Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique et l’intervention sociale dans la...

Post on 21-Nov-2023

0 views 0 download

transcript

COOPTER ET ÉCARTER. LES FEMMES DANS LA RECHERCHESOCIOLOGIQUE ET L'INTERVENTION SOCIALE DANS LAROUMANIE DE L'ENTRE-DEUX-GUERRESTheodora-Eliza Vacarescu

Société d'économie et de science sociales | « Les Études Sociales »

2011/1 n° 153-154 | pages 109 à 142 ISSN 0014-2204

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-les-etudes-sociales-2011-1-page-109.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Theodora-Eliza Vacarescu, « Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique etl'intervention sociale dans la Roumanie de l'entre-deux-guerres », Les Études Sociales 2011/1(n° 153-154), p. 109-142.DOI 10.3917/etsoc.153.0109--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Société d'économie et de science sociales.

© Société d'économie et de science sociales. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manièreque ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique et

l'intervention sociale dans la Roumanie de l'entre-deux-guerres

Theodora-Eliza VACARESCU*

Après de multiples discussions, on est tombés d'accord, pour jouer, de nous organiser en des formes « marchant sur quatre ancêtres » :

Vul.canescu, D. C. Georgescu, Xenia Costa- Foru et I.e soussigné. H enri H. Stahl 1

... et après qu'ils se soient mariés, tu ne saurais le croire ! Paula est devenue une espèce de secrétaire, ell.e tapait à la machine tous ses textes, ell.e faisait tout ça, la cuisine de ses ouvrages, quoi. Il l 'a employée totalement pour foire ses ouvrages.

M arcela Focsa2

[L}a loi du Service social appelait, pour la première fois dans notre histoire, la jeunesse féminine de notre pays à l'accomplissement d'un travail spécial.

Henri H . Stahl3

Entre 1925 et la Seconde Guerre mondiale, une série d'enquêtes monogra­phiques, de caractère sociologique a été menée dans plusieurs villages de Rouma­nie. Ces campagnes d'enquête ont réuni des dizaines d'étudiants et d'étudiantes, des chercheurs et des chercheuses qui ont enquêté sur la vie rurale en utilisant un système théorique intégré ainsi que des méthodes et des outils de recherche trans-disciplinaires. Dans la seconde moitié des années 1930, un autre type de mouvement a consisté à envoyer des équipes de volontaires formées de centaines d'étudiants et d'étudiantes dans les villages de Roumanie afin qu' ils s'engagent dans l'intervention sociale plutôt que dans la recherche sociologique.

* Facul té de journalisme et des sciences de la communication, Université de Bucarest. theoeliza@ yahoo.com

1. Henri H . Stal1!, Amintiri si gânduri din vechea scoala a, monogra.fiilor sociologice, Bucarest : Mi­nerva, 198 1, p. 132.

2. Interview avec Marcela Focsa in Zoltfo Rostis, Sala luminoasa. Primii monograjisti ai Scolii gustiene, Bucarest, Paideia, 2003, p. 187.

3. H. H . Stilil, « Serviciul Social si tinerecul feminin al tarii . Prelegere tinuca la scoala de coman­dante din Brosteni '" Curierul Serviciului Social, V année, 11° I , 8 juin 1939, p. 7.

Les Études sociales - n° 153-154, année 20 11 109

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

En octobre 1938 esr promulguée la loi du Service social, qui sripule l'obli­garion de mener une activité culturelle dans les villages comme condirion à l'ob­tention du diplôme de fin d'études. Cette loi s'adresse à tous les jeunes sortant de l'enseignement supérieur roumain, sans distinction de profil. Elle a eu pour conséquence d'entraîner la création de dizaines d'écoles de « commandants » et « commandantes » du Service social. Toutes ces activités, connues sous la déno­mination générale cl'« École sociologique de Bucarest », ont été effectuées au sein de diverses organisations de recherche sociologique, de réforme et d' intervention sociales fondées ou dirigées par le professeur Dimitrie Gusti. De très nombreu­ses femmes y ont collaboré. La participation massive et active des femmes à des activités intellectuelles, de recherche et intervention sociale collectives est pour le moins insolite dans l'Europe de l'entre-deux-guerres. Or cet engagement des femmes n'a pas été remarqué, ni étudié jusqu'à maintenant.

Cet article se propose ici de remédier à cet oubli et d'explorer l'implication massive des femmes dans ces types d'activités, en suivant leurs contributions et leurs parcours professionnels. Quelle combinaison de facteurs sociaux, écono­miques, politiques et personnels a entraîné la participation de si nombreuses femmes aux enquêtes monographiques « gustiennes », aux équipes estudiantines volontaires d'incervencion sociale er à la mise en place de la loi du Service social ? Comment cette participation a-t-elle contribué et affecté les activités de ces orga­nisations? Quels mécanismes disciplinaires et institutionnels et quelles stratégies personnelles ont produit l' insertion et, ulcérieurement, l'exclusion des femmes, ainsi que la délimirarion de zones professionnelles définies comme « adéquates » pour les femmes ? Comment leur participarion aux acrivirés « gustiennes » a-r­elie influencé leurs vies er leurs trajeccoires professionnelles et personnelles?

Ce rôle joué par les femmes peut être expliqué par l'hypothèse selon la­quelle se sont combinés des mécanismes disciplinaires et institutionnels, des nécessités sociales et politiques, et des choix de stratégies personnelles. Selon des études de sociologie des sciences, les frontières des domaines scientifiques en cours de constitution et qui n'ont pas encore acquis ni la reconnaissance et la légitimi té académiques ni , dès lors, les ressources matérielles et les opportunités professionnelles, sont beaucoup plus perméables. Pendant cette étape ambiguë, les femmes peuvent pénétrer et travailler à côté des hommes, mais, en général, comme volontaires et souvent à des postes subalternes. M ais quand la discipline s'institutionnalise, les femmes commencent à y pénétrer plus difficilement, et celles qui y sont déjà présentes demeurent à des postes subalternes, ou bien sont orientées vers une sous-discipline considérée comme « adéquate » pour les fem­mes, mais qui, en fait, est marginale du point de vue du prestige et de celui des ressources financières.

Pour répondre aux questions posées ci-dessus, les sources utilisées sont de nature privée telles que des entretiens d'histoire orale réalisés avec certain(e)s des

110

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans La recherche sociologique

participant(e)s aux activités de recherche sociologique et intervention sociale, la correspondance de certain(e)s « monographistes » (participantes aux campa­gnes monographiques), et quelques mémoires et fragments de journaux intimes appartenant à des personnes impliquées dans l'École gustienne. Les entretiens réalisés par Zolcfo Rostas avec Henri H. Stahl et avec la première génération de monographistes4 forment le noyau documentaire de ma recherche. Ont été utilisés, également, des études, articles et chroniques publiés dans des revues scientifiques, de communication organisationnelle et de propagande, éditées par les institutions où ont travaillé les membres de !'École sociologique de Bucarest et, enfin , des documents d'archives. Dans l'investigation, il est fait constam­ment référence aux activités, aux contributions, à la (non-)reconnaissance et aux parcours professionnels des femmes et des hommes ayant fait partie de !'École sociologique de Bucarest et, là où cela était possible, à la participation des fem­mes dans des activités de recherche et changement social dans d'autres pays. Je prends en compte routes ces données et y intègre les diverses entreprises de recherche et d' intervention sociale gustiennes, aussi bien que la participation des femmes à ces activités, dans le contexte social , culcurel et politique de la Rouma­nie, dans la première moitié du XX• siècle. Toutes sont analysées dans le contexte des mouvements des femmes et féministes apparus avant la Première Guerre mondiale, au caractère ample, actif et visible, dans l'entre-deux-guerres, sur les territoires habités par les Roumains.

Le contexte du réformisme social féminin

Au début des années 1920, la proportion des étudiantes qui suivaient des cours universitaires en Roumanie était de 17 %. Ce nombre augmente pour doubler vers la fin de cette décennie: si en 1924-1925 il y avait 5 101 étudiantes (22,79 %), en 1929-1930 il y en avait 10 400 (27,86 %)5• Dans le milieu des années 1930, le nombre d'étudiantes était relativement élevé, un peu plus du quart de l'ensemble des étudiants, soit 9 922, sur un rotal6 de 37 77 1. A l'université de Bucarest, en 1930-1931 , il y avait 28,1 o/o d 'étudiantes. La plupart suivaient les cours de la Faculcé de philosophie et des lettres, où elles éraient majoritaires (58,5 %), soit presque 40 o/o des jeunes femmes qui sui-

4. Zolrfo Rosras, Monografia ca utopie - fnterviuri eu Henri H Stahl, Bucarest, Paideia, 2000 ; Z. Rostas, 2003, op. cit.

5. Roman C resin, « Ancheta sociologica asupra vietii studentesti », Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, XJV année, 1936, p. 644.

6. O vidiu Bozgan, « Apogeul Universitatii din Bucuresti » in Adina Berciu-Draghicescu et Ovidiu Bozgan, 0 istorie a Universitatii din Bucuresti, 1864-2004, Bucarest, Ed . Unive rsitatii din Bucuresti, 2004, p. 173.

111

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

vaient les cours de ceue universicé7• En fait, la prépondérance des étudiantes à la Faculté de philosophie et des lettres n'est pas propre aux années 1930, puisque dès le début des années 1920, elles étaient plus nombreuses que les étudiants (55-65 %) 8

La supériorité numérique de ces étudiantes s'explique, d'une parc, par les transformations économiques et sociales, qui ont entraîné un grand nombre de femmes, appartenant surcout à la classe moyenne urbaine, à chercher un travail rémunéré à l'extérieur et, d'autre part, par la configuration spécifique des rôles de gente, qui auribuait aux femmes des activités dans les secteurs de soins, d'as­sistance sociale et d'éducation. Par conséquent, ces changements sociaux amorcés à la fin du XIX' siècle dans les provinces habitées par les Roumains, et qui vont s'accentuer surtout après la Première Guerre mondiale, ont entraîné l'augmen­tation du nombre des femmes qui suivaient des études supérieures, surcout dans les domaines qui auraient pu leur permeure d'exercer des professions rémuné­rées, notamment celle de professeure. Évidemment, ce ne sont que des orienta­tions générales caractéristiques de lépoque, qui ne justifient que partiellement l'implication des femmes dans les travaux de recherche et d'intervention sociales. Les explications concernant la participation des femmes aux investigations réali­sées sur le terrain doivent donc être plutôt cherchées ailleurs : en amont des étu­des menées par des femmes - individuellement ou au sein d'associations fondées et dirigées par des femmes-, en raison des nécessités de recherche constatées au cours des deux premières campagnes d'enquête monographique, enfin à cause des aspirations scientifiques et des désirs personnels des étudiantes. Je vais signa­ler l'existence des pratiques de recherche sociale menée par des femmes dès le dé­but du siècle et mentionner quelques motivations possibles pour la dynamique de la recherche gustienne, ainsi que des options personnelles amenant à l' impli­cation de quelques étudiantes dans les campagnes de monographie sociologique.

I..:implication des femmes dans des études sur les conditions de vie et de travail de la population pauvre de Roumanie - surcout celles des femmes et des enfants - ainsi que dans des activités d'éducation et d'assistance sociale a été une constante à partir de la seconde moitié du XIX' siècle, mais elle s'est intensifiée dans les premières années du XX' siècle. Lexistence d'associations de femmes et féministes montre, d'une part, que la participation de quelques étudiantes et chercheuses dans les enquêtes gusciennes ne s'est pas produite dans un vide et qu' il existait une histoire des études sociales élaborées par des femmes et, d'autre part, justifie l'hypothèse selon laquelle Gusti a repris - ou du moins connu - des thématiques de recherche, des objectifs et des stratégies d'intervention sociale - ne serait-ce que dans les domaines de la famille, de la vie et du travail des fem-

7. R. Cresin, op. cit., p. 646. 8. R. C resin, op. cit., p. 647.

112

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologjque

mes, du soin des enfants, de l' industrie ménagère - initiés et mis en œuvre par ces associations.

Les activités de recherche sur la vie sociale entreprises par les participant(e)s aux campagnes monographiques ont, dès le début, fait partie d 'un vaste projet de changement social, où la construction nationale occupait une place impor­tante. Elles représentaient donc le fondement scientifique, à partir d'études ap­pliquées sur le terrain, d'un ensemble d'activités et d'interventions sociales visant à améliorer les conditions de travail et de vie, premièrement de la population rurale, et dans une moindre mesure de la population urbaine, surtout à la fin des années 1920. Au plan conceptuel et organisationnel, les préoccupations de re­cherche et d'intervention sociales des institutions créées et/ou dirigées par Gusti ont été influencées par des activités et des organisations étrangères similaires. En outre, elles ont été déterminées par le contexte social, économique et politique de la Roumanie et se sont inspirées des démarches de changement social effec­tuées sur les territoires habités par les Roumains. À ce propos, je considère que les associations de femmes et féministes occupent une place importante, aspect qui n'a pas encore été remarqué et abordé dans les exégèses sur !'École sociologi­que de Bucarest.

