+ All Categories
Home > Documents > Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève...

Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève...

Date post: 19-Jun-2020
Category:
Upload: others
View: 0 times
Download: 0 times
Share this document with a friend
22
Extrait de la publication
Transcript
Page 1: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Extrait de la publication

Page 2: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Collection QA compact

Page 3: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Ève Paradis

Extrait de la publication

Page 4: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Du même auteur

Mon premier baiser (collectif), éd. FouLire, coll. Le trio rigolo, Québec, 2005.

Mon premier voyage (collectif), éd. FouLire, coll. Le trio rigolo, Québec, 2005.

Ma première folie (collectif), éd. FouLire, coll. Le trio rigolo, Québec, 2005.

Frissella ne se voit plus aller, éd. FouLire, coll. La joyeuse maison hantée, Québec, 2005.

Frissella frappe un mur, éd. FouLire, coll. La joyeuse maison hantée, Québec, 2004.

La Lecture du Diable, éd. Québec Amérique, coll. Bilbo, Montréal, 1994.

J’ai besoin de personne, éd. Québec Amérique, coll. Titan, Montréal, 1994.

Le Lac disparu, collectif, coll. Clip, éd. Québec Amérique, Montréal, 1992.

Le Choix d’Ève, éd. Québec Amérique, coll. Titan, Montréal, 1991.

«Moé pis Catou », dans « La Première fois» (tome 1), coll. Clip, éd. Québec Amérique, Montréal, 1991.

Le Secret d’Ève, roman, éd. Québec Amérique, coll. Titan, Montréal, 1990.

Extrait de la publication

Page 5: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Ève Paradisroman

Reynald Cantin

Q U É B E C A M É R I Q U E

Page 6: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada eirt sud ni’l ed tnemeppolevéd ua edia’d emmargorP ud esimertne’l rap

de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour .CEDOS noitseG – servil ed noitidé’l

Les Éditions Québec Amérique bénéficient du programme de subvention à tnemelagé tnenneit sellE .adanaC ud strA sed liesnoC ud elabolg

remercier la SODEC pour son appui financier.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Cantin, ReynaldÈve Paradis(Collection QA compact)ISBN 978-2-7644-0448-5 (Version imprimée)ISBN 978-2-7644-1410-1 (PDF)ISBN 978-2-7644-1767-6 (EPUB)I. Titre. PS8555.A554E94 2005 jC843’.54 C2005-941807-9PS9555.A554E94 2005

Québec Amérique329, rue de la Commune Ouest, 3e étage Montréal (Québec) Canada H2Y 2E1Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Dépôt légal : 3e trimestre 2005Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

Révision linguistique : Monique Thouin Mise en pages : André Vallée – Atelier typo JaneConception graphique : Isabelle LépineRéimpression : février 2008

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© 2005 Éditions Québec Amérique inc.www.quebec-amerique.com

Imprimé au Canada Extrait de la publication

Page 7: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

À toutes les jeunes filles du QuébecAux gars aussi

Et à toutes les personnes qui accompagnentAident à vivre

Et laissent vivre

Extrait de la publication

Page 8: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Extrait de la publication

Page 9: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Livre IJ’ai besoin de personne

Page 10: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Extrait de la publication

Page 11: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

La rentrée

Septembre 1985.

C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance se fit sentir. Il

n’y avait pourtant personne de l’autre côté pour s’opposer à son entrée... quoique le soleil reflété par les grandes vitres l’empêchât de bien voir.

Plus ou moins vêtus de la même façon, des essaims de jeunes affluaient du quartier autour et convergeaient en chahutant vers leur école commune. Par nuées, les filles et les gars, la plupart en jeans, passaient près d’Ève sans la voir. Et juste avant de pénétrer pour de bon dans le monde scolaire, comme pour se garder en vacanc-es encore quelques minutes, ils attardaient leur excitation dehors. Puis se dispersaient en traversant les six rectangles vitrés de l’ENTRÉE DES ÉTUDIANTS.

