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Ciudad de MéxicoCulture, gentrication et pratiques artistiques
Daniela Pascual Esparza
Albeto García Picazo
Référents UDMMichel CalvinoHéctor Quiroz
Urbanistes du Monde
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Index
Introduction
1. Sur la Fonction urbaine de l’art La culture come pretexte Gentrication: une perspective latino-américaine et trois exemples mexicains
Colonias Roma et Condesa
Centro Histórico
Santa María la Ribera
L’art et la culture dans le développement urbain de Roma-Condesa, Centro
Histórico et Santa María la Ribera
Patrimoine et capital culturel
Corredores Culturales
Centres culturels
2. Sur comment les artistes pourraient changer la ville
De l’Ilustration à l’incarnation du quotidian urbain
Des projets scéniques en rélation avec l’urbain Des projets à la croisée de l’art comme moyen d’expérimentation et de l’action
gouvernamentale
Conclusion
Bibliographie
Premièrement, nous tenons à remercier Urbanistes du Monde pour son soutien et sur-
tout pour nous avoir nous donné l’opportunité de réaliser ce projet de recherche. Nous
voudrions remercier spécialement Michel Calvino et Héctor Quiroz pour avoir suivi de
près notre travail.
Un grand merci à toutes les personnes et organisations qui nous ont réservé une partie
de leur temps et qui ont contribué à notre recherche:
Le collectif Nerivela et l’ensemble de ses intégrants. Isaac Serrano et Roberto Ascencio
du Laboratorio para la Ciudad. Casa Vecina, en particulier Helena Braunštajn, Christiandel Castillo et Aisa Serrano. Mariana Gándara du Museo Universitario del Chopo. Gabriel
Yépez, Diana Cardona, Rubén Ortíz, Sara Alcantar, Richard de Pirro, Germán Gutiérrez,
Susana Gómez Hernández, Bernardo Navarro Benítez et Heftychia Bournazou, ainsi que
leurs groupes de recherche. Eduardo Acosta Herrera, Karla Hamilton, Pavel Ferrer, Pablo
Concha. Au Museo Aragón et Horacio Aragón Calvo. Et surtout, nos plus sincères remer-
ciements à Erika Alcantar pour son amitié et ses conseils.
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Cet article pourrait être ce qu’il n’est pas : une enquête sur l’importance
du secteur immobilier dans la gouvernance de la Ciudad de México(CDMX), une réexion sur ses espaces publiques, ou encore une intro-
duction à la vie culturelle d’une capitale latino-américaine. Peut-être
s’agit-il d’un mélange inachevé, car ces pages ne font que traduire no-
tre intérêt personnel pour les arts et les problématiques urbaines de la
CDMX.
Par conséquent, cet essai mettra en perspective deux dynamiques:
comment l’urbanisme mobilise la culture an de transformer la ville et de
quelle manière les artistes perçoivent l’urbain comme chantier de travail.
Rappelons que théoriciens de l’urbain s’intéressent à l’importance de
la culture dans la ville, tout autant que leurs homologues des arts ré-
échissent au rôle de cette dernière dans la création artistique. Cepen-
dant, parce que ce texte n’est pas un article académique en soi, nous
ne discuterons point de manière extensive les débats sur le sujet. Notre
but principal est celui de présenter une réexion sur l’état des choses à
la CDMX en nous inspirant des entretiens réalisés pendant notre court
séjour. En ce sens notre approche n’a aucune prétention normative, elle
ressemble plus à un livre de bord qu’à une étude exhaustive sur la prob-
lématique en question. Attaquons maintenant le coeur du sujet.
Avec 21 millions d’habitants dans la zone métropolitaine, dont
presque 9 millions au Distrito Federal (DF), la capitale mexicaine et sa
conurbation sont le premier noyau urbain et moteur économique du
pays. Ayant connu une croissance sans précédent pendant la deuxième
moitié du XXème siècle, la ville doit affronter aujourd’hui des dés rela-
tifs à son extension territoriale. Dans le but de freiner l’urbanisation en
périphérie, les autorités ont mis en place des politiques de re-densi -
cation des délégations centrales en y prévoyant aussi l’édication de
logements sociaux. Cependant, cette planication stratégique est à
l’origine de plusieurs polémiques. De fait, la « gentrication » est depuis
quelques années un sujet de plus en plus présent sur la scène mexicaine,
mobilisant chercheurs et le public en général. Comprise en ses termes
les plus simples comme la conquête d’un espace habité ou inhabité par
des classes moyennes (Butler, 2007), nous en avons fait le l rouge de
notre enquête de terrain.
Nous sommes intéressés à trois zones de Cuauhtémoc, une des
délégations centrales de la CDMX : Roma et Condesa, quartiers chics
et bohèmes, le Centro Histórico, l’ancienne Tenochtitlán1 et noyau his-
torique de la capitale, ainsi que Santa María la Ribera, quartier tradition-
nel et un des pôles de la “culture alternative” depuis des décennies. Par
la suite, nous avons contacté avec des artistes et institutions culturelles
intervenant dans leurs espaces publics. De fait, les trois périmètres re-tenus sont au coeur du débat qui nous occupe, se prêtant à l’étude des
liens entre “gentrication” et phénomènes culturels. Quant à l’espace
public, c’est pour nous l’opportunité d’aborder les pratiques spatiales
des habitants, de nous éloigner de la ségrégation résidentielle - sujet
très exploité au Mexique - pour nous concentrer sur une ségrégation
quotidienne qui s’intéresse à la manière dont les citadins habitent la ville.
Nous avons essayé de comprendre ce qui pousse certains acteurs cul-
turels à s’emparer de parcs, rues et autres lieux publics, dans le but de
trouver s’il y a une relation - et dans ce cas de quel ordre - entre leurs
activités et les transformations effectives et recherchées pour les espaces
de ces quartiers.
Nous proposons d’abord une mise en contexte sur la culture et
la “gentrication” au Mexique, ce qui nous permettra de présenter les
caractéristiques des quartiers étudiés, pour partager ensuite les acquis
de nos entretiens et conclure avec quelques pistes sur le(s) futur(s) de
l’art et de la culture dans les gestion sociale et urbaine de la CDMX.
1 Capitale de l’empire Aztèque, détruite par les conquistadores pour devenir la capi-tale de la vice-royauté de Nouvelle-Espagne.
Introduction
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La culture comme prétexte
En urbanisme, concevoir le terme “culture” sans ceux de “régénération”
ou “réhabilitation” s’avère une tâche difcile, du moins si l’on retrace
comment, depuis quelques décennies déjà, les politiques publiques on
fait de la culture un instrument privilégié dans la revitalisation d’espaces
urbains en déclin. Bilbao et le “Guggenheim-effect”, Soho à New York,
Barcelone et les Jeux Olympiques de 1992 : qu’il s’agisse de la recon-
version d’anciens espaces industriels, de quartiers en “décadence”, de
la mise en place de megaprojets urbains ou des stratégies globales de
marketing des villes, le développement d’infrastructures culturelles et
de loisirs apparaît souvent comme l’argument parfait pour valider des
projets d’urbanisme et de city branding de plus grande envergure.
Le Mexique n’est pas l’exception. La polémique la plus récente
est celle de la “Passerelle Culturelle Chapultepec” (CCC) à México, Dis-
trito Federal (DF). Megaprojet annoncé en août 2015, il s’agit plus d’un
centre commercial que d’un espace dédié à la culture1Il serait entière-
ment nancé par du capital privé, soulevant entre autres la privatisation
de l’espace publique et l’absence de participation citoyenne. De fait, lesmots “culture” et “planication culturelle” sont loin d’être neutres. Dans
le cadre de ce travail, nous nous intéresserons à des zones ayant un capi-
tal patrimonial important, comme au lien entre culture et “gentrication”
à Cuauhtémoc, CDMX.
1 Voici le site ofciel du projet : http://www.ccchapultepec.mx/ et une page où vouspourrez trouver des proposition alternatives au projet du gouvernement : http://otro-chapultepecposible.tumblr.com/
Gentrication: une perspective latino-américaine et trois exemplesmexicains
Attribué à la sociologue marxiste Ruth Glass (1964), qui s’en servit
pour décrire les transformations du marché de l’immobilier à Londres
dans les années 1960, le terme provient de “gentry”, la noblesse ter -
rienne en Angleterre. À l’origine, le terme renvoyait exclusivement aux
changements dans la composition sociale de certains quartiers populaires
du centre-ville londonien où les classes ouvrières se voyaient déplacées
suite à l’arrivée de résidents de classe moyenne ou aisée. Depuis, géog-
raphes et sociologues ont développé davantage le concept, en élargis-
sant sa dénition et les facteurs sensibles de l’expliquer. Cependant, et
même si la “gentrication” s’est “globalisée”, la littérature sur le sujetreste profondément ancrée dans le contexte anglo-saxon. Ce décalage
entre le cadre théorique dominant et la diversité des réalités étudiées
demande que les explications soient nuancées et remises en contexte,
an que la “gentrication” soit comprise sous des prismes non-anglo-
phones et non-européens.
En Amérique Latine, les académiciens ont longtemps refusé
d’adopter des termes anglophones pour décrire différents contextes
historiques, politiques et sociaux dans la région. Ce n’est d’ailleurs qu’à
partir du XXIème siècle que la “gentrication” commence a être vérita-
blement étudiée et les études empiriques sont encore peu nombreux.
En 2013, les chercheurs Michael Janoschka, Jorge Sequera et Luis Sa-
linas proposent l’unique révision à ce jour des débats ayant eu lieu sur
le sujet en Amérique Latine et en Espagne. Il s’agit de l’article “Gentri-
cation in Latin America and Spain : a critical dialogue”, dont les apports
comparatifs introduiront les enjeux relatifs de nos études de cas.
