SophieAuger
NightofSecrets
Intégrale&Bonus
NishaEditions
Copyrightcouverture:IrynaKalchenkoISBN978-2-37413-491-8
Havefun!
@NishaEditions
NishaEditions
NishaÉditions&SophieAuger
NishaEditions
www.nishaeditions.com
ÀPaprikaduMadÀGenève…
Àl’amour…
Mais,jeneveuxpasqueçasoitparfait.Jeveuxquetum’annoncesquetuasloupétontrain,ouquejetedisequemesparentsnet’aimentpas.Jeveuxqu’oncriedanslaruelorsqu’ons'engueule,tardlesoir,quandnosbouteillesontétévidées.Jeveuxqu’onseréconciliebêtement,quetuviennesmechercherdanslanuitetqu’onparteàlaplage.Jeveuxqu’onsoitcommechienetchat,jene
veuxpasqu'onsedise«jet’aime».Jeveuxvivreputainetjeveuxquetum’accompagnesdansmesfolies.
Lespiquressaines,AurélieTroquier
1-Premierregard
Cologny,samedi3mai2014
Quatorzeheures,leréveilsonneetrésonnedansmoncrâneendolori.Jemeretournedansmonlitpouréteindrecettesaletédetéléphone.Jetendslebrasendirectiondematabledechevetavantderéaliserqu’uncorpsm’enbloquel’accès.Jemedécideàouvrirunœil:unegranderoussedortpaisiblementaumilieudemesdrapsensoie.Jedoisfaireuneffortsurhumainpourmerappelerd’oùellesort.
Petiterétrospectivedemasoiréedelaveille:fêtedanslavillad’unami,musique,alcool,voituredeluxe, débauche, piscine à débordement, rousse chaussée de Louboutin, pelotage dans la cuisine,maindanslejeansdansmaMiniCooperetpourfinirchevauchéesurmoncanapé.Unsamedisoirordinaire,ensomme.Sijemesouviensbien,sonpetitnomc’estAnne-Lise,ouAnne-Louise,jenesaisplus.Enfin,cen’estpascommesiçaavaitunegrandeimportance.
Jem’appelleCharlesDumontetjesuissûrementleplusgrosfêtarddelajeunessedoréegenevoise.Jen’ainirègles,nilimites,niremords.Jeviensencoredepasserlanuitavecunefilledifférente,ramenéed’une de ces soirées branchées où je passe tousmesweek-ends. J’ai vingt-quatre ans, un compte enbanqueavecunpaquetdezérogrâceàmon«cher»papaetauxentreprisesDumont.Jesuislegenredemecs qui se fait bouffer dans lamain par toutes les nanas de la Terre et qui ne se gêne pas pour enprofiter. Je suis arrogant, sûr de moi, et en plus d’être affreusement riche, je suis terriblement beau.Appelonsunchatunchat,jenevaispasdevenirmodesteenunclaquementdedoigts:oui,lesféessesontpenchéessurmonberceau.C’estainsi…Demamèreitalienne,j’aihéritédescheveuxnoircorbeauetdegrandsyeuxenamande,vertscomme le jade.Demonautregéniteur, lacarrure imposantedespaysdel’Est (unevagueoriginede l’aristocratie russe). Jemesureunbonmètrequatre-vingt-dix et comme jesuis,malgré tousmes excès, un adepte de la course à pieds et de l’escalade, j’ai un corps taillé à laperfection.Bref,j’aitoutpourmoi,cen’estpaspluscompliqué.
Enattendant,jesuisréveilléetjenesupportepasdesentirquelqu’und’autreàmescôtés.Jetournesurmoi-mêmeensoupirantassezfortpourquelademoiselleseréveilleetcomprennelemessage.Jetournelacouettedans tous lessensetenvoievalser toutes lesconneriesposéessurma tabledechevet.Petitcoupd’œil:riendecassé,justeuncadrephotodetombé.Jel’attrapeetsourisdevantcelle-ci.C’estunvieuxclichédemasœuretmoi, ilyaquelquesannées…Gabie.Monpetitmonstre.Etc’est làque jeréalise.Ohpurée!Cen’estpasvrai!Commentest-cequej’aipuoublierça…Ohbordel,ellevametuer.Jeluiaipromisd’allerlavoiràsacompétitiondeponeys.Jedétestecesfoutusanimauxquipuentetqui sontassezconspourse laissermonterdessuspardeshumains,alorsqu’ilspourraient lesanéantird’uncoupdesabot.Maisbon,jesuisincapablededirenonàGabie…Duhautdesesdouzeans,c’estlaseulefilleàavoirl’ascendantsurmoi.
Je sors demon lit king-size,mes pieds s’enfonçant dans l’imposant et épais tapis, et récupère desvêtements qui traînent sur le parquet de ma chambre. J’habite chez mes parents mais j’ai ma propredépendance dans la propriété. Un appartement rien qu’àmoi avec entrée à part pour une tranquillité
absolue.De toute façon, ils ne sont jamais là, je pourrais bien vivre aumilieu de leur salon si je levoulais.Lamaisonestimmense,inutiledelepréciser.Dansunstyletrèsmoderne,typiqueduquartieroùnous résidons :Cologny.Plusieurs chambres, plusieurs sallesdebains et unebâtisse à l’arrière, justeaprèslapiscinecouverteetlasalledesport.C’estlàquej’aiprismesquartiers.Enpleincœurd’undesarrondissements les plus chers aumonde, j’ai pour voisin le P.-D.G deTotal et quelques princes desémiratsarabes.Ilestclairquecen’estpasiciquejerisquedemefaireagresserlesoirenrentrant.
Jetourneenronddansmachambre.Jenetrouvepasdecaleçon.Plusaucun.Lafemmedeménageneveutplusrentrerdansmesappartementsdepuisqu’ellem’asurprislemoisdernier,nusurmaterrasse,une jolieblondeàgenouxàmespieds.Ellenemerapporteplusmon lingede labuanderie. Je fouilledanslesimmensesplacardsblancsdemondressingetretournelamoitiédel’endroit.Çayest, j’aicequ’ilmefaut!Jesuissauvé!JebousculeAnne-Biduletoutenenfilantmonboxer.Elleouvreunœilavantdem’offrirunsouriredespluscoquins.L’espaced’uneseconde, j’hésiteà remettre lecouvertmais jesuis déjà bien trop en retard. Je ne peux pas faire ça à Gabie. C’est la femme dema vie. La seule.L’unique.Etsijenesuispasuntypeexemplaire–loindelà,même–,j’essaied’êtreunfrèreàlahauteur.Onnepeutpastoutavoir.Maisavoirmasœurmesuffitamplement.J’invitedonclarousseàlabouchededéesseàquitterleslieuxillicoetonnepeutpasdirequ’elleapprécie.
–Mais…jeviensàpeinedemeréveiller,minaude-t-elleenretirantledrap,tentantdemeprovoquerdanssonpetitshortyendentelle.–Ça,cen’estpasmonsouci,magrande.Maréponseneluiplaîtpasetellegrimaceenretour.Maisheureusement,ellecomprendtrèsviteque
çanesertàriend’insister.Ellesaitquijesuisetcommentjefonctionne.Enfait,touteslesplusbellesgarcesdelavillelesavent.Jesuisuneforteresseimprenable.Pasd’attache,pasdesentiment.Pourmoi,lavieserésumeàêtrelibre,fairelafête,claqueruntasdebléetrecommencer;etainsidesuite.
Jemeglissedansmon jeansquimouleparfaitementmonderrièrededieugrec tandisquemoncoupd’unsoirquitteleslieux.Unpetitpologrispassepartout,unpeud’eausurmonvisage,unbrossagededentsantihaleinegueuledeboisetmevoilàprêt.Ray-Ban,mocassinsHermès,blackcardetclefsdemonbolide,jem’emparedemesderniersindispensablesavantdeclaquerlaporte.
Enroutepourlesécuriesdejenesaisplusquoi.
***
ÉcuriesdelaPallanterie,Genève,15h00
Note àmoi-mêmepour la prochaine fois que je viensdansun endroit pareil : lesmocassins sont àproscrire.Jesuisaumilieudelapoussière,despoilsdecanasson,dusableetdescrottins.Jesensquel’odeur va me poursuivre pendant plusieurs jours et que je vais moyennement apprécier. Je cherchedésespérémentGabie aumilieu de la foule et en profite pourme rincer l’œil sur les jolis petits culsmoulés dans des pantalons blancs qui se baladent sous mon nez. Planté devant l’entrée de la partie
réservée aux cavaliers, ilme suffit d’un simple sourire pour que la greluche de la sécuritéme laisseentrer. La franginem’avait bien parlé d’une histoire de badge que je devais récupérer,mais çam’estcomplètementsortidel’esprit.
Dans la grande allée qui sépare les différents boxes, les gens s’agitent, s’énervent. Ce sontapparemmentdesboxesdémontablesmisenplacepour lescavaliersde l’extérieur.L’équitationestunsacré business. Il faut voir lematos que toutes lesminettes autour demoi se trimbalent. Les pauvrescanassons me font presque de la peine. S’intéressent-ils vraiment, eux, à toutes ces conneries ? Ilsseraientbienmieuxdansunpréàbrouterdel’herbeetprofiterdusoleil.
Enfinbref,passons,j’aidéjàbienassezàfairedemapersonne,jenevaispascommenceràmefairedusoucipourdesanimaux.Alorsquejecommenceàtournerenrondetàm’agacerparcequeGabienerépondàaucundemesappels,jesuisprojetéenavantparquelquechosequisejettedansmondos.Jemanquedeperdrel’équilibreetcommenceàpester,prêtàincendierlapersonneenfaute,quandjeréaliseque ce n’est nulle autre queGabie. Ses petitesmains s’enroulent autour demon cou et son doux rirerésonnedansmesoreilles.
–Charlllliiiiiie,tuesvenu!crie-t-ellegaiement.
La joiequi s’empare instantanémentd’ellegalvanisemonego.Elle se laisseglisser le longdemoncorpsavantdeseplanterdevantmoi,touteexcitée.
–Jenesuispasencorepassée!Tuvaspouvoirmeregarder!
Elletapedanssesmainstoutensautillant.J’observesesgrandsyeuxvertssemblablesauxmiensetsesbouclettes foncées cachées sous son casque. Elle est encore si jeune, si innocente.Avec son petit airmutinellemefaitpenseràunepoupée.Mapoupée.
–Tuveuxvoirmonponey?
Elletiresurmamainenm’entraînantdevantelle.
–Jecroisquejen’aipaslechoix…
Je suis forcé d’accélérer le pas derrière elle, slalomant au milieu de toute l’agitation del’environnement.
–Levoilà!s’exalte-t-elle.
Gabies’arrêtedevantunboxàladevanturerecouverted’accessoiresdontjeneconnaispasl’utilité,maisdontlacouleurnelaisseaucundoutesursapropriétaire:tout,absolumenttout,estrose.
–Charlie,jeteprésenteCarotte,Carotte,voicimonfrèreCharlie.Soisgentilavecluietnelemordspas,Carotte,luiindique-t-elletrèssérieusement.
Jelèvelesyeuxaucieldevanttantdeniaiseries,maisjenefaisaucuncommentairepournepasblessermaprincesse.JeprendssurmoietmetournedoncverslefameuxCarotte.Quandjebaisseleregard,jeprendspresquepeur.Sansy aller parquatre chemins, il est tout simplementhorrible.Court surpattesavecunventreénormeetdescrinscrépustouthérissés.Sansparlerdelacouleur,uneespècedeblancgrisquitiresurlebrunàl’arrière.
–Tupeuxlecaresser,situveux,mesuggère-t-elle.
Elleouvrelaporteetm’indiquelemonstred’unpetitgestedelatête.
–Hum…Çaira,Gabie,jet’assure.
J’essaiedenepasprendreunairtropdégouté,maisjesuisremonté.Commentmesparentspeuvent-ilslaissermasœurmontercetrucalorsqu’ilsontassezdefricpourrachetertoutel’écurie?Çanevapassepasser commeça, s’il le faut, c’estmoiquivais lui acheter sonbourrin. Il nedoitmêmepaspouvoirenjamberlamarchedesonbox.
–Jedoismepréparer,monépreuvevientdecommencer.Jeseraisurlagrandecarrièred’iciquaranteminutes,tun’asqu’àallerboireunverreetm’attendrelà-bas.
Jelafixe,necomprenantrienàsoncharabiaalorsqu’ellem’indiqueunedirectionduboutdesdoigts.Jenefaisaucuncommentaire.Jeneveuxpaslastresser:c’estsonpremierconcoursetnosparentsnesesontmêmepasdéplacéspourl’occasion…Ilsnesontsûrementmêmepasaucourant,ayantzappéçaduboutdesdoigtssurleplanningdeleurssmartphonesderniercri.Encoreunefois,jeprendssurmoipournepasêtre troppénible.Gabiecommenceàdéballer toutsonattirailpourbrosser le tasdepoilset jel’abandonneaprèsluiavoirdonnéunepetitetapesursoncasqueenluisouhaitantbonnechance.
Jevadrouilleentâchantd’épargnermeschaussuresettrouveenfinlebar.Jemecommandeunebièreenessayantdecomprendreàquelendroitjesuiscensémerendrepourvoirmapetitesœurpasser.Jefinispardemanderàunedes serveuses :unegrandebruneà lapeauhâlée.Elle rigoledevantmon flagrantmanquedeconnaissanceetj’enprofitepourluifairemonnumérohabituel.
Unedemi-heureetdeuxbièresplustard,Sandie,laserveuse,adéjàproposédemeretrouveraprèsleparcours dema sœur.Satisfait, je vaism’installer confortablement le longdes barrières après l’avoirgratifiéed’unpetitclind’œilexplicite.
J’arriveàmeglisseràuneplacestratégiqueetobservelapistedevantmoi.Masœurestarrêtéedans
uncoin.Jelareconnaisimmédiatement.D’abordgrâceàl’horribleponeysurlequelellesetient,maissurtoutgrâceàtouslesaccessoiresrosefluodontelleaparélemachin.Jedoisdirequesileponeyesttoujoursaussimoche,jesuisimpressionnéparcequisedégagedemasœur.Duhautdesonpetitgabarit,ellesetientbiendroite,fière,danssonjolipetitpantalonblancavecsesbottesbienciréesetsavesteparfaitementtaillée.Jel’observemechercherduregard.Quandellemetrouveenfin,unimmensesourirenaîtsursonvisage.Elles’agitealors,faitdessignesdansmadirection,semblantindiquermaprésenceàquelqu’un.Sonponeyprendtropdeplaceetjenevoispasàquielles’adresse.Detoutefaçon,jen’aipasletempsdemeposerlaquestion.Leponeyquiétaitsurlapistesortetmasœurfaitsonentrée.C’estsontour.Jejetteuncoupd’œilverslesobstaclesquimesemblentsubitementabominablementhaut.Çayest,jestresse.Unenouvellevagued’appréhensionmesubmergequanduntypeannoncedanslemicrolenuméroetlenomdemasœur:«Lenuméro85entreenpiste,GabriellaDumontetCarotte,notreavant-dernièreconcurrente».
Carotte…Putain…Tuparlesd’unnom.
Etalorsquejelasuisduregard,j’entendstoutàcoupglousserbêtementàcôtédemoi.Gabieestentrainde faireun cercle aumilieude lapiste et deuxespècesdepetitespétasses installées àquelquescentimètresdemoisemettentàmédire.
–Regarde-moicettehorreur,jetepariequ’ilnepassepaslepremierobstacle!
Lapremière,uneblondeplatineàl’airhautind’unevingtained’années,s’adresseàsacopineauprofilidentique.
–Ettuasvul’accoutrementdelagamine.Tropderose,tuelerose!
EllespouffentdeplusbelletandisqueGabieselancesurlepremierobstacle.
–Encoreunegossedesquartierspopulairesquitentederéussir.
Mespoingsseserrent.
–OhmonDieu,leboudinapassélepremier,miracle!s’esclaffe-t-elle.–Ilfautquequelqu’unparleàcettepetite,ellemefaitpitié,ironiselapremière.–Cotisons-nouspourluiacheterunponey,surenchéritladeuxièmeenriantauxéclats.
Cettefois,c’enesttrop.Jem’apprêteàmeretournerpourleurdiredefermerleurbouchedepetitesconnes,maisjen’enaipasletemps.Premièrement,parcequej’entendsdanslemicroquemasœurvientdeterminersonparcoursens’emparantprovisoirementdela têteduclassementet,secondo,parcequequelqu’und’autres’enchargepourmoi.
Jenesaispasd’oùellesort,niquielleest,maisquelquechosedetrèsétrangeseproduitàcetinstant.Quelquechosedelégeretquiauraitpupasserinaperçu,maisquejenepeuxm’empêcherderelever.Unpincement,untoutpetitpincement.Là,aufonddemoi,justeauniveauducœur.
Delongscheveuxchâtainauxdouxrefletsauburn;unesilhouettefrêleetlégère;desyeuxd’unbleuprofondquitranspercentlecieletuneassurancequinepeutéchapperàquiconque.Elles’approchedesdeuxidiotes,uncocaàlamain.Jerestescotchédevantlascèneàlaquellej’assiste.D’ungesteassuréetsansunmot,ellesoulèvelabouteilleau-dessusdeleursdeuxtêtesetrenverselatotalitédesaboissonsurlecrânedesdeuxpimbêches.Cesdernièresselèventbrusquement,lesmainsenl’air,complètementahuries, avantde semettre àhurler. Jeme retiensd’exploserde rire tandisque les filles semettent àinsulterleur«agresseur».
–Mais!Mais!OhmonDieu!Maisqu’est-cequetuasfait?
Uned’ellesestauborddeslarmes,constatantlesdégâtsd’unairhébété.
–Jetepréviensçanevapassepassercommeça!Tuvaspasserunsalequartd’heure,luilancelaseconde.–Ahoui?Etqu’est-cequetuvasfaire?M’envoyertonpapa?lance-t-elle,moqueuse.
Moninconnuenelaquittepasdesyeux,provocanteetsûred’elle.Puis,alorsquelesdeuxarroséesnesaventplusquoi répondre, encore sous le choc, elle tourne les talons en leurbalançantunmajestueuxdoigtd’honneur.Jenesaismêmepasquoiajouteràtoutça.Jen’aijamaisvucettenana.Jenesaispasquielleest,nipourquoielleadéfenduGabie,maisellem’abluffé.Jen’arrivepasàdétachermonregarddesasilhouettealorsquecelle-cis’éloignepetitàpetitverslesboxes.
***
Jem’enveuxdenepas avoir suivi le tourdeGabie.Surtoutque c’était sapremière fois.Maismafrustrations’estviteévaporée.Toutd’abord,parcequeladernièrecavalièreayanteffectuéleparcoursjusteaprèsmapetitesœurafaittomberlabarrièreetdonc,mapoupéearemportésonépreuve.Ensuite,j’ai vite oublié les derniers événements grâce à Sandie, la serveuse. Elle est actuellement à genouxdevantmoi,s’appliquantàm’offrirduplaisirdansunboxvidequenousavonstrouvé.
Ma main tire ses cheveux pour accompagner ses va-et-vient délicieux, ses coups de langueslangoureux. Je ne peux m’empêcher d’échapper quelques grognements sous les vagues de plaisir quiassaillentmoncorps.Tenirdeboutdevientdeplusenplusdifficileetjem’appuiecontrelemurpournepaslâcherprise.Soudain,alorsqueSandieaccélèrelacadence,unepetitevoixfamilièresefaitentendre.Unepetitevoixfamilièreunpeutropproche.
–Charliiiie!Charlie,tuespar-là?
Ohbordel,Gabie.Maisquefout-elle ici?J’aiàpeine le tempsde remballer lematosetd’attraperSandie par le bras pour qu’elle se redresse, que la porte du box s’ouvre et que ma petite sœur faitirruptiondanslebox.
–Ah,t’eslà!Regarde,c’estmacoupe!hurle-t-elle.
Encontre-jour, j’aperçoismapoupée entrer dans lebox.Elle tend fièrement, à boutdebrasdevantelle,l’objetdesonexcitationetmoi,jerestedeboutcommeunconententantdecacherlamienne…
–Ah,euh…Super,Gabie!
Je tentedereprendrecontenanceetafficheunsourire fier.Et fier, je lesuis.Mapetitesœurestunechampionne.Etsoudain,jel’aperçois.EllesetientnonchalammentderrièreGabie;lesbrascroiséssoussapoitrinemenue,seslongscheveuxtombentsursesépaulesetsonregardsaphir,toujoursaussiintense,analyselascène.Elleafficheunairsurprisetquelquepeuamusé.
Sandie,dontlescheveuxsonttoutébouriffés,s’essuieleborddeslèvresavecunediscrétionàrevoir.Quantàmoi,jeremarquequemonpoloestrentrén’importecommentdansmonjeansetquemaceinturen’estmêmepasrefermée.Heureusementpourmoi,Gabieestencorebientropinnocentepourcomprendrecequisepassemaislajoliebrune,j’ensuissûr,atrèsbiensaisi.
Ses yeux viennent se perdre un instant dans lesmiens. Il y a une heure encore, j’aurais trouvé uneparade,faitpreuvedemonhabituelleassurance,serrélamaindecettejeunefilled’unairprovocateurenenvoyantun : «CharlesDumont, enchanté».Mais à cet instant, étrangement, aucun sonne sort demabouche.
Gabiesetournealorsverselleetunpetitsourireespiègleéclairesondouxvisage.
–Ah, au fait, Charlie, je te présente la propriétaire de Carotte ! C’est grâce à elle si on a gagné,aujourd’hui!
Ellesautillesurplaceetsetourneverselle:
–Bulle,jeteprésentemonfrère,Charles.Jet’avaisditqu’ilviendrait!
Etc’estàcetinstantquejel’entendspourlapremièrefois.Àcetinstantprécis.
Bulle.Ceprénomquiallaitchangermavie.
2-Lemondeestunvillage
Sur la route du retour, je ne prononce pas unmot.Au volant demon bolide, je ramèneGabie à lamaison. Elle chantonne enme cassant les oreilles, heureuse de sa prestation du jour.Quant àmoi, jemontelevolumedelamusiquepourcouvrircechaos.
–Tun’aimespasmachanson?
Coupd’œildanssadirection,lanainemebalancesonsourireColgate.
–Pasvraiment,Gabie,maugréé-je.
Ellelèvelesyeuxaucielensoupirant.
–Qu’est-cequetuasàêtredemauvaisehumeur,depuistoutàl’heure?–Jenesuispasdemauvaisehumeur,rétorqué-je.–Si!Depuisquejet’aivudansleboxavectacopine,tufaisunetêtebizarre!Etpuistun’aspasété
trèssympaaveclamienne!Tuneluiasmêmepasditbonjour!
Lapetitepeste;ellen’estpassinaïvequeça.Maisjenecomprendsabsolumentpasdequoiellemeparle.
–Delaquelledetescopinestumeparleslà,Gabie?Tudéliresouquoi,nousn’avonsvupersonne!
Jel’observesecouerlatête,agacée,commesij’étaisunimbécile.
–EtBullealors!
Jemanquedepileràl’évocationdeceprénom,maismeressaisisrapidement.
–Avectoutlerespectquejetedois,magrande,jedoutequecettefilleteconsidèreelleaussicommesacopine,elleabienledoubledetonâge.–Faux!Ellevientd’avoirvingtans!Etsi je tedisquec’estmacopinec’estquec’estmacopine,
OK?
Ellemebalancecespropos avecunecertaine assurance, croisant sespetitsbrasdevant elle, un airboudeurfichésursonjolivisage.Jetentedemeconcentrersurlaroute,amuséparl’attitudedeGabieetrepensantàlafaçondontjemesuiscomportéuneheureplustôt.C’étaitbienlapremièrefoisdemavie
quejemesentaismalàl’aise.Jen’aipasréponduauxprésentationsdeGabieetjesuissortientrombe,plantanttoutlemondeaumilieudubox.JemesuisprécipitéversmavoitureetaienvoyéunSMSàmasœurpourluidirequesiellevoulaitquejelaramène,jel’attendaissurleparking.
Jenesaispascequim’apris.Enfinsi,jelesaisparfaitement.Jecroisquec’estl’expressiondecetteBullequim’aénervé.Ellem’aregardécommesij’étaisunmoinsquerien,untypequelconque,unpauvrecrétinquis’envoieenl’airaveclapremièrevenue.Etcesouriremoqueur…Alorsquebordeldemerde,jesuisCharlesDumont.AucunefillesurcetteTerrenepeutmerésisteretencoremoinsmejuger.Despetitesnanasdanssongenrej’encabossetouslesweek-ends,desbienplusbelles,d’ailleurs.Pourquis’est-elleprise?Elleavula tronchedesonponey?Etpuisbonjourladégainequ’ellesetrimballait,dans son short en jeans et ses petites bottinesde cheval.Uneparfaite campagnarde.Aucune élégance,aucuneclasse.Jenesaismêmepaspourquoicelam’atteint.Jedevraisn’enavoirrienàcarrer.Jen’enn’airienàcarrerenfait!
Je secoue la tête, chasse ces pensées et reprends le contrôle pour pouvoir passer à autre chose.Personnenepeutmefaireflancher.Encoremoinsunenana.JesuisCharlesDumont,jesuisau-dessusdetout.
***
Samedi3mai,22h00,leJava,clubgenevois
Adossé au bar de mon lieu de prédilection pour chasser de la petite bourgeoise, je savoure undélicieuxverredeSaint-ÉmiliongrandcruavecMax,monacolyte.
Max,desonvrainomMaximilien,estmonmeilleuramid’enfance.Aveclui,c’estàlavieàlamort.Onseconnaîtdepuisquenoussommesgosses.Sonpèreétaitlechirurgiendemamère.C’estassezdrôle,ditcommeça.Jemesouviensdelapremièrefoisquejel’aivu.C’étaitdanslasalled’attentedugrandcabinetpaternel.Ilportaitdespetiteslunettesrondesetavaitdéjàsonhorribleraiesurlecôté.Maxetmoisommestrèsdifférents.Ilestpetit,blond,toujourstiréàquatreépinglesettrouillardaupossible.Surlepapier,onn’étaitvraimentpasfaitspours’entendre.Maisc’estcommepour lesgonzesses, ilparaîtquelesopposéss’attirent.Tandisquejevaisàlafacunefoissurdix,Maxpréparedéjàsondoctoratendroit des affaires. Je ne rencontre jamais aucune de ses nanas, tandis que luime voit les enchaîner àchaquefoisqu’ilm’accompagnequelquepart.
Cesoir,c’estunmiracledeletrouverprèsdemoi.Dansunesemaine,ilpartpourtroismoisdestageàLondres,et j’aipresquedûlesupplierdem’accompagner.Commeàchaquefois,d’ailleurs.Maxn’estpasbranchésoirées,fêtesettoutlereste.J’ailedroitàmonpetitsermonhabituel.J’aicruquej’allaisleperdresur lecarrelagede lasalledebains, toutà l’heure,quand ilm’yavusnifferde lacoke. Ilestpersuadéqu’unjour,jepaieraitoutça.Jemecontentedeluirépondrequ’onaqu’uneseulevie.C’estleYinetleYang,leblancetlenoir.Etmalgrétout,jesaisqu’ilseratoujourslàpourmoi,commejeseraitoujourslàpourlui.Certaineschosesnes’expliquentpas.
–Mate-moicettepetiteRusse,là-bas,luiindiqué-jedelamain.
Unepetiteblonde,assiseseuleàunetable.Maxsoupiredevantmonmanquededélicatesse.
–Commentsais-tuqu’elleestrusse?mequestionne-t-il,visiblementblasé.–Questiond’habitude,moncher!
Illèvelesyeuxauciel.Jenepeuxm’empêcherderiredevantsonexpression.L’endroitcommenceàseremplirdoucementetlespetitesproiesfontprogressivementleurapparition.
–Jesupposequec’estsurellequetuvasjetertondévolucesoir,medit-ilenparlantdelafameuserusse.–Ahçanon,mongrand!Celle-làmecouterabientropchersituvoiscequejeveuxdire…plaisanté-
je.
Maxmetquelquessecondesàcomprendrepuisouvregrandlesyeuxd’étonnementavantdesetournerversmoi.
–Nemedispasquec’est…–Unepute,lecoupé-jesansménagement.
Maxrougitimmédiatement.Jetapemonverrecontrelesienavantderépliquer:
–Max,tuessinaïf,parfois,jemedemandecommenttuvassurvivredanstonfuturmétier.
Ilmejetteunpetitregardagacé.Ildétestequandjelecharriesurça.Maisenmêmetemps,commentveut-ilqu’ilensoitautrement?Ilaspireàunecarrièred’avocatalorsqu’ilnesaitmêmepasdistinguerunesimplenanad’uneputedeluxe.Ilvasefairemangertoutcru,jen’endoutepasuneseconde.Maisjen’enrajoutepasunecouche,jesuisdéjàassezchiantcommeça.Etpuis,ungroupedefillesvientdefairesonentréeet laplusgranded’entreellesmanquedemeprovoqueruneconjonctivite.Chausséesurdestalonsinterminables,sonculbombémoulédansunerobeblanchesecondepeau,jedevineimmédiatementqu’elleneporteaucunsous-vêtement.Jemepréparealorsàsortirlegrandjeu.
Je la regardes’installeràune tableen facedubar.Premiercoupd’œildansmadirection.Une foisqu’elle a décidé que j’étais à son goût – forcément –, elle murmure quelque chose à ses copines,lesquellesseretournentpourm’observer.Jenesourispas,pire,jedétourneleregard.Lesfillesdétestentqu’onlesignore.Jesorslamaindemonpantalonentoileetjoue,l’airderien,aveclebraceletdemaRolex.Leurspetitespupilless’illuminent.Jesuispresqueblaséparleurvénalité.
JecontinuedediscuteravecMax,quimefaitpartdesesinquiétudespourLondresetquineremarquerienàmonpetitjeu.Jepasselamaindansmesbouclesnoires,mimantunétirementpourquemachemise
Burberrysesoulèvejusteassezpourlaisserentrevoirmesabdossaillants.Bingo,ellesgloussentencœuret je continue de jouer l’indifférent. Je commandeundeuxièmeverre – du champagne, cette fois.Unecoupetteàcinquante francs leverrequine leuréchappesûrementpas, toutcommelablackcardque jedégainepourpayer.
Dix minutes plus tard, miss robe blanche est appuyée contre le bar pour passer sa commande, setrémoussantjustesousmonnez.Etlàoùtouslesbeaufsdebaseauraientbalancéunsourireravageuràlademoiselle,tombantbêtementdanslepiège,jesorsmadernièrecarte.Jetournevolontairementlatête,luioffrantlaplusmagistraledesignorances.C’esttoujoursàcetinstantquelevirages’amorce,toujours.Lafille repartvexéeetcomplétementremontée.Commentpeut-on lui fairecetaffront?Àpartirde là,elleoublietout:sescopines,lesautresmecsdelasoirée,parfoismêmesonfiancé,quandelleenaun.Jedevienssaseulepréoccupation,sonchallenge,sonobsession.Etmoi,jen’aiplusàbougerlepetitdoigt.Jeprofitesimplementduspectacle.
C’est comme ça que jeme retrouve deux heures plus tard dans l’ascenseur en train de glissermesdoigts sous la robe blanche d’Emma pour palper son cul parfait. Elle a tout donné pour attirer monattentionetj’aifiniparluimontrerquejel’avaisremarquée.Unpetitverreoudeux,quelquesquestionsbateau,deuxtroisallusionssurmonpatrimoineetlavoilàprêteàs’offrirsanspudeurdansunascenseur.Mavien’estqu’unegrossecomédie.
EtpendantqueMaxestsûremententraindeseglisserdanssonpyjama,jevaism’envoyerenl’airdansl’ascenseurduKempinski.Lavien’est-ellepasbelle?J’appuiesurleboutond’arrêtd’urgence.Àpartirdecetinstantj’aiexactementvingtminutesdevantmoipourluifairesapetiteaffaire.Vingtminutes,oui,je le saisplusquebien,cen’estpasunepremière, j’aieu le tempsd’analyserpasmaldeparkingsetd’ascenseurs,danscetteville.
Jeremontelarobed’Emma,quineporteeffectivementpasdesous-vêtements,etmefrottecontreellesansaucunegêne.Lapetitegarcegémitet resserresesonglesautourdemoncou.Je l’attrapesous lescuissespourlaplaquercontrelaparoi.Jebandecommeunsalaudetjen’aiqu’uneenvie:lasentirauboutdemaqueue.J’effectueunnouveaucoupdereinspourluifairecomprendreetc’estàcetinstantqueles choses se corsent.Mais je la bouscule un peu trop fort et elle vient taper dans le bouton d’arrêt,relançantainsil’appareil.
–Ehmerde!
J’aijusteletempsdelarelâcherpourmejetersurlepanneauélectriquemaisjenepeuxpasappuyerune autre fois sur le bouton cardeux arrêts consécutifs enclenchent l’alarmegénérale– là aussi, c’estl’expériencequiparle.
Emmatireprécipitammentsursarobependantquejetentederefermerlesboutonsdemachemise.Lesportes s’ouvrent sur le troisième étage.Nous nous retrouvons nez à nez avec un groupe de personnesprêtentàs’engouffrerdansl’appareil.Àleuraccoutrement,cesontsûrementdestouristesenvisite,venusprofiterdelavuesurlelacquiestàcouperlesouffle.Tousnousregardentd’unairunpeusurprisetje
nepeuxm’empêcherdebalancerunepetiterépliquecinglante:
–Ehbienquoi,onnepeutpass’envoyerenl’airtranquille?
Ilsne comprennent évidemmentpasunmotdemaconnerie etEmma réagit engloussant commeunebécasse.Alorsquejem’apprêteà l’embrassersauvagementpourclôturer lachoseetquelesportessereferment,jesensunregardinsistantdansmadirection.Jetournelatêteet…cen’estpasvrai.Dites-moiquejerêve.Maisqu’est-cequ’ellefabriqueici?
Au sein du groupe de touristes, dans de simples converses et une petite robe grise soulignant sasilhouettedeliane,setientBulle.C’esttellementimprobableetgrosquelepiredesscénaristesdesérieBn’auraitpasosé.Etpourtant,c’estbienelle.Ici.Àminuitpassé.Quelquesheuresàpeineaprèsnotredernièrerencontrequis’étaitdérouléequasimentdanslesmêmescirconstances.Jen’ycroispas.Jen’ycroisvraimentpas.
Ellenem’adresseaucunmot,fuyantmonregardetmetournantledos.
Deuxétagesàdescendrequimesemblentinterminables.Deuxétages…etmesyeuxnequittentpassanuquedégagée,sapeausiclairequisemblesidouce.Jepourraispresqueendevinerl’odeur.Deuxétagesàserrerpoingsetdents.Deuxfoutusétages.
Maisquem’arrive-t-il,depuiscetaprès-midi?
Nous sortons enfin dans le hall en verre de l’établissement, Emma trottinant derrière moi en meproposant de continuer notre affaire dans le parking. Je prétexte de ne rien entendre à ce qu’ellemeraconte.JecontemplelafinesilhouettedeBulleencoresiprès,quandunetroupedenanasbourréessejettesurnousenapercevantEmma.Quandellespoussentdesgrandscrisdedindes,jecomprendsquecesontsesamies…Pourmonplusgrandmalheur,ellecommenceàfairelesprésentations.JesuisdesyeuxBulles’éloigner,alorsqu’elleglissedesécouteursdanssesoreillesenfoulantletapisrougequimèneverslasortiedel’hôtel.
Elleneprêteaucuneattentionàmapersonneetçaaledondemerendrefou!Ellenevaquandmêmepasmedirequ’ellenem’apasreconnu!Jel’aivu,jel’ailudanscesyeux!Elleaparfaitementfaitlelien.Etpuistouteslesfillessesouviennentdemoi,toutes,sansexception.Pourquiseprend-elle?
Jeplantemacomparseaumilieudesesidiotesdecopinesetaccélèrelepaspourrejoindreàmontourlasortie.SurlequaiduMont-Blanc,faceaujetd’eauilluminé,jetentederepérercettepetitegarceaumilieudelafoule.Siellecomptes’entirercommeça,ellesemetledoigtlàoùjepense!PersonnenetourneledosàCharlesDumont,personne.Uncoupd’œilàgauche,uncoupd’œilàdroiteetjefinisparreconnaître sa robe grise parmi les passants. Je traverse la route sans me soucier des voitures quiklaxonnentsurmonpassageetmelanceàsapoursuite,bousculantlespromeneurspourlarattraper.
EllesedirigeverslepontduMont-Blanc,marchantdroitdevantellesanssesoucierdecequisepasseautour. Rien que cette attitude m’agace. Comment peut-elle être aussi… oh… aussi… purée…insouciante?Ouais!C’estça!Elleestcomplètementinsouciante,etmoijedevienscomplétementtaré!
Jelarattrapeenfinalorsquenoussommestouslesdeuxaumilieudupont,etjelasaisisparlebras,ladéstabilisant.Elletournelatête,seslongscheveuxsuivantlemouvementetdégageantunedouceodeurdejasmin.Bullesentlejasmin.Cettefois,c’estofficiel,jesuisrestéperchéàmadernièresoirée.
Jenelâchepassonbrasetalorsqu’ellemefixesansriendire,jesenslacolèremonterencoreplusenmoi:
–C’estquoitonproblèmeexactement?luicrié-jeunpeufort.
Elle se dégage alors de mon emprise, croisant ses petits bras fins sous sa poitrine, retirant sesécouteursetplongeantsesgrandsyeuxbleusdanslesmiens.
–Jepeuxsavoirdequelproblèmetumeparles?
Ellemefixeàmoitiéétonnéeetindifférente.Encoreunefois,jesuisdéstabilisé.Jenesaismêmepasquoiluirépondreparcequejenesaismêmepasvraimentoùsetrouvemonproblème.Jepasseunemainembarrasséedansmescheveuxcommeje le faisàchaquefoisque jesuisstressé.Mesbouclesnoiresglissentlelongdemeslongsdoigtsfins.Jemesenscon.Terriblementcon.Jen’arrivepasàalignerdeuxmotsetjerestesansvoixpendantplusieurssecondes.Uneéternité.
–OK,jevois,conclut-elleavantderechaussersesécouteursetdemetournerledos.
Jesuiscommeparalysé.Jenecherchepasmêmepasàmejustifier,encoremoinsàmelancerdansunesecondecoursepoursuite.J’aisurtoutbesoinderepos.Oudemechangerlesidéesavantquetoutçanetourneàl’obsession.C’estsûrementlesbourrinsquim’onttraumatisé,cetaprès-midi.Jenesuispasprêtderemettrelespiedsdansuneécurie.Encoreunpeuetjeperdaislecontrôle.Ilesttempsquejepasseàautrechoseetquejenelaissepaslehasardfairedemoiunabrutidepremière.
Cettenanan’estriendeplusqu’unepetiteconneprétentieusesansaucuneimportante.Jenesaispascequim’estpasséparlatêtemaisc’estbeletbienterminé.Jevaisdecepasoubliertoutça.Demi-touretmarchearrière.LanuitvientàpeinedecommenceretjesuisCharlesDumont.Lemondem’appartient.
3-Ledestinpatientetoujours
Mardi6mai2014,midi
Leschosessontenfinrevenuesdansl’ordre.Aprèsmondéliredesamedi,jemesuisreprisenmain.
J’aifinimasoiréeaveclafameuseEmmaquin’avaitpasbougéduhallduKempinskiàmonretour.Jemesuismêmedemandésielleavaitremarquémonabsence.Noussommesremontésaubar,j’aienchaînéquelquesverres,elles’esttrémousséesurlapisteavantdesetrémousserdeuxheuresplustardsurma…voiture.Oui,voiture.C’estexactementcequejevoulaisdire.Leparkingsouterrains’ensouvientencore,jen’aiaucundoutelà-dessus.
Emmaauncorpsàenfairepâlirplusd’un.Sesseinssontinversementproportionnelsàlatailledesoncerveau,inutiledefaireundessin.Jel’aiamenéedansleparkingetairepéréunespaceentreunePorscheetuneMaserati.C’estlàquej’aidécidédelabaiser.Lagrandeclasse,donc.
Ellenese faitpasprieretsemetviteàgenouxsur lebitumeavantdedescendremoncaleçon lelongdemescuisses.Sabouches’empareimmédiatementdemavirilité,etmefaittoutdesuiteoublierlapetitescèneavecBulle.Maisjen’arrivepasàmeretirercettefilledelatête…C’estdoncellequeje m’imagine au bout de ma queue. Ce regard hypnotique… Cette voix chantante… Ces lèvres siprometteuses…
J’enfoncemes doigts dans la cheveluremassive d’Emma et l’invite à accentuer sesmouvements.J’aibesoindesensationsfortes,cesoir,etlademoisellevadevoiryallerpourmefairelâcherpriseletempsdecettepetitegâterie.Unpeuétrange,jedoisbienl’accorder.Siellesavait,jem’enseraisprisunebonne,jepense.MaisEmmaestlegenredefillequineposepasdequestions.
J’aibienconsciencequ’elles’offreàmoidansl’espoirquejeluiprometteunpeuderêveenretour.C’estunepenséebienbête,maistantqu’ellemesert,jelalaissedanssadésillusion.
Cetteconstatationmefaitd’ailleurssourirealorsquejebaisselatêtepourl’admirermesucer.Elleestbienexcitéeetcommenceàsetouchertouteseule.Merde,çam’exciteaussi.Ellegémitcontremongland et, pourmoi, c’est le signal. Je craque et l’attrape pour l’embrasser à pleine bouche. Je laplaquecontrelecapotdelaMaseratijauneetsamainvientremplacerseslèvres.Jeglissemalanguedanssabouchesanssaveur,etl’embrasseavecavidité.MaisEmmaestbientropbruyante,etquandjel’entendspresquejouircontremabouchealorsquenousn’avonsquasimentrienfait,jeperdsdemavigueur.
J’aitellementenviedeprendremonpied,maisrienn’yfait,jen’aiqu’uneseulefilleentêteetcen’estpasEmma.
Allez,Charles,reprendsunpeutesesprits!
Jesecouelatêteetretrouvemahardiesselégendaire.Jeretiresarobesouslaquelleelleneporteabsolumentrien,etgoutesapoitrine,sonventreplat,sonsexetrempé.Jenevoisplusquesapeauetcelam’aide àme concentrer. Je la dévore et évacue, dans cette quête du plaisir, toute la rage quis’emparedemoi.
Maisuneseulequestionmehantealorsquejemaltraitelepetitboutond’Emmademalangueetdemesdoigts.PourquoidiablecettefoutueBulletraînait-elleauKempinski,cesoir?Etpourquoiétait-elledanscefoutuascenseur?
Souscettefrustration,jemordilleleslèvresd’Emma.Ellegémitenréponse,laissantsatêtetomberenarrièresurletoitdelavoiture.L’unedesesjambesestposéesurmonépaulepourmelaisserlibreaccèset jeglissedeuxdoigtsà l’intérieurd’elle.Je lasenssecontracterautourdemesdoigts.Lachaleur,lamoiteur,j’adoreça.
Las de ce petit jeu, je souhaite passer la vitesse supérieure et cherche avec empressement monportefeuille.Emmasetortillesousmesassautsjusqu’àcequejelaretourneetlaplaquesurleventre.Jesorsunecapotequej’enfileenquelquessecondesetjepénètresonantreenunmouvementbrusque.Sesmainsseserrentsurletoitdubolideetjebaisselesyeuxpourneregarderquesonculpointéversmoi.
Soudain,j’aienviequelqu’und’autreprennesaplace,d’êtreailleurs.Souscettepensée,unregaind’ardeurs’emparedemoiettoutdevientmieux,plussensuel,plusintense.JerepenseàcetteétrangeBulle,àsasilhouettefine,àsonpetitculrebondi,àsesseinsaugableparfait.
Jel’imaginenue,sousmoi,surmoi,sesyeuxplongésdanslesmiens.
Etplusj’ypense,plusjedonnedegrandscoupsdereinsàl’intérieurd’Emma.Nosdeuxcorpsclaquantl’uncontrel’autre.Cetacteestbestialetnousdevenonsbientôttouslesdeuxtransisparleplaisirprocuréparcetinstantsuspendudansletempsetlaréalité.Desrâless’échappentdemagorgeetj’enfoncemesdoigtsdanssachairpourbienlamaintenirenplace.Emmanetientplusetsesgémissementsautrefoiscontenusdeviennentdevraiscrissensuels.Jesensquejetouchedeplusenplussonpointsensible,etsesparoissecontractentautourdemonglandgorgédeplaisir.Monmembrepulsedeplusenplusetjemeperdsdanscerythmeaffolant.Mapartenairedecesoirfinitparjouirsouslepoidsdemonexcitationetlâcheunderniercri.
Ellechercheàseretournerafindemevoiretm’aideràatteindrecettevoluptéquiserefuseàmoi.Jesensquejenesuispasloin,maisjen’ytiensplusvraiment.Àprésentfaceàmoi,labouchegrande
ouverte, les joues rosiespar sonorgasme,Emmame fixeetm’inviteà lapénétrerdenouveauavecautantdeforce.Elleempoignemonsexeavecardeuretnelelâchepasalorsqueseslèvresm’aspirentà nouveau au plus profond de son intimité. Ellememasturbe enmême temps que je la culbute. Jefermelesyeuxpournepasassisterauspectacledontjesuisl'acteurprincipal.
Jemelaissealleràungrognement,garde lespaupièrescloses,meconcentresurcette jouissancedontellen’estpasvraimentàl’origine.
Maisjemerassureenmepersuadantquejeneluidoisriensicen’estlachaleur,l’adrénaline,lesoulagement.
Toutlereste,leplaisir,l’excitation,l’orgasmeimminent,c’estBullequimelesaapportés.
Bulleetsonfoutumagnifiquevisagecollédansmonesprit.
Soudain, alors que je me déverse au creux des cuisses d’Emma, l’alarme de la Maserati sedéclenchesoudainement,nousobligeantànousrhabilleretàdéguerpiravantl’arrivéedesvigilesquisesontpourtantsansdoutebienrincél’œildevantlescamérasdesurveillance.
J’aipassémondimancheà traînerau lit en regardantTheWalkingDead et lundi j’ai faitunepetiteapparition à la fac. J’en suis àma deuxième année de deuxième année de droit après deux premièresannéesdepremièresannées.Oui,j’airedoubléchacunedemesannées.Normalement,enSuisse,cen’estpastoléréetontesortducircuitscolaire.MaiscommepapaDumontestundesprincipauxdonateursdel’université,jejouisdequelquespetitesfaveurs.Ehoui,l’argentouvretouteslesportes.
Aujourd’hui je n’ai pas cours et quandbienmême, je ne sais pas si j’y serais allé. Jem’apprête àrendre visite àMaxpour le déjeuner. Il part dans deux jours et, tel que je le connais, il ne sera plusjoignableàpartirdecesoir.Cemecestunebouledestress.Pendant lesquarante-huitheuresquivontprécédersondépart,ilvas’enfermerdansunebulled’angoisseetjen’aipasdutoutenviedesupportersonmanège.L’amitié,mêmelanôtre,aseslimites.J’attrapemoncasque,quitrônedanslehalldemesappartements,etsorsendirectiondugarage.Lesoleilbrilleaujourd’huietj’aienviedesensationsfortes.Commejen’aipasletempspourun12-13(mon5à7àmoi),jemecontentedemonpalliatif:monATK700 Intimidator, soit lapluspuissantedesmoto-cross sur lemarché.Unpetitbijou sur lequel tous lespassionnésfantasmentetquejemesuisachetéd’unclaquementdedoigts.Mêmesic’estinjuste,c’estlepouvoirquemedonnemafortune.
J’appuie sur le bouton d’ouverture des portes automatiques du garage et attends que celles-ci serelèvent.Sûrementplusgrandquelaplupartdesmaisonsduquartier,ilabritelesvoituresdecollectiondemonpère.Lepetitjeudansnotrefamille,c’estderegarderlatêtedespassantsquandonensortune.Dansunquartiercommeceluidanslequelnousvivons,c’estuncombatdecoqspermanent:quialeplusgrosportail,laplusgrossepropriété,leplusdepiscines,laplusbellefemme,lesplusgrossesvoitures.Comme ici, le revenumoyen d’un propriétaire est supérieur au PIB du pays, je vous laisse imaginer
commelejeuestamusant.
J’aperçoismon bolide rutilant et, comme à chaque fois, j’enfourche ce petit bijou avec fierté. Sansallumerlemoteur,jetraverselalonguealléedenotrepropriété.Nosjardinierssesontplaintsplusieursfoisdesgraviersquej’envoyaisvalserunpeupartout–surtoutdanslesénormesmassifsdefleurs–etmonpèreafiniparfairepreuved’unpeud’autorité.Devantnotreimposantportailencadrédeplusieurscamérasdesécurité,jetournelaclefducontact.Unsourirenaîtalorssurmonvisageetj’enfilelentementmoncasque.Cebruit…Ohoui,cebruit…Leronflementdumoteur,lapuissancequis’endégage,non,vraiment,c’estpresqueorgasmique.
Unefoislesportesouvertes,jedébouleenfindanslarue.Lasensationdubitumequiaccrochesouslesroues, leventqui joueautourdemoi, lespaysagesquidéfilent, lesslalomsaumilieudesvoitures, lesaccélérationsàcenttrentekilomètresparheure,lavuesurlelacetlesgensquiseretournent,choqués,surmonpassage.Jemesensvivant.Onnepeutplusvivant.JetraversetoutlequaiGustave-Ador,tournedevantchezVuittonparlavoiedesbusetprendslaruepiétonneàcontresens.Lesgenssepoussent,seplaignent,etlesfillesjettentdesœilladescurieuses.JemegareenpleinmilieudelaplaceduMolardoùj’airendez-vous.Ilyadéjàdumondeenterrasse,beaucoupdemonde,etlesregardssonttouspointésdans ma direction. Charles Dumont est sur son territoire. Le lion est sorti de sa tanière et la jungles’incline à ses pieds. Je retiremon casque et quelques petites joues semettent à rougir chez la genteféminine,tandisqueleshommess’agacent.
MesbouclesnoiresretombentsurmesyeuxvertsenamandeetmapetitevesteencuirZadigetVoltairemesiedàmerveille.Jesensdéjàlesfilless’émoustillertoutautourdemoi.JerepèreMaxàunetabletentantdesecacherpournepassefairevoiràmescôtés.Ilahontedemesextravagances.Voûtésursachaise,lemenuluicachantlevisage,jelereconnaisàsonhorriblegiletencachemiresansmanchesurunechemiseàrayures.Maxn’ajamaiseubongoûtenmatièredevêtements.Commentpourrait-ilséduirelesfemmesavecunaccoutrementpareil?Inspiré,jesourisdetoutesmesdentsenmerendantauprèsdeluitandisquemonsieurfaitsemblantderegarderailleurs.J’enprofitepourbalancerunpetitclind’œilàlajoliebrunequej’aiprisenflagrantdélitentraindereluquermoncul.
–BonjourMAXENCEDERELONCOURS!
Jefaisexprèsdecriersonnombienfortpourlepunird’avoirautanthontedesonmeilleurami.Gagné,ilsemortifiesurplace.
–Charles…murmure-t-il,vraimentgêné.
J’écartelesbras,deboutdevantlui,commepourleprovoquer.
–Viensfaireuncâlinàtonplusvieilami!
Ildevientdeplusenplusrougeetjenepeuxm’empêcherderireauxéclats.
–Charles,jet’enprie,arrêtetoncinéma…insiste-t-il.
Jeprendsdoncplaceenfacedelui,posantmoncasquesurlatablevoisineetretiremaveste.LesoleildemaitapedéjàfortetGenèveadesairsdecitéitalienne.Pasétonnantquecettevillefassepartiedeslieuxoùilfaitleplusbonvivredanslemonde.
–Jenousaicommandédeuxbières,m’informeMax.–Parfait,mongrand.
Jemevautre surma chaise, un pied surmongenou, unbras étendu sur la chaise d’à côté dans unepositiondesplusdécontractées.Jesorsmeslunettesdesoleilhorsdeprixdemapocheetlesenfileavantdejeteruncoupd’œilaumenu.
–Alorspastropstressé?demandé-jeàmonami.–Ehbien,jesuisunpeu…–Oh,maisilsontchangélacarte,lecoupé-je.Tuasvuça?
Max,nesevexantpasdemondésintérêttotal,sesaisitdelacartequejeluitendsquandunevoixnousinterrompt.
–Excusez-moi,c’estvotrecasque?
Jelèvelesyeuxversungrandmectrèsmincemoulédansunjeansslimbientropserréàmongoût.
–Ouais,sifflé-je,déjàennuyé.
Nullementfreinéparmonton,ilmedemandepoliment:
–Pourriez-vouslerécupérer,s’ilvousplaît?
Jeregardeautourdenous,unpeuagacé.Ilnepeutpassetrouveruneautretable,cetabruti?J’attrapeensoupirantmonbienetunedesdeuxchaisesdesatablepourlacaleràmagauche,moncasquedessus.
–Voilà,rétorqué-je.
Ilpinceceslèvresdansuneexpressionembêtée.
–Jesuisdésolé,maisjevaisaussiavoirbesoindelachaise,uneamies’apprêteàmerejoindre.
Secondsoupirencoreplusfortdemapart.
–Ettunepeuxpassimplementtemettreailleurs,sifflé-jeentremesdentsserrées.
Maxsefaitànouveau toutpetit. Ilsaitquemonimpatienceetmonimpulsivitéfontsouventmauvaisménage.Mais le typenesedégonflepasnonplus. Ilmefixeavecungrandsourireavantdes’excuserd’untonironique:
–Jesuisnavré,trèscher,maiscommevouspouvezleconstaterparvous-même,iln’yaplusaucuneplacedelibre,m’informe-t-ilenbalayantlelieudelamain.
Jemeredresse,plusqu’agacé.Jelanceunregardautourdenousetmerendscomptequ’effectivement,toutestpris.Mais jem’enfiche,cen’estpasmonproblèmeet jesuisbiendécidéànepasmelaisserfaire.Laserveusearriveàcemoment-làavecnosdeuxbières.Soudain,prisd’uneidéeàlacon,jefixelademoiselle,puislegrandgaillardaudacieuxàcôtédemoi.J’aienviedejouerunpeuetdécidedemelajoueremmerdeurdel’année.Iln’avaitqu’àpasmechercher.
–Excusez-moi,charmantedemoiselle,adressé-jeàlaserveuseavecmonplusbeausourire.–Oui?medemande-t-elleenposantnosboissons.
Jedésignelatablevoisinedudoigttandisquel’autreabrutis’apprêteàs’yinstaller.
–Cettetableest-elleréservée?
Legrandmaigrefronceinstantanémentlessourcilsavantquelaserveusenemeréponde.
–Euh…Non,maiscemonsieurestentraindes’yinstaller,commevouspouvezleconstater.
Maxmefixe,sedemandantcequejefabriqueencore.Jesorsmonportefeuilledemapochearrière.
–J’aimeraisréservercettetablepourmoncasque.
Lajeunefilleouvredegrandsyeuxalorsquelegringaletnepeuts’empêcherdesecouerlatêted’unairblasé.Ilacomprisquej’étaisdugenreàavoirlederniermot.
–Charles,tuexagères,meglisseMax.
Laserveuseestmalàl’aise.
–Jesuisdésolée,monsieur,maisvousvoyezbienquemonsieurestinstallé,dit-elleendésignantmon
voisin.
Unpetitrictussedessineaucoindemeslèvres.
–Certes,maismoncasqueétaitlàavant,luilancé-jeavecassurance.
Elle ne sait que répondre et je sors sous ses yeux un billet de deux cent francs que je tends à sonintention.
–Celadevraitsuffirepourquevouschangiezd’avis,non?
Sesyeuxs’arrondissent.
–Monsieur,jenepeuxpas,je…bégaye-t-elle.–Prenez-le.
Cen’estpasmoiquiluiintimedes’ensaisir,maismonvoisinquiselèvedesachaise,méprisant.Ellesetourneverslui,malàl’aise.
–Prenez-le, insiste-t-il. Jevais laissermaplace.Monsieura l’airdevouloir absolument lederniermot.Etjepensequecetargentvousserabienplusutilequ’àlui.
Ilmetoise,ledégoûtselisantdanssonregard–cedontjemegargarise.Ilquitteenfinleslieuxetlaserveuse attrapemonbillet.Avant departir, elle colle la tablevoisine à la nôtre sur laquelle je posefièrementmoncasque.Lesgensattablésautourdenoussontmédusésetn’ontrienloupédelascène.J’aigagné,encore.Jegagnetoujours.
–Tuexagères,Charles,melanceMaxunefoisquelaserveusedisparaît.
Jemimeunpetitairsatisfaitetillèvelesyeuxauciel.
–Ilvavraimentfalloirqueturedescendesdetonpiédestalunjour.
Jemordillemalèvre,amuséparsoncôtépaternalisteetblasé.
–Tuesjalouxdemonassurance,c’esttout,leprovoqué-je.–Oh,Charles,soupire-t-il.Tuesexaspérant,tulesais?
J’attrapemabièretandisqueMaxparcourtlemenu.Alorsquejem’apprêteàluiracontermanuitdesamedi,jevoissesyeuxseleverdumenuetuneexpressionbizarresedessinersursonvisagequidevient
bienpâletoutàcoup.
–Max,çava,monpote?Tufaisunedrôledetronche!
Illèvealorssonbrasleplusdoucementpossibleetpointesondoigtsurquelquechose,derrièremoi.Ilse décompose sur place et je ne sais pas si je dois rire ou commencer à flipper à la vue de samineeffrayée.
–Max,c’estquoitonsouci?Tumefouslesbouleslà,m’agacé-jeenmeretournant.
Quandjemerendscomptedelasituation,mesyeuxs’écarquillentcommedeuxgrossesbilles.
–Ohputain,maisc’estquoicebordel?
Jeme lève précipitamment de la table et fonce vers la grande aux longs cheveux châtains en traind’enfourcher ma moto. Personne ne touche à ma moto. Personne. Pas même cette fille aux jambesinterminablesquidémarreMONbolide.Justeàcôtéd’elle,jereconnaislegrandbrunquej’aivirédelatabled’àcôté.Ilsembles’amuserdelasituation,l’enfoiré.
–Eh,eh!Maisqu’est-cequetucroispouvoirfairelà!hurlé-jeaumilieudelafoule.
Elletournesatêtedansmadirectionetc’estàcetinstantquejelareconnais.Jem’arrêtenet.Cen’estpaspossible. J’aiunehallucination.Uneputaind’hallucination :Bulle.Bulleestenselle surmamotoqu’elleadémarréeparjenesaisquelputaindemoyenétantdonnéquelesclefssontdansmapoche.Ellesemble surpriseenm’apercevantet, l’espaced’une seconde, je lavoishésiter. Justeune seconde,uneinfimesecondeoùsesyeuxbleusplongentdanslesmiens.Puislemoteursemetàrugir,lespneuscrissentetBulleeffectueunparfaitdemi-tourà180degrés,m’envoyanttoutelafuméedemonpotd’échappementenpleinvisage.Paralysé,jelacontemples’éloignerendirectiondesquais.Jenesaispassicettetaréeréalisecequ’elleestentraindefaire,maiscen’estpasuneVespaqu’elleaentrelesmains!Enfin,cen’estpasçaleproblème!Leproblème,c’estqu’ellevientdevolermamoto!Levoilà,leproblème!Bullevientdevolermamoto!
Jetournelatête,complètementhébétéetmonregardcroiseceluidugrandbrunquimetoise,toujoursamusé.Jenepeuxpasmeretenirpluslongtemps.Jemejettesurlui,l’attrapantparlecoletcollantmonvisageàdeuxcentimètresdusien.Ilnesedémontepaspourautant,medéfiantduregard.
–Jepeuxsavoircequitefaitsourire,connard?
Jebrandismonpoingenl’airendirectiondesonvisagedeminetetalorsquejem’apprêteàfrapper,quelqu’unmerattrapeparderrière.Max…
–Lâche-le,Charles,m’ordonne-t-ilsèchement.
Jeluilanceunregardnoirpourbienluifairecomprendrequecen’estpaslemomentmaisilnedémordpas:
–Charles,lâche-lej’aidit!
Jesoupireavantdelaissertomberl’autreconquioseencoremeprovoqueravecsonairsatisfait.
–Oùva-t-elle?craché-jeàsonvisage.
Ilhausselesépaulesetlèvelesyeuxauciel,jouantàceluiquin’enaaucuneidée.Cettefois,c’estlagoutted’eau.Maxnepeutplusmeretenir.Jelesaisisdirectementàlagorgeetj’articulechaquesyllabe:
–Écoute-moibien,petitmalin.TuvasmedireoùestpartieBulleoutufinisàlaflotte,c’estclair?
Ilsemblesurprislorsquejeprononcesonprénom,fronçantlessourcils.Jenemanquepasderepérercedétail.J’aitrouvélafaille.
–Ehoui,mongrand,tuasl’airsurpris!Maisfigure-toiquetapetitecopinenem’estpasinconnue!Tuespéraispeut-êtrequesoncœurallait t’appartenir?Demandeluiplutôtoùelleapassélanuit,samedisoir!C’étaittellementbonquandellegueulaitmonnom…ajouté-jesournoisement.
Etalorsquejepensaislevoirflancher,letypemefixedurantquelquessecondesavantdem’exploserde rireauvisage.Pasunpetit rireagacé,non.Unrire franc,presquehumiliant, sidéstabilisantque jedesserremesdoigtsautourdesagorgesansm’enrendrecompte.
–Ohbordel, tuesencoreplus idiotque jepensais,mebalance-t-il.Premièrement, jedoutefortqueBulle s’intéresse àunpetit condans tongenre.Mais alorsvraiment, insiste-t-il sans s’arrêter de rire.Secondo,pourtoninformation,lesfillescen’estpastropmontruc,tuvois!Jesuisplutôtdecegenre-là,dit-ilenpointantMaxdudoigt,ungrandsouriresurleslèvres.
Jemetourneversmonmeilleuramiaussirougequ’unepivoine,lesyeuxgrandsouverts,gêné.
