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In situ - Burkina Faso

Date post: 24-Mar-2016
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A la recherche des paysans intègres
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Page 1: In situ - Burkina Faso
Page 2: In situ - Burkina Faso

n situ

Burkina FasoLa pistedes paysans intègres

Ouagadougou

BURKINA-FASOKaya

Mali

Ouahigouya

TITAO

Koudougou

Bobo-Dioulasso

Banfora

Dori

Diapaga

Niger

Bénin

TogoGhana

Côte d'Ivoire

28 N° 99 LE MAGAZINE DE TERRENA MARS 2013

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Page 3: In situ - Burkina Faso

es

Aux portes du Sahel,des paysans armés de couragebravent les caprices du climat

et des traditions d’un autre âgepour améliorer leurs conditions

d’existence.Leur force : des organisations

créées par les paysans eux-mêmes,pour les appuyer et tracer la voie

d’une agriculture familiale.Textes et photos : Dominique Martin

rAkètA BoinA productrice MArAîchèreAu villAge de golongA, près de titAo,

province du lorouM (nord du BurkinA fAso).

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Au soleil de midi, ils sont cinq pour le repiquagedes oignons. Le vieux père, les deux garçons,une fille plus jeune et lui, Tasséré Maïga, lechef de famille. Le petit périmètre maraîcher

se trouve à deux pas de leur village de Rimassa. « Noussommes six à vivre et travailler ici. Je n’ai pas d’employé.Quand on gagne c’est avec ma famille seulement. Commecela, il n’y pas de difficultés à payer des employés ouleurs médicaments s’ils sont malades. On gagne mêmeles années où cela ne donne pas beaucoup. » Le terrain,Tasséré l’a reçu de son grand-père. Il y a plus de trenteans, l’aïeul avait quitté Titao, le chef lieu de la province situéà dix kilomètres environ. Il était venu s’installer dans cecoin désert. Le village n’existait pas encore. L’eau, il fallaitla puiser à dix-sept mètres de profondeur. Le puits dugrand-père est toujours là, montre son petit-fils. L’ouvragefut cuvelé avec la roche ferrugineuse locale qui croûte ensurface de la latérite rouge. Ces temps sont loin et ce petitcoin de Sahel a bien changé.

Tasséré en est lui à son dixième puits.Deux seuls sont encore en usage. « Les autres se sontéboulés. Car c’est tout inondé ici l’hiver. En novembre,il y avait bien un mètre d’eau sur le périmètre. » Depuisla bourgade de Titao, sur une quinzaine de kilomètres,s’étend un lac provisoire. L’ancien bas-fond est encadrépar deux digues. Durant la courte saison des pluies, de maià octobre, il se remplit des averses parfois diluviennes. Cespluies, quand elles abondent, sont du pain béni pour lesrécoltes de mil et de sorgho des paysans qui se déroulenten novembre. Les cultures sèches de céréales sont labase de l’alimentation des populations locales. L’an dernieril a bien plu. En revanche, 2011 fut une année de vachemaigre pour les greniers familiaux. L’oignon, les choux, latomate que Tasséré cultive, sont des cultures de contre-saison et de vente. En cette fin janvier, plus rien ne poussedans la poussière de ses champs alentour, hormis lesarbres secs de la savane arborée. Ici au pied du bas fondennoyé, il suffit de creuser un peu pour atteindre la napped’infiltration. Le paysan a juste à puiser dans une mannequi semble inépuisable. Cette année, il a bien sept mètressous le pied. C’est même un peu trop. Il a fallu attendre unmois de plus que les eaux se retirent avant d’attaquer lescultures. Ce petit retard n’est pas le pire des aléas. Pourvendre ses légumes, Tasséré est livré à lui-même, et auxcommerçants. Avec le développement des périmètres,ils affluent jusqu’au bord des champs. Certains camionsarrivent de la capitale après trois heures et demi de routepuis de piste. D’autres viennent de bien plus loin du Ghanaou du Togo, à plusieurs milliers de kilomètres au Sud. « Onvend plus facilement aujourd’hui » estime le maraîcher.Mais rien n’est gagné d’avance. Ni le prix, ni mêmel’assurance de vendre. Tasséré vient d’en vivre la cuisanteexpérience. De longue date, il cultive des semencesd’oignons pour le marché local. Pour les quarante kilosrécoltés l’an dernier, il n’a pas réussi à trouver d’acheteurs.Le commerce n’est pas la seule chose qui lui échappe.La divagation du bétail est une autre menace. Une piste àzébus longe le périmètre de la famille. Les bovins en liberté

