :

le moratoire, clé de voûte de la relation au territoire

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

Dans le cas d’une légalisation de la vente des terres, quel scénario peut-on imaginer

pour les entreprises de la 2ème

trajectoire ? La relation d’interdépendance avec les villageois

sera maintenue mais deviendra plus fragile. Le lien de location ici « organise » la relation. De

même, l’entreprise agricole maintiendra sa relation avec l’administration locale pour limiter

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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les pressions institutionnelles mais aussi pour obtenir davantage d’aide face à la concurrence

foncière. Cependant, les entreprises de la 2ème

trajectoire ont moins de pouvoir que celles de la

3ème

trajectoire dans leur relation avec l’administration. Pour conclure, la fin du moratoire

maintiendra les liens au territoire mais les rendra incertains et de moins bonne qualité.

Figure 25. Schéma bilan de la 3ème

trajectoire d’entreprise :

le moratoire, clé de voûte de la relation au territoire

Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

Dans le cas d’une légalisation de la vente des terres, quel scénario peut-on imaginer

pour les entreprises de la 3ème

trajectoire ? La relation d’interdépendance avec les villageois

disparaitra puisque la société agricole n’aura plus d’intérêt à entretenir cette relation. La

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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relation avec l’administration locale sera maintenue mais fragilisée car la société agricole

traitera directement avec l’administration haut placé (régionale voire nationale). Pour

conclure, les entreprises de cette 3ème

trajectoire qui ne soignent déjà pas leur relation avec les

villageois, couperont définitivement tous liens. La fin du moratoire entrainera alors une

déstabilisation de l’économie locale renaissante jusqu’ici.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

147/174

CONCLUSION

En conclusion, rappelons d’abord la problématique qui nous a guidés :

Les nouvelles formes d’agriculture en Ukraine :

impact local des entreprises agricoles

Dans une première partie, nous avons pu faire un état des lieux de l’évolution des

modèles agricoles. On a ainsi pu constater une évolution de l’agriculture familiale face au

contexte de la globalisation. Nous avons vu qu’à côté de ces modèles préexistants, un

nouveau modèle émergerait : l’« agriculture de firme ». Cette forme d’organisation du travail

agricole qu’on connait encore mal est caractérisée par sa rupture avec l’agriculture familiale.

Elle serait « hautement capitalistique et installée sur les marchés des matières premières »

(Hervieu, Purseigle, 2009 : 189). Cette « agriculture de firme » participerait entre autre au

phénomène de land grab (accaparement des terres), un processus d’acquisition des terres à

l’étranger par des acteurs privés ou publics exogènes au monde agricole. Certains de ces

acteurs appartiennent au secteur financier et trouvent une opportunité de bénéfices financiers

sur les matières premières agricoles, secteur refuge dans la période de crise financière. Les

denrées alimentaires sont donc devenues l’objet de spéculation notamment sur les marchés

dérivés.

Parmi les pays cibles les plus concernés par ce nouveau type d’investissement

agricole, l’Ukraine prend une place toute particulière. Ex-pays de l’Union soviétique,

l’Ukraine est toujours dans une transition agraire depuis la décollectivisation. Cette transition

provoque des restructurations foncières propices à l’arrivée de nouveaux investisseurs. Or, ce

pays d’Europe orientale est très attractif pour ses atouts naturels et son potentiel agricole ;

mais aussi, pour sa localisation à proximité des deux régions les plus déficitaires en grain de

la planète. L’Ukraine a donc une place stratégique dans l’approvisionnement en céréale du

marché international, et constitue en ce sens un terrain propice à l’émergence du modèle

agricole d’ « agriculture de firme ».

Pour démontrer la présence de ce modèle agricole émergent en Ukraine, nous nous

sommes intéressés au parcours, à la forme de réalisation et aux objectifs des investisseurs du

secteur agricole. Pour des raisons de facilité, les observations sur le terrain des investisseurs

étrangers se sont essentiellement portées sur les investisseurs français, mais nous nous

sommes aussi intéressés aux investisseurs locaux. Les informations recueillies portent sur un

échantillon de douze entreprises françaises et ukrainiennes rencontrées à l’occasion d’un

travail de terrain d’un mois et demi en Ukraine au printemps 2011. Elles se composent

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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d’observations et de données recueillies sur le terrain, d’entretiens téléphoniques et en face à

face.

Dans une deuxième partie, nous avons ainsi pu dégager des trajectoires d’entreprises

chacune à partir d’un type d’acteur associé. Trois trajectoires d’entreprises sont apparues dans

de ce travail d’analyse dont la dernière porte les caractéristiques de flexibilité et de

financiarisation qui correspondrait au modèle émergeant de l’ « agriculture de firme ».

Parmi les caractéristiques de ces trajectoires d’entreprises, on constate qu’elles

présentent des objectifs stratégiques différents et parfois même contradictoires. La première

trajectoire d’entreprise a l’objectif d’assurer la reproduction familiale et est tournée vers une

agriculture commerciale. Les exploitations agricoles font moins de 1 500 ha et la rupture avec

le modèle familiale dans le cas des entreprises françaises de cette trajectoire est

principalement due à la migration c'est-à-dire avec la rupture du lien à la terre familiale.

Cependant, les capitaux et l’organisation du travail restent familiaux.

