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Le droit
un procs
quitableUn guide sur la mise en uvre
de larticle 6
de la Convention europenne
des Droits de lHomme
Nuala Mole
et Catharina Harby
oPrcis sur les droits de lhomme, n 3OUNCILOF EUROPE CONSEILDE LEUROPE
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Le droit un procs quitable
Un guide sur la mise en uvre
de larticle 6
de la Convention europenne
des Droits de lHomme
Nuala Mole
et Catharina Harby
Prcis sur les droits de lhomme, no 3
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Srie Prcis sur les droits de lhomme
Direction gnrale des droits de lhomme
Conseil de lEuropeF-67075 Strasbourg Cedex
Conseil de lEurope, 2003, 2007
1re dition 2003 ; 2e dition, avril 2007
Imprim en Belgique
No 1 : Le droit au respect de la vie prive et
familiale. Un guide sur la mise en uvre delarticle 8 de la Convention europenne des
Droits de lHomme (2003)
No 2 : La libert dexpression. Un guide sur la
mise en uvre de larticle 10 de la Convention
europenne des Droits de lHomme (2003)
No 3 : Le droit un procs quitable. Un guide
sur la mise en uvre de larticle 6 de la
Convention europenne des Droits de
lHomme (2007)
No 4 : Le droit la proprit. Un guide sur la
mise en uvre de larticle 1 du Protocole n 1
la Convention europenne des Droits de
lHomme (2003)
No 5 : Le droit la libert et la sret de la
personne. Un guide sur la mise en uvre de
larticle 5 de la Convention europenne des
Droits de lHomme (2003)
No 6 : La prohibition de la torture. Un guide
sur la mise en uvre de larticle 3 de laConvention europenne des Droits de
lHomme (2003)
No 7 : Les obligations positives en vertu de la
Convention europenne des Droits de
lHomme. Un guide pour la mise en uvre de
la Convention europenne des Droits de
lHomme (2006)
No 8 : Le droit la vie. Un guide sur la mise en
uvre de larticle 2 de la Convention euro-
penne des Droits de lHomme (2007)
No 9 : La libert de pense, de conscience et
de religion. Un guide sur la mise en uvre de
larticle 9 de la Convention europenne des
Droits de lHomme ( paratre 2007)
Les opinions qui sont exprimes dans cet ouvrage ne donnent, des instruments juridiques quilmentionne, aucune interprtation officielle pouvant lier les gouvernements des Etats membres, lesorganes statutaires du Conseil de lEurope ou tout organe institu en vertu de la Conventioneuropenne des Droits de lHomme.
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3
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Article 6. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Aperu gnral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6A quel type de procdure larticle 6 est-ilapplicable ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Dlimitation de la notion de droits etobligations de caractre civil . . . . . . . . . . 11
Droits ou obligations civils . . . . . . . . . . . . . 13
Droits ou obligations non civils . . . . . . . . . 15
Quentend-on par accusation en matirepnale ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Signification de la formule en matire
pnale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Signification du terme accusation . . . . . 21
Porte du droit une audiencepublique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
Signification de lexpression rendupubliquement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Signification de la garantie de dlai
raisonnable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26Comment estimer ce dlai ?. . . . . . . . . . . . . 27
Complexit de laffaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
Comportement du requrant . . . . . . . . . . . 29
Comportement des autorits. . . . . . . . . . . . 29
Enjeu de la procdure pour le requrant . . 31
Signification de lexpression tribunalindpendant (1) et impartial (2) . . . . . . .33
Indpendance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .33
Composition et nomination . . . . . . . . . . . . .33
Apparences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .34
Subordination dautres autorits . . . . . . . .35
Impartialit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35
Diffrents rles du juge . . . . . . . . . . . . . . . . .38
Nouveau jugement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .40
Juridictions spcialises . . . . . . . . . . . . . . . . .40
Jurys . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .40
Renonciation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .40Etabli par la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .41
Contenu de la notion daudiencequitable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
Accs un tribunal. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .42
Prsence laudience . . . . . . . . . . . . . . . . . . .48
Droit de ne pas contribuer sa propre
incrimination. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49
Egalit des armes et droit une procdure
contradictoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .50Droit un jugement motiv . . . . . . . . . . . . .54
Quels sont les droits spciaux reconnusaux mineurs ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .55
Recevabilit des preuves . . . . . . . . . . . . . .57
Actions susceptibles de porter atteinte la
prsomption dinnocence . . . . . . . . . . . . . 61
Signification du droit de laccus tre
inform rapidement et intelligiblement
des charges qui psent contre lui, prvu
larticle 6 3.a. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .63
Signification de lexpression temps et
facilits ncessaires au sens de
larticle 6 3.b . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Porte du droit un dfenseur ou un
avocat doffice prvu larticle 6 3.c. . .68
Porte du droit la convocation et
linterrogation des tmoins prvu
larticle 6 3.d . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Porte du droit un interprte prvu
larticle 6 3.e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .74
La fonction de contrle exerce par la Cour
europenne des Droits de lHomme . . . . 76
Table des matires
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SERIE DES PRECIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
4
Article 6 de la Convention europenne des Droits de lHomme
Droit un procs quitable
1. Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue
quitablement, publiquement et dans un dlai raisonnable, par
un tribunal indpendant et impartial, tabli par la loi, qui dci-
dera, soit des contestations sur ses droits et obligations de
caractre civil, soit du bien-fond de toute accusation en
matire pnale dirige contre elle. Le jugement doit tre rendu
publiquement, mais laccs de la salle daudience peut tre
interdit la presse et au public pendant la totalit ou une partiedu procs dans lintrt de la moralit, de lordre public ou de la
scurit nationale dans une socit dmocratique, lorsque les
intrts des mineurs ou la protection de la vie prive des parties
au procs lexigent, ou dans la mesure juge strictement nces-
saire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spciales la
publicit serait de nature porter atteinte aux intrts de la jus-
tice.
2. Toute personne accuse dune infraction est prsume
innocente jusqu ce que sa culpabilit ait t lgalement ta-
blie.
3. Tout accus a droit notamment :
a. tre inform, dans le plus court dlai, dans une langue
quil comprend et dune manire dtaille, de la nature et de la
cause de laccusation porte contre lui ;
b. disposer du temps et des facilits ncessaires la pr-
paration de sa dfense ;
c. se dfendre lui-mme ou avoir lassistance dun dfen-
seur de son choix et, sil na pas les moyens de rmunrer undfenseur, pouvoir tre assist gratuitement par un avocat
doffice, lorsque les intrts de la justice lexigent ;
d. interroger ou faire interroger les tmoins charge et
obtenir la convocation et linterrogation des tmoins
dcharge dans les mmes conditions que les tmoins charge ;
e. se faire assister gratuitement dun interprte, sil ne
comprend pas ou ne parle pas la langue employe laudience.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
5
Introduction
Le prsent manuel vise permettre au lecteur de comprendre quelle
forme doit prendre, lchelon national, le droulement dune pro-
cdure judiciaire pour tre conforme aux obligations nes delarticle 6 de la Convention europenne des Droits de lHomme.
Il se divise en plusieurs chapitres, qui traitent successivement dun
aspect diffrent des garanties consacres par cet article.
Article 6
Ainsi quil ressort de son libell prsent p. 4, larticle 6 garantit
toute personne le droit ce que sa cause soit entendue quitable-
ment et publiquement, en vue de dcider des contestations sur ses
droits et obligations de caractre civil ou du bien-fond de toute
accusation en matire pnale dirige contre elle. La Cour et, avant
elle, la Commission interprtent cette disposition dans un sens
extensif en raison de son importance fondamentale pour le fonc-
tionnement de la dmocratie. Dans larrt Delcourt c. Belgique, lesjuges de Strasbourg ont ainsi dclar que :
Dans une socit dmocratique au sens de la Convention, ledroit une bonne administration de la justice occupe une place
si minente quune interprtation restrictive de larticle 6 1 necorrespondrait pas au but et lobjet de cette disposition1.
Le premier paragraphe de larticle 6 concerne la fois les proc-
dures civiles et pnales, tandis que les deuxime et troisime para-
graphes sont exclusivement applicables en matire pnale.
Toutefois, comme nous le verrons par la suite, il arrive que les
actions engages au civil jouissent, dans certains cas, de garanties
identiques celles prvues par les paragraphes 2 et 3 de larticle 6.
Le texte de larticle 6 ne reprsente cependant quun point de
dpart, dans la mesure o la jurisprudence de la Cour europenne
des Droits de lHomme en retient une interprtation largie2, en
dfinissant la teneur des droits garantis par la Convention. Nous
examinerons et analyserons tout au long de ce manuel les dci-
sions de la Commission et de la Cour.
Il convient cependant de procder une mise en garde au sujet de
la jurisprudence relative larticle 6 : aucune requte ntant rece-
1. Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, paragraphe 25.
2. Certaines rfrences cites correspondent des dcisions de la Commission euro-penne des Droits de lHomme. Cette instance charge deffectuer un tri pralabledes requtes a t supprime lors de lentre en vigueur, en 1998, du Protocole no 11 la Convention. Dsormais, toutes les dcisions manent de la Cour europennedes Droits de lHomme.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
Aperu gnral6
vable avant lpuisement des voies de recours internes3, la quasi-
totalit des violations allgues de cette disposition a dj t
examine par les juridictions nationales suprmes avant
datteindre Strasbourg. La Cour conclut frquemment labsence
de violation de larticle 6, au motif que la procdure considredans son ensemble prsente un caractre quitable, puisquune
juridiction suprieure a dj t en mesure de rectifier les erreurs
dune instance infrieure. Il nest ainsi pas difficile de croire, tort,
que tel ou tel vice de procdure est conforme aux normes
nonces par la Convention, dans la mesure o la Cour de
Strasbourg ne la pas jug constitutif dune violation de cet
instrument. Or, cette situation sexplique en ralit bien souvent
par le fait que le vice de procdure a t corrig, en partie au
moins, par une instance suprieure. Les juges des juridictionsinfrieures sont pourtant chargs de veiller au respect de larticle 6
tout au long des procdures dont ils sont saisis. Ils ne sauraient sen
remettre lventuelle rectification de leurs erreurs par une
juridiction suprieure.