–Surce,lerebelle,jeteconseilled’appeleruntaxi,parcequetun’espasprêtdelarevoir,tamoto,«mongrand»!
Ilimitemonexpressionplusquesurprise,d’untonmoqueur,avantdetournerlestalons.
À cet instant, sans trop savoir pourquoi, je reste immobile,mes pieds scotchés au parvis.Quelquechoseenmoirésonne,mefaisantoublierlamoto,lerestaurant,lesgensquinousobservent,Maxquine
saitplusoùsemettretandisquelegrandbrunluilanceunedernièreœillade,lebruitautour,lachaleurdespremiersrayonsdesoleil.«JedoutefortqueBulles’intéresseàunpetitcondanstongenre.»Cettephrasesejoueenboucledansmatêteetj’ailesentimentétrangequ’elleserépanddanstoutmoncorps.Chaquemot s’incruste au plus profond demon être, comme des coups de poignards. Pourquoi ?Oui,pourquoi cette simple réflexion fait-elle demoi cet abruti planté en plein centre de la place ?Quellechosenetournepasrondchezmoi?
–Charles?Charles,çava?mequestionneunevoixfamilière.
Max me sort lentement de mes pensées. Ses joues encore rouges ne m’arrachent même pas uneréflexioncynique.Jesuisvraimentmalenpoint.
–Tuveuxquejet’amèneauposte?MavoitureestauparkingduMont-Blanc,mepropose-t-il.
Jeleregarde,unbrinperdu.
–Non,réponds-je.
Ils’étonneets’apprêtesûrementàinsisterquandjelecoupeenplaçantmamainentreluietmoi:
–JevaisrentrerMax.–Quoi?s’offusque-t-ilenreplaçantseslunettesdevue,unemineplusquesurprise.–Jevaisrentreràlamaison,répété-jecalmement.–Mais…ettamoto?
JesourisenrepensantàBulles’enfuyantdessus,seslongscheveuxflottantauvent.
–Charles,tuessûrqueçava?s’inquiètemonami.Tuasl’air…commentdire…étrange.Tuasprisquelquechoseavantdevenir?Tudevraisvraimentarrêteravectessaloperies.
Il tente tantbienquemaldemeconvaincred’allerdéposerplainteetmesuitens’agitant jusqu’à lapremièrestationdetaxi,devantlaquellejefinisparl’abandonner.Jen’aipasréglénosconsosmaisjesais qu’il a dû s’en charger pourmoi. Jemonte dans le véhicule sans un regard pourMax, qui resteplanté,lesbrasballants,nesachantplusquoidirepourmepersuaderderéagir.
Dans le taxi, je ne prononce pas unmot. Je sais que quelque chose est en train de se passer, quequelquechoseesten traindechanger.Lechauffeur tournedansmarueet je lui indiquel’entréedemapropriété.Jeluitendsunbilletdecentfrancsenluidisantdegarderlamonnaie.Jenelefaismêmepaspourlafrime,maisplusparinattention,parcequejesuiscomplètementailleurs.Jedescends,claquelaporteetfixelesgrillesimposantesdenotreportailalorsquelechauffeurfaitdemi-tour.
Soudain,jesouriscar,garéejustedevant,sanslamoindreégratignure,mamotoattendaitmonretour.
4-Danseaveclui
Mercredi7mai2014,matin
–Salut,canaille,lancé-jeamusé.
Gabie, assisedans lacuisinede lamaisonparentale,me regarde, étonnée.D’abordparceque jeneviensjamaisicietensuiteparcequ’ilestneufheurestrentedumatinetquejesuisdéjàlevé.
Elle est installée toute seule sur un des tabourets hauts face au grand ilot en bois blanc laqué, unénorme bol de céréales posé devant elle. Comme d’habitude, aucun de mes parents n’est dans lesparages.C’estLydia,lacuisinière,quiluiapréparésonpetitdéjeuner.Commemoiàsonâge,elleaplussouventaffaireaupersonneldemaisonqu’ànosgéniteurs.Celamemetdansuneragefollemaisjetentedenerienlaisserparaître.Commetouslesmercredismatin,Gabieestentenued’équitationpourallerau«poney».Elleesttellementexcitéeparsesentraînementsqu’ellel’amissurFacebook.
–Tuvastoujoursvoirtonbourrinquipue,cematin?laquestionné-jeenmehissantsurletabouretàcôté.
Ellesetournevivementversmoi,etmelanceunregardnoirquipourraitpresquelancerdeséclairs.
–Carottenepuepas!Entoutcas,toujoursmoinsquelesfillesqueturamènesdanstonappartement,rétorque-t-ellefièrementenbombantletorse,unpetitsouriresatisfaitsoussamoustachedelait.
Lydiaquipasseàcetinstantnepeuts’empêcherderetenirunpetitgloussement.Ilfautdirequ’elleal’habitude,avecnousdeux.Celadoitbienfairetrenteansqu’elletravailleauservicedemesparents.Jesuis incapable de dire quel âge elle a exactement, mais pour moi c’est un peu comme si elle étaitimmortelle.
–MademoiselleGabriella,voyons,cen’estpasunefaçondeparleràsonfrère,tente-t-elled’inculqueràmasœur.–MaisLydia,c’estluiquiacommencé,grimace-t-elle.–Oh,lapetitecafteuse,memoqué-jeenfrottantmamainsursescheveux.
Lydialèvelesyeuxauciel,nepréférantrienajouter.
–Situveux,jetedéposeàtonécurie,proposé-je.
Gabiemanqued’avalerdetravers,étonnée,tandisquejemelèveànouveaupourallermechercherun
verredejusd’orangefrais.
–Quoi?s’époumone-t-elle.–Situveux,jetedéposeàtonponeyclub,jen’airiendespécialàfaire,cematin,répété-je.
Jenel’entendspasmerépondreetalorsquejerefermelaportedufrigo,jemanquederenversermonjusenlaretrouvantderrièremoi,justesousmonnez.Sesdeuxpetitesmainscalléessurleshanches,ellemefixed’unairsuspect.
–Charlie?–Oui.–TuasrencardavecSandie?C’estça,dit-elleenpointantundoigtdansmadirection.
Jemets plusieurs secondes à essayer de comprendre de qui elleme parle. Sandie ? Je ne connaisaucuneSandie,moi…Àmoinsque…Sandie…Maisoui!LafameuseSandiequis’occupaitsibiendemoi dans le box ! Qu’est-ce que Gabie s’imagine encore ! Les filles ont vraiment un grand sens del’imagination,c’esteffrayant.
Jelasuisjusqu’àunedelasalledebainsdurez-de-chausséetandisqu’elleattrapeunebrosseàdentsau-dessusdel’évier.
–Jen’aipasrendez-vousaveccetteSandie,Gabie.Jet’assurequejeveuxjustet’accompagner.Çamefaitplaisir!
JetentelesourireColgate,maisrienn’yfait.Gabieestbienplusintelligentequemoi:
–Charlie,çafait troisansque jemonteàponey.Troisans, troisfoisparsemaine.Soitprèsde450joursdepuisquej’aicommencé.Etsurces450jours,combiendefoisas-tuproposédem’amener?medemande-t-ellelabouchepleinededentifrice.
Jefaisminederéfléchirmaisellenemelaissepasletempsderépondre.
–Zéro,Charlie!Zérofois!Alorspardonne-moi,maisj’aidumalàcroirequetuleproposesparpuregénérosité,mebalance-t-elle.
Jeresteunpeusurprisparlafaçondontellemetienttêteetlaperspicacitédontellefaitpreuve.Ellegrandit,elles’affirme,etmêmesielleatoujourscecôtéenfantin,ellesetransformepetitàpetitenunejeunefille.Jedevraispeut-êtrearrêterdelatraitercommeunegamine.Aprèstout,elleestbienlaseulepersonnequej’estimeuntantsoitpeu.Enfin,sionnecomptepasMax.Maisjenesuispasvraimentprêtàlavoirgrandir!Jesaiscequil’attend,etjecroisquejenepourraipaslesupporter.Encoreplussielledevientcommemoi.
–OK,jel’avoue,jenelefaispasquepourtoi,finis-jeparavouer,quelquepeuagacé.
Gabie semble surprise par ma soudaine franchise alors qu’elle s’essuie la bouche à l’aide d’uneserviette.
–DonctuvasbienvoirSandie,insiste-t-elleensortantdelapièce.
Jesecouelatêteamusée,jouantaveclesclefsdemaMiniquejefaisroulerautourdemesdoigts.
–Non.Jen’aiaucunrancard,Gabie.Mais j’aieffectivementquelquechoseà régler, luiexpliqué-jetandisqu’ellechaussesesbottesdansl’entrée.
Ellelèvealorssesyeuxrondsversmoi,fronçantsespetitssourcils.
–Unechoseàrégler,répète-t-ellelentementsanscomprendre.–Oui.Unechoseàrégler…
L’écurieestpluscalmequeladernièrefoislorsqu’ilyavaitleconcours.Sanstouteslesinstallationsvisiblement nécessaires pour un tel événement, l’endroitme semblemoins grand.Bon, il y a toujoursautantdecanassonsetdeminettesenpantalonsmoulantsquis’agitentsousmonnez.N’ya-t-ildoncaucunmecquimonteàcheval?JevienstoutjustededéposerGabiedevantl’entréeduclub.Ellen’apaspus’empêcherdemedemandersi jecomptaisresterjusqu’àsoncoursdanslemanègeàmidi.Quandj’aitiqué,elleestpartieensoupirant.Jenesaispassijesuisaussibondansmonrôledefranginquecequej’imaginaisjusqu’àprésent.Jen’aipasdesouciàdirequej’aimemapetitesœur.Jelerépète,dansmavieiln’yaqu’elleetMaxquejerespecte.Jenesouhaitepasperdremontempsaveclerestedumonde.Saufsicelasertmonpropreintérêt.Ensuite,jemedébarrassedetoutenuisanceouparasite.Jen’aipasdetempsàperdrepourlesbonnesmanières.Maistoutcecim’amèneàpenserquejedevraisfairedeseffortsenversGabie.Loindemoil’idéed’assisteràsoncours,non,maisjevaisessayerdepasserunpeuplusdetempsavecelle.Ilfautbienquequelqu’unjouelerôledupère,parcequesioncomptesurlenôtre,onestplutôtmalbarrés.Iln’yaqu’àmeregarderpourcomprendre…Caroui,sijesuisplusquesûrdemoi,jeresteconscient.
Perdu dans mes pensées, je me promène dans l’écurie quand je me souviens ce qui m’a vraimentpousséàvenirici.Jen’aiaucunegarantiequ’ellesetrouvedanslesparages.Maismoninstinct–quinemetrompejamais–meditquec’estlebonjour.Jepeuxpresquesentirsaprésence.
J’entre dans un bâtiment qui regroupe encore tout un tas de box. En levant les yeux, j’aperçois leslourdespoutresquicomposentlacharpente.Cetendroitestvraimentimpressionnant.Etjemesurprendsàdécouvrirquetoutestimpeccablealorsquelescanassonspassentleurjournéedanslaboueetlesable.Jetraverselesgrandesalléesetmefraieuncheminaumilieudenanasquisepréparentàmonter.Toutestiréesàquatreépingles,ellesnemerepèrentmêmepas.Ellessonttoutestrèssérieuses,nelaissantpas
placeàlarigolade.Demoncôté,j’aipresqueenviederire.Soudain,monregardestattiréparunetacheroseaufond.Çanepeutêtrequeleboxdemapetitesœur.Jel’aperçoisjustements’apprêteràyentrerpourrejoindresonmonstrecourtsurpattesetobèse.Enfin,ilnedoitpasêtresinulqueçapuisqu’ellearemportélapremièreplacedesonconcours.Commequoi,lesapparencespeuventêtretrompeuses.
Jecontinuemonchemin.Jen’aipasenviededérangerGabie.Elleestbientropoccupéeàbrossersabête. Je débouche sur l’immense carrière où je l’ai justement vue monter la dernière fois. Il n’y apersonnepour lemoment.Enfinsi !Toutaufond,quelqu’unestàcheval.Jem’installesurunbanc, letempsdesavourerunepetitecigarette.Aujourd’hui,j’aifaitplussimpleauniveaudelatenue:jeans,tee-shirt,conversesetmesinégalablesRay-BanAviator.Maisjevaisencorerentrerenpuantlecrottin…
J’observecechevalauloinquifaitdescerclesdontjeneperçoispasvraimentl’intérêt.Cependant,jedois avouer qu’il est bienmoinsmoche que le grosCarotte. Je ne connais pas la différence entre unponey,undemiponeyouunchevalmaiscelui-ciestsigrandqu’àmonavisilnerentredansaucunedescatégories.Ilestnoircommel’onyx,etmêmesiçam’arrachelagueuledeledire,ilsedéplaceavecunecertaine élégance. Une élégance si envoûtante que j’en viens à me lever de mon petit banc pourm’appuyercontre labarrière.Desbandesblanchesontétéenrouléesautourdeses jambes.Sacrinièrelongue flotte au vent, suivant parfaitement chacun de ses mouvements. Ses muscles dessinés sontimpressionnants,etsaposturemelaissesansvoix.Àsafaçondesedéplacer,onapresquel’impressionqu’ilvole.C’estpresquedivin.Sacavalièresembleaussiconcentréequelui,etmêmesijenelavoispasbien, depuis l’endroit où je me trouve, je perçois parfaitement l’osmose entre eux deux. Je ne suisd’ailleurspasleseul.Autourdelacarrière,plusieurspersonneslesregardentsansunmot,subjuguésparla scène. C’est comme si le temps s’était arrêté ici. Quelque chose de fort se dégage de ce couple,quelquechosed’inexplicable.Lesjambesdel’animalallongentlafoulée,caressantlesolavecgrâce,lebruit des sabots résonnant comme une mélodie. C’est comme une danse, une osmose. Oui, CharlesDumontestsubjugué,lui-aussi–etnormalement,ilm’enfautbeaucoup.
Jesuistellementhypnotiséparlascènequejen’entendspaslespetitspasdeGabie,venueseposterjusteàcôtédemoi.
–Ilssontvraimentparfaits,medit-elledoucement.
Jetournelatête,prenantconsciencedesaprésence.
–Tulaconnais?luidemandé-je.
Ellem’adresseunpetitsourireamusé.
–Tunelareconnaispas?
Jemepenchedenouveauau-dessusdelabarrière,fronçantlessourcils.
–Jedevrais?
Gabielèvelesyeuxauciel.
–Charlie,tuesuncasdésespéré,dit-ellesuruntonpresqueblaséquim’amuseplusqu’autrechose.–C’estBulle.
Àcemoment, un éclair vient déchirer le ciel sans nuage.Personnene l’a vuni senti à partmoi. Ilm’était destiné. Il m’a traversé de part en part rien qu’une seconde. Une toute petite seconde. Je laregardeànouveauetréaliseenfincequejem’étaisempêchédevoirjusqu’àmaintenant.Bulletravailletoujours,plusbelleque jamaissurcecheval.Oui, je répète :plusbelleque jamais. Jementiraissi jeprétendaislecontraire.Etmêmesilemensongefaitpartiedemonquotidien,là,toutdevientplusfortquele reste. Je ne peux pas nier, je ne peux pas faire semblant. Je reste encore quelques minutes à lescontemplersedéplaceravecgrâce.Mesyeuxnepeuventsedétacherdeleursilhouette,desasilhouette.Maisjenedoispas,jenepeuxpas.Sicequejepenseestbeletbienentraind’arriver,ilvafalloirquejeparted’ici.Ettrèsvite.Tantpispourlavengeancequej’avaisprogrammée.D’ailleursj’enviensàmedemandersi jevoulaisvraimentmevenger.Si toutçan’étaitpas justeuneexcuse.Uneexcusepour larevoir.
J’écrasemonmégotdanslesableavantdemepencheretdedonnerunbaisersurlajoueroséedemapetitesœur.
–Jedoisyaller,Gabie,maisjeteprometsqueleschosesvontchanger,luimurmuré-je.
Ellelèvesatêteversmoi,étonnée,maisjeneluilaissepasletempsderépondrequoiquecesoit.Jem’éloignedéjà,pressantlepasendirectionduparking.Jedoisquittercetendroit.Jen’aiaucuneenviequeleschosesempirent.Jen’ainiletempsnilaplacepourcequiseprépare.J’auraisdûm’endouter,j’auraisdûlecomprendre,j’auraisdûledeviner.Mêmesijen’aijamaissucequec’était,mêmesijemesuistoujoursjuréqueçanedevaitpasm’arriver.Jepensaispouvoirtoutcontrôler,avoirlemondeàmespieds.Maisilyavisiblementdesloisdansl’universquiéchappentàmavolonté.Etjenesuispasdecettetrempe-là.Ohnon.JesuisCharlesDumont,riennipersonnenepourradétruirelesbarrièresquej’aiconsciencieusementérigéesautourdemoncœur.S’ilexisteencore.Riennipersonne.
***
Jerejoinsenfinmavoitureaprèsavoirdûm’arrêtervingtbonnesminutessurleparkingpourrépondreàuncoupdetéléphonedeMax.Jen’airiencomprisdutoutàcequ’ilmeracontait.J’aieuledroitaudiscours sur l’avenir, des tas de questions, de doutes et un tas de blabla.Monsieur n’est plus sûr devouloirpartiràLondres.Ilpensequetoutesavieestuneerreuroujenesaisquoi.J’aitentédelecalmerà coups de blagues et de conseils du genre : « Tu devrais tirer ta crampe. »Mais au lieu de ça, ilsembleraitquejel’aiencoreplusénervé.Ils’estmisàmecrierdessusendisantquejenecomprenaisvraimentrienàrien,quej’étaistoutsaufsonami,quejen’avaisjamaisprisletempsdel’écouteretque
jenepensaisqu’àmapetitepersonne.
Puisilaraccroché.Commeça.Sansrienajouterdeplus.Sansmelaisserletempsdem’expliquer.Jesuisrestésurlecul.Maxnem’ajamaisparléainsi.Jenecomprendsrienàcequisepassedansmavie,encemoment.Etpuis,qu’est-cequ’ilraconte,cecon?Biensûrquejem’intéresseàsavie!Biensûrquejeleconnais!Onestamisdepuisvingtans.Ilfaudraitvraimentêtreunabrutipournepasconnaîtrequelqu’unquipartagetaviedepuissilongtemps.Ildéconne,ildéconneàpleintube.J’appuiesurlaclefdemaMinipourl’ouvrir.Lespharesclignotentetj’entendslebip-biphabituel.Jem’apprêteàmonteràl’intérieurquandunevoix,quimesemblelégèrementfamilière,m’interpelle.
–MiniCooper?Jenesuispassurprise,maisquandmêmeunpeudéçue…
Jelèvelesyeux,etsonregardaccrochelemien.Elleestàcôté,àdeuxpasdemoi.Ceslongscheveuxchâtains remontés en une queue de cheval, ses grands yeux bleus, sa bouche mutine, sa silhouette àl’allure fragilemoulée dans un ensemble de cavalière qui réveille enmoi de vilaines pulsions.Bulleressembleàunangevenutenterlediable.
–Pardon?–Tavoiture,désigne-t-elledudoigt.Jetevoyaisavecquelquechosedeplus…puissant.MaislaMini
tevabien,aufinal.LestypesetlesnanasdanstongenreonttousleurMinipayéeparpapa.
Jepourraisavoirlarépliquefacile,maisjen’enfaisrien.Aucontraire,jelajouefine.
–Aumoins,celle-là,tunerisquespasdemelavoler.
Ellesourit.Unpetitsourire,commeunentracte,commeunaperçu,commeledébutd’unehistoire.
–Pasfaux.–Etjepeuxsavoirdansquellevoiture«untypedansmongenre»seraitcensérouler?UneFerrari
peut-être?–Ferrari?Banal…s’amuse-t-elle.Non,jediraisplutôt…Hum…
Ellefaitminederéfléchir,levantlatêteversleciel,etsonvisages’illumine:
–UnePorsche935turbo2,9.–UnePorsche935,répété-jeamuséetsurprisparsaconnaissanceenlamatière.–Oui,toutàfait.QuandonrouleenATK700,jecroisqu’onpeutsepermettrelaPorsche,non?Enfin,
peut-êtrequelessensationsfortescen’estpastontruc…lance-t-elle,unbrinprovocatrice.
Cette fois-ci, c’estmoi qui lui souris. Elle est exactement comme je l’avais imaginée.Audacieuse,
franche.Ellesefoutbiendesavoiràquielles’adresseetbienpireencore,ellenememangepasdanslamain.Aucontraire,elles’oppose.Elleestencoreplusdangereusequecequej’avaisimaginé.
–Tunerestespasvoirtasœur?mequestionne-t-elle.
Cettefois,jerentredansmavoituretoutenluirépondant:
–Non.–Tuasmieuxàfaire,jesuppose,semoque-t-elle.–Exactement.
Jedémarreetbaisselafenêtretandisqu’elles’approcheetsepenchecontremaportière.
–Ahoui,quoi?Trouverunenouvelleplacepourtoncasque?
Unpetitrictusaucoindeslèvres,jetentedenepasmefairedéconcentrerparsapoitrinemenuemaisterriblementsexy,quis’agitesansqu’elles’enrendecomptesousmonnez.
–Nonplus,dis-jeencommençantàreculer.–Testerunnouvelascenseur?insiste-t-elle,piquante.–Jelesconnaisdéjàtous…
Àcetinstant,sespetitesjouessemettentàrougiretjeperçoiscommeuntroubleaufonddesesyeux.LapetiteBulleaurait-ellepeurdugrandméchant loup?Elleseressaisitvite,nevoulantsûrementpasquejedétectecetrouble.Maisilestdéjàtroptard.Rienn’échappeàCharlesDumont.
–Celanem’étonnepas,rétorque-t-elle.–Tusemblesbienmeconnaître,Bulle.N’aurais-tupasquelquespréjugés?–Peut-êtrees-tujustetropprévisible,CharlesDumont,merépond-elle.
Etlorsquej’entendsmonnoms’échapperautraversdeseslèvresdivines,jemecrispeinstantanémentsur le levier de vitesse. Il y a des choses qui réveillent un homme et avec lesquelles les filles nedevraientjamaisjouer.Cependant,jemereprends,jenesuisplusunpetitjoueurdepuislongtemps.
–Prévisible?répété-jeenm’apprêtantàdémarrer.–Totalement,semoque-t-elle.
Jefaisàmontourminederéfléchirquelquessecondesavantd’enfinmettrelaclefdanslecontact.
–Tuassansdouteraison,rétorqué-jeenfin,unsourirequelquepeuperfideauxcoinsdeslèvres.
D’uncoupdeclef,jefaisrugirlemoteurdema«prévisible»Minietl’abandonne,quittantleparking.Jel’aperçoissecouerlatêteettournerlestalonsdanslerétro.
Prévisible?Voilàbienunmotànepasutiliseravecmoi.
AttentionàtoipetiteBulle,tuasjetél’huilesurlefeu.Etjenesuisjamaisceluiquil’éteint.Jamais.
5-Aventurenocturne
Samedi10mai2014,22h00.
Jesuispileàl’heure.Garéjustedevantl’entréeduKempinski,installéconfortablementsurlessiègesencuirdemonnouveaujoujou,j’attends.
Coupd’œilàmaBretling:vingt-deuxheurescinq.Ellenedevraitplustarder.
Jem’amuseàobservertouteslesminettespasserdevantmoienmelançantdegrandssourires.Jenepeuxm’empêcherdematerleculdelacharmantemétissequipassedevantmavoiturepourlatroisièmefois.Ah,magrande,sijen’étaispasenmission,ceseraittonsoir,jepeuxtelegarantir!
Jesurveillelehalld’entréesousl’œilagacéduconcierge.Ilm’astipuléqu’ilétaitclairementinterditdesegarerlàetqu’ilallaitappelerlapolicesijenebougeaispasd’ici.Ilafiniparseraviserquandjeluiaisortiunbilletdecinqcentfrancsenluidisantquejen’enn’avaisquepourcinqminutes.
Çayest!Lavoilà!
J’observe sa petite silhouette légère apparaître dans le hall. Je la remarque tout de suitemalgré lafoule;malgrélebruit;malgrélanuit.Dansunsimpleshortenjeanettee-shirtblanc,elleestpourtantmille fois plus belle que toutes les grandes cruches botoxées en Louboutin qui se pavanent dans lequartier.Jenesaispascequejefabriqueiciensachantparfaitementdansquelmerdierjerisquedemefoutre.J’aiconsciencequejeneveuxpasdetoutçamaisjenepeuxpasm’enempêcher.Bullefaitdemoicettechoseridiculeetobsédée.J’aivraimenthâtedevoirlatêtequ’ellevafaireenmevoyant,ennousvoyant.
Elleglisseseséternelsécouteurssurlesoreillesavantdepasserlesportes.Lesyeuxsurlesol,ellenemeremarquepastoutdesuite.Pire,ellemanquemêmedenepasmevoirdutout.Jesuispourtantgaréquasimentcontrelaporteettoutesleschiennesenchaleurdelavilleontpresquerongélespneusdemonbolidedeleurspetitesdentsvénales.Bulleestvraimentd’unautremonde.
Jedescendsenfindemavoitureetpassemamaindansmescheveuxpourdégagerunemèchedevantmesyeux.
Elletourneenfinlatêtedansmadirection,bienobligéedepasserdevantmoipourpouvoiraccéderautrottoir.Etc’estàcetinstant,àcetinstantprécis,quejeréalisequeplusrienneserajamaiscommeavant.Seslongscheveuxchâtainstombentsursesépaules,encerclantunvisageparfait,sanslamoindretracedemaquillage.Sesgrandscilsluidonnentdesairsdebicheetilnemanquequ’uneauréoleau-dessusdesatête pour confirmer que c’est bien le ciel qui l’envoie. Voilà, c’est officiel, j’en ai parfaitement
conscience,Bullevafoutrelebordeldansmavieetjenepeuxdéjàplusluttercontreça.
Elles’arrêtenet.Meregarde.Regardelavoiture:unePorsche935quejemesuisfaitelivrerd’Allemagne,pasplustardqu’hier.J’aitapéfort,maisquevoulez-vous,jedétestetoutcequiesttropprévisible…Bulletentedenepastroplemontrer,maisjevoisbienqu’elleestimpressionnée.Ellemeregardeànouveau.Puissourit.Unputaindesourire.Untrucquivousretournelesneuronesbienplusquetouteslesdroguesdumonde.C’estcomplètementdingue.
–Tun’asvraimentaucunelimite,m’adresse-t-elle,amusée.–Tume trouves toujours aussiprévisible, àprésent ? rétorqué-je ennepouvantm’empêcherde lui
sourire.
Ellemimeunpetitairincertain,commepourmeprovoquer.Ellen’avraimentaucunecompassion!
–Cen’estpasmal,j’avoue,finit-elleparrépondre.–«Pasmal»,c’esttout?–Oui,«pasmal»,insiste-t-elleunpeuprovocatrice.–OK,alorsespéronsquelasuitetesatisferaunpeuplus,balancé-jeunpeumystérieux.–Lasuite?
Ah,sessourcilssefroncent!Elleestapparemmentcurieuse!
–Oui,lasuite,insisté-jedansunpetitsourireocculte.Tumontes?Jet’emmènequelquepart.
Ellesecouelatêteensouriant.
–Tupensesvraimentquelemondeestàtespieds,CharlesDumont!J’aipeut-êtrequelquechosedeprévupourmasoirée,bienplusintéressantquecequetuasàmeproposer.
Jelaregardeuninstant,sourisunesecondefoisetpasseunenouvellefoismamaindanslescheveux.
–Premièrement,jesuispratiquementsûrquetun’asriendeprévucesoir.Deuxièmement,sic’étaitlecas, je suis aussi persuadé que ça ne pourra jamais être mieux que ce que moi j’ai prévu. Ettroisièmement, si tu n’avais pas un tant soit peu envie d’en savoir plus, tu ne serais pas encore là,rétorqué-jeenlamontrantdudoigt.
Elle soupire, semble quelque peu indécise. Elle finit par ouvrir la porte du véhicule et se glisse àl’intérieur.
–OK,dit-elle.Maisjetepréviens,situmefaislecoupdelapanne,jet’abandonnesurleborddela
routeet,cettefois,jeneramèneraipastonnouveaujouetdevanttaporte.Tuneméritespascebijou.
Jerigoledevantsonfranc-parleravantdem’installerauvolant.
–Attachetaceinture,luiindiqué-je.–Tut’esprispourunpilotedecourse?melance-t-elle.Tucroisqu’onvas’envoleraudécollage?
Jen’ajouterienetdémarrelebolide,laissantlemoteurrépondredelui-mêmeàcettepetiteinsolente.Jequitteleslieux,saluantleconcierged’unsourireplusqu’hypocriteetprendslaroutedulac,directionPrangins.
***
–Commentas-tusuquejeseraisauKempinski?
Bullesedécideenfinàromprelesilence.Nousroulonsdepuisplusieursminutesdéjàetl’ambianceestquelquepeuétrange.
–J’aisoudoyélesbonnespersonnes,quim’ontfourniquelquesinfos,réponds-jesansquitterlaroutedesyeux.–Tunepeuxpasobtenirquelquechoseautrementqu’enpayant?
Jetourneunesecondelatêteverselle.Appuyéecontrelafenêtre,elleregardelepaysagedéfiler.Elleaattachésescheveuxenunchignonnégligéquilaisseentrevoirunenuquedesplusdélicieuses.
–Jepensequel’argentouvretouteslesportesetjenevaispasmepriverd’utiliserlemien.–Cen’estpasletien;tunel’aspasgagné.
UnpointpourBulle.
–Effectivement,monpèreetmongrand-pèrel’ontfaitpourmoi.C’estencoremieuxdenerienavoiràfairepourenavoir,tunecroispas?laprovoqué-je.–Tuesvraimentunpetitcon!Tulesais?s’agace-t-elle.–Ouietj’aimeça.Encoreplusquandc’esttoiquiledis,lancé-jed’unepetitevoixsuave.
Etalorsquejem’apprêteàluioffrirmonregarddebraisepouraccompagnermaréplique,ellesemetàexploserderire.Unvraifourirequimedéstabilisecomplétement.
–Ohnon,Charles,jet’ensupplie,tente-t-elled’articulerentredeuxpouffements.Nemedispasquece
genrederepartiemarcheaveclesautresnanas!
Je reste dubitatif face à cette cuisante défaite. Jeme sens con, tout à coup. Elle n’a pas tort, c’estringard–complètementet totalement ringard. Jene l’avais jamaisvraiment remarqué, jusqu’àprésent.C’est-à-direquecelaavaitfaitsespreuvessurtouteslesfillesquej’aichopéesavantBulle.Ilneleurenfautguèrepluspourfinirsurlabanquettearrière.MaisBullen’estpascegenredefilles.Jel’aidevinélapremièrefoisquesonregardacroisélemien.Qu’estcequim’aprisdedireunemerdepareille?
–Tusaiscommemoi,quecegenredefillessefoutpasmaldecequejepeuxdire.Cen’estpascequilesintéresseleplus.–Aumoins,tueslucide,c’estdéjàça,plaisante-t-elle.–Oui,cequ’ellesveulentc’estmonphysiquederêve,m’amusé-jeenluioffrantunpetitclind’œilde
défi.
Bullelèvelesmainsenl’aircommepourcapituler.
–Tuesuncasdésespéré,Charles.Onnepeutplusrienpourtoi!
Jenepeuxmedéfairedemonsourire.JesourisàBulle;àGenève;àlanuit.Jesourisaudestin;àcetinstant.Jesourissansbut,sansraisonprécise.Justeparcequejesuisbien.Jesouris.Pourlapremièrefois.
***
–Charles, je t’avaisditquesi tumefaisais lecoupde lapanne, je t’abandonneraissurplace, tu tesouviens?
Descenduedelavoiture,sesdeuxmainssurleshanches,Bullemefixe.Ellen’apasl’airtranquilleetattends.Jesuisencorederrièrelevolant,laportièreouverte.Noussommesarrêtésdansunpetitcheminaumilieudenullepart.Enfin,pasvraiment car je sais exactementoùnousnous trouvonsetpourquoi.Maismacompagnedecesoirn’apasl’airrassurédutout.Bienaucontraire.
–ChèreBulle,sij’avaisvoulutefairelecoupdelapanne,jen’auraispasprislaPorschemaisplutôtleLandRover.Tusaurasquej’apprécieleconfort.Ilfaittropfroidpourbatifolerdansl’herbeousurlecapot!
Jeme régale en la défiant demes remarques acerbes,mais je suis toujours aussi surpris de la voirrougir.Bullen’estvisiblementpasàl’aiseaveclessous-entendusfaçon«CharlesDumont».Maiselleabientropdecaractèrepourlemontreretsechargedemedonnerlaréplique:
–Charles,même si nous étions les deux seuls rescapés d’une guerre nucléaire et que la survie de
l’espècedépendaitdenous,jetediraisnon.Tusaisis?–Jesaisis,acquiescé-je,amusé.
Elletournesurelle-mêmeenregardantautourdenous.
–Bon,etmaintenant,tucomptesmedirecequenousfaisonsici?mequestionne-t-elleenbalayantlepaysagedelamain.
Jemepenchesurlesiègepassagerpourouvrirlaboîteàgants,delaquellej’extirpedeuxlampesdepoche.Jesorsenfindelavoiture,éteignantlesphares.Noussommesimmédiatementplongésdanslanuitnoire.
–Charles,jenevoisplusrien,s’agacemarebelle.
J’allumeleslampesquejepointedanssadirection.
–Maisqu’est-cequetufabriques?–Jeteprouvequejenesuispassiprévisiblequeça.
Et jeglissedanssamainunedesdeux lampesavantde l’entraînersurunpetitsentieraumilieudesbois.
–Jemedemandepourquoijetesuis,soupire-t-ellealorsquenousnousenfonçonsdanslessous-bois.–Parcequetuasunpetitfaiblepourmoi,toutsimplement,lataquiné-je.–Tuessisûrdetoi,Charles.J’espèrevraimentquequelqu’unteremettraàtaplace,unjour!
Nous continuons d’avancer. J’essaie de ne pas marcher trop vite, et Bulle malgré ses quinze bonscentimètres de moins que moi et ses quarante-cinq kilos toute mouillée, tient le rythme. J’espèresimplementquejemesouviensbienduchemin.C’estquandmêmeplusfacileenpleinjour.Alorsquejecommenceàpenserquej’ailoupéuneintersection,j’aperçoisauboutdemalampetorche,lesrefletsdesclapotisdel’eauvenants’écrasersurlesrochers.Nousysommes!
J’accélère le pas et nous débouchons sur une digue de pierres. Jem’arrête quelques secondes pouradmirerlepaysage.NoussommesdeboutfaceaulacLémanetlalunesereflètesursasurface.Enface,leslumièresdeColognyetdelaHaute-Savoieilluminentlescollines.
–C’esttrèsjoli.
Je pivote. Bulle est debout à mes côtés, observant le lac qui se dresse devant elle. Des mècheséchappéesdesonchignonvirevoltentautourdesonvisageetdesonpetitnezretroussé.Ellesemblesi
jeune, si innocente, presque fragile. Et pourtant… un volcan sommeille dans ce corps minuscule. Unvolcanquiestentraindefoutrelefeuàtoutesmesconvictions.
–Çateplaît?luidemandé-jeencherchantsonregard.–Oui,souffle-t-elleentournantlatêteversmoi.– Parfait, alors maintenant je suis pratiquement sûr que tu ne diras plus jamais que je ne suis pas
prévisible!Viens!
Etsanslamoindreretenue,j’attrapesamainetl’entraîneaumilieudesrocherslongeantlelac.Jecroisque c’est la première fois que je tiens une nana par lamain. Enfin sans qu’elle soit à poil et que jechercheàl’attacherauxbarreauxdemonlit.Ilfautquejemecalme.Jedécidedoncdelalâcher.Ilnefaudraitpasqu’ellepuissetrouverunefaillechezmoietqu’elledécidedes’yengouffrer.Quisaitcequipourraitensuitearriver?Ellecontinuetoutdemêmedemesuivreetnousarrivonsenfinàl’endroitexactoùjevoulaisl’amener.Nousescaladonsquelquesrochersavantdenousretrouversurunenouvelledigue.
–Charles,oùsommes-nous?medemande-t-elle,inquiète.–Suruneplageprivée!Viens,avançonsencoreunpeu,çanevapastarder,luiintimé-je.
Jesensl’incompréhensionprendrepossessiondeBullemaisellecontinuedemetalonner.
–Voilà,ici!Ceseraparfait!
Jem’arrêtesurlepontonduportprivéquiappartientàl’immensepropriétéderrièrenous.Bullenel’apasencoreremarquéeetfixeencorelelac.
–Et?demande-t-elleenvoulantcomprendrecequenousfabriquonsici.
Je placemesdeuxmains sur sa taille et la soulève légèrement.Elle est surprise par cemouvementsoudainetjelasensrougirinstantanément.Jelapivotedanslebonsensavantd’ajouter:
–C’estparlàqueçasepasse,mademoiselle,murmuré-jeenmesaisissantdesalampetorche.
J’éteinslesdeuxlampesetlesglissedanslespochesarrièredemonjeans.
–Jenevoisrien,rétorque-t-elle.–Patience…murmuré-je.
Jejetteuncoupd’œilversBulle,quelaLunerendpresquefantomatique.Labeautéquisedégagedeses traitsestdramatique.Déstabilisé, jecommenceàm’impatienterégalementetregardemamontreententantdevoirlespetitesaiguillesdemaBretling.Noussommesonnepeutplusdanslestemps!Etdans
lasecondequisuit,lespectaclecommence.L’immenseparcdelapropriétéquinousfaitfaces’éclairepetitàpetit.LeslumièressereflètentsurlevisagedeBulle.Jelacontempleendécouvrirchaquerecoin.Noussommesassezloinpournepasêtrevusmaisassezprochespourprofiterdecequisedéroulesousnosyeuxébahis.Aufuretàmesurequelesspotss’allument,desalléessedessinentetnousapercevonslesbarrièresblanchesquibordentchacuned’entreelles.Bulleneditrien,complètementsubjuguéeparlascène,ellesedemandesansdoutecequisepasse.Etlapartielaplusintéressantes’amorceenfin…
Sortis de nulle part, des chevaux surgissent et s’agitent aumilieu des parcs. Je n’y connais rien encanassons,mais jesaiscependantquisont lesgensquivivent ici.Jesaisdoncque leschevauxquisedressentàprésentdevantnousnesontpasdespluscommuns.Leurcouleuretleurbeautén’ontrienàvoiraveccequel’onpeuttrouverdanscemonde.Etsij’avaisencoredesdoutes,l’expressiondeBulle,àcetinstantprécis,confirmemesconvictions.
–Charles…MonDieu…balbutie-t-elle.Cesontdes…des…des…
Stupéfaite,Bullen’arrivemêmeplusàtrouversesmots.Jemerégaledechaqueinstant.
–Des?–DesAkhal-Tekedorés,souffle-t-elle,irrémédiablementsouslecharme.
Tandisque leschevaux tourbillonnent sousnosyeux, j’observe levisageémerveillédeBulle. Jenesavais même pas quel nom ces chevaux avaient – les Teckels Dorés ou je ne sais quoi –, maisapparemment, lespectacleestàsongoût.Àcet instant, le regardémerveillédeBulleest laplusbellechosequ’ilm’aitétédonnédevoir.
–Alors,MademoiselleBulle,metrouvez-voustoujoursaussi«prévisible»,àprésent?
Elletournesonvisageversmoi,plongesesgrandsyeuxembuésdanslesmiens.Ellenerépondrienmais ses prunelles parlent pour elle.Nous restons quelques secondes ainsi, et sans que je puissem’yattendre,etencoremoinsmecontrôler,moncœurs’emballe.Bullese tourneànouveauverssonballetéquindans le silencede lanuit.Et alorsque je sensdespetitsdoigts finsvenir s’enrouler autourdesmiens,jel’entendschuchoter:
–Merci,Charles…
Moncorpsn’estplusquefrissons.Etsoudain,plusrienn’ad’importance.
6-Tournerseptfoissalangue
Pourlapremièrefoisdemavie,jeramèneunefillechezelle.Plusexactement:pourlapremièrefoisdemavie,jeramèneunefillechezelleETjenel’aipassautée.
Pourtant,quandonobserveBulle,mêmel’espaced’uneseconde,celaréveillevosplusbasinstincts.Un corps fin, des petits fesses rondes, une poitrinemenue comme il faut, un visage de poupée, un airinnocentmaisunregarddebraise.Lesféessesontpenchéessursonberceau.Ellesontmêmedûtomberdedans.
LeCharlesDumontdesgrandsjoursauraithabituellementtoutfaitpourarriveràsesfins,etçadèslepremierregard.Mais là,sanssavoircequ’ilm’arriveexactement, jeperdsdemasplendeur.Peut-êtreparcequ’habituellement, ce sont les fillesqui tombent commedesmouches àmespieds. Il suffit d’unsourire,d’unverre,d’uncoupd’œilsurmamontreetmablackcardetc’estparti.Maréputationestbientaillée,danslecercletrèsfermédelajeunessegenevoise.Beaucoupdepersonnessaventquijesuisetcequejereprésente.Monpatronymeparlepourmoi.Danslavilleduboutdulac,unerueportemêmelenomdemongrand-père.Mafamilleestlesymboledelaréussitehelvétiqueauxquatrecoinsduglobe.Touteslesfilleslesaventettoutesrêventd’accrocherlepetitfilsDumontdontlafortunefamilialen’estplusàmentionner.Toutes les filles,maispasBulle.Bullequi, toutd’abord,décidedem’ignorerpourensuitesefoutredemagueule.Bullequivolemamotoetmetraitedemec«prévisible».Bullequin’ad’yeuxquepourlescanassonsetquinesauraitdifférencieruneBretlingd’uneRolex.BullequiconduitMAPorschealorsquenoussommessurlarouteduretour.
Oui,MademoiselleBulleestactuellementauvolantdeMONbolideetmoi,jemetienscommejepeuxsurlapoignéedelafenêtreenfermantlesyeuxàchaquevirage.
–Bulle,tuessûredenepasvouloirralentir?tenté-jevainement.–Charles, je tesignalequejenedépasseaucunelimitedevitesseautoriséeetquejemesuismême
arrêtéepourlaisserpasserunécureuilsortitoutdroitdetonimagination!
Jenesaispascequim’aprisdecéderàcettedemande.Jeveuxdire,mêmeMaxn’ajamaisconduitaucune de mes voitures. Pour moi c’est le symbole de ma virilité, de mon orgueil de mâle, de monpouvoir.Sanscompterlefaitquej’aisignélebond’achatilyamoinsdequarante-huitheuresetquemonassureurm’acolléuntarifdémentielpourcepetitbijou.Enfinsionl’écoute,ilm’afaitunprixdéfianttouteconcurrence.Maisc’estunassureur…Pourtant,malgrétoutça,ilasuffid’unregardetd’unsouriredelapartdeBullepourquejeluitendelesclefsdema935etqu’elles’installeauvolant.Unregardetunsourire.
– Je crois que je vais reprendre le volant, Bulle, je neme sens vraiment pas à l’aise en tant quepassager.
–Est-cequetudislamêmechoseàtonchauffeur?–Jen’aipasdechauffeur.
Ellemejetteuncoupd’œilentordantsabouched’unairpeuconvaincu.
–OK,onaunchauffeur,capitulé-je.MaisilneconduitpasMAvoiture!–Tul’aurasvoulu,Charles,murmure-t-ellealors.
Et sans me donner le temps de dire ou d’ajouter quoi que ce soit, elle donne un méchant coupd’accélérateuretfaits’envolerles600chevauxsouslecapot.
–Bulle!Maisqu’est-cequetufous?hurlé-je,enpanique.
Desgouttesdesueurcommencentàperlersurmonfrontetdesfrissonsmeparcourentl’échine.
–Jetedonneunevraieraisondet’accrocherauplafond,Charles,rétorque-t-elleenfixantlaroute,lespneusscotchésaubitume.
Unemainsurlevolant,l’autresurlelevierdevitesse,Bullepasselesrapportsaussifacilementquesielle était sur un circuit. Elle double, accélère, freine, fait défiler le paysage. Pour ma part, je suistellement crispé surmon siège que je freine instinctivement sur le tapis avecmon pied droit. Je suispartagéentreadmirationetenviedemeurtre.Bullen’apeurderienetmaîtrisemavoiturepresquemieuxquemoi.J’aiditpresque.
Elledonneungrandcoupd’accélérationsurlaroutedeLausanne,déserteàcetteheure-ci,etjevoislecompteurgrimperméchammentjusqu’àunchiffrequejenepeuxmerésoudreàaccepter.C’estofficiel,nous allons mourir. Mais heureusement pour moi, elle finit par ralentir et mettre son clignotant pours’arrêtersurlebas-côté.
Ellecoupelemoteur,caressedesdeuxmainslevolant,admirative.QuandellerevientsurTerre,denouveaumaîtredesesesprits,ellemetendlaclef:
–Voilà comment se conduit une Porsche 935, Charles. Tu sais ce qu’on dit dans l’équitation ?medemande-t-elleentournantsonpetitvisaged’angecorrompuversmoi.
Jenerépondspas,encoreparalyséparlamontéed’adrénaline.Ellesouritdevantmaminedéconfite.
–«À jeunecavalier,vieuxcheval ;à jeunecheval,vieuxcavalier.»Avec tout le respectque je tedois,oupasd’ailleurs,taPorscheneteméritepas.
Jesecouelatête,reprenantmesesprits.Quellepetitegarce!
–JenevoudraispastevexermachèreBulle,dis-jeenmetournantverselle,maisilmesemblequetuasquelquesannéesdemoinsquemoi,non?
Elletortilleencoresabouche,cequicommenceàm’émoustillerlégèrement.
–Certes,maissionconsidèrequej’aiposélesfessessurcegenredevoituresalorsquej’étaisencoreencouche-culottependantquetoituapprenaissûrementàjoueraugolfavectoncherpapa,celaannuletoustesarguments.
Jelafixe.Ellem’amusedeplusenplus.Ellen’apastoutàfaittort.Monpèrem’abienapprisàjoueraugolf.Maisilapayéunprofesseurpourça.Iln’avaitguèreletempsdeseconsacreràsonrejeton.
–OK,Bulle.Jedoisavouerquetun’espastropmauvaisequandils’agitdefairedemoiunstéréotype.Mais, j’aimerais comprendre, qu’est-ce que tu foutais en couche-culotte au milieu des voitures ? Tutrainaisdansungarageparcequetonpèreétaitmécanicienetcommetuétaissafilleunique,ilafaitdetoiunvraipetitbonhomme?Oumieuxencore,Papaestpartiettufaistoutçaenattendantsonretour.Onadumalàcouperlecordon,mabelle?luibalancé-je,moqueur.
Etalorsquejem’apprêteàenrajouterunecouchepourl’emmerderunpeuplus,jevoislesyeuxdeBullepasserdubleuaunoirintense,cercléspardeslarmesretenues.Sespetitesmainsseserrentetsonvisage,qu’elledétournedumien,secrispe.Elleouvrelaportedelavoitureetendescend.
Jenerisplusdutout,resteimmobileetnecomprendsrienàcechangementd’attitudeetd’ambiancesoudain.
–Tuesuneordure,Charles.Uneputaind’ordure,mejette-t-elleauvisage.
Laduretéetlatristessequiémanentdesavoixmestupéfient.Qu’ai-jedit?Jen’aiquandmêmepas…non…cen’estpaspossible…lehasardnepeutpasêtreaussicruel…
Jesorsàmontourpourtenterdecomprendrecequ’ilsepasse,maisBulleestdéjàdel’autrecôtédelaroute.Ellecourt,s’enfuieàtoutesjambes.Jehurlecommeunconsonprénomaumilieudelanuit.
Putain,maisqu’ai-jeencoresorti?Qu’ai-jefait…?
J’hésiteà luicouriraprèsalorsqu’elles’éloignedeplusenpluset s’engouffredans les ruellesdesvillasquibordentlelac.
–Etmerde!soufflé-jeenreprenantlevolant.
Dansuncrissementdepneusjedéboîteaumilieudelaroutesansmesoucierdesavoirsiquelqu’unarrive.Jeremonteàcontresensl’avenueprincipaleavantdem’enfoncerdanslarueoùBulleadisparu.
Jemets lespleinsphareset scrute les trottoirsdéserts.Ellepeutêtrepartout. J’observesans fin lesalentoursmaisjenelavoisnullepart.Jecontinuederouler,detourner,dem’insérerdansdesimpasses.Alorsquejesuissurlepointd’abandonner,m’apprêtantàfairedemi-tourdansunepetiteruepiétonne,mespharescaptentquelquechose.Jeplisselesyeux,pastoutàfaitsûr.Etjel’aperçois.Recroquevilléesurlesol,latêteenfoncéedanssesgenoux,telunfantômequiveutsefaireoublier.Jecoupelemoteuretabandonnemonbolidesurletrottoiravantdem’insérerdanslepassage.Leslampadaireséclairentlanuitnoire etmon cœur se tord devant la vision de ce petit bout de femme, pliée en deux aumilieu de cechemin déserté. Jem’avance doucement vers elle et ce n’est que lorsque jeme retrouve à sa hauteurqu’elleredresseenfinlatête,réalisantquejesuislà.
Son doux visage est couvert de larmes et ses petites joues sont rougies par la colère. Çam’apprendra…Jevaisdevoirapprendreàfermermagueule,àl’avenir.
–Bulle…prononcé-jedoucement.–Va-t’en,Charles,merépond-ellesèchement,lagorgenouée.–MaisBulle…–Va-t’en,j’aidit!répète-elleenmecoupant.
Malgré la ragedont elle fait preuve, jem’accroupis devant elle, résistant à l’envie quime tord lestripesdel’attraperpourvenirlaserrercontremoi.
–Bulle,jesuisdésolé…Jenevoulaispastefairedemal…Jesuisdésolésij’aiditquelquechosed’offensant.Jet’assurequejenevoulaispas…C’estunhasard,unputaindesalehasard!–Menteur,mecrache-t-elleauvisage.–Jet’assureBulle!insisté-je.– Alors pourquoi as-tu dit que tu avais soudoyé des gens pour obtenir des infos surmoi ? Hein !
Pourquoi?Quelest tonbut,Charles?Tuveuxunnouveautrophée?Unenouvellevictoire?Sauter lapauvrepetiteorphelinepourt’enventerauprèsdesabrutisdanstongenre?Lespetitespétassesdefillesàpapanetefaisaientplusbander,c’estça?
Safureurm’effraie.Etjecomprendspetitàpetitchacundesesmots.«Orpheline»…Jesuisvraimentun abruti fini… Elle se redresse en me bousculant, partant dans l’autre sens en me jetant toutes ceshorreursauvisage.Entempsnormal,jen’auraislaissépersonnemeparlerainsi.Personne.
–Bulle,jet’assure,tun’yespasdutout!
Jetentedelarattraperalorsqu’ellem’adressesanssetournerunmajeurbienlevé.
–C’estmasœurquim’aditquetubossaislà-bas!Masœur,tuentends?Etjel’aisoudoyéeavecuneglace !Uneputaindeglace ! Jenesais riendeplus !Absolument riendeplus !C’estunmalentendu,Bulle!Unputaindegrosmalentendu!
Enentendantchacundemesmots,Bulleralentitsamarche,etfinitmêmepars’arrêter.Toujoursdosàmoi,têtebaissée,ellerestesilencieuse.Jetentealorsuneapprocheetm’arrêteàquelquescentimètresàpeine.
–Bulle…
Jeposeunemainsursonépauleetuncourantélectriqueparcourtmonbras.Ellepivotesurelle-même,leregardtoujoursfixésurlesol,n’osantsansdoutepasaffronterlemien.Jeglissealorsdélicatementunemainsoussonmentonetredressesonvisagedepoupéepourplongermesyeuxvertsdanslessiens.Jemeursd’enviede sentir ses lèvres sur lesmiennes, degoûter à sa bouche, de lui dire dansun simplebaiseràquelpointelleestbelleetàquelpointjesuisdésolé.Maisjen’enfaisrien.Jenepeuxpas.Jemelesuisjuré,j’enaimêmefaitunpointd’honneur.Pasdesentiment.Sijenesuispassûrdepouvoirladégagerdanslesvingt-quatreheures,jen’embrasseaucunefille.EtBullen’estpasunefillequetujettesaupetitmatin.Non.Bulleestlegenredefillequetuépousesetàquitufaisquinzegaminsenréalisantchaquejouràquelpointlavieaétégénéreuseavectoienlamettantsurtonchemin.Bullen’estpasunefillepourmoi,c’estonnepeutplusévident.
Alorsjedétourneleregard,etjel’inviteàmesuivrejusqu’àlavoiture.
–Viens,jeteramène.
Elle seglisse sur le siègepassageretnous repartonsendirectionducentre-ville sansprononcerunmot.
C’estdevantlagarequejefinisparladéposeretqu’ellesortdemavoituredansunsilencedesplusglacials.Bullelesait,jen’airienàluioffrir.Ettoutcecirquenerimeàrien.C’estsûrementladernièrefoisque je lavois.Alors lorsqu’elledescend, je l’observes’éloigner le longdes lignesde tram.Elles’effacetandisquelesnoctambulesmeklaxonnent.Elledisparaîtdemavue,peut-êtremêmedemavie.Mon regard reste figé là où sa silhouette s’est évanouie et jeme dis que la vie est parfois une bellemerde.MaisCharlesDumont,n’estpasfaitpourleshappyendsmielleux.Jefinisdoncparpartiràmontour,retrouvermapetiteviebienrangée.Bienrangée…
***
Dimanche11mai,9h30dumatin
L’heureestgrave.Jediraismêmeplus,l’heureestTRÈSgrave.
D’abord,parcequenoussommesdimanchematinetque,pourlapremièrefois,enpresquedixans,jesuisrentrébredouillelaveilleausoir.AprèsavoirdéposéBulle,jesuisretournédirectementchezmoi,aulitetbasta.C’esttellementincroyableque,mêmemoi,j’aieudumalàleconcevoir.Deuxièmement,parcequejesuisactuellementavecMax,quiestcenséêtredansunavionenroutepourLondresmaisquisetrouveassissurmontapis,unebièreàlamain,debonmatin.
–Maistuneveuxpasmedirecequ’ilyaàlafin,putain,Max?m’énervé-je.–J’aimeraisbien,Charles,maiscommejetel’aidéjàdit,jen’enn’aiaucuneidée!
Jetourneenronddansmachambre,faisantlescentpas.Monsieuradébarquéilyatrenteminutesenmedisantqu’ilavaitannulésonstageetqu’ilavaitbesoindesechangerlesidées.Jen’airientrouvédemieux sur le coup qu’une bière qui traînait dans le frigo. Quand j’ai voulu savoir ce qui se passait,monsieurs’estenfermédansunmutismetotal,ajoutantjustedetempsàautreun:«Mavien’avraimentaucunsens».
– Max, putain ! Il y a trois jours, tu me faisais tous les reproches de la Terre au téléphone, meraccrochantcarrémentaunezet, aujourd’hui, tudébarquesenmedisantque tuasannulé le stagepourlequeltumebassinesdepuistestreizeans!Tudoisforcémentavoiruneidéedecequiestentraindesepasser!–Non,répète-t-ilhagard.–Oh,maismerde,Max!
Jepasselesmainsdansmescheveux,tirantdessuscommeunfouentranse.Ilestentraindemerendremarteau. Alors que je m’apprête à l’attraper pour le secouer et lui remettre les neurones en place,quelqu’unfrappeàlaportedupavillon.
Maxetmoitournonstouslesdeuxlatêteendirectiondel’entrée.
–C’estsûrementGabie,ellereviendra,grommelé-je.
Maisoninsiste;unpeuplusviolemment,cettefois.
–Ohbordel,cen’estpaslemoment,hurlé-jeenmerendantàlaporte.
Maxderrièremestalons,sescheveuxblondsenpétardetseslunettestorduesauboutdunez,j’ouvrelaporte,prêtàenvoyerboulermonvisiteurimprovisé.Maisàpeineai-jeappuyésurlapoignéequ’untypequejeneconnaisnid’Èvenid’Adam,faitirruptiondansmonsalonenenvoyantvalserlaportecontrelemur.
–Eh,maisquies-tuconnard?Tutecroisoùlà?adressé-jevirulemmentàmonasseyant.
Mais,unepetiteminute!Jeleconnaiscelui-là!C’estlegrandbrunquej’aivirédelaterrasse,mardimidi.Qu’est-cequ’ilfoutici?
–Jetepréviens,j’appellelesflics,luibalancé-jeenattrapantlecombinédel’entrée.
Ilmetoisedehautenbas,méprisant.
–Appellebienquituveux,petitcon.Maissij’aipuentrersansennui,jesortiraisansennuiaussi!
Jereposelecombinéetmerapproche,unairmenaçant,prêtàbondirsurluipourluicollerlaracléedesavie.
–Jesuisvenuteprévenir,m’agresse-t-ilenmepointantdudoigt.–Meprévenirdequoi,ironisé-jeàquelquescentimètresdelui.–Tunemefaispaspeur,Charles,mebalance-t-ilenpleineface.Paslapeinedeprendrecetairavec
moi.JesuislàpourBulle.
Àl’évocationdeceprénom,moncorpssefige.Paslongtemps,undixièmedeseconde,quelquechosed’imperceptibleàl’œilnu,maisquetoutmonêtreressent.
–Qu’est-ceBullevientfoutrelà-dedans?balancé-je.–Jeneveuxplusquetul’approches.C’estclair?insiste-t-il.
Jenepeuxm’empêcherdepoufferderiredevantsonairchevaleresque.Depuisquandmedonne-t-ondesordres?Sousmonpropretoit,enplus?Cemecestmaso.Ilnesaitpasquijesuis.
–Jecroisquetun’aspasconsciencedelapersonneàquitut’adresses,là,monpote.
Jeprendsappuisurlemeubleenacajoudusalon,unpetitsourireencoin.
–J’enaiparfaitementconscience,justement.Unconnardprétentieux,arrogant,quicroitquelemondeest à ses pieds grâce au fric de sonpapa.Unepetite raclure qui prend et jette toutes les filles qui setrouventsursonpassageetqui,parcequ’ildoitcommenceràsefairechier,s’enprendàlaseulefilledénuéed’intérêtpourlui.Bullen’estpasunefillepourtoi!Tum’entends?Elleadesvaleurs,elleestbrillante,généreuse,sincère!Ellevoitlebonpartout,mêmechezlespetitessaloperiesdanstongenre!Etpourtantc’estàcausedetypescommetoiqu’elleenestlàaujourd’hui.Doncjeteconseillevivementdeprendretesdistances!
Cettedernièrephrasenemelaissepasinsensiblecontrairementaurestedesondiscours.Mais jene
relèveriendevantlui.Jenevoudraispasluifairecethonneur.J’aimeraispourtantsavoircequ’ilveutdirepar:«Etpourtantc’estàcausedetypescommetoiqu’elleenestlàaujourd’hui.»Là?C’est-à-dire?
–Elleesttoutcequetuneserasjamais,alorslaisse-la,finit-ilparconclure.
Jesecouelatête,etnepeuxdécidersijesuisblaséouamuséparlasituation.
–Tuasfinitonpetitnuméro?Cen’estpasquetum’ennuiesmaisj’aid’autreschosesàfaire,bienplusintéressantesquedet’écouter!–Ordure,souffle-t-il.Situlafaispleurerencoreunefois.Uneseulepetitefois…
Ilserapprochedemoi,lesyeuxplissés,levisagesombre.
–Jen’auraiaucunepitié.Aucune.TonpetitpapapourramefoutretouslesprocèsdelaTerreaucul,rienàcarrer.C’estdanslelacqu’ilretrouveratoncadavre!
Jemanquedem’étoufferderire,surprisparsonaudaceetsadétermination.
–Rassure-moi,tun’espasentraindememenacer?ironisé-je.
Ilmelanceundernierregard,sedirigeverslaporte,passedevantmoisansmêmemeregarder.Alorsquejem’attendsàlevoirquitterleslieux,ilseretourneetm’envoieunedroitemagistraleenpleineface.Siforte,quej’enchancèleavantdem’écroulersurlesol.Jesuiscomplètementétourdietmetsquelquessecondespourréalisercequim’arrive.Quandjeprendsconsciencedeschoses,ilestdéjàsorti.Mais,alorsquelesétoilesdisparaissent,j’entendscependantcefilsdeputecrierunedernièrechose:
–Souviens-toibiendeça,CharlesDumont,cen’estqu’unavertissement!
Jetented’imprimersesparolesetmeredresse.Maismatêtetourneet,soudain,c’estletrounoir.
7-Joueraveclefeu
Allongésurmoncanapéencuir,unepochedeglace improviséesur la jouegauche, jesuisdansuneragefolle.Maxestpartiàlapharmaciechercherdesanti-inflammatoires,melaissantseul,bouillonnantdansmonsalon.
Ce type ne perd rien pour attendre. Il ne sait pas dans quellemerde il vient de se foutre. En règlegénérale, on ne s’en prendpas aux autres commeça,mais encoremoins àCharlesDumont !Dès quej’aurairetrouvésonnom,ilauraintérêtàbienseplanquer.Etcontrairementàcequ’ilpense,jenevaispasdemanderàmon«papa»deréglerleproblème.Non,onvafaireçaentrehommes.
En attendant, ce connard ne m’a pas loupé. J’ai vu ma tronche dans le miroir au-dessus de macommode.Majoueadoublédevolume,monnezestdansunsaleétatetletoutaprisuneteinteviolette.IlfautqueMaxappellesonpère.Savoirs’iln’apasuneinjectionmiraclepoursoignertoutça.Jenevaispaspouvoirtenirplusd’unesemainesansaller«chasser».
Etqu’est-cequ’ilfabriqueMax,d’ailleurs?Çavafaireplusd’uneheurequ’ilestparti!Lapremièrepharmacieestàmoinsd’unkilomètred’ici!Ilsefoutdemapoireouquoi?
J’attrapemontéléphoneetcomposesonnuméro.
Troissonneries.
–Allô?décroche-t-ilenfin.–Max,bordel,qu’est-cequetufous?râlé-je.–J’arrive,jesuisàl’entréedelarue,calme-toi,répond-ilpoliment.