La deuxième trajectoire constitue un choix stratégique de développement par

l’intensification de la production dans une perspective de long terme. Les exploitations

agricoles font – sauf incident de parcours – plusieurs milliers d’hectares. Les acteurs de cette

trajectoire sont plus des entrepreneurs agricoles que des agriculteurs. Eux-aussi ont fait leur

deuil du lien à la terre mais aussi de leur métier d’agriculteur. Ils dirigent ce qui s’apparente

vraiment à une entreprise de production agricole, et, parfois même, on constate une

diversification de leur activité en France ou en Ukraine. Mais, cette diversification se fait

toujours à partir du cœur de leur métier qui reste l’agriculture.

Pour ce qui est des entreprises de la troisième trajectoire, ce sont des holdings qui

détiennent plusieurs unités de production réparties sur le territoire ukrainien. Les investisseurs

ont peu à voir avec le secteur agricole et s’apparentent bien plus à des businessmans qui

souhaitent valoriser leur capital à partir des opportunités de bénéfices financiers du marché

international des matières premières. Les entreprises agricoles de la troisième trajectoire

relève d’un « développement optimal » dans une perspective de valorisation du foncier, du

capital de l’entreprise et des productions sur les marchés financiers. Deux des entreprises de

cette trajectoire sont cotées en bourse. C’est donc la troisième trajectoire qui se rapprocherait

le plus de l’ « agriculture de firme ». Une fois ces trajectoires établies, il s’est agit de

« mesurer » leur impact sur les territoires locaux ukrainiens.

Dans une troisième partie, nous avons donc « mesuré» l’impact des trois trajectoires

d’entreprises établies à partir de deux études de cas réalisées dans deux conseils de village au

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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contexte de concurrence foncière différent. L’angle d’analyse privilégié a été celui de la

relation au territoire des nouveaux acteurs investisseurs. Nous avons pu observer que la

relation au territoire de l’entreprise permet le développement économique local. Cependant,

les trois trajectoires que nous avons décrites agissent différemment sur le territoire ; et, donc

leur présence a un impact différent sur les territoires locaux. Cette analyse a permis de

comparer l’impact de ce modèle agricole émergent à celui des autres trajectoires à un moment

particulier du développement agricole ukrainien où un moratoire interdisant la vente des terres

est encore en vigueur. Ce moratoire oblige les investisseurs à constituer le foncier de leur

entreprise agricole par la location de milliers de baux auprès des bénéficiaires de terrains de

quelques hectares, des pailles, de la décollectivisation agricole.

La présence de ces entreprises apporte effectivement une aide au développement local

du village et parfois même du raion mais la qualité et la durabilité de cette aide dépend des

objectifs stratégiques de l’entreprise. Tous ont intérêt à entretenir, y compris financièrement,

des relations afin de se protéger d’un harcèlement administratif et de contrôles intempestifs,

afin aussi d’obtenir les informations stratégiques notamment sur le foncier, et de maintenir de

bonnes relations avec les paillitevistes pour sécuriser leur foncier. Mais, à la différence des

autres trajectoires, pour les entreprises se rapprochant de l’ « agriculture de firme », cette

relation au territoire n’est pas incarnée par un ou des hommes porteurs des valeurs du modèle

agricole familial. C’est une organisation où il y a des gérants, des employés qui renouvellent

les baux, d’autres qui cherchent des exploitations à reprendre et enfin des responsables qui

assurent des réseaux d’influence à l’échelle nationale. Ces entreprises-là distribuent certes

quelques subsides aux caciques locaux, mais cet argent n’apporte rien au développement

local. Si elles n’avaient pas cette dépendance foncière vis-à-vis des paillitevistes, elles

n’auraient aucun intérêt à entretenir une quelconque relation au territoire. Tandis que les

entreprises des première et deuxième trajectoires appartiennent en faits ou en conscience à

une agriculture familiale qui se souci de ses bonnes relations au territoire mais aussi de

l’intérêt collectif d’une communauté dans ce territoire. Ces entreprises gardent un ancrage

essentiellement local, contrairement aux entreprises de la troisième trajectoire qui partage des

valeurs en rupture avec le modèle familial.

Toutes les implantations ne se valent donc pas, et, celles qui catalysent une dynamique

locale ne correspondent pas au modèle émergent que serait l’ « agriculture de firme ». En

effet, les entreprises de la troisième trajectoire n’ont pas de stratégie à long terme et

souhaitent valoriser leur capital pour pouvoir le revendre avec le maximum de plus-value. De

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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plus, elles spéculent sur les matières premières. Il s’ensuit qu’elles n’ont pas plus d’intérêt à

une implantation sociale durable qu’a une production agricole soutenable.

Ainsi, pour répondre à la problématique, nous avons mis à l’épreuve les trois

hypothèses de départ à savoir :

Hypothèse 1. On constate l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine qui

n’a plus de lien avec l’agriculture familiale.

Effectivement, on constate l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine qui

n’a plus de lien avec l’agriculture familiale particulièrement dans le cas de la troisième

trajectoire d’entreprise établie. Mais, on ne peut pas parler de rupture avec le modèle familial

dans le cas de la première trajectoire d’entreprise. Quant à la deuxième trajectoire, celle-ci se

détache un peu plus du modèle familial mais garde des traces, telles que l’origine des

capitaux.

Hypothèse 2. Ce nouveau modèle agricole est basé sur la flexibilité et la

financiarisation.

Effectivement, dans le cas de la troisième trajectoire d’entreprise l’objectif est

financier et passe par une flexibilité accrue aussi bien des moyens de production que des

unités de productions implantées. Elles se distinguent en cela nettement des entreprises de la

première trajectoire mais également de celles de la deuxième trajectoire. Ces dernières

entreprises accèdent bien à des outils financiers de gestion des risques de change et de gestion

de la volatilité des prix agricoles, mais cet accès ne donne pas lieu à des bénéfices financiers

ou spéculatifs. Il s’agit bien d’outils contrairement aux entreprises de la troisième trajectoire

pour lesquelles c’est un objectif en soi.