Aperu gnralCe bref aperu vise prsenter tous ceux qui prennent part
lexercice de la justice les garanties consacres par larticle 6.
Chacune delles sera examine de faon plus approfondie dans les
chapitres suivants.
Le libell de larticle tient lieu de simple colonne vertbrale. Les
prcisions indispensables la comprhension de la nature des
droits quil consacre sont apportes par la jurisprudence de laCour, abondamment voque tout au long du prsent manuel.
Bien que larticle 6 fasse tat du droit un procs quitable, les
garanties prvues sappliquent souvent longtemps avant quune
personne ne soit formellement accuse dune infraction pnale ; il
arrive galement quelles interviennent, dans les affaires civiles, au
cours des tapes administratives qui prcdent lengagement de la
procdure judiciaire. Lapplication de ces mmes garanties ne cesse
pas compter du prononc dune dcision de justice, mais se
poursuit pendant la phase dexcution de cette dernire. Bon
nombre des garanties consacres par larticle 6, notamment la
notion dquit, sont applicables aux procdures aussi bien pnales
que civiles. Les termes en matire pnale et accusation ,ainsi que les droits et obligations de caractre civil ont un sens
propre la Convention, qui diffre souvent de leurs dfinitions
nationales. Lorsquune procdure concerne des droits civils ou des
accusations en matire pnale dfinis par la jurisprudence de la
Cour, toute personne doit pouvoir tre entendue par une juridic-
3. Voir larticle 35.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
7
tion, cest--dire par un tribunal indpendant et impartial tabli
par la loi, dont les dcisions ne sauraient tre subordonnes une
autorit non judiciaire. Une part importante de la jurisprudence
de la Cour dfinit les garanties indispensables qui assurent cet
accs aux tribunaux. Une fois la procdure judiciaire engage, sondroulement doit en principe revtir un caractre public, tandis
quun prononc public du jugement simpose systmatiquement.
La procdure doit par ailleurs se clore par un jugement motiv
rendu dans un dlai raisonnable, tout retard excessif entranant le
versement dune indemnisation. Cette obligation se poursuit
jusqu lexcution du jugement. Aucune dcision de justice nest
rpute rendue lorsquune autorit non judiciaire a la capacit de
modifier, au dtriment de lune des parties, leffet recherch par ce
jugement4. Lexcution dun jugement prononc lencontre duneinstance publique doit tre automatique5. Sil est prononc
lencontre dune personne prive, la partie qui a obtenu gain de
cause peut demander que des mesures supplmentaires soient
prises pour excuter le jugement, pour autant que la responsabilit
ultime de cette excution incombe lEtat6. Cette tche particu-
lire relve, lorsquelle na pas t attribue dautres services de
lappareil judiciaire, de la comptence du juge qui a rendu le juge-
ment.
Le respect de principes tels que la prsomption dinnocence et le
rglement armes gales du litige opposant les parties
simpose au cours de la procdure judiciaire. Une protection parti-
culire doit tre accorde aux enfants et aux autres parties vuln-
rables. Seules les personnes faisant lobjet dune accusation pnale
bnficient de droits spcifiques (article 6 3.a e), mais la Cour
estime que le caractre quitable du jugement commande, lecas chant, lapplication au civil de garanties comparables.
LEtat a lobligation concrte de prendre toutes les mesures qui
simposent pour garantir lexercice aussi bien thorique que pra-
tique de ces droits. Cela englobe la mise disposition de moyens
financiers suffisants au profit de lappareil judiciaire. Les points
abords dans ce manuel revtent une importance particulire
pour les juges, qui sont les premiers gardiens des droits consacrs
par larticle 6. Il leur appartient de veiller ce que la procdure
judiciaire, que ce soit au moment de linstruction, du procs ou de
lexcution du jugement, soit conforme lensemble des normes
prvues. Ils ne sont toutefois pas les seuls fonctionnaires auxquels
incombent de telles responsabilits. Les services de police et le
parquet ont en effet lobligation, vis--vis des victimes dinfrac-
tions pnales (ou des membres survivants de leur famille),
dexercer efficacement laction publique. Les avocats commis
doffice et, au civil, les avocats dsigns au titre de laide juridic-
tionnelle chargs de dfendre les droits consacrs par larticle 6 deleurs clients, ont le devoir dexercer leurs comptences profession-
nelles avec une conscience qui assurera lapplication concrte et
effective, et non thorique et illusoire , de la garantie dun procs
quitable. Toutes les personnes qui participent au fonctionnement
de lappareil judiciaire rpressif ont le devoir de respecter la
4. Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994.5. Hornsby c. Grce, 19 mars 1997, et Burdov c. Russie, 7 mai 2002.6. Glaser c. Royaume-Uni, 19 septembre 2000.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
A quel type de procdure larticle 6 est-il applicable ?8
dignit de laccus et dassurer la scurit des victimes et des
tmoins. Le fait de ne pouvoir bnficier de lassistance dun
avocat lors dune garde vue ou dune dtention provisoire peut
galement compromettre le caractre quitable du procs. Les
mauvais traitements infligs pendant la garde vue relvent delarticle 3 (interdiction de la torture ou des traitements inhumains
ou dgradants) ou de larticle 8 (droit au respect de lintgrit
morale et physique , garanti dans le cadre du respect de la vie
prive consacr par cet article). Ils sont, eux aussi, susceptibles de
porter atteinte lquit du procs. Lallgation plausible de
mauvais traitements subis exige louverture dune enqute officielle
effective. Il convient que cette enqute permette den identifier et
den sanctionner les auteurs. Sans cette garantie concrte, linter-
diction primordiale de la torture ne serait pas suivie deffet en pra-tique et les agents de lEtat pourraient alors porter impunment
atteinte aux droits des personnes places sous leur autorit7. Les
obligations nes dautres instruments internationaux, comme la
Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dgradants, font partie des obli-
gations qui simposent un Etat au titre de larticle 53 de la
Convention europenne des Droits de lHomme.
Les fonctionnaires sont souvent chargs de la mise en uvre de
procdures dont les consquences sont dterminantes pour les
droits et obligations de caractre civil, par exemple la prise encharge des enfants par lassistance publique, lenregistrement des
transactions foncires ou la dlivrance dune autorisation. Il leur
appartient galement de veiller ce que leur action respecte les
garanties consacres par larticle 6.
Enfin, larticle 6 nest pas exclusivement applicable aux procdures
judiciaires nationales. La Cour estime galement que les obliga-
tions imposes un Etat par cette disposition peuvent tre invo-
ques lors de lexpulsion ou de lextradition dune personne en vuede sa traduction en justice dans un autre Etat, si le procs en ques-
tion est susceptible de se drouler en labsence de garanties l-
mentaires suffisantes8. Ce principe sapplique, a contrario,
lexcution des jugements rendus ltranger.
A quel type de procdure larticle 6 est-il applicable ?
Lorsque, dans les affaires pnales comme en matire civile, il sagit
de se prononcer sur des droits civils ou des accusations pnales,
les intresss doivent avoir accs la justice (voir plus loin, p. 9,
Contenu de la notion daudience quitable). Il incombe un tri-
7. Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, paragraphe 102.8. Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, et Mamatkulov et Askarov c. Turquie,
4 fvrier 2005.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
9
bunal dment tabli de statuer sur le litige ou le bien-fond de
laccusation (voir plus loin, p. 8, Signification de lexpression
tribunal indpendant (1) et impartial (2) ). Mais les garanties
institues par larticle 6 ne sont pas uniquement applicables la
procdure judiciaire ; elles stendent galement aux tapes qui la
prcdent et qui la suivent.
En matire pnale, ces garanties concernent les enqutes judici-
aires menes par les services de police. La Cour a ainsi dcid dans
larrt Imbroscia c. Suisse9 que la garantie de dlai raisonnablecommence courir ds la naissance de laccusation10 et que
dautres exigences prvues larticle 6, notamment au para-
graphe 3, peuvent galement jouer un rle avant que le juge du
fond ne soit saisi de laffaire, si et dans la mesure o leur inobser- vance initiale risque de compromettre gravement le caractre
quitable du procs.
La Cour a galement estim, dans les affaires relevant de larticle 8
de la Convention (droit au respect de la vie familiale), que
larticle 6 sappliquait aussi aux phases administratives de la pro-
cdure11.
Larticle 6 ne confre pas un droit de recours, mais cette facult estprvue en matire pnale par larticle 2 du Protocole n o 7 la
Convention.
Malgr labsence dun droit de recours consacr par larticle 6, la
Cour a dclar que, lorsque la lgislation dun Etat prvoyait un tel
droit, les garanties de larticle 6 stendaient la procdure en
question12. Les modalits dapplication des garanties dpendent
cependant des particularits de ladite procdure. Il convient deprendre en compte le droulement de lensemble de la procdure
dans lordre juridique interne, le rle thorique et pratique de la
juridiction de recours, ainsi que ltendue de ses pouvoirs et la
manire dont les intrts des parties sont exposs et protgs
devant elle13. Larticle 6 ne confre par consquent aucun droit
un type spcifique de recours et ne fixe pas prcisment les moda-
lits dexamen de ceux-ci.