Tout près, un gars s’était mis à crier:— V’là Dany Beaumont... Dany! Dany! T’es-tu content de

r’com mencer l’école?— Parle-moé-z-en pas, tabarnac! Moé, j’t’avertis, c’t’année,

j’foire. Y a pas un prof qui va m’faire travailler, man!... Aïe! T’check’ la Blondeau! Y as-tu vu la paire?

Extrait de la publication

Page 12: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

— Laisse-la donc tranquille, Dany, t’es toujours après.— OK, on la suit jusqu’aux casiers, pis là on met l’feu dans ses

affaires? Come on! Let’s go! On va s’faire du fun.— T’es pété, Dany. Commence pas ton année d’même.— T’es rien qu’un chieux!Et déjà Dany s’éloignait, se confondant avec les autres groupes

qui arrivaient.Cependant, au milieu de toutes les couleurs banales, quelques

taches vives avaient surpris le regard d’Ève. Certaines filles, peu nombreuses en réalité, faisaient un drôle d’effet au milieu de tout ça. On aurait dit de grandes poupées. C’étaient les preppies.

Se tenant par petits groupes et ne suivant pas le mouvement général, elles portaient des costumes amples aux couleurs pâles, avec des rubans jusque dans les cheveux. Des cheveux bizarre ment coupés d’ailleurs, comme en balai, mais d’un seul côté, avec une mèche par-dessus l’oreille, l’autre étant dégagée par un vilain coup de rasoir.

Elles papotaient et frétillaient. Les tissus lançaient des flammèches. Les souvenirs d’été fusaient de toutes parts, par bribes, et se perdaient dans l’air. C’étaient des histoires avec des garçons.

Mais le regard d’Ève s’était attaché à une fille en particulier, qui se tenait un peu à l’écart. Et qui était plus grande. Plus belle aussi. Les yeux fermés, elle dansait sur place, subtilement, presque pas, comme si elle entendait un rythme intérieur. Absente aux papotages des autres, elle bougeait aussi les lèvres, comme si les paroles d’une chanson lui traversaient la tête.

Dans son imagination encore naïve, Ève se la représentait sous les réflecteurs. Comme une grande chanteuse.

Pendant ce temps, les jeunes continuaient à pénétrer dans la polyvalente, de plus en plus nombreux et à un rythme incroy-able.

Tête basse et le dos voûté, un sombre personnage dégingandé et solitaire passa, laissant derrière lui des effluves plutôt... personnels. Quand il ouvrit la porte de l’école, on entendit, tout à coup très forte, une musique entraînante. Ève put distinguer quelque chose comme

Extrait de la publication

Page 13: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Somehow I made it through... avant que la porte se referme et assour-disse le rythme de la chanson.

Des cris terriblement aigus se firent alors entendre: «Madonna!!! Madonna!!!»... et le paquet de preppies s’engouffra dans l’ouverture d’une seule porte. Les tissus et les rubans firent un bouquet de fleurs lumineuses avalées par la bâtisse. On put encore entendre... touched for the very first time... et, derrière les portes, des reflets excités se dandinèrent et disparurent dans le noir profond de la polyvalente.

La grande fille les avait suivies, un peu en arrière.Elle ne s’appelait pas Madonna. Ça, Ève le savait.En réalité, elle s’appelait Marie Bouliane... Marie... comme sa

mère.

Ève sursauta de nouveau.Un épouvantable bruit de moteur se répercutant sur les murs

de l’école lui avait bondi aux oreilles. Elle tourna la tête et vit une immense moto. C’est-à-dire qu’elle lui parut immense. À cause du bruit épouvantable sûrement. Mais aussi parce que le gamin qui la chevauchait n’était guère imposant. Elle était noire, étincelante et lourde.

Tordant résolument la poignée, le garçon la fit vrombir sur place. Il laissa ensuite baisser les révolutions jusqu’à ce que le moteur ne fasse qu’un bruit sourd qu’il fit mourir en dégageant la clé. Il appuya l’engin sur son pied à l’endroit exact où se trouvaient les preppies tout à l’heure. La moto apparut sur un fond sombre, comme dans une vitrine.