Hypothèse 3. Ce nouveau modèle a un impact négatif sur le territoire.

Sur le cout terme, les entreprises de toutes les trajectoires font renaître les villages et

apportent leur aide pour mieux s’intégrer. Mais, plus la trajectoire d’entreprise tend vers une

« agriculture de firme », moins les entreprises cherchent spontanément à participer au

développement local. Et donc, la relation au territoire s’apparente véritablement à un lien

d’interdépendance : la location des terres agricoles dans un contexte de concurrence foncière

oblige les entreprises à développer un réseau local qui n’aurait pas le même intérêt sans le

moratoire.

Donc, si l’on admet premièrement que l’Ukraine a besoin de capitaux pour développer

son agriculture et deuxièmement qu’une agriculture financiarisée et flexible a une relation au

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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territoire amoindrit du fait de ses intérêts internationaux : politiquement l’Ukraine n’aurait-

elle pas intérêt à favoriser des entreprises agricoles de la deuxième trajectoire ancrées sur des

valeurs du modèle familial ? En effet, la présence des entreprises de première et de deuxième

trajectoire sur le territoire aurait un effet de levier sur le développement local. Et, la

mécanisation, l’accès aux crédits, et la capacité d’autofinancement plus importante des

entreprises de la seconde trajectoire les rendent plus particulièrement efficaces. Ces dernières

pourraient donc permettre une augmentation des rendements et un transfert technologique y

compris avec les micro-exploitations ukrainiennes qui bénéficient occasionnellement des

outils et des semences sélectionnés. Cela améliorerait donc également la sécurité alimentaire

du pays. Mais, cet effet levier serait plus positif encore dans le cadre d’une agriculture plus

régulée au moins sur le plan législatif (règle d’usage, plus de contrôle, etc.) afin que

l’agriculture privilégiée soit celle d’une haute qualité environnementale et sociale. Cependant,

pour arriver à un tel objectif, il faudra aussi légiférer afin de sortir de la corruption.

Dans ce scénario, le moratoire est un cadre législatif catalyseur car il favorise de façon

continue une relation de l’entreprise soit le lien de location, avec une part plus large de la

population. Cela limite l’étendue de la corruption parce que les citoyens exercent une

attention importante sur la relation de l’entreprise au territoire. En effet, les citoyens ruraux

sont directement concernés par la présence des entreprises agricoles, ce qui oblige les élus et

administratifs à veiller plus encore à l’intérêt collectif quand ils sollicitent ces entreprises. Et

enfin, les agriculteurs sont encouragés dans leurs valeurs héritées du mode de production

familial par le lien de location. Les agriculteurs voient leur relation avec leurs bailleurs

améliorée par le retour positif de leurs actions sociales et de mécénat.

Enfin, les aspects positifs des échanges informels qui se sont développés autour de ce

lien de location pourraient être étendus et formalisés s’ils étaient reconnus légalement. Cela

pose cependant la question de la pérennité des effets positifs de ces échanges s’ils sortent de

l’économie informelle et donc de la faisabilité d’un tel projet politique. Il faut ajouter que,

malheureusement, les choix politiques actuels tendent plutôt à une levée du moratoire qu’à un

approfondissement légal du lien de location.

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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www.agritel.com

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TABLE DES ANNEXES

Annexe 1. Protocole de recherche, Ariane WALASZEK, 2011 ................................................ 159

Annexe 2. Guide d’entretien, Ariane WALASZEK, 2011 ........................................................ 162

Annexe 3. Liste exhaustive des investisseurs étrangers dans les terres agricoles ukrainiennes

................................................................................................................................................ 167

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Annexe 1. Protocole de recherche, Ariane WALASZEK, 2011

Thématique

L’entreprise

Indicateurs

(Catégories de renseignement à obtenir) Hypothèse Acteur/ Support

L’entreprise

> Ses acteurs

Quels sont les objectifs de l’entreprise ?

Quels sont les moyens que l’entreprise se donne pour atteindre ses

objectifs ?

Organisation du pouvoir au sein de l’entreprise = Qui fait

quoi ?

Mode d’organisation du travail

- pouvoir stratégique = Qui fait l’entreprise ?

- pouvoir gestionnaire/organisationnel = Que fait

l’entreprise ?

Documents

internes,

Entretiens

Mobilité temporelle (durée, fréquence)

Mobilité spatiale (distance)

Le rapport de l’acteur à l’entreprise/au travail

Le rapport de l’acteur à la (aux) localisation(s) de

l’entreprise

Entretiens

Quelle est la trajectoire des acteurs de l’entreprise ? Influence de la trajectoire des acteurs dans l’organisation

du travail de l’entreprise

Entretiens

L’entreprise

> Sa stratégie

La stratégie financière prend-elle le pas sur la stratégie productive ?

Existe-t-il des choix d’innovation technologiques ? Si oui, à quels stades

de la production apparaissent ces innovations ?

Priorité à la stratégie financière

Entretiens

Quels sont les avantages territoriaux de la localisation de l’établissement,

de la filiale ?

L’accès à un foncier abondant fait-il parti des critères de recherche de

l’entreprise pour s’implanter?

Apparition d’une stratégie spatiale Entretiens

L’entreprise agricole fait-elle appelle à des prestataires de service pour

l’exploitation de la terre et l’apport de machine ?

Mise en place d’une stratégie de flexibilité Entretiens

L’entreprise

> Sa trajectoire

Quelle est la date de création de l’entreprise ?

