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Master professionnel
Mention : information et communication
Spécialité : Marketing et Publicité
Option : Stratégies de marque et Communication plurimédia
TITRE DU MÉMOIRE
QUAND LES MARQUES SE DOTENT D’UN ESPRIT « FAB »
LA RHÉTORIQUE DE L’INNOVATION AU CŒUR D’UNE
STRATÉGIE DE MARQUE
LE CAS DE ORANGE FAB
Responsable de la mention information et communication
Professeure Karine Berthelot-Guiet
Tuteur universitaire : Antoine Bonino
Nom, prénom : MONZINI CÉLINIE
Promotion : 2015
Soutenu le :
Note du mémoire :
2
REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer ma gratitude à Caroline Marti pour ses enseignements au CELSA et Antoine
Bonino, mon tuteur universitaire pour sa présence pour la rédaction de ce mémoire ainsi qu’à la
disponibilité des différentes personnes interrogées de chez Orange Fab et Orange Institute. Je tiens
aussi à remercier mon rapporteur professionnel Jean Arnaud, responsable du développement de
Scintillo et de sa branche entrepreneur : Creatis, pour avoir nourri ma réflexion.
Enfin, un grand merci à mon mari pour toute son attention et sa patience tout au long de ce
mémoire, à mon petit garçon pour ses sourires et ma famille pour leur soutien.
Célinie Monzini
3
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS ................................................................................................................... 2
SOMMAIRE ............................................................................................................................... 3
I. INNOVER AUTREMENT : AU CŒUR D’UNE STRATÉGIE D’ENTREPRISE ..................... 9
A. L’INNOVATION DANS TOUS SES ÉTATS ..................................................................... 9
1. Un modèle d’innovation périmé ..................................................................................... 9
1.1 Définition et contours de l’innovation ......................................................................... 9
1.2 De l’innovation linéaire à un modèle communicationnel de l’innovation ......................... 11
1.3 L’incapacité des entreprises à accéder aux innovations de rupture .................................. 14
2. Les nouvelles pratiques de l’innovation : de l’innovation ouverte aux incubateurs ................ 17
2.1 De l’émergence à la définition de l’innovation ouverte ................................................. 17
2.2 Les programmes d’incubateurs ................................................................................. 20
2.3 Les incubateurs d’entreprises ................................................................................... 23
B. UNE ENTREPRISE EN INNOVATION ........................................................................ 25
1. Présentation du corpus, contexte et méthodologie .......................................................... 25
1.1 Les ambitions stratégiques du groupe Orange ............................................................. 25
1.2 L’écosystème de l’innovation ouverte d’Orange .......................................................... 26
1.3 Méthodologie ........................................................................................................ 28
2. Orange Fab, un accélérateur ......................................................................................... 32
2.1 Orange Fab, mission et fonctionnement .................................................................... 32
2.2 Analyse des différentes études .................................................................................. 34
2.3 Conclusion ............................................................................................................ 36
II. LE RECIT DE LA MARQUE ......................................................................................... 39
A. ANALYSE DU DISCOURS D’ORANGE ........................................................................ 39
1. Méthodologie et analyse .............................................................................................. 39
1.1 Méthodologie ........................................................................................................ 39
1.2 Les thèmes recueillis ............................................................................................... 40
2. Du bâtisseur au chef d’orchestre de l’innovation ............................................................. 46
2.1 L’innovation : au cœur de l’identité de marque ............................................................ 46
2.2 Appropriation des codes du numérique et des start-ups ............................................... 47
2.3 Le chef d’orchestre de l’innovation ........................................................................... 51 B. UNE QUÊTE DE LÉGITIMITÉ POUR S’INSCRIRE COMME ACTEUR DU
CHANGEMENT DE DEMAIN ............................................................................................. 52
4
1. Le mythe de l’innovation, levier salvateur pour appréhender le futur .................................. 52
1.1 Prédire l’avenir, un besoin résolument humain à la construction du mythe de l’innovation 52
1.2 Le ré-enchantement de l’avenir par les marques .......................................................... 54
1.3 Orange, la marque salvatrice .................................................................................... 55
1.4 Les start-ups, les adjuvants qui ont pour mission de redynamiser le héros ....................... 56
1.5 Orange : créateur d’histoire ...................................................................................... 57
2. Les Start-ups, nos héros ! ............................................................................................. 59
2.1 La figure de l’innovateur à travers le temps ................................................................ 59
2.2 Les start-ups : le nouveau mythe contemporain .......................................................... 60
2.3 Conclusion deuxième partie ..................................................................................... 67
CONCLUSION ........................................................................................................................ 69
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................... 73
ANNEXES ............................................................................................................................... 77
RÉSUMÉ ................................................................................................................................. 78
MOTS-CLEFS .......................................................................................................................... 78
5
INTRODUCTION
Ne naît-on pas innovateur, n’est-ce pas intimement lié à une prédisposition génétique ? Le
chromosome du génie un peu fou, souvent mal-compris à son époque, a nourri pendant des siècles
le mythe de l’innovateur, alimenté par des légendes populaires comme la pomme de Newton ou
comme le film « Retour vers le futur »1 avec le Professeur Brown.
Aujourd’hui le fantasme persiste toujours, même s’il est passé du mythe du « génie fou » à celui du
« geek » 2 derrière son ordinateur qui révolutionne le marché du jour au lendemain depuis son
garage. Mais la réelle évolution est que l’innovation s’est « démocratisée » ; tout le monde ou presque
peut prétendre être à l’origine d’innovations ou tout du moins être entrepreneur ! Le nombre de
formations offrant une filière « entreprenariat » le démontre et c’est devenu une discipline
académique à part entière. Cet engouement pour l’innovation se concrétise et se concentre dans les
mains de jeunes pousses, appelées communément : « start-up ». Terme d’origine américaine
composé du mot « start » qui signifie démarrer, commencer, et le mot « up » qui désigne élévation,
grandir qui implique donc une notion de hauteur. A croire que ces jeunes entreprises ne peuvent
que croître et sont d’ailleurs chargées d’un signifiant commun fort : celle d’une réussite rapide dans
les nouvelles technologies. On retrouve cette notion, dans la définition que livre Wikipédia : « une
jeune entreprise innovante à fort potentiel de croissance qui fait souvent l'objet de levée de fonds »3.
On retient donc que les start-ups sont intimement liées à l’innovation et ont un « fort potentiel de
croissance ». Des acteurs qui détiendraient donc les clés de la réussite ? Qui permettraient de
relancer, voir renouveler l’économie. Difficile aujourd’hui de le confirmer, mais nombreux sont
ceux qui mettent le cap vers cette direction. Vu comme un remède aux maladies contemporaines
comme le chômage structurel, il est proposé à toutes les sauces et par tous les acteurs aussi bien
publics que privés. L’objectif : devenir une « start-up nation » pour les institutions publiques,
trouver la future « Unicorn » pour les investisseurs privés, ou encore s’offrir « une cure de jouvence »
pour les entreprises. L’espoir d’un renouveau est là.
Paris, compte à elle seule 12000 start-ups en 2015, c’est plus que Londres et Berlin, et le Numa - le
QG des jeunes entreprises du numérique au cœur de la « Silicon Sentier » (pour faire un gros clin
d’œil au temple de l’innovation mondiale : « Silicon Valley ») le nombre de postulants à leur
1 Film réalisé par Robert Zemeckis, sorti en 1985 2 Définition de Wikipedia : anglicisme désignant une « personne prise par une passion, à l’origine dans le domaine de la high-tech, puis par extension dans n’importe quel domaine. » 3 Définition de Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Startup
6
programme d’accompagnement de start-up a quadruplé depuis 2013. Les jeunes ne rêvent plus de
faire carrière dans un grand groupe mais aspirent à devenir le prochain Elon Musk4 et à trouver la
prochaine innovation disruptive qui va révolutionner les marchés. « La jeune génération veut avant
tout changer le monde, bousculer les usages, casser les rentes des acteurs historiques »5, analyse
Oussama Ammar, associé de l'incubateur parisien « The Family », plus qu’un désir purement
marchand c’est parfois même un projet sociétal qui alimente cette aspiration.
Face à cet engouement, les grandes entreprises se sont senties presque délaissées. Perçues de plus
en plus comme des éléphants vieillissants à l’antipode des start-ups jeunes et dynamiques, elles
n’ont plus vraiment le vent en poupe et se sentent à la traîne face à cette course à l’innovation. Pour
y remédier, certaines d’entre elles, ont décidé d’ouvrir leurs portes (ou entrouvrir) à cet « eldorado »
des start-ups, une source d’innovation qui semble inépuisable et accompagnée de tout un
imaginaire synonyme d’espoirs pour les uns, de dollars pour les autres. Étant moi-même entourée
de personnes se lançant dans l’aventure entrepreneuriale, j’ai pu découvrir tout un univers qui s’est
créé autour des start-ups. Vu comme un véritable appât pour certains acteurs, de nombreuses
démarches sont entreprises pour les séduire. Mais pour quelle raison une grande entreprise aurait-
elle besoin de s’appuyer sur de plus petite ? Pour des raisons purement marchandes, ou alors est-
ce que cela correspond à une vraie volonté de stratégie d’innovation, ou encore pour s’offrir une
cure de jouvence et inscrire, l’entreprise dans l’avenir.
En effet, s’approprier les codes de cet univers peut donner l’illusion déjà d’y appartenir ou en tout
cas peut faire partie d’une stratégie de communication. Les raisons pour lesquelles les entreprises
s’intéressent aux start-ups peuvent être nombreuses. Elles ne sont pas forcément les mêmes d’une
structure à une autre et l’enjeu de ma réflexion est de distinguer ce qui ressort de la stratégie
d’innovation et de la stratégie de communication.
C’est sur ce phénomène que je me suis penchée dans ce mémoire : comprendre les dessous de cette
mise en relation entre deux acteurs qui diffèrent sur de nombreux aspects.
Quand les marques se dotent d’un « esprit fab », la rhétorique de l’innovation au cœur
d’une stratégie de marque, questionne les raisons pour lesquelles les grandes entreprises non
seulement s’intéressent aux start-ups mais mettent en scène tout un dispositif d’attraction pour les
attirer. Plus spécifiquement, notre sujet soulève la problématique suivante : dans quelle mesure les
discours de l’innovation ouverte servent-ils la stratégie de marque ?
4 Fondateur de SpaceX, co-fondateur de PayPal, Zip2 et Tesla Motors 5 Nathalie Villard, « La France, ce pays qui créé des start-up à la chaîne ! », article publié dans Capital le 09 Juin 2015
7
Afin de définir le périmètre de notre mémoire, il est important de distinguer l’entreprise de la start-
up. Lors d’une conférence, Oussama Omar6 propose de différencier les deux acteurs par leur niveau
de maturité face au modèle économique. C’est à dire que la start-up cherche son modèle
économique alors que l’entreprise applique un modèle économique déjà défini. Les enjeux sont
donc très différents puisque la start-up est encore au stade de survie et l’entreprise gagne déjà sa
vie. De façon plus générale, lorsque l’on parle de grandes entreprises, l’on fait surtout référence
aux entreprises du CAC 40. Le terme « fab » fait lui référence à l’accélérateur de « Orange Fab » qui
évoque : un lieu de création ouvert, une unité de fabrication et un mouvement social. Nous
reviendrons sur ces trois points au cours du mémoire.
Pour répondre à cette problématique, j’ai émis trois hypothèses qui m’ont permis d’organiser mes
recherches et de définir mon corpus.
La première hypothèse relève d’une volonté des marques d’aller puiser l’innovation auprès des
start-ups. Dans un contexte très concurrentiel, avec des cycles de produits de plus en plus courts,
les entreprises ne seraient plus à mêmes d’innover uniquement par elles-mêmes. Dans une
démarche d’innovation ouverte, elles mettraient en place des programmes d’incubateurs pour
attirer et collaborer avec les start-ups.
Plus qu’une stratégie d’innovation, la deuxième hypothèse démontre que les entreprises viennent
chercher de la légitimité auprès des start-ups pour réactualiser leur rhétorique de l’innovation en
prenant appui sur des acteurs plus contemporains.
La troisième hypothèse s’appui sur la volonté des entreprises de s’offrir une « cure de jouvence »7
auprès des jeunes start-ups dans le but de s’ancrer dans l’avenir.
Pour répondre à ces hypothèses, j’ai choisi de me concentrer sur un acteur majeur : Orange. Héritier
de France Télécom, Orange jouit d’un patrimoine fort, ancré dans l’histoire française, et qui a
connu de nombreux succès mais, comme d’autres acteurs de la téléphonie mobile, s’est vu dépassé
par l’arrivée de Free il y a plus d’une dizaine d’années. Son domaine d’activité est intimement lié à
celui des nouvelles technologies et de l’innovation comme indiqué sur leur site internet : « 200 ans
de communications et d’innovations au service de 230 millions de clients », dont de nombreuses
« innovations audacieuses ». L’innovation est donc au cœur de la stratégie d’Orange. Aujourd’hui
6 Dans le cadre des Matinales de la Transformation, EMLYON Business School & Manpowergroup ont reçu Oussama Ammar le 3 novembre sur le thème du "Décryptage de la transformation digitale", vidéo retransmise sur la chaine Youtube de l’EM LYON : « early adopters », durée : 51minutes 7 Expression empruntée à Sandrine Cassini dans son article « Les usines à start-ups, cure de jouvence des grands groupes », 19 Juillet 2015, Les Échos.fr
8
la marque dépense 1,9% de son chiffre d’affaires dans l’innovation avec plus de 5000 employés au
service de la R&D8, un dispositif non négligeable. Et pourtant Orange a été un des pionniers en
France à s’intéresser à l’innovation ouverte, c’est- à-dire à aller puiser l’innovation à l'extérieur de
sa structure. Notamment avec les start-ups, le groupe a développé tout un écosystème avec plus de
huit programmes d’accélérateurs à travers le monde avec les « Orange Fab », en 2008 « Orange
Institute » a été créé et se définit comme « un think tank mondial dont l'objectif est de comprendre
et anticiper les transformations rapides provoquées par les innovations numériques dans notre
société en réseau »9, et enfin le dispositif « Orange Digital Ventures ». C’est ce besoin de se tourner
vers les start-ups alors que l’entreprise semble déjà bien ancrée dans l’innovation qui m’a intéressé.
Quelle est la motivations d’Orange ? Quel est le discours de marque mise en avant ?
Ensuite, tout le long de mon mémoire je me suis référée à deux types d’incubateurs à titre de
comparaison. Les premiers sont les incubateurs d’entreprises, comme dans le cas d’Orange. J’ai
notamment étudié le cas de « Look Forward », l’incubateur de Showroom privé. Et « Welcome City
Lab », un incubateur d’entreprises spécialisé dans le tourisme qui regroupe différents acteurs
experts dans le domaine. Les deuxièmes, sont les incubateurs privés non rattachés à une entreprise.
Nous avons notamment retenu deux incubateurs américains « Y Combinator » et « Tech Stars »,
les deux références dans la matière. Et des acteurs français : « Le Numa », « 50 Partners » et « Le
Camping ».
Dans l’ambition d’éprouver la première l’hypothèse, j’ai entrepris une étude qualitative individuelle
dans l’objectif d’extraire la stratégie d’innovation tout en distinguant ce qui relève de l’ordre du
discours. Ainsi qu’un sondage auprès de start-ups qui ont participé au programme d’accélérateur
d’Orange. Pour la deuxième hypothèse, j’ai collecté l’ensemble des supports de communication
interne émis par Orange autour des sujets de l’innovation ouverte et de leur écosystème (Orange
Fab, Orange Institute et Fab Force essentiellement) afin de décortiquer leur discours de marque.
Cela comprend du contenu visuel (vidéo, photos) et écrit provenant des communiqués de presse
ou tout autre support interne. J’ai aussi travaillé sur une étude comparative entre différents sites
internet de programmes d’incubations et d’accélérations, comprenant Orange Fab. Pour traiter la
dernière hypothèse et comprendre le champ sémantique de la start-up et de l’innovation dans la
presse, j’ai procédé à une analyse sémiotique du discours journalistique. Et enfin, j’ai souhaité
recueillir le discours de trois responsables de chez Orange Fab et Orange Institute ainsi que trois
témoignages de start-ups ayant ou faisant toujours partie de leur programme d’accélération. In fine,
j’ai terminé par un petit sondage autour de l’imaginaire des startups.
8 Emmanuelle Delsol, « Innovation : la nouvelle peau d’Orange », publié dans l’usine nouvelle le 21 Février 2013 9 Dossier de presse Orange, « L’open innovation », publié sur le site edossiers Orange en Janvier 2016
9
I. INNOVER AUTREMENT : AU CŒUR D’UNE
STRATÉGIE D’ENTREPRISE
L’innovation n’est pas l’invention. L’innovation n’est pas non plus un acte créatif mais répond à
une terminologie et un processus précis mais souvent galvaudé par les médias, entreprises ou
institutions publiques. Cette confusion et appropriation de chaque acteur public et privé démontre
l’importance et l’enjeu que représente l’innovation dans notre économie.
Nous allons dans cette partie dresser les contours de l’innovation en la définissant d’abord, puis en
étudiant l’évolution de l’innovation au prisme de différentes approches interdisciplinaires pour finir
sur les incubateurs. Si dans cette partie nous avons une approche plus managériale et macro-
économique pour répondre à la première hypothèse, la deuxième partie sera concentrée sur l’étude
de la rhétorique de notre corpus.
A. L’INNOVATION DANS TOUS SES ÉTATS
1. Un modèle d’innovation périmé
1.1 Définition et contours de l’innovation
Ainsi l’invention n’est pas l’innovation mais peut-être la source de l’innovation. Alors que
l’invention est plus liée au moment de la conception d’une découverte scientifique, d’une
découverte à proprement dit, l’innovation résulte plus de la diffusion et la propagation de
l’invention dans le corps économique et social. L’innovation à un objectif plus économique que
l’invention qui peut avoir une visée plus intellectuelle. Mais avant de nous atteler à définir
l’innovation et ses différentes théories, revenons aux racines.
Innovation vient du mot latin « innovare » qui signifie « revenir à, renouveler ». « Innovare » est
composé du verbe « novare » de racine « novus » qui veut dire « changer », « nouveau », et du préfixe
« in » qui indique un mouvement vers l’intérieur. Selon le Larousse : « introduire quelque chose de
nouveau pour remplacer quelque chose d’ancien dans un domaine quelconque »10.
Que ce soit dans l’origine du mot ou dans sa définition, on retrouve la dimension de « nouveau »,
mais avec la spécificité que l’étymologie nous indique qu’on pénètre dans quelque chose. La
10 Le Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/innover/43197
10
définition de l’innovation de Wikipedia rajoute que dans « la terminologie juridique au Moyen Âge :
« introduire quelque chose de nouveau dans une chose établie » (…) et qu’au XVIème siècle le mot
définit quelque chose de « plus singulier, inattendu, surprenant ». »11 On retient donc des origines
de l’innovation trois aspects : l’aspect de nouveauté dans un ordre établi, l’aspect de mouvement
qui fait écho au processus (à la différence de l’invention plus ponctuelle, l’innovation fait partie
d’un processus) et le dernier qui a un aspect unique, singulier. Mais R. Ringoot12 précise que la
nouveauté se retrouve plus dans la perception que dans les faits. L’innovation, à opposer à la
création, présuppose une transformation de quelque chose de déjà existant, ou de non isolé.
L’innovation « rénoverait » en induisant un « nouveau » dans la perception.
Mais qu’est-ce qu’une innovation ? La première chose qui nous vient en tête est l’innovation de
type technologique, de produit ou encore de procédé. Mais il en existe une quatrième, souvent
méconnue, qui est celle de l’innovation commerciale. Ainsi, l’innovation oscille du développement
d’un nouveau produit et service (innovation technologique) à la création d’un nouveau « business
model »13. Gary Pisano a proposé la carte de l’innovation14 (voir carte ci-dessous) qui relève quatre
types d’innovations : innovation de rupture, innovation architecturale, innovation de routine et
enfin l’innovation radicale. En fonction du type d’innovation souhaité, elle nécessite plus ou moins
d’innover en termes technologiques ou de modèle commercial.
11 Lien de la définition sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Innovation 12 Blandine Arondel, « Sémiologie, innovation et entreprise - Colloque de l’Anvie 9-10 décembre 1998 », Communication et organisation, n. 15, 1999 13 Traduction : modèle commercial 14 Gary P. Pisano « Vous avez besoin d’une stratégie d’innovation », Harvard Business Review, p.22
11
1.2 De l’innovation linéaire à un modèle communicationnel de l’innovation
Nous allons retracer l’évolution de l’innovation à travers les travaux d’Yves Badillo15 et de son
approche interdisciplinaire de l’innovation. Une étude au croisement entre les sciences de
l’information et de la communication, des sciences économiques, de la sociologie et du
management.
Il identifie, tout au long du XXème siècle, l’innovation comme un modèle linéaire basé sur les travaux
de Shannon et synthétisé par un schéma : émission – communication – réception. Le récepteur,
consommateur passif, n’interagit d’aucune façon sur le processus de l’innovation mais absorbe
l’innovation comme elle lui vient. L’émetteur, est quant à lui l’entrepreneur innovateur de J.
Schumpeter16, qui dans sa première vision, est un entrepreneur issu d’entreprise moyenne ou
familiale et qui ensuite évoluera vers l’entrepreneur ingénieur des centres de recherche de grande
entreprise, motivé par les découvertes technologiques et scientifiques. Un modèle « top down »17 où
le « technology push »18 porte les innovations. Il en découle une trajectoire classique ou les chercheurs
innovent, les équipes de marketing assurent la promotion et la vente et le consommateur…
consomme.
15 Badillo Patrick-Yves, « Les théories de l'innovation revisitées : une lecture communicationnelle et interdisciplinaire de l'innovation ? Du modèle « Émetteur » au modèle communicationnel », Les Enjeux de l'information et de la communication, 1/2013 (n° 14/1) p.32 16 Schumpeter, Joseph A. « Capitalisme, socialisme et démocratie », Paris : Payot, 1983 17 Traduction : modèle de haut en bas 18 Traduction : poussées technologiques
12
Freeman et Perez19 identifient quatre principales catégories d’innovation : les innovations
incrémentales, dites aussi les innovations continues, les innovations radicales, les changements de
technologies et les changements de paradigmes techno-économiques. Nous verrons dans un
deuxième temps que les innovations incrémentales s’opposent aux innovations de rupture
introduites plus tard par Clayton Christensen dans une approche managériale. Les innovations
radicales quant à elles, amènent des changements radicaux par l’irruption de découvertes comme
celle du nylon ou encore de la pétrochimie. Les changements de paradigmes techno-économiques
bouleversent la vie économique et sociale et peuvent amener des nouveaux paradigmes de
méthodes de travail. Yves Badillo se réfère aux travaux de Frédérick W. Taylor qui développe une
vision mécanique du management « basé sur une structure organisationnelle hiérarchique avec des
flux d'informations « top-down » et une forte division du travail », tout comme le modèle de
communication unidirectionnel et linéaire de Shannon.
