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Longueur d'Ondes n°74 (hiver 2015)

Date post: 07-Apr-2016
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Pascal Nègre - L'avocat du diable ?, Molécule - L'homme qui prend la mer, Husbands, DJ Oil, Ostyn, Mountain Bike, Last Train, Chinese Army, Someurland, Morthouse, Montréal - Ville de beats, La tournée Granby-Europe, Christian Eudeline…
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s u r l a m ê m e n°74 . hiver 2015 GRATUIT molécule • rone • husbands • dJ oil • ostyn morthouse • last train christian eudeline • mountain bike • chinese army • someurland…
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n°74 . hiver 2015

GRATUITmolécule • rone • husbands • dJ oil • ostyn • morthouse • last trainchristian eudeline • mountain bike • chinese army • someurland…

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numéro 74hiver 2015france - quEbec - acadie - belgique

Directeur - Rédacteur en chef > Serge Beyer | Rédacteur en chef adjoint - Maquette > Cédric Manusset | Publicité > [email protected]. MONTRÉAL > Distribution Diffumag | Coordination > Alexandre Turcotte, [email protected] | Webmasters > François Degasne, Marylène EytierOnt participé à ce numéro > Patrick Auffret, Sébastien Bance, Olivier Bas, Isabelle Bigot, Alain Birmann, Romain Blanc, Olivier Boisvert-Magnen, Bastien Brun, Mickaël Choisi, Samuel Degasne,France De Griessen, Emmanuel Denise, Julien Deverre, Jean Luc Eluard, Mathieu Fuster, Aude Grandveau, Alexandre Hiron, Kamikal, Aena Léo (livres), Céline Magain, Emeline Marceau, Vincent Michaud,Julien Naït-Bouda, Elsa Songis, Jean Thooris, Alexandre TurcottePhotographes > Michela Cuccagna, Delphine GhosarossianCouverture > Florent Choffel - www.etsionparlaitdevous.com, Photo © Michela CuccagnaImprimerie > Roto Garonne | Dépôt légal > Janvier 2015 | www.jaimelepapier.frLes articles publiés engagent la responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction réservés.

SUR LA MÊMELONGUEUR D’ONDES

22 chemin de Sarcignan33140 Villenave d’Ornon

[email protected] www.longueurdondes.com

I.S.S.N. : 1161 7292 NE PAS JETER SUR LA VOIE PUBLIQUE

De la nécessité de mettrePascal Nègre en couverture

1. Journalisme (n.m.)  : activité qui consiste à recueillir, vérifierou commenter des faits pour les porter à l’attention du public.

2. Enquête (n.f.)  : étude d’une question en réunissant destémoignages et des documents pour en examiner la véracité.

3. Objectif (adj.)  : qui ne fait pas intervenir d’éléments affectifsou personnels dans son jugement pour laisser au lecteur le soinde se faire son avis.

4. Indépendant (adj.)  : qui ne dépend d’aucune autorité. Se ditd’un média autonome depuis 32 ans et n’appartenant à aucungroupe de presse.

5. Décalage (n.m.)  : écart volontaire en marge du courantgrand public. Exemples dans les précédents numéros avecPierre Lapointe, My Little Cheap Dictaphone, Misteur Valaire,Giedré…

6. Symbole (n.m.)  : qui représente un concept ou en estl’image. Significatif d’une intention.

7. Flops (angl.)  : échecs. Associés en 2014 aux majors quipeinent à trouver leur poule aux œufs d’or, vu la débâcle deJennifer Lopez, Mariah Carey, Kylie Minogue, Shakira, Alizée,Amel Bent, Sébastien Tellier, Ben L’Oncle Soul, Renan Luce,Yannick Noah… (on continue ?)

8. Disponible (adj.)  : parce que l’homme se laisse approcher,les doigts pris dans le pot de miel médiatique, et qu’un bonméchant a toujours fait un bon film.

Bonne année  ! (compliment)

éditolongueurdondes.com

Didier Wampas @ Genève, le 13 mars 2014“Généralement avant de monter sur scène je mets mon

costume de Super Héros qui me permet de faire n'im-

porte quoi, de voler, de jouer de la guitare avec un doigt,

de sauter pendant deux heures et de hurler sans me

"casser la voix" ( comme dirait l'autre). Visiblement ce

jour-là je n'étais pas encore tout à fait prêt, peut-être un

petit retard à l'allumage ?”

sommaire5 DECOUVERTES• 9 entrevues

31 coulisses• 39 chroniques

sur scène dans une minute !par Thibaut Derien

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4 LONGUEUR D’ONDES N°74

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DECOUVERTES5 Mountain Bike • 6 Last Train

6 Chinese Army • 7 Someurland • 7 Morthouse

V ous aimez le rock et la bière belge ? Vousconnaissez sûrement Madame Moustache, ce barincontournable de la nuit bruxelloise. C’est ici

qu’Étienne et Stefano, deux amis d’enfance ayantdécidé de quitter Toulouse pour Bruxelles, rencontrent

Charles, originaire de Tournai. “On y bossait tous en tant que serveurs.Un jour, Charles m’a proposé d’y organiser une soirée 60’s. Pendanttrois ans, tous les mercredis, on passait nos 33 et 45 tours. Ça a vrai-ment cartonné ! Parfois, le bar faisait de meilleures caisses le mercredique le samedi soir !”, raconte Étienne. Love, les Doors, le Velvet…Puisqu’ils écoutent les mêmes groupes, pourquoi ne pas former leleur ? “Je savais qu’Étienne composait de chouettes trucs, seul danssa piaule, sans les montrer à personne”, s’amuse Charles. “À cetteépoque, Stefano et moi habitions dans un ancien garage automobile

de Bruxelles, se remémore Étienne. Il était complètement délabré, maison l’a si bien retapé que l’on a décidé d’y faire nos propres soirées. Unsoir, les flics ont débarqué pour nuisance sonore. Ils étaient vachementimpressionnés par l’endroit, du genre : Trop cool les mecs, vous avezfait du beau boulot !” Là-dedans naît Mountain Bike, groupe de garagedans son essence même. Charles passe derrière la batterie. Il encou-rage Étienne à déballer ses compos. Stefano prend la basse. Puis arriveAurélien et le projet passe la vitesse supérieure. C’est grâce aux jolieslignes de ce jeune guitariste wallon que Mountain Bike réussit son parimusical : allier une énergie foncièrement garage à des mélodies sub-tilement pop, comme sur I lost my hopes (in paradise), tube de leurpremier album. Les Franco-Belges se sont déjà taillés une furieuseréputation scénique dans toute la Belgique, et comptent bien faire demême en France cette année.

Mountain Bike

“Mountain Bike” - Humpty Dumpty

5 LONGUEUR D’ONDES N°74

au commencement était le garage…b ROMAIN BLANC | a OLIVIER DONNET

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6 LONGUEUR D’ONDES N°74

DECOUVERTES

D ébarqué en 2013 avec l’EP Runaways, Chinese Army revient avec Fiveeasy pieces, un nouveau maxi idéal pour accompagner les longuessoirées d’hiver. Derrière cette messe rock, froide et hypnotique se

cachent le musicien Benoit Perraudeau (guitare) et le photographe Oan Kim(synthé), deux quadragénaires parisiens qui n’en sont pas à leurs premièresheures de (joyeux) tapage musical. Formé en 2010 après un concert donnépour l’ouverture de l’installation Life on loop à la Pyo Gallery de Los Angeles(pour laquelle il a conçu la BO), le duo a d’abord fréquenté les rangs d’écolesde musique classique et de jazz, puis s’est illustré au sein du groupe FilmNoir, dont il a gardé une certaine atmosphère cinématographique. Derrièreson énergie psyché, ses riffs sales et ses orgues fous, Chinese Army honorequelques héros du blues-rock, passés ou modernes, comme Suicide, TheKills, The Doors, The Legendary Tigerman, etc. “On a aussi pensé à TimberTimbre pour travailler le son de la voix”, avance Benoit. Adeptes du do ityourself, les deux hommes ont enregistré et produit eux-mêmes leurs titres,à la maison : “On fait tout tout seuls, c’est pour ça que l’on met parfois dutemps à composer. Certains titres du nouvel EP sont assez vieux, admetOan. On a sorti l’EP nous-mêmes. On n’a pas de label, mais l’avantage estque ça nous laisse une certaine liberté.” Soutenu par le collectif BaladesSonores, Chinese Army veut tourner autant que possible. “Sur scène, on aune boîte à rythme. Avant, on nous demandait pourquoi on n’avait pas debatteur, mais la question ne se pose plus, d’autant que l’on projette de lavidéo. Cela rajoute une dimension supplémentaire aux concerts”, avanceOan. L’année 2015 devrait convaincre ceux qui en douteraient encore.

“Five easy pieces” - Autoproduit

b EMELINE MARCEAU | a MURIEL DELEPONT

du blues libre et imagéChinese Army

N e boudons pas le plaisir de se confronter à une jeunesse en ébullition,certes frivole, mais emplie de cette énergie vitale qui fait avancercertains plus vite que les autres. “Il y a plein de bons groupes en

France, et la seule manière d’émerger c’est d’avoir des couilles pour pouvoirs’assumer et se lâcher !” À peine la vingtaine, ces quatre garçons avancentmaintenant à pas réfléchis car se dresse devant eux le rituel initiatique dupremier album, dont l’aboutissement est prévu au crépuscule de l’année2015. Se délivrer des chaînes de ce dernier sera à coup sûr un tournant quel’on espère heureux pour cette bande de gamins sincères et généreux. À regarder leur esthétique musicale comme visuelle, encadrée jusque-làpar deux clips, on se dit qu’ils sont sur le bon rail. “Chacun sait commentl’autre joue, cela nous permet d’appréhender la composition de notremusique différemment. Il est temps à présent de nous affranchir du formatEP.” Une volonté qui devra suivre la voie orchestrée par des performancesscéniques fiévreuses que l’on ne peut définitivement mettre en sourdinetant elles prennent aux tripes : “Notre aspiration est de marquer le public.Aller voir un concert est une expérience différente que l’écoute de la radio.Le rock, c’est une histoire où il faut tout donner. Si on décide de péter nosinstruments sur scène, c’est que la fusion avec le public était là, on ne lefera pas juste pour le visuel car ça coûte cher…” Si le poids des aïeux pèsesur ces jeunes gens, leur filiation générationnelle, tout en continuité et enrupture avec les sphères moderne et indie du rock, augure une fraîcheurque l’on ne pensait plus possible dans un style qui, il faut bien l’avouer, noiedans la masse de nombreuses formations. Et quand ils lâchent que leurprincipale référence musicale est Led Zeppelin, “pour l’alchimie qui reliaitses membres”, on se met à espérer qu’un disque français de pur rock puissesecouer des horizons plus lointains que ceux de l’Hexagone. Tant qu’on ades couilles…

Last Trainfeu sacré

“Cold fever” - Tentacled Records

b JULIEN NAÏT-BOUDA | a MICHELA CUCCAGNA

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DECOUVERTES

C e qui est important et ce que j’aime faire par-dessus tout, c’est abor-der l’émotion, être honnête et pouvoir illustrer ma vulnérabilité”,confie Élaine Martin (Amour à Jeun, LoRa) qui lance cette saison son

premier LP sous le nom de son plus récent projet, Someurland, faisant suiteà un EP paru en août 2013. Artiste pluri-disciplinaire, autant musiciennequ’illustratrice, peintre et photographe (elle signe par ailleurs trois de sesvidéo-clips), Élaine a eu besoin d’évacuer ses émotions après une difficileet éprouvante relation. “J’ai appelé l’album 2012, justement parce que toutce qui m’est arrivé de difficile est survenu cette année-là.” On sent le bou-leversement, les souvenirs difficiles et les plaies encore ouvertes. Ladouleur est criée et les maux sont mis en avant. La musique sert de cathar-sis. Les paroles sont crues et parfois simples. “Les textes reflètentexactement comment je me sentais au moment où je les ai écrits. Je nepeux pas les retravailler, car ça serait trahir la spontanéité”, explique-t-elle.Someurland est une entité trempée dans un électro-trash à saveur pop quitangue dangereusement entre ballades francophones et un puissant murde son électro-rock. Mélange de Raveonettes, The Naked and Famous et deprojets tels que Suuns, Malajube ou encore Galaxie, 2012 se décline en plusieurs couches mélodiques d’ambiances éthérées et d’accents rock quise percutent pour créer un climat onirique. “Je trouvais ça particulier parceque 2012 devait aussi être la fin du monde.” Elle le traduit en dévoilant unséisme sonore touffu, enragé, dirigé et magnifique, où sa voix bouillonnanteet riche se marie aux violons vaporeux, aux emportements électroniqueset aux passages quasiment symphoniques. “Je ne dirais pas que je metsune croix dessus cette année noire, mais c’est un chapitre qui se termine.”