Bien qu'elles soient absentes du discours historiographique dominant, les nombreuses organisations de femmes et féministes avec leur implication ac­tive et visible dans les débats publics et les activités d'assistance sociale et philan­thropiques de la fin du XIX< siècle et des premières décennies du siècle suivant, ont occupé une place importante. Ainsi, outre les démarches émancipatrices visant à modifier le statut juridique et politique des femmes en Roumanie, des centaines d'associations de femmes ont pour objectif d'améliorer les conditions de vie et de travail des femmes et des enfants9•

Les associations de femmes et féministes faisaient des études sociales en vue de trouver des moyens d'améliorer les conditions de vie et de travail des fem­mes. Dès le début du siècle dernier, il y a eu des associations de femmes qui non

9. Quelques études er volumes collectifs et des collections de documents montrent l'imporrance et la visibilité des mouvements des femmes et féministes dans la seconde moitié du XlX' siècle et la première moitié du XX' siècle: Calypso Corneliu Botez, " Problema feminismului - 0 sistemati­zare a elementelor ei », Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, Il' année, n° 1-3, avril -ocrobre 1920, p. 25-84 ; Calypso Botez, « Miscarea feminista », Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, IV année, n° 2, 1923, p. 218-224 ; Paraschiva Câncea, Miscarea pentru emanciparea femeii în România 1848-1948, Bucarest, Ed. Politica, 1976; Stefania Mihailescu, Emanciparea femeii române. Antologie de texte. Vol. !, 1815-1918 si Vol. JI, 1919-1948, Bucarest, Editura Ecumenica, 2001 er 2004 ; Srefania Mihailescu, " Isroria feminismului politic românesc (1815-2000) » in Otilia Dragomir et Mihaela Miroiu (éd.), Lexicon feminist, Iasi , Polirom, 2002, p. 198-227; Ghizela Cosma et Virgiliu Tarau (coord.), Conditia femeii în România în secolul XX Studii de caz, Cluj , Presa Universitara Clujeana, 2002 ; Alin Ciupala, Femeia în societatea româneasca a secolului al XIX-lea, Bucarest : Meridiane, 2003 ; Mihaela Miroiu, Drumul catre autonomie. Teorii politice feministe, Iasi, Poli rom, 2004.

113

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

seulement avaient pour but l'amélioration des conditions de vie des femmes ap­partenant à la classe ouvrière par divers moyens, mais qui, en outre, ont justifié la nécessité de leurs démarches et ont inscrit dans leur programme la recherche des divers aspects de la vie et du travail des femmes. Citons par exemple !'Asso­ciation de femmes Sprijinul (Le soutien), constituée en 1900 à Bucarest, à l'ini­tiative d'un groupe de femmes dirigé par Ecaterina Arbore. Ses actions jusqu'en 1913 ont été nombreuses, en des domaines divers. Des conférences populaires ont été périodiquement organisées dans les écoles primaires des quartiers péri­phériques de Bucarest, sur l'hygiène, la puériculture, léducation des enfants, le droit juridique des femmes, les sciences naturelles etc., lesquelles étaient suivies parfois de concerts populaires donnés devant une nombreuse assistance. En 1901, !'Association Sprijinul prend la direction des travaux de confection et de lingerie gérés initialement par la municipalité, puis par le Service sanitaire géné­ral, pour fournir des emplois à ses membres. En 1902, elle ouvre une école pour filles, avec deux sections - couture et lingerie - ainsi que des ateliers organisés selon le principe de la coopération. À partir de 1903, elle met en place des cours professionnels et d'alphabétisation dispensés le dimanche, pour adultes, en 1904 une école d'infirmières, et en 1910 un internat pour les élèves de cette école. Outre ces initiatives, des études ont été élaborées sur les conditions de vie et de travail des femmes, relie celle d'Ecaterina Arbore, lndustria si sanatatea lucratoa­relor (L'industrie et la santé des ouvrières), publiée en 1907, où I' auteure analyse surtout le travail des femmes employées dans l'industrie, en montrant les condi­tions difficiles de travail des femmes et l'exploitation de leur travail supérieure à celle du travail des hommes.

Un autre domaine de superposition des activités des associations de femmes (quelques décennies auparavant) et des démarches réformistes et interventionnis­tes de type gustien est celui de l'assistance sociale et du «Service social», même si ce dernier était conçu de façon partiellement différente par les activistes socia­les et féministes. Des études attestent la prépondérance des associations initiées et dirigées par des femmes dans le domaine de l'assistance et de la protection sociales pendant les dernières décennies du XIX< siècle et dans la première moitié du XX< siècle (connues, surtout au XIX< siècle, en Roumanie et en d'autres pays européens sous le nom de « philanthropiques »)10

• Ainsi, selon Indicatorului ins-

10. Pour d'autres pays européens, surtout « de l'ouest», voir Gisela Bock, Women in Euro­pean History, Oxford & Malden, Blackwell Publishers Ltd, 2002 et Rachel G. Fuchs et Victoria E. Thompson, Women in Nineteenth-Century Europe, Bas ingstoke & New York, Palgrave Mac­millan, 2005. Pour la Roumanie, voir L'assistance sociale en Roumanie, Bucarest, lmprimeria Nario­nala, 1938; Roxana Cheschebec, « Narionalism, Feminism and Social Work in lnterwar Romania. The Activiries of Princess Alexandrina Cantacuzino » in Sabine Hering et Berteke Waaldijk (éd.), His tory of Social Work in Europe (1900-1960) . Female Pioneers and Their Influence on the Develop­ment of International Social Organizations, Opladen, Leske & Budrich, 2003, p. 35-44 ; Crina Dia-

114

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologi.que

titutiilor de asistenta sociala publica si privata din România pe 1924 (L1ndicateur des institutions d'assistance sociale publique et privée de Roumanie, pour l'année 1924), sur les 629 institutions sociales enregistrées, 50 appartiennent à l'État, le reste relevant d'initiatives privées, dont la majorité était patronnée par des fem­mes 11.

Les intérêts, les buts et les moyens de ces associations de femmes coïn­cident, à partir de l'automne de l'année 1920, avec une collaboration institu­tionnelle entre l'Institut roumain - la section d'études féminines, le séminaire de sociologie de l'université de Bucarest et !'Association chrétienne des femmes roumaines, en ce qui concerne une activité didactique au sein de !'École supé­rieure d'assistance sociale12

• Mais il y a eu d'autres associations de femmes dont les buts, stratégies et activités réalisés au début des années 1920 se sont retrou­vés, au milieu des années 1930 dans les initiatives sociales gustiennes. Il existe par exemple des similitudes remarquables entre les démarches d'assistance et de protection sociales pratiquées par Asociatia Cercurilor de Gospodine (!'Associa­tion des cercles de ménagères) et les activités d'intervention sociale envisagées et partiellement accomplies par la Fondation culturelle royale prince Charles, par l'intermédiaire des équipes estudiantines volontaires et de la loi du Service social. Créée le 3 avril 1920, à Bucarest, sur l'initiative de Valentina Focsa, !'Association des cercles de ménagères est, selon son initiatrice, « une preuve manifeste de la façon dont les femmes entendent collaborer - à cette époque mouvementée - à la nouvelle structure de notre nation » et « une œuvre qui vise à élever les condi­tions de vie de nos vi llages et de nos périphéries en y inculquant la nécessité d'une vie meilleure »13 . La conception de l'association concernant les moyens d'« élévation» de la vie «de l'homme des classes sociales les plus basses» est à la fois révélatrice et significative. Ses dominantes se retrouvent, naturellement, beaucoup plus élaborées et systématisées, dans le projet gustien d'intervention sociale14 • Les activités pratiques et démonstratives, l'approche « intégratrice » de tous les aspects de la vie sociale rurale, ainsi que l'idée de réaliser des « fermes modèles » apparaissent aussi dans les projets d'intervention sociale mis en œuvre

conu « Aspecte privind rolul femeilor în procesul de reformare si modernizare sociala în România interbelica. Activitatea si initiativele Asociatiei Cercurilor de Gospodine în domeniul ocrotirii si asistentei mamei si copilului » in Cosma et Târau, op. cit., p. 11-37.

11. Indicator al Institutiilor de asistenta publica si privata din România pe 1924, Bucarest, Minis­tère de la Santé et de la Protection sociale, direction générale d'Assistance sociale, 1925, p. 6.

12. l:École supérieure d'assistance sociale princesse Ileana est fondée à l'automne 1929. Elle marque l'institutionnalisation des préoccupations de !'École sociologique de Bucarest en matière de recherche et d'intervention sociales dans l'espace urbain.

13. Valentina Focsa, « Asociacia Cercurilor de Gospodine '" Actiunea feminista, n° 50-51, décem­bre 1921-janvier 1922, in Mihailescu 2004, op. cit., p. 126.

14. Ibid.

115

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

par Gusti. l:Association des cercles de ménagères s'est occupée aussi - comme les équipes étudiantes allaient le faire, à leur tour, quinze ans plus tard - de la promotion des industries ménagères en créant des coopératives, en faisant des propositions en faveur de la syndicalisation de la production et de la vente, en organisant des expositions-ventes, etc.

Suite aux résultats positifs obtenus par beaucoup d'autres associations de femmes, des propositions sont faites concernant la mise en place du Service social obligatoire pour les femmes, selon le modèle du service militaire pour les hommes. Un exemple est le projet d'organiser l'assistance sociale dans la ville de Constanta, conçu en 1934 par Maria Dimitriu-Castano, présidente de la filiale locale de !'Association pour l'émancipation civile et politique de la femme rou­maine. Elle propose l'élaboration d'une loi qui oblige les citoyens à présenter cer­tains documents préalables au mariage, dont le certificat attestant que la future jeune mariée a rempli , pendant une année, son Service social et a suivi un cours ménager et de puériculture, alors que le futur jeune marié doit présenter un certificat attestant qu'il a accompli son service militaire15• D'aurres organisations pour l'émancipation des femmes font des propositions similaires, tel, en 1935, le Groupe des femmes roumaines, présidé par Alexandra Cantacuzino 16

; en 1936 le Conseil national des femmes roumaines, le Groupe des femmes roumaines et l'association Solidaritatea (Solidarité) adresse un appel au Premier ministre pour qu'il fasse promulguer une loi stipulant l'obligation du Service social pour les femmes comme équivalent au service militaire obligatoire pour les hommes 17

Ce faisant, les mouvements d'émancipation des femmes tentent de construire et de soutenir - à partir des contributions des femmes à la société dans des domaines d'activité déjà reconnus, et en accord avec les rôles de genre prônés par le discours idéologique national et patriarcal de l'époque - la parti­cipation des femmes à la consolidation de l'État national et, donc, leurs droits politiques comme égaux à ceux des hommes18•

Stratégies de travail « en collaboration »

Lors des deux premières campagnes de !'École sociologique de Bucarest (à Goicea Mare en 1925 et à Rusetu en 1926) il n'y a pas eu d'étudiantes, mais,

15 .Ziarul nostru, n°9-10, octobre-novembre 1934 et n°4, avril 1935 ciré dans Diaconu, op. cit., p. 20.

16. « Dare de seama asupra lucrarilor Congresului Gruparii Femeilor Române (Craiova, 9- 10 noiembrie 1935). Comisia de igiena >>, Graiul Femeii, n° 1, 1935, ciré dans Diaconu, op. cit., p. 21.

17. Cheschebec, op. cit., p. 43. 18. « Legea pentru înfiintarea Serviciului Social » in Dimirrie Gusti, Cunoastere si actiune în servi­

ciul natiunii (vol. II), Bucarest, Fundaria Cul rurala Regala Principele Carol, 1939, p. 263.

116

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique

à partir de la troisième (à Nerej, à l'écé 1927), la présence de monographisces femmes esc devenue constante. La campagne de Nerej (Vrancea) esc la première à laquelle panicipent des femmes : neuf étudiantes ec une assiscante chercheuse, sur 41 participants, soie un quart du total 19• L'année suivante, les recherches monographiques se déroulent dans le village de Fundul Moldovei (Bucovina) ec l'équipe compce 60 personnes, donc 17 femmes. Il y a une équipe qui s'occupe du « problème de la femme », alors que d'aucres examinenc la ferme, l'industrie ménagère et la famille. Selon les sources idencifiées, en dehors des activités des organisations féministes ou pour les femmes, c'est la première tentative d'in­vestigation sur la vie des femmes, avec ce but assumé, déclaré et menée avec des méchodes scientifiques. De plus, des femmes participent à ces recherches et au moins l'une d'elles coordonne le cravail d'une équipe. La cinquième campagne monographique [en 1929, à Dragus (Fagaras)] bénéficie de la participation de plus de 80 personnes, dont au moins 17 étudiantes et chercheuses. Les deux campagnes suivantes se déroulent à Runcu (Gorj), en 1930, et à Cornova (Orhei, Bessarabie) , en 1931. À Runcu, il y a plus de 60 monographistes, dont 20 étudiantes et chercheuses. Enfin, 55 personnes, dont 14 femmes participent à la campagne de Cornova20

Dès lors, il est évident que le seul fait que les femmes suivaient les cours universitaires n'explique pas leur implication dans des activités de recherche appliquée, puisque en 1924-1925 il y avait déjà des étudiantes à la Faculcé de philosophie et des lettres ; il y avait même des écudiantes qui avaienc parcicipé aux cravaux du séminaire de sociologie où a écé préparée la première sortie sur le terrain. Par exemple, les comptes rendus des séances du séminaire sont rédigés et signés par l'étudiante A. Suciu et, selon un compce rendu du 8 janvier 1925 , le comité formé au sein du séminaire comprenait quatre étudiantes et huit étudiants2 1

• La non-participation des étudiantes aux deux premières actions de recherche sur le terrain peut s'expliquer aussi bien par des standards différents de moralicé chez les hommes et chez les femmes, que par leur perception des conditions insalubres et du manque de confort en milieu rural. À ce propos, Gheorghe Vladescu-Racoasa, le premier assis­tant de Gusti, mentionne que le professeur hésitait à passer quelques jours dans un village : « Gusti avait peur d'être mangé par les poux à la campagne [ ... ] Il nous a fallu batailler une semaine entière, voyons, ce n'est pas tout à fait comme ça »22 !