l’empruntent pour s’abreuver dans le bas-fond. Tasséré aplanté une clôture de troncs d’arbres et de grillage tout lelong. Mais celle-ci n’entoure pas entièrement sa parcelle.La nuit dernière à vingt deux heures, il a encore surprisun animal, en train de piétiner ses oignons. Le maraîcherconnaît bien son métier. Enfant, il arrosait déjà à la cuvettederrière son père sur le périmètre familial. Installé à soncompte, il a développé petit à petit. Le vrai progrès, il le doità une culture bien particulière, quasi inconnue ici il y a vingtans. « C’est la pomme de terre qui nous a fait sortir de lapauvreté. Avec elle, la vie de la famille s’est améliorée. Avant,quand j’ai commencé, je n’avais même pas une charrette. »Sa première récolte vendue, il a pu acheter cet outil detransport indispensable auquel on attelle un âne. « Avecla deuxième récolte, j’ai pu gagner une paire de bœufs.Puis en 2011 une moto. Et l’an dernier une motopompe. »La famille de Tasséré s’est constitué aussi un petit cheptelde moutons. Ce petit monde fournit du fumier qui, une foiscomposté, nourrit la pomme de terre : « La productionest meilleure qu’avec de l’engrais. » La motopompe estun gage d’avenir : « Aujourd’hui avec les arrosoirs, tu asla force de prendre 50 kg. Mais demain peut-être tu nel’auras plus. » La machine économise les bras mais pompeaussi directement dans le bas-fond et évite ainsi de minerle terrain avec de nouveaux puits. « Avec elle, on peut sedébrouiller à deux ou à trois. » Ce qui laisse aux enfants devaquer à d’autres occupations.

Dans la région, la pomme de terre despaysans maraîchers jouit d’une puissantelocomotive. Le 29 mars, producteurs et commerçants vontconverger pour la douzième fête de la pomme de terrede Titao. La bourgade s’est attribuée le titre de capitale dufameux tubercule après avoir récupéré et développé cettefête qui, avant 2002, était l’orgueil de la ville de Ouahigouya,troisième agglomération du pays située à une heure depiste. Nombre de maraîchers comptent sur l’événementpour vendre leur production plantée courant décembre.Cette année, la récolte s’annonce abondante. L’an dernier,vu le manque d’eau, la province du Loroum n’avait produitque six cent soixante tonnes contre plus de trois millel’année précédente. En périphérie de Titao, dans le villagede Silmimossin, Souleymane Delem est un mordu et unpionnier du fameux tubercule. Ce matin, sur sa parcelle de1 700 m2, il a rendez-vous avec Ibrahim Ouédraogo, sonconseiller de gestion. Assis sous le manguier, ce dernier luilivre le détail des marges pour ses cultures de l’an dernier.Le conseiller énumère tous les chiffres de charges et deproduits, le tout par oral en Moré, la langue la plus parléau Burkina Faso. Sur neuf cents mètres carré de pommesde terre, Souleymane a dépensé l’équivalent de 210euros (138 000 francs CFA) les deux tiers en semenceset le reste en engrais chimiques. Il a récolté plus de troistonnes et demie de tubercules, vendues 1 076 euros,après avoir soustrait environ quarante kilos pour safamille et presque autant pour les dons aux proches. Aufinal cette culture lui laisse une marge de un euro parmètre carré. Les oignons s’avèrent aussi rentables avecpresque un euro trente de marge.

Fin janvier,

plus rien

ne pousse

dans la poussière

des champs

alentour.