“2012” - Autoproduit

b ALEXANDRE TURCOTTE | a D.R.

ballet apocalyptiqueSomeurland

S ur son premier EP paru en octobre dernier, le groupe montréalaisévoque Joy Division de bien des façons, autant au niveau du timbrevocal grave de son chanteur que de la tension précaire qui émane de

ses compositions. “Le mouvement post-punk et no wave des années 80nous a sans doute influencés”, explique Thomas Lallier, chanteur et guita-riste du trio complété par son frère Philippe, multi-instrumentiste, etSamuel Gemme, batteur. Sans verser dans la nostalgie, le groupe tapisse samusique de textes abstraits, parfois surréalistes, de guitares indie rock hur-lantes et de mélodies atmosphériques prenantes, créées à partir du “vieuxpiano droit” de la maison d’enfance des frères Lallier. C’est d’ailleurs cettechimie entre les deux musiciens - auparavant regroupés au sein de Pass-words - qui est à la base de l’existence même de Morthouse. “Je pensequ’inconsciemment, on savait qu’on allait, un jour, collaborer. Il fallait seu-lement attendre le bon moment, indique Thomas. Nous sommes rarementd’accord sur quoi que ce soit, alors nous remettons constamment en ques-tion la direction du groupe. Le but principal est de garder le projet stimulantpour chacun.” C’est le défi auquel le groupe sera confronté lors de l’enre-gistrement de son premier album complet, qui débutera cet hiver. L’objectif :tenter de percer au Canada d’abord, puis aller voir ailleurs ensuite. “On nevise pas de marché en particulier, mais on est conscients que le marchéquébécois est assez limité pour ce genre de projet”, admet le chanteur, enréférence à l’unicité de leur proposition musicale sur une terre québécoiseencore nourrie par le folk. “On aimerait bien tourner en Europe à l’automne2015, mais il y a encore beaucoup de support financier à aller chercher.”

“Morthouse” - Sainte Cécile

b OLIVIER BOISVERT-MAGNEN | a MENAD KESRAOUI

fraternité montréalaiseMorthouse

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“Chaque homme, à quelque période de sa vie, a […] soif d’Océan.”

Ainsi débute, dans les premières pagesdu roman d’Hermann Melville, l’histoirede Moby Dick. Ainsi débute également le projet musical de Romain DelahayeSerafini, alias Molécule, qui, le 26 mars

2013, décida de prendre la mer.

entrevues9 Molécule • 15 Husbands • 16 DJ Oil • 19 Ostyn • 20 Rone

24 Pascal Nègre, l’avocat du diable ?

9 LONGUEUR D’ONDES N°74

b ALEXANDRE HIRON | a MOLÉCULE & ALEXANDRE GOSSELET

l’homme qui prend la merMolécule

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J’ai toujours été fasciné par le large. Faire une traversée assez longuedans une mer dangereuse et le concilier à mon activité artistiqueétait un moyen de me mettre en danger, de travailler dans un envi-ronnement nouveau, pas forcément adéquat. Je suis parti là-basavec la volonté de me rapprocher de mes peurs.” Équipé de ses

machines et de son matériel d’enregistrement, l’auteur a embarqué letemps d’une campagne de pêche sur le Joseph Roty II, un chalutier croisanten Atlantique Nord. Cinq semaines durant, le navire a traqué sans escalele merlan bleu sur une mer parmi les plus difficiles du globe, le long de lafaille continentale, à 150 milles des côtes, là où les abysses plongent à plusde 3000 mètres de profondeur. Et pendant toute la durée de ce périple,niché quelque part dans les entrailles du navire, véritable usine flottantede la pêche industrielle, Molécule a composé 60°43 Nord, son cinquièmealbum de musique électronique. Parti sans idée précise de ce qu’il comptaitcréer à bord, son seul dogme artistique était de ne pas ajouter une seulenote à ses compositions une fois revenu à terre.

L’entreprise constituait une véritable prise de risque. Environnementbruyant, exigu, humide et instable, le navire n’est certainement pas le lieuidéal pour enregistrer un album. “J’ai retrouvé plusieurs fois mes synthéset mes machines par terre. On a eu jusqu’à force 12 avec des creux entre14 et 18 mètres et là, il n’y a pas grand chose qui résiste ! Même nous, d’ail-leurs, on s’est retrouvés projetés au sol à certains moments.”Paradoxalement, cet environnement a constitué une source sonore d’uneinfinie richesse. Ici le bruit capté des vagues monstrueuses qui se fracas-sent sur la coque en métal vient enrichir le rythme (Rockall), là lescraquements du navire et le ronronnement incessant du moteur contri-buent à créer des ambiances sonores singulières (Shannon), ailleurs c’est

entrevues

“60°43 nord”Mille Feuilles

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le vent qui pose les bases mélodiques d’un morceau : “J’ai enregistré Meta-rea avec le vent qui faisait siffler les câbles sur le toit du bateau. J’ai faitplusieurs prises de son, ce qui m’a permis de créer une séquence sonoreque j’ai ensuite mis en musique avec des boîtes à rythmes et des synthés.J’ai constitué un circuit sonore avec des pédales d’effet de guitare. Les sonspassaient d’une pédale à une autre, chacune apportant son grain. Cela per-met d’agir sur les fréquences, le timbre, et de trouver le La de cettemusique en plein océan ! (…) En parallèle, avec les instruments, j’ai pu trou-ver des sonorités qui évoquaient l’espace, le milieu aquatique et quis’accordaient parfaitement avec les sons que j’avais captés sur le bateau.”À bord, les journées de travail sont calées sur celles des marins. Par

tranches de six heures, l’artiste assemble sans relâche les morceaux et lesimages qui composeront l’album pendant que les pêcheurs manœuvrent lechalut et remontent inlassablement des tonnes de poissons. Si l’accueil del’équipage a été très chaleureux, les journées furent parfois difficiles : “Jecommençais assez tôt le matin. Il m’arrivait de faire des journées trèslongues, ce qui n’était pas forcément évident parce qu’on est dans unecabine où il y a juste un petit hublot, et où tout bouge. Je n’ai pas étémalade, mais j’ai été vaseux, fatigué, épuisé par moments. Ce n’était pasun effort physique contrairement aux marins, mais c’était un effort de

entrevues

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e

« Je suis parti là-bas avecla volonté de me rapprocherde mes peurs. »

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12 LONGUEUR D’ONDES N°74

entrevues

concentration et d’assiduité dans la démarche qui était assez intense.”Par gros temps, de même que les marins cessent toute activité, Moléculereste dans sa cabine à attendre une accalmie pour reprendre son travail.C’est là que l’éloignement des siens, la perte de repères et le sentimentd’enfermement peuvent alimenter les idées noires. Ce n’est pas sans rai-son que, jusque dans les années 1970, des prisonniers étaient embarquéssur ces navires dont il n’existe nulle échappatoire. “Cinq semaines, c’esttrès long. On a une notion du temps différente sur l’eau. Et puis enpêchant, on traque le poisson, on fait des ronds dans l’eau, donc on perdle nord et tous ses repères…” La musique devient alors un refuge loindu bruit assourdissant généré par le chalutier, loin de l’odeur omnipré-sente du poisson mêlée à celle du gasoil et des cuisines. C’est la musiquecomme rempart contre l’hostilité de la mer, à l’image du titre Le lac quise déploie calmement sur près de vingt minutes et dans lequel transpa-rait un fond d’amertume et de mélancolie.

De son expérience, Romain retire des émotions très contrastées qui seretrouvent sur l’album : “Il y a des morceaux très vaporeux, très planants,qui évoquent des images d’horizons, de couchers de soleil fabuleux quime restent. Et d’autres qui sont plus violents, qui expriment des chosesplus dures, qui raclent ; ils font écho aux moments de stress et de peurtrès intenses que j’ai pu vivre. On entend des bruits partout qui claquent,des affaires qui tombent, des sirènes d’usine parce que les machines par-tent en vrille…” Il y a cette scène notamment, que nous raconte Romain,où plusieurs déferlantes arrivent par derrière et balaient le pont ;quelqu’un aurait pu passer facilement par-dessus bord et sombrer dansles flots noirs…

Après plus d’un mois en mer, l’ordre de rentrer est tombé. Le chalut estremonté et la parole de Molécule s’est tue. À peine le temps d’organiserles dix titres qui composent l’opus que déjà le port de Saint-Malo réap-paraissait à l’horizon. Les cales étaient pleines de poisson et 60°43 Nordétait achevé. L’album est accompagné d’un recueil de 340 pages, réunis-sant textes et superbes clichés pris lors de l’aventure.

« On entend des bruits partout qui claquent, des affaires qui tombent,des sirènes d’usine parce que les machines partent en vrille… »

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Kid Francescoli, Oh! Tiger Mountain et Simon du groupe Nasserrassemblés, quelle belle formule ! Voilà un premier album qui flirteentre pop léchée et électro délicate que les trois amis de Marseilledéfendent, non sans un certain humour.

c’est avant tout une histoire d’amitié entre troishommes aux parcours individuels reconnus,poussés par l’envie de créer un nouvel espace

de jeu musical sur le territoire marseillais. Un cœurdes hommes inspiré et imprégné qui fait mouche,comme un clin d’œil au film de Cassavetes, Hus-bands : “Ils sont trois, on est trois. Ilsrigolent, on rigole. Ils sont bien habillés,on essaie de faire pareil. Cassavetes, c’est unstyle et une démarche artistique bien particulière,une vraie sensibilité masculine, comme on laretrouve en France chez Gainsbourg, Marielle ouRochefort.” Cette sensibilité masculine est présentetout au long de l’album, et pour les influences, cesont avant tout “le cinéma, le whisky, la dancemusic, les années 70, 80, 90, même 2000, et l’Inter-net !” qui les inspirent. Des hommes en lien avecleur temps et leur époque qui proposent unemusique très actuelle à l’univers feutré avec unepetite touche vintage imprévue : “Il n’y a rien devolontaire dans Husbands. Le côté vintage vient

juste des instruments que l’on utilise et du fait quel’on commence à vieillir !” Vieillir ? On peut sedemander si, au contraire, Husbands n’est pas lenouveau boys band pour adulte ? “On aurait bienvoulu monter un girls band trash, mais c’était bio-logiquement impossible…” De l’humour, les troisacolytes n’en manquent pas, il sert de liant à leurmusique et c’est leur façon à eux d’insuffler un peude chaleur dans un monde devenu trop frileux.

C’est donc à trois, et à force de participer auxalbums des uns et des autres dans leur studio, qu’ilsse mettent à composer. La rencontre avec LaurentGarnier est le déclic ; à l’écoute des titres du groupenaissant, c’est le coup de cœur. “On l’a rencontrélors de la première édition du festival YEAH ! (Lour-marin, 84) en 2013, où Oh! Tiger Mountain était

programmé. Laurent voulait que l’on sorte un EPvinyle pour lancer son nouveau label Sounds LikeYeah !, puis il a finalement opté pour un album.”

Pour le style, Husbands se situe dans une veine trèsbritish qui n’est pas sans rappeler Metronomy, entreélectronique et alternative, de quoi rendre l’ensem-ble un peu décalé, avec un grain et une identitépropres. On oscille entre pop song raffinée et élec-tro aux rythmiques langoureuses. Si l’on peut d’oreset déjà apprécier les cinq premiers titres du EP Letme down (don’t), les six à venir sur l’album qui sor-tira en mars promettent d’autres grands plaisirs :Who knows et sa mélodie ensoleillée voire reggae,ou encore Run along son qui monte doucementemmenant l’auditeur dans une vague positive etultra-entraînante. Un peu à l’image du clip Dreamque le duo parisien Cauboyz a réalisé pour ce triochic, on peut s’attendre en live à voir trois potess’éclater, mais toujours avec élégance.

Sortie le 9 mars 2015

Concert à La Maroquineriele 24 mars 2015

“husbands”Sounds Like Yeah !

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entrevues

le cœur des hommesHusbands

b KAMIKAL | a CAUBOYZ

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comme un contrepied à son premier album solo (Black notes, en2012), mais également par soif d’aventures et de nouvellesexpériences sonores, DJ Oil a élaboré les douze titres de Phan-tom de façon un peu nomade, à l’instinct. “Les morceaux ontété enregistrés en live lors de soirées ou bien dans mon propre

studio, sans aucune retouche post prod, comme des peintures au pre-mier jet. Je me suis aperçu que cette méthode ne fonctionnait pas tropmal… Du coup, l’album ne raconte pas forcément une histoire car ils’agit plutôt de collisions entre les titres, d’une construction échafaudéecomme un DJ set. Je voulais un disque sans concession, mais sans nonplus tomber dans un truc trop barré ou trop dark ; un disque un peubigarré, comme une collection d’images enregistrées dans un état d’es-prit ludique, quitte à ne pas plaire à tout le monde.” Un travail àl’arrache qui privilégiait les erreurs de parcours, les soudaines dériva-tions… “J’aime les accidents car c’est là que s’affrontent les sonorités,comme dans le jazz ou le hip-hop. Tu ne calcules rien, tu es simplementsurpris par le résultat, qu’il soit heureux ou malheureux.”