Depuis plusieurs décennies, des approches interactives puis systémiques de l’innovation sont
apparues et ont placé la communication au cœur de l’innovation. C’est en 1966 ou Jacob
Schmookler développe une approche de « market pull »20 ou de « demand pull »21, c’est-à-dire où le
consommateur interagit avec l’innovation, où « le processus d'innovation peut être pensé comme
un ensemble de chemins de communication à travers lesquels la connaissance est transférée »22.
Dans les années 70, l’école de Palo Alto propose une vision systémique portée par Paul Watzlawick
où les relations humaines sont au cœur de la communication. En symétrie avec le modèle linéaire
et mécanique de Shannon, le récepteur interagit et renvoie en retour des informations qu’il partage
avec d’autres personnes. Le contexte joue alors un rôle essentiel dans la communication.
Différentes approches vont ensuite nourrir l’évolution de l’innovation comme celle de Patrice
Flichy23 qui propose une approche socio-technique de l’innovation où les différents acteurs,
designers et utilisateurs jouent un rôle dans le processus de l’innovation. C’est dans le domaine du
management de l’économie que le paradigme de l’innovation ouverte sera développé par
Chesbrough24 en 2003. Il démontre que les idées se trouvent aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur
de l’entreprise.
19 Freeman, Christopher, Perez, Carlota, « Structural crises of adjustment, business cycles and investment behaviour », London : Pinter, 1988 20 Traduction : demande du marché 21 Traduction : demande extérieure 22 Badillo Patrick-Yves, « Les théories de l'innovation revisitées : une lecture communicationnelle et interdisciplinaire de l'innovation ? Du modèle « Émetteur » au modèle communicationnel », Les Enjeux de l'information et de la communication, 1/2013 (n° 14/1) p.32 23 Flichy, Patrice (2003), « L'innovation technique récents développements en sciences sociales, vers une nouvelle théorie de l'innovation », Paris : La Découverte 24 Chesbrough, Henry, Open innovation: the new imperative for creating and profiting from technology. Boston, Mass: Harvard Business School Press, 2003
13
Everett Rogers, va placer la communication au cœur de l’innovation et introduire le terme de
« réinvention » qui est défini comme le degré auquel « une innovation est changée ou modifiée par
l'usager au cours du processus d'adoption et de mise en place »25. Il précise que « la communication
est un procès dans lequel les participants créent et partagent de l'information avec les autres pour
atteindre une compréhension mutuelle ». Eric Von Hippel26, en 1988, va plus loin en introduisant
la logique des usages où le récepteur au contact de l’innovation va la détourner pour en faire
éventuellement un usage imprévu. Bien loin du modèle linéaire, Yves Badillo introduit alors le
modèle communicationnel de l’innovation avec l’avènement d’internet et du Web 2.0 : « dans un
contexte numérique, l'innovation passe par la communication et met au premier plan les
internautes, au sens large, en particulier, dans une perspective Web 2.0, les usagers profitent des
nouveaux espaces de communication pour échanger, communiquer et porter des innovations.»27
Et si nous sommes passés d’un modèle linéaire porté par l’entrepreneur schumpétérien à un modèle
où les interactions et la communication entre les différents acteurs sont au cœur du processus de
l’innovation, « l'activité d'innovation devient, de façon croissante, le fruit de combinaisons non pas
de facteurs de production mais de facteurs d'information»28. Deux catégories d’innovations sont
alors distinguées : l’innovation à base technologique et l’innovation à base numérique qui, elle, est
caractérisé par la combinaison de « ré-innovations numériques ». Le premier type d’innovation est
porté par les « techno-users » c’est à dire des individus qui sont immergés dans les technologies comme
les développeurs. Le second type, par des usagers (au sens large) qui vont non seulement
s’approprier ces technologies pour ré-inventer leurs usages mais vont devenir de véritables « acteurs
(…) susceptibles de faire de véritables ré-innovations numériques »29. Ces deux types d’acteurs vont
se réunir dans le cadre d’une entité : la start-up.
On retient que la façon d’innover a évolué tout au long des décennies. La communication en est
au cœur, et plus qu’un processus à sens unique, l’innovation devient une interaction entre différents
acteurs où l’émetteur peut devenir le récepteur et vice versa. Cette évolution s’accompagne d’une
aspiration sociétale où la concentration du pouvoir n’est plus uniquement détenue dans les mains
de quelques acteurs (l’Etat et les grandes entreprises) mais dans la création d’écosystèmes ou
différents types d’acteurs (entreprises, startups, universités, publics) vont unir leurs forces et leurs
expertises.
25 Rogers, Everett (1995), « Diffusion of innovations », New York: Free Press, p. 174 26 Hippel, Eric Von « User innovation » (p. 117-133), in Huff, Anne S., Moslein, Kathrin M., Reichwald, Ralf (2013), Leading open innovation, Cambridge, Mass: MIT Press.2013 27 Badillo Patrick-Yves, « Les théories de l'innovation revisitées : une lecture communicationnelle et interdisciplinaire de l'innovation ? Du modèle « Émetteur » au modèle « communicationnel », Les Enjeux de l'information et de la communication, 1/2013 (n° 14/1) p.30 28 Ibid., p.31 29 Ibid., p.32
14
1.3 L’incapacité des entreprises à accéder aux innovations de rupture
Mais si le modèle de l’innovation a évolué, cela proviendrait en partie de l’incapacité des grandes
entreprises à accéder aux innovations dites « de rupture » qui sont aujourd’hui les plus radicales et
les plus menaçantes pour elles. C’est la thèse, en tout cas, soutenue par le professeur américain et
spécialiste de la question de l’innovation : Clayton M. Christensen.
Dans son livre « The Innovator’s Dilemma : When New Technology Cause Great Firms to Fail », il distingue
deux types d’innovations : « l’innovation de rupture » et « l’innovation incrémentale ». L’innovation
incrémentale consiste à améliorer la performance d’un produit déjà existant, elle est souvent la plus
utilisée par les grandes entreprises alors que « l’innovation de rupture » est propre aux nouveaux
entrants. Terminologie qui a été introduite en 1997, elle consiste à offrir une nouvelle valeur au
consommateur plus qu’à apporter une innovation technologique au produit. Souvent, il s’agit de
produits moins chers, plus simples, plus petits, plus pratiques à utiliser ou alors avec une nouvelle
utilisation.
Selon Christensen, les grandes entreprises auraient plus de difficultés à mettre en place des
innovations de rupture en raison de plusieurs facteurs. Le premier facteur mis en avant, est celui
provenant de l'éducation même des managers et, par conséquent, celui du management de
l’entreprise. En effet, la plupart des managers proviennent des meilleures universités mais sont peu
enclins à prendre des risques et vont avoir tendance à se réfugier vers des innovations basées sur
des études de marché ou de consommateur : les innovations technologiques évoluant plus
rapidement que les attentes du consommateur.
Un autre facteur proviendrait de la taille des multinationales, trop souvent disproportionnées par
rapport à la taille du marché, elles seraient peu mobiles et peu enclines à faire une telle transition.
Certaines structures l’ayant compris, comme Johnson & Johnson, qui a créé plus de 160 entreprises
autonomes où chacune introduit un produit sur le marché. L’objectif n’étant pas de prétendre que
la structure connaît le marché mais, au contraire, d’admettre qu’il en n’existe pas, par conséquent,
de l’aborder sous un angle beaucoup plus neuf sans forcément d’idée préconçue. Les études de
marché seraient un handicap aux innovations disruptives.
Le dernier facteur est encore une fois lié à la structure même de l’entreprise. Les structures
traditionnelles étant peu enclines à se mouvoir rapidement, à être flexible de sorte que les processus
lourds bloquent l’innovation. Comme l’affirme Christensen « Toutefois, les raisons de l’échec des
grandes firmes dans leur tentative d’innovation disruptive ne seraient pas seulement d’ordre
décisionnel mais également d’ordre fondamentalement structurel. Cette structure englobe des
éléments tels que la taille de l’entreprise ou encore ses « process » comme cela a été vu précédemment.
Mais elle contient également des éléments davantage liés à l’ADN de l’entreprise et qui en
15
constituent donc les bases. Ces fondamentaux peuvent la stimuler, l’aider à avancer ou, à l’inverse,
freiner son développement »30.
Ainsi, l’état d’esprit (« mindset » en anglais) et la culture d’entreprise sont également des paramètres
qui déterminent cette structure. En effet, on distingue très clairement deux manières de penser et
de fonctionner entre les entreprises de type « corporate » et celles de type « start-up ». Les premières,
caractérisées par une organisation hiérarchisée subissent une pression des objectifs de croissance,
une division des services et des règles rigides. Ces éléments brident la créativité car ils ne sont pas
propices à l’échange, à l’écoute ou encore au retour d’expérience. À l’inverse, les secondes,
caractérisées par une structure plus horizontale intègrent des pratiques comme le « brainstorming »
impliquant un certain nombre de personnes issues de tous bords et favorables à la génération
d’idées. Ces entreprises « nouvelle génération » ne sont pas coincées dans un carcan de règles et de
politiques. De même, des méthodes agiles et flexibles permettent aux start-ups de s’adapter,
rebondir à tout moment et transformer un échec, une erreur, en opportunité.
Par ailleurs ces deux types d’entreprises auraient également un rapport au temps tout à fait différent.
Ce critère aurait aussi un impact sur leur capacité à réagir face au changement.
Gilles Finchelstein, dans son ouvrage « La Dictature de l’urgence »31, pointe, cette accélération qui
caractérise nos sociétés contemporaines dans de nombreux domaines (renouvellement permanent
des collections de mode, obsolescence programmée en matière technologique...). Les jeunes
entreprises innovantes s’accoutument très bien de ce rythme extrêmement rapide car elles sont
nées dans ce contexte. Elles sont dans une démarche pro-active, prêtes à saisir des opportunités de
développement à tout moment. La start-up est donc moins attachée à son activité actuelle qu’à ses
perspectives de développement, voire de renouvellement. L’origine même de la construction de ce
type d’entreprise réside d’ailleurs dans une opportunité, une brèche présente à un instant T sur le
marché. Enfin, du fait de sa « jeunesse », elle ne dispose pas d’un « patrimoine » important. Il est
donc plus facile pour elle de se projeter dans le futur et d’oser investir de nouveaux marchés.
Alors que les entreprises dites « établies » se sont souvent construites sur des atouts puissants
intangibles : un savoir-faire, une histoire, un ADN, des lignes successives de produits/services
phares qui lui ont permis d’asseoir sa notoriété au fil du temps et qu’elle tend, de fait, à sacraliser.
C’est également en partie cela qui l’empêche de se réinventer. Une vision tournée vers le futur est
donc essentielle afin d’être « disruptif ».
30 Christensen, Clayton M., « The innovator's dilemma: when new technologies cause great firms to fail, Boston », Mass: Harvard Business School Press, 1997, p.49 31 Gilles Finchelstein, « La Dictature de l’urgence », Fayard, 2011, p.43
16
Ainsi ces entreprises traditionnelles, hier glorifiées, sont aujourd’hui en berne, perdent de la vitesse
face aux start-ups ou tout du moins au plus petite structure arrivant avec des innovations
« disruptives » et raflant des parts de marché en deux temps, trois mouvements. Fortement
concurrencées par ce nouveau type de structures, difficilement identifiables et prévisibles, les
entreprises ont un besoin urgent de « veiller » à ces perturbateurs.
Afin de repérer les potentiels concurrents, qui en général proposent des substituts bon marché à
leurs produits, dans le but d’attirer de nouveaux clients pour ensuite monter en gamme petit à petit,
les grandes entreprises ont mis en place des structures de veille afin de racheter les concurrents ou
pour s’appliquer à créer un nouveau produit plus innovants. Mais voilà, depuis quelques temps
cette version classique d’innovation de rupture semble un peu désuète. La rupture provient sur
plusieurs fronts et non plus d’acteurs du même secteur d’activité.
Ainsi, le modèle stratégique d’innovation de rupture auxquelles les entreprises se sont habituées et
organisées pour les contrer, présente une faille. On part du principe que les perturbateurs
commencent par proposer un produit moins cher et moins performant, pour s’attaquer aux
segments les plus rentables. Pendant ce temps-là, le leader du marché a le temps de voir le
concurrent arriver et de proposer de nouveaux produits pour le contrer. Mais le contexte a
considérablement évolué depuis. Cette concurrence ne vient plus du même secteur d’activité, ni
même de sociétés avec un « business model 32» similaire et la pénétration des marchés se fait de façon
très différente et très difficilement identifiable. Ces nouveaux types de perturbateurs arrivent non
seulement à conquérir tous les segments mais aussi à proposer un produit technologiquement plus
performant et quasi gratuit, voire gratuit. Le cas de UBER est l’exemple le plus connu, un acteur
ne provenant pas du secteur des VTC a révolutionné le marché en un temps record en casant les
codes du secteur et proposant une offre plus attractive. On avait déjà constaté une évolution du
cycle des produits qui était de plus en plus court avec des produits beaucoup plus rapidement
matures et qui se faisaient déblayer pas de nouvelles technologies. Mais, aujourd’hui, ce ne sont
plus uniquement des produits mais des marchés entiers qui se voient anéantis ou alors des marchés
entiers qui émergent. Cela nous fait penser aux « grappes d’innovations » de Schumpeter, où chaque
vague d’innovation détruit des branches entières obligeant de nombreuses sociétés à fermer leurs
portes ou à se ré-inventer.
On peut re-prendre l’exemple de Uber avec sa croissance exponentielle pour illustrer ce propos.
La première année, Uber était une société de limousine à San Francisco avec une centaine de
voitures, la deuxième année, Uber était dans quatre villes avec un millier de voiture. La troisième,
elle avait plus de 100.000 voitures dans le monde. La quatrième année, plus d’un millier. Cette
32 Traduction : modèle économique
17
année, Uber va passer à 3 millions de voiture alors qu’il y a tout juste sept ans, la société n’existait
pas. Il y a cinq ans, Uber était uniquement à San Francisco et aujourd’hui elle est présente dans
plus de soixante-cinq pays et la société est valorisée à plus de 50 milliards de dollars. La spécificité
de ce type d’acteurs réside dans la rapidité à laquelle ils se développent (aujourd’hui l’équipe de
développement d’Uber arrive à s’implanter dans une nouvelle ville en 48 heures), en une croissance
exponentielle difficilement prévisible, une offre moins chère tout en apportant un service plus
performant au consommateur. On ne parle pas ici d’innovation technologique mais une innovation
des façons de travailler.
Les grandes entreprises seraient ainsi, non seulement, dans l’incapacité d’apporter des innovations
de rupture mais aussi de les voir venir. Elles vont par nécessité, devoir créer des synergies à
l’extérieur de leurs murs.
2. Les nouvelles pratiques de l’innovation : de l’innovation ouverte aux incubateurs
2.1 De l’émergence à la définition de l’innovation ouverte
Par essence même, il semble difficile d’imaginer que l’innovation soit un processus non ouvert.
Comme nous avions vu initialement, innover suppose apporter quelque chose de nouveau dans un
ordre déjà établi. La nouveauté est souvent nourrie par des éléments extérieurs. Comme l’explique
le professeur Lionel Rounel33, « les grandes époques d’innovations de l’histoire de l’humanité se
sont souvent caractérisées par de grandes périodes d’ouverture ». De la Renaissance à l’exposition
universelle de 1900 en passant par la Belle époque lors de la seconde révolution industrielle,
l’ouverture au monde a souvent été un élément illuminateur qui a provoqué de belles étincelles
grâce aux brassages de cultures et des disciplines.
Mais pourquoi alors l’existence même de ce terme « d’innovation ouverte » a émergé ? Toujours
selon le professeur Lionel Rounel, la période d’après-guerre (comme nous l’avions constaté
précédemment) a vu se développer des grandes entreprises qui ont organisé et centralisé la
production industrielle et par conséquent des services de recherche et développement.
L’innovation est devenue la véritable force de ces entreprises et elles se sont ainsi retranchées dans
leur cloison en brandissant le fameux syndrome du « NIH » (Not Invented Here)34. Leur raison d’être,
venait de leur capacité à intégrer et contrôler les activités de R&D au sein d’immenses laboratoires
de recherche et par conséquent tout élément externe était non grata. Mais un facteur de ressources
humaines a considérablement fait évoluer la donne. Selon Chesbrough, l’inventeur de l’expression
33 Martin Duval, Klaus-Peter Speidel, « Open Innovation », coll. Dunod, 208 p. 90 34 Traduction : pas inventé içi
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« open innovation »35, un des éléments qui a contribué au déclin de ce modèle « d’innovation fermé »
est la disponibilité et la mobilité de travailleurs qualifiés, et notamment de chercheurs, qui s’est
considérablement accrue ces cinquante dernières années. Aucune entreprise ne peut désormais se
valoriser par rapport à la qualité de ses chercheurs puisqu’il y en a désormais des milliers et nous
sommes passés à un changement de posture de « nous avons les meilleurs » à « nous travaillons
avec les meilleurs »36. L’autre facteur d’érosion mis en avant est l’essor considérable du capital-
risque, notamment aux Etats-Unis, qui investit massivement dans les créations d’entreprises et plus
concrètement dans les start-ups ou de « spin-off »37. L’arrivée de nouveaux acteurs a ainsi fragmenté
un paysage qui était bien dessiné par quelques mastodontes de l’industrie.
Entre 2003 et 2011, Henry Chesbrough a publié quatre livres sur le thème de l’innovation ouverte.
Il la définit comme une nouvelle approche « basée sur un paysage de connaissances différents, avec
une logique différente, sur les sources et utilisations des idées. L’IO38 signifie que les idées
intéressantes peuvent provenir de l’intérieur ou de l’extérieur de l’entreprise et peuvent accéder au
marché à partir de l’intérieur ou de l’extérieur de la compagnie. Cette approche place les idées
extérieures et les voies extérieures d’accès aux marchés sur le même plan que celui réservé aux idées
internes et aux chemins internes d’accès au marché au cours de l’ère de l’innovation fermée »39. La
particularité de l’IO, est qu’une innovation peut provenir aussi bien de ressources internes
qu’externes à l’entreprise. Ainsi, elle n’est pas vouée à remplacer l’innovation traditionnelle mais à
s’ouvrir à différents types de collaborations qui peuvent se faire aussi bien avec les fournisseurs, les
clients, les concurrents, les universités ou autres établissement supérieurs, le secteur public ou
encore avec des entrepreneurs et start-ups. Toujours selon Chesbrough, l’innovation ouverte
permet de faire une économie de gain sur le développement de nouveaux produits, de réduire les
cycles de développements et de générer de nouveaux revenus en optimisant des droits de propriétés
intellectuelles. Cette dernière démarche consiste, pour les entreprises, à valoriser leurs innovations
« dormantes » en les proposant à d’autres entreprises soit par des contrats relationnels (accord
R&D, « joint venture ») ou soit par des contrats transactionnels (licence). Nous sommes, dans ce cas
de figure, dans une modalité d’innovation « inside-out », c’est à dire dans une logique sortante à
contrario de la logique entrante (« outside-in ») où l’entreprise va capitaliser sur les R&D externes et
va les faire pénétrer à l’intérieur de sa structure. Nous allons exclusivement nous consacrer à cette
transaction « outside-in ». L’objectif de cette transaction, comme l’illustre très bien l’exemple de la
35 Traduction : innovation ouverte 36 Nouveau credo de Protecter & Gamble 37 Traduction : compagnie dérivée 38 Innovation Ouverte 39 Christensen, Clayton M., » The innovator's dilemma: when new technologies cause great firms to fail, » Boston, Mass: Harvard Business School Press, 1997, p.53
19
société biomédicale Merck que Chesbrough utilise, est d’aller puiser dans le gisement d’innovations
de l’autre côté de sa porte : « Merck représente environ un pour cent de la recherche biomédicale
dans le monde. Afin de puiser dans les autres 99 pour cent, nous devons activement tendre la main
aux universités, aux instituts de recherche et entreprises du monde entier pour apporter les
meilleures technologies et produits potentiels à Merck » 40. Nous sommes passés, d’un paradigme
où tout ce qui relevait de l’externe était vu comme ennemi, à un paradigme où l’environnement
extérieur est vu comme une source inépuisable d’innovations.
Dans cette modalité « outside-in », sept axes d’innovations ouvertes peuvent être appliquées selon la
classification de Martin Duval et Klaus Speidel proposée dans « Open-Innovation ». 41
Les quatre premiers axes ont, comme base commune, la récolte d’idées auprès d’acteurs externes
ou interne, leur différence porte essentiellement sur la phase d’avancement du projet (il peut se
situer plus ou moins en amont) ou sur le type de problèmes à solutionner. Ainsi le premier axe,
concerne la résolution d’un problème de type technique ou technologique qui va être résolu par un
appel fait auprès de collaborateurs identifiés interne ou externe (fournisseurs, clients, etc.). Les
solutions vont être collectées via une plateforme institutionnelle ou alors exprimées sous forme de
concours. Le deuxième aspect est le concours d’idées qui, à la différence du premier ne va pas
répondre à un problème spécifique technique mais va plus être dans la récolte d’idées d’ordre
général. Le troisième « Boite à idées, portails & RSE » s’inscrit toujours dans cette même ligne, à la
différence qu’elle s’inspire de la version classique des boîtes à outils en la numérisant et où toute
personne, interne ou externe, peut y glisser des idées, suggestions d’améliorations pour un produit,
service. L’exemple le plus connu est la plateforme créée par Starbucks « My Starbucks Idea » qui
consiste à recueillir les avis, suggestions de la part des clients et ensuite de les mettre à contribution
au niveau interne, pour réfléchir à des nouveaux produits ou services.
Le quatrième axe, va consister à constituer une « communauté béta testeurs ». C’est-à-dire
rassembler une communauté d’utilisateurs qui va tester en avant-première les nouveaux produits
et services de la société en vue de recenser leurs retours et de faire évoluer les produits ou services
en fonction des commentaires. C’est une stratégie qui s’inspire d’une nouvelle approche théorisée
par Eric Ries (« Lean Start-up »42) et qui vise à créer de l’innovation continuelle en testant à chaque
étape de développement les hypothèses émises sur le produit ou service. D’où la nécessité de créer
une communauté d’utilisateurs. Orange a mis en place un site dédié à cet effet « Lab Orange ».
40 Ibid., p.78 41 DUVAL Martin, KLAUS-PETER Speidel, « Open Innovation », coll Dunod, 208 p. 90 42 Eric Ries, « Lean Startup », Pearson, 2011, p.67
20
Les trois derniers modèles d’innovation ouverte diffèrent des quatre premières, par leurs pratiques,
mais vont notamment plus loin dans la démarche d’innovation ouverte. Ainsi un des modèle
consiste en l’« ouverture et partage des données pour stimuler les développeurs d’applications
autour de plateformes ouvertes techniquement par des « API » »43 Puis nous avons la « classique »
« corporate venturing » où l’entreprise va prendre des participations minoritaires dans des entreprises
existantes ou alors créer de nouvelles structures, comme des compagnies dérivées. Le dernier axe
est le sujet de notre mémoire, qui consiste à mettre en « œuvre un programme proactif et structuré
de partenariat avec des acteurs de type start-up, PME, entrepreneurs ou laboratoires de recherche »
et de les incorporer dans une structure d’incubation ou d’accélération.