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Mais la superficie et la récolte vendue n’ont rien à voir : septcents kilos sur deux cents mètres carré. Une partie s’est« gâtée » pendant le stockage à la maison. La tomate offreune marge record avec presque cinq tonnes cueillies àla main sur six cents mètres carré. A surface équivalente,la rentabilité est le double de celle de la pomme deterre. Le prix était là, 180 francs CFA le kilo en moyenne(27 centimes d’euros) en bord de champ. « L’an passé ily a eu le marché, Cette année on espère aussi. » Ce n’esthélas pas toujours le cas. « La tomate peut rapporter grosmais aussi faire perdre beaucoup » souligne Ibrahim quiaccompagne depuis vingt deux ans les producteurs dela région. Il est lui-même un cultivateur. En 2011, beaucoupont connu une forte mévente. En 2007, le prix de la tomateavait chuté au plus bas dans tout le Burkina. Ibrahim sesouvient de cette année où « ici tout a pourri car lesGhanéens ne sont pas venus acheter. Les gens étaientdécouragés ». La tomate est aussi une culture gourmandeen intrants. La seule pour laquelle Souleymane dépenseen traitements phytosanitaires. Le paysan doit faireface aussi à ses « charges de structure ». Du matérielrudimentaire : arrosoirs, puisettes, cordes, pioche,binettes. La contribution symbolique au conseil de gestion(3000 F CFA). L’essentiel (75 000 F soit 115 euros) est lamain d’œuvre, deux personnes qu’il emploie en saison.

En face, la pomme de terre est laculture la plus sûre : « Il n’y a pas de problèmeavec. Elle se conserve mieux que les autres légumes etle marché est assuré. » Ibrahim complète en expliquantqu’en dernier recours, en cas de mévente, les autoritésdu pays se porteraient acquéreurs du tubercule afin denourrir la population de Ouagadougou la capitale. En fait,c’est lui qui a convaincu Souleymane de se lancer danscette production. Non sans malice. « Je l’ai poursuivipendant trois ans mais il refusait. Je lui réservais un sacde semences de 25 kg mais il ne voulait jamais le prendre,je devais à chaque fois le revendre. La troisième annéeje suis parti en voyage. Comme je n’étais pas là, il a étéobligé de prendre la semence et de planter.» Cela sepasse entre 1998 et 1999. A ce moment, Souleymane secontente comme beaucoup de paysans de pratiquer laculture de céréales. Pendant l’hivernage, il produit ausside la patate douce qu’il écoule sur les marchés quarante-cinq kilomètres à la ronde. « Avec l’argent, j’achetais ensuitedes mangues pour les revendre. » A cause de la combined’Ibrahim, il est le premier dans son village à semer despommes de terre. « Les habitants venaient voir comment ilfaisait. Certains parlaient mal. Heureusement il ne les a pasécoutés » raconte le conseiller qui a suivi l’affaire jusqu’àla récolte. « Les gens sont venus très nombreux pouraider. Une commerçante est arrivée de Ouahigouya. Ona pesé sept cents kilos. Elle a payé 160 francs. Par la suitej’ai enlevé mes dépenses. » Avec le bénéfice, Souleymanes’est constitué un petit élevage de moutons à engraisser etde pintades dont il vend les oeufs. Son expérience a donnégoût aux villageois. Doublement. « A la récolte, ils avaientblessé beaucoup de tubercules. J’ai apporté une marmitepour les cuire et tout le monde en a mangé. »

sous les effets du cliMAt,des zones entières deviennent non fertiles et incultes.les groupeMents nAAMs font lA proMotion de diversestechniques de reMise en culture.

une vAriAnte du « zAï »Avec seMis Associé de Milet d’une grAine d’ArBre.

A kouMBri, l’AniMAteur inoussA siguéfAit lA proMotion de l’AgroforesteriepAr régénérAtion des espècesnAturelles d’ArBres depuis 1988.

des cordons pierreux enherBés instAllés sur les courBesde niveAu pour liMiter l’érosion de sols.

ils sont reMis en ligne AvAnt chAque sAison des pluies.