Au-delà du processus créatif, DJ Oil reste farouchement attaché à la cul-ture black, qu’elle puise dans la soul ou le rap (des préceptes déjàlimpides au sein des Troublemakers). “La musique afro-américaine atoujours été une influence, ce qui est normal vu mes nombreux voyagesen Afrique. Pour moi, il s’agit vraiment du rythme de la vie - comme s’in-titule d’ailleurs l’un des morceaux de l’album. Ensuite, mon père étaitDJ dans les années 60, je lui dois cet amour pour la soul et le funk, quej’ai écoutés très jeune. De là également mon attachement au vinyle.”Comment se positionne un tel passionné du vintage à l’heure de ladématérialisation musicale et de la forte prédominance du MP3 ? Sanstomber dans le passéisme (Phantom sortira en CD et en vinyle), LionelCorsini ne mâche pas ses mots : “Sur certains points, l’esthétiquevisuelle des années 60 et 70 a été avalée par le numérique. Par exem-ple, les procédés d’enregistrement possédaient plus de grain, de chaleur

énergie non fossileDJ OilAncien membre de Troublemakers, le Marseillais DJ Oil, alias Lionel Corsini,poursuit avec Phantom l’idée d’une musique puisant dans la soul et la housepour un rendu aussi viscéral que mutant.

« La musique afro-américainea toujours été une influence,(…) il s’agit vraiment durythme de la vie »

b JEAN THOORIS | a STEPHAN MUNTANER

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17 LONGUEUR D’ONDES N°74

entrevues

et de réflexion durant ces deux décennies. Aujourd’hui, lesgens se prennent un peu trop la tête sur le fond au détrimentde la forme.” Pour autant, loin de l’hommage révérencieux oud’une quelconque nostalgie prégnante, Phantom est un albumd’ici et maintenant, une collection de titres flirtant avec l’in-temporalité. Car si le background métissé de Lionel Corsiniprédomine, la modernité de la production entraîne l’ensemblevers des recoins cosmiques, vers des zones surréalistesauthentifiées par la passion du DJ marseillais pour Buñuel etMiró. “La phase mastering fut très importante car elle donneun côté organique à l’album. Il fallait justement renforcer cetaspect vintage. La personne qui s’en est chargée, FrançoisFanelli de Sonics Mastering, possédait déjà une expérience ence qui concerne mes prods et mes goûts. J’y ai également par-ticipé car je ne voulais pas que le son produit dans mon studiose retrouve embrouillé par le mastering. Mais en effet : êtremoderne sans toutefois oublier les musiques que l’on aime, nepas réussir à dater un disque, voilà le véritable challenge.”

Depuis Black notes, Lionel Corsini s’est donc baladé, au hasarddes rencontres et de l’inspiration, “avec mon ordinateur, macarte son et le logiciel Live”. De ce processus par strates, vingttitres sont nés. En accord avec sa nouvelle structure d’accueil,et par souci de cohérence, Lionel a accepté de réduire le track-listing à douze. Un travail d’équipe entre DJ Oil et BBE, ensomme. De quoi faire oublier la mauvaise distribution de Blacknotes -“un disque peu mis en avant par le label, sans trop depromotion…” - et les déboires juridiques rencontrés par lesTroublemakers au moment de Express way, deuxième opus sortichez Blue Note en 2004. Mais qu’importent les mésaventurespassées : soutenu par BBE, Phantom devrait logiquement faireconnaître au plus grand nombre les orfèvreries pluriethniquesd’un intransigeant qui n’aime rien moins que d’assimiler la com-position musicale à un coup de pinceaux… Et maintenant ? “Lesmorceaux de Phantom existent depuis début 2014. Entre-temps,j’ai produit Magic Malik… Et je viens tout juste de commencermon prochain album, qui sera plus électro, plus influencé par lahouse de Chicago… Oui, j’ai un peu d’avance !”

Dès Yes it is, introductionglaçante au nouvel albumde DJ Oil, on devine le dépaysement garanti, levoyage vers des contréesdifficilement identifiables.Pourtant, la matrice dePhantom puise dans la soulet le hip-hop, dans le funket le blues. Mais de ces références, Lionel Corsinien extirpe une nouvelle cathédrale, un gospel n’ap-partenant qu’à lui. Commesi, constituée de graffitisprovenant d’horizons épars,cette musique concassait,déstructurait puis remodè-lait l’émulation afro-américaine de son auteur.Le passé est scratché, la house de Chicago tutoieMiles Davis, un travellingkubrickien revisite un clas-sique de la blaxploitation.

“Phantom”

BBE

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naturellement synthétique

après un dernier album, As it ever was en 2012, qui “n’a pasété le plus facile a réaliser”, de l’aveu même du chanteur,les cinq membres d’Absynthe Minded ont décidé de mettre

le groupe au congélateur pendant quelques temps et d’aller voirsi l’herbe ne serait pas plus verte ailleurs ; quitte à le réveillerplus tard, quand l’envie et l’inspiration seront revenues. L’occa-sion pour chacun d’aller au bout des idées qui les titillaientdepuis quelques temps. Idées qui, dans le cas de Bert Ostyn,fleurent bon l’électronique et la pop synthétique : “J’ai tou-jours adoré les synthétiseurs, les mellotrons etles guitares. J’adore leurs sonorités dans l’air dutemps. Je peux jouer de tous ces instruments et réaliser dessons vraiment différents, comme un peintre avec sa palette. Jepense sincèrement qu’un artiste doit faire l’effort de ne pas serépéter.” Une esthétique digitale qui lorgne même parfois vers lacoldwave, en particulier sur l’excellent Mary, premier single extraitde l’album qui impose sa couleur par sa nonchalance sensuelle.

Les habitués des albums d’Absynthe Minded risquent d’être for-tement surpris par la teneur presque shoegaze de No south ofthe South Pole, mais il faut bien reconnaître que le chant deBert s’y prête merveilleusement bien et que les dix titres s’en-chaînent avec une véritable aisance. La longue expérience duchanteur lui permet d’emblée de connaître les horizons sur les-quels sa voix plane le mieux. Il est ici dans son élément naturel,et on jurerait qu’il n’a jamais rien fait d’autre, tant l’ensembleest cohérent, maîtrisé et subtil. Subtil parce que l’album sonnedéjà très bien à la première audition, mais qu’il ne lasse tou-jours pas après plusieurs écoutes : on trouve une foule de petits

détails sur lesquels porter son attention à chaque fois, et lesmorceaux sont d’une qualité égale, bien qu’il proposent tousune esthétique sensiblement différente. Cette ampleur dans lestyle prouve, s’il le fallait, que ce disque n’est pas un simpleessai, mais bien une nouvelle approche longuement mûrie etdigérée par le chanteur.

Concernant sa réalisation, et c’est peut-être là son secret, elles’est déroulé sans violence ni contrainte, au gré des envies etdes idées. En tout, Bert a passé environ une vingtaine de joursau studio ICP à Bruxelles, sur une période de six mois, le restedu temps étant consacré à l’enregistrement d’idées et de démoschez lui. Les riffs, boucles et rythmiques s’empilaient, puis ilsétaient testés en studio. Il retournait ensuite chez lui, essayaitd’autres choses, se vidait la tête puis recommençait, et ainsi desuite jusqu’à aboutir à ce peaufinage, plus proche du travail del’artisan amoureux de son art que de l’œuvre accouchée dansla douleur. “Rien de plus simple !”, confie même Bert. Quelquesamis appelé à la rescousse, dont Luuk “Shameboy” Cox, qui aprêté son oreille critique de producteur, le batteur SimonSegers, avec qui Bert avait déjà joué au sein de Tao Tse Tse, etle guitariste Jean-Marie Aerts de TC Matic, apportent leursavoir-faire tout en restant fidèles aux idées d’Ostyn.

Il semble en tout cas que le chanteur ait prit beaucoup de plaisirà la réalisation de ce projet, puisqu’il a prévu de le poursuivreavec une tournée, et qu’il pense déjà à un deuxième volet. Si leschoses fonctionnent si bien quand elles sont faites simplement,pourquoi se priver ? i

entrevues

luuk“shameboy” cox

Bert Ostyn a pu comptersur l’oreille experte de LuukCox pour ce premier albumsolo. Si ce nom n’est pasforcément connu du grandpublic, son travail l’estbeaucoup plus, qu’il s’agissede titres électroniques sousle pseudonyme de Shame-boy, ou de ses réalisationsen tant que producteur etmusicien aux côtés de Girlsin Hawaii, Arsenal et MarcoZ. En tout, depuis une di-zaine d’année, son savoir-faire s’est exprimé sur plusd’une trentaine d’albums.Sur “No south of the SouthPole”, Luuk Cox use de sonexpérience des instrumentsélectroniques pour appor-ter une vraie profondeur àla texture sonore.

Puisqu’on n’est jamais mieuxservi que par soi-même, lechanteur d’Absynthe Mindeddébarque avec un premieralbum solo qui dévoile la facette bidouilleuse et synthétique de son talent.

Ostyn

Puisqu’on n’est jamais mieuxservi que par soi-même, lechanteur d’Absynthe Mindeddébarque avec un premieralbum solo qui dévoile la facette bidouilleuse et synthétique de son talent.

b EMMANUEL DENISE | a MAËLLE ANDRE

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entrevues

Vingtième anniversaire oblige, on a beaucoup reparlé de la FrenchTouch, ce courant musical hexagonal des 90’s, sorte de déclinai-son pop de la house music. Air, Cassius, Modjo, Laurent Garnier,Mr. Oizo, St Germain, Daft Punk… Toute une génération de fren-chies fut, l’espace d’une danse, estampillée maître du monde,

faisant oublier quelques vieilles gloires locales et autres antiquités yéyés.Les tubes ? Aux Froggies. Les rock stars ? Aux platines. Et viens te battre,hey, p’tit British ou Amerloque voulant s’essayer au style. Même pas mal !Les bérets avaient enfin de quoi donner des leçons et le pays des Lumièresretrouvait une occasion de briller.

Sauf qu’avec le temps, l’héritage est devenu lourd à porter. Écrasant. Omni-présent en raison d’éternelles références à cette époque bénie pourtantd’un autre âge. Faut voir aussi comment les médias, les premiers, jouentles effrontés. Depuis vingt ans, la presse tresse à toute hâte des lauriers àchaque DJ français dépassant nos frontières… Du bel ouvrage ça, madame,du qui arriverait au niveau des autres, vous pouvez me croire.

Alors certes, il y a un retour de l’électro française, classieuse et inventive,sur la scène internationale. Mais cette revanche tardive marque davantageles rétines que les bassins… Woodkid, C2C, Birdy Nam Nam, Vitalic ouKavinsky ? Des enfants de l’image, des illustrateurs avant d’être des chauf-feurs de salle. Leur musique est conçue avec ses supports visuels, ses relaisimaginaires. Le climat l’emporte sur le beat pour peu que l’on ait l’ivresse.Puis, et surtout, voilà des types qui jouent avant tout pour eux… Rone estde ceux-là. Et pas seulement parce qu’il a fait quatre ans d’études decinéma et que son inspiration vient “du septième art, de la photo ou de labande dessinée”. Les langueurs de son électronica, aussi mélodique qu’hyp-notique, sont taillées pour les dancefloors non conformistes.

Pour le musicien, l’histoire commence pourtant en 2007 dans le temple dela French Touch : le Rex Club. Ceux qui sont devenus plus tard les Daft Punky ont joué. Tout comme Carl Cox, Jeff Mills, Boys Noize, etc. Donner son pre-mier concert au “Hall of Fame” de l’électro a de quoi changer une vie… ou

vous détruire. En l’occurrence, la boîte de nuit s’est faite faiseur de roi pourle Parisien Erwan Castex : “Je faisais de la musique sans ambition. Pour moi,les amis. Puis, l’un d’entre eux, Lucy (ndlr : l’Italien Luca Mortellaro) m’ademandé de participer à ses compositions. Je me suis dit : pourquoi pas ?”Oui, mais cette première date au Rex Club, alors ? “La peur de ma vie !J’étais très timide et je me lançais à peine. Tout ça était irréel… Le labelInfiné et Agoria m’ont révélé à moi-même. Mes morceaux étaient tellementintimes que j’ai beaucoup travaillé en amont pour envoyer de l’énergie.”Une démarche que l’auteur, désormais passionné par la scène, comme entémoignent ses shows aux États-Unis, poursuit : “Je distingue vraiment letravail en studio du live. Mes albums sont à écouter au lit, avec sa copine.