La Cour a par ailleurs dclar que larticle 6 tait applicable aux
recours dposs devant une juridiction constitutionnelle, pour
autant que lissue de cette procdure soit dterminante pour un
droit ou une obligation de caractre civil14. La question dun
pouvoir de contrle du caractre quitable dune procdure
engage devant la Cour de justice des Communauts europennes
(CJCE) confr la Cour europenne des Droits de lHomme a t
souleve dans laffaire Emesa Sugar NV c. Pays-Bas15, sans quune
rponse y soit apporte, puisque laffaire a t dclare irrecevablepour dautres motifs. La CJCE a cependant estim elle-mme que
9. Imbroscia c. Suisse, 24 novembre 1993, paragraphe 36.10. Voir plus loin, p.17, Quentend-on par accusation en matire pnale ?11. Voir par exempleJohansen c. Norvge, 27 juin 1996.
12. Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, paragraphe 25.13. Monnell et Morris c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, paragraphe 56.14. Krcmar c. Rpublique tchque, 3 mars 2000, paragraphe 36.15. Emesa Sugar NV c. Pays-Bas, sur la recevabilit du 13 janvier 2005.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
A quel type de procdure larticle 6 est-il applicable ?10
larticle 6 tait applicable aux procdures introduites au titre du
droit communautaire16.
Larticle 6 couvre galement la procdure postrieure au procs,
telle que lexcution dun jugement. La Cour a ainsi considrdans larrt Hornsby c. Grce17 que le droit un procs quitableconsacr par larticle 6 serait illusoire si lordre juridique interne
dun Etat partie permettait quune dcision de justice dfinitive et
ayant lautorit de la chose juge demeurt dpourvue de caractre
excutoire, au dtriment dune partie. Elle la raffirm dans larrt
Burdov c. Russie, qui concernait labsence dexcution dun juge-ment ordonnant le versement dune indemnisation au requrant
en rparation de son exposition des missions radioactives. La
Cour a soulign que les difficults financires auxquelles un Etattait confront ne sauraient justifier le non-acquittement par ce
dernier dune dette rsultant dune dcision de justice18. Lexcu-
tion dun jugement rendu suite une action intente lencontre
de lEtat, et dans laquelle celui-ci na pas obtenu gain de cause, doit
tre automatique. Dans les litiges qui relvent du droit priv, les
dispositions qui imposent la partie qui a obtenu satisfaction de
prendre des mesures supplmentaires pour excuter le jugement
ne portent pas atteinte en soi larticle 6, bien quil incombe en
dernier ressort lEtat de veiller lapplication dune dcision de
justice et au respect de lEtat de droit19.
LEtat ne doit pas simmiscer dans lissue de la procdure judi-
ciaire (pour plus de prcisions, voir plus loin p. 33, Signification delexpression tribunal indpendant (1) et impartial (2) ). La Coura dclar que lintervention du pouvoir lgislatif, lorsquil adopte
un texte de loi pour dterminer lissue dune action dj engage
devant les tribunaux, pouvait porter atteinte aux principes de lga-
lit des armes20. Elle a par ailleurs estim, dans larrt Van de Hurkc. Pays-Bas, que le pouvoir de rendre une dcision ayant force ex-cutoire, qui ne saurait tre modifie par une autorit non judi-
ciaire au dtriment dune partie, tait inhrent aux notions mmes
de tribunal et de dcision de justice 21.
La procdure judiciaire de certains Etats prsente la particularit
commune de permettre lexercice dune procdure de
supervision ou dune contestation dun arrt rendu par une
juridiction et qui nest plus susceptible daucun recours suppl-
mentaire. La compatibilit de cette procdure de contrle avec la
Convention a t examine dans larrt Ryabykh c. Russie22. Larequrante avait intent une action lencontre dun tablissement
16. Voir par exemple, Orkem c. Commission (affaire 374/87) 1989 ECR 3283, LimburgseVinyl Maatschappij NV c. Commission (affaires jointes T-305/94-T-335/94) 1999ECR II- 931 et Baustahlgewebe c. Commission (affaire C-185/95) 1998 ECR I-8417.
17. Hornsby c. Grce, 19 mars 1997, paragraphe 40.18. Burdov c. Russie, 7 mai 2002, paragraphe 35. La non-excution dune dcision dfi-
nitive peut galement relever de larticle 1 du Protocole n o 1, puisquune dette rsul-tant dune dcision de justice est considre comme un bien au sens de ce mmearticle.
19. Glaser c. Royaume-Uni, 19 septembre 2000 et Immobiliare Saffi c. Italie, 28 juillet1999.
20. Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grce, 9 dcembre 1994, paragra-phes 46 49. Pour de plus amples informations sur le principe de lgalit des armes,voir plus loin, p. 11, Egalit des armes et droit une procdure contradictoire.
21. Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994.22. Ryabykh c. Russie, 24 juillet 2003.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
11
bancaire et de lEtat, en allguant que la rforme conomique avait
considrablement amoindri la valeur de ses conomies person-
nelles. Celles-ci taient le fruit dun dur labeur, destin lacquisi-
tion dun appartement. LEtat navait pas rvalu les montants en
dpt pour compenser les effets de linflation, comme lexigeait
pourtant la loi. Le juge dinstance stait prononc en faveur de la
requrante et lui avait octroy une indemnisation. Mais le prsi-
dent du tribunal de grande instance avait dpos une demande de
procdure de supervision, au motif que cette dcision tait
contraire au droit positif. Le jugement avait t infirm et la requ-
rante dboute.
La Cour a raffirm son raisonnement dans larrt Burdov, enajoutant que le droit dun justiciable un procs quitable serait
tout aussi illusoire si lordre juridique dun Etat permettait une juridiction suprieure de casser une dcision de justice devenue
dfinitive et revtue de lautorit de la chose juge, non pas par
lexercice dun quelconque droit de recours, mais par une requte
manant dun fonctionnaire de lEtat. Elle a par consquent conclu
la violation de larticle 6.
La Cour a galement affirm lapplicabilit extraterritoriale delarticle 6 : cela signifie quune personne expulse ou extrade en
vue dtre traduite en justice peut se prvaloir des obligations
imposes lEtat au titre de larticle 6, lorsque les garanties consa-
cres par ce dernier font cruellement dfaut23. De mme, il
incombe lEtat de vrifier, au moment o il excute un jugement
tranger, que celui-ci a t rendu au terme dune procdure
conforme aux grands principes de larticle 624.
Dlimitation de la notion de droits et obligations de caractre civil
Les garanties consacres par larticle 6 sont uniquement applicables
aux procdures qui visent dcider, soit des contestations des droits
et obligations de caractre civil dune personne, soit du bien-fonddune accusation dont elle fait lobjet en matire pnale. La Cour a
consacr une jurisprudence abondante la dfinition des termes
droits et obligations de caractre civil au sens de la Convention. La
signification retenue par cette dernire diffre en effet bien souvent
de ce que la lgislation nationale entend par cette formule.
Bien que la Cour ait affirm dans certaines affaires lautonomie de
la notion de droits et obligations de caractre civil, qui ne saurait
tre interprte en se rfrant uniquement au droit interne delEtat dfendeur25, elle a galement estim que lapplicabilit de
larticle 6 supposait lexistence dun droit garanti par la lgislation
23. Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989 et Mamatkulov et Askarov c. Turquie,4 fvrier 2005.24. Pellegrini c. Italie, 20 juillet 2001.
25. Voir par exemple Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, paragraphe 94, et Knig c.Rpublique fdrale dAllemagne, 28 juin 1978, paragraphe 88.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
Dlimitation de la notion de droits et obligations de caractre civil12
nationale, dont le caractre civil puisse tre reconnu par les juges
de Strasbourg26.
Dans larrt Roche c. Royaume-Uni27, la Cour runie en GrandeChambre a conclu, par neuf voix contre huit cependant, que
larticle 6 ntait pas applicable lorsque les juridictions nationalesdcidaient que la lgislation interne ne confrait aucun droit,
mme si lobjet du litige aurait pu entrer, au regard de la Conven-
tion, dans la catgorie des dcisions relatives la contestation dun
droit de caractre civil. Elle a retenu ce principe pour exclure de
lapplication de larticle 6 les actions engages pour faute
lencontre des pouvoirs publics, dans les affaires o les juridictions
nationales avaient estim que cette action ne reposait sur lexis-
tence daucun droit. Lorsque cette situation avait pour cons-
quence de priver les victimes datteintes aux droits consacrs par laConvention du versement dune rparation par lEtat, la Cour a
plusieurs reprises conclu la violation de larticle 13 (droit un
recours effectif). Elle a estim en lespce que les requrants
auraient d disposer dun moyen qui leur permette de dmontrer
la responsabilit des pouvoirs publics, dont les actes ou les omis-
sions ont entran les violations subies, et dobtenir une indemni-
sation pour le prjudice caus28.
Une fois tablie lexistence dun droit confr par la lgislationnationale, ltape suivante consiste dterminer sil sagit ou non
dun droit de caractre civil. Nombre de gouvernements ont
cherch contester lapplicabilit de larticle 6, au motif que les
actions en question avaient t engages devant des juridictions
administratives et quil ne sagissait pas de statuer sur un droit de
caractre civil. La jurisprudence de la Cour et de la Commission
des Droits de lHomme a abondamment dlimit la notion de
droit ou obligation de caractre civil et linterprtation de cette
formule par les organes de la Convention sest faite progressive-
ment. Des domaines autrefois considrs comme nentrant pas
dans le champ sapplication de larticle 6, tels que la scurit
sociale, relvent aujourdhui en gnral de larticle 6 au titre des
droits et obligations de caractre civil.