Depuis plusieurs années, nous avons constaté un net engouement de la part des grandes structures
pour cette forme d’innovation ouverte. Nous allons nous pencher sur ce phénomène pour ensuite
nous concentrer sur notre corpus principal : Orange et son réseau « Orange Fab ».
2.2 Les programmes d’incubateurs
Deux constats : le premier est que la création d’entreprise prépare le renouvellement et l’adaptation
économique, c’est à dire le futur. Le deuxième, mis en avant par Catherine Leger Jarniou, est qu’il
est « reconnu que les entreprises qui ont bénéficié d’un appui pendant leur création sont plus
pérennes que les autres entreprises et que de plus, cet appui à un effet positif sur le développement
et la rentabilité des jeunes entreprises »44. Par conséquent, l’accompagnement à la création
d’entreprises s’est considérablement développé au gré des interventions publiques. Il en est devenu
un métier et au fur et à mesure, différents acteurs publics et privés se sont accaparés le sujet pour
en faire leur spécialité. Aujourd’hui, ces structures d’accompagnements de jeunes entreprises
prennent souvent l’appellation d’« incubateur », même si parfois les termes peuvent varier, comme
nous allons voir.
Avant de rentrer plus en profondeur sur la mission de l’incubateur et plus particulièrement de
l’incubateur d’entreprises, nous allons nous arrêter sur la définition du mot « incubateur ». D’après
le petit Larousse, l’incubateur est un « appareil servant à l’incubation artificielle des œufs de poule,
d’oie », c’est un synonyme du mot couveuse. On retient notamment la notion « artificielle » qui
sous-entend une relation de dépendance et d’assistante de l’élément incubé à l’appareil. Sans
l’incubateur, l’élément serait en situation de difficulté, sa vie pourrait être menacée ou tout du moins
sa croissance pourrait en être altérée. Cette expression, comme nous allons l’exploiter dans notre
43 API est un acronyme pour « Applications Programming Interface » 44 Leger-Jarniou Catherine, « Accompagnement des créateurs d'entreprise : regard critique et propositions », Marché et organisations 1/2008 (N° 6), p. 73-97
21
mémoire, nous vient tout droit des Etats-Unis. Raison pour laquelle j’ai voulu prendre une
définition anglaise du terme incubator : « An enclosed apparatus in which premature or unusually small babies
are placed and which provides a controlled and protective environment for their care »45. Cette définition fait
ressortir d’autant plus la notion de « protection », « environnement protégé et protectif ». La relation
de dépendance vis-à-vis de l’incubateur est encore plus forte ainsi que la fragilité de l’élément
incubé.
Dans le cadre de notre sujet, les incubateurs sont définis comme « des structures d’appui à la
création d’entreprises. Ils réunissent des ressources spécialisées dédiées à l’accompagnement et
l’assistance des entreprises avant leur création ou dans les premières années de leur vie »46, selon la
définition que l’on retrouve dans le rapport de recherche de la Chambre de Commerce de Sophia
Antipolis. Le Petit Larousse rajoute une définition économique qui le lie directement aux grands
groupes : « Structure créée par des grands groupes, réunissant des start-ups dont ils financent le
lancement ou dans lesquelles ils prennent des participations pour en favoriser la croissance »47. Ce
que l’on retient de ces définitions, c’est la notion d’accompagnement et d’assistance.
Lors de nos recherches, on a constaté plusieurs terminologies liées à l’incubation, on parle de
« pépinière », « ruche », « couveuse », qui désignent une structure d’appui après la création. Nous
avons ensuite le terme « accélérateur » qui, lui, désigne l’entreprise à une phase de développement
déjà plus avancé, qui a déjà fait ses preuves sur le marché et qui va vouloir préparer sa première
levée de fonds. Par contraste, l’incubateur se situerait plus en amont dans la phase de
développement de l’entreprise. Pour Jérôme Gonthier48, « l’incubateur a pour mission
d’accompagner un entrepreneur dans le processus de validation d’une nouvelle idée d’affaires »
tandis que l’accélérateur « accueille des entreprises en phase de pré-commercialisation et les
accompagne dans la formalisation des opérations et des canaux de ventes, en plus de mobiliser un
réseau pour accélérer leur processus de mise en marché »49. L’incubateur est donc un outil
d’exploration alors que l’accélérateur appuie surtout l’exploitation de l’entreprise en démarrage.
45 Définition de Oxford Dictionnaries en ligne : http://www.oxforddictionaries.com/definition/english/incubator Traduction : Un dispositif clos dans lesquels prématurés ou des nourrissons particulièrement petits sont placés et qui offre un environnement contrôlé et protectif, adéquat à leur besoin. 46 Philippe Albert, Michel Bernasconi, Lynda Gaynor « Les incubateurs, émergence d’une nouvelle industrie. Comparaison de leurs acteurs et de leurs stratégies », rapport de recherche de la chambre de commerce de Sophia Antipolis, 2004 47 Définition du Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/incubateur/42436 48 Gonthier Jérôme, « Incubateurs et accélérateurs : comment faire tomber les barrières entre les grandes entreprises et les communautés d’entrepreneurs », Gestion 2/2016 (Vol. 41), p. 66-69 49 Ibid., p. 67
22
Pour simplifier, nous adopterons le terme incubateur, selon la terminologie anglo-saxonne plus
générique « incubator »50, pour désigner les structures d’accueil avant et après la création d’entreprise,
et nous viendrons sur la nuance des termes lorsqu’elle nous semblera pertinente pour l’analyse.
Deux vagues de créations d’incubateurs51 ont eu lieu en France. La première correspond à la
fragmentation du paysage industriel français dans les années 80 avec l’essor de création de petites
entreprises. Initialement les initiatives ont été d’ordre individuel et local, suivies de près par
l’intervention des pouvoirs publics. Les collectivités locales y ont vu rapidement un levier de
croissance économique. De nombreuses subventions ont été prévues pour soutenir ces initiatives,
pour ensuite être relayées à un niveau national et européen. La deuxième vague quant à elle, a eu
lieu au début des années 2000 avec l’émergence d’Internet. Initialement, des programmes
d’incubation sont nés dans le milieu académique puis les incubateurs d’entreprises ont suivi. Les
Etats-Unis ont été précurseur avec 350 incubateurs recensés en Octobre 2000, alors que selon une
étude de Harvard Business School52 il y en avait uniquement 24 à la fin des années 90. Aujourd’hui
on compte 1200 incubateurs d’entreprises selon le National Business Incubation Association avec
plus de 41000 start-ups. En France, 228 incubateurs sont référencés mais on ne connaît pas la
proportion des incubateurs issus des entreprises. Face à cet engouement pour les incubateurs, on
peut parler d’un vrai phénomène de rationalisation du processus de fabrication des start-ups et
même « d’industrialisation »53 .
On compte, ainsi, quatre grandes typologies d’incubateurs : l’incubateur de développement
économique local, l’incubateur institutionnel académique et scientifique, l’incubateur issu
d’entreprises et le dernier, l’incubateur privé. Mais globalement chaque famille d’acteurs marchands
ou non marchands a créé son programme d’incubation, associations et fondations comprises. Mais
à quoi servent ces programmes d’incubation et en quoi consistent-ils ? Comme nous l’avons vu, la
fonction principale, la raison d’être de ces incubateurs est d’accompagner les jeunes entreprises
dans leur développement et, pour y parvenir, ils interviennent dans six domaines, même si en
fonction des incubateurs, ils peuvent évoluer. Les six domaines d’interventions sont les suivants :
finances (aide à la levée de fonds, aide à l’accès aux subventions publiques ou dotations
financières…), humains et éducationnel (accès à des experts, tutorat, formation, réseaux…),
50 Traduction : incubateur 51 Philippe Albert, Michel Bernasconi, Lynda Gaynor. « Les incubateurs, émergence d’une nouvelle industrie. Comparaison de leurs acteurs et de leurs stratégies », rapport de recherche de la chambre de commerce de Sophia Antipolis, 2004 52 Ibid., p. 10 53 Ibid., p.11
23
physique (hébergement de l’entreprise, accès wifi…), organisationnel (accompagnement dans la
démarche à suivre pour la création d’entreprises), technologique (conseil sur le produit, service…).
2.3 Les incubateurs d’entreprises
Le lien entre les start-ups et les grands groupes n’est pas forcément facile à établir. Des acteurs qui
diffèrent par leurs structures, leurs procédés décisionnels et par un rapport au temps qui n’est pas
le même pour un grand groupe et une start-up. Le principal obstacle mis en évidence dans une
étude de l’agence Fabernovel54 est que, pour 54,8% des start-ups, la prise de contact avec un grand
groupe est difficile. Ainsi deux startups sur trois ne sont pas en relation avec un grand groupe à
cause d’une démarche complexe et d’une communication difficile. Souvent, c’est la difficulté de
trouver le bon interlocuteur qui semble être le principal obstacle comme explique Inès Gaisset,
fondatrice de Seat-e « Lorsqu’on rentre en relation avec un grand groupe, c’est un labyrinthe pour
trouver les bonnes personnes » Ainsi, un des rôles des incubateurs d’entreprises, va être de faciliter
la mise en relation de ces deux acteurs.
La spécificité des incubateurs d’entreprises est qu’elle doit répondre à un double objectif celui
d’irriguer l’innovation au sein de leur groupe en faisant monter en interne les innovations apportées
par les start-ups, et celui d’accompagner les start-ups dans leur développement en leur apportant
les ressources nécessaires. Pour se faire, les incubateurs vont sélectionner des start-ups en lien avec
leur domaine d’expertise afin de mettre en relation les différents services de l’entreprise mère avec
celui des start-ups dans l’objectif d’y conclure des partenariats.
Les domaines d’intervention des incubateurs que nous avons listés plus en haut sont globalement
les mêmes que celles des incubateurs d’entreprises. On constate parfois des services additionnels
tels qu’un « accès à des clients pour tester le produit ou service », des « opportunités de
communications »55, ou des études. Mais, mis à part les côtés plus techniques, les start-ups viennent
aussi chercher auprès des programmes d’incubation des grands groupes, de la légitimité et de la
crédibilité. Ainsi, toujours selon l’agence Fabernovel, qui a mené une enquête auprès de quatre
vingt dix start-ups sur la relation entre les grands groupes et les start-ups, les principaux apports
que les start-ups recherchaient auprès des grands groupes étaient de gagner une meilleure
crédibilité. En effet, Karim Messeghem et Sylvie Sammut, dans leur étude sur « l’accompagnement
du créateur : de l’isolement à la recherche de légitimité », mettent en avant que le créateur a un
54 Institut Fabernovel, « Quelle relation entre start-ups et grandes entreprises », 20 Juin 2014 55 Op. cit. 41, p. 90
24
besoin crucial de reconnaissance par la profession afin d’accéder à des ressources et des
informations lui permettant de sortir de son isolement. La pérennité de la jeune entreprise en
dépend puisque cette légitimité leur permet « d’engager des relations avec d’éventuels clients ou
fournisseurs » (…) et « la structure d’accompagnement est pourvoyeuse de confiance, d’image de
marque positive, de réputation, donc de lisibilité et de légitimité pour le nouvel arrivant
généralement déficitaire dans la matière ». La jeune entreprise dépourvue alors de passé, qui lui
apporterait la crédibilité nécessaire à sa reconnaissance, va aller la puiser dans une structure qui est
déjà bien enracinée et qui a démontré sa solidité.
Un partenariat « gagnant-gagnant » : lors de mon analyse de contenu et dans la rhétorique utilisée
par les grands groupes ainsi que par les pouvoirs publics, j’ai observé que le partenariat « gagnant-
gagnant » était souvent évoqué comme un prérequis à cette relation entre start-ups et grands
groupes. Que ce soit lors de mes entretiens avec des start-ups incubées chez Orange Fab, que lors
de la « Lead Manager » de chez Orange Fab le discours est le même, il faut qu’il y ait « un intérêt
pour Orange et un intérêt pour la startup, c’est vraiment du win win »56. Même si nous sommes
amenés à questionner cette expression ultérieurement, il est important de souligner que cet aspect
« gagnant-gagnant » est vu comme une condition sine qua non à une relation pérenne et au bon
fonctionnement de l’incubateur. Les rôles doivent être bien définis et chaque partie doit savoir ce
qu’elle y cherche. Les start-ups viennent clairement chercher des partenariats, du réseau et de la
crédibilité auprès des grandes structures. Et ces dernières, viennent « puiser l’innovation à la
source » pour leurs services et produits mais aussi pour acquérir un état d’esprit et une façon de
travailler. Travailler avec les start-ups serait « disposer d’un outil formidable pour « acculturer » ses
collaborateurs à l’innovation ». On va à la source et on s’inspire !
La France, depuis une dizaine d’années a connu « une incubation mania de grands groupes » pour
reprendre le terme journalistique de Capucine Cousin et Gilles Wybo. Ils sont nombreux à s’y être
mis : Axa, Microsoft, Nike, JC Decaux, SNCF, Orange, La Poste, Google, SFR, Renaud, Total,
TF1, Publicis…pas un seul grand groupe semble échapper à la contamination. On distingue aussi
les « incubateurs multi-corporate » tel que « Welcome City Lab » : incubateur spécialisé dans le
tourisme où différents acteurs du secteur se sont réunis comme Galeries Lafayette, Amadeus,
Skyboard, Aéroports de Paris et Sodexo Prestige. Mais Orange est un des précurseurs, il avait déjà
implanté une de ces unités de recherche et développement dans le temple de l’innovation, à la
Silicon Valley, pour être en contact direct avec tout l’écosystème des start-ups et tout acteur externe.
56 Traduction : « gagnant-gagnant »
25
Ainsi, à travers le cas d’Orange, nous allons nous pencher sur la rhétorique de l’innovation ouverte
dans l’objectif de comprendre si elle répond à une vraie volonté d’innover aux côtés de start-ups
ou si c’est uniquement une stratégie communicationnelle de la marque.
B. UNE ENTREPRISE EN INNOVATION
« On a souvent besoin d’un plus petit que soi », disait Jean de La Fontaine, dans le « Le Lion et le
rat ». Orange l’a bien compris et a mis en place tout un arsenal de dispositifs pour attirer et
sélectionner les start-ups dans l’objectif d’accéder aux innovations numériques de demain. Dans
cette partie, nous allons présenter notre corpus principal et les dispositifs mis en place pour ensuite
évaluer leurs incubateurs. L’objectif est ainsi de répondre à notre première hypothèse, qui suppose
que dans un contexte très concurrentiel, avec des cycles de produits de plus en plus courts, les
entreprises ne seraient plus à mêmes d’innover uniquement par elles-mêmes. Dans une démarche
d’innovation ouverte, elles mettent en place des programmes d’incubateurs pour attirer et
collaborer avec les start-ups.
1. Présentation du corpus, contexte et méthodologie
1.1 Les ambitions stratégiques du groupe Orange
Tous les cinq ans, Stéphane Richard à la manière d’un Steve Jobs à la française, expose la stratégie
du groupe. Si le plan « Conquêtes 2015 » misait sur l’expansion internationale et un nouveau contrat
social en interne, le plan « Essential 2020 » se tourne résolument vers l’expérience client et veut
devenir le premier opérateur à l’ère internet. Énoncé sous la monumentale Nef du Grand Palais en
Juin 2015, les ambitions à venir sont clairement tournées vers le client : « nous voulons faire vivre à
chaque client une expérience incomparable au quotidien. Nous voulons que nos clients profitent
en toute confiance de la révolution numérique, avec une qualité de service exemplaire dans tous les
lieux qui comptent pour eux. Nous voulons qu’ils soient reconnus dans toutes leurs interactions
avec Orange, qu’ils bénéficient d’offres et de services personnalisés. Nous voulons leur faire
découvrir de nouveaux usages digitaux à la pointe de l’innovation pour enrichir et faciliter leurs
vies. Cette approche centrée sur les attentes de nos clients et la qualité de l’expérience Orange nous
permettra de nous différencier et de retrouver la croissance. »57
57 Communiqué de presse d’Orange, « Essentiels 2020, le nouveau plan stratégique d’Orange », 17 mars 2015
26
Cinq leviers identifiés sont à retenir : offrir une connectivité enrichie, réinventer la relation client,
construire un modèle d’employeur « digital et humain » 58, accompagner la transformation du
« client entreprise » 59 et enfin diversifier en capitalisant sur les actifs.
Sur l’axe de la diversification d’Orange, le groupe souhaite se focaliser sur les objets connectés et
les services banquier, on retrouvera ces domaines dans les start-ups sélectionnés par le programme
Orange Fab. Un gros focus aussi sur la partie B to B60 avec comme objectif « de faire croître de 10
points la part des services IT dans le mix de revenus d’Orange Business Services d’ici à 2020 »61 en
misant sur quatre domaines principaux : les outils de travail des salariés – mobiles, collaboratifs et
flexibles puis sur l’amélioration des processus métiers, en particulier grâce aux applications et objets
connectés, en troisième : le cloud privé et hybride pour les multinationales et enfin la cyber défense.
Pour parvenir à ses objectifs, le groupe affiche son projet de s’appuyer sur l’innovation ouverte et
plus précisément sur les start-ups. Avec l’ambition de soutenir plus de 500 start-ups d’ici 2020 par
ses différents programmes d’innovation ouverte, Orange veut « systématiser une vision ouverte de
l’innovation »62. Les start-ups et les développeurs sont vus comme les avant-gardistes des nouvelles
tendances du marché. Mais plus concrètement, Orange développera, grâce aux start-ups, des
missions pilotes sur de nouveaux marchés, tester de nouveaux services, signer des contrats
commerciaux avec de nouveaux fournisseurs et trouver tout un nouveau vivier de clients en
devenant le fournisseur du « cloud » de ces multitudes de start-ups.
Nous avons choisi comme corpus principal le groupe Orange et son accélérateur Orange Fab.
Nous allons, dans un premier temps, faire un panorama de l’écosystème des dispositifs de
l’innovation ouverte chez Orange pour ensuite faire un focus sur Orange Fab, ceci nous permettra
de mieux élucider la démarche du groupe Orange dans l’innovation ouverte.
1.2 L’écosystème de l’innovation ouverte d’Orange
Né au cœur de la Silicon Valley en 2013, Orange Fab est issu d’une démarche d’Orange Silicon
Valley devenu Orange Lab depuis. Il est un des centres de développement d’Orange, implanté dans
la région californienne depuis quinze ans, qui a comme objectif de « capter les dernières tendances
et les meilleures initiatives dans le monde », c’est à dire de développer essentiellement une activité
58 Communiqué de presse Orange « Essentials2020, Orange ’s new strategic plan » 59 Ibid., 52 60 Acronyme pour : « Business to Business » c’est à dire « d’entreprise à entreprise » qui s’oppose à la vente d’entreprise au consommateur. 61 Ibid., 52 62 Dossier de presse Orange « L’open Innovation », Sylvie Duho, Emmanuel Gauthier et Olivier Emberger
27
de veille. Puis en 2008, toujours depuis la Silicon Valley, Orange Institute a été créé afin de faire
converger « leaders d’opinion, entrepreneurs, investisseurs, chercheurs et visionnaires de tous
horizons ». Aujourd’hui, « Orange Institute » est rattaché au siège social du groupe Orange à Paris.
Des voyages sont organisés dans différents endroits du globe reconnus comme des lieux
d’innovation. Le dernier en date était en Israël ou différents dirigeants de grandes sociétés sont
allés à la rencontre de jeunes start-ups réunis autour d’un thème lié aux innovations numériques.
Une autre structure, toujours implantée dans la Silicon Valley, est « Fab Force » qui réunit tout un
réseau de partenaires et de clients d’Orange dont le but est de leur faire accéder aux start-ups
accélérées chez « Orange Fab » en vue de potentiels partenariats commerciaux. Et enfin, il y a
« Orange digital ventures », le fonds d’investissement du groupe, et qui vise à « faire émerger les
services, les technologies et les modèles économiques qui définiront l’opérateur digital de demain ».
Tout un tas d’autres initiatives, liées aux innovations numériques, se sont développées en
coopération avec d’autres acteurs publics ou privés comme « Orange Gardens », un « eco-campus
de l’innovation », le Numa à Paris ou encore le prix de l’entrepreneur social en Afrique et le
programme de développeurs d’Orange en Tunisie. Plus d’une vingtaine de dispositifs ont été
comptabilisés dans le monde entier, sans mentionner tous les projets développés en interne
d’Orange (les programmes d’intraprenariats).
Pour résumer les principaux dispositifs, voici un petit schéma récapitulatif :
28
1.3 Méthodologie
L’objectif de ce mémoire est de distinguer d’une part ce qui appartient à la stratégie d’innovation,
de ce qui relève de la rhétorique de la marque. Analyser la rhétorique de la marque appartient aux
sciences de l’information et de la communication et consiste à déconstruire le discours de marque
pour ensuite l’analyser. La stratégie de l’innovation quant à elle, est plus difficilement détectable
puisqu’on se situe au cœur de leur stratégie d’entreprise où les données ne sont pas forcément
accessibles. Pour traiter cette partie, il a fallu comprendre si le programme d’accélération de mon
corpus était viable, c’est à dire s’il avait les mêmes objectifs qu’un autre accélérateur (n’appartenant
pas à une entreprise) et si ces objectifs étaient atteints. La difficulté est qu’il existe très peu d’études
sur les accélérateurs et que nous n’avons pas trouvé de définition ou surtout de grille d’évaluation
pour estimer si un accélérateur rempli dument son rôle.
Pour arriver à nos fins, nous avons entrepris trois démarches : une étude qualitative, une étude
quantitative et enfin une analyse comparative.
L’étude qualitative :
L’objectif de ma démarche qualitative individuelle a été d’apprendre plus en profondeur la mission
de Orange Fab mais aussi de distinguer ce qui est de l’ordre de la rhétorique de la marque à la
stratégie d’innovation à proprement parlé. L’objectif étant double, j’ai entrepris à la fois un entretien
exploratoire et un entretien en profondeur. Ce dernier a pour ambition selon Jean-Luc Giannelloni
et Eric Vernette63 d’identifier les motivations et les freins mais aussi d’explorer l’inconscient via des
champs disciplinaires relevant de la psychanalyse, de la psychologie de la sociologie et du marketing.
Alors que l’entretien exploratoire a pour objectif de se familiariser avec un milieu et d’accéder à des
informations.
Dans une démarche qualitative, l’échantillon ne vise pas la représentativité. Le sujet central
concerne le programme d’accélération Orange Fab et sa viabilité. Les seuls critères retenus étaient
d’être en lien avec l’accélérateur et/ou l’écosystème d’innovation ouverte d’Orange et que la moitié
des personnes interrogées soient des personnes salariées du groupe Orange pour recueillir les
informations et le discours du groupe sur le sujet. Et l’autre moitié, des personnes qui par leurs
start-ups avait intégré le programme d’accélération d’Orange Fab.
La taille de l’échantillon était de six personnes et l’entretien semi-directif a été retenu en raison de
son caractère de discussion « non structurée » et de sa durée variant d’une à deux heures.