Le noyau de la “gentrication” en Amérique Latine se trouverait
dans la relation entre néolibéralisme et urbanisme : elle serait uneconséquence sociale et spatiale des modèles urbains néolibérales (Ja-
noschka et al., 2013) adoptés dans les années 90 suite au Consensus de
Washington. Il s’agirait, de fait, d’un processus majoritairement mené
par l’État où la création de nouveaux marchés immobiliers serait étroite-
ment liée à la production de la ville gentriée (Janoschka et al., 2013).
Plus spéciquement, ces auteurs défendent qu’en Amérique Latine les
zones subissant des processus de gentrication détiennent soit une val -
eur symbolique, soit elles personnient un mode de vie recherché à un
moment précis par une société donnée. La “gentrication” repose donc
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sur des conditions matérielles autant que symboliques.
Succinctement, en Amérique Latine ces processus sont reliés à
trois éléments : (i) à la création d’un marché immobilier associée aux
politiques publiques des administrations locales (ii) à la valeur symbol-
ique et culturelle de certains quartiers, enn (iii) au déplacement qui en
résulte, soit-il résidentiel ou en relation aux activités économiques infor-
melles (Janoschka et Sequera, 2014). Le premier élément s’associe à une
gestion entrepreneuriale de la ville, celle-ci se traduisant par la mise en
oeuvre de megaprojets immobiliers sous des partenariats publics-privés
qui renforcent le creusement des inégalités (Walker, 2008 ; Janoschka
et al., 2013 ; Delgadillo & Olivera, 2014). Le deuxième renvoie à la rich-
esse patrimoniale et historique de certaines zones de la ville, cibles priv-
ilégiées des programmes de rénovation urbaine. Le patrimoine de ces
quartiers étant mis en valeur, ils sont généralement l’objet d’une “gen-trication symbolique”, et se voient reconquis par des classes moyennes
traditionnelles qui y avaient perdu leur autorité morale (Jones & Varley,
1999 ; Janoschka et al., 2013 ; Janoschka et Sequera, 2014). Finalement,
le troisième élément relève des effets de la “gentrication” : si elle oc-
casionne un déplacement résidentiel en raison de la hausse des prix de
l’habitat, elle affecte aussi les activités autorisées et valorisées sur ces
espaces, procédant à une régulation de celles-ci. En Amérique Latine ce
dernier point recouvre une dimension sociale et ethnique assez impor-
tante. Ainsi, en dehors du monde anglo-saxon, la “gentrication” em -
brasse une diversité de formes mixtes et complexes, qui ne peuvent être
comprises que par la reconnaissance du contexte urbain, des structures
sociales, politiques, économiques et administratives locales.
Bien que certains théoriciens mexicains refusent encore de mo-
biliser le terme “gentrication” pour le cas du Mexique, d’autres con-
sidèrent que le processus existe bel et bien dans certains espaces (Gó-
mez, 2015).2 En effet, le Centro Histórico de la CDMX est exemplaire
quant aux processus de “gentrication” amorcés par les politiques pub-
liques urbaines, alors que Roma et Condesa répondent plutôt à une
reconversion urbaine menée par des petits commerçants et artistes, fa-
vorisée aussi par une réaffectation du sol urbain (Gómez, 2015). Quant à
Santa María la Ribera, il est encore difcile d’évaluer si le quartier connaît
un processus de “gentrication”, mais des changements intéressants y
2 Un groupe de chercheurs de la Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM),sous l’aile d’Eftychia Bournazou, travaille à présent sur l’élaboration d’un cadrethéorique adapté à la CDMX. Nous avons p u les rencontrer pendant notre séjour et ilsont partagé avec nous les résultats de le ur première enquête sur le terrain.
ont lieu et il existe beaucoup de spéculation sur le sujet. Les trois quart-
iers présentent une temporalité et une dynamique propre que nous ré-
sumons ci-dessous.
Colonias Roma et Condesa
Bien connectés et avec une concentration diversiée de services, Roma
et Condesa sont aujourd’hui deux des quartiers les plus concurrencés de
la CDMX. Leur histoire en tant que fractionnement urbain remonte au
début du XXème siècle ; dans les années 20 cette partie de la ville devi-
ent le berceau de l’urbanisme moderne au Mexique (Gómez, 2015). En
effet, ces quartiers présentent une forte richesse architectonique : styles
néo-colonial, art deco, fonctionnaliste, néo-californien peuvent être ap-préciés dans plusieurs des façades. Il s’agit d’un des traits le plus saillants
d’une zone riche en histoire, ayant accueilli successivement les classes
moyennes post-révolutionnaires, les immigrants juifs dans les années 20
et 30, puis nombreux écrivains et intellectuels latino-américains qui y ont
trouvé refuge pendant leur exil dans les années 70 et 80 (Gómez, 2015).
Ainsi, plusieurs “types” d’habitants ont peuplé ces quartiers et s’y sont
succédés, leur prol étant majoritairement celui d’une classe moyenne
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Á gauche la delegación Cuauhtémoc par apport à la zone métropolitaine de la Vallée de Mexico.Á droite: 1. Roma - Condesa, 2. Centro Histórico, 3. Santa María la Ribera
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et aisée.
Cependant, le tremblement de terre de 1985 eut comme
conséquence l’effondrement de plusieurs immeubles, surtout à Roma, ce
qui se traduisit par une migration de nombreuses familles vers d’autres
endroits de la ville, comme par une baisse du prix des loyers et des lots.
La zone est donc devenue moins attractive, jusqu’à la moitié des années
90 où une première vague d’investissements a permis de la revaloriser.
Ces investissements résultent d’une série d’actions individuelles et non
pas d’une politique du gouvernement. Des personnes qui recherchaient
des loyers bon marché y ont déménagé et ont réhabilité les façades tout
en respectant leur style originel, d’autres y ont ouvert des restaurants,
galeries et bureaux. Aldo Rojas, historien de l’art, évoque dans un article
pour Hotel Garage, plateforme dédiée à la culture urbaine du DF, qu’il
s’agit de la première vague de gentrication qu’ont connu ces quart -iers, où les “gentrieurs” étaient des “artistes, intellectuels, étudiants
et bohèmes bourgeois” (Rojas, 2014) dont l’activité se fusionnait avec
l’esprit du quartier, avec ces petites épiceries et fondas. Le dynamisme
qui s’est produit dans ces quartiers a attiré plus tard un nouvel prol de
résidents et usagers, plus riches, séduits par la popularité des lieux. Il
semblerait que plusieurs des individus de la première vague de “gentri-
cation” s’aient vu forcés de quitter Roma et Condesa pour des quartiers
plus accessibles à l’intérieur même de la ville centrale (Rojas, 2014).
Par ailleurs, la mise en oeuvre des décrets gouvernementaux Ban-
do 2 (2000-2007) puis Norma 26 (2007-) a supposé des changements
dans l’ensemble des normes applicables dans les délégations central-
es. Conjointement, ces deux politiques avaient pour objectif celui de
repeupler et re-densier les délégations centrales, de contrôler la con-
struction de logements en dehors de la ville centrale et de stimuler la
production de logement d’intérêt social. Pourtant, le résultat est moins
un rééquilibrage du logement social qu’une hausse de la spéculation
de la valeur du sol et la construction d’habitations dont le prix dépasse
le seuil de celles considérées d’intérêt social. Ainsi, Bando 2 et Norma
26 ont favorisé l’édication de logements pour les classes moyennes et
aisées plutôt que pour les secteurs défavorisés, activité ayant guidé la
croissance de Roma et Condesa depuis les années 2000.
Nous pouvons donc conclure sur deux points. D’une part, ces
quartiers ont cessé d’avoir une fonction majoritairement résidentielle
pour présenter aujourd’hui un usage mixte, leur réhabilitation s’étant
traduit par une réactivation commerciale majeure. En effet, Condesa ac-
cueille à présent une variété de restaurants, commerces, bars et boîtes
de nuit dont l’afuence se pose de plus en plus problématique pourles habitants du quartier, en particulier en raison des nombreuses voi-
tures qui circulent dans la zone et du bruit occasionné. D’autre part, ces
quartiers ce sont vu repeuplés, mais sans atteindre l’édication prévue
de logement social. Finalement, entre mezcalerías, cuisine de barrio,
galeries d’art et le service ECOBICI (l’équivalent du Vélib parisien), ces
quartiers illustrent un mode de vie désirable et recherché parmi plusieurs
habitants de la CDMX. Dans sa thèse (et lors de notre entretien), Susana
Gómez explique comment habiter ce type de quartier est devenu très
important pour plusieurs jeunes diplômés, qui pour ce faire dépensent
parfois plus de la moitié de leur salaire. Il s’agit aussi de deux zones
stratégiques pour ceux désireux d’intégrer, d’inuencer et d’exercer un
contrôle sur la production et circulation culturelle à la CDMX.
Centro Histórico
Après avoir été abandonnée par l’aristocratie et la bourgeoisie à la n
du XIXème siècle, le Centro Histórico (CH) s’est paupérisé progressive-
ment en raison de l’inux de migrants ruraux. Dans les années 50 la
zone était densément peuplée, les loyers congelés, les investissements
immobiliers loin, en périphérie, tandis que la part du commerce informel
dans la zone augmentait (Díaz Parra, 2014). Toutefois, entre les années
1970 et 2000 le CH a vu sa population diminuer considérablement en
Edicio Anáhuac,immeuble Art Déco.Quartier Roma, CDMX.Source :Alberto García Picazo.
