Date post: | 04-Apr-2015 |
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Des métropoles et de leur gouvernance.
Perspectives internationales
Gilles PinsonProfesseur de science politique
Sciences Po Bordeaux, Centre Emile Durkheim
EHESS Marseille – Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône – 14 janvier 2015
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Introduction
• « L’agitation métropolitaine » en France…• La loi MAPTAM
• Création au 1er janvier 2015 de la Métropole de Lyon (collectivité locale à statut spéciale) et des métropoles de Toulouse, Lille, Bordeaux, Nantes et Strasbourg (anciennes CU) et de Grenoble, Rennes, Rouen, Montpellier et Brest (anciennes CA)
• Crispations et report au 1er janvier 2016 de la création des métropoles de Paris et de Marseille
• Aboutissement d’une silencieuse « révolution intercommunale » commencée dans les années 1990
• …et ailleurs • Relance de la création des « città metropolitane » en Italie• Débat lancinant au Royaume-Uni autour de la recréation des « metropolitan
counties »
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Introduction
• Une question ancienne• Les cités de l’âge classique à l’étroit dans leurs enceintes médiévales• Les annexions du 19e et 20e siècle• Les « métropoles d’équilibre », les OREAM et les SDAM des années 1960• Une succession de phases de réforme et de pause rythmée par l’ampleur du
processus d’urbanisation
• Pourquoi la relance actuelle ?• Un nouveau moment urbain : métropolisation, retours en villes et étalement
urbain• L’urbanisation du développement économique• La métropolisation comme politique : les métropoles comme nouveaux champions
économiques des Etats (Crouch et Le Galès)
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Introduction
• « Métropoliser », pour quoi faire ? • Rationaliser ?• Redistribuer ?• Rayonner ?
• « Métropoliser », comment ?• Avec des institutions métropolitaines ?• Avec des arrangements intergouvernementaux souples ?• Avec des projets ?• Avec de la participation ?
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Introduction
•Plan
• 1. Une préhistoire de la métropolisation
• 2. Les formes actuelles de la métropolisation
• 3. Gouvernement et gouvernance des métropoles : 3 modèles
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1. Une préhistoire de la métropolisation
• 1.1 Desserrer• 1.2 Annexer• 1.3 Fusionner
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1. Une préhistoire de la métropolisation• 1.1 Desserrer
• La question de la taille se pose déjà pour la ville antique, médiévale puis classique enserrée dans ses enceintes
• Paris obligé de se débarrasser consécutivement des enceintes de la cité gallo-romaine, puis celle de Philippe Auguste, puis de celle de Charles V, puis de celles de Louis XIII, puis de celle des fermiers généraux, puis de celles de Thiers (les « fortifs » remplacées par le « périph »)
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1. Une préhistoire de la métropolisation• 1.2 Annexer• 1850-1950 : des villes-centres annexent des communes périphériques à
l’initiative soit à leur initiative soit à l’initiative de l’Etat central• En France :
• Paris : Montmartre, La Chapelle, Grenelle• Nantes : Chantenay, Doulon• Lyon : la Guillotière, Vaise
• Ailleurs : • New York, Berlin, Vienne, Rome, Milan, etc.• Des exceptions : Londres
• La consolidation des régimes démocratiques et de la démocratie municipale enrayent le mouvement
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1. Une préhistoire de la métropolisation• 1.3 Fusionner• 1950s-1970s : des réformes drastiques de réduction du nombre de
communes par fusion dans les pays du Nord de l’Europe• Suède : de 2500 à 288 communes• Danemark : suppression d’une commune sur deux• Allemagne : de 25 000 à 8 500 communes (avant la réunification) ;
repasser à 15 000 avec la réunification ; aujourd’hui 12 104 ; même phénomène pour les Kreise• Belgique : suppression de 3 communes sur 4• Pays-Bas : suppression d’un tiers des communes
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1. Une préhistoire de la métropolisation• 1.3 Fusionner
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1. Une préhistoire de la métropolisation• 1.3 Fusionner
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1. Une préhistoire de la métropolisation• 1.3 Fusionner• 1950s-1970s : au Sud de
l’Europe, le statu quo• Un enjeu moins saillant en
Italie ou en Espagne• Le cas français : un degré de
fragmentation municipale sans équivalent au monde• L’échec de la Loi Marcellin
(1971) : 800 cas de fusions impliquant 1 900 communes
Etat Nb communes Pop. moyenne
Taille moyenne (en km²)
Belgique 589 18 320 52Danemark 98 56 345 440France 36682 1 760 17
Italie 8094 7 445 37
Allemagne 12104 6 765 29
Pays-Bas 430 38 435 97
Espagne 8116 5 660 62Suède 290 32 210 1 552RU 406 152 200 601
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1. Une préhistoire de la métropolisation• 1.3 Fusionner• A l’origine des différences Nord-Sud