Qu’est-cequ’ilm’agaceavecsontontoujoursposédebonnefamille.Unjour,jevaisfoutreunbuvarddeLSDdanssonverrepourledécoincerunboncoup.
–T’enasmisdutemps,rajouté-jegrognon.–Jetesignalequ’onestdimanche,Charles!J’aidûtrouverlapharmaciedegarde!
Jesoupire,agacé.
–Etalors,elleétaitdel’autrecôtédulacouquoi!–Figure-toiqueoui.Jeraccroche,j’arrive.
Jem’apprêteàfairedemêmequandjel’entendsajouterdanslecombiné:
–Charles,unepetitechose.–Quoiencore?m’énervé-je.–C’estnormalqu’unefillesoitentraind’escaladertonportail?
J’envoie tout valser etme lève du canapé sans prendre le temps de remettremon tee-shirt. Je l’aienlevétoutàl’heurepourépongerlesdégâtsqu’acausémonnez.Jemeprécipiteverslaporte,l’ouvreettombenezànezavecMaxetBulle.
Bulle…Jedois rêver.Qu’est-cequ’elle fabrique ici?AvecMax?Etoùest lananaquiestcenséeescaladermonportail?Soudain…Deuxsecondes…Jesuiscon.Maisvraimentcon…Lecoupadûêtreplusviolentque jepensais.Lafilleenquestion,c’estelle.Maisçan’explique toujourspascequ’ellefoutici!Chezmoi!Est-cequec’estl’autrefilsdeputequil’envoie?Sont-ilsentraindememenerenbateau?Bordel,matêtetourne,je…
–Charles!
Maxseprécipitepourmerattraperalorsquejeperdsl’équilibre.
J’aidûmelevertropvite.
Secondtrounoir.
Quellejournéedemerde.
Quandj’ouvreànouveaulesyeux,jepensed’abordquejesuisauparadis.Unefortelumièremebrulelesrétinesetj’aperçoisunangepenchéau-dessusdemoi.Jesenssamaincontremonfrontetsapeaual’odeurdujasmin.Lamortn’estpassimochequeça.
Jemetsquelquessecondesàcomprendrequ’enfait,jesuisdenouveauallongésurmoncanapé,quelalumière blanche est celle du soleil qui se reflète sur les grandsmurs blancs et que l’ange penché au-dessusdemoin’estautrequeBulle.
–Charles,çava?medemande-t-elled’unepetitevoix.
J’avaisoubliéàquelpointsontimbredevoixestdouxetàquelpointilmefaitperdremesmoyens.Maxestderrièreelle,unair inquiet luibarrant le frontet ses lunettes tordues luidonnant l’airunpeustupide.
Jenepeuxm’empêcherdelaisseréchapperunpetitrire.
–Ildélire,tucrois?adresse-t-ilàl’attentiondeBulle.
Ellesouritàsontourensetournantverslui.
–Onpourraitcroire,eneffet,s’amuse-t-elle,maisjepensequetonamiestjusteentraindesemoquerdetoi,ajoute-t-elleenmejetantunpetitregardmoralisateur.
Maxsoupireetselève,redressantseslunettesetreplaçantsonéternelleraiesurlecôté.
–Nahilnet’apasloupé,medit-elleenpassantdélicatementundoigtsurlescontoursdemonvisage.Jesuisdésolée…
Je devine queNahil est l’espèce demalade qui a débarqué chezmoi plus tôt.Mais alors qu’il y aquelques minutes encore j’étais prêt à le tuer de mes propres mains, la présence de Bulle me rendtotalementamnésique.Etpuis,sonpetitcorpscollécontrelemiendanscecanapé,savoixsicandide,lasensation de samain surmon visage…Oh bordel, il faut queMax dégage, parce que je ne vais paspouvoirtenirpluslongtemps.
Encoremoinslorsquejemeredressesur lecanapéetqueses jouess’empourprentdevantmontorsedénudé.
–Max?–Ouais?–Tun’aspasquelquechoseàfaire?lequestionné-jel’airderien.
Ilsetourneversmoi,avecunairsurpris.
–Pardon?–Oui,tusais,cetrucquetudevaisabsolumentrégleretquetut’apprêtaisàallerrésoudreavantqueje
tedemanded’alleràlapharmacie.
Je lui fais de gros yeux ronds et j’insiste bien sur chacun de mes mots, pour qu’il comprenne lemessage.Maisj’aitendanceàoublieràquelpointMaxestnaïf.Etaccessoirementidiot,parfois.
–MaisCharles,tudélires,jen’avaisrienprévudutout!
Jesoupire,nesachantquefairedemonmeilleurami,quiestdéfinitivementuncasdésespéré.Bulle,elle,sembleplutôtamuséedelasituation.
–MonsieurDumont,essayez-vousdevousdébarrasserdevotreamipourabuserdemoi?metaquine-t-elle.
Jesourisdevantsonbonsens.J’aiencoredumalàréaliserquejenem’adressepasàunefillecommelesautres.Tropdesalopes,tropdemauvaiseshabitudes.
–J’aimeraisdéjàcomprendrecequetufaisici,luirétorqué-je.–Jesuisvenuem’excuser.–T’excuser,répété-jesurpris.–Oui.Nahilestunpeutroppaternalisteavecmoi…Toutàl’heure,jel’aiappeléalorsqu’ilsortaitde
cheztoi…Ilm’aracontécequivenaitdesepasser.Nousnoussommesdisputésassezfort,d’ailleurs.Pour la première fois…Enfin bref, ce n’est pas le sujet, se reprend-elle.Après avoir raccroché, j’aifoncéjusqu’àcheztoi.J’avaispeurquecesoitgrave.JeconnaisNahil,iln’aaucunelimite,surtoutquandils’agitdemoi,il…–C’esttonmec?lacoupé-je.–Non!Non,pasdutout.Nahilestcommeunfrèrepourmoi.
Jemesouviensalorsdecequ’ilm’aditlorsquenousnoustrouvionsplaceduMolard.Etbizarrement,jemesensrassuré.L’idéequeBullefréquentequelqu’unnem’enchanteguère.
–Ahoui,c’estvrai,ilmel’adit.
Bullefroncelessourcils,necomprenantrienàcequejeraconte.
–Iltel’adit?–Oui,enfin,c’estunpeucompliqué.IlaimebienMax,visiblement.
Maxmanquedes’étoufferetBullesetourneversluiensouriant
–Çanem’étonnepas,ajoute-t-elle,tuestoutàfaitsongenre!
Levisagedemonamipassepartouteslescouleurs,maisjen’yprêtepasattention.
–Oui, enfin, tupeux leprévenirqu’ilnevapas s’en tirer commeça. Il s’enestprisà lamauvaisepersonne.
Bullelèvelesyeuxauciel,nemeprenantpasplusausérieuxqueça,cequim’agaceauplushautpoint.
–Jesuissérieux,mesens-jeobligéd’ajouterenserrantlesdents.
Maxcommenceàdétournerleregard.Ilmeconnaîtbien,ilsaitqu’ilnefautpasmepousser.
–Jeterappellequejesuisvenuem’excuser,Charles,merépondquandmêmeBulle.Tunepeuxpastecontenterdeça?–Non,affirmé-jeassezviolement.–Tuasvraimentunsalecaractère…s’agace-t-elle.–Certes,mais je ne suis rentré chezpersonnepar effractionpour lui casser la gueule sans raison !
lancé-je,cinglant.
Ellesoupire.
–Jecroisquejevaisyaller,tentedeglisserMax,deplusenplusmalàl’aise.–Tupeuxrester,luirépondgentimentBulle.–Non,vas-y,luiintimé-jeplusbrutalement.
Maxnesefaitpasprieretattrapesonsacdansl’entrée,mesaluantdeloinavantdeprendrelaporte.
–Tuluiparlescommeàunchien,mereprocheBulleunefoisMaxparti.
Maispourquiseprend-elleavectoutessesleçonsdemoral?
–Jeluiparlecommejeveux,bougonné-je.–Alorsnousn’avonspaslamêmenotiondel’amitié,c’esttout,s’obstine-t-elleàmerépondre.–Tuveuxtoujoursavoirlederniermot,c’estça?–Non.Jenedisjustepasamenàchacunedetesparoles,etcommetun’assûrementpasl’habitudeque
l’ontecontrarie,celaneteplaîtpas!Cen’estpaspluscompliquéqueça!
Ellemefixe,m’offrantungrandsourirehypocrite,etpenchesonvisageparfaitsurlecôté,moqueuse.Jesoupireunefoisdeplus,prenantuneminecontrariée.Cequilafaitrire!Ellerit!Bullesefoutdemoi,ouvertement,enplus!Quelculot!
–Charles,tuessidrôle…
Drôle?C’estlacerisesurlegâteau!Jenesuispasdrôle!Pasdrôledutout!Jem’apprêteàrétorquerunehorreur–un trucbienméchant,unemanièrede remettre leschosesà leurplace–,quandBullesepencheau-dessusdemoietvientposersondélicatdoigtsurmabouche.
–Chut,murmure-t-elle,sesgrandsyeuxplongésdanslesmiens.
Son petit corps appuyé contremon torse, son visage si pur, ce geste : il nem’en faut pas plus. Jel’attrape par le poignet et je la plaque définitivement contremoi.Nous restons quelques secondes, nenousdisantrienettoutàlafois.Etjecraquelepremier.Jem’étaispourtantjuré.MaisilyadeschosesquemêmeCharlesDumontnepeutpascontrôler.
J’attrapesonvisageentremesmains.Sesprunellesdélicieusesaufonddesmiennes,danslesquellesjedevine tant de choses. Bulle me sourit et la Terre arrête de tourner. Comment pourrait-il en êtreautrement?Meslèvresrencontrentlessiennesetellemedélivre.Sabouchealegoûtdel’oubli,dumiel,de la douceur, des premiers jours du printemps. Sentir, toucher sa peau pour la première fois, c’estcommesi,justement,iln’yavaitjamaiseud’autresfois.Bullemedélivredemesidéaux,demespensées,demesrègles,demespromesses.Ellefaittoutça,elleeffacetoutesceschoses,dansunsimplebaiser.
La douleur s’est envolée. Je ne ressens plus rien. Je suis anesthésié par un baiser. Un putain debaiser…Jemeredresse,seslèvrestoujourscolléesauxmiennes,etlasaisisparlataillepournepasladéstabiliser,pournesurtoutpasnousséparer.Assisdansmoncanapé,Bullesurmesgenouxpassantsespetites jambes délicates de chaque côté de mon corps, je prends feu. Je n’imaginais pas sa peauautrement.Douce,parfumée,fine,elledonneenviedelaprotéger,delagarderauplusprèsdesoi.Jelaserreencoreplus.Jesenssapoitrinecolléecontremontorse,jesenslachaleurdesoncorpssurlemien,l’odeurdesapeausidouce,siparticulière,jesensledésirquis’emparedechacunedemescellules.Jepourraiscreversurplace.Sespetitesmainsautourdemoncou,Bullemeparaîtsifine,sifragile,sibelle.
Jeperdslecontrôle.Enhaut,enbas,partout.Monespritnerépondplus.Moncorpsnonplus.Jesuisunhomme,unhommequiseconsumesouslesflammesd’unangetombéduciel.
Bulle,tufouslebordel…Unsacrébordel…
Mesmains se baladent sur son dos fin et son petit cul tenduqui se balance beaucoup trop surmonboxer.Monjeansvasûrementexploser.Jeretiresonpetittopensoie,lepassantau-dessusdesatête.Sescheveuxs’emmêlentdedansetjedoism’yreprendreàtroisfois.Troisfois!Bullesourit,séduiteparlasituationet,moi,jemesenscommeunabruti.CharlesDumontn’apasl’habitudedeperdresesmoyens!Jelapousseunenouvellefoiscontremoi,mordillantsalèvre,luimontrantquicommandeici!
Elleritdeplusbelle.Unpetitriremutin,coquin,presquedivin.
Cequiesten traindesepassern’a rienàvoiravec le reste.Soncorps, sonodeur, sadouceur, sonsourire…Bulleest commeunepetite filleque l’onaenviedeprotéger.Une lolitaà laNabokov.Unechose fragile et précieuse qui nemérite que lemeilleur. Une petite princesse pour qui on se doit dedécrocherlaLune.Unêtrepurdénuédetouteméchanceté.Etpuis,ilyamoi…LeplusgrossalauddeGenève.Letypeauxdixmillesconquêtesquis’estpromisdenejamaistomberdansunpiègepareil.Lemecquiécraselerestedumondeavecsonfric,quiméprisetoutesformesdesentiments.Jenepeuxpas
faireça.Jenepeuxpasluifaireça.Pourricommejesuis,sombreetmanipulateur,Bulleafaitentrerunpeudelumièredanstoutemanoirceur.Jepourraisprofiterdelasituation.Profiterdececorpsparfaitquiestentraindes’offriràmoi,decettesensationnouvelleetsiétrange.Maisjedoismereprendre.J’aiparfaitementconsciencequesinousallonsplusloin,jeneseraijamaisàlahauteurdesesattentes.Jenepourrai jamais lui offrir ce qu’elle espère. Ma vie n’a rien d’un conte de fées. Ma liberté est tropprécieuse.Non.Ilfautquecelacesse.Ilfautquej’ymetteunterme.Maintenant.
–Bulle,murmuré-jeenlastoppant.–Charles?
MonDieu,cettevoix…
–Tudoispartir.
Sonvisages’éteintinstantanémentalorsqu’elleestencoreàcalifourchonsurmoi.Jebaisselesyeux.
–Charles,mais…
Elletentedecomprendremaisjeneluienlaissepasletemps.Lespoingsserrés,jemeredresse,lafaitglissersurlecanapéetmerelèveaussitôt.
–Ilfautquetut’enailles.Maintenant!prononcé-jeunpeudurement.
Jeluitourneledos,n’osantaffrontersonregard.
–MaisCharles,jenecomprendspas,j’aifaitquelquechosedemal?Je…
Sapetitevoixmebriselecœur.Oui,lecœur.Mêmederrièremamuraille,jelesensquisecrispesouslepoidsdemadécision.Ildevraitpourtantmeremercier,jeluiévitedesacréesemmerdes.
–Rhabille-toi,Bulle!
Je l’entends se relever et jepenseavoir remporter cettedurebataille.Tout à coup, je sens samainglisserdanslamienneetjebaisselesyeuxpourenadmirerlerésultat.
–Charles,parle-moi…S’ilteplaît…supplie-t-elle.
Jereprendsmesespritsetmeretirebrutalement,serrantlesdents,réfrénantchacunedemespulsions.Jeme tourne, levisagesombre, l’airmenaçant. Jedois l’éloigner. Jedois laprotéger.Laprotégerdemoi.
–Qu’est-ceque tu ne comprendspas dans : «Rhabille-toi et casse-toi »,Bulle ? lui lancé-je avecvéhémence.
Ses grands yeux deviennent brumeux et j’ai l’impression d’être poignardé de toutes parts. Sa petitebouche se contracte et elle secoue la tête, triste, déçue, en colère. Je sens toute la rage qui s’empared’elle,àcetinstant.Toutleméprisquejeluiinspire.Elleacompris.
–Espècedelâche,m’adresse-t-elle.
Elleaparfaitementcompris.Elleattrapesontee-shirt,saveste,sonsac,neprenantmêmepasletempsde se rhabiller.Elle traverse le couloir, ne se retournepas.Elle s’arrêtequelques secondesdevant laporte, se tourne versmoi. Son regard sous-entend : « Essaie, fais-le, retiens-moi »,mais je reste demarbre,maîtrisantetrefrénantmesenvies.
Cette fois, ce sont des larmes qui glissent le long de ses joues. Elle détourne le regard, attrape lapoignée et franchit la porte de ma dépendance avant de la claquer derrière elle et de disparaître.J’entendssespasdanslegravier,ellecourt.Elles’éloigne.Elledisparaît.Encoreunefois.Unedernièrefois.
8-Del’autrecôtédelarive
Jeudi15mai2014
Je passe la semaine la plus pourrie de mon existence. Et encore, c’est un euphémisme. Depuisdimanche,jen’aipasdenouvellesdeMax,quinerépondàaucundemesappels.Aucun.
Mêmesesparentsnesaventpasoùilest.Illeurajustelaisséunmotleurdisantqu’ilavaitbesoindeprendredureculquelquetemps.C’estsonpèrequimel’aapprislundiquandj’aidébarquéàsoncabinet.Ilaexaminémonvisageetm’abalancécesinfoscommesiderienn’était.Ilpensesûrementquej’ensaisplusqueluietquejerefusedeluiendireplus.Manquedebol,jenesuispasplusavancéquelui.Pire,ilnem’arienditalorsquejesuiscenséêtresonmeilleurami…
Avecdurecul,jereconnaisquej’yaiétéunpeufort,aveclui.Àlabase,ilétaitvenupourmeparler,iln’allaitpasbienetavaitbesoindeseconfiermêmes’ilnesavaitpasvraimentsurquoi.Maisjel’aifoutudehorsuneheureplustardpourunegonzesse.Unegonzessequin’amêmepasfinidansmonlit,c’estpourdire.D’ailleurs,jeregrette.Oui,vraimentjeregrette.J’auraisdûprofiterdecetinstantetmelafairesurlecanapé.Çam’auraitdétenduettantpissijebrisaissesrêvesparlamêmeoccasion!Rienàfoutre!Jesuispeut-êtredur,maisc’estquecetévénementm’atroubléplusquejenelepensais.Hier,quandj’airamenécetaviondechasserussedansmonplumard,jen’aipasétéfoutudelasauter…Monegoenaprisunsacrécoup!Etmaréputationaussiparlamêmeoccasion!Toutçaparcequ’àchaquefoisquejefermaislesyeux,àchaqueputaindefois,jepensaisàBulle!J’aifiniparluidemanderdepartir,maismadignitéenaprisunsacrécoupet,maintenant,jesuisd’unehumeurdechien!
Larussem’aplantéelàenmebalançantun«Fuckyou»bienfrancetj’aipassélanuitsurlabéquille.Doncça,pluslesilenceradiodemoncrétind’amiencriseidentitaire,çafaitbeaucoup!
J’ai besoin de me détendre ! Je me rends dans la cuisine et j’ouvre le frigo, à la recherche d’unremontant.Café,thé,vodka?J’optepourlatroisièmesolution!Jemesersunverreàrasbordquandmontéléphonesemetàsonner.Jeneconnaispascenuméro.Jenedécrochepas.J’avaleculsecetmesersundeuxièmeverre.Magorgemebrulemaisjem’encontrefous.Jesuisenmode«autodestruction».
Le numéro insiste,mais je passe sous silence avant d’engloutirmon second verre.C’est la fête, cematin.Jedécidedemevautrerdanslecanapéetallumelatélé.Quedebellesmerdessurleschaines.Jezappeencoreetencoresansrientrouverd’intéressant.C’estpathétique.Jejetteuncoupd’œilàl’écrande mon smartphone. Dix appels en absence supplémentaires, trois messages vocaux et deux SMS,toujoursdumêmenuméro.
Jetrouvecelaquandmêmeétrangeetjemedécideàlesouvrir.Mesdoigtsglissentsurleclavier,quisedéverrouille.Jelislecharabiadecenuméroquejeneconnaispas.Jen’arrivepasàycroire.Cen’estpaspossible.Jelis,relis,relisencore.L’écrandéfiledehautenbas,debasenhaut.Commeunarrêtsur
image.LepremierSMSmefaitvaciller.Jenesensplusmoncorps,j’ail’impressiondepartir,deperdrepied.Lesecondmedonnelecoupdegrâce.Monverretombeetvients’écrasersurlesol.Toutmonêtrechancelle.Dites-moiquec’estuneblague.Uneputaindeblague.Une rage folle s’emparedemoi,uneimpressiondemedéchirerdel’intérieur.
Jerelislesquelqueslignes,écoutelesmessagesavantdem’écrouleràgenouxsurlesoldusalon.Matêtetourneetmestripessetordent.JevomislesdeuxverresdeVodkasurleparquet.Jeneveuxpasycroire,jenepeuxpasycroire.
Jeme relève et sans réfléchir, attrape les clefs demamoto dans l’entrée. Je sors en courant sansprendreletempsdemechangeretencoremoinsdefermerlaporte.JesautesurmaMK,allumelemoteuretfonce.Directionl’hôpitaldelaTour.
Devantlesportesdel’établissementjemegareenfaisantvolerlesgravierssouslescrismédusésdesvisiteurs.Mais je les emmerde. Je fonce dans le hall, bousculant tout lemonde surmon passage,meprécipitantàl’accueil.Etsoudainmonregardcroiselesien.Elleestlà,ellem’attend,deboutaumilieudelafoule.
Ses grands yeux bleus ont perdu tout leur éclat, mais je ne peux lâcher son regard. Il me faut uneréponse.Réponds-moi,Bulle, je t’enprie, réponds-moi. Je suis àquelquesmètresd’elle. J’avance auralenti.Jerefusedecomprendrecequejevoisdanssonregard.Etc’estalorsqu’elleprononcecesmots,cesfoutusmots:
–Jesuisdésolé,Charles…
Et je comprends. Je comprends qu’il est trop tard. Jem’écroule dans ce hall au carrelage glacial,m’effondre à ses pieds et je hurle, je hurle du plus profond demon être, je hurle pour évacuer cettedouleurquis’emparedetoutmonêtreetquimedétruit.J’entendsuncri,presqueagonisant.Lasouffrancequis’endégagemeglacelesangainsiquedetouteslespersonnesautour.J’entendscecrietjeréalisequ’ilprovientdemesentrailles.
Ilesttroptard.Ilesttroptard.Ilesttroptard.
Maxestparti.
***
Samedi17mai2014
Onentendbeaucoupdechosessurl’importancedeprofiterdelavie,deprofiterdeceuxqu’onaime,
devivrel’instantprésent,denepaspenseràdemainparcequedemainestunautrejour.Avoirlecouragede dire à nos proches qu’on les aime, ne pas se soucier de ce que pensent les autres, de vivre, toutsimplement.Maisengénéral,mêmesicesmotsnoustouchent,mêmesionencomprendlesensetparfoisl’importance,onn’yaccordeque trèspeud’intérêt. Jusqu’au jouroù. Jusqu’au jouroùon te laisseunmessagesur tonportablepour t’annoncerque tonmeilleuramiestentre lavieet lamortsurune tabled’opération après avoir tenté de mettre fin à ses jours. Jusqu’au jour où tu traverses la ville à 180kilomètresàl’heuresurtamotopourarrivertroptard.Jusqu’aujouroùcettefillequetuconnaisàpeineteserredanssesbrassurlecarrelaged’unhôpitalpoursécherteslarmesetétouffertescris.Jusqu’aujouroùtuvoisdéfilerdevanttoidesparentsquiviennentdeperdreleuruniqueenfant.Jusqu’aujouroùtucomprends,qu’enfait,tun’asjamaisriencompris.
Demain, je suis censéme rendre aux obsèques demon frère, demonmeilleur ami, de celui qui apartagémaviependantplusdevingtans.Vingtans…
Depuisdeuxjours,jesuisunvraizombie.Uneespècedeloquequiraselesmursdesonappartementenfinissanttouteslesbouteillesd’alcoolquitrainent.Jenesaispascequiestleplushorrible.Cevidequimeconsumeouceséternellesquestionsquidéfilentsansfindansmatête.Maxn’estpasmortdansunaccidentouàlasuited’unelonguemaladie.Non.Maxadécidédemourir.Ilafaitcechoix.Ilapriscettedécision.Etjen’airienvu,bordel,jen’airienvudutout!J’étaistellementoccupéàmesoucierdemonnombril,quejesuispasséàcôté.
Ilm’a laissé une lettre. Elle est toujours là.Dans le tiroir dema commode, intacte. Je ne l’ai pasouverte.Jen’enn’aipaslecourage.Qu’est-cequej’yapprendraideplus,detoutefaçon?Bullem’adéjàtoutdit.Putain,j’étaisvraimentlepluspourridetouslesamis.Maxapréféréseconfieràunefillequ’ilatrouvéundimanchematindevantmonportail,plutôtqu’àmoi.Çaenditlongsurlagrosseraclurequejesuis.
Ilapassédeuxnuitschezelleavantdedisparaître.Sesparentsl’ontretrouvédanssasalledebains,deuxboîtesdesomnifèredansl’estomac.
Elle est belle la vie, hein ? Une belle tartine de merde. Bulle m’a parlé de son mal-être, de sessouffrances,desesquestions.J’aiapprisqueMaxrêvaitdefaireduthéâtre,maissonpèrenevoulaitpas.Maxaimaitchanteretilfaisaitpartied’unpetitgroupe.IlparaîtqueMaxavaitlebéguinpourlebassistemaisqu’iln’osaitenparleràpersonne,depeurdeleurréaction,demaréaction.Ilparaîtqu’ildétestaitledroit,qu’ildétestaitsonphysique,qu’ildétestaitsavie,safamille.Ilparaîtqu’ilavaitpeurdumonde,del’avenir,desautres.Ilparaîtuntasdetrucsquej’aiappriscommesiBullemeracontaitlavied’unparfaitinconnu.Etlabouteillederhumvoleaumilieudelapièceavantdevenirs’explosercontrelemursurlequeljemelaisseglisser.
Je ferme les yeux en enfouissant ma tête contre mes genoux. Je veux juste disparaître et oublier.Disparaîtreetoublier…
–Charlie…Charlie,tum’entends?
J’entendsunepetitevoixlointaine,commeunmurmure,unebrise,quelquechosedefamilier.J’ouvrelesyeux. Je suis toujoursallongéà lamêmeplace,mais lanuit est tombée.Combiende tempssuis-jerestéeici?Jeredresselatête,Gabiesetientjusteau-dessusdemoi,sapetitemainposéesurmonépaule.
–Ons’inquiétaitpourtoi,memurmure-t-elledoucement.
On?Dequiparle-t-elle?Mesparentssontici?IlssontrevenusdeNewYork?Jecroyaisqu’ilsenétaientempêchésparjenesaisquelleexcusebidon?
Etpuismesyeuxfinissentparsefaireàl’obscuritéetjel’aperçois.Dansl’entrebâillementdelaporte,appuyéecontrelemur,Bullemecontempled’unairinquiet.Bizarrement,j’auraispumesentirhumilié,rabaisséouuneautreconneriedugenre,maiscesoiriln’enestrien.Jen’aipaslaforcepourcegenrededétails.Commejerestesilencieux,elleentredoucementdanslapièceetrefermederrièreelle.
Dans sesmains, j’aperçois le sac en papier provenant d’une chaine de fabricants de sushis réputéequ’elledéposesurlatablebassedusalonavantdemerejoindreetdes’accroupiràmescôtés.Sapetitemaindélicate caressema joue tandis que je détourne le regard. Je n’ai pas la forcede l’affronter.Ladernièrefoisquejeluiaiparlé,c’étaitdimanchesoir,assissurunboutdetrottoirenfacedel’hôpital.Jecroisqu’aufond,jeluienveux.C’estcon,maisc’estellequiavuMaxpourladernièrefois.C’estàellequ’ils’estconfié,c’estchezellequ’ils’estréfugié.Aussitorduqueçapuisseparaître,jesuisjaloux.Jenecomprendspas.Jenecomprendspasqu’ellen’aitpaspulesauver.Jenecomprendspasqu’ilnem’aitjamaisparlé.
Jeserrelesdentssifortquejelesentendsgrincer.Jesuissubmergéd’uneragesiforte,sipuissante,quej’enperdstoutemalucidité.
–Je t’aiprisàmanger,medit-elledoucementendésignant la table.Gabiem’aditquetuaimais lessushis.
Je ne réponds rien, faisant simplement un petit signe de la tête pour signifier que j’avais compris.J’entendsGabieallumer la télédansmachambre. Je jetteuncoupd’œil à l’horlogequi surplombe laported’entrée:bientôtvingt-deuxheures.Jesuisrestéassis icipresquehuitheures…J’observeBulleramasserlesmorceauxdeverreéparpilléssurlesol.Elleneditrien,nemeposeaucunequestion.Ellemelaissetranquille.Ellecomprend.
Après plusieurs minutes à prendre conscience des choses, je décide de me lever pour me rendrejusqu’aucanapé,surlequeljemelaisseretomber.Troismètres,j’aiparcourutroismètres.Jefouilledanslesachet,maisjen’aipasfaim.Jelerepousseàl’autreboutdelatableensoupirant.
Bulles’assiedàcôtédemoietnousrestonsainsidelonguesminutessansriendire.Jen’ai,detoutefaçon,pasenviedeparler.MaissaprésenceetcelledeGabie, jedois l’avouer,ontquelquechosederassurant.Avecbeaucoupd’efforts,jemurmure:
–Bulle?–Oui?merépond-elledoucement.–Jesuiscenséporterquoi,demain?Uncostume,dunoir?–Iln’yapasdemoded’emploipourcegenredechoses,Charles…Maislenoirestdecoutume,oui.–Max n’aimait pas le noir. Il détestait ça,même.C’est bien une des rares choses dont je suis sûr,
d’ailleurs.–Alors,c’estàtoidevoir.Qu’aimerais-tuporterpourtonami?C’estça,laquestionquetudoiste
poser.Leresten’apasvraimentd’importance.
Ces proposme laissent pensif. J’ai bien une idée,mais je ne suis pas sûr que cela plaise à tout lemonde.LafamilledeMaxestunevieillefamillegenevoisetrèsàchevalsurlesconvenances.Legenreàmettre la main devant la bouche dès que quelqu’un prononce un gros mot. Sa grand-mère, la vieilleharpie, me détestait. Elle était contre toutes les formes d’expressions, contre toutes les excentricités,contre tout cequi sortait de son cadrebienpsychorigidedevieille bourgeoisemalbaisée. Il vaudraitmieuxquejenelacroisepas,demain.Àbienyréfléchirdepuistroisjours,jecomprendsbeaucoupdechosesetjepeuxaffirmerquecettevieillesalopen’étaitpasinnocenteaumal-êtredemonami.
–Jepensequejesais,soufflé-jefinalement.
Elle passedélicatement unemaindansmondos, dansungeste tendre et affectif.Riende séducteur.Justeunsoutien,unvrai,unpetitgestequiveutdire:«Jesuislà,net’inquiètepas».Jen’avaleriendeplusqu’unverred’eauavantderejoindreGabie.Elles’estendormiesur le lit, la téléencoreallumée.J’éteinsl’écranetremontelacouverturesursonpetitcorpsdeprincesse.Elleestsi jolie,si innocenteencore.J’aimeraistellementpouvoirlaprotéger,lapréserver,detoutesleshorreursquil’attendentdanscemonde. Jemeglissealorsà sescôtés, allumant lapetite lampedechevetaupassage. Jem’installecontreelle,laserrantfortcontremoi.J’aienviequ’ellesache,j’aienviequ’ellen’oubliejamaisquejeseraitoujourslàpourelle.Toujours.Jem’enfaisetjeluienfaislapromesse.JevaispayertoutemaviepournepasavoirétélàpourMax.Jenereferaipaslesmêmeserreursavecelle.Encoreplusquandonsaitdansquelle familledebargeelleest tombée.Mesparents…Ilsnesontmêmepasvenus. Ilsn’ontmêmepasdemandédenosnouvelles,ilsn’ontmêmepascherchéàsavoircommentnousnoussentions,commentnousnousensortions.Iln’yapasquemoiquiaieperduunfrère,ilyaGabieaussi.ElleadoraitMaxetMaxl’adorait.Laragem’envahit,maisjen’aiplusdeforce.Aulieud’êtreencolère,jemesensvide.Tellementvide…Jen’aipasencorepleuré,pasuneseulefois.J’aiapprisengrandissantàréprimertoutsignedefaiblesse.Pleurerenfaitpartie.
Alorsquejecommenceàsombrerdansundemisommeilremplidesombrespensées,jesenslesdrapssetendre.Gabietoujoursblottiedansmesbras,cesontceuxdeBullequiviennentàprésentm’entourer.Jesenslachaleurdesoncorpsetsonpetitsouffledansmoncou.Jesenssespiedsquis’enroulentautour
desmiens.Jesenssesdoigtsagrippermamain.Etdanscesilence,tantdechosessontdites.
Noussommestroisêtresunpeupaumés,troisâmeségarées,troisécorchésvifs.Nousnousendormonsainsi, reliés, unis, ensembles. Et avant de plonger dans une léthargie peuplée de cauchemars, je meprometsunenouvellechose:jenelaisseraiplusjamaisrien,nipersonne,détruirecesdeuxêtresqu’ilsmerestent.Riennipersonne.
***
«Reposeenpaix,monfrère.Làoùtues,àprésent,personnenepeuttejuger…Ilyauratoujoursunpeudetoienmoi…»
Je termine mon discours, pas une seule larme ne coulant sur mes joues alors que tout s’écroule àl’intérieur.GabieresserresamaindanslamienneetBulle,deboutenface,mesourit.Noustroissavonspourquoi.Jeluioffreundouxsourireàmontour,unpetitrictusléger,difficile,maissincère.Aumilieude tous ces hypothétiques coupables silencieux vêtus de noirs, je porte mon pull rouge fluo de chezDisney.UncadeaudeMax.Etjesaisquelàoùilest,ilmeregardeetsourit.Oui,ilsourit.Etc’esttoutcequicompte.
9-Laisserladouleurs’envoler
6moisplustard,samedi2novembre2014
Mon téléphonen’arrête pasde sonnerdansmapoche. Je suis en retard.Encore.Elles vontme tueralors je préfère ne pas décrocher. Je les connais bien, elles sont infernales. Il faut dire que je lescollectionne,maisellesontl’habitude,maintenant.
JesautedansnotrePorsche935etfonce,directionlesécuries.Oui,notrePorscheparcequeceschèresdemoisellesenontdécidéainsi.Etellessaventtrèsbiencomments’yprendreavecmoi.Moncaractèreabeau s’être radicalement empiré depuis sixmois, avec elles deux, jeme transforme en une espèce depapapouleridicule.Heureusementpourmoi,iln’yaqu’ellesdeuxpourentémoigner!
Lunettes de soleil sur le bout du nez, fenêtres grandes ouvertes, musique à fond, j’appuie surl’accélérateur.Leparkingestpleinàcraqueretjetrouvepéniblementuneplace.Jeclaquelaporteetmedirige directement vers la piste. Je n’ai aucunmal à repérer Bulle,même aumilieu de la foule. Sescheveux châtains, toujours aussi longs et sa silhouette gracile attirent immédiatement les regards.Monregard.
Jerangermontéléphonedanslapochearrièredemonjeansetm’avanceverselle,décrochantquelquessouriressurmonpassage.Jen’aipourtantpluslamêmeallure.Sijesuistoujoursaussigrandetimposant,mesyeuxontperdudeleuréclat.Quandàmesboucles,ellesontdisparupourlaisserplaceàunecoupetrèscourte.Mesjouessesontaussicreuséesetlestraitsdemonvisageportentlesstigmatesdemesnuitstropcourtesetdemessoiréestroparrosées.
J’arrivedoucementderrièreelleavantdem’installeràsescôtés,prenantappuisurlabarrière.Ellemeregardeencoin.
–Tuarrivesdejustesse,grogne-t-elle.–Jesuislà.C’esttoutcequicompte,non?
Ellesoupireetregardesamontre.UneRolexladyquejeluiaioffertepoursonanniversaireetpourlaquelleellem’afaittoutunfoin.Bulleahorreurd’avoirlesentimentd’êtreachetée.Maisj’airéussiàlaconvaincre.Enfinpourêtretoutàfaithonnête,enéchange,jedoisporterl’horriblebraceletcoloréqueGabiem’afabriqué.C’estcommeçaquenousfonctionnons,touslestrois:nousfaisonsdescompromis.
–Oùas-tudormi?medemande-t-ellesuspicieuse.
Petitsourirenarquois.
–Jepensequetupréfèresnepassavoir.
Secondsoupirdesapart.
–Tumedésespères…Tumangesavecnous,cesoir?–Oui.–J’aimemieuxça,glisse-t-ellel’airderien.
Depuis cinq mois, nous vivons tous les trois dans mon appartement. Mes parents se sont installésdéfinitivement àNewYork. Il n’y a donc plus personne dans la grandemaison,mais il était hors dequestionpourmoid’y laisserGabie toute seule.Etcommemadépendancecomportequatrechambres,chacun a pris ses quartiers. Jem’occupe deGabie d’un commun accord avecmes parents qui ont detempsentempsladécenced’appelerpoursavoirsitoutvabien.Ilspensentquenoussommesinstallésdanslapropriétéprincipale,maisàpartlesfemmesdeménage,pluspersonnenemetlespiedslà-bas.Lydias’occupesimplementdenousremplirlefrigo.
J’aieuquelquesdifficultésàconvaincreBulled’emménageravecnousmaisàforcedetentativesdepersuasionsdelapartdesDumontjunior,elleafiniparcéder.Etjenesouhaitaispasqu’ellerestedansson ancien appartement.Un studio immonded’à peine vingtmètres carrés enpleinmilieudesPâquis.Mêmelesputessontmieuxlogées.
J’enaiapprisunpeuplussurlaviedeBulle.Elleaperdusamèretrèsjeuneetsonpères’estsaignépendantdesannéespourquesafillepuissevivresapassion:lescanassons.Alorsquandilestdécédé,ilytroisans,elles’estretrouvéeàdevoirenchaînerdeuxboulotspourpayersonloyeretsesconcours.Jeneconnaispaslescirconstancesexactesdelamortdesonpère,maisjesaisquesarévulsionpourlesgens«demonespèce»vientdelà.JepourraissondersonamiNahil,maiscen’esttoujourspaslegrandamourentreluietmoi.Encoreplusdepuisquenouspartageonslemêmetoit.Ilnevientjamaisquandjesuislàetc’esttantmieux.Jen’aipasoubliécequ’ils’estpassé,leprintempsdernier,etjenemegênepaspourlerappelerrégulièrementàmapetiterebelle.
J’ai essayé plusieurs fois de la convaincre de quitter ses jobs de serveuse auKempinski et d’aidescolaire,maisrienn’yfait,madameatropdefierté.Quandjepensequejepourraisentretenirlamoitiédesnanasdelaville…
Et aussi étrange que cela puisse paraître, alors que sixmois se sont écoulés,Bulle etmoi n’avonsjamaisfranchilecap.Noussommesamis,simplementamis.Riendeplus.Enfinsi.Pourêtreexact,noussommesunefamille.Gabie,elleetmoi.J’ai tenulapromessequejemesuisfaitcette tragiquenuitdemai.Jeveillesurmameute.
Elle a été là pour moi dans le moment le plus difficile de mon existence et, pour ça, je lui suisreconnaissantàvie.Elleestdevenuecommeunesecondepetitesœur,bienquecesoitplussouventelle
qui s’inquiètepourmoique l’inverse.Parfois j’aimême l’impressiond’avoirunemamanà lamaison«Charles range tonbordel,Charles va à la fac,Charles tu sors trop,Charles tu bois trop,Charles tucouchesavecn’importequi…»Ellemerendfou.Maisilfautcroirequej’ytrouveuncertainéquilibreparcequejen’imaginepasunesecondemaviesansmesdeuxpetitespestes.
Aujourd’hui, j’ai faituneffortsurhumainpourquitterJenie, lapetitecoquineque j’aiattrapéeàunesoiréelaveille.Uneboucheànepasfaired’enfants,cetteJenie…
Cependant,Gabievaentrerenpistesurl’affreuxCarottepourjouersaplaceauxnationales.Oui,auxnationales.AlorslabouchedeJeniecomparéeàmasœurdansl’équipesuissejunior,çanefaitpaslepoids.
–Ellearrive!s’exclametoutàcoupBulle.
Mesyeuxsetournentversl’entréedelacarrière.GabiesetientfièrementsurlegrosCarotte,toutderosevêtu.Jeretiensunegrimacededégoût.
–Jetevois,Charles,s’agaceBulle.
Jen’ypeuxrien,moi,sisonponeyestaffreux.Mapetitesœurplantesonregardsurlepremierobstacleet c’est parti. Le premier passe. Puis le second. Ensuite c’est un oxer, un double vertical, et Carottes’envoleau-dessusdesbarres.Mesdoigtssecrispentsurlabarrière.Deuxautresverticauxetletriple.Jefermelesyeux.Jecommenceàcomprendreunpeucommentçasepasseetcen’estpastrèsbonpourmon cœur. Trop de pression dans ce sport. J’ouvre un œil. C’est passé. Il ne reste plus que lemur.Carotten’apaspeurdesmurs.Pasdepuisquejeluiaiglissédansl’oreillequ’ilauraittouslesgranulésdumonde s’il le franchissait aujourd’hui. Il faut croire que ce gros bouletm’a écouté, ça passe !Ohbordel,çapasse!Gabiefinitsansfautedansundesmeilleurstemps!Jetentedenepastropextériorisermafierté,maisjen’enn’aipasbesoin,macomparselefaitpourmoi.Ellehurlecontrelabarrière,tapantfortdanssesmainsetGabiesurlapistelèvesoncasquedansnotredirection.Putain,j’ail’impressionquel’onvientdegagnerlesJ.O.C’estl’euphorie.Etalorsquejenem’yattendspas,toujoursextatique,Bulle me saute dans les bras. Je chancelle, surpris. Et il se passe cette chose. Cette chose que jeredoutais.Soncorps,sonpetitcorps…Celafaitsilongtempsque…Etcetteodeur,ceparfumdeJasmin,ladouceurdesapeau…Sajouecontrelamienne…OhBulle…Non…
Ellerelâchesonétreinte,passesouslabarrière,courtversGabie.Ellem’abandonneici.Ellenevoitpas,elleneréalisepas.Cen’estpaspossible.Jepensaisquetoutçaétaitenterré,disparu.Jesuissouslechoc.Jedoispartir.Jedoispartirtoutdesuite.
Je fais demi-tour et retourne vite au parking. Je ne peux pas rester. Pas uneminute de plus. Il fautabsolumentquej’empêchelesbraisesdeserallumer,vite,avantquetoutprennefeu.
Bulle
[Oùes-tu?Ont’aperdu!Gabieveuttemontrersacoupe!]
Jelislemessage,maisjenerépondspas.Garésurunpetitcheminàquelqueskilomètresdesécuries,jetentedereprendremesesprits.Moncœurs’emballe,marespirationestdifficileetjen’airiensouslamainpourcalmertoutça.Jefermelesyeuxettentedemeconcentrer,depenseràautrechose.Jefrappesurlevolantdansunexcèsderageinexpliqué.Ilnemanquaitplusqueça.
Toutétaitpourtantvideenmoidepuisdesmois.Certes,j’enchainelesconquêtesetlesexcèschaqueweek-end, mais ça, ça…C’est autre chose. C’est comme une petite lumière aumilieu de l’enfer, aumilieudesténèbres.Etjen’enveuxpas.Ohnon.Jesuistrèsbienainsi,jemeconfortedansmanoirceur.Lenéantaquelquechosederassurant.Ilvousempêchedeprendredesrisques,devousattacher,d’avoirpeur.Monrôledechefdemeutemeconvientparfaitement.Jen’aipasdeplacepouraccueillirunereinesurmontrône.Avant,jemerefusaiscetteviecarjepensaisqueseulslesfêtesetuntraindeviedécadentcomptaient.Aujourd’hui,jemerefusetoujourscettevie,maismesraisonsontchangé.Lasimpleidéedubonheurm’effraie.C’estaussisimplequeça.Enmettantdesdistances,enveillantdeloin,jeminimiselesrisques.
Maistoutàl’heure…Quandsoncorpss’estaccrochéaumien,quandsapeauafrôlélamienne,j’aivu,j’aientraperçu…Cettechose,ceraz-de-marée.Ilfautquejemecalme,ilfautquej’efface.Ilfautquejereprenneledessus.Immédiatement.
Moi[J’aidûpartir.Petitcontretemps.BravoàGabie.Dis-luiquejesuistrèsfierd’elle.]
Jetaperapidementuneréponsetoutenréfléchissantàcommentjevaismesortirdecebordel.
Bulle[Elleauraitpréféréquetuluidisesdevivevoix,Charles…]
Ohputain,qu’elleestchiante.
Moi[Jetedisquej’aieuuncontretemps.]
Jem’énervesurleclavier.
Bulle[Etmoi,jedisquetuexagères.Tumangestoujoursavecnous,cesoir?]
Jesoupire.Elleneveutpasmelâcher.
Moi[Non.]
Aumoins,leschosessontclaires.
Bulle[Tufaischier,Charles,tupourraisaumoinsfaireuneffort.PourGabie…]
Cettefois,c’enesttrop.J’envoiemonportabledanslepare-brise.Ellen’estquandmêmepasconne,àcepoint?Ellenevapasmedirequ’ellen’apascompris?Illuifautundessinpeut-être?
Toutça,c’estdesafaute.Jeredémarrelavoiture,chercheunecigarettedanslapochedemavesteetreprendrelaroute.Ilfautquejechanged’air.Toutdesuite.
***
Jesuiscomplètementivre.Jenesaismêmepasoùjesuis.Onpourraitcroirequec’estexceptionnel,maisnon.Beaucoupdemessoiréesressemblentàça,depuisdesmois,depuiscevideencoreplusgrandquimerongedel’intérieur,depuisMax…
Audébutçaaétéunvraienfer.GabieetBulleétaienttoujoursderrièremonculàmesurveiller,àmedemandercommentj’allais,sij’avaisbesoind’untruc,àquelleheurejecomptaisrentrer…Pire,ellesmesuivaientpartout.Ellesm’attendaientdevantlaporte.Ellesappelaientsurmonportableaumilieudelanuitpourmeforceràrentrer.
C’étaitl’enfer.Unvéritableenfer.Maisj’aicomprisquesijevoulaism’entirer,jedevaisfaireledosrond.Alors j’ai commencéàmentir, àomettrecertaineschoses, à jouerà celuiqui allaitbien.Petit àpetit,ellesontfiniparmelâcher,àmefaireconfiance.J’auraisaussibienputoutenvoyerpéter,maisjenesauraisl’expliquer,j’avaisbesoindecetéquilibre,j’avaisbesoind’elles.
Aujourd’hui,j’aireprismavied’avant.JesuisredevenuleCharlesDumontquienchaînelessoirées,quiclaquetoutleblédesonpère,quinecomptepluslesconquêtesetquisemetminabletouslesweek-ends. C’est de nouveau lamême chose. À une autre échelle. Je ne prends plus le temps de jouer auséducteuretdefairemespetitsnuméros.Jefonce.Etçapasseouçacasse.Lepetitprétentieuxarrogantestsimplementdevenuacerbeetmalfaisant.Lacolèren’apasdiminuéavecletemps,bienaucontraire,elles’estemparéedetoutmonêtre.Lepirec’estquelesfillessontencoreplusàmespiedsqu’avant.Etcelan’arienàvoiraveclelookbad-boyetcrânerasé,niavecmonportefeuillequin’apasdésempli.Non,c’estencoreunefoislesyndromedel’infirmière.Cetteobsessionquelesnanasontpourlestypesméchants, mystérieux, écorchés. Je n’ai plus besoin de faire semblant de les ignorer, je les ignorevraiment.Etellesviennentàmoi.
D’ailleurs la demoiselle chez qui jeme trouve actuellement est plutôt charmante.De longs cheveuxauburn,grande,mince,ellemerappellequelqu’un.Commentelles’appelledéjà?Tania?Tina?Thalia?Merde,jenesaisplusetjem’entape.Jen’arrivedéjàpasàmesouvenirquandetcommentjesuisarrivédansceslieux.Maiscommeelleonduleau-dessusdemoitelleunesirène,sespetitsseinspointantversleciel,jenemesoucieguèredureste.
Honnêtement je ne sais pas comment je fais pour bander à cet instant précis. La jeunesse a sesavantages.Jefermelesyeux tandisque jeplaquemesmainssurseshanchespouraller leplus loinenelle. Elle m’agrippe avec ferveur et l’intensité de ses mouvements me promettent une jouissanceimminente.Sesmains ancrées surmes épaules, la belle blonde s’empaledeplus enplus fort surmonmembre,faisantclaquersoncorpscontrelemien.Jenepeuxm’empêcherd’alleràlarencontredesonpetitboutonquejemaltraitepourlafairejouir.Ellegémitdeplusenplusfortetjefermelesyeuxpourmeconcentrersurmonpropreplaisir.Sesfessesfrottentcontremescuisses,seslèvreshappentmaqueue.C’estdivin.Monpénissegorgedeplusenplus,prêtàsedélivrer.Jesensmonglandseperdreauplusprofonddesonpuits,caressersesétroitesparoisenfeu.Elle,negémitplus,maiscriecarrément.J’ouvrelesyeuxetdécouvresonregardardentplongédanslemien.Àtraverssesprunelles,jecomprendsqu’elleneveutpasperdredetempsetj’aimeça.
Mespaupièressefermentànouveau,etunrâlem’échappe.Soudain,perdudansundélirealcoolisé,desentiments nouveaux font leur apparition. J’aime sa peau, j’aime sa façon de bouger, j’aime son petitcorps frêle, ses cheveux qui caressent mon torse quand elle se penche en avant. J’aime les soupirsexaltants qu’elle pousse et la façon dont ses ongles s’enfoncent dansma peau. J’aime sa chaleur, sonhumidité,cette façonqu’elleadeprendre lecontrôle.C’est tellementelle,c’estexactementcommeçaquejel’imaginais,sidouceetsisauvage,sifragileetsifemme,sisensuelle…
–Bulle…murmuré-jedansunmomentd’extase.
Et c’est alors qu’elle arrête littéralement de bouger. Je ne comprends pas, je ne réalise pas tout desuite.Etpuis,etpuis…Ehmerde!Quelcon!Putain,maisquelcon!
Elleseretire,sansunmot,attrapantledrapdanslequelelles’enroule.Elleramassemontee-shirtsurlesoletmelejetteauvisage.
–C’estTaniapourtoninformation.
Jegardelesilenceetmeredresse.Visiblement,jenefaisqu’empirerleschoses.
–Net’excusepassurtout!
Qu’est-cequejedisais!Jelèvelesyeuxaucieletellefulmine.
–Maistuesvraimentunconnard!–Tut’attendaisàquoimagrande?Unprincecharmant?lancé-jecinglant.
Je retire la capote qui recouvraitma queue et attrapemon boxer etmon jeans dans lesquels jemeglisse,Tania surmes talons. Jecherchemonportableetmesclefsdebagnoledansmespoches.Rien.Qu’est-cequec’estquecebordel!
–C’esttoiquiasmesaffaires?
Jeluilanceunregardmenaçantetellemefixe,faisantlesgrosyeux.
–Dequoi,tuparles?finit-ellepardemander,agacéeàsontour.–MesclefsdevoituresetmoniPhone!–Onestvenuentaxi…ironise-t-elle.
Je tâtemespoches, eneffet j’aimonportefeuille.Cependant impossibledemesouvenir ceque j’aifoutudurestedemesaffaires.
J’essaiedemesouvenirdemondébutdesoirée.JesuisalléauBaroqueetmesuisgaréauparkingduMont-Blanc.J’aibuquelquesverresaubaretpuisj’airemarquécettefillededos.Salonguecrinière,safinesilhouette,j’aicruque…Maisnon,Bullen’estpasblonde.Alorsj’aicontinuédeboire.Jusqu’àcequecettefameuseblondefinisseparvenirmeparleretquejemeretrouveuneheureplustarddanssonappartement.Seulement,jesuispratiquementsûrquej’avaisencoremesaffairesdansletaxi.Elleestentraindemementir,lasalope.Ellemeprendpouruncon.
Jemeretourneverselle,lesyeuxsombres,lespoingsserrés.
–Rends-moimesaffaires,glissé-jeentremesdents,leregardmauvais.–Jetedisquejen’aipastesaffaires,s’énerve-t-elle.
Je continue de bouillonner, aidé par les vapeurs d’alcool qui neme rendent pas très lucide. Jemerapproched’elle,unpeutrop,laplaquantcontrelemuretpointantsonsaleminoisdudoigt.
–Jetepréviens,jevaisretournertonappartementsitunemedispaslavérité!
Elleperdimmédiatementtoutesaprestanceetsonairsûrd’elledisparaîtdesestraits.
–Maistuesdingue,jetedisquejen’airienespècedemalade!
Jefrappemamaincontrelemuretellefermelesyeuxenserecourbantdansunréflexedeprotection.
–Mesaffaires!hurlé-je.
Elleglissecontrelaparoiet lèvesesyeuxremplisdelarmesversmoi.Cequej’yvoismeglacelesang. Dans ses grands yeux verts, j’aperçois de la peur. Et je comprends que je suis allé trop loin.Beaucouptroploin.Cettepauvrefillen’avraisemblablementpasmesaffairesetmoijen’aiplustoutematête.
–S’ilteplaît,nemefaispasdemal,supplie-t-elle.Jen’aipaspristesaffaires,jetelepromets.
Voilàoùj’ensuis.Regardez-moi.RegardezlegrandCharlesDumont!Complètementivreaumilieudelanuitàeffrayerunboutdefemme.Ah,c’estsûr,quejepeuxêtrefierdemoi,jedeviensvraimentunebelleraclure.
Jemesenstellementminableetsurtouttellementperdu,quejel’abandonnesansriendire,mêmepasuneexcuse.Jequittelapièce,dévalelesquatreétagesetterminemacoursedanslarue.Ilpleut.Jemetsquelquessecondesàvisualiseroùjemetrouve.Jesuisdansunquartieràl’opposéduMont-Blanc.Detoutefaçonjen’aiplusmesclefs,jenepeuxmêmepasrécupérermavoiture.Etpuissansportable,jenepeuxprévenirpersonne.Quandàtrouveruntaxiàcetteheure,c’estpeineperdue.Ilfautquej’attendelepremier tram.Je jetteunœilàmamontre :deuxheures trente-quatre.Trop tardpour leTram.Mais jepeuxpeut-êtreencoredécrocherunNoctambusducôtédePlainpalais.
Je n’ai donc plus qu’une chose à faire,marcher. Il pleut des cordes etma veste en daim n’est pasimperméable.Jerepenseàcequejeviensdefairetandisquelesgouttesdégoulinentdansmoncou.Jerepense au regardde cette fille et je suis saisi denausées. Jeme rends soudain compteque je nemereconnaisplus.
J’aimerais qu’elle soit là. J’aimerais pouvoir lui parler, j’aimerais qu’elle passe sa petite maindoucementdansmondoscommeellel’afaitduranttouscesmois.J’aimeraisentendresavoix,sentirsonparfum,laregardermesourireetfinirparm’engueuler.
Etpar-dessus tout, j’aimeraispouvoir revenirenarrière. J’aimerais remonter le temps, faireunbonquelquesmoisplustôt, luidireàquelpointellemerendfou,luidirequej’aienvied’elle,qu’ellemeplaît, que j’ai envie de tout changer, de tout bousculer. Et puis… et puis, rentrer chezmoi avec elle,retrouvezMax,luidirequejesuislà,queLondresons’enfout,quejevaisvenirlevoirjouerdanssongroupe,qu’ildevraitdireàcebassistecequ’ilressent,quelethéâtrec’estcool,quejesuisfierdelui.Quejel’aime.Oui,jevoudraisluidirequejel’aime.
Et c’est ici que ça sort. Sur le bord du trottoir qui descend vers la place. Personne neme voit, aumilieu de la nuit, sous la pluie battante. Personne ne sait. Pour la première fois depuis longtemps, jepleure.Pourlapremièrefoisdepuissamort,jeréalisequ’ilesttroptard.
10-Plusl’amourestnu,moinsilafroid
Dimanche3novembre2014
Je suis réveillé par les premiers rayons de lumière. J’ouvre les yeux. Je suis dans le jardin, sur laterrasse, allongé dans un transat. Je tente deme remémorer comment j’ai atterri ici. Je suis descendujusqu’àPlainpalais.Jemesuisinstallédansunabribusetuntaxiafaitunemiraculeuseapparition.
Dans l’étatdans lequel jeme trouvais, j’aiprisçapouruncadeauduciel.Arrivédevantchezmoi,commejen’avaisplusdeclef,j’aidûescaladerleportaildemapropremaisonavantdefinirici.Ilétaitpresque quatre heures dumatin et je ne voulais pas réveillermes petites louves, qui devaient dormirprofondément.
Alorsjemesuisinstallélà,àl’abridelapluie,meglissantsousunplaidquitraînait.Etvoilàquelesoleilselève,àprésent.Jeregardeautourdemoi.Lesquelquesarbresontperduleursfeuilles.Iln’yenavaitpasdutoutavant,maislesfillesontinsistépourquel’onplantequelquestrucs.Etjedoisavouerqueceladonnetoutdesuiteuncôtépluschaleureuxàlapropriété.Bon,si jelesavaisécoutées,notrejardinressembleraitàunepépinière.Maisdetoutefaçon,ellesm’aurontàl’usure.Jenesuispasfou.Jesaiscommentellesfonctionnent.
Jemerendscomptequemesfringuessonttrempéesetjegrelotteunpeu.Jeremonteleplaid,jetantuncoupd’œilàmamontre:huitheurestrente.Onestdimanche…Bullenevapasseleveravantdixheures.C’estleseuljourdelasemaineoùellenebossepas.Jenepeuxpasluifaireça.Jevaisprendremonmalenpatience.
Alorsquejetentedemeréchaufferdumieuxquejepeux,j’entendssoudainlebruitfamilierdelaportevitrée.Jemeretournelentementetelleestlà.Deboutàquelquesmètresdemoi,dansunpetitshortyettee-shirt un brin transparent. Elleme fixe et ne dit rien. Elle n’a pas besoin de parler.Un regard, unsimpleregardetjen’aidéjàplusfroid.
Ses cheveux ébouriffés sont tirés sur le côté et elle s’avance versmoi doucement, comme dans unsonge.Peut-êtreque je suis en trainde rêver,peut-êtrequec’est lagueuledeboisou le froidquimeprovoquent une sorte d’hallucination. Mais ce parfum, ce parfum si familier, lui, il me fait prendreconsciencequetoutcelaestbeletbienréel.
Elleestbelle,sibelle,jenevoispascommentunseulhommesurcetteTerrepourraitluirésister.
–Charles…
Iln’yaquedanssabouchequemonprénomrésonneaussibien.Jemelèvepourluifaireface.Jedois
avoiruneminededéterréetpourtant…Pourtant,elletendsamainpourvenirlaposersurmajoue.Cecontact,cegeste–cesimplegeste–meramèneàlavie.Jefermelesyeux.Jesavoure.Marespirations’accélère,moncœurbatplusfort.Jepausemamainsurlasienne.Etjelaserre.Fort.Sifort.J’ouvrelespaupières. Ses grands yeux sont plongés dans les miens. Elle tremble. Et moi, je comprends. Jecomprendsqu’ilesttempsdeneplusfairesemblant.J’attrapesapetitetaille,quejeviensplaquercontremoi.
Elle est si fine, si fragile, j’ai l’impressionqu’elle estminuscule.Mamainglisse sous sonmenton,commecefameuxsoirdanslesruesdeGenève,maiscettefois,jen’hésiteplus.Cettefois,jen’aiplusenviederéfléchir.Maboucheglisse jusqu’à lasienne.Etc’est lechoc.Uneexplosion,une libération.Bullemerendmonbaiseretc’estcommesi,toutàcoup,letempsétaitsuspendu.Uncourantélectriquepassedesoncorpsaumienetdumienausien.Unéchange,uneévidence.Jeglissemesdoigtslelongdesataille,puisdescendsjusqu’àsescuisses.Jelasoulèvesansaucunmal,légèrecommeuneplume,etsesgrandes jambes finesviennent s’enroulerautourdemoi. Je lacollecontre lapalissade, ellepasse sesbrasautoursdemoncou.
–Bulle…
C’estcommesij’avaistoujoursattenducemoment.C’estcommesitoutprenaitenfinunsens,devenaitenfin une certitude. Ses ongles s’enfoncent dans mes épaules et je sens les battements de son cœurtambourinerdanssapoitrineenuneparfaitesymbioseaveclesmiens.Nousnefaisonsqu’un,etmêmesileréaliserestpresqueviolent,jenesuispassurpris.Jel’aitoujourssu.J’aijustefaitsemblant.Jemesuismenti.J’aicruque j’étaisplusfort.Maiss’ilyabienunechosecontre laquelleonnepeut lutter,c’estl’évidence.Etcematin,ici,danslefroiddumoisdenovembre,Bulleestmonévidence.
Jefaisdemi-tour,latenanttoujoursdansmesbrasetjemedirigeversl’intérieur.Jepousselaportevitréedupied,faisquelquespasdanslesalonavantdeladéposersurlecanapé.Jereculed’unpas,alorsqu’elleestallongéedevantmoi,sapetitebouchesemiouverteetsuffocante.Jeprendsquelquessecondespourlaregarder.Bulleestunangeaveclabeautédudiable.
Je retire ma veste et mon tee-shirt encore mouillé et j’aperçois ses petites joues s’empourprerlorsqu’elledécouvremontorse.Jecroisquejen’aijamaisrienvud’aussimignondemavie.Àforceden’avoir connu que des filles superficielles et sans intérêt, j’en avais oublié à quel point ce genre demomentsestsignifiant,commecesinstantspeuventêtrebeaux…Etcommeilssontimportants.S’offrir,sedécouvrir,sefaireconfiance.
Jem’allongedélicatementsurelle,m’insérantentresesreins,l’entourantdemesbras.Jenesaispassij’aidéjàétéaussidélicatunjourdansmavie.J’aienvied’êtredouxavecBulle,j’aienviedefaireleschosesbien,deprolongerl’instantindéfiniment.Jel’embrasse,mordilleseslèvres,mefrottecontresoncorps,contresoncœur.Ilyaquelquechosedenouveau,quelquechosed’irréeldanscettefusiondenoscorps.
Jeretiredélicatementsonpetittop,souslequelelleneporterien.Sespetitsseinsfermesrendraientfou
le plus puritain des hommes. Ses tétons pointent fièrement vers moi. J’ai une soudaine envie de lesprendreenbouche,delesbaisersansfin.Maisjeprendsmontemps,embrassesoncou,saclavicule,lecreuxdesapoitrineetdescendsma langue jusqu’àsonnombrilalorsqu’ellesecambredansdepetitsgémissements,sesmainsserranttoujoursmesépaules.