19. Henri H. Stahl « Scoala monografiei sociologice », Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, n° XIV, 1936, p. 1146.

20. Les données sur le nombre des participants aux campagnes de Fundul Moldovei , Dragus, Runcu er Cornova proviennent de l'étude de Srahl de 1936, op. cit., p. 1149-1158.

21. Ibid. , p. 11 38. 22. Interview avec Gheorghe Vladulescu-Racoasa in Rosras 2003, op. cit., p. 367-368.

117

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

En ce qui concerne les pratiques organisationnelles de la recherche en équipe, on peut émettre l'hypothèse selon laquelle les équipes formées unique­ment de chercheurs hommes ont rencontré des difficultés pour étudier certains phénomènes, situations et institutions de la vie rurale. Ceux-ci ont compris que les femmes pourraient les aborder plus aisément et de façon plus efficace. De plus, même s'ils étaient intégrés dans le système conceptuel créé par Gusti, il est possible que ces domaines aient pu paraître moins importants et, donc, moins attractifs pour les hommes qui se sont dirigés vers des thématiques considérées comme «sérieuses » et qui bénéficiaient d 'une légitimité scientifique reconnue. Henri H. Stahl, sans reconnaître explicitement les difficultés rencontrées par les chercheurs qui devaient recueillir des données sur certains aspects de la vie so­ciale rurale, explicite sans équivoque les perceptions générales sur les différences de genre dans l'établissement des thèmes de recherche:

[Xenia Costa-Foru] avait une licence en sociologie. [ .. . ] Elle n'avait pas un pro­blème de recherche, elle était venue voir de quoi il s'agissait. Moi, je crois lui avoir inculqué l'idée de la famille. Car il n'y avait personne qui s'en occupait. À mon avis, c'est un problème qui convient très bien à une sociologue, mieux qu'à un so­ciologue. Alors je lui ai dit: faites ce problème. Vous allez étudier la famille 23

Outre « l'orientation » des étudiantes vers certains domaines de recherche que les hommes avaient plus de difficultés à étudier ou qu'ils trouvaient moins intéressants, les discussions avec Stahl permettent d' identifier un autre type de nécessité fonctionnelle ressentie lors du travail en équipe sur le terrain, où le genre joue un rôle important. Selon le système théorique et méthodologique gustien, l'étude de la vie sociale rurale devait être documentée dans la totalité de ses manifestations et de son fonctionnement, si bien que la grande quantité de données et d'informations nécessaires à la rédaction des monographies réclamait énormément de travail. Compte tenu, d 'une part, des conceptions de genre, selon lesquelles les femmes étaient plus aptes au travail minutieux, mais répéti­tif et peu créatif et, d 'autre part, des attentes et rôles de genre qui définissaient les femmes comme moins compétitives avec des aspirations et des possibilités professionnelles différentes et inférieures à celles des hommes, il est possible d'avancer l'hypothèse selon laquelle le travail des femmes était utilisé pour faire progresser la recherche et favoriser la promotion de certains monographistes hommes. Cette composante de genre du travail « en collaboration » est énoncée sans fioriture, à plusieurs reprises, par Stahl, lors de l'exposé oral des activités de )'École sociologique de Bucarest, effectuée par Zoltan Rostas :

Il y a eu beaucoup [de femmes dans les monographies]. On a bien travaillé avec elles. Moi, j'ai constamment travaillé avec des filles. Je me suis très bien entendu avec elles [ ... ]. Aucune n'a brillé, mais elles étaient très utiles sur le terrain. Elles fai-

23. Interview avec Henri H. Stahl in Rostas 2000, op. cit. , p. 245-246.

118

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique

saient leur travail comme il fa llait. Bien. [ ... ]À un moment donné, pour les mono­graphies,jai utilisé des étudiantes de !'École d 'assistance sociale[ ... ] Er ce groupe de filles avait une expérience extraordinaire en matière d 'enquêtes sociologiques. On les a utilisées nous aussi, on les a utilisées pendant la campagne de Cornova, Sabin Manui la les a utilisées lui aussi pendant ses campagnes de Fibis. [ ... ] C'étaient de bonnes enquêteuses sur le terrai n. Mais en matière de sociologie, assurément, elles n'avaient pas de vision, de conception ou de problème. Que des exécutantes. On leur disait: fais ça, et elles le fai saient. N 'est-ce pas? Très bien. Uti les. [ ... ] D 'abord, parce qu'on peut travailler en équipes multiples uniquement comme ça, car il y a pas mal de situations où on ne peut être présent comme observateur partout - les choses se passent en divers endroits, avec divers personnages et lorsqu' il y en a plusieurs, toi tu t'occupes de cel ui-là, toi de rel autre, roi de rel autre ... Après, on rassemble tout ce qu'on a recueilli. On a besoin de ces personnages de seconde main24•

Marcela Focsa, participante aux recherches monographiques à partir de la campagne de Fundul Moldovei, en 1928, remarque elle aussi cet aspect du travail d '« assistance» de recherche au bénéfice des autres : « Zizi [Elisabeta Constance], à Fundul Moldovei, a fait ce que je faisais moi aussi. On nous a demandé de faire des statistiques, on faisait des statistiques ; on nous a de­mandé de faire des fiches de fa milles, on faisait des fiches. C'est ça qu'on faisait à Fundul Moldovei. Ce qu'on nous demandait de faire, on le faisait25 • » Lena Constante raconte qu'elle connaissait déjà Mac Constanrinescu et que c'était lui qui « m'a cooptée dans son équipe, pour faire des copies, des fiches »26 • Il exis­tait, donc, une hiérarchie de genre bien établie quant à la distribution des tâches er des contributions, où la dimension de « l'emploi » des femmes, de « l'utili­sation » des étudiantes dans la recherche seulement comme « exécutantes » esr d 'une évidence frappante, et leur statut de « personnages de seconde mai n » relève d'un déterminisme nettement exprimé et appliqué. Il n'est pas difficile d' imaginer les effets de ce type de relations au sein d'un groupe où les attentes de genre, conjugués à l'absence presque totale de modèles de succès profession­nel reconnu pour des femmes dans la recherche, ont contribué à l'acceptation de la part des étudiantes de la position inférieure qui leur était assignée, et, pour beaucoup d'entre elles, à la renonciation à une carrière scientifique. Le travail en équipe et la collaboration entre les membres de !'École sociologique de Bu­carest, idéalisés dans les textes et les débats menés pendant l'entre-deux-guerres, ainsi que dans les exégèses ultérieures, peuvent donc être contestés dans la pers­pective du genre.

24. Ibid., p. 86-87 [les italiques relèvent de l'auteur, NOR]. 25. Interview avec Marcela Focsa in Rosras 2003, op. cit., p. 128. 26. Interview avec Lena Conscanre in ibid., p. 81.

119

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

Contributions et (non)reconnaissance

Le travail et les contributions des femmes aux productions scientifiques -publications, conférences, expositions, etc. - de !'Ecole sociologique de Bucarest ne pourront jamais être évalués avec exactitude. Ainsi, à la lumière des études de genre et de l'histoire des femmes, il est nécessaire d'interroger les fondements, les mécanismes et les stratégies qui ont produit l'élimination des femmes et de leurs contributions des sciences sociales, ainsi que d'autres domaines bien divers, tels que la chimie, l'histoire, la médecine, la physique, l'astronomie, la littérature, etc.

Je vais discuter maintenant les contributions reconnues par leur publication des chercheuses ayant appartenu à !'École sociologique de Bucarest, explorer quelques mécanismes et stratégies ayant conduit à leur marginalisation, et même à leur élimination des positions qui auraient pu représenter une compétition pour leurs collègues et, enfin, intégrer ces phénomènes dans le cadre plus large de la dynamique scientifique disciplinaire et institutionnelle. Pour investiguer ces aspects, je proposerai des réponses à des questions celles que : Comment la par­ticipation des femmes a-t-elle contribué et affecté les activités des organisations gustiennes ? Quels domaines préférés de recherche sociologique et d'intervention sociale, les chercheuses et les « activistes culturelles » one-elles abordés ? Quels mécanismes disciplinaires et institutionnels et quelles stratégies personnelles ont entraîné l' inclusion et, ul térieurement, l'exclusion des femmes, et la délimitation des domaines professionnels définis comme « adéquats » pour les femmes ? En­fin, comment leurs vies et leurs parcours professionnels et personnels one-ils été inAuencés par leur implication dans les activités gustiennes ?

Une vaste littérature traite de la dynamique du genre dans la science. Les études d'histoire des sciences et les histoires des disciplines, y compris l'histoire de l'art et l'histoire de la littérature et, en général, le discours public d'avant les années 1970, n' one pas été sensibles au genre, et ont d'autant moins inter­rogé, dans une perspective critique, la quasi-absence des femmes des domaines scientifique, artistique et littéraire. Avec la seconde vague du féminisme global, un nombre croissant d'études d'histoire, histoire sociale, sociologie et philoso­phie élaborées dans la perspective des femmes et féministe ont redécouvert et récupéré la participation et les contributions des femmes aux diverses sciences, et ont formulé des hypothèses, des théories et des modèles justificateurs pour des phénomènes d'éviction, d'effacement et de détournement du travail et des contributions des femmes. Il existe ainsi des théories qui nous font compren­dre de façon nuancée et complexe le phénomène apparemment paradoxal de la cooptation et, à la fois, de la mise à l'écart des chercheuses de !'Ecole sociologi­que de Bucarest.

120

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique

Dès le début des années 1980 sont parues de nombreuses études qui ont montré comment la catégorie du genre influence la participation, la position et la reconnaissance dans diverses sciences. Les femmes ont participé à la pro­duction de connaissances dans les sciences, mais elles se sont le plus souvent retrouvées en position inférieure, cantonnées dans des zones disciplinaires et institutionnelles moins prestigieuses, largement inférieures à celles réservées aux hommes27• Dans un ouvrage devenu célèbre sur les chercheuses américaines qui avaient fait des études doctorales entre la fin du XIX< siècle et les années 1940, Margaret Rossiter, historienne de la science, a identifié deux types de ségrégation de genre dans la science: hiérarchique, qui limite l'accès des chercheuses à des niveaux professionnels inférieurs, et territoriale, qui empêche les femmes d'accé­der à des disciplines ou à des spécialisations au sein d 'une certaine discipline28

M . Rossiter estime que ces phénomènes sont dus à trois facteurs: l'aug­mentation du nombre des femmes possédant une formation scientifique post­universitaire, la forte opposition quant à leur pénétration dans les zones scien­tifiques traditionnelles, telles celles universitaires et gouvernementales, et les changements structurels survenus dans les sciences, qui ont entraîné la création de domaines et de rôles nouveaux, où la composante du genre était nettement délimitée. Naturellement, M. Rossiter, par son argumentation , relève la di­mension économique de ce phénomène et montre que, pour maintenir leur suprématie dans les structures institutionnelles et disciplinaires prestigieuses, les chercheurs ont utilisé le discours conservateur qui mettait en relief les « ha­biletés spéciales » et les « talents uniques » des femmes dans l'exécution de cer­tains types de travaux, pour délimiter strictement les activités et les domaines auxquels elles avaient accès. Ainsi, dans cette période, les femmes possédant une formation scientifique avancée ont été soit orientées vers des champs ins­titutionnels peu prestigieux, donc qui disposaient de maigres ressources - tels les «collèges» pour femmes, soit vers des espaces disciplinaires nouvellement créés et considérés comme « féminins », où les femmes pouvaient mettre à profit leurs « habiletés spéciales », tels les départements« d 'économie ménagère » (home economics) et « d'administration du service social » (social service administration) ou, enfin , elles étaient acceptées comme assistantes chercheuses ou bibliothécai­res spécialisées, c'est-à-dire à des postes crès mal rémunérés, qui supposaient un

27. Voir, par exemple, Barbara Sicherman et Carol Hurd Green (éd.), Notable American Women: The Modern Period, Cambridge, MA, Harvard Universiry Press, 1980 ; Margaret Alic, Hypatia's He­ritage: A History of Women in Science from Antiquity through the Nineteenth Century. Boston, MA, Beacon Press, 1986 ; Marilyn Bailey Ogilvie (éd.), Women in Science: A Biographical Dictionary with Annotated Bibliography. Antiquity through the Nineteenth Century, Cambridge, MA, MIT Press, 1986.