Plusieurs critres doivent tre examins pour apprcier le carac-
tre civil, au sens de la Convention, du droit concern.
Premirement, la nature du droit lui-mme importe davantage
que celle de la lgislation29. Laffaire Ringeisen c. Autriche portaitsur la procdure administrative applicable lenregistrement dune
transaction foncire. Selon la Cour,
peu importent ds lors la nature de la loi suivant laquelle lacontestation doit tre tranche (loi civile, commerciale, admi-nistrative, etc.) et celle de lautorit comptente en la matire(juridiction de droit commun, organe administratif, etc.)30.
La qualification du droit ou de lobligation en droit interne nestpar consquent pas dterminante. Ce principe revt une impor-
tance particulire pour les affaires relatives aux rapports entre
26. Z et autres c. Royaume-Uni, 10 mai 2001 et Roche c. Royaume-Uni, 19 octobre 2005.27. Roche c. Royaume-Uni, 19 octobre 2005.28. Z et autres c. Royaume-Uni, 10 mai 2001, T.P. et K.M. c. Royaume-Uni, 10 mai 2001.
29. Knig c. Rpublique fdrale dAllemagne, 28 juin 1978, paragraphe 90.30. Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, paragraphe 94.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
Droits ou obligations civils 13
citoyen et Etat. La Cour a en effet estim quen pareil cas, le fait
que lautorit publique ait agi titre priv ou en sa qualit de
dtentrice de la puissance publique ntait pas dcisif31. Le critre
essentiel de lapplicabilit de larticle 6 est en ralit le caractre
dterminant de lissue de la procdure pour les droits et obliga-
tions de droit priv32.
Deuximement, il convient de prendre en considration toute
notion europenne uniforme susceptible de prciser la nature de
ce droit33.
Troisimement, la Cour a affirm que, malgr lautonomie de la
notion de droits et obligations de caractre civil, la lgislation de
lEtat concern ntait pas dnue dimportance. Ainsi a-t-elle
estim dans larrt Knig c. Rpublique fdrale dAllemagne :
Cest en effet au regard non de la qualification juridique, maisdu contenu matriel et des effets que lui confre le droit internede lEtat en cause, quun droit doit tre considr ou noncomme tant de caractre civil au sens de cette expression dansla Convention34.
Comme nous lavons dj indiqu, les juges de Strasbourg ont
choisi de se prononcer dans chaque affaire en fonction des circon-
stances de lespce ; aussi est-il plus simple de reprendre les
exemples de situations dans lesquelles la Cour a estim tre enprsence ou non dun droit ou dune obligation de caractre civil.
Droits ou obligations civils
La Cour affirme avant tout le caractre systmatiquement civil des
droits et obligations relatifs aux rapports entre particuliers. Il en
va notamment ainsi des relations entre personnes prives, quellessoient physiques ou morales, rgies par le droit des contrats35, le
droit commercial36, le droit de la responsabilit civile dlictuelle37,
le droit de la famille38, le droit du travail39 et le droit de la pro-
prit40.
La question des rapports entre lEtat et les particuliers est plus
dlicate. La Cour reconnat le caractre civil dun certain nombre
de droits et obligations. Les juges de Strasbourg retiennent notam-
ment lapplicabilit de larticle 6 en matire de proprit. Lagarantie dun procs quitable couvre ainsi les diverses tapes des
procdures dexpropriation, de reclassement et de planification,
loctroi des permis de construire et la dlivrance des autres autori-
sations immobilires, qui entranent des consquences directes
sur le droit de proprit attach au bien concern 41, de mme que
31. Knig c. Rpublique fdrale dAllemagne, 28 juin 1978, paragraphe 90.32. H c. France, 24 octobre 1989, paragraphe 47.33. Feldbrugge c. Pays-Bas, 29 mai 1986, paragraphe 29.34. Knig c. Rpublique fdrale dAllemagne, 28 juin 1978, paragraphe 89.
35. Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971.36. Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 fvrier 1998.37. Axen c. Rpublique fdrale dAllemagne, 8 dcembre 1983, et Golder c. Royaume-
Uni, 21 fvrier 1975.38. Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, et Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984.39. Buchholz c. Rpublique fdrale dAllemagne, 6 mai 1981.40. Pretto c. Italie, 8 d cembre 1983.41. Voir, par exemple, Sporrong et Lnnroth c. Sude, 23 septembre 1982, Poiss c.
Autriche, 23 avril 1987, Bodn c. Sude, 27 octobre 1987, Hkansson et Sturesson c.Sude, 21 fvrier 1990, Mats Jacobsson c. Sude, 28 juin 1990, et Ruiz-Mateos c.Espagne, 12 septembre 1993.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
Dlimitation de la notion de droits et obligations de caractre civil14
les procdures plus gnrales qui ont une incidence sur lusage ou
la jouissance dudit bien42.
Larticle 6 est galement applicable au droit lexercice dune acti-
vit commerciale. Les affaires relatives cette catgorie concer-
nent le retrait dune licence de dbit de boissons alcoolises unrestaurant43 et lautorisation douvrir une clinique44 ou une cole
prive45. Les litiges portant sur le droit dexercer une profession
librale, notamment dans le domaine de la mdecine ou du droit,
relvent galement de larticle 646.
La Cour retient par ailleurs lapplicabilit de larticle 6 au droit de
la famille, aussi bien public que priv, dans les procdures ayant
trait la jouissance mutuelle par les parents et enfants de leur pr-
sence respective. Citons, titre dexemple, les dcisions de place-
ment denfants auprs de lassistance47, de visite parentale48,
dadoption49 ou de placement denfants en famille daccueil50.
Comme nous lavons indiqu plus haut, la jurisprudence de la
Cour a longtemps considr que les procdures relatives aux pres-
tations sociales nentraient pas dans le champ dapplication de
larticle 6. Mais elle affirme dsormais clairement lapplication de
cette disposition aux procdures visant statuer sur la capacit
bnficier, au titre dun rgime de scurit sociale, des prestations
de lassurance-maladie51, des allocations dinvalidit52 et des pen-
sions verses par lEtat53. Dans laffaire Schuler-Zgraggen c. Suisse,qui portait sur les pensions dinvalidit, la Cour a admis pour
principe que lvolution juridique [] et le principe de lgalit
de traitement permettent destimer que lapplicabilit de
larticle 6 1 constitue aujourdhui la rgle dans le domaine de
lassurance sociale, y compris mme de laide sociale 54. Larticle 6
stend en outre aux procdures destines se prononcer sur lobli-
gation dacquitter des cotisations au titre dun rgime de scurit
sociale55.
La garantie de larticle 6 englobe les procdures engages
lencontre de ladministration publique en matire de contrat56, de
prjudice caus par une dcision administrative57 ou de procdure
pnale58. Elle sapplique aux procdures dindemnisation pour
dtention illicite engages au titre de larticle 5 5, la suite dun
acquittement prononc loccasion de poursuites pnales59. Bien
42. Par exemple Oerlamans c. Pays-Bas, 27 novembre 1991 et De Geoffre de la Pradellec. France, 16 dcembre 1992.
43. Tre Traktrer Aktiebolag c. Sude, 7 juillet 1989.
44. Knig c. Rpublique fdrale dAllemagne, 28 juin 1978.45. Jordebro Foundation c. Sude, 6 mars 1987, rapport de la Commission, 51 DR 148.46. Knig c. Rpublique fdrale dAllemagne, 28 juin 1978, et H c. Belgique 30 novembre
1987.47. Olsson c. Sude, 24 mars 1988.48. W c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987 ; P, C, et S c. Royaume-Uni, 16 juillet 2002.49. Keegan c. Irlande, 26 mai 1994.50. Eriksson c. Sude, 22 juin 1989.
51. Feldbrugge c. Pays-Bas, 29 mai 1986.52. Salesi c. Italie, 26 fvrier 1993.
53. Lombardo c. Italie, 26 novembre 1992.54. Schuler-Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993, paragraphe 46.55. Schouten et Meldrum c. Pays-Bas, 9 dcembre 1994.56. Philis c. Grce, 27 aot 1991.57. Voir, par exemple, Editions Priscope c. France, 26 mars 1992, Barraona c. Portugal,
8 juillet 1987, etX c. France, 3 mars 1992.58. Moreira de Azevedo c. Portugal, 23 octobre 1990.59. Georgiadis c. Grce, 29 mai 1997.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
Droits ou obligations non civils 15
que les litiges fiscaux ne relvent pas de larticle 6, celui-ci garantit
le droit de recouvrer les sommes indment perues par le fisc60.
En outre, le droit dun particulier au respect de sa rputation est
galement considr comme un droit de caractre civil61. Enfin, la
Cour estime que, lorsque lissue dune procdure de droit constitu-tionnel ou public est susceptible de se rvler dterminante pour
des droits et obligations de caractre civil, celle-ci est couverte par
la garantie dun procs quitable consacre par larticle 662.
Les juges de Strasbourg ont indiqu, dans une affaire de 2004,
vouloir mettre un terme lincertitude qui entourait lapplicabilit
de larticle 6 la constitution de partie civile, par la victime dune
infraction pnale, dans le cadre de poursuites pnales. Ils ont
estim que le dpt dune plainte accompagn dune constitution
de partie civile relevait du champ dapplication dudit article. Ce
dernier ne confre toutefois aucun droit distinct lengagement de
poursuites lencontre de tiers ou leur condamnation pour
infraction pnale63.
