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Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
Ariane WALASZEK
NOUVELLES FORMES D’AGRICULTURE EN UKRAINE :
IMPACT LOCAL DES ENTREPRISES AGRICOLES
Mémoire de Master 1 « Sciences humaines et sociales »
UFR Territoires Environnement Sociétés
Département de Géographie
Mention : Très Bien
sous la direction de Mme Eve-Anne BÜHLER
Année universitaire 2010-2011
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
REMERCIEMENT
Tout d’abord, je voudrais remercier ma directrice de recherche, Eve-Anne Bühler,
de m’avoir intéressée aux problématiques de l’agriculture à travers l’occasion unique
qu’elle m’a offerte de participer au séminaire PARCECO à Kiev. C’est le véritable point
de départ de mon investissement sur le terrain ukrainien où j’ai découvert les joies, et les
peines, du travail de terrain. Je tiens aussi à la remercier de m’avoir fait rencontrer ses
collègues du projet ANR Agrifirme. Enfin, j’ai apprécié la qualité de son suivi
pédagogique et sa présence continue. En plus, j’ai eu la chance qu’elle m’accompagne sur
le terrain. Sans ses conseils sur place, mon travail n’aurait pas été aussi riche.
Je souhaite aussi remercier Stéphane, mon compagnon, pour sa patience et son
soutien. Il m’a rejoint en Ukraine à un moment de terrain difficile, où il m’a redonné
confiance en mon travail.
Obrigada à Marine, mon amie et collègue géographe, avec qui j’ai découvert et
partagé toutes les émotions de cette année géographique et initiatique. On y a cru ensemble
et on l’a fait !
Un grand дякую (diakouiou) à Lena et sa famille. À Lena, mon interprète, pour
avoir accepté de me suivre dans ce périple ukrainien. Notre relation n’a pas toujours été
facile, mais Lena a toujours été là. Sans elle, le terrain ukrainien serait resté à l’état de
projet. Elle m’a fait rencontrer sa famille, de Kirovograd et Dnipropetrovsk, qui nous a très
bien accueillies et avec qui j’ai passé des moments magiques comme fêter la Pâques
orthodoxe. Plus particulièrement, je souhaite remercier babouchka qui m’a fait profiter de
ses talents culinaires et a eu la patience de m’enseigner « avec les mains » sa recette du
borsch.
Et enfin, je souhaite remercier les nombreux intermédiaires sans qui je n’aurais pas
pu entrer en contact avec les agriculteurs. D’ailleurs, je tiens à remercier les agriculteurs
que j’ai rencontrés, d’avoir pris le temps de nous accueillir, Lena et moi, sur leur
exploitation, de nous avoir fait découvrir leur métier et parfois même de nous avoir
hébergées.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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TABLE DES MATIÈRES
Remerciement ............................................................................................................................. 2
Table des matières ...................................................................................................................... 3
Introduction ................................................................................................................................ 5
Partie 1. L’Ukraine, théâtre de l’émergence d’un nouveau modèle agricole ..................... 11
1. Une mutation des modèles agricoles .............................................................. 11
A. État des lieux des modèles agricoles ........................................................... 11
B. Le phénomène de land grab ........................................................................ 18
2. Une mutation des modèles agricoles en Ukraine ............................................ 29
A. Une histoire agraire favorable aux restructurations foncières .................... 30
B. L’Ukraine : un pays à fort potentiel agricole, à proximité des deux principales
régions déficitaires en blé dans le monde ......................................................... 40
3. Méthodologie .................................................................................................. 46
A. Problématique ............................................................................................. 47
B. Hypothèses .................................................................................................. 49
C. Élaboration du protocole de recherche pour organiser la recherche des données
51
D. Moyens mis en place pour accéder aux données ........................................ 53
Partie 2. Types d’acteurs et trajectoires d’entreprises ........................................................ 58
1. 1ère
trajectoire d’entreprise : cas des entreprises Rousseau, Mercier, Sacha et
Mirko ................................................................................................................ 64
A. Entreprises Rousseau et Mercier, d’origine française ................................. 65
B. Entreprises Sacha et Mirko, d’origines ukrainiennes.................................. 72
C. Conclusion .................................................................................................. 78
2. 2ème
trajectoire d’entreprise : cas des entreprises Martin, Rimbaud, Dupont et
Luda .................................................................................................................. 79
A. L’entreprise Luda, d’origine ukrainienne ................................................... 80
B. Les entreprises Martin, Rimbaud et Dupont, d’origine française ............... 84
C. Conclusion .................................................................................................. 90
3. 3ème
trajectoire d’entreprise : la société holding, cas des entreprises Leroy et
Groen, Ivan, Petro ............................................................................................ 90
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A. La constitution d’un foncier abondant ........................................................ 91
B. La délégation des affaires courantes ........................................................... 93
C. Une société en holding, des objectifs financiers ......................................... 95
4. Conclusion ...................................................................................................... 98
Partie 3. Impact sur le territoire : les enjeux d’un nouveau modèle agricole ................... 100
1. Étude de cas : le conseil de village Zolotisti ................................................ 102
A. Présentation géographique et historique ................................................... 102
B. Voisinage agricole : collaboration et concurrence .................................... 107
C. Relation au territoire ................................................................................. 113
2. Étude de cas : le conseil de village Zelioni .................................................. 117
A. Présentation géographique et historique ................................................... 117
B. Voisinage agricole : collaboration et concurrence .................................... 121
C. Relation au territoire ................................................................................. 124
3. Un impact sur le territoire mitigé ................................................................. 131
A. Une aide au développement local ............................................................. 131
B. Les limites de l’appui au développement local ......................................... 136
C. Conclusion et schémas bilan ..................................................................... 141
Conclusion .............................................................................................................................. 147
Bibliographie .......................................................................................................................... 152
Webographie .......................................................................................................................... 157
Table des annexes ................................................................................................................... 158
Table des illustrations ............................................................................................................. 168
Table des matières .................................................................................................................. 169
Résumé ................................................................................................................................... 174
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INTRODUCTION
Tous les articles et les livres traitant de l’agriculture en parlent : l’agriculture doit
répondre au défi contradictoire de « produire plus et mieux mais avec moins » c'est-à-dire
d’être encore plus productive mais devenir soutenable. « Nourrir les hommes », « Nourrir
l’humanité », « Comment nourrir le monde en 2050 », « Qui nourrira qui au XXIème
siècle ? »
tels sont les grands titres de ces ouvrages. Depuis les émeutes de la faim en 2007-2008, on
constate le retour en force de la question alimentaire par le retentissement médiatique de la
crise alimentaire. Élément de déstabilisation , cette crise a eu aussi un retentissement
politique. Les émeutes de la faim ne sont donc qu’un aspect émergé de l’iceberg. Les crises
du monde contemporain appellent l’agriculture à de nouveaux enjeux.
On trouve des causes structurelles et conjoncturelles à cette crise alimentaire. Parmi
les causes conjoncturelles : la réduction des stocks alimentaires du fait de mauvaises récoltes
liées à de mauvaises conditions climatiques ; la fermeture des frontières à l’exportation ; une
baisse des stocks régulateurs ; la spéculation des matières premières considérées comme des
« valeurs sûres » ; le pari sur le développement des agrocarburants dans les années 2000 qui
entraine une concurrence de l’utilisation des céréales et des oléagineux à des fins énergétiques
et alimentaires. Parmi les causes structurelles : l’augmentation de la population mondiale qui
entraine une augmentation de la demande alimentaire particulièrement dans les pays en
développement tels que l’Inde ou la Chine ; l’impact du changement climatique sur la
production agricole mondiale ; le désengagement des États dans le financement de la
production agricole.
Toutes ces causes ont des répercussions à l’échelle planétaire parce que les échanges
agricoles sont maintenant mondialisés. La mondialisation est un phénomène
multidimensionnel d’ouverture des frontières commerciales, des produits, des biens et des
services. Cette extension économique capitaliste qui s’est accélérée à partir de la chute de
l’URSS1 est intimement liée à la globalisation. On parle de globalisation des processus
productifs, des systèmes de normalisation et des modèles de consommation. Ce phénomène
est basé sur une théorie économique : le libéralisme.
Ce modèle économique prône la libre concurrence à l’intérieur et entre les pays. Pour
ses théoriciens, cette libre concurrence serait un moyen d’accéder au développement, aux prix
les plus « justes », et donc au bien-être collectif. Chaque pays serait doté d’avantages
comparatifs sur les autres, et plutôt que de vouloir répondre à tous les besoins de sa
1 URSS est le sigle de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.
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population par une production variée, il serait plus cohérent que tous les pays produisent
chacun ce qu’ils savent faire de mieux – et de moins cher – afin qu’à une échelle mondialisée
chacun ait le meilleur au meilleur prix. Pour assurer le mouvement vers cet idéal, il faut
écarter toutes les entraves à la liberté de circulation des marchandises, d’accès à tous les
marchés. Ainsi, chacun des pays sera contraint, face à la concurrence, de se concentrer sur la
production de son ou de ses, avantages comparatifs. L’Organisation mondiale du commerce
(OMC) va dans ce sens, en supprimant les politiques d’encadrements agricoles. Les effets de
la mondialisation des échanges agricoles sont l’harmonisation des prix agricoles à l’échelle
internationale et une fluctuation plus importante des prix, qu’on appelle volatilité lorsque cette
fluctuation est très forte. L’OMC qui prône la libéralisation des échanges interdit la régulation
des prix par les pouvoirs publics, c’est donc le marché qui régule les prix avec la loi de l’offre
et de la demande. Les cours mondiaux des produits agricoles se forment sur les grands
marchés à terme du monde tel que le Chicago Board of Trade (CBOT). Ils jouent un rôle
primordial dans le niveau de rémunération des producteurs. Les agriculteurs doivent faire face
à des prix très fluctuants mais tendanciellement orientés à la baisse.
Seulement, « les produits agricoles ne sont pas des marchandises comme les autres :
leur prix est celui de la vie et, en dessous d’un certain seuil, il est celui de la mort » (Mazoyer
et al., 2002 : 25). En effet, ils répondent à un besoin fondamental de l’homme. Cette
distinction avec les autres marchandises doit être philosophiquement acceptée. Or, pour les
théoriciens libéraux, un ordinateur équivaut à un kilogramme de riz. Est-il normal de
libéraliser le marché des produits agricoles alors que la compétitivité des agriculteurs de la
planète est très inégale ? En effet, les rendements par hectare sont très inégaux à travers le
monde. Ainsi, lorsqu’on mesure un rapport de un à trente entre le Sahel et les États-Unis, cela
veut dire qu’on met en compétition le rendement du mil au Sahel qui est de 5 q/ha avec celui
du maïs aux États-Unis qui est de 150 q/ha2. Mettre en compétition ces produits, c’est mettre
fin à l’activité agricole vivrière dans l’essentiel des pays du monde qui ne peuvent pas
rivaliser avec le rendement des pays occidentaux.
Ce qui explique une telle différence ne tient pourtant pas à des avantages comparatifs
« naturels ». Au Sahel, où la mécanisation est faible, le rendement de mil est de 5 quintaux par
personne soit 1 ha. Alors que, dans les pays occidentaux, hautement mécanisés, le rendement
en maïs est de 12 000 à 15 000 quintaux par personne soit 200 ha. Sur les 1,3 milliards
2 Quant au rendement par unité de main d’œuvre soit la productivité, on mesure un rapport de 1 à 3 000
entre le Sahel et les pays occidentaux.
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d’agriculteurs dans le monde : 3 % bénéficient d’une mécanisation importante et de toutes les
innovations technologiques, 22 % utilisent la culture attelée et la fumure des animaux comme
fertilisant, 75 % font de l’agriculture manuelle. Ainsi, la mécanisation, ou capitalisation de la
production, constitue un avantage comparatif pour les pays occidentaux. Les pays émergeants
qui sont moins bien dotés, sont contraints de pallier ce manque de mécanisation par une main
d’œuvre d’autant moins bien rémunérée qu’elle doit rivaliser avec cette différence. Dans ces
conditions, près de trois quart des individus sous-alimentés dans le monde sont des ruraux,
« quant aux autres sous-alimentés, beaucoup sont des ex-ruraux récemment poussés par la
misère vers des camps de réfugiés ou des périphéries urbaines » (Ibid. : 15).
Les institutions internationales prennent conscience que l’agriculture peut contribuer
au développement. Mais, leur point de vue est qu’il faut supprimer toute aide à l’agriculture
vivrière et favoriser, en diminuant les coûts notamment des impôts, l’implantation
d’investisseurs étrangers qui trouveront plus avantageux de venir créer une exploitation
agricole mécanisée et moderne ici que d’en créer ou d’en développer une en Occident. On
appelle cela favoriser les investissements directs étrangers (IDE), seule parade admise par le
libéralisme aux avantages comparatifs non « naturels ». Ainsi, le rapport 2008 de la Banque
mondiale peut porter enfin l’agriculture comme solution à la réduction de la pauvreté et la
libéralisation du commerce agricole comme sa voie royale. L’idée est de reconnaître que les
avantages comparatifs liés à la mécanisation agricole occidentale écrasent l’agriculture
vivrière lorsqu’elles sont mises en concurrence. Cependant, la solution proposée n’est pas une
régulation et un encadrement pour protéger l’agriculture vivrière des pays en développement,
mais au contraire une dérégulation et une libéralisation de l’agriculture comme du foncier
pour attirer les capitaux étrangers. Sortir de l’agriculture vivrière et favoriser l’insertion de
l’activité agricole dans l’économie permettraient d’apporter les capitaux et les outils
financiers de l’économie mondiale pour favoriser son développement. Il en résulte un
développement d’une agriculture répondant au contexte libéral par des caractéristiques de plus
en plus éloignées du modèle de production agricole familial.
Mais, quelles agricultures peuvent répondre aux enjeux du XXIème
siècle ? Et, ces
nouvelles formes déjà émergentes vont-elles dans ce sens ?
Pour certains, l’agriculture mondialisée ne répond pas aux enjeux des crises financière,
énergétique, environnementale, et alimentaire. La performance de l’agriculture productiviste a
certes permis une forte croissance des rendements agricoles au XXème
siècle, mais « s’est
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traduite par des retombées négatives multiples, en particulier dans le domaine de
l’environnement » (Charvet, 2010 : 5). Dans l’opinion public, l’agriculteur est passé de
nourricier à pollueur. Ce basculement du regard sur l’agriculteur entraine d’ailleurs une crise
identitaire dans ce métier. Plusieurs alternatives sont proposées pour répondre aux
dysfonctionnements sociaux et environnementaux de l’agriculture productiviste : l’agriculture
« raisonnée », l’agriculture biologique, les plantes génétiquement modifiées, les filières
courtes d’approvisionnement ou encore le commerce équitable (Charvet, 2007). Certaines de
ces solutions ne sont pas applicables partout et ne peuvent pas être proposées comme solution
aux agriculteurs les plus pauvres sauf dans une situation d’extrême dépendance. Précisons que
la révolution agricole du XXIème
ne doit pas reposer sur une seule mais de multiples solutions
adaptées au contexte régional puisque chaque région du monde a ses spécificités. Mais, le
principal problème reste que les modèles alternatifs ne sont pas soutenus politiquement car ils
ne répondent pas aux exigences du modèle libéral qui domine notre monde, en premier lieu,
l’OMC. Ou bien, quand certaines lois vont dans le sens d’une alternative, les moyens mis en
place ne sont pas suffisants pour démarrer un réel changement. L’émergence de nouvelles
formes d’agricultures pour un développement alternatif n’est pas insurmontable mais pas non
plus remportée d’avance : le pari n’est pas gagné.
En attendant, un autre modèle émergerait, dans le sillage de la financiarisation de
l’agriculture : l’ « agriculture de firme ». Ce nouveau modèle, soutenu par l’ « oligopole agro-
alimentaire », répond aux opportunités de bénéfices qu’assure la financiarisation de
l’agriculture. De nombreuses critiques et alternatives émergent d’une société civile
mondialisée interpelée par les conséquences écologiques et sociales de la financiarisation de
ce qui nous nourrit. Pourtant, Jean Lemierre, président de la BERD en mai 2008 déclarait à
propos à de l’Ukraine qu’« il est évident que l’Ukraine et une partie de la Russie peuvent
contribuer de façon décisive à l’augmentation de la production alimentaire mondiale, sans
avoir à entreprendre de grands travaux de mise en valeur, sans déforestation et en respectant
les normes environnementales qui font désormais intégralement partie des cahiers des
charges des entreprises et des organismes financiers ». Une solution à l’enjeu alimentaire
mondial, socialement et écologiquement respectueuse par la promotion d’une financiarisation
du marché agricole ukrainien et d’un développement agricole assurés par des entreprises
m’ont interpellé.
L’Ukraine est un pays cible des nouveaux investissements dans la production agricole.
Pourquoi l’Ukraine est-elle un pays qui attire ces investissements ? En quoi ces
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investissements sont-ils nouveaux ? Qui sont ces investisseurs ? Comment la production
agricole s’organise-t-elle ? Est-elle différente des formes agricoles qui préexistent ? Ces
investissements participeraient-ils à l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine ?
À celui de l’ « agriculture de firme » ? Ce pays difficilement accessible pour des raisons
linguistiques est très peu étudié, j’ai donc décidé de relever le défi d’un travail de terrain en
Ukraine, pays d’Europe orientale.
Figure 1. L’Ukraine, un pays d’Europe orientale au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du Proche-Orient
Réalisation : Ariane Walaszek, 2011.
Ma recherche porte donc sur la démonstration de l’émergence d’un nouveau modèle
agricole en Ukraine par la relation des entreprises agricoles au territoire. Cette relation au
territoire diffère-t-elle avec celle de l’agriculture familiale ? Si, oui quels sont ces facteurs de
différenciation ?
Dans une première partie, nous chercherons à comprendre pourquoi l’Ukraine est-elle
le théâtre de l’émergence d’un nouveau modèle agricole. Pour cela, il nous faudra d’abord
comprendre la mutation des modèles agricoles actuels qui amènerait à l’émergence de
nouveaux modèles qu’on connait encore mal tels que l’ « agriculture de firme ». Nous
sommes face à une alternative paradoxale des deux modèles qui ont structuré les choix
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politiques agricoles dans le monde au XXème
siècle : l’agriculture collectiviste et l’agriculture
productiviste. L’un a disparu avec la chute de l’URSS qui rend impossible son retour et
l’autre pose question face aux enjeux du XXIème
siècle. Alors que les pays occidentaux ont
une agriculture fonctionnelle structurée, les pays émergents ont une agriculture à construire.
Les institutions internationales incitent ces pays émergents à s’ouvrir aux IDE. Des nouveaux
investisseurs privés ou publics parfois extérieurs au milieu agricole apparaissent alors. Ce
phénomène qualifié de land grab, accaparement des terres ou implantation agricole offshore
fait débat sur son réel effet « win-win » (gagnant-gagnant). L’Ukraine est un des pays cibles
de cette nouvelle forme d’IDE, mais pour quelles raisons ? Lors des dix années qui ont suivi
la chute de l’URSS, les frontières du libre-échange se sont élargies. L’Ukraine apparait alors
comme une nouvelle région du monde accessible aux IDE, dans un contexte quand même
difficile sur le plan politique avec une confrontation entre un pouvoir pro-occidental et un
pouvoir pro-russe. L’Ukraine a une situation particulière : elle a libéralisé son secteur agricole
mais pour autant un moratoire interdisant la vente de terres agricoles est une entrave à
l’acquisition des terres. Ce statut paradoxal a pour conséquence une originalité ukrainienne du
développement agricole. C’est pourquoi, nous évoquerons ensuite la mutation des modèles
agricoles propre à l’Ukraine, et ses atouts qui font de cet ex-pays de l’URSS, un terrain
propice aux nouveaux investissements agricoles. Enfin, nous aborderons la méthodologie
utilisée pour tenter de démontrer l’émergence d’un nouveau modèle agricole. L’identification
des nouvelles formes d’organisations agricoles en Ukraine s’est fait à partir de trois
hypothèses : leur détachement au modèle familial, basé sur la flexibilité et la financiarisation,
a un impact négatif sur le territoire.
Dans une deuxième partie, nous élaborerons une typologie des entreprises de
production agricole rencontrées lors de mon travail de terrain, à partir de leur trajectoire.
L’objectif y sera d’identifier ce qui en Ukraine correspond le plus à une « agriculture de
firme » par contraste avec le modèle agricole familial. Nous partirons pour cela d’un regard
historique sur les entreprises observées à partir d’indicateurs tels que leur mécanisation, leur
organisation interne, leurs moyens de commercialisation, leur insertion dans les outils ou la
spéculation financière, leur dimension économique et leur stratégie de développement.
Dans une troisième partie, nous analyserons l’impact de ces entreprises sur le territoire
en tentant de distinguer cet impact en fonction de la trajectoire des entreprises. Cette analyse
sera la synthèse de deux études de cas de deux régions d’Ukraine très différentes.
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PARTIE 1. L’UKRAINE, THÉÂTRE DE L’ÉMERGENCE D’UN NOUVEAU MODÈLE
AGRICOLE
Il s’agit ici de comprendre pourquoi l’Ukraine est un des théâtres de l’émergence d’un
nouveau modèle agricole. Mais, d’abord de quel modèle agricole émergent s’agit-il ? Pour
répondre à cette question, nous ferons d’abord le point sur la mutation des modèles agricoles
qui amène au modèle émergent qui nous intéresse. Ensuite, nous citerons les raisons pour
lesquelles l’Ukraine est un terrain propice à l’émergence de ce modèle agricole émergent.
Enfin, nous expliquerons la méthodologie utilisée pour démontrer qu’une nouvelle agriculture
émerge en Ukraine.
1. UNE MUTATION DES MODÈLES AGRICOLES
Nous ferons d’abord un état des lieux des modèles agricoles pour comprendre vers
quelles formes tendrait la mutation de ces modèles. Ensuite, nous préciserons l’une de ces
nouvelles formes d’agriculture : l’implantation agricole offshore qualifiée de land grab en
anglais qui se traduit par accaparement des terres.
A. ÉTAT DES LIEUX DES MODÈLES AGRICOLES
Commençons ici par un état des lieux des modèles agricoles. Le XXème
siècle a vu se
développer deux grands modèles de fonctionnement agricole dans les pays du Nord : le
modèle collectiviste et le modèle productiviste. Le premier est fondé autour d’une
organisation collective du travail et des moyens de production. Il s'inscrit dans un système
économique planifié, tandis que le second est fondé sur des structures de production privées et
individuelles, et fonctionne dans un système économique libéral. Quant aux similitudes de ces
deux modèles, tous deux visent des marchés de masse et un accroissement de la production.
Ces objectifs communs aux deux modèles sont rendus possibles par l’industrialisation de la
production via la concentration foncière, la moto-mécanisation et l’usage d’intrants.
L'agriculture productiviste et son développement s'inscrivent dans le cadre d'une mutation
plus générale des systèmes alimentaires et permet d'accompagner ces mutations.
a) Une mutation des modèles agricoles qui va de pair avec une
mutation des systèmes alimentaires
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Face à ces mutations, Jean-Louis Rastoin3 propose une classification des quatre stades
de l’évolution des systèmes alimentaires. Le système alimentaire correspond à « la façon dont
les hommes s’organisent pour produire, distribuer et consommer leur nourriture »4.
Figure 2. Les quatre stades d’évolution des systèmes alimentaires
Source : Charvet (2010) d’après RASTOIN, Jean-Louis ; GHERSI, Gérard.
La Documentation française, Documentation photographique n°8059, septembre-octobre 2007
Jean-Paul Charvet ajoute à cette définition la dimension spatiale (voir Figure
2Erreur ! Source du renvoi introuvable.). Ainsi, il considère le système alimentaire comme
la façon dont les hommes s’organisent et organisent l’espace aux différentes échelles afin de
consommer et produire leur nourriture ».5 Le stade agro-tertiaire du système alimentaire
concerne particulièrement les pays riches et certains pays émergents. À ce stade, la
consommation hors-foyer est à égalité avec la consommation à domicile. La répartition du
prix final du produit alimentaire entre les acteurs est très inégale profitant largement aux
services. C’est pourquoi, ce modèle est qualifié de tertiarisé. L’agriculteur ne touche que 10 %
du prix final. Cet acteur n’est plus au centre du système alimentaire, de même que l’industrie
qui laisse la place du pilotage de la filière agro-alimentaire aux firmes de la grande
distribution. Quant à la dimension spatiale, celle-ci est analysée par l’indicateur appelé food
3 RASTOIN, Jean-Louis ; GHERSI, Gérard. La Documentation française, Documentation
photographique n°8059, septembre-octobre 2007. 4 MALASSIS, Louis. 1994. Nourrir les hommes. Dominos-Flammarion
5 CHARVET, Jean-Paul. 2007. « Agriculture et développement durable », dans VEYRET, Yvette (dir),
Le développement durable, SEDES, Paris
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miles (Charvet, 2010). Plus le système alimentaire tend vers le stade agro-tertiaire, plus la
distance parcourue par les produits alimentaires est importante. Cette amplification des food
miles indique donc une mondialisation accrue des approvisionnements alimentaires.
La révolution industrielle et les innovations technologiques (maîtrise de la chaine du
froid, etc.) ont permis l’émergence du modèle alimentaire agro-industriel tertiarisé (Mait). Ce
modèle de production de masse est basé sur la standardisation des produits. Le Mait présente
cinq caractéristiques. La première est l’intensification de la production par des rendements
techniques très élevés. La deuxième caractéristique est la spécialisation de la production par la
sélection des variétés et donc par la dévalorisation de la biodiversité. Mais, cette spécialisation
se constate aussi au niveau de l’industrie agroalimentaire (IAA) par les Food Miles. En effet,
les IAA multi-localisent leur industrie d’assemblage des ingrédients en fonction des coûts
relatifs. La troisième caractéristique du Mait est la concentration de la production par bassin
de production (Pérez, 2004 in Rastoin, 2006). La quatrième caractéristique est la globalisation
affirmée par la croissance du commerce international, le développement des IDE et la
diffusion du modèle de consommation occidental. Les firmes multinationales de l’IAA
concentrent deux tiers des transactions internationales de l’IAA. Enfin, la cinquième
caractéristique est la financiarisation du Mait puisque les firmes sont cotées en bourse,
soumises à la volonté de leurs actionnaires qui sont des fonds dont les gestionnaires
raisonnent en investisseurs et non en industriels en appliquant la « dictature des taux ». La
gouvernance devient actionnariale et non plus partenariale (Rastoin, 2008).
« La nourriture n’est pas une marchandise comme les autres » (Rastoin, 2008 : 69) et
pourtant, on constate la main mise d’une quarantaine de firme multinationale sur le marché
alimentaire. Cet « oligopole6 agro-alimentaire » est de plus en plus puissant. « On observe un
processus cumulatif, voire exponentiel, de constitution d’un énorme pouvoir de marché entre
les mains des multinationales » (Rastoin, 2008 : 68). Ce sont ces multinationales qui nous
nourrissent et nourriront les neuf milliards d’êtres humains en 2050. Elles ont un « pouvoir de
marché ». Dès lors, il est nécessaire de comprendre l’organisation des firmes qui
approvisionnent en nourriture la population mondiale.
Ces acteurs, qui sont le résultat d’une concentration du modèle productiviste, ouvrent
la voie au développement de ce modèle productiviste vers une forme qui se détache
progressivement de l’agriculture familiale.
6 Lorsque qu’il y a quelques offreurs pour de nombreux demandeurs.
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b) L’agriculture familiale
Le débat actuel portant sur les formes de productions agricoles fait suite à la
disparition du modèle socialiste et à la crise économique, sociale et environnementale du
modèle productiviste.
En Europe occidentale et en Amérique du Nord, l'agriculture productiviste a
historiquement reposé sur ce qu'il est convenu d'appeler l' « agriculture familiale ». Ce terme a
notamment été décrit et définit par le sociologue français Hugues Lamarche qui utilise
l’ « exploitation familiale » comme objet d’étude, comme concept d’analyse (Lamarche,
1991). D’après lui, « quels que soient les systèmes socio-politiques, quelques soient les
formations sociales, quelques soient les évolutions historiques, dans tous les pays où un
marché organise les échanges, la production agricole est toujours, plus ou moins, assurée par
des exploitations familiales, c'est-à-dire des exploitations où la famille participe à la
production » (Lamarche, 1991 : 9). La famille est l’unique centre de décision et de ressources,
dont la finalité reste sa propre reproduction. « Les mondes agricoles sont vus ici à travers le
prisme d’une "exploitation familiale" plus ou moins intégrée à l’économie de marché »
(Hervieu, Purseigle, 2009 : 186).
Lamarche décline l’ « exploitation familiale » en cinq sous-types d’organisations qu’il
appelle modèles : le modèle « vivrier », le modèle « paysan », le modèle « colonial », le
modèle « familial » et le modèle « entreprise agricole ». Ce sont ces deux derniers sous-types
d’organisations qui nous intéressent parce que la mutation de ces modèles agricoles conduirait
à l’émergence d’un nouveau modèle, contemporain, qui fait l’objet de cette recherche. Le
modèle « familial » repose sur les « exploitants familiaux dont le but n’est pas la reproduction
de l’exploitation en tant qu’unité de production mais la reproduction familiale » (Lamarche,
1991 : 13). Quant au modèle « entreprise agricole », il s’agit « d’exploitants familiaux dont
l’objectif est la formation d’une exploitation agricole organisée sur la base d’un travail
salarié pour la réalisation d’un profit maximum » (Lamarche, 1991 : 13). « L’exploitation
familiale n’est donc pas un élément de la diversité, mais contient en elle-même toute cette
diversité » (Lamarche, 1991 : 14). Ces modèles traduisent bien une « réalité polymorphe »7 de
l’agriculture familiale et se différencient par leur finalité et leur rapport à l’extérieur sur un
continuum allant de la survie de la famille à l’entreprise agricole.
7 Titre de l’ouvrage d’Hugues Lamarche, 1991
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Les sociologues français Bertrand Hervieu et François Purseigle (2009), axent leur
recherche sur la sociologie des mondes agricoles dans le contexte de globalisation. Ils
s’inscrivent dans le sillage de Lamarche avec une typologie distinguant trois formes
d’organisation du travail toujours dans la forme familiale de l’agriculture : « l’agriculture
familiale paysanne », « l’agriculture familiale moderne » et « l’agriculture familiale de type
sociétaire ». La première est restreinte aux échanges marchands dans le village ou dans une
zone de chalandise restreinte. La deuxième a été au cœur de la construction du modèle
européen. Quant à la troisième forme d’organisation, celle-ci « dissocie le travail agricole et
le capital d’exploitation de la gestion patrimoniale et du capital foncier » (Hervieu, Purseigle,
2009 : 189). En effet, l’agriculture familiale sociétaire n’a de familial plus que la constitution
de son capital et la propriété foncière qui assurent une rente à l’ensemble des associés. Cette
forme d’organisation « oscille entre la tentation d’une approche strictement financière et une
conservation de l’architecture familiale et patrimoniale » (Hervieu, Purseigle, 2011 : 4). Cette
troisième forme d’organisation familiale du travail agricole est un glissement par rapport aux
formes traditionnelles.
En ce début de XXIème
siècle, il est donc nécessaire de « penser la recomposition des
formes actuelles d’organisation du travail en agriculture » (Hervieu, Purseigle 2009 : 177).
Les mondes agricoles évoluent dans un processus de globalisation, il faut donc les
« réinterroger » (Ibid.). Vingt ans après Lamarche, ces deux sociologues français soulignent
l’émergence de deux nouveaux modèles agricoles qui s’affranchiraient de l’unité agricole
ancrée dans un lieu physique et culturel, creuset d’une culture agraire familiale.
c) Émergence de deux modèles agricole en rupture avec
l’agriculture familiale
À côté des trois grands types d’agriculture à forme familiale présentés ci-dessus, deux
autres types d’organisations sociales et économiques du travail en agriculture semblent
émerger (voir Figure 3Erreur ! Source du renvoi introuvable.).
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Figure 3. L’éclatement des formes d’organisation sociale et économique du travail en agriculture
Source : Hervieu & Purseigle, 2011
Les auteurs les nomment « agriculture de firme » et « agriculture de subsistance ». La
première se distingue des autres, par son caractère « hautement capitalistique et installée sur
les marchés des matières premières » (Hervieu, Purseigle, 2009 : 189). La seconde
correspond à la force de travail agricole précarisée, interchangeable et abondante.
L’ « agriculture de subsistance » ou de « relégation » évoquée par nos auteurs – affranchit de
l’agriculture familiale – est le produit de la globalisation en ce qu’elle en est la marge exclue
de l’évolution agricole. Il s’agirait d’une population marginalisée, déracinée souvent,
justement, par l’installation des grandes productions d’abord coloniales puis de
l’ « agriculture de firme ». Cette population nomade est souvent dépourvue de culture agraire
propre et en dehors du monde marchand. Mais, c’est la forme « agriculture de firme » qui
nous intéresse ici.
L’ « agriculture de firme », qu’on connait encore mal et dont il faudrait préciser les
formes, répondrait aux impératifs d’un monde globalisé. Par exemple, ce type d’entreprise
agricole doit offrir des produits standardisés sur le marché international, ou avoir une chaine
de production éclatée en fonction des avantages comparatifs de chaque pays. De plus, la
notion d’entreprise nationale s’efface derrière des investissements dont l’origine est souvent
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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plurielle et rarement tout à fait déterminable. Ainsi, à ce modèle agricole émergent
appartiendraient des sociétés anonymes, dont certaines sont cotées en bourse. Leurs unités de
productions hautement capitalisées seraient éclatées dans plusieurs pays. Enfin, les lieux de
production seraient dissociés du pôle de décision pourvu d’une expertise des leviers financiers
de l’économie. Dès lors, leurs sites de production ne seraient caractérisés ni par un lieu ni par
un savoir-faire agraire ni par une unité de gestion familiale. En effet, du fait du
développement capitalistique de l’ « agriculture de firme », la division du travail organiserait
l’activité de telle sorte que la force de travail ne serait plus détentrice de la compétence
agricole. L’ « agriculture de firme » apparaitrait alors comme l’adaptation d’un modèle
agricole aux exigences d’un système alimentaire tertiarisé, présenté précédemment.
Des programmes de recherche, tels que le projet Agrifirme ou l’Observatoire des
Agricultures du Monde8, se sont alors constitués pour « contribuer à la construction d’idéaux-
types permettant de mieux saisir une pluralité de mondes agricoles détachés de cet invariant
sociologique que serait le modèle familial » (Hervieu, Purseigle, 2009 : 187).
Dans cette diversité des mondes agricoles, je me suis intéressée plus particulièrement
aux agricultures insérées dans les marchés internationaux des matières premières agricoles. Le
programme de recherche Agrifirme propose la création d’indicateurs pour caractériser le
mode d’organisation des agriculteurs se rapprochant du modèle « agriculture de firme ». Trois
entrées sont privilégiées pour cette caractérisation : les formes organisationnelles et leur
fonctionnement, et, les stratégies spatiales des acteurs de la firme, par les dimensions
politiques et géopolitiques.
Pour tenter de caractériser ce modèle agricole émergent, il est nécessaire de
comprendre les raisons qui poussent de nouveaux acteurs à investir dans l’agriculture et de
fait, la font évoluer vers quelque chose qu’on connait mal. Ce qui nous intéresse plus
précisément ici, c’est le cas des nouveaux investissements dans la production agricole qui se
font dans un pays étranger au pays d’origine de l’investisseur. Ce phénomène est appelé land
grab en anglais soit accaparement des terres.
8 L’Observatoire des Agricultures du Monde (OAM) est un projet piloté par le CIRAD, la DGER, et la
FAO qui a pour mission une expertise collective sur la viabilité des agricultures à partir d’analyses comparatives
à différentes échelles, en organisant un réseau d’observation prenant en compte les différents types d’agriculture,
leurs dynamiques et leurs impacts en termes de développement durable.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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B. LE PHÉNOMÈNE DE LAND GRAB
Il s’agit ici de définir le phénomène de land grab. D’abord, nous expliquerons le
principe de cette nouvelle forme d’agriculture. Ensuite, nous chercherons à comprendre les
raisons de l’émergence de cette nouvelle forme de production agricole. Pour enfin, évoquer le
profil des acteurs à l’origine de ce nouveau phénomène.
a) Un processus d’implantation agricole offshore
Depuis la crise alimentaire de 2007-2008, on constate l’émergence d’un nouveau
processus d’acquisition de terres agricoles à l’étranger. Ce processus est qualifié de nouveau,
puisqu’il est animé par de nouveaux acteurs, États ou entreprises privées, tout à fait étrangers
au secteur agroalimentaire (Canfin, 2010). Les ONG appellent ce processus « land
grabbing », « accaparement des terres » ou « néo-colonialisme » alors que les institutions
telles que la Banque mondiale privilégient des termes plus neutres comme « acquisition » de
terres agricoles, « appropriation à grande échelle » ou encore, génériquement, comme un
regain d’intérêt à l’« investissements directs étrangers » dans le secteur agricole (Brondeau,
2010). En effet, le transfert des moyens de production devient techniquement possible dans le
secteur agricole, et, avec le déséquilibre offre/demande, devient économiquement rentable.
Le phénomène suscite en tout cas un intérêt croissant du monde scientifique, et fait
émerger différents facteurs explicatifs ou descriptifs tels que l’apparition de l’expression
« délocalisation offshore de la production agricole » (Charvet, 2010). Le terme
« délocalisation » n’est pas ici le plus approprié à ce flux d’investissement agricole offshore
puisque les acquéreurs ne délocalisent pas leur activité de production, il n’y a pas substitution
mais multiplication des lieux de production. Quant au terme « offshore », il faut le différencier
de l’expression économique offshore qui évoque un fond d’investissement provenant d’un
paradis fiscal. Il s’agit plutôt d’une production agricole offshore car, publique ou privée, elle
est en provenance de terres cultivées à l’étranger. Ainsi, l’État investit dans des terres
agricoles à l’étranger tout en maintenant sa production sur son territoire national. Il s’agit
donc plutôt d’ « implantation agricole offshore » (Charvet, 2010).
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Il est actuellement difficile d’avoir une idée précise de l’envergure de ce phénomène à
l’échelle mondiale. Comme le souligne l’ONG Grain9 dans son rapport publié en octobre
2008, Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière, les
acquisitions de terres agricoles à l’étranger se font dans l’opacité. Il est donc difficile
d’obtenir des renseignements précis sur le nombre d’hectares ayant fait l’objet d’acquisition
finalisée ou en cours de négociation, sur les sommes impliquées, les finalités précises et les
conditions associées.
L’Institut International de Recherche sur les Politiques Alimentaires (IFPRI10
) estime
cependant que depuis 2006, quinze à vingt millions d'hectares, principalement en Afrique et
en Asie, ont été loués, achetés ou ont fait l'objet de négociations (de Shutter, 2009), ce qui,
représente plus des deux tiers de la surface agricole utile11
française. Comme il est difficile
d’obtenir des chiffres précis, l’étude se fonde essentiellement sur des communiqués de presse.
L’IFPRI estimerait que ces marchés représentent entre vingt et trente milliards de dollars
investis essentiellement en Afrique par la Chine, la Corée du Sud, l’Inde et les États du Golfe.
Environ un quart de ces terres sont consacrées à la culture de végétaux destinés à la
production d’agro-carburants (von Braun et Meinzen-Dick, 2009).
Ces phénomènes sont nouveaux car ils répondent à une situation d’augmentation du
prix des matières premières amorcée cette dernière décennie. Beaucoup considèrent cette
augmentation comme une tendance lourde où la crise alimentaire de 2007-2008 n’est en rien
un accident isolé de l’histoire mais préfigure bien un des enjeux essentiel du XXIème
siècle.
b) Opportunités d’investissement dans l’acquisition foncière
agricole
Les nouveaux acteurs trouvent de multiples opportunités d’investissement dans
l’acquisition foncière agricole à l’étranger. Ces opportunités d’investissement se sont révélées
brutalement, à l’occasion des « émeutes de la faim ». Le monde occidentale qui jusqu’alors
9 GRAIN est une organisation non gouvernementale, créée au début des années 1980, qui soutient la
lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes
alimentaires fondés sur la biodiversité. Source : www.grain.org 10
IFPRI : International Food Policy Research Institute (Institut international de recherche politique
alimentaire) 11
La superficie agricole utilisée (SAU) est une notion normalisée dans la statistique agricole
européenne. Elle comprend les terres arables (y compris pâturages temporaires, jachères, cultures sous abri,
jardins familiaux...), les surfaces toujours en herbe et les cultures permanentes (vignes, vergers...). Source :
www.insee.fr
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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n’avait ressenti cette crise que par l’augmentation du coût de son panier de consommation
alimentaire, a compris l’ampleur de cette crise pour les populations des pays en
développement.
L’augmentation du cours des matières premières agricoles à la fin de l’année 2007 et
au début de l’année 2008 a déclenché les « émeutes de la faim » en Amérique latine, en Asie
et en Afrique, du Mexique à l’Indonésie en passant par l’Égypte. En effet, les consommateurs
des pays du Sud consacrent entre 50 et 75% de leurs revenus à leur alimentation alors que les
populations riches des pays développés n’y consacrent que 10 à 15 % de leur budget
(Parmentier, 2009 [2007]). Particulièrement sensible aux variations du prix des matières
premières, l’impact de cet évènement sur les populations des pays en développement révèlent
l’ampleur de la demande alimentaire à l’échelle mondiale. Ainsi, entre janvier 2007 et juin
2008, l’indice global alimentaire ou l’indice FAO des prix des produits alimentaires12
a
progressé de + 167,5 % (voir Figure 4 et Figure 6). Quant à la hausse du prix des céréales13
, à
la même période, sa progression a été de + 166,5 % (voir Figure 5 et Figure 6).
Figure 4. Indice FAO des prix des produits
alimentaires sur la période 2007-2011
Source : http://www.fao.org/
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
Figure 5. Indice FAO des prix des céréales sur la
période 2007-2011
Source : http://www.fao.org/
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
12
L'indice FAO des prix des produits alimentaires mesure la variation mensuelle des cours
internationaux d'un panier de denrées alimentaires. Il est établi à partir de la moyenne des indices de prix de cinq
catégories de produits (soit 55 cotations), pondérés en fonction de la part moyenne à l'exportation de chacune des
catégories pour la période 2002-2004. 13
L’indice FAO des prix des céréales est établi à partir des indices des prix des céréales et du riz
pondérés en fonction de leur part moyenne dans le commerce pour la période 2002-2004. L’indice des prix des
céréales est composé de l’indice des prix du blé établi par le Conseil international des céréales, qui représente
lui-même la moyenne de 9 cotations différentes pour le blé, et 1 cotation à l’exportation pour le maïs, après
formulation du prix du maïs sous forme d’indice et conversion de l’indice IGC pour la période 2002-2004.
L’indice du prix du riz comprend trois composantes établies à partir des prix moyen de 16 cotations de riz, à
savoir les variétés Indica, Japonica et aromatique ; la pondération de ces trois composantes est déterminée par la
part (fixe) supposée dans les échange de ces trois variétés.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Indice FAO des prix des : produits alimentaires céréales
janvier 2007 143,8 133,8
juin 2008 239,5 224,1
taux de la hausse des prix +167,5% +166,5%
Figure 6. Indice FAO des prix des produits alimentaires et des
céréales en janvier 2007 et juin 2008
Source : http://www.fao.org/
Réalisation : Ariane Walaszek, 2011
Cette flambée mondiale des prix des denrées alimentaires trouve des causes
structurelles. Elle s’appuie sur une croissance démographique globale et, au sein de celle-ci,
sur une croissance significative des classes moyennes liée à l’évolution économique des pays
émergents. Les prévisions fixent au double d’aujourd’hui, la demande alimentaire en 2050.
Même si à l’heure actuelle, la Chine et l’Inde, emblématique en ce sens, présentent une
demande encore largement couverte par leur propre production et sont même, pour part,
exportateurs (Demarthon, 2008). On peut aussi citer, le changement de régime alimentaire à
inscrire sur le long terme dans les pays émergents. En effet, on constate une augmentation
importante de la consommation de protéines d’origine animale. Sept calories végétales sont
nécessaires pour produire une calorie animale. Cette transition nutritionnelle additionnée à
l’accroissement démographique particulièrement marqué dans ces pays entraine une demande
accrue en matière première agricole. Par conséquent, la demande solvable est supérieure à
l’offre, et le secteur agricole devient un secteur d’investissement porteur. D’autant que
d’autres facteurs non moins importants participent à ces prévisions.
Ainsi, le changement climatique est un autre facteur agissant sur cet état de fait. Sur le
court terme, les accidents climatiques (sécheresse, incendie, inondation, maladies et
prolifération de nuisibles) voit leur fréquence amplifiée par le changement climatique et
rendent de plus en plus incertaines les récoltes annuelles. Ces aléas climatiques provoquent de
graves crises dans la production agricole. Bien que celles-ci soient localisées et ponctuelles,
leurs imprévisibilités et leur multiplication suscitent l’inquiétude et nourrissent une forte
spéculation.
Parallèlement, le changement climatique entraîne aussi un phénomène de
désertification tel que c’est le cas en Afrique subsaharienne ou en Asie centrale. « Certains
experts des Nations unies estiment actuellement que 40 % des terres émergées du globe sont
touchées de près ou de loin par ce phénomène » (Parmentier, 2009 [2007] : 46). Cette cause
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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climatique a pour conséquence une baisse tendancielle de l’offre alimentaire. Ainsi, comme
l’indique Parmentier (Ibid.) d’après une étude du GLASOD14
datant de 2001, trois cent cinq
millions d’hectares sont fortement dégradés dans le monde, voire devenus inaptes à
l’agriculture.
Des éléments plus conjoncturels sont également à l’origine de la crise de 2007-2008.
Ceux-ci sont directement le résultat de choix politiques et économiques dont le leadership
occidental est incontestable.
Parmi eux, on trouve la hausse du prix du pétrole et les pressions environnementales
qui ont mené à l’émergence de la production d’agrocarburants. Celle-ci est largement
soutenue par les subventions comme réponse à la crise énergétique. D’ailleurs, ce type de
culture devient ainsi suffisamment rentable pour que cette production d’agrocarburants
consomme aujourd’hui « 4,6 % des céréales récoltées par an dans le monde » (Canfin, 2010 :
15). Cette consommation à des fins non alimentaires crée une demande additionnelle en
matières premières agricoles (Charvet, 2010). La hausse du prix du pétrole, entraine d’ailleurs
une augmentation des coûts de transports et d’engrais modifiant les seuils de rentabilités des
exploitations et favorisant un peu plus les grandes exploitations capables d’économies
d’échelles. Par conséquent, ces multiples pressions sur le foncier agricole réduisent les
surfaces agricoles destinées à la l’alimentation humaine et plus généralement toutes les
surfaces agricoles.
De même, parmi les facteurs conjoncturels sur le moyen terme, on peut citer les
politiques de gel des terres et de quotas qui protègent l’agriculture occidentale. Ces politiques
ont fait disparaître les stocks de réserve. Alors que ces stocks sont un facteur important de
stabilisation des prix. La baisse volontaire des stocks a pour objectif d’adapter la production
agricole au marché par une politique de flux tendus (Demarthon, 2008). En effet, depuis les
années 2000, les grands États producteurs, tels que les États-Unis, ont changé la gestion de
leurs stocks céréaliers, vers une gestion en flux tendu (Charvet, 2010). Actuellement, le stock
mondial en céréales n’est que de sept semaines. Ainsi, certains pays ont été contraints
d’imposer des quotas à l’exportation pour assurer l’approvisionnement de leur marché
intérieur.