L’enquêteur est en retrait, l’interviewé au centre de l’investigation. Le recrutement des personnes
63 Vernette Eric et Jean-Luc Giannelloni, « Etudes de marché », Magnar-Vuibert, aout 2012, p.98.
29
s’est fait par le réseau professionnel en ligne « LinkedIn » sur lequel j’ai d’abord contacté : Pascale
Diaine qui se définit sur les réseaux sociaux à la fois « Lead Manager d’Orange US » c’est à dire
directeur d’Orange Fab aux Etats-Unis et « évangéliste à Orange Silicon Valley » (nous étudierons
la notion d’évangéliste dans la deuxième partie du mémoire) et qui, suite à la présentation de ma
démarche, m’a invité à une journée de « Démo Day ». Cette journée permet aux start-ups d’Orange
Fab US de la saison cinq de venir présenter leurs start-ups aux unités d’affaires d’Orange à Paris et
au réseau de partenaires d’Orange. En me rendant au « Démo-day », qui avait lieu au siège social
d’Orange à Paris, j’ai eu l’occasion d’interroger les fondateurs de deux start-ups présentes : Spinnakr
et Bitwage. Spinnakr, spécialisé dans un produit d’analyse de streaming64, et Bitwage, spécialisé dans
une plateforme qui gère toutes les démarches administratives entre indépendants. J’ai pu interroger
aussi Pascale Diaine, le lendemain dans un environnement extérieur, un café parisien. Et par la
suite, j’ai pu m’entretenir avec Julie Leclercq, développement d’affaires pour Orange Fab, qui
s’occupe de mettre en lien les start-ups aux unités d’affaires d’Orange ainsi que Laurence Lemoine,
par entretien téléphonique, responsable de Orange Institute et directrice de la communication et
de la marque chez Orange. Enfin, la dernière start-up interrogée par vidéo conférence, est une
start-up française accélérée chez Orange Fab France : CBien.com où j’ai recueilli le témoignage de
deux personnes : Marine Chambron, responsable marketing et partenariat et Landy, ancienne
stagiaire chez Orange Fab France et actuellement commerciale chez CBien.com 65
Étude quantitative :
La deuxième procédure a été d’élaborer une petite étude quantitative auprès des start-ups qui ont
participé au programme d’accélération d’Orange Fab. Et en parallèle, de créer un tableau
comparatif des différents programmes d’accélération. L’objectif est de pouvoir définir, suite aux
résultats obtenus, si l’accélérateur d’Orange a accompli sa mission en tant qu’accélérateur et si les
promesses mises en avant par Orange Fab ont été respectées.
Pour réaliser cette étude quantitative, il a d’abord fallu réaliser une grille avec les critères principaux
qui définissent un accélérateur et ses objectifs, pour ensuite élaborer le questionnaire. Pour créer
cette grille d’analyse, nous sommes partis des six domaines d’interventions des incubateurs
précédemment définis (financier, humain et éducationnel, physique, organisationnel et
technologique). Si l’accélérateur reprend certains de ces critères, il s’en différencie, car l’état de
l’avancement de la start-up accélérée n’est pas la même que celui de celles qui sont incubées, les
objectifs ne sont pas les mêmes. Les premiers accélérateurs sont arrivés en 2005 aux Etats-Unis.
Leur précurseur le plus reconnu est : « Y combinator ». Créé, entre autres, par Paul Graham, « Y
64 Traduction : diffusion en temps réel 65 Tous les entretiens sont retranscrits dans l’annexe 4
30
Combinator », fournit un capital d'amorçage, des conseils et des mises en relation au cours de deux
programmes annuels de 3 mois. En échange « Y Combinator » prend 6% des capitaux de la société.
Sa mission est de préparer la start-up pour qu’elle ait les armes nécessaires pour lever des fonds
devant des investisseurs. Les trois mois se concluent par une journée où start-ups et investisseurs,
partenaires financiers et tout acteur susceptible d’investir dans la société, se rencontrent. On
comprend que l’objectif d’un accélérateur est de rendre la start-up financièrement indépendante.
Deux façons d’y parvenir : soit la start-up lève des fonds, soit elle conclut des partenariats
commerciaux. C’est dans cette deuxième fonction que les accélérateurs d’entreprises se sont
spécialisés : apporter des contrats commerciaux avec l’entreprise mère mais aussi avec d’autres
entreprises afin que la start-up ne soit pas uniquement un fournisseur de l’entreprise par qui elle
est accélérée. Dans l’entretien réalisé avec Pascale Diaine, nous retrouvons deux points essentiels :
celui de réseau, introduire les start-ups à un réseau afin de leur permettre de réaliser une levée de
fonds par la suite : « on aide les startups avec le « fundraising »66, on aide les startups en les
introduisant aux bonnes personnes, en leur offrant un voyage à Paris, on les met en relation avec
les bonnes personnes »67. Le deuxième objectif est que la start-up devienne indépendante et pas
uniquement un fournisseur d’Orange : « Mon objectif est que la startup ne devienne pas qu’un
supplier68 d’Orange ; c’est ce qu’il y a de plus dangereux c’est qu’elle ne serve qu’Orange, on veut
absolument éviter ça »69.
On retient deux axes essentiels : la dimension financière qui peut être réalisée en deux points, soit
par la levée de fonds, soit en signant des contrats commerciaux avec l’entreprise offrant le
programme d’accélération mais aussi avec d’autres entreprises. Puis la dimension humaine, c’est à
dire sur la capacité à mettre en réseau, l’accompagnement personnalisé et tout autre type de
formation.
Donc, ma grille d’analyse comprend ces deux dimensions pour juger l’efficacité d’un accélérateur :
le caractère financier et le caractère humain (conseils et réseau). J’ai ensuite rajouté une dimension
ressources humaines, car elle me semble intéressante pour comprendre l’évolution de la taille de
l’entreprise dans la mesure où il est connu que les accélérateurs très côtés comme « Y Combinator »
permettent ensuite de recruter des personnes de très haut niveau. Et l’autre dimension qui me
semblait intéressante à rajouter est celle de la « crédibilité ». Nous avions vu dans la partie deux sur
les incubateurs, que les jeunes entreprises dépourvues d’histoire et de légitimité dans leur
66 Traduction : levée de fonds 67 Annexe 4, Entretien n.2, p. 7 68 Traduction : fournisseur 69 Ibid., 67, p.9
31
environnement, venait rechercher de la crédibilité auprès des incubateurs. Ainsi sur ces différentes
dimensions, j’ai pu créer mon questionnaire70. Il comprend dix questions qui sont les suivantes :
1. Combien d'accords commerciaux avez-vous conclu avec des Business Units d'Orange
grâce à Orange Fab ?
2. Combien d'accords commerciaux avez-vous signé (ou vous êtes sur le point de signer) avec
des partenaires d'Orange grâce à Orange Fab ?
3. Avez-vous levé des fonds grâce à Orange Fab ?
4. Combien de personnes avez-vous recrutées grâce à Orange Fab ?
5. Qu’est-ce qu’Orange vous a apporté d’autre ?
6. Comment jugez-vous la qualité de l'accompagnement d'Orange Fab (conseils personnalisés
et qualité des mentors) ?
7. Qu’est-ce qu’Orange Fab vous a permis de réaliser que vous n'auriez pas pu faire sans
intégrer ce programme ?
8. Conseillerez-vous à une autre start-up de postuler au programme d'accélérateur d'Orange
Fab ?
9. Orange Fab a-il été un accélérateur pour votre business ?
10. Estimez-vous qu'Orange Fab vous ait apporté de la crédibilité dans votre secteur d’activité ?
La méthode de l’échantillonnage a été simple puisque la dimension de mon étude est définie par
les start-ups qui ont participé au programme d’Orange Fab France depuis la création de
l’accélérateur, et qui se limite à 24 start-ups. J’ai ainsi pu envoyer ce questionnaire à 24 start-ups par
internet. J’ai choisi comme méthode de recueillement : internet et j’ai alterné questions ouvertes et
questions fermées. Les questions fermées me permettent de quantifier les réponses et donc de les
ramener à des pourcentages ; les questions ouvertes, de recueillir quelques verbatims pour nourrir
ma réflexion et voir s’il y avait d’autres dimensions que je n’avais pas prises en compte dans mon
analyse.
La troisième démarche a été de créer un tableau comparatif71 de différents programmes
accélérateurs reconnus. J’ai ainsi comparé six programmes d’accélérateurs, trois français les plus
réputés en France qui sont Le Camping, 50 partners et Numa, et deux américains Y Combinator
et Tech Stars, les plus reconnus dans le monde avec celui de Orange Fab. Je les ai comparés par
rapport aux six dimensions suivantes : durée, financier, humain, physique (espace de travail),
organisationnel, gratuité ou non du programme et j’ai rajouté une case « autre » pour les éléments
ne rentrant pas dans les autres dimensions.
70 Questionnaire disponible dans l’annexe 1, p. 2 71 Tableau comparatif disponible dans l’annexe 1, p.13
32
2. Orange Fab, un accélérateur
2.1 Orange Fab, mission et fonctionnement
Comme nous avons vu précédemment, l’objectif du groupe Orange vis-à-vis des start-ups est très
ambitieux : investir et/ou travailler avec plus de 500 start-ups d’ici 2020. Aujourd’hui, le réseau
Orange Fab, organisé autour de dix structures réparties sur quatre continents : Afrique, Amérique
du Nord, Europe et en Asie, a recruté dans son programme plus de 150 start-ups. Deux fois par
an, chaque structure d’Orange Fab, sélectionne, en moyenne quatre à sept start-ups. La sélection
de la start-up se fait en fonction de l’intérêt potentiel d’une des unités d’affaires d’Orange dans la
start-up. L’équipe de l’accélérateur, va ensuite vérifier l’intérêt de la start-up auprès d’autres grands
groupes présents dans Fab Force. Julie Leclercq d’Orange, en charge des partenariats entre les
unités d’affaires et les start-ups, nous explique cette phase de recrutement : « En fait, on essaie
d’équilibrer le tout car le but est quand même d’apporter de nouvelles technologies pour Orange
car on travaille chez Orange mais parfois c’est déjà arrivé qu’on prenne des start-ups qui n’avaient
pas forcément de tractions chez Orange mais il y en avait chez les partenaires » 72, Orange Fab va
notamment sélectionner des start-ups dans les domaines de prédilection du groupe c’est à dire en
lien avec leur stratégie d’entreprise. Nous avons vu précédemment dans le plan Essentials 2020 que
le groupe Orange souhaite diversifier ses actifs en se dirigeant vers des secteurs comme les objets
connectés, les services financiers, la cyber-défense, le SAS73et le cloud74, l’analyse de data et tout ce
qui tourne autour des outils de travail des salariés, c’est à dire tout ce qui est en lien avec les
ressources humaines et le recrutement, ainsi que tous les produits financiers ou non en lien avec
l’Afrique.
George Nahon, CEO d’Orange Silicon Valley et d’Orange Institute, explique à travers le schéma
des « 3 Ns » de quelle façon ils classifient les starts-ups. Il catégorise ainsi les start-ups en 3 groupes :
le « Now », le « New » et le « Next ». Le « Now », « maintenant » en anglais, et le « Next », « après »,
correspondent à des investissements en synergie avec le cœur de l’activité de l’entreprise. Le « Now »
implique d’investir dans des produits, services, expertises qui vont permettre d’améliorer l’efficacité
72 Annexe 4, entretien n.5, p.15 73 Acronyme pour « Software as an Service » c’est à dire « le logiciel en tant que service, est un modèle d'exploitation commerciale des logiciels dans lequel ceux-ci sont installés sur des serveurs distants plutôt que sur la machine de l'utilisateur » d’après la définition de wikipédia 74 Définition du Cloud : « Le cloud computing, ou l'informatique en nuage ou nuagique ou encore l'infonuagique, est l'exploitation de la puissance de calcul ou de stockage de serveurs informatiques distants par l'intermédiaire d'un réseau, généralement internet » d’après la définition de Wikipédia
33
et l’opérationnel de leur entreprise. Le « New » c’est ce que les entreprises utiliseraient si c’était
disponible maintenant, ce qu’elles veulent et ce qu’elles vont aller se procurer via des start-ups ayant
déjà travaillé sur ces produits. Alors que le « Next » prépare l’entreprise à aller vers de nouveaux
domaines. Le « Next » ne consiste pas à investir dans de nouveaux produits mais plutôt vers des
plateformes digitales qui permettront de créer de nouveaux types d’économie et de nouvelles
transactions entre le consommateur et le fournisseur.
Le programme d’Orange Fab a été inspiré par celui de « Y Combinator » comme Pascale Diaine
l’explique dans son entretien. La durée du programme dure trois mois au cours desquels les start-
ups vont bénéficier d’accompagnements aussi bien physiques (des bureaux de partage sont mis à
leur disposition) qu’immatériels qui consistent en un accompagnement personnel et en groupe par
des experts internes du groupe Orange mais aussi externes. Au total, vingt deux évènements avec
deux sessions de mentoring75par semaine.
L’objectif affiché sur le site internet d’Orange Fab est de signer au moins un « partenariat
commercial entre « business units »76 et start-ups » sans qu’elle devienne uniquement un fournisseur
d’Orange. L’ambition de Pascale Diaine va plus loin, elle souhaite miser sur des « unicorns »77. « L’idée
est de miser sur des startups qui vont exister d’elles-mêmes, elles n’ont pas besoin d’Orange pour
exister et ça c’est très très important »78. Leur ambition, est donc non seulement que la start-up
signe un partenariat avec Orange, mais qu’elle en signe avec d’autres groupes dont l’intérêt est aussi
que la start-up puisse s’envoler et qu’elle devienne la prochaine « unicorn » auprès de qui Orange va
investir. C’est le système de la note convertible. Orange Fab va proposer 20 000$ aux start-ups (qui
ne sont pas obligées de les accepter) afin de permettre à Orange de récupérer des parts dans la
start-up une fois que celle-ci aura levée des fonds.
Julie Leclercq nous explique que les collaborations entre Orange et les start-ups, s’établissent soit
par des contrats commerciaux classiques entre client et fournisseur, surtout pour les contrats de
distribution et pour les objets connectés, soit Orange met en place des programmes-pilotes pour
tester un nouveau produit ou services voués à être utilisé en interne ou en externe.
75 Traduction : d’accompagnement 76 Traduction : unités d’affaires 77 Traduction : licorne c’est à dire « est une start-up principalement de la Silicon Valley, valorisée à plus d’un milliard de dollars. » d’après la définition de Wikipédia 78 Annexe 4, entretien n.2, p. 8
34
On retient ainsi trois objectifs : le premier est que la start-up devienne un fournisseur d’Orange en
signant un ou plusieurs partenariats avec des unités d’affaires d’Orange, mais aussi de trouver
d’autres potentiels partenariats grâce à leur réseau de Fab Force et enfin trouver le prochain
« unicorn » dans lequel ils pourront investir.
2.2 Analyse des différentes études
La finalité de cette partie est d’analyser si Orange Fab répond aux critères d’un accélérateur et si les
objectifs prédéfinis par Orange Fab sont atteints.
Nous allons d’abord nous pencher, sur le tableau comparatif79 des programmes d’accélérateurs pour
définir les points de convergences et de divergences.
Voici le tableau :
Les points de convergences identifiés :
• Période d’accélération : 50% des accélérateurs se déroulent sur une période de 3 mois.
• Prise de participation dans la start-up : 67% des accélérateurs prennent une part de
participation dans les start-ups
79 Tableau disponible aussi dans l’annexe 1, p.13
35
• 100% des accélérateurs organisent un « Démo-day »
• 100% des accélérateurs organisent des sessions d’accompagnements par des experts en
alternant des sessions individuelles et collectifs
• 100% des accélérateurs offrent un hébergement à leur start-up
Les points de divergences identifiés :
• 14% des accélérateurs font une dotation d’argent à la place d’une prise de participation
financière
• 14% des accélérateurs sont gratuits
• 14% des accélérateurs offrent des partenariats commerciaux à leur start-up directement en
lien avec la structure
Pour la catégorie « organisationnelle » les accélérateurs ne fournissant pas toujours les détails, il est
impossible d’établir une comparaison. On peut déduire, suite aux résultats, que la structure des
programmes des accélérateurs sont très similaires et proposent les mêmes services aux start-ups
accélérées. On peut tout de même relever quelques différences : Orange Fab est le seul accélérateur
à ne pas prendre de participation obligatoire au début du programme et il est le seul à offrir des
contrats commerciaux en lien direct avec la structure de l’organisateur.
Ainsi, on peut conclure qu’Orange Fab reprend la même organisation que les autres accélérateurs,
il suit le même programme, à la différence que l’objectif n’est pas forcément celui de la levée de
fonds à la fin du programme mais plutôt de signer un ou plusieurs contrats commerciaux avec la
structure d’Orange. Par ailleurs, pour soutenir cette affirmation, j’ai pu me rendre à une journée de
« Demo-Day » d’Orange Fab US et les personnes présentes n’étaient pas des investisseurs mais des
managers d’autres entreprises venus identifier s’il était possible de conclure des potentiels accords
avec les start-ups.
Ce que l’on retient c’est qu’Orange Fab, par sa structure et ses services offerts, est un accélérateur.
Maintenant, il semble pertinent de comprendre si l’accélérateur répond à ses promesses.
Pour cela, nous avons interrogé les start-ups accélérées chez Orange Fab sur dix questions (vu
précédemment), voici les réponses de notre étude :
• 80% des start-ups ont répondu avoir signé des accords commerciaux avec au moins une
unité d’affaires d’Orange ;
• 20% des start-ups ont répondu avoir signé des accords commerciaux avec des partenaires
d’Orange grâce à Orange Fab ;
36
• 0% des start-ups ont levé des fonds grâce à Orange Fab ;
• 20% des start-ups ont recruté grâce à Orange Fab ;
• 60% des start-ups ont jugé la qualité de l’accompagnement d’Orange Fab très satisfaisant
et 20% ont jugé la qualité de l’accompagnement d’Orange Fab satisfaisant ;
• 80% des start-ups conseilleraient de postuler au programme d’accélérateur d’Orange Fab ;
• 80% des start-ups estiment qu’Orange Fab a été un vrai accélérateur pour leur business ;
• 65% des start-ups estiment qu’Orange Fab leur a apporté de la crédibilité dans leur secteur
d’activité.
Suite à ces résultats, on peut dire que la mission principale d’Orange Fab qui était de signer avec
au moins un partenariat commercial avec les start-ups a été dument rempli. Par contre, les
deuxièmes et troisièmes missions identifiées, qui étaient celles de signer des accords commerciaux
avec d’autres partenaires, n’a pas été atteint. De même que la levée de fonds. En revanche, la
dimension « humain & éducationnel » a rempli ses fonctions. De façon globale, les start-ups ont
été très satisfaites des prestations d’Orange Fab, non seulement la qualité était au rendez-vous mais
elle leur a apporté la crédibilité dans leur secteur d’activité.
2.3 Conclusion
Peut-on dire qu’Orange Fab est un accélérateur à proprement parler ? D’après les conclusions que
nous venons d’exposer, on peut dire que par la forme il s’agit d’un accélérateur mais par ses moyens,
il diverge. Maintenant, si on estime qu’une des finalités d’un accélérateur est de mettre les start-ups
sur une entrée financière, que ce soit par des partenariats commerciaux ou par une levée de fonds,
l’objectif est atteint. On pourrait affirmer que l’accélérateur d’entreprise, par l’exemple d’Orange
Fab, est une forme hybride d’accélérateur qui, à la différence d’un accélérateur privé ou public, ne
va pas se rémunérer sur une prise de capital mais plutôt en signant des partenariats commerciaux.
Quant aux deux autres finalités que nous avions définies : « humain et éducationnel » ainsi que
« crédibilité et légitimité » que l’accélérateur devait apporter à la start-up, on peut dire que c’est
mission accomplie. Des verbatims récoltés sur notre étude quantitative corroborent cette
constations : « Réseau, visibilité, crédibilité » sont les 3 noms qui reviennent le plus souvent, ainsi
que 65% des start-ups ont répondu qu’Orange Fab leur a apporté de la crédibilité dans leur secteur
d'activité.
Mais la particularité de l’accélérateur d’entreprise, comme nous l’avions évoqué plus haut, a la
spécificité qu’il doit répondre à un double objectif : celui d’accompagner les start-ups mais aussi de
37
faire pénétrer l’innovation emmenant des start-ups dans l’entreprise. Notre première hypothèse
reposait justement sur ce point : un accélérateur d’entreprise sert-il à puiser de l’innovation pour
les entreprises ?
Ce que l’on retient à travers l’exemple d’Orange Fab, c’est que l’accélérateur d’entreprise permet
de sélectionner en amont les start-ups potentiellement intéressantes pour la stratégie du groupe, et
ceci parmi un vivier de start-ups. Après cette sélection, elle va pouvoir mettre en place tout un
processus pour faire mûrir ces start-ups et les mettre en relation avec les unités d’affaires. La
fonction principale de l’accélérateur est donc la mise en relation entre start-ups et entreprise, sans
cela, il semble presque impossible pour une start-up de rentrer en contact avec le bon interlocuteur.
Encore une fois, les verbatims récoltés dans notre étude quantitative à la question appui notre
argumentation. A la question « que vous-a-t-il apporté d’autres ? » les enquêtés ont répondu :
« signer un contrat cadre avec Orange, ce qui est le meilleur résultat possible pour un accélérateur »,
« contacts avec la bonne « business unit « (chose très difficile sans le soutien de l'Orange Fab), revenus
(nous avons généré du CA via des projets menés avec Orange) ». A la question : « qu’est-ce
qu’Orange Fab vous a permis de réaliser que vous n'auriez pas pu faire sans intégrer ce programme
? » trois commentaires reviennent : « Signer Orange », « être mis en relation avec une « business unit »
! », « partenariats commerciaux en France et à l’international ». Finalement l’accélérateur Orange
fait penser à une façon sélective de recruter de nouveaux fournisseurs, à la différence que
l’entreprise va pouvoir former et inculquer quelques valeurs et normes d’Orange sans non plus les
intégrer au processus décisionnel plus lent du groupe. La différence se trouve notamment dans la
façon de recruter une start-up au programme. Un incubateur non rattaché à une entreprise va juger
la start-up sur son modèle économique, sur sa capacité à avoir une croissance plus ou moins
exponentielle et sur sa valeur financière puisque c’est sur ce dernier que l’accélérateur va se
rémunérer. Alors que l’incubateur d’entreprise va lui recruter la start-up en fonction de l’intérêt que
la start-up représente pour une unité d’affaires d’Orange. Si elle répond à la stratégie du groupe
alors elle est intéressante, sinon, non.
On peut donc affirmer qu’il y a des contrats signés et donc des synergies entre les start-ups et
l’entreprise, cependant il est difficile pour nous d’estimer si toutes ces initiatives sont innovantes,
on peut affirmer toutefois qu’il y a une vraie volonté d’incorporer les solutions des start-ups dans
le giron de l’entreprise.
Maintenant, en quoi ce processus de mise en relation entre deux partenaires demande-il autant de
rhétorique et de mise en scène ? A commencer par la dénomination « Orange Fab », des « saisons »,
38
tout un univers est créé, et nous allons justement nous pencher sur cette rhétorique pour en
comprendre l’intention.