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C’est à ce moment que le paysan et son mentor démarrentle conseil de gestion. Comme Souleymane ne sait pasécrire, c’est un cousin qui note en français pour lui sur uncahier tous les travaux effectués sur chaque culture. Etvu les résultats, Issouf Barry a décidé de devenir lui aussimaraîcher. Ce cousin au sens large est en fait le détenteurdu terrain que cultive Souleymane : « Avant il faisait lavie dans la capitale. Mais il a vu que c’était mieux ici »rigole ce dernier. Issouf travaillait en fait dans le bâtiment.Avant de revenir au village pour cultiver des légumes: « Je gagne mieux ma vie. La situation s’est amélioréepour ma famille, la nourriture, la santé, la scolarisationdes enfants. » Depuis, explique-t-il, il a pu aussi se payerune moto et construire deux maisons, une pour sa mère,une pour lui et demain pense-t-il une troisième pour safemme. Il n’est pas le seul à être revenu : « Maintenantbeaucoup ne partent plus en Côte d’Ivoire comme avantpour trouver du travail. Avec une portion de terrain, tu peuxrester ici et gagner un peu ta vie. » Issouf et Souleymanes’entraident. Ils ont le projet de développer leur productionen agrandissant leur périmètre. « Les marges que je retirene suffisent pas. L’élevage cela reste aléatoire. Il ne fautpas être obligé de vendre des bêtes pour faire face auxdépenses. Cette année aussi, les pintades n’ont pas ponduà cause de la pluie. Si je n’avais que ma famille, cela iraitcomme ça. » Mais Souleymane subvient aux besoins devingt personnes parmi lesquelles ses parents qui ne sontplus en âge de travailler. Le projet imminent est d’acheter,à deux, une première motopompe puis peut-être une oudeux de plus. « C’est moins cher que d’avoir des employéset la pompe elle ne fatigue pas. » Ibrahim a déjà dit qu’ilse porterait caution pour obtenir un crédit à la « B TEC »de Titao. Cette banque locale de dépôt et de crédit (1) faitpartie d’un réseau de dix-huit caisses lancé en 1990 par laFédération nationale des groupements Naam.

Ces institutions de micro financepaysanne comme le consei l de gestion,l’approvisionnement en semences de pommes deterres – importées de France – sont quelques unsdes appuis aux paysans développés par la FNGN.L’organisation paysanne fédère plus de cinq mille quatrecent groupements villageois eux-mêmes regroupés enunions provinciales et régionales. Elle est née ici mêmedans la région Nord du Burkina en 1967, à Ouahigouyaoù elle a son siège. Ibrahim exerce son art de conseilpour le compte de neuf unions. Dans les locaux de cellede Titao, qui date de 1981, des infrastructures clés. Unecave enterrée, financée par la coopération italienne, sertà entreposer des oignons après la récolte mais aussi lessemences de pommes de terre. L’union regroupe lesdemandes des groupements, transmet à la fédération,réceptionne puis redistribue les semences. Un tracteuréquipé pour le travail du sol est loué pour démarrerla remise en culture des « clairières ». Des étenduesdésertiques où plus rien ne pousse même plus les arbressauvages. Elles sont le résultat ultime des changementsclimatiques qui affectent toute la zone sahélienne depuistrente ans. Les pluies diluviennes érodent et tassent.

Puis survient la sécheresse, de très fortes températureset ce fléau de l’Harmattan, le vent d’Est très sec chargéde poussières du Sahara. Son heure arrive en ce débutfévrier. Même très dégradés, ces sols peuvent retourner àla production de céréales moyennant diverses techniques,certaines ancestrales comme le « zaï » ou les tapisherbacés, remises au goût du jour par les groupementspaysans. Avec d’autres méthodes de lutte antiérosivecomme les cordons pierreux. L’union est également trèsactive dans la formation et l’alphabétisation. Avec l’accèsau crédit, aux intrants de base, le calcul des coûts et desmarges, tout cela a profondément bouleversé le mode depensée d’une partie des paysans.