Dans le même temps, les ajustements structurels des pays cibles ont ouvert la voie aux
investisseurs. En effet, parmi les facteurs conjoncturels, les politiques d’aide au
14
GLASSOD est un programme d’évaluation mondiale de la dégradation des sols
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développement de la Banque mondiale et du FMI mettent en péril l’agriculture familiale. Les
ajustements structurels exigés par ces institutions internationales auprès des pays endettés se
sont traduits par l’arrêt au soutien de l’agriculture vivrière et par le soutien aux productions
tropicales destinées à l’exportation pour obtenir des devises étrangères. Sous la pression de
ces instances internationales, les États changent leur législation foncière pour créer un marché
foncier et ainsi attirer les investissements. En contrepartie, ces États reçoivent des institutions
un soutien financier pour lutter contre la crise alimentaire (Canfin, 2010). Ces ajustements
structurels sont donc une aubaine pour les acquéreurs de terre agricole. Mais, la conséquence
immédiate de cette politique est le renforcement de la fragilité de la sécurité alimentaire
nationale du pays cible.
La fluctuation des prix pèse sur les pays importateurs et les populations pauvres
comme on vient de l’indiquer. Mais, cette fluctuation pèse également sur le revenu des
producteurs. Les producteurs voient dans la variation des cours un risque toujours plus élevé
au regard de leurs coûts d’investissement. En effet, si en tendance, le prix des matières
premières augmente, cette augmentation se fait avec des variations importantes, y compris à la
baisse, ce qui rend difficile l’investissement. En effet, le marché international des céréales
caractérisé par la volatilité des prix rend la réalisation de stock difficilement finançable. Le
stockage des céréales permet une politique de régulation des prix et de l’offre des céréales.
Les mauvaises années de récolte, la population bénéficie des stocks ainsi constitués. Tandis
que les bonnes années, les producteurs bénéficient du rachat partiel de leur production pour
reconstituer les stocks. Pourtant, ces politiques ont été progressivement abandonnées puisque
la réalisation de stocks n’apporte pas de valeur ajoutée. Les excédents sont aujourd’hui
écoulés de manière privilégiée par l’aide alimentaire. Les investissements sur le marché
agricole sont donc spéculatifs (Madaule, 2009). Les spéculateurs ne s’intéressent pas à un
marché régulé. Il s’ensuit que les fluctuations basses du marché se répercutent immédiatement
sur les agriculteurs les plus fragiles. Alors qu’en période de forte production agricole, lorsque
l’activité agricole est la plus rentable, la concurrence trop importante et l’imprévisibilité des
années suivantes, ne stimulent pas les investissements destinés à une capitalisation des
exploitations agricoles, et notamment des moins compétitives.
En 2007-2008, aux premiers signes de pénuries, les taxes préventives à l’exportation
de pays traditionnellement exportateurs nets et la spéculation ont fait dérayer le système et
provoqué les famines que l’on a connues lors de la crise alimentaire. Ainsi, la fluctuation des
prix génère un terrain propice à la spéculation et aux spéculateurs, qui se nourrissent de ces
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fluctuations et de la difficulté à en prédire l’ampleur. Cette fluctuation des prix pourrait
pourtant être une raison qui pousse de nouveaux acteurs à investir dans l’agriculture.
Pour conclure, ce nouveau processus d’acquisition foncière agricole montre l’intérêt
géostratégique porté sur le contrôle des terres arables. Les acquéreurs, qu’il s’agisse de
sociétés d’investissements privés ou de puissances publiques étrangères, trouvent de multiples
opportunités d’investissement dans l’acquisition foncière agricole offshore. De même, les
pays d’accueil trouvent des intérêts à la présence de ces nouveaux investisseurs. Cette
nouvelle forme de production agricole résulte d’acteurs aux origines multiples suivant une
typologie de facteurs en fonction des échelles de temps15
qui les mobilisent. Et, ces différents
investisseurs interviennent souvent dans le pays cible sous la forme d’un montage en mille-
feuilles de leur organisation qui ajoute à l’opacité d’un système dont on peut rarement définir
le ou les commanditaire(s).
c) Acteurs acquéreurs et pays cibles
Ce processus d’implantation agricole offshore résulte d’une entente entre deux groupes
d’acteurs : les acteurs acquéreurs et les pays cibles. Les supports d’intéressement dans
l’acquisition foncière agricole, nous permettent de distinguer différents profils d’acteurs
acquéreurs selon leurs objectifs politiques, sociaux ou simplement économiques.
Les acquéreurs, dit land grabbers en anglais soit « accapareurs de terre » en français,
peuvent être acheteurs ou locataires. On distingue deux profils d’acquéreurs à partir de leur
stratégie : les acquéreurs privés et publics.
Investisseurs privés
Le premier groupe d’acquéreurs est celui des investisseurs privés, motivés par les
retombées financières obtenues par la vente spéculative de matière première agricole sur le
marché mondial et/ou par les plus-values sur le foncier agricole. Parmi les investisseurs
privés, on distingue deux sous-groupes, celui du secteur agro-alimentaire qui participait au
processus d’acquisition des terres avant même la crise alimentaire de 2007-2008 (Canfin,
2010), et celui du secteur financier.
15
Origine conjoncturelle ou structurelle des causes.
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L’innovation des nouveaux modes de production provient de ce dernier sous-groupe.
Ce sont des sociétés d’investissement qui gèrent des fonds de capital investissement ; il s’agit
souvent de fonds de pension des retraites privés des salariés occidentaux. Ces fonds
spéculatifs trouvent, dans le secteur agricole, une opportunité économique et une valeur
refuge depuis la crise immobilière en automne 2008 dite crise des subprimes. En effet, les
secteurs d’investissements traditionnels souffrent d’un manque d’attractivité suite à
l’effondrement du système financier à l’échelle international, « ainsi entre 2005 et 2008, la
part des acteurs non commerciaux dans les prises de position sur le marché du maïs est
passée de 17 % à 43 % et de 28 % à 42 % sur le marché du blé » (Canfin 2010 : 14). La
valeur des matières premières agricoles est alors déconnectée de sa valeur réelle. Comme le
soulignent Dufumier et Hugon (2008 : 928), « les produits alimentaires sont devenus
des "produits" financiers pour les spéculateurs ». En d’autres termes, cette spéculation a pour
conséquence une augmentation artificielle du cours des matières premières agricoles.
Les spéculateurs parient aussi sur l’augmentation de la valeur des terres arables dont le
coût d’acquisition reste pour l’instant particulièrement attractif dans certains pays émergeant
par défaut d’une véritable organisation d’un marché foncier mais aussi sous-valorisé en raison
d’une faible capitalisation à l’hectare. C’est donc le moment pour les investisseurs d’acquérir
des terres agricoles pour profiter des futures plus-values.
Les sociétés d’investissements ne sont pas les seuls nouveaux entrants, face à cette
augmentation des cours. En effet, les entreprises du secteur agro-alimentaire cherchent à
maîtriser la chaîne de production de l’amont à l’aval. Ainsi MHP, une entreprise ukrainienne
de la filière avicole, a développé une stratégie de remontée de la filière qui lui permet
aujourd’hui d’assurer sa propre production céréalière. La variation des cours et notamment
l’augmentation du prix des matières premières touchent également les marges en aval des
distributeurs et des industriels de l’agroalimentaire d’où la nécessité pour ses acteurs de
remonter la filière de leurs métier et maitriser autant que possible la production.
La pression foncière ne cesse donc de se renforcer et les acteurs traditionnels se
trouvent confrontés à de nouveaux équilibres économiques mobilisant de nouveaux acteurs
mués par des intérêts propres. Ainsi, depuis leur entrée, ces nouveaux acteurs ont provoqué
des changements structurels qui poussent dans leurs sillages tous les autres acteurs, en
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premier lieu les négociants en céréales mais aussi les agriculteurs, vers la recherche de
nouvelles stratégies de croissance16
.
États investisseurs
Le second groupe d’acquéreurs correspond aux États investisseurs. Dans leur cas,
l’implantation agricole offshore résulte de trois niveau de politique publique : d’une politique
nationale dirigiste, par l’action directe d’achat (ou de location) de bail foncier agricole à un
autre État ; d’une politique nationale indirecte via la création d’entreprises mixtes
publiques/privées ; du soutien et de la promotion aux initiatives privées. Ces dernières
naissant, par ailleurs, indépendamment d’une politique nationale, dans les nouvelles
opportunités liées à l’évolution du marché. Cette nouvelle forme d’organisation de la
production agricole se manifeste toujours dans le pays cible sous l’apparence de marques
privées mais qui cachent un montage en holding, qui peut être plus ou moins liées aux intérêts
étatiques. On parle alors d’investisseurs parapublics.
L’objectif de toutes ces politiques publiques a, in fine, pour vocation d’assurer la
sécurité alimentaire nationale par un approvisionnement stable et suffisant du pays par une
production à l’étranger. Ce qui n’empêche pas certains États d’avoir également ou simplement
pour objectif de tirer bénéfice de l’activité de spéculation elle-même.
La vulnérabilité de la production agricole de ces États investisseurs peut être due à une
politique agricole défaillante mais aussi à une croissance démographique mettant à mal ses
propres ressources agricoles, à une dégradation des ressources ou parfois, à un milieu
physique non propice à l’agriculture tels que les pays du Golfe.
La défaillance de nombres d’États investisseurs s’explique par leurs options politiques.
Suite aux ajustements structurels incités par la Banque mondiale et le FMI17
, de nombreux
pays ont négligé leur agriculture et par conséquent ont pris conscience à leurs dépens de leur
dépendance alimentaire. En effet, cette fragile politique d’approvisionnement est basée sur
l’achat à bas prix des surplus alimentaires du marché mondial (Parmentier, 2009 [2007]), tel
que c’est le cas pour la Corée du Sud ou le Japon.
D’autre part, on constate une dégradation des sols due par exemple à la salinisation18
qui touche de plus en plus les régions irriguées, et particulièrement les pays arides ou semi-
arides où ce phénomène touche 10 % à 15 % des superficies irriguées. Ces sels réduisent la
fertilité du sol, et donc les rendements voire rendent la terre définitivement stérile. La FAO
16
VAN EECKHOUT, Laetitia. « Agriculteurs traders », Le Monde, 25.01.11 17
FMI est le sigle du Fond Monétaire International. 18
L’évaporation provoque la remontée des sels minéraux par capillarité.
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estime que 3 % des terres agricoles mondiales seraient affectées par la salinisation. Ce
pourcentage atteindrait 6 % en Asie de l’Est et 8 % en Asie du Sud (Parmentier, 2009 [2007]).
L’irrigation, responsable d’une partie de la dégradation des sols et de la ressource en eau, a
permis le développement agricole de nombreuses régions du monde pour accompagner la
croissance de la demande alimentaire. L’irrigation est de plus en plus onéreuse, et ne peut
donc pas constituer l’unique solution.
L’implantation agricole offshore permet donc à ces États de réduire la vulnérabilité de
leur production face à la volatilité des prix et d’augmenter les superficies cultivées pour leur
approvisionnement.
Parmi ces États acquéreurs, on distingue de même deux sous-groupes. Le premier est
composé de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud. Le second est composé des États
pétroliers du golfe Persique et quelques États d’Afrique du nord tel que l’Égypte et la Libye.
Ces deux aires géographiques sont les plus déficitaires en grains dans le monde (Charvet,
2010) et dépendent du marché mondial pour assurer leur approvisionnement alimentaire.
Cependant, ces États ont suffisamment de réserve de devises étrangères pour investir dans
leur propre sécurité alimentaire à l’étranger.
Ces États acquéreurs mettent de multiples actions en œuvre pour parvenir à leur
objectif de sécurité alimentaire : diversification de leurs lieux de productions pour réduire leur
vulnérabilité face aux accidents climatiques ; augmentation de la superficie des terres
cultivées destinées à l’approvisionnement du marché intérieur ; prémunition contre la
volatilité des prix des marchés agricoles devenus de plus en plus spéculatifs ; promotion de
partenariat avec pour monnaie d’échange une transaction « nourriture contre énergie » telle
que c’est le cas avec les États du golfe qui possèdent d’énormes quantités de pétrole et peu de
terres arables.
Pour conclure, les acquéreurs étatiques, face à l’augmentation du cours mondiaux des
matières premières, cherchent à trouver par le contrôle de terres agricoles à l’étranger une
sécurité alimentaire qu’ils ne peuvent pas assurer sur leur territoire national. Cependant,
Pascal Canfin (2010 : 14) nuance cette stratégie car « l’achat de terre n’est pas une garantie
d’approvisionnement » du fait du risque politique. En effet, en 2008, au plus fort de la crise
alimentaire, de nombreux pays, tel que l’Inde ou l’Égypte ont appliqué une politique des
quotas à l’exportation très contraignante limitant ainsi l’exportation de certains produits
alimentaires nécessaires au marché intérieur. On en déduit que la stratégie de land grab se
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
28/174
heurte à la souveraineté nationale des pays cibles qui ne manqueront pas, lorsque le cours
international les touchera, d’user des leviers nécessaires à l’utilisation nationale de cette
production sur leur territoire.
Pays cibles
Les « pays cibles » (Grain, 2008) appelés aussi « pays vendeurs » (Brondeau, 2010) ou
« pays d’accueil » (Charvet, 2010) manquent généralement de capitaux pour financer leur
développement agricole et perçoivent ces investissements comme une opportunité. Ces pays
sont souvent importateurs nets de denrées alimentaires. Leur production agricole, familiale et
rudimentaire, n’assure pas toujours les besoins à l’échelle nationale et ne participe que
marginalement au développement économique. Cependant, certains pays cibles peuvent être
exportateur net agricole tels que l’Ukraine. Ces nouvelles opportunités qu’apportent les
investisseurs étrangers pourraient provoquer une mutation du secteur agricole. Mais, cela ne
va pas sans poser question quant au bilan social, environnemental et microéconomique de ces
changements profonds.
De nombreux scientifiques (Brondeau, 2010) et ONG (Grain) dénoncent ces
acquisitions foncières qui conduiraient à exproprier les populations locales. En effet, il
n’existe plus de terre agricole de plusieurs milliers d’hectares qui ne soient ni habitées ni
cultivées. De plus, ces productions ne bénéficient pas au marché local. Aussi, avec l’arrivée
des investisseurs, un mode de production intensif est mis en place, tourné vers la monoculture
à grande échelle de quelques produits entièrement destinés à l’exportation. La production
vivrière locale diminue car l’ouverture de l’accès au foncier aux IDE « implique une politique
d’attribution foncière conditionnée par les capacités d’investissements des exploitants, qu’ils
soient nationaux ou étrangers » (Brondeau, 2010 : 10). La politique du pays cible a pour
objectif d’assurer sa propre suffisance alimentaire grâce à l’importation de produits
alimentaires. Ces importations seront financées par les taxes aux exportations dégagées de la
présence des nouveaux investisseurs agricoles, tout en permettant de nouvelles opportunités
de développement. Cette politique – tout à fait dans la ligne de la Banque mondiale – s’inscrit
dans les idéaux libéraux du développement économique par une inscription dans le commerce
international et par la mise à profit des avantages comparatifs. Les pays cibles attendent
beaucoup de ces transactions foncières encouragées par la Banque mondiale : importante
rente financière à la vente des terres ou par la contractualisation de baux emphytéotiques,
développement des infrastructures agricoles, rurales, routières, ferroviaires et portuaires, soit
un transfert de technologie pris en charge par l’investisseur étranger. Seulement « peu
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
29/174
d’informations scientifiques sont toutefois disponibles pour dresser une analyse objective de
cette évolution aussi rapide que récente. Les sources restent essentiellement journalistiques et
les rapports réalisés par les ONG présentent des analyses fortement engagées et sans doute
pas toujours objectives. Deux sources font référence aujourd’hui : la première est un rapport
récent demandé par la FAO19
et l’IFAD20
et réalisé par l’IIED21
(Cotula, 2009) » (Brondeau,
2010 : 10) ; le second est un rapport commandé par la Banque mondiale (Deininger et al.,
2011).
Ces transactions foncières présentent ainsi un risque social et écologique pour les
populations locales qui ne bénéficieront certainement pas des retombées financières. Comme
l’explique Brondeau (2010 : 10) « l’ouverture de l’accès au foncier aux IDE semble bien une
des conséquences directes des échecs des politiques de développement agricole précédentes.
Elle s’inscrit dans une tendance nette à la remise en question du modèle de développement
agricole basé sur les exploitations familiales au profit d’un modèle basé sur l’agrobusiness. »
Ce processus pose le débat en ces termes « Land grab or development opportunity ? »22
(Cotula, 2009), au moment où la planète compte un milliard d’individus souffrant de sous-
alimentation dont 75 % d’entre eux sont des paysans pratiquant une agriculture vivrière.
Pour conclure, le phénomène de land grab est un processus d’acquisition des terres à
l’étranger par des acteurs privés ou publics exogènes au monde agricole. Certains de ces
acteurs appartiennent au secteur financier et trouvent une valeur refuge dans les denrées
alimentaires. Celles-ci sont devenues l’objet de spéculation notamment sur les marchés
dérivés.
Des exemples de cette nouvelle forme d’agriculture par l’implantation agricole
offshore existent dans d’autres pays que ceux d’Asie, d’Afrique subsaharienne ou d’Amérique
du Sud tels que l’Ukraine. C’est pourquoi, l’argumentaire qui suit traite de la mutation des
modèles agricoles en Ukraine.
2. UNE MUTATION DES MODÈLES AGRICOLES EN UKRAINE
L’Ukraine, pays d’Europe orientale, indépendant en 1991, est une des anciennes
républiques de l’Union soviétique. L’agriculture est un des piliers traditionnel de l’économie
19
Food and Agriculture Organisation 20
International Fund for Agricultural Development 21
International Institute for Environment and Development 22
Traduction : « Accaparement des terres ou opportunité de développement ? »
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
30/174
ukrainienne, caractérisée par sa spécialisation dans les produits de base. Au XIXème
siècle,
l'Ukraine sous l’Empire russe23
était le « grenier à blé » de l’Empire et exportait sa production
jusqu’en Europe, suite au développement du chemin de fer dans les années 1880 (de
Laroussilhe, 2002 [1998]). En 1867, près de la moitié des céréales consommées en Angleterre
venaient de Russie et d'Ukraine24
, et transitaient par le port d'Odessa. Puis dans les années
1920, une longue période de tarissement des exportations s’est installée, en même temps que
la collectivisation forcée des terres sous Staline. Mais dans les années 2000, les céréales de la
Mer Noire reviennent sur les marchés, « surprenant la plupart des opérateurs, convaincus que
l’effondrement de l’URSS en 1991 et l’ampleur de la décapitalisation agricole qui
l’accompagnait ne permettraient ni une reprise aussi rapide de la production, ni le
dégagement d’un surplus exportable suffisamment important pour déstabiliser des positions
commerciales considérées comme acquises » (Hervé, 2008c : 259). Malgré des handicaps
structurels du pays, encore en transition, tel que son parc matériel agricole vétuste,
« aujourd’hui, les grands négociants internationaux sont tous présents dans cette zone de
production, et les exportateurs de la Communauté des États Indépendants - la structure qui
réunit les pays de l’ancienne URSS - sont de plus en plus fortement présents dans les grandes
rencontres de traders, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Asie, en Europe... » (Ibid. :
259).
Il s’agit ici de comprendre pourquoi l’Ukraine est un pays cible des investissements
dans l’agriculture, et quels sont les avantages comparatifs de la production agricole
ukrainienne.
D’abord, nous expliquerons comment l’histoire agraire de l’Ukraine l’amène à une
période actuelle de restructurations foncières. Ensuite, nous évoquerons le fort potentiel
agricole de ce pays d’Europe orientale par ses atouts naturels et ses réseaux de
communication qui lui donnent un avantage stratégique.
A. UNE HISTOIRE AGRAIRE FAVORABLE AUX RESTRUCTURATIONS FONCIÈRES
Les exploitations agricoles ukrainiennes ont fonctionné pendant soixante ans dans un
contexte politique, social et économique spécifique, celui d’un système socialiste à
planification centralisée. Il s’agit ici de retracer les grandes étapes de l’histoire agraire
23
L’Ukraine a appartenu à l’Empire russe de 1667 à 1917. 24
Source : http://pierregonzva-finance.blogspot.com/2010/01/le-grain-et-leconomie.html
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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ukrainienne du milieu du XXème
siècle à aujourd’hui afin d’expliquer pourquoi l’Ukraine est
un pays si particulier qui attire l’intérêt des institutions internationales et des investissements
étrangers dans l’agriculture.
a) L’agriculture collectiviste
En URSS, dont l’Ukraine était partie intégrante, les terres ont été autoritairement
collectivisées à partir de 1929. « La collectivisation de l’agriculture, réalisée entre 1929 et
1933, a été un évènement particulièrement dramatique pour l’Ukraine et compte parmi les
grands génocides du XXème
siècle » (de Laroussilhe, 2002[1998] : 62). Cependant, nous
évoquerons ici seulement les réformes foncières qui ont amené au parcellaire agricole
ukrainien d’aujourd’hui, sans entrer dans le détail de leur mise en place.
Exemple de définition de l’agriculture collectivisée25
Pierre George définissait l’agriculture collectivisée comme devant « être une
agriculture coopérative, mettant en œuvre des moyens matériels puissants, mobilisant le
travail des collectivités de village organisées, pour obtenir une production croissante
répondant à un double besoin : celui de ravitailler des villes dont la population croit avec
l’industrialisation, et celui d’assurer une rémunération de plus en plus élevée de l’effort et de
la qualification dans le travail à la campagne » 26
(Lebeau, 2004[1969] b : 160).
Marie-Claude Maurel définit quant à elle, l’agriculture collectivisée comme reposant
« sur l’appropriation sociale de la terre et des moyens de production, l’organisation
collective du travail et la généralisation d’un rapport de type salarial au sein de grandes
exploitations, ainsi qu’un mode d’administration centralement planifiée réduisant
l’autonomie de gestion des unités de production » (Maurel in Charvet, 2009[2008] : 101).
La réforme agraire visant la collectivisation des terres, commence par la suppression
de la propriété individuelle de la terre. Pour ce faire, l’introduction de la mécanisation et de la
motorisation sont allés de pair avec la constitution de parcelles géométriques de grandes
tailles, constituées par le regroupement des petites parcelles préexistantes ; c’est cette
25
Différents qualificatifs sont utilisés pour désigner l’organisation de l’agriculture sous l’URSS. Ainsi,
on peut entendre parler d’agriculture « collectivisée », « socialiste » ou « soviétique ». Afin, d’éviter les
ambiguïtés du terme « socialiste » et puisque nous nous intéressons ici plus à l’organisation du travail agricole
qu’à l’organisation politique, nous privilégierons ici l’emploi du terme agriculture « collectivisée ». 26
On voit dans cette citation de Pierre Georges, connu pour son inspiration marxiste, l’engouement
qu’il y avait encore à l’époque de l’URSS lorsqu’on n’en connaissait pas encore les dérives.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
32/174
concentration foncière et ce gigantisme des unités d’exploitation qui caractérisent la
morphologie agraire de l’agriculture collectivisée (Lebeau, 2004[1969] b).
L’histoire de l’agriculture collectivisée se déroule en trois étapes : le partage des
grands domaines, la collectivisation de l’exploitation et enfin la décollectivisation. Nous
évoquerons ici seulement les deux dernières étapes.
Exploitations collectives et lopins : deux types d’exploitation résultant de la collectivisation
Suite à la collectivisation des terres, deux types d’exploitation se distinguaient : les
exploitations collectives, appelés kolkhozes et sovkhozes, et les lopins de terres (voir Figure
7).
Les kolkhozes étaient des coopératives de production qui s’identifiaient chacune avec
le finage d’un village. Le finage et les moyens de production devenaient collectifs. Les
membres de la coopérative étaient rémunérés « sur la base de la journée de travail forfaitaire »
appelé troudodieny. Chaque opération culturale valait une fraction de troudodieny (Lebeau,
2004[1969] b). Cependant, les kolkhoziens détenaient chacun un lopin individuel pour leur
autoconsommation et la vente sur le marché du village.
Les sovkhozes étaient quant à eux des fermes d’État. Les ouvriers étaient des salariés.
Les sovkhozes servaient d’exploitations pilotes pour l’agriculture scientifique et mécanisée.
Ils étaient immenses et très spécialisés (Ibid.).
Figure 7. Structure foncière soviétique
Source : Anne Gautier, 2008.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Il existait une relation d’interdépendance entre ces deux types d’exploitation,
collective et individuelle. Par exemple, les lopins complétaient le manque des faibles salaires
des exploitations collectives. À l’inverse, les lopins à eux seuls n’étaient pas suffisants pour
vivre. D’autre part, les exploitations collectives assuraient de nombreux services tels que le
prêt de matériel pour les lopins ou des travaux de labours mais aussi des services médicaux ou
de loisir aux kolkhoziens et sovkhoziens (Jaubertie et al., 2010).
Décollectivisation
En 1965, la réforme Libermann tend vers la décollectivisation en introduisant
l’autonomie des entreprises. Puis en 1985, Gorbatchev, secrétaire général du Parti
communiste de 1985 à 1991, accentue la décollectivisation avec la réforme dite de la
Perestroïka27
. Cette réforme a pour but de dynamiser le secteur privé agricole et stimuler la
production des lopins privés des kolkhoziens et sovkhoziens (voir
Figure 8).
Figure 8. Dénationalisation foncière et exploitations individuelles
Source : Anne Gautier, 2008.
C’est véritablement en 1992-1993 qu’a lieu une accélération de la décollectivisation
avec la transformation des droits de propriétés des fermes collectives. Puis, la Constitution de
1996 garantit la propriété privée de la terre. Cependant, sous la pression du Parlement, un
27
Perestroïka se traduit par « reconstruction ».
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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moratoire est adopté pour interdire la libre commercialisation des terres agricoles. Ce
moratoire qui au départ avait été pour six années, est toujours en vigueur.
Héritage agraire : le poids de soixante années de collectivisation
L’indépendance de l’Ukraine en 1991 a apporté des changements politiques passant
par des réformes économiques tendant à transformer l’économie socialiste en économie de
marché. Cette transition s’est pas faite avec une baisse globale de la production agricole et
n’est pas encore tout à fait achevée.
Les conditions initiales28
à la transition économique (Maurel in Charvet,
2009[2008] : 102) que connait chaque pays de l’ex-URSS varient en fonction de l’importance
de l’héritage communiste dans le pays. L’Ukraine et la Russie sont l’exemple de pays
connaissant un ancrage très fort des logiques collectivistes dans leur culture, leur expérience
collectiviste ayant duré plus d’un demi-siècle.
La principale mesure politique du processus de décollectivisation a été celui de la
privatisation du foncier et des biens soit la transformation des droits de propriété. Se
distinguent alors trois principaux facteurs de production : la terre, le capital et le travail
(Ibid. : 104). Dans ce contexte de décollectivisation, la renaissance d’une agriculture
familiale « s’opère sous des formes très hétérogènes tant du point de vue des structures
d’exploitation que du mode d’insertion au marché » (Maurel, 1997).
Maintenant que nous avons vu les deux types de structures d’exploitations, collectives
et individuelles, à l’origine de l’agriculture collectivisée, nous pouvons évoquer les grandes
étapes des réformes foncières de ces vingt dernières années en Ukraine qui ont amené à
l’émergence d’une structure agricole tri-modale.
b) Réformes foncières post-collectivistes
1991-1999, 1ère
étape de la réforme foncière
La première étape de la réforme foncière porte sur la période 1991-1999 et consiste en
la décapitalisation-distribution des exploitations collectives.
Distribution du capital d’exploitation
En 1993-1994, les sovkhozes et kolkhozes sont surendettés et font faillite. En effet,
suite au démantèlement de l’Union soviétique, les filières d’approvisionnement et
28
Marie-Claude Maurel entend par « conditions initiales », le poids de l’héritage collectiviste.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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d’écoulement de la production ne sont plus en activité. Le capital de l’exploitation collective
est réparti entre les salariés. Les sovkhoziens et kolkhoziens bénéficient alors de la
décapitalisation des exploitations collectives pour se faire payer leurs arriérés de salaires.
Cependant, l’exploitation de la terre – le capital foncier – reste le fait de collectivités.
Distribution du capital foncier par la délivrance d’un certificat de propriété
Il faut attendre la loi du 31 mars 1995 pour que le partage des terres des ex-sovkhozes
et ex-kolkhozes devienne effectif. La distribution du capital foncier se fait ainsi : une part
foncière appelée paille29
est distribuée sous forme de certificat de propriété à chaque ancien
salarié ou retraité des ex-exploitations collectives. La surface théorique de chaque part
foncière est calculée en fonction de la taille de l’ancienne exploitation collective et du nombre
d’ayants droit (Jaubertie et al., 2010). Mais, cette part foncière n’est pas encore définie sur le
cadastre. Les paillitevistes30
ne savent donc pas où se trouve leur paille dans le village. Cette
distribution du capital foncier n’est donc pas tout à fait achevée.
Suite à cette distribution du capital d’exploitation et du capital foncier, les anciennes
structures collectives deviennent soit des entreprises agricoles collectives au statut de
coopérative soit des sociétés par action où chaque salarié de l’ancienne structure est
propriétaire du capital d’exploitation (voir
Figure 9).
Figure 9. Division des terres en parts foncières, délivrance de certificats de propriété
29
Le terme paille du russe « пай » peut aussi s’orthographier paye ou paï. 30
Nom donné aux propriétaires d’une part foncière, d’une paille.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Source : Anne Gautier, 2008.
Un fonctionnement des exploitations inchangé
Le fonctionnement des exploitations reste sensiblement le même qu’avant la chute de
l’URSS. D’ailleurs, il est courant que le directeur soit l’ancien dirigeant de l’exploitation
collective. La différence du fonctionnement des exploitations porte sur le statut, cette fois-ci
privé de l’exploitation. Administrativement, l’ex-kolkhoze ou sovkhoze devient un conseil de
village composé de trois à cinq villages en moyenne qui correspondent chacun à une unité de
production de l’ancienne exploitation collective. Les entreprises agricoles qui succèdent aux
exploitations collectives se répartissent sur les anciennes unités de production. Ainsi, à chaque
village correspond une entreprise agricole.
Un moratoire qui interdit la vente des terres
En parallèle de cette distribution du capital foncier, un moratoire est mis en place. Il
consiste à interdire la vente des terres agricoles pour protéger les villageois du vide juridique
concernant le marché foncier. Ce moratoire, reconduit plusieurs fois, est toujours en vigueur.
Cependant le gouvernement ukrainien actuel, élu en janvier 2010, semble déterminé à abroger
cette loi en 201231
.
Les années 2000, 2ème
étape de la réforme foncière
La deuxième étape de la réforme foncière au début des années 2000 est celle du
partage définitif du capital foncier.
Le partage définitif du capital foncier par la délivrance d’un titre de propriété individuelle
Le 3 décembre 1999, une loi est votée afin de fixer les modalités de partage des actifs
restants, et les modalités de délivrance de titre de propriété individuelle. Ce titre de propriété
individuelle remplace le certificat de propriété de la première étape de la réforme foncière.
Cette fois-ci, le titre de propriété de la part foncière est précisément délimité sur le cadastre.
Les paillitevistes peuvent localiser leur propriété foncière et donc jouir de l’usage de leur
paille. De plus, le calcul de la surface théorique des pailles est révisé pour un partage plus
égalitaire des parcelles. En effet, à la taille de l’ancienne structure et au nombre d’ayants
droit, s’ajoute un nouveau facteur : la valeur vénale de la terre. Celle-ci est déterminée en
fonction de la qualité des terres (Ibid.).
Mais, ces parts foncières de quelques hectares sont comprises au sein de très grandes
parcelles issues du parcellaire soviétique. Souvent, pour atteindre sa paille, le pailliteviste doit
31
http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/ukraine-privatiser-les-terres-pour-soutenir-la-
production-agricole-premier-ministre-37069.html consulté le 10.08.2011
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
37/174
traverser toutes les pailles des autres propriétaires. D’abord, la distance entre la bordure de la
parcelle et la paille peut être grande. D’autre part, l’apport de matériel sans abîmer les cultures
des voisins est difficile. Ces difficultés rencontrées par le villageois pour accéder à sa paille,
le décourage. Ainsi, de nombreuses pailles sont abandonnées et laissées en friche ou louées à
des entreprises agricoles souvent elles-mêmes en difficultés financières.
Des artéfacts dans la distribution du capital d’exploitation et du capital foncier
La répartition des biens matériels et immobiliers, comme dans l’allocation des
meilleures terres ne s’est pas faite sans inégalités. Par exemple, les villageois qui ont accès à
plusieurs parts foncières par regroupement familial ont plus de facilité à mettre celles-ci en
culture. Ceux qui n’en ont pas les moyens financiers ou relationnels cèdent leur paille en
location (Ibid.). En effet, avoir des relations permet par exemple d’obtenir une part foncière
en bordure de champ avec une terre fertile. De plus, le capital non-immobilier tel que les
tracteurs, a été récupéré par les anciens dirigeants, devenus les directeurs des nouvelles
entreprises agricoles. Le patrimoine bâti, quant à lui, a été partagé entre les anciens salariés
qui en ont récupéré les briques.
Ainsi, « la différenciation économique observable aujourd’hui [entre les structures
d’exploitation] est donc en grande partie le fruit de cette répartition inégale du capital
d’exploitation » (Ibid. : 44) (voir Figure 10).
Figure 10. Fragmentation, recomposition variable des exploitations
Source : Anne Gautier, 2008.
Émergence d’une nouvelle structure agricole : les « agroholdings »
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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En parallèle, dans les années 2000, des grandes entreprises capitalistes émergent à
partir de capitaux externes à l’agriculture ukrainienne. Ces capitaux exogènes sont attirés par
le potentiel agronomique des terres ukrainiennes, par le grand parcellaire adapté à la
mécanisation, par les modalités d’accès au foncier via une location peu couteuse et par l’accès
à une main d’œuvre bon marché. Certaines de
ces grandes entreprises, à la recherche d’une
rentabilité financière rapide, sont qualifiées
d’ « agroholdings ».
Mode d’emploi pour accéder à une
concentration foncière de plus de 50 000 ha
De capitaux ukrainiens ou étrangers,
ces entreprises rachètent le capital social de
plusieurs grandes exploitations agricoles en
faillite cumulant ainsi des baux de plus de
50 000 ha voire 100 000 ha32
pour certaines
auprès de plusieurs milliers de paillitevistes.
De plus, un pas de porte est souvent nécessaire
pour racheter une entreprise agricole.
La structure juridique de ces
« agroholdings » est une holding dont le siège
social est à Kiev, la capitale, ou dans une
capitale régionale. Cette holding a plusieurs
pôles de production régionaux eux-mêmes
gérant plusieurs unités de production. Chaque
unité de production correspond au rachat d’une
entreprise agricole en faillite.
C’est le statut de fermage qui permet
une concentration foncière aussi importante.
En effet, la location permet à l’entreprise
d’investir plus de capital dans la production. Le statut de fermage en Ukraine privilégie le
locataire, ici la grande exploitation. Le droit au renouvellement du bail est autorisé mais en
limitant le droit de reprise par le bailleur, ici le petit propriétaire villageois appelé pailliteviste
32
Ces superficies sont données ici comme ordre de grandeur. L’ « agroholding » n’est pas un terme
scientifiquement définit.
ÉCLAIRAGE SUR LE TERME
« agroholding »
Une société est appelée holding1 quand
sa seule activité consiste à détenir des actions
d’autres sociétés. Ces autres sociétés sont
appelées « filiales » lorsque 50 % au moins du
capital est détenu et « participations » lorsque la
part du capital détenue est comprise entre 10 et
50 %. La société holding ne produit rien par elle-
même : ce sont ses filiales qui produisent. « Le
capitalisme est parvenu à son degré maximum
d’abstraction : il n’y a plus aucun lien entre ceux
qui produisent et ceux qui dirigent, pas même – le
plus souvent – de lien de proximité » (Clerc,
2007[2004] : 96).
La holding sépare les activités de
production et celles de gestion du capital. C’est
au niveau de la holding que se prennent les
décisions stratégiques telles que le montant des
investissements, le choix des filières à développer
ou à sacrifier. Les holdings sont des
« concentrés » de pouvoirs. La centralisation du
capital dans la holding facilite la mobilité du
capital (Ibid.).
Une « agroholding » est donc une
société holding dont la seule activité consiste à
détenir les actions de ses filiales dont l’activité de
production appartient au secteur agricole.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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(Ibid.). Malgré le moratoire interdisant la vente de terres agricoles, des ventes déguisées se
font sous forme de don à des prix dérisoires. Le moratoire « empêche la dépossession des
villageois de leurs pailles » (Ibid. : 45).
L’Ukraine compte quelques milliers d’exploitations agricoles de ce type. Sans
l’existence de ce moratoire, ces « agroholding » n’auraient pas pu accéder à cette
concentration foncière qui fait leur force.
Structure agricole tri-modale
Une structure agricole tri-modale se dégage à l’issue des exploitations collectives : la
grande exploitation reprenant le parcellaire soviétique, quelques entreprises individuelles
(voir Figure 11) familiales qui ont réussi tant bien que mal à profiter de la décollectivisation et
les exploitations dites de « population » majoritaires.
La grande exploitation est spécialisée en grande culture. Elle loue les pailles des petits
propriétaires villageois pour cumuler une superficie cultivable de 1 000 à 5 000 ha. On
distingue trois sous-catégories à ce premier type. L’entreprise agricole de polyculture élevage,
l’entreprise agricole spécialisée en grande culture financée par des capitaux extérieurs à
l’agriculture et enfin l’ « agroholding » qui cumule plus de 50 000 ha, financée par des
capitaux extérieurs voire étrangers.
Les exploitations individuelles familiales, peu nombreuses, utilisent le matériel
récupéré des anciennes structures collectives.
Les micro-exploitations dite exploitations de population, de moins d’1 ha, sont très
nombreuses, de quatre à cinq millions en Ukraine. Cette structure agricole assure les trois
quart de la production animale nationale. Les industries agro-alimentaires dépendent de ces
micro-exploitations pour assurer leur approvisionnement en matière première agricole,
particulièrement en produits carnés, laitiers et maraichers.
exploitations collectives
(sovkhoze ou kolkhoze)
décollectivisation
grande exploitation de 5 000 ha
dont les agroholdings > 10 000 ha
exploitation individuelles familiales de 500 ha
lopins exploitations dites de « population » < 1 ha
Figure 11. Une agriculture à trois vitesses, dix ans après la décollectivisation
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Figure 12. Concentration foncière par location, mise en place d’un marché foncier
Source : Anne Gautier, 2008.
C’est donc le retrait des ex-exploitations collectives qui laisse la place à des
restructurations foncières avec d’immenses superficies agricoles disponibles (voir
Figure 12). Cependant, autant la terre avait encore peu de valeur il y a quelques
années, autant l’arrivée croissante d’investissements, a rendu le paiement de pas de porte
nécessaire à l’accès au foncier agricole. De même, la durée des baux a tendance à être réduite.
En effet, celle-ci est passée d’une moyenne de quinze à cinq ans en moyenne.
La troisième étape de la réforme foncière sera certainement l’abrogation du moratoire.
Cependant avant d’envisager de mettre fin au moratoire interdisant la vente des terres
agricoles, l’Ukraine doit mettre en place une véritable politique agricole de développement.
Pour conclure, de l’agriculture collectivisée aux sociétés d’investissements, l’évolution
des systèmes agraires a abouti à un environnement propice aux restructurations foncières, qui
attire les investissements dans l’acquisition de terres agricoles à des fins productives.
En plus de cet environnement propice aux restructurations foncières, l’Ukraine a
d’autres atouts tels que son fort potentiel agricole et une localisation stratégique.
B. L’UKRAINE : UN PAYS À FORT POTENTIEL AGRICOLE, À PROXIMITÉ DES
DEUX PRINCIPALES RÉGIONS DÉFICITAIRES EN BLÉ DANS LE MONDE
L’Ukraine, pays d’Europe orientale, dispose d’un fort potentiel agricole grâce à de
bonnes conditions pédoclimatiques. De plus, sa localisation géographique joue le rôle
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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d’articulation entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie à proximité des deux principales
régions déficitaires en blé dans le monde.
Les conditions pédoclimatiques ukrainiennes présentent un fort potentiel pour le
développement agricole du pays.
a) Un climat continental modéré et une ressource en eau favorables
à l’agriculture
Figure 13. Diagramme ombrothermique de Kiev (Ukraine)
Source : Euroweather. Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011.
Le climat continental ukrainien se caractérise par des précipitations maximales en été,
un été chaud avec une moyenne maximale de 20°C à Kiev mais un hiver froid avec une
moyenne minimale de -6°C à Kiev. Le climat continental ukrainien est dit modéré puisque les
températures hivernales sont négatives, qu’il y a des années sèches ou des années humides et
que les précipitations sont marquées par une irrégularité spatio-temporelle. Le climat
continental ukrainien modéré est donc un climat favorable aux pratiques agricoles bien
qu’accompagné de perturbations climatiques récurrentes telles que des gels tardifs ou des
sécheresses. Ces dernières sont cependant tout à fait surmontables car la ressource en eau est
abondante et aisément mobilisable. Le Dniepr, plus long fleuve du pays, recouvre 40 % du
territoire ukrainien par son bassin hydrographique. Les gels aléatoires et destructeurs, quant à
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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eux, limitent les choix de culture et de semence. L’Ukraine dispose d’autres qualités
naturelles : ses terres noires très fertiles.
b) Les tchernozioms, des terres noires très fertiles
Les terres noires, appelées tchernozioms33
en russe, sont un type de sol très
fertile et caractéristique des grandes
prairies des régions à climat
continental modéré. « Dans ces
régions, la chaleur et la sécheresse
de l’été provoquent un arrêt marqué
de la végétation, qui empêche le
développement des arbres, mais
chaleur et sécheresse favorisent
aussi l’évaporation et la remontée
capillaire de la solution du sol. En
s’opposant au lessivage des
éléments fins et au drainage des sels
minéraux solubles, ce mécanisme conduit à la formation des sols noirs » (Mazoyer et
al., 2002 [1997] : 299). « Leur richesse en matière organique humifiée sur une grande
épaisseur du profil leur confère de très forte réserves hydriques et favorise la minéralisation
et la mise en solution d’éléments nutritifs » (Hervé, 2010 : 62). 40 % des tchernozioms dans le
monde se concentrent en Ukraine, qui abrite la plus grande surface au monde des terres
considérées comme parmi les plus fertiles au monde. Ces terres noires recouvrent un tiers du
territoire ukrainien (voir Figure 14).
Sur ce type de sols, les besoins en produits phyto-sanitaires sont plus faibles que dans
le reste de l’Europe et le travail du sol est moins lourd, permettant notamment des semailles
avec une préparation du sol réduite (semi-direct ou technique cultural simplifiée).
Ce potentiel est pourtant loin d’être pleinement exploité, puisque le rendement moyen
actuel reste faible avec 3 t/ha. Les professionnels et les experts tels que Jean-Jacques Hervé34
,
33
Du russe « чернозём ». 34
Chargé des affaires agricoles pour Index Bank, la filière ukrainienne de Crédit Agricole SA. Il a été
ancien conseiller auprès du gouvernement ukrainien pour les questions agricoles, après avoir été conseiller
agricole à l’Ambassade de France en Russie.
Figure 14. Carte des principaux sols ukrainiens
Source : ITCF et atlas de l’Ukraine 1998 éditions Cartographia.
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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attribuent ces faibles résultats, à la vétusté des machines et à l’inadaptation des pratiques à
une production rationnalisée.
Cependant, cet eldorado agricole exige quelques précautions. En effet, les accidents
climatiques sont fréquents et rendent nécessaire voire indispensable l’usage en quantité de
machines agricoles performantes, capables d’assurer la récolte le plus rapidement possible sur
des surfaces très importantes. Les pertes peuvent être conséquentes, d’où la nécessité de
terminer la moisson le plus rapidement possible. On note ainsi qu’avec l’arrivée progressive
de technologies modernes, un accroissement des rendements et notamment des pertes de
récolte sont plus limités. C’est un processus inabouti qui laisse encore d’importante marge de
gain de productivité.
À chaque type de sol, correspond une région biogéographique (voir Figure 15) plus ou
moins propice à l’agriculture.
Figure 15. Régions biogéographiques de l’Ukraine
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
Deux de ces régions, le centre et le sud de l’Ukraine, sont sujettes à de nouvelles
acquisitions foncières agricoles. La première, recouverte de steppe et de forêt, recouvre 33 %
du territoire national. C’est la région la plus propice à l’intensification agricole, où les
rendements sont les meilleurs. Certains la qualifient même de « Beauce ukrainienne »
(Hervé, 2010). La seconde, recouverte de steppe, couvre 40 % du territoire national. Cette
région est caractérisée par un mode de production intensif spécialisé dans les grandes cultures.
Cependant, l’extrême sud de cette région est sec et ne permet que la viticulture et les
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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industries animales telles que le mouton. Un autre
atout de ces deux régions est leur relief
particulièrement plat.
En plus de ses atouts naturels, l’Ukraine se
trouve au cœur de l’Europe, du Moyen-Orient et
de l’Asie, à proximité des deux principales régions
déficitaires en blé dans le monde, l’Afrique du
Nord et le Proche-Orient.
c) La « Zernovoï Belt » à proximité des deux principales régions
déficitaires en blé dans le monde, l’Afrique du nord et le Proche-
Orient
La Zernovoï Belt (Hervé, 2010), par analogie avec la Corn Belt américaine, regroupe
les trois grands pays agricoles de l’ex-URSS ouvert sur la Mer Noire, l’Ukraine, la Russie et
le Kazakhstan. Selon Jean-Jacques Hervé (2010), envisager une production de 250 millions de
tonnes dans cette région est un objectif réaliste. Cependant, les mauvaises conditions de
stockage entrainent souvent des pertes ou des déclassements des céréales.
L’Ukraine est traversée par trois fleuves, le Dniepr, le Dniestr et le Danube qui se
jettent dans la Mer Noire et drainent le transport fluviomaritime des céréales jusqu’aux ports
de la Mer Noire. « Sur le plan agricole, la mer Noire est le point de convergence des voies
fluviales et ferroviaires par lesquelles transitent les céréales et les autres grandes productions
végétales associées, depuis l’Asie centrale, la Sibérie occidentale et toute l’Europe orientale.
Elle est aussi la zone de convergence de la demande céréalière du pourtour méditerranéen et
du Moyen-Orient. À cet égard, la mer Caspienne peut être rattachée à la mer Noire car elle
contribue aussi à relier directement l’Iran et ses ports vers le Moyen-Orient, au Kazakhstan
et à la Russie. Les ports en eaux profondes sont en Ukraine. Le premier est celui d’Odessa,
considérablement agrandi au cours de la dernière décennie avec des silos modernes de
groupes occidentaux. » (Hervé, 2008 : 259).
Terres arables
Les terres arables sont des terres cultivées.
Elles comprennent les grandes cultures, les
cultures maraichères, les prairies artificielles
et les terrains en jachère.