Je réadapte donc tout, jusqu’à parfois noyer le morceau original, même sij’assume de plus en plus les morceaux calmes. Un concert, ce n’est pas uneautoroute, un mix avec un tempo identique. Il faut jouer avec le silence,créer un spectacle…”

Du trentenaire aux lunettes rondes émerge une douceur joviale et bienveil-lante. Instruit et à l’image de sa musique, il cite Flaubert et s’émerveilled’un rien qui fait pourtant un tout. Pas étonnant que le compositeur soitami avec l’un des plus grands auteurs français de science-fiction : AlainDamasio (l’auteur de La horde du contrevent qui apparaît sur un précédentmorceau de l’artiste). Les deux rêveurs possèdent ce décalage qui les rendsympathiques. De la relation épistolaire qu’il entretient avec l’écrivain - enphase d’achèvement de son prochain livre -, Rone évoque une libération :“C’est le bon intellectuel. Celui qui dit des choses compliquées de manièresimple. Avant de le connaître, ses livres m’ont d’abord ouvert le crâne.”

Des productions pour The National, un remix pour Breton, des collaborationsavec Étienne Daho et Frànçois & The Atlas Moutains, des encouragements deMassive Attack, deux concerts complets à L’Olympia et aux Trans Musicales…L’électronica de Rone joue avec nos nerfs. b SAMUEL DEGASNE | a TIMOTHY SACCENTI

« Mes albums sont à écouterau lit, avec sa copine. »

RoneGames of

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Des rencontres, Rone en a fait d’autres pour ce nouvel album.Étienne Daho, par exemple : “Nous étions timides tous lesdeux. Comme il m’avait demandé un remix, je lui ai proposéde faire le match retour sur mon album. Nos rapports étaientdirects, sans intermédiaires. Il a pris souvent de mes nou-velles, parlant du morceau comme s’il était notre enfant…C’était touchant.” François Marry (sans ses Atlas Mountains)aussi, comme une évidence et une perche à laquelle Rone arépondu. Et quand il travaille, Erwan parle peu musique, pré-férant évoquer des ambiances plutôt qu’un solfège qu’il nemaîtrise pas : “Avec mes musiciens, nous avons trouvé notrepropre langage. Je leur laisse d’ailleurs beaucoup de liberté,même si c’est un ping-pong dans lequel j’ai le dernier mot. Jeleur prépare des mélodies auxquelles s’agripper, avec en lignede mire des disques dont les voix sont les instruments.”

C’est ce cheminement naturel et sans contrainte que l’artistea voulu symboliser sur la pochette, laissant le soin à saconjointe Liliwood (à ne pas confondre avec la chanteuse) d’il-lustrer, “comme une collaboration musicale sur papier”. Quoide mieux alors comme titre général que Créatures, reprenantà son compte le mythe de celle de Frankenstein : des mor-

ceaux en apparence lancinants, composés de multiplescouches et échappant à leur maître. Après Berlin, le labora-toire de Rone fut d’ailleurs posé dans la campagne parisienne.Isolé, avec lui comme seul patron, il partit “en quête de l’in-time et d’authenticité”, afin de ne pas se recycler. Tel lescientifique attentif et passionné. “C’est pour ça que je suisincapable de définir ma musique… C’est… naturel, c’est tout.”On comprend mieux alors pourquoi l’artiste est si bien danssa structure indépendante “peu regardante sur mes compo-sitions”. Liberté d’actions, toujours.

Car n’allez surtout pas dire à Rone, sous prétexte d’électro,qu’il est DJ… “Je suis un musicien performeur live. J’y tiens !Je ne passe pas les disques des autres, précise-t-il taquin,même si j’ai beaucoup de respect pour eux.” Encore toutexcité d’une proposition effectuée par une récente rencontre :la création d’instruments sur mesure pour ses lives… On ahâte. C’est pour cette raison que l’évocation d’une “FrenchTouch 2.0” le fait régulièrement sourire : “Je me sens plus d’af-finités philosophiques avec Chris Clark ou Sufjan Stevens.”Avouant malgré tout, dans un rire étouffé, que “jouer le rôledu Français à l’étranger n’a pas que des désavantages…”

« Je suis incapable dedéfinir ma musique…

C’est… naturel, c’est tout. »

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entrevues

Le troisième album gardeune même tendresse pourles mélodies infantiles, lesarrangements subtils et lesélégances qui, sans va-carme, finissent leur coursedans les nuages. Au pro-gramme : plus de collabora-tions, plus de mixage, maisaussi plus de muscles pourcette électro ambient et ro-mantique qui sait jouerl’emphase, se redécouvre àchaque écoute. Pas dechaud-froid non plus ou decassures nettes avec mon-tagnes russes, mais bienune atmosphère pesante,ou légère c’est selon, ve-nant lentement prendre sesaises. Quoi qu’il en soit, eten toute occasion, on s’ysent bien. Et de la salle debain, à la voiture, du spotTV au bar lounge, on trou-vera toujours le morceauadapté à l’humeur ou la si-tuation. Preuve, s’il enétait, d’une qualité qui faitla marque des grands.

“créatures”

Infine

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Plus d’un disque sur trois vendu dansle monde appartient à Universal Music.En France, c’est plus de la moitié.Épouvantail de cette industrie et éter-nel pourfendeur du piratage, l’actuelprésident de la filiale hexagonale affirme pourtant être un incompris…Sincérité ou cynisme carnassier ?Décryptage d’un franc-parler.

b SAMUEL DEGASNE | a LUDOVIC BARON, MICHELA CUCCAGNA

Une quinzaine de relances sur six mois et l’as-surance que le journal ait un orteil danschaque pays francophone, c’est ce qu’il aurafallu pour rencontrer l’un des patrons les pluspuissants du marché musical mondial. Sans

doute moins par méfiance qu’en raison d’un planninginternational bien chargé. D’autant que l’homme est unhabitué des médias. D’ailleurs, stoppons là un premiercliché : Pascal Nègre est affable, souriant. Sait vousmettre à l’aise rapidement. Iconique, son grand corpssec dans ses costumes colorés, il n’aura de cesse - pen-dant deux heures et cigarettes à la main - des’enthousiasmer, faire mine de s’emporter ou réfléchirà des questions maintes fois posées. Et sans jamaisjeter un œil à son smartphone. Autour de lui, seuls lesmurs de son bureau de 20 m2 - tapissés de disques d’or,bibelots et autres portraits avec des artistes - rattrape

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le peu de faste du siège parisien, situé tout de même à proximité du Panthéon.Comme un discret rappel de l’autorité de la société dans le secteur.

Avant de cumuler les étiquettes (président d’Universal MusicFrance, Italie, Moyen-Orient et Afrique, puis de L’Olympia, à la tête des “New busi-ness” du groupe et président de la Société civile des producteurs associés),Pascal Nègre affirme “ne pas oublier d’où [il] vient”. Quitte à cabotiner dans sabiographie Sans contrefaçon (Ed. Fayard, 2010) ? Difficile de le savoir, même si ladimension populaire de sa vie et ses goûts musicaux y sont souvent mis enavant… Né en 1961 à Saint-Germain-en-Laye (78), de grands-parents paysans dansle Sud de la France et de parents employés des PTT, sa première habitation - unappartement - n’avait pas de salle de bain. Adolescent, il dit écouter The wall desPink Floyd, voire le punk des Dogs et des Stranglers, mais son premier concert (à12 ans) est Michel Fugain et le Big Bazar… Ouch ! Deux maîtrises en poche (mathet… philo), Pascal Nègre commence comme DJ sur Ouest FM, réalise les premièresinterviews de Marc Lavoine et Mylène Farmer, puis dit, pour ses 20 ans, voter Mit-terrand. Détail, qui n’en est pas un, pour légitimer son action d’aujourd’hui ? Nousne le saurons pas. S’en suivent les rôles d’attaché de presse (BMG, 1986-87) etdirecteur de la promotion (Columbia, 1988-90) avant d’atterrir chez PolyGram,label racheté en 1998 par Universal Music France. Une entité dont Pascal Nègregravit tous les échelons hiérarchiques. Il y assume la direction d’Island (1992) etPhonogram (1994), puis en devient le président (1998). Jusqu’à être fait officierdes Arts et des Lettres et chevalier de la Légion d’Honneur, preuve de l’impor-tance qu’il accorde, dans son parcours, àla méritocratie.

Mais qu’aurait penséle Pascal qui traîna longtemps à la Fêtede l’Huma et travailla avec Bernard Lavil-liers, de celui qu’il est devenuaujourd’hui ? Silence. Le multi-présidentesquive : “Les fondamentaux de monmétier sont restés les mêmes : talent,image, monétisation. Même si les tech-niques et les moyens d’y parvenir évoluent…” Avant de finalement lâcher : “Jene m’imaginais pas à ma place actuelle, bien sûr. J’ai grandi avec ce métier.” Fei-gnant même la confidence : “Les gens parachutés sont toujours les premiers àse casser la figure. Le monde de la musique reste un village d’un millier de per-sonnes (…). La première fois que l’on m’a proposé le poste de président, j’airefusé. Je ne voulais pas être un banquier… (ndlr : la formule a déjà été utiliséedans sa biographie) L’insistance du patron de PolyGram m’a convaincu. Si l’onme jugeait apte, comment pouvais-je dire non ?” Sincérité, fausse modestie ?Le personnage, charmeur et rusé, est troublant.

Première compagnie de l’industrie musi-cale avec près de 39% du marché mondial (loin devant Sony et Warner), unequarantaine de labels (souvent issus de rachats), plus de deux millions de titreset une implantation dans 77 pays… Les chiffres donnent le vertige. Pas étonnantd’y avoir croisé d’importants ténors du métier : Bob Marley, U2, Madonna, EltonJohn, Bon Jovi, Tupac Shakur, Jay-Z, Eminem, U2, Rihanna, Lady Gaga, MileyCyrus… ou encore Dorothée.Les activités du groupe se concentrent autour de trois métiers : la production(signature, enregistrement, promotion et diffusion, soit 80% des revenus), l’édi-tion (acquisition et revente de droits pour exploitation), puis le merchandising

(vêtements, posters… soit 5% du chiffre d’affaires). Grâce au rachat de la majorEMI en 2012 et diverses opérations d’acquisitions / diversifications, UniversalMusic Group a consolidé sa place de leader sur un marché pourtant en récessiondepuis quatorze ans. Le tout appartient à la multinationale française Vivendi, éga-lement propriétaire du groupe Canal+, dont le chiffre d’affaires avoisine les 22milliards d’euros.Depuis 2012, 44% des revenus d’Universal issus de la musique enregistrée vien-nent de la distribution numérique (téléchargement, abonnement ou financé parla publicité). C’est dire ! La major a réussi sa transition numérique plus rapide-ment qu’un marché mondial caracolant aux environs de 35%. Et ce, même siPascal Nègre, donnant une idée du potentiel à venir, prétend que “80% des Fran-çais ne connaissent pas le streaming”. Après New York et Los Angeles, pasétonnant que le siège social de la compagnie soit désormais à Santa Monica, àproximité de la Silicon Valley. Ville des géants d’Internet… devenus les principauxdistributeurs du milieu.

Les aspects tentaculaires du groupe ? Pascal Nègreen est fier : “Multinationale ? Multiculturelle ! C’est aussi simple que ça…”Tournant l’argument à son avantage : “Le cliché qui voudrait qu’Universal n’éditeet ne produit que des artistes lisses est faux. Aujourd’hui, c’est nous qui

sortons et vendons le plus de disques demusiques urbaines dans le monde. Etnous n’avons rien contre la contestation.Au contraire : ça peut être un bonmoteur ! Zebda, Noir Désir, Nirvana… Ilsont tous été signés dans des labels d’Uni-versal. Voyez ?” OK, ça pique. Sauf quebeaucoup d’entre-eux appartenaient à unlabel ayant été racheté entre temps parUniversal. Le comble ? Pour lui, l’actuellefigure de l’artiste engagé, c’est Stromae,son plus gros vendeur francophone del’année dernière - “Il ne l’est pas, tout enl’étant [grâce à sa] vision de la sociététotalement désabusée.” (Marianne, août2014). Toujours dans Marianne, PascalNègre affirme même que les artistes d’au-

jourd’hui sont satisfaits de leur situation. La raison ? Une génération qui “n’apas connu la guerre”, mais “un modèle capitaliste”. Or, selon lui, “dans lamusique, la mondialisation, c’est plutôt positif ! Grâce à Internet, il n’y a jamaiseu autant d’artistes chantant en français vendus à l’étranger.” Vrai, même si leraccourci est un peu réducteur.

