INFECTIONS À VIRUS HÉMATOTROPES
Sébastien Hantz
Laboratoire de Virologie, CHU Limoges
CNR des Cytomégalovirus/ Inserm, UMR 1092
12e Réunion annuelle du Club des Jeunes Néphrologues16 mars 2012, Montpellier
Parvovirus B19
�Famille : Parvoviridae
�Sous famille : Parvovirinae
�Genre : Erythrovirus
�Très petit virus (20 nm), nu, à ADN monocaténaire
�Tropisme cellulaire = précurseurs érythroïdes +++
Epidémiologie
� Virus ubiquitaire, très résistant
� Sévit à l’état endémique : petites bouffées épidémiques tousles 3-4 ans fin hiver début printemps familiales ou scolaires
� Transmission :
� Voie respiratoire : sécrétions respiratoires ou contact main-bouche
� Voie sanguine : rare , virémie courte, pas de passagechronique chez l’immunocompétent
� Via greffon (SOT ou HSCT)
� Voie transplacentaire: IMF
Physiopathologie de l’infection
� Cycle réplicatif : au sein des progéniteurs érythroïdes
� BFU-E, CFU-E, proérythroblastes
� Cellules permissives (sans réplication)
� Mégacaryocytes, granulocytes, cellules endothéliales, synoviales, fibroblastes, myoblastes
D’après Broliden et al, J Int Med, 2006
Retentissement clinique de l’infection
� 25% des adultes immunocompétents asymptomatiques
� Après pénétration dans l’organisme, phase de virémie
=> Sd pseudo-grippal
� Blocage de la maturation des proérythroblastes entraînant une érythroblastopénie => � des réticulocytes
� Mise en place de la réponse humorale chez l’immunocompétent (IgM puis IgG)
� 2 à 3 semaines après contage, rash cutané +/- arthralgies peuvent apparaître
� Classiquement, élimination du virus après la primo-infection mais persistance possible
Chez l’immunodéprimé (transplanté rénal)
� La réponse immune humorale est moins performante pour maîtriser la multiplication virale
=> virémie chronique et active
Mais différence entre réinfection et infection latente difficile à mettre en évidence
� souvent, absence des autres symptômes: rash cutané (13%) et arthralgies (6%) (Eid et al., CID, 2006).
Complications hématologiques
� Erythroblastopénie:
=> anémie normochrome, normocytaire, arégénérative, et résistante à Epo
+/- leucopénie et thrombopénie
� Anémie récidivante après ttt (risque: 33%, Beckhoff et al.,
Nephrol Dial Transplant, 2007)
Risque accru si SAL ou primo-infection
� Syndrome activation macrophagique (décrit mais rare)
Complications rénales
� Dysfonction aiguë du greffon: 2 cas décrits
◦ Un rejet vasculaire sévère 2 j post greffe chez un enfant Txavec une infection évolutive à PVB19
◦ Une nécrose tubulaire rénale sévère (PCR PVB19 + sur biopsie) chez un adulte avec une infection à PVB19 développée 8 semaines post greffe
� Dysfonction chronique du greffon: lien non établi mais association retrouvée (Barzon et al, JID, 2009)
◦ Lésions de microangiopathie thrombotique
◦ Lésions glomérulaires à type de glomérulopathiescollapsantes
Autres manifestations atypiques
� myocardite,
� hépatite
� pneumopathie
� neuropathie,
� purpura thrombopénique, purpura vasculaire,
� thrombopénies, ainsi que des neutropénies, peuvent accompagner, voire révéler, une infection par le virus B19.