Jem’arrêteàlalimitedesonshorty,relevantmesyeuxverselle.Bullereprendsonsouffle,mordillantinnocemmentsalèvre,etjecontemplesondésiravantdeglisser,lelongdesesjambessimagnifiques,lepetitboutdetissu.Jecroisquemonboxervaexploser.Jen’aijamaisvupareilleperfection.
Bulle,nuedevantmoi,m’offreleplusbeaudestableaux.
Jefouilledans lapochedemonjeansavantde leretireretde le laisser tombersur lesol.Jeglisseentremesdentsl’emballageargenté.LesprunellesdeBulles’embrasentetlefeumonteenmoi.Ellesecambre déjà et sa jambe vient frottermon intimité. Je sais qu’elle ne l’a pas voulu,mais je ne peuxm’empêcher de soupirer à ce contact.L’attente est douloureusemais tellement délicieuse qu’elle nouspropulsetousdeuxl’unversl’autre.Lechocdenosdeuxcorpsestélectrique.Jeglissemaladroitementmonboxerlelongdemescuisses.Jen’aijamaisprisletempspourtoutça,avant,j’allaisdroitaubut.Maislà,surcecanapé,faceàcettefillemagnifiquequis’offreàmoi,j’aimeraisquelesaiguillesarrêtentdetourner.
Je placemes coudes de part et d’autre de son visage, caresse ses longs cheveux. Jem’allonge au-dessusd’elle.Jecontemplesonvisage,admirechacundeses traits.Perdudanssabeauté, jemerendsenfin compte que Bulle me sourit. Un sourire qui réchauffe tout mon être. Un sourire que jamais jen’oublierai.
Jedéchirel’emballage,enfiled’unemainlepréservatifsanslaquitterdesyeux.Bulleremuesousmoi,m’appelantàm’introduireenelle.Jem’inviteentresescuisses,verscetantreétiréparleplaisir.Mongland touche sa fente humide et je m’embrase. Ma brindille est tout aussi excitée que moi. Nousfrémissons ensemble. Tous nos sens sont exaltés. La sentir si proche de moi est une délivrance.Lentement,jelapénètre,savourantchaqueseconde.Bullegémit,assaillieparleplaisirquemahampeluioffre,etjel’accompagne,toutaussiensorceléqu’elleparnotreunion.Jemeretiretoutaussilentement,pourrentrerdeplusbelle.
Commedeuxpiècesd’unpuzzleenfinréunies,Bulleetmoidansons.
Jesuisentouréparlachaleurdesparoisdesonsexequim’aspirent,memouillentdesonplaisir.Nousnenous lâchonspasdu regard, tremblants.Bercésparune chanson imaginaire, c’est dansuneparfaitesymbiose que nous atteignons la dernière note, que nous nous envolons ailleurs, aux frontières d’unmondequejedécouvreavecelle.
«Seullebattementàl'unissondusexeetducœurpeutcréerl'extase1.»
L’extase,Bullevientdemel’offrirsurunplateau.Désormais,plusrienneseracommeavant.
Elleestàmoi.Jesuisàelle.
***
Je me réveille en sursaut. Je viens de réaliser où je me trouve et avec qui. Ce qui, en soi, estformidable,sionoublieque…
–Gabie!
Jemeredressed’uncoup,touttranspirant,réveillantBulleendormieaucreuxdemesbras.Ellepousseunpetitgrognementadorableavantd’ouvrirunœil.
–Charles,çava?demande-t-elled’unepetitevoixendormie.–Gabie,oùest-elle?Tucroisque…Ohputain,elleauraitpunous…–Voir?termineBulle.–Oui,soufflé-je,inquiet.–Charles,tasœurestchezsacopineMargot.Ellerentredansl’après-midi.
Elleseredresse,pointantsonpetitdoigtsurmonnez.
–Maisc’estbiend’ypenser,certes,unpeutard,semoque-t-elle.
Jefaismined’essayerdeluicroquerledoigt,cequilafaitrire.Jeprofitedesonmomentd’inattentionpour lui sauter dessus et la chatouiller.Lavoir se tordre dans tous les sens enm’ordonnant d’arrêter,tandisquemesmainsseperdentpartoutsursoncorps,n’apasdeprix.
Ellefinitparréussiràmefeinteretserelèvevite,enfilantmontee-shirtavantdeseprécipiterdanslacuisine.
–Tuesunpetitcon,CharlesDumont,crie-t-elleenpassantderrièrelebar.
Jesecouelatête,amusé,etmelèveàmontour,cherchantmoncaleçon,quejefinisparretrouveraumilieudescoussins.
J’entredanslacuisine,oùBulleestdéjàentraindenousservirdeuxgrandsverresdejusd’orange.Jem’avanceverselle,toutsourire,admirantsonpetitairmutinetc’estalorsquejel’aperçois.Unmonstrepoilu avec une queue géante et des poils gris dégueulasses. Furtivement, il vient de se jeter sous lecanapé.
Jefaisunbonddedeuxmètresenarrièreenhurlant.
–Ohputain!
Bullelâchelabouteille,effrayéeparmaréactionetlejusserenversepartoutsurlesol.
–Charles!Charles,qu’est-cequetuas?panique-t-elle.
Jepointemondoigtendirectionducanapé.
–IlyaunputainderaténormesousmonRocheBobois!Unputainderaténorme,insisté-je.–Unrat?s’étonne-t-elleensedirigeantniunenideuxverslecanapé.
Je grince des dents, détournant la tête.Elle ne va quandmêmepas aller vérifier. Il faut appeler unspécialiste,unesociété,ilfautbrûlerlamaison!J’oseouvrirunœilet,mêmesilavuedespetitesfessesnuesdeBullequisepenchentpoursouleverlescoussinsducanapémeretournelecerveau,jen’oubliepaspourautantlachosequisecacheendessous.
–Petit,petit,dit-elleensepenchantencoreplus.
Ellelefaitexprès,cen’estpaspossible!
–Bullen’appellepascettechose,sielletemord,tuvasattraperunesaloperie!
Jem’avanced’unpas,tentantdereprendreunpeudedignité.Etvoilàquemademoiselletendlebrassouslecanapé.
–Oh,Pikouik,viens-làmonamour,l’entends-jeprononcer.TuasfaitpeuràCharles,vilaingarçon.
Pikouik?Vilaingarçon?C’estquoicebordelencore?Soudain,elleextirpel’horriblechosedesouslesofaetl’attrapedanssespetitsbras.
–Bonjour,moncœur,dit-elleenluifaisantunbisousurlatête.
Jemanquedegerber.Bullevientdefaireunbisouàunvieuxratdégoutantqu’elleappellemonamour.Jedoisêtreentrainderêver.Elleletendversmoi,lesdeuxgrosyeuxexorbitésdelachosemefixant.
–Charles!Cen’estpasunrat!C’estMonsieurPikouik!
Çayest,c’estofficiel,jevisdansunemaisondetarés.Jegrimacetandisquelabêtemefixetoujours.
–Nefaispascettetête,Charles,cen’estqu’unfuret,pasundragon!
Ilnemanquaitplusqueça.
–Unfuret?Unfuret!Etàquiilestcefuret?Qu’est-cequ’ilfoutcheznous?m’agacé-je.
Bullelèvelesyeuxaucielensoupirant.
–Charles,cefuretviticidepuistoujours.Ilestàmoi!
Ellemeprendpourunebuse?Jel’auraisremarquédepuisledébutsiunepareillehorreurvivaitsousmetoit!
–Et jene l’ai jamaisvu? Il sepromènepartoutdans labaraque,maismoi jene l’ai jamaisvu.Tun’essaieraispasdemelafaireàl’enverslà?
Deuxièmelevéd’yeuxversleciel.Bullereprendlemonstredanssesbrasengratouillantsonventrerond.
–Charles,MonsieurPikouik est arrivé ici avecmoi.C’estmême toiqui adescendu la cagede tonLandRoverendisantquetunevoulaispasqueGabieetmoirayionslacarrosserie.Tul’aségalementtoi-même installé dansma chambre en posant sa cage de transport juste à côté.Monsieur Pikouik sebalade régulièrementdans lamaison.Mais comme tupasses laplupart de tesnuitsdehors et les troisquartsdetesjournéesàdormir,jeveuxbiencroirequetun’aiespasremarquésaprésence…conclut-elleironiquement.
Cettefois,c’estmoiquisoupireenlevantlesyeuxauciel.Ok,Bullemarqueunpoint.Ilestvraiquejene suispasvraiment connecté, cesderniers temps. Je laisse le temps faire les choses et je flotte.Au-dessusdetout.Maisquelquechosemeditqueçavachanger…
Bullereposelabêtesurlesolquis’enfuieenfaisantdepetitsbonds.Ondiraituneespècederessortpoilusurpattes.Commentai-jefaitpournejamaisvoircettehorreur?
–Ilnechiepaspartout,aumoins?–Ilaunelitière,Charles…Etilestbienplusproprequebeaucoupdegarçonsquejeconnais,glisse-t-
elleinnocemment.
Ellesepencheànouveausousmesyeuxpouressuyerlejusdefruitsquicommenceàcollersurlesol.Cettefois,c’enesttrop.Cepetitcularemuébientroplongtempssousmonnez.
–Bulle?–Oui?lance-t-elleinnocemment.
Jedésignesasilhouettedumenton.
–Tuesaucourantquetun’aspasdeculotte?Jenevaispastenirbienlongtemps…
Elledevientalorsrougepivoine.Ellelâchesonrouleaud’essuie-toutetseredressed’uncoup.
–Tunepouvaispasmeledireavant,bafouille-t-elle.
Jecroisemesbrassurmontorse,laissantéchapperunpetitriremoqueur.
– Tu sais, Bulle, en général les gens se rendent compte d’eux-mêmes qu’ils ne portent pas devêtements…
Elleprendunegrandeboufféed’air,gonflantsesadorablespetitesjouesetmeplanteaumilieudelapièce.
–Eh,Bulle!Oùtuvas?–Prendreunedoucheetenfileruneculotte!déclare-t-ellefaussementencolère.
Jemordillema lèvre en secouant la tête. Elle ne va pas s’en sortir comme ça… Je la suis jusqu’àl’étageoùsetrouventsachambreetcelledeGabie,etprofitepourmerincerencoreunefoisl’œil.Lajournéecommencevraimentbien!Ellepousselaportedelasalledebainscommeunefurieavantdemelaclaqueraunezetjerigoletoutseul.Jeresteplantédevant.Quellepetiteingrate.Siellecroitqu’ellevas’entirercommeça.J’entendsl’eaucouleretdécidederetourneràlacuisine.Tuvasvoir,mapetite…
Jefouillevitedansuntiroirpourensortirundemescouteauxsuisseetremonteaussitôt.Unpetittourdanslaserrureethop!Jedéverrouillelesystème.CharlesDumontestdanslaplace,lesamis!Bulleseretourne brusquement alors qu’elle se trouve dans la grande douche italienne. Mon boxer double devolumedevantlavuedesonpetitcorpsetdesescheveuxtrempés.
–Charles!hurle-t-elleententantdesecacherderrièresesmains.
Jeluilancemonirrésistiblesourireencoinetellefulmine.
–Tun’asvraimentaucunelimite!
Jeretiremonboxeretmeglissesouslejetavantdelaplaquercontrelemurdepierresdeparement.
–Aucune…susurré-jeavantdel’embrasser.
Jen’ai qu’une envie,m’incruster en elle, rageant intérieurement denepas avoir de capotes sous lamain.Mais sonpetit corps toutdemoussevêtuet sesmainsencerclantmoncoupourmesusurrerdesmotsdoux,valenttouteslesbaisesdumonde.Encoreplusquandellemedemandedeluifrotterledosetqu’elleseretourne,pourm’offrirunprofildesplusmagnifiques.LesmannequinsAubaden’ontvraimentrienàenvieràmapetitebrindille.
Jesoulèvesescheveux,mefrottantcontreelletandisqu’elleritenmerepoussant.
–Charles,n’enprofitepas!s’amuse-t-elle.–Tumeprovoques,aussi,rétorqué-je.
Bulletentedemejeterdelamoussepar-dessussonépaule.
–Tuesépuisant!
Jesouhaitel’embêteretmordsdanssaclavicule.Ellepousseunpetitcrisurpris.
–Charles!
Jerisdeplusbelleet reprendsmescaressesavec lesavon.Tandisque je l’observeunpeuplus, jeremarque entre ses reins, un peu au-dessus de son joli petit cul, une cicatrise assez impressionnante.Partantd’uncôté,elletraverseunebonnemoitiédesarégionlombaire.Jen’avaisjamaisfaitattentionet,enmêmetemps,jenevoispascommentj’auraispu.JenesuispasdugenreàespionnerBullequandelleestdanslasalledebainetellen’estpasdugenreàsepromeneràpoilcheznous.
–Tuestombédecheval?demandé-jeenpassantundoigtlelongdecettemarquesursapeau.
AlorsquequelquessecondesauparavantBulleriaitencoreauxéclats,elleseraiditsoudain.Sonpetitcorpsestparcouruparlachairdepouleetelleneprononceplusunmot.
–Bulle?Çava?
Je passe doucement ma tête par-dessus son épaule. Son visage est livide, pâle, vide de touteexpression.Elleresteplusieurssecondesainsi.Dessecondesquimeparaissentuneéternité.
–Bulle,disquelquechose,tuesflippantelà!
Elleseretournealorsversmoi,toujourssansunmot,etselaissetomberdansmesbras,enfouissantsondouxvisagedans le creuxdemon épaule. Je ne comprends rien à ce qui est en train de se passer et,malgré l’eau qui coule toujours, je sens les larmes de Bulle glisser sur mon torse. Je resserre monétreinte,etc’estalorsquejel’entendspleurer.Despetitsgémissements,telunanimalapeuré,unbruitquimebriselecœur.
–Bulle…murmuré-jedoucementenpassantmamaindanssescheveux.Qu’est-cequinevapas?
Jesuisperdudevantlemal-êtrequis’emparedemabrindille.Qu’est-cequej’aidit?Qu’est-cequej’aifait?Ques’est-ilpassé?
Elle relève sesgrandsyeuxhumidesversmoidansuneexpression si fragile, et sapetitebouche setord,lâchantunephraseàpeineaudibleetpourtantsipleinedesens:
–Charles,ilesttempsquetusaches…
11-Lesliensdupassé
Enrouléedansuneserviette,sescheveuxtrempéstombantsursesfrêlesépaules,Bulleestassisesurleborddesonlit.Jemetiensàsescôtésdansmonjogginggris,fixantlemurcouvertdeflotsetdecoupesdeconcours.Ellesoupire,avantdesetournerversmoi.Jenesaispascequ’elles’apprêteàmeraconter,mais jesensquecelaneserapassansconséquence.Ilya,danssonattitudeetdans l’airambiant,dessignesquinetrompentpas.
–Ilyaunpeuplusdetroisansdeça,l’annéedemesdix-septans,j’aidécrochémaMaturité.JesuispartiàBerneoùj’aiétéacceptéeàl’universitépourdevenirvétérinaire.
Je la fixe, étonnée. Je ne savais pas que Bulle avait fait des études. Encore moins des étudesvétérinaires!
–Jevoulaismespécialiserdansleschevauxpourpouvoirmenermesdeuxpassionsdefront.J’avaisdécrochéunboulotsurplacecommeserveuse.Monpèren’avaitpaslesmoyensdepayermesétudesetlespensionsdemeschevaux.C’estd’ailleurspourçaqueCarotteaétécédéenpartieauxécuriesetquemonautrecheval,Paprika,aunedemi-pension.L’équitationcoûtecher,Charles…C’estunepassionquinelaissepasdeplacepourlereste,soupire-t-elle.Bref.Lesoir,jebossaiscommeserveuseaubarduSchweizerhofHotel. J’étaismineure,mais jolie, et le patron a tout de suite flairé le bon truc pour saclientèle.Jemefaisaisrégulièrementalpaguéeparlesgroslourdsdelaville,duplusvieuxauplusjeune.Mais si durant les premiersmois, tout se passait pour lemieux, un soir, les choses ont pris une autretournure…
Savoixdevientplusgrave,plus faible,et ses traits sedurcissent.Bulle reprendsa respirationet jeposeunemainsurlasienne.
–Un typeestvenumedragueraubar. Il avaitunevingtained’année, sentait le fricet l’arroganceàpleinnez. J’avais l’habitudedes abrutis dans songenre. Je l’ai écarté toute la soirée,mais il n’a paslâché.Ilavaitsansdoutetropl’habituded’obtenirtoutcequ’ilvoulait.
Àl’entendreprononcercettephrase,uneboulesenouedansmagorge.LeportraitqueBullemedressemerappellequelqu’undontjenesuisplustrèsfier,toutàcoup.
–Lepatrondubarafiniparl’écartercarildevenaitvraimentinsistant.C’estlasécuritédel’hôtelquil’asorti.Etilfautcroirequ’iln’apasvraimentapprécié…
Des larmescommencent àglisser le longdes jouesdeBulle. Jevoudrais l’attraper et la serrer fortcontremoi,maisjesensqu’ellen’apasenviedeça.Toutcequ’ellesemblevouloir,c’estsedébarrasserdecepoids.Demoncôté,jeredoutedeplusenplusl’horribleissuedecettehistoire.
– J’ai terminémonserviceuneheureplus tard.Comme tout lepersonnelde l’établissement, je suissortieparderrière.MacollègueAniaavaitpourhabitudedepartirenmêmetempsquemoimais,cesoir-là,elleaunpeutraînéavecdesclients.Jemesuisengagéedanslapetiteruelleet…
Ellecoupecourtàsespropos,ses larmescoulantdeplusbelle.C’est insupportable, jeneveuxpasentendre,jeneveuxpassavoir,mespoingsseserrent,mesdentsaussi.
–Ilétaitlà.Ilm’attendait,appuyécontreunmur.J’aid’abordfaitcommesijenel’avaispasvu,maisilaaccélérélepasetilm’arattrapée.J’aitentédemedébattre,Charles,j’aitenté…gémit-elle,noyéedansseslarmes.Maisilétaitplusgrand,plusfort,plusrapide…Ilm’atiréedansunepetiteimpasse,ilm’a jetée contre un vieil escalier, je ne pouvais plus bouger, j’ai cru quema dernière heure arrivait.J’avaistellementpeur…Etpuis,ilasorticecouteau…Ill’aposésousmagorge…Ilmedisaitquejen’étaisqu’uneallumeuse,qu’ilmevoulaitetqu’ilm’aurait.Jemesuisdébattuedumieuxquej’aipu.J’aitentédem’enfuir,jeluiaicrachéauvisageetilm’arelâchéesousl’effetdesurprise.Seulement,alorsquejemeretournais,pensantéchapperaupire,ilm’aplantésoncouteaudanslebasdudosetaétirésongeste.J’aihurlé.Detoutemesforces,depeur,dedouleur.Ilyavaitdusangpartout.Aniaetdestypesdurestaurantsontarrivésencouranttandisquemonbourreauprenaitlafuite…Cen’estqu’aupetitmatin,alorsquej’étaisallongéesurunlitd’hôpital,quej’aiapprisqu’ilavaitétéarrêté.Je…
Jene la laissepas finir. Je l’attrapedansmesbraset je laserresi fortque jepourrais labriserendeux.Uneragefolles’estemparéedemoi.Uneragesigrande,quejepourraisretournerl’universentierpourm’occupermoi-mêmedecetteordure.
–Oùest-ilmaintenant?Tulesais?Dansquelleprison?aboyé-je.–Iln’estpasenprison,Charles…
Jemanquedem’étouffer.Cen’estpaspossible.NoussommesenSuisse,ilauraitdûprendreperpette!LesSuissesnerigolentpasaveccegenredechoses.Cen’estpaspourrienquenoussommesundespayslesplussûrsaumonde.Jenecomprendspas.
–Mais…mais…Jenetrouvepasmesmots.–Sonpèreapayé,répond-ellecalmement.Ilapayépoursauversonfils.
Jerespireungrandcoup.
–Bulle.Jeveuxbiencroirequel’argentachètebeaucoupdechoses,maisla justicesuissen’estpascorruptible.Commenta-t-ilfait?Ques’est-ilpassé?–Tunecomprendspas,Charles.Iln’apaspayélesjuges,oulesavocats,oujenesaisquoid’autre.–Maisalorsqu’a-t-ilpayé?Dequoiparle-ton?Ohnon…Ilaachetévotresilence?
Bullelèvelesyeuxauciel.Mêmedansunmomentcommecelui-ci,j’arriveencoreàl’agacer.
–Charles,sicetypeavaitpayénotresilence,tucroisvraimentquej’auraisabandonnémesétudesetquej’enchaineraisdeuxboulotspourpayerlespensionsdemeschevaux?Necrois-tupasnonplusquej’auraisvécuailleursquedanslestudiooùjemetrouvaisencore ilyaquelquesmois?Meprends-tupourcegenredefille,Charles?Crois-tuvraimentquejesuisdugenreàmetairecontrequelquespetitsmillions?
Ellehausseleton,selevantets’éloignantdemoi.Jecroisquejen’aipasététrèsadroit,surcecoup.Maisenmêmetempsjenesaisisplusrien.Jepassemesmainsdansmescheveux.Jesuisdansunétatsecond.Ilfautqu’ellem’éclaircisse.
–Ilaessayédenousacheter.
Bullemesortdemespensées.
– Il a d’abord essayé. Il voulait protéger son fils, sa famille, sa réputation. Il nous a proposé unesommetellementindécente,Charles…Tellement.Pourmoic’étaitbiensûrhorsdequestion.Maismonpère…Luiquitrimaitcommeunfoupournousfairevivre.Luiquin’étaitplusquel’ombredelui-mêmedepuis lamortdemaman. Jepensaisque…J’auraiscompris…Mais il a refusé. Il a refusé toutes sesoffres…
Etdenouveauxdespetiteslarmesquis’échappentsurlesjouesdemaprincesse.
–Jenevaispasrentrerdanslesdétails,jeneveuxpast’ennuyer.Maisleschosesontprisunetournurebiendifférenteensuite.Monpèreareçudesmenaces,sesemployésontdémissionnéunparun,recevantmiraculeusementdesoffresbienplus alléchantesdansd’autresgaragesde laville.Puisdes clients sesontplaintsdepannes,de rayures,demauvaisentretiens.Des types tournaient,attendaientdevantcheznous,nousprovoquaient.Çanepouvaitplusdurer.Legarageétaitentraindecouleretmonpèrevivaitdans la peur. Je suis allée voir l’avocat de cette ordure et j’ai retiréma plainte. Je ne pouvais plussupporterdelevoirdanscetétat.Ilallaitfinirparsetuer.Maisilétaittroptard…Quelquesjoursplustardilfaisaitunmalaiseetlemédecinluidétectaituncancerfoudroyant.Ilatenudeuxsemaines.Deuxputaindesemaines…Toutestdemafaute,Charles…C’estàcausedemoi,c’estàcausedemoisimonpèreestmort…
Bullepleureàchaudelarmeet,souslepoidsdesonchagrin,s’écroulesurlesol.Jemeglisseàsespieds,etlaserrecontremoi.Laragealaisséplaceàladouleur.Jenepeuxpassupporterdelavoirainsi.Jelabercedoucementdansmesbras,caressantsescheveuxencoreunpeumouillés.
–Nepleurepas,nepleurepas…Cen’estpasdetafaute.Rienn’estdetafaute,tucomprends?
Bullecontinuedepleurer.Surletapisdesachambre,danssaserviettetropgrande,dansmesbras,elle
évacuecequilarongedepuisdesannées.
JecomprendsmieuxcequececonnarddeNahilvoulaitdireàl’époquepar:«C’estàcaused’untypecomme toi queBulle en est là, aujourd’hui. »En effet, c’est à cause d’un type commemoi.Mais unechoseestsûre.Ilnes’ensortirapasvivant.Jeleretrouverai.Etilverra.Ilverracequ’ilarrivequandontoucheàmameute.
***
Quelquesheuresplustard,jesuisvautrédanslecanapédusalon.J’ailaissémabrindillesereposerdans sa chambre. Le choc émotionnel a été important. Je l’ai allongée sur son lit et j’ai remonté sonhorriblecouetterosesurelleavantqu’ellenesombredirectementdansunprofondsommeil.
Jen’aipaspuensavoirplus.Bullem’afaitjurerdenepasmemêlerdecettehistoire.Personnen’estaucourant,àpartmoi.Elleneveutpasrevivreça.J’aibeaueulasupplierettenterdelaconvaincrepartouslesmoyens,ellen’apasplié.Maisjecomprends.Reparlerdeçal’adéjàplongéedansunterribleétat.Jenepensepasqu’elleréussiraità toutaffronterunesecondefois.Mais, jesuisCharlesDumont.Riennepeutm’arrêter.Jeretrouveraicetypeetcettefamille.Etilspaierontpourcequ’ilsontfait.Ohoui,ilspaieront…
Enattendant,jerepasseenboucledansmatêtecettediscussion.Cequis’estpasséesthorrible.Etpourcouronner le tout,Bullen’a jamaisplusoséfréquenterungarçondepuis.Ellesesentaitsale.Jegrincedes dents. Ce connard va souffrir. Mais tout cela signifie que je vais devoir me montrer digne deconfiance,digned’elle.JenedispasquejevaischangeretmetransformerenunputaindeBisounours.Mais les conneries avec lesnanas, c’est fini. J’ai lamienne,maintenant.Et elle estbienau-dessusdetouteslesgonzessesdelaTerre.Ellem’afaitconfiance,etrienquepourça,jesuishonoré.Jesuissonpremiermecdepuistroisans.Etquandjesongequecepetitcorpsparfaitestàmoi…Troisans!Ellen’aconnu personne depuis trois ans, et elle m’a choisi moi ! Merde… Je prends conscience que lescirconstances de ses retrouvailles avec le sexe masculin auraient pu être meilleures. Je ne peuxdécemmentpasmecontenterdeça.Bienquecenesoitpasl’enviequimemanquedelaprendreunpeupartoutdanscettemaisonetpartoutailleurs,jedoisfaireleschosescorrectement.Ilfautquej’organisequelquechose,quejeprenneleschosesenmain.
Quelle heure est-il ? Onze heures trente. Il faut que je bouge. Je me lève du canapé et pars à larecherchedemontéléphone.Qu’est-cequej’enaifoutu?Ahoui,faitchier…MavoitureesttoujoursauparkingduMont-Blancetjen’aiplusdetéléphone.Çacompliquecarrémentmesplans.Iln’yapasdetéléphonefixedansmadépendance.Jetraversedonclejardinaupasdecoursepourrejoindrelavilla.Quandj’ouvrelaporte,celamefaitunedrôled’impression.Toutestsicalme.Certesiln’yapasunbrinde poussière vu que les femmes de ménage passent toutes les semaines, mais on voit bien que pluspersonnenevitici.
C’estundrôlede sentimentquede se retrouver là. J’ymettaisdemoinsenmoins lespieds,depuisdeuxans.C’estimmenseettellementtriste,commentvoulez-vousquedesenfantss’épanouissentdansun
endroitpareil?JesuisbiencontentqueGabiesoitvenueprendresesquartiersavecmoi.Sionm’avaitditça,ilyaunan…Jepensequej’auraisbienri.Ellen’arienlaissé,ici.Riendutout.Onatransféréjusqu’à son dernier poster de canassons. Sa chambre est complètement vide. Trois centmètres carrésinhabités.DequoirendrefoulesstatisticienssurlacrisedulogementàGenève.
Jetraverselegrandhallendirectiondusalon.Ladécoestvraimentàchier.Mesparentssontfandesambiancesblanchesettransparentes.C’esttellementaseptisé,ondiraitqu’onatoutlavéàl’eaudejavel.
Quandj’étaismômejenepouvaispasm’asseoirsur lecanapé...Véridique.Ilnefallaitpassalirouabîmer!EtcontrairementàGabie,moi,j’ailongtempseumamèresurledos.Quandellem’aeu,elleaeulabonneidéed’arrêterdebosser.Paspours’occuperdemoi,non!Maispourfairecommetoutessespétassesdecopinesetpassersontempsàfairelesboutiquesaveclacartedesonmari.J’étaisjusteunprétexte.Elleétaitdoncsouventàlamaison–enfin,sionpeutappeler«souvent»l’équivalentdedeuxheuresdanslajournée–,etellerepassaittoujoursderrièremoipourvérifierquejen’avaisriensali.Unevraienévrosée.
Jemesouviensd’unépisodeassezfou.OnjouaitauxpetitesvoituresavecMax,dansmachambre,etonaeuenviedefairevoirdupaysànosbolides.Alorsonainstalléuncircuitimprovisédanslesalon.On devait avoir cinq ans, six tout au plus, on était des gosses, des gosses, bordel… En jouant, j’airenverséundesesvasesàlacon.Ilaexplosésurleparquet.Jemesouviensencoredelapeurquim’aenvahi à cet instant. J’imaginais la réaction demamère et jeme suis jeté sur lesmorceaux pour toutramasserpendantqueMaxmeregardaitsanscomprendre.Jemesuiscoupéplusieursfoisaveclesbrisdeverre,etmespetitesmainsétaientcouvertesdesang.Lamorueadébarquéàcetinstant.Elleahurlécommeunefurie.Pasparcequej’étaisblessé,maisparcequejemettaisdusangpartout,etqu’enplus,j’avaiscasséundesesfantastiquesvases.Ellem’apuni!ElleafaitramenerMaxparnotrechauffeuretelleaenvoyéunedemesnounouspours’occuperdemoiavantdemefairegarderdanslachambresansmonrepas.Unedingue,uneputaindedingue.Monpère,jusqu’àmeshuitansjenelereconnaissaismêmepas, quand il se pointait à lamaison. Toujours aux quatre coins dumonde pour gérer les entreprisesfamiliales.Jenesaispascequileuraprisdefaireundeuxièmegosse.Jemedemandesiçan’avaitpasunrapportaveclesnombreusesliaisonsqu’ilsavaienttouslesdeux.Ilsontpeut-êtrecruqueçapourraitsauverleurcouple…Ilsauraientmieuxfaitdes’abstenir.Enfin,jedisça,maisuneviesansGabie,n’estpasunevie.Seulement,quandonvoitqu’ellelesappelleparleursprénomsetqueçavafaireplusieursmoisqu’ellenelesapasvus,onpeutseposerdesquestions.
Jen’aitoujourspasmislamainsurcefoututéléphone.J’étaispourtantsûrqu’ilyenavaitun,ici.
Jemeglissedanslecouloirdufondpourallerfouinerdanslespetitssalons.Jepassedevanttoutescespièces tristeset lugubres.Mêmelabibliothèqueesteffrayante.Mamèren’achetaitquedes livresavecdesreliuresdanslestonsblancs,gris,etleursvariations.Autantdirequ’onadetoutetn’importequoi.Jem’arrêteenfindevantladernièreporte.Jesaisqu’iln’yaurapasdetéléphoneici.Derrièresetrouventdesescaliersquidescendentversunsous-solaménagé.Jen’yaipasremislespiedsdepuisbientôtdixans.Denombreuxsouvenirssebousculentdansmatêteàcetinstant.Jenesaispaspourquoi.Lafatigue,peut-être,lesévénementsdesderniersmois,oulechocprovoquéparlerécitdeBullecematin.Toujours
est-ilquemamainseposesurlapoignée.J’hésite.Detoutefaçoniln’yapeut-êtreplusrien,làenbas.Ilsont sûrement toutvider. Je lesvoisbien faireaménagerunesallepourunhomecinémaouquelquechosedanslegenre.Jecroislesavoirentendusenparlerplusieursfois,celanem’étonneraitpas.Troptard,mesdoigtsseresserrentetjefinisparouvrir.Plantéenhautdesgrandsescaliersblancs,jefixeleplancher plus bas. Les lumières automatiques s’allument et je fais un pas en arrière. À quoi bondescendre,qu’est-cequecelachangerait?Depuisquandsuis-jenostalgique?Mais…quandmême…Etmerde!Jedécidededévalercesfoutuesmarches.
Enbas,toujourslesmêmeslampesquireproduisentlalumièrenaturelledusoleiletquemamèreavaitfaitinstallerpourquesesyeuxnesoientpasabimésparleschangementsd’éclairage.Lapremièrepièceesttoujoursunesalledesport.Lesappareilssontencoreneufs,ilyaexactementlesmêmes,autourdelapiscineintérieure.Trèsinutile.Jetraverseetjemeretrouvedevantlaportequejeredouted’ouvrir.Ondiraitundébile, jesuispathétique…Jefinisparprendremoncourageàdeuxmains,commesi j’allaispénétrerdansl’antred’undragon…Quandleslumièress’allumentetquelapièceserévèleàmesyeux,jemesensàlafoissoulagéetàlafoistrèsbizarre.Soulagéparcequerienn’achangéetétrangeparcequecelavafairedixansquejenel’aipasvu.Dixans…Ilesttoujoursaussibeau,toujoursaussiclasse,toujoursaussiimpressionnantetdesfourmillescommencentàmechatouillerleboutdesdoigts.
Jem’approchedoucement,leregardantaveccetteadmirationquejeluiaitoujoursportée,hésitantàletoucher, me disant connement qu’il devait m’en vouloir, après toutes ces années passées seul ici. Etpuis…Jetendslamain,fermelesyeux,caresseleboisetc’estcommesiunfeugéants’allumaitsoudainenmoi.
Mespaupièressesoulèvent,jemordillemalèvre,tentedecontenircequimesubmerge.
Juste là, sousmes doigts,majestueux, se tientmonSteinway&SonsB-211 de 1945 ;monpremieramour;monpiano.
Surprenant ? Charles Dumont au piano. Ça colle tout de suite moins bien avec le personnage. Etpourtant…
Jem’installesur lefauteuilsansréfléchir,soulevant lepontetadmire les touchesnoiresetblanchesparfaitement intactes. Il n’y a pas un gramme de poussière dans la pièce ni surmon instrument. J’endéduisquelesfemmesdeménageviennentjusqu’ici,cequinem’étonneguèreconnaissantlehautniveaud’exigencemaladifdemamère.
Dubout des doigts, je caresse le clavier. Je crois qu’il est en train dem’appeler, deme posséder,comme il l’a fait la toutepremière foischezmongrand-père,quand jen’étaisencorequ’unenfantquisavaisàpeineparler.
Jefermeunenouvellefoislesyeux,contracteleventre,reprendsmarespirationetmelaisseenvahirparsoninvitationsilencieuse.Ilyadeschosesquines’oublientpaset,dèslapremièrenote,lapremière
touche,lapremièresensation,c’esttoutmonêtrequis’abandonne.Jemeretrouveàjouer,faisantunbondeplusieurs années enarrièredans le temps.Aucune faussenote, aucunehésitation :UnaMattina deLudovicoEinaudi, résonnedans toute lapièce. Jesuis transporté,ailleurs,dansuneautrevie,dansunautretemps.Jeréveilledessouvenirs,desinstants,jeréveillecequejepensaisdisparuàtoutjamais.JesuisCharlesDumont,cepetitgossedecinqansenvacancesdanslechâteaufamilial,assissurlesgenouxdesongrand-pèrequiluiapprendlespremièresnotesd’unconcertodeRavel.JesuiscetadolescentdedouzeansquiintègreleprestigieuxconservatoiredeLondres.Jesuiscetypequipensaitavoirtrouvésavoix, qui pensait que riennepourrait jamais l’arrêter. Je suis ce garçondans le sous-sol, qui joue enpensantàtoutescesannéesperdues,àcettefillequiestentréedanssaviepouryfoutrelebordel,àsonmeilleuramiquiestpartirejoindreleciel.Jesuiscetypeenvahiparlamusique.
Monregardseperd,loin,àdesannéeslumières,danscemondesipersonnel,siparticulier,queseulsceuxquiconnaissentl’osmoseentreunhommeetsonpianopeuventcomprendre.
Etc’estalorsqu’elleapparaît.Justeàmescôtés.Ellem’observejouercommesielleavaittoujourssu,commesielleavaittoujourscompris–cettechoseendormie,cemanque,cettepartiedemoi.
Bulle,debout,mefixedetoutsonamour.Etjecontinuedejouer…
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12-Surprendreceuxqu’onaime
Jeterminelapartitionquejeconnaisparcœur.Jesuisentranse,unpeuchamboulé,commesijevenaisdecourirunmarathon.Dixans,c’estlong,etpourtant,j’ail’impressionquec’étaithier.Jefixehagardmon clavier tandis queBulle prend place sur le banc avecmoi. Elle glisse samain surma cuisse etappuiesatêtesurmonépaule.Celameprovoqueimmédiatementunsentimentdebien-être,deréconfort.
–Jelesavais,Charles,murmure-t-elle.
Je ne comprends pas exactement où elle veut en venir. Qu’est-ce qu’elle savait ? Que je jouais ?Impossible.C’estunsecret.Unlourdsecret…
– Je le savais que tu cachais quelque chose, que tu n’étais pas comme les autres. Je l’ai su dès lepremierjour…
Jesourisdoucement,passantunbrasautourdesataille.
–Ahoui?laquestionné-jeunpeuamuséetsurpris.–Oui.Jel’aivudanstesyeux.Lesyeuxnemententpas,Charles,ilssontlerefletdel’âme.Ilsdisent
cequelesgenss’efforcentdecacher.
Jelaserreencorepluscontremoi,respirantsescheveuxàl’odeurdejasmin.Mabrindille…
Jetentedemeconcentrersurnotreéchangeetdefairebarrageàtouslessouvenirsquiremontentàlasurface.Jeneveuxpasdeça,pasmaintenant,paspourelle.Lepasséc’estlepassé,rienàajouter.Jemereprends:
–Tuadmetsdoncquetuavaisunpetitfaiblepourmoidepuisledébut,lataquiné-je.
Bullesoupireetredressesondouxvisageversmoi.
–Turêves,Charles.
Jepenchelatêtesurlecôté,mimantunetêted’enfantdéçuetmabrindillesemetàrire.
Un rirequi résonnedans lesquatre coinsde cettepièce,quime traverse commeune symphonie. Jepourrais composer une chanson juste avec ce rire. Je pourrais composer jusqu’àmamort juste en laregardant.
–Qu’est-ce qu’il y a ? s’agace-t-elle gentiment alors que je la fixe sans rien dire, perdu dansmespensées.
Siellesavait…Siellesavaittoutcequ’elleréveilleenmoietdequellefaçonellememaintientenviedepuissixmois.Siellesavaittoutcequej’aimeraisluidire…
Jepasseunemainsursapetitejouerosée.
–Merci…luisusurré-je.
Ellemescrutedesesgrandsyeuxbleus.Sescilsrecourbésverslecielluidonnentdesairsdebiche.Jemepencheversseslèvrescharnues,m’arrêtantàmoinsd’uncentimètre.Sespupillessedilatent,sespaupièress’ouvrentetsefermentdansdesbattementsdecilsdélicats.Jeregardeàmontour.Auplusloindesesiris,àdeskilomètresdel’endroitoùnousnoustrouvons,danslesprofondeursdesonêtre.
Bullesepenchealorspourm’embrasseretjelafreinedélicatement,glissantundoigtentresaboucheetlamienne.
Ellem’observesurprise.
–Attends,luidemandé-jedélicatement.
Jeme lève, tendsmamainpour saisir la sienne, la faisantvirevolterentremoietmonSteinway. Jesaisis saminuscule taille tandis qu’elleme sourit, surprise, et je l’assois surmon clavier. Des notesgravess’élèventdanslapiècealorsquej’attrapesonvisageentremesmains.
–Jerêvaisdefaireçaquandj’étaisgosse.–Çaquoi?m’interroge-t-elle.–ÇA…
Etjeplaquemabouchesursesdélicates lèvres,avecforceetpassion,commepour luidiredanscebaisertoutcequejeressens,toutcequejegardeenfoui,toutcequ’ellereprésente.
Unéphémèreinstant.
***
Unpeuplustard,lemêmejour
OK,jevérifiequetoutestbon.Cesoir,LydiavientgarderGabieets’occupedel’emmeneràl’écoledemainmatinetmardi.J’aiprévenuleKempinskiqueBulleneserapaslàpendantdeuxjours.Ilsontrâléendemandantquij’étaisetj’aifinipardemanderàparleraudirecteur,quis’estviteexcuséquandilaentendumonnom.Merci,papa.
Lavoitureestprête,mavaliseaussi,ainsiquecelledemabrindille.MerciGabie,surcecoup,quim’aaidéunefoisrentrée.LedressingdeBulleestunvraibordel,etenplussonespècederat-belettequipuedortdedans.Ilamanquédemesauteràlagorgequandjejetaisuncoupd’œildanssespulls.
Àprésent,jesuisdanslehalld’entrée,untantinetstressé.GabiesefoutdemoidepuislecanapétandisqueLydialuiprépareungoûter.Jesuisentouréedegonzesses,ilnefaudrapass’étonnersijefiniscinglé.
Bullenedevraitpastarder.Elleestalléerendrevisiteàsoncheval.Jemesuisoccupédetoutpendantcetemps-là.J’aidûfaireviteetm’assurerquetoutseraitfaisable.MaisjesuisCharlesDumont,etjemerépète,pourmoi,rienn’estimpossible.
–Charlie,arrêtedetournerenrond,tumedonneslanausée,semoqueGabie.
ElleestaucourantdemonplandeAàZetletrouvegénial.MaisjenesuispassûrdelacrédibilitéàaccorderàuneminettedetreizeansquitrouvequePokemonGoestunemerveille.
–Regardetasérie,morveuse,etlaisse-moitranquille!lataquiné-je.
Ellemetirelalangueenselaissantretomberdanslecanapé,etmoi,jefixemamontrecommeunabrutiàsonpremierrencart.Jesuispathétique.
Quandlaportes’ouvreenfinetqueBulleapparaît,emmitoufléedanssagrosseparka,laissantentrerlefroiddenovembre, jemedemandecommentj’aipupasser lanuitdehors.Ellemedévisagedehautenbas.
–Charles?Mais…Qu’est-cequetufaislà?
Jesuisd’abordsurprisparsaquestionavantderéaliserqu’effectivementcelapeutparaîtreétrange.Jusqu’àprésentjepassaismesjournéesàdormiravantdequitterleslieuxenfind’après-midipourallerzonerdansdiversendroitsdelaville.Maisdepuiscematin,leschosessontdifférentes.Jenesuisplusunmecsolo.Jen’aiplusderaisond’allerchasser.J’aitoutcequ’ilmefautàdomicile.Pourlesfêtesetlespotes,onverraplus tard,pasenviede tirerun traitsur toutemavie,pour lemoment.J’aiencore tropbesoindemaliberté.Cependant,pourlesdeuxjoursàvenir,j’aiprévudeprendresoindemarebelle.Etparlamêmeoccasiondemoi-même!
–Tuasdixminutespourtepréparer,Bulle,jetekidnappe.
Elleretiresonmanteaudanslehall,setournantversmoienfronçantlessourcils.
–Charles,sansvouloirt’offenser,legenredesoiréesoùtutraines,cen’estpastropmontruc.Enplusilestdix-septheures,c’estl’heuredesafterwork,jenevaispasmecoltinertout…–Tun’aspasbiensaisi, jecrois,lacoupé-jeavantqu’ellepartedanssondélire.Onnevapasàun
afterouunesoiréeoujenesaisquoid’autre.Onpartenweek-end.–Enweek-end?répéte-t-elle,surprise,enretirantsoncacheoreille.Undimanchesoir?
Je croise les bras surmon torse et je sens les petits yeux inquisiteurs deGabie dansmon dos. Jel’imagineparfaitementaccoudéesurlecanapé,neloupantpasuneseulesecondedelascène.
–Oui,undimanchesoir,mademoiselle.–Jetravailledemain,tuesaucourant?dit-elleens’appuyantsurmonbraspourretirerseschaussures,
toutnaturellement.
Ai-jel’aird’unmeubled’entrée?
–Plusmaintenant.Toutestarrangé,neposepasdequestions.Vatepréparermaintenant,tavaliseestprête.–Mais…
Jeplaceundoigtdevant saboucheavantqu’elle la ramèneencoreune fois. J’avaisoublié àquellenanaj’avaisaffaire.Etaprèsonditquec’estmoi,l’obsédéducontrôle.
–Iln’yapasdemais!Jet’attendsicidanscinqminutes,Bulle!–Tuviensdediredix,grogne-t-elle.–Oui,maistuenasperducinqenparlant!lancé-jetoutenluioffrantunclind’œil.
J’entendsGabie exploser de rire derrière nous tandis quemabrindille soupire en se dirigeant versl’escalier.
–Tuesdanslecoup,toiaussi,petitechipie!dit-elleenpointantGabie.
Labouche cerclée deNutella,mapetite poupée faitminede ne pas comprendre etBullemonte lesmarchesengrommelanttouteseule.
–Qu’est-cequetufabriquesencore,CharlesDumont,jeteprévienssitu…
Jen’écouteplussesbêtisesalorsqu’elledisparaîtcomplétementdemavue.Quelle foutucaractère,cettenana.Quiauraitcruque…
Quinzeminutesplustard,larevoilàenbas.Jenesuispasstupide,jeconnaislesfilles.Jesaisquesijeluiavaisdonnéquinzeminutes,elleenauraitpristrente.Envisantcinq,jesuisdanslestemps.Commejem’y attendais, elle a revêtu un simple jeans et un sweat à capuche avec des converses en cuir. Sescheveuxsontremontéssursatêtedansunchignonnégligéetellemefixe,curieuseetfaussementagacée.
–J’aiprisladouchelaplusrapidedel’histoireCharles.Tuasintérêtàavoirunsuperprogramme.Etoùestmavalise?J’aivuquetuavaisprisdespullsdansmonarmoire!Tum’emmènesàAspen?Jetepréviensjenemetspaslespiedsdansunendroitdecegenre…Horsdequestion…
Jesouffle,n’ytenantplus.Elleestfatiganteparfois,maisaufondjecroisquec’estçaquimeplaît.
–Tuposestropdequestions,Bulle.Allezviens,dépêche-toi,lepilotenousattend!
J’attrapesamainenlatirantverslehallaprèsavoirembrasséGabie.
–Lepilote?Tuascruquetonchauffeurconduisaituneformule1?Etjepeuxconduiresitun’enaspasenvie!
J’ouvre la porte alors qu’elle continue son charabia et, à cet instant précis, undes gardiensdéposenotreLanddevantl’entrée.Ilsort,metendlesclefsetjeleremercieavantdemeretournerversBulle.
Gabieestsurlepasdelaporteetnouscrieun«Bonweek-end»attentionné.Bulleluienvoieunpetitbaiserdelamainavantdeseretournerversmoi.Jelaregardeetrépondsàsaquestion:
–Jevaisconduire,jeteremercie.Etjeconnaisparfaitementladifférenceentremonchauffeuretmonpilote,siçapeutterassurer.Lechauffeur,c’estpourlaBentley.Lepilote,c’estpourlejet.–Lejet?s’étonne-t-elled’uncoupenouvrantlaportièrepassager.–Oui,lejet…
Et nous nous engouffrons tous les deux dans le gros 4 x 4, direction l’aéroport privé de GenèveCointrin.
–Tuneveuxtoujourspasmedireoùtum’emmènes?
AlorsquenousarrivonssurleparkingdeJetAviation,Bullenedémordpas.Pourlaquatrièmefois,elle tentedemesoutirerdes informations.Toutçaaprèsm’avoirbienévidemment faitundiscourssur
l’indécence dema fortune, l’horrible façon dont je claque l’argent pas les fenêtres, les ravages de lapollutionaérienne,ettoutuntasdesujetsquim’ontforcéàmonterlevolumedelaradio.
–Jecroyaisquetuaimaislessurprises?rétorqué-jeenmegarant.–C’estvrai.–Alorslaisse-toifaire!
Jecoupelemoteur,ouvrelaporteetneluilaissepasunesecondepourenfaireautant.Jemeprécipitede l’autre côté, tirant sa portière et l’invitant galamment à sortir. Bulle sourit enfin et, par la mêmeoccasion, fait redescendremonniveaud’agacement. J’aiencoreunpeudemalàpasserduconnardauparfaitgentleman.
–Mademoiselle,sivousvoulezbienvousdonnerlapeine.
Jefaisminedeluibaiserlamainetellesemarredeplusbelle.
Unéquipierarriveetjeluiindiquelecoffredelavoitureduquelildéchargetroisgrossesvalises.
–Allez,vienspetitechieuse, jevais tefairerêverunpeu, luidis-jeen laprenantpar la tailleetensuivantnotregroom.–Prétentieux,merétorque-t-elleenmedonnantunfurtifbaisersurlajoue.–C’estcequ’onverra…
Etnousnousengouffronsdanslehalldel’aéroportprivé.
Aprèsunrapidecoupd’œilsurnospasseports,notregroomnousembarqueàborddelavoiturequinousconduit sur lapiste etoù je retrouve le jet familial.Unparfait petit bijou flanquédunomdemafamillesurlecôté.Jeleprenaisrégulièrement,avant,surtoutl’été,pourallerfairelafêtepartoutsurleglobe.Lepaternelnes’ensouciaitguère,ilenadeuxaunomdesesindustries–rienqueça.
–Tonpèreestunpeuégocentrique,remarqueBulleendésignantl’inscription.–Mongrand-père,pourêtreexact,corrigé-je.
Carilnefautpasoublierque,sans lui,monpèren’existeraitpas.Etsi jevoueuneindifférencedesplustotalesaupaternel,mongrand-pèrereste,pourmoi,unefigurederespect.
Nousgrimponssurlapasserelleoùunecharmantehôtessenousaccueiltoutsourire.Jemeretiensdereluquersesseinsunpeutropcompressésdanssonchemisier,mêmesic’est très tentant.Mais ilsuffitque mes yeux se perdent sur Bulle pour que toutes les filles de ce monde me paraissent fades.Décidément,jenecessedemesurprendre…
Unefoisàl’intérieur,lespetitsyeuxinquisiteursdemabrindilleseperdentpartoutautourdenous.Lejet se compose de deux salles distinctes. La première, réservée aux affaires, se compose d’une tablecentraleentouréedesiègesencuirsbeigesetd’unécrangéantaccompagnédesonbar.Ladeuxièmeestunpeupluschaleureuseavecsessiègeslarges,sabanquettelitetsesgroscoussinsdécoratifs.Ilyaussi,bienentendu,uncabinetdetoiletteetunepetitesalledebainsaufonddel’appareil.Enfin,petite,maistoujours plus grande que celle de l’ancien appart’ de Bulle. Alors que je m’attends à une remarquecinglante de sa part, me voilà décontenancé quand elle se tourne vers moi en affichant un souriregigantesque.
–Waouh!Maisc’estdément,Charles!C’estjustemagnifique!
Jerestesansvoix,croyantd’abordàuneblague,maislafaçondontellescrutechaquerecoinmelaissesupposerqu’elleestbiensérieuse.Difficileàsuivre,cesfemmes…
–Tucroisquejepourraisallerdanslacabinedupilote!Hein?
Ellesautillesurplacetouteexcitée,etmoi,jedécouvreunenouvellefacettedesapersonnalité.Ellesetransformesousmesyeuxenunevraieenfant!
–Euh…C’estmêmeplusquepossibleBulle,c’estnotrepilote.Onfaitunpeucequ’onveut.
Cequimeparaîtévident,nelesemblepaspourelle.Etenmêmetemps,j’ai tendanceàoublierquemonuniversn’estpaslerefletdelaviedetoutlemonde.
–Ohlalalalala,s’extasie-t-ellefaceàlaperspectivederencontrerlepilote.C’estfantastique!
Ellesautillegaimentjusqu’aucockpit.
–C’estlà?demande-t-ellesurvoltée.
Jemeretiensderire.
–Oui.–Oh,Charles,s’ilteplaît,fais-moientrer.
Elleglissesesbrasautourdemoncouenmesuppliantduregard.L’hôtesse,quiapporteunebouteillede champagne, nous regarde, amusée. Cela doit la changer de tous les voyages de la compagnie JetAviation,jedoutequelesgensseréjouissentautantenmontantdansleuravion…
–Vas-y,vas-y,ilsdoiventdéjàêtreenplace,réponds-jeàBulle.
À cet instant, la porte s’ouvre sur le copilote, sûrement venu nous annoncer notre départ, et Bullepenchesapetitetêtedefouineàl’intérieursanssesoucierdelui.
–MonsieurDumont, jesuisJohnMacley, jesuisvotrecopilotepourcevol.Sivousavezbesoindequoiquecesoit,n’hésitezpasàenfairepartànotrepersonneldebord.Lecielestparfaitementdégagéetaucuneturbulencen’estprévue.Nousarriveronscommeprévuversvint-et-uneheures,heurelocale.–Merci.–Jevousconvieàrencontrervotrepilote,lecommand…
Lepauvregarsn’apasletempsdefinirsaphrasequenousnousretournonspourconstaterqueBulleadéjàprissaplaceetsympathiséaveclepilote.Ilad’ailleursdelachanced’avoirl’âgedemonpèreetdescheveuxblancscarpassûrquej’auraisappréciédelavoirsemarreravecuntypeplusséduisant.
–LecommandantKlavson,termine-t-ilunpeugêné.
Bullefinitparsortirducockpittandisquejesaluelecommandantetnousprenonsensuiteplacedanslepetitsalon,accueillisparl’hôtesseetnoscoupesdechampagne.Ellenousinviteensuiteàattachernosceintures, le décollage étant imminent. J’observema brindille qui se colle au hublot pour regarder lapisteéclairéedesesgrandsyeuxémerveillés.
–Tumefaisrire,Bulle,ondiraitquetuprendsl’avionpourlapremièrefois,m’amusé-je.–Maisc’estlapremièrefois,lance-t-elleleplusnaturellementdumonde.
Jemanquederecrachermagorgéedechampagnetandisquesespetitesmainssecollentsurlavitre.
–Bulle,tuplaisantes,là?–Non.Pourquoiplaisanterais-je?merépond-elled’unpetittonnaïfetrêveur.
Maisoui,pourquoiplaisanterait-elle?Àbieny réfléchir,ellen’aquevingtanset jedoutequesonpèreaiteulesmoyensdel’emmenerenvacancesauxquatrecoinsdumonde.
Je l’observe alors que l’avion prend de la vitesse et que les roues quittent enfin la piste. Elleressemble à ces gamins qui découvrent un manège à sensation pour la première fois. Elle est belle,incroyablementbelle,sisimple,sifranche,siinnocentemalgrétouteslestragédiesqu’elleadûaffronterdanssavie.Jecroisquec’estlà,àcetinstant,alorsquenousentronsdansleciel,alorsqu’ellenemeregardemêmepas,quejeprendsconsciencedecequejeressensvraiment,decequiestentraindesepasser,decequejemerefuseàavouerdepuislepremierjour.Oui,àcetinstant,volantau-dessusdesmontagnes,jeréalisequejesuisfoud’elle.
CharlesDumontacédé…
13-Aumilieudesétoiles
–MonsieurDumont?
Bulle est endormie dansmes bras. J’étais occupé à la contempler quand l’hôtesse s’approche et sepencheversmoi.Ilestàpeinevingt-et-uneheures,maismabrindilleaeuunesacréejournéechargéeenémotions.Latêtetranquillementposéesurmesgenoux,sapetitepoitrinesesoulèveàchaqueinspiration.Elleressembleàunbébé,cequi,contrairementàcequetoutlemondepourraitpenserduCharlesqu’ilsconnaissent,m’attendrit.
–Oui?–Nousallonsamorcerl’atterrissage,ilfaudraitattachervosceintures,m’informe-t-elle.
Je caresse les longs cheveux châtains deBulle, l’appelant doucement pour ne pas la brusquer.Elleouvreunœil,étiresespetitsbrasetseredressedélicatement.
–Onarrive,ilfautt’attacher.
Elleoseuncoupd’œilàtraverslehublotet,d’uncoup,sesbeauxyeuxs’ouvrentengrand,écarquillésparl’émerveillementqu’elleressent.
–Oh,Charles,monDieu!Regarde!crie-t-elleenm’arrachantàmoitiélebras.Regardeleciel,ilestmagnifique!
Jesouris,satisfait.
–Bulle,attachetaceinture,jeteprometsquecen’estqueledébut.–Ledébut?–Oui,ledébut.
Nousatterrissonssansencombretandisquej’intimeàBulledeneplusregarderdehors.Jetiensàmoneffetdesurpriseenarrivant.Oui,carenplus,jesuisperfectionniste.Etcommeconvenu,nilespilotesninotrehôtessen’ontannoncénotredestination.Jesuiscommeungosse.Jesuistoutexcitéetimpatientdedécouvrir sa réaction. Je ne tiens presque plus en place quand les portes s’ouvrent et que nous nousapprêtonsàdescendre.Jeluiaidemandédefermerlesyeuxetjelaguidedoucementsurlaparcelle,mesmainssursataille.
–C’estbon,jepeuxlesouvrir?medemande-t-elle,ardente.
–Oui,vas-y.
Elleneprononcepasunmot.Lefroidglacialdel’endroitoùnousnoustrouvonslafaitfrissonner,maiselle ne bouge pas. Bien au contraire, elle reste figée, jusqu’à ce que sa tête effectue un soudain 180degrés,sedélectantdechaquedétailàsaportée.Jedevineaisémentsonexpressionàcetinstant.Jenelavois pas, mais son corps parle pour elle. Elle glisse ses doigts fins dans mes mains et resserre sonétreinte.
–BienvenueàKakslauttanen,bébé.–Charles,c’est,c’est…Oh,Charles…
Ellepivotesurelle-même,s’agrippeàmoncou,etsedressesurlapointedespieds.
–Merci…souffle-t-elle.
Elleseserredetoutessesforces,blottiecontremoitandisquej’admirelepaysagequisedessinefaceetau-dessusdenous.NoussommesàKakslauttanen,àlapointelaplusaunorddelaFinlande.Lecielestéclairé par desmillions d’étoiles scintillantes. Pour couronner le tout, l’aurore boréale s’invite poursublimerlespectacle.C’estàcouperlesouffle.Jedécouvreégalementcetendroitpourlapremièrefois,etquelquechosemeditquej’aifaitlebonchoix.Lebonchoix,c’estcertain…
***
Unefoisrégalésparlavue,ungros4x4débarquesurlapistedupetitaéroportprivédéjàenvahiparlaneige.Bulleaenfiléunbonnetàpomponsetunegrosseécharpeenlainequimesembleaussilourdequ’elle. J’aibien fait deblindernosvalises. Je savaisqu’onallait avoir froid,mais j’ignorais àquelpoint.EtdirequemapremièreidéeétaitDubaï…C’estsûrqu’onpassed’unextrêmeàl’autre.Enfait,j’avaismêmedéjàréservéunesuiteàl’AtlantisetenallantdanslachambredemarebelleavecGabie,j’aieuunesorted’illumination.Dumoins,sijedoisêtrehonnête,c’estplutôtàGabiequejeladois,cetteidée.ElleétaitentraindefouillerdanslestiroirsdeBulleàlarecherched’unmaillotdebainquand,demoncôté,j’étaistranquillementallongésursonlit.Leregardfigésurleplafond,levirages’estamorcé.
–C’estquoicestrucscollésauplafond?
Gabie,lesmainsdanslestiroirssetourneversmoi,levantlesyeuxverslespoutresau-dessusdulit.
–Ben,c’estlesétoilesdeBulle,merépond-ellecommesij’étaisencoreunefoisàcôtédelaplaque.–LesétoilesdeBulle?répété-jebêtement.
Ellesoupire,arrêtedefouilleretseretourne,agacée.
– Tu ne sais pas grand-chose d’elle alors qu’elle vit avec nous depuis bientôt six mois. Tu esdésespérant.
Ellen’apastort,jelesais,maisqu’est-cequ’ellepeutm’insupporteràdevenirsi…adulte.
–Bulleareproduit lavoielactée.Ellel’afaitavecsonpère, jecrois.Cesontdesétoilesenpatefimo.Tucollesçaauplafondavecdelapâteàfixeet,lanuit,çabrille,toutsimplement.
Dubitatif,jecontinuedefixerlespetiteschosescolléesmaiscontinued’écoutermapetitesœur.
–Ouais…–Bulleadorelesétoiles,Charlie.Jepensaisquetulesavais.Elleaquandmêmeuntélescopeque
tu as toi-même installé sur sonbalcon je te signale...Elle a observé le ciel tout l’été et elle a descarnetsoùelleprenddesnotes.C’estsontruc.Commetoietlesmotos,tusaisis?–Oui,jesaisis,merci,ironisé-je.
Jemerappellevaguementdutélescope,maisbon…Jenemesouvenaisdéjàpasdelabelette.J’aiététellementàcôtédelaplaque,cesderniersmois…
Gabiereprendsoninspection,plaçantdanslesvalisesquelquesrobes.Etc’estalorsqu’uneautreidéefaitsonapparitiondansmonesprit.Uneidéequinemeréjouitpasplusqueça,maisqui, j’ensuispersuadéseraitparfaitepourmabrindille.Oui,parfaite.
–Gab!–Quoi?–Oublie,lesrobes,j’aiunebienmeilleureidée…
Voilàcommentnousnousretrouvonsici,àquelquesmilliersdekilomètresdecheznous.
Assissurlesgrossiègesàl’arrièreduvéhicule,j’observeBulleoccupéeàobserverlepaysageblancdéfilersoussesyeux.
–Oùest-cequenoussommesexactement,Charles?Kalaut…Kalauts…Kau?
Jem’amusedeladifficultéqu’elleaàprononcercenomjustementimprononçable.
–Kakslauttanen,aunorddelaFinlande.Nousrestonsjusqu’àmardiendébutd’après-midi.Maistuneverraspasladifférenceparceque,àcetteépoquedel’année,ilfaitnuitpratiquementlestroisquartsdutemps.Dequoiobserverlesétoilesaumaximum,ajouté-jeavecunclind’œil.
–Tuesvraimentsurprenant,CharlesDumont,tulesais?–Jecroyaisquej’étaisprévisible,m’amusé-je.