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mise en oeuvre du plan de “sauvetage” du CH. De manière semblable
qu’à Roma et Condesa, la stratégie de re-peuplement du gouvernement
sous Bando 2 puis Norma 26 on conduit à une hausse de la spéculation
immobilière et à une transformation de la morphologie du CH, où l’ac-
tivité commerciale est devenu davantage importante, au détriment de
sa fonction résidentielle. De fait, si dans les années 50, le CH hébergeait
400 000 habitants, aujourd’hui ils ne sont que 150 000. (Autoridad del
Centro Histórico, 2015). Par ailleurs, s’accompagnant aussi d’une pro-
motion touristique de la zone, l’activité immobilière a contribué au ren-
forcement de la ségrégation sociale et résidentielle. Le discours autour
de la conservation du patrimoine et de sa mise en valeur a permis aux
autorités d’exercer un plus grande contrôle sur les espaces publiques et
les pratiques qui y sont autorisées, résultant dans une musécation et
touristiaction de certains périmètres. Ainsi, si le CH accueille chaque jour environ 2 000 000 de visiteurs (Autoridad del Centro Histórico, 2015)
de groupes sociaux distincts, chacun l’habitant à sa façon et selon ses
moyens, les projets de mixité sociale ciblent principalement les classes
aisées, faisant de leurs goûts et habitudes le style de vie favorisé sur ces
espaces.
Santa María la Ribera
Premier fractionnement moderne de la CDMX, ce quartier date de la
n du XIXème siècle et se voit rapidement doté en services publiques
(éclairage, rues pavées, transport collectif). Après la Révolution Mexic-
aine, la CDMX reçoit différentes vagues de migrants, dont certains s’in-
stallent à Santa María. Il s’agit surtout de membres de l’aristocratie, de la
bourgeoisie et des classes moyennes. Ce prol se maintient jusque dans
les années 1940, période où le Mexique adopte un modèle de dévelop-
pement d’industrialisation par substitution aux importations. La transi-
tion d’une activité agricole à une production industrielle a occasionnée
de nouvelles vagues migratoires, et c’est cette fois-ci une classe ouvrière
qui s’installe à la CDMX, une partie le fera à proximité de Santa María.
Dès les années 50 le quartier acquière un caractère plus populaire, à
l’instar du CH. Dans les années 70 Santa María la Ribera se voit divisée
en deux : Eje 1 Norte est inaugurée, une des avenues principales de la
ville qui la relie d’est à ouest, mais qui brise les artères du quartier. Par
ailleurs, la crise économique qui secoue le pays en n de décennie et au
début des années 1980 se traduit par une montée du chômage et du
raison de trois facteurs explicatifs : la crise économique des années 803,
le tremblement de terre de 1985 et la déclaration du CH comme patri-
moine mondial par l’UNESCO en 1987. Ensemble, ils ont crée une op-
portunité favorable pour réhabiliter ce noyau urbain, en particulier ses
sites historiques et son patrimoine architectural, et pour investir dans un
modèle de “ville compétitive”.
La rénovation du CH s’est faite via des partenariats publiques-privés
(PPP), essentiellement avec Carlos Slim. Grupo Carso, l’agence immo-
bilière du magnat, a réhabilité plus de 100 immeubles dans les périmètre
A4 du CH, en installant des magasins, call centers et bureaux de Telmex,
l’entreprise de télécommunications de Slim (Delgadillo et Olivera, 2014).
Depuis 2001 Slim est aussi à l’initiative de la Fundación Centro Histórico
A.C (2002) et du groupe immobilier Centro Histórico de la Ciudad de
México S.A. La première se charge de la mise en oeuvre de programmessociaux pour les résidents et les travailleurs de la zone, alors que la deux-
ième achète et réhabilite des immeubles (Delgadillo et Olivera, 2014).
Centro Histórico de la Ciudad de México S.A a conçu l’édication de
logements qui visent à attirer membres des classes moyennes, étudi-
ants et artistes dans le CH. À titre indicatif, en 2006, les prix oscillaient
entre 70 000 et 300 000 dollars pour des surfaces de 60 à 225 mètres
carrés (Olivera, 2006 ; Delgadillo et Olivera, 2014), alors que le salaire
journalier moyen d’un habitant du DF cette année-là état de 48, 67 pe-
sos (Wikipedia, 2014), soit 17 521, 2 pesos l’année. Le prix en pesos de
l’appartement le moins cher était de 1 061 263 pesos, soit environ 60,57
fois le salaire intégral moyen. La stratégie est claire. Par ailleurs, Grupo
Carso a publié que la plus-value de la zone a triplé depuis l’année 2000
et cela grâce à la prolifération de cafés, hotels et boîtes de nuit (Carso,
Revitalización del Centro Histórico, 2013).
L’augmentation des prix des loyers et des logements résulte de la
3 Lorsque l’administration de Miguel de la Madrid arriva au pouvoir en 1982, en pleinecrise économique, elle a véhiculé le développement économique la seule forme pos-sible de développement et mis en place une série de politiques néolibérales dans toutle pays. L’objectif était de rendre la CDMX attractive pour les capitaux globaux, ce quis’est traduit par le développement des secteurs de l’immobilier, de la nance et desservices (Olivera, 2013).
4 Il existe à l’intérieur du CH deux périmètres : le périmètre A de 3.2 km carrés,la zone la plus dense en monuments du CH, puis le périmètre B de 5.9 km carréesdont la fonction est de protéger le périmètre A. Ces deux zones sont soumises à desrégulations particulières an d’assurer la conservation du patrimoine qu’elle héberge.Pour plus d’information générale sur le CH, voici le portail de l’organe gouvernementalresponsable : http://www.autoridadcentrohistorico.df.gob.mx/index.php/el-centro-his-torico-de-la-ciudad-de-mexico-es-el-corazon-vivo-de-nuestro-pais
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Quiosco Morisco, Santa María la Ribera, CDMX. Source : Alberto García Picazo.
de la plupart de ceux qui peuplent le quartier. Celui-ci héberge des loge-
ments modernes, de type studio ou P3, avec des places de parkings
privées et surtout, avec des gardiens qui régulent l’accès au bâtiment.
Germán nous a raconté qu’il a déménagé il y a deux ans, qu’il s’agit
d’un immeuble récent, qui rompt avec la tradition du quartier, mais qui
s’aligne avec les projets immobiliers qui se prolent à Santa María. Sel-
on lui, le quartier réunit plusieurs critères sensibles d’aboutir dans un
processus de gentrication, tant par la question de l’immobilier comme
par la capitalisation du patrimoine, de l’espace public et des pratiques
sociales. En effet, Santa María la Ribera est riche en histoire est accueille
en son sein deux musée importants - le Museo del Chopo et le Museo
de Geología - et le Quiosco Morisco, kiosque conçu pour le pavillon du
Mexique lors de l’Exposition Universelle de 1884, présentant une forte
valeur historique et symbolique. Si la protection de ces monuments estmoins régulée que celle du CH et si les projets de réhabilitation sont
moins importants et agressifs, l’image traditionnelle et le patrimoine de
Santa María la Ribera font de celle-ci un des 21 Barrios Mágicos (quart-
iers magiques) de la CDMX, un programme municipal qui vise à mettre
en valeur certains quartiers pour des ns touristiques.
Ainsi, si les logements sont plus accessibles, le prol des habi-
tants plus diverse et les commerces et restaurants (encore) moins nom-
breux qu’à Roma, Condesa, et le CH, le visage de Santa María la Ribera
change. S’il est encore tôt pour parler de déplacement ou de fragmenta-
tion résidentielle, nous avons pu identier différentes pratiques spatiales
et sociales selon le prol des habitants. Nous développerons cela davan-
tage dans la section qui suit.
L’art et la culture dans le développement urbain de Roma-Condesa,Centro Histórico et Santa María la Ribera
Condesa, Roma, le CH et Santa María la Ribera font écho à différents
phénomènes mobilisés par les théories sur la “gentrication” en
Amérique Latine. Il s’agit maintenant de comprendre le lien entre la cul-
ture, les artistes et le développement urbain de ces zones-là.
Il est important de noter que les pôles culturels les plus importants de
la CDMX sont la ville centrale - pendant longtemps l’ensemble de la
CDMX - et la zone sud comprenant le quartier de Coyoacán, la UNAM,
et le Centro Nacional de las Artes (CNA). Si nous nous limiterons à étud-
ier le premier pôle, il s’agit d’une division articielle car il s’agit d’un ré-
commerce ambulant. La “décadence sociale” de Santa María la Ribera,
en cours depuis les années 50, s’intensie pendant cette période où le
quartier est surnommé Santa María la Ratera, la voleuse. Cette tendance
ne cessera de croître pendant la crise nancière des années 90.
Quant aux questions du logement et des infrastructures, le quart-
ier se voit également affecté par le tremblement de terre de 1985 et
visé par les décrets municipaux Bando 2 et Norma 26. Cependant, les
logements à Santa María la Ribera présentent des prix plus accessibles
que ceux de Roma, Condesa ou CH, les logements sociaux sont plus
nombreux et le quartier conserve toujours une mixité sociale impor-
tante. Protant d’une localisation stratégique, Santa María est aussi bien
communiquée avec le reste de la ville par divers modes de transport
collectif (Metrobús, metro, bus, minivans). Cela fait du quartier une op-
tion pragmatique à l’heure de rechercher un logement. C’est d’ailleurs lafonction principale du quartier : 2/3
du territoire de Santa María sont
réservés à un usage résidentiel. En-
tre 2000 et 2004 environ 450 mai-
sons ont été réhabilitées par des
entreprises privées à Santa María
la Ribera (Boils Morales, 2009), ac-
tivité perçue par certains comme
le début d’un nouvel cycle d’in-
vestissements sensible d’attirer les
secteurs les plus aisées des classes
moyennes. Il existerait, de fait, une
“route des loyers” associée à ces
investissements immobiliers et la
“gentrication” : Condesa - Roma -
CH - San Rafael et maintenant San-
ta María.Nous ne pouvons point con-
clure, toutefois, sur l’avancement
d’un processus de “gentrication”
dans le quartier. Pour mieux com-
prendre l’histoire et la situation de
Santa María nous avons rencontré
Germán Gutiérrez, urbaniste et rés-
ident de Santa María. Il habite Calle
Cedro, dans un immeuble différent
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seau, de deux pôles bien connectés, interdépendants et animés par les
mêmes acteurs (grosso modo).