39
II. LE RECIT DE LA MARQUE
A. ANALYSE DU DISCOURS D’ORANGE
D’après Jean-Marie Floch, la marque « ne sera pas définie comme un « territoire » ou comme un
« fond » , termes qui suggèrent que la marque n’est finalement qu’une collection de sens ou de
valeurs, mais comme une machine à produire du sens, une puissance capable d’informer un univers,
de le plier d’une certaine façon »80. Andrea Semprini spécifie que la marque affiche sa vraie
spécificité qui est celle « d’être une instance sémiotique, une manière de segmenter et d’attribuer
du sens d’une façon ordonnée, structurée et volontaire »81. Capacité pour une marque à produire
du sens, instance sémiotique, c’est ce que nous allons étudier dans cette deuxième partie.
Cette partie vise à répondre à nos deux hypothèses qui, pour mémoire, sont les suivantes : les
entreprises viennent chercher de la légitimité auprès des start-ups pour réactualiser leur rhétorique
de l’innovation en prenant appui sur des acteurs plus contemporains. Et « les entreprises vont
s’offrir une « cure de jouvence »82 auprès des jeunes start-ups dans le but de s’ancrer dans l’avenir ».
Pour ce faire, nous allons analyser la rhétorique de la marque à travers l’analyse de nos analyses
pour en tirer les principales thématiques.
1. Méthodologie et analyse
1.1 Méthodologie
Compte-tenu du corpus et de la thématique, nous avons procédé en trois étapes : analyse du site
internet de Orange Fab et de son logo, analyse du contenu des communiqués de presse d’Orange
Fab et de nos entretiens et, enfin, analyse de contenu, plastique et scénique de deux vidéos
produites par Orange Fab.
Analyse du site internet :
Selon les préceptes de la sémiologie, nous avons créé un corpus composé de quatre incubateurs
(au sens anglo-saxon du terme). Deux incubateurs sont, au même titre que Orange Fab, des
80 Jean-Paul PETITIMBERT « Territoire(s) de marque », actes sémiotiques (en ligne) 2014, n° 117 81 Semprini Andrea, « Le Marketing de la marque », éditions Liaisons, p.27 82 Expression empruntée à Sandrine Cassini dans son article « Les usines à start-ups, cure de jouvence des grands groupes », 19 Juillet 2015, Les Échos.fr
40
incubateurs d’entreprise dont un a la spécificité d’être un incubateur regroupant plusieurs
entreprises. C’est « Welcome City Lab » spécialisé dans le tourisme, regroupe les principaux acteurs
privés lié à ce secteur d’activité, les membres fondateurs sont : l’Aéroports de Paris, Air France,
Amadeus, Carlson Wagonlit Travel, Galeries Lafayette, RATP, Skyboard, Sodexo, Prestige, et
Viparis. Le deuxième incubateur sélectionné est « Look Forward », l’incubateur de Showroom privé
qui a pour mission de « bousculer la façon de distribuer, consommer et produire la mode »83. Le
dernier incubateur est le Numa, anciennement connu sous le nom de « Silicon Sentier ». C’est un
« réseau mondial de l'innovation qui accompagne startups, entreprises, et communautés, dans leur
développement »84. Après une analyse des strates plastiques, scéniques, iconiques, nous avons
identifié les points de convergence et de divergence et relevé les champs sémantiques. Nous avons
fini par une analyse comparative entre les logos d’Orange et d’Orange Fab.
Analyse de contenu des dossiers de presse et entretiens :
Les entretiens et les dossiers de presses se sont articulés autour d’une analyse de contenu, méthode
de description objective systématique utilisée en matière de communication. Afin de cheminer sur
la seconde hypothèse, une unité d’analyse thématique a été définie. La méthodologie pour les
entretiens a été détaillée en première partie.
Analyse de vidéos :
Deux vidéos ont été décomposées à travers l’étude de quatre strates : scéniques et plastiques,
iconiques et linguistique. La première vidéo, produite par Orange Fab, présente la start-up
« Beawarn » de la saison deux. La deuxième vidéo : « Joyn Hackathon » a été sélectionnée sur la
chaine TV d’Orange Innovation. Il était intéressant d’étudier le contenu utilisé en dehors d’Orange
Fab mais toujours dans le périmètre d’Orange Innovation pour comprendre s’il y avait des
différences sémantiques à relever.
1.2 Les thèmes recueillis
Les données produites à l’issue de ces trois études, sont de deux ordres, verbal et iconique. Il
s’agissait de réaliser une analyse thématique permettant une synthèse mettant à jour les invariants
et les spécificités des représentations.
83 http://www.lookforwardproject.com/#home 84 https://paris.numa.co/startups/
41
Cinq thèmes principaux ont été relevés :
• Thème lié au changement, à la transformation : un thème qui se retrouve tout au long de notre
sujet d’analyse, quatre groupes de verbatims principaux :
THÈME DU CHANGEMENT, DE LA TRANSFORMATION
Verbatims de la nouveauté,
de la découverte
Verbatims du
bouleversement, de la rupture
Verbatims de l’avenir, du
futur
« nouveaux concepts »,
« nouvelles idées »/ « notion qui
a été détectée par George et
l’Institut deux ans avant que ça
devienne mainstream »/ « c’est
grâce à nous qu’il a découvert le
concept de Big Data »/ “nos
suppliers ne sont plus capables de
suivre »/ « des signaux faibles
qu’on a réussi à identifier plus
rapidement »/ « identifié très
vite »/ « on a vu se transformer »
/ « nouveau dynamisme
économique au niveau
international » / « le but est
quand même d’apporter de
nouvelles technologies pour
Orange »
« bouleversement »
/« transformations rapides »/
« afin d’anticiper les ruptures
technologiques, dont la
fréquence tend à augmenter »/
« rapidement »/ « Orange est au
cœur de cette problématique du
changement/ « d’un marche en
constante mutation.»
« afin d’anticiper les ruptures
technologiques, dont la
fréquence tend à augmenter » /
« anticipation du groupe sur les
services d’avenir »/ « préparer le
terrain par le futur »/ « on ne les
voit pas arriver »/ « le Next »/
« maximiser votre temps »/
utilisation du futur/
Un thème mis sous tension par une temporalité très présente : « rapidement » revient régulièrement,
« très vite », « accélérateur », « on ne reste pas sur un truc qui ne marche pas » / « plus de trois mois
c’est trop long »/ « elles ont tendance à s’endormir », « on brûle leur temps »/ « engagement
rapidement »/ « on ne les voit pas arriver ».
42
• Thème de l’innovation et de la révolution numérique :
THÈME DE L’INNOVATION, DE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE
« transformations numériques » / « mutations du monde numérique» / « afin d’anticiper les
ruptures technologiques »/ « révolutionner le marché dans lequel elles évoluent »/« Travail de
veille dans les nouvelles technologies »/ « accélérateur d’innovation »/ « open innovation »/
« écosystèmes »/ « opportunité d’innovation »/ « Orange en est membre fondateur et partenaire
industriel (du « Numa, le grand lieu de l’innovation et du numérique à Paris » / « à travers ce
partenariat (avec Futur en Seine), Orange s’inscrit plus que jamais dans une démarche d’acteur
majeur de l’innovation numérique »
Strate iconique : dans les vidéos analysées ainsi que les sigles que l’on retrouve dans leur site internet
ainsi que sur leur brochure sont empruntées au monde numérique
• Thème de l’accompagnement :
THÈME DE L’ACCOMPAGNEMENT
« aider les start-ups »/ « apporter des conseils et du soutien »/ « bénéficiez d’un environnement
exceptionnel »/ « nous vous accompagnerons »/ « notre objectif est de vous fournir toute
l’attention dont votre start-up aurait besoin pour réussir »/ « mentors »/ « vous avez besoin de
soutien opérationnel »/ « bénéficier d’un accès privilégié aux canaux de distribution, aux
marchés, à l’expertise des équipes et de la présence mondiale d’Orange »/ « opportunités »/ Nos
intervenants auront à cœur de vous organiser/ « répondre à vos besoins », « plus brillants experts
et mentors », « échange exceptionnel avec nos experts »/ « un retour des cadres supérieurs
d’Orange »/ « nombreux VIP européens »/»portrait de mentor »/« offre 3 mois de soutien pour
leur (start-ups) permettre de développer leurs produits et leurs activité »/ « reçoivent également
de précieux conseils de la part d’innovateurs et d’experts d’Orange »/ « elles peuvent profiter »/
« les start-ups sélectionnées pour Orange Fab »/ «aider ces jeunes entreprises à passer au niveau
supérieur »/ « depuis leur démarrage jusqu’à ce qu’elles atteignent un niveau de maturité et de
rentabilité satisfaisant pour être autonomes et pérennes»/ « les start-ups issues de l’essaimage
technologique d’Orange »/ « pour aider les startups ambitieuses à transformer une vision initiale
en réussite économique»/ « mentoring précieux » / Nous considérons que c’est notre rôle de
soutenir la croissance des start-ups a l’international, dans une relation gagnant-gagnant », déclare
Mari-Noelle Jego-Laveissiere, Directrice executive Innovation, Marketing et Technologies
d’Orange.
43
• Thème de la communauté, de la création d’un écosystème et de la coopération « gagnant-
gagnant » :
THÈME DE LA COMMUNAUTÉ, D’UN ÉCOSYSTME ET DE LA COOPÉRATION
Verbatim autour de la communauté Verbatim autour de la coopération
« Ecosystème »/ « famille »/ « écosystème de
start-ups »/ « nous avons invité les acteurs de
l’écosystème (entrepreneurs, investisseurs,
presse, média…) »/ « réseau international »/
« L’écosystème Orange s’ouvre à vous »
relation gagnant-gagnant»/ « l’innovation
coopérative »/ « collaboration avec les start-
ups seront bénéfiques pour elles comme pour
le groupe »/ « partage »/ « projets
coopératifs »/ « Orange partage et exploite sa
propriété intellectuelle/ « co-créer avec les
start-ups »
• Thèmes liés à une posture de leader/ précurseur ou se rajoute deux autres dimensions, celles
de créateur d’histoire et de responsabilité sociétale
THÈME DE LEADER
Verbatims du « Leader » Verbatims de la
responsabilité sociétale
Verbatims « créateur
d’histoire »
« Orange est fier de faire avancer
la connaissance des nouveaux
mondes numériques »/ « fait
avancer l’innovation »/
« apporter aux jeunes entreprises
la puissance d’Orange »/
« devenir le premier opérateur de
l’ère internet »/ « soutien aux
start-ups »/ « encourageant la
créativité de ses partenaires »/
« engagement pour favoriser le
développement économique et la
créations d’emplois » / « Orange
est un acteur majeur des
programmes de recherche »/
« Partout où le Groupe opère, il
cherche à faire progresser les
économies locales et à favoriser
l’émergence de nouveaux
modèles de création de valeur
partagée »/ « responsabilité
sociétale »/ « Orange souhaite
que ses technologies, ressources
et compétences soient au service
du développement de tous et
chacun »/ « contribuer au
développement et à
l’amélioration des conditions de
vie des populations » / « le
lancement en Espagne de
« le partenariat de distribution
conclu en parallèle avec Deezer a
permis à celui-ci de multiplier le
nombre de ses abonnés payants,
qui s’élevait à 6 millions à fin
2014.» / « Orange a accompagné
Dailymotion vers la
consolidation de son statut de
plateforme vidéo majeure dans le
monde et de premier site
européen – toutes catégories
confondues - au monde selon
comScore. » / « exemple de
success story: Lookout avec qui
Orange a noué un partenariat en
44
« être acteur du développement
de plus de 1000 start-ups et PME
numériques »/ « Orange Institute
facilite des conversations entre
leaders d’opinion, entrepreneurs,
investisseurs, chercheurs et
visionnaires de tous horizons/
« chaque invention décrite dans
les brevets d’Orange est elle-
même une opportunité
d’innovation conjointe avec ses
partenaires pour créer de
nouvelles inventions»/ «Orange
Fab, l’accélérateur international
de start-ups d’Orange »/ « les
start-ups jouent un rôle
déterminant dans le
développement social et
économique des pays
émergents »/ « acteur majeur des
initiatives d’open innovation à
travers NUMA à Paris »/
« Orange Partner est le point
d’entrée pour construire des
partenariats avec l’écosystème
dans un esprit d’ouverture et
encourageant l’innovation chez
et hors d’Orange »/ « Le Groupe
s’est ainsi engagé à stimuler
l’innovation pour l’ensemble de
ses fournisseurs, et à aider les
PME à concrétiser leurs projets
d’innovation et contribuer de
manière décisive à leur
développement futur »/
« Stéphane Richard a signé, aux
côtés d’autres grandes
entreprises à participation d’Etat
l’accélérateur de startups «
Orange Fab » en présence des
Secrétaires d’Etat espagnols des
Télécommunications et de la
Société d’Information, D. Victor
Calvo-Sotelo, et du Commerce,
D. Jaime Garcia-Legaz, et du
Ministre franc ais de l’Economie,
Emmanuel Macron.» / Le
Directeur général d’Orange
Espagne, Jean-Marc Vignolles, a
salué le soutien des Secrétaires
d’Etat, en déclarant : « Nous
espérons que le programme «
Orange Fab » puisse se
développer et s’étendre a tout le
territoire espagnol avec le soutien
et la collaboration des
Gouvernements autonomes et
municipaux. L’économie
espagnole amorce un
redressement et Orange, qui
soutient la croissance
économique espagnole depuis
plus de quinze ans, souhaite
poursuivre et tenir ses
engagements. » / « Orange
participe, en tant que membre
fondateur, au « Startup Europe
Partnership » et au « European
Digital Forum » pour stimuler
l'innovation et la croissance
économique en Europe »
décembre 2012, investissant ainsi
dans le futur de la sécurité mobile
et dans l’une des sociétés leaders
les plus innovantes (…)/
« Orange Fab San Francisco a
permis a 22 entreprises d’achever
le programme avec succès. C’est
le cas par exemple de TrackR, le
fabricant de jetons connectés a
accrocher aux objets facilement
perdus ou oublies, qui a vendu
plus de 350 000 unités. Fiverun,
la plateforme logicielle pour
grands magasins et détaillants
permettant d’optimiser
l’expérience d’achat en magasin,
est désormais disponible dans 11
pays. 2600Hz, le développeur de
solutions de communication
logicielles, a ouvert son service a
l’international. Enfin, Fenix
International a livre plus de 25
000 exemplaires de sa batterie
rechargeable par énergie solaire
et vient d’annoncer avoir leve
$12,6 millions. »/ « Tonje
Bakang, PDG d’Afrostream a
de clare : « L’avenir de la
te le vision passe par le mobile.
Gra ce a cet investissement
strate gique d’Orange,
Afrostream re unit de sormais le
meilleur de l'internet mobile et le
meilleur du contenu afro. Cette
alliance inédite nous permettra
de révolutionner l'industrie du
45
français, une charte « PME
innovantes » afin de promouvoir
l’achat innovant et exemplaire en
faveur des PME »/ « Orange
accompagne La Ruche dans son
ambition de développement »/
« Les (start-ups) faire avancer
avec nous et leur ouvrir les portes
du marché mondial grâce à notre
empreinte globale. » - Nathalie
Boulanger/ « Nous sommes fiers
de pouvoir nous associer à
Orange Fab, un leader du monde
des nouvelles technologies. C’est
un moyen pour nous d’identifier
des startups innovantes qui nous
permettront d’améliorer
l’expérience que nous offrons à
nos clients. L’accès à ces startups
nous permet aussi d’anticiper les
besoins de notre clientèle,
notamment dans le domaine
digital. » Rich Di Stefano,
Directeur de produits web et
mobiles chez Hilton
Worldwide. »
divertissement et de viser tous les
publics. »
46
2. Du bâtisseur au chef d’orchestre de l’innovation
2.1 L’innovation : au cœur de l’identité de marque
La marque est une instance sémiotique, elle se rendra visible par son identité, et par ce qu’elle
transmettra aux consommateurs à travers ses discours et sa mise en récit85. Andrea Semprini, base
sa réflexion sur la sémiotique greimassienne qui « postule que le sens se produit par génération et
par narration »86. Un noyau élémentaire, que Semprini appelle le niveau axiologique, constitue le
fondement de la marque ou l’on retrouve les valeurs de base comme l’innovation pour Orange.
Ces valeurs ne vont acquérir de réalité qu’en remontant à la surface par ses « mises en scènes » où
elles vont dans un premier temps s’organiser sous forme de récits, c’est le « niveau narratif ». Elles
vont donner aux valeurs de la marque « une forme racontable, donc explicite » et vont ensuite venir
s’inscrire dans l’environnement socioculturel en s’appuyant sur les figures contemporaines. C’est le
« niveau discursif » ou le « héros trouvera un visage, un physique, une profession, un contexte
d’action (…) tous les éléments de contextualisation qui permettront de l’identifier et de le
différencier. C’est à ce niveau là où se situent certaines « icones » de l’identité de marque qui vont
immédiatement immerger le consommateur dans l’univers de marque.
L’innovation d’Orange est au cœur de la marque afin de lui conférer une dimension plus
scientifique. Et, si pour la marque c’est une valeur intrinsèque, elle doit la faire vivre et l’inscrire
dans son époque en s’appuyant sur des référents plus contemporains. Son objectif est de s’assurer
au fil des années de sa légitimité de pouvoir en parler, et d’agir en son nom.
Lorsque l’on sillonne le site internet d’Orange et que l’on se rend sur l’onglet « histoire », on est
surpris par le nombre de dates inscrites sur la page et par la plus ancienne : « 1794 ». On regarde
ensuite l’inscription en-dessous de cette date et l’on y voit : « premier message télégraphique
transmis sur la ligne Lille-Paris : naissance de la télégraphie optique de Chappe ». Et la première
question qui nous vient à l’esprit, est : Orange serait-elle à l’origine de cette invention ? La date
suivante inscrite : « 1837 : naissance de la télégraphie électrique ». On se rend compte que le reste
de la page suit la même structure avec les plus grandes inventions du secteur des
télécommunications. Il est difficile de discerner ce qui relève de l’invention et de l’innovation, et
surtout de ce qui relève des innovations créées par Orange ou par un inventeur. Tout est mis sur
le même plan, comme pour signifier que toutes ces découvertes ont été le produit d’Orange. Ainsi,
85 Semprini Andrea, « Le marketing de la marque » édition Liaisons, p. 23 86 Ibid., p. 54
47
Orange se positionne comme le plus grand innovateur de l’histoire de la télécommunication. De
fait, on ne peut assurer qu’Orange n’a rien à voir avec les inventions citées, c’est avec certitude que
l’on peut dire que son identité de marque est intimement liée à celle des innovations. C’est en
revenant un instant aux racines d’Orange que l’on comprend d’où lui vient cette autorité.
Anciennement France Télécoms, l’établissement initialement de droit public est issu directement
de la Direction générale des télécommunications, est alors une administration qui a pour mission
de démultiplier la politique industrielle de l’Etat87. Le groupe et l’Etat se confondaient et étaient
intimement lié à la modernisation des systèmes des télécommunications. C’est lors de l’après-guerre
ou les grandes entreprises ont trouvé leur raison d’être dans leur capacité à intégrer et contrôler les
activités de R&D, comme nous l’avons vu en première partie. Mais avec la « démocratisation de
l’innovation » il y a eu un glissement de terrain des acteurs détenteurs de l’innovation dans la mesure
où elle n’était plus dans les seules mains des grandes structures. Orange est venu rechercher ainsi
de la légitimité auprès d’autres acteurs et embrasser leurs langages, leurs codes pour s’approprier
leurs imaginaires. Orange est passé d’une posture d’innovateur à activateur de l’innovation.
2.2 Appropriation des codes du numérique et des start-ups
Orange a donc ainsi contextualisé et actualisé son récit autour de l’innovation en s’emparant des
langages d’autres structures identifiées comme légitimes dans le secteur de l’innovation. Cette
logique de sémantisation, Benoit Heilbrunn la qualifie d’un « imaginaire permettant
de scénariser » les biens marchands « afin de les rendre désirables et donc consommables »88.
Nous avons mis en relief deux actions : la première, Orange a adopté les signes et comportements
des start-ups et d’une façon plus large du « monde high tech »89 ; la deuxième, Orange a constitué un
écosystème, un réseau mettant en lien ce monde-là avec les grands comptes d’Orange.
Signes et comportement du « monde high tech » :
Un champ sémantique très tourné autour de l’innovation qui emprunte les verbatims « high tech »
que nous avons déjà relevé dans la thématique de « l’innovation et la révolution numérique » et que
nous allons détailler dans ce paragraphe.
C’est en commençant par le nom et l’accélérateur de son logo : Orange Fab, qu’Orange marque
son appartenance à cet environnement. La signification de « Fab » est mentionnée sur le site
internet, il est l’acronyme anglo-saxon pour « microchip fabrication plant », une terminologie qui semble
87 Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/France_T%C3%A9l%C3%A9com 88 Heilbrunn Benoît, « Les marques, entre valeur d'image et valeur d'usage », L'Expansion Management Review 2/2010 (N° 137), p. 72-78 89 Traduction : technologies de pointe
48
avoir été inventée. « Microchip » désigne la « puce électronique » et « fabrication plant » est une autre
façon pour dire « manufacturing plant » qui désigne une « unité de fabrication » spécialisée dans les
produits de pointe. « Fab », dénomme ainsi le lieu de création, fabrication de puces électroniques
de pointes. Mais fait aussi référence à une terminologie aujourd’hui très employée dans le domaine
des « makers » 90, ce sont les « Fab Lab », une contraction en anglais pour « Fabrication Laboratory ».
Plus qu’une simple notion, il invoque tout un mouvement et un état d’esprit, il est « est un lieu
ouvert au public où sont mis à sa disposition toutes sortes d'outils, notamment des machines-outils
pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d'objets »91. Leurs réputations, leurs
vient de l’ouverture au sens propre comme au sens figuré qui principalement est un espace de
rencontre et de création collective ou les outils mise à disposition permettent de passer de la phase
de concept à la phase de prototypage ainsi qu’à celle de son déploiement, rapidement en stimulant
l’intelligence collective. On retient donc pour la terminologie de « Fab » l’idée de fabrication,
d’ouverture, de création collective et enfin de technologies de pointes. Dernière signification
mentionnée sur le site, « Fab pour Fabuleux dès que vous y participez ». Les anglo-saxons et
notamment les américains utilisent très régulièrement ce diminutif de « Fab » pour « Fabulous »92 et
permet d’ancrer aussi Fab Orange dans une dimension internationale, et encore plus américaine,
haut lieu de réputation pour les nouvelles idées et les technologies grâce à la « Silicon Valley ». Lieu
d’ailleurs où Orange Fab est né. La Silicon Valley, représente le cœur de l’innovation et plus
particulièrement les pôles des industries de pointe. Berceau des « licornes » comme AirBnb, Uber,
Snapchat, Pinterest comme nous avons vu en première partie.
La nomination des différentes périodes d’accélérations appelées « Saisons » n’est pas propre à
Orange Fab puisque le Numa adopte lui aussi cette même déclinaison. En comparant avec les plus
grands accélérateurs, il en résulte que « Y Combinator » utilise le terme de « cycle » référence
beaucoup plus économiste et que « Technstars » n’a pas de terminologie précise. « Saisons », en
plus de se référer aux quatre saisons de l’année, fait un clin d’œil à l’univers des séries télévisées.