Ellesecouelatêteenriantavantd’enfoncerencoreplussonbonnetsursesoreilles.Jeglisseunbrasautourde soncouet l’attireversmoi.MonDieu, jen’osedire toutes les chosesque j’ai enviede luifaire.Même avec cet horrible bonnet, Bulle est à croquer. Je devrais même dire à dévorer. Pas sûrqu’elleaitbeaucoupletempsd’observerlesétoiles…
Auboutdequelqueskilomètres,nousarrivonsenfinàdestination.Perduaumilieudenullepart,LeSkyPalacesedressedevantnous.Unhôtelhautdegammeperdudans l’immensitéd’uneréservenaturelle.Rienàvoiravecl’AtlantisdeDubaï,maisjenesuispasdéçu.Entièrementfaitdebois,l’établissementressembleplutôtàunchaletgéant.D’immensessapinsencadrent l’alléeprincipaleet les lumièressonttrès peu présentes pour que les visiteurs puissent profiter du ciel. Bulle nemanque d’ailleurs pas derelevercedétail.
–Tuasvucommeonvoitleciel,c’estfou…Heureusementqu’iln’yapastropdelumièresautourdenous.–Effectivement, c’est fait exprès.Et tun’aspas toutvu…Lemeilleurestàvenir ! lancé-je leplus
mystérieuxpossible.
La voiture s’arrête devant l’entrée principale tandis qu’un groom vient nous ouvrir. Je dois bienadmettre que les lieux ont quelque chose de particulier. Les poutres qui encadrent l’avancée sontimpressionnantes. En pleine Laponie, je m’attends à voir surgir un abruti déguisé en père Noël d’uninstantàl’autre.NoussommesconduitsdanslehalletBulleglissesonbrassouslemientandisquenoussuivonsnotregroom,unmecd’uncertainâgeauvisagesympathique.
–Jevousenprie,MonsieurDumont,medit-ilenm’indiquantlesgrandesportescoulissantes.
Nous lui passons devant et lorsque nous franchissons le seuil, toutes les petites lumières du halls’allumentuneparune,nousoffrantunsacréspectacle.OK,jedoisbienavouer,c’estjustehallucinant.J’ailasensationd’êtredansnotrechaletfamilialdeGstaat,maisencentfoisplusgrandetmieuxdécoré.Ilfautdirequelesgoûtsdechiottedemamèresesontétendusjusquelà-haut.Bref,entoutcasici,çan’arien à voir. Le plafond est très haut et les grosses charpentes de bois visibles sont recouvertes delampions. La réception est encadrée par de vieux tableaux représentants des paysages enneigés etplusieursbancstaillésàmêmedestroncsgéantssontdisposésautourdepetitestablesbasses.Lesolestrecouvertdemultiples tapisblancauxpoils longset ilyamêmeune immensecheminéeenpierresdetaillequifonctionne.
Sortantd’unepetiteporteenboisgravéed’uncœurdumêmematériautypique,unepetitebrunefaitsonapparition.
–MonsieuretMadameDumont,bienvenueauSkyPalace.Vousavezfaitbonvoyage?
Bulleretientunpetitrireétouffé.MonsieuretMadameDumont…Certes,çasonnebien,maisonenestencoreloin!Maiscommejetrouveçaplutôtoriginal,jenevaispaslacorriger.
– Nous allons vous conduire immédiatement à votre chambre. Grâam sera votre groom pour votreséjour, il est à votre entière disposition, nous indique-t-elle en le désignant de la main. Vous avezévidemmentaccèsà touslesservicesoffertspar lamaison:baladeenraquette, traineau,soinsànotreinstitut,diversateliersainsiquelepass24/24pournotreSpa.VouspouvezposertoutesvosquestionsàGrâamquiseraravide…
Lapetitebrunecontinuesonspeechpendantplusieursminutesencoreetjenefaisdéjàplusattentionàcequ’ellemeraconte.Ellemegonfle,jenesuispaspatient.Bulle,elle,semblebienplusintéresséeetneperdpasunemiettedesexplications.
–Bon,onpeutyaller?C’estbon?
Notrehôtessemeregardeencoin,maiscontinuedesourire,paslemoinsdumondeaffectéeparmontonquelquepeuagacé.EllenousinvitegentimentàsuivrelefameuxGrâamaprèsnousavoirdonnénospasspourlachambre.Bullemejetteunregardréprobateuretjeluioffremonplusbeausourireenretour–cequi,jelesais,l’énerveprofondément.NoussuivonsdonclevieuxGrâamjusqu’àunascenseursurlagauche.Unefoisàl’intérieur,c’estàl’étagedudessousqu’ilnousaccompagne,cequinemanquepasdesurprendremabrindille.
–Ondescend?Maispourquoi?
Grâamseretourneensouriant.Jen’arrivepasàdires’ilinspirelagentillesseous’ilesteffrayant.
–Pouraccéderàvotrechambre,MadameDumont.–Mais…
Jeplaquemondoigtsurlabouchedemapetitecurieuse.
–Chut…Patience,tuvasbientôtcomprendre…
Ellefroncelessourcilsettentedemordredansmonindex.Peste!
Arrivésenbas,noustraversonsunlongcouloirauxmursornésdevieillesappliquesetsanslamoindrefenêtre.JevoisbienqueBullen’estpasrassurée,etj’aiuneterribleenviedememarrer.Onfaitmoinslamaligne,àprésent!
–Nousyvoilà.
Grâams’arrêtedevantlaporte25etnousprécèdedanslapièce.Ils’apprêteànousaccompagner,maisjel’arrête.
–C’estbon,Grâam,onvasedébrouiller.Laissez lesvalisesdans l’entrée. Je tiensàêtre le seulàprofiterdelatêtedemafemmequandelledécouvriraleslieux!
Bullelèvelesyeuxaucielquandellem’entendprononcer«mafemme»,maisjefaistousleseffortspossiblespourgardermonsérieuxetjebombemêmeletorse.Notregroomnousabandonnedoncànotresort,refermantdoucementlaportederrièreluiaprèsavoirdéposénosbagagesdanslegrandplacard.
–OK,allons-y…
J’attrapelamaindeBulle,traverselepetitsalonàpeineéclairéetnouspropulsedanslachambre.
–Tadam!lancé-jecommeunabrutienouvrantgrandlesbrasversleciel.
Laminedemabrindilleestàmourirderire.Samâchoireestprêteàsedécrocheretjedoisavouerqu’ilyadequoi.C’estencoreplusbeauquesurleursite.C’est…incroyable.Devantnous,ungrandlitenboisàbaldaquinsrecouvertd’unecouetteetdemultiplescoussinsauxtonschauds.Justeau-dessus,leclouduspectacle,cepourquoij’aitenuabsolumentàséjournerici:unevoûtevitréeimmensedonnantsur leciel.Onaperçoitainsi toutes lesconstellationsetchaqueauroreboréalequi fait sonapparition.Unenuitàlabelleétoilequivadurerquarante-huitheures.Silà,jen’aipastoutdonné!
–Bienvenuedansvotreigloodeluxe,MademoiselleBulle!Lavuevousconvient-elle?
Ellenerépondrien,observantlecielquisedessineau-dessusdenous,etjedevineauxbordsdesesgrands yeux, quelques larmes retenues. Pourvu qu’elle ne pleure pas, je ne suis pas l’homme de lasituation!Aulieudeça,ellesedirigeversmoi,sesdeuxmainssurmontorseetmepousseverslelit,aumilieuduqueljemeretrouveallongé.Elleenjambealorsmoncorps,sedresseàquatrepattesau-dessusdemoi,plongesesirisdanslesmiens.
–Ilyaquelquechosequej’aitoujoursrêvédefaire,MonsieurCharlesDumont.–Oui,MadameDumont,ironisé-je.Jepeuxpeut-êtrevousaider?–Ohqueoui…
D’uncoup, elle colle sapetitebouchecharnuecontremes lèvres endolories.Commeàchaque fois,c’est un courant électrique qui traverse tout mon corps. Elle se redresse, dégrafe son gros manteau,envoie balader bonnet, écharpe et chaussures. J’en fais de même et nous reprenons où nous avonscommencé.Jemedélectedugoûtdesabouche,unpetitparfumsucré,volcanique,doux,àl’imagedece
qu’elle dégage. Bulle est comme un bonbon. Délicat à l’extérieur, pétillant à l’intérieur, et parfoisl’inverse.
Jeretiresonsweatetsonsous-pulletsourisendécouvrantqu’elleneporterienendessous.Sapetitepoitrinemefaitface,nue,etjenepeuxm’empêcherd’yattardermesdoigtsdansdedoucescaresses.Elletireàsontoursurmonpull,impatiente.Gentleman,jel’aideenmeséparantdemontee-shirt.Sesmainsglissentsurmon torse,caressentmesabdos.Je frissonnedeplaisir.Ellemefaitperdre lecontrôle.Jesuistellementdifférent,avecelle,tellement…attentionné.
Soudain,sonpetitculremuesurmonentrejambebienréveilléeetjemelèved’uncoup.Jel’attrapeparla taille, la retourne et l’allonge dans unmouvement brusque àma place. Elle pousse un petit cri desurprisequim’exciteencoreplus.Jeposemesmainssursesjouesetdirigesonvisageversleplafond.
–RegardelecielBulle,ilestàtoi,ilestpourtoi…
Ellerestemuette,meremerciantd’unsimpleregard,danslequeljepeuxliretoutesonaffection.Jedescendslelongdesonventre,parsèmededouxbaiserssursapeaudouce.Desmilliersdepetitsfrissonss’ydessinent,commedestasdepetitesétoiles.Jeglisselelongdesoncorps,déboutonnesonjeans,découvresapetiteculotteroseetsouris.Jenemereconnaispresqueplus.Jesuisentraindebandercommeundinguedevantunesimpleculotteroseencoton.Quil’auraitcru!Jem’attardesurleboutdetissu,l’embrasse.Jelefaislentementglisserlelongdesescuisses.Jesenslemalaisepointerleboutdesonnezquandelleapprochesesmainspoursecacher,maisjelesécarte,admirecepetitboutdefemmedevantmoi,offerteaucieletàsesétoiles.Elleestprêteàsedonnersouscecielinfini.Cetteimageestdivineetjeressensunenouvellefoistoutelachancequej’aidel’avoirrencontrée.J’aienviedetoutluidonnerpourlaremercierdem’avoirchoisi.Jeveuxquechaqueinstantsoitancrédanssamémoire,danssapeau.Jeveuxlafaireentièrementmienne.
Jesaisissatailleetreprendslàoùjem’étaisarrêté.Unepluiedebaiserss’abatsursesjambes.Elleritcar je la chatouille et, étrangement, je suis touché par son insouciance. Elle passe samain dansmescheveux,mepousseàcontinuer.Jeremonteunpeu,lentement,etpassemalangueàl’apexdesescuisses.Bulleesttoutaussiexcitéequemoi.Jepassemesdoigtslelongdesonintimitéetlasensfrémir.Quandj’introduisunpremierdoigt,jesuisplongédansunmondededouceur.Jemeperdsdanslachaleurdesonantre et remue lentementmon index. Je sens le corps deBulle se contracter sousmon intrusion.D’unmouvementdereins,ellem’inviteàcontinuer,àm’introduiretoujoursplusloinenelle.Jesourisdevantsonaudace.Jerécupèremondoigtetypassemalanguepourgoûterleplaisirdemabrindille.LeregarddeBulles’embrasedevantmongeste.Jem’approchealorsdenouveaudesonmontetlapénètrededeuxdoigtscette fois.Je lasenss’ouvrirdeplusenplusetapprécier lessensationsque je luiprocure.Mabellenepeutpluss’empêcherdegémiretlaisselibrecourtàsonplaisir.J’accélèremesva-et-vientalorsquemamainlibrepartàlarencontredel’undesesseins.Jemesaisisdesontéton,quejeserreentrelapulpedemesdoigts.Bullesetortilledeplusenplus,nepeutplusrésisterauxvaguesquil’assaillent.
Je ne désire qu’une chose, l’entendre jouir, se libérer. Je quitte le regard de Bulle et rejoins sonbourgeongorgédeplaisir.Jesouffledessus.Bullefrémit.Jelefrôledemeslèvres.Bullesoupire.Jele
caressedemalangue.Bullegémitdeplusbelle.Mesdoigtssonttoujoursenelleetjejouedemalanguesursonclitoris.Enproieàcettedoucetorture,mabrindilleestprêteàcraquer.Elleempoignelesdrapsetlèvesonbassincommepourmesupplierdeladélivrerdecettedélicieusesouffrance.Ainsiofferte,jeredoubled’intensitépourlalibérer.Sesgémissementssontlaplusbelledesmusiques.Etsoudain,Bullecraque,etlatensionqu’opéraitledésirsursoncorpsdisparaît.Jerelèvelatêtepourdécouvrirlaplusbelledeschoses:Bulleessoufflée,souriante,amoureuse.
Monplaisirnepeutplusattendre.Jefouilledansmaparka,attrapemonportefeuilleetmesaisisdelaprotectionsacrée.Jedétestecespetitsboutsdelatex,maisj’aitoujoursétéprudent.J’aijustehâtedeneplusavoiràm’enservir.Oui,parcequ’ilestclairàprésentquejen’auraiplusàlefaireavecuneautre.Entoutcas,pourlemoment.Bulleesttoutcedontj’aibesoin,toutcedontj’aienvie.
Jem’allongesurelle,tendantlesbraspourcaressersonvisagetandisqu’elleenroulesesbasautourdemoncou,suffocante.Jecaressechaqueparcelledesoncorpsparfait,prenantletemps,nem’occupantqued’elle. Je l’embrasse, sur labouche,dans lecou,partout. Je ladécouvrecommesic’était lapremièrefois.
Puisvientlemomentoùnosdeuxcorpss’assemblent,oùnousnefaisonsplusqu’un.Monmembredurettenduestimpatientderetrouvercerefugequiestsien.Lesparoisouvertesdemabellem’aspirentetjesoupiredesoulagement.C’estsibon.Adéquationparfaite,leYinetleYangsemélangent.Unpeudesalumièredansmanoirceur.
Noscorpsbougentsurlemêmerythme,voguantsurlamêmevaguedevolupté.Letempoestd’abordlent, puis de plus en plus exigeant, éreintant. Bulle s’accroche désespérément àmoi, me déclare toutl’amourqu’ellemeporteàtraverssonregardbrûlant.Etjemeperdsdansl’océanbleudesesyeux.Mesva-et-vientsontdeplusenplusrapides,deplusenplusforts.Marebelleenroulesesjambesautourdema taille, empoignemes fesses.Quand la lutte n’est plus possible, nous crions à l’unisson, exprimantnotreamourl’unpourl’autre.
Bulleestàmoietjesuisàelle.Danscegrandlit,souslabeautédecettenuit.Iln’yaplusquenous.Nous,aumilieudel’infini.
14-Apprendreàfaireconfiance
J’aimerais dire que je suis réveillé par la lumière du petitmatinmais, comme ici il fait nuit vingtheures par jour, ce n’est pas le cas. Non, ce quime réveille, c’est l’odeur du café et des croissantschauds.De quoi éveillermes papilles endormies. Je jette un regard àmamontre : sept heures trente.L’heure à laquelle jeme couchais habituellement.C’est assez déroutant. Jeme redresse aumilieudesmultiplescoussins,étendsmesbrasetbailleunboncoup.
Jemedemandeoùestmabellequand,d’uncoup, jesuisattaquéparunechosequimesautedessustelleunebêteassoifféedesangetmalodorante.Sespetitsyeuxmefixentetsespoilssehérissent.Ellepousseunpetitcriétrangequejen’avaisencorejamaisentendu.Paniqué,jehurle,sautedulitetretournelacouettesurlabestiole.Bulledébarqueencourantdecequejesupposeêtrelasalledebains.Enrouléedansunesimpleservietteblanche,elleestàtomber,maisjen’aipasletempsdelaremarquer.
–Bulle,putain,Bulle!Qu’est-cequelabelettefoutici!
Jedésignedudoigtlesdrapsemmêlés.Aulieudemesouteniretdevoleràmonsecours,mabrindillemefixe, sespetites jouesdevenant toutes rougesetgonflées.Ellese retientde rire?Dites-moique jerêve!Elleseretientderire!
–Bulle,jen’aipasenviederigoler!C’esttoiquiasamenécettechoseici!Tusaisquej’aihorreurdesanimaux,bordel!Commentas-tufait?–Charles…
Jenelalaissepass’expliquer.
–Nemeditpasqu’elleétaitavecnousdansl’avion?Etdanslavoiture!Ohputain,cettechoseestmontéedansmonjet!
LesyeuxdeBulles’arrondissent,sansdoutechoquéeparcequejesuisentraindedire.
–Moi,jemecasseleculàt’organiserunweek-endici,ettoi,tunetrouvesriendemieuxàfoutrequedemeprendrepouruncon!–MaisCharles!s’énerve-t-elle.–Ohçava,hein,nehaussepasletonavecmoi,Bulle!J’aihorreurdeça!Jedétesteêtreprispourun
pigeon!
Soudain,sonexpressionsefige,soncorpssetend.Maisjem’entape.Jesuisbientropénervé.
–Tuesparano,Charles,etenplus,tudisdeschosesquin’ontaucunsens!–Parano?C’estlepompon!Jesuistoutsaufparano!Etquin’ontaucunsens?Aucunsens?Quia
payéici,hein?Qui?Sûrementpastoi!craché-jeenserrantlesdents.
Ellesedécompose, toutàcoup.Ellepivotesurelle-même, retourneà la salledebainsetclaque laporte. Elle peut bien faire la gueule, qu’est-ce que j’en ai à foutre ? Ce n’est sûrement pas moi, leconnard,etj’aientièrementraison.J’attrapemontee-shirtdelaveille,quej’enfile,etparsàlarecherchedemesclopesdanslapochedemaveste.Jesorsunecigarettedupaquetetm’apprêteàl’allumerquandBulleressortentrombedelasalledebains.Elleaenfilépantalon,chaussuresetmanteau,etpassedevantmoisansmeregarder.Ellefouilledanslelitetattrapelaboulepuante.Ellerepasseunesecondefoisetattrapelavalisedansl’entrée.Maisqu’est-cequ’ellefout,encore?
–Bulle?Tufaisquoi,là?–Jerentre!lance-t-elleenmetournantledos.–Turentres,répété-jeahuri.
Elleattrapealorslapoignéedelaporteets’engouffredanslecouloirsousmesyeuxmédusés.Jelâchelacigarette,neprendspasletempsd’enfilerunpantalonetmeprécipitederrièreelle.Quelcaractèredemerde!
–Bulle!
Jehurlesonprénomdanslecouloir,accélèrelepas.Unefoisàsahauteur,jelasaisisparlebras.
–Arrêtetoncinéma!Qu’est-cequetufais,là?C’estquoitonproblème?
Ellemejetteunregardnoir,froncelessourcils.
–Moncinéma?Moncinéma,répète-t-elle,furieuse.Tuessérieux,Charles?C’estmoiquifaismoncinéma?Tum’agressesdebonmatin,m’accusedetoutetderien,nemelaissemêmepasle tempsdem’expliqueret,pourcouronnerletout,tumetraitescarrémentdepute!Maistuasraison,oui,c’estmoiquifaismoncinéma,pardon…
–Jenet’aipastraitéedepute,jenevoispasd’oùtusorsça!–Ahoui?Etquandtumebalancesauvisagequejeteprendspourunpigeonetquec’esttoiquipayes
tout, je dois le prendre comment hein ? Tum’expliques ?Ce n’est pas clairement la définition d’unepute?
Ellefaitdemi-tour,s’arrachedemonempriseetsedirigevers l’ascenseur.Jerestecommeun idiot,deboutaumilieuducouloir.Bulleappuiesurleboutond’appel.
–Et pour ta gouverne, je n’ai pas emmenéMonsieur Pikouik avec nous ! lâche-t-elle alors que lesportess’ouvrent.Ilm’aréveilléecematinengrattantdansTAvalise!TuentendsTAvalise!
Etelles’engouffredansl’ascenseursansrienajouterdeplus.Cen’estpasnécessairedetoutefaçon…
Jefixelesportesserefermeretentendsl’ascenseurquimonte.Jemesenssoudainementunpeucon.OK,jemesenssoudainementvraimenttrèscon.Maiscommentjepouvaisdevinermoi,hein?Etquandest-cequecettechoseapurentrer?Ellesaitouvrirlesvalisespeut-être?Ellesefoutdemagueule…Royalement. À moins que…Maintenant que j’y réfléchis un minimum… Je crois que Gabie m’avaitprévenuhier.«Faisattention,CharlieMonsieurPikouikadoresecacherdanslesvêtements».Jel’aibien remarqué quand je suis tombé nez à nez avec lui dans le placard. Mais comment aurais-je puprévenirqu’ilsefoutedanslamienne…Ehpuismerde!Jem’entape!Jenevaispasmerendremaladepourça.Encoremoinsm’excuser!Jesuiscommejesuis!Jenefermejamaismagueule,mêmequandj’aitort.Cen’estpasunegonzessequivamechanger.Jeretournedanslachambre,claquelaportebienfort.Jem’assoiesurlelit,tentedemetrouvertouteslesexcusesdumonde.Uneminute,puisdeux,puisdix.
Surmagauche,danslepetitsalon, leplateaudupetitdéjeunerest toujoursinstallé.Jemelèvepourallerattraperuncroissant.
Etjedécouvreparlamêmeoccasion,unpetitmotàcôtéduplateau.
Charles,tudorscommeunbébé,jevaisallerfaireuntourdansl’hôtel.Ilparaîtqu’onpeutvoirdescerfsdevantl’entréelematin!Jet’aicommandéunpetitdéjeuner.Mercipourcettenuitmerveilleuse.Àtoutàl’heure.MadameDumont;)<3
Etvoilà.Voilàcommentjemesensencorepluscon.Maisqu’est-cequej’aifait?Qu’est-cequim’apris?Suis-jevraimentaussistupidequeça?Oui,ilsembleraitqueoui.
Unebelette.Jemesuisénervéàcaused’unebelette.Maisest-cevraimentçaleproblème?Non,jenecrois pas. Je ne veux pas l’avouer, mais je la connais, la vraie raison de tout ce cirque. Elle est siévidenteetpourtantsidifficileàadmettre.
Je fonce dans l’entrée, attrapemavalise, sors un jeans et un sweat, que j’enfile à la va-vite. Je neprendspas le tempsde lacermeschaussures. Jesorsdans lecouloiretmeprécipitevers l’ascenseur.Ellen’est sûrementpasalléebien loin,vu l’endroitpauméoùnousnous trouvons.Heureusementpourmoi.Quelabruti…
Unefoisdanslehall,jemejettesurlaréception.Lamêmefemmequelaveilleseprésentedevantmoi.
Jen’aimêmepas le tempsdedireoude fairequoiquece soitque,d’unpetitmouvementde tête, ellem’indiquelasortie.Jemetourne,plisselesyeuxavantd’apercevoirsapetitesilhouetteaumilieudelanuit.
–Sontaxiarrivedansvingtminutes,meglissediscrètementmanouvellecopine.Dequoivouslaissezletempsdecorrigerletir.
Jerêveouvoilàquemêmelaréceptionnistemedonnedesconseils?Jenecherchepasàcomprendre.Je fonce vers la sortie, franchis les portes, et suis surpris par le froid quime submerge.Bulle tourneimmédiatementlatêtedanslesensopposéenm’entendantdébouler.Elleestfâchéeetelleadequoi.
–Bulle…
Ellesoupire.
–Jesuisdésolé.
Deuxièmesoupir.
–Jen’auraispasdûteparlerdecettefaçon.
Troisièmesoupir.
–Jeteprésentemesexcuses.
Cettefois,ellemejetteunpetitregardencoin.Emmitoufléedanssagrosseécharpe,elleestàcroquer,encoreplusquandelleestencolère,cequimefaitimmédiatementsourire.
–Jepeuxsavoircequitefaitrire,s’agace-t-elle.
Jem’avanced’unpassupplémentaire.
–Jenerispas,Bulle,jesouris.–Ahoui?Parcequetupensesquec’estlemomentdesourire,peut-être?s’énerve-t-elleencroisant
lesbrassursontorse.–Jet’aime,Bulle.–Ouietbiencen’estpasuneraisonpour…
Soudain,elles’arrête.
–Qu’est-cequetuviensdedire?réalise-t-elle.–Nem’obligepasàlerépéter.Tuasparfaitementcompris.
Sespetitsbrasretombentlelongdesoncorpsetj’attrapesesmainsgeléesdanslesmiennes.
–Jesuisdésolé,Bulle.Jen’auraispasdûm’énerveretencoremoinsteparlerainsi.Jemélangetout.Et surtout, j’ai peur, tu comprends. J’ai peur de ce que je ressens, j’ai peur de ce qui est en traind’arriver, j’aipeurdecequipourrait sepasser.Leproblèmenevient absolumentpasde toi.Bienaucontraire.Jesuisleseulresponsabledetoutça.Toutemavie,jenemesuisentouréquedevautours.Jevoislemalpartout.Jen’aiconfianceenpersonneet j’ai l’impressionquesansmonpognon, jenesuisrien.–Mais,Charles,tusaistrèsbienquejen’enairienàfoutredetonfric!Jem’encontrefous,même!–Jesais.Jeteledis,Bulle,cen’estpastoileproblème,c’estmoi.Cequejeressenspourtoic’est…
nouveau.Nouveaueteffrayant.Jenemaîtriserien.Etjedétesteplusquetoutnerienmaîtriser.–Mais qu’est-ce que tu croisCharles ! Il n’y a pas que toi qui es concerné !Ce n’est facile pour
personne!Encoremoinspourmoi!
Jelaregarde,surpris.Oùveut-elleenvenir?
–Cen’estpasl’argentleproblème,Charles!C’estjusteuneexcuse.Leproblèmec’estquenitoinimoin’étionspréparés à cequi est en trainde sepasser.Nousvenonsdedeuxmondes complètementsdifférents.Regarde-nous !La pauvre petite orpheline et le tombeur des beaux quartiers !On ferait deparfaits personnages pour une comédie romantique. Seulement, dans la vraie vie, ce n’est pas aussiévident.Tuaspeur?J’aipeuraussi!Tuperdslecontrôle?Jeleperdsaussi!Alorsonfaitquoi,hein?Onabandonne?Onrenonce?Onpasseàcôté?Onsecherchedesexcuses?Dis-moi,Charles.Dis-moicequetuveux.
Àboutdesouffle,ellealeslarmesauborddesyeux.Sesmotsrésonnentenmoi.Jelacontemple,figé,hypnotiséparsesparoles.
–Toi.
Mavoixn’estqu’unsouffle.Maisjen’aijamaisétéaussisincère.
–Quoi«moi»?–Jeteveuxtoi,Bulle.Toietriend’autre.
Etjel’encercledemesbras,laserrecontremoi,fort.Iln’yapasmeilleurendroit,pasd’autreplacepourelle.Aucreuxdemesbras,auplusprèsdemoncœuretmoidusien.Pasd’autreplace…
***
Jecroisque,detoutemavie,jen’aijamaiseuunejournéeaussiépuisantequecelle-ci.Vraiment.Jepense quenous avons fait toutes les activités possibles et imaginables proposées par le palace.Bulleétaitcommeunegosse.J’aieuledroitàlarandoenraquettes,lapromenadeavecleschiensdetraîneaux,lavisiteduchenildeschiensdetraîneaux,lalocationdepatinsàglacesurlelacprivé,ladescenteenlugeet,pourterminer,lacoursedemotodesneiges.Jesuismort.Riennem’empêchaitderefuser,certes,maisc’estsanscomptermabrindille.Bullesaitparfaitementcommentmefaireplier.Etpuis,aveccettepénombrequasiconstante,jesuiscomplètementdésorienté.J’ail’impressiond’avoirfaitlafêtetoutelanuitalorsqu’iln’estquedix-neufheures.
Jesuisvautrésurlecanapédupetitsalonetjezappesurleschaînesinternationales.BulleestauSpa.Mademoiselleestpartieselacoulerdouceetsefaitmasser.Jenel’aipasaccompagnée,jen’enpouvaisplus.J’aisimplementbienvérifiéauprèsdelaréceptionquelepersonnelétait100%féminin.Passûrquej’acceptequ’untypeposesesmainssurmagonzesse.
Depuisquejesuisrentré,jen’arrêtepasdejeterdescoupsd’œilsurlecanapéàmadroite.Rouléeenboulecommeunesaucisse, labelette roupilleprofondément.Àcroirequ’ellea fait toutes lesactivitésavecnous.Jel’observeetaperçoissapetitelanguerosedépasserdesagueule.Jedoisavouerqu’ellen’est pas simocheque ça. Jeme rapprochedoucement et commence à fixer sonpetit ventre rondquimonte et qui descend sous le rythmede sa respiration.Qu’elle est drôle !Et puis, elle ne sent pas simauvais que ça. Je tends doucement la main dans sa direction. J’hésite un instant et me décide à latoucher.Cen’estpassidésagréable,ondiraitl’écharpeenvisondemamèrequandj’étaisgosse.Etvoilàqu’enplus,ellesemetàbailleretfrottersonmuseaucontremonbras.Cettefoisc’estsûr,elletentedemeséduire!Lapetitemaligne!
Unquartd’heureplustard,lorsquemabrindillefranchitlaportedenotresuite,sonvisagedétenduetradieuxsepared’unemineonnepeutplussurprise.
–Charles?Qu’est-cequetufais?–Riendespécial,pourquoi?
Ellevientseplanterdevantmoienplaçantsesmainssursesjolieshanches.
–Non,Charleslaquestionexacteest:pourquoiest-cequeMonsieurPikouikestsurtesgenouxentraindemangerdelapâteàtartiner?
Jesourisencaressantmanouvellepetitechouchoute.
–Jen’ypeuxrien,elleavaitfaim.–Elle?C’estungarçonjetesignale,mereprend-elle.
Jehausselesyeuxversleciel.
–Oui,maisc’estUNEbelette.
Ellesecouelatête.
–C’estunfuret,Charles,unfuret…termine-t-elleenselaissanttomberàcôtédemoi.–C’estlamêmechose!
Elletendalorslebraspourcaresserlapetitebêteetjel’arrêtenet.
–Tut-tut,pastouche,dis-jeenplaçantmamainentreelleetmoi.Laisse-lafinirtranquille!–Nonmaisjerêve,s’amuse-t-elle.Tutesouviensducirquequetuasfaitcematinàsonsujet,rassure-
moi?
Jeluioffrealorsunsouriredesplushypocritesenexagérantlebattementdemescils.
–Jenevoispasdequoituparles…rétorqué-jeinnocemment.–Oh,Charles!
Ellesesaisitd’undescoussinsetl’écrasecontremonvisage,faisantfuirmabelette.
–Tuvois,tuluifaispeur,enplus!–Maisjevaistetuer,salepetitcon!
Ellemegrimpesurlesgenouxd’unfauxairmenaçantettentedemepincerpendantquejelabloquepourlachatouiller.Nousnousretrouvonscommedeuxenfantsànoustaquiner,hurlant,riant,roulantsurl’immensesofaavantdefinirparterresurletapis.J’arriveenfinàl’immobiliseret,àcontrecœur,elles’avouevaincue.
CharlesDumontgagnetoujours.
Aprèsunebonnedouchequej’auraisbienpartagéeavecBulle,jemepréparepourl’amenerboireunverreaubardel’hôtel.Pourlatenue,nousdécidonsdefaireauplussimpleetnousnousretrouvonsenjeansettee-shirttouslesdeux.Mêmevêtued’unsimplepantalonbleuetd’untee-shirtblanc,Bulleestincroyablementsexy.
Nousprenonsl’ascenseurpourledernierétage,lequatrième.C’estlàquelebarestinstalléetlavue
qu’ilnousoffrevautvraimentlecoup.
Sousunevoûte immenseidentiqueàcelledenotrechambre,plusieursvieilles tableshautesenbois,desmange-deboutetdescanapésetpoufsencuir.UnpetitairduCentralPark,unbargenevoistrèssympadanslequartierdePlainpalais.Lesolestrecouvertd’unparquetd’époque,detapisenimitationpeaudebête et lesmurs sont recouverts de branches de sapins. Tout cela est déjà parfaitmais, en plus, pourcouronner le tout, au milieu de la pièce, trône majestueusement un piano à queue d’une factureremarquable.Unepiècemoinsanciennequelemien,maisnéanmoinsdetrèsbonnequalité.
–Tuvaspouvoirjouerunmorceau,meglissediscrètementBulle.–Non,pasici,sûrementpas.–Pourquoi?insiste-t-elle.
Jegrognepourluifairecomprendrequejen’aipasenvied’enparler.
–Commetuveux,Charles.
Elle ne cherche même pas à insister, et va s’installer au bar pour commander. Moi, je continued’admirercepetitbijou.Depuiscombiendetempsn’ai-jepasjouéenpublic?Dixans?Douze?Unpeuplus,unpeumoins.Jen’ensaisrienetjeneveuxpasypenser.Cen’estnilelieunilemoment.
Jem’installeauxcôtésdeBulle,quiaapparemmentcommandéunmojito.Jedécidedepartirsurunevodkamartini.
–Jeteproposeundeal,Charles,lâche-t-elledebutenblanc.–Undeal?–Oui.
Ellemerépondenmeregardantdroitdanslesyeux.Elleprendalorsuneposedesplusprovocatrices,passesapetitelanguepointuesurleboutdeseslèvresetsepenchedoucementversmoi.
–Situjouesunmorceaupourmoi,surcepiano,jeteprometsquenouspassonsleresteduséjourdansnotrechambre.–C’est-à-dire?–Tuveuxundessinpeut-être,ajoute-t-elleenpassantunemainsurmacuisse.
C’estbiencequejecrois?Lapetitechipieestentraindemefaireduchantagesexuel?
–Tuessérieuse,là?demandé-jetoutguilleret.–Non.
Etlavoilàquiexplosederireaumilieudel’endroitdevantmaminedéconfite.
–Garce!–Allez,Charles!Unmorceau,s’ilteplaît!Justeunmorceau!
Etelleimitemonsourirehypocriteetmonbattementdecils.
–Tum’épuises,Bulle,tulesais?J’avaisprévuautrechosepourtouttedire.
Elleseredressesursontabouret,laminecurieuse.
–Commentça«autrechose»?
C’estlemomentoùtoutemavirilitévas’envolerd’uncoup.Jefouilledanslapochearrièredemonpantalon,tentantdegardermadignitéencachantmagênederrièreunecertainenonchalance.J’attrapelepetitétuiquej’avaisprissoindeglisserdedansavantdequitter lachambreet jeledéposesurlebar,l’airderien.
Bulleestimmobileàmescôtés.Elleestscotchéeparlasurprise.C’estfou,lacapacitéd’unefemmeàidentifierrapidementl’écrind’unbijou.
–Charles?Qu’est-cequec’est?demande-t-elleunefoisréanimée.
Ellel’attraped’unmouvementbrusquedanssespetitesmains.
–Ouvre,soupiré-jeenprenantunairdétaché.
Elleglousse,semoquantdemoi.
–NeprendspascetairsiblaséCharles,assumetoncôtégentleman!
Ellem’agace,jel’aidéjàdit,jecrois.Elleneveutpasjusteouvrircefichutruc?
Bullesoulèveleboîtieretsesyeuxseparentdemillionsdepetitesétoiles.Ellerestelaboucheouvertesansriendire.C’estàmontourd’avoirenviederire.
Ellesetournealorsversmoi,portantsapetitemainsursonvisageilluminéavantd’hurler:
–Charles!OhmonDieu!Ilestmagnifique!
Et hop !Mon ego se gonfle à bloc !Bulle, qui n’est pourtant pas très bijoux, s’extasie devantmoncadeau.J’enconclusquejemedébrouillebien,surcecoup.
Il fautdirequemêmemoi,quinesuispasdu toutbranché trucsdenanas, j’ai flashédessusdans lavitrinedubijoutier.C’estunbraceletLouAshton.UnemarquebelgequiaimplantésonpremiermagasinàGenèvecetteannée.Ilestparsemédecentainesdepetitespierressemblablesàdesdiamants.Ouàdesétoiles,quandonypense.Doublejackpotpourmoi!Ellevoulaitdesétoiles,elleestservie!
L’orroseluiconfèreuncôtéchicetféminin.Ohlà,qu’est-cequejeraconte!Jenetrouveriendutout!C’estlevendeurquim’aconseillé.Ilfautquej’arrêtedemetransformerenmecgnangnanunebonnefoispourtoute!
Ellesortl’objetdesonextasedelaboîteetcontinued’affichersonairbéat.Elleveutprovoquermafuite?
–Cebraceletesttoutsimplementmerveilleux,murmure-t-elle,hypnotisée.–C’estvraiqu’ilestpasmal,rétorqué-jeenregardantailleurs.–Oh,Charles!Iln’estpas«pasmal»,s’amuse-t-elle.Ilestsublime!
Elle me saute au cou en manquant de me renverser de mon siège. Je grogne pour montrer monmécontentementmaisBullesemetàrire.
–Nefaispastonours,Charles!Jesuisvraimenttouchée!C’estunsublimecadeau…
Bon,ok,jenepeuxpasnierquesaréactionmegargarise.J’aitapédanslemille.
–Etqueljolinomilporte,ajoute-t-elleenseredressant.–Queljolinom?répété-jesanscomprendre.
Bullelèvelesyeuxaucieltoutenprenantsoind’attachersonnouveaubraceletàsonpoignet.
–Ilyaunnomsurlaboîte,Charles,tunel’aspasvu?
J’aibienenviedeluirépondrequejem’enfousroyalement,maisjenevoudraispasgâcherlemoment.
–Jen’aipasfaitattention.Etdonc…Ils’appelle?–«NightofSecrets»répond-t-elle,desétoilespleinlesyeux.
«NightofSecrets»…Lanuitdessecrets.Jepourraispresquetrouverçaironiqueenrepensantàma
vie.Maiscen’estpaslemomentdes’attardersurlepassé.Jen’aiqu’uneenvie:profiterdesmomentsprésentsavecBulle.
–Bon,etmaintenant,tuvasjouer?
Bullemecoupecourtdansmespenséesetrevientàlacharge.Moiquipensaitluifaireoublier…Lebraceletneluisuffitpas?
–Tunelâchesjamais?–Hum,commequelqu’unquejeconnaistrèsbien,meprovoque-t-elle.
Jesouffle,abandonnantmavodkaàpeineentamée.Jemelève,étiremesdoigts,etluilanceunregardfaussementmauvais.
–Unefois,Bulle.Uneseulefois,jetepréviens!
15-Mauvaisréveil
Lespremiersregardssontcurieux,interrogatifs,voireoffensés.Ilfautdirequ’enprenantplacesurlebancaumilieudesquelqueshôtesinstallésdanscebar,jedénotequelquepeu.Jen’aipasleprofilduparfaitpetitpianiste,loindelà.Avecmonpoloanglais,monjeansdéchiré,moncrâneraséetmonprofilsec,jeressembleplusàunepetitefrappedesbasquartiers.Enfinsionoubliequelamontrequej’aiaupoignetvautdixansdesalaire,peut-êtremêmeplus.
Des choses se sont passées depuis ma dernière prestation en public. J’ai une petite pensée, à cetinstant,pourMax.Commeunebouleaufonddelagorge.Jemesouviens…Cetteinsistancedontilfaisaitpreuvepourquejerejoueet l’agressivitéaveclaquelle je luirépondais.J’étaisunsacrécon.J’ai toutfoutuenl’air,jesuispasséàcôtédel’essentiel.
Etcesoir,c’estpourcettefilleaccoléeaubarquimeregardeavectendressequejedécided’explosertoutesmesbarrières.
Jetoussote,histoiredemontrerquejesuislàetquejesuissérieux.Ilspeuventtoustirercettedrôledetête,jen’enairienàfoutre.Sansdoutepensent-ilsquejenesuisqu’unpetitconquiveutimpressionnersabelle,maisilsn’ontaucuneidée…Ohquenon!Ilsnesaventpasque,futuntemps,jepouvaisjouerjusqu’àl’épuisement.Desjoursetdesnuitssansm’arrêter.UnjournaldeLondresavaitmêmetitré«Lepetitprodigeduconservatoire»avecunecharmantephotodemoidevantmoninstrument.
Labelleépoque.
Jelanceunpetitclind’œilàmabrindille,quisautillesurplace,etjebalaielestouchesduboutdesdoigts.
J’appuiesurquelquesnotes,prenantlatempérature,vérifiantquelesaccordsnesontpastropmauvais.Ilsnelesontpas.Bienaucontraire,ilestparfaitementréglé:unvrairégal.
J’inspire,fermelesyeux,meconcentre…Etplonge.
Quelquesnotes,quelquesassemblagesetmevoilàpartidanscetautremonde.Encoremeilleurquemesretrouvaillesdanslesous-solaménagédeCologny.Cettefois,lapassionreprendsesdroitsettousmesprincipeséclatentenunmilliondemorceaux.Commeuncamésevrédepuisdesannéesquiretombedanslesaffresdesonaddiction.Jejoue,jejouecommejen’avaisplusjouédepuisdessiècles.Entraînédanscetourbillon,jenevoispluslesgens,jen’entendspluslesbruits,jeneregardeplusBulle,jedisparais.Oui, c’est l’expression exacte : je disparais. La bulle s’est reformée et elle est impénétrable. Ravel,Chopin,Mozartet,plusoriginal,RadioheadetlesGunsN’Roses.J’enchaînelespartitions,oubliantle
temps,oubliantleslieux.Iln’yaplusquemonpianoetmoi;lamusiqueetmoi;monivresseetmoi.
Jedonnetoutcequej’ai,monâme,mestripes,mesregrets,messouvenirs,marage,matristesse,monamour. Pour lamusique, pour cette fille aux yeux bleus, pour cet ami parti trop tôt, pourGabie, pourtoutesceschosesquelaviem’aoffertetquejenesaispastoujoursvoir,quejenégligebientropsouventetqui,pourtant,sij’acceptaisdel’avouer,m’apportentl’essentiel.
Cen’estquelorsquejesuisépuisé,àboutdesouffleetdeforce,quejedécided’arrêter,quejeréalisequ’autourdemoitoutachangé.Lebarestpleinàcraquer,touslesgenssontdeboutetmefixent,assistentauspectacle,lesyeuxremplisd’émotions.Jelachercheduregardetelleestlà,deboutdevantmoi,lesjoues couvertes de larmes, Bulle…Elle se jette surmoi,me fait chanceler etme serre de toutes sesforcesdanssesminusculesbras.
Elle me dit des choses, des mots, je ne comprends pas tout, ils sont noyés sous un tonnerred’applaudissement.Oui,un tonnerre.La fouleme félicite,me siffle,hurledes«bravo»«magique»,«encore»,«merci».Onmetapedansledos,onmeserrelamain,parfoisému,onmefaitmêmedesrévérences. J’avais oublié à quel point j’aimais ça, à quel point c’est bon de donner et tout ce qu’onreçoitquandonn’attendrienenretour.
C’estledirecteurdel’établissementquivientenpersonnemesalueretmeremercier.Ilparaîtquelepersonnelamêmefaitsortirdesgensdeleurschambrespourvenirm’écouterjouer.Ilparaîtquedesgensontpleuréetqued’autresontfilmé.Ilparaîtquejesuisunmiracle,ungénie,unprodige.Ilparaîtquejen’airienàfaireici,quejedevraisêtreentraindejouerdanslesplusgrandessallesdumonde.Ilparaîtquejepeuxrevenirquandjeveuxauxfraisdudirecteurlui-mêmesijejouecommeçaàchaquefois.IlparaîtqueBullem’aimeetqu’elleestfièredemoi.
Quoi?Uneminute.Quoi!
–Jet’aime,Charles,jesuissifièredetoi.
Oui,cesontbiencesmots,ceuxqu’elleamurmurésdansmonoreillequandellem’asautéaucou.
JesuisCharlesDumont.Lephœnixquirenaîtdesescendres.
Une fois la foule apaisée, des verres engloutis etmon cœur ayant retrouvé un rythme normal, nousquittonslebar,etallonsretrouvernotrechambre.Dansl’ascenseur,unsourireniaisnequitteplusmonvisage.Heureusementquepersonnenevoitmatronche.
Bulle sautille dans le couloir comme une enfant et je l’accompagne avec joie, ne retenant plus lebonheurquimesubmergedepuistoutàl’heure.
***
Quand le réveil semet à sonner, je crois d’abord à unemauvaise blague.D’abord, parce qu’il faitencorenuitnoireetensuiteparcequelanuitaétéassezcourte,jedoisl’avouer.Bulles’estmontréetrèsentreprenante,pourmeféliciterdemesprouessesmusicales.Jeluiaimontréqu’ellesn’étaientpasquemusicales.
Encoreune fois, je suis seuldans le lit.Lesdrapssont froidsdoncBulleest levéedepuisquelquestempsdéjà.Jeregardemontéléphone:huitheurestrente.C’estuneblague!J’ail’impressionqu’ilestàpeine quatre heures ! Cette histoire d’obscurité permanente commence àme taper sur le système ! Àmoinsqu’ilnes’agissedesrestesdevodkad’hiersoir…
Jesoufflepourmedonnerunpeudecourageetallume lapetite lampedechevet. Jemeredresse legrandlit,lesyeuxencorecollés.Jebailleunboncoup,étiremesbrasetmesdoigtsdepieds,etmelaisseretomberaussitôt.L’appeldelacouetteestplusfortquetout.
Jem’apprêteàmerendormir,quandunpetitbruitsuspectsefaitentendre.Unesortedegrattement.Jetendsl’oreille,maisn’arrivepasàidentifiercequec’est.Jetentedemerecoucher,medisantqueçavapasser,maisçanes’arrêtepas,c’estmêmedevenuinsistant.Jemeredresseunesecondefois,allumelalumièreprincipale,etlecielétoileau-dessusdematêtedisparaît.
Lebruits’intensifieetestmaintenantaccompagnédecouinements.Ondiraitunpetitanimal.Jecroisquej’aiunpeuabuséaveclavodka.Àmoinsque…Ilsemblequeçavientdelasalledebains.Pourtant,la porte est fermée.Mais je suis con !La belette !Bulle a dû partir en l’enfermant dans la pièce. Jesoupire,agacédedevoirmelever.
Vêtudemonboxerblanc,jemedirigeversl’objetdemestourments.
–Putain,soupiré-je,tuasdelachancequ’onsoitdevenuspotes,toi.
Lamainsurlapoignée,jetentedelabaisser,maislaporteestfermée.J’insisteunpeuplusfort.Rien.Qu’est-cequec’estquecebordelencore?
Enmepenchantvers lebasde laporte, jepeuxvoirque la lumièreest alluméedans lapièce.Unebouled’angoisseselogesoudainementdansmagorge.
Jen’aimepasça.
J’insisteunpeuplusviolement.
–Bulle?Bulle,tueslà?
Aucuneréponse.
Labelette a arrêtédegratter. Je sensqu’il sepassequelquechosed’anormal.Lapanique s’emparepetitàpetitdemoi.
J’insiste:
–Bulle?Bulle,toutvabien?
Jeposelaquestion,maisjesaispertinemmentqu’elleestinutile.Personnenemerépond.Jedonneuncoupd’épaule, tentantde forcer lemécanisme.Peut-êtreque je stressepour rien, peut-êtrequ’elle estpartieetquelaportes’estbloquéed’elle-même.
Secondcoupd’épaule,encoreplusviolentcette fois, leboiscraqueet lescoupsassénésmêlésà lapanique finissent deme réveiller. Je voudrais bien croire enmon hypothèse, mais mon foutu instinctsemblenepasêtredumêmeavis.Moncorpsetmespoingssecrispent,monrythmecardiaquedevientfou.
Cettefois,plusquestiond’hésiter,jedonneunviolentcoupdepiedetdéfonceletout.Leboisexplose,etunmorceauvient s’enfoncerviolemmentdansmonmollet. Jepourraishurlerdedouleur,mais jeneressens rien, jenevois rien.Rien, si cen’est le corpsdemabrindille allongé sur le sol.Et le tempss’arrête.
–Bulle!Putain,Bulle!
Jemejetteàgenouxàsescôtés,hurlantsonnomquirésonnedanstoutelapièce.J’attrapesondouxvisageentremesmains,jecherchesonregard,sesyeuxsontvides,inertes,àdesannéeslumièresd’ici.Jemepencheparréflexesursapoitrine.Soncœurbatencore.J’entendschacundesesbattements.C’estlaseulechosequimerassure.Ilbat.
Jeme lève,me précipite sur le téléphone de la chambre. Jeme reprends à trois fois pour faire lenumérode la réception.Toutmoncorps tremble.Ques’est-ilpassé,monDieu,ques’est-ilpassé?Jehurledanslecombiné,etmelaissetomberàgenoux,matêtetourne,moncœurvaexploser.
Bulle,ohBulle,jet’enprie,resteavecmoi…
Les sauveteurs sont enfin arrivés, et je suis assis dans l’hélicoptère qui s’envole en urgence versl’hôpitalleplusprochedececoinperdudanslaneige.Lessecourssontvenustrèsviteetlachambreaétéenvahieparlesmédecins,lesurgentistes,lesinfirmiers.
Jen’aipascompriscequisepassaitetjen’enauraispasvraimenteuletemps,detoutefaçon.IlsontmismaBullesurunecivière,m’ontdemandési j’étaisde lafamille,m’ont invitéà lessuivredansunanglaisplusqu’expéditif.Heureusementpourmoi,unedesurgentistesacomprisquejeneparlaispasunmot de finnois et a tenté de m’expliquer ce qui se passait tout en faisant son boulot. Tout le mondes’agitait dans tous les sens, j’ai à peine eu le tempsd’attraper un sac à dosdans lequel j’ai glissé labeletteetdeuxsecondesaprèsjemeretrouvaisdanslesairs.
L’étatdeBulleeststable,maisilsnesaventpascequiadéclenchélapertedeconscience.Ilsluiontfaitquelquesinjectionsetàprésentilslatransportentenprioritéversl’hôpitalpourluifairepasserdesexamens.
Onpeutdirecequ’onveut,l’argentestsalvateur.Sij’avaisétéuntouristelambdaperdudansunpetitchalet,personneneseseraitdéplacéaussiviteetquisaitcommentleschosesauraientpufinir.
Là,avecl’assuranceetlesmultiplesoptionsdemescartesplatinum,enàpeinecinqminutestouteslesprocéduresétaientenclenchées.Pourtant,c’estbienladernièrechoseàlaquelleonpensequandonsignesescontratsàlabanque.
Jeregardemapetitebrindilleallongéesurlacivièreaumilieudesmédecinsquiscrutentchacundesmouvementsdumoniteur.J’aimeraiscomprendrecequ’ilsepasse,maispersonnenesembleplusavancéquemoi.
Une grande blonde au visage sévère, la quarantaine passée, s’approche et s’adresse àmoi dans unanglaisplusquecorrect.Jecroisquec’estcellequim’aparlédansl’hôtel.
–Vousêteslemari?–Non.Enfin,oui.Enfin,jesuisle…
Ohmerde, je perds tousmesmoyens, je suis complètement paniqué.La blondene semble pas tenirrigueurdemonbafouillage,bienaucontraire,elletentedemerassureretdetoutmerésumer.
–Nousallonstenterdecomprendrecequiaprovoquélapertedeconsciencedevotreamie.Sonétateststable,maislorsquenousl’avonstrouvéeàl’hôtel,satensionétaittrèsfaible,etsonétatléthargiquebien avancé. Savez-vous si votre amie souffre d’un problème particulier ? Se drogue-t-elle ? Seplaignait-elledemauxdetêtes,dedouleurs?Faisait-elledeschutesdetension?
Lesyeuxronds,jelafixe.Bulle,sedroguer?Elleestsaouleavecdeuxverresd’alcooletrefusedetirerdansunesimplecigarette.
–Pourladrogue,vouspouvezrayerillicocettehypothèse,réponds-jesèchement.
–MonsieurDumont,c’estbienvotrenom,n’est-cepas?–Oui.–MonsieurDumont,reprend-elle.Jenesuispaslàpourvousattaquer.Inutiled’êtresurladéfensive.
Nousneconnaissonsriendevotreamie,nousn’avonsaucundossiermédical,aucunsuivi,mêmepasunetraced’assuranceenSuisse.Nousavonsagidans l’urgenceetnousavonsbesoindecomprendre.Pourelleetpourvous.Doncjevousdemanded’êtreunpeupluscompréhensifetd’êtresûrdevosréponses.Ilenvadelabonnepriseenchargedevotreamie,vouscomprenez?
Alorsquejem’apprêteàrépondreàlablondeenymettantlesformesetenm’efforçantderéfléchiràcequej’aipuremarquercesdernierstemps,untypesemetàhurler.Jenecomprendspascequ’ildit,maisjeressensparfaitementlemouvementdepanique.
La blonde se lève d’un coup, oubliant complètement notre discussion et se jette vers le milieu del’appareil,oùsetrouveallongéemabrindille.
Lesgenscrient,s’agitent,cherchentautourd’eux.Endessousdenous,j’aperçoislapisted’atterrissagedutoitdel’hôpitaletl’équipequinousattendausol.Maispersonnenesembles’ensoucier.IlssonttousaffairésautourdeBulle,etmoi,jetentedemeglisserentreeuxpourvoircequisepasse.
Ilsbranchentdestuyaux,desappareils,luimettentunmasquesurlevisage.Ilsparlententreeuxensedonnant des ordres fermes et chacun s’affaire. Je fixe lemonitoring dont les lignes qui bougent et leschiffresquiaugmententnem’inspirentriendebon.Je transpirecommeunporcalorsque jen’aiqu’unsimplepoloetquenoussommesenpleinhiverfinlandais.Maisjem’entape,jem’entapegrave.Jeneveuxpascroirecequiestentraind’arriver,cen’estjustepaspossible,cen’estjustepascroyable.Jenedevraispasêtredanscefoutuhélicoptèreentraind’atterrirsurletoitdecefoutuhôpital.Jedevraisêtredansnotrechambre,tenantmabrindilledansmesbras,reniflantsescheveux,râlantparcequelabelettemelècheleboutdespieds.Jedevraisêtreentraindeluidireàquelpointjesuisbienetàquelpointelleabouleversémavie.
Aulieudeça,jesuisballotéaumilieud’uneéquipedemédecinsquineparlentpasunmotdefrançaisoud’anglaisetquifontcommesijen’existaispas,melaissantdansunhorribleétatd’angoisse.
–Qu’est-cequisepasseàlafin!Qu’est-cequevousfoutez?Oh!Oh!Jesuislà!Qu’est-cequevousfaitesàmafemme,bordeldemerde!
Jehurlecommeunmaladeetundestypesmepoussecarrément,sansmêmemeregarder.Jem’apprêteàluirentrerdedansquandlablondes’interposeetm’éloigne.
–Restez-là,MonsieurDumont,ons’occupedetout.
Jetentederegarderderrièresonépauleetj’aperçoislevisagedeBulle.Ilsepasseuntruc.Sesyeuxs’ouvrent.Toutlemondes’agite,etpersonnenes’enrendcomptetoutdesuite.Jelesvoisparfaitement
carilsviennentsenoyerdanslesmiens.Jetentededirequelquechose,maistoutsepassetrèsvite.
Mabrindille sourit.Une seconde.Une infime seconde.Un sourirequime transperce le cœur et faitexplosermonêtretoutentier.Puissesyeuxserefermentetmonsangnefaitqu’untour.Unénormebipsefaitentendredanstoutl’appareilaumomentmêmeoùilseposesurlesol.Lablondemelâched’uncoupenl’entendant,seretourneetsemetàsontouràhurlerdansunelangueincompréhensible.Toutlemondefixelemoniteur.Lechiffreestàzéroetlaligneestplate.
Lesportess’ouvrentetl’équipeausolfaitirruption,ignorantmaprésence.Ilssejettentsurlacivière.Lesvisagessontfermés,concentrés.Bientropconcentrés.
Jeregardecettelignesurl’écran.Jeregardecesgensquinesortentpas.Jeregardel’incompréhension,leséchangessilencieux,lesordresetlesmouvements.Jeregardecetappareilquej’aivudesmillionsdefoisdansdesfilmsetqu’ilssontentraindebrancher.Laréalitéestbienmoinsglorieuse.
Jeregardecetypequiattrapelesdeuxpoignéesdudéfibrillateuravantdelesplacersurletorsedemabrindille.J’observelesmédecinscompterethurlerdedégager.JeregardelepetitcorpsdeBullequisesoulèveàchaquepression.Ouijeregarde,c’esttoutcequejepeuxfaire,c’esttoutcequejesaisfaire.
Etceslignes,ceschiffres.Riennebouge,riennechange.
Jenevoisplusrien,jen’entendsplusrien,jenesensplusrien.Rien,mêmepascefroidglacialquipénètredansl’appareil,s’engouffresousmonpolo,sefaufilejusqu’àmoncœur.
JesuisCharlesDumont,cetypeentraindetoutperdre.
16-Frôlerlepire
Pourlasecondefoisenunan,jemeretrouvedanslasalled’attented’unhôpitalàfairelescentspas,àmedemandercequejefousici,cequej’ailoupé,cequejen’aipassuvoir.
Onm’arefusél’accèsauxsoinsintensifs,onm’aenvoyépromenersurletarmacquandlesbattementsducœurdemabrindillesontrepartis.Oui,ilssontrepartis.Touts’estprécipité,lesgenscouraienttoutautour,etmoionm’agentimentécartéenm’indiquantuneautreentrée.
Rectification:l’argentn’ouvrepastouteslesportes.
J’attendslemédecinquiaprisBulleencharge.UncertainDocteurJärvinen.Quandilarrive,jen’aiaucunmalàlereconnaître.Grand,brun,plutôtbeaugarçon,ildoitavoirlapetitetrentaineetlesquelquesfillesprésentesdanslescouloirsseretournentsursonpassage.Ilsedirigeversmoid’unpasfermeetdécidé.Jemelèveetluilanceunregardsanséquivoque,luifaisantbiencomprendrequejenesuispasdugenreàaimerattendre.
–MonsieurDumont?–Lui-même.–L’étatdevotreamieeststable.Voulez-vousbienmesuivredansmonbureau,jevaisvousexpliquer
cequ’ils’estpassé.
Aumoins son anglais est bon et je comprends cequ’ilme raconte,mais je ne suis pasdocile pourautant.
–Cen’estpastroptôt!
Ilnerelèvepasmaremarque,sansdoutehabituéàcequelesgensseplaignent.Aprèstout,onestdansunhôpital,cen’estpasnouveau,lapression,danscemilieu.
Nous traversonsun longcouloir, tournonsune foisàgauche,une foisàdroiteet finissonsparentrerdansunepetitesallequin’apasvraimentl’aird’unbureau.Auxmurs,desradiographiessontaccrochées.Jen’aiaucunmalàreconnaîtreleslignesd’uneboîtecrânienne.
–MonsieurDumont, jenevaispasyallerparquatrechemins,cequis’estpassécematinrelèvedumiracle.
Iltendledoigtendirectiondesradios.
–Lesscannersquevousapercevez ici sontceuxdevotreamie.Commevouspouvez leconstater lazoneestducortexcérébralprésenteunhématomeinternedelagrosseurd’unenoix.–Maisencore…–Votreamieavisiblementsubiuntraumatismecrânienlégerquin’apasétédétectéetencoremoins
soigné.Lesprincipales lésionssontprovoquéespar ladécélérationou la rotationviolenteducerveau,qui entraînent l'étirement ou le cisaillement des axones à l'intérieur de cemême cerveau.Ces lésionspeuvent être plus oumoins sévères et/ou étendues. Elles peuvent entraîner une perte de connaissancebrèveouuncomaprolongé.Danslecasdevotreami, letraumatismeaévoluéenunhématomequiestvenubloquerleprocessusnormaldufonctionnementducortexcérébral.–Jenecomprendsrienàvotrebordel,vousvousenrendezcompte?–Pourfairesimple,MonsieurDumont,votreamieaeudelachance.Beaucoupdechance.–Ça,j’avaiscompris,docteur!–A-t-ellesubiunchocdernièrement?Unechute?Unaccident?
Jeréfléchis.Jevoudraisbienpouvoirluirépondremais,encoreunefois,jen’enn’aiaucuneidée.Jesuisvraimentlepiredespetitsamis,lepiredesamisetlepiredesfrangins.Iln’yaplusaucundoutelà-dessus.
–Rienàmaconnaissance.Aprèsvoussavez,Bulleestassezcasse-cou.Elleconduitmamoto,monteàcheval,faitdel’escalade.Elleauraitputombern’importeoù.
Le docteur me regarde comme si j’étais idiot. Je lis dans ses yeux l’étonnement provoqué par maréponse.
–Vousnesemblezpastrèsaucourantdecequisepassedanslaviedevotreamie,MonsieurDumont,melance-t-ilstoïquement.
Je dois me retenir de lui sauter à la gorge. Je pourrais presque lire sur son visage d’enfoiré, uneexpressionsatisfaite.
–D’aprèsnoshypothèses,elleadûsubirunchocdanslesdernièresquarante-huitheuresquiaentrainélaformationdel’hématome.Commeiln’apasétésoigné,ilacontinuédesedéveloppervenantbloquerprogressivement lacommunicationentre le liquidecéphalo-rachidienet lecerveau.Depuisquandêtes-vousenFinlande,MonsieurDumont?–Unpeumoinsdedeuxjours.–Trèsbien.Etcommentêtes-vousvenus?–Avecmonjet,luibalancé-jesèchement.–DeSuisse?insiste-t-il.–C’estuneenquêtepourleFBI,docteur?
Ilsourit,unbrinnarquois.
–Votreamieaunesacréebonneétoile,voussavez.Lapressiondanslesavionsaugmentede100%leschancesdeprovoquerunAVCencasd’hématomeinterneaucerveau.C’estunmiraclequ’elleaittenusilongtempsetunsecondmiraclequ’ellesoitrevenueparminous.
Jenedisplusrien,unpeusonné,jedoisl’avouer,parcequ’ilvientdem’avouer.
–Etmaintenant?–Nousavonsprocédéàuneopérationpourrésorberlacontusionetcrééuncomaartificieldequelques
heurespourlaisserletempsauxcellulesdeseredévelopperetsereposer.–Uncomaartificiel?m’inquiété-je.– Ce n’est rien de plus qu’une grosse anesthésie générale. Elle devrait se réveiller dans quelques
heures.Elleaunorganismeextrêmementrésistant,enparfaitcontrasteavecsonpoidsplume.–Etensuite?–Ensuite les choses reprendront leurs cours,MonsieurDumont.Unpeude repos et, d’ici quelques
jours,toutserarentrédansl’ordre.