Fin des plans sociaux ou de l’érosion des ventes ? “Nil’un, ni l’autre”, répond-il. Car la crise, aux dires de l’intéressé, est encore là : “Nousavons connu, certes, une première révolution avec le transfert du disque au MP3(légalement ou illégalement). La montée en puissance des téléchargements légauxavait commencé à légèrement compenser cette perte. Sauf qu’aujourd’hui, iTunesfait 25% de ventes en moins. Une deuxième révolution est donc en marche : ladématérialisation par l’abonnement (…) qui me semble être le seul modèle pérenne.En France, deux millions de personnes ont déjà souscrit à ce type de service. C’estun changement complet de paradigme ! Notre métier a donc, lui aussi, évolué… Ilest fondamental que ce nouveau modèle - tout en permettant à l’écosystèmeartistes-producteurs-éditeurs-plateformes de vivre et d’investir - trouve un largepublic. (…) Globalement, le marché du digital augmente peu, donc on peut se deman-der si l’offre gratuite n’est pas de trop grande qualité ? Et de ce fait n’incite pas àopter pour du payant ? J’ai quand même un doute…” Tadam ! Nous y voilà.

« Le piratage n’a,soi-disant, aucune

incidence sur la crise dudisque… Restons sérieux !Au Moyen Âge, il y avaitaussi de grands intellec-tuels qui prouvaient quela Terre était plate… »

PRÉSIDENCE

UNIVERSAL MUSIC GROUP

MONDIALISATION

CRISE DU DISQUE

BIOGRAPHIE

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Pascal Nègre n’en démord pas. Et ce, même si de nombreusesétudes (Union européenne, université Paris XI, UFC Que Choisir, OCDE, ADAMI,Harvard Business School…), portant sur des pays aux typologies différentes(France, Canada, Hollande, États-Unis…) ne tirent pas les mêmes conclusions quelui sur l’impact du téléchargement légal.L’interlocuteur s’emporte : “Je sais très bien qu’il y a des études qui montrentque le piratage n’a, soi-disant, aucune incidence sur la crise du disque… Restonssérieux ! Au Moyen Âge, il y avait aussi de grands intellectuels qui prouvaientque la Terre était plate…” Enfonçant le syllogisme (l’art de tirer une conclusionde deux données vraies, mais sans réel rapport) jusqu’au bout : “Regardez lesannées où les chiffres [des ventes] ont commencé à chuter. Quel que soit le pays,ce fut chaque fois à l’arrivée d’Internet… Si la théorie était : plus on pirate, pluson achète, alors nous n’aurions pas une baisse des ventes de 65% !” S’interro-geant même sur le nombre “d’heures de création bafouées par ce simple geste”,voire traitant les pirates de “tordus” (Numérama, mai 2013). Par leur inadaptation technologique ou leur arrogance, les maisons de disquesont-elles indirectement incité à cette pratique illégale ? Elles qui, du propre aveudu président d’Universal France, ont abandonné, dans les années 90, leur pou-voir “aux mains des services marketing”… Belle confidence, mais qui l’exemptrapidement d’une quelconque responsabilité. “Je l’ai dit, oui. Mais le dire n’estpas un mea culpa.” Comprenez : circulez, il n’y a rien à voir. Ou le retour des “pasnous, pas nous”.

Si l’attaque est moins frontale qu’envers les pirates, Pascal Nègresemble régulièrement pointer le rôle de la radio dans cette crise : “Rejeter l’en-tière faute sur elle serait simpliste, mais nous souffrons beaucoup de laconcentration des programmations. Prenez la première en France : NRJ. Un titresur trois est français. Cependant, dix chansons seulement représentent deux-tiers des passages de l’année… C’est toujours de la place en moins pour ladécouverte !” Un problème qu’il connaît bien, lui qui utilisa la même techniquesur cette station. Dans une interview àMarianne (août 2014), Pascal Nègre avoueavoir acheté, en 2002, des publicités d’uneminute pour passer six fois par jour Didide Khaled… L’arroseur arrosé ? Et cesattaques ne datent pas d’hier. En février2014, dans l’hebdomadaire économiqueChallenges, il donnait déjà la charge : “Sidéjà, on essayait d’avoir vingt titres et nonplus dix pour faire 65% de l’antenne, celapermettrait à de nombreux artistes d’avoirune chance de se faire connaître.” Le ratiodes chiffres n’est pas le même (quels sontles bons ?), mais le fond est déjà là.Car au-delà d’une rentabilité recherchéepar le renouvellement du catalogue, Pas-cal Nègre sait se parer d’un altruismeservant sa cause : “Arrêtons de vivre avec le mythe qui voudrait que les gensdécouvrent par eux-mêmes. Le premier canal reste la radio et le deuxième latélévision. Internet ne tient que la troisième place, tous pays confondus. Lesmédias restent donc prescripteurs !” Autrement dit : je fais ça pour vous, passeulement pour moi.Le discours reste identique en ce qui concerne le petit écran. En effet, le prési-dent d’Universal France juge regrettable le peu d’émissions où les artisteschantent. En références, il évoque les shows des Carpentier et de Jacques Chan-cel (Le Grand Échiquier), proposant, à l’instar des séries - “qui n’ont peut-êtrepas l’ampleur culturelle d’une bonne émission de variétés”, sic -, d’intégrer la

production de ces émissions dans les quotas des chaînes françaises. Concluantsur le fait que “aujourd’hui, nous n’avons jamais autant écouté de musique…”,comme une preuve du potentiel.

On sait Pascal Nègre être “en quête d’artistes que l’on écou-tera encore après [sa] mort.” Mégalomanie ? Lui, le réfute. “Le long terme, larecherche du succès pérenne, c’est la base de notre économie. Nous produisonsbeaucoup d’artistes. Sur l’ensemble, certains se vendront encore dans cinquanteans. C’est ce fond de catalogue qui nous permet de financer la suite.” Car le PDGd’Universal Music France assume les termes d’”industrie culturelle”, que les Fran-çais désapprouvent traditionnellement : “Je revendique à 100% cette logiqueéconomique. La nier, c’est revenir au seul mécénat… Et si le mécène n’avait pasde goût ? Là, c’est le public qui décide. Le capitalisme, c’est la démocratie. (rires)Oui, la musique est aussi un produit de consommation.” Le mot est lâché.Sauf qu’il s’agit du reproche récurrent fait à Universal : sa supposée obsessionde l’argent et de la rentabilité, voire la marge financière que la major se feraitsur le dos de l’artiste. Ou pire : que le futur modèle va vers un appauvrissementdes artistes. Pascal Nègre nie, se désolant de cette éternelle attaque à l’encontrede sa compagnie. “En cas de succès, nous partageons, avec l’artiste et à partégale, les profits. Puis on mutualise les bénéfices afin de financer nos échecs. Sinous gagnons, c’est que l’artiste aussi !” Se méprendrait-on sur les intentionsd’Universal Music ? “On l’explique souvent, mais personne ne nous croit”,acquiesce-t-il, goguenard. Jouant les victimes au sein d’un système (la machinemédiatique) qu’il maîtrise pourtant.Début 2014, Pascal Nègre donnait déjà ces chiffres : un artiste touche en moyenne8% du prix de vente dans le marché physique et 13% dans le numérique. Dix ansplus tôt, toujours selon lui, les Français consacraient 40 € (deux disques) par anà la musique. Aujourd’hui, ce serait 120 € (abonnement à un service en ligne). Leproblème, selon lui, ne viendrait donc pas de la marge, mais de l’éclatement desacteurs. De là à justifier la concentration du secteur ? “Nous n’obligeons personne

à signer chez nous…”, répond-il d’un trèslarge sourire. Glaçant.

Si les ventesde disques se réduisent, comment fait-onpour maintenir des bénéfices ? En trou-vant d’autres sources de revenu, bienentendu. Ainsi, Universal Music a monnayéla diffusion de son catalogue à travers despartenariats. Exemples : les ordinateursHewlett-Packard (vendus avec des titrespréchargés), la Société Générale (accèsillimité au catalogue pour les jeunesclients), McDonald’s (titres offerts dans lecadre d’un jeu Monopoly), ou encore Sam-sung et Citroën (application mobiled’écoute offerte à l’achat d’une voiture).

Exit, par contre, les anciennes tentatives pour faire baisser la TVA de 19,6 à 5,5%.Le lobbying du président d’Universal Music France a aussi ses limites.La piste des concerts avait également été entamée avec le rachat du mythiqueOlympia en 2001. Enfonçant le clou à la rentrée dernière, le groupe s’est associéà Eurosites pour candidater à la reprise de la Salle Pleyel. Objectif du rapproche-ment entre les deux structures : “La rentabilité du lieu ne peut se réaliser qu’encomplétant l’offre des concerts par des séminaires, des défilés ou des dîners degala.” De quoi aussi étendre l’offre de prestations du groupe ? Si la tentative sem-ble (pour l’instant ?) frileuse, il est étonnant qu’aucun gros festival français n’aitencore été officiellement approché.

RENTABILITÉ

DIVERSIFICATION“Je ne confirme,ni n’infirme ce montantde salaire que l’onm’attribue (…)

[Mais] à partir du momentoù l’on vous donne

ce montant,pourquoi en douter ?”

PIRATAGE

MÉDIAS

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Enfin, la major travaille à des contrats globaux, dits “360°”(inventés par EMI en 2002). Si tous les artistes ne sont pasprêts à y consentir, il s’agit d’associer son image à un pro-duit, dépassant alors la simple production musicale.Quelques exemples : Nolwenn Leroy vantant dans un spot TVles mérites du jeu Nintendogs+Cats (Nintendo), MelodyGardot pour Bose / Renault, Mickey Green pour lesvêtements Mango, ou encore Mika, designer d’unebouteille de Coca-Cola. En octobre, la major s’estaussi associée avec l’agence Havas Media et lastart-up MirriAd pour intégrer (en temps réel !)de la publicité personnalisée dans ses clips TVet sur Internet. Les artistes seront-ils consul-tés ? On en doute… En novembre, toujours souscouvert de diversification, Universal Music &Brands (le département s’occupant desmariages entre artiste et marque) allait plusloin en créant une nouvelle subdivision :Uthink ! Sport. Son but ? Jouer les mana-gers / apporteurs d’affaires en associant desathlètes maison à l’image d’une entreprise.Pelé, Mike Tyson, Blaise Matuidi, Jean-Chris-tophe Péraud ou Neymar Jr ? Contre ungénéreux chèque, ils seront les ambassa-deurs de votre marque. On est loin de lamission initiale d’un label musical…

Quitte à déminer les clichés, leprésident d’Universal Music France se désolequ’en France “l’image du producteur soit restéesur Eddie Barclay, ses “Nuits blanches”, ses sixfemmes… Par contre, personne ne précise ses signa-tures : Dalida, Aznavour, Ferrat, Salvador, Bardot, Brel,Ferré, Lavilliers… et tant d’autres !” Il est vrai quel’image du producteur véreux, cigare en bouche, billetsen poche et écoutant les disques les deux pieds sur sonbureau, est encore ancrée dans l’imaginaire collectif… Maisen quoi consiste réellement le travail de producteur, cœurde métier de Pascal Nègre ? “C’est dénicher un talent, en êtreconvaincu de manière irrationnelle, lui signer un contrat, choi-sir les musiciens et les techniciens, puis lui faire rencontrer sonpublic. (…) C’est un peu comme l’entraîneur sportif. C’est un com-pagnon dans le sens latin du terme : celui avec qui l’on partagele pain.” Les bénéfices… À croire, effectivement, que c’est uneréelle obsession.

“Dans ce métier, on n’est jamais en vacances. Onanalyse constamment les images, les sons que l’on entend. Je suiscomme un chef cuisinier qui s’autorise régulièrement à manger chezles confrères. Et puis, quand j’écoute une nouvelle production - vouspourriez demander à n’importe lequel de mes directeurs -, je montenaturellement le son quand cela me plaît. D’ailleurs, c’est souvent lefutur single ! Je ne saurais pas expliquer. C’est physique, incons-cient. Pour être à ma place, il faut impérativement allier laréflexion à l’action, le pragmatisme à la passion, l’économie etl’artistique. Tout ça est palpitant !” L’homme semble sincère, jubi-lant. Plein d’assurance. Trop ? “Bien sûr que j’ai déjà eu des

doutes. Bien sûr que cela nous arrive de nous planter. Un jour, pour l’anec-dote, le directeur de Barclay m’apporte une cassette… que je n’ai jamais

écoutée. Sauf que c’était Louise Attaque ! Bon, ils ont tout de mêmefini par signer chez Barclay (ndla : label d’Universal Music)

quelques années plus tard. Évidemment que c’est unmétier dans lequel on se trompe. J’ai l’air très sûr de

moi, là, mais je n’oublie jamais que sur dix artistesque l’on signe, huit ne perceront pas.” Ou serontremerciés par ses soins ?