28. Margaret W. Rossiter, Women Scientists in America : Struggles and Strategies to 1940, Balti­more, MD, Johns Hopkins Universiry Press, 1982, p. 29-50.

121

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

travail minutieux, répétitif et non créatif, et qui, certainement, n'offraient pas de possibilités de promotion29

• Pourtant, les mêmes mécanismes qui excluaient les femmes possédant une formation pose-universitaire ont créé des possibilités pour les impliquer dans d'autres professions et dans d'autres types d'activités sociales. Ainsi, à l'intersection des nouvelles préoccupations liées aux problèmes sociaux de la nation, considérés comme toujours plus nombreux et plus graves, et de la création de nouvelles professions hybrides devant résoudre ces problèmes, un vaste champ de travail a été ouvert pour les femmes de science, aussi bien en Eu­rope qu'aux États-Unis.

Un autre phénomène mis en relief dans plusieurs études sur divers domai­nes scientifiques et littéraires, c'est la non-reconnaissance, !'élimination et même le détournement, par les hommes, du travail et des contributions des femmes. M. Rossiter a étudié ce phénomène dans différents domaines scientifiques et l'a dénommé, d'après le modèle de l'« effet Matthew », observé par le sociologue Robert K. Merton30

, « l'effet Matilda », prénom de l'une des premières historien­nes des mouvements des femmes - Matilda Joslyn Gage. M. Rossiter soutient que, en général, « l'effet Matthew » renvoie surtout au postulat évangélique se­lon lequel les riches s'enrichissent encore plus alors que les pauvres ne cessent de s'appauvrir. C'est dans cette deuxième partie du phénomène que Rossiter situe la dynamique du genre de la non-reconnaissance et même de l'effacement de la mémoire publique des contributions des femmes à la connaissance scientifique31

M. Rossiter pense qu' il est important de souligner que, parmi les structures sociales qui influencent la reconnaissance des contributions et l'attribution des récompenses scientifiques, celle du genre occupe une position fondamentale. Elle met en évidence - par des exemples variés, aussi bien du point de vue his­torique, que pour ce qui concerne les domaines - la distribution profondément inégale de la reconnaissance et des récompenses. Les mécanismes et les stratégies d'exclusion et/ou de délimitation professionnelle des femmes dans les sciences tiennent aussi bien de la dynamique institutionnelle et disciplinaire que de la distribution des ressources et de la localisation des intérêts sociaux, économiques et politiques. Compte tenu de mon sujet de recherche, les phénomènes mis en relief et les théories fournies par les études historiques et sociologiques sur l'im­plication des femmes dans les sciences et dans les activités sociales sont utiles pour une double raison. D'une part, ils prouvent que l'implication des femmes, tant dans la recherche sociale que dans les démarches réformatrices, n'est pas spé-

29. lbid., p. 51-72. Voir aussi Margaret Rossiter, « Women's Work in Science, 1880-1910 », Isis, vol. 7 1, n° 3, 1980, p. 381-398.

30. Robert K. Merron, «The Mattew Effect in Science. The Reward and Communication Sys­tem of Science Considered •>,Science, vol. 159, n° 38 10, janvier 1968, p. 56-63.

3 1. Margaret W Rossiter, « The Matilda Effect in Science », Social Studies of Science, vol. 23, n° 2, mai 1993, p. 325-34 1.

122

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologi,que

cifique à la Roumanie, mais elle faic parcie d'un ensemble de processus sociaux, économiques ec hiscoriques globaux - associés notammenc à l'induscrialisacion ec à l'urbanisacion -, de mouvemencs de changemenc ec d 'amélioracion sociale ec d'une série de projecs de définicion ec de conscruccion nacionales. Écudier cous ces processus dans une perspeccive cencrée sur le genre peuc relever des poincs essenciels, jusqu'à présenc rescés inaperçus ou sous-escimés, qui concribueraienc à une compréhension plus nuancée non seulemenc des relations inégales entre les femmes ec les hommes, de la problémacisacion ec déscabilisacion des hiérarchies ec des inégalicés de genre, mais aussi des phénomènes ec des processus sociaux dans la production et significacion desquelles la catégorie du genre représence un axe fondamencal. D 'autre part, comme il existe des similicudes encre les phé­nomènes et les processus survenus dans d 'aucres zones géopoliciques et ceux qui se déroulenc dans la Roumanie de l'encre-deux-guerres, les études ec les chéories présencées one le mérite d 'apporcer des lumières nouvelles adaptées au concexte hiscorique, social et policique de la Roumanie.

Comme elles ne disposaienc pas de modèles professionnels qui puissenc leur inculquer des attences quanc à leur reconnaissance sciencifique, pas plus qu'elles n'éta ienc encouragées ou aidées par la communauté des chercheurs à s'épanouir du poinc de vue professionnel, les écudiantes consticuaienc le groupe idéal pour remplir le rôle « d 'assistances chercheuses» et pour recueillir des informations. Mais ces tendances ne doivenc pas êcre comprises comme unidirectionnelles et les femmes ne doivenc pas être considérées seulemenc comme un groupe de manœuvre, uniforme ec passif, sur lequel le groupe des hommes - bien struc­turé ec se conduisanc selon un plan bien arrêté - a imposé sa voloncé. Une celle approche serait simpliste et réductive. En effet, il y eue des chercheuses qui re­fusèrent le rôle d'auxiliaires qu'on leur assignait et qui essayèrent d 'aborder des 'thématiques traitées par les hommes et, en même temps, de mener une carrière scientifique. D ans quelle mesure y sonc-elles parvenues ? Quelles ont été les stra­cégies adoptées pour promouvoir et faire reconnaître leur cravail ? Ec commenc one fonctionné les mécanismes institucionnels qui one sensiblemenc réduic leurs chances d 'affirmation et leurs possibilités d'occuper des positions qui offrent prestige professionnel, reconnaissance de la valeur et aucorité scientifique ?

Trois catégories de femmes

I..:examen des parcours éducationnels, scientifiques et professionnels des fem­mes impliquées dans les activités de !'École sociologique de Bucarest permet de distinguer - en généralisanc et en se focalisant sur les similitudes aux dépens des différences - trois catégories de participantes. Cerces, il y a de nombreuses diffé­rences scientifiques et d'intérêts professionnels encre les femmes que l'on peut ran-

123

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

ger dans la même catégorie. Mais je considère que, dans la dynamique du groupe bien nombreux et flexible, ayant constitué, à divers moments, !'Ecole sociologique de Bucarest, les équivalences quant au prestige et à la position et les congruences de parcours éducationnel et professionnel propres aux femmes de chaque catégo­rie peuvent fournir des informations significatives et des justifications pertinentes sur la relation spécifique entre la production de connaissances scientifiques et la production des idées et des arrangements hiérarchiques de genre.

La première catégorie est formée par les professionnelles accomplies, ayant fini leurs études universi taires et post-universitaires et/ou possédant des résultats et un statut professionnel confirmés, mais pas forcément en matière de sciences sociales.

Citons par exemple Calypso Botez (née en 1880), ayant une licence en his­toire et philosophie, activiste bien connue en matière des droits des femmes, pré­sidente de plusieurs associations de femmes et féministes (tel le réputé Conseil national des femmes roumaines) - qui a fait des recherches sur les conditions de vie des femmes - et réformatrice sociale32

; Floria Capsali (1900-1982), qui a suivi les cours de l'Académie de théâtre et du conservatoire de Bucarest, et a fait des études pendant neuf ans à Paris, a été chorégraphe, maîtresse de danse, professeure du corps de ballet, première danseuse de !'Opéra roumain, réputée pour ses contributions et novatrice en matière de ballet et de danse roumains33 ;

Margareta Sterian (1897-1992), peintre, écrivaine et traductrice, qui a suivi des études d'art à Bucarest et à Paris ; Maria Cotescu (née en 1896), une des premiè­res architectes roumaines, qui a dressé, entre autres, les plans des ateliers Grivita et du foyer étudiant de Câmpulung Moldovenesc34

; sans oublier les Dr. Elena Rosca et Or. Carmen Anghelide sur lesquelles les informations sont peu nom­breuses. Pendant les entretiens entre Zoltan Rostas et Henri H. Stahl, ce dernier dit que Carmen Anghelide était une très bonne praticienne, qui a effectué des recherches et des consultations médicales et qu'elle était « une brave femme, sérieuse, bonne travailleuse, efficace dans la recherche et surtout sur le terrain. Elle n'a fait que de l'action médicale proprement dite. Consultations et enre­gistrements, ce qui résulte statistiquement parlant de ses consultations35 • » Ces chercheuses, activistes sociales, artistes et femmes médecins, ont été membres de l'Institut Social Roumain et, à l'exception de Calypso Botez, ont participé au moins à une campagne de monographie sociologique et ont créé des œuvres d'art plastiques et chorégraphiques ou ont publié des études dans les revues de

32. Voir Mihailescu 2002, op. cit., p. 204, 217-219, 225. 33. Mitita Dumitrescu, Amintiri despre Floria Capsali, Bucarest, Ed. Muzicala, 1985, p. 7-8, 28. 34. International Archive of Women in Architecture, Special Collections Newman Library, la

base de données pour Virginia Maria Alexandrescu Haret ; catalogue accessible en ligne sur le site : http ://lumiere.lib.vt.edu/iawa_db/view _all.php3 ?person_pb l 250&region=table=bio&cSel:::

35. Z. Rastas 2000, op. cit., p. 271.

124

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans La recherche sociologi.que

l'école gustienne. L'implication dans les activités de l'Institut social roumain et! ou dans le mouvement monographique a représenté une composante importan­te dans l'économie de leur vie professionnelle, tel que l'atteste, dans l'exemple de Floria Capsali, son partenaire artistique et biographe Mitita Dumicrescu :

Dans l'activité de Floria il y a eu un moment remarquable en 1927, quand elle a participé aux équ ipes monographiques de l'université de Bucarest, dirigées par l' éminent professeur sociologue Dimicrie Gusti. À côcé de plusieurs personnes de valeur qui se spécialisaient dans différents domaines, parmi lesquels Constantin Brailoiu, George Breazul, le professeur Rainer, le sculpteur Mac Constantinescu et d'autres, Floria Capsali, avec une rare minutie et beaucoup de patience, a recueilli du matériel folklorique concernant nos danses populaires, enrichissant et peaufi­nant ainsi ses connaissances qui allaient lui servir plus tard dans la mise en scène des ballets roumains36•

En dehors de l'utilisation des éléments des danses populaires de Dragus et de Fundul Moldovei dans les pièces qu'elle a mises en scène et jouées, Capsa li a publié aussi une étude dans la revue Arhiva pentru stiinta si reforma sociala (Les Archives pour La science et La réforme sociale), où elle a décrit les types de danses de ce village et analysé les diverses relations et les influences existantes37. Pour Mar­gareta Sterian, lété passé dans le village Dragus a représenté aussi un moment important dans sa carrière artistique : elle a réalisé plusieurs toiles inspirées de la vie du village, six portraits étant inclus dans l'exposition organisée en décembre 1929 par le séminaire de sociologie dans le cadre de l'université de Bucarest. En décembre 1929-janvier 1930 Margareta Sœrian a eu sa première exposition personnelle à Bucarest, où elle a exposé des paysages de la vie de campagne et un cycle de portraits « Les enfants de Dragus »38 . Calypso Botez, sans avoir participé aux recherches monographiques, a été membre fondateur de l'Institut social rou­main. Elle y a assuré une présence active avec les conférences (elle a soutenu les droits civils et politiques des femmes), par la direction de la Section féminine de l'Institut. Calypso Botez a été la voix féministe avisée sur le plan scientifique et théorique de la revue Arhiva pentru stiinta si reforma sociala39•

36. M. Dumitrescu, op. cit., p. 18. 37. Floria Capsali, « Jocurile clin comuna Fundul Moldovei (Bucovina) », Arhiva pentru stiinta si

reforma sociala, X' année, n° 1-4, 1932, p. 413-427. 38. « Margareta Scerian » in The YTVO Encyclopedia of jews in Eastern Europe, accessible en ligne

sur le site : htcp :/www.yivoencydopedia.org/arcide.aspx/Scerian_Margareta. 39. Voir « Proces-Verbal [al adunarii constitutive a] lnsticucul[ui] social românesc » in « Buletinul

Asociatiei pencru Srudiul si Reforma Sociala », Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, I" année, n° 4, janvier 1920, p. 865 ; « Sectia de studii feminine », Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, IV année, n° 3-4, 1927, p. 525-527 er les études : Bocez 1920, op. cit. ; Bocez 1923, op. cit. ; Calypso Bocez, « Orepcurile femeii în Consticutia viicoare » in Noua Constitutie a României. 23 de prelegeri publice organizate de imtitutu! Social Român, Bucarest, Tipogralia Culturala Nationala, 1923, p. 76-87.

125

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

Par conséquent, les vies professionnelles de ces femmes ont été, dans une certaine mesure, marquée par la participation aux activités du séminai re de so­ciologie et de l'Institut social roumain ; cependant ceci ne fut pas le moteur de leur existence ou le principal espace d'action et de profession de leur carrière. Chacune d'elles a eu d'autres zones d'action et d'intérêt où elles s'y sont impli­quées avec plus ou moins de succès ; les démarches sociologiques ont constitué des moments ponctuels - quoique importants pour quelques-unes - dans leur trajet professionnel.