Un détail attira l’attention d’Ève. Sur le réservoir à essence, il y avait une sorte de dessin évoquant des mouvements d’eau... ou de vent.

Le garçon avait gardé son casque, dont la visière teintée lui cachait le visage. Ève se sentit observée.

— Qu’est-ce que t’as? T’es toute rouge!— C’est mon teint naturel, tu sauras! répondit-elle prompte-

ment.— Pis t’es pas ben grande.

Extrait de la publication

Page 14: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

— C’est naturel, ça aussi!Une idée sembla surgir à l’esprit du motocycliste, mais il la

retint. Il finit par dire simplement:— Tu m’rappelles quelqu’un.À ce moment, dans la voix du garçon, Ève crut lire un

accent de tristesse. Mais il s’éloignait déjà.Il ne retira son casque qu’au moment où il ouvrit la porte de

l’école. Ève reçut de plein fouet le rayon de soleil projeté par la vitre qui pivotait, ainsi que les derniers like a virgin de la chanson. Et tout cela ne laissa qu’un rectangle aveugle au fond de ses yeux et de sourdes vibrations à ses oreilles.

À son doigt, il y avait un anneau. Une cornaline y était enchâssée. Ève avait l’habitude de la regarder en certaines occasions. Le reflet rouge et familier lui donna un peu de courage. Elle rajusta son sac à dos qui commençait à lui peser et s’attaqua au solide battant de métal et de verre qui lui avait résisté tout à l’heure.

Les semelles de ses souliers neufs glissèrent un peu sur le ciment gris du seuil. Elle fit basculer le rectangle de soleil et se retrouva à l’intérieur, prisonnière entre deux séries de portes.

Elle pivota. Le sac à dos décrivit un demi-cercle et la force cen-trifuge l’obligea à un petit pas de rétablissement vers l’arrière. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle. Personne ne semblait l’avoir vue. Elle prit une profonde inspiration. Il lui fallait maintenant s’attaquer à la dernière porte qui la séparait encore du monde scolaire.

Elle fonça mais ne vit pas le grand gars qui arrivait derrière elle. Il poussa au même instant la même porte. Ève ne sentit que le vide s’ouvrir et fut aspirée vers l’intérieur par son propre élan. Elle fit deux pas de géant et son front alla heurter le ceinturon d’un rocker accoté sur une colonne de ciment.

C’était le grand gars foncé et malodorant de tout à l’heure. Ève porta sa main à son visage.

— Eh! la p’tite rouss’lée! La maternelle, c’pas icitte!Le son inarticulé provenait d’un visage blême ponctué de

boutons, auréolé de couettes graisseuses et émergeant d’un veston

Extrait de la publication

Page 15: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

noir nauséabond dont le cuir clouté flottait autour d’un long squelette tenant en équilibre dans une paire de pantalons bouchonnés, aux extrémités desquels s’ouvraient deux gigantesques bottes de travail renforcées d’acier.

— Allons, Vesse de Cuir, laisse-la tranquille, répliqua le grand qui était entré en même temps qu’Ève.

— Toé, l’grand flanc, mêle-toé pas de t’ça! Pis appelle-moé pas d’même, OK?

Aussitôt, le «grand flanc» saisit les revers du blouson noir, les referma solidement sur la maigre poitrine, expulsant par le collet une bouffée fétide qu’il reçut en plein visage. Dégoûté, il repoussa l’épouvantail, dont la tignasse huileuse fouetta la vitre d’une porte, y laissant une traînée de reflets bleutés.

— C’est pas des boutons qu’elle a dans’face, elle, lança le grand. C’est des taches de rousseur! T’as vu? Ça donne des couleurs, pis ça fait plus propre!