On s’étonne toutde même que le grand PDG traîne les studiosd’enregistrement. Lui ne comprend pas pour-quoi. Il trouve même cela essentiel : “Çam’arrive souvent ! Bashung (ndlr : cautionmorale ? L’artiste est très régulièrement citédans sa biographie…) partait dès que j’arri-vais. C’était très étonnant vu sa carrière…Oui, il est déjà arrivé que je fasse réécriredes disques complets ou réenregistrer des

titres trois fois. Ce n’est pas tabou, c’est pous-ser l’artiste jusqu’au bout de sa création et

l’aider à prendre son envol. Attention, l’artisteattend les critiques ! Elles sont importantes et

l’expérience nous a souvent donné raison. Je nem’immisce pas, nous aidons et accompagnons. Ce

n’est pas moi qui crée ! Et si ce n’est pas nous quipoussons, ce sera un autre producteur.” Cela justi-

fie-t-il pour autant la démarche ? À propos deBashung, si l’idée de sortir Osez Joséphine en single

(ainsi que le contenu clip) semble bien lui revenir, commentsavoir ce qui, pour d’autres, a été sacrifié ? Doit-on faireconfiance aux financiers pour déterminer les arrangementsd’un morceau ou le packaging d’un album ? Car dire la véritéà un artiste, Pascal Nègre prétend ne s’en être jamais privé :“Je ne mens jamais, et ce, même si ça ne fait pas plaisir ! L’ar-tiste a besoin de fonds et de miroir s’il veut percer.” Essayant,après coup, de nuancer son implication : “Je ne suis pas lefondateur d’Universal, juste un employé qui développe etaugmente un catalogue.” Mais lâchant malgré tout que “lestrois-quarts des artistes signés actuellement n’étaient pas làavant [son] arrivée.” Fierté.Celui à qui l’on prête pourtant quelques soirées avec JohnnyHallyday et qui remercie “Mylène” (ndlr : Farmer) dans sonlivre, avance n’être “le parrain d’aucun fils d’artistes et[n’être] jamais parti en vacances avec l’un d’entre eux.Confiance et amitié, ce n’est pas la même chose !” PascalNègre avoue pourtant au Point (mars 2005) qu’une part deson métier c’est de “boire des coups tard dans la nuit avecdes chanteurs.” Et à l’occasion, se muter en entremetteurà en juger le livre Sarkozy et l’argent roi (R. Dély et D. Has-soux, éd. Calmann-Lévy 2008). Les journalistes yrapportent une proximité avec le candidat UMP à la prési-dentielle. Est-ce pour cette raison qu’il rappelle souvent,à propos de son métier, qu’il lui faut désormais “faire

écouter plus pour gagner plus” ? L’anecdote est en toutcas croustillante : il aurait en effet organisé, pour

RELATION ARTISTES

MÉTIER

MÉTHODES

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(Extrait du clip Nam

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rldde Skip the Use)

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Sarkozy, un déjeuner entre des chanteurs et des personnalités des médias en2006. Nul doute que les artistes n’aient été forcés, mais l’officielle absence deporosité entre le patron et (certains) employés prend du plomb dans l’aile.

Avec un tel franc-parler et une envie d’en découdre sur tousles sujets, il est normal de commettre quelques maladresses. Ou “quiproquos”,précisera-t-il, insistant sur sa sincérité. Sur Twitter, nombreux ont raillé ses décla-rations à l’annonce de la mort d’artistes maison. Exemple en mai 2013 : “AvecGeorges Moustaki, c’est une des dernières légendes, artiste et poète, qui dispa-raît ! Ses plus grands succès sont chez Universal ! RIP.” (Notons l’insistance sur“ses plus grands succès chez…”, le chan-teur ayant été chez Universal Musicjusqu’en 1984.) Si les internautes ont criéà l’indécence, lui ne comprend pas pour-quoi, s’emportant à nouveau : “Je détesteles pseudo bonnes consciences. Quandune personne tweete qu’untel étaitincroyable et qu’il avait déjeuné une foisavec lui, cela ne pose aucun problème !D’autres font des “émissions spécialessur” et des hors-séries. Dire que l’on a faitdu chemin avec un artiste n’a rien de dés-honorant… Il faudrait même, à en croirecertains, avoir honte ! (…) Si des gens croient vraiment que mes tweets vont faireaugmenter les ventes, c’est n’importe quoi !” Le compositeur ne fut pas le seulremercié. Dalida, Daniel Darc… Même le président vénézuélien Hugo Chavez a eule droit à son RIP, ponctué d’un “Hasta siempre”. Pied de nez à son statut de pré-sident ? Alibi politique ? L’homme sait brouiller les pistes.Pascal Nègre est d’ailleurs régulièrement cité par TweetBosses (site lobbyistepour Twitter du vice-président de l’agence de pub TBWA Europe) comme l’un despatrons les plus influents du réseau social. Il faut avouer qu’avec ses 58 000abonnés, ses deux ou trois tweets par jour et ses interviews régulières dans lapresse, il a su incarner physiquement une entreprise aux multiples ramifications.“Demandez donc à un gosse : il connaîtra Universal, mais malheureusement pasGeorges Moustaki.” Maladroit, toujours, mais cruellement vrai.Pour prouver la bonne foi de ses tweets, il affirme - sans que nous ayons pu véri-fier - que la chanteuse Juliette lui aurait envoyé le SMS suivant : “Si je meurs,j’espère que tu rappelleras que j’étais chez Universal”. Légitimant ainsi, pense-t-il, son action. “Être chez Universal, c’est un lien profond. Ce serait méconnaîtrele métier que prétendre l’inverse. Parfois, nous étions les seuls à croire en eux.Bien sûr qu’il y a une émotion à la mort d’un artiste. Émotion qui donne parfoisau public l’envie de racheter des disques. Mais à aucun moment, il y a de la récu-pération de ma part !” Rien à voir avec l’intégrale des albums studio (13 CD) deGeorges Moustaki réalisés chez Universal Music, sortie en octobre 2014…

Ce rôle d’épouvantail-VRP, Pascal Nègre l’a toujoursassumé. Là encore, il sous-entend que c’est une posture adoptée malgré lui. “Sic’était à refaire, je ne referais pas la Star Ac’ - émission que j’assume et qui adécouvert de nombreux talents. Ce que je n’avais pas compris, à l’époque, c’étaitl’impact de la médiatisation. Cela m’a propulsé dans les foyers. (…) Je suis francet j’ai un nom qui, malheureusement, se retient plutôt bien… Or, la notoriété aplus d’inconvénients que d’avantages.” Si son visage trahit un trouble, il semblepourtant s’être accommodé de cette visibilité depuis. La parenthèse (il fut jurésur la saison 7 en 2007-2008) l’a en tout cas marqué. Assez pour y consacrer unchapitre entier dans sa biographie où l’homme tente de réhabiliter l’émission TVproduite par TF1 et Endemol. À en croire Gonzaï en 2010, l’envers du décor neserait pourtant pas si rose. Le webzine évoquait, sans toutefois corroborer ses

sources, des candidats “épuisés et surcocaïnés qui finissent dans les vapes” etun Pascal Nègre qui serait venu, “en personne”, menacer les journalistes si “l’en-vie leur en prenait de publier la moindre ligne sur ce qu’ils venaient de voir.”Intox ? Nul ne sait. Sur Twitter, le PDG n’a désormais d’yeux doux que pour le nou-veau télé-crochet de TF1 : The Voice.Malgré quelques polémiques (intervention du CSA sur le respect de la vie privéedes candidats, attaques d’anciens intervenants…), la Star Academy aura tout demême vendu - par l’intermédiaire d’Universal Music - près de vingt millions dedisques. Si les albums de toutes les saisons étaient cumulés, cela en ferait la sep-tième meilleure vente de tous les temps en France ! Pratique : la caisse de

résonance de la télévision permet defaçonner une notoriété en quelques mois,contre plusieurs années habituellement.En 2004, on se souvient, par exemple, desreprises de Sardou par les candidats… Uneaubaine, suite au rachat de son labelTrema, pour remplacer un Johnny ayantalors décidé de quitter le navire. Résultat :800 000 albums vendus. La même tech-nique fut appliquée pour appuyer unetournée de Michel Polnareff en 2006 (sondernier concert datait de 1995). Là encore,le succès est sans appel : un million de

spectateurs et deux Victoires de la Musique. À ceux qui croient cependant que lamajor n’axe sa stratégie que sur ce type de “talent show”, Pascal Nègre précisemalicieusement “qu’ils ne représentent que 3% de [leurs] revenus.”

Le magazine Le Point avait lancé un pavé dans la marre en 2005,dévoilant que les patrons des labels d’Universal Music émargeaient à 30 000 €par mois. Des salaires hérités de la période faste et non revus à la baisse depuis.Quid de son président français ? Un 83 330 € mensuel… hors bonus. Le sujet, unehabitude, fait rire l’hôte : “Je ne confirme, ni n’infirme ce montant de salaire quel’on m’attribue… 1 million d’euros par an, cela fascine surtout les gens…” Silence.Avant de finalement confirmer à demi-mot : “Pour commencer : est-ce que je lesmérite ? Vous savez, il y a un marché du travail, tout comme il existe un marchédes artistes. Est-ce que tous valent la somme qu’ils sont payés ? Aucune idée. Àpartir du moment où l’on vous donne ce montant, pourquoi en douter ? C’estcomme le prix de l’immobilier ! L’offre, la demande, les spécificités… En tout cas,ce chiffre n’est pas ce que je gagne en tant que président d’Universal MusicFrance (ndlr : il est bien plus que simple président du pôle hexagonal…) et labaisse des salaires a été proportionnelle aux chutes des ventes.” De quoi parle-t-on : du salaire fixe ou des bonus ? Et combien de disques faut-il justement pourfinancer ce salaire ? On n’ose y répondre… Sur les bonus ou les avantages ennature (la question fut plusieurs fois posée), il se défile. Tout juste apprenons-nous que la visio-conférence a “réduit le nombre de déplacements à l’étranger”et que le directoire est visité “une fois par trimestre”.

À force de mêler les genres, difficile de cerner celui qui se cachederrière le businessman. La réponse est immédiate, presque récitée : “Un hommelibre, sans enfant. Avec une maison en Touraine et un chat qui s’appelle iTunes.”Ça ne s’invente pas ! Mais un solitaire, alors ? “On ne réussit jamais seul”, se fait-il subitement philosophe. “Le succès, c’est avant tout une équipe. C’est la mêmechose pour les échecs. (…) Tant que le plaisir et l’excitation sont là, je continuerai.”Et si c’était demain, quelle reconversion possible ? “Certainement pas derrièreun micro, je chante comme une casserole ! Les médias ? Passionnant, oui, maiscultiver son jardin, c’est bien aussi… L’important, on l’oublie trop souvent, estd’être heureux. J’ai d’autres passions que la musique. L’art contemporain en

STAR ACADEMY

SALAIRE

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“Si c'était à refaire, je ne referais pas la Star Ac' (…)

La notoriété a plus d'inconvénientsque d'avantages.”

POLÉMIQUE

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est une.” Silence. Apparemment, la thématique le trouble. Reprenant : “Réussirsa vie, ce n’est pas nécessairement réussir dans sa vie, mais ce n’est pas contra-dictoire non plus. Je suis quelqu’un d’honnête. L’idée d’un départ, un jour, n’estpas quelque chose qui m’angoisse. Je n’ai pas besoin de reconnaissance : j’ai étéle responsable du plus gros label français à 33 ans… Que dire de plus ?” Nouveausilence. Les sourires du début de l’entretien ont laissé place à un regard perdu.Nostalgique ? Inquiet ? Soucieux de son héritage ? Pascal Nègre reste songeur,comme arrivé en bout de course, laissant sa cigarette se consumer entre sesdoigts. À se demander ce qui le passionne aujourd’hui… “L’Afrique !”, s’emporte-t-il soudain, enthousiaste. La flamme se rallume : “Je crois très fort au fait quela francophonie, qui était un concept culturel, devienne très prochainement uneréalité économique. L’arrivée notamment de la 3G, là-bas, va révolutionner lesecteur. Et puis, regardez le succès de Stromae (originaire du Rwanda) ou deMaître Gims (République démocratique du Congo) : ce sont parmi nos plus grosvendeurs de 2014 ! Tout ça est intellectuellement passionnant.” Ce qui pourraitpasser pour un néo-colonialisme mercantile, sous couvert d’aider des peuplesen voie de développement, a de quoi mettre mal à l’aise…

Côté pêchés, on a fait pire : “Non, je ne consomme pas de cocaïne.Mon seul vice est, vous le voyez, un trop-plein de cigarettes et… du bon vin,oui, à l’occasion.” Grand sourire charmeur. Comment en vouloir à cet hommequi, potache, a racheté deux pressings à Tours en 2011 pour les passer sousl’enseigne écologique Sequoia ? Jeu des masques, toujours. Pourtant, et parraccourci, beaucoup ont fait le parallèle entre le président d’Universal MusicFrance et la personnification du mal. Facile : l’homme concentre les crispationsd’un secteur qui souffre, d’artistes se sentant pressurisés et de consommateurs

refusant l’homogénéisation. Car à force d’occuper l’espace public, il est devenule symbole d’un libéralisme mondial et obséquieux, dont il est l’un des visagesles plus médiatiques. C’est en tout cas le clin d’œil que s’autorisa notammentSkip The Use - un groupe Universal - dans le clip Nameless world (inspiré del’univers de la BD Zombillenium d’Arthur de Pins) : Pascal Nègre y apparaît endiable, faisant signer un pacte aux musiciens pour les faire jouer éternellementdans un parc d’attraction… Le businessman n’ignore pas ce qui se dit sur son compte : “J’ai tout entendu.Le salaud, le diable… En général, quand quelqu’un vous traite de “diable”, c’estque ça l’arrange. Regardez toujours qui le dit !” Pourquoi un tel acharnement,selon lui ? “Je fus surtout le “salaud” qui s’est positionné contre le piratage.Vous savez quoi ? Cela ne me dérange pas du tout ! Tout travail mérite salaire.”Et si, au fond, plutôt que diable, Pascal Nègre n’en était finalement que l’avo-cat ? Celui qui assume la position la plus indéfendable, qui se plaît à présenterdes contre-arguments. Son entourage intime confirme une dualité, preuved’une complexité moins manichéenne qu’elle n’y paraît. Celle d’un “ex-anticon-formiste”, “moitié comptable, moitié troubadour”, rattrapé par la réalité de safonction et la ligne à tenir. D’un homme parfois “premier degré” qui “adoreêtre aimé”. Voire d’un “esprit espiègle”, à l’image de l’écolier chahuteur faisantsemblant, pour la bienséance, de vouloir “échapper à la punition de la maî-tresse, alors que papa possède l’école”. En un mot : diabolique !