La deuxième catégorie est celle des chercheuses sociales confirmées comme Veturia Manuila et Christina Galitzi. Au moment de leur entrée dans le groupe de ('École de Gusti, elles avaient déjà fini leurs études universitaires et doctorales en Roumanie et à l'étranger. Christina Galitzi (née en 1899) avait fa it des étu­des de doctorat aux États-Unis où elle avait collaboré avec des professeurs tels Samuel McCune Lindsay, R. E. Chaddock, A. A. Tenney, Robert Maclver, F. H. Giddings, H. P. Fairchild40

• En 1929, Galitzi a publié sa thèse de doctorat, A Study of Assimilation Among the Romanians of the United States, dans le cadre de la série « Studies in History, Economies and Public Law » de la maison d'édition Columbia University Press de New York. Elle y a réalisé une analyse sensible, dé­taillée et très documentée, sociologique et historique, de quelques communautés de Roumains sur le territoire des États-Unis41 • Au milieu des années 1930, elle a commencé à publier des études, articles, et comptes rendus dans les revues de l'École gustienne. Elle était membre de l'Institut social roumain et enseignait dans le cadre de ('Ecole supérieure d'assistance sociale de Bucarest. Ses publi­cations ont été dédiées notamment à la présentation de l' institutionnalisation , à l'organisation et au rôle des sciences sociales, à l'assistance sociale, au Service social et aux politiques d' intervention sociale des États-Unis, du Chili et de la Bulgarie. Galitzi a écrit sur les mentions de ('École sociologique de Bucarest dans des études américaines et a fait plusieurs propositions pour organiser une faculté de sciences sociales en Roumanie sur le modèle de celles des Etats-Unis42

Il est à remarquer que Galitzi était au courant et écrivait sur l'histoire de l'im-

40. Voir Sanda Golopentia, Emigrantii Carter, Bucarest, Ed. Paideia, 2008, p. 147; Christina Galitzi, « Sociologia americana si rolul ei în organizarea Statelor Unite », Sociologie româneasca, Ill' an née, n° 1-3, janvier-mars 1938, p. 56-61.

4 1. S. Golopentia, op. cit., p. 147. 42. Voir les articles : Christine Galitzi, « L'orientation nouvelle l'éducation américaine», Arhiva

pentru stiinta si reforma sociala, Xlll' année, n° 1-4, 1936, p. 172-179; Christina Galitzi, « Sugestii pentru organizarea unei facultati de stiinte sociale de tip american în România •>, Sociologie româ­neasca, III' année, n° 1-3, janvier-mars 1938, p. 4- 10 ; Christine Galitzi, « Sociologia americana si rolul ei în organizarea Statelor Unite »,Sociologie româneasca, Ill' année, n° 1-3, janvier-mars 1938, p. 55-6 1, Christine Gal itzi, « Serviciul Social în Chili », Sociologie româneasca, III' année, n° 1-3, janvier-mars 1938, p. 24-40, Christina Galitzi-Bratescu, « Plasa mode! economico-sociala clin Bul­garia », Sociologie româneasca, IV année, n° 7- 12, juillet-décembre, 1942, p. 611-612.

126

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique

plication des femmes et des associations de femmes de Roumanie dans le travail d'assistance et de protection sociales. Par exemple, dans un article paru dans la revue Asistenta sociala (L'Assistance sociale) et qui a constitué aussi le sujet de sa conférence tenue au Congrès international Féminin de Berlin en octobre 1941, Christina Galitzi (alias Bratescu) fait un bref historique des associations de femmes avec des activités d 'assistance et d'amélioration sociales; elle montre la prépondérance massive des initiatives privées de ces femmes et de ces organi­sations43. En 1938-1939, pendant la préparation du XIV Congrès international de sociologie qui devait avoir lieu à Bucarest au début du mois de septembre 1939, Christina Galitzi a travaillé comme secrétaire du comité d'organisation de !' événement44 .

Veturia Manuila (1896-1986), quant à elle, a suivi des études universitaires à Cluj (licence en sciences), Budapest (médecine), Baltimore (assistance sociale à l'université John Hopkins) et a fait des stages de spécialisation à Paris, Londres, Berlin, Bruxelles, Dresde, Vienne45. En 1929, Manuila a eu un rôle important dans la création de !'École supérieure d'assistance sociale, en collaboration avec !'Association chrétienne des femmes roumaines, la Faculté de philosophie et des lettres de l'Université de Bucarest et l'Institut social roumain. Elle a été la direc­trice de !'École pendant les cinq années qui ont suivi sa création46. Elle a participé de temps en temps aux campa_gnes monographiques. Mais beaucoup parmi les étudiantes et enseignantes de !'Ecole supérieure d'assistance sociale ont été actives et ont contribué d'une façon significative aux recherches monographiques sur le terrain. Manuila a publié beaucoup d'études et d'articles, surtout sur l'organisation de l'assistance sociale en Roumanie, des recherches sur divers problèmes sociaux, spécifiques surtout au milieu urbain, des propositions d'organisation du système pénitencier et de rééducation des mineurs, etc. dans les revues Sociologie româ­neasca (Sociologie roumaine), Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, et davantage dans les revues Asistenta sociala, dont elle a été la directrice, et Revista de igiena sociala (La Revue d'hygiène sociale). I..:approche des divers phénomènes sociaux que traite Manuila est influencée d'une manière évidente par l'hygiène sociale et l'eugé­nisme, sous les formes introduites et professées par luliu Moldovan47. Ainsi, dans

43. Dr. Christina Bratescu, « Contributia femeii române la desvolrarea personalului tehnic în cadrul Asistentei Sociale si al Ocrotirei >>, Asistenta sociala. Buletinul Asociatiei pentru progresul asis­tentei sociale, XI' année, n° 1, 1943( ?), p. 44-49.

44. Voir Stahl 1981, op. cit., p. 370 et voir l'article de Zoltan Rostâs, « Lhistoire d'un congrès » dans ce numéro.

45. Stefan Cosrea (coord.}, Sociologi români. Mica enciclopedie, Bucarest, Ed. Expert, 200 I, p. 308. 46. Veturia Manuila, «Le rôle de !'École supérieure d'assistance sociale dans le mouvement d'as­

sistance sociale roumaine » in L'Assistance sociale en Roumanie, op. cit. , p. 7- 15. 47. Voir la mise en évidence de l'appartenance à !'École de Iuliu Moldovan in Manuila 1938, op.

cit., p. 7-10.

127

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

la conceptualisation des buts et de l'organisation de l'assistance et de la protection sociales, des activités de rééducation des groupes sociaux qu'elle considérait « dan­gereux », de la « défense de la population de la contamination et de l'influence de ces éléments disgéniques, antisociaux »48

, et des rôles des femmes dans la famille et la société, Manuila soutient des points de vue théoriques et méthodologiques et des politiques d'intervention où la race, le biologique et les nécessités de la nation occupent une place fondamentale. Cette orientation scientifique et idéologique de la directrice de !'École supérieure d'assistance sociale a profondément influencé le cursus académique, la formation des étudiantes et les résultats de leur travail de recherche et d'assistance sociale. Dans de nombreux articles publiés par Manuila et autres enseignantes et étudiantes de !'École d'assistance, la définition conservatrice du rôle traditionnel de la femme en tant que reproductrice et éducatrice de la na­tion est évidente.

Comme on peut le constater, Christina Galitzi et Veturia Manuila ont eu un parcours scientifique et professionnel dépendant seulement en partie de !'École sociologique de Bucarest. Elles ont acquis des connaissances théoriques et méthodologiques, ont obtenu des diplômes académiques et, ainsi, se sont formées comme femmes de sciences dans différentes universités de Roumanie et d'autres pays. Au retour dans le pays, l'Institut social roumain et le séminaire de sociologie de l'université de Bucarest ont constitué les points d'entrée dans la vie scientifique et professionnelle. Manuila a eu la possibilité de réaliser ce qu'elle souhaitait : elle est partie pour un stage en social work aux États-Unis avec une bourse Rockefeller, sur la recommandation de Iuliu Moldovan, pour poser les fondements institutionnels d'un système sanitaire qui comprenait aussi l'assis­tance sociale, conformément au projet de santé publique et à la doctrine bio­politique promus par Moldovan49 • De cette manière, l'intersection des intérêts de Manuila avec les besoins de !'École de sociologie de Bucarest a été heureuse parce que celle-ci souhaitait, d 'une part, étendre ses activités sur la zone urbaine, et d'autre part, diriger certaines collaboratrices vers une zone qui correspondait à leur formation scientifique. La création de !'École supérieure d'assistance so­ciale doit être comprise aussi comme une opportunité professionnelle offerte aux femmes mais aussi à quelques hommes (Henri H. Stahl, Mircea Vulcanescu, Sabin Manuila, Emanuil Bucura, etc. ont enseigné dans cette école à un certain moment) par !'École sociologique de Bucarest. Cependant, on ne peut pas igno­rer que le seul espace académique où les femmes membres de !'École gustienne ont acquis des positions professionnelles fut cette École, définie comme zone scientifique et d'action spécifique « féminine », avec de façon évidente un pres-

48. V. Manuila, « Asistenta sociala ca factor de politica sociala », Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, XIV année, 1936, p. 962.

49. Manuila 1938, op. cit., p. 7-9.

128

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologjque

tige moindre par rapport à celui de la Faculté de philosophie et des lettres, par exemple.

La troisième catégorie de participantes aux activités gustiennes est la plus nombreuse. Elle est formée par les étudiantes qui suivaient des cours soit à la Faculté de philosophie et des lettres, soit à !'École supérieure d 'assistance sociale, ou dans d'autres institutions. La plupart fréquentaient les rencontres du sémi­naire de sociologie et ont participé en nombre toujours croissant aux campagnes de monographie sociologique, entre 1927 et 1936. Une liste - incomplète - de cette catégorie d'étudiantes comprend une quarantaine de noms50. Ces jeunes femmes étaient en période de formation scientifique et, donc, leur encadre­ment dans les recherches sur le terrain - surtout celles qui ont travaillé plusieurs années pour les monographies - a représenté un moment fort dans leur trajet éducatif et professionnel. Même si, peut-être, beaucoup d'entre elles n'ont pas eu d'aspirations scientifiques, il est certain, selon les études, entretiens et docu­ments consultés, que certaines (qui ont obtenu leur licence et le doctorat plus tard) avaient aussi bien des aspirations scientifiques que la formation théorique et méthodologique nécessaires pour les accomplir. Mais très peu d'entre elles y ont réussi et seulement partiellement. M ais très peu d'entre elles y ont réussi et seulement partiellement. Ainsi, Xenia Costa-Foru, Stefania Cristescu, Elisa­beta Constante, Lena Constante, Marcela Focsa, Paula Gusty, Natalia Raisky, Domnica Paun, Dochia loanovici, Maria Negreanu, M aria Darmanescu sont seulement quelques-unes des femmes qui sont entrées dans l'École sociologique de Bucarest comme étudiantes, qui ont pris part à la plupart des campagnes mo­nographiques, qui ont publié des études, mais qui n'ont pas bénéficié des mêmes opportunités de carrière et de la même reconnaissance que leurs collègues hom­mes51. Le parcours de certaines de ces femmes sociologues, les mécanismes et les stratégies d 'exclusion et/ou de détournement de leur travai l scientifique par leurs collaborateurs hommes seront traités ultérieurement.

Quelques-unes parmi ces chercheuses entrées comme étudiantes ont été encadrées dans !'École supérieure d'assistance sociale, tel le Xenia Costa-Foru

50. D. Alexandrescu, Aurelia Balaban, Ecaterina Botez, Ecaterina Burbea, Maria Calinet, Euge­nia Constantinescu, Xenia Costa-Foru , Elisabeta Constante, Lena Constante, Stefania C ristescu, ). Cristofovici, Maria Darmanescu, Marcela Focsa, F. Gafencu, Maria Gafton, Livia Gavat, El­vira Georgescu, Caliopi Ghinopol, Paula Gusty, Olga Hreniuc, Aurelia Ifrim, Dochia Ioanovici, V. Kletchin, Elena Largeanu, Filofteia Lepadatu, Rodica Lutia, Madaraz, Jana Manolescu, B. Micles­cu, Maria Negreanu, Orghidan, Domnica Paun, Maria Pisculungeanu, Stel iana Popescu, Simona Popescu, Natalia Raisky, Angela Radulescu, Eli za Retezeanu, Vio rica Sassu, N. Stamate, Eugenia Topacevschi (conformément aux listes fournis par Stahl 1936, op. cit.)

5 1. Citons Xenia Costa-Fo ru , Stefania Cristescu, Elisabeta Constante, Lena Constante, Marcela Focsa, Paula G usty, Natalia Raisky, Domnica Paun , Dochia Ioanovici, Maria Negreanu, Maria Dar­manescu .