Diagnostic chez l’immunodéprimé
� La sérologie est peu contributive: absence de réponse humorale dans certains cas
� Recherche de l’ADN viral par PCR:
◦ sur sang total le plus souvent
◦ autres prélèvements: sérum, moelle ou biopsie
◦ quantification souvent réalisée mais seuil de corrélation avec la clinique non défini
� Indications:
◦ anémie persistante chez le transplanté
◦ pancytopénie
◦ tableau clinique évocateur
Prise en charge thérapeutique
� Pas d’antiviral disponible, pas de vaccin préventif
� Le plus souvent pas de ttt chez l’immunocompétent
� Chez l’immunodéprimé:
◦ Baisse de l’immunosuppression
◦ Immunoglobulines IV: 400 mg/kg/j
◦ Transfusion si anémie sévère
Les Herpesviridae
Simplexvirus
VaricellovirusCytomegalovirus
Roseolovirus
Rhadinovirus
Lymphocryptovirus
HHV-8
EBV
HHV-7
HHV-6CMV VZV
HSV-1
HSV-2
Alphaherpesvirinae
Betaherpesvirinae
Gammaherpesvirinae
Epstein-BarrVirus (EBV)Le « grand transformant »
�Famille : Herpesviridae
�Sous famille : γ-herpesvirinae
�Genre : Lymphocryptovirus
�Gros virus (150 nm), enveloppé, à ADN bicaténaire
Epidémiologie
� Virus ubiquitaire, de répartition mondiale avec séroprévalence > 95%
� Transmission:
◦ Voie salivaire ++++ (contact intime)
◦ Via greffe (SOT, HSCT), transfusion
◦ Détection dans les voies génitales mais transmission sexuelle reste controversée
� Durée contagiosité: 6 mois à 1 an après les premiers symptômes
Réplication virale
� Une cellule cible : le lymphocyte B ( récepteur CD21)
� Génome code des protéines associées à la latence virale et des protéines responsables de la production de nouveaux virions
� 2 origines de réplication:
ori-P ori-Lyt
Synthèse des protéines de latence + ARN EBERs
Synthèse des protéines IE, E et L
Cycle latent Cycle productif lytique
Lignée lymphoblastoïde« immortalisée »
Nouveaux virions
Protéines de latence et principales fonctions
Protéinesvirales
Latence Localisation Fonctions principales
EBNA 1 I, II, III Nucléaire Maintien génome viral sous forme épisomale
EBNA 2 III Nucléaire Immortalisation des LB, activateur de la transcription cellulaire et virale
EBNA 3A III Nucléaire Répresseur d’EBNA 2, liaison à RBP-Jkappa, immortalisation LB
EBNA 3B III Nucléaire Inconnue, liaison à RBP-Jkappa
EBNA 3C III Nucléaire Répresseur d’EBNA 2, action sur cycle cellulaire, liaison à RBP-Jkappa, immortalisation LB
EBNA LP III Nucléaire Cofacteur EBNA 2, interagit p53 et pRb
LMP 1 II, III Membranaire Oncogène majeur, transducteur de signaux via TRAF vers NFκB et JNK, induit Bcl2
LMP 2A II, III Membranaire Prévient la réactivation virale
LMP 2B II, III Membranaire Inconnue
Réponse immunitaire spécifique
� Réponse humorale: Lors primo-infection, induction d’anticorps anti-protéines de phase lytique puis anti-protéines de latence
� Réponse cellulaire: CD8+ essentiellement dirigée contre protéines du cycle lytique +++ (syndrome mononucléosique) en phase aiguë puis contre épitopes latents
=> Lyse cellules infectées et inhibition réplication virale
Et pourtant …persistance virale
3 conditions remplies:
1. Le virus infecte la cellule sans la détruire
2. Il maintient son génome dans la cellule sous forme épisomale (réplication simultanée avec génome cellulaire)
3. Il échappe au système immunitaire : évasion immune partielle (faible expression protéique et activité anti-NK, anti-CTL, anti-apoptose)
De la persistance « normale » à la persistance « pathologique »
� Rupture de l’équilibre hôte-virus
� Perturbation des mécanismes de différenciation et d’activation des LB dans le tissu lymphoïde (altérations cellulaires: translocation MYC et BCL2)
� Echappement complet des cellules infectées à la réponse immunitaire
Pathologies EBV induites
Infections inapparentesMNI +/- compliquée (SAM)Infection chronique à EBV
Réactivations inapparentesLymphoproliférations B (et T):
•Lymphome de Burkitt•LH et LNH
Carcinomes
Syndrome de Purtillo Lymphoproliférations B (et T)•Post greffe : PTLD•Infection HIV•autres IS
Leucoplasie orale chevelue (HIV)Léiomyosarcomes
Primo-infection Latence
Immuno-compétent
Immuno-déprimé
Diagnostic et indications
� Indirect: sérologie=> interprétation du profil +++
◦ Diagnostic de la primo-infection
◦ Dépistage pré-greffe
◦ Marqueur de lymphopathies (titres élevés AC)
� Direct:
◦ PCR quantitative +++� MNI: CV réservée aux formes graves ou chroniques
� Diagnostic et suivi thérapeutique des lymphoproliférations des ID