sur le périmètre maraîcher des Naamsqui touche Titao, Souleymane Komi est un deces nouveaux paysans. Producteur de légumes, il estaussi secrétaire du comité de gestion de cette unitéde neuf hectares créée en 1997. L’outil de productioncollectif bénéficie depuis peu de canaux en dur alimentéspar pompage direct, rénovation financée par des fondseuropéens. Les parcelles sont attribuées à une centainede familles. Dont celle de Souleymane. Lui explique qu’ila radicalement changé depuis qu’il connaît les résultatsde ses cultures. « Avant, je ne voulais pas prendre decrédit pour éviter que quelqu’un ne vienne me demanderde rembourser. Je ne pensais même pas possible dem’agrandir. Il y avait les cultures que nous aimions etcultivions beaucoup comme le piment et l’aubergine.Mais qui en définitive sont assez peu rentables. Nousfaisions aussi des carottes par habitude que l’on écoulaitmal. Maintenant nous savons mieux ce que nous devonsfaire. » Lui aussi est devenu fervent adepte de la pommede terre, y compris dans son assiette. « Les gens necroyaient pas que l’on pouvait se nourrir avec cela. Onpensait que c’était de la nourriture pour les Nassara (lesBlancs). » A présent, le paysan calcule et anticipe. « Dès lemois de novembre, j’ai su que j’avais besoin de 450 000 Fpour mon maraîchage, mes intrants, élargir mon jardin,acheter ma motopompe. J’avais à peine la moitié. J’airéfléchi. Je suis allé à la banque avec ma prévision. Jeleur ai expliqué ce que j’allais faire et gagner. Ils m’ontaccompagné.» Souleymane est de ceux qui n’ont passuccombé aux sirènes. Un coup d’œil panoramique dansle périmètre montre qu’il est un des rares hommes à ytravailler. Autour de lui, ce sont les femmes qui arrosent,sarclent, plantent. La soif de l’or avale les maris, les fils etles frères depuis deux ans. Le Burkina connaît un vraiboom aurifère. Quarante tonnes du précieux métal ontofficiellement été extraites en 2012 du sous-sol du pays. Denombreux gisements ont été découverts, notamment dansla région Nord, jusque dans les villages autour de Titao.Sur le périmètre équipé à neuf, des parcelles ne sont pluscultivées. « Beaucoup de ceux qui sont partis faire fortunereviennent maintenant » considère Ibrahim. Les femmesen attendant assurent l’essentiel. Elles sont les premièresà investir les activités développées par les unions. Elles etleurs groupements sont de longue date les piliers invisiblesde l’activité maraîchère dans la région.

« Avant,

je ne pensais

même pas

possible de

m’agrandir »

Souleymane Komi,

producteur à Titao.

Complémentsd’infos, interviews ettémoignages sonores,diaporamas surwww.horizon.coop,à partir du 15 mars.

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A Silmimossin, Souleymane et Issouf s’entraident.

Ils vont investir dans une motopompe.

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1 A kouMBri, AzétA kindo lA présidente de l’unionet zoenABou ouédrAogo lA Meunière Auprès duMoulin de lA «plAte-forMe Multifonctionnelle».

2 les feMMes sont un des piliers de l’ActivitéMArAîchère qu’elles développent Aujourd’huià leur propre coMpte.

3 tAndis que les hoMMes tentent leur chAncedAns les Mines d’or, les feMMes du périMètrede titAo Assurent l’essentiel.

4 Au villAge de riMAssA-tAnguin, lA présidentesAfiètA ouédrAogo (à droite), lA trésorière etlA gestionnAire Assurent lA vie et lA survie dugrenier de sécurité AliMentAire.

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Quatre paysannes sur cinq pratiqueraient peu ouprou la culture de légumes. Il y a dix ans, elles secontentaient encore de l’oignon et surtout de l’ail, activitéexclusivement féminine. Depuis, elles aussi se sontmises à la pomme de terre pour améliorer leurs affaires.

Au périmètre du village de Golonga sur la route deDjibo, rakèta boina égraine son chapeletd’activités tandis qu’elle nourrit ledernier-né de ses cinq enfants. Au moinstrois cents mètres carré de pommes de terre, quaranteplanches d’oignons de dix mètres carrés chacune, et uncarré d’ail. Quinze ans que cette femme réservée s’estlancée dans le maraîchage de contre saison. En hiver,elle cultive son mil, ses haricots et les arachides qu’ellevend. Elle élève aussi quelques moutons. Les légumessont vendus en bord de champ, sauf l’ail que Rakètaécoule avec ses arachides les vendredis au marché deTitao. Son mari est versé lui aussi dans les légumes. Maisdans le couple, c’est chacun ses oignons. « Je travailleuniquement ma parcelle. J’achète ma semence, mesengrais et je mets le fumier de mon élevage. Chacuna son argent. » Pour les enfants, la santé, l’habillement,l ’école, les deux parents contribuent. « Mon maridépense davantage que moi pour la famille. Il gagneplus et c’est lui le chef de famille. Il doit jouer son rôle. »Rakèta a agrandi petit à petit, ajouté la pomme de terre,adopté le conseil de gestion. Le puits collectif est loin deses parcelles. La femme travaille seule avec l’aide de sonfils aîné de dix sept ans. « Le matin, il arrose la moitié despommes de terres à l’arrosoir, avant d’aller à l’école. Jefais l’autre partie le soir. » Pour les oignons et l’ail, Rakètautilise maintenant les services de la motopompe de sonbeau frère dont les parcelles touchent aux siennes.Moyennant un forfait de 15 000 francs (23 euros) pour lacampagne. Son plus gros souci, dit-elle, est d’obtenir denouveaux crédits. « Je suis à jour de tout ce que je doismais à la banque on me dit qu’il y a trop d’impayés chezles autres, qu’il faut que je patiente. » Rakèta comptaitacheter des arachides à la récolte auprès des autresfemmes pour son commerce. « Mais maintenant ellessont devenues chères. »