Nous avons retenu trois facteurs an de montrer l’importance de
la culture à un niveau macro dans chacune de nos zones d’études : la
concentration de patrimoine, la présence d’infrastructures culturelles et
les interventions du Gouvernement du Distrito Federal (GDF).
Patrimoine et capital culturel
Les trois zones d’étude présentent une forte concentration en patri-
moine historique et culturel. Le CH en est la plus riche : il s’agit du centre
historique avec plus de monuments de toute l’Amérique Latine, héber-
geant en son sein 400 sites historiques et artistiques. Comme évoquéplus haut, Santa María la Ribera accueille deux musées importants et plu-
sieurs édices datant de l’époque
du Porriato. Bien que leur état dif -
fère - certains sont mieux conservés
que d’autres - ils contribuent à l’im-
age traditionnelle du quartier et à
sa richesse esthétique. Finalement,
le patrimoine de Roma-Condesa
date surtout du XXème siècle et
englobe une diversité de styles ar-
chitectoniques.
Pour CH et Santa María, l’héri-
tage historique constitue leur atout
majeur. Le gouvernement s’en est
servi pour leur promotion tour-
istique, bien que le CH dépasse
largement Santa María la Ribera sur
ce point. Le souci de conservation
et mise en valeur de ces infrastruc-
tures s’est métamorphosé en une
muséication et touristication de
l’espace, notamment en termes de
régulation des lieux publics. De fait,
le patrimoine a servi d’argument
majeur pour leur réhabilitation. En
ce qui concerne Roma-Condesa,
l’importante activité immobilière à Condesa a poussé certains des rés-
idents à se manifester pour la sauvegarde de plusieurs façades an de
conserver l’attractif des immeubles du quartier. Mais plus que son passé,
c’est son capital culturel actuel, les commerces penchés vers la gastrono-
mie et le design, que font ressortir Condesa à la CDMX. De même, Roma
accueille plusieurs librairies, cafés et petits théâtres, présentant un prol
plus bohème que celui de Condesa, mais tout aussi attractif. La culture a
été l’élément central dans la réinvention de ces deux quartiers et du CH,
elle reste un atout exploitable pour le développement futur de Santa
María la Ribera.
Corredores Culturales
Il existe dans toutes les villes des zones où l’offre culturelle y est plus
intense. À la CDMX, le terme corredor cultural, passerelle culturelle en
français, désigne quelques unes de ces zones où initiatives, activités et
institutions culturelles s’agglomèrent. Il s’agit d’un label octroyé par le
gouvernement du DF à des espaces accueillant des activités culturelles
estimées de renforcer le “tissu social” sur place. Aujourd’hui il existe au
moins 3 qui sont visibles dans la ville : Corredor cultural Roma-Condesa,
Corredor Cultural Centro Histórico et Corredor Cultural Coyoacán - San
Ángel (Aguilar Sosa, 2015). Nous nous permettons d’inclure le Corre-
dor Cultural Peatonal Regina, aussi au CH. Il existe un débat autour de
ces passerelles : émergent-elles progressivement ou sont-elles (pre)fab-
riquées? De telles questions visent surtout le Corredor Cultural Cha-
pultepec, que le GDF veut créer articiellement, ex nihilo. Pour notre
part, nous considérons que ces corredores résultent d’initiatives de la
société civile et sont par la suite promues et visibilisées davantage par le
GDF. Pourtant, il se peut aussi que les intérêts du gouvernement guident
l’émergence de telles passerelles.
Le Corredor Cultural Roma Condesa, précurseur de ces initiatives,
est un évènement ayant lieu deux fois par an dans ces deux quartiers
autour de la gastronomie, la mode, le design, le cinéma - bref, la culture
contemporaine. Il serait le “périmètre le plus emblématique de l’art et
la culture dans la Ciudad de México” (Aguilar Sosa, 2015). Le trait dis-
tinctif de ces corredores culturales est leur lien avec les espaces publics.
L’intérêt, par exemple, du Corredor Cultural Roma Condesa est de faire
sortir de ses lieux habituels diverses disciplines artistiques pour ré-acti-
seo del Chopo, Santa María la Ribera, CDMX.urce : Alberto García Picazo.
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Voces, 2013). De se voir réalisée, une telle passerelle illustrerait la poli-
tique du gouvernement vis-à-vis la récupération des espaces publiques
et le rôle de la culture dans un tel processus : l’embellissement. Par ail-
leurs, il existe assez d’infrastructure culturelle à Santa María pour investir
dans ces projets symboliques.
Centres culturels
Nous en avons retenu un centre
par zone d’étude, bien qu’il en
existe plusieurs. Il s’agit du MUCA
Roma pour la Roma-Condesa, de
Casa Vecina pour le CH et du Mu-seo del Chopo pour Santa María la
Ribera. Les deux musées en ques-
tion sont gérés par la UNAM, alors
que Casa Vecina dépend d’une
institution privée. Le public et le
privé se voient ainsi représentés,
ce qui est intéressant car l’objectif
est de comprendre comment, sel-
on les institutions, sont organisés
les activités culturelles et dans
quel but.
Nous n’avons pas eu de
contact direct avec le MUCA
Roma, mais nous avons assisté à
une exposition et participé à une
dérive sonore qui commençait
au musée. Nous nous y sommes
intéressés car depuis cette année toute la ligne de programmation du
musée cible le Droit à la Ville. Nous pouvons donc espérer le déploie-
ment de différentes activités autour du lien entre l’art et la ville, et il se-
rait logique que le quartier de Roma et ses alentours devienne le théâtre
de nombreuses explorations. En effet, la dérive sonore à laquelle nous
avons pris part ne parcourait que des lieux du quartier et invitait à le
découvrir et à l’imaginer à travers ses “bruits”. La dérive était organisée
par le Laboratorio de literaturas expandidas y otras teatralidades (LLE-
OM), qui ne dépend pas du musée. Cela invite à se poser la question sur
ver culturellement les lieux publics de Roma et Condesa. Il ne faut pas
pourtant sous-estimer le potentiel économique de ces initiatives, cen-
sées proter à l’économie culturelle, ou du moins la mettre en valeur.
Une trame de l’avenue Álvaro Obregón, une des artères principales de
la Roma, est baptisée sous le nom de Corredor Cultural Álvaro Obregón.
Dans son terre-plein vous pourrez trouver quelques statues, parfois cer-
taines expositions photo disposées par le GDF. Il est surtout entouré par
des cafés, centres culturels, bars et restaurants, donc nous reconnaissons
aussi dans cette étiquette de corredor cultural plus un geste symbolique
qu’un véritable espace public habité en permanence par la culture.
Le Corredor Peatonal Cultural Regina, au CH, est une rue piétonne
d’environ 550 mètres entre la Calle Bolívar et l’avenue 20 de Noviembre.
Son apparition est étroitement liée à la réhabilitation du CH, il s’agit
d’ailleurs d’un choix stratégique : en raison d’une présence d’institutionsvouées à la culture5, cette zone a été planiée autour des arts. Ce sont
des entités publiques et privées qui ont guidé la transformation du quart-
ier dans les années 2000 et qui se sont préoccupées de le rendre attractif
pour les artistes et les étudiants. Par exemple, la Fundación del Centro
Histórico de Carlos Slim y a installé son centre culturel, Casa Vecina (voir
Box Casa Vecina). La reconversion de Regina posait un enjeu de coexis-
tence entre les résidents de longue date et le nouvel prol du quartier,
qu’ils n’ont pas choisi. Des efforts se sont fait an de concilier des ren -
contres et forger des liens parmi une communauté changeante, mais
plusieurs des résidents qui habitaient le quartier avant sa réhabilitation
ont dû partir. Aujourd’hui, plus qu’un espace dédiée à l’art et à la culture,
le corredor est fréquenté par les clients des bars et mezcalerías qui ont
conquis la Calle de Regina et ses alenteours. D’ailleurs tous les locaux
ont les mêmes chaises et parasols avec le logo de la CDMX. Voilà donc
un exemple de touristication de l’espace plus que d’un investissement
en l’art et la culture sous l’étendard de passerelle piétonne et culturelle.
Finalement, il n’y a pas à Santa María la Ribera un espace cat-
alogué de corredor cultural, mais nous avons retrouvé des articles de
presse annonçant l’intérêt du gouvernement de ce faire. S’ils datent
de 2013 et que nous n’avons pas pu conrmer l’avancement du projet,
l’idée était d’aménager en passerelle culturelle avec une piste cyclable
sur 11 rues le long de Eje 1 Norte (El Universal, 2013), avenue qui divise
le quartier en deux. L’art urbain ou street art se verrait mise en valeur
pour contrer les grafti sur les murs de Santa María la Ribera (Uniendo
5 Dans les parages se trouvent des locaux de l’Institut National des Beaux-Arts etl’université Claustro de Sor Juana axée sur la culture.