Où se trouve le siège social de l’entreprise ?

De combien d’établissements l’entreprise dispose-t-elle ?

Mono/multilocalisation

De combien d’hectares l’entreprise disposent-elle ?

Quels types de cultures l’entreprise produit-elle ?

Quelle est la structure juridique de l’entreprise ?

État des lieux de l’entreprise

Documents

internes,

Entretiens

Quels objectifs à long terme l’entreprise agricole envisage-t-elle ?

Volonté d’acquérir de nouvelles terres, de nouvelles machines,

d’employer plus de personnel ?

L’entreprise a-t-elle pour objectif d’investir dans le développement

d’infrastructures pour le stockage de la récolte? pour la transformation?

pour le transport?

Auto-projection de l’entreprise

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Thématique

Le foncier

Indicateurs

(Catégories de renseignement à obtenir) Hypothèse Acteur/ Support

Le foncier

> Le droit

foncier

Loi qui régit les conditions d’accès à la propriété Documents

institutionnels

Existe-t-il des dispositions sur la durée de location de la terre ? Existe-t-

il des dispositions spécifiques pour les étrangers ?

Loi qui régit les conditions de location de la terre Documents

institutionnels

Loi qui régit la transmission d’un bien foncier, d’un bien

matériel

Documents

institutionnels

Le foncier

> La pratique

du foncier

>> Le rapport à

l’espace

De combien d’établissements l’entreprise dispose-t-elle ?

Mono/multilocalisation

De combien d’hectares l’entreprise disposent-elle ?

De combien de machines l’entreprise disposent-elle ? Quel type de

matériel ? européens ou période collectiviste ?

Combien de salariés travaillent dans l’entreprise ? D’où viennent les

salariés qui travaillent pour l’entreprise ?

Emprise territoriale

Importance de l’entreprise agricole dans la région, dans le

pays

Multilocalisation, superficie, matériel, employés

Identité

Documents

internes,

Entretiens

Être propriétaire ou locataire résulte-t-il d’un choix ? Stratégie basée sur la flexibilité par un mode de faire-valoir

choisi

Documents

internes,

Entretiens

Y-a-t-il un mode de faire-valoir dominant ? Mode de faire-valoir dominant/marginal Documents

internes,

Entretiens

Si propriétaire ≠t locataire

Quels sont les acteurs intermédiaires entre le propriétaire et le locataire ?

L’entreprise fait appelle à une agence de démarchage à

domicile/ à une institution publique pour trouver des

propriétaires intéressés par la mise en location de leur terre

Documents

internes,

Annonces

internes,

Entretiens

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Thématique

Mode

d’intégration au

territoire

Indicateurs

(Catégories de renseignement à obtenir) Hypothèse

Question fondamentale Acteur/ Support

>

Propriétaire

foncier

Avec combien de propriétaires l’entreprise agricole doit-t-elle établir

un contrat de location pour obtenir une parcelle ?

Nombre d’habitant concerné par les baux emphytéotiques Entretiens

Quelles sont les motivations des propriétaires qui mettent leur terre en

location ?

Avantages pour le propriétaire qui loue. Possibilité de

rente foncière pour le propriétaire

Entretiens

> Réseaux locaux Dans quels réseaux locaux s’insère l’entreprise ? association,

partenaire, donneur d’ordre, compromis

De quels soutiens locaux bénéficie l’entreprise ? institutions

communales, régionales, nationales

Le développement économique de la région attire-t-il d’autres

entreprises ? L’entreprise est-elle acceptée ou rejetée par la population

locale ? La région est-elle dépendante vis-à-vis de l’État ?

Dynamique locale Entretiens

> Développement

infrastructures

Le manque d’infrastructure amène-t-il l’entreprise à investir ? à partir ?

à négocier avec les institutions ? à former une coopérative pour avoir

plus de moyen ?

Contrainte territoriale qui débouche sur un investissement

ou un abandon

Contrainte territoriale qui débouche sur la création d’un

réseau social et professionnel

Entretiens

> Emploi Combien d’emplois ont-ils été créés depuis l’installation de

l’entreprise ? Les salariés sont-ils mieux rémunérés qu’ailleurs ?

Évolution de l’emploi et de la rémunération Entretiens, Doc.

internes,

Institutions

locales

> Formes de

production

agricole

L’implantation de l’établissement sur le territoire est-elle récente ?

Quelle est l’évolution du paysage agricole ? Structure agraire

Intégration/contraste paysager

Relation entre les formes de production agricole Observation,

Entretiens, Doc.

internes

Présence d’une l’agriculture familiale Observation,

Entretiens

Les différentes formes de production agricole sont-elles

complémentaires, interdépendantes ? Les différentes formes de

production agricole partagent-elles leurs outils de production ?

L’apparition d’une nouvelle forme de production entraine-t-elle

l’exclusion par la compétition de la forme endogène/plus ancienne ?

Relation entre les formes de production agricole Entretiens

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Annexe 2. Guide d’entretien, Ariane WALASZEK, 2011

L’ENTREPRISE

Questions Éléments de réponse attendus

1- Quelle est l’histoire de votre activité en France ?

Maintenez-vous votre activité agricole en France ?

Activités et part de chacune des activités

Nb hectares en France + localisation

Exploitation française toujours en activité ?

Qui travaille (famille, salariés) ?

Statut juridique de l’exploitation en France

2- Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à investir en

Ukraine ? Avez-vous été aidé lors de votre démarche ? - Fertilité (tchernozem, pluviométrie, température)

- Coût main d’œuvre

- Coût foncier

- Économie d’échelle

- Affinité avec le pays

Quel était le projet initial ?