Ève s’était tenue à l’écart, ne comprenant pas bien comment le gars avait pu tenir en équilibre tout l’attirail qu’il avait sur le dos. Heureusement, il s’était éloigné, toujours voûté et apparemment secoué par la poigne de l’autre. L’incident semblait clos et l’odeur qu’il avait laissée ne flotta dans l’air que quelques secondes car elle fut dispersée par le passage d’un vieux professeur chauve et affairé, qui leva un nez interrogateur avant de poursuivre son chemin. C’était monsieur Olivier, professeur de français.

Ève, qui avait une main sur le côté de son visage, n’avait assisté à toute cette scène que d’un œil, mais n’en avait rien perdu. Elle leva la tête et s’aperçut que le «grand flanc» était encore plus grand que prévu. Les courroies de son sac à dos lui tirèrent les épaules.

— Ça va, la p’tite?— La p’tite?... Ça, c’est rien qu’une question de point d’vue.Et n’obtenant aucune réponse, elle ajouta:— Tu m’entends, là-haut?... sur le même ton agressif que tout

à l’heure, et sans y penser davantage d’ailleurs.

Extrait de la publication

Page 16: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Elle pivota de nouveau, prenant bien soin de compenser vers l’avant le poids du sac d’école. Elle choisit un corridor au hasard et s’éloigna dans toute la dignité que lui permettait sa petite taille, étonnée elle-même par le ton abrupt de toutes ses répli-ques.

Le «grand flanc» resta là, bouche bée, pendant qu’au loin, se perdant dans la multitude et le bruit, un sac à dos bondissait éner-gi quement, bientôt englouti dans le carrefour-entonnoir que formait l’approche de la salle des casiers, au cœur de l’école.

Page 17: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Un ami dans la foule

S on nom, au «grand flanc», c’était Christophe. Ça, Ève ne le savait pas. Elle n’aurait su dire non plus si c’était le hasard

ou le mouvement général qui la menait ainsi vers le centre de l’école.

La densité humaine augmentait à chaque pas. Plus elle s’engouf-frait, plus elle perdait contact avec le soleil extérieur, qui continuait à jouer dans les portes et les fenêtres encastrées dans le ciment et le métal. Tout devenait ocre et la lumière artificielle s’était faite omni-présente.

Le flot des étudiants glissa par une autre série de portes d’archi-tecture semblable à celle de l’ENTRÉE DES ÉTUDIANTS et derrière laquelle se profilaient, sur un plafond aveuglant, de longues ombres immobiles. C’étaient les casiers, entre lesquels grouillait une popu-lation bruyante qui semblait s’agiter follement.

Ève n’eut besoin de pousser aucune porte pour pénétrer là. Elle y avait été pour ainsi dire... entraînée.

De son point de vue, les armoires de métal parurent étroites et vertigineusement hautes. Sa tâche consistait à y trouver la N-214 qui lui avait été assignée par une fiche informatisée qu’elle avait reçue chez elle, quelques jours plus tôt, et à y placer son cadenas.

Aucun tapis, aucun rideau n’amortissait le bruit des milliers de portes de tôle, parfois violemment manipulées. De longues séries de

Extrait de la publication

Page 18: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

néons suspendus au plafond aveuglaient le regard. Des cris perçants traversaient sporadiquement le tumulte des voix. Une fille sursau-tait, un gars rugissait, un autre éclatait d’un rire d’hyène. Et Ève encais sait en silence toutes ces agressions qui faisaient vibrer sa poitrine déjà bien éprouvée par toutes les émotions de ce matin de septembre.

Elle se sentit un peu étourdie.Elle soulagea ses épaules de son sac à dos et s’assit sur un des

longs bancs d’église, à l’extrémité sud de la salle. L’image de son père lui vint alors et elle eut l’impression d’avoir été abandonnée là, dans un milieu hostile.

Ne lui restait que l’anneau, mais la cornaline était terne. L’eau lui vint au regard. Et c’est ainsi qu’elle vit, comme dans un brouillard, un vieux surveillant d’élèves qui accourait avec un extincteur chimique vers un casier enfumé... et qu’elle entendit, de façon feutrée, les cris hystériques de «la Blondeau» qui sautillait sur place, les bras au ciel, les seins battants, juchée sur des talons aiguilles et coincée dans des jeans si serrés que c’était à se demander si la crise était pro-voquée par la fumée qui faisait couler son rimmel ou par l’inconfort de ses pantalons.