Droits ou obligations non civils
Fidles lesprit de la Commission et de la Cour, qui consiste se
prononcer dans chaque affaire en fonction des circonstances de
lespce, les juges de Strasbourg ont galement estim que certainsdomaines du droit nentraient pas dans le champ dapplication de
larticle 6 1. Cela signifie que mme les actions engages au sujet
de litiges relatifs lexercice dun droit garanti par la Convention
ne bnficieront pas automatiquement de la protection accorde
par cet article. Larticle 13 (droit un recours effectif ) est toutefois
systmatiquement applicable, ce qui exige parfois lexistence dun
recours ou de garanties procdurales analogues celles prvues
larticle 6 164.
Les exemples suivants ne sont pas considrs comme des situa-
tions donnant lieu une dcision relative la contestation de
droits et obligations de caractre civil. Certains de ces arrts ont
cependant t rendus il y a fort longtemps dj et il peut tre
ncessaire de les rexaminer au vu de lvolution plus rcente de la
jurisprudence largie de la Cour.
Questions fiscales et douanires gnrales et imposition65
Dans larrt Ferrazzini c. Italie66, la Grande Chambre a explicite-ment rexamin lensemble de la question de lapplicabilit de
larticle 6 aux litiges opposant les contribuables et les pouvoirs
publics, propos de la lgalit dune dcision prise par le fisc. Les
juges se sont prononcs la majorit (soit onze dentre eux) en
faveur du maintien de la conception en vigueur et ont estim que
larticle 6 ntait pas applicable. Six autres juges ont toutefois consi-
60. National & Provincial Building Society et autres c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997.61. Voir, par exemple, Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994.62. Ruiz-Mateos c. Espagne, 12 septembre 1993.63. Perez c. France, 12 fvrier 2004.
64. Z et autres c. Royaume-Uni, 10 mai 2001, et T.P. et K.M. c. Royaume-Uni, 10 mai2001.
65. Emesa Sugar NV c. Pays-Bas, dcision sur la recevabilit du 13 janvier 2005 et, parexemple, X c. France, requte no 9908/82 (1983), 32 DR 266. Voir cependant p. 14,note 42.
66. Ferrazzini c. Italie, 12 juillet 2001.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
Dlimitation de la notion de droits et obligations de caractre civil16
dr quil ny a pas dargument convaincant en faveur du main-
tien de la jurisprudence actuelle de la Cour selon laquelle les
procdures en matire fiscale nimpliquent pas de dcision sur
des droits et obligations de caractre civil (voir plus haut, p. 11,
Dlimitation de la notion de droits et obligations de caractre civil,pour une conception diffrente en matire damendes fiscales). Le
prononc de larrt de la Grande Chambre dans laffaire Jusilla c.Finlande, requte no 73053/01, dont laudience avait eu lieu le5 juillet 2006, tait attendu au moment de la mise sous presse du
prsent fascicule.
Questions touchant limmigration et la nationalit67
La Grande Chambre a conclu, dans larrtMaaouia c. France68, quela procdure ayant abouti la prise dun arrt dexpulsion ntait
pas de nature pnale et quelle nimpliquait pas de dcision sur un
droit de caractre civil, mme lorsque la prise de cet arrt dexpul-
sion rsultait directement dune condamnation pnale. Dans
larrt Mamatkulov et Askarov c. Turquie69, la Cour a de la mmemanire affirm que la procdure dextradition engage
lencontre dun individu pour quil rponde des accusations
pnales retenues par un autre Etat ne prsentait aucun caractrecivil ou pnal ayant vocation confrer ce mme individu
durant la procdure dextradition dont il faisait lobjet, les garanties
prvues larticle 6.
Litiges professionnels concernant des fonctionnaires dont les
fonctions impliquent lexercice de pouvoirs confrs par le droit
public et le respect dobligations visant prserver lintrt gnralde lEtat, comme les forces armes ou les services de police70
Obligation deffectuer un service militaire71
Affaires relatives la couverture mdiatique dune procdure
judiciaire
Cest le cas, par exemple, de larrt Atkinson, Crook et TheIndependent c. Royaume-Uni72, qui concernait trois requrants, savoir deux journalistes et un quotidien, allguant dune atteinte
lexercice de leur droit daccs aux tribunaux garanti par
larticle 6 pour navoir pu contester la dcision de tenir huis clos
une audience de fixation de peine dans une affaire dont ils souhai-
taient assurer la couverture mdiatique. La Commission a estim
que rien nindiquait que les requrants bnficiaient en droit
interne dun droit de caractre civil rendre compte dune
audience de fixation de peine et, par consquent, que les griefs des
requrants ne portaient pas sur un droit ou une obligation decaractre civil au sens de larticle 6.
67. P c. Royaume-Uni, requte no 13162/87 (1987), 54 DR 211, et S c. Suisse, requteno 13325/87 (1988), 59 DR 256.
68. Maaouia c. France, 5 octobre 2000.69. Mamatkulov et Askarov c. Turquie, 4 fvrier 2005.
70. Pellegrin c. France, 18 dcembre 1999, et Frydlender c. France, 27 juin 2000.71. Nicolussi c. Autriche, requte no 11734/85 (1987), 52 DR 266.72. Atkinson Crook et The Independent c. Royaume-Uni, requte no 13366/87 (1990),
67 DR 244.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
Signification de la formule en matire pnale 17
Droit de postuler un emploi de la fonction publique73
Droit une ducation assure par lEtat74
Refus de dlivrance dun passeport75
Questions relatives laide judiciaire dans les affaires civiles76
Voir cependant, plus bas, p. 42, Contenu de la notion daudiencequitable.
Droit un traitement mdical financ par lEtat77.
Il peut savrer ncessaire de rexaminer cette dcision au vu de
larrt Schuler-Zgraggen c. Suisse78. Larticle 6 est applicable lorsquelEtat choisit de prodiguer des soins mdicaux publics par le biais
de socits dassurance sant prives79. Dans larrt Ashingdane c.Royaume-Uni80, le droit de caractre civil en question avait laforme du droit dun malade mental tre transfr dans un
autre tablissement psychiatrique pour y recevoir le traitement
ncessaire pralable sa sortie.
Dcision unilatrale de lEtat dindemniser les victimes dune
catastrophe naturelle81
Il peut tre utile de rexaminer cette dcision au regard de larrt
Burdov c. Russie.
Demandes de dpt de brevets82
Quentend-on par accusation en matire pnale ?
Les garanties consacres sous cette rubrique par larticle 6 sont uni-
quement applicables dans le cadre de procdures pnales et au
profit exclusif des accuss . La Cour possde une jurisprudence
abondante sur la signification des termes en matire pnale et
accusation au sens de la Convention.La dfinition retenue par la
Convention diffre bien souvent de celle prvue par le droit interne.
Signification de la formule en matire pnale
Bien que les Etats disposent dune marge dapprciation impor-
tante dans le choix des comportements qualifis dinfraction
pnale, ils ne sauraient incriminer lexercice normal des droits
consacrs par la Convention, comme la libert dexpression. Cer-
73. Habsburg-Lothringen c. Autriche, requte no 15344/89 (1989), 64 DR 210.74. Simpson c. Royaume-Uni, requte no 14688/89 (1989), 64 DR 188.75. Peltonen c. Finlande, requte no 19583/92 (1995), 80-A DR 38.76. X c. Rpublique fdrale dAllemagne, requte no 3925/69 (1974), 32 CD 123.77. L c. Sude, requte no 10801/84 (1988), 61 DR 62.78. Schuler-Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993.
79. Van Kuck c. Allemagne, 12 juin 2003.80. Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985.81. Nordh et autres c. Sude, requte no 14225/88 (1990), 69 DR 223.82. X c. Autriche, requte no 7830/77 (1978), 14 DR 200. Les litiges relatifs la proprit
de brevets ont toutefois t considrs comme impliquant une dcision sur desdroits de caractre civil. (British American Tobacco c. Pays-Bas, requte no 19589/92,20 novembre 1995).
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
Quentend-on par accusation en matire pnale ?18
tains comportements, comme les agressions sexuelles graves,
doivent en revanche tre passibles dune peine si lon entend pro-
tger les droits de la victime83.
Comme la fait remarquer la Cour dans larrt Engel et autres c.
Pays-Bas84
, les Etats parties sont libres dtablir une distinctionentre droit pnal, droit administratif et droit disciplinaire, tant que
cette distinction elle-mme ne porte pas atteinte aux dispositions
de la Convention. La Cour a en lespce dfini des critres des-
tins dterminer le caractre pnal ou non dune accusation
au sens de larticle 6. Ces principes ont t confirms par sa juris-
prudence ultrieure.
Quatre lments prsentent une pertinence en la matire : la qua-
lification en droit interne, la nature de linfraction, le but de la
peine, ainsi que la nature et la svrit de la peine.
Qualification en droit interne
Larticle 6 est automatiquement applicable la procdure si laccu-
sation est qualifie de pnale dans le droit interne de lEtat
dfendeur ; les considrations prcdentes sont dans ce cas hors
de propos. Mais labsence de qualification pnale nimplique pas
systmatiquement la non-validit de la garantie dun procs qui-
table prvue par ce mme article. Sil en tait ainsi, les Etatscontractants pourraient se soustraire lapplication de cette
garantie en dpnalisant les infractions pnales ou en modifiant
leur qualification. Comme la indiqu la Cour dans larrt Engel etautres c. Pays-Bas :
Si les Etats contractants pouvaient leur guise qualifier uneinfraction de disciplinaire plutt que pnale, ou poursuivre
lauteur dune infraction mixte sur le plan disciplinaire deprfrence la voie pnale, le jeu des clauses fondamentales desarticles 6 et 7 se trouverait subordonn leur volont souve-raine. Une latitude aussi tendue risquerait de conduire desrsultats incompatibles avec le but et lobjet de la Convention85.