• L’héritage des conflits centre / périphéries : un enjeux moins présent au Nord ; un enjeu plus prégnant au Sud du fait d’une intégration nationale conflictuelle
• La présence des élus locaux au centre : l’opposition diamétrale entre la France (cumul des mandats, rôle du Sénat) et le Royaume-Uni (séparation nette entre les classes politiques nationale et locales)
• B. Smith : « efficiency » vs. « democracy »• Au Nord, les collectivités de base sont conçues avant tout comme des outils de
production de services > nombreuses compétences > réformes facilitées > nombre réduit d’unités
• Au Sud, les collectivités de base sont conçues comme des outils de représentation de communautés locales ou de défense contre le centre > compétences réduites > difficulté de réforme > unités nombreuses
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2. Les formes actuelles de la métropolisation
• 2.1 Des processus spatiaux• 2.2 Une dynamique économique• 2.3 Des configurations sociales
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2. Les formes actuelles de la métropolisation• 2.1 Des processus spatiaux
• « Métropole » : un terme utile ?• Des usages politiques, marketing, juridiques qui privent le terme de son pouvoir descriptif
et analytique• Métropoles d’hier ; métropoles d’aujourd’hui
• Des points communs• Poids démographique• Rayonnement
• Des différences majeures• La métropole antique, classique, industrielle : dense, continue, monocentrique, pleine,
distincte de son pourtour rural, structurée par des flux massifs, des conditions d’implantation contraignantes, etc.
• La métropole contemporaine : dilatée, discontinue, polycentrique, « pleine de vides », diffuse
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2. Les formes actuelles de la métropolisation• 2.1 Des processus spatiaux• La métropolisation entre homogénéisation et différenciation
• Homogénéisation : achèvement de l’urbanisation, dilution de l’urbain, « mort de la ville, règne de l’urbain » (Choay)
• Différenciation : logiques de polarisation, d’étirement de la hiérarchie urbaine• Métropolisation, hypermobilité et problèmes de représentation
• Laurent Devisme : « L’une des questions géographiques majeures des dernières années renvoie au décalage qui semble de plus en plus avéré entre dynamiques des flux et capacités des formes »
• Une crise des outils de représentation graphique (et de régulation) des phénomènes spatiaux
• Une crise des outils de représentation politique classiques fondés sur l’idée de territorialité et de fixité (J. Viard : les limites de la « démocratie du sommeil)
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2. Les formes actuelles de la métropolisation• 2.2 Une dynamique économique• Pourquoi la métropolisation alors que les moyens de s’affranchir des
distances et de la promiscuité n’ont jamais été aussi performants ?• Globalisation, redéploiement à l’échelle mondiale de l’appareil industriel
• Concentration parallèle des dispositifs de coordination dans les villes globales (S. Sassen)• La désintégration verticale, externalisation
• Des entreprises de plus en plus dépendantes des aménités et services que leur offre leur environnement
• Les métropoles comme « assurance flexibilité » (Pierre Veltz)
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2. Les formes actuelles de la métropolisation• 2.2 Une dynamique économique• Réduction des coûts et logistique des firmes (zéro stock, « just in time »)
• Refonte des organisations logistiques favorables aux grands « hubs »• Logique cumulative : concentration de l’emploi dans les métropoles qui deviennent aussi
des centres de consommation• « Le paradigme relationnel » et territorial de la nouvelle économie
• Post-fordisme, spécialisation flexible, séries courtes, produits différenciés• Importance accrue de l’innovation, de l’accès à l’information, de la capacité de répondre
rapidement à une demande changeante• Rôle nouveau du face-à-face, des réseaux professionnels, des liens d’interconnaissance et
de coopération (Veltz : « L’économie moderne s’appuie sur les communautés »)• Les facteurs de compétitivité résident autant dans le territoire que dans la firme
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2. Les formes actuelles de la métropolisation• 2.3 Des configurations sociales
• La « légende sombre » de la métropolisation : éviction, dualisation, fragmentation, enclaves…• Saskia Sassen et la société duale des « global cities » : étirement des structures des revenus,
emballement des logiques de rentes foncières, hyper-gentrification des centres• Des métropoles composées d’enclaves :
• Accroissement des inégalité de revenus + non-systématicité de la mobilité sociale ascendante + peur du déclassement + investissement symbolique dans le bien logement (et dans l’école) + climat sécuritaire + ethnicisation des rapports sociaux
• = logiques d’entre-soi ; = clubbisation (Eric Charmes) ; = « ecology of fear » (Mike Davis)