Date de création entreprise

- Reprise d’exploitation en faillite, ancien kolkhoze

- Terrain en friche

Siège social français ? ukrainien ?

Statut juridique de l’exploitation en Ukraine

A reçu les conseils de qui ?

3- Comment avez-vous choisi le lieu de votre installation ?

4- Combien d’hectares avez-vous ? Nb hectares

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Nb hectares au départ et maintenant

Nb société(s), Nb exploitation(s)

Distance entre exploitations

Distance entre parcelles d’une exploitation

Cadastre, photo aérienne, plan disponible ?

5- Quand vous faites des bénéfices, où réinvestissez-vous cet

argent ?

Exploitation française / ukrainienne

Projets

6- Comment avez-vous fait pour lever les fonds nécessaires à

votre installation ?

Origine des fonds investis

Montant des fonds investis

Projet d’introduction en bourse ?

7- Avez-vous des associés ? Quel est leur rôle ? Nb associés

Nationalité des associés

Rôle des associés

Apports exacts par associé

Statut juridique des associés

Associés appartenant à la famille ? Rôle ?

8- Où vivez-vous ? Pays : France ? Ukraine ?

sur l’exploitation ? Temps passé dans chaque lieu

Nb A/R France-Ukraine

Où vit la famille ?

9- Comment est organisée l'entreprise ?

qui est à l'origine des choix stratégiques ?

qui est à l'origine des choix de production ?

qui gère quotidiennement l’exploitation ?

Nb de décideur(s)

Comment est distribué le pouvoir ?

Nb de gestionnaire(s) par exploitation

Nom

Nationalité

10- Combien d'employés avez-vous sur chaque site ? Nombre d’employés

Origine géographique

Fonction

11- Qui se charge de trouver les propriétaires louant leur terre ? Sous-traitance ?

Nom

12- Avec combien de propriétaires avez-vous établi un contrat Nb propriétaires

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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de location ? Durée du bail emphytéotique – évolution ?

Taille moyenne d’une parcelle louée

Prix de la location à l’hectare – évolution ?

% prélevé par la société intermédiaire

Prix de revient au propriétaire

13- Travaillez-vous avec d'autres agriculteurs environnants ? À

quelle occasion ? Comment cela se passe-t-il ?

Prêt de matériel ?

Échanges de services ?

Salariat saisonnier ?

Propriétaires à qui vous louez ? (contrat de location)

14- Souhaiteriez-vous devenir propriétaire ? avantages à être locataire

- Faible investissement financier

- Flexibilité

motivations des propriétaires

- Réserve de valeur

15- Quels types de cultures/activités produisez-vous ? blé, colza, soja, maïs, tournesol, orge

Nb hectares consacré à chaque culture

Élevage

16- À quel marché est destinée votre récolte ? Élévateur ?

Nom du collecteur

Marché national / européen

en contrat de production ?

- Durée du contrat

- Engagement du contrat

17- De quel matériel agricole disposez-vous et d’où vient-il ?

Avez-vous réalisé des investissements dans les

infrastructures ? Lesquelles ?

Type et origine du matériel et des intrants

Type de variétés, origine des semences

Machine achat d’occasion ? location ? sous-traitance ?

Évolution de l'offre locale de matériel

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Investissements lourds ou non, en infrastructures notamment

Aide des institutions pour amélioration infrastructures

Irrigation ? OGM ?

L’intégration au territoire

Questions Éléments de réponse attendus

18- Avec quelles administrations locales êtes-vous en relations

et à quelles occasions ? Quels sont vos rapports ?

Commune > Raion > Oblast > État

19- Quels sont les acteurs, locaux ou non, qui vous apportent

des soutiens ? Quels types de soutiens ?

Réseaux ? Localisation

Soutien éventuel de l'ambassade, d'autres français ou étrangers

d'Ukraine. Relations avec des acteurs locaux ?

20- Faites-vous partie d’une association dans la région ? Nom

Raisons

21- Avez-vous des partenaires dans la région ?

Qui

Dans quel domaine ?

Sanctionné par une relation contractuelle ?

22- Est-ce facile de s’intégrer dans la région ?

23- Que pensez-vous de la vie ici ? Façon dont l'acteur se perçoit, s'investit ou non dans le territoire,

dont il s'y projette également

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Perspective d’avenir

Questions Éléments de réponse attendus

24- Quel projet avez-vous pour votre exploitation ? (même si ils

ne sont pas réalisables pour l’instant)

Quoi

- Acquérir de nouvelles terres

- Diversification de la production (céréales, semences,

élevage)

- Acquérir de nouvelles machines

- Améliorer les infrastructures de stockage

- Employer plus de personnel

Quand

Pourquoi

25- Avez-vous connaissance d’autres entreprises étrangères qui

sont installées dans votre région ou ailleurs en Ukraine ou

qui souhaitent s’y installer ?

Nationalité

Région

Coordonnées

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Annexe 3. Liste exhaustive des investisseurs étrangers dans les terres agricoles ukrainiennes

Source : Visser et Spoor, (2001) à partir de Land Grab Eurasia Data. Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011

Société Siège social Type d’activité Investisseurs participants Superficie louées et utilisées

Agrisar Royaume-Uni (GB), Pays-Bas

(ND), Suisse (CH) Agriculture

Agrisar (GB) est une opération conjointe

de la banque suisse Sarisan et de sa

banque mère néerlandaise Rabo Farm.