Museo Universitario del Chopo
Le Museo Universitario del Chopo à Santa María la Ri-
bera est une des institutions culturelles de la UNAM
dédiée à l’art contemporain depuis 1973. Espace d’ex-
périmentation artistique, la lignée du musée regroupe
les arts visuels, le cinéma, les arts de la scène et la
littérature autour d’une approche transdisciplinaire.
Longtemps seul espace au nord de la ville proposant
des activités culturelles et accessibles, El Chopo s’est
érigé comme un lieu de référence et de culture alterna-
tive parmi les habitants de Santa María la Ribera. Toute-
fois, la rénovation du musée entre 2005 et 2010 a eu
pour conséquence un détachement affectif entre cet
espace et son contexte local. Depuis, l’institution mo-
bilise plusieurs moyens pour rétablir ses liens avec le
quartier - tant avec ses habitants comme avec sa nou-
velle scène culturelle indépendante -, tout en dévelop-
pant une programmation artistique novatrice qui fait du
Chopo un passage clé du circuit culturel chilango.
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pièces et projets programmés interagissent avec le quotidien de Santa
María la Ribera (voir les box Encuentros Secretos et ¿Quién es el habi-
tante de la casa?). Nous nous y intéresserons en détail plus loin. Allons
maintenant du côté du privé.
L’existence de Casa Vecina résulte de l’instrumentalisation de la
culture lors de la réhabilitation du Centro Histórico et de son nouveau
visage. Aucune des personnes que nous avons rencontré diverge sur
ce fait. Cependant, lors de notre visite au centre culturel, nous avons
observé chez Helena et son équipe le souci de préserver cette relation
de “voisinage” entre Casa Vecina (maison voisine) et les habitants et
usagers du Centro Histórico, de le réinventer à une échelle micro, du
jour le jour. Ainsi, les objectifs artistiques poursuivis par l’institution, les
(ré)orientations et répercutions de ses activités sur le territoire et dans la
durée dépendent ici énormément de la vision du coordinateur généralet du budget octroyé par la Fundación du Centro Histórico. Ce n’est pas
parce qu’elle dépend d’une entité privée qu’elle a un budget illimité
ou des meilleurs moyens que les institutions appartenant à la UNAM.
Par ailleurs, si elle ne peut pas se libérer de ses origines, c’est-à-dire de
toute la polémique qui existante autour de la réhabilitation du CH et du
rôle de Carlos Slim, cela n’implique pas que Casa Vecina ne puisse pas
proposer des projets critiques mettant en relation l’art et la ville.
En effet, au cours de nos entretiens, nous nous sommes rendus
compte que les institutions culturelles, les individus qui les dirigent / co-
ordonnent et les artistes avec qui elles coopèrent sont tous en relation et
créent un circuit culturel où différentes interactions, de coopération ou
conictives, peuvent y avoir lieu. C’est cette dimension relationnelle que
nous considérerons dans la deuxième partie de cet article et que nous
explorons en rapport avec la ville.
le type d’artistes que cette ligne de programmation est sensible d’attire,
aux liens qui peuvent se nouer. Ainsi, ce nouvel intérêt du MUCA Roma
pourrait ouvrir une dimension plus relationnelle et expérimentale parmi
les pratiques artistiques qui y ont lieu au musée et dans le quartier, pro-
poser une optique plus réexive et critique autour des arts et de l’urbain.
El Museo del Chopo présente une ligne de programmation plus
robuste que le MUCA Roma, il s’agit aussi d’une infrastructure plus
grande. L’impact potentiel qu’il pourrait avoir sur le quartier dépasse
largement celui qu’il connaît aujourd’hui, mais le musée fait de grands
efforts pour retisser des liens de conance et d’appartenance avec les
habitants de Santa María. Quant à sa vocation culturelle, son intérêt en-
vers l’art contemporain se manifeste différemment selon les disciplines,
car chacune est administrée par un bureau différent, même si ces derni-
ers communiquent entre eux et travaillent ensemble selon les projets. Enarts de la scène, par exemple, la coordinatrice du département Mariana
Gándara nous a appris que les artistes étaient choisis selon le language
théâtrale qu’ils mobilisaient dans leur travails. Ainsi, El Chopo valorise
à présent les initiatives d’artistes qui font “quelque chose” au théâtre,
qui s’éloignent du théâtre classique. Si cela n’implique pas nécessaire-
ment une répercussion directe sur le quartier, il s’avère que plusieurs des
Casa Vecina
Institution culturelle de la Fundación del Centro Histórico S.A, ce centre se
situe depuis 2005 dans le Callejón Mesones, au sein du Corredor Cultural
Regina. Sa vocation originelle était celle d’accompagner le processus de
régénération du Centro Histórico et de servir de pont entre les résidents du
quartier et l’art contemporain. Il s’agissait aussi de proposer un espace de ren-
contre entre ceux qui habitaient le quartier depuis longtemps et les nouveaux
arrivants. Sa fonction a changé au l des années et dix ans après son ouver -
ture, Casa Vecina s’érige comme une institution importante parmi le circuitculturel de la CDMX. Le centre, une ancienne maison, propose un programme
multidisciplinaire oscillant de workshops d’urbanisme (Microurbanismo) à l’ex-
ploration artistique (résidences culturelles et interdisciplinaires) en passant par
la mise en place de concours et projets artistiques pour les jeunes créateurs,
professionnels ou amateurs (Mociones). Sous l’aile d’ Helena Braunštajn la
ligne de programmation repose sur l’expérimentation et la recherche autour
des liens affectifs et émotionnels que peuvent exister entre Casa Vecina et
le Centro Histórico : c’est le CH, les implications possibles avec son identité
changeante, qui guident le choix des projets et les artistes invités.
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la scène culturelle mexicaine, mais aussi d’une série d’artistes qui pour-
raient travailler autour de l’urbain, mais dont les oeuvres seraient dépour-
vues de tout contact immédiat avec la ville. Par ailleurs, d’un point de
vue pratique, nous avons en premier repéré les institutions culturelles
qui nous intéressaient dans chaque quartier, puis contacté les artistes
qui nous intéressaient. Ainsi, notre échantillon dépend en grande partie
des entités présentées plus haut : il est soumis tant aux conceptions de
l’art préconisées par chaque institution comme aux objectifs poursuivis
en termes de programmation, de public visé, de moyens économiques
et la place qu’elles occupent ou cherchent à avoir au sein du circuit d’art
contemporain de la ville.
De l’Illustration à l’incarnation du quotidien urbain.
Depuis la révolution industrielle, les arts ont fait de la ville un de leurs
sujets de prédilection. Qu’on lise Roberto Bolaño, José Emilio Pache-
co, Carlos Fuentes, Jack Kerouac, William Burroughs, Rafael Pérez Gay
; qu’on retrace les images cinématographiques du début du XXe siècle
jusqu’aux lms de réalisateurs contemporains tels qu’Alonso Ruiz Palacios
(Güeros, 2014) : la Ciudad de México n’est pas seulement représentée
et renouvelée sans cesse, mais il s’agit souvent d’un personnage à part
entière. Par ailleurs, le muralisme méxicain - dont Diego Rivera, José
Clemente Orozco et David Alfaro Siqueiros sont les représentants les
plus reconnus - a pour intention de représenter les mexicains dans leur
cadre de vie de manière publique et accessible pour tous, laissant ainsi
ses traces éparpillées dans la ville.
Pourtant, ce ne sont pas ces représentations là qui nous intér-
essent. Depuis les années 60, une série d’artistes s’éloigne de l’art mod-
erne - idéaliste, déconnecté du monde sous l’étendard “d’art pour l’art”
- pour s’intéresser à la “réalité brute” (Ardenne, 2002). Voilà qu’appa-
raîtra le concept d’ “art contextuel”, qui s’inspire du réalisme et va au-
delà de ses vecteurs traditionnels : sont but n’est pas celui d’illustrer
la réalité, mais de s’en emparer. Nous parlons d’une immersion dans
les terrains du concret, de l’immédiat, de la “vrai vie”. Cette immixtion
dans les sentiers du terrestre traduit une appropriation artistique de la
réalité qui rompt avec la séparation entre art et société. De même, l’art
contextuel met en crise le périmètre privilégié du musée car tant l’artiste
comme l’activité artistique sont déplacés “à l’espace de la réalité même”
(Ardenne, 2002). Ceci demande donc une réadaptation des moyens et
Lorsque l’on aborde le tandem culture - urbanisme, nous le faisons sou-
vent de manière dichotomique : soit la culture permet de faire des villesdes endroits plus “habitables” ou “humains”, soit elle sert de parure
pour rendre attractifs des megaprojets ou autres intérêts immobiliers.
Bien que notre formulation puisse paraître très caricaturale, elle résume
le débat autour des bienfaits ou méfaits de la culture tels perçus depuis
le champ des études urbaines. De fait, jusqu’ici, cet article ne prends en
compte que la dimension urbaine.
Cependant, la place de la culture dans la ville demande aussi
d’être comprise depuis les arts. Interrogé sur les artistes et la gentrica-
tion, Eduardo Acosta1 (voir box Academia de San Carlos) nous l’a résumé
ainsi: “nous sommes à la fois complices et victimes de la gentrication”
(Acosta, 2015). Cette idée a d’ailleurs été reprise par plusieurs de nos
interlocuteurs. Dès lors, nous avons ressenti le besoin de savoir si les
processus étudiés plus haut étaient source d’inspiration ou cible de cer-
taines manifestations artistiques, si les artistes réagissaient à leur tour
contre une instrumentalisation de la culture et d’eux-mêmes, si les in-
stitutions culturelles tentaient de combattre ses effets via leur program-
mation. Finalement, dans quelle mesure ces interventions culturelles
échappent-elles aux cloisonnements de l’art pour s’emparer de la réal-
ité? Sont-elles pertinentes en termes urbains? Si oui, comment?