129

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

(1902-1983) dont on peut dire qu'elle a acquis une position professionnelle de prestige et une reconnaissance maximale possible pour une membre de l'École gustienne : elle est devenue, en 1935, la directrice de cette institution52• X. Cos­ta-Foru est la chercheuse qui a connu la plus grande visibilité et reconnaissance dans le cadre de l'École gustienne. Le thème principal de sa recherche a été la famille, sur laquelle elle a publié deux études dans les revues gustiennes, plu­sieurs dans la revue Asistenta Sociala et autres publications ; ce thème fut aussi celui de son doctorat soutenu avec Dimitrie Gusti53 • Costa-Foru a participé aux campagnes monographiques à partir de 1927, avec celle de Nerej, où elle avait déjà commencé à s'occuper de la fam ille, de la vie et du travail des femmes, de l'éducation des enfants, etc. Il y avait d'autres étudiantes dans le groupe qui traitaient de ces questions, mais Costa-Foru s'était imposée très vite comme lea­der du groupe, au moins à Fundul Moldovei (1929). Ce rôle de Costa-Foru est mentionné plusieurs fois par l'un des plus proches collaborateurs du professeur Gusti:

Qui éraient, en fait, ces " ancêtres » qui assumaient la faute de la décision prise ? Dès Fundul Moldovei, ils avaient constitué un groupe de quelques « vétérans » des campagnes et qui avaient travaillé avec plus d'ardeur et avaient un plus d'expérien­ce et d'acharnement. Conformément à une pensée qui était devenue pour moi une « idée fixe », j'ai suggéré (bien sûr, par amusement) que non seulement les villages devalmase (ayant la propriété des terres en commun) peuvent " se fonder sur les an­cêtres », mais qu' il convient que les monographistes fassent de même. Après beau­coup de discussions, nous sommes tombés d'accord, en jouant, de nous organiser en des formes « marchant sur quatre ancêtres», ceux-ci étant Vwcanescu, O . C. Georgescu, Xenia Costa-Foru et moi-même. [ ... ] Chacun de nous avait à son tour un groupe de « descendants », « fils » et « petits-fils » dans l'ordre de leur arrivée dans le cadre des travaux monographiques, cout pouvant êue représenté comme un schéma de spite de neam (descendance généalogique), les quatre « ancêtres » étant considérés comme « frères »54 •

Plus loin, de la même façon, Henri H. Stahl insiste sur le rôle important joué par Costa-Foru non seulement dans le travail de recherche, mais aussi dans l'organisation et la coordination de la recherche de toute la problématique liée à la vie du village, de la famille, et, en général, de tout ce qui représente la vie so­ciale rurale du point de vue de femmes : « On peut considérer comme de forces

52. Voir Manuila, 1938, op. cit. , p. 1146-1162. 53. Voir les articles: Xenia Cosra-Foru et Henri H . Stahl, « Caracterul devalmas al fami liei ne­

rejene », Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, X' année, n° 1-4, 1932, p. 447-462 ; Xenia Costa­Foru, « Quelques aspects de la vie familiale en Roumanie », Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, XIII' année, 1936, p. 112-118 et le volume de Xenia Costa-Foru, Cercetarea monografica a familiei. Contributie metodologica, Bucarest, Fundatia Regele Mihai 1, 1945.

54. Stahl 1981, op. cit., p. 132.

130

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique

"personnalités" quelques-uns des monographistes, comme, par exemple, Costa­Foru autour de laquelle gravitaient tous ceux qui s'occupaient non seulement des questions concernant la "famille", mais toute la vie sociale du vi llage, vue du point de vue de la femme »55 • Le rôle important de Costa-Foru ressort aussi d'un cahier manuscrit, où on avait noté, sous forme de compte rendu, les discus­sions qui ont eu lieu lors des rencontres des coordinateurs/trices des équipes qui travaillaient sur diverses questions pendant la réalisation de la monographie de Runcu, tout au long de l'été 193056 • Il y a deux aspects remarquables dans cette organisation informelle des groupes de travail dans le cadre élargi des recherches sociologiques de terrain.

Le premier est lié au caractère privé de ces constats « hiérarchiques » dans le cadre des études monographiques. Stahl ne parle de l' importance de Costa-Foru qu' il considère égale aux trois autres membres marquants de l'école gustienne - Mircea Vulcanescu, D. C. Georgescu et lui-même - que dans des publications à caractère relativement privé, les mémoires et les interviews de l'histoire orale. Le deuxième aspect est la présentation discursive dans un registre ludique de cette reconnaissance de l'importance et de la contribution dans la recherche et l'organisation du travail de terrain par Costa-Foru. Stahl insiste sur la dimension de « jeu », même si pour lui « la réalité » tant de l'utilité du système d'organi­sation du travail de recherche, que de la contribution importante des quatre coordinateurs est évidente: « C'était, bien sûr, un jeu amusant, mais en même temps un système d'organiser le travail et d"'apprentissage" fait par chacun des "ancêtres" avec leur apprentis57• » Si, dans le cas des autres « ancêtres », la recon­naissance de leur importance dans l'économie de la recherche monographique et, plus largement, dans la production de savoir sociologique, s'est réalisée par beaucoup de voies dans l'espace académique et dans les démarches publiques de mise en évidence et « propagande » scientifique du système de recherche mono­graphique, sans avoir besoin du soutien de Stahl, dans le cas de Costa-Foru, qui ne bénéficiait nullement de la même reconnaissance sur son apport scientifique et logistique, les mots de Stahl peuvent être interprétés comme une modalité de diminuer son rôle, ses commentaires valorisants étant faits dans un registre privé et ludique. Cette limi tation de la visibilité et de la reconnaissance de ses mérites et même l'appropriation des apports de Costa-Foru par des membres hommes des campagnes de recherche est soutenue aussi par d'autres occultations de son travail.

55. Ibid., p. 142. 56. DANIC (direction des Archives nationales historiques centrales), fond 697 - Fundatiile

Culturale Regale Cenrrala (Fondations culturelles royales), dossier 19/ 1923, « Monogralia satului Runcu din judetul Gorj », par exemple ff. 82-88.

57. Stahl 198 1, op. cit., p. 132.

131

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

Le fait est que Stahl soutient, à maintes reprises, l'idée que c'était lui qui l'avai t dirigée vers le thème de la famille, dont personne ne s'occupait, et surtout parce que « cela convient mieux à une sociologue qu'à un sociologue »58

. Cela n'a pas empêché néanmoins Alexandru Claudian, en 1929, de donner une confé­rence dans le cadre de l'Institut social roumain sur le sujet « La question du so­cial et de la famille dans la recherche monographique », malgré le fait que c'était Costa-Foru qui avait étudié la famille et avait coordonné le groupe de recherche sur ce thème tant à Nerej qu'à Fundul Moldovei. Claudian n'avait participé qu'à Fundul Moldovei et son domaine de spécialisation et d'intérêt scientifique n'était point la sociologie de la famille. Stahl lui-même n'a pas été retenu par le fait que le thème « est propre à une sociologue » de signer avec Cosca-Foru un article sur la famille de Nerej 59•

Par ailleurs, on peut remarquer le fait que le travail de Costa-Peru est marginalisé dans les histoires de la sociologie chez des auteurs comme Traian Herseni, Ovidiu Badina ou Marin Diaconu, pour qui les acteurs de !'École gus­tienne sont exclusivement des hommes. Ce silence sur certaines contributions de chercheuses dans l'histoire de la discipline, et en particulier sur Costa-Foru, peut exprimer l'existence du phénomène identifié par l'historienne américaine Rossi­ter sous l'appellation de I'« effet Matilda » déjà cité.

En même temps, les activités de recherche des femmes dans !'École gus­tienne montrent l'importance de leur participation, même si elles doivent être recherchées ailleurs que dans les publications officielles de )'École ec autrement que par les positions professionnelles occupées par ses membres hommes ec femmes. Il esc possible que l'une des plus importantes dimensions ec résulcats de l'implicacion des femmes soit justement le mécanisme qui a marginalisé leur plus grande majorité: le placement dans l'accention scientifique des zones de la vie sociale considérés jusqu'alors « naturelles », donc inchangeables ec ne méritant pas d'être exploré, comme la famille, le ménage, la vie ec les travails des femmes, l'éducation des enfants. Même si ces zones, par un processus d'association aux femmes ec d'investigation faite notamment par celles-ci, one occupé une place relativement périphérique dans l'économie de la discipline, le fair d'avoir quand même écé incluses dans le système théorique ec dans les démarches de recherche sociologique sur le terrain, avec des outils scientifiques, représente un mérite des femmes au moins dans la même mesure où !'on attribue à Gusci le mérite de les avoir intégrées dans sa vision sur la vie sociale.

Elisabeta Constante (1906-1979) a été à son tour travaillé dans le cadre de )'Ecole supérieure d'assistance sociale, mais à un poste subalcerne, comme secré-

58. lnrerview avec Henri . H . Scahl in Rosc:is 2000, op. cit., p. 245-246. 59. Xenia C. Cosca-Foru ec Henri H. Scahl, « Caraccerul devalmas al familiei nerejene », Arhiva

pentru stiinta si reforma sociala, x· année, 11°1-4/ 1932, p. 447-462.

132

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans La recherche socioLogi.que

taire de cette institution pendant presque deux décennies. Des déclarations de Lena Constante ressort l' idée que la position administrative que sa sœur occupait ne correspondait pas à son aspiration professionnelle et qu'Elisabeta Constante l'avait acceptée seulement pour avoir un emploi rémunéré alors que sa formation et ses aspirations scientifiques dépassaient la sphère de son travail de secrétaire :

Les derniers temps, ma sœur a trouvé un emploi de secrétaire à la nouvelle École d'assistance sociale qu'on avait créée et donc la directrice étai t Mme Manuila. Lizi [Elisabera Constante] avait été recommandée par Gusri. Elle a travaillé comme secrétaire pendant longtemps, bien qu'elle air obtenu entre temps sa licence et son diplôme. Mais elle n'a réussi à devenir professeure qu'en 1947 ! Malgré les nombreuses promesses faites par Mme Manuila qui avait plus besoin d'elle comme secrétaire parce qu'elle s'occupait aussi du foyer et de la cantine. Aujourd'hui ma sœur est maître de conférences à l'Un iversité60

.

Beaucoup d'autres chercheuses ont travaillé un certain temps, au début de leur carrière, dans le cadre de l'Institut de statistiques, sur le traitement des données du recensement, comme simples « calculatrices » (cette occupation de computers identifiée aussi dans les études sur l' implication des femmes dans les sciences aux États-Unis au début du siècle passé). Cependant, la plupart sont finalement arrivées à travailler comme professeures au lycée, dans différentes vi l­les, telle Stefania Cristescu, Paula Gusry, Maria Darmanescu, Elvira Georgescu, Maria Negreanu. Cette dernière a été aussi la secrétaire du foyer « Spiru Haret », mais ce qui est intéressant de noter c'est qu'elle a fait un doctorat en histoire avec Nicolae Iorga, l'a publié, mais n'a pas pu pénétrer le système universitaire ni en sociologie, ni en histoire. Henri H. Stahl raconte à Zoltfo Rostas qu'i l avait donné à Elvira Georgescu et à Maria Negreanu « un très bon thème », celui d 'étudier les habitudes locales de Nerej par rapport au Règlement organique, mais « elles n'ont absolument rien fait».« Quelques fiches sont restées» de Ne­greanu, « qu'elle avait faites sur le Règlement organique», mais « cela ne m'inté­ressait pas; j'avais le Règlement organique en original, je n'ava is pas besoin de ses fiches »61 • Il est évident que ce que Stahl avait « donné » à travailler aux deux étudiantes n'était pas exactement ce qu'elles souhaitaient comme sujet de recher­che, et, surtout, n'était pas utile dans la réalisation de leurs propres études, mais c'était une documentation utile pour Stahl.

Les aspirations scientifiques et professionnelles des jeunes chercheuses en formation et le rejet de certaines d 'entre elles dans un rôle inférieur ressortent aussi bien de leur témoignage sur leurs participations aux monographies, que

60. Archives du Conseil nacional pour l'écude des archives de la sécurité (ACNSAS) , fond pénal, dossier P218 (enquête Pacrascanu Lucreciu), vol. 64, déclaration de Lena Constance (manuscrit, non dacé, probablemenc janvier 1950), f. 13.

61. lncerview avec Henri H. Scahl in Roscas 2000, op. cit., p. 247.

133

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

dans les observations de quelques chercheurs - même si ces aspirations sont circonscrites et comprises d 'une manière radicalement différente par les femmes par rapport à leurs collègues hommes. Ainsi, dans la conversation avec Rastas, celui-ci, entendant Stahl sur le fait que les étudiantes n'ont rien « donné» de ce qu'il leur avait demandé, lui pose la question si elles ne s'étaient pas impliquées parce qu'elles considéraient la recherche monographique comme une distraction. Le professeur Stahl nie cette hypothèse et soul igne la présence de certai nes « am­bitions » chez la plupart des participantes. De plus, Stahl considère comme des « échecs » celles qui ont refusé les thèmes et les rôles proposés par lui , et justifie ainsi leur « fuite » de la recherche sociologique - décision , à son avis, adéquate pour les femmes - par le fait que, de toute manière, elles se préparaient pour devenir professeures de lycée :

Ce n'était pas vraiment une excursion, la vie était assez dure là-bas. [ ... ] Pour elles auss i. Et pourtant, elles avaient de l'ambition, elles voulaient fa ire quelque chose. Et on leur donnait des choses à fa ire. On pouvait les utiliser à faire certains recensements, certains travaux de routine. Mais, ce sont des échecs, car perso nne n'a eu une vision. Il est tellement difficile que les gens soient créateurs dans le do­maine des sciences sociales ! Ce n'est pas pour n'importe qui. Beaucoup essaient, mais ils ne réussissent pas. La plupart qui avaient quelque chose dans la tête se sont évadées de la sociologie vers autre chose. Ensuite, la plupart d'entre elles se sont préparées à devenir professeures de lycée. [ ... ] Et sont devenues de très bonnes professeures. Miti Darmanescu, dont je parlais tout à l'heure, a été, paraît-il, une très bonne enseignante. Elvira Georgescu pareil , selon ce que j'ai appris, a été une bonne enseignante. Elle savait, elle avait appris tant de sociologie qu'elle pouvait enseigner très bien au lycée. C'est tout62

.