Tout comme le cinéma, est un lieu privilégié de spectacle et de mise en scène.
90 Traduction : faiseurs 91 Définition wikipédia des Fab Lab : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fab_lab 92 Traduction : Fabuleux, magnifique
49
• Comparaison du logo institutionnel d’Orange et du logo Orange Fab
Logo Orange
institutionnel
Logo Orange Fab 1 Logo Orange Fab 2
La comparaison du logo institutionnel d’Orange et du logo Orange Fab montre le glissement de
terrain de la relation d’Orange vers l’innovation. Le logo institutionnel est enfermé dans un carré
de couleur orange où le logo « Orange » se situe en bas, tout comme une signature. La couleur
orange symbolise l’innovation et le groupe en est le créateur mais aussi récolte toute l’innovation
créée. Le logo Orange Fab numéro deux, se libère de son conformisme et du côté conventionnel
du Groupe. Disparition du carré qui enferme « Orange », on enlève les frontières, le monde
extérieur est vu comme bienveillant et il vient nourrir Orange. La couleur orange ne vient plus
uniquement de l’intérieur du carré et donc de l’intérieur du groupe mais peut venir de tout horizon.
La typographie évolue vers une typographie moins parfaite et stricte, et la couleur est hachurée, il
y a une dimension « brouillon », pas fini. Ceci, souligne une ouverture à une certaine prise de risque,
qu’Orange n’est jamais totalement établie, définie, mais est toujours en construction, en
version « béta » pour reprendre la terminologie des start-ups. Toutefois, une prise de risque limitée
: toujours sous le joug du groupe, la couleur orange reste prédominante même si elle est plus
hachée, le nom « Orange » est toujours là (contrairement à l’incubateur de Showroom privé qui
s’appelle « Look Forward ») et la typographie, même si elle évolue, reste la même. Orange Fab à
une image tournée vers les autres, s’inspire des autres mais reste sous le contrôle du groupe. Le site
de Orange Fab est mis sous la même tension, d’un côté il s’empare de code de l’univers des start-
ups avec des couleurs vives, l’utilisation de nombreux sigles numériques symbolisant la mise en
relation, le monde technologique , des personnes jeunes, pleines d’entrain comme la femme
métissée sur la première page du site, habillée de façon « hipster»93. Et de l’autre, un site qui se veut
93 La terminologie du hipster est un terme d’origine anglo-saxon qui désigne originalement les jeunes blancs amateurs de jazz et de bebop qui reproduisaient la vie libérée des musiciens afro-américains (la génération appelée la « Beat generation ») en embrasent leurs codes vestimentaires. Vu globalement comme une « contre-culture », aujourd’hui, le
50
très institutionnel, avec le carré d’Orange en haut de la page, la couleur orange dominante et surtout
un onglet « Orange » qui présente le groupe Orange et enfin des personnes en partie habillée en
« code vestimentaire » de bureau (cravates, chemises). On se demande à qui s’adresse ce site ? Aux
start-ups afin qu’ils puissent postuler au programme d’accélérateur ? On est surpris par l’absence
d’un onglet « Postulez ». Lorsqu’on le compare aux autres sites d’accélérateurs, ils ont tous un
endroit bien mis en évidence où l’on peut postuler au programme. C’est la mission principale d’un
site d’accélérateur : permettre aux start-ups de s’inscrire. Mais sur Orange Fab il y a uniquement un
« Contactez-nous » par email, twitter ou par un formulaire sur lequel on peut écrire un message. Il
est licite de se demander si le site d’Orange Fab n’aurait pas plutôt une visée institutionnelle ou de
communication pour les grands comptes du service « Business Services94» d’Orange.
Il est en fait le créateur d’un écosystème et plus particulièrement s’interpose comme l’activateur de
l’innovation, c’est lui l’instance régulateur de cet écosystème, il se place au-dessus.
Créateur d’un écosystème/ d’une communauté pour assurer sa place dans le monde du numérique
Dans les thèmes identifiés dans la partie analyse du corpus, on retrouve tout un champ sémantique
autour de l’écosystème : famille » / « écosystème de start-ups » / « nous avons invité les acteurs de
l’écosystème (entrepreneurs, investisseurs, presse, média…) » / « réseau international »/
« L’écosystème Orange s’ouvre à vous ». On retrouve aussi le registre de la « coopération », du
« partage » qui vient puiser ses sources du mythe construit autour du Web 2.0 avec toute une
panoplie de dénomination autour du collaboratif (« peer-to-peer », économie collaborative...) au sein
de laquelle l’utopie d’une révolution numérique viendrait bouleverser le rapport entre dominant et
dominé. Une révolution portée par des valeurs libertaires et solidaires où chacun serait appelé (ou
tout du moins aurait la possibilité) de contribuer, d’apporter ses propres compétences sans aucune
discrimination, ou l’on passerait de l’individu spectateur à celui d’acteur. On retrouve l’idée d’un
nouveau paradigme celui de l’empowerment95 de l’individu sur la société.
Le groupe Orange utilise ce levier pour donner l’illusion de construire un écosystème porté par ces
valeurs mais en même temps une tension avec son rôle de leader, vient la contrebalancer. Orange
non seulement s’érige comme acteur de l’innovation mais à travers son écosystème, il en devient
référent et même activateur de l’innovation.
« hipster » est devenu un profil marketing très ciblé et désigne un type de personnes souhaitant se différencier de la masse et très connecté, qui se veut à la pointe de la technologie. La femme sur le site orange a une combinaison vestimentaire qui reprend certains codes de « l’hipster » dont notamment la chemise fermée jusqu’au coup et le bonnet à moitié enfilé sur la tête. 94 Orange Business Services est l’entité d’Orange destiné aux entreprises 95 Traduction français : émancipation de l’individu
51
2.3 Le chef d’orchestre de l’innovation
« Les marques sont des entités sémiotiques, de signes abritant des réserves de puissance dans la
lutte concurrentielle sur le marché des biens et services. Leur nature est expansive et conquérante,
toujours en recherche de pouvoir pour assurer leur pérennité grâce à la possibilité d’une distinction
positive par rapport à leurs concurrents et grâce à une indispensable visibilité auprès des cibles
choisies »96. Orange, par sa nature de leader dans le marché de la télécommunication est voué à
porter, non seulement le marché par le haut mais aussi à prendre le rôle de chef d’orchestre et de
le diriger. On retrouve aussi bien un champ sémantique en tant que meneur dans notre corpus mais
aussi dans l’organisation de son réseau d’innovation ouverte. Fab Force, on le rappelle, est l’entité
de Orange qui réunit d’autres grands groupes français : Axa, Total, Airbus, Visa, Moët, Fnac, Leroy
Merlin mais aussi non français : Hennessy, Hilton, LG… et le rôle de Fab Force est de faire profiter
aux partenaires de son écosystème d’innovation d’Orange en ouvrant les portes d’Orange Fab.
Ainsi chaque partenaire pourra assister au « Démo-day » et conclure, si affinités, des partenariats de
distribution avec les autres grands groupes. Le groupe Orange organise et apporte l’innovation à
d’autres grands acteurs. Il assoit non seulement son autorité sur l’innovation mais permet
d’accroitre sa communication et sa légitimité dans son champ d’action auprès de ces acteurs qui
sont aussi clients d’Orange Business Services. Orange adopte une posture scientifique, voir
technophile par le biais de Orange Fab, tout comme Danone avec l’Institut Danone. La
particularité d’Orange est que ses services comme le Cloud, la fibre optique sont des services tout
comme l’électricité non visible et qui pourtant, tout comme l’électricité, sont devenues des biens
indispensables au quotidien des français. Du fait de leur non visibilité, tout comme l’innovation qui
elle aussi n’est pas forcément visible, le client a plus de difficulté à juger de sa qualité, d’où
l‘importance de communiquer et apporter des preuves tangibles à sa recherche d’innovation.
96 Caroline Marti de Montety, « La fin de la publicité », p. 183
52
B. UNE QUÊTE DE LÉGITIMITÉ POUR S’INSCRIRE COMME ACTEUR DU
CHANGEMENT DE DEMAIN
1. Le mythe de l’innovation, levier salvateur pour appréhender le futur
1.1 Prédire l’avenir, un besoin résolument humain à la construction du mythe de l’innovation
La quête de prévoir l’avenir est un besoin résolument humain, l’homme a toujours eu besoin de
répondre à « l’anxiété fondamentale97 » dans le fait que nous sommes des êtres mortels. Notre
situation de « finitude »98 qu’on partage avec tous les êtres vivants met en constance tension
l’homme dans un désir de connaître l’avenir et en même temps dans la peur de la connaître. Pour
répondre à ces angoisses, les hommes vont avoir besoin d’être rassurés, soit en se réfugiant dans
les religions qui vont promettre la continuation de l’existence dans l’au-delà, soit en faisant appel à
des méthodes plus ou moins magiques pour prédire leur avenir ou alors à remettre sa sécurité dans
les mains de l’Etat. Si la religion et la magie sont en net replies dans nos sociétés occidentales, l’Etat
répondait encore à ses devoirs régaliens d’assurer la sécurité de ses citoyens. Mais ce dernier par les
attentas récents semble dans l’incapacité d’y répondre.
La technologie, fait appel à un retour du déterminisme c’est à dire « l’idée que la réalité (tant
physique que biologique, ou sociale) est régie par des lois (déterministes) et qu’il n’existe donc pas
de phénomènes aléatoires ; soit l’idée que si, nous, agents épistémiques, connaissions toutes les lois
(de la nature, de la société, etc.) et toutes les conditions initiales, nous pourrions prédire avec
certitude tout état futur du monde »99. Plus concrètement, analyser les données comme le « Big
Data », permettrait de prédire le futur ou tout du moins d’étudier l’évolution de nos comportements
et de la société. A la technologie, vue comme une science exacte sur laquelle on peut se fier, va se
rajouter le mythe du progrès, qui va offrir à l’individu, la capacité de projection. Karl Kraus dans
l’article intitulé « Der Fortschritt » (Le progrès) explique que « le progrès n’est pas un mouvement,
97 Frédéric Gros, « le Principe de sécurité », Paris, Gallimard, 2012, p. 186 98 Dastur Françoise, « La question philosophique de la finitude », Cahiers de Gestalt-thérapie 1/2009 (n° 23), p. 7-16 99 Pierre-Simon de Laplace, dans son Essai philosophique sur les probabilités.
53
mais un état, et un état qui consiste à se sentir en avant, quoi que l’on fasse, sans pour autant avoir
besoin d’avancer »100, il rajoute que « le progrès est une des inventions les plus riches de sens qu’elle
(l’humanité) ait jamais réussi à faire, déjà pour la raison que, pour son utilisation, la foi seule est
nécessaire, et c’est ainsi que les représentants du progrès qui exigent qu’on leur consente un crédit
illimité jouent un jeu gagné d’avance ». Les représentants du progrès sont ainsi les héros qui
permettent aux hommes de se projeter en avant. Courant intellectuel du post-industrialisme, cette
pensée dominante dans les sociétés occidentales à partir des années 70, est portée par Huyghe et
son « idéologie structurée ». L’utopie post-industrielle stipule que la foi en un avenir est synonyme
d’épanouissement total pour l’homme grâce à la prospérité économique, au progrès scientifique et
technique.
L’innovation ne viendrait-elle pas remplacer le progrès ? L’innovation tout comme le progrès, est
mis sous tension entre le besoin d’ancrage de l’homme dans ce qui est connu et le besoin de
nouveautés et de se projeter dans le futur. Lorsque l’on s’intéresse à la sémiologie de l’innovation,
Anthony Mathé nous apprend que trois termes clefs caractérisent la sémantique de l’innovation :
la « nouveauté », « l’inventivité » et le « changement ». Ces trois termes s’articulent autour d’un
triangle :
L’innovation permet ainsi de s’inscrire dans le devenir, une rupture avec le présent va se produire
grâce au « technology push » pour amener du changement et de la nouveauté. Dans notre corpus, on
retrouve deux thèmes ici présenté, celui du « changement » et de la « nouveauté » ainsi que cette
100 Bouveresse Jacques, « Le mythe du progrès selon Wittgenstein et Von Wright », Mouvements 1/2002 (no19), p. 126-141
54
tension créée par le besoin de rupture, d’une « révolution numérique », presque brutale, tout en
assurant une vision réconfortante, celle de la prise de contrôle de l’avenir.
Simon Clapier-Valladon fait un parallèle de l’innovation avec la mode, qu’il définit en deux
tendances : « désir de changement, d’originalité, et besoin de sécurité dans le conformisme ».
Cette dualité, nous faits penser à la théorie de la « double contrainte » de l’école de Palo Alto, qui
met en scène le paradoxe, dans notre cas, entre le besoin de sécurité et le besoin de changement.
Ceci signifie que l’innovation ne peut exister par elle-même car les consommateurs ont besoin de
se référer à un schéma connu tout en apportant de la « nouveauté » et du « changement ». C’est
dans cette dualité que les marques vont devoir s’inscrire pour répondre à une angoisse originelle
suralimentée dans notre société contemporaine.
1.2 Le ré-enchantement de l’avenir par les marques
C’est le progrès de la science qui aurait atrophié l’imagination de l’homme et engendré le
« désenchantement du monde » selon Max Weber. Un prosaïsme rationnel, porté par le système
capitalistique, aurait ôté le pouvoir de la magie, de la surprise et de la poésie dans la vision du
monde. Les marques, pourtant premières représentantes du système capitaliste, par leur récit, leur
acte héroïque et leur pouvoir imaginaire101, vont tenter de la ré-enchanter.
Tout comme dans le mythe de la société malade de Baudrillard, la « crise » que Benoit Heilbrunn
nomme « un montage cinématique et théâtral » , nous donne la sensation d’être plongé dans un
immobilisme et une morosité passive, relayé par une défiance aux instances gouvernementales et
du marché102 depuis une décennie. Les perspectives d’avenir sont sombres. Un terreau favorable
aux marques puisqu’elles vont venir s’insérer comme marques bienveillantes et répondre aux
besoins de l’homme, tout en leur offrant des perspectives d’avenir. La fabrication du récit, et de
faire croire à leurs histoires, est propre aux marques selon George Lewi : « les marques, notre
mythologie contemporaine, polymorphe et polythéiste, comme celle des anciens, savent si bien
jouer du vrai et du vraisemblable, de la réalité et de l’imaginaire, de l’objet et du sujet » 103.
Saisir la problématique du futur pour créer de la préférence et ancrer la marque dans l’avenir, tout
comme à l’image de Apple avec la liberté, de Coca Cola et le bonheur. « La marque appartient à la
société, aux consommateurs qui attendent d’elle qu’elle joue un rôle de guide, dans leur
101 Georges Lewi, « Les marques, mythologies du quotidien », 2003, Pearson Education France, p.21 102 Yann Algar et Pierre Cahuc, « La société de défiance, Comment le modèle social français s’autodétruit », collection CEPREMAP, 2007, p.9 103 Ibid., p.57
55
consommation, dans leurs comportements, parfois même dans leurs idées » 104, Orange se
positionne en tant que référent qui permet de guider les comportements. Les discours sur le futur
permettent d’en être maitre et de démontrer que la marque maitrise l’avenir et même la dirige
puisqu’en tant qu’activateur de l’innovation, elle va dessiner son avenir et celui de ses clients. Parler
du futur c’est déjà apporter un horizon salvateur. L’utopie à laquelle répond l’innovation
permettrait de vivre d’une nouvelle façon ou des choses qui ne sont concrètement pas possibles à
un moment donné le deviendraient.
1.3 Orange, la marque salvatrice
Orange en s’emparant de l’innovation, va offrir une occasion de sortir de cette situation actuelle et
de répondre aux maux contemporains, en s’appuyant sur l’utopie du changement global. Orange,
par son domaine d’activité joue un rôle d’autant plus important dans l’avènement du progrès, de la
modernité. Les acteurs des télécommunications sont essentiels dans la transformation numérique
de l’économie. D’après l’étude de la Fédération Française des télécoms, les investissements et les
innovations dans les télécoms auraient un effet multiplicateur sur l’économie, ce qui aurait donc un
effet d’entrainement sur l’ensemble de l’écosystème. Le numérique génère des nouveaux usages et
marchés et grâce à la multiplication des terminaux et des objets connectés, l’internet des objets
devrait être « le pétrole du XXIème siècle ». Et les opérateurs télécoms, en tant que fournisseur
internet, sont à la base même de cette révolution numérique. Et permet aussi à l’individu d’accéder
au reste du monde virtuellement (et de travailler dans certains cas) et d’être ainsi un créateur de lien
social et économique pour les individus ainsi que de renouveler l’économie.
Orange, devient ainsi une marque salvatrice qui permet non seulement aux individus, mais au pays
de s’ancrer dans l’avenir et d’éventuellement donner l’illusion d’immortalité qu’elle porte en elle.
Elle embrasse ainsi une cause sociétale, celle de s’engager en tant qu’acteur du futur et du progrès.
Si certaines marques vont s’inscrire comme les « bâtisseurs des mémoires » 105 d’autres s’inscrivent
comme les « bâtisseurs de l’avenir ».
A ce rôle salvateur, se rajoute la casquette du héros créateur. Comme nous avons vu précédemment,
la « création » fait partie du champ sémantique de l’innovation et en tant que héros créateur, il a « la
capacité de briser le cercle des conventions, de donner une nouvelle impulsion à un groupe, une
société. Son engagement au nom d’un idéal et d’une cause qui le dépasse libère une énergie
104 Op.cit.101, p.9 105 Cours de Caroline Marti de Montety « Sic et marketing », Master SMCP, Celsa
56
inconnue, révèle une vision nouvelle qui transformera la société, sera un catalyseur de son évolution
» 106 .
1.4 Les start-ups, les adjuvants qui ont pour mission de redynamiser le héros
Si Orange, est le héros selon le scénario des marques-mythe107 de George Lewis, les start-ups
seraient-elles les adjuvants qui permettraient d’apporter la légitimité au groupe, de parler et d’agir
au nom de l’innovation ? Les start-ups, comme nous allons le voir en dernière partie, chargées en
sens, jouissent d’un imaginaire de réussite très fort et portent une utopie d’un monde meilleur.
Orange, ancien France Télécom, a longtemps eu une image ternie par les vagues de suicide de 2007
à 2013 et porte le fardeau d’une image d’entreprise public, plus ancré dans le passé que dans le
futur. L’arrivée de Free perçu comme jeune perturbateurs en 2012/2013 a créé une forte tension
sur le marché des telécoms. A cela, se rajoute des investisseurs frileux alors même que c’est un
secteur demande de forts investissements, Orange a dû se lancer à la conquête des investisseurs.
La nouvelle stratégie d’Orange, est de se faire connaître en tant que groupe innovateur à la pointe
des nouvelles technologies, à l’image d’un Google et pas forcément uniquement en tant
qu’opérateur. D’autant plus que la volonté d’Orange est d’étendre son cœur de métier aux objets
connectés, services financiers, la cyber-défense, le SAAS108 et le Cloud, l’analyse de data109 et tout
ce qui tourne autour des outils de travail des salariés. Le terrain est vaste et le dénominateur
commun est la technologie numérique. Tout l’écosystème d’Orange innovation basé à la Silicon
Valley alors même qu’Orange n’est pas opérateur aux Etats-Unis en est l’exemple. L’objectif, est
non seulement de redevenir l’acteur incontournable dans le monde des télécoms, mais de se hisser
en tant que groupe mondial spécialiste et créateur des technologies numériques. Et si Orange peut
aujourd’hui s’inscrire comme marque salvatrice c’est parce qu’elle jouit de l’imagine construit des
start-ups qui agissent comme des adjuvants pour glorifier leur héros.
106 Op.cit., 101, p.124 107 Ibid., p.231 108 Acronyme pour « Software as an Service » c’est à dire « le logiciel en tant que service, est un modèle d'exploitation commerciale des logiciels dans lequel ceux-ci sont installés sur des serveurs distants plutôt que sur la machine de l'utilisateur » d’après la définition de wikipédia 109 Cloud : « Le cloud computing, ou l'informatique en nuage ou nuagique ou encore l'infonuagique, est l'exploitation de la puissance de calcul ou de stockage de serveurs informatiques distants par l'intermédiaire d'un réseau, généralement internet » d’après la définition de Wikipédia
57
1.5 Orange : créateur d’histoire
La notion de responsabilité sociétale de l’entreprise, est née dans l’idée que les activités
économiques de l’entreprise ont des effets néfastes, des « externalités négatives » comme la
pollution, le chômage, la pauvreté pour l’ensemble de la société. Par leur pouvoir et le rôle qu’elles
jouent dans la société, « l’entreprise doit être considérée comme une institution sociale dont les
activités s’inscrivent dans la vie de la Cité et qui à ce titre, est responsable vis-à-vis de tous les autres
acteurs de la société » 110. Une marque aujourd’hui, doit être non seulement irréprochable mais doit
s’engager à construire un monde meilleur et réussir le pari de faire conjuguer intérêt privés et
intérêts général. Orange, comme nous avons ultérieurement, détient le rôle, et pas du moindre, de
faire évoluer l’économie traditionnelle en une économie numérique, c’est à dire de renouveler et
moderniser l’économie actuelle. Pour se faire, non seulement Orange investit dans les nouvelles
technologies et cherche à améliorer son réseau de 4G pour offrir toujours plus accès à internet,
mais Orange va aussi se positionner comme « créateur d’histoire » dans ces technologies. En
accompagnant les jeunes entreprises vers la maturité, Orange permet le renouvellement de
l’économie tout en s’attaquant à un des maux les plus puissants de notre décennie : le chômage.
Nous retrouvons encore une fois le récit de la marque bienfaitrice qui lutte contre le mythe de la
« société malade ».
Deux des thèmes identifiés dans l’analyse de notre corpus sont celui de « l’accompagnement » des
startups et celui que l’on a qualifié de « créateur d’histoire ». Deux thèmes intimement liés. Nous
avions vu que le champ sémantique d’un incubateur était propre à celui de l’accompagnement, mais
si initialement c’était des entités publiques et locales qui endossait cet étendard, aujourd’hui, il est
clairement tombé dans les mains du privé (que ce soit des entreprises « corporate » ou d’acteurs
privés). Lorsque l’on regarde la définition d’accompagner dans le Larousse, on retrouve l’idée de
guide, de référent : « servir de guide, d’accompagnateur à quelqu’un, à un groupe » 111 c’est donc
être un référent, un exemple. Orange prend donc autorité sur eux.
Historiquement, le rôle de l’Etat en France a toujours joué un rôle en faveur de l’activité
économique. Selon Colbert, l’Etat, « devait d’être l’initiateur de l’essor économique de la France »112.