◦ Hybridation in situ / immunohistochimie: � définir si la tumeur est associée à l’EBV
� préciser la latence
� préciser la réactivation
Traitements
� Antiviraux: GCV actif sur réplication EBV mais nombreuses pathologies EBV- dépendantes sans réplication virale
� Immunothérapie:
◦ Baisse de l’immunosuppression
◦ Anticorps anti CD20
� Chimiothérapie/ radiothérapie
Cytomégalovirus« Un formidable immunomodulateur »
�Famille : Herpesviridae
�Sous famille : β-herpesvirinae
�Genre : cytomegalovirus
�Gros virus (200 nm), enveloppé,
à ADN bicaténaire
Epidémiologie du CMV
� Virus ubiquitaire, réservoir strictement humain
� Séroprévalence élevée dépend des :� > 90% dans régions du tiers-monde où l’infection est
acquise très tôt dans la vie
� ≈ 50% en France et autres pays occidentaux
� Séroprévalence augmente avec âge: 1er pic d’infection dans la petite enfance suivi d’un 2e
pic à l’adolescence
Tropisme cellulaire
� Les monocytes-macrophagesRéplication virale: présence d’ARNm précoces et tardifs
� Les polynucléaires neutrophilesPas de réplication viraleVirions phagocytés véhiculés par les PNN
� Les cellules endothélialescellules endothéliales infectées dans le flux sanguin
� Les cellules épithélialesCellules épithéliales pulmonaires et rénales
� Les cellules nerveuses?Cellules de Schwann, neurones des ganglions optiques
Réponse immunitaire
� Réponse humorale dirigée contre un nombre restreint de protéines virales. ◦ rôle dans la protection contre l’infection à CMVH demeure
imprécis:
◦ anticorps neutralisants à titre élevé n’empêchent pas les réinfections ou réactivations, mais rôle atténuateur vraisemblable (cf administration Ig spécifiques)
� Réponse cellulaire: réponse large incluant des protéines structurales et non structurales◦ Rôle majeur de la réponse CD8+: limitation de la propagation
de l’infection (démontré chez Tx et SIDA (Jacobson et al., 2004))
◦ Place également importante de la réponse CD4+ : Infection symptomatique +++ associée à un déficit en LT CD4+ et une CV � chez les patients Tx rénaux (Sester et al., 2001)
Echappement au système immunitaire
� Multiples stratégies développées durant la longue cohabitation du virus et de son hôte (Reddehase et al., 2002)
� Défaut d’expression CMH classe I:◦ US2-US11: rétention puis dégradation via protéasome du CMH I
◦ US3: bloque sortie du CMH du RE
◦ US6: inhibe transport médiée par les protéines TAP
◦ UL83 phosphoryle protéines IE pour inhiber leur présentation au CMH
� Expression d’homologue du CMH I: UL18 (Becket al., 1988)
=> inactivation sous-population de NK
� Inhibition activité cytotoxique des NK: UL16 (NK receptor-like) et UL40 (régulation expression HLA-E)
Infection à CMV du receveur d’allogreffe
Primo-infection
Réinfection
Réactivation
Symptômes
2/3 cas
40%
< 20%
1 à 4 mois après la greffe(en absence de ttt préventif)
Infectionactive
Maladie à CMV
Lymphomes EBV induits
Immunodépression
Infectionsopportunistes
Dysfonction du greffon⇒ rejet aigu⇒ athérosclérose⇒ bronchiolite
oblitérante
rejet chronique
Stimulation allogéniqueImmunodépression
Diagnostic biologique
� Indirect: sérologie
◦ Diagnostic de primo-infection (IgM +)
◦ Statut pré-greffe (D/R)
� Direct:
◦ PCR quantitative +++
Diagnostic et suivi thérapeutique des infections actives des immunodéprimés
◦ Recherche de résistance aux antiviraux par PCR / séquençage des gènes UL97 et UL54
◦ Culture pour isolement de souche et antivirogramme
Stratégies thérapeutiques
Prophylaxievalaciclovir
valganciclovir
Preemptifvalganciclovirganciclovir
Curatifvalganciclovir/ganciclovir
foscarnetcidofovir
Rép
licat
ion
vir
ale
Maladie à CMV
Gre
ffe
Temps
Infection à CMV
Résistance du CMV aux antiviraux
Cohorte multicentrique française de 845 patients inclus de 2006 à 2010:
Inclusion à 1ère infection active à CMV
Prévalence de la non-réponse au ttt:15,6%
Prévalence de la résistance : 7,4%
Incidence de 2,01 cas pour 100 patients /année
Nouveaux antiviraux
gB, gHIE72
IE E L
EGFr
UL54
UL97
IE
E
L
Maribavir
1
2
3
4
5
6
7
8
9
UL56
UL89UL104
Letermovir
AIC246
Artesunate
pp65
Leflunomide
Human Herpes Virus 6Un virus méconnu…
�Famille : Herpesviridae
�Sous famille : β-herpesvirinae
(avec le CMV)
�Genre : Roseolovirus
�Gros virus (200 nm), enveloppé, à ADN bicaténaire
�2 variants: HHV-6 A et B
Epidémiologie
� Virus strictement humains, ubiquitaires
� Transmission:◦ Par contact direct
� salive +++ (B)� voie transplacentaire (rare)� périnatale (rare)� allaitement (?)� sang, greffes d’organes (?)