Il n'est donc pas étonnant que les deux étudiantes« n'aient point travaillé » et que Stahl ait été mécontent de leur service: il est fort possible qu'elles aient compris la manipulation dont elles éta ient l'instrument et se soient alors dirigées vers d 'autres champs scientifiques et professionnels qui leur donnent partielle­ment satisfaction : Negreanu fait un doctorat en histoire, Georgescu se dirige vers l'enseignement au lycée. Ce n'est qu'un exemple de compréhension du tra­vail des femmes dans la recherche sociologique sur le terrain, des « conseils »

que les chercheurs hommes qui dirigeaient les monographies offraient à leurs collègues femmes , du refus de certaines étudiantes qu'on exploite leur travai l et de l'interprétation de ces refus par l' un des coordinateurs des recherches. Lexem­ple ne doit pas être compris comme une question privée, comme une malchance individuelle des deux étudiantes, ou comme une tendance individuelle à l'ex­ploitation du travail des autres par Stahl. Il s'agit de la constellation de rôles et d'idées sur le genre, donc des significations sociales et politiques des différences

62. Ibid., p. 249.

134

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique

entre femmes et hommes, qui offraient des modèles de valeurs et des opportuni­tés inégales aux chercheuses et aux chercheurs et qui permettaient l'utilisation du travail des femmes au bénéfice des hommes et de leur évo lution scientifique.

Stratégies d'exclusion des chercheuses et de détournement de leur travail

Deux cas illustrent de manière différente la dynamique du genre dans la science et soutient l'hypothèse de l'exclusion des chercheuses et de l'appropria­tion de leur travail pour faire avancer la carrière des chercheurs. Le premier cas représente peut-être le refus le plus injuste qu'on ait adressé à une chercheuse de l'Ecole gustien ne qui a essayé plusieurs fo is de travailler à côté de ses collègues hom mes pendant la rédactio n finale des thèmes pour lesquels elle avait recueilli du matériel et s'y était spécialisée. Stefania Cristescu (1908- 1978) a publié des études, articles et comptes rendus dans les revues Arhiva pentru stiinta si reforma sociala, et Sociologie româneasca63 et un volume sur les travaux ménagers dans les croyances et rites magiques des femmes de Dragus64

Elle est la chercheuse qui a le plus publié dans les revues de l'École gus­tienne parmi les participantes aux campagnes monograp hiques jusqu'en 1940. Cristescu a eu sa licence en philosophie et en philologie moderne en 1930, en­suite elle a fait des études docrorales en sociologie et philologie à l'université de Bucarest entre 1930-1936. De 1932 à 1934 elle a eu une bourse à Paris, où el le a fait des études de linguistique, ethnographie et sociologie avec C. Bouglé, J. Ven­dryès, M. Cohen, M. Mauss, P. Rivet, R. Maunier, J. Marx, etc.65 et a obtenu un diplôme avec la mention « très bien » accordée par l'Institut d 'ethnologie de la

63. Voir les articles : Stefania Cristescu, « Praccica magica a descâncacului de "scrâns" în sacul Cor­nova », Arhiva pentru stiinta si reforma social.a, X' année, n° 1-4, 1932, p. 371-380; Scefania Cris­cesco, « L'agent magique dans le village de Cornova (Bessarabie)», Arhiva pentru stiinta si reforma social.a, Xl 11' année, 1936, p. 119-137 ; Stefania Cristescu, « Frecvenca formulei magice în sa cul Cornova », Socio!ogia româneasca, I" année, n° 4, avri l 1936, p. 11 -18 ; Scefania Criscescu, " Ches­cionarul pencru scudiul credincelor, praccicelor si agencilor magici în sacul românesc », Socio!ogia româneasca, ]" année, n° 4, avril 1936, p. 36-38, Scefania Criscescu, « Cum descânca «de încors» Ana Danila din sacul Sane », Socioiogia româneasca, i " année, mai 1936, p. 36-39; Stefania Cris­tescu, « Dialecrologia geografica, morfologia culturala si stiinca neamului în Germania », Socioiogia româneasca, i " année, n° 6, juin 1936, p. 28-33 ; Scefania Criscescu, " Primul congres international de folclor », Sociologia româneasca, III' année, n° 7-9, juillet-septembre 1938, p. 383-388.

64. Stefania Cristescu-Golopencia, Gospodaria în credinteie si riturile magice aie femeiior din Dra­gus (Fagaras), Bucarest, lnstitucul de stiinte Sociale al României, 1940 .

65 . Voir les lemes de Scefania Criscescu envoyées à Ancon Golopencia encre le 27 novembre 1932 et le 21 juillet 1934, reproduite dans Anton Golopencia, Rapsodia epistol.ara. Scrisori primite si tri­mise de Anton Goiopentia (1932-1950), vol. II (édition due à Sanda Golopencia ec Ruxandra Guru Pelazza) , Bucuresc, Ed . Enciclopedica, 2010, p. 76-266.

135

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

Sorbonne66• Cristescu a éré l'une des plus assidues à paniciper aux campagnes monographiques, présence à wures, à commencer par celle de Dragus, en 1929. Son incérêr principal ponair sur les prariques magiques, surwur celles des fem­mes, la majoriré de ses publicarions éranc des descriprions er analyses de celles-ci, dans une perspecrive complexe, qui combine les élémencs rhéoriques er mérho­dologiques de la sociologie, de l'erhnologie er de la linguisrique.

Apparemmenc, les mérites er les qualirés de chercheuse de Cristescu one éré reconnues, d 'après plusieurs commenraires de ses collègues monographistes hom­mes incerviewés par Zohan Romis. Par exemple, Henri H. Srahl la considérair « rrès habile dans son mérier », « une erhnographe minurieuse, rrès appliquée » er remarquair le fair qu'« elle a bien rravaillé er a publié des choses rrès incéres­sances ». Mais, en même temps, à ces qualirés liées à l'habiliré, à la minurie er au labeur, on ajoute la dimension de « sagesse » - « c'érair une fille sage ,,67 - ; une combinaison rypique de caracrérisriques qui s'encadre dans les normes er rôles rradirionnels du genre er qui moncre quel émir le modèle accepré er valorisé par la sociéré en général er par la communauré sciencifique en paniculier. Cer aspecr esr souligné en comparaison, par les commenraires fairs par Srahl concernanc Lena Consrante, par exemple, qui ne cadrair pas avec les auentes du genre impo­sées. Ainsi, dans le cas de Consrance, Srahl souligne le caracrère « venimeux » de celle-ci er sa« mauvaise langue »68 , parce que, par son tempéramenc indépendanc, voloncaire er relarivemenc auwriraire, elle avair concesré les rôles prescrirs, ce qui a eu pour conséquence qu'elle en fur « pénalisée » par le groupe gusrien.

Malgré la reconnaissance de son rravail, Cristescu a eu un parcours scienci­fique où les momencs d ' inclusion dans le groupe des privilégiés one alterné avec les momencs d'exclusion où un groupe de chercheurs ambirionnanc l'ascension professionnelle a essayé de l'évincer du processus de rédacrion, wur en urilisanc son marériel er la rhémarique sur laquelle elle avair rravaillé. Les documencs disponibles sur le cas de Cristescu fournissenc la possibiliré d'une informarion déraillée sur les mécanismes er srrarégies d'exclusion des femmes er de déwurne­menc de leur rravail, ce qui mériterair une émde à pan. Ici, on illusrre seulemenc, avec l'appui de quelques excrairs de lercres, une des tencarives de mise à l'écan de Cristescu du groupe qui s'occupair de la rédacrion du rhème « spirimel » er sa perceprion de ce phénomène.

Il esr imponanc de souligner que, dans sa correspondance, Cristescu ne paraîr pas percevoir les tencacives d'élimination de la pan de ses collègues dans

66. Voir la reproducrion du diplôme de Sanda Galopenria , « Cuvânr înainre » in Srefania Crisres­cu-Golopenria, Gospodaria în credintele si riturile magice ale Jemeilor din Dragus (Fagaras), Bucaresr, Paideia, 2002, p. 6-7.

67. Inrerview avec Henri H . Srahl in Rosras 2000, op. cit., p. 303. 68. Ibid., p. 270.

136

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique

une perspective de relations de pouvoir et autorité encre femmes et hommes et des inégal ités de genre, ou, plutôt, elle les interprète sous un angle personnel, ou, cout au plus, comme un reflet des relations de pouvoir entre les groupes « concurrents » dans !'École. Ainsi, cette correspondance relève en général d'une construction identitaire qui n'est pas imprégnée par la conscience des différences de genre. Même si Cristescu se perçoit et définit ses rôles sociaux et personnels différemment de Golopentia, elle poursuit, au moins pendant les années 1929-1935, une carrière scientifique. Pas forcément par ambition mais parce qu'elle estime que son travail de recherche a de la valeur. Par ailleurs, elle est consciente de l'injustice dont elle est victime et refuse d'accepter l'exclusion, insistant pour rédiger son propre rapport, au risque de doubler les textes du groupe qui sou­haite reprendre cout le thème du « spirituel ». Dans la lettre du 19 août 1933, envoyée à Golopentia lors de la campagne de rédaction qui avait lieu à Fagaras, Cristescu décrit largement le conflit avec le groupe qui voulait assumer la rédac­tion du thème sur lequel elle avait déjà longtemps travaillé et recueilli des don­nées, que ses collègues voulaient maintenant utiliser pour leurs propres textes :

J'ai construit mon dossier depuis l'année passée, à partir du dernier plan du Spirituel proposé par 1. Ionica, à Cornova. Par conséquent, j'ai travaillé de celle sorte que je n'entre pas dans le domaine des coutumes ayant des nuances de source religieuse, qu'étudiait Bernea. Celui-ci ne veut travailler cette année qu'avec Ionica et Iosif. Ionica devrait rédiger les représentations magico-religieuses, et Bernea les pratiques magico-religieuses. Donc, une moitié de mon dossier devrait passer à l' un et la deuxième à l'autre. Bernea est arrivé ce marin ici, et a pris, probablement, la liste de mes informateurs pour recueillir encore une fois mes données. C'est ce qu' il die, du moins, parce qu'il ne montre rien69•

Cristescu explique à Golopentia l'injustice de la situation dans laquelle elle se trouve, qu'elle caractérise comme « injuste pour moi », puisqu'elle ava it travaillé conformément au plan initial, selon lequel elle devait collaborer avec les autres et rédiger la partie liée aux « représentations et pratiques magiques ». Les réactions de Cristescu sont contradictoires, chose dont elle est consciente. Initialement elle a voulu quitter la campagne de rédaction, mais tant l'injustice de son exclusion et de l'utilisation de son matériel par le groupe de collègues que l'importance qu'elle accordait aux recherches monographiques la déterminent à rester et à trouver une solution. Elle aurait accepté néanmoins, selon ses dires, la rédaction en collaboration, mais « Bernea a nettement refusé toute collaboration, soutenant qu'on rédige mieux cout seul (bien qu'ils le fassent à deux ou trois), et disant que c'est son premier ouvrage scientifique sérieux ».

Ainsi, elle met en évidence les ambitions professionnelles de son collègue et, plus loin , note l'opportun isme de ce dernier et sa tentative de l'éliminer

69. Golopencia 20 l 0, op. cit., p. 176.

137

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

pour profiter tout seul d'un sujet att rayanc: « Bernea trouve que c'est un joli thème et que c'est à lui de le rédiger. Il m'a dit d ' un ton élevé que je dois tra­vailler au folklore ou à la linguistique ». Cette deuxième possibilité est prise en compte, mais la chercheuse ne croie pas pouvoir amasser un nouveau matériel, pour un autre thème : « Commencer da capo, seule et énervée comme je le suis, un travail sur le terrain - je ne peux pas. Pour moi recueillir des données est une chose plus grave et plus sérieuse qu'une rédaction . » Cristescu prend en considération aussi d'élaborer son propre texte, même si elle allait doubler le travail de ses collègues, cependanc elle crainc que ce soie inutile: « Il me semble que je vais rédiger pour rien et que la monographie publiera les textes de Ber­nea et Ionica ».