Les juges de Strasbourg ont adopt une approche similaire dans
larrt Lauko c. Slovaquie86 lgard dinfractions quils estimaientpnales par nature, mais que le droit interne prfrait qualifier
d administratives . Les juridictions appeles connatre
dinfractions administratives pnales par nature ont lobliga-tion de se conformer lensemble des exigences de larticle 6.
Nature de linfraction
Lorsque la norme concerne est uniquement applicable un
nombre limit dindividus, les membres dune profession par
exemple, elle sapparente davantage une disposition disciplinaire
qu une norme pnale. Il est probable, en revanche, quil sagisse
dune norme pnale au sens de larticle 6 si elle produit un effetgnral. Dans laffaire Weber c. Suisse, le requrant avait intentune action au pnal en diffamation et tenu une confrence de
83. X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985.84. Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, paragraphe 81.
85. Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, paragraphe 81.86. Lauko c. Slovaquie, 2 septembre 1998.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
Signification de la formule en matire pnale 19
presse pour informer le public de son initiative, ce qui lui avait
valu une condamnation une amende pour violation du secret de
linstruction. Il allguait dune violation de larticle 6 au motif que
le recours dpos contre sa condamnation avait t rejet sans
audience publique pralable. La Cour, appele par consquent seprononcer sur le caractre pnal ou non de laffaire, avait indiqu :
Les sanctions disciplinaires ont en gnral pour but dassurer le
respect, par les membres de groupes particuliers, des rgles de
comportement propres ces derniers. Par ailleurs, la divulga-
tion de renseignements sur une enqute encore pendante cons-
titue, dans une large majorit des Etats contractants, un acte
incompatible avec de telles rgles et rprim par des textes denature diverse. Tenus par excellence au secret de linstruction,
les magistrats, les avocats et tous ceux qui se trouvent troite-
ment mls au fonctionnement des juridictions sexposent en
pareil cas, indpendamment de sanctions pnales, des
mesures disciplinaires qui sexpliquent par leur profession. Les
parties , elles, ne font que participer la procdure en
qualit de justiciables ; elles se situent donc en dehors de la
sphre disciplinaire de la justice. Comme larticle 185 concerne
virtuellement la population tout entire, linfraction quil
dfinit et quil assortit dune sanction punitive, revt un carac-
tre pnal au regard du deuxime critre87.
Cette disposition ntant pas applicable un nombre limit de per-
sonnes un ou plusieurs titres, elle ntait ds lors pas exclusive-
ment disciplinaire par nature.
De mme, dans laffaire Demicoli c. Malte88, qui portait sur un
journaliste auteur dun article extrmement critique lgard dedeux dputs, les poursuites engages son encontre pour atteinte
aux privilges parlementaires nont pas t considres comme
relevant de la discipline interne du Parlement, dans la mesure o
la disposition invoque concernait virtuellement lensemble de la
population.
Dans laffaire Ravnsborg c. Sude89 en revanche, la Cour a constatque les amendes avaient t infliges au requrant en raison des
dclarations faites par celui-ci en qualit de partie la procdurejudiciaire. Elle a estim que les mesures prises pour assurer le bon
droulement de la procdure sapparentaient davantage des sanc-
tions disciplinaires qu des peines infliges dans le cadre daccusa-
tions en matire pnale. Larticle 6 a par consquent t jug
inapplicable en lespce.
But de la peine
Ce critre sert distinguer les sanctions pnales des sanctions
purement administratives.
87. Weber c. Suisse, 22 mai 1990, paragraphe 33.88. Demicoli c. Malte, 27 aot 1991.89. Ravnsborg c. Sude, 21 fvrier 1994.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
Quentend-on par accusation en matire pnale ?20
Dans larrt ztrk c. Rpublique fdrale dAllemagne90, la Courtait appele examiner une affaire de conduite dangereuse, dp-
nalise en Allemagne. La Cour a cependant prcis quelle nen
revtait pas moins un caractre pnal au regard de larticle 6. La
norme concerne conservait en effet les caractristiques propres
une infraction pnale. Gnrale dans son application, puisquelle
sadressait tous les usagers de la route et non groupe parti-
culier (voir plus haut), elle tait assortie dune sanction (une
amende) punitive et dissuasive. La Cour a galement observ que
limmense majorit des Etats parties traitaient les infractions
mineures au Code de la route comme des infractions pnales.
Dans larrt Ezeh et Connors c. Royaume-Uni91, la GrandeChambre a jug larticle 6 applicable aux poursuites disciplinaires
pnitentiaires, dans la mesure o les requrants taient accussdavoir commis des infractions incrimines par le droit pnal, pas-
sibles de jours de dtention supplmentaires, et effectivement
condamns en ce sens des fins punitives par le directeur de lta-
blissement pnitentiaire, une fois leur culpabilit tablie.
Si la sanction concerne ne prend pas la forme dune peine
demprisonnement ou dune menace demprisonnement, mais
dune amende, la Cour examine si celle-ci visait accorder une
indemnisation pcuniaire pour un prjudice subi ou dissuaderlauteur dune infraction de rcidiver. Seule cette dernire option
est considre comme prsentant une dimension pnale92.
Nature et svrit de la peine
Ce critre se distingue de celui du but de la peine (voir ci-dessus).
Lorsque larticle 6 nest pas applicable au regard de ce but, la Cour
examine alors la nature et la svrit de la peine pour dterminer
si elles justifient lapplication de la garantie dun procs quitable.
En rgle gnrale, toute norme assortie dune peine de privation
de libert prsente un caractre plus pnal que disciplinaire. La
Cour a indiqu dans larrt Engel et autres c. Pays-Bas que :
Dans une socit attache la prminence du droit, ressortis-sent la matire pnale les privations de libert susceptiblesdtre infliges titre rpressif, hormis celles qui par leur nature,leur dure ou leurs modalits dexcution ne sauraient causer
un prjudice important. Ainsi le veulent la gravit de lenjeu, lestraditions des Etats contractants et la valeur que la Conventionattribue au respect de la libert physique de la personne93.
Dans larrt Benham c. Royaume-Uni, les juges de Strasbourg ontestim que lorsquune privation de libert se trouve en jeu, les
intrts de la justice commandent par principe daccorder lassis-
tance dun avocat 94.
Dans larrt Campbell et Fell c. Royaume-Uni95, la Cour a dclar
que la perte dune remise de peine de presque trois ans, bien que le
90. ztrk c. Rpublique fdrale dAllemagne, 21 fvrier 1984.91. Ezeh et Connors c. Royaume-Uni, 9 octobre 2003.
92. Par exemple Bendenoun c. France, 24 fvrier 1994, et Vstberga Taxi Aktiebolag etVulic c. Sude, 23 juillet 2002.
93. Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, paragraphe 82.94. Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, paragraphe 61.95. Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, paragraphe 72.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
Signification du terme accusation 21
droit anglais considre cette dernire davantage comme un privi-
lge que comme un droit, devait tre prise en compte, puisquelle
avait prolong la dtention du prisonnier au-del de la date
laquelle il aurait pu esprer tre libr. Comme le prcise lextrait
de larrt Engel et autres c. Pays-Bas reproduit ci-dessus, toute pri-vation de libert nentrane pas automatiquement lapplicabilit de
larticle 6. La Cour a ainsi jug quun emprisonnement de deux
jours tait trop court pour tre assimil une sanction pnale.
La simple possibilit dune peine demprisonnement peut suffire
rendre larticle 6 applicable. Dans larrt Engel et autres c. Pays-Bas,le fait que lun des requrants se soit finalement vu infliger une
peine non privative de libert na pas modifi lapprciation de la
Cour, dans la mesure o le rsultat final ne saurait amoindrir
lenjeu initial.
Signification du terme accusation
Larticle 6 garantit la tenue dun procs quitable dans la dtermi-
nation du bien-fond de tout accusation en matire pnale, et ce
ds la mise en examen dune personne. Que recouvre cette
formule ?
Au regard de la Convention, la notion d accusation revt un
caractre autonome, applicable indpendamment de la dfinition
quen donne le droit interne. Dans larrt Deweer c. Belgique, laCour a prcis que le terme accusation devait sentendre dans
son acception matrielle, et non formelle ; elle sestimait tenue de
dpasser les apparences et danalyser la ralit de la procdure en
question. Les juges ont ensuite indiqu que l accusation
pouvait tre dfinie comme
la notification officielle, manant de lautorit comptente, dureproche davoir accompli une infraction pnale
ou comme ayantdes rpercussions importantes sur la situation du suspect96.
Dans laffaire susmentionne, le procureur avait ordonn la ferme-
ture provisoire de la boucherie du requrant, sur la base dun
rapport faisant tat de la violation par celui-ci dun arrt relatif
la rglementation des prix. Lacceptation par ce commerant de la
transaction propose dans le cadre dun rglement lamiable,
prvu par le droit belge, avait teint les poursuites pnales enga-
ges son encontre. La Cour a nanmoins considr que le requ-rant avait fait lobjet dune accusation en matire pnale.