Les terres arables ukrainiennes représentent
plus de 50 % du territoire. La disponibilité de
ces terres ramenée au nombre d’habitants est
une des plus élevées d’Europe puisqu’un
ukrainien dispose de 0,68 ha de terres arables
tandis qu’un européen en dispose seulement
de 0,25 ha.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Ces réseaux de communication donnent à l’Ukraine un avantage stratégique. C’est
aussi une des raisons pour lesquelles les institutions internationales portent un intérêt croissant
pour la zone des « blés de la Mer Noire ». Ainsi, Jean-Jacques Hervé cite Jean Lemierre,
président de la BERD35
« qui concluait sa dernière réunion des gouverneurs à Kiev en mai
2008, "Il est évident que l’Ukraine et une partie de la Russie peuvent contribuer de façon
décisive à l’augmentation de la production alimentaire mondiale, sans avoir à entreprendre
de grands travaux de mise en valeur, sans déforestation et en respectant les normes
environnementales qui font désormais intégralement partie des cahiers des charges des
entreprises et des organismes financiers". » (Hervé, 2010 : 64).
Au XIXème
siècle, l’empire Russe était le premier exportateur mondial de blé, devant
les États-Unis. Puis, l’agriculture collectivisée avec ses dérives, a fait passer l’URSS au
premier rang mondial d’importateur de blé dans les années 1980. Comme nous l’avons vu
dans l’histoire agraire de l’Ukraine, depuis les années 2000 des « agroholdings » gérées par
des oligarques ukrainiens ou des sociétés d’investissements étrangères, ont remis en
production les ex-kolkhozes. La production et les exportations céréalières ont ainsi été
relancées. Les trois pays de la Zernovoï Belt exportent désormais davantage de blé que les
États-Unis, jusque-là premier exportateur mondial (Charvet, 2010). De plus, la zone des « blé
de la Mer Noire » a pour avantage d’être à proximité avec la principale région déficitaire en
blé du monde : l’Afrique du Nord et le Proche-Orient.
« Au-delà de leur divergences politiques, les États de la zone Mer Noire ont
pleinement pris conscience des potentialités et des enjeux » (Hervé, 2010 : 65). La région
Ukraine-Russie-Kazakhstan devient un acteur majeur du marché céréalier mondial. La
Zernovoï Belt pourrait répondre aux besoins en céréales du marché mondial, à condition de
s’organiser. Ainsi, l’évolution des accords agricoles entre ces trois pays pourraient s’orienter
vers une politique des marchés agricoles de la zone Mer Noire (Ibid.). D’ailleurs, en 2009, le
gouvernement russe a introduit l’idée d’un OPEP36
des céréales de la Mer Noire (Visser &
Spoor, 2011).
Pour conclure, l’Ukraine avec une balance commerciale agricole positive, accueille
des IDE. Ce pays cible a été identifié pour ses atouts historiques, sociaux, politiques et
naturels. De plus, suite à la décollectivisation et au redressement progressif de son économie,
35
Banque Européenne de Reconstruction et de Développement 36
Organisation des pays exportateurs de pétrole. L’OPEP coordonne les politiques pétrolières de ses dix
États-membres.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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ses propres structures de production évoluent rapidement. L’Ukraine est donc un terrain
propice aux nouvelles agricultures dont on essaie de mieux comprendre les formes. Mais,
encore faut-il démontrer qu’un nouveau modèle émerge effectivement dans ce pays cible.
Pour ce faire, une méthodologie a été mise en place.
3. MÉTHODOLOGIE
Comment j’en suis venue à m’intéresser à l’agriculture en Ukraine ?
En troisième année de licence, je participe au cours « Géographie économique et
politique des systèmes agro-alimentaires » d’Eve-Anne Bühler, devenue ma directrice de
recherche. À cette occasion, je rends un travail sur la production de la fraise dans le monde.
Eve-Anne Bühler m’interpelle alors sur une sous-partie que j’ai intitulée « Les fraises
d’Espagne délocalisées au Maroc ». Elle me propose de l’approfondir et me fait part du
programme de recherche Agrifirme qui a pour but de caractériser le modèle agricole émergent
qualifié d’« agriculture de firme ».
En parallèle, je réfléchis au sujet de mon mémoire de Master 1. Je pensais plutôt
travailler sur l’accès à la ressource en eau. Mais, comprendre le système alimentaire du
XXIème
siècle m’intéresse aussi, particulièrement depuis la médiatisation de la crise
alimentaire de 2008-2009. L’eau et l’alimentation sont deux éléments essentiels au bien-être
de l’homme. Ces deux thématiques passionnantes se rejoignent sur la question plus générale
de « l’accès aux ressources » et relèvent des droits de l’homme. Or, bien des inégalités
perdurent à ce sujet. De plus, un grand titre du Courrier International « Touche pas à mes
terres : le Sud face à la razzia des pays riches »37
, m’interpelle. J’ai toujours voulu en savoir
plus au sujet de l’accaparement des terres parfois qualifié de « néocolonialisme ». Qu’en est-il
vraiment ? Choisir cette thématique pour mon mémoire est donc l’occasion d’approfondir mes
connaissances sur un sujet qui me passionne. D’autre part, le monde économique et financier
qui gère nos sociétés est encore une énigme pour moi. J’ai envie d’en comprendre le
fonctionnement. Travailler sur la financiarisation de l’agriculture est donc l’occasion
d’assouvir ma curiosité du monde financier.
Mais, c’est surtout ma participation au séminaire franco-ukrainien PARCECO intitulé
« Les coopératives agricoles ukrainiennes, entre réticence et espoir », organisé par
37
Courrier International, n°991, du 29 octobre au 4 novembre 2009
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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AgroSupDijon et l’Académie des Sciences d’Ukraine à Kiev, qui a confirmé le choix de ma
thématique de recherche. En effet, ces deux jours de séminaire suivis d’une journée de terrain
aux alentours de Kiev m’ont permis de constituer un réseau de contacts franco-ukrainiens,
chercheurs et professionnels du monde agricole, sur lequel m’appuyer pour organiser mon
terrain.
Mon choix est donc fait : ma recherche portera sur l’agriculture en Ukraine.
Cependant, la réalisation de ce travail ne peut se faire qu’à condition de résoudre le problème
linguistique. Je ne parle ni russe ni ukrainien, et peu d’Ukrainiens parlent anglais dans les
campagnes. Heureusement, mon réseau de contact ukrainien m’a permis de joindre Oléna
Ternavskaya, étudiante ukrainienne francophone, qui a accepté d’être mon interprète pendant
mon séjour en Ukraine. Le problème linguistique résolu, je peux enfin préciser mon sujet, et
construire ma méthodologie, en commençant par la problématique.
A. PROBLÉMATIQUE
Au moment où la Banque mondiale propose des règles de bonnes conduites à suivre
pour les implantations agricoles offshores, j’ai envie de voir par moi-même quel est l’impact
de cette nouvelle forme d’agriculture dans les pays cibles. Le mythe du « gagnant-gagnant »
de cette nouvelle agriculture prôné par les institutions internationales est-il un mythe ou une
réalité ?
Pour analyser l’impact sur les territoires locaux de ce modèle agricole émergent, j’ai
privilégié comme indicateur, la relation au territoire des nouveaux acteurs. Quelle relation ont
ces nouveaux acteurs avec leur territoire d’implantation, lui-même nouveau pour certains
d’entre eux ? Ainsi, pour comprendre l’impact sur les territoires locaux de ce nouveau modèle
agricole émergent, je souhaite identifier les gagnants et les perdants de ces nouveaux
investissements dans l’agriculture. J’ai décidé de m’intéresser à un pays cible peu médiatique
et rarement étudié : l’Ukraine. D’autant qu’il est pertinent d’analyser l’impact de cette
nouvelle agriculture sur le territoire ukrainien avant à la fin du moratoire interdisant la vente
des terres. En effet, son abrogation changera certainement la relation au territoire des
nouveaux acteurs dans la production agricole puisqu’ils deviendront propriétaires.
Ainsi, j’ai élaboré la problématique suivante :
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
48/174
Les nouvelles formes d’agriculture en Ukraine :
la relation au territoire des différents acteurs d’une entreprise de production agricole
tendant vers une « agriculture de firme ».
Pour répondre à la question des nouvelles formes d’agriculture en Ukraine, il faut déjà
connaître les formes préexistantes, et les comparer avec celles qui pourraient être nouvelles.
Ainsi, la différence pourrait être la présence de nouveaux acteurs. Il s’agit alors, de savoir si
ces acteurs sont nouveaux en Ukraine ou bien nouveau dans le secteur de la production
agricole, c'est-à-dire en reconversion d’activité. En effet, les investisseurs peuvent être
étrangers mais aussi nationaux, tels que les oligarques ukrainiens faisant fortune dans ce
nouveau secteur d’investissement qu’est devenu l’agriculture.
Pour répondre à la question de la relation au territoire, il faut d’abord se demander ce
qu’apporte ce nouveau territoire d’implantation aux investisseurs et où se trouve le siège
social de l’entreprise (les montages juridiques peuvent être complexes). Premièrement, le
territoire ukrainien se décline en quatre échelles administratives38
: nationale, régionale
(oblast), départementale (raion) et communale (conseil de village). Le potentiel agronomique
et la disponibilité des terres ne sont pas les mêmes sur l’ensemble du territoire national alors
que le coût de la main d’œuvre, lui, est homogène. Donc, quels critères territoriaux l’acteur a-
t-il choisi pour s’implanter ? Deuxièmement, l’entreprise échantillonnée n’est souvent qu’une
filiale d’une holding siégeant à Kiev voire à l’étranger. La relation au territoire peut changer
en fonction de la taille de l’entreprise, de son appartenance à une holding en Ukraine ou à
l’étranger. Les jeux relationnels avec l’administration peuvent aussi changer en fonction de la
taille de l’entreprise.
Enfin, il y a plusieurs acteurs dans une entreprise agricole. On peut décliner les acteurs
de l’entreprise à partir de l’organisation du pouvoir. J’ai été contrainte de m’intéresser
principalement aux acteurs ayant un pouvoir décisionnaire pour trois raisons. Premièrement,
parce qu’ils sont les mieux informés des choix de l’entreprise. Deuxièmement, parce que dans
le cas des entreprises étrangères, il est plus facile de communiquer avec un interlocuteur
français. Troisièmement, parce qu’en Ukraine l’approche des entreprises se fait par la
38
Le découpage administratif en Ukraine se fait ainsi : « conseil de village », « raion », « oblast ». Le
« Conseil de village » est la traduction littérale de « cільська рада » (silska rada) en ukrainien, l’équivalent de ce
que nous appellerions « commune » en français. Le « raion » est la traduction phonétique de « район » en
ukrainien qui peut se traduire par « district », « département », « espace », « secteur », « région ». Enfin,
« oblast » est la traduction phonétique de « област », en ukrainien qui peut se traduire par « région ».
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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« grande porte ». Il est alors difficile de communiquer avec un ouvrier agricole en présence de
son supérieur.
Pour des raisons linguistiques et de relatives facilitées d’approche, j’ai choisi de faire
ma recherche à partir du cas des acteurs Français, agriculteurs ou groupe financier, qui
investissent dans l’activité de production agricole en Ukraine. Ce type d’acteurs, pratiquant la
multilocalisation internationale voire la délocalisation, correspondrait aux caractéristiques de
l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine. Suite à un reportage de l’émission
Global Mag sur la chaine de télévision Arte, j’apprends qu’une entreprise française cotée en
bourse développe une activité de production agricole en Ukraine. Le journaliste explique que
les petits propriétaires qui louent leur paille ignorent que leur locataire est une filiale d’une
holding française. Cette information m’amène à me demander avec quels acteurs locaux ces
nouveaux acteurs investisseurs ont-ils des relations ? Dans un même temps, un reportage de
l’émission Zone Interdite de la chaine M6 raconte l’aventure agricole d’un jeune agriculteur
français installé en Ukraine. L’opinion publique s’interroge sur le fait de voir des agriculteurs
Français en Ukraine. L’agriculture française est connue pour son appartenance au modèle
familial. Qui sont ces agriculteurs qui « osent » rompre avec le lien à la terre, avec leur
patrimoine familial ? Pourquoi quittent-ils la France ? D’ailleurs, la quittent-t-ils vraiment ?
Comment ont-ils fait ? En effet, il y a de nombreux obstacles à l’implantation en Ukraine.
D’ailleurs, pas seulement pour les agriculteurs. La barrière linguistique en est le premier.
Mais, la culture aussi. Parmi les nouveaux acteurs qui m’intéressent, il y a donc des Français –
on le verra plus tard, investisseurs plus ou moins agriculteurs. Certes, leur présence en
Ukraine est marginale mais on parle d’un modèle émergent alors il ne peut pas être
représentatif quantitativement. Mais, comment démontrer qu’il s’agit-là non pas
d’expériences isolées mais d’une nouvelle dynamique annonçant l’arrivée d’un nouveau
modèle agricole ? Pour cela, j’ai définit trois hypothèses.
B. HYPOTHÈSES
Ma recherche porte sur la démonstration de l’émergence d’un nouveau modèle
agricole en Ukraine. Je suis donc à la recherche d’une nouvelle forme de production agricole
en Ukraine. Pour ce faire, je dois identifier les formes d’organisations agricoles détachées du
modèle familial, comme le propose la théorie Lamarche-Hervieu-Purseigle et identifier les
acteurs à l’origine de ces nouvelles formes. Il faudrait réussir à définir les entreprises de
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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production agricole avec des critères spatiaux. En effet, l’objectif plus général au programme
de recherche Agrifirme est d’aboutir à une typologie des entreprises de production agricole.
Cette typologie existe déjà en économie (rendement, rentabilité, etc). En tant qu’étudiante en
géographie, je participe donc à la construction d’une typologie, cette fois-ci, géographique
(impact sur le territoire) des entreprises de production agricole à partir de mon échantillon
d’entreprises de production agricole implantées en Ukraine.
La construction de mes hypothèses, c’est faite à partir de la réflexion suivante.
Premièrement, le qualificatif « émergent » d’un modèle entend que ce modèle n’est
pas pleinement existant et naît de la mutation d’un modèle préexistant. Ainsi, dans le cas du
modèle émergent appelé « agriculture de firme », le modèle familial serait son modèle
préexistant. Pour qu’il y ait émergence d’un nouveau modèle agricole, il faut que celui-ci soit
en rupture avec le modèle familial. La première hypothèse est donc l’émergence d’un
nouveau modèle agricole en Ukraine qui n’aurait plus de lien avec l’agriculture familiale.
Deuxièmement, Hervieu et Purseigle définisse l’ « agriculture de firme » comme un
modèle « hautement capitalistique et installée sur les marchés des matières premières »
(Hervieu, Purseigle, 2009 : 189). De plus, l’implantation agricole offshore est en rupture avec
l’ancrage territoriale fort de l’agriculture familial. Le patrimoine familial foncier n’aurait donc
plus sa place dans ce nouveau modèle émergent. La multilocalisation des entreprises devient
un avantage. Enfin, le point fait sur les acteurs à l’origine du phénomène de Land Grab, nous
indique que cette nouvelle forme d’agriculture est nouvelle d’abord par l’intervention du
secteur financier. Ce modèle serait donc celui d’une agriculture financiarisée. La seconde
hypothèse est donc que le modèle agricole qui émergerait en Ukraine est basé sur la flexibilité
et la financiarisation.
Troisièmement, comme le dénonce certaines ONG, le phénomène de Land Grab censé
avoir un effet « gagnant-gagnant » pour le pays cible et l’investisseur, aurait pour
conséquence l’expropriation des populations locales, des pollutions environnementales par
exemple par l’épuisement de la ressource en eau, la non création d’emploi par l’importation
de main d’œuvre originaire du pays de l’investisseur, etc. Cette nouvelle forme d’agriculture
ne bénéficierait pas à la majorité de la population du pays cible voire serait le lieu d’injustice.
La troisième hypothèse est donc que ce modèle agricole émergent en Ukraine a un impact
négatif sur les territoires locaux en Ukraine.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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C’est donc à partir de la théorie Lamarche-Hervieu-Purseigle et de la description des
acteurs à l’origine du phénomène de Land Grab que j’ai pu élaborer mes trois hypothèses de
départ :
Hypothèse 1. On constate l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine qui
n’a plus de lien avec l’agriculture familiale.
Hypothèse 2. Ce nouveau modèle agricole est basé sur la flexibilité et la
financiarisation.
Hypothèse 3. Ce nouveau modèle a un impact territorial négatif.
Ensuite, j’ai eu besoin de construire un protocole de recherche pour organiser la
recherche de données nécessaires pour répondre à mes hypothèses.
C. ÉLABORATION DU PROTOCOLE DE RECHERCHE POUR ORGANISER LA
RECHERCHE DES DONNÉES
a) Méthode utilisée pour construire mon protocole de recherche39
La vérification de mes trois hypothèses implique d’identifier les données nécessaires à
leur confirmation ou infirmation. Pour ce faire, j’ai décliné ma problématique en trois
thématiques, avec pour angle d’analyse, l’entreprise de production agricole. J’ai alors
construit mon protocole de recherche à partir des thématiques suivantes :
- l’organisation de l’entreprise
- la flexibilité de l’entreprise
- l’intégration de l’entreprise
Ensuite, j’ai subdivisée chaque thématique en sous-thématiques : thématique
« organisation de l’entreprise » : l’entreprise et ses acteurs, l’entreprises et sa stratégie,
l’entreprise et sa trajectoire ; thématique « flexibilité de l’entreprise » : le droit foncier, le
rapport à l’espace ; thématique « intégration de l’entreprise » : propriétaire foncier, réseaux
locaux, développement d’infrastructures, emploi, formes de production agricole.
Enfin, j’ai subdivisé chaque sous-thématique en questions empiriques à chercher sur le
terrain pour apporter des réponses à mes thématiques afin de vérifier mes hypothèses et
39
Disponible en annexe.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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répondre à ma problématique. Chaque thématique est donc subdivisée en catégories de
renseignement à obtenir. Ces catégories correspondent aux données que je recherche pour
répondre à mes trois hypothèses.
b) Comment accéder aux données que je recherche ?
Quelles ressources solliciter pour obtenir ces renseignements ? À chaque catégorie de
renseignement à obtenir correspond un acteur à rencontrer ou un support à trouver.
La bibliographie francophone sur l’agriculture ukrainienne au XXIème
siècle est très
peu fournie. J’ai donc fait des recherches bibliographiques par thématiques générales
distinctes les unes des autres et indépendamment de l’Ukraine, parce que très peu d’auteurs
traitent de l’agriculture en Ukraine. J’ai élargi ma recherche bibliographique à l’agriculture
des pays de l’Est (qui ne comprend pas l’Ukraine) et à l’agriculture russe. En effet, la Russie
et l’Ukraine partage la même histoire agraire et l’évolution actuelle de leur agriculture est
assez proche.
Mais, j’ai choisis de valider mes hypothèses par la caractérisation des entreprises que
je rencontrerai et plus précisément par leur trajectoire d’entreprise. Pour déterminer ces
trajectoires, l’accès le plus direct aux informations est l’obtention de documents internes.
Ceux-ci sont généralement mis en ligne sous forme de communiqué de presse,
particulièrement pour les entreprises cotées en bourse. Cependant, trouver ces communiqués
n’est pas toujours facile, particulièrement pour les « agroholdings » ukrainiennes. L’accès aux
documents internes doit donc se faire à la suite d’entretien, ce qui nécessite d’aller sur le
terrain.
D’autre part, la webographie est difficilement accessible, la majorité des entreprises de
production agricole rencontrées n’ont soit pas de site linguistiquement accessible (en anglais
ou en français), soit tout simplement n’ont pas de site internet. L’accès aux données
recherchées aurait pu être plus fructueux par l’utilisation de ressources ukrainophones ou
russophones, mais la barrière linguistique m’en a empêché.
Enfin, les documents institutionnels peuvent permettre l’accès au nom d’entreprise
étrangère par exemple via les ambassades ou via l’administration locale (en théorie). Les
mémoires des étudiants d’AgroParisTech m’ont aussi été utiles. Mais, ce sont les entretiens
qui ont représenté la plus grande source de données.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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D. MOYENS MIS EN PLACE POUR ACCÉDER AUX DONNÉES
De ce protocole de recherche s’est dégagé un guide d’entretien dense composé de
vingt-cinq questions. Ce guide a été long à construire parce qu’il m’a amené à faire des choix,
à poser certaines questions et pas d’autres, à réfléchir à leur ordre.
a) Méthode des entretiens : construction du guide
Au départ, j’avais l’intention de construire un guide par type d’acteur. Mais, je n’ai
finalement construit qu’un seul guide d’entretien destiné aux agriculteurs français qui
investissent en Ukraine. En effet, c’est d’abord avec eux que je suis entrée en contact.
J’ai construit mon guide en trois parties : dix-sept questions sur l’entreprise, six
questions sur l’intégration territoriale de l’entreprise et de l’agriculteur, et deux questions sur
les perspectives d’avenir de l’entreprise. Novice dans le milieu agricole, j’ignorai tout du
fonctionnement de la société ukrainienne. Des entretiens préliminaires téléphoniques
préliminaires m’ont alors permis de mieux comprendre les réalités locales d’implantation des
entreprises agricoles en Ukraine. Ainsi, j’ai pu améliorer mon guide d’entretien par la prise en
considération de certains facteurs essentiels à l’intégration territoriale tel que la corruption de
l’administration. Ces entretiens préliminaires m’ont permis de revoir mon guide d’entretien en
prenant en compte par exemple, la place des pots de vins dans la relation de l’investisseur
avec l’administration locale, que j’avais ignoré de mon guide jusqu’ici.
b) Méthode des entretiens : méthode pour entrer en contact avec les
acteurs
Qui peut m’aider à savoir où se trouvent les entreprises que je cherche à identifier et
les acteurs concernés ? Je dois entrer en contact avec deux types d’entreprises : des entreprises
d’investissement étranger mais aussi des entreprises nationales.
Dans le cas du premier type d’entreprise, j’ai ciblé les entreprises agricoles françaises.
Pour entrer en contact avec elles, je me suis d’abord appuyée sur les annonces de vente
d’exploitation agricole en Ukraine déposées dans le journal La France agricole et sur le site
Internet agriaffaires40
. De plus, je me suis déplacée au siège du journal La France agricole
pour avoir des renseignements sur le profil de ces agriculteurs, sans succès. En parallèle, j’ai
40
http://www.agriaffaires.com/occasion/vente-ferme/1628541/exploitation-en-ukraine.html consulté le
05.01.2011
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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contacté les quelques journalistes français, auteurs d’articles voire de reportages télévisuels
ayant eu pour sujet les agriculteurs français qui investissent en Ukraine. À ma grande surprise,
la majorité d’entre eux m’ont répondu. Par ailleurs, j’ai assisté à la soutenance de mémoire de
Master 2 de deux étudiantes d’AgroParisTech. Cette présence m’a permis d’entrer en contact
avec leur directeur de recherche Hubert Cochet, spécialiste des questions agraires, et de
rencontrer d’autres étudiants qui avaient eux aussi fait du terrain en Ukraine pour faire un
diagnostic agraire dans le cadre de leur master 2. De même, j’ai participé à plusieurs
séminaires, « Veut-on nourrir le monde ? L’agriculture au cœur de la géopolitique mondiale.
Quelles réponses politiques multilatérales pour la sécurité alimentaire ? » organisé par
Science Po Paris, « Les terres agricoles au cœur des enjeux mondiaux » organisé par la SAF-
agriculteurs de France, « Agricultures d’entreprises dans les Amériques : formes, impacts et
enjeux » organisé par des laboratoires de recherche de l’université de Toulouse, « Rencontre
franco-ukrainienne sur l’agriculture » organisé par le Salon International du Machinisme
Agricole, et enfin, les trois derniers séminaires dirigés par Marie-Claude Maurel à l’EHESS,
« Héritages agraires et nouvelles ruralités ». Ces séminaires ont été l’occasion de rencontrer
des chercheurs travaillant sur l’émergence du nouveau modèle agricole que serait
l’ « agriculture de firme », des représentants d’institutions françaises voire internationales,
mais aussi directement des professionnels du monde agricole dont les agriculteurs français qui
investissent en Ukraine.
Pour me faire accepter par les agriculteurs, j’ai dû insister sur mon statut d’étudiante
(et non de journaliste). De plus, j’ai dû proposer de garder les entretiens confidentiels et de ne
pas diffuser d’information entre les agriculteurs rencontrés.
C’est ainsi que j’ai pu entrer en contact avec les acteurs français. Quant aux acteurs
ukrainiens, un séjour en Ukraine a été nécessaire. Mais, je ne savais toujours pas où trouver ce
second groupe d’acteur.
c) Où aller en Ukraine ?
Pour choisir mon ou mes terrains de recherche en Ukraine, j’ai décidé d’aller sur les
exploitations agricoles des acteurs français avec qui j’étais en contact. C’est donc à partir de
la localisation des entreprises agricoles à capitaux français en Ukraine, que le choix des zones
d’étude s’est fait. Les zones étudiées recouvrent différentes régions ukrainiennes, politiques et
climatiques : sud-est, centre ouest, nord-est (voir Figure 16).
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Figure 16. Zones étudiées au cours de mon travail de terrain en Ukraine
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
L’ordre de passage dans les zones étudiées a nécessité une grande organisation. En
effet, la majorité des acteurs français rencontrés ne vivent pas en Ukraine, mais y passent
ponctuellement de cinq à dix jours. Pour rencontrer ces acteurs dispatchés dans toutes
l’Ukraine, je devais être sur l’exploitation au bon moment sans que ma présence à cet endroit
m’empêche d’être ailleurs avec un autre agriculteur. De plus, nos déplacements dépendaient
de la disponibilité des bus.
Parmi les quatorze entreprises agricoles françaises recensées en Ukraine, six non pas
pu faire l’objet de rencontre pour diverses raisons : l’une a refusé à ma visite, trois n’ont pas
été joignables, une autre a été vendu et j’ai manqué de temps pour aller sur l’exploitation de la
dernière.
En Ukraine, j’ai rapidement voulu élargir mon champ d’acteurs à celui des entreprises
agricoles installées en Ukraine et pas seulement aux entreprises agricoles à capitaux français.
D’ailleurs ce champ d’acteurs étrangers et nationaux était le champ prévu au départ. En effet,
j’avais renoncé à faire un guide d’entretien pour les entreprises à capitaux ukrainiens parce
que de France, je n’étais en contact avec aucune d’entre elles. Mais sur place, premièrement,
je me suis rendu compte que les entreprises agricoles à capitaux français ne sont pas les
entreprises agricoles les plus financiarisées d’Ukraine. Et deuxièmement, j’ai pu entrer en
contact avec d’autres entreprises que celles à capitaux français.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Comment suis-je entrer en contact avec les entreprises agricoles ukrainiennes ?
Chaque semaine passée sur une exploitation commençait par la rencontre de l’agriculteur
français. À ma demande, celui-ci me mettait en contact avec le maire du conseil de village
voire l’administration du raion, qui elle-même me mettait en contact avec des entreprises
agricoles. Dans certains oblast, il valait mieux passer par le maire, dans d’autres par
l’administration supérieure. Mais, ça pouvait aussi bien être l’agriculteur lui-même qui me
mettait en contact avec son réseau de fournisseurs pour me permettre de rencontrer ses
concurrents. Ce travail de recherche de contact a été long et très prenant. Il en résulte un
carnet d’adresse d’une centaine de contacts franco-ukrainiens, dont beaucoup ne sont que des
intermédiaires.
Mon travail de terrain a ainsi duré quarante-sept jours. J’étais accompagnée d’Oléna
Ternavskaya, étudiante ukrainienne francophone. Nous avons recueillis trente-neuf entretiens
dans cinq régions différentes d’Ukraine au sujet de douze entreprises agricoles ukrainiennes
ou étrangères dont sept à capitaux français. Nous avons pu enregistrer sept entretiens dont un
en ukrainien. Les conditions d’entretiens ne se prêtaient pas à l’enregistrement,
particulièrement dans le cas des entretiens avec l’administration ukrainienne, très méfiante.
Nous avons rencontrés d’autres difficultés. Par exemple, les acteurs administratifs,
habitués à la corruption, ou à une forme ou une autre de rétribution, ont entravé l’accès aux
données statistiques de l’oblast, du raion, des conseils de villages, mais aussi aux cadastres et
aux listes d’entreprises agricoles installées dans la région. Malgré tout, nous avons obtenu
quelques données que j’ai malheureusement eu l’occasion d’infirmer sur le terrain. D’autre
part, même si la rencontre d’entreprises agricoles ukrainiennes a été possible, les entretiens
sont souvent de moins bonne qualité que les entretiens auprès des acteurs français. Plusieurs
raisons à cela : premièrement, la difficulté à travailler avec un interprète, en plus dont ça n’est
pas la formation. Plus il y a d’intermédiaire dans la traduction de la question et de la réponse,
moins l’entretien est claire et précis. Deuxièmement, les Ukrainiens, particulièrement
l’administration, restent évasif dans leur réponse. En effet, mes questions surprennent et
rendent les interviewés méfiants. L’obtention de documents internes m’a été quasi
systématiquement refusée. Troisièmement, les réponses peuvent être techniques et dépasser
nos connaissances. De même, les informations obtenues dans les entretiens avec
l’administration ne sont pas toujours vérifiées sur le terrain, notamment les données
numériques. Le système politique local n’étant pas soutenu par une administration de
fonctionnaires indépendants des logiques partisanes, les alternances politiques locales mettent
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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à mal la stabilité de mon réseau d’information ; de même que mes contacts villageois du fait
de leur âge avancé. Enfin, à Kiev, nous avons tenté d’accéder au siège social de l’entreprise
Petro, une des grandes entreprises agricoles ukrainiennes, sans succès. Les locaux de la
société sont difficilement accessibles et le site internet officiel hors service. Pourtant, cette
entreprise serait cotée en bourse. La recherche d’information a été longue, et les obstacles
rencontrés l’ont parfois rendue décourageante.
Heureusement, le terrain ukrainien a aussi des avantages. D’abord, la réalisation
d’entretien sans rendez-vous est encore faisable aussi bien au sein du privé que de
l’administration. Les gens s’adaptent très bien à notre présence imprévue. La période de
terrain de fin mars à début mai en Ukraine est idéale pour rencontrer les agriculteurs qui ne
peuvent pas travailler au champ du fait de conditions climatiques fraiches et pluvieuses. C’est
seulement moi drôle pour le confort de deux étudiantes en vadrouille. De plus, les agriculteurs
proposent naturellement de faire visiter leur exploitation, ça leur permet ainsi de jeter un coup
d’œil sur l’état des champs en cours de séchage avant l’ensemencement. Cependant, pour les
prochaines fois, il faudra penser à insister pour faire l’entretien avant la visite. En effet, c’est
plus pratique pour l’enregistrement et la compréhension de l’entretien.
Pour conclure, la mutation des modèles agricoles dans le contexte de globalisation
amène à l’émergence d’un nouveau modèle qui serait l’ « agriculture de firme ». Cette
nouvelle forme d’organisation de l’agriculture émergerait en Ukraine, nous l’avons vu, terrain
propice à de nouvelles formes d’investissements agricoles. Mais, concrètement quels sont les
acteurs à l’origine de ces investissements ? Ces acteurs ont-ils les mêmes objectifs ? Ce
phénomène en Ukraine présente-t-il les caractéristiques de l’ « agriculture de firme » ?
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PARTIE 2. TYPES D’ACTEURS ET TRAJECTOIRES D’ENTREPRISES
Ces dernières années, l’Ukraine a connu un afflux importants d’investissements
étrangers dans le secteur agricole notamment sous la forme d’acquisitions foncières dont la
production céréalière est destinée à l’exportation. Comme nous l’avons vu dans la partie 1.2,
l’Ukraine est un pays cible des IDE qui a été identifié pour ses terres fertiles, son abondance
en eau et son potentiel de productivité agricole.
Cela se traduit sur le terrain par l’arrivée récente, depuis 2005, d’investisseurs
développant des projets d’installation d’exploitation agricole. Ces projets sont des reprises
d’anciennes exploitations collectives et sont menés par des acteurs différents tant du point de
vue de leur parcours que de leurs objectifs. C’est la raison pour laquelle nous proposons dans
cette deuxième partie, une typologie de trois types de trajectoire d’entreprise. Ces trajectoires
se différencient par le profil de leurs initiateurs, par la dimension du projet, par la stratégie de
développement de l’entreprise, et par l’objectif visé. Certains investissements sont une vitrine
de ce phénomène qui cache en réalité beaucoup d’autres initiatives moins importantes.
Parmi les investisseurs étrangers en Ukraine, on trouve ainsi : le fond d’investissement
Morgan Stanley qui a racheté 40 000 ha de terres agricoles en Ukraine (Grain, 2008). Mais
aussi, Renaissance Capital, société d’investissement russe, qui a acquis des droits de propriété
en Ukraine (Grain, 2008). Landkom aussi, un groupe d’investissement britannique, a loué
100 000 ha de terres agricoles en Ukraine et s’engage à porter ce chiffre à 350 000 ha d’ici
2011 (Grain, 2008). Trigon Agri, société danoise, a plus de 70 000 ha répartis en Ukraine,
Russie et Estonie (Grain, 2008). La Libye, État investisseur en Ukraine aurait obtenu 100 000
ha suite à un accord annoncé en mai 2009 (Visser et Spoor, 2011) voire 250 000 ha d’après
l’ONG Grain en échange d’approvisionnement en gaz (Grain, 2008). De même, les sociétés à
fond d’investissement étranger citées ci-dessous investiraient en Ukraine (Visser et Spoor,
2011) : Agrisar de fonds anglais, néerlandais et suisse ; Alpcot Agro de fond suédois ; GAIA
World Agri Fund de fond suisse ; Kyiv-Atlantic Ukraine de fonds américains, danois et
ukrainiens ; Land West Company de nationalité ukrainienne avec des actionnaires européens,
américains et ukrainiens ; Maharishi Organic Farm de fonds japonais et australiens ; MTB
Agricole de fonds ukrainiens et australiens ; Oringin Enterprises de fonds anglais et irlandais
(voir Annexe 3 pour la liste détaillée).
Parmi les investisseurs étrangers dans la production agricole, on constate aussi la
présence d’investisseurs français comme AgroGeneration qui a investi vingt-deux millions
d’euros en 2007 pour louer des terres en Ukraine. En 2010, la société a annoncé une
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augmentation de capital et sa cotation sur Alternext de NYSE-Euronext, marché bousier
destiné aux PME41
, pour accélérer ses acquisition de terres en Ukraine. De même, le 29 juin
2011, AgroGeneration annonçait, sur son site internet et via la publicité dans les journaux
économiques tels que La Tribune42
, le lancement d’une nouvelle augmentation de capital de
dix millions d’euros, cette fois-ci pour investir dans les infrastructures de stockage en Ukraine
mais surtout pour lancer le développement de la société en Argentine. La société se décrit
comme « un acteur industriel pragmatique et agile qui propose des réponses concrètes au
défi alimentaire mondial »43
. De même, des groupes agro-alimentaires français sont présents
tels que Malteurop, filiale de Champagne Céréales et Soufflet pour la production d’orge de
brasserie. À côté de ces sociétés de production agricole, des sociétés de conseil accompagnent
également ce mouvement, à l’exemple d’Agritel44
, société française de conseil crée en 2000,
spécialisée dans la gestion du risque de prix dans les filières agricoles et agro-alimentaires. La
société propose des formations aux professionnels du secteur agricole en Ukraine, notamment
sur la réglementation à l’acquisition de terres. Dans le même but, depuis 2010, Agritel
International propose des voyages d’étude en Ukraine. On trouve ainsi des opérateurs à tous
les niveaux : de la production agricole au secteur agroalimentaire en passant par tous les
prestataires de service et d’agence de conseil ou d’influence.
Le tableau ci-après fait le point sur les conditions requises pour s’installer en Ukraine.
Sa lecture permettra de mieux comprendre le contexte général d’implantation des entreprises
agricoles rencontrées et les enjeux qui s’ensuivent.
Figure 17. Défrichage d’une parcelle de l’entreprise Rousseau en 2006. Réalisation : Rousseau
41
Petites et Moyenne Entreprises. 42
La Tribune, jeudi 30 juin 2011 43
www.agrogeneration.com 44
www.agritel.com
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Conditions requises pour s’installer en Ukraine
Pour connaître les premières démarches administratives quand « t’as pas la langue, t’arrives là, tu ne
sais pas quoi faire » (Martin), l’investisseur a besoin d’un prête-nom local qui puisse faire profiter de son
expérience ukrainienne.
Étape 1. Prospecter pour trouver un endroit favorable.
Après plusieurs visites en Ukraine, l’investisseur a pu rencontrer des étrangers déjà installés et
apprendre de leurs erreurs. « Le monde agricole des étrangers en Ukraine est petit » (Martin), pour rencontrer
les agriculteurs expatriés, il suffit de se présenter aux salons agricoles. De plus, par l’analyse des conditions
pédoclimatiques régionales, l’investisseur peut cibler une région. Il lui reste alors à trouver une entreprise
ukrainienne en faillite à racheter. Or, cette information est devenue de plus en plus stratégique. Une fois la
région ciblée, l’investisseur rencontre l’administration, crée un réseau sur place et propose une « récompense »
en échange de noms d’entreprises prêtent à vendre.
Étape 2. Trouver des financements.
Dans le cas de la première trajectoire : une fois l’entreprise en faillite trouvée, le jeune investisseur doit
convaincre ses parents de la pertinence de son projet et négocier une aide financière de leur part.
Dans le cas des deuxième et troisième trajectoires : une fois l’entreprise en faillite trouvée,
l’investisseur monte un business plan et fait appel pour part à sa capacité d’investissement mais surtout aux
financements bancaires auxquels il a accès.
Pour que le projet soit viable, il faut 1 000 000 € d’investissement pour 1 000 ha.
Pour s’installer en Ukraine, il faut donc de l’argent à investir et un réseau de contact ukrainophone
mais aussi de relations pour monter le projet.
Étape 3. Procéder à l’achat.
Pour acheter le capital social de l’entreprise en faillite, l’investisseur doit acheter un pas de porte.
Cependant, le rachat du capital social ne donne pas accès aux terres, propriétés des villageois. La nouvelle
entreprise doit donc obtenir la confiance des propriétaires et mettre en règle les contrats de location souvent
caduques jusqu’ici.
Le loyer payé par les entreprises de l’échantillon est de 40 € par hectare par an. La durée moyenne du
bail est de cinq ans.
Étape 4. Défricher.
À l’arrivée des investisseurs, il y a cinq ans, les terres étaient souvent en état de friche. Or, une
exploitation ne peut pas devenir rentable sur un champ envahit de chiendent (voir Figure 17). Le défrichement
des terres pour obtenir des terres aptes à la production agricole dans de bonnes conditions de rentabilité, ce
qu’on appelle une remise en culture de terres, exige un travail important. L’exploitation doit donc disposer d’un
cash flot suffisant pour faire face à un an et demi d’absence de recette significative.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Dans cette deuxième partie, il s’agit de construire une typologie des entreprises
rencontrées à partir de leur trajectoire. Mais, présentons d’abord la méthode utilisée pour
construire les trajectoires d’entreprise. Même si les acteurs ont le même caractère final, ils
n’ont pas la même trajectoire. Cette différenciation s’est faite à partir d’indicateurs,
principalement qualitatifs : organisation du pouvoir, présence d’associé ; maintien ou
substitution de l’activité agricole en France ; âge des investisseurs ; objectifs de l’entreprise,
choix d’innovation technologique ; stratégie spatiale, superficie, flexibilité, mobilités ;
stratégie financière ; montage juridique, lieu du siège social, nombre de filiales et
d’établissements ; lieux d’investissements, infrastructure, agrandissement ; montage financier,
origine des capitaux.
Le matériel utilisé pour répondre à ces indicateurs est composé d’entretiens
téléphoniques, d’entretiens en face à face et d’observation in situ réalisés au cours du premier
semestre 2011 auprès d’un échantillon de douze entreprises et d’autres acteurs tels que
l’administration ukrainienne, Ubifrance, la filiale ukrainienne du Crédit Agricole et Agritel.
L’échantillon étudié se divise en deux parties : les entreprises dont les investisseurs
sont français (il s’agit des entreprises Martin, Rimbaud, Rousseau, Mercier, Dupont, Leroy
dont ses deux établissements Leroy 1 et Leroy 2)45
et les entreprises dont les investisseurs
sont ukrainiens et/ou étrangers non français (Sacha, Mirko, Ivan, Petro, Groen, Luda).
Le premier groupe, d’investisseurs français, présente des motivations variables au
projet d’implantation en Ukraine. Cependant, tous les directeurs d’entreprises
d’investissements français ont exprimé, de manière plus ou moins affirmée, leur aspiration à
ce qu’ils appellent « un modèle libéral » qu’ils entendent avant tout comme un monde à
l’économie capitaliste et accordant aux individus une grande liberté, notamment celle
d’entreprendre. Ainsi, la politique européenne d’aide et de régulation à l’agriculture est vécue
par tous comme une contrainte dont ils entendent se libérer : s’implanter en Ukraine, c’est
accepter la dérégulation du marché international dans un environnement plus concurrentiel,
s’est se blottir dans le creux de la main invisible mais convenante du marché.
Les motivations à ce projet sont à la fois idéologiques et économiques. C’est l’envie
d’entreprendre qui est mise en avant ; bâtir, dans un eldorado : le pays mythique du grenier à
blé, y apporter le progrès. S’est aussi s’inscrire en rupture avec l’agriculture subventionnée et
les normes qu’elle impose, devenir un acteur libre : être indépendant des aides et avoir une
45
Pour des questions de confidentialité, le nom des entreprises évoquées a été changé.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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activité économiquement viable. De plus, la production céréalière est un marché de plus en
plus attractif en raison de la demande alimentaire croissante et de la non extensibilité des
bassins de production, contexte d’opportunité de marché décrit dans la partie 1.1. Certains ont
ainsi expliqué être à l’affut de ce qui se passe à l’étranger (Martin), lorsque d’autres ont mis
en avant la volonté de répondre à la demande alimentaire croissante (Dupont). Ils adossent
donc leur quête d’indépendance et de recherche de profit – motifs très individualistes – à des
vues plus altruistes ou instruites sur l’état de la planète et le rôle qu’ils pourraient y jouer.
Les motivations évoquées ci-dessus sont donc en rupture avec le modèle de
l’agriculture familiale et pourtant la famille est très présente, avec peut-être un nouveau rôle.
Ainsi, tous les entretiens se concluent par l’évocation d’une aventure d’abord familiale où
l’accord de l’épouse ou des parents a été décisif. Dans le cas d’une entreprise sociétaire,
systématiquement au moins deux des associés ont un lien de parenté. L’inscription dans une
filiation est encore plus évidente lorsqu’on constate que tous les directeurs d’entreprise et la
majorité des associés ont une activité agricole héritée de leurs parents en France excepté
l’entreprise Leroy. Cette dernière résulte d’un choix, à partir d’une logique de réflexion
financière, d’intégration verticale par une remonté de l’activité de traders sur le marché des
matières premières à celle de producteur. Cette origine familiale montre bien le lien à
l’agriculture familiale par la transmission culturelle et familiale du métier.
Le choix de l’implantation en Ukraine est l’aboutissement, souvent, d’une recherche
approfondie dans plusieurs pays tels que la Roumanie, la Pologne ou la Russie. L’Ukraine, à
quatre heures de Paris en avion, a l’avantage de permettre et même de promouvoir le fermage.
Les entreprises ont donc choisit l’Ukraine comme pays d’implantation pour son mode de
faire-valoir46
, permettant de lier faible coût d’accès au foncier et flexibilité. En effet, la
location limite le coût d’investissement, le mode d’entrée du marché permet ainsi d’accéder à
un foncier abondant plus rapidement et avec un capital immobilisé plus limité. Cependant, il
faut nuancer l’avantage de ce mode de faire-valoir confortable pour l’entreprise seulement sur
le court terme. En effet, très rapidement au bout de quelques années, la majorité des
entreprises cherchent à sécuriser leur foncier afin de garantir leurs nécessaires investissements
en machines-outils et en infrastructures d’exploitation (silos, etc.).
46
Le mode de faire-valoir correspond au mode de gestion du capital foncier de l'exploitation. On
distingue le mode de faire valoir direct où l'exploitant est le propriétaire foncier, du mode de faire-valoir indirect
où l'exploitant n'est pas le propriétaire. Le mode de faire-valoir indirect est qualifié de métayage lorsque le
métayer partage ses récoltes avec le bailleur alors qu'il est qualifié de fermage lorsque l'exploitant agricole
conserve son indépendance et gère son exploitation comme il l’entend, que les produits lui reviennent et qu'il en
assure les risques.
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Parmi le deuxième groupe, d’investisseurs ukrainiens, deux entreprises ukrainiennes,
Sacha et Mirko, sont à la marge puisqu’elles ont un fonctionnement encore très proches du
modèle familial et disposent de moins de 1 000 ha, contrairement au reste de l’échantillon. Il
s’agit de reprises réussies d’une exploitation kolkhozienne par le directeur pour la première et
par l’ingénieur pour la seconde. Cependant, leur cas est intéressant car elles représentent le
deuxième type de structure agricole rencontré en Ukraine décrit dans la partie 1.2. De plus, si
leur existence persiste dans l’environnement concurrentiel des « agroholdings » c’est bien que
ces deux entreprises présentent des capacités d’adaptation qu’on comparera avec les
adaptations liées à l’implantation d’entreprises françaises.
Une troisième entreprise ukrainienne, Luda, propose un profil qui se veut résolument
tourné vers l’innovation, c'est-à-dire vers les pratiques agricoles occidentales. Cette
orientation atypique dans le monde des entreprises agricoles ukrainiennes nous a cependant
semblé intéressant dans ce travail comparatif, à une échelle d’exploitation, plus importante,
avec leurs homologues français.
Enfin, il reste, parmi les grandes sociétés présentes sur le territoire ukrainien, les
entreprises Groen, Ivan et Petro. Si Groen et Ivan sont des sociétés enregistrées en Ukraine
mais à capitaux étrangers à l’image de l’entreprise française Leroy, la société Petro présente la
particularité d’un capital essentiellement ukrainien.
Les entreprises ukrainiennes au contraire des entreprises françaises, ne vivent pas le
passage d’une agriculture familiale à l’agriculture de firme mais celui d’un modèle
collectiviste à la propriété privée. Car, elles sont elles aussi soumises à des dynamiques
introduites par la financiarisation de l’agriculture et se trouvent contraintes de s’y adapter.
Toutes les entreprises sont spécialisées dans la production extensive47
en céréaliculture
et oléoprotéagineux alors qu’en Ukraine le mode de production adopté était plutôt de la
polyculture-élevage même dans les exploitations collectives type sovkhoze et kolkhoze.
Certaines des entreprises ukrainiennes rencontrées présentent ainsi une part variable de leur
exploitation tournée vers une production de polyculture-élevage. Elles ont, par ailleurs, une
parenté plus ou moins marquée avec les structures d’exploitations collectives qui les ont
précédées.