DIABLE

* Seules les citations directes de Pascal Nègre ont fait l’objet d’une demande de validationde la part de la direction d’Universal Music. Mise à part une anecdote sur sa rencontre

avec Deezer, le rajout du terme “(rires)” (cherchez où) et quelques expressions héritéesdu langage parlé, aucun propos ni sens n’ont été corrigé par l’intéressé.

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coulisses31 Montréal, ville de beats • 34 La tournée Granby-Europe

36 Christian Eudeline

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en 2011, Montréal est submergée par une invasion de jeunes producteurs hip-hop, révélés engrande majorité par les soirées d’improvisation musicale Art Beat. Naît alors l’idée d’un mou-vement qui aurait comme mission d’étiqueter l’ensemble de la scène hip-hop instrumentalemontréalaise, sans toutefois la brimer ou la confiner à de quelconques barrières stylistiques.This is piu piu music, lance le producteur Vlooper lors de l’une de ces mythiques soirées. Sym-

pathique traduction du son électronique typique, le “piu piu” renvoie à un style de post-rap qui prendla forme de courtes chansons instrumentales, fortement inspirées par les rythmiques déconstruites duregretté producteur de Détroit J Dilla. “Le mouvement piu piu, c’est une communauté de chercheursde musique dont les échanges culturels vont bien au-delà de la musique. Il y a quelques années, il arassemblé tout le monde autour d’une seule et même énergie, explique KenLo Craqnuques, l’ambassa-deur de cette scène hip-hop instrumentale. Maintenant, on passe à autre chose. Les jeunes producteursont fait leur chemin chacun de leur côté. Je suis fier de voir comment tout le monde évolue.”

Portée par un engouement grandissant depuis le début de la décennie, la scène hip-hop instrumental montréalaise se dynamise et évolue à un rythme effréné,

vers des mélanges de styles toujours plus audacieux. Tour d’horizon…

Ville de beats

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b OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

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32 LONGUEUR D’ONDES N°74

coulisses

Dès 2012, certaines étoiles montantes issues de ce mouvement commen-cent à faire parler d’elles au Canada, notamment High Klassified, Shash’Uet, surtout, Kaytranada, qui finira par signer avec la prestigieuse étiquettebritannique XL Recordings. En parallèle, le “néo-rap” québécois, représentépar Alaclair Ensemble, Loud Lary Ajust et cie, commence également àatteindre des sommets d’attention médiatique inespérés, signe que le hip-hop de la province est plus que jamais vivant.

MUTATION VERS L’ÉLECTRO

Forte d’un dynamisme soutenu, la scène du “beat” montréalais se trans-forme à une vitesse impressionnante en 2013-2014. Fleuron du hip-hop local,Kaytranada en surprend plus d’uns lorsqu’il fait paraître At all, un tube élec-tro house qui met la table pour son premier album à paraître en 2015.

Inspirés par son audace, certains producteurs de la métropole québécoises’en remettent, eux aussi, à des expérimentations électro qui dépassent lechamp hip-hop. “On évolue constamment, explique J.u.D., “beatmaker” auxracines hip-hop, qui privilégie un vaporeux mélange entre dream pop, trapet house sur son plus récent EP St. Flower. Au début, on essayait de fairedu piu piu, comme tout le monde, mais on a décidé de se faire confianceen mettant en avant les musiques qu’on écoute.”

Auparavant membre du collectif hip-hop Feuilles et Racines, le producteurCri a également laissé de côté son premier amour musical pour créer unemusique plus personnelle : “Au départ, j’avais seulement besoin de m’ex-primer, ce que je faisais en participant à des projets hip-hop. Quand j’aidéménagé à Montréal, je me suis éloigné de mon groupe d’amis d’enfanceet j’ai pu me découvrir moi-même, en tant qu’adulte.” Paru il y a quelques

mois, son premier EP Oda est pratiquement dénué de toutes traces de hip-hop et s’apparente plus à une incursion house minimaliste aux relentstrip-hop et UK garage. “C’est important d’explorer d’autres styles, croit-il.À Montréal, on dirait que, maintenant, tous les producteurs veulent fairedanser les gens. Le pouvoir des DJs est extrêmement fort. Les promoteursde spectacle en sont très heureux parce que ça ne demande pas beaucoupd’installation et que les salles se remplissent quand même.”

Un constat partagé par le “beatmaker” montréalais Dr. Mad : “Je pense quecertains sont à la recherche d’un son qui saura faire danser, sauter, “twer-ker” ou même “trasher” la foule. C’est une direction musicale qui apportesouvent plus de “bookings”.”

Conscient de cette réalité, l’initiateur du piu piu sent, lui aussi, le besoinde faire davantage danser avec sa musique. “En étant DJ dans les clubs, jeme rends compte de ce que les gens veulent entendre. Je compose deschansons en fonction de ça”, indique KenLo Craqnuques, qui vient de faireparaître Rue Sicard, un album néo-funk très dansant, qui troque à quelquesoccasions les rythmes hip-hop pour une cadence house plus rapide.

INFLUENCE BRITANNIQUE

Cette tangente que prend actuellement la scène hip-hop instrumentalemontréalaise est sans doute influencée par la tendance musicale britan-nique du moment. “J’ai l’impression que ça fait longtemps qu’il y a unengouement house au Royaume-Uni et que l’on vient juste de se réveiller.Le fait que Kaytranada s’inspire du son de Disclosure a eu un effet surnous”, avance Cri.

“Fête foreign”Autoproduit

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coulisses

“Je suis allé à Londres il y a deux semaines, et la plupart des chansons quiétaient sur le palmarès avaient une résonance house, ajoute J.u.D.. Mont-réal est un peu en retard, mais on rattrape tranquillement le temps perdu.”Autre influence majeure : la dance music (communément appelée EDM), quiprend actuellement d’assaut les États-Unis et, par sa proximité géogra-phique, le Québec aussi. “Les producteurs hip-hop les plus populaires ontchoisi d’intégrer une approche EDM à leur musique, constate Dr. Mad. Mêmeun mouvement aussi montréalais que le piu piu a dû, en partie, se fondreà cette mouvance.”

Producteur régulièrement parti en tournée chez les Américains, TommyKruise constate également l’influence de la dance music sur sa propre ville :“La quantité de festivals EDM est en ascension à Montréal. Je n’ai jamaisvu ça. Reste que les foules hip-hop et électro sont complètement diffé-rentes. La scène EDM essaie sans cesse de faire connecter les deux stylespour pouvoir atteindre de nouveaux sommets, mais ça n’a jamais, à monavis, été bien exécuté”, juge-t-il.

REVENIR AU HIP-HOP ?

Dans cette optique, le “beatmaker” montréalais continue de mettre enavant un son bien à lui qui, en dépit de ses récentes tergiversations versla house, reste hip-hop : “Je ne cherche pas à ce que l’une de mes chansonsdevienne virale du jour au lendemain. Je mise sur la longévité plutôt quesur le gros hit du moment, dit-il. Je scrute constamment ce qui se fait danstoutes les grandes villes hip-hop et je peux dire que la scène d’ici est plusforte qu’avant, même si la house est la saveur du moment.”

KenLo fait ses premières armes dans l’underground de Québec en tantque rappeur solo, puis au sein du groupe Movèzerbe. En 2007, il débute la création de Craqnuques, une série d’albums instrumentaux qui aurontd’importantes répercussions sur la scène, grâce à l’expérimentation et laliberté créatrice qu’elle met de l’avant. Pionnier du mouvement montréa-lais piu piu, l’artiste enchaîne les mini-albums en duo avec sa copinemulti-instrumentiste Caro Dupont et les chansons avec son groupe Ala-clair Ensemble, l’un des plus influents dans le rap francophone canadien.

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Même désir de rester près du hip-hop pour Dr. Mad, qui a sorti, en novembredernier, The Good, The Bad, The Remix, un premier album jazzy-hop sur l’éti-quette française LaRuche Records. “Ma voie intérieure me conduit àexprimer ma volonté propre et à développer un son unique”, indique-t-il,en se dissociant de certains de ses pairs qui cherchent à suivre la modeactuelle.

Peu importe la tendance qu’elle adoptera prochainement, la scène hip-hopinstrumentale montréalaise possède une force indéniable : la vitalité. “Ondirait qu’à chaque coin de rue, je rencontre quelqu’un qui fait des beats surson ordinateur”, témoigne Cri, enthousiaste.

“À Montréal, tout particulièrement, je crois que les producteurs ont trouvéune manière de s’adapter aux différentes foules, avance pour sa partTommy Kruise, qui désire pousser un peu plus loin l’expérimentation surses prochaines parutions. Si l’on combine cet engouement-là au fait queles équipements sont plus accessibles et moins chers, c’est clair que lascène d’ici va prendre plus d’ampleur.”

LINA

DON

O

“oda”Autoproduit

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kenlo, l’enfant béni du hip-hop

J.u.D.J.u.D. CriCri

enquête

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c’est aussi l’histoire de l’impulsion insufflée par Pierre Fortier, arrivé à ladirection du Festival de la chanson de Granby en 2007, après un séjour dequatre ans à la radio de Radio-Canada en tant que chef du développement

de la chanson, des musiques du monde et du jazz : “À l’époque, le festival gravi-tait essentiellement autour de son concours qui avait révélé des grands nomsde la chanson québécoise. Nous avons décidé de démocratiser l’événement enrejoignant tous les publics, et ce en dehors du cadre du concours. Ainsi, nousavons commencé, en 2008, à offrir des spectacles gratuits sous des chapiteaux,multiplié les spectacles dans les bars et endroits incongrus de la ville (zoo,églises, fermes, etc.), initié un programme d’écriture de textes de chanson fran-cophone à travers les écoles secondaires du pays pour les 14 à 17 ans… Nousavons fait passé l’achalandage de 4000 à 32 000 personnes et décuplé le nombrede partenaires, qu’ils soient municipaux, provinciaux, fédéraux ou internatio-naux.” En effet, aujourd’hui, l’entreprise compte sept employés permanents, unecinquantaine de contractuels, près de 200 bénévoles et un soutien techniquemajeur de la Ville de Granby. Plus 154 partenaires financiers : “Un travail colossalde relations publiques et de rendez-vous hebdomadaires, avoue Pierre. 50% dufinancement provient de partenaires médias et d’entreprises qui nous offrentdes échanges de services, 25% de revenus autonomes et 25% de subventions.”

L’envie d’Europe…“Au fil des trois dernières décennies, j’ai trimballé mesvalises de l’autre côté de la grande mare en moyenne trois fois par an. J’y aidéveloppé de nombreux contacts, plusieurs affinités et quantité de connais-sances qui sont devenues des amis. Nous avons commencé à inviter desprogrammateurs européens pour leur faire découvrir les artistes émergentsfrancophones du Québec et du Canada. Dès lors, les artistes repérés chez nousont commencé à tourner tranquillement en Europe. J’ai senti qu’il y avait unréel intérêt pour nos talents. Nous avons donc décidé de concentrer nos éner-gies sur des régions qui étaient déjà sensibles à ce nous faisions, en l’occurrence

Paris avec Alain Paré du Pan Piper, l’Auvergne via Jacques Madebène du FestivalSémaphore de Cébazat, la Haute-Normandie avec Régis Sénécal du TrianonTransatlantique de Rouen, Albi via Alain Navarro du festival Pause Guitare. Sanscompter nos amis basques, suisses et belges. Nous allons donc présenter unplateau double réunissant le lauréat de Granby 2011, Mathieu Lippé, un slam-meur, conteur et chanteur exceptionnel, avec les lauréates de Granby en 2013,Garoche ta Sacoche, un improbable duo décalé, alliant humour et profondeuravec des harmonies vocales nous rappelant les sœurs Kate & Anna McGarrigle.La date parisienne du 16 mars au Pan Piper se fera aux côtés de la marraine dela tournée, Lynda Lemay qui offrira un extrait d’une trentaine de minutes de sonplus récent spectacle.” Et on sait déjà que la Tournée Granby-Europe sera recon-duite en 2016 avec le lauréat de Granby 2014, Michel Robichaud et la sélection2014 des pros européens lors des vitrines musicales du FICG, le groupe demusique du monde Bon Débarras.