Les exemples suivants offrent une illustration supplmentaire de
situations constitutives dune accusation :
le premier interrogatoire subi par une personne en qualit de
suspect97
lordre darrestation dune personne pour une infraction
pnale98
la notification officielle une personne des poursuites enga-ges son encontre99
96. Deweer c. Belgique, 27 fvrier 1980, paragraphes 42, 44 et 46.97. Hozee c. Pays-Bas, 22 mai 1998.98. Wemhoff c. Rpublique fdrale dAllemagne, 27 juin 1968.99. Neumeister c. Autriche, 27 juin 1986.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
Porte du droit une audience publique22
la demande de preuves adresse une personne par les auto-
rits enqutant sur des infractions douanires et le gel du
compte bancaire de lintress100
la dsignation par une personne dun dfenseur aprs louver-
ture contre elle, par le parquet, dune instruction sur la basedun rapport de police101.
Comme nous lavons indiqu prcdemment, bien que les critres
fixs dans larrt Deweer c. Belgique semblent runis dans une pro-
cdure dextradition, la Cour a estim que larticle 6 ne lui tait pas
applicable102.
Larticle 6 sapplique en revanche la procdure judiciaire relative
la dtermination de la peine excute par la personne
condamne103.
Les garanties de larticle 6 jouent intgralement ds lors quil est
t tabli quune personne fait lobjet dune accusation en matire
pnale.
Porte du droit une audience publiqueLarticle 6 garantit toute personne le droit de faire entendre sa
cause publiquement, sagissant de la dtermination de ses droits et
obligations de caractre civil ou du bien-fond de toute accusation
en matire pnale dirige contre elle. Ce mme article prcise en
outre que laccs de la salle daudience peut tre interdit la presse
et au public pendant la totalit ou une partie du procs dans
lintrt de la moralit, de lordre public ou de la scurit nationaledans une socit dmocratique, lorsque les intrts de mineurs ou
la protection de la vie prive des parties au procs lexigent, ou
dans la mesure juge strictement ncessaire par le tribunal,
lorsque, dans des circonstances spciales la publicit serait de
nature porter atteinte aux intrts de la justice. Cette disposition
pose le principe dune audience contradictoire et publique,
laquelle devraient assister, dans les affaires pnales, le ministre
public et laccus et, dans les affaires civiles, les parties au procs.
Laudience publique constitue un lment essentiel du droit un
procs quitable, comme la soulign la Cour dans son arrtAxen
c. Rpublique fdrale dAllemagne :La publicit de la procdure des organes judiciaires viss larticle 6 1 protge les justiciables contre une justice secrtechappant au contrle du public ; elle constitue aussi lun desmoyens de prserver la confiance dans les cours et tribunaux.
100. Funke c. France, 25 fvrier 1993.101. Angelucci c. Italie, 19 fvrier 1991.
102. Salgado c. Espagne, 16 avril 2002,Mamtkulov et Askarov c. Turquie, 4 fvrier 2005.103. T c. Royaume-Uni, V c. Royaume-Uni, tous deux du 16 dcembre 1999, et Stafford c.
Royaume-Uni , 28 mai 2002.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
Signification du terme accusation 23
Par la transparence quelle donne ladministration de la jus-tice, elle aide raliser le but de larticle 6 1 : le procs quita-ble, dont la garantie compte parmi les principes de toute socitdmocratique au sens de la Convention104.
Laudience publique savre en gnral indispensable pour satis-faire aux exigences de larticle 6 1 devant les juridictions de
premier ou dunique ressort. Il arrive toutefois quelle ne soit pas
ncessaire dans les litiges hautement techniques105.
Si aucune audience publique na t tenue en premire instance,
cette lacune peut tre comble devant une instance suprieure. Il y
a cependant violation de larticle 6 lorsque la cour dappel nexa-
mine pas les faits de la cause ou ne jouit pas dune plnitude de
juridiction. La Cour a ainsi tabli, dans larrt Diennet c. France106
,labsence daudience publique devant une instance disciplinaire et
estim que cette lacune navait pas t comble par le caractre
public des audiences tenues par linstance dappel mdicale, dans
la mesure o cette dernire ne pouvait tre considre comme un
organe judiciaire de pleine juridiction, notamment parce quelle
navait pas le pouvoir dapprcier la proportionnalit entre la faute
et la sanction inflige. Seules des circonstances exceptionnelles
peuvent justifier labsence daudience publique en premire ins-
tance107.
Le droit une audience publique comporte gnralement le droit
une audience contradictoire, sauf circonstances exception-
nelles108.
En rgle gnrale, lexigence dune audience contradictoire ne
sapplique pas aux procdures conduites devant une juridictiondappel. Dans larrt Axen c. Rpublique fdrale dAllemagne109,par exemple, la Cour a jug superflues les audiences publiques
en matire pnale, ds lors que la cour dappel concerne avait
dbout lauteur de lappel pour des motifs purement juri-
diques. Lorsque, en revanche, la juridiction dappel est tenue
dexaminer la fois les lments factuels et juridiques de la
cause, de statuer sur la culpabilit ou linnocence de laccus ou
dapprcier la personnalit de laccus lors du contrle dune
peine, laudience contradictoire est indispensable110. Cette der-
nire est juge superflue dans les affaires civiles traites devant
une juridiction dappel. Dans larrt K c. Suisse111, le requrantavait t partie un long procs, qui lopposait une entreprise
charge par lui de travaux dagrandissement. Le tribunal de
premire instance avait tranch en faveur de lentreprise et son
jugement avait t confirm par la cour dappel. Le requrant
stait alors pourvu devant le Tribunal fdral, qui lavait
dbout sans tenir daudience publique, ni demanderdobservations crites.
104. Axen c. Rpublique fdrale dAllemagne, 8 dcembre 1983, paragraphe 25.105. Schuler-Zgraggen c. Suisse, 24 juin 1993, paragraphe 58, sur le droit du requrant
une pension dinvalidit.106. Diennet c. France, 26 septembre 1995, paragraphe 34.107. Stallinger et Kuso c. Autriche, 23 avril 1997, paragraphe 51.
108. Fischer c. Autriche, 26 avril 1995, paragraphe 44.109. Axen c. Rpublique fdrale dAllemagne, 8 dcembre 1983, paragraphe 28.110. Ekbatani c. Sude, 26 mai 1988, et Cooke c. Autriche, 8 fvrier 2000.111. Voir par exemple, K c. Suisse, 41 DR 242.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE LEUROPE SUR LES DROITS DE LHOMME
Porte du droit une audience publique24
La Commission a estim que :
En outre dans la mesure o le requrant se plaint que les jugesdu Tribunal fdral nont pas dlibr ni vot en public sur sonrecours en rforme, la Commission fait remarquer que la
Convention ne consacre pas un tel droit.A ce sujet, voir galement plus loin, p. 48, Prsence laudience.
Dans certains cas, le requrant a la facult de renoncer son droit
une audience publique. Comme la Cour la dclar dans son
arrt Hkansson et Sturesson c. Sude :
Ni la lettre ni lesprit de ce texte nempchent une personne dyrenoncer de son plein gr de manire expresse ou tacite [],mais pareille renonciation doit tre non quivoque et ne se
heurter aucun intrt public important112.Dans laffaire Deweer c. Belgique113, le requrant avait accept lerglement extrajudiciaire dune affaire pnale en versant une
amende, afin dviter la fermeture de son tablissement dans
lattente dune procdure pnale. La Cour a estim que la renon-
ciation laudience, cest--dire le fait que le requrant ait accept
de sacquitter dune amende, avait t obtenue sous la contrainte,
ce qui emportait violation de larticle 6 1.
Les juges de Strasbourg ont considr, dans larrt Hkansson etSturesson c. Sude prcit, que les requrants avaient tacitementrenonc leur droit une audience publique en sabstenant den
exiger une, alors que la lgislation sudoise les y autorisait expres-
sment.
La Cour a admis la possibilit de tenir une audience huis clos dans
le cadre dune procdure disciplinaire pnitentiaire. Dans larrt
Campbell et Fell c. Royaume-Uni114, les juges de Strasbourg ontdclar quil fallait tenir compte des problmes inhrents lordre
public et la scurit que pourraient soulever ces procdures si elles
avaient lieu en public. Lobligation contraire imposerait en effet un
fardeau disproportionn aux autorits de lEtat.
La Cour a galement estim que, si linterdiction de toute publicit
tait injustifiable, le droulement huis clos de procdures disci-
plinaires relatives lexercice dune profession tait nanmoins
permis, sous rserve que les circonstances sy prtent. Parmi les
facteurs prendre en considration pour juger de la ncessitdune audience publique figurent le respect du secret profes-
sionnel et de la vie prive des clients ou patients115.
Dans les affaires B et P c. Royaume-Uni116, la Cour a estim quelobligation de huis clos impose par la loi relative la protec-
tion de lenfance aux audiences visant statuer sur la garde des
fils de chacun des requrants nemportait pas violation de
larticle 6. Cela vaut galement lorsque cette disposition
implique lexclusion de proches parents qui ne sont pas partiesau procs, mais sur les droits desquels lgard des enfants la
112. Hkansson et Sturesson c. Sude, 21 fvrier 1990, paragraphe 66.113. Deweer c. Belgique, 27 fvrier 1980, paragraphes 51-54.
114. Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, paragraphe 87.115. Albert et Le Compte c. Belgique, 10 fvrier 1983, paragraphe 34, et H c. Belgique,
30 novembre 1987, paragraphe 54.116. B c. Royaume-Uni et P c. Royaume-Uni, 24 avril 2001.
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NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
Signification du terme accusation 25
juridiction concerne est galement amene se prononcer,
ds lors que la lgislation ne confre au juge aucun pouvoir
dapprciation sur ladmission de personnes autres que les
parties officielles.