47
L’agriculture extensive est un système de production agricole que l’on retrouve dans les régions à
grandes superficies agricoles qui n’ont pas les moyens ou qui prennent le partie de ne pas mobiliser autant
d’intrants et d’aménagement qu’en agriculture intensive. Le rendement à l’hectare est donc généralement plus
faible, mais compensé par des conditions naturelles meilleures, par une superficie plus importante ou par un
produit revendiquant un impact écologique réduit. Cependant, l’immense majorité des exploitations sont
extensives non pas par choix mais par manque de capacité de financement.
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À partir de l’analyse des entretiens, trois trajectoires d’entreprises se dégagent comme
marquant les étapes entre le modèle d’agriculture familiale moderne et l’agriculture
financiarisée en totale rupture avec le modèle familial. J’y ai intégré les entreprises
ukrainiennes bien qu’elles marquent plutôt une origine collectiviste que familiale parce qu’en
dehors de cette origine, elles présentent des caractéristiques identiques aux différents
indicateurs choisi dans la méthodologie pour définir les trois trajectoires. Notamment, en
termes de dimension économique, d’intensification et de commercialisation de la production.
Ces trois derniers indicateurs nous permettrons de comparer les différences d’insertion
économique que les entreprises ukrainiennes partagent ou non avec les entreprises françaises.
1. 1ÈRE
TRAJECTOIRE D’ENTREPRISE : CAS DES ENTREPRISES ROUSSEAU,
MERCIER, SACHA ET MIRKO
Trajectoire 1
entreprise Rousseau Mercier Mirko Sacha
année de création 2006 2010 1997 2001
nombre associés 0 2 0 0
nombre hectares 2011 1 500 1 500 450 706
nombre propriétaires 600 400 n.r n.r
durée du bail 5 ans 5 ans 5 ans 5 ans
zone d'étude B B B B
Remarque : « n.r » signifie non renseigné
Les quatre entreprises Rousseau, Mercier, Sacha et Mirko sont situées dans le même
conseil de village48
. Chacune d’entre elles est installée sur une des anciennes unités de
production du kolkhoze. Les entreprises Rousseau et Mercier sont d’origine française tandis
que les entreprises Sacha et Mirko sont d’origine ukrainienne. L’analyse de la première
trajectoire est ici séparée en deux groupes par l’origine des capitaux de l’entreprise. Dans le
cas français, il s’agit de faire ressortir la tension continuité/changement avec le modèle
familial français. Alors que dans le cas ukrainien, il s’agit plutôt de montrer la tension
continuité/changement avec le modèle agricole de l’époque soviétique.
48
Un conseil de village, est un ensemble de trois à cinq villages regroupés sous l’autorité d’une seule
mairie. Le nombre de village dans un conseil de village correspond souvent au nombre d’unité de production
d’un kolkhoze. Le conseil de village était le kolkhoze et chaque village correspondait à une unité de production.
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A. ENTREPRISES ROUSSEAU ET MERCIER, D’ORIGINE FRANÇAISE
Les entreprises Rousseau et Mercier sont arrivées en Ukraine respectivement en 2006
et 2010. Toutes deux louent 1 500 ha. Seule l’entreprise Mercier a plusieurs associés, ils sont
au nombre de deux, tous deux agriculteurs. L’associé principal a 80 % des parts tandis que le
second en a 20 %, arrivé quelques mois après la création de l’entreprise. Si l’entreprise
Mercier a cherché un associé c’est parce qu’au départ, le directeur avait encore son activité en
France et ne pouvait donc pas gérer seul ses 600 ha en France et 1 500 ha en Ukraine.
L’entreprise Mercier s’est établie dans le sillage et avec l’aide de l’entreprise Rousseau. En
effet, l’associé principal de l’entreprise Mercier s’est porté acquéreur de l’exploitation
Rousseau dont le propriétaire voulait s’agrandir et cherchait à cette fin une nouvelle
exploitation plus grande ou comparable mais extensible. Finalement, le projet du propriétaire
de l’exploitation Rousseau ne s’est pas réalisé mais le contact a abouti par un soutien
logistique à la création de l’entreprise Mercier.
Les directeurs de ces deux entreprises sont ceux qui ont exprimé le plus fortement leur
« ras-le-bol » de la France, de la PAC49
, de ne pas pouvoir s’agrandir. Tous trois fils
d’agriculteurs, ils n’avaient aucune autre perspective professionnelle que celle de reprendre
l’exploitation agricole familiale déjà agrandie à son maximum par leur père respectif. Ces
trois agriculteurs, les plus jeunes de l’échantillon, sont âgés de moins de trente ans. Pour deux
d’entre eux, c’est leur première expérience de création d’une exploitation agricole. Ils sont
aux commandes de toutes les tâches quotidiennes et des décisions stratégiques de leur
exploitation. Au cours des entretiens l’un d’entre eux affirme ainsi « Je suis agriculteur avant
tout » (Rousseau). Ils font le travail manuel eux-mêmes parce qu’ils aiment ça, parce qu’ils
aiment être sur leur tracteur et voir leur champ.
Ces trois agriculteurs s’inscrivent dans une démarche de changement malgré une
continuité avec le modèle familial.
a) Un changement d’espace social, l’aspiration à une vie nouvelle
L’exploitation agricole en France est, pour les trois associés, celle de leur parent ou est
un regroupement de leur propre exploitation avec celle de leur parent dans le cas de l’associé
principal de l’entreprise Mercier. L’exploitation en France semble avoir toutes les
49
Sigle de la Politique Agricole Commune
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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caractéristiques d’une exploitation familiale classique. En effet, comme ça l’est décrit dans la
partie 1.1, la famille est bien l’unique centre de décision et de ressources, dont la finalité est
sa propre reproduction. La rupture avec le modèle familial se fait donc au passage d’une
génération à l’autre.
Changement du lieu de vie
Dans cette trajectoire, il s’agit d’abord d’un changement d’espace pour une nouvelle
vie. Ces agriculteurs sont les seuls de l’échantillon à avoir quitté la France de façon définitive
puisqu’ils ont migré en Ukraine, où ils ont établi leur domicile principal. Jusqu’ici, suite à leur
formation agricole, d’un niveau Bac+3, ils n’avaient été exploitants agricoles que sur ou avec
l’exploitation de leur parent. Mais, refusant de reprendre l’exploitation agricole familiale sans
perspective d’évolution, ils ont fait le choix de vivre à temps complet en Ukraine, en dehors
des deux mois hivernaux, sans activités : décembre et janvier.
D’autre part, ces trois directeurs d’entreprise expriment plus que les autres leur
aspiration à une autre image du métier d’agriculteur. En s’installant en Ukraine, ils fuient ce
qu’ils voient comme une dépréciation sociale, « l’image de l’agriculteur bouseux » (Mercier).
Changement du mode de vie
Ce changement de lieu de vie entraine un changement de mode de vie. Premièrement,
les agriculteurs vivent en ville à une quarantaine de kilomètres de leur exploitation alors qu’en
France, ils vivaient sur l’exploitation même. Deuxièmement, la distance avec la France rend
les visites amicales et familiales beaucoup moins fréquentes. Troisièmement, la barrière
linguistique rend les rencontres difficiles. Les us et coutumes de la société ukrainienne sont
différents, les agriculteurs doivent s’y adapter.
Délocalisation ou déménagement de l’activité agricole
La création des entreprises s’est faite par transfert du capital de l’exploitation de leurs
parents. Il s’agit donc d’une véritable délocalisation économique. Le flux de capital est
substitutif, au sens où il révèle le transfert d’une activité et/ou de son revenu familial en
France vers la création de l’activité en Ukraine. Ces trois agriculteurs ont ainsi liquidé ou
liquident progressivement les exploitations de leurs parents. Ils n’ont plus d’activité en
France. Cependant, il faut noter que le second associé de l’entreprise Mercier a encore des
droits sur l’exploitation française même s’il ne participe plus aux tâches quotidiennes de
l’exploitation. D’ailleurs, s’il détient seulement 20 % des parts de l’entreprise c’est parce que
contrairement aux deux autres, il n’a pas vendu l’exploitation familiale.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Ces agriculteurs ont substitué l’activité de l’exploitation agricole familiale française
par une nouvelle activité en Ukraine. Ils ont fait le choix de délocaliser l’activité de
l’exploitation familiale par un transfert des trois principaux facteurs de production qui sont la
terre, le capital et le travail50
. Précisons que ces agriculteurs ne qualifieront pas eux-mêmes ce
choix de délocalisation. Pour eux, il s’agit d’un choix de vie qui a été négocié avec les parents
ou la fratrie afin de financer ce changement qui s’apparente, dans leur esprit, bien plus à un
déménagement.
Le choix de quitter la terre familiale pour s’implanter à l’étranger est un phénomène
nouveau. Il y a eu historiquement des migrations rurales d’agriculteurs en France, comme
celles depuis la Bretagne vers le Sud-Ouest étudiées par l’historien Paul André Rosental. Une
migration porte en soi un processus d’évolution, et en l’occurrence, les migrations agricoles
étudiées ici ne sont pas seulement intra-nationales mais internationales. Ce qui change, c’est
donc l’échelle à laquelle se fait la migration. Mais, ce changement plus radical de lieu ne se
fait pas sans changement des pratiques d’exploitation agricole.
b) Un changement des pratiques agricoles…
Cette migration/délocalisation a donc constitué une rupture sociale pour ces
agriculteurs. Toutes les campagnes ne se ressemblent pas et leur existence en Ukraine
demande d’inévitables adaptations. Le contexte ukrainien est porteur de changement quant à
l’exploitation elle-même, car la législation, les acteurs économiques et le marché ne sont pas
les mêmes qu’en France. On observe donc un changement des pratiques agricoles du au
contexte de développement de ces entreprises agricoles.
La production en Ukraine est à une échelle différente
On constate une rupture de la pratique agricole, avec celle des générations
précédentes, en termes d’échelle et de commercialisation. En effet, les productions des parents
s’appuyaient sur une exploitation de 200 à 600 hectares et étaient destinées à la vente à une
coopérative. Alors que, les trois jeunes agriculteurs installés en Ukraine, premièrement
travaillent sur une exploitation de 1 500 hectares soit 2,5 à 7,5 fois plus grande que celle de
leur parent ; et deuxièmement, le statut de coopérative n’existant pas en Ukraine, la
commercialisation de la production se fait par des réseaux différents parfois plus directs.
50
Maurel in Charvet, 2009[2008]
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Les modalités possibles de commercialisation de la production agricole en Ukraine
Le statut de coopérative n’existant pas en Ukraine, la commercialisation de la production se fait par des réseaux
différents parfois plus directs.
Les agriculteurs traitent généralement avec les sociétés occidentales. Parmi les sociétés françaises Soufflet
Négoce et Louis Dreyfus Négoce sont très présentes. Parmi les autres Cargill, Toepfer, Glencore et Nidera sont
très présentes aussi. Certains traitent aussi avec des opérateurs privés locaux à condition d’avoir un contact
fiable.
Dans le cas des entreprises échantillonnées
- pour les cultures d’exportation, les entreprises n’exportent pas elles-mêmes la production. Elles
s’adressent à un trader qui a des droits à l’exportation et qui achète directement la production aux
agriculteurs.
- pour les cultures transformées en Ukraine, l’agriculteur travaille avec un intermédiaire qui a ses entrées
dans les usines de transformation locale particulièrement dans le secteur du blé et de l’huile de
tournesol.
- pour l’orge de brasserie, les entreprises travaillent avec les filiales de la coopérative française
Champagne Céréales.
Dans cette commercialisation moins encadrée, la « petite » taille relative de ce premier
type d’entreprise est aussi un signe de fragilité : elles n’ont « que » 1 500 ha dans un pays où
les exploitations peuvent être encore beaucoup plus grande. Elles sont alors plus vulnérables
aux acteurs de l’aval, elles ont moins de pouvoir de négociation. L’Ukraine apporte aussi ce
changement d’échelle : ces agriculteurs veulent jouer dans la cours des grands mais n’en sont
pas, dans le contexte ukrainien. La taille de leur exploitation est due à un contexte national,
dans un pays où les exploitations se constituent toutes par un système de baux, le capital
d’investissement à l’hectare est réduit pour tous les acteurs. Ils dimensionnent donc leur
exploitation à la hausse, leur « petite » exploitation est plus grande qu’elle ne l’était en
France, mais les grandes exploitations qui les concurrencent bénéficient elles-aussi du même
contexte. On verra par la suite que malgré la taille de l’exploitation, la production, la
commercialisation et l’accès aux crédits sont aussi en continuité avec le modèle familial
acquis dans l’enfance.
Une flexibilité nouvelle des unités de production : émancipation au territoire ?
La migration internationale France-Ukraine, s’accompagne d’une mobilité intra-
nationale dans le pays étranger. Par exemple, depuis un an, l’entreprise Rousseau souhaite
changer d’exploitation. En effet, elle n’a plus de possibilité pour s’agrandir à cause de la
présence de l’ « agroholding » ukrainienne Ivan présentée dans la troisième trajectoire. La
volonté de l’entreprise Rousseau de changer son lieu d’exploitation, pour trouver un terrain
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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plus grand, montre une possible mobilité - cette fois intra-nationale - de l’activité agricole tout
à fait nouvelle. L’entreprise trouve en Ukraine, où le moratoire empêche une répartition figée
des exploitations, le lieu idéal de son développement. En France, le lieu d’exploitation est
aussi le lieu de vie, marqué par un héritage patrimonial fort. La propriété, les dettes et
l’immobilité des investissements personnels, familiaux aussi bien qu’économiques rendent
souvent inenvisageable cette logique de flexibilité intra-nationale. Ces acteurs montrent là une
émancipation vis-à-vis de l’attachement à un territoire qui caractérise l’agriculture familiale.
Ces agriculteurs ont fait leur « deuil du lien à la terre » (Rimbaud). Nous sommes donc en
présence d’une rupture avec la nature patrimoniale de l’exploitation de leurs aïeuls. Rupture à
nuancer toutefois car si la mobilité est possible, celle-ci est loin d’être répandue. Ainsi, le
directeur de l’entreprise Rousseau envisage de changer d’exploitation mais craint tout à la fois
d’y perdre la relation qu’il a construite à sa localité. Seule l’entreprise Rimbaud, de la
deuxième trajectoire, a entamé des démarches concrètes de prospection. Il y a donc un
attachement au territoire même s’il n’est plus tenu par des contraintes matérielles et
financières.
Commercialisation de la production : financiarisation ?
Les entreprises françaises de cette trajectoire tentent d’abord de traiter avec des
sociétés françaises pour la commercialisation de leur production. Ainsi, l’entreprise Rousseau,
les premières années, a travaillé en contrat de production pour de l’orge de brasserie avec le
groupe français Soufflet. Cependant, la jeune entreprise n’a pas souhaité réitérer cette
expérience. En effet, son directeur explique que la société Soufflet, bien que française et
implantée en Ukraine, travaille selon les modalités locales et n’a pas été un partenaire fiable
tant dans l’évaluation de la qualité des grains produits que dans les quantités vendues. Du fait
de l’absence d’encadrement juridique – et donc du manque de confiance entre partenaires
commerciaux – peu d’agriculteurs ukrainiens travaillent en contrat de production. Suite à cette
mauvaise expérience, l’entreprise Rousseau a perdu confiance, même auprès des partenaires
français et s’est donc orientée vers un système de vente direct auprès de traders.
Alors que cette réalité se serait imposée comme telle pour les parents de ces trois
agriculteurs, leur nouvelle exploitation atteint 1 500 hectares. Ce seuil de production, leur
permet de s’adresser directement au marché international sans toutefois avoir une activité
proprement financière, via la vente directe à un trader. Cette production sert à l’économie
financière puisque le trader spécule avec. Cependant, l’agriculteur n’assume pas cet usage
spéculatif de sa production, il vend simplement sa récolte directement à un trader plutôt
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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qu’aux partenaires commerciaux habituels en France (coopérative, contrat de production…).
Cette forme de financiarisation de la production agricole est donc indirecte.
Les acteurs français de cette première trajectoire aspirent donc à une rupture avec leur
exploitation familiale et leur pays d’origine. Cependant, même s’ils y aspirent, ces trois jeunes
agriculteurs ne sont pas en rupture totale avec leur héritage familial, culturel et économique.
c) …mais une inscription dans la continuité du modèle familial
L’origine des capitaux
L’origine des capitaux de ces deux entreprises est entièrement familiale. Dans le cas
du directeur de l’entreprise Rousseau, le transfert de capital s’est fait sous forme d’une avance
sur héritage par donation de matériel et de capital, négocié avec les parents. Le projet ne
pouvait donc pas se réaliser sans l’approbation des parents. Dans le cas de l’entreprise
Mercier, le principal associé disposant de 80 % des parts était en regroupement agricole avec
son père. Son entreprise familiale française n’est plus en activité et était en cours de cessation
en avril 2011. Quant au second associé de l’entreprise Mercier, disposant de 20 % des parts,
celui-ci travaillait avec son frère sur l’exploitation familiale. Pour investir dans l’entreprise
Mercier, il lui a cédé ses parts de l’exploitation. Mais en parallèle, ils ont créé une société
pour rester associés.
Ce choix de mode d’investissement – l’origine familiale des capitaux – a été contraint.
Les entreprises Rousseau et Mercier ont bien fait une demande de prêt bancaire en France et
en Ukraine mais sans résultat. La principale raison donnée a été la jeunesse de l’entreprise et
sa trop petite taille. L’augmentation du capital par le marché nécessite une concentration
foncière plus importante. En l’absence d’une propriété hypothécable, dans un environnement
d’affaire imprévisible, ce type d’entreprise n’offre pas les garanties suffisantes d’accès au
crédit bancaire. Justement du fait de ces contraintes de financement, le lien à l’agriculture
familiale de cette première trajectoire d’entreprise est maintenu via l’origine des capitaux.
L’organisation du système de production
L’organisation de l’exploitation reste essentiellement familiale. Il y a bien des salariés
mais la gestion du personnel et le management, sont paternalistes et assurés par des personnes
qui incarnent pleinement la fonction. Le management est assuré en permanence par les
propriétaires de l’exploitation.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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D’autre part, le système de production adopté est en continuité avec un modèle acquis
dans l’enfance. Ainsi, les entreprises Rousseau et Mercier sont spécialisées dans la production
en céréaliculture et oléoprotéagineux comme celles de leurs parents.
Enfin, le matériel de l’exploitation est familial. En effet, les entreprises Rousseau et
Mercier importent en Ukraine le matériel de l’exploitation agricole familiale française. Il y a
donc un flux de matériel allant de l’exploitation familiale française vers l’exploitation
ukrainienne. Les trois jeunes agriculteurs appliquent les mêmes méthodes de travail que celles
apprises en France, avec les mêmes outils que ceux utilisés en France. Il y a donc une
continuité des méthodes de travail appliquées en Ukraine avec celles acquises dans le cadre
familial en France.
Pour conclure, du fait de la « petite » taille de leur entreprise, ces acteurs sont
contraints à demeurer dans le cadre familial ou social de l’entraide. Ils ne peuvent faire appel
totalement aux instruments de financement de la Société capitaliste et financiarisée. S’ils ont
encore des caractéristiques familiales, c’est bien par impossibilité de faire appel aux banques,
que par choix. Cette migration leur permet donc certes de troquer leur identité d’agriculteur
pour celle de l’entreprise « libérée », notamment du cadre législatif de la PAC. Mais, cette
« émancipation » n’est possible qu’à partir des acquis de l’agriculture régulée européenne et
donc aussi dans la limite de ces acquis. C’est par ailleurs un changement assumé mais il
s’inscrit pleinement dans un système qui le permet : le contexte ukrainien.
En effet, toutes les exploitations en Ukraine sont ainsi le résultat d’une concentration
des baux, ce qui laisse la possibilité à de nombreuses reconfigurations et a des tailles
d’exploitations plus importantes pour un même capital d’investissement. Ainsi, cette liberté
nourrit également des incertitudes et des réserves.
L’envers de la médaille est l’insécurité inhérente quant aux investissements.
La propriété de baux rend plus difficile l’accès au crédit qui, par ailleurs, est de toute façon
moins développé en Ukraine. En effet, les baux peuvent être remis en cause par leurs
propriétaires, même si ceux-ci ont peu de droits. L’activité agricole en Ukraine est beaucoup
moins encadrée par le législateur mais aussi beaucoup moins protégée. Ainsi, pour sécuriser
leur accès au foncier, les entreprises Rousseau et Mercier prévoient d’acheter une partie des
terres dès la fin du moratoire, principalement parce qu’elles craignent la concurrence des
« agroholdings ».
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Mais le fait est là, cette première trajectoire d’entreprise entame déjà une rupture avec
le modèle familial. Un changement souhaité et revendiqué ; bien que les ressources et les
valeurs de l’agriculture familiale restent encore bien ancrées dans cette trajectoire.
B. ENTREPRISES SACHA ET MIRKO, D’ORIGINES UKRAINIENNES
Les entreprises Mirko et Sacha créées respectivement en 1997 et 2001 sont nées dans
la continuité des anciennes exploitations collectives au statut privé. Ces deux entreprises
louent comme les autres, les baux aux petits propriétaires villageois, anciens salariés de
l’exploitation collective. On peut questionner les différences de ces entreprises avec celles
décrites précédemment. Les entreprises Sacha et Mirko ne proviennent ni d’investissement
étranger ni d’une délocalisation française. Cependant, elles restent des exploitations
individuelles d’échelle comparable et se développent, comme les entreprises françaises, dans
un contexte ukrainien qui semble favoriser une évolution vers le modèle émergeant qualifié
d’« agriculture de firme ». Il apparait donc intéressant de poser un point de comparaison entre
ces entreprises. Elles n’ont certes pas la même rupture, rupture avec l’agriculture familiale en
France pour les unes, rupture avec l’agriculture collectivisée pour les autres. Mais, ces
entreprises évoluent et se développent dans un même contexte d’interactions national et local.
Cette proximité de contexte se double d’une proximité géographique qui rend intéressante la
recherche des mêmes effets d’évolution vers un modèle d’ « agriculture de firme ». Ces
entreprises françaises ont des caractéristiques qu’elles n’avaient pas en France. La présence,
ou l’absence, de ces caractéristiques chez les entreprises ukrainiennes nous permettra de
conclure, ou pas, qu’il s’agit bien d’une évolution due au contexte ukrainien.
a) L’aspiration du développement dans son ancrage local
Ici aussi, comme ça l’est décrit pour les entreprises françaises, la famille est bien
l’unique centre de décision et de ressources, dont la finalité est sa propre reproduction. Il
s’agit d’agriculteurs formés qui ont profité d’une loi d’allocation de 50 ha de terre agricole
réservés aux citoyens ukrainiens pouvant prouver d’une formation agronome. Ils sont donc
repartis de là pour construire des exploitations agricoles économiquement viables.
Nombreuses des exploitations ainsi reconstruites sur les ruines des sites d’anciens kolkhozes
n’ont pas tenues et constituent le corps gras des entreprises en faillites que les investisseurs
recherchent. L’évolution positive des entreprises Sasha et Mirko, les place donc parmi les
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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rares exploitations agricoles ukrainiennes qui réussissent. Il s’agit ici de comprendre les
adaptations qui leur ont permis d’arriver à cette réussite. À partir de leur propre histoire et de
leur parcours, on pose la question de savoir si leurs pratiques, agricoles et commerciales, et
leurs objectifs sont comparables à ceux des entreprises françaises Rousseau et Mercier,
évoquées plus haut.
Des directeurs et salariés, anciens employés du kolkhoze
Les directeurs âgés de 45 ans et 50 ans sont originaires du village où siège leur
entreprise. L’un d’entre eux a fait ses études d’agronomies à Kiev avant de commencer sa
carrière de directeur de kolkhoze. De même, le directeur de l’entreprise Mirko est l’ancien
ingénieur principal de l’ancien kolkhoze. L’origine des directeurs et des salariés s’inscrit ainsi
dans la continuité du kolkhoze. En effet, les salariés étaient eux-mêmes ouvriers du kolkhoze.
Ainsi, ils vivent tous dans le village en face de l’exploitation. Leur vie, leur famille et leur
travail sont au village qu’il s’agisse des salariés permanents ou saisonniers sauf la comptable
de l’entreprise Sacha qui vit en ville.
L’entreprise Mirko, pourtant de plus petite taille que l’entreprise Sacha, emploie huit
salariés permanents et cinq saisonniers pour les vergers tandis que l’autre entreprise emploie
quatre salariés permanents (le directeur, la comptable, deux gardiens) et quarante saisonniers.
Dans le cas de l’entreprise Sacha, les salariés n’auraient pas de lien de parenté avec le
directeur contrairement à deux des salariés de l’entreprise Mirko qui sont la femme et le fils
du directeur. Ces derniers, respectivement comptable et « bras droit », ont des rôles de
« cadres » dans l’entreprise.
Au temps du kolkhoze
Ainsi, ce sont des gens qui se connaissent depuis l’époque soviétique et qui se
retrouvent à travailler sur l’exploitation, elle-même vestige du kolkhoze.
En effet, ces deux entreprises font moins de 1 000 ha, respectivement 706 ha pour
Sacha et 450 ha pour Mirko. Les entreprises Sacha et Mirko sont déjà propriétaires, par acte
d’État, respectivement de 25 ha et 50 ha. À l’année de leur création, ces entreprises ne
disposaient que de ces terres en propriété. La location de baux leur a permi une concentration
foncière. Cependant, l’entreprise Sacha a mis du temps à retrouver la confiance des petits
propriétaires. En effet, à la fin de la période soviétique, les petits propriétaires ne percevaient
plus leur rente foncière du fait des difficultés économiques du kolkhoze représenté par le
même directeur de l’actuelle entreprise Sacha. Après six années de « bonne conduite »,
l’entreprise a obtenu la location de 215 ha, pour cinq années plus tard atteindre 681 ha en
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location. L’entreprise Mirko quant à elle est passée de 50 ha en propriété en 1997 à 450 ha en
2011 dont les 50 ha en propriété, 330 ha en location et 70 ha de terre d’État.
Ainsi, bien sûr, ces exploitations ne sont pas une résurgence kolkhozienne dans un
pays libéralisé. Et, si elles n’ont finalement jamais vraiment quitté le kolkhoze, pour ainsi
dire, c’est le kolkhoze qui les a quittées. Le sens de notre propos est d’expliquer que ces
agriculteurs ukrainiens ne vivent pas l’expérience de changement, ou plus exactement de
migration, comme les exploitants agricoles français. En fait, il y a bien changement, mais ce
changement est essentiellement subit, c’est celui de l’environnement tant social, politique,
législatif qu’économique. Cette difficulté d’agrandissement de l’exploitation Sacha montre
que l’héritage soviétique ne disparait que progressivement. Mais, qu’il est à la fois un atout et
un défaut. L’héritage soviétique a donc à la fois marqué le sillage dans lequel l’exploitation
évolue, mais c’est aussi l’héritage duquel l’exploitation doit se démarquer.
Lieu d’investissement et projet d’avenir
Ainsi, le parc matériel de l’entreprise Sacha est le même que celui du kolkhoze mais
l’entreprise a acheté en 2010 une moissonneuse batteuse grâce à un crédit qu’elle a obtenu sur
cinq ans. Quant à l’entreprise Mirko, son parc matériel est principalement le fait d’achat
personnel dont deux des mêmes tracteurs que l’entreprise Rousseau et seulement 10 % a été
hérité du kolkhoze. Les marques rencontrées sur ces exploitations sont donc russes et
allemandes. Les outils agricoles de l’agriculture collectivisée ont permis de réduire le coût de
lancement de l’exploitation, même s’ils ne sont plus aujourd’hui suffisants, leur disponibilité
a été déterminante dans cette trajectoire. Ces choix matériels répondent à la fois à la volonté
de capitaliser et de développer l’exploitation tout en répondant aux contraintes financières qui
rendent l’usage, au moins en partie pertinent, d’outils agricoles du kolkhoze. Ces outils
assurent le levier nécessaire à l’édification d’une exploitation agricole de dimension suffisante
pour exister en tant qu’acteur économique. C’est-à-dire qu’une telle entreprise peut vendre sa
production à des magasins ou des distributeurs, trouver des partenaires ou des fournisseurs,
bénéficier de crédit d’État en tant qu’activité économique contrairement aux lopins de terre
dont l’exploitation ne peut pas être un emploi au sens économique.
D’ailleurs, l’entreprise Sacha a d’autres projets tels que l’élevage laitier et surtout la
production d’engrais naturels pour son propre usage. Ce projet permettrait à l’entreprise d’être
moins vulnérable face à l’augmentation du cours du pétrole et ainsi d’assurer une meilleure
rentabilité par une pratique alternative à l’agriculture intensive. D’après l’entreprise
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Rousseau, l’entreprise Sacha obtient ainsi de bon rendement proportionnellement à la faible
quantité d’intrants qu’elle utilise pour des raisons économiques.
b) Des pratiques agricoles en marge de la mondialisation
Une échelle de production familière
Même si la quasi-totalité des exploitations ukrainiennes sont des micro-exploitations,
survivance de l’époque soviétique, il faut rappeler que les dirigeants des entreprises Sacha et
Mirko participaient à la gestion du kolkhoze. Il s’agit de cas réussis de restructuration
politique du capital agricole kolkhozien. En effet, à la fin des années 90, l’objectif de la loi
d’allocation de parcelles de 50 ha aux citoyens présentant une formation d’agronomie était de
redémarrer une production agricole déclinante à partir des kolkhozes.
Dès lors, les échelles d’exploitations s’inscrivent en continuité avec celles des
kolkhozes. Mais, bien qu’elles soient de grande dimension du fait de cette première parenté,
les entreprises Sacha et Mirko s’inscrivent aussi dans le modèle familial modernisé décrit
dans la partie 1.1.
En cas de fin du moratoire, ces entreprises n’ont pas l’ambition d’acquérir la propriété
des pailles qu’elles louent. Elles pensent pouvoir garder ce fonctionnement avec un foncier
essentiellement de location. L’entreprise Mirko préfère investir dans la modernisation de son
matériel en grande partie vétuste alors que l’entreprise Sacha organise le rachat du matériel du
kolkhoze. En effet, une partie du matériel présent sur l’exploitation n’est pas la propriété de
l’entreprise mais celle des paillitevistes.
La taille de l’exploitation est donc, aux yeux de leur propriétaire, suffisante. La
propriété foncière n’est pas économiquement envisageable et le fonctionnement en location
leur convient. Pour des exploitants agricoles qui ne peuvent pas rivaliser avec le capital des
grosses sociétés d’investissements, le fermage limite l’investissement à l’entrée du marché et
donc limite le risque. Mais surtout, pour la majorité des exploitants agricoles de cette
trajectoire, ce mode de faire-valoir rend tout simplement possible le projet d’exploitation
agricole. Et, il permet à ces exploitants ukrainiens d’y organiser l’exploitation agricole
souhaitée, une activité dans le modèle traditionnel familial. L’idée d’y développer une activité
financière et de spéculer sur la valeur boursière de l’entreprise ou sur la valeur future du
foncier, leur est tout simplement étrangère.
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Commercialisation de la production
Les directeurs des entreprises Sacha et Mirko sont porteurs d’une logique plus proche
encore du modèle familial en ce qu’ils ont une production plus diversifiée. Les céréales
locales, telles que le sarrasin, sont vendues sur le marché national. Les betteraves sont-elles
aussi destinées au marché national. Les autres productions comme le seigle, la luzerne,
l’avoine et les pois sont destinées à l’alimentation de leur élevage destiné lui-aussi au marché
national. Pour le reste de la production, il s’agit de marchandises normalisées pour le marché
international, à savoir une production céréalière et d’oléoprotéagineux, de même que les
exploitations françaises. Le stockage des céréales et oléoprotéagineux se fait comme pour les
entreprises Rousseau et Mercier dans un grand silo d’État situé à 40 km du conseil de village.
Les entreprises Sacha et Mirko développent une « stratégie d’évitement » aux
contraintes extérieures de la libéralisation du marché :
- elles limitent au maximum leurs intrants pour ne pas dépendre de la fluctuation du
marché international,
- elles ont une logique de capitalisation raisonnée et partent souvent de ce qu’elles ont
déjà hérité du kolkhoze pour investir,
- elles établissent des contrats de production et développent des activités plus variées,
- elles ne s’inscrivent pas dans l’engouement des investisseurs étrangers en projetant
d’investir dans le foncier ou dans une entreprise tournée vers la spéculation boursière
inscrite dans un marché international.
Ces deux entreprises développent donc un profil finalement assez classique de
production familiale prise cependant entre sa « parenté kolkhozienne » et une adaptation à la
libéralisation économique de l’Ukraine. Ces entreprises se libèrent progressivement de leur
héritage. Seulement, la question est maintenant de savoir si leur évolution tendra à confirmer
leur appartenance au modèle familial ou orientera finalement leur production vers le nouveau
modèle que serait l’ « agriculture de firme ».
c) L’émergence d’un modèle familial en Ukraine ?
Nous abordons donc cette question sur les aspects financiers et d’organisation des
entreprises étudiées. Ce sont en effet des aspects déterminants l’émergence évoquée d’un
nouveau mode de production dit « agriculture de firme ».
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Origine nationale, familiale et kolkhozienne des capitaux
L’origine des capitaux de ces deux entreprises est 100 % ukrainienne. Les capitaux
sont personnels et l’héritage de la décollectivisation du kolkhoze pose de nouveaux
problèmes. Les bâtiments et les outils agricoles sont un capital qui n’appartient pas toujours à
l’exploitant. La propriété est en fait celle d’une multitude d’anciens ouvriers ou de leurs
héritiers lorsqu’ils sont décédés, difficile à identifier pour se porter acquéreur et régulariser la
situation. Pour le matériel agricole, ce travail d’identification est non seulement fastidieux
mais inutile, car ces outils agricoles n’ont plus de valeur économique, et gardent simplement
une valeur d’usage en voie de disparition.
De nouveaux capitaux viennent s’ajouter. Ainsi, la totalité des capitaux investit dans
les vergers de l’entreprise Mirko sont des subventions de l’État suite à une incitation
financière du gouvernement ukrainien pour maintenir la production fruitière nationale. Quant
à l’entreprise Sacha, elle a réussi à obtenir un crédit de campagne pour l’achat d’engrais et
d’essence. L’entreprise Sacha accède d’ailleurs aussi à un crédit pour l’acquisition d’une
moissonneuse batteuse et travaille en contrat de production pour les semences de betterave.
L’entreprise Mirko a pour particularité de disposer d’un verger de 20 ha, cette activité est
subventionnée par l’État car emploie beaucoup de main d’œuvre. Cet accès au financement et
au partenariat n’est pas commun en Ukraine pour les exploitations familiales françaises de
cette trajectoire. L’entreprise Mirko n’a pas détaillé comment elle en est parvenue à la
constitution d’un réseau d’aides et de partenaires mais celui-ci semble être déterminant. Par
exemple, pour accéder à l’approvisionnement de produits phytosanitaires à bas coût, le
directeur de l’entreprise Sacha a fait jouer ses relations rencontrées à l’université agraire de
Kiev pour entrer en contact avec le fournisseur. L’entreprise Rousseau profite du même
contact que son voisin, opportunité qu’elle n’aurait pas eue sans l’aide de celui-ci.
Organisation du pouvoir et système de production
Ces petites structures d’entreprises n’ont pas d’associé. Seul le directeur a le pouvoir
de décision stratégique et économique. De plus, il gère lui-même l’exploitation au quotidien.
Ces deux entreprises sont les seules de l’échantillon à être en polyculture-élevage dans la
continuité du mode de production du kolkhoze. L’activité d’élevage (de porcs) s’est
développée plus de cinq ans après la création de l’entreprise. L’entreprise Sacha n’arrive pas à
rendre rentable sa production de cent-trente porcs. Mais, elle tient à son activité d’élevage.
Depuis un an, elle teste la production de bovins avec un cheptel actuel de quarante têtes. Ces
deux activités de production, céréaliculture et élevage, sont gérées par la même entreprise et
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non deux filiales différentes telles qu’on le verra dans la troisième trajectoire d’entreprise. De
même que son voisin ukrainien, l’entreprise Mirko pratique aussi la polyculture-élevage avec
notamment un élevage de porcs qui forme un cheptel de cent têtes.
C. CONCLUSION
Les acteurs de cette première trajectoire sont avant tout des agriculteurs par opposition
aux profils d’acteurs suivants. En effet, même si les acteurs français de cette trajectoire
s’inscrivent en rupture avec le système agricole européen, leur projet n’est viable que grâce à
l’apport en capital des exploitations agricoles qui en proviennent. Les opérateurs financiers et
le contexte socio-politique ukrainien permet difficilement ce type de trajectoire pour les
français.
Pour conclure, cette première trajectoire d’entreprise est caractérisée par des
exploitations agricoles essentiellement commerciales. Si les entreprises françaises sont
tournées résolument vers le marché international mais indirectement inscrites dans l’économie
financière, les entreprises ukrainiennes s’adressent essentiellement au marché local bien que
pour part, leur production céréalière s’adresse aux mêmes opérateurs que les français. Cette
première trajectoire d’entreprise ne se distingue pas radicalement du modèle de l’agriculture
familiale.
Les entreprises françaises, du fait de leur mobilité, de leurs moyens de production,
fortement salariés et adaptés à un marché mondialisé, et de la flexibilité économique de leurs
unités de production, s’écartent du modèle familial. Cependant, d’abord, c’est un changement
qui s’inscrit directement dans la continuité du modèle agricole familial, qui le préexiste et en
est la condition nécessaire, tant en termes de compétences qu’en termes financiers. Mais
surtout, il semble que cette évolution soit essentiellement due, à ce stade, à la migration elle-
même. En effet, les entreprises ukrainiennes sont certes de dimension plus modestes et restent
des exceptions mais elles démontrent qu’un modèle de production plus familial est – encore –
possible.
Reste à nuancer cette réalité pour les entreprises françaises car, dans le contexte
ukrainien, cela nécessite d’avoir un capital, celui des kolkhozes qui a été fondamental aux
entreprises ukrainiennes. Mais surtout, un modèle d’exploitation plus familial n’est possible
qu’à condition d’avoir un réseau mobilisable pour assurer des ressources et des relais de
distributions adaptés et d’être en capacité de répondre aux rares occasions de financements
publics. Or, les entreprises françaises et plus généralement étrangères ne bénéficient pas d’un
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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traitement égal sur le plan des aides publiques. Elles ne peuvent pas prétendre au même
réseau et à la même réactivité que des acteurs du pays, et ont dû elles-mêmes apporter leur
capital, souvent au prix de leur exploitation en France.
Il s’ensuit que la séparation, partielle nous le verrons dans la partie 3, du rapport au
territoire, les choix d’organisation productive, économique et financière avec le modèle
familial dépend bien plus de la migration elle-même que du contexte ukrainien. En tout cas
dans son intensité actuelle, c’est la migration bien plus que le contexte qui joue sur l’ampleur
de cette évolution. Cette dernière remarque doit cependant être nuancée car, d’une part, nous
avons vu que ces réussites ukrainiennes sont plutôt des exceptions et que, d’autre part, elles
dépendent de deux facteurs en voie de disparition : l’héritage de l’agriculture collectivisée et
le moratoire qui oblige à un fonctionnement du foncier par location.
2. 2ÈME
TRAJECTOIRE D’ENTREPRISE : CAS DES ENTREPRISES MARTIN,
RIMBAUD, DUPONT ET LUDA
Trajectoire 2
entreprise Dupont Rimbaud Martin Luda
année de création 2008 2006 2006 2000
nombre associés 5 4 5 6
nombre hectares 2011 4 600 1 000 3 550 8 400
nombre propriétaires 600 n.r 950 n.r
durée du bail 10 ans 15 ans 5 ans n.r
zone d'étude C E A C
Remarque : « n.r » signifie non renseigné
Nous aborderons, ici aussi, les entreprises françaises et ukrainiennes séparément pour
pouvoir les comparer. Là encore, les entreprises ont des profils assez proches si on excepte
leurs parcours. Et, on attend donc dans ce travail comparatif des éléments sur la part du
changement liée à la migration et celle liée au contexte ukrainien.
Cependant, il y a des limites à cet exercice de comparaison sur ce nouvel échantillon.
D’abord, l’entreprise ukrainienne Luda, avec 8 400 ha, est nettement plus grande que les
entreprises françaises de sa trajectoire. De même, l’entreprise Rimbaud, avec 1 000 ha, est
très petite. Par ailleurs, le travail de terrain effectué n’a permis d’identifier qu’une seule
entreprise ukrainienne de cette trajectoire et il est plus difficile encore de projeter cette
entreprise comme un modèle possible d’entreprise agricole en Ukraine. Enfin, nous avions
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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rendez-vous avec la directrice de cette entreprise mais elle était finalement trop occupée pour
nous recevoir. L’entretien s’est donc déroulé avec une de ses associées, peu intéressée par nos
questions restées trop souvent sans réponses. Mais Valérie, le stagiaire et responsable
vétérinaire âgé d’un peu plus d’une vingtaine d’années a assisté à l’entretien au fond du
bureau et a été chargé de nous faire visiter une des « bases » d’élevage où nous avons
également pu échanger avec quelques ouvriers. Malgré donc toutes ces limites ainsi énoncées
et bien que le contact avec cette entreprise ait été moins étendu et qu’il n’a consisté qu’à une
visite en compagnie d’un stagiaire de la direction, son originalité m’a semblé justifier cette
présentation.
Par ailleurs, l’entreprise Rimbaud présente certes une superficie inférieure aux cas
français de la première trajectoire pour une activité initialement projetée d’élevage laitier.
Mais, il faut rappeler que ce type d’activité est beaucoup plus onéreux en termes de
concentration capitalistique qu’en superficie. C’est pourquoi le projet d’élevage n’a pas abouti
et l’entreprise a pour activité la céréaliculture à grande échelle. Cependant, l’entreprise
Rimbaud se considère trop petite pour cette activité et est activement à la recherche d’une
exploitation d’un seul tenant d’au moins 2 500 ha. Tant au regard de cette réalité que du
fonctionnement de l’entreprise, j’ai pris le parti de l’intégrer à la deuxième trajectoire.
L’autre entreprise française, Martin, dispose d’une exploitation de 3 550 ha soit une
taille plus classique pour la deuxième trajectoire. On trouve également, a une taille
comparable de 4 600 ha, l’entreprise Dupont qui présente un profil en accord avec cette
deuxième trajectoire, et pour laquelle les recueils de données sur le terrain nous amènent à
l’aborder aussi dans la troisième partie de ce mémoire. En effet, dans cette entreprise agricole,
nous avons pu recueillir de nombreux éléments d’information sur la relation au territoire
qu’ont les entreprises de cette trajectoire.
Les entreprises de cette trajectoire se distinguent nettement des entreprises françaises
de la première trajectoire du point de vue de leur superficie, de leur organisation de la
production que de leur organisation économique.
A. L’ENTREPRISE LUDA, D’ORIGINE UKRAINIENNE
a) Une grande entreprise locale
L’entreprise Luda créée en 2000 avec 5 000 ha en location dispose en 2011 de 8 400
ha soit une contractualisation de baux auprès de deux mille huit cents propriétaires. Depuis
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2005, l’entreprise compte six associés également salariés. Deux de ces associés sont des
femmes, les seules de l’échantillon, dont la directrice. Il n’y aurait pas de lien de parenté entre
les associés. Pour autant, tous les associés ont en commun une ancienneté en tant qu’expert
dans des domaines clefs de l’entreprise agricole (vétérinaire, agronome, etc.).
L’entreprise compte quatre unités de production réparties sur cinq villages sous
l’autorité de deux conseils de villages distincts à proximité l’un de l’autre. L’entreprise Luda
compte également trois cent soixante salariés permanents de nationalité ukrainienne. Elle a
trois activités agricoles : culture de céréale, production de lait et de viande mais on ignore
l’importance relative de chacune de ces activités agricoles. Le nombre important de salariés
s’explique d’ailleurs par l’activité d’élevage, de deux mille cent têtes de bétail, beaucoup plus
exigeante en main-d’œuvre. C’est donc, suivant la classification française, une grande
entreprise. Les salariés vivent en ville ou au village et ne constituent donc que partiellement
un milieu d’interconnaissance en dehors de l’entreprise.
L’origine des capitaux de l’entreprise Luda est ukrainienne. Il n’a pas été possible
d’être plus informé sur le sujet mais si l’on suit les projections citées par Jean Jacques
Hervé51
, une production céréalière sur une superficie de 8 500 ha représente un investissement
de plus de dix millions d’euros. Il s’agit d’une estimation basse si l’on considère que
l’entreprise a une activité d’élevages laitiers et bovins, et que celle-ci exige un investissement
encore plus important.
Un investissement de cet ordre est inaccessible à d’anciens dirigeants de kolkhoze
comme les directeurs des entreprises Sacha et Mirko de la première trajectoire. L’allocation
de 50 ha de terre et les ressources propres de ces acteurs ne permettent pas le développement
d’entreprises avec le capital de Luda. Il s’agit là véritablement d’une création d’entreprise où
les capitaux ont peu à voir avec la reprise du kolkhoze qui a précédé l’entreprise. On est donc
en rupture avec les entreprises ukrainiennes de première trajectoire qui s’inscrivaient
directement dans le sillage d’un kolkhoze qu’elles avaient repris.
D’après l’entreprise Dupont qui s’inscrit dans la même trajectoire et située à
proximité, l’entreprise Luda brasse de bons bénéfices. Selon l’économiste de l’entreprise
Luda, la marge nette s’élève à un million quatre cent mille euros.
51
Présenté dans la partie précédente : Jean-Jacques Hervé est chargé des affaires agricoles pour Index
Bank, la filière ukrainienne de Crédit Agricole SA. Il a été ancien conseiller auprès du gouvernement ukrainien
pour les questions agricoles, après avoir été conseiller agricole à l’Ambassade de France en Russie.
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Au-delà de sa capacité d’autofinancement, sur une dimension d’investissement de cet
ordre et avec de tels résultats d’activité, il est probable que l’échelle de l’exploitation lui
permette, à l’instar des autres entreprises de cette trajectoire, d’accéder à une plus large
panoplie de financement.
b) Une organisation moderne en cellules52
autonomes
L’entreprise Luda est partagée en quatre unités de production à laquelle s’ajoute
l’unité de production principale avec les bureaux de la direction. Chacune de ces unités est
gérée par un responsable qui est un des associés. La directrice, elle, supervise la direction des
cinq bases et assure donc le pilotage de l’ensemble. Une fois par mois, cette même directrice
assiste à une réunion du raion destinée à l’ensemble des entreprises agricoles.
Les décisions stratégiques et quotidiennes sont prises au siège de l’entreprise qui
correspond à une des unités de production. Quotidiennement, une réunion matinale entre les
associés a lieu, ils ont tous une compétence particulière (ingénieur mécanique, agronome,
zootechnicien, vétérinaire, juriste, économiste). C’est à ce moment-là que sont prises les
décisions importantes, comme l’achat de nouveau matériel.
Si le matériel et les intrants sont mutualisés entre les unités de production c’est
certainement que cela permet à l’entreprise de faire des économies d’échelle. Mais, chaque
unité a sa propre production agricole, sa propre alimentation pour le bétail et son personnel
affecté, ouvriers mais également des rôles clefs comme celui de vétérinaire. Cela n’empêche
pas la possibilité d’échange occasionnel des ressources propres de chaque unité si nécessaire.
Mais, ce fonctionnement permet à l’entreprise Luda de croître en dupliquant une nouvelle
exploitation sur le modèle des exploitations déjà actives et lui assure une flexibilité qu’on ne
trouve pas dans le modèle de production agricole familial.