Ève eut un sourire. Un certain calme l’envahit. L’anneau lui avait apporté son aide après tout. Elle remercia dans son cœur la femme qui le lui avait donné. Marie... sa pauvre mère dispa-rue.

Ève n’avait qu’une idée confuse du phénomène qui venait encore de se produire. Une fois, son père avait tenté de lui expliquer que la cornaline avait un pouvoir sur les larmes.

Mais ce jour-là, en l’écoutant, Ève avait trouvé son père... cris-pé.

Marie, elle, n’était jamais crispée. Elle parlait beaucoup moins aussi. Elle avait simplement dit qu’il suffisait de porter l’anneau... et de ne penser à rien.

Pendant ce temps, Christophe s’était assis à côté d’elle. En

Extrait de la publication

Page 19: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

silence.Il aurait voulu lui parler. Elle avait l’air d’une extraterrestre

dans un décor de science-fiction. Peut-être avait-elle besoin d’aide. Christophe se faisait cette idée-là. Christophe s’en faisait souvent, comme ça, des idées.

Puis aussi, il y avait ce visage rousselé. Plus que rousselé. En fait, un mot lui était venu: «constellé».

Mais il se contenta de regarder avec elle l’agitation des étudi-ants.

Il était pourtant habitué, lui, à ce vacarme. Il commençait son secondaire 5, année terminale. Cela faisait des années qu’il venait dans cette salle, six à huit fois par jour.

Pourtant, jamais il n’avait remarqué cette bruyante folie col-lective autant qu’aujourd’hui.

Ils sursautèrent tous les deux. Un timbre puissant venait de retentir. Le premier cours allait commencer dans cinq minutes. Le remue-ménage eut un dernier soubresaut. Il y eut encore quelques éclats et peu à peu l’atmosphère s’apaisa, les jeunes se dispersant vers l’aile nord, l’aile est et l’aile ouest du bâtiment.

La cornaline eut un nouvel éclat.Ève se leva, endossa son sac et, soudain munie d’une énergie

inattendue, se dirigea exactement vers le N-214, qu’elle cadenassa après y avoir jeté quelques affaires. Elle prit ensuite la direction de l’aile nord où l’attendait son premier cours. Il devait bien s’y trouver une fenêtre donnant sur le soleil extérieur.

Christophe eut à peine le temps de la voir disparaître. Quelques secondes lui avaient encore échappé. Mais sur sa rétine, dans un coin, au fond de son œil et de sa mémoire, un reflet de cornaline issu de l’anneau venait de s’incruster à jamais.

Progressant dans le grand labyrinthe, Ève Paradis se deman-dait déjà si ça lui serait un jour possible de se faire des amis dans un tel endroit.

Elle ignorait que c’était déjà commencé.

Page 20: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Extrait de la publication

Page 21: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

encore. Pierre monte à son tour, le bébé dans les bras. Puis le docteur. Et enfin les deux jeunes filles. Et ils voient...

Dans la cour, sous la lune haute, Jean-Sébastien, avec une pelle, achève de faire un trou dans la terre meuble. Madame Meilleur se tient à côté, avec un bassin. Son fils a terminé. Alors la femme se penche et laisse glisser le placenta dans le sol. Tout de suite, l’enfant se retourne. Il y a là un arbuste avec toutes ses racines pleines de terre. C’est un jeune chêne. Jean-Sébastien s’en saisit et le plante dans le trou, bien droit, puis, avec ses mains, en ensevelit la base.

Page 22: Collection QA compact · 2018-04-13 · La rentrée Septembre 1985. C ette année-là, quand Ève Paradis essaya d’ouvrir la porte de sa future polyvalente, une certaine résistance

Extrait de la publication


Recommended