Parce que les territoires de la culture sont multiples et ses mani-
festations diverses, nous avons uniquement ciblé des artistes et institu-
tions culturelles s’intéressant aux espaces publics. Cela s’est traduit par
une exclusion quasi-sistématique des secteurs les plus conservateurs de
1 Il est bien placé pour en parler, lui-même s’étant vu forcé de quitter le Centro Históri-co - il est né et a g randi dans le quartier de la Merced - car il ne pouvait plus payer sonloyer depuis que la z one a été réhabilitée et revalorisée par le secteur immobilier.
2. Sur comment les artistespourraient changer la ville
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intéressés aux sculptures, dont le style est assez précaire, ils n’ont pas
hésiter à nous imiter et prendre des photos.
Quant à SAC, leur objectif est clair : créer des contrastes dans
la ville et l’embellir. Leur travail est valorisé par le gouvernement, qui y
voit un outil potentiel de régénération sociale et urbaine pour réhabi-
liter l’image des quartiers marginalisés et engager la créativité d’une
jeunesse difcile. Cependant, selon le quartier, la concentration de mu-
rales peut réorienter les dynamiques ayant lieu dans celui-ci et inciter
les développeurs immobiliers à réhabiliter certains immeubles, au point
de devenir une excuse pour augmenter les loyers si la zone acquière de
la valeur en raison du street art. Si cette réexion fut élaborée par SAC
des méthodes créatives de l’artiste qui travaille en contexte réel. Cette
rupture avec les espaces traditionnels de l’art sont un premier facteur
expliquant la présence d’artistes dans les espaces publics.
La ville devient un espace pratique, “une réalité donnée mais
maléable, un chantier” (Ardenne, 2002) où l’artiste contourne le for -
malisme et en ce faisant il doit lui même remettre en jeu ces moyens
de faire, au même temps qu’il adopte un point de vue sur la ville et
comment y intervenir. Ainsi, les moyens de (re)façonner l’espace urbain,
d’introduire d’éléments et situations nouvelles, peuvent être diverses.
Ici, l’artiste s’implique dans le contexte où il travaille, se transformant en
acteur dont la position serait “activiste et critique (...) engagée, pertur -
batrice et vigilante” (Ardenne, 2002). Cette conception sociale de cet
“artiste contextuel” nous a permis de poser l’hypothèse d’un artiste-ac-
tiviste à la CDMX qui s’approprierait de la rue à des ns transgressivesan d’y apporter quelque chose, de l’améliorer, de visibiliser certains
aspects de la vie publique.
Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse, nous avons commencé
par contacter des artistes visuels. Nous nous sommes vus confrontés à
deux positionnements : d’une part les artistes en relation avec l’Académie
de San Carlos étaient dans leur ensemble assez politisés, alors que du
côté de Street Art Chilango cet aspect était moins clair.
Ceux du groupe de l’Academia de San Carlos ont une forma-
tion pratique autant que théorique et n’ont pas hésité à partager avec
nous leurs visions de ce que devrait être la ville, ainsi que toutes les
contradictions derrière le terme “art urbain” ou “art public”. Ils étaient
très informés et critiques vis-à-vis les transformations du CH et avaient
un discours clair par rapport à la “gentrication” et comment chacun
visait ou non à dialoguer avec ce processus urbain dans leur travail. Il
s’avère toutefois que, à l’exception de Pablo, leur travail est plus exposé
dans des musées ou centres culturels qu’en contact direct avec la rue.
Lors d’une visite au parc qui est devenu le domaine anonyme de Pablo,
celui-ci nous a montré ses sculptures, la plupart difciles à identier,
et sa façon express de procéder an de ne pas être arrêté. Plusieurs
des sculptures sont soit enlevées par la police, soit subissent les mêmes
risques que n’importe quel monument dans une place publique (voir
photo). Pourtant, à l’origine, ce n’est pas un intérêt envers le contexte
urbain qu’a poussé Pablo à intervenir les rues, mais une surproduction
artistique qui s’associait mal avec deux ou trois expositions par an dans
une galerie d’art. Finalement, la réaction des personnes après nous avoir
vu prendre des photos était aussi intéressante : s’ils ne s’étaient pas
Academia de San Carlos1
Eduardo Acosta et Pavel Ferrer sont enseignants au master en
arts visuels de l’Academia de San Carlos, l’école de Beaux Arts
de la UNAM ; Karla Hamilton et Pablo Concha y ont étudié. Nous
les avons tous rencontrés grâce à Eduardo, suite à une exposi -
tion en commun qu’ils organisaient autour de la ville au Museo Ex
Teresa Arte Actual au CH. Chacun travaille de manière indépen-
dante, mais leurs créations ont en commun l’intérêt pour la ville
et le dialogue avec l’urbain. Eduardo n’a pas tardé à nous parlé
sur la “gentrication” du CH, ses photographies et fanzines ayant
pour intention de faire face à la “gentrication”, non simplement
à s’y opposer et résister, mais à interagir avec les changements
qu’elle suppose. Un des projets photographiques de Karla Ham-
ilton, El Bulto, porte sur l’incendie ayant secoué La Merced en
2014, un marché populaire et emblématique de la CDMX. Elle
associe cet incident avec le projet de réhabilitation du quartier,
qui vise à faire du marché un site gourmet. Elle a, d’ailleurs, un
projet intitulé Gentricación. Pour sa part, Pablo Concha, sculp -teur chilien, sème des sculptures anonymes dans le parc Ramón
López Velarde à Roma Sur. Il échange aussi avec les gardiens de
voitures des pierres contre ses sculptures : ainsi, lorsque quelqu’un
cherche une place de parking dans les rues où Pablo est passé, il
ne trouvera point un bout de bois ou une cuvette lui indiquant que
la place est réservée, mais une étrange sculpture.
1 Par souci de brièveté nous pouvons pas développer en profondeursles différents projets de chacun de ces artistes. Voici leur site web respec-tifs où vous trouverez plus d’informations. Eduardo Acosta : http://blogs.fad.unam.mx/asignatura/eduardo_acosta/ - Karla Hamilton : http://kar -lahamilton.portfoliobox.io/ - Pablo Concha : http://pabloconcha.com/ (son travail autour des déchets est très intéressant).
Monomento, le jour de l’inaugurationet Monomento après quelques jours.Jardín Ramón López Velarde,quartier Roma Sur, CDMX.Source : Pablo Concha.
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premier groupe, qui d’ailleurs opère de manière informelle sur la voie
publique alors que SAC suit des démarches légales. Bien que certains
street artistes transmettent un message politique ou social dans leursmurales , nous n’avons pas repéré chez SAC, à la fois artistes et promo-
teurs culturels, une vision sur la problématique spatiale outre qu’embellir
la ville. Ainsi, notre hypothèse d’un artiste-activiste engagé porteur d’un
projet non seulement artistique, mais urbain, ne fut pas tout à fait validée
lors de ces premières rencontres.
Des projets scéniques en interaction avec l’urbain
Les artistes provenant
de l’Academia de San Carlosont afrmé clairement une ré-
sistance face à différents pro-
cessus urbains, mais celle-ci ne
se traduisant pas directement
sur l’espace public nous nous
sommes éloignés des arts vi-
suels pour nous intéresser aux
arts vivants. Il existe plusieurs
projets d’arts de la scène
qu’explorent la ville et l’es-
pace public à la CDMX sous
l’étendard de l’art expandido.
Littérature expandida, théâtre
expandido, danse expandida,
cinéma expandido. En anglais
expanded, champ élargi en
français, ce terme en vogueà la CDMX n’est pas facile à
dénir et englobe un diversité
de réalités artistiques.
Il partage avec l’art
contextuel son caractère
post-autonome, cette volonté
de s’éloigner du formalisme
pour explorer d’autres modes
de création. Dans le cas du
¿Quién es el habitante de la casa?Pièce scénique qui s’échappe des édices théâtraux pour
proposer une “ballade urbaine” dans les rues de San -
ta María la Ribera. Flâneurs potentiels, les participants
sont cependant accompagnés d’une audio-guide qui les
plonge dans un parcours déni à l’avance par Diana Car -
dona et Gabriel Yépez. Cette dérive invite à s’arrêter dans
des espaces connus et transités, à s’attarder un instant
devant des immeubles souvent ignorés, explorant ain-
si les multiples réactions que peuvent advenir lorsqu’on
habite un espace. Expérience sensible à travers les ves-
tiges de l’espace urbain, celui-ci se transforme en un
mélange d’histoires, ressentis et images qui permettent à
chacun de dessiner un nouvel paysage, le sien. Ce projet
s’inspire d’un autre parcours conçu pour le Centro Históri-
co en partenariat avec le Centro Cultural España en 2013.
L’un et l’autre proposent une mise en relation entre lesindividus et les temporalités entrelacées d’un e space, son
passé, son présent et son futur. C’est, en n de compte,
une approche relationnelle avec l’Histoire et l’architecture
d’un lieu, une enquête sur ce qu’il y a de vivant et d’af-
fectif en lui. Rencontrer Diana et Gabriel nous a permis de
découvrir une manifestation artistique qui s’éloigne des
activités de l’artiste-activiste, mais qui propose une mise
en relation esthétique et personnelle entre les individus et
la ville, invitant à s’en approprier de celle-ci.
pendant notre rencontre, ils n’ont
pas partagé un avis critique sur la
question. Par ailleurs, l’élément
clé pour comprendre la politique
du street art est le promoteur cul-
turel et non pas l’artiste. En effet,
ces derniers négocient avec la
mairie, se procurent du matériel
et invitent les artistes. La con-
currence entre promoteurs à la
CDMX est forte, et c’est paradox-
al en ce qu’elle reproduit l’esprit
des galeries que le street art est
censé trascender. De plus, cetteconcurrence ne devrait cesser
de croître : si le gouvernement
soutient le street art, il contrôle
énormément l’espace public, sur-
tout au CH, rendant difcile l’ac-
cès aux murs sous sa tutelle et in-
tensiant la rivalité pour accéder
aux murs privés.