• La « légende dorée » de la métropolisation : opportunités et politiques de redistribution• Un espace d’opportunités pour les populations les moins dotées• Métropolisation et déségrégation : le cas de Bordeaux• Métropolisation et politiques de redistribution : le cas de Lyon
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles
• 3.1 La solution « gouvernement » ou « Gargantua »• 3.2 La solution « marché » ou « public choice »• 3.3 La solution « gouvernance » ou « new regionalism »
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.1 La solution « gouvernement » ou « Gargantua »• Créer des institutions métropolitaines se substituant aux collectivités de base
dans les domaines stratégiques• Le débat étatsunien
• R. Wood, 1400 Governments (1961) : l’urban sprawl a engendré une inadéquation entre territoire fonctionnel et territoires institutionnels ; le white flight a engendré des disparités de richesses entre municipalités
• La quête du « truly bounded » (Bennett, 1989), du « correctement administré parce qu’adapté territorialement »
• La fragmentation institutionnelle, voilà l’ennemi !
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.1 La solution « gouvernement » ou « Gargantua »• Des gouvernements métropolitains (Gargantuas)
• Dotés d’assemblées élues au suffrage universel direct• Dotés d’exécutifs auxquels sont transférés les compétences stratégiques (planification,
transports, réseaux, développement économique)• Bénéficiant de ressources fiscales propres
• Les applications: un bilan maigre• Des réformes en réforme en régime autoritaire : les corporations métropolitaines de
Barcelone, Valence et Bilbao imposées par Franco• Les villes-états ou villes-régions : Berlin, Hambourg, Brème (All), Vienne (Autriche),
Bruxelles-capitale, Communauté autonome de Madrid
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.1 La solution « gouvernement » ou « Gargantua »• Les applications: un bilan maigre
• Les gouvernements métropolitains directement élus : • Etats-Unis :Portland (OR), Minneapolis-Saint-Paul• Canada : Toronto (1988 – 1998), Montréal• Roy. Uni : Greater London Council/Authority (1965-1986 et depuis 2000) ; les 6
Metropolitan Counties (1972-86)• Allemagne : Stuttgart (Verband Regio Stuttgart)• Portugal : les autorités métropolitaines de Lisbonne et Porto• Pays-Bas : création des villes-provinces par le gouvernement central
• Des difficultés dans l’application• Des réformes parfois rejetées par référendum• Des institutions souvent sans beaucoup de compétences, confrontées aux vetos des
communes
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.2 La solution « marché » ou « Public Choice »• Les vertus de la fragmentation institutionnelle• Le débat étatsunien (Tietbout, Ostrom, Warren)
• Les métropoles constituent des marchés de services urbains au sein desquels les municipalités se font concurrence
• Les « clients » (ménages, entreprises) sont mobiles et choisissent en fonction du panier de service offerts et du « best value for money »
• Les gouvernements métropolitains engendrent la gabegie et privent les clients de leur liberté de choix
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.2 La solution « marché » ou « Public
Choice »• Les « applications »
• La solution qui prévaut par défaut !• Le reflux des solutions « gouvernement »
dans les 1980-90’s, ère de « contre-réforme »• Sécessionnisme municipal et « défusions »
• L.A., Montréal• L’abolition des Metropolitan Counties et du
Greater London Council par le gouvernement Thatcher en 1986 et la prise en charge des enjeux de coordination par des Quangos
• L’abolition des corporations métropolitaines par la nouvelle démocratie espagnole (la pression des régions)
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.2 La solution « marché » ou « Public Choice »• Des objections « qui font mal »
• Les « Gargantuas » engendrent des déséconomies d’échelle • L’éloignement entre clients et fournisseurs de services peut engendrer une
dégradation des prestations • Les besoins de coordination peuvent être pris en charge par les fournisseurs de
services • L’éloignement des « Gargantuas » risquent de détourner les citoyens/clients de la
participation
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.3 La solution « gouvernance » ou « New Regionalism »• Entre le « gouvernement » et le « marché », les « réseaux », la coopération
à géométrie variable, les négociations intergouvernementales• Une critique des « Gargantuas »: technocratisme, opacité démocratique, résistance
des élus municipaux, l’illusion de l’optimum territorial• Une critique du « Public Choice »: la négation des inégalités sociales face au « choix »
et à la mobilité, la non-prise en compte des externalités négatives de la concurrence entre communes
• Des conseils, des exécutifs, des technostructures métropolitains, des ressources fiscales propres, de nombreuses compétences… mais pas de transfert de la légitimité élective des communes à la métropole• Elections des conseils métropolitains au second degré, rôle des maires dans la
décision, pas de groupes politiques au sein des conseils, etc.