Jetapotedoucementsurlebureaudevantmoi.
–Ellevadevoirresterici?–Quelquesjours,oui.Maisdèsquevotreamieserarétablie,vouspourrezenvisagerderentrerchez
vousavecvotre«jet».
Je sens la petite touche d’ironie,mais je neme fatigue pas à répondre.Ma seule priorité restemabrindille.
–Merci,docteur,rétorqué-jetoutsimplement.Jepeuxallerlavoir?–Jevaisvousappeleruneinfirmièrepourqu’ellevousconduisedanssachambre.
Ilmeconduitverslasortieetinterpelleuneinfirmièreenfinnois.Ils’éloigneensuiteendirectiondugrandhallprincipaleavantdeseretournerunedernièrefoisversmoi:
– Ah et,Monsieur Dumont, entre nous, si j’avais une « amie » comme la vôtre, je tâcherais d’enprendresoin,sivousvoyezcequejeveuxdire…
Connard!Jeserre lesdents,meretenantde luicasser lagueule.J’aibienvuclairdansson jeu.Enmêmetemps,queltypesurcetteTerrenetomberaitpassouslecharmedeBulle?Maiscen’estpasuneraison!Iladelachance.Ilaéchappéaupire.Jesuisbientroppressédelaretrouverpourm’occuperdesoncasàcetabrutiprétentieux.
Jesuisl’infirmièreàtraversundédaledecouloirs.Nouschangeonscarrémentd’aileetjemedemandecommentjevaisretrouvermoncheminavectouscespanneauxécritsdansunelangueimprobable.
Lapetitedamem’indiquelachambredevant.Ellesaitquejenecomprendsriendoncellenesefatiguepas à me parler dans une langue qui n’est pas la mienne. Ma brindille est là, derrière ces murs.L’infirmièremeregardeetpausesondoigtsursabouchepourm’indiquerdefairedoucementavantdemimerlevisagedequelqu’unquidortencollantsesmainscontresajoue.
Elle est bien plus agréable que ce con de Järvinen. Je lui souris avant de la remercier et ellem’abandonneici,monsacàdostoujourssurledos.
J’appuiesurlapoignée,entredoucement,presquesurlapointedespieds.J’ail’impressiond’êtreungossequisouhaiteéviterdesefaireattraperaprèsunegrossebêtise.
Lachambreestplutôtagréable,lumineuse,etavecunebellesuperficie.Elleressembleàcequ’onpeuttrouverdansleshôpitauxgenevois.Enfin,quelleimportance?Laseulechosequejevois,c’estmapetiteprincesseallongéesurcelitquisemblebientropgrandpoursonpetitcorps.Sesyeuxfermés,seslongscheveux châtains encadrent sonvisageparfait qui vous fait oublier les bandages autour de sa tête, lesmachines,lesperfusions.
Jeremarquelebraceletsurlatabledechevet.Ilsontdûluienleverpourinstallertouscesappareils,oupeut-êtreaubloc.Entoutcas,ilesttoujourslà,brillantpresqueaussifortqu’elle.
Jeprendsplacesurlesiègeàcôtéd’elle.Qu’est-cequ’elleaencorefabriquépourenarriverlà?Ellen’est pas prudente.Elle n’a aucune notion du danger.Et c’estmoi qui dis ça.Entre ses canassons, lamoto,laPorsche,ondiraitqu’ellepoussesanscesseleslimites,qu’ellerechercheenpermanenceàsefait peur, à frôler le danger.Et c’est encoremoi qui dis ça, jeme fous vraiment dumonde.En fin decompte,peut-êtrequenousnesommespassidifférents.
Je jetteuncoupd’œil àmamontre.Midi. Je suis complétementdécalé et épuisé.Quellematinée…Mesyeuxsefermenttoutseulsalorsquejemerapprochedesonlit,posantmamainsurlasienne.Jedoislutter,jedoisresteréveiller,jedois…
***
Quelquechosemechatouilleleboutdunez.Untrucdouxmaisquipue.Jemefrottemachinalementlenezsansouvrirlesyeux.Quelquechoseestappuyécontremonvisageetjegrogneenmeretournant.Unpetitriresefaitentendre.Doux,mélodieux,taquin,jelereconnaisimmédiatement:Bulle.Jemeredressed’uncoup,manquedetomberdemachaise.J’avaisoubliéoùjemetrouvais.Devantmoi,surlelit,deuxpetites paires d’yeux rondsme fixent d’un air amusé et inquiet. Les premiers, bleus, sont ceux demabrindille, les autres sont ceux de la belette, qui a visiblement eu aussi peur quemoi. Je commence à
comprendred’oùvenaitl’odeur…
–Vousétieztropmignonstouslesdeux…
Bulleaunepetitevoix,mais lesimplefaitdel’entendrerallumeenmoi toutcequis’étaitéteint.Jetentedemeressaisir,dereprendreunpeudecontenance.Jetoussote,meredresse,tireuncoupsurmonpolo.
–Tuesréveillédepuislongtemps?luidemandé-jedoucementpournepaslabrusquer.–Unepetiteheure,m’informe-t-elle.
Loupépourlacrédibilité.
–Les infirmièressontdéjàpasséespourmedonnerquelquesmédicaments.Nousn’avonspasosé teréveiller…Turonflaissifort…
Vraimentloupé.
Je tentede trouverquelque chose à répondre, un truc, unephrase, une excuse,maismabrindillenem’enlaissepasletemps.Sonpetitriredélicieuxrésonneunesecondefoisdanslapièce.
–Oh,Charles,nefaispassatête,tun’astuépersonneetjeteprometsquejegarderailesecret.
Elleadelachancequecesoitelledanslelitd’hôpitalparcequemavirilitéenprendunsacrécoup!
–Enplus, je trouve ça tropmignonque tu aiesprisMonsieurPikouikpourme tenir compagnie. Jecommenceàmerépéter,maistuesungarçonsurprenant,CharlesDumont.
BonOK,macoteremonte,maisjepensequejevaiséviterdeluidirequej’avaiscomplétementoubliélabelettedansmonsacetquejel’aijusteprisepouréviterdelalaisseràl’hôteletqu’ellepourrissemesaffaires.Enmêmetemps,si labeletten’avaitpasété là,siellen’avaitpasgrattéà laporte,siellenem’avaitpasréveillé…
Etmevoilàquiattrapelapetitechoseavantdevenirdéposerunbaisersursespoilspuants.Jenesaispascequimeprend,maisjemesensreconnaissant,d’uncoup.
–Charles?Tuessûrqueçava?medemandeBulle,étonné,lesyeuxgrandsouverts.–Ouais,çavamêmesuper.Jevoulaisjusteremercier,MonsieurPikik.–C’estPikouik,Charles…soupire-t-elleamusée.–C’estpareil,ons’enfout!
Elle sourit encore, ne pouvant résister àmon charme indéniable. Je ne lemontre pas,mais je suisheureuxd’êtrelà,avecelle.Unmiracle…Leconaditquec’étaitunmiracleetiln’apastort,Bulleestunmiracle.Monmiracle.
–Ont’aexpliquécequit’étaitarrivé?Tusaisquetuespasséetoutprès?
Jelafixe,réalisantsoudainlevraisensdumotmiracle.
–Toutprèsestuneuphémisme,Charles.Ilparaîtque,dansl’hélico,ilsm’ontperdupendantquelquessecondes.
Messourcilssefroncent,j’avaisoubliécetinstant.Enfin,jenel’avaispasvraimentoublié,maisjemedemandecommentBulleestaucourant.J’espèrequececondeJärvinenn’estpaspassépendantquejeronflaiscommeunabrutisurlelitdemabrindille.
–Maisquitel’adit?L’infirmière?Tucomprendslefinnois,toi,maintenant?–Non,jem’ensouviens,toutsimplement.
Jefronceencorepluslevisage.
–Commentça,tut’ensouviens?l’interrogé-je,surpris.– Je voyais ce qui se passait. Jeme souviens avoir ouvert les yeux, t’avoir vu derrière cette dame
blonde,puisletrounoiret,àpeineunesecondeaprès,j’étaisau-dessusdevoustous.Commesij’étaissortiedemonproprecorps.–Bulle,situessaiesdemefairepeur,c’estgagné!–Jet’assurequec’estvrai,Charles,insiste-t-elle.–Jecroissurtoutqueturegardestropdeséries…Tunem’auraspas,arrêtetesconneries!–Ilyavaittroishommesetdeuxfemmesdansl’hélicoptère.Dansl’équipeausoliln’yavaitquedes
hommes,dontceluiquiainstalléledéfibrillateuretquim’aramenéeparmivous.Deuxblonds,unbrun.J’aitoutvu,Charles.Jet’assurequejeneplaisantepas.Tuastentédeglissertamainentretousettuasréussiàeffleurerleboutdemesdoigts.Puistoutestredevenunoiretjemesuisréveilléeici.
Jerestefigécommeunabruti,Bullen’apasl’airdeplaisanterettoutcequ’elleraconteestexact.Ellenepeutpasdireçaauhasard,c’esttropprécis.
–Nefaispascettetête,Charles,c’esttoiquimefaispeur,cettefois!–Jenesaispassituréalisescequetuesentraindemeraconter!Enfaittuesentraindedirequ’ilya
unevieaprèslamortettoutlebordel!Tuasvuunelumièreblancheaussi?Untunnel?Desgensdetafamille?m’agacé-je.
–Pourquoitut’énerves,Charles?–Parcequejedétestetoutcequinepeutpass’expliquer,secontrôler,seprouver!–Ettunemecroispas…moi?medemande-t-elle,unpeupeinée.
Jesoupire,tentantdemecalmer.
–Si.Justement,c’estçaleproblème.C’estquetoi,jetecrois.Etc’estencoreplusflippant!
Elleétouffeunpetitrire.
–MonsieurCharlesDumontn’aimepasperdrelecontrôle,n’est-ce-pas?–Ohçava,hein…
Ellesecouesonpetitvisaged’angeetjefinisparmeradoucir.Aufonddemoi,jenelemontrepas,maisjesuiscontent.Sanslevouloir,Bullevientdemefaireuncadeaumagnifique.Àprésent,jesaisquedansmesmomentslesplusfaibles,quandjesuisseul,quetoutlemondeestendormi,ilm’entend.Oui,Maxm’entend…
***
Mercredi12novembre2014
Nousvenonsd’atterrirsurletarmacdel’aéroportdeGenève.Bulleetmoiavonsprolongénotreséjourdequelquesjourspourquel’hôpitallagardeenobservationet,surtout,qu’ellepuissesereposer.
Elleaencoretoutunpaquetdemédicamentsàprendreet j’ai insistépourqu’undocteurreprenneledossierici.Nousavonsdoncdéjàrendez-vouscetaprès-midi,mêmesionnousaassuréqu’iln’yavaitplusaucunrisque.Cettefois,ilesttempspourmoideprendreleschosesenmainetdemecomporterenhomme.
Bon, hier soir, quand nous avons regagné l’hôtel pour une dernière nuit, nous nous sommes un peudisputés.J’aifiniparluidemandercommentelleavaitpuseblesseràlatêteetnerienremarqueretellem’aavouéêtretombéedechevaldimanche.Commeellen’avaitpasdebosseetcommeellenemetplusdebombedepuislongtemps,ellenes’estpasinquiétéeplusqueça!Nonmaisvousréalisezàquelpointelleestinconsciente?Elleauraitpuyrester!Jeluiaigentimentfaitremarquéetmademoisellen’arientrouvé demieux àme répondre que plus personne nemet de casque à cheval…Quand je disais quec’étaitunmondespécial…ilssesentent tellementsupérieurssur leurscanassons,qu’ilspensentqu’ilspeuventéchapperaupire.Visiblement,monpointdevueneluiapasvraimentpluetencoremoinsquejelamette dans lemême sac que tout lemonde.Mais elle l’a bien cherché ! En tout cas, je lui ai faitpromettredetoutletempsmettreuncasqueetellen’apastentéderésister.C’estqueçaadûlarefroidirunpeu,quandmême!Ilnemanqueraitplusqu’elles’enfoute!Danstous lescas, jenevaispasm’en
contenter.Cettesemainedirectionunmagasinspécialisé,jevaisluiacheterquinzebombes,s’illefaut.
Nous avons retrouvé le Land Rover dans lequel nous nous sommes tous les trois installés. Oui, jecomptemêmelabelette,lesderniersévènementsnem’ontpasépargné,jedevienscul-cul.Nousroulonssouslecielgrisdenovembre,mamainsurlacuissedemabrindille,lasiennesurlamienne.Ilfaitunfroidglacial,différentdeceluideFinlande,plushumide.C’estsûrementdûauLac.
NoussommesentourésparlebrouillardlorsquenousarrivonsàCologny,maispeuimporteletempsqu’ilfait,noussommesheureuxderentrer.NousallonsretrouverGabieetnotrecheznous.Moiquin’aijamaiseuderacines,jetrouvedansnotrefamilleimproviséelesrepèresquim’onttoujoursmanqués.
Je tournedansnotrerue,medirigevers l’immenseportail.Lescamérasse tournentautomatiquementverslevéhiculeetjen’aipasletempsdetaperlecodequelesportess’ouvrent.Bizarre,iln’yapourtantplusdegardiensdepuisledépartdemesparents.Jem’engagedansl’alléeprincipaleetaperçoisdevantlamaisonl’énormePorscheCayennedemonpère.
–Putain,qu’est-cequ’ilfoutlà,celui-là!–Qui?medemandemabrindille.
Jenerépondspas,bientropénervé.
–Attends-moicinqminutes.Jereviens.
Jeneluilaissepasletempsderépondreetdescendsd’uncoupenouvrantbrusquementlaportière.Jemarcheviteavecempressement,faisantgiclerlesgraviersduchemin,grimpelesmarchesdel’entréeetouvrelaportesansmesoucierdecequejepourraistrouver.
–Dad?
Aucuneréponse.
–Dad!
Toujourspasunbruit.Jem’apprêteàprocéderàunetroisièmetentativequandunemainseposesurmesépaulesetmefaitsursauter.
–Charles,tueslà!
Jemeretournepourmeretrouverfaceaupaternel.Sonregardgrisesttoujoursaussifroidetsestraitstiréstrahissentsafatiguedissimuléesousunecouched’UVetdebotox.
–Jet’aicherchépartout.JesuisvenusignerquelquespapiersàGenèveetj’enaiprofitépourpasservoirsitoutallaitbien.Oùsontpasséestouteslesaffairesdetasœur?–Elles’estinstalléeavecmoi.–Hum…
Comme jem’y attendais cela ne semble pas lui provoquer lamoindre réaction. Il a le nez sur sonportableetnemeregardedéjàplus.
–OK,trèsbien,pasdebêtises,tusaisquetamèresurveilletoujourssesnotes.–Gabieesttrèsstudieuse,papa.Jenem’inquiètepaspourelle.–C’estsûrqu’ellel’estbienplusquetoiàsonâge,mebalance-t-ilgratuitementsansprendreletemps
deleverlesyeuxdesonsmartphone.
Jenerelèvemêmepas,voilàdesannéesquej’aiapprisàpasseroutre.
–Jedoisyaller,onm’attendàl’aéroport.Tuasramenélejet?medemande-t-ilcommes’ilparlaitd’unesimplevoituredeville.–Oui.–Trèsbien,jevaisvoirsilepiloteestdisponible.J’aiprêtéceluiaveclequeljesuisvenuàmonami
Adam.
Ilme raconte sa vie,mais je n’en n’ai strictement rien à foutre. Je ne sais pas s’il s’en rend biencompte.Jefaisdemi-tour,refermelaportederrièrenousetleregardemonterdanssongros4x4sansmêmesesoucierdemedireaurevoir.Ilfaudraqu’onm’expliquepourquoicemecafaitdesenfants.JesecouelatêtededépitenleregardantquitterleslieuxcommeunétrangeretjeretourneànotrevoiturepourrejoindreBulle.
J’ouvrelaporteetm’installeauvolant,prêtàramenerlavoitureaugarage.Jeneremarquepastoutdesuitelesilence.Cesilencepesant,écrasant,terriblementfroid.Jemeretourne,Bulleesttoujourslà.Elleestsiblanchequejefaisunbondcontrelavitre.Jenelavoismêmeplusrespireretl’airquicirculedanslavoitureaquelquechosedevraimentflippant.
–Bulle?Bulle,çava?Tuestoutepâle,ondiraitquetuasvuunfantôme!
Jeposeunemaininquiètesursonépaule,maisriennesepasse.C’estcommesielleétaitfigée.
–Bulle,tumefaisflipperlà,bordel!
C’est alors que ses lèvres, ses douces lèvres, se mettent à bouger. Sans tourner la tête, sans meregarder,fixanttoujoursl’horizon,ellebalancecesquelquesmots:
–C’estlui.C’estlui,Charles.
Jenevoispasdequinidequoielleparle,iln’yapersonne.Enfin,iln’yapluspersonne!Elleparledemonpère?Ellel’asûrementbienvudepuislàoùellesetrouve.Maispourquoiconnaitrait-ellemonpère?Et«c’estlui»,mais«lui»quoi?
Jen’aipasletempsdemeposerunequestiondeplus,lecoupletfinaltombe.Commeunesentence,sesmotsfrappentcommelafoudreaumilieudel’habitacle.
–C’estlui,l’hommequiatuémonpère.
Ettoutexplose.
17-Celuiqu’onprotège
Dansmatête,enunefractiondeseconde,jemeremémorelerécitdeBullel’autrematin.Çanecollepas.Ellem’aditquesonpèreadéveloppéuncancerfoudroyantjusteaprèslapressionqueluimettaitunsale type.Monpèrenepeutdoncpasêtrece type. Il lui ressemblepeut-être,maiscen’estpas lui.Enplus, je dois admettre qu’il a le profil communde tous les quinquasmilliardaires deSuisse avec sescheveuxgrispeignésenarrière,sescostumestoujours tirésàquatreépinglesetsonteintorangecraméauxUV.Ondiraitdesdizainesdepetitsclones.
–Bulle,jepensequetufaiserreur,risqué-jedoucementfaceàsaminedéconfite.
Jelavoisavalersasalivedetravers,deslarmesauborddesyeux.Cettevisionmetranspercelecœur.J’essaiedeglissermamainsursonvisage,maisellemerepousseviolemmentetsetourneverslavitre.
–Pourquoiest-illà,Charles?insiste-t-elle.Pourquoicetypeestcheztoi?
Ses lèvres et sa voix tremblent et la peau de ses bras et couverte de chair de poule. Je suiscomplètementretourné,necomprenantpasdutoutcequisepasse.
–MaisBulle,tutetrompesjet’assure!C’estmonpère!Letypequetuconfondsavecjenesaisqui,estmonpère!Iln’arienàvoiravectonhistoire.
Jetentedelacalmer,posantmonbrassurlesien.
–Cen’estpaspossible,Charles.
Deslarmescoulentàprésentsursesjouesetsonvisagesedécomposepetitàpetit.
–Mais,Bulle…
Ellenerépondrien,ouvrelaporteetsortdansl’allée.Toutsonpetitcorpstrembleàprésent.Jemedemandesicen’estpassonhématomequiluijouedestours.Elleasimplementdûmalvoir.Iln’yapasd’autresexplications.Etcommeelleestfaibleetbourréedemédocs,elleestunpeuplussensible.C’esttout.C’estàmoidelarassurer,c’estmonrôleaprèstout.
Jedescendsàmontouretlarejoins.Sesgrandsyeuxbleusseperdentdanslesmiens.
–Charles,ilfautquetumecroies,c’estlui,jet’assurequec’estlui,déglutit-elleavecpeine,levisagerougiparlespleurs.
J’attrapesesdoucesmainsdanslesmiennes,tentanttantbienquemaldelafairereveniràlaréalité.
–Bulle,tuesfatiguée,tuaseudesjoursdifficiles,ilfautque…–Charles!mecoupe-t-elle.Jenepeuxpasoubliersonvisage…Jenepeuxpasmetromper.Jenepeux
pas…suffoque-t-elle,àboutdesouffle.–Mais,Bulle,tucomprendsbienquec’estimpossible?Monpèrenepeutpasêtrecethomme.C’est
moisonfils,sonuniquefils.
Bullerespirelentement,troplentement.
–Charles…Jet’assureque…
Ellen’apasletempsdefinirsaphrase,elles’écrouledansmesbras.
–Bulle!hurlé-je.
Jelarattrapedejustesse,laserrantdetoutesmesforces.Elleestàboutdenerfsetmurmuredeschosesquin’ontaucunsens.Jenecomprendspasbien.
–Qu’est-cequetudis,Bulle,qu’est-cequ’ilya?Jenecomprendspas.Nebougepas,bébé,surtoutnebougepas.Jeteramèneàlamaison.
Jelasaisissouslescuisses,lasoulèveetlaserredansmesbras,contremontorse.Jepresselepasjusqu’ànotredépendance,priantpourqueGabien’aitpasferméàcléfetsoitàlamaison.Jemejettesurlapoignéeet soupirede soulagement envoyant la lumière à l’intérieur.Lydia etGabie sont toutes lesdeux dans la cuisine et, quand elles me voient débarquer, leurs visages autrefois illuminés par notreretour,separentimmédiatementd’unmasqued’inquiétude.
–Charles?Qu’est-cequisepasse?s’inquiètemapetitepoupéeenselevantducanapé.–Bulleafaitunmalaise,jevaisl’allongerdanssachambre.
EllesmeregardenttouteslesdeuxpasseretLydiaporteunemainsursabouche,dansuneexpressiontrèspeurassurante.Jeneprendspasletempsnilerisquedemonterlesmarchesjusqu’àl’étage.J’ouvrelaportedemachambreetentreàl’intérieur.Jedéposemabrindillesurlelit,aumilieudemamultitudedecoussinsetremonteleplaidsursonpetitcorps.
–Tuveuxquej’appelleunmédecin?
Gabieestsurleseuil,Lydiajustederrière.
–Lydia,pouvez-vouslefaire,s’ilvousplaît?Gabie,jeveuxbienquetuaillesrécupérerPikouikdanslavoiture,parcontre.
Aucunedesdeuxnecherchentàensavoirplus.LydiaattrapeletéléphoneetGabiesortrécupérerlabelette.Jeresteassisàcôtédemabrindille,quis’estrecroquevilléesurelle-même.Jesuismaladedelavoirdanscetétat.Jenesaispascequiapusepasserdanssatêtepourqu’elleconfondemonpèreavecl’autreordure.Bienquemonpèresoitaussiuneorduredanssongenre,onnepeutlenier.Toutcestress,toutcechamboulement,cesderniers jours,n’ontvraimentpasétéunebonnechose.Si j’avaissu,nousserionsrestés ici,etBulleauraitpassédesradios.Enfin,pourça, ilyauraitencorefalluque jesachequ’elleavaitchuté.Quelbeaubordel!
–Luc…
Alorsquejesuisplongédansmespensées,j’entendsmapetitebrindillequitentedemedirequelquechose.Jemepencheverselle,unemaincaressantsescheveuxetsonfrontbouillant.
–Bébé,qu’est-cequ’ilsepasse?–LucDerentes…prononce-t-ellefaiblement.
JefroncelessourcilsnecomprenantabsolumentpasdequoiellemeparleetquiestceLuc.Jetentedeluifairerépéter,quandquelquechoseseproduit.Unflash.Uneimage.Unvieuxsouvenir.LucDerentes.Jeconnaiscenom.Jeleconnaismêmetropbien.Pleindechosesenfouiesrefontsoudainementsurface.Deschoseshorriblesquejecroyaisdisparuesàjamais.Cen’estpaspossible.Cen’estpaspossible…Jemelèved’uncoup,presquemachinalement.Lydiaentreenmêmetempsdanslachambrepourm’informerqueledocteurarrive,maisjepassedevantellesansm’arrêter,sansmêmelaregarder.
–MonsieurCharles?
Jesorsdirectement,croisantGabieavecPikouikdanslesbras.
–Charlie,tuvasoù?
Jenerépondspas.Quelquechoseestentraindegrandirenmoietd’enflammerchaquecelluledemonêtre.Unecolère,unerage,unefolie,quidépassetoutesleslimites.
Je m’installe au volant du Land Rover. Les clefs sont encore sur le contact. Je démarre dans uncrissementdepneussansregarderdansmonrétro.Jefonce.Jen’aiplusaucundoute.Ilyabeletbienunrapport.LetéléphoneconnectéauBluetoothdelavoiture,j’appelleJetAviationet,quelquessonneriesplustard,jetombesurnotreresponsabledevolsquim’informequemonpèreestbienarrivé,maisqu’iln’apasencoredécollé.
–Trèsbien,alorssuspendeztout.Jesuislàdansquinzeminutes.–Mais,MonsieurDumont…–J’aiditsuspendeztout!Jedoisparleràmonpère.Etdites-luiqu’iln’apaslechoix,dites-luique
LucDerentesaoubliéundossierimportant.
Etjeraccrochesanstarder,appuyantsurl’accélérateur,directionCornavin.
***
Quand j’arrive sur le tarmac, la pourriture quime sert de père est posté devant son appareil et nesourcillepasuneseulesecondemalgrémespharesquiluiéblouissentlevisage.Jediraismêmequ’ilmefixe,provocant,sûrdelui.Jedescendsenlaissanttournerlemoteur.Ilfaitfroid,nuit,etlalumièresurlapisteestfaible.SeulslespharesduLandnousencadrent.
–Charles,melance-t-ilcommeundéfi.–Dad,réponds-jecalmement.
Jem’approcheencoreunpeu.Jenesuisplusqu’àunmètredelui.Ilplongesesyeuxgrisetperfidesaufonddesmiens,espérantsansdoutemedéstabiliser.Iln’enestrien.Ilyabienlongtempsqu’ilnemefaitpluspeur.
–Ilsembleraitquenousayonsdeschosesànousdire…–Effectivement.–Jen’aipasbeaucoupdetemps,Charles,carcommetulesaissibien,letempsestprécieux.Alors
dis-moi,parle,tonprixseralemien.Encoreunefois…précise-t-ilcyniquement.
Jesouris.Nonparplaisir,maisparcequejem’attendaisàunerépliquedugenre.Dixansplustôt,elleavait été lourdede conséquences.Aujourd’hui, je ne suis plus ce jeune adolescent apeuré.Et nousneparlonsplusdelamêmechose,surtout.
–Jecroisquetufaiserreur,Dad,jenesuispaslàpourça.
Ilcontinuedem’observer,sanslaissertransparaîtrelamoindreémotion.Puisilfinitparsortirdesonlongmanteaubeigeunpaquetdecigarettes,avantd’enattraperuneetdel’allumersousmonnez.
–IlmesemblepourtantquetuasévoquécecherLucDerentes.Mais…peut-êtrequejemetrompe…Peut-êtreai-jemalcompris?C’estça,Charles?Toncherpapan’apastoutsaisi?
Ilcrachelafuméedesaclopesurmonvisage,commesij’étaisunparfaitinconnu,commesijen’avais
aucuneimportance.
–Tuastrèsbiencompris.–Alorsnousparlonsdoncdelamêmechose,reprend-t-il,fierethautain.–N’ensoispassisûr,Dad.Jenesuispaslàpourcequiestarrivéilyadixans.Jenesuispasdu
genreàremuerlepassé,tudevraislesavoir.–Alorsqueveux-tuàlafin,Charles!Àquoijoues-tu?
J’adorelevoirs’énerveretperdresonsang-froid.IlyaquelquechosedejouissifàfaireperdrepiedaugrandJean-CharlesDumont.
–JesuislàpourBulle.–Bulle,répète-t-ilsanscomprendre.–Oui,BulleSimonin.Cenomneteditrien,Simonin?Réfléchis.Réfléchisbien.
Il cherche encore et encore dans samémoire. Je le vois faire, je sais comment il fonctionne, je leconnais,cemonstrequim’amisaumonden’aplusdesecretpourmoi.Enfin,pastoutàfait…Soudain,unelueurdanssesyeux.Ilacompris,ilsesouvient.Unpetitrictussedessinesursonvisagesombre.Mespoingsseresserrentinstinctivement.
–C’estdoncça,lâche-t-ilsournoisement.LapetiteBulle…
Jeserrelesdentsetilclaqueinstinctivementdesdoigts,faisaitsurgir,dederrièrel’appareil,undesescrétinsdegardeducorps.
–Calme-toiCharles,ceseraitdommagequenousdevionsenvenirauxmains,necrois-tupas?
Ilestsisûrdelui,siméprisant,ilmedégoûte.Ilm’atoujoursdégoûté.
–Qu’est-cequetuluiasfait,espèced’ordure!Qu’est-cequetuasfaitàBulle?Pourquoipense-t-ellequetueslepèredel’ordurequil’aenvoyéeàl’hôpital?Pourquoi?Réponds-moi,Dad,réponds-moioùjetejureque…
Jem’avanced’unpas,maisjesuisimmédiatementarrêtéparlegrosgorille,quimebloquedesamaingéante.
–Vousdéfendezunebellepourriture,vouslesavez?luilancé-jeàboutdenerfs.–Laissecepauvrehommeendehorsdetoutça,Charles,etreste,toiaussi,endehorsdeceshistoires.
Toutcecineteregardepas.
Il pivote sur lui-même et se dirige vers son avion, indiquant au pilote qui nous observe depuis lecockpitqu’ilesttempsdedécoller.
–Tunet’ensortiraspascommeça!Tuentends!Tunet’ensortiraspas,cettefois!
Il ritenmontant lesmarchesde lapasserelle,unrirenoir, sadique,moqueur,accompagnéd’unpetitsignedelamainpourmesignifierqueriendetoutçaneletouche.
–Charles,Charles,Charles,tut-tut-tut,medit-ilenseretournantenhautdel’appareil.Cettehistoireestterminéeetjenesaismêmepascommentelleapuremonterjusqu’àtoi…Teserais-tuamourachédelapetiteorpheline?Ilnemanqueraitplusqueça,s’amuse-t-ilsadiquement.–Connard!Espècedegrosconnard,luicrié-jetoujoursbloquéparlegrosbalaise.–C’est tout toiçaCharlie, tout toi…Défendre laveuveet l’orphelin.Remuercielet terrepourune
petitetrainéedesbasquartiersaquil’onpeutfairecroiretoutetn’importequoi.
Cette fois, c’enest trop. Jene tiensplus, jebalanceuncoupde têtemagistral augorille,venant luiexploserlenezdepleinfouetetjedévalequatreàquatrelesmarchesdelapasserellepourfinirparmejetersurmonpère,lepoingenl’air,levisagetorduparlarage.
–Frappe,Charles,frappe,m’ordonne-t-ilencoresiarrogant.Vas-y,faiscequetuauraisdûfaireilyadixans!Conduis-toienhomme!
Ilmedéfitduregard,jetantenl’aircesquelquesmotsbienplacésquimeramènentàdesannéesd’ici,peudetempsavantquej’entendeparlerpourlapremièrefoisdeceLucDerentes.
J’attrapelecoldesaveste,serremapriseethurle:
–Dis-moi!Dis-moicequ’ils’estpassé,bordeldemerde!Dis-moiquellesaloperietuasinventéeetquiestcetypequetuasprotégéenprétendantqu’ilétaittonfils.DIS-MOILAVÉRITÉ!
Je suis soudainement saisi àmon tourpar le coldemonpolo,puisprojetéenarrièrecontreundessiègesde l’avion.Lechocest rudeetmondosenprendunsacrécoup.Legroscolosse,avecsonnezensanglanté,setientàprésententremonpèreetmoi.Celui-ci,d’ailleurs,serelèvefièrement,tapotantsoncostume,melançantunpetitregardarrogant.
–Maisvoyons,Charles,jepensaisquetul’avaiscompris.
Illèvealorsdélicatementsonindexavantdelepointersurmoi:
–Celuiquejeprotège,c’esttoi.
18-Flash-back
Dixansplustôt,été2004
Àquinzeans,jepenseenfinêtreenâgedeprofiterdemesvacancesd’étédanslechâteaufamilialdanslecantonduValais.Jen’aiquetroissemainesalorsj’essaied’enprofiteraumaximum.J’ail’insouciancedemajeunesseetlesentimentquetoutestpossible.
Jen’aiquelesvingtderniersjoursdejuilletcarjedoisdonnerplusieursconcertosunpeupartoutdanslemonde en août.Oui, parce qu’enplus d’avoir la beauté et la richesse, j’ai aussi un talent inné : lepiano.
Lepiano,c’esttoutemavie,maplusbellehistoired’amour.Maseuled’ailleurs.Enfin,sionoublieGabie,masœurâgéedetroisansàpeine,monpetitangetombéduciel.Mapoupée.
Jesuisavecellepourlesvacances.Commemesparentsnes’occupentpasvraimentdenous,cen’estpasétonnant.
Pourmapart,jem’ensorsplutôtbienpuisquej’aiintégréleprestigieuxconservatoiredeLondresilyamaintenant troisansetque jepasse les troisquartsdemesannéesdans leurpensionnat.PourGabie,c’estencoreunbébé,maisj’aipeurquel’avenirnesoitpasjoyeux.Toutcommemoi,elleseraélevéeparlesnounousetfiniraparappelersespropresparentsparleursprénomstantilsluiserontinconnus.
Enattendant,jeprofitedecestroissemainesauparadispourmedéconnecterunpeudumondedefousdanslequelj’évolueetdemescinglésdeparents.
Cesoir, jesorsavecmescousinsetcousinesvenuseuxaussipasserquelques jours ici. Je lesaimebienmêmesi je les trouveunpeudingues,parmoments.Cen’estpasque jesuiscoincé,mais jesuisplutôtdugenreintroverti.Lamusique,c’estmabulle,monoxygène,jen’aipasbesoind’autrechose.Jenesorspas,nefaisjamaislafête,nefréquentepasdefilles.Jevis,jerespire,jedorspourlepiano.Plustard, jeseraiungrandpianistecélèbre,adulépar lafoule,donnantdesconcertsunpeupartoutdanslemonde à guichet fermé. Pour le moment, je suis bien parti. J’ai été sélectionné parmi les meilleursélémentsduconservatoirepourfaireunetournéed’étédansdessallesmagnifiquesunpeupartoutautourduglobe.
JesuisdoncplantédevantmonplacardànepastropsavoircequejedoisporterquandAntoinesurgitdenullepartententantdem’effrayer:
–Bouh,hurle-t-il.
Antoine est le filsdu frèredemonpère. Il avingt ans, ne fait riende ses journées àpart dépenserl’argentdesonpèredansdeschosesaussifutilesquelesvêtements,lesvoitures,lesfêtes…Jetrouvesavieassezpathétique,maiss’ilestheureuxcommeça…
–Antoine,j’aipassél’âged’avoirpeur,tusais.
Ilrit,faisantapparaîtresesdentsblanchesàl’alignementparfait.Antoineestunbeaumecetillesait.Ilenjoueavectoutlemonde.Maisc’estdefamille.Mêmesionneseressemblepas,onpeutdirequemescousinsetcousinesonttoushéritédelagrâcedemagrand-mère.Moi,jetiensplutôtdemamère.SileblondfaitlamajoritéchezlesDumont,pourmapartj’aidelongscheveuxnoirsetbouclés,toutcommeelle.Unteintdiaphane,desyeuxverts.D’aprèsAntoine,jepourrais,jecite«tirertouteslesgonzessesque je veux ». Ce n’est pas trop mon objectif, en fait. Je suis plutôt terre à terre comme garçon.Contrairement àmes trois cousins qui enchaînent les filles, je ne suis pas intéressé par la chose. Onpourraitpenserquec’estmonâgequiveutça,maisàquinzeans,ilsavaientdéjàtouslestroisfranchilecap. Tout le monde est un peu comme ça dans ma famille. On joue aux parfaits petits calvinistes ledimancheàlamesse,maislanuit,levernisdisparaît.
Jenesuispasdupe,jevoisbientoutcequisepasse.Lesmaîtressesdemonpère,lesamantsdemamère,lespartiesfinesoùserendentmesoncles,lessoiréescocaïnedemoncousinDanieletlesrehabdemacousineAnna.SitoutlemondepensequelepetitCharlesnevoitriendepuissabulle,ilssefoutentbien ledoigtdans l’œil. Jepréfère justedepasm’yattarder.Cemonden’estpaspourmoi,cemonden’estpaslemien.Bientôtjel’espère,jepourraivolerdemespropresailesetdireadieuàtoutcecirque,cettejoliemascarade.
Enattendant,jesuistoujoursplantédevantmonplacard.
–Tuasunproblème,cousin?medemandeAntoinequis’allumeunecigarettedansmachambre.–Nonçava,maistoi,situpouvaisfumersurlebalcon,çam’arrangerait!
Iltournoieautourdemoi,sonpetitregardprovocant.
–Allez,Charles,décoince-toiunpeu,ilesttempsdevivrequelquesexpériences.
Avecsapetitemècheblondequiluitombesurlesyeux,ilavraimentunairdepremierdelaclasse.Etpourtant,c’estlepiredetous…
– Je ne vois pas en quoi le fait que tu fumes dans ma chambre a un rapport avec les nouvellesexpériences…soupiré-je.–Tunecomprendsrien,Charlie,medit-ilenpassantsonbrassurmonépauleetenrecrachantlafumée
desacigarettesurmonvisage.
Jelèvelesyeuxaucieldevanttantdebêtiseenunseulhommeetjel’envoiegentimentretournerdanslecouloir.
–Rendez-vousdansvingtminutesenbas,mongrand,jevaistemontrercommentonfaitlafêtechezlesDumont!
Ilrepartensifflotant,faisantexprèsdedéplacerquelquesbibelotssurlesmeublesdescoursives.IlaunpetitcôtéValmont. Ilpourraitparfaitementenêtre l’héritier.Jefinisparmedéciderpourunsimplepantalondetoileetunpoloassortisàmesmocassins.Jefilesousladouche,enfileensuitematenueetdescendsunquartd’heureplustardretrouvezlevicomteetsaclique.
Pourl’occasion,ilaempruntélaJaguardemongrand-père.Jemeglisseàl’intérieurpourmejoindreàlui,DanieletJulietteetAnna.Surlabanquettearrière,jemanquedem’étouffer,lesfillessonthabilléescommedes filles de joie.Pour nepas dire des putes.Duhaut de leurs dix-huit printemps, elles n’ontvraimentplusriend’innocent.Talonsdedixcentimètres,jupesetshortsultracourts(maisciglésGuccietPrada,s’ilvousplaît),j’ailesentimentd’êtreentourédedeuxescortes.
–C’estparti,lesamis!
Antoine,derrièrelevolant,branchesonMP3surleposteet,deuxsecondesplustard,voilàqueCallonMed’EricPrydzrésonnedansl’habitacle.Jen’aimepascettechansonetencoremoinsleclipoùonvoitsetrémousserdesnanasenstringdansuncoursdegym.Jetrouvequec’estdégradantpourl’imagedelafemmeetenpluslesonestàchier.Maisc’estlagrandemodedumomentetévidemment,sic’estlamode…
–Unpetitverrepoursemettredansl’ambiance?
Daniel qui, sans mauvais jeux de mots, porte parfaitement son nom, sort de la boîte à gants unebouteilledewhiskyqu’iltenddansnotredirection.
Les filles semettent à hurler de joie et se jettent dessuspouryboire augoulot tout enbougeant aurythmedecequ’ils appellentde lamusique. Jene saispascequim’aprisde leurdireouiquand ilsm’ontdemandédelesaccompagner…
–Allez,Charlie,boisunpetitcoupçaneteferapasdemal,petitprodige!
Danieltentedemefaireboiredanssabouteilledégueulasseenm’affublantdemonhabituelsurnom:«lepetitprodige.»C’estsûrquevenantd’untypededix-neufansquipassesessoiréesàsnifferdelacokeenseplaignantquelafacdemédecinec’est tropdurpour lui,onpeutcomprendre…Ah,siMaxétaitlà…Ilprendraitpeur,c’estsûr.D’ailleursj’aihésitéàluiproposerdevenirquelquesjours.Maisilvoulaitabsolumentalleràcettecolodébilespécialiséedanslesartsdelascène.Jen’aipasbiencomprispourquoi…
–Non,merci,Daniel,jeneboispasd’alcool,tusais.Je repoussegentiment labouteillequeme tendmoncousinet il semetà rireenme traitantdepetit
joueur ou je ne sais quoi d’autre. Je vais vraiment finir par croire que j’ai été adopté, je ne leurressembletellementpas.Aprèstrenteminutesderouteàsupporterleursconneries,nousarrivonsenfin.Lafêtealieuchezdes
amis deDaniel et c’est assez démentiel. Lamaison, perdue aumilieu de nulle part, ressemble à uneconstructionduCorbusier.Untructrèsmoderneàl’architecturecomplètementdécalée.Àpeineleportailfranchi, l’ambianceestdéjàdonnée.Danslagrandealléeengraviersencadréede
cyprèsitaliens,desboulesdelumièrescoloréesontétéinstallées,etquelquesbouteillestrainentdéjàsurlesol.Iln’estque21heures,celapromet.D’autre part, moi qui trouvais que mes cousines étaient légèrement vêtues, je dois dire qu’elles
ressemblentpresqueàdesbonnessœurscomparéesàcellesquenouscroisonsici.Vêtuesdemaillotdebain,ellescourentpartoutaumilieuduterrainsouslesregardssanséquivoquedeshommesprésents.Antoine se gare sur la pelouse derrière un gros 4 x 4 aumilieu des autres voitures.Tout lemonde
descendetmoijerestebêtementsurplaceàmedemandercequejefabriqueici,observantladécadencequim’entoure.–Alors,bébéCharles,impressionné?Annapasseunemainfarceusedansmescheveuxpourmelesébouriffer.Impressionnén’estpaslemot
quej’auraischoisi,maissiçapeutluifaireplaisir.–Allez,viensCharles,ilesttempsquetuapprennesàfairelafête!Le bras de Daniel se glisse sur mon épaule, m’entraînant sur le côté de la maison. Nous ne nous
donnonsmêmepaslapeinedepasserparlaported’entrée,lejardinimmenseauxfauxairsdejardinàlafrançaiseestenvahidemonde.La musique résonne partout autour de nous et évidemment une immense piscine remplie de gens
totalementivressedévoilesousnosyeux.Cetendroitesthorrible.Entoutcas,c’estlapremièrechosequimevientàl’esprit.Uncubegrisgéantencadrédebaiesvitréesnoiresquisertdemaison,unjardinenparfaitecontradictionetunepiscineimmenseposéeaumilieudenullepart.C’estsifroid,siaseptisé,sisordide.Mamèreadorerait.Ilyadenombreuxinvités,unimmensebuffet,desserveursetserveusestoutdenoirsvêtusetunepetite
attraction très particulière. Une reproduction géante d’un Monopoli où les gens peuvent placer leurpropreargentdanslebutdemettreenjeuleurvraievoiture,montreouautresbiensdugenre.Jen’ycroispas.Quandonpensequelamoyenned’âgedoitsesituerentrevingtettrenteans,queljolimonde!Etdirequejegrandisaumilieudetoutecettemerde.J’espèrenejamaisdevenirl’undesleurs.Jeferaitoutpour,entoutcas.J’aidéjàperdulerestedemafamille,quis’estrapidementéparpilléaumilieudelafoule.Letempsde
faireletourdecettegrossecomédieetmevoilàseulaumilieudecettemerde.Inutiledepréciserquejen’aiaucuneenviederesterici.Mais jen’aipas troplechoix.Qu’est-cequim’aprisd’accepterde lessuivre?J’aipourtantpassé
l’âge deme laisser influencer par cette bande demalades. Il faut que j’arrête de dire oui pour faireplaisirauxgens,c’estundemesplusgrosdéfauts.Etpuis,si,quandj’étaisplusjeune,jelesadorais,jecrois que les choses ont changé. Je suis le cadet de la bande et ilsm’ont toujours protégé.Seulement
aujourd’hui,ilspensentquejesuiscommeeux,quej’ailesmêmesrêves,lesmêmespréoccupations.Ilsnecomprennentrien,lespauvres.Ilssonttoutcequejerejette,toutcequejeméprise.Jetourneenronddanscetuniversdepaillettesetdedécadence.J’aperçoisDanieletunautretypesur
lebordd’unpilierentraindes’enmettrepleinlenezencomparantleursmontresdeluxe.Annapassedeux fois devantmoi sansme remarquer en gloussant etAntoine est dans la piscine, une fille sur sesgenoux,uneautreluimassantlanuque.Quelbeauportraitdefamille!Jecherchedésespérémentuneboissonsansalcool,maisc’estpeineperdue.Lechampagneetlavodka
coulentàflotetjeviensd’apprendrecequ’estlaMDMAgrâceaucocktaildumêmenom.Ici,personnenesembleavoirdelimite.Jem’enfonceunpeudanslejardin,m’éloignantgentimentdelafoule.Jemedemandequipeuthabiter
dansuncoinpareil. Jemarche tranquillement, remontantparallèlement l’allée. Il fautque je trouveunmoyendequitterleslieux.Horsdequestionpourmoideresterunesecondedeplusici.Entre la drogue, la luxure et l’alcool, on se croirait àCancún versionSuisse. Je n’ai pas prismon
portable,jenepeuxdoncpasappeleruntaxi,etjenecomptepasdemanderàundemescherscousinsdemeramener,jesaisqu’ilsdiraienttousnon,etjenesuispassûrdepouvoirlesretrouverici.Jetourneettourneenrondaufonddeceparc.Soudain,sortiedenullepart,apparaîtdevantmoiune
petiterousse.Ellemeregarde,amusée,sonvisagerondetencoreenfantinmefixantsanslamoindregêne.Elledoitavoirunevingtained’annéesetporteunerobeblanchelégèrementtransparente.Jedoisavouerquecelamedéstabiliseunpeu.Elleestjolie,vraimentjolie.Maisjenevoispascequ’ellefouticietpourquoiellemeregardeainsi.
–Salut!melance-t-elleensouriant.–Euh…salut.
Jenesaispastropquoiluirépondred’autantquejenelaconnaispasdutout,cettenana.
–Tut’esperdu?demande-t-ellejoyeusement.–Non,pasvraiment,mecontenté-jederétorquer.–Hum…Jevois,tufuislasoiréec’estça?–Onpeutdireçacommeça.
Ellesemblevraimentàl’aise.Etjenesaispaspourquoi,maisjemesensenconfiance.
–Dommage,tunesaispascequetuloupes!
Toutàcoup,ellesortunebouteilledechampagnedederrièresondos.
–Tiens,medit-elleentendantlabouteille,çat’aideraàtedétendre!
Jesourispoliment,repoussantlabouteille.
–Nonmerci,jeneboispasd’alcool.
Elleplissealors lesyeux, faisantbattresescils immensesquiencadrentsesgrandsyeuxbleusetserapprocheunpeuplusdemoi.
–Etpourmoi,tuneferaispasuneexception?
OK, je dois avouer qu’elle est assez convaincante.Moi qui neme suis jamais intéressé à la genteféminine,cettepetiterouquinepeufarouchemefaitundrôled’effetetjenedoutepasuneseulesecondequ’elleenapleinementconscience.
–C’estquoitonprénom?medemande-t-elle.–Charles.–OK,Charles,enchanté,moic’estZoé.
Ellemimeunepetiterévérence,sepenchantunpeutrop,merévélantainsiunepartiedesapoitrine.Jemanqued’avalermasalivedetravers,elleneportepasdesoutien-gorge.
–Maintenantqu’onafaitlesprésentations,tupeuxboireuncoup,jepense.
Ellemetendunesecondefoissonfameuxchampagneetjeremarqueparlamêmeoccasionqu’elleneportepasnonplusdechaussures.Unequestionquimefaitrougirtraversealorsmonesprit…Etsielleneportaitvraimentriend’autrequecetterobe.
–Qu’est-cequeturegardescommeça?
Jerelèvelatête,subitementgêné.Elleéclatederireetjefinisparattraperlabouteilleavantd’avalertroisgrossesgorgéesdecechampagneaugoûtsiétrange.
–Alors,Charles,tuperdstesmoyens,semoque-t-elle.
Elleestàprésentàdeuxcentimètresdemoi,etjepeuxsentirl’odeurqu’elledégage,justesousmonnez.
–J’aitoujourseuunfaiblepourlesgarçonsauxairsinnocents,murmure-t-elleentreseslèvresfinesetlongues.
Ellemereprendlemagnum,boit,puisportelabouteilleàmabouche,meforçantàboireàmontour.
–Jesensqu’onvabiens’amuser,touslesdeux,viens!
Ellesereculed’uncoup,attrapantmamainetm’entraînantversl’alléecentrale.
–Zoé,jenesuispassûrdevouloirretournerlà-bas.
Je tente de m’expliquer alors qu’elle fonce droit vers la maison en ne me lâchant pas, ses doigtsfermement entrelacés auxmiens. J’ai la tête qui tourne et je ne sais pas si c’est la faute aux hanchesgénéreusesdeZoésousmonnezouàcechampagnequej’aibuunpeutropvite.
–Net’inquiètepas,Charles,j’aibiencompris!
Elle s’arrête au niveau des dernières voitures garées, me plantant juste devant. Je la vois s’agiter,tentantd’ouvrirlesportières.Une,deux,troisetlaquatrièmeestlabonne.
Elleseretourneversmoi,unpetitsourireaucoindeslèvres.
–Tumontes?
Jesaisquej’aiunedrôledetête,àcetinstant.Jerestefigésurplace,incapabledemonterdanscettevoiture.Devantmonembarras,Zoéritdeplusbelle.
–Allezviens,Charles,lâcheunpeuprise!
Ellefaitletourduvéhicule,s’installeàlaplacedupassager,ettapotesurlesiègeconducteurenmeregardant.
–Allez,Charles,allez!
Etjefinisparcéder,bêtement,melaissantenvahirparmeshormones,perdantquelquepeumafidèleraison.Unefoisàl’intérieurjeconstatequelesclefssontencoresurlecontact.
–Eh oui, ils ne sont pas prudents, dans ce genre de soirée, ils pensent qu’on ne se vole pas entreriches,m’informeuneZoé,amusée,quiobservemaminesurprise.
Samainlongueetfineglissesurmacuisseetjemeraidisinstantanément.Matêtetournedeplusbelleetj’ail’impressionquelepaysageaussi.
–Emmène-moifaireuntour,Charles…glisse-t-elleenremontantsamainsurmonentrejambe.
Jen’aiquequinzeans.Inutiledepréciserquejen’aipaslepermis.Cependant,jeconduisaisémentlesbuggys et les quads dans le grand parc du château depuismes douze ans. Je sais donc conduire unevoiture.Enthéorie.Monespritvogueentredétenteetconfusion.Jenesuispassûrquecesoitunebonneidée.
–Désolé,Zoé,mais…
Pasletempsdeterminermaphrase.Labouchedemarouquineestsurlamienneetelleenprofitepourmeglisser,un«Tuneleregretteraspas»quimeprocuredesfrissonsdehautenbas.Surtoutenbas.
–OK.–Yeahhhh!crie-t-elleenseréinstallantsursonsiège.
Jedémarrelavoiture,prendsmesrepères,allumelespharesetjereculedoucementdansl’allée.Cen’est pas bien compliqué. Étrangement, je ne suis pas du tout inquiet. Au contraire, je suis mêmeparfaitementdétendu.C’esttrèsbizarre,sansdouteest-celechampagne,jemesenscommeinvincibleeteuphorique.
Noussortonsdoucementdelapropriétésansquepersonnenenousremarque.Zoéabranchélaradioetchantesurlesairsdeschansonsquipassent.Ellechantesuperfauxetj’aienviedememarrer.Oui,j’aivraimentuneputaind’enviedememarrer.Jenecomprendspascequ’ilm’arrive.Jetourneàdroitesurlapetiteroutequim’aamenéicideuxheuresplustôt.Iln’yapasd’éclairageetçaaussimedonneenviede rire. Je regarde les gros arbres autour de moi et j’ai l’impression que leurs branches bougent ets’allongentdanstouslessens.
–Zoé?–Oui?medemande-t-elleenseregardantdanslepare-soleil.–Jecroisquejesuisbourré,dis-jeenrigolantàmoitié.Jeneboisjamais,tusais,tenté-jed’articuler.
Jelavoissourireencontinuantdeseremaquilleroujenesaisquoi.
–Jenepensepasquecesoitlechampagne,Charles,semarre-t-elle.Plutôtcequ’ilyavaitdedans,tuvois!Ets’ilteplaît,accélèreunpeu,onavanceàvingtkilomètresheure.
Jejetteuncoupd’œilaucompteur:eneffet,cen’estpasglorieux,etvoilàqueçamefaitrireaussi.Jeparstoutseuldansunfourire.Zoétapedanssesmainsetseremetàchanter,semarrantàsontourenmeregardant. Je ne contrôle plus rien, tout me semble psychédélique. J’accélère un peu, atteignant lesquarantekilomètresàl’heure.Jel’observeglissersesdoigtsdansmescheveuxenseléchantleborddeslèvres,mefaisantclairementcomprendrecedontelleaenvie.Jesuisexcitéetcomplétementlibéré.Jelaregarde,nemesouciantguèredelaroute,pensantplutôtàtoutcequejepourraisluifaire.Jesuisunautrehomme,cesoir.
Jetournelatête,lecorpsenfeu,regardelaroute,despenséesoséespleinlatêteetc’estalorsque…BAM.
Lechoc.Unbruitsourd.Unimpact.Unesecondehorsdutemps.Uneredescentebrutale.
Je freine d’un coup, pilant, stoppant la voiture, le regard droit devant. Paralysé, je n’arrive pas àréaliser,jesuisperdu,choqué.JemetourneversZoé,mesdeuxmainstremblantessurlevolant.Elleestblanchecommeunlinge.Elletournesatêteversmoi,mefixeàsontour,observantlavoituredanstouslessens.D’unmouvementbrusque,ellesejettesurlaportièreetl’ouvre.Qu’est-cequ’ellefout,putain?Ellefinitpardescendre,sansunmot,sansungeste.Seulesonexpressiontrahitsafrayeur.Ellemelanceundernierregardetjecomprends.Jecomprendsqu’elleestentraindemeplanterlà.Oui,Zoéprendsesjambesàsoncouetfuit.Jen’aiplusenviederire,plusdutout.Jesuisseulaumilieudelaroute,dansunenuitnoireoùseullespharesdelavoitureéclairentlachaussée.
Je regardepartoutautourdemoi,ne sachantque faire,m’apprêtantà sortir,quand je l’aperçois.Unportable.Unportableposédanslaportegobeletcentral.Jel’attrape,lefaittomberàplusieursreprisesavant d’enfinmaîtrisermes tremblements. Il est allumé et n’a aucun code de verrouillage. Je le fixe,prenantmarespiration,prenantconsciencedecequiestentraindesepasser,decequejem’apprêteàfaire.Jerespireunedernièrefois,commeavantunconcertoetjecomposelenuméro.
Unesonnerie,deux,trois,etildécroche.
–Allô?–Dad,tenté-jed’articuler,unénormenœudaumilieudelagorge.–Charles?C’esttoi?medemande-t-ild’unevoixétonnée.–Papa,jecroisquejeviensdetuerquelqu’un.
19-Tristeréalité
Retourdansleprésent
J’observel’aviondemonpèrequitterlapistepourrejoindrejenesaisquelledestination.Jesuisseulsur le tarmac, appuyé sur la portière de mon Land Rover. Je fixe le ciel, tentant d’y trouver unequelconque réponse. Je suis à présent sûr qu’il y a un lien entre cette vieille histoire que je pensaisenterréeàtoutjamaisetl’agressiondeBulle.Lequel?Jen’ensaisrien.Maisjevaisforcémentenpayerleprix.
Etlepiredanstoutça,c’estquesijeveuxledécouvrir,jedevraitoutluiraconter.Etd’unemanièreoud’uneautrejelaperdrai.AucunefillecenséesurcetteTerrenevoudraitfairesavieavecunlâcheetunmenteur.Jen’aipluslechoix.Enfinsi,jepourraistoujoursfuir,abandonneroucarrémenttireruntraitsurmabrindille.Mais l’heuren’estplusà la facilité.Jecroisqu’ilest tempsque jemelibèred’unpoidsbientroplourdàporter.Quellesquesoientlesconséquences.C’estdoncbiendécidéquejeremontedansmavoiture,allumelecontact,quittelapisteetprendsladirectiondelamaison.
Sur la route, des centaines d’images défilent dansma tête. Je replonge des années en arrière et jecomprendsbeaucoupdechoses.Dans lavie,contrairementàceque l’oncroit,nousavons toujours lechoix,noussommesmêmelaconséquencedenoschoix.Ilyadixansdeça,j’aichoisimoncamp,etsansm’en rendre compte ilm’a conduit directement en enfer. Je ne l’ai pas vu tout de suite, je ne l’avaisd’ailleursjamaisréaliséjusqu’àcemoisdemai.Jusqu’àcequeMaxdisparaisseetquemonmondeencartons’écroule.Quellebellecomédie…Dixansà faire semblant,dixansàm’enfoncerdans lapeaud’unautre.Dixansàjouerlesdurs,àtireruntraitsurtoutcequiauraitpuêtrebon.Etpuis.Etpuisunsourire,delongscheveuxchâtains,degrandsyeuxbleus.Bulleestentréedansmavieetcommejen’aicessédelerépéter,elleyafoutuunsacrébordel.Unmalpourunbien.Oupas.Jenesaispas,jenesaisplus.Laseulechosedontjesuissûrec’estquejesuisprofondémentamoureuxdecettefille.Jepensaisquecelanepourraitjamaisarriver,quemesrempartsétaientassezsolidesetinfranchissables,maisBullelesafaitsauterunparun.Ellem’aouvertlesyeuxsurceluiquej’étaisdevenu,surtoutcequej’aifoutuenl’air,surtoutcequej’auraispuéviter,surtoutcequej’ailoupé.Elleaétélàpourmoidanslepiremomentdemavie,meramassantlespiresmatins,devantlaporte,allongéetivre,appelantMaxcommes’ilétaitencoreici.Ellem’atenulamainpendantdessemaines,aacceptétoutesmescolères,toutesmesexcuses,tousmessilences.ElleaétélàpourGabie,jouantlerôled’unegrandesœur,d’unemère,plusparfois.Souvent.Elleasumemontrerquedanslavie,rienn’estfacile,qu’ilfautsavoirsebattre,serrerlesdents,avancer.
Bulleatraversébiendesépreuvesetelleesttoujoursdebout,elleregardedevant,ellesesertdesessouffrancescommed’unmoteur,ellesebatetellerestefidèleàelle-même.Elleesttoutcequejen’aipassuêtre.Etelleméritelavérité.Personnenelamériteplusqu’elle.Parcequejel’aimeetparcequec’estsûrementleprixàpayerpourtoutesceserreurs.
Jesuisprêt.
Jen’aipluspeur.
J’enassumeraichaqueconséquence.
Jemegarejustedevantlaportedenotredépendance,éteinslesphares,descends,fixel’entrée.
Il fait froid, terriblement froid et pourtant je ne sens rien. Je souffle un grand coup, ferme les yeuxquelques secondes et jemedécide à entrer. Il n’y aplusdemarche arrièrepossible, plusde secondechance.Jem’apprêteàmontouràfoutrelebordel.
***
Quandjefranchis leseuil,cesontdeuxpairesd’yeuxétonnésquis’arrêtentsurmoi.LydiaetGabiesontassisesdanslesalonetjeperçoislesfuséesquis’échappentduregarddemapetitesœur.
–Maisputain,Charlie, tuétaisoù?Onaessayédet’appeleraumoinstroismillefois!Tuterendscompteque…
Elle continue son baratinmais je ne l’écoute pas. Jeme dirige droit vers la porte dema chambre,retirantmavesteaupassage,lajetantsurledossierducanapé.
Jetoquedoucementàlaporteavantd’entrer.
Lapetite lampedechevetestencorealluméeetunedouceodeurde jasminaenvahi lapièce.Bullesembleendormiesousmagrossecouetteblanche,maisquandellem’entendentrer, sondouxvisagesetournedélicatementversmoietunimmensesourirevientilluminerleslieux.
–Charles,murmure-t-elle.–Bulle.
Jem’avancealorsqu’elleseredressedanslelitetjesouristendrementendécouvrantlabeletterouléeenboule contreunoreiller. Jem’assiedsdoucement auborddumatelas, contemplantmabrindille quisemblesiheureusedemeretrouver. Jesavourecet instant,comprenantparfaitementàquelpoint ilestimportant. J’observe ses grands cils qui battent au-dessus de ses yeux bleus, comme les ailes d’unpapillon.Sapetiteboucheroséeetcharnue,sesmagnifiquescheveuxet sonvisagedepoupée.Bulleatoutd’unange.Elleaapportétoutcequimanquaitàmavieetm’aoffertcommeunesecondechance.Ilest temps que j’en sois digne. Je passe unemain délicate sur sa petite joue. Sa peau est si douce. Jesoupire,sachantpertinemmentcequejem’apprêteàfaire.
MaisBullem’attireàelleetseblottitcontremoi.Sonsoufflecaressemoncouetellevientglissersesmainsdansmescheveuxdansungestepossessif.
–Charles,j'aibesoinquetumefassesoublier,susurre-t-elleenapprochantsabouchedelamienne.
Jesaisisalors toute la teneurdesaphrase, toutcequ’elle renferme, toutcequ’elle tentedecacher.Bulleabesoindemoi,commej’aibesoind’elle.Justeelleetmoi,soncorpset lemien.Unedernièredanse.Jelesais,jelesens,aveccequejem’apprêteàrévéler,iln’yauraplusdemomentspareils.
Jepassemesdoigtsdans sescheveux, replaçantunemèchederrière sesoreilles.Ellemesemble sifragile,àcetinstant,etpourtantjenepeuxnierledésirquis’emparedenosâmes.Jelevoisdanscesyeuxcommeelleledevinesûrementdanslesmiens.Sapeausecouvredefrissons,toutcommelamienne.
–Bulle,murmuré-jeavantdelaplaquerencorepluscontremoi.