Ces investissements se font via LLC

Eurofarms Ukraine.

n.c

AgroGeneration France (Fr) Agriculture Gravitation (Fr), A Plus Finance (Fr) and

ALOE Private Equity (Fr)

20 000 ha (2010)

100 000 ha (obj. 2012)

Alpcot Agro

(présent aussi en Russie) Suédois (S) Société d’investissement

Tredje AP-fonden (S), Norden Fonder

(S), SIX SIS AG (CH), Credit Suisse

(CH)

161 000 ha dont 91 000 ha en

ppté (2010)

GAIA World Agri Fund Suisse (CH) Fond d’action Investit dans MHP Agroholding (Uk),

Mironovskii (Uk) > 140 000 ha via MHP

Gouvernement libyien Libye (Ly) Société d’État 100 000 ha

(accord annoncé en mai 2009)

Kyiv-Atlantic Ukraine États-Unis (USA), Danemark (DK),

Ukraine (Uk) Société agricole

Possède deux agroholdings : Atlantic

Farms I et Atlantic Farms II

3 000 ha (2001)

8 000 ha (2009)

Landkom International Royaume-Uni (GB) Agriculture enregistré à l'île de Man avec des filiales

à Chypre et en Ukraine

115 000 ha

dont 19 000 ha cultivés (2008)

74 000 ha

dont 29 000 ha cultivés (2010)

Land West Company Ukraine Détient des terres d’État Détenu par Kremney Public Co. (Uk)

actionnaires : Uk, GB, USA, EU 186 000 ha

Maharishi Organic Farm Japon (J), Australie (Au) Agriculture 50 000 ha (2008)

MTB Agricole Ukraine, Australie Agriculture

96 100 ha dont 30 000 ha

supplémentaires en cours (2009)

400 000 ha (obj. 2012)

Morgan Stanley États-Unis Banque d’investissement a vendu ses 40 000 ha

Oringin Enterprises Royaume-Uni, Ireland (IR) Entreprise agro-alimentaire A des parts dans Continental Farmers

Group (2008)

20 000 ha

dont 12 000 cultivé (2009)

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1. L’Ukraine, un pays d’Europe orientale au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du

Proche-Orient ............................................................................................................................. 9

Figure 2. Les quatre stades d’évolution des systèmes alimentaires ......................................... 12

Figure 3. L’éclatement des formes d’organisation sociale et économique du travail en

agriculture ................................................................................................................................. 16

Figure 4. Indice FAO des prix des produits alimentaires sur la période 2007-2011 ................ 20

Figure 5. Indice FAO des prix des céréales sur la période 2007-2011 .................................... 20

Figure 6. Indice FAO des prix des produits alimentaires et des céréales en janvier 2007 et juin

2008 .......................................................................................................................................... 21

Figure 7. Structure foncière soviétique .................................................................................... 32

Figure 8. Dénationalisation foncière et exploitations individuelles ......................................... 33

Figure 9. Division des terres en parts foncières, délivrance de certificats de propriété ........... 35

Figure 10. Fragmentation, recomposition variable des exploitations ...................................... 37

Figure 11. Une agriculture à trois vitesses, dix ans après la décollectivisation ....................... 39

Figure 12. Concentration foncière par location, mise en place d’un marché foncier .............. 40

Figure 13. Diagramme ombrothermique de Kiev (Ukraine) .................................................... 41

Figure 14. Carte des principaux sols ukrainiens ...................................................................... 42

Figure 15. Régions biogéographiques de l’Ukraine ................................................................. 43

Figure 16. Zones étudiées au cours de mon travail de terrain en Ukraine ............................... 55

Figure 17. Défrichage d’une parcelle de l’entreprise Rousseau en 2006. Réalisation :

Rousseau ................................................................................................................................... 59

Figure 18. Localisation des conseils de villages Zolotisti et Zelioni ayant fait l’objet d’une

étude de cas ............................................................................................................................ 102

Figure 19. Ensemble des villages du conseil de village Zolotisti .......................................... 103

Figure 20. Plan de zonage des entreprises agricoles dans le village 1 Zolotisti .................... 108

Figure 21. Répartition spatiale des entreprises agricoles du raion Galouboï ......................... 118

Figure 22. Marché informel des babouchkas dans la ville de Khmelnitski ........................... 133

Figure 23. Schéma bilan de la 1ère

trajectoire d’entreprise : ................................................. 143

Figure 24. Schéma bilan de la 2ème

trajectoire d’entreprise : ................................................. 144

Figure 25. Schéma bilan de la 3ème

trajectoire d’entreprise : ................................................. 145

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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TABLE DES MATIÈRES

Remerciement ............................................................................................................................. 2

Table des matières ...................................................................................................................... 3

Introduction ................................................................................................................................ 5

Partie 1. L’Ukraine, théâtre de l’émergence d’un nouveau modèle agricole ..................... 11

1. Une mutation des modèles agricoles .............................................................. 11

A. État des lieux des modèles agricoles ........................................................... 11

a) Une mutation des modèles agricoles qui va de pair avec une mutation des

systèmes alimentaires ................................................................................ 11

b) L’agriculture familiale ............................................................................... 14

c) Émergence de deux modèles agricole en rupture avec l’agriculture

familiale ..................................................................................................... 15

B. Le phénomène de land grab ........................................................................ 18

a) Un processus d’implantation agricole offshore ......................................... 18

b) Opportunités d’investissement dans l’acquisition foncière agricole ......... 19

c) Acteurs acquéreurs et pays cibles .............................................................. 24

Investisseurs privés ....................................................................................... 24

États investisseurs ......................................................................................... 26

Pays cibles .................................................................................................... 28