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.3 La solution « gouvernance » ou « New Regionalism »• Ne pas priver les composantes de base de leur souveraineté• Assumer le caractère intergouvernemental, négocié, bricolé de la
gouvernance des métropoles• Privilégier des formes souples de coopération et de coordination qui
permettent de : • Changer d’échelle en fonction des problèmes• Ne pas léser les intérêts légitimes des parties prenantes (les communes)• Activer des processus d’apprentissage
• Privilégier des formes délibératives de décision• Elster : « le but est d’arriver à une approximation qui marche plutôt qu’à une vérité »…
qui risque d’échouer
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.3 La solution « gouvernance » ou « New Regionalism »• Ne pas faire de la question institutionnelle un préalable…
• Mobiliser au-delà de la corporation des élus : la société civile , les intérêts économiques, les organismes consulaires
• Mobiliser autour de grands projets métropolitains -projets d’aménagement d’intérêt métropolitains, grands événements- ou dans le cadre de dispositifs de prospective ou de planification stratégique (conférences métropolitaines)
• Activer des processus de recadrage cognitif et d’apprentissage• … mais la consolidation institutionnelle reste l’objectif
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.3 La solution « gouvernance » ou « New Regionalism »• Une forme-limite de gouvernance métropolitaine : la coopération
intercommunale à la française• Une forme souple de coopération qui a souvent mieux marché que les Gargantuas !• L’origine en 1966 ; le coup d’accélérateur de la loi Chevénement (1999)• Les EPCI ne sont pas des collectivités• Néanmoins, ils prennent aujourd’hui en charge les compétences les plus stratégiques • Des logiques d’apprentissage dans un cadre basé sur le volontariat• Les points positifs : la question de la fragmentation municipale partiellement réglée,
des effets d’apprentissage, l’émergence de visions collectives, des politiques de redistribution
• Les points négatifs : l’opacité démocratique, la dérive technocratique, des territoires étriqués
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3. Gouvernement et gouvernance des métropoles• 3.3 La solution « gouvernance » ou « New Regionalism »
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Conclusion
• Les effets de l’intégration métropolitaine• Faire émerger une capacité à atténuer les effets de ségrégation• Faire émerger un projet métropolitaine permettant d’exister dans la
compétition territoriale
• Les conditions de l’intégration métropolitaine• Le poids politique des intérêts de la réforme (élus nouveaux, technocratie
autonome, intérêts organisés mobilisés)• Des alliances politiques et territoriales• Des sociétés peu polarisées • Des dispositifs et projets permettant l’apprentissage
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Conclusion
• Que faire lorsque ces ingrédients n’existent pas ?• Choc externe ? • Approche évolutive ? • La loi MAPTAM dans l’entre-deux
• Le choc externe : l’imposition par l’Etat du périmètre et du calendrier• L’approche évolutive :
• L’Etat a « respecté la temporalité nécessairement longue du processus de construction métropolitaine » (Lefèvre et al, 2013)
• La concession des « territoires »• La loi et la métropole comme jalons parmi d’autres dans le processus de construction
métropolitain