Cependant, l’agriculture familiale transparait encore dans quelques détails. Ainsi, à
l’image de la répartition patriarcale des tâches du mode d’organisation familial, les femmes
travaillent dans la production d’élevage, à la traite par exemple, et les hommes dans la
production céréalière. Le gardiennage peut être une activité mixte.
On trouve aussi une caractéristique du mode familial d’organisation dans le choix
même de la production. En effet, tout comme les entreprises ukrainiennes de la première
52
On entend par là une organisation où chaque unité de production est autonome dans ses ressources
comme dans son fonctionnement vis-à-vis des autres unités de production.
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trajectoire, l’entreprise Luda est installée en polyculture élevage. Une partie de la production
céréalière et oléoprotéagineuse est destinée à l’alimentation de l’élevage. Ainsi, l’entreprise
est autosuffisante en alimentation pour le bétail. Le reste de la production végétale et la
viande est vendu. Le lait est vendu à une entreprise qui se charge de la collecte quotidienne
destinée à une usine de transformation dans un raion voisin.
Mais, cette proximité avec les entreprises de l’héritage kolkhozien s’arrête à la nature
de la production, les moyens et procédés mis en œuvre connaissent une capitalisation
croissante. De ce point de vu, l’entreprise Luda industrialise progressivement sa production
agricole et s’écarte de la première trajectoire par des moyens mobilisés beaucoup plus
important.
c) Une ambition de modernité et de compétitivité
L’entreprise Luda est en rupture avec le mode de production du kolkhoze alors que la
majorité de ses salariés et associés en sont originaires. Elle l’est par son innovation
technologique comme par sa dimension financière. Ainsi, l’entreprise pratique l’insémination
artificielle et la sélection génétique. Cette innovation a permis à l’entreprise de voire
augmenter considérablement la quantité de lait produite. Le projet actuel de l’entreprise est de
maintenir sa stratégie d’innovation par la construction d’une salle de traite automatisée.
Les projets d’investissements y sont aussi nombreux. Ainsi, en 2011, l’entreprise a
investi dans l’achat de quatre machines neuves dont deux tracteurs de marques européenne et
américaine.
Nous sommes en présence d’une société d’associés, véritables entrepreneurs, assurant
une activité de production agricole à grande échelle. Seulement, il ne s’agit pas d’une
entreprise de trading à l’exportation. Elle s’appuie sur des partenaires commerciaux et vend
sa production sur le marché national. Les associés rencontrés ne s’opposent pas à l’idée de
développer une activité financière si elle leur permet de maximiser leurs profits. La question
ne se pose simplement pas car pour l’instant l’entreprise est orientée vers un système de
production agricole en voie d’intensification progressive.
L’activité reste agricole, mais il s’agit d’entrepreneurs dont la finalité n’est plus la
reproduction familiale mais bien l’accumulation d’une rentabilité la plus importante possible.
Des aspects du mode de production familial persistent encore mais pour autant l’entreprise
Luda n’a pas d’objectif financier ni autour de la valorisation boursière de son entreprise dont
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le capital est détenu par les associés ni autour de la spéculation sur les marchés
internationaux.
Les entreprises françaises de cette trajectoire, bien que plus petites que l’entreprise
ukrainienne, déploient un accès plus large aux outils financiers.
B. LES ENTREPRISES MARTIN, RIMBAUD ET DUPONT, D’ORIGINE FRANÇAISE
Les entreprises Martin, Rimbaud et Dupont sont arrivées en Ukraine respectivement
en 2006, 2006 et 2008 et louent respectivement 3 550 ha, 1 000 ha et 4 600 ha. L’entreprise
Martin a cinq associés dont quatre agriculteurs et un dont la profession n’appartient pas au
secteur agricole et dont l’apport est uniquement financier. L’entreprise Rimbaud a quatre
associés dont trois agriculteurs et un dont la profession n’appartient pas au secteur agricole
mais au secteur des transports et donc en lien avec le projet originel de l’entreprise.
L’entreprise Dupont a cinq associés dont trois agriculteurs, majoritaires en parts, viticulteurs
de champagne et deux dont la profession n’appartient pas directement au secteur agricole
mais qui ont des liens familiaux avec un des viticulteurs.
Les entreprises Martin, Rimbaud et Dupont ont trois profils très différents si on
s’attache à l’origine des associés et à leurs ambitions professionnelles. Elles n’ont pas de liens
directs entre elles comme les exploitations françaises étudiées de la première trajectoire bien
que l’ensemble des exploitations françaises en Ukraine appartiennent à « un petit monde qui
se connait ». Cependant, ces associés se retrouvent tous sur un point : leur représentation
d’eux même qu’ils expriment ainsi : « Je suis plus un entrepreneur qu’un agriculteur »
(Rimbaud). Ces entreprises ont des activités parfois différentes mais en tout cas
complémentaires et inscrites dans le secteur agricole. Syndiqués aux Jeunes Agriculteurs pour
certains des associés des entreprise Martin, Dupont et Rimbaud puis directeurs
départementales à la FNSEA53
pour les associés de l’entreprise Martin, tous conservent des
activités en France dont l’organisation est déjà le fait d’un modèle en rupture avec
l’agriculture familiale. En France, ils se sont écartés du modèle proprement familial
notamment par la grande superficie des terres cultivées, par une main d’œuvre sans lien de
parenté et par des montages juridiques permettant des optimisations fiscales.
53
Fédération nationale syndicale des exploitants agricoles.
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Par exemple, trois des associés de l’entreprise Martin ont créé en 2003 – soit trois ans
avant leur implantation en Ukraine – un groupement d’employeur54
pour mutualiser les outils
de travail (machine et employés) de leur ETA55
respectives afin de gérer 1 200 ha. Seule la
comptabilité est gérée séparément. De plus, pour des raisons d’optimisation fiscale, l’un des
associés a ensuite crée une société qui travaille pour les deux ETA mais aussi pour des tiers.
Avec son épouse, formée sur le tas, ils donnent des conseils sur l’achat et la vente de produits
phyto-sanitaires, sur la mise en place de programmes phyto-sanitaires, sur la mise en place de
programme agronomique et sur la vente de céréales.
Il ne s’agit donc pas, contrairement à la première trajectoire, de jeunes dans une
démarche de création d’entreprise qui trouvent leurs comptes à un nouveau contexte de
contraintes et d’opportunités. La délocalisation des entreprises françaises de cette deuxième
trajectoire n’est pas du tout envisagée. Il s’agit bien plus d’un processus d’extension et de
diversification de l’activité agricole.
a) Un mouvement d’extension/ diversification de l’activité agricole
Les associés des entreprises Martin, Rimbaud et Dupont ont conservé leurs activités en
France et n’envisagent pas de les abandonner. Ils sont dans un processus d’extension de leurs
activités au-delà des frontières de l’Union Européenne car, fort de leurs réussite sociale en
France, ils ont atteint une dimension d’investisseur à part entière. Ces exploitations sont de
plus en plus inscrites dans une économie mondialisée. Jusqu’alors, elles ne s’étaient
internationalisées qu’au sens où elles vendaient leur production sur le marché international.
Elles développent maintenant une stratégie de développement international de leurs unités de
production.
Les associés de ces entreprises répondent en effet aux opportunités qu’offrent les
avantages comparatifs ukrainiens par une multilocalisation internationale de leur activité
agricole puisqu’ils maintiennent leur activité en France. On précisera d’ailleurs qu’il ne s’agit
donc pas de délocalisation de l’activité. En effet, il n’y a pas substitution de l’activité mais
adaptation de l’une par rapport à l’autre. Ensuite, c’est une logique d’extension raisonnée, au
sens où les perspectives de développement de l’entreprise priment sur les gains à court et
moyen termes.
54
Deux entreprises qui adhèrent au même groupement d’employeur peuvent faire travailler leurs
employés sur toutes les exploitations sans qu’il n’y ait de problème auprès de l’URSSAF (Union de
Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales). 55
Entreprise de Travaux Agricoles. Une ETA propose des prestations de services aux agriculteurs de
façon à leur éviter d’investir dans du matériel agricole coûteux.
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Ainsi, ces entreprises ne cherchent pas à s’agrandir au-delà d’un rayon de 50 km. Elles
effectuent plutôt un travail d’approfondissement du contrôle de leur foncier. Pour sécuriser
son foncier, l’entreprise Martin propose l’augmentation de la rente foncière à ses bailleurs à
condition de l’augmentation de la durée du bail. Certaines prévoient aussi d’acheter une partie
des terres en cas de fin de moratoire pour se préserver de la concurrence des « agroholdings ».
L’entreprise Martin investit avec une perspective à long terme, d’au moins dix ans. En effet,
une activité agricole dans un établissement supplémentaire nécessite une nouvelle équipe de
confiance. Leurs démarches d’extension s’inscrivent dans une logique d’évolution continue
plutôt que dans une configuration flexible où chaque unité de production peut se voir
supprimer d’une année à l’autre. En effet, nombreuses sont celles qui investissent dans
l’aménagement du lieu d’hébergement et du lieu de travail, des infrastructures de stockage et
des infrastructures de séchage.
D’autre part, le manque d’encadrement technique agronomique disponible en Ukraine
a entrainé les agriculteurs investisseurs français vers une intégration verticale de leur métier
notamment par l’expérimentation des semences en Ukraine. Par ailleurs, suite à son
implantation en Ukraine, l’entreprise Rimbaud a diversifié son activité en créant une filiale de
transport avec ses mêmes associés, réalisant du fret industriel et agricole. Il s’agit donc d’une
forme de diversification de l’activité dans le même secteur agricole. Et, si ce projet précède
celui de l’exploitation, il s’apparente toutefois à une diversification de l’activité dans la
continuité de leur activité en France.
L’entreprise Martin a fait le choix d’une optimisation des coûts et du temps passé au
champ. Ainsi, l’entreprise développe une activité de prestation de service de gestion des terres
pour d’autres investisseurs étrangers dont l’exploitation doit être installée à proximité de
l’exploitation de Martin, c'est-à-dire dans un rayon de moins de 50 km. Cette nouvelle activité
de prestation de service agricole a pour but de réduire les coûts matériels par l’amortissement
accéléré du parc des machines agricoles. L’entreprise a aussi investi dans l’aménagement des
routes, des chemins et des champs pour optimiser le temps passé en 4x4 ou sur les tracteurs et
le coût en carburant.
Sur le plan de leurs choix ou des contraintes du système politique et économique
ukrainien, ces acteurs montrent à la fois une maitrise et une insertion économique à la
mondialisation. Pour autant, leur stratégie de développement s’appuie sur une capitalisation
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cohérente de leur production afin de dégager les meilleures marges de bénéfices possible. Les
investissements s’orientent vers un développement structurel par la mécanisation agricole de
la production. Cela ne permet pas une rentabilité à court terme car nécessite une période
d’amortissement importante, mais ces acteurs envisagent leur implantation en Ukraine à long
termes.
b) Une entreprise ouverte à l’économie mondialisée
Ce choix de mouvement par extension ou diversification plutôt que par déplacement
inter ou intra-national est une liberté de choix acquise probablement du fait des bénéfices que
les activités françaises dégagent. Leurs exploitations sont déjà des entreprises performantes
constituées de plusieurs unités de productions pouvant atteindre des chiffres d’affaires de
plusieurs dizaines de millions d’euros. Leurs activités, diversifiées, s’adressent déjà
clairement au marché international. On retrouve donc logiquement un accès au crédit facilité,
des moyens matériel et une dimension économique de l’entreprise propre à une intégration
plus importante dans l’économie financière. Mais, leur usage des produits financiers sert au
financement et à la couverture des risques d’une activité dont la finalité est d’abord
commerciale.
Les entreprises de cette deuxième trajectoire ont un accès à des financements exogènes
à l’Ukraine alors que les Ukrainiens ont difficilement accès aux financements bancaires.
Ainsi, les capitaux de l’entreprise Martin proviennent à 100 % d’emprunts bancaires en
France, ceux de l’entreprise Rimbaud proviennent à 50% d’emprunts bancaires et à 50% en
provenance des associés, ceux de l’entreprise Dupont proviennent des associés sauf
l’obtention des crédits de campagne.
Dans le capital de l’entreprise agricole, on compte aussi le matériel agricole. Les
entreprises Martin, Rimbaud et Dupont importent majoritairement le matériel de l’exploitation
agricole française en Ukraine. Il y a plusieurs raisons à cela, les défaillances du système de
distribution et de maintenance de machines-outils en Ukraine mais aussi certainement des
opportunités fiscales. Il y a donc un flux de capital entre la France et l’Ukraine. Ces
entreprises importent du matériel d’occasion américain et européen amortit en trois ans sur
l’exploitation en France avant de l’importer en Ukraine. On peut penser qu’il s’agit là d’un
montage fiscal afin de bénéficier des aides et des facilités à l’investissement disponible en
France mais mes interlocuteurs n’ont jamais souhaité s’étendre sur cet aspect des choses.
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Leur production est écoulée via des partenaires locaux de la filière agroalimentaire ou
indirectement sur les marchés internationaux par la vente à des opérateurs locaux ou
européens. Ils ne sont en ce sens pas en rupture avec les producteurs de la première
trajectoire. Mais, certaines de ces entreprises innovent par la mise en place de stratégie
commerciale et de couverture des risques. Ainsi, les entreprises Martin et Rimbaud mobilisent
les marchés à terme. Cependant, cette nouvelle activité de l’entreprise est à nuancer
puisqu’elle est à un stade beaucoup plus avancé que les autres entreprises dans ce domaine-là.
Cette caractéristique d’agriculteur est une constance de l’activité en France des associés de
l’entreprise Martin mais une évolution en cours ou envisagée pour les associés des deux
autres entreprises françaises.
c) L’implantation en Ukraine : adaptation de l’entreprise
Cette décision de conserver l’activité en France nécessite d’innover dans
l’organisation de l’exploitation en France et en Ukraine et constitue en cela un saut qualitatif
supplémentaire. Ainsi, en France trois des associés de l’entreprise Martin, l’un avec et l’autre
sans lien familial avec le dernier, ont mis en commun leur exploitation de travail agricole pour
en faire un GAEC56
afin de se dégager du temps pour leur projet d’implantation à l’étranger.
De même, l’un des associés de l’entreprise Rimbaud est en GAEC avec sa famille qui gère
l’exploitation en son absence. L’implantation en Ukraine a été le moteur du changement de
l’organisation des activités en France pour permettre aux associés de se dégager plus de
temps. La gestion de l’exploitation agricole en Ukraine ne serait pas possible sans cette
réorganisation juridique du statut de l’exploitation. Le projet a aussi nécessité l’accord des
associés de l’exploitation en France pour gérer l’exploitation française. Ainsi, les associés
peuvent être présents à tour de rôle sur l’exploitation dix mois sur douze. On constate donc
que cette extension internationale de la localisation de la production constitue une véritable
étape supplémentaire vers l’ « agriculture de firme ».
L’organisation du travail en Ukraine a dû s’adapter aussi à la présence ponctuelle des
associés. Certaines de ces entreprises ont importé les techniques de management occidental.
Pour permettre cette extension internationale, les sociétaires délèguent la gestion quotidienne
de l’exploitation à un salarié français. Ainsi, l’entreprise Dupont vient d’engager deux salariés
français, l’un chef mécano, l’autre chef de culture, à plein temps sur l’exploitation en Ukraine
pour assurer la gestion quotidienne de son exploitation. Certains tels que les associés de
56
GAEC est le sigle de Groupement Agricole d’Exploitation en Commun
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l’entreprise Martin délèguent aussi bien l’activité quotidienne de l’exploitation en Ukraine
qu’en France. L’atout de l’entreprise Martin est d'avoir un salarié français ukrainophone qui
est la « courroie de transmission » entre les prises de décision et leur application. Il est
l’interlocuteur privilégié avec les Ukrainiens et représente la société. Le degré de liberté et de
concertation entre les associés et le gestionnaire salarié permanent varie en fonction des
entreprises. Ainsi, en ce qui concerne l’entreprise Martin, les choix agronomiques et
économiques se font en France et la sous-stratégie est gérée par téléphone. De même,
l’entreprise Dupont donne les consignes sur place ou par téléphone. D’ailleurs, la facture
téléphonique représente un coût non négligeable pour ces entreprises.
Cette organisation du travail par délégation est bien à la marge du modèle de
l’exploitation traditionnelle française et s’inscrit pleinement dans un modèle de management
d’entreprise dans une économie de marché. L’attachement aux techniques de management le
plus marqué est celui de l’entreprise Martin. En termes d’organisation de la ressource
humaine, les entreprises se plaignent d’un « manque d’initiative » de leurs salariés qu’ils
attribuent à l’organisation collectiviste du travail. Celle-ci aurait entrainé pendant ces
soixante-dix dernières années comme non souhaitable toute initiative personnelle.
L’entreprise Martin a donc insisté sur l’autonomisation de ses salariés ukrainiens et les a
formé afin qu’ils soient polyvalents. De même, les autres entreprises forment leurs salariés à
la manipulation des machines importées souvent très électroniques.
À travers tous ces arguments allant vers l’émergence d’un nouveau modèle agricole,
on peut classer ces trois entreprises par degré d’orientation croissant vers une « agriculture de
firme » : l’entreprise Dupont, l’entreprise Rimbaud et enfin l’entreprise Martin. Cette
trajectoire supporte des contraintes de taille d’exploitations, de gestion financière, et des
contraintes liées à l’adaptation à une extension en Ukraine. Les contraintes de superficie font
évoluer l’entreprise vers une maîtrise des outils d’organisation du travail et de gestion de leurs
personnels. Les contraintes de gestion financière nécessitent une expertise légale et financière
pour assurer une optimisation fiscale. Et, la couverture d’une entreprise agricole
multinationale sur le marché international devient indispensable pour gérer le risque de
change ou la volatilité des prix. Cependant, ces adaptations n’oblitèrent pas leur activité
première de production agricole qui reste le cœur de leur métier. Ce sont des entrepreneurs
agricoles qui s’inscrivent souvent dans un sillage familial et portent des valeurs
traditionnelles.
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C. CONCLUSION
Les entreprises que nous décrivons dans cette deuxième trajectoire sont nettement
différentes des entreprises de la première trajectoire.
D’abord par leurs dimensions, à l’exception de l’entreprise Rimbaud, toutes les autres
entreprises font plus de 3 000 ha. Les caractéristiques de ces entreprises correspondent, en
fait, aux conditions évoquées par un contact, Jean Jacques Hervé, pour développer une
activité agricole rentable. Ses critères sont ceux d’un banquier de renom dans le milieu
agricole ukrainien. Il préconise des tailles d’exploitations de 2 500 ha à 3 000 ha pour justifier
un équipement agricole moderne et dégager une marge nette d’environ 150 € à l’hectare.
L’investissement nécessaire est, selon lui, de 1 000 € à l’hectare avec un an et demi de cash-
flow avant la structuration de l’entreprise. Avec des sommes d’investissements qui atteignent
quatre millions d’euros pour 450 000 € de bénéfices net par an dans le cas d’une exploitation
de 3 000 ha, on atteint donc des objectifs financiers bien au-delà du modèle agricole familial
conventionnel où l’objectif est d’abord la reproduction de la famille.
3. 3ÈME
TRAJECTOIRE D’ENTREPRISE : LA SOCIÉTÉ HOLDING, CAS DES
ENTREPRISES LEROY ET GROEN, IVAN, PETRO
Il s’agit ici du type de trajectoire correspondant le plus à une agriculture inscrite dans
une économie financiarisée.
Trajectoire 3
entreprise Leroy Groen Ivan Petro
année de création 2007 2006 2000 1993 ou 2003
nombre associés 24 actionnaires
principaux 2 n.r n.r
nombre hectares 2011 45 000 19 000 31 000 > 100 000
nombre propriétaires +/- 10 000 n.r n.r n.r
durée du bail 10 ans n.r n.r n.r
zone d'étude C et D C B B
Remarque : « n.r » signifie non renseigné
L’entreprise Leroy a été créée pour reprendre le projet avorté d’une grande
coopérative céréalière française en Ukraine. C’est une holding siégeant en France, actionnaire
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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unique de la société ukrainienne Leroy Ukraine et créé en même temps que celle-ci. La
société ukrainienne Leroy Ukraine est donc une filiale de la holding française Leroy, mais les
unités de production appartiennent soit à la première soit à la seconde, soit même à une autre
filiale de Leroy holding française. Pourtant, l’ensemble de ce conglomérat, si on excepte une
activité en développement tout juste lancé en Argentine, a pour seule activité de production
agricole ses six exploitations agricoles en Ukraine. Pour des raisons de simplification, nous
désignerons par Leroy Ukraine toutes les entités dont l’activité d’exploitation se déploie en
Ukraine et par Leroy Holding toutes les autres entités. La première activité de l’entreprise
Leroy a été dès 2007, année de sa création, la production extensive de céréales et
oléoprotéagineux sur le territoire ukrainien, destiné au marché international. Cette société
fonctionne sur une production commerciale et sur une base financière de spéculation. Les
associés ont peu, voire même n’ont pas, de lien avec la production agricole. Ce sont avant tout
des investisseurs qui se tournent aujourd’hui sur le secteur agricole à la faveur des
opportunités qu’offre le marché international des matières premières. Ainsi, la participation
des actionnaires a pour but de diversifier leurs activités.
Dans le cas de l’entreprise hollandaise Groen, la création de l’entreprise s’est faite
pour diversifier les activités de la holding. La holding hollandaise n’avait jusque-là pas
d’activité dans le secteur agricole et ses activités n’ont pas vocation à s’inscrire dans une
démarche cohérente de métier mais c’est l’activité d’investisseur qui est le métier en soi.
L’entreprise étrangère Ivan est quant à elle à l’origine de multiples investissement
étrangers qui se sont succédés. En 2007, la direction allemande aurait vendu l’entreprise au
fond d’investissement, Morgan Stanley qui l’a revendu en 2009 au fond d’investissement
Finch Investment. Ce dernier est actionnaire dans divers secteurs d’activités sans lien avec le
secteur agricole.
Enfin, l’entreprise ukrainienne Petro est le résultat de la diversification du portefeuille
d’un oligarque ukrainien qui, il y a vingt ans, a fait fortune dans un autre secteur d’activité, le
transfert de gaz russe. Cette entreprise a pour particularité d’être la seule à s’être diversifiée
dans la transformation agro-alimentaire. Ces deux dernières sociétés crées dans les années
2000 trouvent des actionnaires étrangers aux capitaux souvent originaires de paradis fiscaux.
A. LA CONSTITUTION D’UN FONCIER ABONDANT
Les entreprises Leroy et Groen sont arrivées en Ukraine en 2006 et louent
respectivement 45 000 ha (soit plus de 10 000 contrats de location et 400 salariés plus 150
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saisonniers) et 19 000 ha. L’entreprise Leroy a une dizaine d’associés et une vingtaine
d’actionnaires principaux. Entre 2007 et 2011, l’entreprise Leroy a doublé ses unités de
production en passant de trois à six soit de 20 000 ha à plus de 45 000 ha. Chaque unité de
production fait 8 000 ha en moyenne. Pour son introduction en bourse, l’entreprise Leroy a
annoncé son objectif d’atteindre une superficie de 100 000 ha en 2012. Ces 100 000 ha
seraient répartit entre douze unités de production en Ukraine et deux ou trois clusters57
principalement de machinisme agricole. Cette société a donc pour principal objectif sa
concentration foncière avant même l’objectif d’une production abondante.
L’entreprise Ivan concentre 31 000 ha dans deux régions de l’Ukraine éloignées l’une
de l’autre. Une unité de production concentre en moyenne le foncier d’une vingtaine de
villages. L’entreprise Petro à travers ses nombreuses unités de production est quant à elle
implantée dans cinq cent villages.
Dans le cas de ces quatre sociétés, la concentration d’un foncier aussi abondant est le
fait de rachat de plusieurs entreprises en faillite ayant elle-même succédées à la
décapitalisation des exploitations collectives, sovkhozes et kolkhozes. Ainsi, le nom des
entreprises agricoles en faillite devient une information stratégique pour ces entreprises à
l’affut de bonnes affaires. Pour être tenu informé avant ses concurrents de la bonne affaire
mieux vaut être en très bonne relation avec l’administration du raion. Des cadeaux tels que
des 4x4 aident ces entreprises à obtenir l’information. La recherche active de foncier
disponible crée des emplois sous-terrain. Les vendeurs d’intrants sont en contact permanent
avec les gens de leur village et leurs clients. Ils sont donc les mieux placés pour connaître le
nom des entreprises en faillite favorables à leur mise en vente. L’entreprise intéressée paie ces
vendeurs d’intrants pour qu’ils fassent ce travail de recherche. Dans un même temps, les
mêmes vendeurs d’intrants sont payés par d’autres entreprises, qui parfois augmentent la
récompense.
La direction française de l’entreprise Leroy n’assure pas une présence permanente en
Ukraine. La direction se déplace seulement pour la contractualisation d’acquisition
d’entreprise en faillite. Cependant, la direction aurait déjà procédé à une acquisition par
téléphone sans même se déplacer sur l’exploitation en question. L’entreprise n’accorderait
57
Terme utilisé par le directeur de la Leroy holding pour ses unités de production. En principe, ce terme
est réservé à un lieu géographique regroupant une concentration d’acteurs de la production, de la recherche et de
l’enseignement supérieur.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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donc pas une grande importance à la qualité des terres et des bâtiments repris. L’objectif est
bien avant tout de concentrer du foncier quel que soit sa qualité.
B. LA DÉLÉGATION DES AFFAIRES COURANTES
Dans le cas de l’entreprise Ivan c’est le siège Ivan Ukraine, à Kiev, qui décide de la
stratégie d’entreprise, qui gère les ressources humaines et la prospection foncière, alors que
les unités de production ont seulement le pouvoir de décision des choix quotidiens et de
l’assolement mais toujours en accord avec le siège à Kiev. Ainsi, l’établissement Leroy 1
adapte son plan d’assolement aux us et coutumes du pays. En effet, le plan d’assolement est
décidé en fonction des cultures les plus volées. Cette décision de l’organisation de
l’assolement est faite par le chef de culture français présent sur l’exploitation avec l’accord de
sa direction en France sans même passer par la holding ukrainienne.
Les actionnaires de ces entreprises ne s’investissent donc pas dans le processus
décisionnaire de l’entreprise. Dans le cas de l’entreprise Leroy, les actionnaires ne participent
pas aux décisions agricoles qu’elles soient quotidiennes ou annuelles. Ils sont tenus informés
des résultats économiques et des grandes décisions, une fois par an, lors de l’assemblé
générale des actionnaires, s’ils y assistent. Seuls les salariés, généralement associés, de la
holding prennent les décisions agronomiques et stratégiques de l’entreprise, de ses filiales et
multiples établissements. Cependant, les salariés de la holding française, eux-mêmes
délèguent la gestion quotidienne de l’exploitation soit à un salarié français présent en
permanence sur l’unité d’exploitation soit à un salarié ukrainien vivant en ville mais assisté
d’un salarié français. Ainsi, l’entreprise Leroy insiste sur sa stratégie de management par
l’association des compétences France-Ukraine. Le vice-président de l’entreprise expliquait
que « les agriculteurs ukrainiens ne maîtrisent pas la technique européenne mais les
agriculteurs français ne maitrisent pas la grandeur et l’environnement ukrainien ».
L’entreprise n’aurait qu’une dizaine de salariés français sur les quatre-cents qu’elle
compte. Cette dizaine de salariés français a des postes à responsabilités sur une des unités de
production comme chef de culture, d’autres tels que les analystes financiers, sont au siège
social de la filiale Leroy Ukraine à Kiev. Le directeur de Leroy Ukraine ne prend aucune
décision. Cependant, la filiale ukrainienne se charge tout de même de la prospection foncière
avec l’aide de ses multiples unités de production et gère la logistique des intrants.
Le directeur de Leroy Ukraine 1 a changé trois fois. Le directeur actuel, mécanicien de
formation, est un ancien manager de Coca-Cola Ukraine. Le directeur de Leroy Ukraine 2 est
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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un ancien salarié du kolkhoze. L’exploitation a connu un chef de culture par an depuis la
création de l’entreprise. En effet, la solitude en aurait découragé plus d’un. De plus, la
communication entre les salariés à poste à responsabilité est rendu difficile par la barrière
linguistique. Ce problème de communication ralentirait le travail sur l’exploitation.
L’entreprise hollandaise Groen procède de la même manière que l’entreprise Leroy.
Cependant, la gestion de l’exploitation est systématiquement déléguée à un « local »
ukrainien. Ainsi, le directeur ukrainien de l’établissement Groen Ukraine 1 est à la fois un
ancien chef de kolkhoze et un ancien haut responsable administratif du raion. Pour des raisons
juridiques et fiscales, le directeur de l’unité de production est ukrainien. Il n’intervient pas
dans la gestion technique agricole de l’exploitation. Chaque unité de production définit son
budget annuel validé ensuite par la hiérarchie en France sans passer par le siège à Kiev.
Cependant, il assure la gestion de l’exploitation et est entouré, pour cela, d’une équipe
administrative et technique qualifiée. Les ouvriers agricoles des multiples établissements des
entreprises Leroy et Groen sont les anciens ouvriers des kolkhozes repris par les entreprises :
leur méthode de travail n’a pas beaucoup changé. L’origine des salariés n’est donc pas en
rupture avec le secteur agricole, comme c’est le cas pour les autres trajectoires.
Cette organisation entièrement délégatrice du travail est en rupture avec le modèle
agricole familial. L’entreprise française Leroy est donc en totale rupture avec le modèle de
l’agriculture familiale.
Les unités de production des filiales ukrainiennes sont indépendantes dans leur
production. C'est-à-dire qu’il n’y a aucun échange entre les unités de production d’une même
filiale sauf dans le cas des unités de production Leroy qui s’échangent du matériel et la filiale
de machinisme agricole qui fournit les filiales de production de la holding Ivan.
Le matériel agricole acheté en Ukraine pour les sociétés ukrainiennes et hollandaise
est de marque allemande, française, américaine et japonaise. Les exploitations cumulent
souvent du matériel de l’ancien kolkhoze et du matériel moderne. Les silos d’État souvent
vétustes entrainent les entreprises à investir dans leur propre matériel de séchage et de
stockage souvent implanté à 40 km des exploitations. L’entreprise Ivan s’est trouvée
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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confrontée à la saturation de ses emplacements de stockage et a investi dans des silos bag58
argentin. Ce genre de matériel est le signe d’un secteur agricole en manque d’investissement.
Pour conclure, les sociétés étrangères ne sont pas les seules à amener des nouveaux
modèles agricoles, puisqu’en Ukraine, les grandes sociétés agricoles ukrainiennes – créées à
l’initiative de riches et puissants oligarques ukrainiens – sont, elles aussi, en rupture avec le
modèle familial traditionnel et le modèle agricole de l’époque soviétique. Certaines, cotées en
bourse, sont de taille plus importante que les sociétés étrangères. À partir de quelques cas
effleurés pendant le terrain, je peux évoquer quelques sociétés paraissant emblématiques : les
sociétés Astarta, Enselko, Kernel, MHP, MRIA, Stiomi Holding et les entreprises rachetées
par le milliardaire ukrainien Avant-Garde.
Cependant, le montage juridique de ces entreprises est complexe, il est alors difficile
de remonter à l’origine exacte des capitaux. D’autant plus que très peu d’informations
circulent sur internet à leur sujet, ou bien il faut accéder aux sites Internet russes et ukrainiens
mais pour cela une bonne maîtrise des langues russes et ukrainiennes est nécessaire. Un état
des lieux du fonctionnement économique de ces sociétés pourrait être le sujet d’un futur
travail afin de comprendre où ces sociétés se situent dans les trajectoires construites ici et dans
quelles dynamiques de développement elles s’inscrivent. Finalement, c’était ces entreprises là
que j’avais pour objectif de rencontrer, mais cela nécessite une maitrise de la langue russe et
la création d’un réseau que j’ai pu former au cours de mon premier terrain.
C. UNE SOCIÉTÉ EN HOLDING, DES OBJECTIFS FINANCIERS
Le montage juridique de l’entreprise Leroy est celui d’une holding siégeant en France
propriétaire à 100 % de sa filiale Leroy Ukraine, elle-même propriétaire à 100 % de ses six
établissements en Ukraine ou d’autres filiales propriétaires à 100 % d’un des six
établissements.
La filiale Ivan Ukraine est spécialisée dans la production extensive céréalière répartie
elle-même en deux filiales de production dont l’une a dix unités de production. La filiale
ukrainienne possède aussi une filiale de prestation de service en machinisme agricole pour les
deux filiales de production.
58
Un silo bag est une longue bâche plastique utilisée comme mesure temporaire lorsque l’importance
des récoltes nécessite plus d'espace. Mais, certaines exploitations agricoles utilisent ce système de stockage de
manière continue parce que cette alternative au stockage « en dur » nécessite peu d'investissements.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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La société ukrainienne Petro est spécialisée dans la production extensive céréalière
répartie sur deux filiales de production dans la même région. La société compterait en tout
4 700 parcelles entre 10 et 1 000 ha. D’autre part, la société s’est lancée dans l’intégration
verticale de la filière vers l’aval en développant des usines de transformation du blé en farine
pour faire du pain, lui-même commercialisé dans ses deux boulangeries. Cette intégration
verticale de la production permet à la société de dégager une plus-value bien plus importante.
Ce choix de l’intégration verticale résulte bien d’une recherche d’optimisation de la valeur-
ajoutée.
Dans le cas d’entreprises cotées en bourse, Petro et Leroy, l’origine des capitaux est
multinationale et multisectorielle. De plus, puisque aucune de ces deux entreprises n’avaient
d’activité agricole avant le projet ukrainien, il n’y a pas eu de flux de matériel d’une
exploitation à une autre. Les capitaux des entreprises émanent donc des marchés financiers en
rupture avec l’origine rurale et agricole des capitaux. Dans le cas de l’entreprise Leroy, deux
de ces principaux actionnaires sont des sociétés de « gestion de fonds d’investissement dédiés
aux sociétés dont le développement à l’échelle mondiale prend en compte le développement
durable ».
Les origines professionnelles des responsables de l’entreprise Leroy sont diverses mais
toujours fortement liées au secteur financier. Ainsi, parmi les associés deux seulement ont
reçu une formation agricole mais tous ont travaillé dans la finance comme trader par exemple.
Les six unités de production détenues par Leroy holding partagent en théorie leur matériel
même si les membres de chaque établissement sont très peu en contact les uns les autres.
La société hollandaise Groen est une entreprise dont les deux associés hollandais sont
de la même famille. La société Groen a onze compagnies aux activités diverses dont la
production de béton, en Grande-Bretagne et en Irlande. En Ukraine, sa filiale Groen Ukraine
est elle-même actionnaire de deux filiales crée à deux ans d’intervalle, l’une en 2006, l’autre
en 2008 dans la même région. Chaque filiale est spécialisée dans une production agricole
différente, l’une dans la céréaliculture, l’autre dans l’élevage. Les deux filiales sont
autonomes l’une de l’autre.
L’entreprise étrangère Ivan est la propriété du fond d’investissement londonien Finch
Investment lui-même gestionnaire de placement exclusif de la société JadenFinch Limited,
basée à Jersey. Ce fond d’investissements investit dans des activités telles que le BTP, les
maisons de loisir et de luxe en Europe du nord et en Ukraine, la production de pétrole et le
captage de méthane « dans un processus de développement durable ».
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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L’entreprise Leroy a mis en place une stratégie de flexibilité, pour pouvoir s’inscrire
dans des stratégies spéculatives qui imposent de pouvoir modifier rapidement son offre, d’être
réactive. L’entreprise Leroy aurait pour objectif une fois une certaine superficie atteinte à un
moment T de revendre la société et bénéficier d’une plus-value suite à l’augmentation du
capital à l’hectare. Cette société est donc « prête à partir ». C’est pourquoi, elle gèlerait les
dépenses en équipement, et par conséquent louerait le matériel pour la moisson, tarderait à
investir dans les infrastructures de stockage. Les investisseurs étrangers sont arrivés pour la
grande majorité en Ukraine il y a cinq ans, lorsque la valeur foncière était encore faible. Et,
les investisseurs de la troisième trajectoire y ont trouvé une triple opportunité : une plus-value
foncière, une activité portée par la hausse du prix des matières première sur les marchés
internationaux, des conditions de productions extensives et donc moins exigeantes à
l’investissement.
L’entreprise Leroy a fait le choix d’une stratégie spéculative assise sur la flexibilité ;
elle développe cette stratégie à différentes échelles, pour jouer sur davantage de tableaux. En
Ukraine, elle a opté pour la création de six établissements, volontairement éloignés les uns des
autres, à plus de 200 km de distance. Cette multilocalisation intra-nationale est pour elle un
moyen d’équilibrer les risques climatiques. À l’internationale, l’entreprise vient de
s’implanter en Argentine. Cette multilocalisation internationale lui permet d’équilibrer les
risques de ses revenus cette fois-ci climatiques mais surtout géopolitiques. L’entreprise a
prospecté en Roumanie mais a fait le choix de l’Ukraine pour deux raisons : premièrement
parce que l’Ukraine ne fait pas partie de l’Union-Européenne, son économie est viable, c'est-
à-dire qu’une économie subventionnée par la PAC telle que c’est le cas en Roumanie ne serait
pas viable ; deuxièmement parce que l’implantation en Roumanie devait se faire
obligatoirement par l’achat des terres, ce que l’entreprise ne souhaitait pas.
De même, l’entreprise hollandaise Groen a mis en place une stratégie de flexibilité par
la sous-traitance du service marketing qui s’occupe de la vente des biens agricoles produits et
de la gestion des marchés à terme. Cette stratégie de flexibilité s’inscrit dans la stratégie
d’innovation dont émerge un nouveau modèle agricole.
L’entreprise Leroy assure ses récoltes sur les marchés à terme via deux sociétés : une
allemande et une russe. D’après mes contacts, l’entreprise Leroy n’aurait pas de stratégie de
vente contrairement à ce qu’elle déclare dans les communiqués de presse.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Quant à l’entreprise hollandaise Groen, sa filiale Groen Ukraine gère les ventes de la
production mais sous-traite les activités financières que sont les conseils de vente et les
marchés à terme.
Avant la mise en place des quotas, l’entreprise ukrainienne Petro faisait de
l’exportation directe c'est-à-dire qu’elle maitrisait le transfert de sa production de l’unité de
production au complexe industrialo-portuaire d’Odessa. Les produits transformés, c'est-à-dire
les produits boulangers, sont vendus sur le marché national voire même régional et assure
70 % de la consommation en pain de l’oblast.
La production est vendue à des exportateurs nationaux tels que Nibulon ou certaines
productions telles que le tournesol sur le marché national. En effet, il existe une filière de la
transformation du tournesol en Ukraine. Tout ce qui n’est pas transformé en Ukraine est
exporté. L’entreprise ne se charge pas de l’exportation. C’est à l’acheteur de s’organiser.
Cependant, l’entreprise hollandaise Groen paierait pour avoir le droit à exporter malgré la
politique des quotas.
4. CONCLUSION
Les trois trajectoires d’entreprises ainsi décrites dans cette partie provoque une
impression de continuité entre un modèle encore fortement familial dans la première
trajectoire, puis une agriculture capitalistique dans la deuxième et, enfin, une agriculture
financiarisée dans la troisième. Cette impression de continuité n’est pas établie : on ne sait pas
si la première trajectoire va devenir une deuxième trajectoire dans quelques années, bien qu’il
y ait un lien de progressivité lié à la superficie, et la dimension économique de ou des unités
de production. Pour ainsi dire, les lieux de commercialisation et l’organisation de la
production ne peuvent pas être les mêmes à l’échelle de la première trajectoire qu’aux
échelles des deuxième et troisième trajectoires. Les caractéristiques sont à la fois endogènes et
exogènes, c’est à dire à la fois liées aux choix économiques des acteurs et à une adaptation qui
n’est pas de leur propre initiative. Mais, ces caractéristiques sont aussi liées à une adaptation
aux particularités de la réalité ukrainienne.
L’Ukraine, et ce n’est pas anecdotique, n’a pas d’agriculture familiale sinon une agriculture
de subsistance dans les interstices laissées par le modèle agricole collectivisé. Ce qui équivaut
à étudier l’implantation agricole et son développement dans un contexte libéralisé qui, à la
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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différence de la France, n’a pas une agriculture de tradition familiale. En fait, il n’y a pas, en
Ukraine, véritablement de passage d’une agriculture familiale qui ait permis une
intensification productive progressive. La disparition de l’agriculture collectivisée après la
chute de l’URSS a laissé un vide qui a attiré des investissements aux objectifs bien
différentiés. Le projet des investisseurs nécessite ainsi un apport de capitaux adapté. Même
s’il est possible de constater des porosités, les trajectoires présentent des objectifs stratégiques
différents et parfois même contradictoire. La première trajectoire a l’objectif d’assurer la
reproduction familiale. La deuxième trajectoire constitue un choix stratégique de
développement par intensification de la production dans une perspective de long terme. Et, la
troisième trajectoire relève d’un « développement optimal » dans une perspective de
valorisation du foncier, du capital de l’entreprise et des productions sur les marchés
financiers. Maintenant que nous avons établi ces trois trajectoires d’entreprises, nous pouvons
tenter de « mesurer » l’impact de leur présence sur le territoire locale ukrainien.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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PARTIE 3. IMPACT SUR LE TERRITOIRE : LES ENJEUX D’UN NOUVEAU MODÈLE
AGRICOLE
Dans cette troisième partie, il s’agit de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse selon
laquelle l’entreprise aurait un impact négatif sur les territoires locaux en Ukraine.
Tout comme pour la construction des trajectoires évoquées dans la deuxième partie, le
matériel utilisé est celui d’entretiens, qu’ils soient téléphoniques ou en face à face. Ils ont été
réalisés au cours du premier semestre 2011 auprès d’un échantillon de douze entreprises
françaises et ukrainiennes et d’autres acteurs tels que l’administration ukrainienne, Ubifrance,
la filiale ukrainienne du Crédit Agricole ou Agritel. Les rencontres avec l’administration
ukrainienne aux échelles du conseil de village59
, du raion, de l’oblast et du gouvernement ont
donné accès à des statistiques. Les données statistiques étant imprécises, il est plus prudent de
s’en tenir aux ordres de grandeurs. Comme le confirme Marie-Claude Maurel, les statistiques
agricoles ne sont ni fiables ni comparables entre les pays car « les définitions retenues par les
organismes statistiques varient d’un pays à l’autre, l’enregistrement des unités de production
est peu fiable, notamment concernant les micro-exploitations individuelles qui ne sont pas
systématiquement prises en compte » (Maurel in Charvet, 2007). Dans le cas de l’Ukraine, les
micro-exploitations sont majoritaires et leur activité est essentielle dans le pays ; pourtant,
elles sont écartées de tous les recueils statistiques. Celles-ci sont d’ailleurs souvent
inexploitables. Ainsi, j’aurai souhaité illustrer l’analyse qui suit avec des arguments
statistiques, par exemple sur l’évolution des structures de production agricole dans le conseil
de village Zolotisti. Malheureusement, les statistiques dont je dispose sur le conseil de village
Zolotisti abordent seulement l’année 2009 et ne permettent donc pas une étude diachronique.
De plus, les deux sources de statistique sur ce conseil de village se contredisent. Cette
contradiction est certainement due à des différences de définitions statistiques. Enfin, malgré
une longue recherche d’explications, je n’ai pas réussi à distinguer les catégories statistiques
que recouvrent les expressions « exploitation agricole de marché », « investisseur », « société
anonyme », « coopérative de production », « coopérative préposée », « exploitation
agricole », ou encore « entrepreneur privé ». Mes sources statistiques sont donc difficilement
exploitables. D’autre part, je dispose d’un livre statistique complet avec les définitions
59
Le découpage administratif en Ukraine se fait ainsi : « conseil de village », « raion », « oblast ». Le
« Conseil de village » est la traduction littérale de « cільська рада » (silska rada) en ukrainien, l’équivalent de ce
que nous appellerions « commune » en français. Le « raion » est la traduction phonétique de « район » en
ukrainien qui peut se traduire par « district », « département », « espace », « secteur », « région ». Enfin,
« oblast » est la traduction phonétique de « област », en ukrainien qui peut se traduire par « région ».
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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statistiques. Cependant, les statistiques sont générales à l’échelle de l’oblast. Cette échelle
d’analyse n’est pas suffisamment pointue pour compléter notre étude de cas du conseil de
village.
Pour répondre à l’hypothèse, les indicateurs utilisés sont les enjeux locaux qui
émergent de la présence des exploitations étudiées, tant au niveau institutionnel, social que
économique. Par enjeux, on entend les intérêts que mobilise la présence de l’exploitation pour
les petits propriétaires fonciers, les élus, l’administration, la population, les autres
exploitations et tous les acteurs à l’échelle du conseil de village d’abord et plus largement du
raion. On s’intéressera au travers des réseaux locaux intégrés par l’entreprise : à la dynamique
locale, au développement d’infrastructures, à la création d’emplois, aux échanges marchands
et non marchands. Enfin, on tentera de dégager de ces enjeux, la relation entre les systèmes de
production, c’est-à-dire, les interdépendances entre les différents types de productions
agricoles en Ukraine.
D’abord, nous procèderons à deux études de cas, afin de comprendre les effets et
dynamiques qui se mettent en place localement lors de l’arrivée de grandes entreprises
agricoles. Je prendrai l’exemple de deux conseils de village dans lesquels sont arrivées des
entreprises françaises. Puis, nous terminerons par une réflexion, ainsi nourrit par le terrain, sur
l’étendu et les limites des avantages socio-économiques de la présence des entreprises
agricoles étrangères en termes de dynamique locale.
Les deux sites choisis se distinguent par l’attractivité de la région dans laquelle les
entreprises agricoles étrangères se trouvent. Par conséquent, elles développent leur relation au
territoire dans des contextes bien différents. Dans un cas, la relation de ces entreprises se
développe dans un contexte de forte concurrence, dans l’autre, l’accès au foncier est moins
conflictuel. Cette variable ayant une influence sur les relations au territoire, on la distribuera
dans les deux études de cas suivantes.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Figure 18. Localisation des conseils de villages Zolotisti et Zelioni ayant fait l’objet d’une étude de cas
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011.
1. ÉTUDE DE CAS : LE CONSEIL DE VILLAGE ZOLOTISTI
A. PRÉSENTATION GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
À l’époque de l’URSS, le conseil de village Zolotisti était un kolkhoze de 7 896 ha
dont 6 232 ha étaient destinés à l’activité agricole, avec 5 317 ha de terres arables et le reste
de terres fourragères et de pâturages. Le conseil de villages Zolotisti, déjà composé de cinq
villages60
(voir Figure 19) à l’époque, comptait 3 500 habitants contre 2 300 habitants en
2011. L’exode rural, avec une baisse de 35 % de sa population en vingt ans, associé au fort
taux de chômage actuel, ont changé « le paysage » de Zolotisti (Maire du conseil de village
Zolotisti). L’agriculture est l’activité qui occupe la majorité des habitants « occupé par une
activité ». D’après un fichier statistique obtenu auprès du raion Rozovi, 45 % des habitants du
conseil de village sont occupés par une activité agricole. On remarquera que ce critère
statistique est différent de la population active.