A la « B TEC » de Titao, Ousmane Kagoné le gérantdéclare pourtant que les femmes sont bienles clientes privilégiées de la banquepaysanne Les prêts accordés sur six mois pourpayer les intrants, la main d’œuvre, acheter desmoutons d’embouche ou financer toute activité de petitcommerce ne sont attribués que moyennant un dépôtd’un quart du montant demandé. « Sauf pour les femmes.Jusqu’à 75 000 francs, nous ne leur demandons pasde garantie. » La raison est qu’elles remboursent mieuxque les hommes, explique Lisette Ouédraogo, employéequi monte les dossiers et assure le recouvrement :« Les femmes sont souvent en groupe. On n’a pas deproblème avec elles. Les montants qu’elles prennent nesont pas élevés. » Malgré tout, les fonds disponibles sontmaintenant insuffisants reconnaît le gérant.

La banque paysanne fut conçue à l’origine poureffectuer des dépôts à vue. « Les gens viennent verserle matin puis parfois retournent le soir retirer un peud’argent pour acheter quelque chose, Cela évite lesvols, les termites qui mangent les billets, et aussi dedépenser n’importe comment » précise Clarisse Zanibala caissière qui connaît bien ses clients. Ces dernièresannées, la demande de crédit a augmenté fortement,en dépit de taux d’intérêt identiques à ceux des autresbanques, de l’ordre de dix pourcents. L’encours àla caisse de Titao atteint aujourd’hui cent vingt-cinqmillions de francs alors que le montant des dépôts n’estque de cent millions, déplore Ousmane Kagoné. « Nousdevons emprunter la différence auprès de l’union desB TEC. A ce jour, nous avons quatre-vingt demandes decrédits non satisfaites pour quinze millions de francs. »

Les quatre cents greniers de sécurité alimentaire sontun autre service d’utilité paysanne queles femmes ont pris en main. Au village deRimassa-Tanguin, elles sont trois bénévoles à tenir lescordons de la bourse afin d’assurer « la vie et la survie »de cette association de soutien aux plus démunis,explique la présidente Safièta Ouédraogo, assiseauprès de Djeneba la trésorière. Le grenier villageoispallie à la difficulté de s’approvisionner en ville chez lescommerçants, en particulier pour les personnes âgéespeu valides ou celles ayant peu de moyens. Il joue unrôle crucial en période de soudure pour environ unmillier de familles de Rimassa et des villages alentours.« En mars, nous commençons à acheter des céréalesauprès des grossistes situés dans la région Ouest »complète Boureima Kirakoya, l’homme qui appuie lesfemmes du comité de gestion. Les vendeurs de ceszones excédentaires assurent le transport. Pour sefinancer, les femmes sollicitent un crédit auprès de lacellule des greniers de la Fédération des Naams. Prêtqu’elles doivent rembourser avec intérêt. Malgré tout,acheter au grenier revient moins cher que chez lescommerçants. Quand le sac de cent kilos vaut 15 000 Fà Rimassa, il en coûte 15 750 chez les marchands deTitao, selon Safièta. La différence paraît faible mais il estmoins coûteux d’acheter au village, d’autant que chacunpeut ici prendre au même prix et au jour le jour, detoutes petites quantités, l’équivalent de 10 francs (moinsde deux centimes d’euros) ou d’une boîte à tomates demil. L’an dernier, le grenier a écoulé cinquante tonnes decéréales, cinq cents sacs de cent kilos, mais il aurait fallule double vu les faibles récoltes de la fin 2011. Il était videen septembre, deux mois avant le gros des battages.Les femmes achètent en plusieurs fois, cent cinquanteà deux cents sacs correspondant à la capacité dubâtiment de stockage. Celui-ci a été construit il y a vingtans avec l’aide d’une ONG. Le prêt fournit la trésoreriepour le premier achat. L’an dernier, les femmes avaientemprunté deux millions de francs soit plus de trois milleeuros. Cette année, elles ont demandé 2,6 millions.« Notre souci, insiste Safièta, est de ne pas prendre tropde risque. »