Ainsi sous Louis XIV, le ministre Colbert instaure pour la première fois une véritable politique
110 Mourad Attarça et Thierry Jacquot « La représentation de la responsabilité sociale des entreprises : une confrontation entre les approches théoriques et les visions managériales », AIMS 2005 111 Définition du Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/accompagner/470#7GhtSYrSkOv3C7ob.99 112 Isabelle Mutin-Quinson, « pépinières d’entreprises : origines et modes opératoires » mémoire soutenu en décembre 2004 dans le cadre de son DESS « Management du secteur public : collectivités et partenaires »
58
industrielle et commerciale. C’est le début de l’interventionnisme économique qui a donné suite à
l’Etat providence. Au sein de cet interventionnisme, un des thèmes récurrents aussi bien sur le plan
national que local, a été l’aide à la création d’entreprise. Elle prépare au renouvellement économique
et à l’avenir. Aujourd’hui, dans nos politiques économiques, ce thème est d’autant plus accentué
que le chômage est devenu la principale épine de notre société. Le nombre d’initiatives publiques
pour favoriser les jeunes entreprises dans le domaine du numérique est vertigineux. Bercy n’arrête
pas de communiquer autour des jeunes pousses de la French Tech et souhaite devenir une « start-
up nation » à l’instar d’Israël.
Les incubateurs d’entreprises en investissant dans ce rôle d’accompagnateur et de créateur
d’histoires s’approprient une des compétences initiales de l’Etat français et rivalisent avec lui. Qui
d’autres que les grandes entreprises sont à même d’accompagner les jeunes startups vers la voie de
la réussite ? Elles offrent non seulement leur savoir-faire, leur expertise (et qui par conséquent les
valorise) mais aussi leur légitimité, comme nous avions vu en première partie.
Orange a largement communiqué autour de sa relation avec Deezer : « le partenariat de distribution
conclu en parallèle avec Deezer a permis à celui-ci de multiplier le nombre de ses abonnés payants,
qui s’élevait à 6 millions à fin 2014 ». Mais aussi sur Daliymotion : « Orange a accompagné
Dailymotion vers la consolidation de son statut de plateforme vidéo majeure dans le monde et de
premier site européen – toutes catégories confondues - au monde selon comScore » et ainsi que
d’autres : « exemple de success story : Lookout avec qui Orange a noué un partenariat en décembre
2012, investissant ainsi dans le futur de la sécurité mobile et dans l’une des sociétés leaders les plus
innovantes (…) »
Orange Fab se situe à la continuité de cette démarche de « créateur d’histoire » « Orange Fab San
Francisco a permis a 22 entreprises d’achever le programme avec succès. » Orange se place en tant
que véritable créateur de « success story », une façon encore de s’inscrire dans le futur mais aussi de
revaloriser ses expertises et de consolider son rôle sociétal.
59
2. Les Start-ups, nos héros !
2.1 La figure de l’innovateur à travers le temps
Quel est le point commun entre Isaac Newton, Galilée, Benjamin Franklin, ou encore Steve Jobs ?
Ils sont tous des inventeurs, ou considérés comme des inventeurs, où de nombreuses légendes ont
été créées autour d’eux. L’archétype de l’inventeur : une personne hors du commun, un peu fou
avec une pensée divergente, souvent solitaire, comme disait Steve Jobs « stay hungry, stay foolish »113.
Mais pourquoi ce mythe ? Cet engouement et ces légendes autour de ces inventeurs, créateurs,
entrepreneurs ?
C’est dans l’Europe industrielle du XIXème siècle que les inventeurs et techniciens deviennent peu
à peu l’objet d’un véritable culte public. Si le rôle de l’entrepreneur est central dans l’économie, son
visage diffère en fonction du contexte socio-économique où il se trouve. Il a traversé le temps ;
auparavant marchand et commerçant au XVIIème et XVIIIème siècle, les entrepreneurs sont les
grands aventuriers des comptoirs coloniaux pour ensuite se transformer en manufacturiers pendant
la première révolution industrielle. Mais c’est lors de la deuxième révolution industrielle que
l’entrepreneur va plus se rapprocher de l’entrepreneur contemporain, celui qui est doté d’un
pouvoir de gestionnaire. L’économiste français, J-B Say mais aussi banquier et industriel, voit
l’entrepreneur comme pourvu de qualités managerielles et organisationnelles de même que c’est
celui qui prend des risques. Selon Schumpeter, il est l’investigateur perturbateur de l’innovation :
« seuls les individus capables d’innover méritent l’appellation d’entrepreneur, ils sont doués
d’imagination et font preuve d’initiative et de volonté. Ils assurent le passage entre le monde
scientifique de la découverte et des inventions, et le monde économique des innovations »114. D’une
façon générale, l’entrepreneur répond « au besoin qu’à la théorie économique de s’appuyer sur un
type idéal afin de fournir une explication générale du fonctionnement de l’économie de marché.
L’idéologie de l’entrepreneur repose alors sur le fait que le développement économique est le
produit de l’initiative individuelle »115. Ainsi, l’entrepreneur, reflète l’idée que l’on peut être acteur
des activités économiques, repose sur la notion d’ « empowerment »116 de l’individu et contraste avec
les grandes entreprises qui, par leur structure et leur récit, semblent inatteignables.
113 Traduction : soyez insatiables, soyez fou 114 Azzédule Tounès et Alain Fayolle, « l’odysée d’un concept et les multiples figures de l’entrepreneur », la revue des sciences de gestion, direction et gestion, n°220-221, p.25 115 Ibid., 116 Traduction : émancipation
60
Dans les années 60, la petite entreprise « s’est imposée comme une institution qui a acquis une
légitimité considérable »117 et est devenue le nouveau relais de croissance et créateurs d’emplois. Et
nous sommes petit à petit passé d’une « économie du management » à celle d’une « économie
d’entrepreneurs ». On revient ainsi à une vision plus schumpétérienne de l’entrepreneur où il « est
non seulement le capitaliste, il est aussi l’ingénieur, l’exploitant et le directeur technique. Il est, pour
reprendre sa formule, « la tête de son bureau »118.
Mais si Schumpeter voyait l’innovation « top down » et surtout l’innovation concentrée dans les mains
d’un seul individu bien spécifique, avec l’avènement d’Internet et la logique du 2.0 « le Web devient
un nouvel espace de démocratisation de l’innovation » 119. Si on distingue d’un côté les « techno users »
120 c’est à dire ceux qui « baignent » dans la technologie comme les développeurs, spécialiste de
l’open source, on distingue de l’autre côté des usagers (au sens large) qui vont non seulement
s’approprier ces technologies pour ré-inventer leurs usages mais « d'acteurs qui sont susceptibles
de faire de véritables ré-innovations numériques » 121 à des coûts relativement faibles. L’idée que
l’on retient, est que l’innovation s’est démocratisée, l’innovateur n’a plus besoin d’être doté de dons
extraordinaires. La prolifération des start-ups depuis plus d’une décennie, s’inscrit parfois même
comme la seule alternative possible pour de nombreux jeunes. Plus qu’uniquement un métier, il
porte à lui l’espoir d’un avenir, le pouvoir de changement et que l’on peut être acteur de ce
changement.
2.2 Les start-ups : le nouveau mythe contemporain
Les origines du terme « mythe » viennent du grec « mythos » et signifie tout type de parole ou de
discours oral. Le « mythos », au Ve siècle est caractérisé pas sa distance à la vérité et son éloignement
au présent et s’oppose aux discours philosophiques et médicales apparu à cette époque. Le mythe
diverge aussi du conte et de la légende même s’ils sont similaires du point de vue structurales. Un
mythe, c’est d’abord un récit122 , il est « tendu vers sa fin », que Jean de la Fontaine appelait la
morale, et serait universel. Selon Lévi-Strauss, « d’un bout à l’autre de la terre, les mythes se
117 Julien, P.- A. « Les PME : Bilans et perspectives, Paris, Economica », 1994, p. 151- 152. 118 Azzédule Tounès et Alain Fayolle, Ibid., p. 19 119 Badillo Patrick-Yves, « Les théories de l'innovation revisitées : une lecture communicationnelle et interdisciplinaire de l'innovation ? Du modèle « Émetteur » au modèle communicationnel », Les Enjeux de l'information et de la communication 1/2013 (n° 14/1) p. 23 120 Eric von Hippel cité dans Badillo Patrick-Yves, Ibid., p.24 121 Ibid., p.32 122 Op.cit. 101, p.67
61
ressemblent »123 mais se construisent par rapport à un contexte socioculturel de la société qui les a
produits124. Roland Barthes estimait que « la particularité du mythe c’est qu’il s’applique à un
moment donné de l’histoire à un groupe spécifique »125.
D’une façon plus générale, le mythe a une origine floue et imprécise et qui par tradition est transmis
à l’oral. De plus, le mythe a une fonction étiologique qui consiste à expliquer le monde et son
fonctionnement de façon fantastique et merveilleuse, explications qui se distinguent du point de
vue historique.
Le premier rôle du mythe est d’être un incroyable « intégrateur social » 126 selon G. Lewi, il permet
d’élucider le présent, et remplit « une fonction socio-religieuse. Intégrateur social, il fournit au
groupe une explication de l’état présent et lui propose des normes de vies. Le mythe propose en
effet à ceux qui y adhèrent des modèles de conduite morale et sociale ». Les start-ups représentent
aujourd’hui tout un idéal et sont gorgées d’une utopie sociétale et économique. Nous allons voir
dans quelle mesure les start-ups sont mystifiées, leurs imaginaires et quelles sont les valeurs qu’elles
véhiculent.
Pour se faire, deux démarches. La première consiste à recueillir des verbatims autour d’une étude
projective sur les start-ups. L’autre démarche est d’avoir extrait le discours journalistique autour
des start-ups.
L’étude127 n’a pas de vocation scientifique mais de faire ressortir le champ sémantique des start-
ups. En tout 4 questions, mais uniquement trois autour des start-ups, les voici :
1. Qu’évoque pour vous le mot start-up ? Une question ouverte où j’ai ensuite classée les
réponses par thèmes
o 42% de répondants ont répondu « jeunes »
o 33% de répondants ont répondu « nouveauté »
o 25% de répondants ont répondu « numérique/ technologique »
o 25% de répondants ont répondu « innovations »
o 20% de répondants ont répondu « dynamiques »
123 Citation de Lévi-Strauss dans Georges Lewi, « Les marques, mythologies du quotidien », 2003, Pearson Education France, p.169 124 Ibid., p.89 125 Roland Barthes, « Les mythologies », p. 218 126 Ibid., p. 174 127 Etude disponible dans l’annexe 1, p.67 à p.73
62
2. Si la personne était une personne, comment la décririez-vous ? L’adjectif présent dans
toutes les réponses étaient encore une fois « jeune », puis on retrouve trois grands pôles
d’adjectif :
o Thème 1 : dynamique et pleine d’énergie – va de l’avent
o Thème 2 : originale et créative
o Thème 3 : courageuse et déterminée
Ensuite on retrouve trois autres thèmes secondaires :
o Thème 4 : connectée – geek
o Thème 5 : hipster – cool
o Thème 6 : instable
3. Trois adjectifs pour qualifier cette personne :
o Thème 1 : ambitieuse, travailleuse, déterminée
o Thème 2 : Inventive, créative, ingénieuse
o Thème 3 : Dynamique, agile
Plus deux autres thèmes secondaires : Innovante et visionnaire
En reprenant le schéma triangulaire sur le champ sémantique de l’innovation d’Anthony Mathé, on
l’applique pour le champ sémantique de la start-up en se basant sur les résultats de notre étude :
63
On retrouve le thème commun de « l’inventivité », du « futur » et « devenir » entre le champ
sémantique de l’innovation et celui de la start-up. A la différence de l’innovation qui porte l’idée
d’un « changement » et de « la nouveauté », celui de la start-up va plus loin puisqu’elle évoque même
l’arrivée d’un nouveau paradigme. De l’utopie du changement s’accompagne l’utopie d’un nouveau
paradigme, d’une nouvelle société.
Il est très intéressant de voir aussi comment la presse s’empare de ce sujet mais aussi le
gouvernement. On retrouve certains thèmes qu’on a vus dans l’analyse de notre corpus et dans
notre petite étude projective, mais de façon amplifié :
Le thème lié à la « jeunesse » : « jeunes pousses », « cure de jouvence digitale », il est très prononcé
dans le discours journalistique.
Le thème lié à la « rupture » : « révolutionner », « bousculer », « transformer », « disrupter le
marché ». On notera d’ailleurs l’emploi de « disrupter » très utilisé, est un néologisme et
américanisme qui vient du verbe « disrupt » 128 et notamment de « l’innovation disruptive » inventée
par Clayton Christensen et traduite en français par l’innovation de rupture. On note aussi que les
start-ups sont appelées les « perturbateurs » dans le cas ou elles viennent chambouler un secteur
d’activité comme Uber.
Le thème lié à la rareté saupoudré d’un peu de magie, d’un monde fantastique : « pépite »,
« l’étoile montante », « licorne ». La licorne est une métaphore venue droit du monde fantastique,
inventée par le spécialiste américain du capital-risque : Aileen Leen, symbolise la rareté de l’animal
et l’envol puissant de son ascension. Selon Wikipédia, « l’Unicorn est une startup principalement de la
Silicon Valley, valorisée à plus d’un milliard de dollars129 ».
Le thème lié à la naissance et à la mort : « La R&D est morte, vive l’open
innovation », « inventer ce qu’il n’existe pas », discours aussi très utilisé dans l’entretien avec la
créatrice de Orange Fab : Pascale Diaine : « on les tue, on brûle leur cash, on brule leur temps »,
« ça ne marche pas on tue, on ne va pas rester sur un truc qui ne marche pas, qui est un peu le
problème des grandes sociétés de tuer des projets car on n’est pas pris par le cash on n’est pas
obligé de tuer. Mais nous en étant vraiment proche de la Sllicon Valley c’est plus facile pour nous
de tuer les projets »
128 Traduction : perturber 129 Définition tirée de Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Licorne_(%C3%A9conomie)
64
Et en parallèle passé/ futur : tout au long de notre analyse on ressent une forte pression autour
du temps, « look forward » (nom de l’incubateur de Showroom privé) en est un exemple et plus
spécifiquement du passé et du futur.
Nous avons réactualisé le champ sémantique de la start-up dans le schéma ci-dessous en
incorporant les nouveaux éléments :
Pour conclure l’analyse, les start-ups sont chargées d’un champ sémantique riche avec des valeurs,
une vision du monde. Leur récit repose et s’inspire sur quatre piliers :
Le rêve américain : avec l’utilisation de nombreux termes américains qui sont venus s’immiscer
dans la langue française, en commençant par le terme « start-up », « Fab », « disrupter », « incubator »,
« Look forward », « Unicorn », « big data »….ainsi que des lieux dits : « Silicon Valley », « San
Francisco », « Start up Nation ». Les différents entretiens avec Orange regorgent d’expressions
américaines, et très régulièrement nous avons utilisé des termes anglo-saxons tout le long du
mémoire, parce que les traduire revenait de les amputer de leur sens, de leur imaginaire. En 1986,
Jean Baudrillard écrivait dans son ouvrage « l’Amérique » : « L’Amérique n’est ni un rêve, ni une
réalité, c’est une hyper réalité parce que c’est une utopie qui dès le début s’est vécue comme réalisée.
65
Tout ici est réel, pragmatique, et tout vous laisse rêveur » 130. Les Etats-Unis est le pays ou tout est
possible mais surtout ou tout se réalise. Si les start-ups sont aussi présentes, c’est qu’elles portent
une vision que c’est réalisable, c’est à portée de main pour le commun des mortels. Un parallèle se
porte à faire avec la ruée vers l’or, d’ailleurs on a noté le champ sémantique de la rareté comme les
« pépites ». Le pays ou tout est possible, ou les rêves peuvent se réaliser. Mais les Etats-Unis, c’est
aussi le pays des « grandeurs », de la démesure, des grands espaces, des tours de Manhattan
vertigineuses mais aussi le pays des « grandes conquêtes » comme la conquête de l’espace. C’est le
pays, ou il est possible de de devenir une « Unicorn ». Le pays qui génère l’idée qu’aux Etats-Unis
on ne restera pas petit (sinon on meurt), on ne peut que devenir grand.
Georges Lewis précise ainsi en parlant des Etats-Unis que « la culture c’est l’espace, c’est la vitesse,
c’est le cinéma, c’est la technologie » 131. On retrouve ces notions dans l’imaginaire de la start-up :
l’espace (dans l’idée de la démesure et de l’envol), la vitesse (sa croissance rapide), la technologie
mais aussi le côté féérique du cinéma, de ses icones, des héros où la « success story » est souvent mise
en scène.
Nicolas Dufourcq, directeur général de la BPI France (fonds d’investissement publics dédiés aux
start-ups) d’après un article du Lefigaro.fr intitulé « La France, une terre fertile pour les start-ups »
a déclaré : « La France est une Californie qui s'ignore. Elle possède tous les atouts pour briller » 132.
Utopie d’un nouveau paradigme basé sur la technologie : tout comme le champ sémantique
de l’innovation, la start-up porte en elle l’utopie du changement, d’un avenir meilleur mais à la
différence de l’innovation elle est portée par un projet social et économique qui prend source par
le changement de paradigme que la technologie va apport avec une vision du monde et des valeurs.
Dernièrement, il n’est pas rare de voir l’expression « nouveau monde » rattaché à l’univers des start-
ups.
Le récit salvateur :
La start-up vient aider les grandes entreprises de sortir de leur immobilisme, de leur lenteur, du
passé. D’ailleurs, la 4ème question posée dans mon étude projective porte sur l’image de Orange :
« Si le groupe Orange était un animal, lequel serait-il ? » Plus de 50% des répondants ont répondu
l’éléphant, ou dans la même famille comme un mammouth. Cet animal n’est pas réputé pour son
dynamisme et son agilité mais par contre pour sa mémoire. La mémoire qui est le gardien du passé.
130 Op. cit. 101, p.177 131 Ibid., 132 Marie-Cécile Renault, « La France, une terre fertile pour les start-ups » article publié dans Lefigaro.fr le 5 Mais 2016
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La start-up vient aussi aider l’Etat, non seulement en lui influant son « mode d’esprit » comme on
peut voir dernièrement dans les articles de presse « Même l’Etat se met à copier les start-ups » mais
en misant son renouveau économique en voulant devenir une « Start-up Nation » : « La France
talonne la Start-up Nation qu’est Israël », « La France, une startup nation en devenir » 133, « Pour
que la France devienne une vraie « start-up nation» 134 . Mais ce n’est pas uniquement un fantasme
des médias, puisque le gouvernement en créant un label de la « métropole de la French Tech » en
2013 a clairement montré sa volonté de mettre le cap vers le développement des start-ups. Et Anne
Hidalgo a de nombreuses ambitions pour inscrire la capitale dans la course à l’innovation en
s’appuyant sur les startups, en parlant du projet gargantuesque de Xavier Niel de la Halle Freyssinet,
elle déclare : « La Halle Freyssinet est à l'image de mon ambition pour à Paris au cours des six
prochaines années : celle d'une ville capable d'innover en permanence en s'appuyant sur toutes les
intelligences et toutes les énergies dont elle dispose »135. Dans les pays économiques en difficulté,
les start-ups sont brandis comme la solution pour redémarrer la croissance. Dans le récit salvateur
s’accompagne de l’ancrage dans le futur : les start-ups représentent la jeunesse, la nouveauté, un
état d’esprit, l’audace, l’inventivité et surtout elles elles sont une alternative au présent.
Les start-ups sont-elles des mythes contemporains ?
Les start-ups, tout comme le mythe, construit un monde binaire, qui met en évidence des
« oppositions structurales»136 : le passé et le futur, les vieux et les jeunes, l’économie traditionnelle
et l’économie numérique, la mort et la vie, les grandes entreprises et les start-ups. Elles apportent
leur vision du monde137, un nouveau paradigme ou l’individu reprend du pouvoir face au pouvoir
politique, ou l’entrepreneur s’élève face aux grandes entreprises, ou les interactions sociales sont
repensées. Un paradigme qui dématérialise ce qui a été matérialisé par les anciens, et en même
temps ou l’on redécouvre l’usage de ses mains, un monde plus personnifié, plus transparent et plus
collectif. Et comme tout mythe, il est tenu pour vrai138, il y a des preuves provenant des héros. Les
licornes, détruisent à leurs passages des bans entiers de l’ancien régime, leurs ailes leur permettent
de voler très haut. Les anciens : les éléphants, essaient de s’en inspirer, d’attraper un peu de cet
envol, ils s’arment de programmes espérant attraper quelques plumes mais leurs lourdes pates sont
trop enracinées, ils suivent difficilement. Même l’État veut s’approprier cet « esprit start-up » ; la
133 Vincent Raimbault, « La France, une startup nation en devenir », article publié dans Maddyness le 13 avril 2016 134 François Benhamou « Pour que la France devienne une vraie « start-up nation » article publié dans Les Échos.fr le 6 avril 2016 135 Les Echos, « Anne Hidalgo visite le futur incubateur de start-up géant de la capitale », publié le 10 avril 2014 136 Citation de Lévi-Strauss dans l’ouvrage de Georges Lewi, « Les marques, mythologies du quotidien », 2003, Pearson Education France, p.225 122 Op. cit. 101, p.177 138 Ibid., p.182
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France veut en faire un doux berceau ou l’on pourrait produire et rationnaliser leur naissance et
leur croissance mais elle a oublié que l’ancien système va mourir, celui de l’industrialisation. C’est
elles, qui désormais vont dessiner le futur, leur futur puisqu’elles sont détentrices des clefs de
l’innovation. Mais qui sont-elles : on ne sait pas, c’est tout le monde et personne139, on sait juste
qu’elles sont nées dans une vallée sur la côte ouest des Etats-Unis entre la mer et le désert. Là ou
tout est possible, ou les tours touchent le ciel, ou la technologie est maître et l’individu roi, ou le
rêve peut être réalité. Nous sommes sauvés, l’espoir d’un renouveau est là, suivons-les.
Les start-ups sont bien devenues un mythe contemporain. C’est une forme chargée d’un signe : les
start-ups sont la source d’une innovation audacieuse et disruptive notamment dans le domaine
technologique, résultat, selon le schéma de Roland Barthes, de la combinaison entre le signifiant :
la start-up et le signifié : acteur jeune, ambitieux, inventif. Mais pour qu’ils deviennent mythe, le
signifiant, « terme final du système linguistique » devient « terme initial du système mythique140» .
Dans notre cas, le signe (les start-ups sont à la source d’une innovation audacieuse et disruptive) devient
signifiant ou forme, accompagné du signifié ou concept : le futur. Le mythe est que la start-up est
la clef de voute pour s’inscrire dans l’avenir.
Mais la start-up, c’est ce qu’était hier les grandes entreprises pour la génération des « baby
boomers », clef d’entrée pour la réussite sociale et accéder pleinement à la société de
consommation. « Chaque génération crée sa propre réalité subjective, sa psychologie, ses émotions,
ses valeurs et son art141» et le mythe se nourrit de ce contexte sociologique pour répondre aux
aspérités de cette génération.