2. Une mutation des modèles agricoles en Ukraine ............................................ 29

A. Une histoire agraire favorable aux restructurations foncières .................... 30

a) L’agriculture collectiviste .......................................................................... 31

Exemple de définition de l’agriculture collectivisée .................................... 31

Exploitations collectives et lopins : deux types d’exploitation résultant de la

collectivisation .............................................................................................. 32

Décollectivisation ......................................................................................... 33

Héritage agraire : le poids de soixante années de collectivisation ............... 34

b) Réformes foncières post-collectivistes ...................................................... 34

1991-1999, 1ère

étape de la réforme foncière ................................................ 34

Distribution du capital d’exploitation ....................................................... 34

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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Distribution du capital foncier par la délivrance d’un certificat de

propriété .................................................................................................... 35

Un fonctionnement des exploitations inchangé ........................................ 36

Un moratoire qui interdit la vente des terres ............................................ 36

Les années 2000, 2ème

étape de la réforme foncière ..................................... 36

Le partage définitif du capital foncier par la délivrance d’un titre de

propriété individuelle................................................................................ 36

Des artéfacts dans la distribution du capital d’exploitation et du capital

foncier ....................................................................................................... 37

Émergence d’une nouvelle structure agricole : les « agroholdings » ........... 37

Mode d’emploi pour accéder à une concentration foncière de plus de

50 000 ha .................................................................................................. 38

Structure agricole tri-modale .................................................................... 39

B. L’Ukraine : un pays à fort potentiel agricole, à proximité des deux

principales régions déficitaires en blé dans le monde ................................. 40

a) Un climat continental modéré et une ressource en eau favorables à

l’agriculture ................................................................................................ 41

b) Les tchernozioms, des terres noires très fertiles ........................................ 42

c) La « Zernovoï Belt » à proximité des deux principales régions déficitaires

en blé dans le monde, l’Afrique du nord et le Proche-Orient .................... 44

3. Méthodologie .................................................................................................. 46

A. Problématique ............................................................................................. 47

B. Hypothèses .................................................................................................. 49

C. Élaboration du protocole de recherche pour organiser la recherche des

données ....................................................................................................... 51

a) Méthode utilisée pour construire mon protocole de recherche ................. 51

b) Comment accéder aux données que je recherche ? .................................. 52

D. Moyens mis en place pour accéder aux données ........................................ 53

a) Méthode des entretiens : construction du guide ....................................... 53

b) Méthode des entretiens : méthode pour entrer en contact avec les acteurs 53

c) Où aller en Ukraine ? ................................................................................. 54

Partie 2. Types d’acteurs et trajectoires d’entreprises ........................................................ 58

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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1. 1ère

trajectoire d’entreprise : cas des entreprises Rousseau, Mercier, Sacha et

Mirko ................................................................................................................ 64

A. Entreprises Rousseau et Mercier, d’origine française ................................. 65

a) Un changement d’espace social, l’aspiration à une vie nouvelle .............. 65

Changement du lieu de vie ........................................................................... 66

Changement du mode de vie ........................................................................ 66

Délocalisation ou déménagement de l’activité agricole ............................... 66

b) Un changement des pratiques agricoles… ................................................ 67

La production en Ukraine est à une échelle différente ................................. 67

Une flexibilité nouvelle des unités de production : émancipation au

territoire ? ..................................................................................................... 68

Commercialisation de la production : financiarisation ? .............................. 69

c) …mais une inscription dans la continuité du modèle familial .................. 70

L’origine des capitaux .................................................................................. 70

L’organisation du système de production..................................................... 70

B. Entreprises Sacha et Mirko, d’origines ukrainiennes ................................. 72

a) L’aspiration du développement dans son ancrage local ............................ 72

Des directeurs et salariés, anciens employés du kolkhoze ........................... 73

Au temps du kolkhoze .................................................................................. 73

Lieu d’investissement et projet d’avenir ...................................................... 74

b) Des pratiques agricoles en marge de la mondialisation ............................. 75

Une échelle de production familière ............................................................. 75

Commercialisation de la production ............................................................. 76

c) L’émergence d’un modèle familial en Ukraine ? ...................................... 76

Origine nationale, familiale et kolkhozienne des capitaux ........................... 77

Organisation du pouvoir et système de production ...................................... 77

C. Conclusion .................................................................................................. 78

2. 2ème

trajectoire d’entreprise : cas des entreprises Martin, Rimbaud, Dupont et

Luda .................................................................................................................. 79

A. L’entreprise Luda, d’origine ukrainienne ................................................... 80

a) Une grande entreprise locale ..................................................................... 80

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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b) Une organisation moderne en cellules autonomes .................................... 82

c) Une ambition de modernité et de compétitivité ......................................... 83

B. Les entreprises Martin, Rimbaud et Dupont, d’origine française ............... 84

a) Un mouvement d’extension/ diversification de l’activité agricole ............ 85

b) Une entreprise ouverte à l’économie mondialisée ..................................... 87

c) L’implantation en Ukraine : adaptation de l’entreprise ............................. 88

C. Conclusion .................................................................................................. 90

3. 3ème

trajectoire d’entreprise : la société holding, cas des entreprises Leroy et

Groen, Ivan, Petro ............................................................................................ 90

A. La constitution d’un foncier abondant ........................................................ 91

B. La délégation des affaires courantes ........................................................... 93

C. Une société en holding, des objectifs financiers ......................................... 95

4. Conclusion ...................................................................................................... 98

Partie 3. Impact sur le territoire : les enjeux d’un nouveau modèle agricole ................... 100