« Avec les

femmes,

il n’y a pas de

problème de

remboursement.»

Lisette Ouédraogo,

employée de la banque

B Tec de Titao.

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«

Un peu plus au Nord, à trente kilomètres environ, lesfemmes de Koumbri comptent bâtir unsecond grenier. Azéta Kindo, la septuagénaireprésidente souhaite rendre l’activité permanente :« L’insécurité alimentaire ici c’est toute l’année. » Lecomité stocke à ce jour trois tonnes de niébé acheté àla récolte. Pour le mil, il s’approvisionne au sud du paysà travers les bourses d’échanges organisées avec lescommerçants par la fédération. Le grenier a fourni centvingt tonnes l’an dernier à plus de mille trois cent familles.A un prix quinze à vingt pourcents moins cher que dans lecommerce, selon Azéta. « Personne ne peut acheter plusd’un sac. Nous sommes là pour la population pas pourles commerçants. » Les femmes de l’union de Koumbriont développé bien d’autres activités. Comme la « plate-forme multifonctionnelle ». Ce bâtiment est équipé d’unmoteur diesel et d’une génératrice de courant électrique.Chaque jour, vingt à cinquante paysannes laissent leurmil, leur maïs ou sorgho à Zoenabou Ouédraogo. Pendantque la meunière moud le grain pour elles, moyennantune indemnité, ces dames peuvent vaquer à des activitéslucratives, au lieu de passer des heures à piler. La plate-forme alimente en électricité diverses activités allant dusoutien scolaire le soir à la boutique de Mariam Ouarama,la coiffeuse du village.

Depuis vingt ans, les groupements prennent très ausérieux l’implication des femmes dansl’économie locale. En 1987, la fédération créeaux portes de Ouahigouya, le centre de formation et deproduction de Basnéré. Celui-ci bénéficie aujourd’hui auxfemmes de toute la région et au delà. Il forme, emploie.Il transforme en savons et fruits ou légumes séchésdivers produits de cueillette fournies par des milliers depaysannes du territoire. Des animatrices locales favorisentles activités féminines à la base. Depuis 1986, Bibata Kindorencontre et réunit les femmes des villages de l’union deKoumbri. « En 1990, elles n’avaient accès à aucune activitééconomique. » Traditionnellement, la femme en son foyern’avait le droit de toucher ni au grenier à céréales ni àl’élevage. Elle dépendait pour tout du bon vouloir de sonmari. « Nous avons travaillé toutes ensemble pour identifierles activités possibles, trié et identifié quarante-quatre quiétaient exerçables. » La conviction de l’animatrice est querenforcer les capacités de femmes est nécessaire aumieux vivre de tous. A commencer par leur santé « quiest au centre de tout » considère Bibata. Cela veut direbattre en brèche les traditions douloureuses, toutes lespratiques ancestrales néfastes à la santé et à l’intégritéphysique et psychique des femmes. La première estl’excision, mutilation contre laquelle cette animatrice luttedepuis vingt cinq ans en expliquant aux femmes toutesles conséquences pour leur corps et leur sexualité. Il afallu pour cela libérer la parole. Aller dans les écoles afinque les enfants interrogent leurs parents. « Moi-même audébut, j’avais du mal à parler de tout cela. » Le mariage

forcé, les maladies sexuellement transmissibles, le lévirat,

les grossesses trop rapprochées sont les autres plaies

contre lesquelles les animatrices Naam luttent. « Elles

ont reculé mais continuent de façon cachée. Il faut du

temps. Aujourd’hui les femmes non excisées sont

une minorité. Il faut continuer à sensibiliser jusqu’à ce

qu’elles deviennent la majorité. Nos mères, nos grand-

mères étaient convaincues que c’était nécessaire pour

qu’une femme soit digne. » Les sites aurifères sont un

nouveau fléau avec les maladies liées à la poussière,

aux IST notamment le sida, « et la drogue parmi nos

jeunes ». Selon Bibata, il est temps d’oser parler de la

famille. Si les femmes conquièrent leur place, cela n’a pas

vraiment amélioré la communication dans les couples.