Signification de lexpression rendu publiquement Larticle 6 dispose que le jugement doit tre rendu publiquement.
Cette disposition ne souffre aucune des exceptions admises en
vertu du principe de la tenue daudiences publiques (voir ci-
dessus, p. 22, Porte du droit une audience publique). Elle visecependant galement favoriser lquit du procs en instaurant
une certaine transparence.
La Cour considre que lexpression rendu publiquement ne
signifie pas ncessairement que le jugement doit tre systmati-quement lu dans lenceinte du tribunal. Elle a ainsi dclar, dans
laffaire Pretto et autres c. Italie :
[] quil chet, dans chaque cas, dapprcier la lumire des particularits de la procdure dont il sagit, et en fonction dubut et de lobjet de larticle 6 1, la forme de publicit du jugement prvue par le droit interne de lEtat en cause117.
Les juges de Strasbourg ont estim en lespce quen raison de la
comptence limite de la cour dappel, le dpt de larrt au greffede ladite cour et, par consquent, laccessibilit de son texte int-
gral au public suffisaient satisfaire lexigence de prononc
public.
La Cour a par ailleurs, dans larrt Axen c. Rpublique fdraledAllemagne118, jug inutile que larrt de la Cour fdrale de justicesoit rendu publiquement, dans la mesure o cela avait t le cas
pour les dcisions des juridictions infrieures.
De mme, dans larrt Sutter c. Suisse119, la Cour a estim que leprononc public de larrt du Tribunal miliaire de cassation tait
superflu, puisque laccs public cette dcision tait assur par
dautres moyens, en particulier par la possibilit de sen procurer
un exemplaire auprs du greffe et sa publication ultrieure dans
un recueil officiel de jurisprudence. Les affaires susmentionnes
concernaient toutes des arrts rendus par des instances sup-
rieures du systme judiciaire et les juges de Strasbourg ont estim
quil ny avait pas eu violation de larticle 6 en lespce. En
revanche, dans les affaires Werner c. Autriche120 et Szucs c.Autriche121, dans lesquelles, dune part, ni les tribunaux de
premire instance, ni les juridictions dappel navaient rendu leursdcisions publiquement et, dautre part, le texte intgral desdites
117. Pretto et autres c. Italie, 8 dcembre 1983, paragraphe 26.
118. Axen c. Rpublique fdrale dAllemagne, 29 juin 1982, paragraphe 32.119. Sutter c. Suisse, 22 fvrier 1984, paragraphe 34.120. Werner c. Autriche, 24 novembre 1997.121. Szucs c. Autriche, 24 novembre 1997.
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SRIE DES PRCIS DU CONSEIL DE L EUROPE SUR LES DROITS DE L HOMME
Signification de la garantie de dlai raisonnable 26
dcisions ntait pas accessible au public auprs de leurs greffes
respectifs, mais uniquement consultable par les personnes
justifiant dun intrt lgitime , la Cour a conclu la violation
de larticle 6.
Cette violation a galement t constate dans larrt Campbell et
Fell c. Royaume-Uni122, dans la mesure o, dans le cadre dune pro-
cdure disciplinaire pnitentiaire, le comit des visiteurs (Board of
Visitors) navait pas rendu sa dcision publiquement et navait pris
aucune mesure pour en assurer la publicit.
Dans les arrts B et P c. Royaume-Uni123 voqus plus haut, laCour a fait remarquer que toute personne capable de justifier dun
intrt tait autorise consulter ou obtenir un exemplaire du
texte intgral des ordonnances et/ou jugements des juridictions de
premire instance rendus dans des affaires de garde denfant ; elle a
galement relev que les arrts dappel et les jugements de pre-mire instance taient habituellement publis lorsquils prsen-
taient un intrt particulier, ce qui permettait au public dexaminer
le traitement rserv en gnral ces affaires par les juridictions et
les principes retenus par celles-ci lorsquelles statuaient en lespce.
Cette situation nemportait ds lors aucune violation de larticle 6.
Signification de la garantie de dlai raisonnable
Une part considrable des affaires dont la Cour est saisie concerne
le droit, garanti par larticle 6, ce quune cause soit entendue dans
un dlai raisonnable. Cette question occupe elle seule davantage
darrts de la Cour quaucune autre. En 1999, les juges de Stras-
bourg ont estim, dans les arrts de Grande Chambre Ferrari, A.P.,Di Mauro et Bottazi c. Italie124, que le retard gnral du systmejudiciaire italien constituait une pratique administrative incompa-
tible avec la Convention. LItalie a adopt une nouvelle loi qui
permet aux victimes de ces violations de la Convention dobtenir
le versement, par lEtat italien, dune indemnisation pour la dure
excessive de la procdure. Cependant, cinq ans aprs les arrts
prononcs en 1999, la Cour, dans larrt Apicella c. Italie125, a jugdrisoire lindemnisation accorde par les autorits italiennes au
titre de la nouvelle lgislation. Elle a en effet estim que les
requrants devraient obtenir une indemnisation de lordre de
1 000-1 500 euros pour chaque anne de procdure. Ce montant
122. Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, paragraphe 92. 123. B c. Royaume-Uni et P c. Royaume-Uni, 24 avril 2001.
124. Ferrari, A.P., Di Mauro et Bottazi c. Italie, 28 juillet 1999. 125. Apicella c. Italie, 10 novembre 2004.
NO 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
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N 3 : LE DROIT UN PROCS QUITABLE
Comment estimer ce dlai ? 27
pourrait tre diminu en fonction du niveau de vie propre lEtat
concern, mais augment ( hauteur de 2 000 euros) si laffaire
porte sur une question exigeant une diligence particulire. Dans
les arrts de Grande Chambre rendus ultrieurement dans les
affaires Apicella, Scordino et plusieurs autres encore, la Cour na
pas repris les sommes fixes prcdemment. Elle a au contrairejug impossible de traduire en chiffres lintgralit des aspects et
des situations susceptibles de se prsenter, tout en considrant que
tous les lments ncessaires figuraient dans sa jurisprudence
antrieure. La Cour a profit de cette occasion pour sadresser aux
Etats membres sur un ton incisif :
[] si lexistence dun recours est ncessaire elle nest en soi passuffisante. Encore faut-il que les juridictions nationales aient la
possibilit en droit interne dappliquer directement la jurispru-dence europenne et que leur connaissance de cette jurispru-dence soit facilite par lEtat en question.
Les juges de Strasbourg ont galement soulign que les Etats
taient soumis lobligation gnrale de porter remde aux pro-
blmes structurels lorigine du non-respect du dlai raisonnable
constat par la Cour.
Cette dernire a indiqu que lobjet de cette garantie tait de pro-
tger tous les justiciables [] contre les lenteurs excessives de laprocdure 126. Pareille disposition, en outre, souligne par l
limportance qui sattache ce que la justice ne soit pas rendue
avec des retards propres en compromettre lefficacit et la
crdibilit 127. Cette exigence vise par consquent garantir que,
dans un dlai raisonnable et au moyen dune dcision de justice, il
soit mis fin lincertitude dans laquelle se trouve plonge une
personne quant sa situation en droit civil ou quant laccusation
en matire pnale porte contre elle : cette garantie sert donc la
fois lintrt de la personne concerne et le principe de scuritjuridique.
Comment estimer ce dlai ?
La priode prendre en considration dbute au moment o la
procdure (administrative ou judiciaire, selon le type daffaire) est
engage au civil et au moment o le suspect se retrouve accus
(selon la dfinition retenue prcdemment) dans les affaires
pnales128. Le dlai cesse de courir avec la clture de la procduredevant la plus haute instance possible, lorsque la dcision de
justice devient dfinitive129 et quelle a t excute. La Cour
examine la dure de la procdure compter de la ratification de la
Convention par lEtat contractant, mais elle tient compte de ltat
davancement de laffaire cette date130.
Les juges de Strasbourg ont tabli dans leur jurisprudence que
lapprciation du caractre raisonnable dun dlai devait se faire au
126. Stgmller c. Autriche, 10 novembre 1969, paragraphe 5.
127. H c. France, 24 octobre 1989, paragraphe 58.128. Scopelliti c. Italie, 23 novembre 1993, paragraphe 18, et Deweer c. Belgique,
27 fvrier 1980, paragraphe 42.129. Voir, par exemple, Scopelliti c. Italie, 23 novembre 1993, paragraphe 18, et B c.
Autriche, 28 mars 1990, paragraphe 48.130. Proszak c. Pologne, 16 dcembre 1997, paragraphes 30-31, et Sahini c. Croatie,
19 juin 2003
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Signification de la garantie de dlai raisonnable 28
regard des critres suivants : la complexit de laffaire, le com-
portement du requrant, le comportement des autorits judici-
aires et administratives, ainsi que lenjeu de la procdure pour
le requrant131.
La Cour se penche sur les circonstances particulires de la cause etna donc pas fix de dlai absolu. Il arrive galement quelle
procde une apprciation globale, au lieu de vrifier directement
les critres prcits.
Complexit de laffaire
Tous les aspects de laffaire prsentent une pertinence pour
lapprciation de sa complexit. Cette dernire peut tenir despoints de fait ou de droit132. La Cour attache notamment de
limportance la nature des faits tablir133, au nombre des
accuss et des tmoins134, la dimension internationale135, la
jonction de plusieurs affaires136 et lintervention de tiers dans la
procdure137.
Lextrme complexit de laffaire peut parfois justifier les lon-
gueurs dune procdure. Dans larrt Boddaert c. Belgique138,
par exemple, la Cour a considr quun dlai de six ans et trois
mois ntait pas drai