Par conséquent, si ces deux
groupes d’artistes font de la ville
une composante centrale de leur
activité, leur façon de l’aborder
diffère. La pratique artistique
d’Eduardo, Pavel, Karla et Pablo
repose sur un savoir théorique et
s’accompagne d’une vision poli-
tique, en accord avec l’idée d’unartiste-activiste. Cependant, nous
n’avons pas pu évaluer jusqu’à
quel point leur travail cherche à
transformer la ville de manière
concrète, Pablo étant le seul à
intervenir sur l’espace public. Au
contraire, SAC travaille directe-
ment avec l’infrastructure urbaine
et les effets de leur travail sont
bien plus visibles que ceux du
reet Art Chilango
p://www.streetartchilango.com/
2013, Jenaro de Rosenzweig et Alejandro Revilla
cent Street Art Chilango (SAC), une des sept or-
nisations qui promeuvent le street art à la CDMX.
ntrairement du grafti, cette pratique est légale, les
istes sont des professionnels et le public est assez
ceptif de leur travail. Ce qui le rend différent du mu-
ismo mexicain est la visibilité obtenue grâce aux ré -
aux sociaux. D’ailleurs, les festivals de street art sont
mbreux et le tourisme se développe autour de cette
tivité. En effet, nous avons interviewé Jenaro pendant
tour de SAC au CH. Par ailleurs, si le street art est
uvent connu pour son caractère public, il s’avère que
usieurs des murs qui hébergent les fresques de SACnt privés. Ce brouillage entre propriété “publique”
“privée” invite à s’interroger sur ce qu’il y a vraiment
“public” dans cette pratique. Au-delà de street art
naro parle “d’expressions visuelles urbaines”, l’outil
base pour le peuple pour s’exprimer, accessible à
us. Pour lui, le street art est le point d’union entre
habitants, la police et l’espace privé/public. C’est
blic parce que tous les citadins peuvent apprécier
mural : Jenaro défend que la rue est de tous, pour
us, for free.
Art urbain. Parking, Centro Histórico, CDMX.Source : Alberto García Picazo.
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tant que citoyens mexicains. La situation critique du pays, où disparitions
et assassinats rythment le quotidien des individus donne forme à plu-
sieurs initiatives artistiques, du cinéma jusqu’au théâtre documentaire.
Parmi les propositions artistiques qui choisissent sortir à la rue,
nous retrouvons des initiatives telles que celles de Diana Cardona, Ga-
briel Yépez ou Aristeo Mora à Santa María la Ribera, et d’autres qui se
trouvent à la croisée de l’artistique, du social et de l’urbain. Cela ne veut
pas dire pour autant qu’elles aient tous des effets positifs, du moins à
nous yeux. Par exemple, un pièce devenue très populaire à la CDMX
est Safari en Tepito2 de Daniel Giménez Cacho, acteur et directeur de
théâtre et de cinéma assez connu au Mexique. Tepito est un quartier du
CH considéré comme un des endroits les plus dangereux de la ville. Sa-
fari en Tepito vise à démystier cette zone et invite aux citadins qui n’os-
ent pas y mettre les pieds à découvrir ses rues et ses personnages, sonvisage humain. Il s’agit d’un projet avec un objectif clair - s’approcher de
l’autre - et qui est étroitement lié à un lieu emblématique de la ville, mais
2 Voici une courte vidéo (en espagnol) autour du projet où vous pourrez apprécierle quartier et le discours promu par le metter en scène : https://www.youtube.com/watch?v=3IyCHgCb-EU
théâtre, par exemple, il s’agit d’une lignée post-dramatique en quête de
nouveaux moyens de représentation. Mais à différence de l’art contextu-
el qui place l’artiste au coeur du processus artistique, ici c’est toute une
discipline qui se dissout, qui s’élargit par rapport aux codes du musée
ou de la boîte noire. En ce sens, les projecteurs ne sont plus sur l’artiste
ou le créateur, mais sur l’ensemble des dispositifs dont dispose une
discipline, ses moyens de production. La confrontation avec une réal-
ité étrangère à celle du théâtre suppose des nouveaux moyens d’action
autant qu’une contamination avec d’autres disciplines, soient-elles artis-
tiques, ou provenant des sciences sociales, comme l’ethnographie ou
l’anthropologie. De fait, nous retrouvons ce caractère multidisciplinaire
sur les deux projets étudiés chez El Museo del Chopo.
Toutefois, pour com-
prendre cette tendance, il estnécessaire d’aller au-delà de
la théorie de l’art et s’intéress-
er au contexte socio-politique
du Mexique contemporain. Le
pays connaît une situation de
violence chronique depuis que
l’ex-président Felipe Calderón
déclara la guerre contre le
narcotraque en 2006. Pour
Rubén Ortíz, chercheur du
Centro de Investigación Te-
atral Rodolfo Usigli (CITRU),
il est aujourd’hui difcile de
séparer l’art de la vie quoti-
dienne, encore plus lorsqu’il
s’agit de représenter une réal-
ité aussi violente. Ainsi, si une
nouvelle génération d’artistes
mexicains recherchaient dès
les années 2000 de nouveaux
moyens de production artis-
tique, plusieurs se posent à
présent la question du con-
tenu et de la forme du fait
scénique en vue du contexte
dans lequel ils s’inscrivent en
os Encuentros Secretosristeo Mora, membre de La Compañia Opcional, met
n place Los Encuentros Secretos (2014), une pièce de
éâtre expandido qui se veut aussi une stratégie d’inter -
ention urbaine. Pour explorer et matérialiser la sensa-
on de déracinement qui leur inspirait le centre-ville de
uadalajara, La Compañía Opcional offrait aux habitants
e la ville des postales pour qu’ils partagent une expéri-
nce à ce sujet. À partir de ce matériel, ils ont crée une
èce scénique et une “Carte du Déracinement” avec
us les endroits qu’ils ont pu recueillir. Ces derniers ont
é parcourus lors des représentations de la pièce et sont
ccessibles à tous grâce à une audio-guide. En 2015 la
ompagnie a fait une résidence de 3 mois au Museo del
hopo et a mis en oeuvre les Encuentros Secretos en col-
boration avec les habitants de Santa María la Ribera.
e projet tente donc de créer de nouveaux liens entrepièce - spectateur” en plaçant la réalité des participants
u centre du processus de création, à la fois qu’il tente
e générer un dialogue entre les citoyens et leur milieu.
n ce sens, il permet de diagnostiquer une série de prob-
matiques urbaines relatives à un espace. Reste la ques-
on de l’impact à long terme de ce projet. Ses obser-
tions se matérialisent-elles ou restent-elles dans l’ordre
e l’affectif et de l’éphèmere? Incitent-elles à des actions
baines concrètes?
Théâtre de l’époque du Porriato, Santa María la Ribera, CDMX.Arrêt de ¿Quién es el habitante de la casa?Source : Alberto García Picazo.
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cadre déterminé d’un projet artistique, comme par exemple celui d’En-
cuentros Secretos, qui ne s’inscrit pas de manière permanente à Santa
María la Ribera. Les liens qui se tissent sont affectifs, mais difcilement
mesurables. Ainsi, de tels projets peuvent transformer des espaces et
des relations via l’art et la culture, mais les implications sociales et ur-
baines sur le long terme restent incertaines.
Des projets à la croisée de l’art comme moyen d’expérimentation etde l’action gouvernementale
Le potentiel urbain des initiatives artistiques est de fait difcile à saisir et
l’hypothèse d’un artiste-activiste ne saurait être validée dans le contexte
de notre travail. Cependant, nous avons trouvé deux initiatives où l’artprésente un potentiel solide pour l’avenir de la gestion sociale et urbaine
de la CDMX. L’une provient de Nerivela et l’autre du Laboratorio Para la
Ciudad (LABCD)3.
Unité expérimentale de l’Agence de gestion urbaine de la CDMX,
le LABCD a pour intention d’organiser des rencontres entre les acteurs
de l’urbain, soit-ils institutionnels, professionnels indépendants, citoyens
ou artistes. L’objectif est de trouver des solutions innovantes aux prob-
lèmes de la ville tant pour la conception de plans et outils formels, com-
me dans une dimension plus participative, citoyenne et informelle. Parmi
leurs départements se trouvent celui de ville créative et ville ludique,
ouverts à l’interaction avec l’art, le design et la culture. S’il s’agit d’une
unité gouvernementale récente, donc encore fragile, leur position de
“co-création” de la ville et d’intérêt envers l’espace public laisse espérer
des collaborations futures avec des groupes semblables à Nerivela, ou
avec des projets artistiques comme ceux de Diana Cardona, Gabriel
Yépez et Aristeo Mora.