◦ Dans la petite enfance (entre 6 mois et 15 mois)
=> 90% des enfants Ac anti-HHV-6 avant 2 ans (collectivité+++)
◦ Variant B acquis avant variant A
� Incidence: 90 à 100% des adultes
Tropisme cellulaire
� In vivo :
◦ Lymphocytes T CD4+ � +++
◦ Lymphocytes T CD8+, cellules NK,
◦ Monocytes-macrophages
◦ Cellules épithéliales (glandes salivaires)
◦ Cellules nerveuses (astrocytes primaires, oligodendrocytes, microglie)
◦ Cellules endothéliales des tubules rénaux et des vaisseaux
Physiopathologie (1)
� Primo-infection :◦ Précoce dans la vie
◦ Symptomatique ou non
� Latence : à vie◦ Pas de production de particules virales infectieuses
◦ Expression des gènes limitée à ceux nécessaires au
◦ maintient de la latence
◦ ADN viral sous forme d’épisome dans le noyau
◦ HHV-6 latent :� dans les monocytes/macrophages� les cellules précurseurs de la moelle osseuse� les cellules endothéliales des vaisseaux� certaines cellules du SNC
◦ Intégration possible (séquences DR aux extrémités du génome)
Physiopathologie (2)
� Persistance :◦ Infection chronique (bas niveau de réplication)� cellules épithéliales (glandes salivaires)
� cellules nerveuses
� cellules cutanées
� cellules pulmonaires
� Réactivations : contrôlées par l’immunité◦ Fréquentes et asymptomatiques chez sujets
immunocompétents
◦ Graves, potentiellement mortelles chez patients immunodéprimés
=> Présence du virus dans la salive, le sang
Pouvoir pathogène (1)
� Primo-infection de l’enfant:
◦ asymptomatique ++++
◦ exanthème subit (6e maladie, roséole infantile)
◦ parfois sévère: hépatite, thrombopénie, SAM
� Primo-infection de l’adulte: très rare mais grave
◦ Syndrome mononucléosique
◦ Hépatite fulminante
� Primo-infection de l’ID: peut être fatale
Pouvoir pathogène (2)
� HHV6= virus opportuniste
� Réactivations chez l’ID à l’origine:◦ accès fébriles / éruptions cutanées◦ encéphalites◦ leucopénies◦ rejets de greffon (Tx rénale)◦ hépatite (Tx hépatique)
� Atteintes d’organe plus sévères et plus fréquentes chez VIH+ et greffés de moelle
Attention: CMV souvent associé !!!!
SOT
HHV-6 et intégration
� 0,5 à 1% des personnes infectéesévaluée à 2% chez transplantés rénaux (!! faible effectif)
(Lee et al, NDT, 2011)
� présence intranucléaire du génome viral dans un grand nombre de cellules de l’organisme (�100%)toujours à l’extrémité des chromosomes
� Possibilité de transmission verticale=> 100% des cellules concernées=> pb d’interprétation des résultats biologiques(CV > 6 log dans sang total)
� Peut réactiver
Diagnostic biologique
� Privilégier le diagnostic direct◦ Culture : coculture avec des lymphocytes de sujet sain
=> délicate
◦ PCR +++
� qualitative
� quantitative à privilégier (virus latent +/- intégré)
⇒Comparaison CV ST / autre prélèvement
� Diagnostic indirect (sérodiagnostic)
◦ immunofluorescence
◦ ELISA: risque de réactions croisées
Qui et quand traiter?
� Molécules disponibles:◦ Sensibilité aux anti-CMV: GCV, FOS et CDV
◦ Résistance naturelle à ACV
� Indication de ttt sur faisceau d’arguments évocateurs:◦ Signes d’atteinte organique
◦ Forte immunosuppression
◦ CV HHV-6 élevée
◦ Absence d’autre étiologie infectieuse
� Pas de ttt prophylactiques ou préemptifs envisagés à ce jour
� Résistance au ttt décrite (mécanisme similaire CMV)
Conclusion
� Virus hématotropes peuvent persister dans l’organisme
⇒ Infections chroniques ou réactivation chez les ID notamment les patients transplantés
� Malgré des caractéristiques communes, grande diversité d’évolution et de pathogénicité
� Suivi régulier indispensable par biologie moléculaire (qPCR) pour les virus latents ou si suspicion de passage à la chronicité: importance de garder la même technique d’analyse sur le même type de prélèvement pour comparer les CV