60
Pour faciliter la compréhension des lieux, les cinq villages du conseil de village Zolotisti seront
appelés village 1 de Zolotisti, village 2 de Zolotisti, village 3 de Zolotisti, etc.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Figure 19. Ensemble des villages du conseil de village Zolotisti
Réalisation. Ariane WALASZEK, 2011
Les entreprises agricoles les plus anciennes du conseil de village Zolotisti, Sacha et
Mirko, créées en 2000, sont dirigées par des anciens chefs de poste du kolkhoze, un agronome
et un ingénieur mécanique. Ce sont aussi les plus petites en termes de superficie cultivée.
Quant aux deux entreprises agricoles les plus récentes, Rousseau et Ivan, celles-ci ont été
créées en 2006 et sont toutes deux à capitaux étrangers. Ce sont les plus grandes en termes de
superficie cultivée mais leur expansion voit déjà poindre d’autres géants à l’horizon.
a) L’arrivée de l’entreprise Rousseau
Le directeur de l’entreprise Rousseau a commencé son activité agricole en Ukraine en
2006 à l’âge de vingt-deux ans avec 400 ha et du matériel. En parallèle de sa propre
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installation, il a installé un français, Henri, sur 600 ha mais celui-ci disposait déjà d’une
exploitation en France. C’est pourquoi, il ne pouvait pas investir trop d’argent en Ukraine et
« n’a pas tout bien fait » (Rousseau). Rarement sur place en Ukraine, c’est le directeur de
l’entreprise Rousseau qui cultivait 200 ha puis la totalité des 600 ha d’Henri. Au bout d’une
ou deux années, le directeur de l’entreprise Rousseau est devenu le gérant de l’exploitation
d’Henri, en plus d’y faire de la prestation de services agricoles. En difficulté dès le début,
Henri ne rémunérait pas le directeur de l’entreprise Rousseau pour les services rendus, pas
plus qu’il ne lui payait son salaire de gérant. Il a ainsi cumulé une somme d’impayés
importante, qui, au fil du temps a atteint 200 000 €, valeur équivalente au montant du capital
d’exploitation qu’avait Henri. Lorsque Rousseau a décidé d’arrêter de travailler pour Henri,
celui-ci a arrêté son projet en Ukraine et le directeur de l’entreprise Rousseau a repris sa
ferme avec toutes les dettes. De son côté, l’entreprise Rousseau s’est agrandit en ajoutant
400 ha à ses terres, parvenant à un total de 800 ha. C’est ainsi qu’en 2009, l’entreprise
Rousseau a atteint les 1 000 ha. Puis, 1 500 ha en 2011. Cet agrandissement progressif de
l’exploitation de l’entreprise Rousseau est, de l’aveu même de son directeur, une raison
essentielle de son succès. Les délais de remise en culture de terres en friches auraient
nécessité – sinon – des coûts à l’ouverture beaucoup plus importants. L’agrandissement
progressif de son installation a permis à l’entreprise d’assurer une rentabilité sur ses premières
terres qui a financièrement soutenu l’expansion de l’exploitation agricole.
Les 1 500 ha de l’entreprise Rousseau sont répartis sur trois conseils de villages de
trois raions différents, dont deux villages voisins et un à 40 km des deux autres qui
correspond à la dernière acquisition de 500 ha. L’entreprise Rousseau est enregistrée dans
chaque village sous un nom différent. La partie de l’exploitation dans le conseil de village
Zolotisti fait 400 ha, principalement concentrés dans le village 2 de Zolotisti. L’exploitation
se situe dans l’une des zones les plus fertiles du pays. Les terres et la pluviométrie sont
« exceptionnelles » (Rousseau), permettant des rendements comparables aux bonnes régions
françaises, le tout sans irriguer.
Le directeur aurait pu prendre beaucoup plus de terres à son installation mais il ne
voulait pas prendre de risque. Arrivé en 2011, il ne regrette pas ce choix qui lui a permis
d’avoir une exploitation rentable très rapidement. Mais, la concurrence foncière l’empêche
maintenant de s’agrandir.
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b) L’ « agroholding » Ivan
L’entreprise Ivan est arrivée deux mois après l’entreprise Rousseau et, si Rousseau
l’avait su, il ne se serait pas lancé dans ce projet. Il est obligé de faire 40 km pour ne plus être
sur le territoire de l’« agroholding » Ivan et donc trouver des terres. En effet, entre les deux
sites de production de l’entreprise Rousseau éloignés de 40 km, les trois quarts des champs
sont exploités par l’entreprise Ivan. Si l’entreprise Rousseau était arrivée quelques mois plus
tard, elle n’aurait pas pu s’installer puisqu’Ivan aurait pris toutes les terres.
Chacune des deux entreprises gênent l’expansion de leur voisin. Ainsi, en 2010, une
société en faillite de 5 000 ha dans un village du raion Rozovi était à vendre. L’entreprise
Rousseau voulait récupérer 1 000 des 5 000 ha de cette société mais l’entreprise Ivan a
récupéré la totalité des baux. « Il [Ivan] mange toutes les entreprises en faillite ». « Il
m’encercle » (Rousseau).
L’« agroholding » Ivan a beaucoup de moyens, puisqu’elle a toujours de nouvelles
machines et s’agrandit chaque année de plusieurs milliers d’hectares. D’après l’entreprise
Rousseau, l’entreprise Ivan est très spécialisée. Selon l’exploitant, elle « ne sait faire que du
maïs » car sur le raion Rozovi, l’entreprise sème 14 000 ha de ses 20 000 ha en maïs.
c) Les autres « agroholdings »
Dans la région, d’autres « agroholdings » sont présentes. Mais, celles-ci semblent
moins gêner l’entreprise Rousseau car elles étaient présentes avant elle, et ne sont pas en
compétition directement dans le conseil de village Zolotisti.
Présentée dans la troisième trajectoire, l’entreprise Petro est effectivement arrivée
avant les entreprises Rousseau et Ivan. Avec ses 136 000 ha et des activités très intégrées,
depuis la production agricole jusqu’aux boulangeries, elle est bien plus grande que
l’entreprise Ivan. C’est d’ailleurs la plus grande société agricole de la région. L’objectif de
cette « agroholding » serait d’entrer en bourse, mais pour cela elle dit devoir atteindre les
200 000 ha. L’entreprise Petro serait devenue trop grande. « Tant que tu développes ça va,
mais quand tu stagnes au bout d’un moment, il faut tenir la machine, il faut gérer ».
« L’entreprise serait restée à 50 000 ha bien gérés, elle se tiendrait tout aussi bien »
(Rousseau). Mais, ce n’est de toute évidence pas l’objectif de ses directeurs : « Leur optique
normalement, c’est de se foutre à la bourse ». Toutes les « agroholdings » veulent arriver à
200 000 ha pour entrer en bourse. En effet, plusieurs directeurs interviewés indiquent que
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200 000 ha est une taille qui intéresse au niveau mondial pour être rachetée par des grosses
sociétés multinationales.
Concurrent de l’entreprise Petro, l’ « agroholding » MRIA siège 100 km plus loin,
dans l’oblast voisin. À l’origine, spécialisée dans la production de pomme de terre sur
50 000 ha, cette entreprise atteint maintenant les 200 000 ha. Mais, il faut de la place pour
toutes ces terres. C’est pourquoi, les entreprises Petro et MRIA sont maintenant voisines et
empiètent sur le territoire de l’une et l’autre. Ces « empires » sont des entreprises qui savent
faire de l’argent. Les capitaux de départ aux origines douteuses, ont permis à ces sociétés
d’investir cet argent dans les terres. « Elles ont su s’y prendre et faire de l’argent. Quand une
société a un bilan financier positif, elle se développe. Il y a des gens qui savent faire et
d’autres qui ne savent pas faire. Ceux qui savent faire, ils se développent et ça donne des
empires » (Rousseau).
D’autres « agroholdings » sont présentes telles que l’entreprise ATK, basée à 60 km,
qui appartient à un fond de pension américain. Enfin, Agro-Region, une entreprise de
50 000 ha, est dirigée par un ancien ministre de l’agriculture ukrainien.
Cependant ces « empires » ne s’agrandiraient plus, ou moins rapidement, depuis ces
trois dernières années à cause de la concurrence foncière.
d) Perspectives
Si l’entreprise Rousseau et les autres entreprises à gros capitaux étrangers ou
ukrainiens ont pu s’implanter en Ukraine, c’est parce qu’elles sont arrivées quand la terre
n’avait pas de valeur. « On a pu profiter du manque de financement des banques et avoir des
terres pour presque rien » (Rousseau). Tant que les banques ne fonctionnent pas,
l’investisseur étranger a beaucoup plus de facilité que les Ukrainiens et seules les
« agroholdings » arrivent à s’agrandir rapidement parce qu’elles accèdent à des banques
internationales. L’argent injecté au début de la course vers les terres ukrainiennes venait donc
essentiellement de l’extérieur alors que les entreprises agricoles ukrainiennes de moins de
1 000 ha ont, aujourd’hui encore, très peu accès au crédit. Lorsqu’elles obtiennent des
financements, c’est avec un taux d’intérêt prohibitif de 15 %.
En cas de levée du moratoire, la situation pourrait se reproduire : l’accès aux crédits
étant difficile sur place, seules les entreprises dont les capitaux viennent de l’étranger, ou les
entreprises nationales très capitalisées, en lien avec les marchés financiers internationaux,
pourraient accéder à l’achat des terres. Pourtant, le directeur de l’entreprise Rousseau voit
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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cette levée du moratoire comme une opportunité pour battre ses puissants concurrents. En
effet, d’après lui, son capital à l’hectare beaucoup plus élevé que celui des « agroholdings »
lui donnera l’avantage, parce que son capital est réparti sur des superficies beaucoup moins
importantes. Ainsi, le directeur de l’entreprise Rousseau pense que les « agroholdings »
tireront leurs offres de prix d’achat vers le bas pour acquérir le plus de pailles possible. Alors
que lui, qui souhaite ne pas dépasser les 5 000 ha, pourra en offrir un prix plus élevé et plus
compétitif lors de la vente. C’est pourquoi, ce directeur conseille de ne pas s’agrandir trop
vite, afin de s’assurer d’avoir en permanence le capital nécessaire pour être prêt à l’achat de
terre quand le moratoire prendra fin. Ses réserves se portent plutôt du côté des villageois qui
ne seront pas prêts à vendre leur paille, sauf ceux qui auront besoin d’argent rapidement pour
des raisons familiales. Et même dans le cas où les propriétaires voudraient vendre, il faudrait
attendre alors la fin du bail.
Maintenant que nous avons présenté successivement ces exploitations agricoles du
conseil de village Zolotisti, nous pouvons analyser les nombreuses interactions qu’elles
entretiennent tout au long de leur développement. Ces interactions s’inscrivent dans des
relations de partenariat ou de compétition.
B. VOISINAGE AGRICOLE : COLLABORATION ET CONCURRENCE
Il y a cinq ans, à l’arrivée des deux investisseurs étrangers, le conseil de village
Zolotisti était constitué d’un paysage principalement de friches. Depuis, toutes les terres ont
été remises en culture, de même que les « terres de réserve ». En cinq ans, l’accès au foncier
est devenu difficile. On constate aujourd’hui une lutte des entreprises agricoles pour sécuriser
leur foncier et obtenir les baux restants.
a) Collaboration et concurrence autour du foncier
La répartition des entreprises sur le territoire du conseil de village Zolotisti s’est faite à
partir des unités de production de l’ancien kolkhoze et quatre à cinq entreprises agricoles se
battent pour avoir les terres du conseil de village.
Chaque entreprise agricole occupe l’unité de production d’un des cinq villages. Les
agriculteurs appellent ces unités de production, « base ». Chaque entreprise privilégie la
location des pailles les plus proches de leur « base ». C’est ainsi que se répartissent les
entreprises sur le territoire communal.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Le schéma (voir Figure 20) est un exemple de la répartition spatiale des entreprises
dans le village 1 de Zolotisti où l’entreprise Sacha a sa « base ».
Figure 20. Plan de zonage des entreprises agricoles dans le village 1 Zolotisti
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
Ainsi, comme on le voit sur la Figure 20, les pailles louées par l’entreprise Sacha sont
concentrées à l’ouest du village 1 de Zolotisti alors que celles de l’entreprise Mirko sont à
l’est plus près de sa « base » implantée dans le village 2 de Zolotisti; celles-louées par
l’entreprise Rousseau sont concentrées au centre et au sud du village. Quant à l’entreprise
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Ivan classée dans la troisième trajectoire, les parcelles qu’elle exploite entourent les autres
entreprises.
Cependant, dans les faits les parcelles sont rarement parfaitement homogènes, une
entreprise loue toujours quelques pailles éparpillées sur des parcelles dont la majorité des
pailles ne sont pas sous sa location mais sous celle d’une autre entreprise. Dans ce cas,
l’entreprise échange le droit d’usufruit de la paille avec l’entreprise majoritairement présente
sur la parcelle afin d’obtenir des superficies continues. Cet échange est officieux et s’opère
lors de réunions entre voisins agricoles.
Ces réunions sont rares et ne sont pas bon signe. « Quand il y a des réunions, c’est
quand il y a des problèmes » (Rousseau). Mais, lors de la mise en route de l’entreprise, des
réunions ont eu lieu pour mettre au point l’échange de terre entre les entreprises pour
optimiser la continuité du parcellaire. Ainsi, depuis ses réunions, l’entreprise Rousseau a
échangé l’usage de parcelle avec la petite entreprise Mirko.
L’entreprise Rousseau est en concurrence pour l’accès au foncier principalement avec
l’ « agroholding » Ivan. L’entreprise Rousseau essaie d’obtenir des baux de longue durée
pour sécuriser son foncier. D’après la loi ukrainienne, la durée d’un bail peut varier de un à
quarante-neuf ans et onze mois. Mais, dans certains raions, la durée du bail est fixée
officieusement par l’administration. C’est le cas du raion Rozovi du conseil de village
Zolotisti. En 2006, à son arrivée, l’entreprise Rousseau contractait des baux de dix ans.
Depuis, la durée d’un bail a été réduite à cinq ans, sous la pression du raion auprès des
propriétaires. Pour obtenir une concentration foncière de 1 500 ha, l’entreprise Rousseau loue
ainsi les pailles de six-cents propriétaires.
Plusieurs alternatives se présentent pour contrer la difficulté d’accès au foncier
agricole dans le jeu des modalités locales. Du fait de la forte concurrence foncière depuis
quelques années, la recherche de foncier disponible est une activité permanente de
l’entreprise. Les « terres idéales » (Rousseau) à proximité de l’exploitation Rousseau, c’est
l’« agroholding » Ivan qui les occupe : une surface plane de plusieurs centaines d’hectares (la
grande parcelle au Nord sur la Figure 20). Dans ce cadre, l’information sur le foncier
disponible est stratégique.
Pour accéder au foncier en situation de rareté, la pratique la plus efficace reste le
rachat d’entreprise en faillite. L’information stratégique essentielle est alors le nom des
entreprises en faillite prête à vendre. L’entreprise doit créer son réseau et alimenter celui-ci
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financièrement de façon à ce qu’il lui communique les offres de locations intéressantes. Une
autre solution est de corrompre l’administration, comme le ferait l’« agroholding » Ivan, pour
être la première informée des entreprises en faillite. C’est d’ailleurs pour cette raison que les
rencontres avec l’administration ont été peu fructueuses lors de mes entretiens, celle-ci
refusant de donner le nom et la localisation des entreprises agricoles du raion. Ainsi depuis
quelques années, l’entreprise Ivan rafle toutes les opportunités d’agrandissement de
l’entreprise Rousseau. Le directeur de l’entreprise Rousseau soudoie lui aussi
l’administration : après avoir donné un pot de vin au chef de l’administration en échange de
proposition pour reprendre des terres, il a eu une proposition de l’administration pour
récupérer 400 ha d’une « agroholding » qui ne paie pas ses impôts. Mais, à ce jeu-là,
l’entreprise Rousseau ne peut rivaliser avec les moyens dont dispose son concurrent Ivan.
Il existe, malgré tout, des moyens alternatifs et horizontaux pour accéder à
l’information. Le directeur de l’entreprise Rousseau dit ironiquement que « c’est avec les
agroholdings qu’on fait les meilleures affaires ». Il explique ainsi que ce genre d’entreprise
délègue tout, au sein d’un montage juridique pyramidal et reprend aussi bien les bonnes que
les mauvaises terres. De sorte qu’un responsable chargé de reprendre des terres de
l’« agroholding », simple ouvrier, gagne 2 500 UAH/mois61
. Ce responsable travaille donc en
off pour l’entreprise Rousseau afin de lui permettre de contracter quelques hectares sur les
pailles les plus intéressantes. Il reçoit en échange un paiement de 1 000 UAH/ha62
. S’il
contracte une affaire de 500 ha, il pourrait ainsi gagner 500 000 UAH63
. « 500 000 grivna,
c’est rien pour moi, mais pour lui [l’employé de l’« agroholding »], ça lui ferait combien
d’année de travail ? » (Rousseau).
Ainsi, pour Rousseau, « ces grands empires délèguent de partout et ça part en
déconfiture ». Pourtant, même en y ajoutant les problèmes de vols sur les « bases », ces
« agroholdings » gagnent encore de l’argent. Selon le directeur de l’entreprise Rousseau, elles
font des bénéfices importants parce que les récoltes sont bonnes et se vendent chères. Mais,
quand arrivera une mauvaise année, seules les entreprises travaillant pour elle-même comme
l’entreprise Rousseau pourront se permettre de continuer à investir pour se développer. Il
suffit d’une année avec un bilan négatif et l’investisseur partira. « Ces agroholdings ne
peuvent pas tout maitriser » (Rousseau). L’entreprise Rousseau ne s’inquiète donc pas de son
avenir en Ukraine, bien au contraire « c’est plutôt pas mal pour moi » (Rousseau).
61
Un peu plus de 200 €. 62
Un peu moins de 100 €/ha. 63
Un peu moins de 45 000 € pour 500 ha.
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Comme nous avons pu le constater, cette concurrence s’exprime essentiellement
autour du foncier. L’arbitrage de la compétition est assumé d’une part par les institutions
administratives et représentatives sous la forme de rémunération marchande et non
marchande, et d’autre part par les habitants notamment les paillitevistes64
et les employés.
b) Autres collaborations et coopérations
Abordons maintenant les échanges qui ne sont pas liés par l’enjeu foncier. Il s’agit
d’échanges d’informations et de services entre exploitants avec des partenaires commerciaux,
des prestataires de service et tous les acteurs associés à l’implantation agricole française en
Ukraine.
Le réseau associatif agricole n’est pas très développé dans la région. L’entreprise
Rousseau est bien adhérente à une « association des producteurs agricoles » qui regroupe les
exploitants de moins de 2 000 ha. Mais, le président de l’association avait des informations
sur une entreprise en faillite, et c’est la raison pour laquelle le directeur de l’entreprise
Rousseau à juger opportun d’y adhérer. Cependant un des rôles de l’association consiste à
mettre les adhérents d’accord sur un prix de loyer à payer aux propriétaires. Ainsi, chaque
année, l’entreprise Rousseau reçoit un appel téléphonique de l’association qui lui demande
combien elle a l’intention de payer ses propriétaires. Cela permet à l’entreprise Rousseau
d’avoir un repère pour la rémunération de ses pailletivistes bien que l’entreprise paie
généralement plus que le montant du loyer décidé par l’association. Si elle paie beaucoup plus
que le montant décidé, l’association viendra le lui faire savoir.
Les collaborations observées sont plus généralement le fruit d’un contact direct. Ainsi,
l’entreprise Rousseau est en contact avec l’entreprise Martin, de la deuxième trajectoire.
Éloignées par la distance l’une de l’autre, ces deux entreprises se tiennent par exemple,
informées de l’évolution de leur récolte. Les échanges peuvent aborder des services d’une
autre nature : l’entreprise Rousseau a accompagné la récente installation de l’entreprise
Mercier, implantée dans un raion voisin. Ces deux entreprises sont en contact quotidien dans
le cadre d’aides diverses liées à l’exploitation agricole. D’autre part, l’entreprise Rousseau
reçoit par exemple des visites organisées par un agriculteur français retraité qui propose aux
64
Rappel : nom donné aux propriétaires d’une part foncière, d’une paille.
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agriculteurs français un service d’« agrotourisme » en Ukraine. Ainsi, le groupe visite
l’exploitation Rousseau. Toutefois, le directeur de l’entreprise se lasserait de ces visites
d’agriculteurs curieux sans projet concret. Il montre ainsi une réelle volonté de collaboration
autour de l’implantation de nouvelles exploitations françaises en Ukraine si tenté qu’il
s’agisse de projets concrets.
En dehors des agriculteurs, les partenariats et les collaborations peuvent s’établir avec
tout un ensemble de prestataires de services ou de fournisseurs.
Ainsi, le directeur Rousseau a appris que son collègue Mercier travaille au montage
d’un partenariat avec une société française spécialisée dans l’ingénierie agronomique qui voit
l’Ukraine comme un marché porteur. L’entreprise met à disposition une partie de ses champs
en échange de matériel pour faire ses propres expérimentations. Alors qu’en France, ce sont
généralement des organismes publics/privés qui se chargent de l’expérimentation
agronomique ; ce type de partenariats existe aussi, mais avec des conditions différentes. Le
manque d’encadrement technique agronomique et de moyens logistiques et financiers
disponibles en Ukraine ont donc entrainé les agriculteurs investisseurs français vers une
intégration verticale partielle de leur métier notamment par l’expérimentation des semences
en Ukraine.
L’entreprise Rousseau reçoit d’autres visites telles que celles de la société de conseil
Agritel qui lui a demandé d'organiser une rencontre avec les agriculteurs Français du coin.
L’objectif de la rencontre n’a pas été spécifié. La société Agritel cherche certainement à créer
un réseau de clients potentiels, auxquels vendre des informations ou des services. Cette
société organise aussi des voyages professionnels et fait du consulting.
Les entreprises Martin et Rimbaud, d’ailleurs, mobilisent aussi les marchés à terme
alors qu’il n’existe pas d’organisation des marchés à terme en Ukraine. Pour pouvoir le faire,
les associés qui se sont formés en France, font appel à un partenariat avec des sociétés
françaises telles que Desnagrain. Ainsi, l’implantation des entreprises agricoles charrient avec
elles tout un réseau de prestataires disponible qui propose des services destinés à répondre à
des besoins spécifiques de cette nouvelle agriculture au regard des lacunes du contexte
économique, juridique et administratif ukrainien.
Toutes ces collaborations avec des prestataires ou des exploitants sont souvent
éloignées ou en tout cas pas directement en concurrence foncière. La matrice de celles-ci est
un lien maintenu avec la France. On constate un effet d’attraction et d'entraînement que les
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français exercent les uns sur les autres : l'un va en Ukraine, a besoin de services n'existant pas
sur place et crée ainsi un marché pour des prestataires, qui vont ainsi répondre à une demande,
ou bien innove et met en place des pratiques auparavant inenvisagées, que d'autres vont
imiter. Produit de l'arrivée de nouveaux agriculteurs et du manque d'organisations collectives
dans l'agriculture ukrainienne, ces initiatives sont liées à l'arrivée d'une nouvelle agriculture et
les français ne sont pas seuls à les mener. Tout cela finit par produire un effet d’entrainement
plus général sur l'agriculture locale : les semences sélectionnées pour Mercier et pour les
entrepreneurs étrangers vont certainement finir par être vendues à d'autres, ou par donner à
des locaux l'idée d'en faire de même.
C. RELATION AU TERRITOIRE
La relation au territoire de l’entreprise et celle de l’entrepreneur dans un
environnement de forte interconnaissance sont intimement liées. Les liens non formalisés
d’échanges et de rétributions créent de fortes interdépendances. De sorte que dans un milieu
social d’interconnaissance et d’interdépendance, le dirigeant de l’exploitation, représente
celle-ci auprès de ses interlocuteurs. Cette dernière remarque concerne bien plus le gérant que
le propriétaire de l’entreprise. De la qualité de son intégration va dépendre celle de son
entreprise et de la qualité de celle-ci dépendra en retour la sienne. C’est pourquoi, nous
étudierons de front et indistinctement autant la relation de l’entrepreneur que celle de
l’entreprise. Nous aborderons donc ici la relation au milieu social puis celle avec les
institutions locales.
a) Relation au milieu social ukrainien
Le directeur de l’entreprise Rousseau vit en ville à vingt minutes en voiture de son
exploitation. Il a d’abord vécu dans un appartement, puis s’est acheté une maison neuve dans
une petite résidence, construite sur le modèle des gated communities65
. Il rentre peu en France
mais ça ne lui manque pas. « Je ne m’affole pas à rentrer » (Rousseau). D’ailleurs, il n’a pas
l’intention de retourner vivre en France. Il se sent bien en Ukraine, sur son exploitation avec
ses ouvriers et propriétaires dont il a gagné la confiance. Malgré tout, la concurrence foncière
avec son voisin agricole Ivan le pousse à changer d’exploitation. Ainsi, le directeur de
65
De l’américain « communauté fermée ». Quartier résidentiel ultra sécurisé où l’espace public est
privatisé.
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l’entreprise Rousseau a cherché à vendre son exploitation pour en reprendre une plus grande.
Il a trouvé l’acheteur mais n’est plus vendeur parce qu’il n’a pas trouvé la « ferme idéale »
(Rousseau) de 3 000 ha. D’autre part, il ajoute « ici, je n’ai aucun problème ». Il est bien
intégré auprès des villageois, il est « en place » (Rousseau) et hésite à prendre le risque de
quitter cette région pour une autre et devoir tout recommencer sans l’assurance de bien
s’intégrer. D’ailleurs, on constate une véritable appropriation du territoire par cet exploitant
qui utilise systématiquement des pronoms possessifs lorsqu’il désigne « ses » villages
d’implantation. Une bonne relation au territoire est ainsi pour lui un enjeu et un acquis
précieux. Pourtant, ce directeur de l’entreprise Rousseau a un discours très condescendant sur
les ukrainiens, qui seraient pacifistes – ce qui signifie « soumis » pour lui. Les Ukrainiens
auraient peur de tout et manqueraient d'autonomie. C’est ce qui l’amènerait à être omniprésent
sur l’exploitation pour leur indiquer ce qu’ils doivent faire et vérifier qu’ils le fassent bien.
Selon lui, il doit montrer qu’il est capable de faire le même travail que celui qu’il demande à
ses ouvriers et doit travailler aussi dur qu’eux. Mais surtout, le directeur justifie son
omniprésence comme nécessaire pour être respecté par ses ouvriers et ainsi ne pas être volé.
Tous ses faits et gestes sont réfléchis, pour être bien vu et respecté par ses ouvriers à la fois
villageois et parfois même bailleurs.
En Ukraine, le système de vol est organisé. « Ce n’est pas du vol, c’est de la
répartition de la richesse, c’est normal » (Rousseau). Le directeur de l’entreprise Rousseau ne
pense pas être volé par ses ouvriers car il établit ainsi une différence entre les petits larcins
qu’il constate dans son exploitation et le vol. En revanche, il insiste sur la fréquence et la
dimension des vols sur les exploitations des « agroholdings ». Par exemple, les agronomes
des « agroholdings » volent les produits phytosanitaires : ils font acheter de fortes doses à
l’employeur, puis n’en appliquent que deux tiers. Le résultat est suffisant dans le champ avec
un tiers de produits en moins. Mais, les un-tiers de produits phytosanitaires restants sont
vendus par l’agronome à d’autres entreprises. Le coût moyen des produits phytosanitaires est
de 100 €/ha, sur une entreprise de 100 000 ha cela revient à prélever une quantité de produit
prévue pour 30 000 ha soit d’une valeur de 3 000 000 €. L’agronome n’est pas seul, c’est une
centaine de personnes qui se répartissent le gain de ce vol. L’explication des belles voitures en
Ukraine des fonctionnaires locaux montrent à quel point le maillage des interdépendances
peut être dense et engage les acteurs bien au-delà des clivages institutionnels ou des
appartenances à une entreprise agricole.
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b) Relation dans le système politico-administratif local
L’entreprise Rousseau ne reçoit pas de soutiens locaux particuliers. Elle s’assure
seulement d’ « être bien avec tout le monde ». Et cette différence est parfaitement intégrée,
dans l’esprit du directeur Rousseau qui dissocie « je n’ai pas de problème avec cette
personne-là » et « cette personne-là ne m’apporte pas d’aide ». Ne pas avoir de problème
avec l’administration locale signifie que l’administration ne pose aucune entrave abusive de
contrôle administratif, fiscale ou sanitaire. Et cela nécessite pour l’entreprise Rousseau de
fonctionner selon les modalités locales : arrangements, corruption, etc. Ces modalités locales
sont certes nécessaires, mais ne sont pas suffisantes pour que l’administration locale offre à
l’entreprise Rousseau de quelconques facilitées. Ainsi, l’entreprise Rousseau cède aux
exigences locales de corruption non pas pour être avantagé mais simplement et
« normalement » pour ne pas être désavantagé.
Relation avec l’administration du raion Rozovi
Les entreprises agricoles sont en relation régulière avec le raion Rozovi, au moins une
fois par semaine, particulièrement pendant la saison de travail pour déclarer les superficies
ensemencées, etc. Dans le cas de l’entreprise Rousseau, c’est la directrice-traductrice qui
s’occupe des relations administratives. « Le raion m’embête car je n’embauche pas beaucoup,
je ne paie pas beaucoup d’impôt et je ne fais pas d’élevage » (Rousseau). L’élevage est un
secteur d’activité qui embauche beaucoup de monde. De plus, plus le raion compte des
activités d’élevage dans ses statistiques plus il touche de subvention. Les entreprises évitent à
tout prix d’avoir le raion contre elles, sinon elles subissent beaucoup plus de contrôles
fiscaux.
Lorsque l’entreprise Rousseau est arrivée, l’administration lui a fait visiter toutes les
terres disponibles du raion Rozovi. Beaucoup étaient en friche. Mais, depuis l’arrivée de
l’ « agroholding » Ivan, l’administration du raion Rozovi ne lui propose plus que les terres
dont Ivan ne veut pas c'est-à-dire les mauvaises terres. L’entreprise Ivan paierait
l’administration du raion Rozovi pour qu’elle garde le silence sur la localisation de ses terres
et ses projets ainsi que le nom des entreprises en faillite prêtent à vendre. L’entreprise Ivan
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paierait au moins 200 $/ha66
(140 €/ha) pour avoir la priorité. En plus de ces 200 $/ha,
l’entreprise paierait « tout le système autour » (Rousseau) sous-entendu l’administration.
« Depuis qu’il [l’entreprise Ivan] est là, je vois qu’ils [les gens de l’administration] ont tous
des voitures neuves. Tu vois bien. L’argent sort d’où ? » (Rousseau). L’administration
gagnerait un salaire de 2 000 UAH (173€). Le directeur Rousseau souligne ainsi que ça n’est
pas avec ce salaire que les employés de l’administration peuvent se payer une voiture de
200 000 UAH (17 300€). La valeur des voitures de l’administration correspond à plus de huit
ans de salaire. « En pourcentage, il [Ivan] ne donne pas plus que ce que moi je donne. Mais,
sur 20 000 ha, ça leur [employés de l’administration] permet d’acheter une maison, une
voiture alors que moi ça leur permet de nourrir seulement leurs poules » (Rousseau). Donc,
l’entreprise Rousseau elle aussi, procède à certains arrangements avec l’administration locale,
mais à son échelle et celle-ci n’a pas les prétentions de l’entreprise Ivan.
Relation avec le conseil de village Zolotisti
Les entreprises agricoles sont en relation quotidienne avec le maire du conseil de
village Zolotisti. Le maire peut aider les entreprises à trouver des propriétaires prêts à louer
leur paille. Dans le cas de l’entreprise Rousseau, c’est ce qu’a fait l’ancien maire avec qui
l’entreprise était en bons termes. Mais, depuis qu’il a été remplacé il y a un an et demi, les
relations ont changé car le nouveau maire aimerait beaucoup plus l’argent que son
prédécesseur et favoriserait l’entreprise Ivan.
L’ « agroholding » Ivan aurait maintenant des relais locaux pour exercer des pressions
ou corrompre les représentants publics (maires, raion, gestion foncier), sans compter que sa
superficie et les capitaux qu’elle manipule lui donnent un poids considérable. Suite à
l'activisme d’Ivan, le maire n’aide plus Rousseau. Ivan soudoie les caciques locaux et possède
une influence particulièrement grande auprès des maires de « ses »67
villages. Rousseau est
donc plutôt en froid avec le maire mais évite tout conflit ouvert.
Pour tenter de renverser la situation, l’entreprise Rousseau paie son loyer plus cher que
son concurrent Ivan, discute avec les villageois, emploie plus d'ouvriers que nécessaire pour
soigner sa réputation et mettre les villageois de son côté. L’entreprise prête quelques services
aux locaux également, par exemple, par des avances sur loyer lorsque les villageois ont des
66
La devise monétaire ukrainienne s’appelle le « Hryvnia » de l’ukrainien « гривня ». UAH est le code
ISO, norme internationale d’appelation de la monnaie, ₴ est le signe de la monnaie. 100 UAH = 8,66 € = 12,5 $
soit 1 600 UAH = 140 € = 200 $. 67
Le pronom possessif « ses » désignes les villages de Rousseau.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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problèmes sérieux de type santé. Elle aide au village en livrant un peu de grain et en finançant
quelques travaux.
Ces petits arrangements viennent en plus d’un accord déjà entendu. L’entreprise ne
reçoit plus d’aide particulière de la mairie mais elle continue en revanche à aider la mairie.
Les entreprises considèrent cette aide comme un « impôt social ». Le cas du conseil de village
Zolotisti est particulier. En effet, chaque entreprise paie 10 UAH/ha/an (4,33 €/ha/an). Cet
accord s’applique dans tout le raion Rozovi mais il est facultatif. Seule l’entreprise Mirko a
refusé de signer cet accord « hypocrite » selon elle. L’entreprise Mirko dit préférer adresser
son aide directement aux villageois sans passer par les « mains mafieuses » du maire.
Procédons maintenant à une seconde étude de cas, cette fois-ci dans le raion Zelioni au
nord-est de l’Ukraine.
2. ÉTUDE DE CAS : LE CONSEIL DE VILLAGE ZELIONI
A. PRÉSENTATION GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE
a) Histoire de la production agricole
Cette seconde région d’étude a pour particularité de se situer à la frontière russe. À
l’époque de l’URSS, cette frontière n’existait pas. Chaque oblast était spécialisé dans une
production agricole et celle du raion Galouboï était exportée à Moscou. Mais à la chute de
l’URSS, une frontière sépara l’Ukraine et la Russie. L’apparition brutale de cette frontière a
fermé le marché d’exportation de cette région vers Moscou. La production a alors été
redirigée vers Kiev et d’autres régions d’Ukraine, mais dans des conditions de marché peu
favorables. Par conséquent, le raion Galouboï a abandonné son activité agricole. Un paysage
de friche s’est alors développé. C’est seulement depuis ces cinq dernières années que 80 %
des terres agricoles ont été remises en culture.
Pendant l’URSS, le raion Galouboï comptait une vingtaine de kolkhozes et l’élevage
était l’activité agricole la plus importante. Vingt ans plus tard, seuls trois ou quatre kolkhozes
ont survécu. Les autres, tous en faillite, ont été rachetés par des investisseurs étrangers, dont
l’arrivée a permis le retour de la production de céréales. Ainsi, en 2011, la production
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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céréalière occupe 60 % de la surface agricole du raion Galouboï, principalement avec du blé
d’hiver.
En six ans, l’agriculture est devenue la principale source de revenu du raion Galouboï
grâce aux impôts des entreprises étrangères. Les entreprises présentes dans ce raion sont les
entreprises Dupont et Luda, relevant de la deuxième trajectoire et les entreprises Groen et
Leroy 2 de la troisième trajectoire. Les deux premières louent une partie de leurs terres dans le
même conseil de village : le conseil de village Zelioni.
Figure 21. Répartition spatiale des entreprises agricoles du raion Galouboï
Réalisation. Ariane WALASZEK, 2011
Le conseil de village de Zelioni se situe au bord de la route allant à Moscou. Avant
2000, le village se composait de quatre-cent-vingt-cinq pailles d’une moyenne de 5 ha
chacune. Il y avait trois exploitations agricoles de 50 ha en moyenne. Une seule des trois a
survécu avec ses 46 ha, semés de sarrasin, blé et orge par un agriculteur du village. Cette
petite exploitation résiste bien à la concurrence des grandes entreprises agricoles voisines.
L’entreprise Dupont a repris les baux des pailles des deux autres exploitations agricoles. La
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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première entreprise agricole étrangère, Dupont, est arrivée en 2008. Ensuite, est arrivée
l’entreprise Leroy.
Les entreprises rencontrées ont évoqué la présence de l’ « agroholding » AgroInvest
qui serait locataire de 11 000 ha dans le raion mais n’en cultiverait que 6 000. Le département
agricole du raion, quant à lui, a évoqué la présence de l’entreprise Chaligniskié qui cultiverait
4 700 ha et serait spécialisée dans le trading pour l’exportation.
b) L’implantation des exploitations agricoles françaises
Le choix d’implantation dans le nord-est de l’Ukraine est étonnant de la part des
entreprises agricoles françaises car le climat est plus rude qu’ailleurs, l’hiver plus long et plus
froid. À cette interrogation, le directeur de l’entreprise Dupont répond que « la fertilité des
sols ne fait pas tout. C’est surtout l’accès aux axes routiers et donc au marché qui fait le
choix de la localisation » (Dupont). En réalité, c’est surtout les réseaux sociaux qui ont amené
les entreprises Dupont et Leroy 2 à s’implanter ici : la coopérative française Champagne
Céréales avait un contact français dans ce raion et a joué un rôle déterminant.
Tout a commencé, il y a trois générations avec un Ukrainien qui possédait plusieurs
usines en Ukraine qui dû s’expatrier en France pendant la Révolution russe. Trois générations
plus tard, son arrière-petit-fils français cherche à remettre en activité ses usines dans la région
pour transformer du lin. Dans un même temps, la coopérative française Champagne Céréales
souhaite se rapprocher du bassin céréalier de la Mer Noire. Le Français du lin installé en
Ukraine est en contact avec la coopérative et lui conseille ce raion frontalier avec la Russie.
Le projet est lancé. La coopérative fait alors appel à des agriculteurs français prêts à s’installer
en Ukraine. C’est ainsi que l’entreprise Dupont, qui réfléchissait depuis déjà quelques années
à un tel projet, s’est associée au projet de Champagne Céréales. Le projet était basé sur une
organisation en coopération croisée : la coopérative choisit la région cible, y met en place un
réseau de silos et d’achat des céréales ; les agriculteurs exploitent les terres. Mais, un an et
demi plus tard, constatant la complexité du projet en termes d’organisation et d’agriculteurs à
installer, les adhérents décident de mettre un terme au projet. En 2008, la coopérative
française cède le projet à l’entreprise Leroy. Seulement, alors qu’entre temps, l’entreprise
Dupont s’est installée, l’entreprise Leroy n’a pas les mêmes intentions que Champagne
Céréales. Ainsi, le retrait de la coopérative va de pair avec le désengagement quant à
l’accompagnement à l’installation des agriculteurs. L’entreprise Dupont est la première à
s’être lancée puisque elle y songeait avant même la proposition de Champagne Céréales.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Quant aux autres agriculteurs, ceux-là s’y étant pris un an plus tard, ils ont eu le temps de se
rétracter. D’autant plus qu’à cette période, le contexte de la crise mondiale de 2008 a
provoqué une perte de confiance.
L’installation de l’entreprise Dupont a été relativement compliquée. Sa localisation
avait déjà été décidée par Champagne Céréales. La coopérative devait s’occuper de tout.
L’agriculteur, lui, devait arriver en Ukraine et avoir toutes les terres qu’il voulait. « Le projet
avec Champagne Céréales nous était présenté comme simple » (Dupont). Dans les faits, la
partie juridique a été lourde. La location s’est donc faite progressivement. La région était
quasiment abandonnée par l’agriculture. Il n’y avait donc pas d’entreprise à racheter. La
création de l’entreprise Dupont ne s’est pas faite par le rachat d’entreprise en faillite mais par
l’acquisition d’immobilier et de pailles au fur et à mesure.
c) Perspectives
Seules les deux entreprises françaises, Dupont et Leroy 2 se partagent les baux du
village Zelioni. L’entreprise Leroy 2 loue plus de terres que l’entreprise Dupont,
respectivement cent quarante-six pailles (soit environ 700 ha) contre cinquante pailles soit
(environ 250 ha).
Dans le village passe une voie ferrée qui, à l’époque de l’URSS, allait jusqu’en
Russie. L’unité de production de l’entreprise Dupont se trouve de part et d’autre de cette voie
ferrée qui traverse le village. L’acquisition des bâtiments de la « base » côté Est s’est faite par
une vente aux enchères. Un villageois, voyant l’annonce de cette vente aux enchères dans le
journal en a avisé le directeur de l’entreprise Dupont. La présence de la voie ferrée est un
atout pour l’entreprise qui l’utilise pour se faire livrer les intrants. Même le silo de séchage a
été acheminé par train. Quant à l’entreprise Leroy 2 celle-ci a construit un silo du côté Est de
la voie ferrée.
Depuis, le village connaît un essor démographique ; en quatre ans, la population a
augmenté de quarante-trois habitants, soit un total de six cent cinquante habitants
actuellement. La reprise démographique du village va de pair avec une augmentation de
l’offre d’emploi. Cette hausse démographique est due aux jeunes familles qui reviennent au
village parce que les entreprises présentes créent de l’emploi, principalement du fait du silo de
l’entreprise Leroy 2 qui emploie vingt-cinq salariés permanents et une cinquantaine de
saisonniers. Ainsi, d’après la maîresse du conseil de village Zelioni, 30 % de la population
active du conseil de village occupe un emploi agricole.
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Selon la responsable du département économique du raion Galouboï, les entreprises
étrangères paieraient mieux leurs salariés que les entreprises ukrainiennes. Par exemple, en
2010, les salariés de l’entreprise Leroy 2 auraient reçu un salaire moyen de 2 500 UAH/mois
(250 €), soit 2,6 fois le salaire minimum légal. Mais, d’après cette même responsable, le
nombre d’emploi aurait diminué à cause des nouvelles technologies. Ainsi, une entreprise
venant de faire l’acquisition d’une société en faillite a licencié tous les salariés.
Cependant, la mairesse du village infirme cet argument puisque son village connait
une augmentation de l’offre d’emploi. Donc, à l’échelle du conseil de village, l’offre d’emploi
peut augmenter mais à l’échelle du raion la tendance reste à la baisse.
Abordons maintenant les relations de collaboration et de concurrence, cette fois dans
un contexte où l’enjeu foncier est levé. En effet, nous avons vu dans le cas du conseil de
village Zolotisti à quel point l’enjeu foncier entraine une situation de compétition largement
instrumentalisée dans la relation au territoire. Toutes les entreprises étaient alors attachées à
obtenir les meilleures faveurs des institutions et la satisfaction des paillitevistes et salariés
c'est-à-dire, par extension, de la population locale.
B. VOISINAGE AGRICOLE : COLLABORATION ET CONCURRENCE
La concurrence foncière agricole dans cette région d’étude est beaucoup moins
exacerbée que dans d’autres régions plus prisées d’Ukraine, en partie parce que les terres de
cette région ne sont pas une priorité dans les choix d’implantation des investisseurs étrangers
et en premier lieu des « agroholdings ». Il est donc intéressant de constater les jeux et
développements sur le territoire dans un contexte de concurrence tout à fait différent de
l’étude de cas précédente.
a) Collaboration et concurrence autour du foncier
Au vu de la faible concurrence pour accéder au foncier, l’entreprise Dupont continue
de s’agrandir à proximité de ses terres sans difficulté. Les entreprises ne communiquent pas
entre elles. C’est seulement en passant devant le champ du voisin que chacune devine ce qu’il
a semé. Quant à la réussite ou non d’essais de culture, les entreprises s’en informent bien plus
tard. Les entreprises agricoles du conseil de village Zelioni entretiennent donc très peu de
liens entre elles.
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Cependant, dans certains cas, on constate une collaboration entre les entreprises par
l’échange ou la sous-location de terre. Par exemple, dans le conseil de village Zelioni,
l’entreprise Leroy 2 possède des terres à cultiver qui sont trop éloignées de sa « base »
principale. Elle ne travaille pas ces terres-là parce qu’elle n’a pas le matériel disponible prêt
du site hormis le silo. En effet, le coût d’exploitation serait relativement élevé par rapport à la
« petite » surface de 670 ha. L’entreprise Leroy 2 sous-loue donc ses pailles à l’entreprise
Dupont.
b) Autres collaborations et coopérations
L’entreprise Dupont n’appartient à aucune association ou organisation locale mais
possède toutefois des relations. D’après elle, il n’y a pas beaucoup d’agriculteurs dans cette
région. Si le projet collectif avec Champagne Céréales s’était réalisé, la situation aurait été
différente. Le réseau de relation aurait été plus dynamique. D’autant que l’entreprise Dupont
exprime à ce sujet une attente en creux de l’échec du projet initial. Le directeur de l’entreprise
Dupont est déçu de ne pas avoir vécu ce projet initial avec plusieurs agriculteurs français
installés dans la même région sous la chapelle de la coopérative française Champagne
Céréales. L’aventure devait être celle d’un collectif d’agriculteurs français.
Géographiquement, l’exploitation de cette entreprise agricole française est isolée des autres
entreprises de sa même trajectoire.
Cependant, sur le plan de la collaboration franco-française, on note avec intérêt que les
bureaux administratifs des entreprises françaises Dupont et Leroy 2 sont situés en ville dans le
même bâtiment… Ce bâtiment abrite aussi la banque française Crédit Agricole sous le nom de
sa filiale IndexBank. Le compte bancaire de l’entreprise Dupont est d’ailleurs au Crédit
Agricole où elle sollicite régulièrement des crédits de campagne. Pourtant, cette proximité
géographique n’engage pas forcément, nous le verrons plus loin, une relation positive. Mais,
elle signe plus encore l’effet d’entrainement déjà abordé dans l’étude de cas du conseil de
village Zolotisti.
Le directeur Dupont ne connaît quasiment aucun des français agriculteurs en Ukraine.
Cependant, ses deux jeunes salariés français, respectivement chef de culture et chef mécano,
sont en contact ou cherchent à l’être avec les expatriés de leur profession, susceptibles de les
employer à l’avenir. D’ailleurs, l’ingénieur agronome, dont le rêve était de gérer une
exploitation agricole avec beaucoup de moyens, avait aussi candidaté chez l’entreprise Leroy,
sans résultat. D’après lui, l’entreprise a décidé de restructurer son personnel en remplaçant
chaque gérant français des exploitations par des ukrainiens. Quant au mécanicien, celui-ci a
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déjà travaillé avec le frère du gérant de l’exploitation de l’entreprise Martin, qui s’occupe de
l’importation du matériel agricole. De plus, depuis sa présence en Ukraine, il aide son ancien
employeur français pour le stockage des machines sur la route vers Moscou.
De cette attente des salariés comme du directeur de l’entreprise Dupont, on pourrait
prédire une recherche active de relation avec les autres acteurs présents dans le raion
Galouboï.