2.3 Conclusion deuxième partie
Orange, grand créateur d’innovation dans le secteur des télécoms depuis 1794 avait sa place assurée
dans le passé mais celle du futur était moins certaine. S’appuyer sur les nouveaux acteurs, vu
aujourd’hui comme les détenteurs légitimes de l’innovation, semblait alors la meilleure voix pour
réactualiser son récit. A travers Orange Fab mais aussi Fab Force, Orange a créé son écosystème
dans le monde « tech » et de cette façon a pris autorité en tant que créateur de synergie entre les
start-ups et les grandes entreprises. Il devient l’accompagnateur de ces « jeunes pousses » ou il a le
droit de vie sur elles, il les couve et nourrit de son expertise, les habille et les fait briller par son
139 Le récit du mythe selon Claude de Grève est qu’il est « anonyme et collectif. Même si un mythe a été raconté pour la première fois par un individu particulier, il devient mythe précisément parce que la collectivité le prend en charge, le dépouillant de ses aspects individuels ». 140 Roland Barthes, « Mythologies », 1957, éditions du Seuil, p.221 141 Pensée de F. Mentré cité dans l’article de Dejoux Cécile, Wechtler Heidi, « Diversité générationnelle : implications, principes et outils de management », Management & Avenir 3/2011 (n° 43), p. 227
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image et une fois prête il les présente à ses clients. Pas forcément de contrats à la clef mais Orange
a gagné sa place d’activateur de l’innovation. Plus que réactualiser sa rhétorique sur l’innovation,
en réponse à la deuxième hypothèse, il réaffirme sa place de leader et de créateur d’innovation. Il
continue sa démarche en endossant la cape de marque salvatrice qui va emmener le pays vers le
« nouveau monde », celui du numérique. Orange, anciennement entreprise publique, retrouve sa
mission sociétale. C’est le mythe de la start-up qui permet de régénérer l’image et d’inscrire Orange
dans le futur. Plus que des adjuvants, les start-ups sont nos super héros du XXIème siècle, les grandes
entreprises et l’Etat adoptent « l’esprit start-up ». On répond ainsi à notre troisième hypothèse : les
entreprises non seulement viennent rajeunir leur dorure auprès des start-ups pour s’ancrer dans le
futur mais espèrent pouvoir suivre le rythme illusoire de ce nouveau monde, celui ou « ce ne sont
plus les gros qui mangent les Petits, mais les plus Rapides qui mangent les plus lents 142»
142 Citation de Rubert Murdoch, homme d’affaire australo-américain, détient notamment l’un des plus grands groupes médiatiques au monde : News Corporation. Cette citation est devenue emblématique et a été cité dernièrement par Donald Trump.
69
CONCLUSION
Orange, contrairement à d’autres grands groupes, a mis en place toute une panoplie d’infrastructure
pour coopérer avec les start-ups qui ne relèvent pas uniquement de la communication, mais est
pourvues d’une vraie volonté d’innover. Toutefois, si on a vu qu’Orange Fab reprend les principaux
critères d’un incubateur, ce dernier n’est pas non plus dépourvu d’une motivation de nourrir l’image
de marque en s’appuyant sur l’aura et le mythe des start-ups. Les principales motivations mises en
évidence dans le mémoire, relèvent d’un besoin d’élever la marque en tant que leader dans les
innovations numériques et de s’inscrire dans le futur en s’appuyant sur des acteurs contemporains.
Mais ces motivations, répondent à des objectifs stratégiques d’entreprises précis : diversifier
l’entreprise sur des problématiques plus porteuses et ne plus intervenir uniquement en tant
qu’opérateur. Devenir une marque globale dans les innovations numériques. Pour réaliser cette
ambition, les premiers acteurs à séduire, sont les investisseurs, puis les clients B to B. Orange, a ainsi
mis en place une communication corporate pour atteindre ses objectifs tout en définissant une
stratégie d’innovation ouverte.
En somme, nous avons identifié deux types d’initiatives entre le groupe Orange et les start-ups :
une approche structurée inscrite dans leur propre stratégie d’entreprise, et l’innovation ouverte via
Orange Fab. L’autre niveau est communicationnel, en s’appropriant les codes de l’univers
numériques et des start-ups, ainsi qu’en organisant des évènements comme des « hackathons », le
groupe s’élève au rang des « bâtisseurs de l’avenir ». La marque endosse l’habit du sauveur et
s’appui sur le mythe contemporain des start-ups, qui permet ainsi à Orange de lui-même devenir
héros. Orange va non seulement se lancer pleinement dans cette fantasmée « révolution
numérique » mais il va en être l’investigateur principal et légitime.
Les frontières entre ces deux types d’initiatives sont floues et s’imbriquent l’une dans l’autre et
c’est éventuellement ce que l’on peut reprocher à Orange : ne pas toujours être très clair dans sa
démarche. Le point le plus probant est le site internet Orange Fab ou il manque l’onglet « Postulez »
et qui démontre qu’il a une fonction très institutionnelle. Et ce « flou » peut amener à décrédibiliser
l’incubateur et par conséquent desservir les start-ups incubées.
Mais ce que l’on a analysé pour Orange ne s’applique pas à toutes les entreprises Corporate. Il existe
une très grande hétérogénéité dans les niveaux de motivations et d’engagement de ces dernières, et
il aurait été intéressant de les analyser et de les étudier plus en profondeur. Une grande majorité
70
des grandes entreprises (93%)143 se consacrent essentiellement aux prix évènements c’est à dire
qu’ils vont essentiellement satisfaire la partie communicationnelle de la marque. Ou encore des
projets rattachés aux fondations et mécénats où ces derniers financent des projets de start-ups
souvent en lien à une problématique sociale et environnementale telle que le programme de
Danone communities144 . Le revers de la médaille est que les marques, en utilisant essentiellement
ce levier communicationnel, desservent les entreprises, qui elles ont d’autres ambitions et risquent
de décrédibiliser l’innovation ouverte. Une conférence, qui aura lieu au Numa le lundi 21
Novembre, intitulée : « Startups – corporate partnerships : myth or reality145 ? » en est un des indices de
cet essoufflement et de la perte de crédibilité des ce genre d’initiative.
Les principales difficultés rencontrées dans la réalisation de ce mémoire ont été de définir ce qu’est
un incubateur et de comprendre si celui-ci alimente réellement l’innovation au sein du groupe.
L’innovation ouverte reste difficilement quantifiable et les données existantes sont à caractère
confidentielles. Par conséquent, l’hypothèse une à un caractère inachevé et mériterais d’être
approfondie.
RECOMMANDATIONS PROFESSIONNELLES :
Ce que l’on retient de cette analyse, c’est que les entreprises doivent créer un programme
d’incubation/ accélération, non seulement pour nourrir un désir de notoriété, mais pour répondre
à une vision stratégique du groupe. Pour mener à bien un programme d’incubation d’entreprise,
on retient trois grands points d’enseignements :
Le premier, est que l’entreprise doit avoir une approche stratégique à long terme, une vision de la
direction que l’entreprise souhaite prendre, afin que l’incubateur vienne nourrir ces objectifs
préalablement définis. En quelques mots, il faut que la stratégie d’innovation ouverte, découle de
la stratégie d’entreprise et l’incubateur va être un outil pour atteindre les objectifs. De cette façon,
l’entreprise va vouloir créer un programme d’incubateur fiable et pérenne pour y accéder avec la
définition d’objectifs précis et la mise en place d’outils de suivi. L’incubateur doit apporter une
vraie valeur ajoutée au groupe à long terme et non pas qu’à court terme.
Le deuxième point est, comme nous l’avons vu précédemment, que le programme d’incubateur
doit répondre au double objectif : nourrir l’entreprise d’innovation mais aussi de répondre aux
besoins de développement des start-ups. Pour réaliser cette double ambition, trois grands volets à
143 Florence Berthier, « Start-up et grandes entreprises : qui va influencer qui », article publié dans Influencia le 2 Mars 2016 144 Site internet de Danone communities : http://www.danonecommunities.com/ . Cette entité à pour mission de « Notre mission est de financer et développer des entreprises locales, avec un modèle économique pérenne, tournées vers des objectifs sociaux : favoriser l'accès à l'eau et faire reculer la malnutrition » 145 Traduction : Start-ups et partenariats corporatifs : mythe ou réalité ?
71
mettre en place. Le premier et le plus essentiel, est de fournir aux start-ups une première étape vers
la solidité financière, que ce soit par des partenariats commerciaux ou un accès à un capital,
l’objectif étant que la start-up ne devienne pas uniquement un simple fournisseur de l’entreprise.
Ce point semble le plus difficile à atteindre. Pascale Diaine de chez Orange Fab US, énonce
clairement dans l’entretien individuel que leur objectif n’est pas d’en faire des fournisseurs. Mais
dans la réalité et d’après notre sondage, les start-ups ont uniquement conclu des partenariats
commerciaux avec Orange. Une dissonance qui semble provenir de visions différentes entre
Orange Fab US, qui recherche plus la prochaine « unicorn » et Orange Fab France qui vient plus
répondre aux besoins d’innovation du groupe. Quoiqu’il en soit, l’objectif doit être d’accompagner
ces start-ups vers l’autonomie financière (accompagnement à une levée de fonds, introduction à
des investisseurs, mise en relation avec d’autres partenaires commerciaux…) sinon cela s’apparente
plus à un programme de sélection pour identifier des fournisseurs à haut potentiels.
Puis, l’entreprise doit fournir une dimension « humaine et éducationnelle » pour les accompagner
au mieux par des formations individuelles et en groupe. Par exemple, cela peut-être un
accompagnement sur leur développement produit, sur leur « business model »146, ou des études auprès
d’un panel, comme Orange l’a fait auprès des start-ups incubées. Ces compétences fournies,
dépendront aussi du domaine d’expertise de l’entreprise souvent en lien avec celui de la start-up.
L’incubateur « Look Forward » de Showroom privé, va apporter sa vision et son expérience du
secteur du prêt à porter et du e-commerce.
Enfin, le dernier volet est celui de la légitimité et de la crédibilité que les start-ups viennent chercher
auprès des grandes entreprises. Celui-ci, peut se concrétiser par de la visibilité communicationnelle
que l’entreprise peut offrir à la start-up. Par exemple, une des premières start-ups interrogées lors
de nos enquêtes, CBien.com, a pu profiter de levier de communication fournie par l’entreprise à
travers une campagne de publicité relayée sur l’application et le site d’Orange.
Le dernier point, consiste à constituer une équipe capable de faire le lien entre les deux acteurs avec
un fort niveau d’indépendance et de confiance en interne. L’équipe, va devoir répondre au double
objectif de l’incubateur que nous avons rappelé précédemment. Leur première tâche, va être de
construire une relation de confiance entre les deux acteurs, indispensable au bon fonctionnement
du programme. Le responsable de l’incubateur va devoir être doté de qualités de « leader », et d’une
certaine légitimité et même d’aura auprès des « business units » de l’entreprise afin que l’innovation
ouverte soit acceptée, sans remettre en cause la compétence de chacun dans la structure. Il doit
être aussi doté d’une bonne connaissance de l’entreprise et de ses rouages afin de savoir à qui
s’adresser pour établir un partenariat avec la start-up, mais aussi d’être doté de compétences
146 Traduction : plan économique
72
entrepreneuriales, au sens de Schumpeter. L’équipe va aussi avoir la tâche complexe de faire
coopérer deux acteurs qui n’ont pas les mêmes procédures et surtout la même notion au temps. La
start-up, toujours en mode survie, à besoin que les procédures aillent vite alors que l’entreprise doit
répondre à tout un tas de « process ».
Pour conclure, les start-ups peuvent être un immense levier communicationnel pour l’entreprise,
elles permettent à la marque de pouvoir s’inscrire dans l’avenir en s’appuyant sur le mythe de la
start-up cependant, dans la mise en œuvre, la réalité est plus complexe. La mise en relation entre
les deux acteurs n’est pas simple et la moyenne de survie d’une start-up est très basse puisqu’en
moyenne les start-ups comptabilisent environ 90% de taux d’échec, il faut ainsi accepter pour
l’entreprise que nombreux partenariats soient voués à échouer et pour cela, il faut déjà commencer
par faire accepter la culture de l’échec dans l’entreprise. Le plus grand défi commence donc à faire
évoluer l’état d’esprit, le « mindset » au sein de l’entreprise pour favoriser une approche adaptée de
gestion du risque et de l’innovation. L’entreprise doit mettre en œuvre tout un tas de mesures pour
casser les procédures trop longues, favoriser les expérimentations et la liaison entre les start-ups et
les départements internes et créer une relation de confiance et pérenne entres les différents acteurs.
En somme, l’entreprise corporate doit s’inspirer des méthodes d’action et de penser de la start-up
avec un corps et une pensée d’éléphant.
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MEDIA
BENHAMOU François, « Pour que la France devienne une vraie « start-up nation » article publié dans Les Échos.fr le 6 avril 2016 BERTHIER Florence, « Start-up et grandes entreprises : qui va influencer qui », article publié dans Influencia le 2 Mars 2016 CASSINI Sandrine, « Les usines à start-ups, cure de jouvence des grands groupes », 19 Juillet 2015, Les Échos.fr DELSOL Emmanuelle, « Innovation : la nouvelle peau d’Orange », article publié dans l’usine nouvelle le 21 Février 2013 RAIMBAULT, « La France, une startup nation en devenir », article publié dans Maddyness le 13 avril 2016 RENAULT Marie-Cécile, « La France, une terre fertile pour les start-ups » article publié dans Lefigaro.fr le 5 Mais 2016
DOSSIER DE COMMUNIQUÉS DE PRESSE ORANGE :
« Un consortium de Midi-Pyrénées lance le projet 3Pegase, au service des personnes âgées en perte d’autonomie », 14 décembre 2015 « Inauguration d’Orange Gardens : un écocampus entièrement dédié à la recherche et l’innovation » , 8 juin 2016 « Orange lance son plus grand Challenge Développeurs en France, en Afrique et au Moyen-Orient et annonce le lancement de l’API SMS au Cameroun, au Congo, en Guinée, au Niger et au Sénégal », 2 juillet 2015 « Orange Fab, l’accélérateur de start-ups d’Orange, annonce les lauréats de sa deuxième promotion à San Francisco », 16 Janvier 2014 « Essentiels2020, le nouveau plan stratégique d’Orange », 17 Mars 2015 « Orange annonce le lancement en Côte d’Ivoire et en Israël de son programme d’accélération de start-ups », 4 Mars 2014 « Go Ignite annonce les lauréats de son premier appel à candidatures lancé auprès des start-up du monde entier », 1er Juillet 2016 « Orange lance de nouveaux services mobiles pour faciliter la gestion financière sur smartphone », 2 Octobre 2014 « Orange lance une offre de distribution et de soutien à la production d’objets connectés pour la communauté des startups de l’internet des objets », 25 Février 2014 « Digital store : Orange Business Services intègre la solution de mesure d’audience de Jacare Technologies à son offre d’affichage interactif », 16 Juin 2016 « Orange lance « Orange Fab Espagne », programme international d’accélération de startups », 13 Juillet 2015 « Orange Fab US étend son réseau Fab Force à Axa, Airbus, Total S.A et présente les startups sélectionnées pour la nouvelle saison de son programme d’accélération », 24 Février 2015 « Singtel, Orange, Deutsche Telekom et Telefónica créent des passerelles entre les écosystèmes de start-ups à travers l’Asie du Sud-Est, l’Afrique, l’Europe, l’Amérique Latine et le Moyen-Orient », 9 Septembre 2015 « Orange investit dans Afrimarket, start-up leader du transfert d’argent en cash-to goods », 28 Janvier 2015 « Orange Digital Ventures investit dans Afrostream », 6 Octobre 2015 « Orange participe, en tant que membre fondateur, au « Startup Europe Partnership » et au « European Digital Forum pour stimuler l'innovation et la croissance économique en Europe », 23 Janvier 2014
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« Orange enrichit son programme pour les développeurs », 29 Janvier 2016 « Entrepreneur Club, pour les start-ups d’Afrique et du Moyen-Orient », 10 Février 2016 « L’accélérateur de start-ups Orange Fab France annonce les 7 start-ups de la saison 1 », 1er Avril 2014 « Orange Fab US débute sa sixième saison avec cinq nouvelles recrues », 20 Avril 2016 « Orange, partenaire de Futur en Seine, le festival du numérique, pour la 6ème année consécutive », 5 Juin 2015 « Orange, partenaire de Futur en Seine, le festival international des innovations numériques, pour la 5ème année consécutive », 10 Juin 2014 « Orange annonce les 7 lauréats du hackathon « le numérique pour l’autonomie », 1er Juillet 2016 « Orange, partenaire principal de Hello Tomorrow Challenge, accompagne les jeunes entrepreneurs européens », 15 Janvier 2014 « Orange, partenaire principal de la compétition de startups du Hello Tomorrow, participe au lancement de la 2ème édition du concours international de startups, qui récompensera les projets technologiques ayant un réel impact sur la société de demain », 14 Octobre 2014 « Orange accélère la croissance des start-ups et des développeurs avec KT Corporation et le Gyeong-gi Creative Economy Innovation Center (G-CEIC) », 24 Juin 2015 « Orange lance le Prix Orange de l’Entrepreneur Social en Afrique 2015 », 21 Mai 2015 « Orange lance la 6ème édition du Prix Orange de l’Entrepreneur Social en Afrique et au Moyen-Orient », 18 Mai 2016 « Orange partenaire de Viva Technology Paris », 30 Juin 2016 « Orange complète sa stratégie d’innovation numérique en créant Orange Digital Ventures, pôle d’investissement dans les start-ups », 22 Janvier 2015 DOSSIER DE COMMUNIQUÉS DE PRESSE EXTERNE créé par Comue-Sorbonne Universités « Apprendre à entreprendre », Le Monde, 9 Décembre 2014 « Orange : des passerelles mondiales pour les start-ups », Votre argent, 9 Septembre 2015 « Deux start-ups d’Ivry et de Bry boostés par Orange », Le Parisien.fr, 20 Avril 2015 « Orange fait son « show » et présente ses dernières innovations », Midi Libre, 4 Octobre 2014 « Les entreprises s’essaient à l’esprit « start-up », Le Monde, 7 Octobre 2014 « Hollande fera la promo des talents de la French Tech à San Francisco », La Tribune, 13 Février 2014 « Les accélérateurs tournent la tête des grands groupes », L’Usine Nouvelle, 8 Janvier 2015 « Innovation pour tous », Sud Ouest, 17 Septembre 2014 « Le patron d’Orange exprime ses regrets à Netanyahu pour clore la controverse », Boursorama, 12 Juin 2015 « Orange étoffe sa pépinière de start-ups dans la Silicon Valley », AFP Infos Economiques, 24 Septembre 2014 « Au service des diasporas africains », La Tribune Hebdomadaire », 5 Décembre 2014 « Objets connectés nomades : Orange on y va », Ouest-France, 21 novembre 2014 « Yummypets. Un collier connecté pour les animaux de compagnie », Le Journal des entreprises, 1er novembre 2014 « Les grandes entreprises à l’assaut des start-up », La Tribune Hebdomadaire, 27 Juin 2014 « Groupes : la vogue des incubateurs, La Lettre de l’Expansion », 20 Février 2014 « Les grandes entreprises se « dopent » aux starts-ups », La Tribune, 2 Juillet 2014 « Orange cherche des relais de croissance en Afrique », Les Echos, 15 Septembre 2015 « Orange tourne la page « Conquêtes 2015 » et dévoile le plan « Essentiels 2020 », La Tribune 16 Mars 2015 « Orange en Israël : les dessous d’un tollé économico-diplomatique », La Tribune.fr, 5 Juin 2015 « Orange étend sa pépinière de la Silicon Valley », Les Echos, 25 Septembre 2014 « Orange : déploiement du programme « Orange Fab Espagne », Cercle Finance, 13 Juillet 2015 « Orange et Israel : n’y voyez là qu’une « stratégie de marque », Rue89, 6 Juin 2015 « Start-up. L’accélérateur d’Orange attend les candidats bas-normands ! », Ouest-France, 18 Février 2015 « Orange attaqué pour piratage et vol de code pour une start-up américaine », La Tribune, 19 Décembre 2014
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« Orange : de nouvelles références pour le programme Orange Fab », Votre argent, 24 Février 2015 « Orange mise sur les start-ups tricolores pour continuer à innover », Les Echos, 2 Avril 2014 « Innovation et partage, la révolution des « fab lab », L’Express, 24 Février 2014 « Orange : bon plan pour booster sa start-up », Ouest-France, 17 Février 2015 « Orange étoffe sa pépinière de start-ups dans la Silicon Valley », AFP Infos Economiques, 24 Septembre 2014
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ANNEXES
Annexe 1 : analyse sondage et études
- Résultats d’études quantitatives : p. 2 à p.11
- Écosystème de l’innovation chez Orange : p.12
- Tableau comparatif programmes d’accélérations : p.13
- Corpus comparatif site internet : p.14 à p.45
- Analyse Logo Orange et Orange Fab : p.47 à p.49
- Analyse dossier de marque : p.50 à p.55
- Verbatims entretiens : p. 56 à p.66
- Sondage start-up : p.67 à p.73
Annexe 2 : guide d’animation et retranscription des entretiens
- Entretien n.1 avec la start-up : CBien.com, p. 2 à 4
- Entretien n.2 avec Pascale Diaine de chez Orange Fab, p. 4 à 11
- Entretien n.3 avec la start-up Spinnakr, p.12
- Entretien n.4 avec la start-up Bitwage, p. 12 à 13
- Entretien n.5 avec Julie Leclercq de chez Orange Fab, p. 14 à 17
- Entretien n.6 avec Laurence Lemoine de chez Orange Institute, p. 18 à 20
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RÉSUMÉ
Le questionnement du départ a pour objectif de comprendre les dessous de la relation entre les
grandes entreprises et les start-ups. Identifier ce qui relève de la rhétorique de l’innovation du
groupe Orange, à travers le cas de leur accélérateur Orange Fab, de ce qui relève de la stratégie
d’innovation. Trois hypothèses ont été relevées et viennent à l’appui de ce questionnement. Après
une présentation en première partie, d’un modèle d’innovation linéaire et fermé, périmé. Les
entreprises, dans l’incapacité d’innover par elles-mêmes dans le contexte actuel, font appelles à
l’innovation ouverte et mettent en place des incubateurs d’entreprises pour la mettre en œuvre. A
travers une analyse comparative de différents modèles d’incubateurs, il en ressort que si Orange
Fab répond par la formes aux critères d’incubateurs, l’objectif est divergent et flou et peut
s’apparenter à une forme sélective de recrutement de nouveaux fournisseurs pour l’entreprise. S’il
est difficile de confirmer que l’incubateur alimente à proprement parlé d’innovation le groupe, il
alimente le discours de marque.
Dans la deuxième partie, il est ainsi mis en évidence que l’incubateur est un très bon moyen pour
renouveler la rhétorique de l’innovation en s’appuyant sur des héros contemporains. La marque
s’approprie ainsi les codes du numérique et de l’univers fantasmé et mythique des starts-ups pour
s’inscrire comme le fournisseur et le distributeur d’innovation. De cette façon, l’entreprise répond
à son ambition, devenir une marque globale dans les innovations numériques tout en endossant les
habits du « sauveur » et d’ancrer la société dans la transition économique des nouvelles
technologies. La place de l’entreprise dans l’avenir est assurée puisque c’est Orange qui la dessine
et la créé, la marque devient ainsi « le bâtisseur de l’avenir ».
MOTS-CLEFS Innovation - innovation ouverte – start-up – incubateur – Marque – Orange