En effet, il y a une convergence entre les intérêts de Nerivela et
du LABCD. Les deux s’intéressent aux allocations du budget participatif
de la CDMX, même s’ils ne coopèrent pas entre eux et qu’ils procèdent
différemment. Cependant, l’identication de préoccupations communes
pourrait les amener à collaborer, surtout que Nerivela ne refuse point le
travail ponctuel avec le gouvernement. Au sein de ces deux groupes,
l’art abandonne entièrement sa vocation purement ou majoritairement
artistique - ce qui n’est pas le cas pour les autres projets étayés plus
haut - pour devenir un outil, un moyen, un champ d’expérimentation
3 Voici leur site, disponible en anglais : http://labcd.mx/
qui comporte un caractère colonialiste évident (cf. “safari”). Pour bien
intentionné qu’il soit, nous considérons qu’il reproduit les barrières qu’il
prétend dériver en rendant exotique la vie du barrio bravo de la CDMX.
Ce n’est, d’ailleurs, qu’un autre exemple de touristication, mais ici non
seulement d’un espace mais d’un mode de vie.
Indépendamment de nos critiques, l’ensemble des projets évo-
qués sont intéressants car ils ne peuvent qu’interagir avec la ville et
son quotidien. C’est aussi le cas pour les oeuvres des artistes visuels, à
l’exception que celles-ci sont statiques, inertes, alors que la dimension
spatio-temporelle, vivante, des projets scéniques suppose un autre type
d’interaction. Parce que l’espace publique n’est pas, à l’origine, l’espace
de l’art, le contact avec le tissu et activités urbaines n’est pas dépourvu
d’accidents. Dans le cas des dispositifs scéniques, l’objet n’importe plus,
c’est la mise en relationentre comédiens, pub-
lic, passants, activi-
tés et régulations for-
melles ou informelles
présentes dans un lieu
donné à un instant
précis qui compte.
Cette négociation est
à la fois nécessaire et
éphémère. Ainsi, le po-
tentiel de ces projets
réside en leur capacité
à faire d’un espace ob-
jectif, planié, codié,
un espace relationnel,
à créer de nouvelles
scènes quotidiennes.
Le dialogue qu’ils
entament avec l’envi-
ronnement dans lequel
ils s’inscrivent intensie
temporellement les in-
teractions dans un espace. Ces rencontrent peuvent à leur tour débouch-
er sur des liens de longue durée entre membres d’une communauté ou
entre des individus et un espace. Cependant, la limite de ces projets
réside aussi dans leur caractère éphèmere. Les rencontres se font dans le
erivela
rivela est une plateforme d’investigation pluridisciplinaire dont
but est d’explorer de manière alternative les problématiques du
onde contemporain. Ses membres sont des artistes, managers
turels, urbanistes et philosophes : tout prol est le bienvenu.
groupe agit en dehors du marché de l’art, donc leurs pratiques
istiques ne sont pas sujettes à des besoins économiques et ser-
nt de medium experimental pour rééchir sur des probléma-
ues sociales plus larges. À présent ils cherchent à avoir une in-
ence dans la ville et pour ce faire il travaillent dans certains
artiers de la CDMX, parmi lesquels Santa María la Ribera, et
ec des associations déjà actives sur le territoire. En effet, leur
jectif est celui de rendre visible des dynamiques existantes et
opres aux quartiers, tout en proposant de nouveaux outils pour
ré-articulation de la vie quotidienne et la création d’espaces de
exion critique. Leur fonction étant celle de médiateurs, ils seitent à “activer” des dispositifs relationnels au sein d’une com-
nauté et entre divers acteurs (dont des institutions culturelles),
ns affectifs qu’ils ne prétendent pas encadrer et qui s’entretien-
nt par eux-mêmes.
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Cet article a présenté un regard transversal sur le rôle de la culture dans
les dynamiques urbaines de la CDMX à partir de l’étude de trois zones
de la délégation Cuauhtémoc. Une première partie descriptive a misen contexte quelques enjeux culturels dans la gestion de la ville à une
échelle macro, étudiés sous le prisme de la “gentrication” dans un
cadre non anglo-saxon. Une deuxième partie s’éloigne des chantiers de
l’urbanisme pour aborder la ville depuis une perspective artistique. Elle
reprend des projets culturels ayant lieu dans les zones géographiques
présentées dans la première partie pour explorer à une échelle micro le
rôle potentiel de l’art dans les espaces avec lesquels il dialogue.
L’objectif de départ était celui d’observer dans quelle mesure les
artistes, dans leur pratique professionnelle, participaient au processus
de “gentrication” ou, au contraire, résistaient face à l’instrumentalisa-
tion de la culture dans celui-ci. Dans cette optique, nous avons présenté
l’hypothèse d’un artiste-activiste politisé qui agirait consciemment soit
en faveur, soit contre la “gentrication”, mais telle hypothèse s’est vue
invalidée au cours de nous entretiens. L’ensemble des acteurs culturels
rencontrés n’ont pas hésité à évoquer le sujet, mais seulement quelques
uns travaillent en relation avec ce phénomène urbain. Les artistes plas-tiques de l’Academia de San Carlos entretiennent un dialogue critique
avec la “gentrication” et veulent y résister. La méthode de travail des
Encuentros Secretos d’Aristeo Mora et la Compañía Opcional permet
d’établir un diagnostique urbain de Santa María la Ribera. Bien qu’elle ne
soit pas exhaustive, leur cartographie du déracinement de Santa María
invite aux habitants à s’exprimer sur le sujet s’ils le désirent. Nerivela,
par le biais des espaces de réexion qu’il anime avec des organisations
locales et résidents actifs de différents quartiers de la capitale est plus
enclin à travailler avec des problématiques en relation avec les processus
de “gentrication” et à les explorer en profondeur.
Conclusion
pour rééchir sur des thématiques d’ordre urbain et social. Son potentiel
critique, réexif et affectif se voit alors, selon nous, multiplié et devient
le catalyseur de possibles processus sociaux ayant à leur tour des effets
sur l’espace urbain.
Nous nirons donc par mettre en valeur la dimension relationnelle
du milieu artistique et urbain à la CDMX. Bien que nous ayons vu que les
manifestations artistiques répondent à des intérêts différents, qu’elles
impliquent des disciplines différentes et des acteurs différents, le tout
est interconnecté. Par exemple, le travail de Pablo Concha, de SAC,
d’Aristeo Mora, de Daniel Giménez Cacho et de Nerivela n’auront pas le
même impact car ils ne recherchent pas les mêmes objectifs. Parfois, les
artistes eux-mêmes ne savent pas ce qu’ils recherchent et c’est pendant
le processus de travail que le lien avec l’urbain d’intensie. Cependant,
parce que le milieu de l’art et de la culture à la CDMX est assez dense etconnecté, nous avons pu identier des liens entres tous ces acteurs. Cette
interdépendance facilite l’émergence de projets multidisciplinaires. De
plus, l’intérêt effectif des acteurs culturels envers l’urbain et l’existence
d’initiatives gouvernementales favorables au dialogue entre les arts et
la ville, dessinent un avenir intéressant pour de nouvelles dynamiques
culturelles qui pourraient non seulement animer et habiter les espaces
de la CDMX, comme c’est déjà le cas, mais proposer des solutions alter-
natives pour les transformer. Le lien avec la “gentrication” repose sur le
fait qu’elles pourront toujours favoriser ou amorcer ce processus, comme
le contrer. Voilà pourquoi la coopération entre acteurs doit toujours être
abordée de manière critique.
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Toutefois, si nous n’avons pas trouvé une réponse satisfaisante
pour notre hypothèse de départ, nous avons découvert différents moy-
ens à travers lesquels la pratique artistique s’associe aux dynamiques
urbaines. Les arts plastiques et le street art ont une incidence directe
sur la dimension physique d’un espace, les transformant de fait et ren-
dant possible de nouvelles interactions avec celui-ci. Les arts du vivant,
lorsqu’ils abandonnent l’édice théâtral, dialoguent avec des espaces
poreux, politiques, présentant leur propre temporalité. Cette rencontre
peut donner lieu à une transformation sensible de l’espace, à la création
de nouvelles relations et liens affectifs entre individus. Les arts du vivant
ont la capacité à nous faire habiter un espace sous un angle méconnu,
de l’explorer au-delà de son caractère physique, mais cette animation
est difcile à capsuler en ce qu’elle est éphémère. S’éloignant du milieu
artistique mais faisant de l’art un outil de prédilection pour l’étude desréalités urbaines, Nerivela et le LABCD proposent, d’une perspective ci-
toyenne dans le premier cas et d’une perspective institutionnelle dans le
deuxième, des alternatives aux moyens classiques d’approcher les prob-
lèmes de la CDMX.
Par conséquent, les manifestations à l’échelle d’une rue ou d’un
quartier ont à leur tour un impact sur le rôle de la culture à l’échelle ur -
baine et peuvent contester les tendances générales telle que l’instrumen-
talisation de la culture dans certains projets d’urbanisme à la CDMX. Fin-
alement, les relations entre acteurs culturels sont extra-territoriales, leurs
liens et actions ne s’inscrivant pas uniquement dans les périmètres du
CH, de Roma et Condesa ou de Santa María la Ribera, mais au sein d’un
circuit culturel plus large. Si nous ne pouvons point conclure de manière
exhaustive (ou normative) sur la multiplicité des contextes urbains et le
rôle qu’y joue le milieu artistique, nous pouvons afrmer que la culture
connaît un poids considérable dans la planication de la CDMX : elle
s’y voit instrumentalisée, mais les initiatives culturelles permettent aussi
de congurer de nouveaux paysages urbains en mettant en relation des
projets et individus éparpillés sur le territoire. Nous pouvons dépasser
l’analyse dichotomique du rôle des acteurs culturels qui les diviser soit
à faveur ou contre les processus de “gentrication” pour présenter une
constellation plus hétérogène, plus complexe, où institutions, pratiques
artistiques et territoires s’entrelacent et produisent la ville.
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