Les entreprises Dupont et Leroy ont une relation ambigüe. À la question « travaillez-
vous avec l’entreprise Leroy qui a succédé au projet de Champagne Céréales ? », le directeur
de l’entreprise Dupont répond « Non, Leroy est un groupe financier ». Il refuse ainsi toute
confusion entre son activité et celle de l’entreprise Leroy qu’il assimile à un groupe financier
comme. Cependant, et contrairement au directeur de l’exploitation Rousseau de la première
étude de cas, l’exploitation Dupont pense que l’avenir des structures d’exploitation agricole
est celui des sociétés à gros capitaux, et la disparition des exploitations individuelles.
L’entreprise Dupont ne s’identifie pas du tout à l’entreprise Leroy et rejette ainsi tout lien
avec ce groupe financier. Pourtant des relations existent entre son exploitation et celle de
Leroy.
D’abord, le directeur a des liens affectifs avec une des salariés de l’entreprise Leroy.
La nouvelle femme du directeur de l’entreprise Dupont est ukrainienne. Celle-ci travaille
entre la France et l’Ukraine depuis 2000. Après avoir travaillé comme juriste pour la
coopérative française Champagne Céréales, elle a été la juriste de l’entreprise Leroy pendant
deux ans, qui se sont mal passés : elle a été licenciée pour conflit d’intérêt suite à son mariage
en France avec le directeur de l’entreprise Dupont. Ensuite, l’entreprise Dupont entretiendrait
des relations économiques avec l’entreprise Leroy, qui détient 10 % des parts de l’entreprise
Dupont. D’après un des gérants salarié de l’exploitation Dupont, ce lien économique pourrait
s’expliquer par la succession de l’entreprise Leroy au projet de la coopérative Champagne
Céréales. Celle-ci aurait alors repris les parts engagées par Champagne Céréales.
S’il y a donc bien une concurrence, c’est une concurrence de point de vue sur le métier
même d’agriculteur. Et, c’est la principale entrave au partenariat entre l’entreprise Dupont et
Leroy 2. L’entraide n’est pas possible entre les entreprises Dupont et Leroy en raison d’un
positionnement identitaire et idéologique de l’entreprise Leroy.
Ainsi, d’autres entreprises agricoles du raion s’entraident. Par exemple, l’entreprise
Dupont a sollicité le petit agriculteur du conseil de village Zelioni pour le prêt de son semoir à
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tournesol. L’entreprise Dupont apporte également son aide matériel aux micro-exploitations
du conseil de village, comme pour la plantation de la pomme de terre. En effet, ces
exploitations manquent d’outils, alors elles empruntent un tracteur de l’entreprise Dupont qui
passe quinze minutes par jardin. À la question « En échange de quoi ? », le directeur de
l’entreprise répond « En échange de rien, ça fait partie de la relation ».
Cette inscription spontanée au territoire est cette fois spécifique à l’entreprise Dupont.
Cette inscription relève d’un sentiment d’identification positive liée à une conception
paternaliste de l’activité agricole, alors que l’entreprise Leroy ne pratique l’impôt social que
dans les raions à forte concurrence foncière. L’ « impôt social » payé par l’entreprise Leroy
s’adresse quasi exclusivement et personnellement aux représentants institutionnels plutôt qu’à
la population locale. Pour l’entreprise Leroy, l’ « impôt social » est donc une mesure perçue
comme contraignante dans sa relation au territoire.
Pour conclure, l’entreprise Dupont venue en Ukraine dans la perspective d’un grand
projet collectif français est déçue mais trouve une proximité plus évidente avec les
exploitations agricoles ukrainiennes qu’avec l’ « agroholding » française Leroy. La relation
au territoire de l’entreprise Dupont est structurée par cette proximité de trajectoire et de
provenance.
C. RELATION AU TERRITOIRE
Nous aborderons ici la relation au milieu social puis celle avec les institutions locales.
Mon travail de terrain dans ce raion ayant été précédé d’une prise de contact avec l’entreprise
Dupont, je suis partie d’un travail sur cette entreprise pour l’élargir aux entreprises du raion.
a) Relation au milieu social ukrainien
Un des lieux privilégiés de l’étude de la relation sociale des investisseurs français avec
le milieu social ukrainien est l’organisation même de leur entreprise. La présence discontinue
du directeur de l’entreprise Dupont sur l’exploitation ukrainienne entraine des tensions
relationnelles dans l’organisation de celle-ci. Si l’entreprise Dupont a confié la gestion
quotidienne de l’exploitation à deux français, c’est parce qu’elle considère que ces salariés
français ont une meilleure connaissance des machines occidentales et du travail agricole sur
une exploitation de cette dimension (4600 ha). Mais, les salariés français de l’exploitation
expriment clairement une distance avec leur employeur, y compris en compagnie des
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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ouvriers. Les gestionnaires français se retrouvent même complices avec les ouvriers
ukrainiens pour railler le directeur de l’entreprise. Celui-ci exprime, de son côté, le sentiment
que ses employés ukrainiens instrumentalisent leurs relations au travail afin de maximiser
leurs gains. Par exemple, l’entreprise Dupont vient d’engager un homme pour gérer la
contractualisation des terres d’État dans un nouveau conseil de village. L’épouse de cet
homme est malade. Le directeur pense que ce contractuel va travailler le plus lentement
possible pour continuer à être employé afin de gagner suffisamment d’argent pour payer les
frais d’hospitalisation de sa femme. De même, il pense que si son traducteur refuse de donner
des cours de russe aux salariés français et aux associés de l’entreprise, c’est parce qu’il craint
de ne plus être utile ensuite et donc de perdre son poste. La nature des propos du directeur
Dupont n’est pas une aversion vis-à-vis des Ukrainiens. Ses propos expriment plutôt un
malaise, celui d’un homme qui se trouve relativement isolé dans un pays où il n’a pas accès à
la langue et où il n’a pas établi des liens sociaux lui permettant de s’y épanouir. Le directeur
de l’entreprise Dupont ne voudrait pas vivre en Ukraine, dans la région de son exploitation
parce qu’« il n’y a rien à faire le week-end » (Dupont).
D’après les deux jeunes salariés français employés sur l’exploitation Dupont, le
directeur s’entendrait difficilement avec l’équipe sur place que ce soit les Français ou les
Ukrainiens. Le directeur qui vient une fois par mois, le temps d’une semaine, voudrait tout
maîtriser alors que sa présence est irrégulière. Ses salariés lui reprochent cette instabilité de
son engagement : « soit il investit comme les autres associés, soit il vient vivre ici à temps
plein mais pas un peu de chaque » (salarié Dupont). L’ingénieur agronome et le mécanicien
se réjouissait de ma présence qui occupe leur patron et ainsi lui laisse moins de temps « pour
mettre son nez dans toutes nos affaires » (salarié Dupont). Mais « leurs » affaires sont
financées par le directeur et lui appartiennent. Ces deux jeunes salariés ont accepté ce poste
pour la liberté qu’il offre. Alors, quand leur supérieur une fois par mois inspecte, ils attendent
avec impatience son départ. Cependant, si le directeur Dupont vérifie la qualité du travail de
ces deux nouveaux salariés, c’est à cause des deux mauvaises expériences passées avec ses
anciens employés. En effet, l’un ne s’était pas adapté aux conditions de vie locale. L’autre
n’avait pas les compétences qu’il prétendait. Mais, ce qui est le plus insupportable pour les
deux nouveaux salariés, c’est que le directeur ferait mine de tout savoir alors qu’il ne connaît
rien en céréaliculture (il est viticulteur en France). Enfin, lors d’un pot en l’honneur de la
naissance de l’enfant d’un des ouvriers, les salariés français et ukrainiens font quelques
blagues sur l’idée de saouler leur directeur et ensuite de le jeter dans un fossé.
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La barrière de la langue joue beaucoup dans ses difficultés. D’après les salariés
français de l’entreprise Dupont, ne pas parler russe ferait perdre beaucoup d’argent et de
contrat de terre au directeur de l’entreprise. De plus, les salariés français aimeraient parler
russe. Cela leur permettrait de mieux se faire comprendre par les ouvriers et donc « de mieux
les faire travailler » (salarié Dupont). Une des clés de la réussite de l’entreprise étrangère
pour s’intégrer est d’avoir un salarié référent ukrainophone. Ainsi, l’entreprise Leroy qui avait
basé son management sur la complémentarité des compétences françaises et ukrainiennes a
changé de stratégie. En effet, depuis un an, l’entreprise restructure son organisation salariale
en remplaçant les directeurs français de chaque unité de production par un directeur ukrainien,
tel que c’est le cas sur le site Leroy 2. De même, le directeur ukrainien de l’entreprise
hollandaise Groen est l’ancien président du raion Galoboï et, le juriste est le fils de l’actuel
président du raion.
La relation au territoire à l’échelle nationale n’est pas meilleure. Le directeur de
l’entreprise rousseau trouve que depuis l’élection en janvier 2010 du nouveau président
ukrainien, « il n’y a que des problèmes » (Dupont). Par exemple, l’entreprise devait se faire
livrer un wagon d’engrais. Mais, la livraison avait quinze jours de retard. D’abord, l’entreprise
a été informée que le train avait du retard, puis, que le train avait disparu de la circulation,
pour enfin apprendre que le train d’engrais avait été réquisitionné par le gouvernement.
« C’est un gouvernement de copains qui fait des lois sans queue ni tête » (Dupont). Le
directeur de l’entreprise Dupont affirme qu’avant 2010, ce genre de problèmes n’existait pas.
D’autre part, le problème des quotas serait d’après lui aussi de la responsabilité de « ce
gouvernement de copains ».
Cette relation détériorée au milieu social au sein de l’entreprise n’a pas d’effet direct
sur le territoire local. L’entreprise, dans ses échanges avec les paillitevistes et les villageois se
montre serviable et disponible.
D’après la maîresse du conseil de village Zelioni, au début, les villageois avaient peur
d’être volés. Les conditions, la régularité et le montant du paiement de la location font de
bonne ou mauvaise relation entre propriétaire et locataire. Par exemple, la législation a changé
en passant le seuil minimum de loyer de 1,5 % à 3% de la valeur vénale d’achat de la paille.
Mais, l’entreprise Leroy a retardé d’un an l’application de cette loi auprès de ses propriétaires
alors que l’entreprise Dupont l’a appliqué tout de suite. Ainsi, depuis 2009, l’entreprise
Dupont applique la nouvelle loi et paie son loyer en respectant le seuil des 3 %. Depuis, les
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villageois sont plus confiants. Cependant, la maîresse fait remarquer que le seuil de 3% est un
seuil minimal et que certaines entreprises, dont une entreprise étrangère dans un oblast voisin,
paient leur loyer à 8 % de la valeur d’achat. Un loyer correspondant au 3% de la valeur
d’achat de la terre correspond au montant de 1 050 UAH/an (105 €), insuffisant pour générer
une véritable rente. De plus, l’entreprise Dupont aide ses paillitevistes en cas de besoin, par
exemple avec une avance sur salaire. Alors que l’entreprise Leroy retarde la prise en charge
de ses paillitevistes dans le besoin. Ironiquement, la maîresse explique : « le pailliteviste a le
temps de mourir avant d’être pris en charge ». Cette lente réaction de l’entreprise Leroy 2
s’expliquerait par la dépendance de l’unité de production Leroy 2 avec la direction à Kiev.
L’entreprise Leroy 2 n’a pas le droit de prendre ce genre d’initiative. Elle doit négocier et
attendre l’accord de la maison mère, de même que pour le prêt de matériel. D’autre part, le
montant du loyer dépendrait aussi du rendement obtenu. En 2010, l’entreprise Dupont a
obtenu de meilleurs rendements que l’entreprise Leroy 2. Les paillitevistes l’ont ressenti dans
la différence du montant du loyer versé par leur locataire.
On peut en conclure que la déshumanisation de grandes structures telles que
l’entreprise Leroy rend l’application de stratégie de relation au territoire difficile ou du moins
celle-ci ne se fait pas à la même échelle que les autres entreprises. Enfin, la complexité des
relations de l’entreprise Dupont indique que malgré l’interconnaissance et l’interdépendance
du milieu local la présence du directeur s’avère jouer bien plus au sein de l’entreprise que sur
le reste du territoire local. Le directeur de l’entreprise Rousseau, toujours présent, « a la main
aux affaires » et entretient une relation continue avec ses ouvriers alors que l’entreprise
Dupont semble rencontrer plus de difficultés. Pourtant, les deux entreprises pratiquent une
politique sociale bienveillante sur le territoire de leur exploitation. La relation aux
paillitevistes et aux villageois s’appuie sur des interactions indirectes, plus matérielles et plus
espacées dans le temps ; alors que la relation aux employés s’appuie – elle – sur une présence
continue et sur la capacité d’assurer un leadership dans l’entreprise, comme l’indique le
directeur de l’entreprise Rousseau lorsqu’il évoque son implication directe sur l’exploitation.
Cette dernière idée est bien illustrée par le contraste entre les gérants français de l’entreprise
Dupont qui se demandent pourquoi le directeur se mêle de leur travail alors « qu’il y connait
rien » et le directeur de l’entreprise Rousseau qui insiste sur la nécessité de montrer qu’il
« sait travailler autant qu’eux » pour « se faire respecter ».
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Maintenant que nous avons analysé la relation de l’entreprise au milieu social
ukrainien, nous pouvons expliquer la relation de l’entreprise cette-fois ci avec le système
politico-administratif local qui porte également ses spécificités.
b) Relation au système politico-administratif local
Relation avec l’administration du raion Galouboï
Les entreprises agricoles du raion Galouboï entretiennent des relations formelles avec
l’administration du raion. Une fois par mois, ces entreprises sont convoquées à une réunion
organisée par le raion. Cette réunion consiste à l’écoute du discours du président du
département agricole de l’oblast transmis par radio. Dans son discours, le président donne des
informations sur les quantités mensuelles produites, etc. Cette réunion, héritage de l’époque
soviétique, n’intéresse pas les entreprises agricoles. Cependant, toutes y assistent, car leur
présence fait partie des règles de bonne conduite à avoir avec l’administration ukrainienne
pour mieux s’intégrer.
Les entreprises agricoles, mais pas seulement, participent à la rénovation des
infrastructures dans le raion. Ainsi, en 2010, les aides à la rénovation ont représenté deux
millions de grivnas soit deux milles euros. Cette aide financière est facultative mais
recommandée. Si l’entreprise n’y participe pas, elle donnera une mauvaise image d’elle-
même. L’administration du raion Galouboï n’apporte pas d’aide financière aux entreprises
agricoles. En effet, le budget du ministère de l’agriculture n’est pas très élevé. « On est dans
un pays en restructuration » (Dupont). Mais, les entreprises agricoles reçoivent des « coups
de main administratifs » (Dupont). Les entreprises agricoles aident moins le raion que les
conseils de villages où sont implantées leur (s) unité (s) de production.
C’est donc principalement à l’échelle du village que se jouent les stratégies de relation
au territoire.
Relation avec le village
C’est avec la plus petite échelle de l’administration que les entreprises agricoles
privilégient leur relation.
Le rôle du maire est d’aider au développement économique de ses villages. Dans le cas
du conseil de village Zelioni, la maîresse a donc pour rôle de trouver des exploitants
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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souhaitant remettre en activité les terres en friche de ses villages. C’est alors sous l’impulsion
de l’administration communale que l’entreprise Dupont a pu contractualiser des baux et donc
accéder à l’exploitation des terres du conseil de village Zelioni. Parmi ses fonctions, le conseil
de village peut aussi aider les entreprises agricoles à choisir des employés bien formés. Une
autre raison qui peut amener l’entreprise à être en contact avec le conseil de village est sa
grande consommation d’eau. L’usage de l’eau est réglementé et limité. Le seuil de pompage
est alors négocié entre le conseil de village et l’entreprise agricole, tel que c’est le cas pour
l’entreprise Dupont. Le directeur de l’entreprise traduit sa relation avec l’administration locale
ukrainienne ainsi : « la réussite des uns dépend de l’accord des autres » (Dupont).
Comme c’est le cas pour toutes les entreprises rencontrées, le conseil de village aide
lesentreprises à trouver des terres et en échange, les entreprises participent à la rénovation des
bâtiments tels que l’église, l’école ou la polyclinique. C’est cette fameuse participation que les
entreprises appellent « l’impôt social ». L’entreprise Groen va même jusqu’à financer une des
fêtes du village à la demande du conseil de village. D’autre part, les entreprises agricoles ont
des machines adaptées au déneigement des routes alors elles prennent en charge cet entretien
hivernal. De plus, à la sortie de l’hiver, les routes ont besoin de rénovation. La maîresse du
conseil de village Zelioni considère que l’entretien des routes revient de droit aux entreprises
car celles-ci, du fait du passage des poids lourds, sont les principales responsables de l’usure
de la voierie.
Les entreprises et le conseil de village peuvent aussi avoir une relation de bailleur-
locataire. Dans cette région d’étude, il y a une partie relativement importante de « terre non
réclamée », c’est-à-dire que l’héritier de la paille, souvent inconnu et parti en ville, ne paie
plus ses impôts. Ce type de paille est géré par le conseil de village, jusqu’à ce que l’héritier
réclame ses terres à condition de payer ses impôts. Les entreprises agricoles louent donc ces
« terres non réclamées » au conseil de village. Ils ont alors une relation de bailleur-locataire.
Les chefs de conseil de village préfèrent souvent une entreprise à une autre. La
mairesse du conseil de village Zelioni préfère travailler avec l’entreprise Dupont parce que
son directeur est présent régulièrement. Et, lorsqu’il vient au village, il prend
systématiquement contact avec elle pour faire un bilan des dernières semaines, des choses à
faire, etc. Le directeur de l’entreprise Dupont entretient sa relation avec l’administration du
conseil de village Zelioni. Il est ici intéressant de souligner encore une fois que la principale
source d’emploi dans le village reste le fait du silo de l’entreprise Leroy 2 pour lequel
l’ « agroholding » vient d’annoncer son projet de rendre le silo indépendant, c’est-à-dire de
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créer une nouvelle entité juridique. Si ce projet se concrétise, l’offre d’emploi sera encore plus
importante. Pour autant, la maîresse ne « travaille » pas avec l’entreprise Leroy, c'est-à-dire
qu’elle n’a pas de relation régulière avec sa direction. Ainsi, la qualité de la relation avec cet
élue ne dépend pas directement de la taille économique de l’entreprise, ni même du nombre
d’emplois que l’entreprise assure, mais dépend du travail collaboratif avec la maîresse. La
réglementation de l’époque soviétique, toujours en usage, amène les entreprises agricoles à
être en relation avec l’administration. « Le lien entre l’entreprise et l’administration est
toujours d’usage » (Dupont). Prenons l’exemple du projet communal de raccordement du
village au réseau du gaz. L’entreprise Dupont a proposé ce projet car il lui est nécessaire pour
sécher le maïs. L’entreprise a soumis ce projet au conseil de village. C’est alors, que le conseil
de village a repris le projet en l’adaptant aux besoins de l’ensemble des villageois. Ce projet
est devenu collectif. Le conseil de village en a pris en charge la réalisation. Ainsi, il s’occupe
de la demande administrative au raccordement du gaz.
Les deux études de cas précédentes nous ont permis d’aborder la relation au territoire
des nouveaux acteurs dans la production agricole. La relation au territoire est bien trop
complexe pour être abordée de manière unilatérale, sur le seul impact d’un acteur sur le
territoire. Le matériel que nous avons recueilli nous amène à relativiser l’hypothèse de départ
selon laquelle l’entreprise aurait un impact négatif sur les territoires locaux en Ukraine. Les
trois trajectoires que nous avons décrites agissent différemment sur le territoire et il s’agira
donc de les dissociées. Même si nous constatons une interdépendance et une
interconnaissance forte sur le territoire, l’intérêt du développement local, des paillitevistes,
des ouvriers, des élus et des administratifs peuvent diverger. Nous essaierons donc d’aborder
notre travail sur le territoire en différenciant, lorsque cela sera nécessaire, ces différents
intérêts.
Faisons donc une synthèse des différents impacts des entreprises rencontrées en
fonction de leur trajectoire. Nous chercherons à comprendre quelles relations ces entreprises
entretiennent entre-elles, avec les acteurs du territoire et comment ces entreprises
interviennent sur le développement local des territoires étudiés.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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3. UN IMPACT SUR LE TERRITOIRE MITIGÉ
Ces deux études de cas nous ont permis de brosser de nombreux éléments de terrain
sur les réseaux d’entraides entre expatriés, sur les effets de collaboration et de concurrence
entre les acteurs du secteur agricole, et sur la relation au territoire local de ceux-ci. Fort de
toutes ces observations mais aussi du matériel recueilli sur les autres zones étudiées, nous
tenterons ici d’en faire la synthèse. C'est-à-dire de discuter de l’influence mutuelle exercée par
l’arrivée de ces nouveaux acteurs sur le territoire local comme de l’adaptation nécessaire de
ces acteurs à un nouveau contexte social, politique et économique.
A. UNE AIDE AU DÉVELOPPEMENT LOCAL
a) Reprise de l’activité agricole : une « renaissance » des villages
après vingt ans d’abandon
L’arrivée des entreprises à gros capitaux d’investissement a entrainé une mutation des
paysages. En effet, d’après les directeurs des entreprises rencontrées, il y a encore cinq ans de
ça, le paysage agricole était en état de friche dans sa grande majorité. Tel que c’est expliqué
dans l’introduction de la deuxième partie, la décollectivisation des terres fut suivie d’une
baisse vertigineuse de la production agricole de l’Ukraine. En effet, les petits propriétaires
héritiers de la décapitalisation des exploitations collectives n’avaient pas les moyens matériels
et financiers de travailler leur paille. Les nouvelles entreprises défrichent, remettent en
activité les terres dans des régions abandonnées par l’activité agricole depuis une vingtaine
d’année et les villageois perçoivent ce phénomène avec fierté, qu’ils associent à une
« renaissance » de leur village.
b) Création d’emplois bénéficiant au maintien de la population
rurale masculine
En fonction des régions cible de l’échantillon, l’entreprise crée ou maintient l’emploi.
Pour une des régions d’étude, 2005 est l’année de la reprise de l’activité agricole grâce
aux investissements étrangers et ukrainiens, suite à une politique d’attrait des capitaux pour
l’agriculture. On constate alors le retour des hommes au village. Auparavant, pour faire vivre
leur famille, les pères étaient contraints de migrer à Kiev, capitale de l’Ukraine, ou à Moscou,
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capitale russe, pour travailler six mois de l’année, généralement en été. Cependant, la situation
de cette région d’étude est particulière, puisqu’elle avait été complètement abandonnée par
l’activité agricole : toutes les entreprises agricoles avaient disparu, contrairement aux autres
régions d’étude. La reprise de l’activité agricole et la création d’emploi qui s’ensuivent
peuvent faire revenir ou, plus généralement, maintiennent la population rurale masculine au
village.
Ainsi, dans le cas des autres régions, l’arrivée des nouveaux investisseurs étrangers ne
crée pas d’emplois dans les villages car les investisseurs rachètent une entreprise et ne la
créent pas. Cependant, puisque l’entreprise rachetée était en faillite et qu’elle ne pouvait
honorer les salaires de ses employés, l’arrivée de nouveaux investisseurs a permis le maintien
ou la reprise de la rémunération des salariés.
c) Rente foncière
Les entreprises agricoles louent la terre aux petits propriétaires villageois qui touchent
ainsi une rente foncière. Dans la majorité des conseils de village, cette rente existait déjà avant
l’arrivée des nouveaux investisseurs, car les entreprises privées formées à partir des anciennes
exploitations collectives louaient formellement les pailles aux villageois. Mais, beaucoup
d’entre elles honoraient rarement les baux, étant en faillite ou en situation de monopole. Dans
certains villages, c’est l’arrivée des nouveaux investisseurs qui a normalisé cette situation et a
permis aux villageois d’avoir enfin, un revenu régulier de leur propriété foncière.
Il y a six ans donc, les investisseurs étrangers ont apportés les capitaux nécessaires au
démarrage d’un secteur agricole sinistré. En effet, les entreprises locales, héritées des
exploitations collectivisées, étaient en difficultés depuis longtemps. De fait, la place était
libre, la terre disponible et les villageois prêt à louer leurs terres à des entreprises solvables.
Cette situation est maintenant très différente, les observations de terrain montrent que
dans la majorité des raions étudiés, les entreprises ainsi arrivées connaissent des difficultés de
développement car le foncier disponible est devenu rare et l’information à son sujet
stratégique. De sorte que de nombreux acteurs, maires de conseil de villages, responsables de
raion, ou employés d’autres entreprises monnayent cette information. La rente foncière est
alors un moyen pour l’entreprise de sécuriser son foncier face à la reprise possible de ses baux
par ses concurrents. En situation de pénurie, les entreprises souhaitent établir des baux de
location les plus longs possibles.
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Pour les paillitevistes, la rente foncière correspond à un treizième mois de salaire. Les
difficultés de paiements de l’époque qui à suivit la décollectivisation sont oubliées et les
investisseurs potentiels nombreux et avenants. Le versement du loyer se fait une fois par an,
après la moisson, en nature ou en espèces. Il ne s’agit pas d’une grande somme d’argent mais
celle-ci permet un véritable effet de levier. Les petits propriétaires, retraités pour 80 % d’entre
eux, préfèrent être payés en grain pour nourrir leur cheptel souvent composé d’une vache, de
quelques cochons et de poules. Ce micro-élevage sert à la consommation domestique mais
constitue aussi un complément de revenu. En effet, tous les matins, les babouchkas68
prennent
le bus en direction de la ville pour vendre du lait, du beurre, des œufs, du lard, du saindoux,
de la volaille et les légumes de leur potager (voir Figure 22).
Figure 22. Marché informel des babouchkas dans la ville de Khmelnitski
Source : Ariane WALASZEK, 2011
Il y a donc une relation d’interdépendance entre les deux structures de production, les
micro-exploitations et les grandes exploitations spécialisées en grande culture. En effet, les
petits propriétaires n’ont ni les outils ni la force de travail pour travailler leur paille seuls.
Sans la présence de l’entreprise locataire, les villageois ne pourraient pas nourrir leur cheptel
68
Du russe « бабушка », qui signifie grand-mère.
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et donc n’auraient pas de complément de revenu. Les villageois bénéficient ainsi à la fois du
paiement en céréales pour leur cheptel et de l’usage occasionnel des outils agricoles pour leur
lopin. À l’inverse, sans l’accord des villageois de louer leur paille, l’entreprise n’aurait pas
accès à une concentration foncière suffisante et n’aurait donc plus d’intérêt à s’implanter en
Ukraine.
Cependant, le paiement en nature ne convient pas toujours aux propriétaires ou aux
entreprises. Premièrement, certains bailleurs, âgés de trente à quarante ans, vivent maintenant
en ville et n’ont donc plus de bêtes à nourrir. Ils n’ont plus l’utilité d’un paiement en nature et
leur rémunération n’a que peu d’effet d’entrainement sur l’économie locale. Parfois ce sont
les entreprises qui préfèrent payer en espèces car c’est plus simple à gérer pour elles. En effet,
une exploitation agricole de 4 000 ha contractualise des baux emphytéotiques auprès de 1 000
villageois. Il faut s’imaginer le travail que représente le paiement de mille personnes avec du
grain, qu’il faut peser, servir, charger. Une file d’attente de quatre cent mètres de long se
forme devant l’exploitation, avec des vélos, des charrues, des chevaux, des voitures. Bien que
certains préfèrent une autre modalité de paiement, un tiers à trois-quarts des bailleurs ont
besoin de grain pour nourrir leur cheptel. Pour répondre à cette demande de leurs
propriétaires, certaines des entreprises, telles que les entreprises Martin et Leroy 1, ont décidé
de faire une à deux journées portes ouvertes par an, pendant lesquelles les propriétaires
peuvent acheter du grain à prix réduit avec l’argent de leur rente. Malgré tout, un problème
persiste : le cours des céréales varie en fonction des années. Ainsi, ces petits rentiers avec le
même montant du loyer ne reçoivent pas la même quantité de céréales ou bien avec la même
somme d’argent, ne peuvent pas acheter la même quantité de céréales d’une année sur l’autre.
Peu habitués à ces variations pour des raisons historiques, ils les ressentent comme une
injustice qui crée des tensions dans la relation locataire/bailleur même lorsque certaines
entreprises leur cèdent des grains à prix réduit. Dans le cas de l’entreprise Rousseau, celle-ci a
trop à perdre par rapport à ses concurrents, pour se permettre de perdre des propriétaires qui
se sont sentis volés. L’enjeu du foncier est en effet essentiel, le lien de location est un lien
fragile et chaque villageois peut décider de trouver preneur ailleurs dans un contexte où la
disponibilité des terres n’est plus d’actualité. Ainsi cette année, l’entreprise a payé ses loyers
en offrant les mêmes quantités de grain que les années précédentes, bien que le prix du blé
soit plus élevé et que par conséquent, elle aurait dû en donner moins. On constate ici que ce
lien de location entre l’entreprise et les paillitevistes, lorsqu’il sert au développement de micro
exploitations, est utile au développement du village car il assure une activité et des revenus à
la population. Cette population est ainsi incitée à rester dans le village. La présence de
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villageois ayant des ressources permet d’entretenir l’usage des services publics (écoles, poste,
bureaux administratifs, etc.) et des commerces locaux et apporte un développement du
territoire ou au moins une résistance à sa désertification.
d) Un « impôt social » permettant une dynamique locale
Toutes les entreprises de l’échantillon financent des travaux communaux tels que
l’entretien des routes69
, de l’école, du centre culturel ou de structures médicales. Elles
financent aussi les fêtes locales ou certaines initiatives culturelles. Les entreprises appellent ça
payer un « impôt social ». Dans la plupart des villages, ce mécénat n’est pas une obligation
légale. Il résulte d’un travail incitatif du maire, qui passe régulièrement sur l’exploitation,
pour demander de l’aide soit sous forme de prêt de voiture, de camion, de tracteur ou parfois,
plus directement, sous forme d’argent.
Cet « impôt social » payé par l’entreprise redynamise le village ou, a minima, assure
l’entretient une partie des infrastructures. Le cas le plus parlant est celui de l’entreprise Martin
qui a financé la réhabilitation d’une maison de repos médicalisée. L’ouverture de cet
établissement, unique dans le raion, a créé une cinquantaine d’emplois et attiré les populations
du raion concernées par ce service gériatrique. Ces flux de personnes ont permis d’augmenter
la fréquence des bus et ainsi aux membres des familles employées à la maison de repos de
travailler en ville. C’est pourquoi ce village de huit cents habitants a vu sa croissance
démographique se stabiliser et connait même une légère augmentation alors qu’elle était en
chute libre depuis une vingtaine d’années. Cette tendance est propre à deux villages de
l’échantillon puisque la décroissance démographique comme l’exode rural, restent des
problèmes nationaux, qui participent tous deux à un déclin démographique dans tous les
autres villages échantillonnés. En effet, cette redynamisation locale, tout en ayant un effet
bénéfique, n’est pas toujours d’ampleur à contrebalancer un phénomène national.
e) D’un climat de suspicion à un climat de confiance : point de vue
de la population locale
Tous ces changements – de plus en plus nombreux et visibles, proportionnellement au
temps de présence de l’entreprise – font doucement évoluer le point du vue des villageois. Au
départ, c’est plutôt un climat de suspicion qui domine et les villageois considèrent les
investisseurs comme des « voleurs de terre ». Mais, à peine trois ans plus tard, l’entreprise a
défriché les terres et le village donne l’impression de « revivre ». Les villageois expriment le
69
Si les routes ont besoin d’un entretien régulier, c’est principalement à cause de la présence des
entreprises agricoles qui transportent des poids lourds.
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plaisir qu’ils ont à voir leur paille être travaillée, « vivante ». Cette qualité esthétique les
touche beaucoup. En outre, toute entreprise paie régulièrement, embauche et finance les
aménagements et infrastructures du village. Elles reprennent ainsi le rôle territorial qui était
dévolu aux exploitations collectives communistes. Un climat de confiance s’installe donc
progressivement.
Pour conclure, depuis la présence des nouveaux investisseurs dans la production
agricole en Ukraine, les villages ukrainiens « renaissent ». Les terres sont défrichées et
travaillées ; les paillitevistes touchent leur rente pour nourrir leur cheptel ; les villageois ont
un emploi rémunéré et certains villages voient leur déclin démographique freiné. De plus, les
activités culturelles, éducatives et médicales, abandonnées progressivement depuis la chute de
l’URSS, retrouvent leurs fonctions. On a vu ainsi la restructuration de la polyclinique par
l’entreprise Martin qui a également aidé à la rénovation du centre culturel, des trois écoles et
de la mairie, comme l’entreprise Leroy 1 d’ailleurs, ou l’entreprise Rousseau qui fournit
l’orphelinat en grains, mais ce peut être aussi le financement d’une fête de village par
l’entreprise Groen, et de nombreux autres occasions. L’impact économique se ressentirait
même à l’échelle du raion. Le raion d’une des zones étudiées aurait ainsi vu sa recette
budgétaire annuelle multipliée par trois entre 2009 et 2011. Cette information nous a été
certifiée par l’ancien directeur du département agricole du raion concerné.
Cependant, on peut poser la question de la pérennité et des conditions nécessaires à la
dynamique autour de la présence des entreprises. Toutes les entreprise participent-elles de la
même manière et dans les mêmes conditions à cette dynamique ? L’appartenance des
entreprises à un modèle proche d’une agriculture familiale ou d’une « agriculture de firme »
change-t-elle leurs rapports au territoire ?
B. LES LIMITES DE L’APPUI AU DÉVELOPPEMENT LOCAL
a) Une dynamique de l’emploi qui n’est pas structurelle
Certains changements liés à la présence de l’entreprise agricole ne sont pas pérennes.
Par exemple, le nombre d’emploi créés est surdimensionné au regard des besoins de
l’entreprise. Mais, si les nouveaux investisseurs maintiennent l’emploi, c’est dans un but
purement stratégique. En effet, cela leur permet de mieux s’intégrer, de mieux être accepté et
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donc indirectement de stabiliser leur accès au foncier. Sur le long terme, c’est bien la
suppression des emplois agricoles qui est à craindre. « Je pourrais travailler avec seulement
deux ou trois ouvriers sur mes 1 500 ha » (Rousseau). Chaque entreprise a une dizaine de
salariés en trop en moyenne. C’est pourquoi, à son arrivée, l’entreprise Mercier a licencié tous
les salariés de l’entreprise rachetée. Mais, quelques semaines plus tard, elle a réalisé les
enjeux de la relation au territoire pour mieux sécuriser ses baux et a réemployé tout le monde.
La gestion des ressources humaines dans les exploitations est indissociable des
considérations stratégiques liées à la sécurisation de l’implantation de l’exploitation agricole
dans son environnement. Souvent, une partie des ouvriers de l’entreprise sont aussi les
propriétaires des pailles ou leurs proches. Le bassin d’emploi est donc tout à la fois le milieu
social dans lequel l’entreprise trouve ses bailleurs comme ses interlocuteurs administratifs et
institutionnels. Maintenir une interrelation étroite entre l’entreprise et le bassin d’emploi des
villages d’implantation permet donc également de pérenniser les baux et les liens avec
l’administration.
b) Le moratoire : fragile clef de voûte d’un système social
Le moratoire – mis en place en Ukraine en 1996 et toujours en vigueur – interdisant la
vente des terres, pourrait bien être levé au cours de l’année 2012. Pourtant, il constitue la clef
de voûte des liens d’interdépendance qui se développent dans ce que nous avons appelé la
relation au territoire des entreprises. La levée du moratoire inquiète donc à plus d’un titre.
Si le moratoire est levé, les petits propriétaires retraités pourront vendre leur paille,
c'est-à-dire leur seule source de revenu. C’est souvent grâce à celle-ci qu’ils assurent
l’alimentation de leur élevage et par là, une partie de l’économie locale. Certains pensent que
les villageois retraités risquent de « flamber » le gain qu’ils réaliseraient lors d’une vente
parce que dans les villages on vivrait « au jour le jour ». Les conditions de vie en Ukraine ne
sont pas sans difficultés et, d’un jour à l’autre, tout accident pourrait contraindre les
paillitevistes à la vente. Dans le cas où les villageois vendront effectivement leur paille, ils
n’auront plus de revenus, et moins de moyens pour exploiter leur lopin de terre. Certains
craignent ainsi un exode rural plus important que celui existant déjà, et la formation de
bidonvilles dans les périphéries urbaines.
De plus, si les entreprises deviennent propriétaires du foncier, elles n’auront plus
besoin de sécuriser leur foncier et donc auront moins d’intérêts stratégiques à apporter leur
aide au développement local, même si ces efforts de relation au territoire pourraient rester
encore nécessaires pour obtenir des facilitées institutionnelles. Mais, les interactions induites
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par la location participent pleinement au maillage social et aux relations d’influence entre les
acteurs du village. En effet, l’intéressement d’un plus grand nombre d’habitants par les liens
de locations ou par l’embauche plus importante d’ouvriers dans l’exploitation élargit le
nombre de personnes intéressé à l’évolution de l’entreprise et à ses relations avec les
institutionnels. Cela pousse les élus et administratifs locaux à prendre compte aussi, mais pas
seulement, l’intérêt général dans leurs sollicitations aux entreprises et cela réduit leurs marges
de manœuvre pour entraver les intérêts d’une entreprise appréciée par ses habitants. Si la
relation au territoire de l’entreprise se voit réduite à quelques institutionnels, l’intérêt collectif
risque de rester plus marginal encore dans leurs interactions.
Enfin, les effets directs de la fin du moratoire sur l’économie et l’emploi sont difficiles
à prévoir. Si le moratoire prenait fin, le lien permanent bailleurs/locataire disparaîtrait au
profit d’un rachat des terres dont le caractère définitif met fin à cette interdépendance,
déstabilisant ainsi la base d’une économie locale renaissante. La disparition de ce lien pourrait
s’accompagner de celle des ouvriers « surnuméraires » et des propriétaires, qui tenteront alors
leur chance ailleurs. Ces abandons risqueraient de remettre en cause tout ce qui a –
jusqu’alors – été préservé. Les villageois vivraient alors un véritable déclin de leur village. Le
village, lieu d’interconnaissance, deviendrait alors beaucoup plus hostile aux investisseurs
étrangers, et les autres petits services fournis par l’exploitant seront alors insuffisants.
c) La levée du moratoire : un risque de concentration foncière
L’hypothétique levée du moratoire inquiète une partie de la population et de la classe
politique à l’échelle nationale pour d’autres raisons : la corruption va poser problème. Qui va
acheter la terre ? L’Ukraine est partagée entre cinq à six oligarques répartis par région.
L’ouverture du marché foncier permettrait aux oligarques ukrainiens de s’enrichir à nouveau.
En effet, « il ne reste plus grand-chose à voler en Ukraine » (Martin), le secteur sidérurgique
étant déjà privatisé. « Aujourd’hui, il reste la terre » (Martin). « Libérer » le moratoire
permettrait à ces oligarques d’acheter à bas prix les pailles des villageois. À l’ouverture du
marché foncier, la terre aura sans doute une faible valeur vénale, puis elle pourrait prendre de
la valeur et motiver des comportements spéculatifs des oligarques. Si la loi autorise la vente
de terre aux étrangers, la concentration foncière des terres agricoles se jouerait alors entre
deux acteurs : les oligarques ukrainiens et les investisseurs étrangers à gros capitaux.
L’avantage du lien locatif est le faible coût en capital qu’il exige, un agriculteur peut ainsi
lancer une activité sans le capital dévolu à l’achat des terres. Mais le coût d’achat des grandes
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surfaces d’exploitation risque d’être inaccessible à une partie notamment des agriculteurs de
la première trajectoire.
Cependant, le bruit court dans le milieu agricole que le gouvernement aurait
l’intention, en complément de la levée du moratoire, d’interdire la vente des terres aux
étrangers. Mais, les montages juridiques possibles aujourd’hui font penser qu’un directeur
ukrainien et une entreprise au siège social en Ukraine peut « cacher » des capitaux et une
direction essentiellement étrangère. Quasiment toutes les entreprises de l’échantillon à
capitaux étrangers ont un directeur ou une directrice de nationalité ukrainienne puisque la loi
y oblige. Aujourd’hui un étranger ne peut pas être à la tête d’une exploitation agricole. Aux
yeux de la loi, l’entreprise est déjà ukrainienne et non étrangère.
Dans tous les cas, les entreprises agricoles des trajectoires une et deux, présentées dans
la seconde partie, n’auront pas les moyens d’acheter la totalité des terres qu’elles louent car
elles risquent de ne pas pouvoir concurrencer les capacités de financement des « agricultures
de firmes » de la troisième trajectoire. Les entreprises à capitaux français des première et
deuxième trajectoires ont l’intention d’acheter une partie de leurs terres, pour se prémunir de
la concurrence des « agroholdings ». Ainsi, l’entreprise Martin explique qu’« acheter n’est
pas un avantage et n’a pas d’intérêt, à moins de vouloir spéculer sur le prix du foncier. Mais,
ça n’est pas notre intention. Si la fin du moratoire se concrétise, on se forcera à acheter par
sécurité, au moins une partie : en prévision des pressions que peuvent engendrer les agro-
holdings sur le coût du foncier. En effet, il se peut que la location un jour nous coûtera plus
cher que l’achat. C’est pourquoi, on achètera par sécurité ». Mais, encore faut-il que les
paillitevistes souhaitent vendre et que les prix exigés le lui permettent.
Bien que les grandes institutions internationales voient la levée du moratoire comme la
condition à la création d’un marché foncier, d’autres la perçoivent comme un risque social. Il
existe, par ailleurs, un risque de concentration foncière entre les mains des investisseurs
ukrainiens ou étrangers à gros capitaux. Mais rien n’est encore sûr. Tout sera fonction de
l’existence ou non d’un encadrement juridique efficace du marché foncier, du choix des
paillitevistes de vendre ou non, et du profil des acheteurs.
d) Implantation locale et « agriculture de firme »
En partant sur le terrain, je m’attendais à rencontrer essentiellement des entreprises
très flexibles, sans projection à long terme sur le territoire. Or, cinq des six entreprises
françaises de l’échantillon cherchent à tout prix à sécuriser leur foncier pour projeter leurs
activités sur du long terme et ne chercheraient pas à spéculer, ni sur la valeur foncière de leur
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exploitation ni sur leurs activités. L’échantillon ne reflète certainement pas le mieux le
modèle tendant vers une « agriculture de firme », mais cela révèle la coprésence d’une
pluralité de modèles agricoles où l’ « agriculture de firme » est portée, dans l’échantillon, par
l’entreprise Leroy et les grandes entreprises de l’oligarchie ukrainienne de la troisième
trajectoire. De façon assez prévisible, c’est justement l’entreprise Leroy qui entretient le
moins de liens et de relations locales.
Bien que la stratégie spéculative ne soit pas un choix qui puisse s’afficher
officiellement et bien que l’échantillon reste inégal,
l’observation nous montre qu’une entreprise qui a
pour objectif de spéculer, sur la valeur foncière ou
sur sa valorisation boursière, n’a pas d’intérêt à
sécuriser son foncier et n’a pas besoin de s’intégrer.
On constate chez ces entreprises, un souci limité de
développer une relation au territoire local. Ces
entreprises sont présentes sur plusieurs raions et
préfèrent assurer un réseau de caciques locaux ou, au
mieux, de contacts hauts placés dans l’administration
centrale. Elles n’ont ainsi pas besoin de « dorer » leur image auprès des petits propriétaires
fonciers ou des villageois, les ordres et les solutions viennent de plus haut. Ainsi, l’entreprise
accède plus rapidement que les autres à un foncier abondant puisqu’elle est la première
informée des meilleures opportunités de rachats d’entreprises en faillite. De plus, elle est la
première informée des « terres de réserve » pouvant faire l’objet d’une demande de droit au
bail (voir encadré « terre de réserve »).
Enfin, si les entreprises acceptent de payer un « impôt social », ce n’est pas par
philanthropie, il s’agit bien d’un comportement stratégique. Payer pour s’intégrer, assure une
stabilisation foncière et limite les pressions institutionnelles (contrôle sanitaire, fiscal ou de
sécurité incendie répétés, longueur appuyé de l’administration, etc.). La pérennité de l’aide au
développement local dépend donc des objectifs de l’entreprise : si elle cherche ou non une
sécurisation foncière et si elle a ou non des contacts hauts placés dans l’administration.
Enfin, les entreprises agricoles qui s’implantent dans les villages ukrainiens sont
spécialisées dans des productions destinées à l’exportation. On constate d’ailleurs, une
augmentation de la production de céréales et oléoprotéagineux qui va de pair avec une baisse
de l’élevage. Les nouveaux investisseurs agricoles ne choisissent pas des productions
« Terre de réserve »
La loi adoptée fin 1991 en Ukraine a
imposé la création de « terres de réserve »
autour de chaque village. 15 % de la
surface de chaque kolkhoze et sovkhoze
passent alors sous le contrôle du Conseil
de Village (Jaubertie, 2011).
Pour obtenir le droit de cultiver ces terres,
l’entreprise agricole doit monter un dossier
avec l’accord du Conseil de Village pour
enfin adresser la demande au raion.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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destinées au marché intérieur pour la sécurité alimentaire. Ce choix de mode de production ne
va pas dans le sens de la recherche d’une autosuffisance alimentaire pour l’Ukraine. Pour
autant, les entreprises de la première et de la deuxième trajectoire entretiennent une petite
production maraichère, pour employer plus de main d’œuvre et donc encore une fois de plus,
pour assurer leur relation au territoire. De plus, elles fournissent une aide et des outils
agricoles aux villageois, qu’ils soient paillitevistes ou simples producteurs maraîchers sur leur
lopin. Et, ce sont essentiellement ces micro-exploitations qui contribuent à la sécurité
alimentaire nationale.
C. CONCLUSION ET SCHÉMAS BILAN
Pour conclure, la présence de ces entreprises apporte effectivement une aide au
développement local du village et parfois même du raion mais la durabilité de cette aide
dépend des objectifs stratégiques de l’entreprise. Tous ont intérêt à entretenir, y compris
financièrement, des relations afin de se protéger d’un harcèlement administratif et de
contrôles intempestifs, afin aussi d’obtenir les informations stratégiques notamment sur le
foncier, et de maintenir de bonnes relations avec les paillitevistes pour sécuriser leur foncier.
Mais, pour les entreprises se rapprochant de l’ « agriculture de firme », cette relation
au territoire n’est pas incarnée par un homme identifiable au patron. Il y a des gérants, des
employés qui renouvellent les baux, d’autres qui cherchent des exploitations à reprendre et
enfin des responsables qui assurent des réseaux d’influence à l’échelle nationale. Ces
entreprises-là distribuent certes quelques subsides aux caciques locaux, mais cet argent
n’apporte rien au développement local. Si elles n’avaient pas cette dépendance foncière vis-à-
vis des paillitevistes, elles n’auraient aucun intérêt à entretenir une quelconque relation au
territoire.
La situation est toute autre pour les entreprises encore tenues par des logiques du
modèle agricole familiale. Les entreprises des trajectoires une et deux voient généralement
toutes ces fonctions incarnées par un ou quelques associés reconnaissables par tous. Celles-ci
appartiennent en faits ou en conscience à une agriculture familiale qui se souci de ses bonnes
relations au territoire mais aussi de l’intérêt collectif d’une communauté dans ce territoire.