Avant le mari décidait de tout, aujourd’hui chacun gère

d’abord ses affaires sans se préoccuper de celles de son

conjoint. A Koumbri, Bibata démarre une expérimentation

avec trente-cinq familles pour améliorer l’entente et la

collaboration autour du projet de la famille. « C’est la base

pour développer une entreprise familiale. »

Au siège de la fédération à Ouahigouya, amidouGanamé est l’un des pionniers qui ontaccompagné le fondateur en 1967. « A

l’origine Bernard Lédéa avait commencé en créant des

groupes post scolaires pour les élèves qui sortaient des

centres de formation et d’éducation rurale. Ils ont ensuite

évolué vers des groupements de jeunes agriculteurs. Le

but était de garder nos jeunes au village plutôt qu’ils ne

partent en ville ou en Côte d’Ivoire. Puis on a intégré tout

le monde, les femmes, le troisième âge, ceux qui ne sont

pas allés à l’école. » Amidou, aujourd’hui secrétaire de

la fédération, reconnaît que le combat n’est pas encore

gagné. La fièvre de l’or, l’individualisme, le changement

climatique ne facilitent pas la tâche de cette vaste

entreprise de plusieurs générations. Pour lui, seulement un

tiers du chemin est fait. La plus grande menace viendrait

des paysans eux-mêmes. « Avec cette natalité que nous

n’avons pas réussi à endiguer. Généraliser le planning

familial n’a fait qu’étaler les naissances sans les diminuer. »

La mèche de l’explosion démographique brûle toujours.

Sur le département de Titao par exemple, des études

prévoient que la population augmentera encore de moitié

de 2006 à 2020. « Avec cela, est-ce qu’on ne s’appauvrit

pas tous les jours ? Nous devons adapter la charge, le

nombre de bouches à nourrir que nous avons avec nos

moyens et possibilités. Nous sommes nous-mêmes notre

malheur. » L’idée et la force des Naams fut de « compter

sur nous avant de demander de l’aide aux autres ». Mais

regrette Amidou, « nous n’avons pas la force du politique

en visite qui, face aux problèmes de la population, dit

que quand il rentrera il apportera le remède. Les gens

devraient être conscients qu’attendre les solutions des

autres ne fait que les mettre eux en retard. » ■

(1) Baoré (« grenier ») Tradition d’Epargne et de Crédit.

AFDI Paysde la Loirepartenairedesorganisationspaysannesdepuis sa création en 1981,l’aFdI Pays de la Loire vienten appui à deux grandesorganisations paysannes duBurkina Faso. La Fédérationnationale des groupementsNaam (FNGN), née en1967, est présente dans 27provinces du pays à traversplus de 5 400 groupementsvillageois qui regroupent600 000 adhérents. Laseconde organisationest la Fédération desprofessionnels agricolesdu Burkina. La FePaB a étécréée en 1997. elle s’appuiesur 218 unions régionaleset quarante constituéesà l’échelle des provinces.La contribution financièrede l’aFdI vise notammentà sécuriser les ressourceshumaines nécessaires aufonctionnement de cesorganisations sur le terrain :postes de cadres, deconseillers à l’exploitationfamiliale, d’animateursdes organisations deproducteurs. L’aFdI Paysde la Loire entretientégalement un courantd’échange régulier « depaysan à paysan », entreprofessionnels. dixBurkinabés sont ainsiaccueillis chaque année danstoute la région.

Complémentsd’infos, interviews ettémoignages sonores,diaporamas surwww.horizon.coop,à partir du 15 mars.

36 N° 99 LE MAGAZINE DE TERRENA MARS 2013

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