1. Étude de cas : le conseil de village Zolotisti ................................................ 102

A. Présentation géographique et historique ................................................... 102

a) L’arrivée de l’entreprise Rousseau .......................................................... 103

b) L’ « agroholding » Ivan ........................................................................... 105

c) Les autres « agroholdings » ..................................................................... 105

d) Perspectives ............................................................................................. 106

B. Voisinage agricole : collaboration et concurrence .................................... 107

a) Collaboration et concurrence autour du foncier ...................................... 107

b) Autres collaborations et coopérations ..................................................... 111

C. Relation au territoire ................................................................................. 113

a) Relation au milieu social ukrainien ......................................................... 113

b) Relation dans le système politico-administratif local .............................. 115

Relation avec l’administration du raion Rozovi ......................................... 115

Relation avec le conseil de village Zolotisti ............................................... 116

2. Étude de cas : le conseil de village Zelioni .................................................. 117

A. Présentation géographique et historique ................................................... 117

a) Histoire de la production agricole............................................................ 117

b) L’implantation des exploitations agricoles françaises ............................. 119

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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c) Perspectives ............................................................................................. 120

B. Voisinage agricole : collaboration et concurrence .................................... 121

a) Collaboration et concurrence autour du foncier ...................................... 121

b) Autres collaborations et coopérations ..................................................... 122

C. Relation au territoire ................................................................................. 124

a) Relation au milieu social ukrainien ......................................................... 124

b) Relation au système politico-administratif local ..................................... 128

Relation avec l’administration du raion Galouboï...................................... 128

Relation avec le village .............................................................................. 128

3. Un impact sur le territoire mitigé ................................................................. 131

A. Une aide au développement local ............................................................. 131

a) Reprise de l’activité agricole : une « renaissance » des villages après vingt

ans d’abandon .......................................................................................... 131

b) Création d’emplois bénéficiant au maintien de la population rurale

masculine ................................................................................................. 131

c) Rente foncière .......................................................................................... 132

d) Un « impôt social » permettant une dynamique locale ........................... 135

e) D’un climat de suspicion à un climat de confiance : point de vue de la

population locale ...................................................................................... 135

B. Les limites de l’appui au développement local ......................................... 136

a) Une dynamique de l’emploi qui n’est pas structurelle ............................ 136

b) Le moratoire : fragile clef de voûte d’un système social ......................... 137

c) La levée du moratoire : un risque de concentration foncière................... 138

d) Implantation locale et « agriculture de firme » ....................................... 139

C. Conclusion et schémas bilan ..................................................................... 141

Conclusion .............................................................................................................................. 147

Bibliographie .......................................................................................................................... 152

Webographie .......................................................................................................................... 157

Table des annexes ................................................................................................................... 158

Table des illustrations ............................................................................................................. 168

Table des matières .................................................................................................................. 169

Résumé ................................................................................................................................... 174

Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler

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RÉSUMÉ

Ce travail s’inscrit dans le contexte des défis des agricultures du XXIème

siècle à savoir

des agricultures plus productives mais soutenables. On voit actuellement émerger d’autres

modèles agricoles qui se détachent du modèle familial c'est-à-dire qui n’ont plus pour objectif

la reproduction de la famille. Ainsi, l’ « agriculture de firme » est mal connue et les

scientifiques tentent de mieux la comprendre. Cette « agriculture de firme » serait hautement

capitalistique et installée sur le marché des matières premières. L'Ukraine est un pays cible

des IDE agricoles depuis les années 2000 : de grosses sociétés investissent dans la production

agricole. On les qualifie parfois d’ « agroholding ». Ce mémoire questionne la relation au

territoire de ces entreprises agricoles tendant vers une « agriculture de firme ». Dans le cadre

de cette recherche, j'ai effectué un travail de terrain pendant deux mois en Ukraine et fait une

trentaine d'entretiens auprès d’investisseurs français impliqués dans la production agricole et

également auprès de l'administration ukrainienne. Trois trajectoires d’entreprises ont émergé

de ce travail. Ainsi que trois schémas bilan qui concluent sur l'impact local de ces entreprises

dans le contexte ukrainien, où un moratoire interdit la vente des terres.

SUMMARY

This work is in the context of the challenges of agriculture in the twenty-first century,

namely agriculture more productive but sustainable. We see now the emergence of other

agricultural models that detach from the family model that is to say that no longer objective

reproduction of the family. Thus, “firm agriculture” is not well-known and scientists are

trying to understand it. This “firm agriculture” would be a capital-intensive agriculture

installed on the commodities market. Ukraine is a target country for agricultural FDI since the

2000s: large companies invest in agricultural production. They are sometimes called to as

"agroholding." This work examines the relationship to the territory of these agricultural

companies tending towards a "firm agriculture." As part of this research, I conducted field

work for two months in Ukraine and made thirty interviews with French investors involved in

agricultural production and also to the Ukrainian administration. Three trajectories of

companies have emerged from this work. Three schemes conclude about the local impact of

these companies in the Ukrainian context, where a moratorium prohibits the sale of land.

Mots-clés : agriculture, investissement, accaparement des terres, Ukraine, matières premières

agricoles, moratoire, concurrence foncière, développement local

Key-words: agriculture, investment, land grab, Ukraine, agricultural commodities,

competition for land, local development

Titre des illustrations en couverture :

À gauche : tracteur pulvérisateur John Deer en test sur l’exploitation Martin, pas encore mis

sur le marché. Réalisation : Ariane Walaszek, mars 2011

À droite : tracteur kolkhozien. Réalisation : Ariane Walaszek, mars 2011


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