Ces entreprises gardent un ancrage essentiellement local, contrairement aux entreprises de la
troisième trajectoire qui partagent des valeurs en rupture avec le modèle familial. Toutes les
implantations ne se valent donc pas, et, celles qui catalysent une dynamique locale ne
correspondent pas au modèle émergent que serait l’ « agriculture de firme ».
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Les entreprises de cette troisième trajectoire n’ont pas de stratégie à long terme et
souhaitent valoriser leur capital pour pouvoir le revendre avec le maximum de plus-value. De
plus, elles spéculent sur les matières premières. Il s’ensuit qu’elles n’ont pas plus d’intérêt à
une implantation sociale durable qu’a une production agricole soutenable. Ce sont donc les
entreprises agricoles occidentales ou ukrainiennes, s’implantant en Ukraine avec des objectifs
financiers, qui s’orientent le plus vers une intensification de la production70
. On y constate
l’usage de certains produits phytosanitaires interdits dans l’Union-Européenne pour leur effet
extrêmement polluant. Pourtant, il existerait un institut public dans chaque oblast qui testerait
et réglementerait l’usage des produits phytosanitaires. Même si la législation interdit l’usage
de ces produits, dans la pratique la loi se contourne facilement avec quelques pots de vin. On
peut donc regretter aussi que ce nouveau modèle agricole ne réponde pas aux exigences
environnementales.
Toute mon analyse présentée dans ce mémoire repose sur l’existence du moratoire
interdisant la vente des terres en Ukraine. Or, il est régulièrement question de l’abroger, cette
fois-ci peut-être en 2012. J’ai donc décidé d’aller plus loin dans mon analyse en imaginant la
relation au territoire des trois trajectoires d’entreprises dans le cas d’une légalisation de la
vente des terres en Ukraine. À partir des trois trajectoires qui ressortent de l’analyse faite dans
la deuxième partie de ce mémoire, voici donc ci-après trois schémas bilan indiquant la qualité
de la relation des entreprises avec leur territoire d’influence en cas de fin de moratoire,
actuellement clé de voûte de leur relation.
Le squelette du schéma en noir suppose que nous sommes dans un contexte ukrainien
où le seul mode de faire-valoir est le fermage et où la concurrence foncière est forte.
L’exploitation agricole met alors en place des stratégies pour accéder au foncier. Dans ce cas,
deux solutions s’offrent à elle : partir ou s’intégrer par l’usage des modalités locales auprès
des villageois et/ou auprès de l’administration locale. Par s’intégrer, il faut entendre avoir une
relation privilégiée.
70
Remarque sur les termes production intensive/extensive. En Ukraine la production est extensive du
fait des superficies, mais même si on utilise moins d’intrants qu’en France, parce que la terre y est plus fertile,
tous les produits chimiques destinés à l’agriculture sont présents et utilisés. Pire, les ouvriers agricoles qui les
épandent n’ont pas conscience des risques encourus par l’usage de ces produits ou du moins se soucient peu des
dégâts environnementaux. Ainsi, j’ai vu des champs avec des taches d’herbe brûlée : les ouvriers ne savaient pas
où déverser le surplus de produits, ils ont alors vidé la cuve dans le champ concentré en un endroit.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Figure 23. Schéma bilan de la 1ère
trajectoire d’entreprise :
le moratoire, clé de voûte de la relation au territoire
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
Dans le cas d’une légalisation de la vente des terres, quel scénario peut-on imaginer
pour les entreprises de la 1ère
trajectoire ? De par sa trajectoire appartenant encore à un modèle
familial, l’exploitation agricole entretient une forte relation d’interdépendance avec les
villageois quel que soit le mode de faire valoir en place. Le lien à la location ici « s’ajoute ».
La relation d’interdépendance sera donc maintenue. De même, l’exploitation agricole
maintiendra sa relation avec l’administration locale pour limiter les pressions institutionnelles
qui ne dépendent pas du mode faire-valoir en place mais de la corruption. Pour conclure, la
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
144/174
fin du moratoire ne changera pas profondément la qualité des liens au territoire des entreprises
de la première trajectoire.
Figure 24. Schéma bilan de la 2ème
trajectoire d’entreprise :
le moratoire, clé de voûte de la relation au territoire
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
Dans le cas d’une légalisation de la vente des terres, quel scénario peut-on imaginer
pour les entreprises de la 2ème
trajectoire ? La relation d’interdépendance avec les villageois
sera maintenue mais deviendra plus fragile. Le lien de location ici « organise » la relation. De
même, l’entreprise agricole maintiendra sa relation avec l’administration locale pour limiter
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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les pressions institutionnelles mais aussi pour obtenir davantage d’aide face à la concurrence
foncière. Cependant, les entreprises de la 2ème
trajectoire ont moins de pouvoir que celles de la
3ème
trajectoire dans leur relation avec l’administration. Pour conclure, la fin du moratoire
maintiendra les liens au territoire mais les rendra incertains et de moins bonne qualité.
Figure 25. Schéma bilan de la 3ème
trajectoire d’entreprise :
le moratoire, clé de voûte de la relation au territoire
Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
Dans le cas d’une légalisation de la vente des terres, quel scénario peut-on imaginer
pour les entreprises de la 3ème
trajectoire ? La relation d’interdépendance avec les villageois
disparaitra puisque la société agricole n’aura plus d’intérêt à entretenir cette relation. La
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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relation avec l’administration locale sera maintenue mais fragilisée car la société agricole
traitera directement avec l’administration haut placé (régionale voire nationale). Pour
conclure, les entreprises de cette 3ème
trajectoire qui ne soignent déjà pas leur relation avec les
villageois, couperont définitivement tous liens. La fin du moratoire entrainera alors une
déstabilisation de l’économie locale renaissante jusqu’ici.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
147/174
CONCLUSION
En conclusion, rappelons d’abord la problématique qui nous a guidés :
Les nouvelles formes d’agriculture en Ukraine :
impact local des entreprises agricoles
Dans une première partie, nous avons pu faire un état des lieux de l’évolution des
modèles agricoles. On a ainsi pu constater une évolution de l’agriculture familiale face au
contexte de la globalisation. Nous avons vu qu’à côté de ces modèles préexistants, un
nouveau modèle émergerait : l’« agriculture de firme ». Cette forme d’organisation du travail
agricole qu’on connait encore mal est caractérisée par sa rupture avec l’agriculture familiale.
Elle serait « hautement capitalistique et installée sur les marchés des matières premières »
(Hervieu, Purseigle, 2009 : 189). Cette « agriculture de firme » participerait entre autre au
phénomène de land grab (accaparement des terres), un processus d’acquisition des terres à
l’étranger par des acteurs privés ou publics exogènes au monde agricole. Certains de ces
acteurs appartiennent au secteur financier et trouvent une opportunité de bénéfices financiers
sur les matières premières agricoles, secteur refuge dans la période de crise financière. Les
denrées alimentaires sont donc devenues l’objet de spéculation notamment sur les marchés
dérivés.
Parmi les pays cibles les plus concernés par ce nouveau type d’investissement
agricole, l’Ukraine prend une place toute particulière. Ex-pays de l’Union soviétique,
l’Ukraine est toujours dans une transition agraire depuis la décollectivisation. Cette transition
provoque des restructurations foncières propices à l’arrivée de nouveaux investisseurs. Or, ce
pays d’Europe orientale est très attractif pour ses atouts naturels et son potentiel agricole ;
mais aussi, pour sa localisation à proximité des deux régions les plus déficitaires en grain de
la planète. L’Ukraine a donc une place stratégique dans l’approvisionnement en céréale du
marché international, et constitue en ce sens un terrain propice à l’émergence du modèle
agricole d’ « agriculture de firme ».
Pour démontrer la présence de ce modèle agricole émergent en Ukraine, nous nous
sommes intéressés au parcours, à la forme de réalisation et aux objectifs des investisseurs du
secteur agricole. Pour des raisons de facilité, les observations sur le terrain des investisseurs
étrangers se sont essentiellement portées sur les investisseurs français, mais nous nous
sommes aussi intéressés aux investisseurs locaux. Les informations recueillies portent sur un
échantillon de douze entreprises françaises et ukrainiennes rencontrées à l’occasion d’un
travail de terrain d’un mois et demi en Ukraine au printemps 2011. Elles se composent
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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d’observations et de données recueillies sur le terrain, d’entretiens téléphoniques et en face à
face.
Dans une deuxième partie, nous avons ainsi pu dégager des trajectoires d’entreprises
chacune à partir d’un type d’acteur associé. Trois trajectoires d’entreprises sont apparues dans
de ce travail d’analyse dont la dernière porte les caractéristiques de flexibilité et de
financiarisation qui correspondrait au modèle émergeant de l’ « agriculture de firme ».
Parmi les caractéristiques de ces trajectoires d’entreprises, on constate qu’elles
présentent des objectifs stratégiques différents et parfois même contradictoires. La première
trajectoire d’entreprise a l’objectif d’assurer la reproduction familiale et est tournée vers une
agriculture commerciale. Les exploitations agricoles font moins de 1 500 ha et la rupture avec
le modèle familiale dans le cas des entreprises françaises de cette trajectoire est
principalement due à la migration c'est-à-dire avec la rupture du lien à la terre familiale.
Cependant, les capitaux et l’organisation du travail restent familiaux.
La deuxième trajectoire constitue un choix stratégique de développement par
l’intensification de la production dans une perspective de long terme. Les exploitations
agricoles font – sauf incident de parcours – plusieurs milliers d’hectares. Les acteurs de cette
trajectoire sont plus des entrepreneurs agricoles que des agriculteurs. Eux-aussi ont fait leur
deuil du lien à la terre mais aussi de leur métier d’agriculteur. Ils dirigent ce qui s’apparente
vraiment à une entreprise de production agricole, et, parfois même, on constate une
diversification de leur activité en France ou en Ukraine. Mais, cette diversification se fait
toujours à partir du cœur de leur métier qui reste l’agriculture.
Pour ce qui est des entreprises de la troisième trajectoire, ce sont des holdings qui
détiennent plusieurs unités de production réparties sur le territoire ukrainien. Les investisseurs
ont peu à voir avec le secteur agricole et s’apparentent bien plus à des businessmans qui
souhaitent valoriser leur capital à partir des opportunités de bénéfices financiers du marché
international des matières premières. Les entreprises agricoles de la troisième trajectoire
relève d’un « développement optimal » dans une perspective de valorisation du foncier, du
capital de l’entreprise et des productions sur les marchés financiers. Deux des entreprises de
cette trajectoire sont cotées en bourse. C’est donc la troisième trajectoire qui se rapprocherait
le plus de l’ « agriculture de firme ». Une fois ces trajectoires établies, il s’est agit de
« mesurer » leur impact sur les territoires locaux ukrainiens.
Dans une troisième partie, nous avons donc « mesuré» l’impact des trois trajectoires
d’entreprises établies à partir de deux études de cas réalisées dans deux conseils de village au
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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contexte de concurrence foncière différent. L’angle d’analyse privilégié a été celui de la
relation au territoire des nouveaux acteurs investisseurs. Nous avons pu observer que la
relation au territoire de l’entreprise permet le développement économique local. Cependant,
les trois trajectoires que nous avons décrites agissent différemment sur le territoire ; et, donc
leur présence a un impact différent sur les territoires locaux. Cette analyse a permis de
comparer l’impact de ce modèle agricole émergent à celui des autres trajectoires à un moment
particulier du développement agricole ukrainien où un moratoire interdisant la vente des terres
est encore en vigueur. Ce moratoire oblige les investisseurs à constituer le foncier de leur
entreprise agricole par la location de milliers de baux auprès des bénéficiaires de terrains de
quelques hectares, des pailles, de la décollectivisation agricole.
La présence de ces entreprises apporte effectivement une aide au développement local
du village et parfois même du raion mais la qualité et la durabilité de cette aide dépend des
objectifs stratégiques de l’entreprise. Tous ont intérêt à entretenir, y compris financièrement,
des relations afin de se protéger d’un harcèlement administratif et de contrôles intempestifs,
afin aussi d’obtenir les informations stratégiques notamment sur le foncier, et de maintenir de
bonnes relations avec les paillitevistes pour sécuriser leur foncier. Mais, à la différence des
autres trajectoires, pour les entreprises se rapprochant de l’ « agriculture de firme », cette
relation au territoire n’est pas incarnée par un ou des hommes porteurs des valeurs du modèle
agricole familial. C’est une organisation où il y a des gérants, des employés qui renouvellent
les baux, d’autres qui cherchent des exploitations à reprendre et enfin des responsables qui
assurent des réseaux d’influence à l’échelle nationale. Ces entreprises-là distribuent certes
quelques subsides aux caciques locaux, mais cet argent n’apporte rien au développement
local. Si elles n’avaient pas cette dépendance foncière vis-à-vis des paillitevistes, elles
n’auraient aucun intérêt à entretenir une quelconque relation au territoire. Tandis que les
entreprises des première et deuxième trajectoires appartiennent en faits ou en conscience à
une agriculture familiale qui se souci de ses bonnes relations au territoire mais aussi de
l’intérêt collectif d’une communauté dans ce territoire. Ces entreprises gardent un ancrage
essentiellement local, contrairement aux entreprises de la troisième trajectoire qui partage des
valeurs en rupture avec le modèle familial.
Toutes les implantations ne se valent donc pas, et, celles qui catalysent une dynamique
locale ne correspondent pas au modèle émergent que serait l’ « agriculture de firme ». En
effet, les entreprises de la troisième trajectoire n’ont pas de stratégie à long terme et
souhaitent valoriser leur capital pour pouvoir le revendre avec le maximum de plus-value. De
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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plus, elles spéculent sur les matières premières. Il s’ensuit qu’elles n’ont pas plus d’intérêt à
une implantation sociale durable qu’a une production agricole soutenable.
Ainsi, pour répondre à la problématique, nous avons mis à l’épreuve les trois
hypothèses de départ à savoir :
Hypothèse 1. On constate l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine qui
n’a plus de lien avec l’agriculture familiale.
Effectivement, on constate l’émergence d’un nouveau modèle agricole en Ukraine qui
n’a plus de lien avec l’agriculture familiale particulièrement dans le cas de la troisième
trajectoire d’entreprise établie. Mais, on ne peut pas parler de rupture avec le modèle familial
dans le cas de la première trajectoire d’entreprise. Quant à la deuxième trajectoire, celle-ci se
détache un peu plus du modèle familial mais garde des traces, telles que l’origine des
capitaux.
Hypothèse 2. Ce nouveau modèle agricole est basé sur la flexibilité et la
financiarisation.
Effectivement, dans le cas de la troisième trajectoire d’entreprise l’objectif est
financier et passe par une flexibilité accrue aussi bien des moyens de production que des
unités de productions implantées. Elles se distinguent en cela nettement des entreprises de la
première trajectoire mais également de celles de la deuxième trajectoire. Ces dernières
entreprises accèdent bien à des outils financiers de gestion des risques de change et de gestion
de la volatilité des prix agricoles, mais cet accès ne donne pas lieu à des bénéfices financiers
ou spéculatifs. Il s’agit bien d’outils contrairement aux entreprises de la troisième trajectoire
pour lesquelles c’est un objectif en soi.
Hypothèse 3. Ce nouveau modèle a un impact négatif sur le territoire.
Sur le cout terme, les entreprises de toutes les trajectoires font renaître les villages et
apportent leur aide pour mieux s’intégrer. Mais, plus la trajectoire d’entreprise tend vers une
« agriculture de firme », moins les entreprises cherchent spontanément à participer au
développement local. Et donc, la relation au territoire s’apparente véritablement à un lien
d’interdépendance : la location des terres agricoles dans un contexte de concurrence foncière
oblige les entreprises à développer un réseau local qui n’aurait pas le même intérêt sans le
moratoire.
Donc, si l’on admet premièrement que l’Ukraine a besoin de capitaux pour développer
son agriculture et deuxièmement qu’une agriculture financiarisée et flexible a une relation au
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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territoire amoindrit du fait de ses intérêts internationaux : politiquement l’Ukraine n’aurait-
elle pas intérêt à favoriser des entreprises agricoles de la deuxième trajectoire ancrées sur des
valeurs du modèle familial ? En effet, la présence des entreprises de première et de deuxième
trajectoire sur le territoire aurait un effet de levier sur le développement local. Et, la
mécanisation, l’accès aux crédits, et la capacité d’autofinancement plus importante des
entreprises de la seconde trajectoire les rendent plus particulièrement efficaces. Ces dernières
pourraient donc permettre une augmentation des rendements et un transfert technologique y
compris avec les micro-exploitations ukrainiennes qui bénéficient occasionnellement des
outils et des semences sélectionnés. Cela améliorerait donc également la sécurité alimentaire
du pays. Mais, cet effet levier serait plus positif encore dans le cadre d’une agriculture plus
régulée au moins sur le plan législatif (règle d’usage, plus de contrôle, etc.) afin que
l’agriculture privilégiée soit celle d’une haute qualité environnementale et sociale. Cependant,
pour arriver à un tel objectif, il faudra aussi légiférer afin de sortir de la corruption.
Dans ce scénario, le moratoire est un cadre législatif catalyseur car il favorise de façon
continue une relation de l’entreprise soit le lien de location, avec une part plus large de la
population. Cela limite l’étendue de la corruption parce que les citoyens exercent une
attention importante sur la relation de l’entreprise au territoire. En effet, les citoyens ruraux
sont directement concernés par la présence des entreprises agricoles, ce qui oblige les élus et
administratifs à veiller plus encore à l’intérêt collectif quand ils sollicitent ces entreprises. Et
enfin, les agriculteurs sont encouragés dans leurs valeurs héritées du mode de production
familial par le lien de location. Les agriculteurs voient leur relation avec leurs bailleurs
améliorée par le retour positif de leurs actions sociales et de mécénat.
Enfin, les aspects positifs des échanges informels qui se sont développés autour de ce
lien de location pourraient être étendus et formalisés s’ils étaient reconnus légalement. Cela
pose cependant la question de la pérennité des effets positifs de ces échanges s’ils sortent de
l’économie informelle et donc de la faisabilité d’un tel projet politique. Il faut ajouter que,
malheureusement, les choix politiques actuels tendent plutôt à une levée du moratoire qu’à un
approfondissement légal du lien de location.
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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TABLE DES ANNEXES
Annexe 1. Protocole de recherche, Ariane WALASZEK, 2011 ................................................ 159
Annexe 2. Guide d’entretien, Ariane WALASZEK, 2011 ........................................................ 162
Annexe 3. Liste exhaustive des investisseurs étrangers dans les terres agricoles ukrainiennes
................................................................................................................................................ 167
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Annexe 1. Protocole de recherche, Ariane WALASZEK, 2011
Thématique
L’entreprise
Indicateurs
(Catégories de renseignement à obtenir) Hypothèse Acteur/ Support
L’entreprise
> Ses acteurs
Quels sont les objectifs de l’entreprise ?
Quels sont les moyens que l’entreprise se donne pour atteindre ses
objectifs ?
Organisation du pouvoir au sein de l’entreprise = Qui fait
quoi ?
Mode d’organisation du travail
- pouvoir stratégique = Qui fait l’entreprise ?
- pouvoir gestionnaire/organisationnel = Que fait
l’entreprise ?
Documents
internes,
Entretiens
Mobilité temporelle (durée, fréquence)
Mobilité spatiale (distance)
Le rapport de l’acteur à l’entreprise/au travail
Le rapport de l’acteur à la (aux) localisation(s) de
l’entreprise
Entretiens
Quelle est la trajectoire des acteurs de l’entreprise ? Influence de la trajectoire des acteurs dans l’organisation
du travail de l’entreprise
Entretiens
L’entreprise
> Sa stratégie
La stratégie financière prend-elle le pas sur la stratégie productive ?
Existe-t-il des choix d’innovation technologiques ? Si oui, à quels stades
de la production apparaissent ces innovations ?
Priorité à la stratégie financière
Entretiens
Quels sont les avantages territoriaux de la localisation de l’établissement,
de la filiale ?
L’accès à un foncier abondant fait-il parti des critères de recherche de
l’entreprise pour s’implanter?
Apparition d’une stratégie spatiale Entretiens
L’entreprise agricole fait-elle appelle à des prestataires de service pour
l’exploitation de la terre et l’apport de machine ?
Mise en place d’une stratégie de flexibilité Entretiens
L’entreprise
> Sa trajectoire
Quelle est la date de création de l’entreprise ?
Où se trouve le siège social de l’entreprise ?
De combien d’établissements l’entreprise dispose-t-elle ?
Mono/multilocalisation
De combien d’hectares l’entreprise disposent-elle ?
Quels types de cultures l’entreprise produit-elle ?
Quelle est la structure juridique de l’entreprise ?
État des lieux de l’entreprise
Documents
internes,
Entretiens
Quels objectifs à long terme l’entreprise agricole envisage-t-elle ?
Volonté d’acquérir de nouvelles terres, de nouvelles machines,
d’employer plus de personnel ?
L’entreprise a-t-elle pour objectif d’investir dans le développement
d’infrastructures pour le stockage de la récolte? pour la transformation?
pour le transport?
Auto-projection de l’entreprise
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Thématique
Le foncier
Indicateurs
(Catégories de renseignement à obtenir) Hypothèse Acteur/ Support
Le foncier
> Le droit
foncier
Loi qui régit les conditions d’accès à la propriété Documents
institutionnels
Existe-t-il des dispositions sur la durée de location de la terre ? Existe-t-
il des dispositions spécifiques pour les étrangers ?
Loi qui régit les conditions de location de la terre Documents
institutionnels
Loi qui régit la transmission d’un bien foncier, d’un bien
matériel
Documents
institutionnels
Le foncier
> La pratique
du foncier
>> Le rapport à
l’espace
De combien d’établissements l’entreprise dispose-t-elle ?
Mono/multilocalisation
De combien d’hectares l’entreprise disposent-elle ?
De combien de machines l’entreprise disposent-elle ? Quel type de
matériel ? européens ou période collectiviste ?
Combien de salariés travaillent dans l’entreprise ? D’où viennent les
salariés qui travaillent pour l’entreprise ?
Emprise territoriale
Importance de l’entreprise agricole dans la région, dans le
pays
Multilocalisation, superficie, matériel, employés
Identité
Documents
internes,
Entretiens
Être propriétaire ou locataire résulte-t-il d’un choix ? Stratégie basée sur la flexibilité par un mode de faire-valoir
choisi
Documents
internes,
Entretiens
Y-a-t-il un mode de faire-valoir dominant ? Mode de faire-valoir dominant/marginal Documents
internes,
Entretiens
Si propriétaire ≠t locataire
Quels sont les acteurs intermédiaires entre le propriétaire et le locataire ?
L’entreprise fait appelle à une agence de démarchage à
domicile/ à une institution publique pour trouver des
propriétaires intéressés par la mise en location de leur terre
Documents
internes,
Annonces
internes,
Entretiens
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Thématique
Mode
d’intégration au
territoire
Indicateurs
(Catégories de renseignement à obtenir) Hypothèse
Question fondamentale Acteur/ Support
>
Propriétaire
foncier
Avec combien de propriétaires l’entreprise agricole doit-t-elle établir
un contrat de location pour obtenir une parcelle ?
Nombre d’habitant concerné par les baux emphytéotiques Entretiens
Quelles sont les motivations des propriétaires qui mettent leur terre en
location ?
Avantages pour le propriétaire qui loue. Possibilité de
rente foncière pour le propriétaire
Entretiens
> Réseaux locaux Dans quels réseaux locaux s’insère l’entreprise ? association,
partenaire, donneur d’ordre, compromis
De quels soutiens locaux bénéficie l’entreprise ? institutions
communales, régionales, nationales
Le développement économique de la région attire-t-il d’autres
entreprises ? L’entreprise est-elle acceptée ou rejetée par la population
locale ? La région est-elle dépendante vis-à-vis de l’État ?
Dynamique locale Entretiens
> Développement
infrastructures
Le manque d’infrastructure amène-t-il l’entreprise à investir ? à partir ?
à négocier avec les institutions ? à former une coopérative pour avoir
plus de moyen ?
Contrainte territoriale qui débouche sur un investissement
ou un abandon
Contrainte territoriale qui débouche sur la création d’un
réseau social et professionnel
Entretiens
> Emploi Combien d’emplois ont-ils été créés depuis l’installation de
l’entreprise ? Les salariés sont-ils mieux rémunérés qu’ailleurs ?
Évolution de l’emploi et de la rémunération Entretiens, Doc.
internes,
Institutions
locales
> Formes de
production
agricole
L’implantation de l’établissement sur le territoire est-elle récente ?
Quelle est l’évolution du paysage agricole ? Structure agraire
Intégration/contraste paysager
Relation entre les formes de production agricole Observation,
Entretiens, Doc.
internes
Présence d’une l’agriculture familiale Observation,
Entretiens
Les différentes formes de production agricole sont-elles
complémentaires, interdépendantes ? Les différentes formes de
production agricole partagent-elles leurs outils de production ?
L’apparition d’une nouvelle forme de production entraine-t-elle
l’exclusion par la compétition de la forme endogène/plus ancienne ?
Relation entre les formes de production agricole Entretiens
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Annexe 2. Guide d’entretien, Ariane WALASZEK, 2011
L’ENTREPRISE
Questions Éléments de réponse attendus
1- Quelle est l’histoire de votre activité en France ?
Maintenez-vous votre activité agricole en France ?
Activités et part de chacune des activités
Nb hectares en France + localisation
Exploitation française toujours en activité ?
Qui travaille (famille, salariés) ?
Statut juridique de l’exploitation en France
2- Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à investir en
Ukraine ? Avez-vous été aidé lors de votre démarche ? - Fertilité (tchernozem, pluviométrie, température)
- Coût main d’œuvre
- Coût foncier
- Économie d’échelle
- Affinité avec le pays
Quel était le projet initial ?
Date de création entreprise
- Reprise d’exploitation en faillite, ancien kolkhoze
- Terrain en friche
Siège social français ? ukrainien ?
Statut juridique de l’exploitation en Ukraine
A reçu les conseils de qui ?
3- Comment avez-vous choisi le lieu de votre installation ?
4- Combien d’hectares avez-vous ? Nb hectares
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Nb hectares au départ et maintenant
Nb société(s), Nb exploitation(s)
Où
Distance entre exploitations
Distance entre parcelles d’une exploitation
Cadastre, photo aérienne, plan disponible ?
5- Quand vous faites des bénéfices, où réinvestissez-vous cet
argent ?
Exploitation française / ukrainienne
Projets
6- Comment avez-vous fait pour lever les fonds nécessaires à
votre installation ?
Origine des fonds investis
Montant des fonds investis
Projet d’introduction en bourse ?
7- Avez-vous des associés ? Quel est leur rôle ? Nb associés
Nationalité des associés
Rôle des associés
Apports exacts par associé
Statut juridique des associés
Associés appartenant à la famille ? Rôle ?
8- Où vivez-vous ? Pays : France ? Ukraine ?
sur l’exploitation ? Temps passé dans chaque lieu
Nb A/R France-Ukraine
Où vit la famille ?
9- Comment est organisée l'entreprise ?
qui est à l'origine des choix stratégiques ?
qui est à l'origine des choix de production ?
qui gère quotidiennement l’exploitation ?
Nb de décideur(s)
Comment est distribué le pouvoir ?
Nb de gestionnaire(s) par exploitation
Nom
Nationalité
10- Combien d'employés avez-vous sur chaque site ? Nombre d’employés
Origine géographique
Fonction
11- Qui se charge de trouver les propriétaires louant leur terre ? Sous-traitance ?
Nom
12- Avec combien de propriétaires avez-vous établi un contrat Nb propriétaires
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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de location ? Durée du bail emphytéotique – évolution ?
Taille moyenne d’une parcelle louée
Prix de la location à l’hectare – évolution ?
% prélevé par la société intermédiaire
Prix de revient au propriétaire
13- Travaillez-vous avec d'autres agriculteurs environnants ? À
quelle occasion ? Comment cela se passe-t-il ?
Prêt de matériel ?
Échanges de services ?
Salariat saisonnier ?
Propriétaires à qui vous louez ? (contrat de location)
14- Souhaiteriez-vous devenir propriétaire ? avantages à être locataire
- Faible investissement financier
- Flexibilité
motivations des propriétaires
- Réserve de valeur
15- Quels types de cultures/activités produisez-vous ? blé, colza, soja, maïs, tournesol, orge
Nb hectares consacré à chaque culture
Élevage
16- À quel marché est destinée votre récolte ? Élévateur ?
Nom du collecteur
Marché national / européen
en contrat de production ?
- Durée du contrat
- Engagement du contrat
17- De quel matériel agricole disposez-vous et d’où vient-il ?
Avez-vous réalisé des investissements dans les
infrastructures ? Lesquelles ?
Type et origine du matériel et des intrants
Type de variétés, origine des semences
Machine achat d’occasion ? location ? sous-traitance ?
Évolution de l'offre locale de matériel
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Investissements lourds ou non, en infrastructures notamment
Aide des institutions pour amélioration infrastructures
Irrigation ? OGM ?
L’intégration au territoire
Questions Éléments de réponse attendus
18- Avec quelles administrations locales êtes-vous en relations
et à quelles occasions ? Quels sont vos rapports ?
Commune > Raion > Oblast > État
19- Quels sont les acteurs, locaux ou non, qui vous apportent
des soutiens ? Quels types de soutiens ?
Réseaux ? Localisation
Soutien éventuel de l'ambassade, d'autres français ou étrangers
d'Ukraine. Relations avec des acteurs locaux ?
20- Faites-vous partie d’une association dans la région ? Nom
Raisons
21- Avez-vous des partenaires dans la région ?
Qui
Dans quel domaine ?
Sanctionné par une relation contractuelle ?
22- Est-ce facile de s’intégrer dans la région ?
23- Que pensez-vous de la vie ici ? Façon dont l'acteur se perçoit, s'investit ou non dans le territoire,
dont il s'y projette également
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Perspective d’avenir
Questions Éléments de réponse attendus
24- Quel projet avez-vous pour votre exploitation ? (même si ils
ne sont pas réalisables pour l’instant)
Quoi
- Acquérir de nouvelles terres
- Diversification de la production (céréales, semences,
élevage)
- Acquérir de nouvelles machines
- Améliorer les infrastructures de stockage
- Employer plus de personnel
Quand
Pourquoi
25- Avez-vous connaissance d’autres entreprises étrangères qui
sont installées dans votre région ou ailleurs en Ukraine ou
qui souhaitent s’y installer ?
Nationalité
Région
Coordonnées
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Annexe 3. Liste exhaustive des investisseurs étrangers dans les terres agricoles ukrainiennes
Source : Visser et Spoor, (2001) à partir de Land Grab Eurasia Data. Réalisation : Ariane WALASZEK, 2011
Société Siège social Type d’activité Investisseurs participants Superficie louées et utilisées
Agrisar Royaume-Uni (GB), Pays-Bas
(ND), Suisse (CH) Agriculture
Agrisar (GB) est une opération conjointe
de la banque suisse Sarisan et de sa
banque mère néerlandaise Rabo Farm.
Ces investissements se font via LLC
Eurofarms Ukraine.
n.c
AgroGeneration France (Fr) Agriculture Gravitation (Fr), A Plus Finance (Fr) and
ALOE Private Equity (Fr)
20 000 ha (2010)
100 000 ha (obj. 2012)
Alpcot Agro
(présent aussi en Russie) Suédois (S) Société d’investissement
Tredje AP-fonden (S), Norden Fonder
(S), SIX SIS AG (CH), Credit Suisse
(CH)
161 000 ha dont 91 000 ha en
ppté (2010)
GAIA World Agri Fund Suisse (CH) Fond d’action Investit dans MHP Agroholding (Uk),
Mironovskii (Uk) > 140 000 ha via MHP
Gouvernement libyien Libye (Ly) Société d’État 100 000 ha
(accord annoncé en mai 2009)
Kyiv-Atlantic Ukraine États-Unis (USA), Danemark (DK),
Ukraine (Uk) Société agricole
Possède deux agroholdings : Atlantic
Farms I et Atlantic Farms II
3 000 ha (2001)
8 000 ha (2009)
Landkom International Royaume-Uni (GB) Agriculture enregistré à l'île de Man avec des filiales
à Chypre et en Ukraine
115 000 ha
dont 19 000 ha cultivés (2008)
74 000 ha
dont 29 000 ha cultivés (2010)
Land West Company Ukraine Détient des terres d’État Détenu par Kremney Public Co. (Uk)
actionnaires : Uk, GB, USA, EU 186 000 ha
Maharishi Organic Farm Japon (J), Australie (Au) Agriculture 50 000 ha (2008)
MTB Agricole Ukraine, Australie Agriculture
96 100 ha dont 30 000 ha
supplémentaires en cours (2009)
400 000 ha (obj. 2012)
Morgan Stanley États-Unis Banque d’investissement a vendu ses 40 000 ha
Oringin Enterprises Royaume-Uni, Ireland (IR) Entreprise agro-alimentaire A des parts dans Continental Farmers
Group (2008)
20 000 ha
dont 12 000 cultivé (2009)
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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TABLE DES ILLUSTRATIONS
Figure 1. L’Ukraine, un pays d’Europe orientale au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du
Proche-Orient ............................................................................................................................. 9
Figure 2. Les quatre stades d’évolution des systèmes alimentaires ......................................... 12
Figure 3. L’éclatement des formes d’organisation sociale et économique du travail en
agriculture ................................................................................................................................. 16
Figure 4. Indice FAO des prix des produits alimentaires sur la période 2007-2011 ................ 20
Figure 5. Indice FAO des prix des céréales sur la période 2007-2011 .................................... 20
Figure 6. Indice FAO des prix des produits alimentaires et des céréales en janvier 2007 et juin
2008 .......................................................................................................................................... 21
Figure 7. Structure foncière soviétique .................................................................................... 32
Figure 8. Dénationalisation foncière et exploitations individuelles ......................................... 33
Figure 9. Division des terres en parts foncières, délivrance de certificats de propriété ........... 35
Figure 10. Fragmentation, recomposition variable des exploitations ...................................... 37
Figure 11. Une agriculture à trois vitesses, dix ans après la décollectivisation ....................... 39
Figure 12. Concentration foncière par location, mise en place d’un marché foncier .............. 40
Figure 13. Diagramme ombrothermique de Kiev (Ukraine) .................................................... 41
Figure 14. Carte des principaux sols ukrainiens ...................................................................... 42
Figure 15. Régions biogéographiques de l’Ukraine ................................................................. 43
Figure 16. Zones étudiées au cours de mon travail de terrain en Ukraine ............................... 55
Figure 17. Défrichage d’une parcelle de l’entreprise Rousseau en 2006. Réalisation :
Rousseau ................................................................................................................................... 59
Figure 18. Localisation des conseils de villages Zolotisti et Zelioni ayant fait l’objet d’une
étude de cas ............................................................................................................................ 102
Figure 19. Ensemble des villages du conseil de village Zolotisti .......................................... 103
Figure 20. Plan de zonage des entreprises agricoles dans le village 1 Zolotisti .................... 108
Figure 21. Répartition spatiale des entreprises agricoles du raion Galouboï ......................... 118
Figure 22. Marché informel des babouchkas dans la ville de Khmelnitski ........................... 133
Figure 23. Schéma bilan de la 1ère
trajectoire d’entreprise : ................................................. 143
Figure 24. Schéma bilan de la 2ème
trajectoire d’entreprise : ................................................. 144
Figure 25. Schéma bilan de la 3ème
trajectoire d’entreprise : ................................................. 145
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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TABLE DES MATIÈRES
Remerciement ............................................................................................................................. 2
Table des matières ...................................................................................................................... 3
Introduction ................................................................................................................................ 5
Partie 1. L’Ukraine, théâtre de l’émergence d’un nouveau modèle agricole ..................... 11
1. Une mutation des modèles agricoles .............................................................. 11
A. État des lieux des modèles agricoles ........................................................... 11
a) Une mutation des modèles agricoles qui va de pair avec une mutation des
systèmes alimentaires ................................................................................ 11
b) L’agriculture familiale ............................................................................... 14
c) Émergence de deux modèles agricole en rupture avec l’agriculture
familiale ..................................................................................................... 15
B. Le phénomène de land grab ........................................................................ 18
a) Un processus d’implantation agricole offshore ......................................... 18
b) Opportunités d’investissement dans l’acquisition foncière agricole ......... 19
c) Acteurs acquéreurs et pays cibles .............................................................. 24
Investisseurs privés ....................................................................................... 24
États investisseurs ......................................................................................... 26
Pays cibles .................................................................................................... 28
2. Une mutation des modèles agricoles en Ukraine ............................................ 29
A. Une histoire agraire favorable aux restructurations foncières .................... 30
a) L’agriculture collectiviste .......................................................................... 31
Exemple de définition de l’agriculture collectivisée .................................... 31
Exploitations collectives et lopins : deux types d’exploitation résultant de la
collectivisation .............................................................................................. 32
Décollectivisation ......................................................................................... 33
Héritage agraire : le poids de soixante années de collectivisation ............... 34
b) Réformes foncières post-collectivistes ...................................................... 34
1991-1999, 1ère
étape de la réforme foncière ................................................ 34
Distribution du capital d’exploitation ....................................................... 34
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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Distribution du capital foncier par la délivrance d’un certificat de
propriété .................................................................................................... 35
Un fonctionnement des exploitations inchangé ........................................ 36
Un moratoire qui interdit la vente des terres ............................................ 36
Les années 2000, 2ème
étape de la réforme foncière ..................................... 36
Le partage définitif du capital foncier par la délivrance d’un titre de
propriété individuelle................................................................................ 36
Des artéfacts dans la distribution du capital d’exploitation et du capital
foncier ....................................................................................................... 37
Émergence d’une nouvelle structure agricole : les « agroholdings » ........... 37
Mode d’emploi pour accéder à une concentration foncière de plus de
50 000 ha .................................................................................................. 38
Structure agricole tri-modale .................................................................... 39
B. L’Ukraine : un pays à fort potentiel agricole, à proximité des deux
principales régions déficitaires en blé dans le monde ................................. 40
a) Un climat continental modéré et une ressource en eau favorables à
l’agriculture ................................................................................................ 41
b) Les tchernozioms, des terres noires très fertiles ........................................ 42
c) La « Zernovoï Belt » à proximité des deux principales régions déficitaires
en blé dans le monde, l’Afrique du nord et le Proche-Orient .................... 44
3. Méthodologie .................................................................................................. 46
A. Problématique ............................................................................................. 47
B. Hypothèses .................................................................................................. 49
C. Élaboration du protocole de recherche pour organiser la recherche des
données ....................................................................................................... 51
a) Méthode utilisée pour construire mon protocole de recherche ................. 51
b) Comment accéder aux données que je recherche ? .................................. 52
D. Moyens mis en place pour accéder aux données ........................................ 53
a) Méthode des entretiens : construction du guide ....................................... 53
b) Méthode des entretiens : méthode pour entrer en contact avec les acteurs 53
c) Où aller en Ukraine ? ................................................................................. 54
Partie 2. Types d’acteurs et trajectoires d’entreprises ........................................................ 58
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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1. 1ère
trajectoire d’entreprise : cas des entreprises Rousseau, Mercier, Sacha et
Mirko ................................................................................................................ 64
A. Entreprises Rousseau et Mercier, d’origine française ................................. 65
a) Un changement d’espace social, l’aspiration à une vie nouvelle .............. 65
Changement du lieu de vie ........................................................................... 66
Changement du mode de vie ........................................................................ 66
Délocalisation ou déménagement de l’activité agricole ............................... 66
b) Un changement des pratiques agricoles… ................................................ 67
La production en Ukraine est à une échelle différente ................................. 67
Une flexibilité nouvelle des unités de production : émancipation au
territoire ? ..................................................................................................... 68
Commercialisation de la production : financiarisation ? .............................. 69
c) …mais une inscription dans la continuité du modèle familial .................. 70
L’origine des capitaux .................................................................................. 70
L’organisation du système de production..................................................... 70
B. Entreprises Sacha et Mirko, d’origines ukrainiennes ................................. 72
a) L’aspiration du développement dans son ancrage local ............................ 72
Des directeurs et salariés, anciens employés du kolkhoze ........................... 73
Au temps du kolkhoze .................................................................................. 73
Lieu d’investissement et projet d’avenir ...................................................... 74
b) Des pratiques agricoles en marge de la mondialisation ............................. 75
Une échelle de production familière ............................................................. 75
Commercialisation de la production ............................................................. 76
c) L’émergence d’un modèle familial en Ukraine ? ...................................... 76
Origine nationale, familiale et kolkhozienne des capitaux ........................... 77
Organisation du pouvoir et système de production ...................................... 77
C. Conclusion .................................................................................................. 78
2. 2ème
trajectoire d’entreprise : cas des entreprises Martin, Rimbaud, Dupont et
Luda .................................................................................................................. 79
A. L’entreprise Luda, d’origine ukrainienne ................................................... 80
a) Une grande entreprise locale ..................................................................... 80
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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b) Une organisation moderne en cellules autonomes .................................... 82
c) Une ambition de modernité et de compétitivité ......................................... 83
B. Les entreprises Martin, Rimbaud et Dupont, d’origine française ............... 84
a) Un mouvement d’extension/ diversification de l’activité agricole ............ 85
b) Une entreprise ouverte à l’économie mondialisée ..................................... 87
c) L’implantation en Ukraine : adaptation de l’entreprise ............................. 88
C. Conclusion .................................................................................................. 90
3. 3ème
trajectoire d’entreprise : la société holding, cas des entreprises Leroy et
Groen, Ivan, Petro ............................................................................................ 90
A. La constitution d’un foncier abondant ........................................................ 91
B. La délégation des affaires courantes ........................................................... 93
C. Une société en holding, des objectifs financiers ......................................... 95
4. Conclusion ...................................................................................................... 98
Partie 3. Impact sur le territoire : les enjeux d’un nouveau modèle agricole ................... 100
1. Étude de cas : le conseil de village Zolotisti ................................................ 102
A. Présentation géographique et historique ................................................... 102
a) L’arrivée de l’entreprise Rousseau .......................................................... 103
b) L’ « agroholding » Ivan ........................................................................... 105
c) Les autres « agroholdings » ..................................................................... 105
d) Perspectives ............................................................................................. 106
B. Voisinage agricole : collaboration et concurrence .................................... 107
a) Collaboration et concurrence autour du foncier ...................................... 107
b) Autres collaborations et coopérations ..................................................... 111
C. Relation au territoire ................................................................................. 113
a) Relation au milieu social ukrainien ......................................................... 113
b) Relation dans le système politico-administratif local .............................. 115
Relation avec l’administration du raion Rozovi ......................................... 115
Relation avec le conseil de village Zolotisti ............................................... 116
2. Étude de cas : le conseil de village Zelioni .................................................. 117
A. Présentation géographique et historique ................................................... 117
a) Histoire de la production agricole............................................................ 117
b) L’implantation des exploitations agricoles françaises ............................. 119
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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c) Perspectives ............................................................................................. 120
B. Voisinage agricole : collaboration et concurrence .................................... 121
a) Collaboration et concurrence autour du foncier ...................................... 121
b) Autres collaborations et coopérations ..................................................... 122
C. Relation au territoire ................................................................................. 124
a) Relation au milieu social ukrainien ......................................................... 124
b) Relation au système politico-administratif local ..................................... 128
Relation avec l’administration du raion Galouboï...................................... 128
Relation avec le village .............................................................................. 128
3. Un impact sur le territoire mitigé ................................................................. 131
A. Une aide au développement local ............................................................. 131
a) Reprise de l’activité agricole : une « renaissance » des villages après vingt
ans d’abandon .......................................................................................... 131
b) Création d’emplois bénéficiant au maintien de la population rurale
masculine ................................................................................................. 131
c) Rente foncière .......................................................................................... 132
d) Un « impôt social » permettant une dynamique locale ........................... 135
e) D’un climat de suspicion à un climat de confiance : point de vue de la
population locale ...................................................................................... 135
B. Les limites de l’appui au développement local ......................................... 136
a) Une dynamique de l’emploi qui n’est pas structurelle ............................ 136
b) Le moratoire : fragile clef de voûte d’un système social ......................... 137
c) La levée du moratoire : un risque de concentration foncière................... 138
d) Implantation locale et « agriculture de firme » ....................................... 139
C. Conclusion et schémas bilan ..................................................................... 141
Conclusion .............................................................................................................................. 147
Bibliographie .......................................................................................................................... 152
Webographie .......................................................................................................................... 157
Table des annexes ................................................................................................................... 158
Table des illustrations ............................................................................................................. 168
Table des matières .................................................................................................................. 169
Résumé ................................................................................................................................... 174
Mémoire de Master1 Géographie, Ariane Walaszek sous la direction d’Eve-Anne Bühler
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RÉSUMÉ
Ce travail s’inscrit dans le contexte des défis des agricultures du XXIème
siècle à savoir
des agricultures plus productives mais soutenables. On voit actuellement émerger d’autres
modèles agricoles qui se détachent du modèle familial c'est-à-dire qui n’ont plus pour objectif
la reproduction de la famille. Ainsi, l’ « agriculture de firme » est mal connue et les
scientifiques tentent de mieux la comprendre. Cette « agriculture de firme » serait hautement
capitalistique et installée sur le marché des matières premières. L'Ukraine est un pays cible
des IDE agricoles depuis les années 2000 : de grosses sociétés investissent dans la production
agricole. On les qualifie parfois d’ « agroholding ». Ce mémoire questionne la relation au
territoire de ces entreprises agricoles tendant vers une « agriculture de firme ». Dans le cadre
de cette recherche, j'ai effectué un travail de terrain pendant deux mois en Ukraine et fait une
trentaine d'entretiens auprès d’investisseurs français impliqués dans la production agricole et
également auprès de l'administration ukrainienne. Trois trajectoires d’entreprises ont émergé
de ce travail. Ainsi que trois schémas bilan qui concluent sur l'impact local de ces entreprises
dans le contexte ukrainien, où un moratoire interdit la vente des terres.
SUMMARY
This work is in the context of the challenges of agriculture in the twenty-first century,
namely agriculture more productive but sustainable. We see now the emergence of other
agricultural models that detach from the family model that is to say that no longer objective
reproduction of the family. Thus, “firm agriculture” is not well-known and scientists are
trying to understand it. This “firm agriculture” would be a capital-intensive agriculture
installed on the commodities market. Ukraine is a target country for agricultural FDI since the
2000s: large companies invest in agricultural production. They are sometimes called to as
"agroholding." This work examines the relationship to the territory of these agricultural
companies tending towards a "firm agriculture." As part of this research, I conducted field
work for two months in Ukraine and made thirty interviews with French investors involved in
agricultural production and also to the Ukrainian administration. Three trajectories of
companies have emerged from this work. Three schemes conclude about the local impact of
these companies in the Ukrainian context, where a moratorium prohibits the sale of land.
Mots-clés : agriculture, investissement, accaparement des terres, Ukraine, matières premières
agricoles, moratoire, concurrence foncière, développement local
Key-words: agriculture, investment, land grab, Ukraine, agricultural commodities,
competition for land, local development
Titre des illustrations en couverture :
À gauche : tracteur pulvérisateur John Deer en test sur l’exploitation Martin, pas encore mis
sur le marché. Réalisation : Ariane Walaszek, mars 2011
À droite : tracteur kolkhozien. Réalisation : Ariane Walaszek, mars 2011