Sa conclusion est qu'elle est « dans un grand embarras » et qu'« écanc privée de pouvoir traiter dans cette monographie mon sujet, sur lequel j'ai travaillé et qui m'incéresse, il me reste seulemenc à rédiger le même sujet sur le matériel de Cornova, pour que celui de Dragus ne risque pas d'être utilisé deux fois70

• » Ce qui va se passer d'ailleurs, parce que dans les publications des revues de !'École gustienne ne figure aucune étude signée par Criscescu qui traite des pratiques magiques de Dragus. Cet exemple - un des nombreux qui existent dans la riche correspondance publ iée par Sanda Golopencia - illustre l'hypothèse de l'éviction des chercheuses et de l'ucilisacion de leur travail monographique par certains de leurs collègues hommes.

Cristescu n'a cependanc pas renoncé à ses aspirations sciencifiques - au moins pas définitivemenc. Mais, en 1935, démoralisée par l'atmosphère conflic­tuelle provoquée par les am bitions professionnelles de certains des monogra­phistes hommes, elle passe son concours d'enseignement pour occuper un poste dans l'enseignement secondaire. En même temps, elle travaille à plusieurs articles et est la bibliothécaire du séminaire de sociologie, éthique et politique de l'université de Bucarest, pour pouvoir subvenir à ses besoins. Cependant, en 1936, elle accepte un poste de professeure dans un lycée de Caransebes, où elle va passer deux ans, jusqu'au moment où elle est rappelée pour collaborer à la rédaction d 'une série d 'études qui devaient être publiées lors du XIV Congrès incernational de sociologie, qui devait avoir lieu à Bucarest, en 1939. À partir de l'automne 1938, elle travaille à la Fondation culturelle royale prince Charles, comme professeure détachée de l'enseignement secondaire, et va occuper, au printemps 1939, la position de directrice de la recherche pour les manifestations spirituelles, à la direction de la Recherche de l'Institut de recherches sociales de Roumanie.

Le parcours professionnel et sciencifique de Cristescu illustre, d'une parc, les mécanismes d 'éloignement des chercheuses concurrences et les stratégies

70. Ibid. , p. 176-179.

138

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologi.que

pratiquées par leurs collègues hommes d'utiliser le travail des femmes pour ac­quérir de la reconnaissance et du prestige et, d 'autre pan, les démarches actives et répétées ainsi que les aspirations scientifiques de certaines chercheuses pour pouvoir travailler et être incluses dans les groupes de rédaction et valorisation de leur recherches.

Une tout autre façon d'utiliser le travail des femmes a pour exemple le travail de «secrétariat » scientifique bénévole offert par Paula Gusty au bé­néfice de son mari, Traian Herseni. Paula Gusty (1907-2005) a participé aux campagnes monographiques à partir de celle de 1929, à Dragus, et a publié très peu7 1

• Dans les recherches sur le terrain, elle a fait partie de l'équipe d'ans plastiques, ensuite elle s'est occupée des arts ménagers, c'est-à-dire des travaux des femmes. Puis, elle a trava illé comme professeure de lycée, d 'abord à Ploies­ti, ensuite à Bucarest72

• En 1932 Paula Gusry s'est mariée à Traian Herseni et, selon ses dires, elle a commencé « à taper à la machine » pour son mari , quel­ques mois après son mariage : «La première chose a été d 'acheter une machine à écrire, et je tapais les anicles73• » Interrogée par Z. Rostas sur la spécificité des recherches de Sant, en comparaison avec les autres monograph ies, surtout concernant son travail de recherche, Gusty répond: « Non, je n'ai pas été dans l'équipe de Sant. - Vous avez été seulement en visite? - J'ai été en tant que dac­tylographe de mon mari. - Vous y avez travaillé comme dactylo ? Oui, ou i. Il fallait une ... 74• »

Les paroles de Gusty ne révèlent pas qu'elle se soit opposée à ce type d'ex­ploitation, mais il est certain qu'elle était au couranr des réactions et opinions de ses amies proches, parmi lesquelles se trouvait aussi Marcela Focsa qui ex­primait hautement sa désapprobation. Par exemple, dans les discussions avec Rostas, Focsa rappelle plusieurs fois le fait« qu'elles étaient très furieuses contre lui , parce qu'il gardait Paula cachée», qu'elle était« sa secrétaire, sa dactylogra­phe, travaillant toute la journée pour lui », que Herseni « l'a fait travailler dur, la pauvre Paula » 75 , et qu' il « l'a totalement utilisée pour ses travaux ,/6 • Focsa est non seulement extrêmement critique devanr l'uti lisation de son amie par son mari, mais elle est aussi consciente de la relation de pouvoir et de domi-

7 1. Paula Herseni, « Plan de cercetare a industriei casnice » in D. Gusti et T. Herseni {di r.), ln­drumari pentru monografiile sociologice, Bucarest, Biblioteca lnsticucului Social Român, 1940 {réédi­té à Bucarest, Ed. Universitatii clin Bucuresti, 2002), p. 183- 194. Voir aussi la présentation de Paula Guscy, dans le cadre des communiqués de l'Institut social roumain du 13 avri l 1932, « L'industrie ménagère » (Stahl 1936, op. cit., p. 1160).

72. Interview avec Marcela Focsa in Rost:is 2003, op. cit., p. 187. 73. Interview avec Paula (G usty) Herseni in Ibid. , p. 215. 74. Ibid., p. 216 (Paula G usty ne finit pas cette explication). 75. Interview avec Marcela Focsa in ibid. , p. 137-138. 76. Ibid., p. 187.

139

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

nation, d'une part, et de soumission, de l'autre, caractéristique dans ce couple. De plus, elle considérait que Herseni n'avait pas choisi Gusty par hasard, pour qu'elle devienne sa femme et sa dactylographe; il avait eu l'intuition de ses qualités, de son caractère « docile », « soumis » et de la possibilité qu'elle le «serve » :

Er combien il l'a courtisé ... Il éraie extraordinaire, il avait un rel inscincc de conservation. De coures les filles qui écaienr là-bas, Paula éraie la plus ... non pas docile, à vrai dire, mais la plus féminine. C'est-à-dire ce genre de femme qui est prête à servir, à aider, à suivre, comme les prêtres le disenr, son mari jusqu'à la mort. Er il l'avait découverte, c'est sur elle que sonr tombés ses yeux, et il ne l'a pas lâchée jusqu'à ce qu'elle devienne sa femme. Il a eu une celle persévérance, il venait me voir et me demandait de parler avec Paula, d'apprendre pourquoi elle ne voulait pas de lui ... Et Paula ne l'aimait pas, c'était comme cela. Eh bien, à la fin elle est tombée amoureuse de lui , et ils se sonr mariés. Er voilà, après qu'ils se soient ma­riés, eu ne saurais le croire ! Paula est devenue une espèce de secrétaire, elle tapait à la machine cous ses cexces, elle faisait cout ça, la "cuisine" de ses ouvrages, quoi. Il l'a employée totalement pour faire ses ouvrages.77

Ce dernier exemple montre l'existence d'un type de travail invisible fait par les femmes et qui ne peut être documenté que par des sources alternatives, comme l'histoire orale, la correspondance, les journaux personnels. Il ne se ré­duit pas, bien sûr, à la simple transcription des textes écrits par les hommes. Ceci implique, le plus souvent, une sorte d 'assistance de recherche, comprenant aussi l' investigation bibliographique, la vérification des données, la hiérarchisation des informations, la traduction, etc., comme cela ressort de la discussion de Zoltan Rosras avec Paula Gusty78 • Bien sûr, l'assistance dans la recherche est une prati­que généralement répandue, qui assure la possibilité et la fécondité de la produc­tion des connaissances. Mais, comme les études historiques et sociologiques l'ont montré, la participation des femmes aux entreprises scientifiques est génisée dans les deux formes de déroulement : officiellement ou non officiellement. Dans la situation où la participation est encadrée dans une structure organisée, c'est une occupation « féminisée» et, donc, sans prestige et offrant des opportunités très limités d 'avancer et d'être reconnue professionnellement. Mais les situations « non officielles », où les femmes font du volontariat, par définition non payé et complètement invisible, pour des amis ou des membres de la famille, constituent des situations d'exploitation et marquent les relatio ns de pouvoir et empreintes d ' inégalité entre les femmes et les hommes.

77. Ibid., p. 186- 187. 78. lmerview avec Paula (Gusty) Herseni in ibid, p. 214-215.

140

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Coopter et écarter. Les femmes dans la recherche sociologique

Conclusion

Au regard du genre, le projet sociétal de Gusti a été constitué, au cours des trois décennies de son activité, d'un ensemble plastique d'idées et d'arrange­ments. Les différentes organisations créées et/ou dirigées par Gusti ont inclus, dès le début, la participation des femmes. L'implication des étudiantes et des chercheuses dans les campagnes de monographie sociologique, la création de la section féminine dans le cadre de l'Institut social roumain, la participation des étudiantes aux équipes estudiantines volontaires et l'obligation de la prestation du travail social et culturel par les étudiantes ayant suivi des cours universitaires montrent l'existence d'un panel d'activités que les femmes pouvaient accomplir ou même devaient faire. Apparemment, on pourrait croi re que nous nous trou­vons devant une ouverture totale selon la théorie du gender, sans précédent dans l'histoire des provinces habitées par les Roumains et peut-être même dans l'his­toire européenne et nord-américaine.

Une étude du contexte social, culturel et économique de la fin du XIX< siè­cle et des premières décennies du siècle dernier, surcout sur un champ qui ne figure pas dans le discours historique dominant en Roumanie, met en évidence des informations qui relativisent les démarches de Gusti au profit des femmes. Elle démontre que certains aspects de la démarche de recherche gustienne et certaines activités de réforme et d'intervention sociale initiées et placées partiel­lement sous la direction de Gusci avaient déjà été pratiquées avant, à partir de la première décennie du XX< siècle, par des associations de femmes féministes. Il est possible que Gusci aie eu connaissance de leurs bues et des moyens proposés pour les atteindre, ainsi que de l'activité de ces associations pendant la période d'avant-guerre et de l'entre-deux-guerres. De plus, en considérant utiles certaines de ces activités, il est possible qu'il les ait intégrées dans son projet de réforme de la société à partir de sa connaissance scientifique par des moyens d'observation et d' interprétation directe et transdisciplinaire.

Ainsi, l'implication des femmes dans les recherches sociologiques qui se sont déroulées à partir de 1927 dans les villages de Roumanie devient explicable aussi par !'existence des recherches sociales antérieures, réalisées par les femmes, surcout sur des aspects comme la famille, le ménage, les vies et les travaux des femmes , l'éducation des enfants, les industries ménagères, l'arc populaire, etc. Il ne faut pas négliger non plus l'hypothèse de la constatation des difficultés et de l' inefficacité des chercheurs dans la collecte des informations de certains aspects de la vie sociale, ainsi que le besoin d'un grand nombre d'enquêteurs/ trices sociaux/ales pour recueillir les données sur le terrain, conformément au système théorique et méthodologique de Gusti, qui supposait une investigation complète de toutes les composantes de la vie sociale rurale. En même temps et,

141

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales

Theodora-Eliza Vacarescu

fair non moins imporcanc, les mocivacions sociales ec économiques, ainsi que les aspiracions personnelles ec sciencifiques des étudiantes et des chercheuses qui one parcicipé aux campagnes monographiques constituenc des arguments en faveur d'une incerprétation de l'implication des femmes comme agences actives dans le modelage de leur vie professionnelle ec des recherches déroulées.

Les études historiques ec sociologiques sur la parcicipation des femmes dans la science en général, et dans les sciences sociales en parciculier, ainsi que dans les accivicés réformistes à différencs moments historiques et selon des concextes géopolitiques, apporcenc de nouvelles perspectives ec nourrissenc des hypothèses sur les phénomènes apparemmenc paradoxaux d'inclusion ec d'exclusion des femmes dans la production du savoir sociologique et, ensuite, d'élimination de leurs contributions au sein de l'histoire de la discipline. Ainsi, peut-on y voir une combinaison de mécanismes institutionnels et disciplinaires, d'incérêts économi­ques et policiques, de besoins fonccionnels et sociaux et de stratégies individuel­les. Toute cette combinaison a produit, d'une parc, la coopcation des femmes dans la production du savoir et leur reconnaissance partielle, plutôt dans des contextes informels, et en même temps leur exclusion ou la minimisation de leur travail dans les concextes institutionnels et publics, et, d'autre part, le renvoi de la plu parc d'entre elles dans des domaines disciplinaires et professionnels définis comme « féminins » et considérés « adéquates pour les femmes » comme l'assis­tance sociale.

Létude de cercains domaines de la vie sociale, reis que la famille, le ménage, la vie et le travail des femmes par les chercheuses qui one parcicipé aux monogra­phies sociologiques de lencre-deux-guerres, n'est pas une nouveauté en soi. La nouveauté de !'École sociologique de Bucarest réside dans le fait que les femmes qui one étudié ces thémaciques faisaienc partie des structures de recherche re­connues. Elle tient aussi en l'inclusion de ces poincs dans un système théorique et méthodologique qui les légitime en autant de thèmes méritanc l'attencion et l'incérêt de la recherche sciencifique.

Theodora-Eliza VACARESCU

142

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lio S

HS

-

- 19

3.54

.110

.35

- 01

/02/

2016

21h

06. ©

Soc

iété

d'é

cono

mie

et d

e sc

ienc

e so

cial

es D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Biblio S

HS

- - 193.54.110.35 - 01/02/2016 21h06. © S

ociété d'économie et de science sociales