Ma bouche sur la sienne, je croque doucement dans ses lèvres charnues. L’émotion est palpable,commesi le tempssesuspendait.Cettechambre,machambre,devientuneparenthèse. J’oublie toutcequejeviensdedécouvrirettoutcequim’attend.J’oublielepasséetlefuturcarBulle,allongéedanscesdraps, estmonprésent. Je savoure le goût de sa bouche, cette note sucrée, épicée, unique.Ma languedanseaveclasienne.Lentement.Sensuellement.Passionnément.
Mesmainsseposentsursesépaules,glissentlelongdesesbras,entraînantavecellesletissudesonpetitdébardeur.Sapeau,sidoucequej’admiretant…
Bulle attrapemon pull et le passe par-dessusma tête. Elle ne dit rien etmoi non plus. Nous n’enn’avonspasbesoin.Jemordillesesdoigtsquisepromènentsurmonvisage,etelleenexploretouslescontourscommesiellemevoyaitpourlapremièrefois.Jepassemesmainsdanssondosetdégrafesonsoutien-gorge.Sapetitepoitrineserévèleàmoietjelacouvreaussitôtdebaisers.Jedescendsjusqu’àsonnombril,plaquantmesmainssursataillefine.
Jedévorechaqueparcelled’elle,lacouvrantdetoutmonamour.Jenemecacheplus,jenejoueplus,jeprofitedechaqueseconde,chaqueinstant.Jeretiremontee-shirtetsesdoigtsseperdentsurmontorse.Jefrissonnequandellepassesurmonventre,qu’ellemecaresse,qu’ellemetouchecommeellesaitsibienlefaire.
Jenetiensplus.
Jel’attrapeetlatireversmoi,quisuisencoreassisdevantelle.Ellepassesespetitesjambesdepartetd’autredemoncorpsetseretrouveainsiàcalifourchonsurmoi.
Jelaserresifortquej’aipeurdelabriser.Jesenslachaleurdesoncorpsetsonbassinquisefrotte,
provocante,contremoi.Ellesetortille,setrémousse,mefaitclairementcomprendrequ’elleenaautantenviequemoi.
Jenousfaispivotertouslesdeuxsurlecôté,sibienquejemeretrouveau-dessusd’elle,toutauborddulit,duquelnousmanquonsdetomber.
Bullesemetàrire.Cerirequimerendfou.Foud’elle…
Jeglissesonpantalonlelongdesescuissesavantd’enfairedemêmeaveclemien.Jesourisdevantsapetiteculotteencoton.Toujourssiinnocente,sisimple,siBulle…
Je dépose de doux baisers sur le tissu, la sentant gigoter au-dessus demoi. Elle est toujours gênéequandjefaisça.Siellesavait,pourtant,àquelpointelleestbelle,àquelpointj’aimelavoirsifragile,sisexy.
Je remontedoucement, chatouillant sonnombril duboutdema langue,meperdant ànouveau sur sapoitrine.Puis je penchemonvisage au-dessusdu sien avant devenirmeperdredans sesgrandsyeuxbleus.
C’estfou…Onpourraitpresqueyvoirleciel,lesétoiles,l’infini.
Jel’embrasseencoretandisqu’elleseséparedesapetiteculotte.Monboxernetenantpluslecoupnonplus,jeleretireàmontour.
Jesuisnu,au-dessusdeBulle.Unenuditéquivabienplusloinquelephysique.Jeluioffremonâme,moncœur,mestripes.
Jeveuxluifairel’amour.Jeveuxqu’ellesesouvienne.Commeunepremièreoucommeunedernièrefois.
J’ouvreletiroirdematabledechevetenj’ensorsunpetitcarré.LaréservedeCharlesDumontquandiln’étaitencorequ’unbelenfoiré.
Etàprésentquej’aitoutquitté,quelemeilleurestarrivé,jevaissûrementtoutperdre.Quelleironie…
Bullenemequittepasdesyeuxetc’estellequimepousseenappuyantsesmainscontremontorse.Jemeretrouveassisfaceàelleetelleseredresse,attrapantlacapotequejetiensdanslamain.Elledéchirel’emballageduboutdesespetitesdentsetendeuxsecondessesdoigtsglissentsurmonsexe,surlequelelleenfilelaprotection.Ellenequittepasmonmembreets’yattardemême.Lamaintoujoursfermementenrouléeautour,ellem’envoûtepardelentsva-et-vientquiaugmententmondésir.Sesprunellesbrûlantesme promettent une douce jouissance. Je sens ma queue pulser entre ses doigts fins. Je ne peux
m’empêcherdesaisirsapoitrinedansungestepossessif.Prenantlemêmerythmequ’ellem’inflige,jelesmasseetsenssestétonsdurcirsouslapulpedemesdoigts.Soudain,Bulledisparaîtdemonchampdevisionetjesenstoutàcoupquelquechosedechaudsurleboutdemongland.Jefrissonnedetoutespartsquandjesenssespetiteslèvresm’engloutir.Bullen’avaitencorejamaisosés’aventureraussiloinavecmoi,etj’ail’impressionquec’estunepremièrefoispourmoiaussi.Découvrircettenouvelleassurancem’émerveille. Sans savoir pourquoi, toutesmes sensations sont décuplées quand je fais l’amour àmabrindille. Je ferme les yeux sous les vagues de plaisir qui m’assaillent. Ma rebelle continue sesmouvementsdivins,jouantdesalangueetdelapressiondeseslèvressurmonmembre.
Quandjesensquejenepeuxpluscontenirlamontéedemondésir,jefaiscomprendreàBullequecen’est pas dans sa bouche que je veux jouir. Je veuxme perdre en elle.Bulle garde lamaîtrise etmechevauchepourprendrepleinementpossessiondemoncorps.Jemelaissefaireetelleposesesmainssurmes épaules. Je manque de m’évanouir tant le désir pulse dans mes veines. Nos corps s’emboîtent.J’empoigne sespetites fesses, etBulle se redressepourvenir s’empalerdirectement surmonsexe.Legémissementqu’ellepousseestexquis.Sessoupirslangoureuxseperdentdansmatête,nousemmenanttouslesdeuxdansuneautredimensionoùplusriend’autren’existe.Jeglisseleplusloinenelletandisquesesongless’enfoncentdansmondos.Bulledanseau-dessusdemoi, lespaupièresferméessouslavoluptéquil’entraîne.Sonvaginsecontractesouslesassautsqu’elle-mêmecontrôle.Sonclitorisfrottecontremoncorpsetj’admiresonvisagesetransformersouslajouissancequimonteenelle.
Soudain,elleposesondouxvisagecontremonépauleetc’estainsiquenousterminonscettedanse:unisdansdesva-et-vientlentsetintenses.Jusqu’àl’explosion,lesommet,laconsécration.
Nousnouslaissonstombersurlacouetteépaisse,etBulleseréfugiedansmonétreinte.
Je ferme lesyeuxquelques secondes, le tempsde reprendremesesprits, tandisqu’ellecaressemontorseduboutdesdoigts.
Le tempsdéfile et nous restons ainsi, blottis l’un contre l’autrede longsmoments. Je suisoccupé àfixerleplafond,lesmainsderrièrelatête,l’espritailleurs.
Bulleseredresse,penchesonvisaged’angesurlemien:
–Charles?Qu’est-cequ’ilya?Tues…
Ellecherchesesmots.
–Différent,finit-elleparconclure.–Aufait,est-cequeledocteurestvenu?demandé-jeenfuyantsaquestion.–Oui.Iladitquecen’étaitrien, justeunesortedecontrecoup.Jedoismereposer,c’est tout.Mais
Charles,oùétais-tu?Ques’est-ilpassé?Toutestflou,tusais…Matêtemejouedestours,ledocteurditque…
–Bulle,ilfautquejeteparle,luiindiqué-jeenmeredressant.
Jenelalaissepasfinirsaphraseetellefroncelessourcils,surpriseparmontoncalmeetdécidé.Ellepenchesondouxvisagesurlecôté,essayantdelireàtraversleslignes,cherchantaufonddemesirisdesréponsesàsesquestions.Jeposemamainsurlasienne,laserrantfort,mélangeantmesdoigtsauxsiens,savourantchaqueseconde–nosdernièressecondes.
–Jepensequ’ilyabienunlienentremonpèreettonhistoired’agression.
Elle s’apprête à me répondre, semblant ne pas comprendre ce que je suis en train de raconter, etsoudain,sesyeuxs’assombrissent.Lamémoireluirevient.Jesenssesdoigtslâcherlentementlesmiens.Unsipetitdétailqui,pourtant,metranspercelecœur.Maisplusaucunemarchearrièrepossible.
–Charlesje…jenecomprendspas.Qu’est-cequeturacontes?–JeconnaisLucDerentes.
Etlapremièrepierreestlancée.
Samainseretirecomplètementdelamienne,elleseredresseencoreplus,reculant,s’éloignantdemoi.
–CommentçatuconnaisLucDerentes?sefige-t-elle.– Jevais t’expliquer. Je te lepromets.Maisavant, jevoudraisque tu sachesunechose,Bulle.Une
chose essentielle.Quoi qu’il arrivepar la suite, quelles qu’en soient les conséquences, je ne cesseraijamaisdet’aimer.Tuentends?Jamais.Tum’assauvé.Sanslesavoir,sanslevouloir.Etjenepourraienaucuncasl’oublier.Tuescequiestarrivédemieuxdansmavie,cedontj’aitoujourseubesoin,cequejepensaisimpossible.Tuesformidable.Ohoui,formidable.Tuestoutcequej’auraisaiméêtre,Bulle.Tuesforte,courageuse,déterminée,sincèreetj’enpasse.Tuasétélalumièreaumilieudemesténèbres.
Jecaressedoucementsescheveuxetelleselaissefaire,attrapantmêmemamain,plongeantsesyeuxhumidesdanslesmiens.Toutl’amourquisedégagedecetinstantesthorrible.Toutesceschosesquejelis dans chaque clignement de ses paupières sont horribles. Imaginer à quel point cela aurait pu êtremerveilleuxesthorrible…
– Charles… souffle-t-elle. Pourquoi ai-je cette horrible impression que tu t’apprêtes à me révélerquelquechosedeterrible,articule-t-ellelagorgepleinedesanglots.–Parcequeçal’est,Bulle,parcequeçal’est,toutsimplement.
Derniersoupir,dernierregard,dernierinstant.
Jedétachemamaindelasienne,etjecommencemonrécit,unpiedderetourenenfer.
–L’annéedemesquinzeans,jesuispartienvacanceschezmesgrands-parentsavecmescousins.Celafaisaitdéjàtroisansquej’étaisélèveauprestigieuxconservatoiredeLondreset,àcetteépoque,l’argentdemonpèren’yétaitpourrien.
Jelislasurprisesursonvisageetjecontinue.
–Lepianoc’étaittoutemavie,Bulle,tuasvujuste.J’étaispromisàunavenirradieux,etjenevoyaispasmavieautrement.Jen’avaisrienàvoiravecceluiquetuasconnu,celuiquetuconnais.Jepensequetunemecroiraisd’ailleurspas…soupiré-je,pleindenostalgie.Enfinbref,continué-je.Unsoir,j’aiacceptéd’accompagnermescousinsàunesoiréeoùilsétaientinvités.Legenredesoiréesoùtuauraispumerencontrercesdernièresannées.Saufqu’àl’époquejen’avaisjamaismislespiedsdansuntelendroit.Pourtouttedire,jenelevaisjamaislenezdemonpiano.Jevivais,jedormais,jerespiraispourlamusique.Alorsquandj’aiatterrilà-bas,autantt’avouerquejenemesuispassentiàmaplace…J’aitrèsvitefuileslieuxetjemesuisunpeuperdudanslejardin.Là,unefilleadébarquédenullepart.Tusais,Bulle,j’étaisjeune,jenesortaispasdechezmoi,jen’avaispasl’habitudeaveclesfilles…Etellel’abiencompris.C’estpeut-êtrecequiluiapluchezmoi.L’innocence.
Bullesouritàcettephrase.Unpetitsourirediscret,perduaumilieudecettesombreexplication.
–Ellem’afaitboire,m’aproposéuntourenvoiture, jemesuislaisséséduire,bêtement,commeunadostupidequidécouvrelespremiersémois.Jemesentaislibre,tucomprends?L’alcool,cettefillequimefaisaitdurentrededans,lanuit,toutçac’étaitnouveaupourmoi.J’aiprislevolantd’unebagnolequin’étaitpaslamienne,j’aiprislaroute,j’aifoncé,jen’aipasréfléchi.Etpuis…
Jesoupire,baisselesyeux,n’osepasaffronterceuxdeBulle.J’aiconsciencequejem’apprêteàluirévélerlepire,quetoutvabasculeretqueplusrienneserajamaiscommeavant.
–J’étaisdansunétatsecond,prisdansl’euphoriedelasituation.Ilasuffid’uneseconde.J’aiquittédesyeux la routeuneseconde.Uneseuleseconde. Ilyaeucebruithorrible,Bulle,celuiqui teglacejusqu’auxos.J’aistoppé lavoitureet je l’aivu.Là,étendusur la routedéserte,devant lesphares.Uncorpsallongéetinerte.
Je tentedenepasme laisser submergerparmesémotionsà l’évocationdecedouloureux souvenir,maiscen’estpasévident.Bulleplaceunemaindevantsabouche,n’arrivantpasàréalisercequejesuisentraindeluiraconter.
–Jen’aipasréussiàdescendre.Lafillequim’accompagnaitaprislafuiteetmoijesuisrestécommeunconàregardercecorpsétendu.Ilyavaituntéléphonedanslavoiture.Etaulieud’appelerlessecours,aulieudevenirenaideàcettepersonne,j’airegardélecombinéetj’aicomposélenumérodemonpère.Puistoutestallétrèsvite.Ilm’adonnédesordresprécisetjel’aiécouté.Jenesavaispascommentagirautrement.J’aiabandonnélavoitureetj’aicouruenarrièrepourreveniràlafête.Ilnedevaitpasyavoirplusd’unkilomètre.J’airetrouvémescousins,respectantàlalettrelesconsignesdemonpère.J’aifait
commesiderienn’était,commesijen’étaisjamaisparti.Deuxheuresplustard,lesflicsontdébarquépourinterpelerlepropriétaireduvéhiculeetmoi,jesuisrentréaveclerestedemafamille.Autanttedirequejen’aipasbeaucoupdormi,hésitantàdenombreusesreprisesàtoutallerraconteràlapolice.Puislejour a fini par se lever et l’apparition des premiers rayons de soleil a accompagné l’arrivée del’hélicoptèredemonpère.Ilestvenumetrouverdansmachambrealorsquetout lemondedormait, ils’estassissurleborddulitetilm’aditquetoutétaitréglé,qu’ilnefallaitpasquejem’inquiète.Moi,ilfallaitque jemetaise.C’est toutceque jedevaisfaire.Metaire.Si jeparlais,si jemedénonçais, jepouvaisdire adieuàmacarrière etma famille serait trainéedans laboue.Tucomprends, lepetit filsDumontivrequivoleunevoitureetconduitsanspermisavantdevenirpercuterquelqu’un,cen’estpascequ’ilyademieuxpourlaréputationd’unempirefamilial,sigrosetpuissantsoit-il.Àpartirdecejour,mavieaprisunvirageà360degrés.Jenedormaisplus,jenemangeaisplus,jenejouaisplus.J’aiquittéleconservatoire,jesuisrevenum’installericietjemesuisenfermédansunprofondmutisme.Celaaduréquelquessemainesavantquemonpèresedécideàprendreleschosesenmain,àsamanière.Iladébarquéunbeaumatindansmachambreetilm’agentimentfaitcomprendrequ’ilétaittempsd’arrêterdejouerlesvictimes.Jeluiairétorquéquejen’arrivaispasàvivreaveccepoidssurlesépaules,quej’avaistuéquelqu’unetquejedevaismedénonceràlapolice.Là,ilaexploséderire.Sonhorriblerirecyniqueetfroid.Ilm’aapprisquepersonnen’étaitdécédé.Commeça,commesic’étaitévident.Lafillequej’avaisécrasée,parceque,oui,c’étaitunefille,étaitdansunétatd’ébriététotalquandlavoiturel’apercutée.Elleafiniavecplusieurscôtescassées,denombreusesfracturesetdebellescicatrices,maiselles’enesttirée.Cependant,ilabienfallutrouveruncoupablepourlevoldelavoitureetl’accident.C’estlàquej’aientenduparlerpourlapremièrefoisdeLucDerentes.Monpère,jenesaispascomment,a trouvé unmec pour porter le chapeau.Enfin, ilm’a tout demême expliqué que cela lui avait coûtéquelquespetitsmillions,maislargementdequoiassurernotretranquillité.Letypeafaitdelaprison,uneannéeàpeineet,quandilestsorti,ilatouchélejackpotetnousn’avonsplusjamaisentenduparlerdelui.Lasuite, tu laconnais.Jemesuisnoyédans toutessortesd’excèspouroubliercettehistoire,pouroublierquejen’avaisaucuncourageetquelleordurej’étais.Jen’avaisplustouchéàunpianoavantquetu entres dansma vie et je ne pensais pas le refaire un jour. Il était bien plus facile pourmoi demeprotéger derrière cette façadedemecpourri. Seulement,maintenant, les choses sont différentes. Je nesaispascequ’estdevenuceLucDerentes,maisilyavisiblementunlienentremonhistoireetlatienne.Etjeveuxdécouvrirlavérité.
–Charles…m’interromptBulle.
J’essaiedeliredanssesyeuxunequelconqueréaction,maissonregardestvideetfuyant.
–Jepensequ’ilyaeffectivementunlienentrecesdeuxhistoires.Jepensequetonpèrecachesûrementquelquechose,maisjenesuispassûredevouloirdécouvrircettechose.–MaisBulle!Ildoitpayer!Ildoitpayerpourcequ’il t’afait!Ettantpissi,pourça, jedoistout
raconterauxflics!Jenepeuxpassupporterl’idéequ’ilt’aitfaitdumal,jenepeuxpaslelaissers’entireréternellementavecsesmanipulationsetsesmensonges!lâché-jeavecferveur.
Mabrindillesoupire,détournelevisage.
–Charles,jecroisquetunecomprendspas.Jenesaispassituréalisesbiencequetuviensdemerévéler.Jemedoutaisquetucachaisdeschosesdetonpassé,maisjamaisjen’auraisimaginéque…–Bulle,jet’enprie,nemecondamnepas.Jet’assurequ’iln’yapasunjouroùjeneregrettepasce
quej’aifait!–J’aimeraisquetusortes,murmure-t-elledoucement.–Pardon?– J’aimeraisque tu sortesdecette chambre…Je…J’ai… tente-t-elled’articuler. J’aibesoind’être
seule,melance-t-ellesansgrandeconviction.
Jemesensmal,vide,décevant.Jevoisbienqu’elle tentedenepas lemontrer,maisqu’ellesesenttrahie. Pour ne pas dire choquée ou peut-être même dégoutée. À quoi m’attendais-je ? Hein ?Forcément…Ellen’allaitpasmesauterdanslesbras.Ellepensaitconnaîtrelepire,elleadûêtreservie.
Jetented’attrapersamain,derenouerlecontact,deluifairesavoiràquelpointjem’enveux,maiselleseretire,mefaisantclairementcomprendrelefonddesapensée.
–Charles,jet’enprie…
Etlàvoilàquimesupplie,lagorgenouée,lesyeuxhumides.Mabrindillemepriedelaquitter,commesimaprésenceétaitunréelsupplice.
Jemelève,cherchantsesdélicieusesprunelles,maisrienn’yfait.L’espoirestvain,presquemort.JesuisCharlesDumontetjequittelachambre,abandonnantlaseulechosequidonnaitunsensàmavie;abandonnantBulle.
20-Découvrirlavérité
J’aipasséunenuitdemerde.Jepensequec’estinutiledelepréciser.Déjàparcequej’aidormisurlecanapé,ensuiteparceque j’aieuunsommeilplusoumoinsagité.J’aihésitéplusieursfoisàme leverpourrejoindreBulledansmachambre,maisjemesuisditquecen’étaitpasforcémentlameilleuredeschosesàfaire.
Vers les cinq heures dumatin, j’ai enfin réussi àm’endormir un peu profondément,mais à 6 h 45précises,j’aiétéréveilléeparGabie,quidescendaitprendresonpetitdéjeuneravantd’allersepréparerpourl’école.
Àprésent,ilest7h30,jesuisseuletjetourneenrondcommeunlionencage.Bullen’esttoujourspassortie.Çamerendcomplètementcinglé.Jepourraissimplementallerouvrir laporteet luidemanderàgenoux de bien vouloir m’excuser un bon millier de fois, mais la connaissant, je suis sûr que ça neserviraitpasàgrand-chose.
Etpuis,peut-êtrequ’elledort,toutsimplement!Ledocteurluiaconseillédesereposeretluiamêmeprolongésonarrêtdetravaildedeuxsemaines.C’estGabiequimel’aexpliquéavantdepartir.Elleaaussiajoutéquej’avaisvraimentunesaletronchecematin,cequin’estpasfaux.Jemedécideàmefairecouleruncafé.Jecroisquej’aigrandbesoind’unremontant.Lacuisineestimpeccablecommed’habitude.Lydiaestvraimentunegouvernanteenor.
Jechercheune tassedans lesplacards,mets lamachineen route, etm’appuie sur leplande travailcentralenattendantqu’ellesoitchaude.Pendantquemoncafécoule,jenetrouveriendemieuxàfairequed’alleràpasdeloupsjusqu’àlaportedemachambrepourécouterautravers,sijen’entendspasmabrindille.
Je divague à plein tube.Après toutes ces émotions, elle ne va pas se lever aux aurores ! J’ai l’airpathétique…Maisquandmême!S’illuiestarrivéquelquechose?Siellearefaitunechutedetension?S’ilyaeudescomplications?Etpuismerde,j’aienviedeluiparler,j’aienviequ’ellemepardonne!Demi-tour,hésitation,pasenarrière,pasenavantetjemedécideenfinàfrapper.Tantpispourl’heurematinale. Elle se rendormira plus tard s’il le faut. Aucune réponse au bout de quelques secondes.Deuxièmetentative,unpeuplusfortecettefois.Toujoursrien.J’attendsencoreunpeu,jerecommenceetm’adresseàelle:
–Bulle?Bulletueslà?C’estmoi,Charles.
Toujourspasunbruit.Jecommenceàflipper.Cen’estpaspossible.Ilsepassequelquechose.
–Bulle?Bulle,réponds-moi,aumoins!Toutvabien?
Cettefois,c’enesttrop.J’ouvrelaportesansréfléchirunesecondedeplus.Etlà…Jetombedesnues.Jen’arrivepasàycroire.Lesvoletssontouverts,lelitestfaitet,surtout,Bullen’estpluslà.Lapièceestvide.Cen’estpaspossible!Jen’aipasrêvé,jel’aibeletbienramenéeicihiersoir.Jenesuispasfou,dumoins, pas à ce point.Quand est-elle partie ? Pourquoi ne l’ai-je pas entendu ?C’est impossible,bordel,j’étaissurlecanapétoutelamatinée…
Jeparcourslapiècedesyeux,m’arrêtantsurlelit.Ilyaunpapierpliéendeuxposésurlacouette.Etévidemmentc’estmonnomquiestinscritengrosdessus.Jesouffleungrandcoup.Commentpouvait-ilenêtreautrement?C’estévident.Elleestpartie.Jedevinedéjàlesquelqueslignes,jen’aimêmepasbesoinde l’ouvrir. J’auraisdûm’endouter.Commentune fille aussidroite et sincèrepouvait pardonner àunpourridansmongenre?
Je m’assieds sur le matelas et attrape le bout de papier. Je le fixe quelques secondes, je saispertinemmentqu’iln’augure riendebon. Jemedécideà ledéplier. Iln’yapasgrand-chosed’inscrit.Quelquesmotsseulement.L’essentiel,lecoupdegrâce,l’évidence.
Charles,
J’aibesoindeprendredurecul.Nemecherchepas,s’ilteplait.Laisse-moidutemps…
B.
Très concrètement, je ne sais pas trop comment interpréter la chose. Il n’y a rien d’absolumentdramatique,maiscen’estpasnonplusladéclarationd’amourdel’année.Elleabesoinderecul,OKjeveuxbienlecomprendre.Quin’enauraitpasbesoinaprèscesquelquesjoursetcetaveu?
Nepas lachercher.Là,c’estdéjàplusproblématique.Rienquecettephrasem’agace.Oùest-elle?Ellen’aplusd’appartement,pasdefamilleetsûrementpasassezdesouspouralleràl’hôtel.J’espèrequ’ellen’estpaschezuneespècedeconnardquejeneconnaispasetquipourraitprofiterdesafaiblesseactuelle.
Laisser du temps. OK, ça rejoint bien, le « prendre du recul », mais qu’est-ce qu’elle entend partemps?Unejournée?Oudeux?Jenetiendraipasplus,detoutefaçon.
Quantàlasignature,ellemerenddingue.«B.».Riendeplus.Mêmepasunprénomentier,mêmepasun«Jet’embrasse»,mêmepasun«Àbientôt»ou«Bravopourcequetuaseulecouragedemedire,
j’imaginequeçan’apasdûêtrefacilepourtoi».
Jedéchirelemot,laissantretomberlesboutsdepapiersurlamoquetteépaisse.Jen’aipluslechoix,jen’aiplusqu’unechoseàfaire:attendre.
Unesemaineplustard
Voilà…Celafaitunesemaine.Uneputaindesemainequejen’aipaseudenouvellesdeBulle.Jesuisd’unehumeurde chienet jeme suismêmepris la tête assezviolement avecma sœur, cematin, avantqu’elle parte à l’école. Elle prétend n’avoir aucune nouvelle non plus,mais je ne suis pas un abruti.Gabieestalléequatrefoisauxécuriescommechaquesemaine,ilnefautpasmefairecroirequ’ellen’yapas vu ma brindille. Hors de question de me faire prendre pour un con, je lui ai clairement faitcomprendre.Ellem’ad’ailleursrétorquéque jen’avaisqu’àallervérifiermoi-mêmeetm’aclaqué laporte au nez. Si elle pense que je n’ai que ça à foutre… Je ne vais pasme rabaisser à ça. Hors dequestion.Jenesuispasungentiltoutoubiendresséquisouhaiteretrouversamaîtresse.OK,j’aimerdé,OK,jel’aidéçue,OK,l’enchaînementn’apasdûêtreévident,maisbordeljeluiaidit!Jeluiaiditlavérité!Jen’étaispasobligé,àcequejesache!
Jegrogne,marchantdelongenlargeàtraverslesalon,mainsvisséessurlecrâne.
J’aienviedetoutpéter,detoutenvoyerenl’air,detoutcasser.Çanepeutplusdurer.Auxchiottesmafierté,jevaisalleràsesfoutuesécuries,etjevaist’ymettreunsacrébordel,paroledeCharlesDumont.
Jeprendsrapidementunedouche,enfileuntee-shirtpropre,maisneprendspasletempsderasermabarbed’unesemaine.J’avoueque,depuisqueBulleestpartie,ilyaeucommeunlégerlaisser-aller.Ilfautdirequejenevoyaispasl’utilitédemeraserpourtraînerdanslecanapéetjoueràlaconsoletoutelajournée.
J’ai tentéunefoisd’allerdanslasalledepiano,et jemesuisécroulédevant l’entrée.Ilnefautpascroirequepourmoitoutrouleetquelavieestbelle.Ohquenon.Racontertoutesceschoses,lesfairereveniràlasurface,çan’apasétéunepartiedeplaisir,bienaucontraire.
Jenemontre jamaismes failles, j’ai tentédecachercelles-cipendantdesannées.Seulementdepuisunesemainejerepenseàcequ’auraitpuêtremaviesijen’avaispasmerdé,sij’avaissudirenonetsijen’avaisjamaisprislevolantdecettefoutuebagnole.
Jeseraissansdouteunpianistederenom,jouantauxquatrecoinsdumonde.J’auraisfaitunedemandede tutelle pour m’occuper de Gabie et la retirer de cette famille de cinglés. J’aurais un magnifiqueappartementfaceàCentralParketjepasseraistoutesmesjournéesdelibreàallerpromenernoschiensjusteenbas.Etbien sûr, ilyauraitBulle.Parceque ledestinm’aurait forcementconduit àelle, c’estinéluctable, c’est ma destinée. Elle aurait une carrière de cavalière internationale et son père serait
toujoursdecemonde.Oui,ilseraittoujourslà.Carmaintenantquej’yréfléchis,maintenantquejeprendsenfin le temps demettre les pièces dans l’ordre, il y a comme une lumière qui se fait sur toute cettehistoire. Je crois que je comprends. J’en suis presque sûr. Des détails me reviennent, des brides deconversation.Desmots,deslettres,despapiers.JemesouviensqueLucDerentesàrefaitsurface.Oui,ilyaquatreansdeça.Ilamêmedébarquéàlamaisonunsoir.Plusieurssoirs.Jelesaivusdanslebureaudemonpère.Lebureau.Lecoffre.Bordeldemerde,pourquoijen’yaipaspenséavant!
Jeneprendsmêmepasletempsd’enfilermeschaussures.Jequitteladépendancecommeunefuséeettraverselejardinencourant.
Ilfaitfroid,maisjenesensrien.Tropdechoses,tropdedétailssemélangentdansmonesprit.
Jemejettesurlaporteprincipale.Elleestfermée.Pasdepanique,jefaisletouretmeplantedevantlaportedeservice.Iln’ypasdefemmesdeménageaujourd’hui.Jeleuraiditdenevenirplusqu’unefoisparsemaineetquejegarderailesecret.Commeça,ellespeuventbosserailleursoujusteprofiterdeleurfamille tout en étant payées. Inutile de préciser que l’idée venait de Bulle, ce genre de détailsm’échappaientcomplètement.
Jetapesurledigicodeleshuitchiffresdesécuritéetlaportesedéverrouille.Jepénètreàl’intérieurettraverselastupide«salledupersonnel»inventéeparmamèreetj’atterrisdanslesalonblanc.Jesourisdevantcettehorreuravantdemeprécipiterdansl’escalier.Jetraverselegrandcouloirduhautetmejettesur la porte du bureau du paternel. Il n’y a plus grand-chose dedans, mais il a laissé les meubles,quelquespapiers,deslivresetsurtout,surtout,sonputaindecoffre.NoussommesenSuisse.Etjesuisbienplacépoursavoirqu’iln’yapasmeilleurendroitaumondepourcachersessecrets.J’appuiesurlapoignéemais,manquedebolpourmoi,lapièceestferméeàclefs.Lesfemmesdeménageontforcémentune clef ; Lydia c’est certain, en tout cas.Mais je n’ai pas le temps. J’en ai ras le cul d’attendre, dementir, de supposer. Il est temps que les secrets éclatent, que la vérité refasse surface et que lescoupablespayent.
Jeprendsunpeudereculdanslecouloir,del’élan,etjebalanceungrandcoupd’épauledanslaporte.Elletremble,maiscen’estpassuffisant.Jerecommenceunesecondefois,manquantdemedéboîter laclavicule.Cettefois,j’ysuispresque.Alorspourfinirenbeauté,jelèvelepiedetbalanceungrandcouppourlafairecéder.Cesderniers tempsjedeviensunexpertenexplosiondeporte.Heureusementpourmoi,cettefois,monmolletestépargné.
Jerentreetconstatequelesdernièreschosesquej’avaisaperçuessontbienencoreenplace.JevaisdirectementderrièreleRenoir.EnfinjedevraisdirelacopiedeRenoir.L’originalnousaétévoléunenuit,ilyatroisansdeça.Ilsontprisletableau,justeçaetriend’autre.GabieestpersuadéequecesontdesRusses,elleprétendlesavoirentenduparlerdepuissachambre.Jem’enfous.Jesaisquemonpèreavaitobtenucetableaud’unefaçonpastrèshonnête,alorsj’espèrequ’ilestmieuxlàoùilsetrouveàprésent.
Jelesoulève,lejettesansdélicatessesurlesol–aprèstoutc’estunfaux–ettombenez-à-nezavecle
fameux coffre du paternel. J’ai une chance de malade, la reconnaissance digitale a planté avant leurdépartetilnel’apaschangée.Iln’yaquelecode.Etlecode,jeleconnais.Ilnemel’ajamaisdonné,maisilsuffitdecôtoyercetteordurepoursavoiràquelpointilestégocentriqueetvénal.Jetapedoncleschiffres évidents : 11092009. La date à laquelle mon père est passé actionnaire majoritaire desentreprisesDumont,succédantfièrementàmongrand-père.
Leclicdesécuritésefaitentendreetlaportes’ouvre.
Iln’yapasgrand-choseàl’intérieur.Quelquesbijoux,unemontre,uneboîteàcigares,etdespapiersconcernantdesinvestissementsimmobiliersquejeparcoursrapidement.Jefulmine,persuadéquejesuisprochedelavérité.Jepensaistrouvercequejecherchaisici.Maisiln’yarien.Rienàpartcesfoutuspapiersetcetteboîteàcigaresdemerde.Jem’apprêteàrefermer,hurlantcommeunmaladeaumilieudela pièce, quand une petite lumière s’allume dans mon cerveau. J’attrape la boîte en vieux bois deLouisiane,laposesurlebureauetmereculepourl’étudier.Monpèren’ajamaisétéungrandamateurdugenre. Il se contentede ses cigarettes qui valent la peaudu culmais qui sont dégueulasses.Qu’est-cequ’ilfoutraitavecuneboîtepareille?Uncadeau?Jeveuxbien,maisalorspourquoilerangerici?Iln’yapasassezdeplacedansleurbaraque?Jel’ouvredonc,découvrantlajoliecollectiondegroscalibres.Çaempeste ;cetteodeurm’a toujours insupporté.Jecherche,soulève lescigaresetm’aperçoisque lefonddelaboîteestplushautquelaboîteelle-même.C’estlà,j’ensuissûre,moninstinctmelecrie.Jeretourne la chose, faisant tomber son contenu sur le beau tapis vert. Je la tourne dans tous les sens,appuyantsurchaquerecoin.Etalorsquejecommenceàperdrepatience,prêtàl’explosercontrelemur,unpetitclicsefaitentendreetlefonddelaboîtesesoulève.Jenesaispasoùj’aiappuyé,nicomment,maiscequejedécouvreàl’intérieurnefaitqueconfirmerquej’aieuraisond’insister.
Devantmoi,sursonpetitsacenvelours,laclefd’uncoffredebanque,uneclefquejereconnaisentremillepourenpossédermoi-mêmeunesemblable.Jesaisquelavéritéestàl’intérieur,jelesens.Elledétient touteslesréponses, touteslespreuves, toutcequ’ilmefautpourconfirmermessoupçons,pourrétablirlavéritéetpourvengerBulle.
Iln’yaplusuneminuteàperdre.
Je l’attrape, la glisse dansma poche, et refais le chemin inverse sans réfléchir uneminute de plus.Arrivédansmesappartements, j’enfile rapidementunepairedebaskets, attrape les clefsdemamoto,casquevesteetécharpeavantderefermerderrièremoi,directionUBS.
***
Jemegareàl’arrachedevantl’établissementduquartierdeConfédération.Lesgenssurlestrottoirsprennent leursgrandsairs,mais jen’yprêteaucuneattention. Je suis ailleurs,biendécidéàmettreuntermeàtousmesproblèmes,àtouslesmensonges.
Je franchis lesportes coulissantes etmedirigedirectementvers le secteurdesbureauxprivés, sans
passerparlesguichetiers,doublantlesgensquiattendent.
–Monsieur!Monsieur,puis-jevousaider?m’interceptepolimentundesemployés.
NoussommesenSuisse,icilesgenssontcourtoisquoiqu’ilarrive.Mêmesijesaisquejelefaischier,ilnesedéfaitpasdesonsourirebienveillant.
Jesorsalorslafameuseclefdemapocheavantdeluiglissersouslenez.
–J’aimeraisaccéderàmoncoffre,c’estassezurgent.
Àcetinstantprécis,toutsoncorpssedécrispe.C’estcommesijeluiprésentaisleSaintGraal.Trèspeudeclientsonten leurspossessionscegenredeclefs. Il saitpertinemmentcequecelasignifie : lepouvoir.Beaucoupdepouvoir.
–Oh,jecomprends,monsieur,jevousenprie,suivez-moi,jevaisvousappelerquelqu’un.
Nous passons directement au fond, dans les petits salons, et à peinemes fesses posées sur un desfauteuilsencuirrouge,unegrandeblondedébarqueavecuncafé.
–Monsieur,mesalue-t-elle.
Elledéposeletoutdevantmoiavantderepartiraussitôt.
Deuxminutesàpeineetdeuxtypesencostardfontleurapparition.Ungrandbrunassezbaraquéd’unequarantained’annéesetunpluspetitetchétif,biengrisonnant.
–Bonjour,monsieur,jemeprésenteMonsieurIrnavof,melanceleplusâgéenmetendantunepoignéedemainferme.Etvoici,monsieurRenand,continue-t-ilendésignantlegrandbrunquimetendlamainàsontour.–Nousallonsvousconduireàvotrecoffre.Pouvez-vousnousremettrevotreclef,s’ilvousplaît?
Jeluitendssanshésiterl’objetaprèsavoirégalementdéclinémonidentité.Jesaisoùjemetrouveetàquelpointjepeuxleurfaireconfiance.Iln’yapasd’endroitplussûraumondequelesbanquessuisses,je parle par expérience. Panama, Luxembourg, Uruguay, c’est bien, mais ça ne leur arrive pas à lacheville.
Ilssesaisissentdelachose,laplacentdansunpetitcoffretetm’invitentàlessuivre.
Irnavof nous conduit jusqu’à un ascenseur protégé par un code, une reconnaissance digitale et une
reconnaissancevocale.Ilsneplaisantentpas!Unefoisàl’intérieur,nousdescendonsdedeuxétagesdansun silence de plomb. Les portes s’ouvrent enfin sur un grand couloir blanc, éclairé par des lumièresdiscrètes.Nousletraversonssansunmotet,cettefois,c’estRenandquitapeuncodesurundesmursdegauche.Lagrandeportedevantnouss’ouvrealorsetnousatterrissonsdansunsecondcouloir,aufondduquelj’aperçoislaportedelasalledescoffres.C’estexactementcommedanslesfilms.Lasécuritéestmaximale,etlagrandeportegrisecirculairesetrouvejustedevantmoi.Ilfautcroirequelesréalisateursaméricainsconnaissentbienlessous-solsdesbanquessuisses.
Devant lasalle,RenandetIrnavofdoivent touslesdeuxprocéderàunereconnaissancedigitalepuistaperuncodesousl’œildescamérasdesurveillanceinstalléesdechaquecôté.Etvoilà,lesasfinitpars’ouvrir.La grande salle des coffres d’UBS se dévoile sousmes yeux.Des centaines de petits tiroirsrenfermantlessecretsdespluspuissants.Lapiècefaitpeut-êtrecent,cent-cinquantemètrescarrésetlesquatremurssontremplis.Irnavofestleseulàentrer.Ilm’inviteàm’installersurlatableaumilieuavantdesedirigerverslefameuxcoffre.Ilsortuneautreclefdesapoche,déverrouillantuneénièmesécuritéetme laisse ensuite ici,m’expliquant qu’une fois fini, je n’aurai qu’à les appeler en appuyant sur leboutonàgauchedelaporte.
Ildisparaîtensuite,rejoignantRenanddel’autrecôté,laissantlesasserefermer.Jeneperdspasuneseconde.Jemejettesurlecoffre,tournelaclefetretireletiroir.Jelepausesurlabanquette.Iln’yaquedesdocumentsetjesensaufonddemoi,quecesontceuxquejecherche,qu’ilscontiennentlesréponses.Jelesattrape,lesfeuilletteunparun.LespremiersparlentdetransactionsdansdesSoparfi,enAmériquedu sud. Du blanchiment d’argent qui n’a rien à voir avecmon affaire,mais quime fait bien sourire.D’autres, un peu plus inquiétants, sont des contrats sous seing privé entre mon père et des entitésjuridiques parlant d’affaires louches en tout genre. C’est effrayant. Il est encore pire que ce que jepensais.Iladétournédescentainesdemillionsd’eurosdelasociétéfamiliale.Ilyadescodes,beaucoupdecodes.Desnumérosdecomptesoùsontcachésdessommespharaoniques.Quefait-ildetoutcefric?Quiachète-t-ilencore?Jesuisécœurépartoutcequejedécouvre.Jesavaisqu’iln’étaitpasclair,maisjen’auraisjamaisimaginéàcepoint.J’enailanausée.
Jecontinuemoninvestigationaumilieudecettepaperassemonstrueuse,quandunnomattireenfinmonattention. Un contrat de confidentialité entre deux personnes physiques : mon père et le fameux LucDerentes.Jetrembleenl’attrapant.Jesaisquejem’apprêteàfranchirunpassupplémentaire.Jenesuisplussûrdelevouloir,enfait.Avectoutcequejeviensdedécouvrir,jem’attendsaupire.Jecommenceàlire.Chaqueligne,chaquephrase,chaquemot.
Je revois l’accident, l’accord, les sommesversées.Monpère a bel et bienpayé ce typepour qu’ilpurgemapeineàsaplace.Unesommeastronomique,àenfairepâlirlesbanquiersdelaville.Manauséeestencoreplusforte.Jeréaliseàquelpointleschosessontalléesloin,àquelpointnousavonsmenti.Oui,jepeuxdire«nous»car,dansmonsilence,j’aiétélecomplicedecetteignoblemachination.
Et soudain, alors que je continue de tourner les pages, un nom apparaît, dans un contrat annexeraccordéàcelui-ci,unnomquimeserrelecœur,mecramelestripes,metournelatête:BulleSimonin.
JesuisCharlesDumont,jedécouvrelavérité,etelleestencorepirequecequej’imaginais.
21-Unpèreredevable
Surmamotoendirectiondelamaison,j’avanceàdeuxkilomètreàl’heures.Jen’arrivepasàcroirecequej’aidécouvert.Toutmeparaîtenfinclair,etpourtantjen’aijamaisautanteul’espritembrouillé.
Bien trop de chosesme passent par la tête. Je dois penser à unemultitude de détails. J’ai besoind’aide, sur ce coup. EtMax n’est plus là… Je suis seul. Seul face à toute cettemascarade, ce grandbordel.
JedoisprotégerGabie, jedoisrétablir lavéritépourBulleet jedoism’assurerquej’auraidequoisurvivreaprèscequivasuivre.Tropdepointsàrégler,derévélations,dedécisions,dequestions.Sijen’avaispasGabie, jecroisquejemejetteraissouslepremiercamion.Commentvais-jerégler toutcebordel?Quivam’aider?Queva-t-ilsepassersijebalancetout?Monproprepèreserait-ilcapabledupire?Retrouvera-t-onmoncadavredanslelac,unbeaumatin?
Je serre les dents, prenant le virage qui me conduit à la maison, priant pour qu’une solutionm’apparaissemiraculeusement.
Alors que j’arrive devant le portail, je reconnais, juste devant, une silhouette qui ne m’est pasinconnue.Ungrandbrunaucorpstrèsfin,quifaitlescentpas:Nahil,lemeilleuramideBulle.
Qu’est-cequ’il fout ici, ce con ? Jene l’ai pas revudepuis le jouroù ilm’abalancé sonpoing enpleinetronche.Enfin,jesaisqu’ilarenduvisitequelquesfoisàmabrindille,maispasenmaprésence,c’estcertain.
Jem’arrête brusquementdevant le portail, l’observant à travers la visièredemoncasque.Lesbrascroisés sur lapoitrine, les traits tirés, il n’apas l’air d’être làpour chercher les ennuis. Il semble aucontraire fatigué et inquiet. Un mauvais pressentiment s’empare de moi, une boule, un nœud qui mebloquelacagethoracique.
–Qu’est-cequetufouslà?lancé-jeencoupantlemoteuretenretirantmoncasque.–Bulleadisparu,merépond-t-ilaussitôt.
Laphraseestdirecte,percutante,sansretenue.
–Commentça«disparu»?répété-je,unpeusonné.–Ellecrèchechezmoidepuisunesemaine.Jesuisrentréàmidienpensantlaretrouver.C’estcomme
ça que c’était convenu.Quand je suis arrivé chezmoi, la porte demon appartement était fracturée, àl’intérieurtoutétaitsensdessus-dessousetpaslamoindretracedeBulle.J’aiessayédel’appeler,sonportableestcoupé.Jenesavaispasoùaller,niquoifaire.J’aihésitéàprévenirlesflics.Etpuis,comme
jesaisqu’ilsepassevisiblementdestrucstrèslouchesdanstafamilledebarjosetqueBullepourraityêtremêlée,jemesuisditqueleplusprudentseraitdevenirteretrouverdirectement,tuvois.Parcequequelquechosemedit,quetun’espasinnocentdanstoutça.
J’attrapecetteordureparlecol,leplaquantviolementcontrelemurdelapropriété.
–Tusous-entendsquej’ysuispourquelquechose,peut-être?m’énervé-je.– Bordel, mais qu’est-ce que tu peux être con, je ne comprends toujours pas ce qu’elle te trouve,
ajoute-t-ilensedégageanttantbienquemaldemonemprise.
Ilsedécale,remettantsonpullenplace,meregardantavecmépris.
–Bullem’avaguementexpliquéqu’ilexistaitunlienentretafamilleetlamortdesonpère.Ellen’estpasrentréedanslesdétails.Ellen’enn’avaitpaslaforce,detoutefaçon.Jel’airamasséedansunpiteuxétatquandelleadébarquéauxécuries.Alorsmaintenant,soittum’aidesàleretrouver,soitjeterefaisleportraits’illuiestarrivélemoindrepetitsouci!
Je le fixe,provocant,mais réaliste.Effectivement iln’a sansdoutepas tort, ily adu Jean-CharlesDumont derrière cette histoire, c’est évident. Où est ma brindille ? Que lui a-t-il fait ? Pourquoimaintenant?Jesuissûrqu’ilasentileventtourneraprèsnotrevirulentéchangeàl’aéroport.
J’attrapemonportable,composantd’abordlenumérodeBulle.Répondeurdirect.
– Des choses avaient disparu dans ton appartement ? questionné-je Nahil en composant un autrenuméro.– Non, rien. En tout cas, rien de valeur ni de visible. C’était plutôt comme si des gens s’étaient
débattus.–Tuasinterrogétesvoisins?continué-je.– Je n’ai qu’une voisine au-dessus. Elle a quatre-vingt ans passés, elle n’entend plus rien. Je suis
évidemmentallélavoir,etellem’aassurénerienavoirremarquéd’anormal.Onn’entirerarien!
Pendantqu’ilm’expliquetoutça,j’aiencoreuneoreillesurlecombinéetj’entendslalignequisonnedanslevide.Monenfoirédepèrenerépondpas,etj’aiàprésentlacertitudequ’ilestderrièretoutça.
–OK,attends-moiici,jevaischercherlavoiture,j’arrive.
J’ouvreleportail,rentrevitemamotodanslacouretressorsuneminuteplustardauvolantduLandRover.Jeneprendsmêmepasletempsdem’assurerqueGabieestrentréedel’équitation.JesaisqueLydiaprendsoind’elleenmonabsence.
Nahilgrimpeàl’intérieuretjedémarrecommeunefusée.
–Oùva-t-on?medemande-t-il,unpeupaniqué.–Chezquelqu’unquivapouvoirnousaiderbienplusrapidementquelesflics.–Tuveuxdireque…commença-t-il.–Jeveuxdire,quej’aimapetiteidéesurcequemonpèreestentraindepréparer.LequartierduPerrier àAnnemasse, enFrancevoisine,n’avraiment riendechaleureux.Àpeine la
frontièrepassée,tuteretrouvesdansunautremonde.Pourautant,jenesuisabsolumentpaseffrayé.Jesuis déterminé, comme en transe. Cette fois, le paternel a dépassé toutes les limites, franchi la lignerouge.Ilatouchéàcequej’aidepluscher,etilvaclairementleregretter.
Jemegaredevantunimmeubleenbasduqueldesjeunessontinstallés.Nahilestblanccommeunlinge.Ilnedoitpastrainersouventdanslecoin.
–Qu’est-cequ’onfoutlà?medemande-t-il.Tuessûrdetoi?–Ohqueoui,j’ensuismêmecertain.
Nous descendons tous les deux de la voiture, Nahil regarde partout autour de lui tandis que lessquatteursduhalldel’immeubles’avancentversnous.
–Eh,lespetitsbourges,vousêtesperdus?nousprovoquent-ils.–JeviensvoirSacha,réponds-jesansrentrerdansleurjeu.
Ilss’arrêtentnet,mefixentdemanièreétrange.
–Mec, t’essûrdeceque tudis là?Tu t’esvuavec tonécharpede tapette, t’ascruque tupouvaisdébarquersansprendrerendez-vous?
JesensNahilgrincerdesdentsderrièremoi.Peut-êtrelemot«tapette»,oujustel’ambiancequirègneici.De toute façon,aucundesdeuxnemeplaît.Mais jen’aipaspeur, je saisàqui j’aiaffaire.C’estfaciledetoujoursmontrerdudoigtlesminoritésdecemonde,pourtantlespireshorreursnesepassentpasforcémentenbanlieue,bienaucontraire.Lespiresmagouilles,lespirescrimes,lespiresmensonges,cesontlespuissantsquiendétiennentlapalme.Etjesaisdequoijeparle.
Jesorsdel’arrièredemonjeans,lemagnum340quej’airécupérédanslegarageenallantchercherleLand.Jesavaispertinemmentoùjevenaisetcommentagir.
Nahilaviréautranslucide,maisjen’aipasletempsdemesoucierdesoncas.Jepointel’armesurleplusprovocateurdestroislascars.
–Jecroisquetunem’aspassaisi,j’aidit:jeviensvoirSacha.Alorssoisgentil,s’ilteplaît,prévienstonpotequeCharlesDumontestenbas,etqu’ilabesoindeluipourunservice.
Letyperecule,levantlesmainsaucielmaisnemequittepasdesyeuxpourautant.
–Çava,onsecalme!Tut’escrudansunfilmdegangsterouquoi?
Jedébloque lasécuritéet leclicdechargement lecalmeaussitôt.Cette fois, ilacomprisque jeneplaisantaispas.
–OK,OK,calmetoilepetitblanc,jevaisappelerSacha.
Il sort un portable de sa poche, compose un numéro, baragouine quelquesmots en albanais et, dixsecondesplustard,nousinviteàlesuivreàl’intérieur.Nahilneprononcepasunmotetjevoisqu’iltentetantbienquemaldegardersonsang-froid.Lepauvre,jel’aiembarquédansunesacréegalère.
Lapetiteracaillenousindiquelecinquièmeétageetlenumérodel’appartement.Jeluirépondsquejele connais déjà. En réaction, le type etNahil haussent tous les deux les sourcils d’étonnement.Notre«guide»nousabandonnedanslehalloùdesguetteurssontstationnésàchaquepalier.
Alorsquenouscommençonsnotreascension,monacolytesetourneversmoi:
–Qu’est-cequec’estquecebordel,Charles?lâche-t-ilsurlesnerfs.Oùallons-nous?EtquiestceSacha?Etsurtout,putain,qu’est-cequetufousavecunearme?Tuveuxnousfairetuer?–Arrêtedet’agiter,mec,jesaisparfaitementcequejefais.Sachaestunevieilleconnaissanceàmoi.
Je sais que je peux compter sur lui et je sais surtout que le temps est compté et que si nous voulonsretrouverBulle,ilseranotremeilleurecarte.
Il restedubitatif face àma réponse,mais jeneprendspas le tempsde rentrerplusque çadans lesdétails,jen’aipasletemps,maseuleobsessionc’estderetrouvermabrindille.Nousarrivonsenfinsurlepalierducinquième,oùdeuxgrandsBlacknousregardentdetravers.Jeneleurprêtepasattentionetfonceverslaporte52.Avantmêmequejefrappe,celle-cis’ouvreengrandetSachafaitsonapparition.
–Charlot!hurle-t-ilenouvrantsesgrandsbrasdegéantavantdem’écrasercontresontorseetdemedonnerunebonneclaquedansledos.Maisqu’est-cequetufaislà,tuesfou!Tuveuxtefairemassacrer,avectatronchedefilsàpapa?
Jesourisetilsnousinvitentàentreravantdefermerrapidementderrièrelui.
Sil’heuren’étaitpasaussigrave,jepensequejepartiraisdansunbonfouriredevantlatronchedeNahil.JecroisqueSachal’adéfinitivementachevé.Ilfautdirequ’ildoitbienfairedeuxmètresdehaut
avecdesbrasplusépaisquemescuisses.Sescheveuxnoirs jusqu’auxépaulesencadrentunvisageauteint mat, recouvert de tatouages mystérieux et d’une cicatrice traversant son œil gauche. Nahil a dûcesserderespirer.
Ilsnous invitentànous installerdans le saloncomposédematérielhifietmeublesdernierscris,enparfaitecontradictionavecleslieux.LecanapéestunRocheBoboissimilaireaumien,dequoirendrefouuncontrôleurfiscal.
–Quemevautl’honneurdetavisite,Charlot?medemande-t-ilenprenantplacedansunfauteuilenfacedenous.–J’aibesoindetoi,Sacha,rétorqué-jesanshésiter.
Ilm’observe,lesbrasétendussurledossierdesonsofa.
–Jet’écoute,m’invite-t-ilcalmementàparler.–Cematin,desgenssontentréspareffractionchezNahil,luiexpliqué-jeenledésignantdelamain.Ils
ysontallésdansunbutbienprécis :enlevermacopine.Jepensequemonpèreestderrière toutçaetqu’il vame faire chanter d’ici peu. Je veux qu’on retrouveBulle, je veux doublermon père, je veuxrécupérermafemmeetmettreuntermeàsesmagouilles,conclus-jetrèsrapidement.–Trèsbien,etenquoipuis-jet’aider,Charlot?–J’aimeraisquetum’aidesàlaretrouver.Pourtoutlereste,jegéreraiseul.
Ilselève,sedirigeantverslacuisine,sortantunebièredufrigoetreprenantsaplace.
– Tu as des indices ? Des pistes ? Quelque chose pour m’aiguiller ? m’interroge-t-il comme s’ils’agissaitd’unebanaledemande.–Pasvraiment…soupiré-je,tapantnerveusementdupied.–OK,jeferaiavec.Donne-moilenomdetonpèreetceluidetananaetrentrecheztoi.Tuasunetête
de cadavre,mon ami, laisse-moim’occuper de tout ça. Je te rappelle dès que j’ai du nouveau.Tu astoujourslemêmenuméro?–Oui,affirmé-je.Mais,Sacha…C’esturgent.Tucomprends?
Ilm’observe,unpetitrictusauborddeslèvres.
–J’avaisparfaitementcompris,Charlot,prononce-t-ilsereinementennousraccompagnant jusqu’à laporte.Net’inquiètepasmonami,tuaurasvitedemesnouvelles.
Il me donne une seconde accolade chaleureuse, salue Nahil d’un signe de la main et attrape sontéléphoneenrefermantlaporte.Jen’aiaucunecrainte.JeconnaisSacha.Jesaisqu’ilseraleplusfortàcejeu.
Nous retournons donc à la voiture et, une fois les portières closes et le moteur redémarré, l’autrecasse-couillessetourneversmoi:
–Putain,c’estquoiencorececirque?Pourquoidansvosmilieuxderichetonsonnepeutpasfaireleschosesnormalement?C’estquicemec?Etcommentilvas’yprendrepourretrouverBulle?Onneferaitpasmieuxd’allerchezlesflics?
Ilenchaîneaveclesquestionsàlacon,oubliantsûrementquejesuisautant,voireplus,tenduquelui.
–Faispaschieravectesquestionsbordel,Nahil!SacharetrouveraitBulleavantleFBIsionfaisaitappel à eux ! Je sais ce que je fais ! Ne vas pas croire que je suis décontracté ! J’ai envie de toutexploser.Maisçaneserviraitàrien.Sachavanousapporterlasolutionsurunplateau,crois-moi…–Maisc’estquice type?Etd’où tu leconnais?Jedouteque tu l’aiesrencontréauYachtClubde
Cologny,ironise-t-il.–C’estunelonguehistoire,çan’apasd’importance,soupiré-je,l’espritailleurs.
Flash-back,quatremoisplustôt
JemarcheseulsurlepontduMont-Blanc,au-dessusduRhône.Ilestquatreheuresdumatinetlesruessontdésertesencejourdemilieudesemaine.Lacitéeduboutdulacestendormie,etlesnuitscommencentàêtrefraîches.
DepuisqueMaxestparti, jenesuisplusque l’ombredemoi-même.Jepassemesnuitsdehorsetmes journées à dormir. Plus rien n’a vraiment d’importance. S’il n’y avait pasGabie et Bulle, çaferait longtemps que je me serais tiré une balle dans le crâne. Je m’arrête quelques secondes,observant le mouvement de l’eau en dessous demoi. Ce fleuveme donne des frissons quand je leregarde.Ilauncôtéeffrayant,àcetteheure-ci.Lescygnesquis’ypromènenthabituellementonttousdisparu.Ilsnerestentplusquelanoirceurdesoncourant,paisibleettroublantàlafois.
Alors que je suis perdu dans de sombres pensées, mon regard est attiré par une petite forme enmouvementsurlesbordsduRhône.Jeplisselesyeux,medemandantsijevoisclairousil’alcoolmejouedestours.Non,jenerêvepaspourtant!Ilestbienquatreheuresdumatinetungaminestbienassissurlesrambardesquilongentlefleuve.Maisqu’est-cequ’ilfoutlà?Ildoitavoirquatreoucinqans,maximum,etondiraitqu’ilestenpyjama.C’estquoicebordel?Qu’est-cequ’onafoutudansmonverreencore?
Il joue avec une peluche qu’il s’amuse à tenir en équilibre au-dessus de l’eau. Je commence àpaniquer. Il n’y a personne d’autre.Pas une âme qui vive à l’horizon.C’est totalement effrayant !C’est alors qu’il lâche accidentellement la petite peluche, qui chute dans le courant du Rhône. Ilsemble paniqué, se penchant un peu trop par-dessus bord. Les phares d’une voiture roulant à vive
alluredans sadirectionéclairent la scène.Une fractionde secondeet legossepassepar-dessus lemur,sousmesyeux.Sonpetitcorpsplongedanslecourant,sesbrass’agitent,ilsemetàhurler.
Ilnem’enfautpasplus,l’instinct,cefoutuinstinct.Jeprendsappuisurlabarrière,etsautedansleseauxnoiresdeGenève.Lechocestrude.L’eaun’estpasglaciale,maiscen’estpaslestropiquesnonplus.Sanscompterqu’ilyadescourantsetquej’aiencorepasmald’alcooldanslesang.Jetentetantbienquemaldenagerjusqu’aupetit.Ilcontinuedesedébattre,maissatêtefinitpardisparaîtresous l’eau.J’accélère, jeplongeje fouille lesprofondeurs.Jene levoispas.J’entendsdespas,descris,maisjen’aperçoispaslarive.Legossen’estpluslà,jenepeuxpasl’abandonner.Jenepeuxpasêtreencoreunefois inutile.Jereplonge,descendsplusbas, luttecontre lesmouvements.Mesmainsagrippentquelquechose.C’estlui,oui,c’estlui!Jetirelepetitcorps,remonteàlasurface,tentedevisualiser la digue.Mais je ne vois rien, il fait trop sombre et une lumière blanchem’aveugle. Jepanique, chercheunmoyende revenir enarrière. Soudain, onm’attrapepar le col. Jen’ai rien vuvenir.
Jesuistrainéversl’avant,jenelâchepaslegamin,jeleserredetoutesmesforcescontremoi.Moncorpspercuteunmur.Jenevois toujourspasquim’aconduit jusqu’ici.Onattrape lepetit,puis jesuis extrait des eaux à mon tour, me retrouvant sur les pavés qui longent le Rhône sous le pont.J’entends des pleurs, des cris, des voix dans une langue étrangère, ma tête tourne, j’ai froid,terriblementfroid.Jefermelesyeux,tentantdereprendremarespirationet…trounoir.Toutdisparaît.
J’ouvrelesyeuxuneheureplus tard.Jesuisemmitouflédansunegrossecouverture,surunlitdefortunequinemerappelleabsolumentrien.Jemerelève,paniqué,lefrontpleindesueuretunegrossevoixàl’accentdesBalkanss’adresseàmoi:
–Calme-toi,gars,calme-toi.Tuesensécurité.
Jetournelatêteetl’aperçois.Assissuruntabouretjusteàcôtédemoi,Sachamefixeautraversdesesgrandsyeuxnoirs.
–J’aisauvélaviedesonfils,unenuit,finis-jeparconfieràNahil.–Quoi?s’exclame-t-ilstupéfait.–Songosseafuguéunsoirpourallervoirlescygnesauborddulac.Ilapassélanuitàsarecherche.
Quandil l’aenfintrouvé, lepetitvenaitdepasserà laflotteetmoi j’aiassistéà lascène.J’aiplongépourlesauver.L’eaunem’apassemblésifroidequeçasurlecoup,l’adrénaline,sûrement,etj’airéussià sauver legamin.Sachaet seshommesm’ont repêché, j’aiperduconnaissanceet jeme suis réveillédansunedesesplanquesquelquesheuresplustard.Ilm’aexpliquéquiilétaitetcequejevenaisdefairereprésentaitpourlui.Sachaestlenuméround’ungangdespaysdel’Estpastrèsfréquentable.IlsontlamainmisesurGenèveetLausanne.Prostitution,drogue,arme,traficsentoutgenre.Ilcontrôletout.Ilm’aassuréuneprotectionéternelle.Jesuisretournélevoiruneseulefoisdepuisl’accident.J’avaisbesoind’unservice,ilmel’arendu.C’estquelqu’undeloyal,surquijepeuxcompter.
–Tuparlesd’unmecquifaitdutraficd’armesetd’êtreshumainslà,tuesaucourant?ironiseNahil.–Jesais.C’estjustementlàtoutleparadoxedelavie.Cemectueettrafiquesanslemoindreremord,
maisilaimesongosseplusquetoutaumonde.Personnenesaitcommentilenestarrivélà,dansquellesconditions ilaétéélevé,quellessont leschosesquisesontmisessursoncheminetqui l’ontrendusiinsensibleàtout.Jel’aivuaufonddecesyeux,Nahil,ilyacettelueur,cettetoutepetitelueur…–Ehbenputain,s’étonne-t-il.–Quoi?–Tuesbienmoinsconquecequejepensais,enfait…
Jesecouelatête,metsmonclignotantettourneendirectionducentreaprèsavoirpasséladouane.
–Jetedéposequelquepart?lequestionné-je.–Jepensaisresteravectoi,enfait,s’étonne-t-il.–Tuvasm’êtreplusencombrantqu’autrechose.–Bulleestmonamie,jepensequej’aitoutesmesraisonsderester,s’énerve-t-il.
Jefreinebrutalementaumilieudelacirculation.
– Bordel, et moi c’est ma femme, Nahil ! Et je connais ce monde ! Je sais de quoi mon père estcapable!Jeneveuxpast’avoirdanslespattes!
Lesvoitures derrière nousklaxonnent et luime fixe, le regardmauvais.À cet instant,monportablesonne. Le numéro demon père apparaît sur l’écran. Je deviens blanc,mon rythme cardiaque devientfrénétique.
Jedécroche.
–Allo?–Charles,monfils…–Oùest-elle?Oùest-elleespècedeconnard?–Tut-tut-tutenvoilàdesmanièresdeparleràsonpère…–Espèced’ordure,situlatouches,jetepréviens…–Quoi,Charles?Quoi?Qu’est-cequetuferas?semoque-t-il.
Lesvoituresklaxonnentdeplusbelle,maisjenebougepasdelaroute.Nahilmefixeetlapaniqueselitsursonvisage.
–Si tuveux revoir tapetiteblonde insupportableenunseulmorceau, rejoins-moidansuneheureàl’aéroport. J’ai un marché à te proposer et je te conseille de ne pas refuser. Je pense que tu sais
parfaitementdequoijesuiscapable…
Jem’apprêteàluilancerunerepartiecinglante,maisjen’aipasletempsd’ajouterquoiquecesoit.Ilraccrocheaussitôt.
Soudain,untypevientsecolleràmafenêtreenm’insultant.Jenerépondsmêmepas,jesuisdansunétatdetranse.C’estNahilquis’enchargepourmoi.Jelevoisdescendreduvéhicule,saisirlemecparlecoletlerenvoyerillicodanssonAudi.
–Quesepasse-t-il?medemande-t-ilenremontant.– Mon père a bien emmené Bulle. Il veut me voir à l’aéroport dans une heure, réponds-je en
redémarrant.
Etc’estdanslafoulée,quemontéléphonesemetàvibreretqu’unmessages’affichesurl’écran.
[Jesaisoùsetrouvetonamie.Rappelle-moisurcenuméro.S.]
Ilesttempsdepasserauxchosessérieuses…
22-Repartiràzéro
En l’espace de dixminutes, les choses se sontmises en place comme une parfaite partition.De lamêmemanièrequejemaîtrisaismonpiano,j’aitentédegérertoutcebordel.
J’ai passé trois coupsde téléphone.Un àSacha, un àmongestionnaire de fortune et un à la policed’état de Genève. Le plan s’est mis en place tout seul dans ma tête. Il a été d’une rapidité presqueirrationnelle. Jen’aipaseubesoinde réfléchir, c’était commesi j’étaisguidéparune forcebienplusorganiséequemoi.JesourisenpensantàMax.Peut-êtreque…
Jerouleendirectiondel’aéroport.J’aidéposéNahildevantchezlui.Ilafiniparcomprendrequ’onnejouaitpasdans lamêmecour. Il tremblaitetm’a fait jurerdenepasmerder. Je luiai réponduquecen’étaitpasnécessaire,jesaisexactementcequejesuisentraindefaire.J’arrivesurletarmacàl’heureexacte.Lejetdemonpèreeststationnéàl’endroithabituel.Savoitureestgaréeencontre-bas.
Je tapeunnumérosur leclavierdemontéléphoneavantde le rangerdans lapochedemaveste.Jeserrelesdentsetprieintérieurement.Ilfautquemonplanmarche,illefaut,sinonjerisquegros.
Pasdegardeducorpsdevantlapasserelle,maisjeconnaismonpère,ilneserapasseul,c’estcertain.Unmecdoitêtreplanquédansl’avion.
J’arrive sur le seuil de la cabine. Il est là, confortablement installé dans son fauteuil en cuir beige,sirotantunwhiskydanssonsmokingparfaitementtaillé.Ilestméprisantetdétestable,fidèleàlui-même.
–Charles,toujoursàl’heure,semoque-t-il.
Jegrincedesdents,maistentedegardermoncalme.
–Dad…–Assieds-toidonc,moncherfils.Jetesersquelquechose?
Sonpetitsourireperfidemedonneenviedeluienvoyermonpoingenpleinefigure.
–OùestBulle?Qu’est-cequetuveux?
Illèvelesyeuxauciel,dansuneexpressionfaussementamusé.
–Toujoursaussidirect,monCharles.Jevoisquetunet’assagispasavecl’âge.–Épargne-moitonbaratin,s’ilteplaît,etdis-moipourquoitum’asfaitvenirici!
Ilsouffle,agacé,boitunegorgéedesonverre,etselèvedoucementdesonsiègeavantdeseplanterdevantmoi.
–Aprèsnotre«léger»accrochageici-mêmel’autrejour,j’aimenémapetiteenquête.Ils’avéraitquemessoupçonsétaientfondés.Letristehasarddelavieafaitquetut’esentichédecettepetitepariadesbasquartiers.
Jemecontiensdeluipéterlenezd’uncoupdetête,maisj’aibesoinqu’ilcontinuedeparler.Jesaisdéjà tout ce qu’il s’apprête à me révéler, mais il doit le dire de lui-même à haute-voix, il doit êtreentendu…
–Jenesaispassitulesais,maistachèreBullem’acauséquelquespetitssoucisilyaquatreans.CecherLucDerentesaeulabonneidéedeluifairelacouretdel’envoyerdirectementàl’hôpital…Commeilseretrouvaitdansunesituationembarrassante,ilm’acontactéetamenacéderévélerlavéritésurtonaccidentdevoituresijenelecouvraispas.Tuimaginesmonembarras,Charles…ironise-t-il.–Continue,lancé-jefroidement.–Ilm’afaitduchantageettusaisàquelpointjedétestelechantage,monfils…J’aidoncdécidéde
réglercetteaffaireàmamanière,enpoussantgentimentlafamilledetapetitegrelucheàretirersaplaintecontrecepetitcon.J’aifaitjouermesrelationsenquelquesorte…–Tuasfaitcoulerl’affairedesonpèreettul’asenvoyédirectementaucimetière,espèced’ordure!
m’énervé-je.–Auxgrandsmaux,lesgrandsmoyens,moncher…
Safroideurmefoutlagerbe.
–EtLucDerentesdanstoutça?lecoupé-je.– C’est une autre histoire…Ce n’est pas ton problème. Je veux juste m’assurer, à présent, que tu
n’auraspaslamerveilleuseidéed’allertedénoncerauxflicspouruneaffairevieillededixans!–Qu’est-cequeBullevientfairelà-dedans?– Je veux juste temontrer, ce qui pourrait se passer si tu décidais d’ouvrir un peu trop ta grande
bouche,monfils.Jesuislà,jesuispartout,jeveilleànotreréputation,àl’imagedelafamille,àcequisepassedansl’ombre.Tunevoudraispasqu’ilarrivequelquechoseàtabienaimée,n’est-cepas?souffle-t-ilàmonvisage.
Jemanque de perdremon sang froid, oubliant tout ce qui se passe derrièremoi en cemoment. Jel’attrape par le col, le projette en arrière et il se met à rire, sournoisement, sans se démonter. Je lerelâche,réalisantlesvraiesraisonsdemaprésenceici.
–Qu’attends-tudemoi?
–Desgaranties,merépond-t-ilensortantdespapiersdesaveste.
Illesdéposedevantnous,surlatabletteenacajou.
–Jeveuxque tumesignesunaccorddeconfidentialitécommequoi tune révéleras jamaiscequ’ils’estpassélejourdel’accidentetdanscetteruelleilyaquatreans.Nitoi,nitapetiteconnedecopine.–EtsiBullenelesignepas?demandé-je.–Ellelesignera,crois-moi…répond-ilsûrdelui–Qu’est-cequiterendaussisûrdetoiexactement?
Ilavanced’unpasversmoi,sepenchantdélicatementàmonoreille,lesourireauborddeslèvres.
–Parcequejeluiaiditquesiellenelesignaitpas,jeteréservaislemêmesortqu’àLucDerentes…Etvisiblementelleal’airdeteniràtoiaupointd’enoubliersoncherpapa…
Jemerecule,fronçantlessourcils,maisparfaitementconscientdelàoùjeveuxl’emmener.
–Qu’est-cequetuveuxdireexactement?–Voyons,Charles,tun’espasstupide,tuastrèsbiencompris.–Tul’astué…Tuastuécethommepourqu’ilnepuisseplusjamaisriendire!–Quelleperspicacité!lance-t-ilfièrement,tendantlesbrasversleciel.
Iln’aurapasletempsd’enfaireplus.ÀcetinstantprécislecommandantMulleretsonéquipedelabrigadecriminelledeGenèvefontirruptiondansl’avion.
Deuxhommessautentsurmonpèreavantdeleplaquerausol.Ilnecomprendpascequiluiarrive.Ilfait bienmoins le malin tout à coup. Son garde du corps qui était bien caché plus loin est lui aussimaîtrisé par des agents.Monpère estmenotté et redressé.Le commandant se tournevers lui, unpetitrictusvictorieuxaucoindeslèvres.
–MonsieurDumont, je vous arrête pour lemeurtre de LucDerentes et pour plusieurs autres chefsd’inculpationsquevousaurezleplaisirdedécouvriravecnousauposte.Vousavezledroitdegarderlesilenceetdefaireappelàunavocat.Cequejevousconseillefortement.Bienquetoutl’argentdumonderisquedenepasvoussauver,cettefois…semoque-t-ilclairement.
Monpèresetournealorsversmoietj’attrapeletéléphonedanslapochedemavestequejeluipointesouslenez.
–Ilsonttoutentendu,Dad…Ilsonttoutentendu…
Ilmeregardelesyeuxrouges,injectésdesang:
–Tunet’entiraspascommeça,Charles!As-tuoubliétachèreBulle?
Ilplisselefront,toujoursmaintenuparlesdeuxhommes.
–J’aiprislesdevants,Dad…Cettefois,iln’yaqu’unseulperdant,etceperdant,c’esttoi.
***
Unmoisplustard,samedi10h00
MonpèreaétéjugédevantletribunaldeGrandeInstancedeGenèvepourlemeurtreorganisédeLucDerentesmaisaussipourabusdepouvoirsurmineurilyadixans.Letribunalaconsidéréqu’ilavaitabusédesonstatutdepèrepourmeconvaincredenepasmedénoncerlorsdel’accident.
Il plonge pour vingt ans. Pourma part, j’échappe à une peine de prison puisque j’étais mineur aumomentdesfaitsetquej’ai,enquelquesorte,aidélapoliceàrésoudreuneaffaired’homicide.Pourlereste,c’estungrosbordel.Unputaindegrosbordel.
JemebatspourobtenirlagardedeGabieentantquetuteurlégaletafinqu’elleéchappeàmamère.J’aibienentendudûquitterlamaison,maisjemesuisinstallédansunappartementdanslevieuxcentre-ville.
AdieuaussivoituresdeluxeetcartesPlatinum.Lescomptesdelafamilleonttousétégelés.Inutilededirequejemesuismis tout lemondeàdos,chezlesDumont.Lajoliefamillebiensoustousrapportss’estvutraînéedanslabouedanstouslesjournauxdelarégion.Lesactionsdesentreprisesontfaitunesacrée chute.Mais je ne suis pas inquiet, je sais qu’ils s’en sortiront. Ils ont l’art et lamanière pourrebondir aumilieu de chaque scandale. Ils ont déjà tout prévu.Un demes oncles prendra la tête desentreprises, devenant le nouveau P.-D.G et le conseil d’administration sera dissout et refondé. Unenouvellecampagnedepub,quelquesdonationsauxbonnesœuvres,unoudeuxgalasdecharitéethop!Lescandaleseraoublié.C’estcommeçaqueçasepassechezlespuissants.Trahison,mensonge,etmêmemeurtre,toutesteffacéàcoupdemillions…Jemedemandecommentj’aipuvivredanscemondeduranttoutes ces années. Si Bulle n’avait pas fait irruption dans ma vie, je serais devenu une sacrée belleordure.
D’ailleurs,enparlantdeBulle,jen’aiplusaucunenouvelle.Ellearécupérésesaffairesunjouroùjen’étaispaslàetelleadisparu.
C’estSachaetseshommesquisesontchargésdelalibérerlejouroùj’aiaffrontémonpère.Ilssont
entrésdeforcedansl’appartementoùelleétaitretenueetilsontfait,commentdire…dunettoyage.
Nahilaétéplusquecorrect,dans les joursquiont suivi,pournepasdire sympa. Ilm’aenvoyéunSMSpourmeprévenirqu’ellevivaitchezlui,quetoutallaitbien,maisqu’elleavaitbesoindetemps.
Pourunefois,jen’aipascherchéàaccélérerleschoses.Jecroisquej’aibeaucoupappriscesdernierstemps.Surmoi,surlemondedanslequelj’aigrandi,surmesrapportsauxautres,surl’avenir.J’attendrailetempsqu’ilfaudra.Etsiellenerevientjamais,alorsc’estqueçadevaitsepasserainsi.J’aivengésonpère,j’aienvoyéson«meurtrier»derrièrelesbarreauxetj’aicoupélesliensaveclesmiens.Jemesuisdétachédecenom,decettefamille,deleursmagouilles.
Jerecommence.Jerecommencetout.
Assissurlebancdemonpiano,jefixelestouchesblanchesetnoiresquisedessinentsousmesyeux.Je l’ai récupéré, jen’allaissûrementpas leur laisser. J’aiaussieu labonne idéed’appelerYens,mongestionnairedepatrimoinejusteavantlaconfrontationavecmonpère.
J’ai viré de l’argent sur différents comptes inconnusdesDumont.Dequoi pouvoir tenir après toutecettehistoire.Ilsm’aurontaumoinsapprisça,danscettefamilledefous,laprévoyance.
Alorsc’est sûrque jen’auraiplus jamais lemême traindevie,mais aumoins, je suis à l’abrisdubesoinpourunbonboutdetemps,etj’aidequoireprendremesétudes.
Oui,oui, j’aibiendit reprendremesétudes.Évidemment, jenevaispasallermefairechiersur lesbancsdelafac,c’estjusteimpensablequandonmeconnaît.Non,jevaistoutsimplementsuivrelescoursduconservatoiredelavilledanslebutdedonnervieàmesrêvesd’enfant.Àcequejesuisvraiment:untypequiaimelamusique,quiaimesonpiano.
Finies les soirées de débauche, les bouteilles à deuxmilles balles, le train de vie de pacha et lesmontresàcentbriques.AlorsOK, j’aigardédeuxtroispiècesdecollectionet jen’aipasréussiàmeséparerdelaPorsche.Onnepeutpastoutchangernonplus.CharlesDumontresteCharlesDumont.Ilajusteappris.
J’attendsuncoupdetéléphoned’Elena,monavocate.UnetigressespécialiséeendroitfamilialquiestentraindenégocierlagardedeGabie.Ledossiern’estpastropcompliquécarmasœuraelleaussifaitunedemandedegarde enmonnomet l’assistante socialequi est venuevisiter l’appartement a fait unrapportplusquepositif.
Ilfautdirequejel’aiereçuecommeunereine,laharpie.Etpuis,sidansunappartementdecenttrentemètrescarrésavectroischambres,àdeuxpasdesécolesetdansunerésidenceprivée,onmesortquelapetiteneserapasheureuse,jenevoispascequejepeuxfairedeplus.
Detoutefaçon,mamèrenes’opposepasàcettedemande.Bienaucontraire.Jenem’attendaispasàmieux,laconnaissant.
Jefixel’écrandemontéléphoneposésurlestouchesdevantmoi.Ilsemetàvibrer,faisanttremblertouteslesnotes.Unjolibordel,unemélodiedecorbeaux,quij’espèreestporteusedebonnesnouvelles.Lenumérodemonavocates’affichesurl’écran.
–Allô,décroché-jeprécipitamment.–MonsieurDumont?–Oui!–J’aiunebonnenouvellepourvous…Lejugeavalidéledossier.Vousêtesofficiellementàpartirde
cejour,letuteurlégaldevotresœurGabriella.
Jepousseuncriàeneffrayer lesvoisins,sautantpresquede joiecommeundébile.Jevaispouvoirallerrécupérermaprincessequiséjournaitjusqu’àprésentchezmatante.Jesuissoulagé,heureux,etre-boostécommejamais.
Jeremerciemonavocatequienprofitepourmeglisserqu’ellem’aenvoyéuncourrieraveclafacturedemeshonorairesetjeraccroche.
Lavievapouvoirreprendresoncours.Enfin…
J’enfilerapidementuneveste,composelenumérodematante,etattrapelesclefsdemavoiture.
Jevaisrécupérermaprincesse.
Arrivé sur le parking, ma tante décroche enfin. J’apprends que Gabie est à son cours de poney etqu’ellenerentrerapasavantlafindelajournée.Jememetsd’accordpourpasserlarécupéreràdix-neufheuresetjefaisjureràlamégèredenepaslaprévenir.Jetiensàluifairelasurprise.
Niunenideux,jemedécideàprendreladirectiondesécuries.Jenepourraipasattendreuneminutedeplus,etcen’estpaslegenredenouvellesquetuannoncesparSMS.
Noussommesenpleinmoisdedécembreetquelquespetitsfloconstombentsurlaroute.
L’hiverestfroid,vraimenttrèsfroidetneigeux.Commejelesaime!Jemontelevolumedelaradio,Coldplayrésonnedanslesenceintes.
Vingt minutes plus tard, lorsque j’arrive devant les écuries, le paysage a viré au blanc. La neigerecouvrebâtimentsetchemins,dequoirêverunpeu.
Jemarcheendirectiondumanège,lebâtimentcouvertoùmontentlescavaliers.J’arrivejusteàtempspourlafinducoursetj’aperçoismapetiteGabiequisetientfièrementsursonponey.
C’estétrange,maiscen’estpaslegrosCarotte.Àmoinsqu’ilaitmaigrietchangédecouleur,cedontjedoutefort.
Quand elle tourne la tête demon côté, son visage de poupée s’illumine d’un coup. Ça n’a pas étéévidentpourelle,depuisl’arrestationdenotrepère.Elleadûapprendreetencaisserquesonpèreétaitunassassin,sonfrèreunlâcheetquelafillequ’elleconsidéraitcommesasœurétaitaumilieudetoutcebordel.Bizarrementc’estellequiaétélaplusfortedenoustous.Enréalité,jepensemêmequ’ellel’atoujoursété.Iln’ypasdediscussionpossiblelà-dessus.
Jelasuisdeprèsjusqu’àunboxquejeneconnaispasoùelleemmènelepetitnoiravantderessortiretdemesauteraucou.
–Charlie!Qu’est-cequetufaislà?serejouit-elle.–J’aiunebonnenouvelleGabie,réponds-jeenpassantmamaindanssescheveux.–Ahoui?–Oui.Lademandedetuteuraétéacceptée.Tuvaspouvoirveniràlamaison.Tuesofficiellementsous
maresponsabilité!lancé-jeavecjoie.
Sesgrandsyeuxvertss’écarquillentetseremplissentdemilliersdepaillettes.
–Sérieux?m’interroge-t-elle,n’arrivantpasàycroire.–Onnepeutplus,mefélicité-je.
Ellemesautealorsdessus,m’enroulantdesespetitsbrasetmeserrantsifortqu’ellemanquedemecouperlarespiration.
–OhCharlie…Merci!Mercipourtoutcequetuasfait!
Jereculelégèrementavantdevenirdonnerunbaisersursonfront.
J’annonceàGabiequejepasserailarécupérercommeconvenuàdix-neufheurescheznotretante.Jetraîneunpeudevant lebox.D’abordetsurtoutparceque jesuisheureuxdecequivientdesepasser,maisaussiparcequesecrètement,j’espèreapercevoiraudétourd’uneallée,lesyeuxbleusdecettefillequej’aimetant.
–TunemontespaslegrosCarotte?demandé-jecommesiderienn’étaitpendantqueGabiebrosse
sonponey.
Ellesetournealorsversmoi,mordantdanssalèvre,uneexpressionunpeugênée.
–C’est-à-direque…
Jevoistoutdesuitequ’ellemecachequelquechoseetqu’ellenesaitpassielledoitm’enparler.Jenesaispaspourquoi,maisj’aiunmauvaispressentiment.
–Qu’est-cequetumecaches,chipie?tenté-jepourdissimulermontrouble.–Jepensaisquetusavais,murmure-t-elleenregardantlesol.
Monangoisseaugmenteenflèche.Qu’essaie-t-elledemedissimuler?
–Gabie?Jenecomprendspascequetuveuxmedire!– Bulle est partie, lâche-t-elle aussi sec, détournant la tête, ne voulant sûrement pas affronter mon
regard.–Partie?répété-jesanscomprendre.Commentça«partie»?
Ellesetourne,mefaisantface,leslarmesauborddesyeux.
–Une écurie lui tournait autour depuis unmoment pour un poste de cavalière soigneur.Une grandeécurieenAllemagne.Ellearefusélapropositionplusieursfois,tusais…Ellenevoulaitpaspartir.Dumoins, pas à l’époqueoùnous étions tous les trois…Commeune famille, renifle-t-elle nostalgique etattristée.Maisilyadixjours,elleestvenuemetrouverdansleboxdeCarotte.Ellem’aexpliquéqu’ilsl’avaientencorerelancés,etquecettefois,elleavaitaccepté.Ellen’avaitplus troplechoixetsurtoutelle voulait partir. Loin d’ici… Trois jours après les chevaux étaient chargés dans un camion et lesaffairesdeBulleavec.Elleadisparu.Elle…elle…ellem’aabandonnéemoiaussi!
Gabiepleureàchaudeslarmesetjel’attrapedansmesbrasàmontourpourlaréconforter.
–Jesuisdésolée,Charles,jevoulaisteledire,mais…mais…c’étaitdifficilepourmoiaussi.Çam’afaitdumal.Touslesgensautourdemoidisparaissent,toutlemondem’abandonne.Etjenedoisriendire,jedoiscontinuerdesourire.Jenesuispasforte,cen’estpasvrai!Jevoudraisbienqu’ons’occupedemoi,jevoudraisbienqu’onmedemandemonavistusais!–OhGabie…soupiré-je,jesuisdésolémachérie.Jeteprometsqueleschosesvontchanger.Jevais
m’occuperdetoi,tuverras.J’aitoutpréparépourquenoussoyonsbienàlamaison.J’airécupérétoutetachambre,etsituveuxonpourraprendreunpetitchatouunpetitchien,oumêmeunebelette!Jevaisreprendremes études, jene sortirai plus.Enfinunpetit peude tempsen temps,hein, la taquiné-je. Jet’aideraipourtesdevoirs,jet’amèneraiauponeyetjeviendraitevoiràtesconcours,jetelepromets…
Elle essuie son petit nez humide, plonge ses yeux verts dans lesmiens, me regarde avec une telleintensité,réalisequemesmotsnesontpasquedesmots.
–MerciCharlie,merépond-t-elletoutsimplement.Merci…
Àprésent,c’estcertain,unenouvelleviecommence.Ilesttempspourmoidetoutreconstruire.
CharlesDumontrepartàzéro.
23-Ladernièrenote
Cinqansplustard,grandopéradeBerlin,samedi20h00
Jetourne,tourneettourneencoreenrondderrièrelegrandrideaurougequimeséparedelascène.
Danscinqminutes, jem’installeraidevantmonpianoet jejoueraipendantpresquedeuxheurespourmonpublic.
Depuisunan, jefais la tournéedesgrandesvillesd’Europeàguichetfermé.J’auraispucommencerbienavant,mais j’aipréféré tenir lapromesseque j’avais faiteàGabie.Restantauprèsd’elle, je l’aiaccompagnée jusqu’à l’obtentionde sonbac.Elle est à présent cavalièrepour l’équipe suissede sautd’obstacleetnevitplusàGenève.Elleestpartie,elleaquitté lenid,abandonnantsongrandfrèredebientôttrenteans.
Jesuiscomblédelasavoirheureuse.C’esttoutcequicompte.Etmoi,àprésent,jepeuxm’adonnersanslimitesàmapassion.
Olga,monagent,hurleau téléphoneaprès lesChinois.Lasemaineprochaine, jeseraichezeuxpourunesériedeconcerts,etelle tientàceque toutsoitparfait,commeàsonhabitude.Elleestépuisante,maisjepeuxmereposersurelleetc’estleplusimportant.Jel’airenduechèvrecesdernièresannéesàrefuser plusieurs tournées,mais depuis un an, on peut dire qu’elle s’en donne à cœur joie. Enmêmetemps,vulespourcentagesquejeluiverse,ellepeutbien!
Jejetteunpetitcoupd’œilderrièrelerideau.Lesgenssonttousinstallésdansleurssiègesdeveloursrouges.
LegrandOpéradeBerlinestmagnifique.Jenesuisjamaisvenuici.Pourtant,celan’estpastroploindeGenèveetj’aiquandmêmefaitquelquesdatesenEuropelesannéespassées,quandjepouvaisfairel’aller-retoursurunweek-end.MaisBerlinnem’avaitjamaisdemandéjusqu’àaujourd’hui.Ilyatroisopérasentoutdanslaville.Cesoir,jemeproduisauStaatsoperUnterdenLinden,quiaétéinauguréle7décembre1742.Autantdirequec’estunmonument,etjesuisvraimenttrèsfierdepouvoiryjouerdeuxsoirsdesuite,quiplusest,enfaisantsallecomble!
MonfidèleSteinwayestinstalléaumilieudelascène.
Ça a été toute une histoire pour lemonter dans l’appartement à l’époque, puis pour le redescendrequelquesannéesplustardetl’installerdansmasalleprivéeduconservatoire.
C’est lui et lui seul qui m’accompagne à chaque tournée. Je n’accepte pas de jouer sur un autre
instrument. C’est non négociable et ça rend folle Olga, qui trouve que les coûts de transport et deprotectionsontbientropexorbitants.Maisellefinittoujoursparréussirànégocierunepriseenchargeaveclesorganisateurs,seplaignantd’avoirdûdonnerdesapersonne.C’estpourtantpourçaquejelapaye…
Undestechniciensvientm’annoncerquejedoisentrersurscène.Jedonneunderniercoupd’œilsurmatenue,étiremesdoigtsunàun,attendsquelalumièrebaisse,etfinitparfairelepasquimepropulsedel’autrecôté.
C’estundesmomentsquejepréfère.Quandjereprendsmonsouffle,quejerentresurscèneleregardfixé surmonpiano, etque lesgens semettent à applaudir.Lamontéed’adrénalineestdirecte, commequandonsauteàl’élastique.Jesaluelafouled’unerévérenceavantdeprendreplacesurmonbanc.
Jesuisinstallécommetoujoursdefaçonàleurfaireface,légèrementsurlecôté,afinqu’ilspuissentvoirmesdoigtsdansersurleclavier.
Certains amateurs raffolent de ce détail, d’autres ferment les yeux pendant toute l’interprétation, selaissant guider par la musique. Chaque personne du public a ses habitudes, sa façon de prendrepossessiondumoment.Parfois,j’aimeaccrocherunregarddurantquelquessecondes.Jouersansregarderles touches,emportépar lerythme,voyantdanslesyeuxdecettepersonne, toutcequemamusiqueluiinspire.Çanedurejamaislongtemps,maisc’esttoujourstrèsfort.
Jebalaielasalleduregard,respireungrandcoup…Et…c’estparti.
Lepremiermorceauestunecompositionpersonnelle,unesorted’introductioncommeexpliquédanslabrochuredelasoirée.Eneffet,chaquespectateurreçoitsursonsiège,lalistedesmorceauxquejevaisinterpréter.
J’enchaîne et enchaîne sansm’arrêter. J’ai juste une pause de cinqminutes.Unpeu commepour unopéra,dansdesproportionspluspetites.J’enprofitepourboireuncoup,fairequelquespasderrièrelerideauet je retournem’installersurmonsiège.C’estd’ailleurssouventàcemomentque jechoisisdefixerquelqu’undanslepublic.Justeavantlasecondepartie.
Jenelaremarquepastoutdesuiteaumilieudelafoule,maismonregardestdirectementappeléparlesien. Je me fige, reconnaissant ses iris bleus, qui ont hanté chacune de mes nuits ces cinq dernièresannées.Sescheveuxchâtains sont retenusdansuneélégantequeuedecheval et j’aperçois sesépaulesdénudéesdanssonhautblanc.Elleestélégante,différenteetpourtantsiidentique.Unparadoxe.Bulle…Jevoudraismelever,crier,hurler, luidemandercequ’ellefait là,sic’estbienelle,si jenerêvepas.Mais le publicm’attend, et je suis pris dansmes obligations.Une boule se serre dansmagorge. J’ail’impressionderêver…Cinqans…Tantdechosessesontécoulées,tantdechosesontchangé…
Jesuisassislàaujourd’hui,jeparcourslemonde,jeviedemapassion.Jemesuisconstruit,jemesuis
pardonné,j’aiapprisàvivresanselle.Etpourtant…pourtantpasuneseulenuit,pasuneseulejournée,sansquesondouxvisagetraversemonesprit.Parfoisfurtivement,parfoispourunpeupluslongtemps.
Jen’aijamaispuenaimeruneautrequ’elle.J’aiessayé.Jemesuisperdudansdesdraps,j’aitentédessourires,desregards,desmots.Maisrienn’yfait. Ilyadesmilliersd’amours,mais iln’yenaqu’ungrand.CeluideBulleétaitinfini.J’aitentédelachercher,jel’airetrouvéeparfois.AvecInternet,ilyatoujoursmoyende tombersur laphotod’uneamie,d’unesoirée,d’unconcours.Puis j’aiarrêtédemefairedumal.J’aiavancé.
Etnousvoilàici,cesoirdanscegrandopéra.Saprésenceeffacetoutlerestedupublic.C’estcommes’iln’yavaitqu’elle,commes’iln’yavaitquenous.
Je fixe les touches du piano.Hésite. Et plonge. Je reprends le jeu, là où je l’avais laissé. Je jouecommesic’étaitlapremièrefois,commesic’étaitladernière.Jejouepourelle,jejouepournous.Jejouepournossouvenirs,pourtouslesdétailsqui,chaquejour,m’ontfaitpenséàelle.Jejouepoursonsourire,sonrire,soncorps,sespetitesmains,safaçondedormirenboulecommeunbébé,cetteosmosequandelleestàcheval,sacompassion,sadouceur,saforce.Jejouecommesijeluidisais,commesijelui hurlais à quel point elle m’avait manqué. Je joue comme si je lui faisais l’amour, comme si jecaressaissoncorps,commesijelafaisaismienne.Jejouepourtoutescesannéesperdues,pourtoutlemalquejeluiaifait,quejemesuisfait.Jejouecommejel’aime:follement,toujours.
Jenevoispasletempsquipasse,jeneréalisepasquej’aidepuislongtempsdépassémonprogramme,quejejoued’autresmorceaux,quejemeperdsloin,trèsloindecemonde.Jenevoispasquelepublicesttoujourslà,quelesgenssontbouleversés,clouésàleurssièges,hypnotisés.Jenevoispastoutlestaffderrièrelesrideauxquiaarrêtédebosserpourmeregarderjouer.JenevoispasOlgaquiaéteintsontéléphonepourlapremièrefoisentroisans.Jenevoispascettefemmeseuleaufonddelasalle,pleurantdanslesbrasdesavoisinequ’elleneconnaîtpas,pensantàsonmaripartiunanplustôt.Jenevoispascejeunequirâlaitaprèssesparentsdel’avoiramenéicicesoiretquiàprésentnepeutplusquittersonfauteuil.
Jenevoisplus rien. Je joue jusqu’à l’épuisement, jusqu’àavoir évacué toutecette souffrance, toutecetterage,touscesregrets.
Jetermineenm’écroulantpresquesurleclavier,àboutdeforce,entreleparadisetl’enfer.
Etpuis…Jelesentends.Jelesentendsselever,applaudir,crier,siffler.Jelesentendsmediremerci,nepass’arrêter.Jelesentendsm’adresserdes«bravo»,des«magique»,des«incroyable».
J’entendslafoulehurlermonnom,commeunerockstar,commeunchampion.
Jeviensdeleuroffrirmestripessurunplateau,jeviensdeleurdonnermonâme.
Jequittelascène,àboutdesouffle,titubant.Jesaluemonpublic,dansungestemaladroit.
Jepasselerideau,souslesapplaudissements,cettefois,demonstaffetdeséquipesdel’Opéra.
Olgameraccompagnejusqu’àmaloge.Ilyadéjàdesjournalistesetdesphotographes.Ondiraitquecesoir,toutestdifférent.
Jemeglisseàl’intérieur,refermelaporte,m’écroulesurmoncanapé,attrapantlabouteilled’eau,lavidantd’uncoup.
Olgaesttoujourslà,ellemefixe,neditrien.
Onfrappeàlaporte.
Elleouvre.
Elleregardecettepetiteblondeàlasilhouettedelianequisetientdevantelle.
Ellesetourneversmoi.
Ellecomprend.
Lesilenceestpesantetveutpourtantdiretellement.
Olgaquittelapiècesansunmot,m’offrantunderniersourire,laissantentrerl’angeplantédevantmaporte.
Jelacontemplepénétrerdanslapièce,toujoursaussibelle,toujoursaussifrêle.
–Charles…murmure-t-elle.–Bulle…
Bonus-Épilogue
LalettredeMax
MoncheramiCharles,
Jenesaispassituouvrirasunjourcettelettre.Peut-êtrelajetteras-tudirectementaufeuenla recevant, peut-être l’oublieras-tu au fond d’un tiroir, peut-être la déchireras-tu, n’arrivantpasàmepardonnermongeste.D’ailleurs je ne suis pas là pour te parler de ce que j’ai fait. Parce que oui, c’est assez
étrangeàécrire,quandtulirasceslignes,jeneseraipluslà.J’espèrequetunet’enveuxpasetquetunet’accablespas.Bienquetuprétendesquecene
soitpastroptongenre,jeconnaislevraiCharles,celuiquisecachederrièrelemasque.J’ai besoin de t’écrire parce que je réalise aujourd’hui à quel point, justement, porter un
masquepeutêtreunenferpoursoi,commepourlesautres.Jeviensdecomprendreauboutdevingt-cinqannées,quejemesuistoujoursmenti.Jenesuispascegarçonquelesgensprennentpourunparfaitpetitfilsdebonnefamille,bien
élevéetquirentredanslesrangs.Jesuiscegarçonhorriblementmalheureuxparcequ’ilnepeutpasdirequiilestsansavoir
l’horribleimpressionqu’ilperdratoutautourdelui.J’aimelesgarçons,Charles.Depuistoujoursjecrois.(Jeterassuretoutdesuite,tun’as
jamaisétémongenre!)C’estdrôleparceque,depuisquej’aidécidédemourir,jeledisbienplusfacilement.Ilyaquelquesjoursencore,jel’aimêmebalancéàlacaissièredelaCOOP,sansqu’ellenemedemanderien.Bref…Ilyaquelquechosequejeveuxtedireabsolument.Jesaisquetujoueslesdurs,quetucachesdessecrets,quetun’espasenpaixavectoimême
etquetuteposesbeaucouptropdequestions.Rends-moiservice:arrête.Arrêtedevouloirêtrequelqu’und’autre,arrêtedetesoucierdece
que pensent les autres, arrête de croire que ton passé te condamne et que tu ne peux rien ychanger.Arrêtedetementir,arrêtedementirauxautresCharles.Vis!Tuentends,vis!
Dégagedecettefamillepourriequ’estlatienne,emmèneGabie,emmènecettefillequigrimpesurtonportailettefaitperdretoustesmoyens.Recommence.Change.Aime.Savoure.Reprendslepiano.Tudeviendrasungrandartiste.Jelesais.Jelesens.Jeteverraidepuislà-
hautetjeseraifierdetoi,Charles,ohoui,jeleserai.Parcourslemonde,voyage,ouvretoncœur,ouvretonesprit.Essaie,trompe-toi,recommence.Fais-lepourmoi,fais-lepourtoi,fais-lepourGabie,fais-lepourelle.Marie-toi.Faisdesenfants,debeauxenfants.Adopteunchien.Construisunemaisonauborddulac.Assieds-toi,regardelesoleilsecouchersurleLéman.Regardetasœurdevenirunefemme.Regardecettefemmedevenirlatienne.Charles…Lavieestcourte.Saisis-là.Maintenant.Maintenant…
Jeseraitoujourslà.Crois-moi.Toujours.
M.
JesuisCharlesDumont…
OpérationATK
JesuistranquillementenroutepourrejoindreNahil,quandmontéléphonesemetàsonner.Lenomdemonamiapparaîtàl’écranetjem’empressededécrocher:
–Eh,salut,lancé-jejoyeusement.–Bulle,oùes-tu?merépond-ilsuruntonétrange.
JefroncelessourcilsalorsquejetraverselepontduMont-Blancendirectiondelarivedroite.–Àcinqcentsmètres,j’arrive.Pourquoi?–Jecroisquenousallonsdevoirchangerdeplan,soupire-t-il.
Jelesensagacé,cequim’étonneunpeu.Nahilestconnupournejamaiss’énerveretgardersoncalmeentoutescirconstances.Lapersonnelamoinspatientedenousdeux,toutlemondelesait,c’estmoi.
Jepassedevantl’horlogefleurieetm’arrêteaupassagepiétonduquaiGustave-Ador.
–Qu’est-cequ’ilya,Nahil?Tusemblesbizarre,d’uncoup.Tuessûrqueçava?–Laissetomber,Bulle,jet’expliquerai.Rejoins-moiplutôtaubaràsushis,chezGlobus.Jet’invite!–Maisenfin,Nahil,jen’aipasenviedesushis,jeveuxallerdansnotrepetitrestauhabituel!Tune
veuxpasmedirecequ’ilsepasse?finis-jeparm’énerverentraversant.–Jemesuisprislatêteavecunmec,lâche-t-ilenfin.–Commentça?
Etalorsquej’avanceàsarencontre,ilmeracontetoutel’histoire.
Àprésent,nousnoustrouvonsrueduRhône,devantl’entréedechezGlobusetjem’énervetouteseule.
–Jeveuxyretourner,jetedis!Jevaisluidirecequejepense,moi,àcetabruti!–Çanevautpaslecoup,Bulle,calme-toi,tente-t-ildemetempérer.
Jesoupirefortement,cequiinciteuncouple,sortantdumagasin,àseretourner.
–Nahil,tum’énervesàlafin!Jetedisqu’onyretourne,donconyretourne!
Jeneluilaissepaslechoixetfaisaussitôtdemi-tourendirectiondelaplaceduMolard.
JepassesouslepassagedelaTouret,unefoisarrivéesurplace,jeremarquetoutdesuitel’ATK700.Elle est sublime, un vrai petit bijou. Un pourri comme celui que Nahil m’a décrit ne mérite pas deconduirepareillemerveille.OnentrouvetrèspeuenEurope;ilfautgénéralementlesimporterdesÉtats-Unis. Presque 100 chevaux sous le capot et unmonocylindre à deux temps de 700 centimètres cubes.Autantdirequ’ilfauts’accrocherpourladémarreretencorepluspourtenirdessussansquelaroueavantsoitconstammentlevée.
–Qu’est-cequetuvasfaire?mequestionneNahil,inquiet.–Tulesaistrèsbien,répondé-jeenluiadressantunclind’œil.
Il prend alors unemine déconfite, comprenant où je veux en venir et sachant pertinemment qu’il nepourrapasm’enempêcher.
–Bulle,tunevasquandmêmepas…–Ohquesi,lecoupé-jeenriantdevantsonairdésespéré.–Tuesdingue,soupire-t-il.–Maisc’estpourçaquetum’aimes,letaquiné-jetoutenfouillantdansmonsac.
Ils’adossecontreladevanturedechezMassimoDuttietmeregardeopérer.Ilsaitquejevaisréglerçaendeuxtempstroismouvements.Cen’estpaslapremièrefoisquejefaiscegenredechoses.
J’aigrandienapprenantàmedébrouillerseuleetj’aidépasséleslimitesuncertainnombredefois.Ilfautdireque,quand tu avancesdans lavie sansmèreetque tonpèrepasse son tempsauboulotpourarriver à faire vivre sa famille, tu manques vite de repères. J’ai donc eu une adolescence un peuchaotiqueetrebellequi,heureusementpourmoi,s’estbienadoucieaucontactdeschevaux.
Bref,toutçapourdirequevolerunemoto,mêmesansavoirlesclefs,nemeposeaucunproblème.Etmêmesicelafaitdesannéesquejen’aipaseul’occasiondelefaire,jen’aiaucundoutesurlaréussitedel’opération.
Jetrouveainsicedontj’aibesoindansmatroussedemaquillage:unepinceàépileretunebarretteàcheveux.
Ilnefautpascroirequecequel’onvoitdanslesfilmsn’estquesottise.Onpeutréellementouvrirun
coffre-fortavecunepinceàcheveux,toutcommeonpeutdémarreruneATK700aveccesdeuxsimplesaccessoires.
Nahilm’indiquediscrètementoùsetrouvelepropriétaire,sansoublierdemepréciseraupassagequesonvoisindetableestcharmant.
–TuneperdspasleNord,plaisanté-je.–Attends,jenevaispasmepriver,s’amuse-t-il.Ilestvraimentmignonavecsonpetitvisaged’angeet
sonairdepremierdelaclasse.Tusaisbienquec’estcommeçaquejelesaime!–Jeneveuxpassavoir!rétorqué-jeenprenantunfauxairoffusqué.–Jedoisavouerquelepropriétaireducasquen’estpasmalnonplus,danssongenre,ajoute-t-il.Mais
sonairsupérieur,quicachesûrementpleindefailles,gâchetout.
Jerisdevantcetteanalyse,typiquedemonami.
–Enfin,ilestdedos,tunepourraspasenprofiter,ajoute-t-il.–Nahil, tu sais à quel point jem’enmoque !Et puis, il vautmieuxqu’il soit dedos, vu ceque je
m’apprêteàfaire.
Et,joignantlegesteàlaparole,jem’avancedoucementendirectiondelamoto.
Le type à lunettes en facede lui pourraitmevoir s’il sedécalait à peine,mais il semble enpleineconversationaveccetabruti.
J’enfourchedoucementlebolideet,unefoisenselle,j’enclencherapidementlecontact.Jem’empressealorsdecliquersurledémarreuretdemettreenroutemanouvellemonture–etDieusaitàquelpointilfautappuyerpourembrayercemonstre.
–Eh,eh!Maisqu’est-cequetucroisfaire,là!entends-jetoutàcouphurler.
Jetournelatêteendirectiondesterrassesoùtouslesregardssontàprésentbraquéssurmoi.
C’estlàquejelevois.
CharlesDumont.LegrandfrèredeGabriella,mapetiteprotégéedesécuries.Qu’est-cequ’ilfaitlà?Etpourquoimehurle-t-ildessusencourantversmoi?
Maisbonsang,est-ceque…?
Ilnefautàmonespritqu’unepetitesecondepourfairelelien.
CharlesDumontn’estnulautrequelepropriétairedel’ATK,lesalepetitconprétentieuxquiahumiliémonami.
Jenesaispascequimeprendmais,durantuncourtinstant,quandsesgrandsyeuxvertsrencontrentlesmiens, je suisprised’unehésitation. Jene suisplus sûrede ceque je fais. Jene suisplus sûrede levouloir.
Maisjereprendsaussitôtmesesprits.Ilnevapass’ensortirainsi…
Jecliqueunedernièrefois,passelapremièreetfaisrugirlemoteur.Undemi-toursurmoi-mêmeetjefileendirectiondesquais,luienvoyanttoutelafuméeauvisage.
Ilestgrandtempsquequelqu’undonneuneleçonàcetype.
Mais alors que je prends la route desAvanchets, où j’ai prévu d’aller abandonner son bolide, desimagesmetraversentl’esprit.
Jerepenseàlui,ridiculeaumilieudeceboxalorsqueGabriellalecherchaitpartout,etjememetsàsouriretouteseule.Puisjelerevoisdanscetascenseur,sesmainsetsabouchesurlecorpsdecettefille,sans gêne, au milieu des touristes. Mon cœur se serre sans que je comprenne pourquoi. Je me leremémore,courantversmoisurlepontduMont-Blanc,samainattrapantmonbras,sonregardplongeantdanslemien.Jememetsalorsàralentirmacourse.Cetteimageneveutplusmequitter.Commedansunfilm, jepeuxentendre lamusiquedansmesécouteurs, sentir labrisesurmonvisageet le froiddu lacLéman.JerevoisleslumièresdelavilleetjerevoisCharles,setenantdevantmoi,nesachantpasquoidire,continuantdemetenir.
Marespirations’accélère,unebouleseformedansmagorgeetjemerendsbientôtàl’évidence.JenevaispasabandonnercettemotoaumilieudesAvanchets.
Jefaisdemi-touraupremierfeurougeetreprendsladirectiondelarivedroitepuisdeCologny.J’aiquelquefoisdéposéGabrielladevantchezelle,jesaisdoncoùmerendre.JeramèneainsisonbolideàCharles,demauvaisegrâce,maisenparfaitétat.
Sanslesavoir,àpartirdecemoment-là,jecommencedéjààécrirel’histoire.
Présentationdespersonnages:quisont-ilsvraiment?
Toutlemonderêved’étoilesetd’auroresboréales
https://youtu.be/xIMUGwex4pk
Ilesttemps…
Il fait froid, ce soir, àBerlin.Levent souffle sur lesmarchesdugrand théâtre. Il y a foulepour leconcert,maisjenevoispascommentilpourraitenêtreautrement.Jen’aijamaisdoutédesontalent,jen’aijamaisdoutéqu’ilfiniraitpartoucherlesétoiles.
Enrouléedansmagrosseécharpedelaine,jefaislaqueueaumilieudesgenspressés.J’entendssonnomdanslabouchedecertainsetjenepeuxm’empêcherdesourire.
Charles.Septlettresquiontbouleversémavie.
Jenel’aijamaisoublié.Celan’étaitpaspossible.Personnenepeutcomprendrecequ’estl’amour,levrai,tantqu’ilnel’apasvécu.Charlesetmoi,c’étaitça,etbienplusencore.J’auraisdonnémaviepourlui, et il a failli donner la sienne pourmoi. Il existe des tonnes d’histoires d’amour,mais il n’y en aqu’unegrande.
Durantplusd’uneannée,nousavons traversédes tempêtes, affrontédes torrents. Ildisaitque je luiapportaistoutcequ’ilavaittoujourscherché.Iln’ajamaisréaliséàquelpoint,luiaussi,comblaittousmesvides,effaçaittoutesmescraintes.AvecCharles,jen’avaispluspeur.Derien.Maislepasséafaitresurgird’étrangesliensetnoscheminssesontséparés.Nousn’avionspaslechoix.Jen’étaispasprête,j’avaisbesoindetemps.Ilnelesavaitpas,maisilenavaitbesoinaussi.
Sij’étaisrestée,iln’enseraitpaslàaujourd’hui.Jeleconnais,ilauraittoutsacrifiéetilseraitpasséàcôtédesonrêve.Encoreunefois.Ilauraittoutdonnépourmerendreheureuseetilseseraitoublié.Jenevoulaispasdecettevie–nipourlui,nipourmoi–,alorsjesuispartie.Loin.J’aiconstruitmavie.J’aitentédel’oublier.Dansd’autresparfums,d’autreslieux,d’autresbras.Maisrienn’yfaisait,carilyadesâmesquel’universrelieàjamais.Alorscesoir,jesuislà.
Jenesaispasexactementpourquoi…J’ignorecequ’il sepasseraet s’ilmereconnaîtra,mais jenepouvaispasprendred’autredécision.Celanepeutpas êtreunhasard, il y a eu tropde signes…Cesaffichesdeconcertenbasdemarésidence.Cettemêmemusique,àchaquefoisquej’allumaismaradio.Cette enfant, aux écuries, qui regardait Carotte dans son box comme Gabie l’avait fait autre fois.MonsieurPikouikgrattantlatélédevantsoninterviewaujournaldusoir.
Charlesétaitrevenuetilétaitpartout.Ill’atoujoursété…
Jetendsmonticketaucaissieretpénètredansl’immensethéâtre.Leslumièressonttamisées,lesmursrecouvertsdetapisserieépaisse.L’hôtessemeguidedanslesgrandsescaliersdemarbrequidesserventlesétages.Dans lagrandesalle,sur lesfauteuils rougesfaceà l’immensescène, jem’installeentreuncoupled’unequarantained’annéesetungrouped’amies.Sonnomestsurtoutesleslèvres.
Lesgensprennentplacetandisquemespenséesseperdentdansdessouvenirsjamaisoubliés.Cegrandbrunprétentieuxdeboutaumilieud’unbox,l’airgêné.Descheveuxnoirsquitombentsurdegrandsyeuxenamande.Uneescapadeaumilieudelanuitpourvoirdanserdeschevaux.Laperted’unami.Lachute.Lepremierbaiser.Lepremier«Je t’aime».Lesétoiles, lesambulances, lesgrandesdéclarations, lestristesrévélations.Charlesaétémaplusgrandepassion,monplusbeaufrisson.
Quand,enfin, les lumièressebaissentetque la foulesemetàapplaudir,monsoufflesecoupe,moncœur s’accélère. Il entre sur scène et je constate qu’il n’a pas changé. Il est toujours Charles. MonCharles.Cegarçonquej’aiaiméplusquederaison.Quejen’aijamaiscesséd’aimer…
Jeleregardeavancersurl’estrade.J’observechacundesesgestes:safaçondesedéplacer,safaçond’occuper l’espace, de prendre possession de la scène, de captiver tous les regards. Je reconnais lepiano.Jen’yconnaispasgrand-chose,maisjesuissûredenepasmetromper.C’estdugrandCharles.Jel’imagineparfaitementmenacertoutlemondedenepasjouers’iln’apasSONpiano.
Jesouris.Encore.Etpuis,soudain,sesdoigtsfrôlent lestouches.Sesyeuxsefermenttandisquelespremièresnotentenvahissentl’espace.Jesuisimmédiatementtransportéeailleurs.Dansunautremonde,un autre temps. Je le savais doué, je le savais adulé,mais je n’imaginais pas à quel point il vivait àtraverslamusique.
Je finis par tout oublier.Lepassé, le futur,mesdoutes,mesquestions,mespeurs. Il n’y a plus queCharles,sonpianoetmoi.
Lepremieractepasseàunevitessefolle.Tropvite.Tropcourt.Celaselitsurtouslesvisages.Charlesquitte la scène sous les premiers applaudissements d’un public conquis. Cinq minutes de pause, etpourtant,personnen’osequittersaplace.Toutlemondeattendleretourdujeuneprodige,quinesefaitpasprierlongtemps.
Ilrevientquelquesinstantsplustard,frôlantlesold’unpasléger,commenimbéd’unhalodelumière.Il prend place sur son banc, son regard balayant le public pour la première fois. Il ne nous faut paslongtempspournousretrouver.Quelquessecondesàpeine.Sesirisseplantentdanslesmiens;letempssuspendsonvol.Ilm’areconnu,iln’yaaucundoute.Aumilieudecescentainesdepersonnes,aumilieudeBerlin,aumilieudececoncert,Charlesareconquismoncœur.
Jelevoishésiterquelquessecondes,baisserlesyeuxsursonpiano,puismeregarderànouveauavantdereposerlesdoigtssursonclavier.Charlesm’entraîneavecluidanssamusique,danssesexcuses,danssessilences,danssesreproches.Iljoueetilmedittoutautraversdesesmorceaux.Jedéchiffreles«Tu
memanques»,j’entendsles«Jet’aime»,jeperçoisles«C’estunévidence».
Iljoueetjoueencore.Ilnes’arrêteplus.Ilmedonnetoutcequ’ilpeutmedonner.Jelesais,jelesens,jelevois.Toutecettemagieestpourmoi,pournous…Etjecomprends.
Ilesttemps.
Nousneseronsplusjamaisseuls.Jesuislàpourleretrouver.Ilestlàetilm’attend.Etplusrienn’ad’importance…
Instanthorsdutemps
J’entendsdesbruitsetjeperçoisdesgensquis’agitent.J’entendsdesvoixquejeneconnaispas,desaccentsinconnus.J’écoutelesilence,l’appeldesprofondeurs.Jen’ainifroid,nichaud.Jesuisbien.
J’ail’impressiond’êtredansuncocon.Commeunechenillebienauchaud,prêteàsetransformerenunjolipapillon.Jenesensplusmoncorpsmais,étrangement,j’ail’impressiondenepasenavoir.Jen’aipaspeur,bienaucontraire.Jesuisenvahieparunsentimentdebien-êtreindescriptible.
Jeflotteaumilieudelanuit.Iln’yaplusdeprésent,plusdefutur,plusdepassé.
Je ne pense à rien. Je me sens si légère. J’aimerais que cet instant ne s’arrête jamais, que cettesensationsoitéternelle.
Jesuisentouréeparunhalodelumièrequimefaitinstinctivementsourire.Commesiquelqu’untendaitsesbrasversmoipourm’entourerdetoutesachaleur.
Je ne sais pas où je suis, je me souviens simplement de m’être sentie mal au réveil. Une douleurhorreuràlatêtequiaentièrementdisparu,àprésent.JerevoisMonsieurPikouik,dansunesalledebainsquin’estpaslamienne,etmoi,entraindem’appuyersurlelavabo,essayantdem’observerdanslaglacealorsque tout tourneautourdemoi. Jemesouviensavoir retirémes sous-vêtementspourmedoucher,aprèsm’êtreditqu’unpeud’eaudevraitmeréveiller.
Jevisualisecettedouche.Cen’estpaschezmoi.Mais jen’arrivepasàmesouvenir.Jen’enaipasenvie.Jesuissibien,ici,pourquoichercheràcomprendre?
Etcettelumièrequim’attire…Ellemefaitoubliertoutlereste,ellemedonneenvied’avancerencoreplusverselle,demejeterdedanstouteentière.
Lesvoixsontdeplusenpluslointaines,lesbruitssontinaudibles.Jem’éloignedoucement,rassurée,enpaix.Etc’estalorsque…
«Bulle!»
Bulle?C’estmonnom.Etcettevoix,jelaconnais.Ellerésonneenmoicommeunécho.
La lumièreperddeson importance. Jeneveuxplusyaller. Jenesuisplus sûre.Quelquechosemeretient,jelesens.Quiest-ce?Quim’appelle?«Dites-moicequ’ilsepasse!»
Mais…Mais!Jemesouviens.L’hôtel,lesétoiles,levol,Genève,et…et…Charles.Monamour…
Jel’entendsmaisjenelevoispas.Jevoudraisqu’ilvienneavecmoi.Ilseraitsibienici,luiaussi.Jedoisletrouver.Jedoisleramener.Jedoisluimontrercetendroit!Ilfautquejemeconcentre;ilfautquejelutte.
Lesbruitsserapprochentànouveau.Jesensqu’ons’agiteautourdemoimaisjenecomprendspascequ’ilsepasse.Lalumières’éloignemaisnemelâchepas.Sonappelestdeplusenplusfortetjedoismeconcentreraumaximumpourremonteràlasurface.J’ail’impressiondenager,priseentredeuxcourants,maisjecontinuedel’entendre,etjeveuxrevenirverslui.Jenepartiraipassanslui.
Soudain,lenoirdisparaît,l’espaced’uneseconde.JesuisfaceàCharles.Jelevois.Ilestretenuparquelqu’unquejeneconnaispas.Autourdemoi,unefouled’inconnuss’agite.Dessonneriesretentissent.
Charles semble si paniqué… Je ne comprends pas ce qu’il se passe.Cela dure une seconde – uneinfimeseconde.Alorsjeluisouris.Jeluisourisetjeluimontrequ’iln’apasàs’inquiéter.Jesuisbienoùjesuis,etilpeutmerejoindre.Lalumièreestsi…proche.Ellemerattrape.
Brusquement,toutredevientnoir.J’entendsunbipinterminable.Puismesyeuxs’ouvrentdenouveau.Jesuisfaceàunescènecomplétementdéroutante.Jen’arrivepasàycroire.
J’ail’impressiond’êtredansunhélicoptère…Ilyadumondeendessousdemoi,etjeflotteau-dessusd’eux. Ils se débattent autour de quelque chose.Charles est avec eux. Il a l’air vraimentmal,mais jen’arrivepasàl’appeler.Aucunsonnesortdemabouche.
Quefont-ilsàlafin?Etquesepasse-t-il?
Uneportes’ouvre,toutlemondesetourne.Nousavonsatterris.Etsoudain,c’estlechoc.
C’estinsensé.
Je flotte au-dessus de moi-même. Je ne suis pas folle, c’est bien mon corps que je vois juste endessous.Etc’estbienCharlesquitombeàgenouxaumilieudetoutcecirque.Toutelascènedecematinserecomposealorsdansmonesprit.Jeréaliseoùjesuis,cequejefais.C’estincroyable…Jenetrouvepaslesmotspourexprimermontrouble.Jen’enrevienspas.Etsurtoutjeneveuxpas!
Jeneresteraipasunesecondedeplusici.Cen’estpasmonheure.
Jerejettelalumièreettoutcequ’elleprometdem’apporter.Jelarepousseloindemoi,jen’enveuxpas–dumoins,pasmaintenant.Laseulechosequejedésire,c’estCharles.Charlesetriend’autre.
Jem’appelleBulleSimoninetjesuisplusfortequelamort.
Remerciements
Encoreunroman,encoredespersonnages,encoreunehistoire,encoreuneaventure…
Commeàchaquefois,cestressetcetteexcitationdevousfairepartagercettehistoire.
Merciàvous,meslectrices,vousêtestoujoursplusnombreuses,etjenesauraijamaisassezvousenremercier.
Jen’oublie jamais lesplus fidèles,cellesqui sont làdepuisHim. Jenepourraipas toutes lesciter,maisellessereconnaîtront.Etsurtoutjelesfatiguedéjàassezsurlesréseauxsociauxlol(macorrectriceMorganen’aimepaslesloldanslestextes,maisjel’adore,alorsellemepardonnera).
Ungrandettoujoursplusgrandmerciàtoutema«team»,Nisha.Mamaisond’éditionoùjemesenscommeàlamaison(unpeutropparfois,d’ailleurs!).Puissenotreunioncontinuertantquej’écrirai!(Jevousrassure,jen’envisagepasd’arrêter,quoique…Unecarrièredanslachanson?)
ÀMarieduservicecom’quej’aiaumoinsleméritedefairerire.
ÀLaëtitia,monbinômein-dis-pen-sable.
ÀAdeline,merci de continuer de croire enmoi, deme pousser, deme porter vers le haut, demesupporteraussi!
Auxchevaux,quim’onttantapprisettantdonné.«Onnepeutpastricheravecleschevaux,onnepeutpasfairesemblant,onestnu...Ilfautaccepterd'êtrenupendantunbonmoment.»
ÀGenève,cettevillequel’onretrouvedeprèsoudeloindanschacundemesromans.Tuescommelefeu, citée du bout du lac, tu attires autant que tu brûles…Tu as laissé unemarque indélébile et tu necesserasjamaisdem’inspirer.
Àlamusique,l’essencedelavieetaupiano,l’essencedelamienne.
ÀLouAshton qui a donné le nomdemon roman à un de ses bijoux.On ne pouvait rêver plus bel
hommage.
ÀCharlesetàBulle.
Collection«Nisha’sSecret»
Obsessionsinsoumises,Mael–AngelArekin
Obsessionsinsoumises,Rory&Max–AngelArekin
Obsessionsinsoumises,Yano–AngelArekin
Jeuvespéral–AngelArekin
Àpleinesmains,Elsa–EvadeKerlan
Dévorerduregard,Milia–EvadeKerlan
Irrésistible,Natalia–EvadeKerlan
Semettreauparfum,Josh–EvadeKerlan
Frissonsdenuit–CindyLucas
Joueaveclefeu–CindyLucas
Pactesensuel–CindyLucas
Ungoûtd’interdit–CindyLucas
Déclencheurdeplaisir–TwinyB.
L’artiste–TwinyB.
Orgasmesnocturnes–TwinyB.
Plaisirsmasqués–TwinyB.
Pariàtrois–OlyTL
SoumiseAïko–OlyTL
Soumissionaquatique–OlyTL
Yoga&supplices–OlyTL
ZeusDating–EvadeKerlan
Songed’unenuittorride–JoyMaguene
Lilas–OlyTL
Collection«DiamantNoir»
LaChute,saisons1et2–TwinyB.
BlackSky–TwinyB.
Nerougispas,saisons1,2et3–Lanabellia
Nefermepastaporte–Lanabellia
Play&Burn–FannyCooper
NoControl–FannyCooper
Alia,lesvoleursdel’ombre–SophieAuger
Betrayed–SophieAuger
Him–SophieAuger
Dimitri–SophieAuger
NightofSecrets–SophieAuger
Journald’ungentleman,saisons1et2– EvadeKerlan
LoveonProcess– Rachel
GetHigh–AvrilSinner
LoveBusiness–AngelArekin
Gabriel–AngelArekin
Surtonchemin–MikkySophie
SexAttraction–AurélieColeen
Collection«FeelGood»
HollywoodenIrlande–ElisiaBlade
Séduire&Conquérir–ElisiaBlade
LeGoûtduthé,celuiduvent–EveBorelli
Aprèsl’obscurité–EveBorelli
L’Étreintedesvagues–OliviaBillington
Collection«Nisha’sDream»
Olympe–CindyLucas
Auteure:SophieAuger.
Suiviéditorial:LaëtitiaHerbaut,MorganeDumazel
NishaEditions
21,ruedestanneries
87000Limoges
N°Siret82113207300015
N°ISSN2491-8660