Fort de sa devise “Seul on va vite, mais ensemble on va loin”, Pierre Fortier etavant tout un homme de défis : “Chaque matin, je me demande ce que je vaisapprendre de nouveau aujourd’hui. Apprendre de qui ? Du maire, du concierge,du sans-abri, de la Ministre, du nageur olympique, du garagiste ? Je suis curieuxet crois que nous pouvons développer notre instinct. Pour cela, il faut poserdes questions, beaucoup de questions. Il faut également savoir écouter lesautres et se remettre régulièrement en question, être à l’affût du politique etde l’économique et se faire confiance en sachant qu’aujourd’hui le status quoest pire que l’erreur. Le challenge est le moteur de ma vie. Se dépasser et nepas se satisfaire de l’ordinaire ; sinon, on risque de devoir déposer le bilan.”Le prochain défi de ce gourmand de la vie ? Présenter un cinquantième anni-versaire du Festival de la chanson de Granby en 2018 qui marquera à tout jamaisl’histoire de la ville. Son rêve ? “Présenter nos concerts extérieurs dans un lieubucolique pouvant contenir 40 000 personnes !” i

ils ont démarré à Granby…Pierre Lapointe, Lynda Lemay, Dédé Fortin,Dumas, Jean Leloup, Lisa LeBlanc, les sœursBoulay (alors qu’elles travaillaient chacune en solo), Alex Nevsky, Mathieu Lippé, Garocheta Sacoche, Klô Pelgag, Salomé Leclerc, Philippe Brach, Les Hôtesses d’Hilaire, JoëlleSt-Pierre, King Melrose, Hôtel Morphée, Mordicus, Patrice Michaud, Karim Ouellet,Chloé Lacasse, etc.D.

DES

ROSI

ERS

C’est l’histoire d’un festival implanté àune heure de Montréal, à Granby, quis’offre cette année, pour ses 47 ans,une virée européenne…

Granby-Europela tournée

coulissesinitiative

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souvenirs d’enfance définitivement marqués par la visioncathodique d’Elvis et l’écoute assidue de 45 tours des SexPistols et des Cramps. Détour par des études de compta-bilité. Passion oblige, retour à l’univers de la musique àl’âge de 30 ans, du côté de ceux qui en retranscrivent

l’histoire, de la variété au punk. Christian Eudeline à commencé parécrire dans Best et Jukebox Magazine il y a vingt ans, et officieaujourd’hui au sein des pages musique de VSD et des Échos. Spé-cialiste de la pop-culture, il estl’auteur de biographies -Jacques Dutronc, Michel Polna-reff, Daniel Darc, Christophe - etd’ouvrages de références, telsque Anti-yéyé, une autre his-toire des sixties ou Nos annéespunk (Denoël). Une carrière quiaurait pu s’arrêter brutalementil y a dix ans, lorsqu’il inter-viewe Ray Charles : “Quand turencontres Dieu, qu’est-ce qu’ilreste après ?”. Mais la flamme persiste. Traverser le miroir, déam-buler dans les coulisses et l’envers du décor, carnet de notes enmain. Une vocation et une méthode. “Il faut le recul de l’expert, del’archiviste. Quand j’ai enquêté sur Christophe ou sur Michel Polna-reff, j’ai interviewé le guitariste, le producteur, le pote…”

Une biographie captivante à lire, cela tient notam-ment au mélange entre l’angle, le climat et le stylede l’auteur…“C’est la chose la plus difficile, le climat. Je pense quand mêmeque tu lis une biographie pour avoir des informations, avant toutechose. Michel Polnareff racontait dans une émission avoir eu lachance de rencontrer Jimmy Page, et qu’il avait joué sur son pre-mier disque. Mais la vraie chance vient surtout de l’arrangeur deson album, Jean Bouchety ! Quand on lui a mis dans les pattes cebeatnik à cheveux longs, pour lui, c’était une évidence de l’emme-ner en Angleterre. Quand Polnareff prétend avoir dit “j’exige

Jimmy Page”, ce n’est pas possible car en 1966 Jimmy Page estencore un anonyme musicien de studio. Tous les artistes mentent,enjolivent. J’essaie d’être le plus fidèle possible à la réalité histo-rique et de rendre hommage aux seconds couteaux. C’est superdur quand Polnareff efface d’un coup de gomme l’existence de ceproducteur de génie qui lui a donné la chance “d’être Michel Pol-nareff” ! S’il avait enregistré à Paris, il ne serait jamais devenu cequ’il était. Mon climat, c’est celui d’une enquête. Un maximum d’in-

fos, et raconter l’histoire lemieux possible.”

Qu’est ce qui fait que ladestinée d’un artiste aune dimension culte oumythique ?“Un artiste culte, c’est un artistequi n’est pas connu, mais pourlequel des gens sont capablesde dépenser 500 euros pour undisque. Les artistes cultes fasci-

nent, sont collectionnés et ont un talent. Ce n’est pas parce qu’unartiste est “maudit” ou n’a jamais eu de succès qu’il est culte. S’ily a un culte, c’est qu’il y a une qualité. Le mythe, c’est autre chose; Johnny Hallyday n’est pas culte, mais il est mythique. Polnareffest un mythe absolu, le premier mec qui soit arrivé à faire de lapop en français. Et bien sûr, il y a le succès. Qu’est-ce qui fait quetu es culte ? Je ne sais pas… La classe, une gueule, une formed’élégance. Il y aussi la notion de ne pas tricher et un romantisme,une destinée qui n’est pas celle prévue au départ. Il faut qu’il y aità la fois un disque, un personnage, une histoire. Il y a un rendez-vous, une résonance avec l’époque.”

Les artistes sur lesquels tu as choisi d’écrire onttous inventé une technique qui leur est propre pours’exprimer…“L’artiste est un catalyseur. À un moment, il trouve son truc. Chris-tophe est un rêveur qui va mettre des années à faire des disques

les enquêtes du détective

Routes sinueuses ou fulgurantes vers le statut de rock star, figures cultes oumythiques de l’univers pop-rock, personnages flamboyants, ouvriers de l’ombre,paradis perdus et rives enchantées… Christian Eudeline écrit avec le sens dumystère d’un conteur, la rigueur d’un enquêteur et le style d’un écrivain.

“christophe, Portrait du

dernier dandy”

Editions Fayard

“la disparition, enquête sur

la vie et l’absenced’alain kan”

Editions RoMart

coulisses

Eudelineb FRANCE DE GRIESSEN | a DELPHINE GHOSAROSSIAN

portrait

« Qu’est-ce qui fait que tues culte ? Je ne sais pas…La classe, une gueule,une forme d’élégance… »

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parce qu’il n’arrête pas de tester des sons, qui vit en décalé et qui arrive -aussi grâce à une équipe de producteurs et de musiciens autour de lui - àun résultat sublime. Ce sont des gens qui ont quelque chose d’exceptionnel,une flamboyance. Pour que l’artiste soit un bon sujet, il faut qu’il y aitquelque chose qui dépasse la musique.”

Après Christophe, le dernier dandy, tu sors en ce débutd’année une biographie d’Alain Kan, mystérieusement disparu en 1990…“Le personnage est fascinant. Il a travaillé avec des musiciens incroyablescomme Laurent Thibault ou François Wertheimer. Ses disques sont de trèsbonne qualité, deux ont été réalisés au mythique Château d’Hérouville, làou Iggy Pop, David Bowie et les Bee Gees ont également enregistré. Pour-quoi ce mec n’a pas marché ? C’est très intriguant. La pochette deHeureusement en France, on ne se drogue pas, avec un mec complètementdécalqué dessus, en 1975, ça donne envie ou ça repousse ? C’était un peutoo much… Avec Christophe, on est entre le culte et le mythe. Ses concertsremplissent les salles, mais il ne vend pas énormément. Les paradis perdusa été redécouvert au fil des ans, comme un trésor caché. Écrire une bio-graphie, ça a aussi pour but de dire : écoute ça, ça pourrait te plaire…”

* Merci à la librairie-disquaire Gilda (Paris 1e) pour la mise à disposition du lieu.

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chroniques39 Musique • 45 Livres • 46 Ça Gave

Des centaines de chroniques surlongueurdondes.com

Ce collectif strasbourgeois revisite les bandes ori-ginales des films de polar et de blaxploitation 70’s.À base de samples et de beats hip-hop, FrankieChops, un personnage fictif concocté par le crew,se compose de seize instrumentaux aux intona-tions jazzy et funk. L’ensemble, enivrant, dessineles points forts d’un film imaginaire entre Shaft etLes casseurs de gang, sonorisé par Lalo Schifrin ouBilly Goldenberg. Les images se bousculent : ElliottGould et Robert Blake en pleine course-poursuiteavec des dealers portoricains, Gene Hackman faisant irruption dans un bar avant de tabasser unindic, Richard Roundtree plongé en pleine guerreraciale… Pourtant, comme chez Tarantino ouGodard, The 13 Looters rend hommage avec unevision postmoderne. La souplesse des beats et lacollision des samples confirment ainsi le proposgénéral : un soundtrack d’actualité pour un genrecinématographique ancré dans une époque révolue. JEAN THOORIS

Débarqués avec un premier album enjôleur en2012, le trio parisien a mis sa culture anglo-saxonneun peu plus en retrait pour cristalliser ses émo-tions sur un nouvel opus écrit, cette fois-ci,totalement en français. À travers le prisme del’amour, de l’amertume ou de l’errance, ses nou-velles chansons - mixées par l’Anglais BarnyBarnicott (Arctic Monkeys, Cloud Control) et rappe-lant souvent Girls in Hawaii - donnent à sa pop uneampleur bienvenue, oscillant entre douceur, fougueet passion. Dans ses cartes postales sonores dra-matico-mélancoliques se dévoilent des mélodiesentraînantes (J’ai plongé dans le bruit, le mog-waïen À tes côtés), suaves ou contemplatives (Disleur). Au milieu de sonorités acoustiques, dechœurs réverbérés, de guitares spatiales et de dis-crètes touches électroniques, on se laisse alorsporter par une douce féérie, jusqu’à s’imaginercourir avec ravissement dans les grands espaces. EMELINE MARCEAU

Toute création artistique serait issue d’unedémarche empirique, et ce n’est pas le premieressai de ce Français, membre d’Aquaserge et deTame Impala, qui inversera cette tendance. Au sor-tir d’une rupture avec sa moitié, “sept ans passésà [ses] pieds” comme il se le remémore sur Ça, tume, le jeune homme, exilé en Australie, s’estoctroyé quelques moments de composition en soli-taire pour une thérapie ô combien salutaire.Accouché par la voie de la catharsis, ce disquecaresse les oreilles par son immédiateté mélodiquequi touche assurément à la pop anglaise dans saplus grande tradition. Saupoudrée d’un songwritingépuré et désarticulé, cette musique écoulée d’uneguitare aux cordes cristallines s’échappe vers deshorizons à l’oisiveté collante, pourfendeurs d’unepaix retrouvée. Les morceaux, façonnés dans uneantichambre de la luxure et chantés intégralementdans la langue de Molière, préfèrent ainsi chasserles invectives afin d’étreindre l’aversion plutôt quela passion. Loin des yeux, loin du cœur paraît-il…JULIEN NAÏT-BOUDA

La Franco-Japonaise Maïa Barouh, fille de Pierre,présente une personnalité à multiples facettes :colorée, pétillante, traditionnelle et électro. Sonnouvel album, Kodama (“Esprit de l’arbre” en japo-nais), est un zoom sur les cultures nippones. Laflûtiste mélange la musique et les chants tradition-nels aux sons contemporains. Ainsi dans Amami,une voix se pose telle une plume qui virevolte dansles airs, légère et immaculée. Aizu, plus énergique,laisse venir les rythmes électro. Soran Bushi, avecses tambours, bruit de vagues et voix de pécheurs,est une reprise d’une chanson familière au Japon.Maïa n’en oublie pas pour autant ses racines euro-péennes avec quelques chansons en français(l’inquiétant Isotopes) et en anglais (le planantDream on, le sublime Sister rain). Le résultat offreun univers onirique et spirituel où les voix du passése mettent au pas des tendances actuelles. Au paysdu zen et du flashy, le soleil levant s’appelle Maïa ! CÉLINE MAGAIN

THE 13 LOOTERSFrankie Chops - The digger,the drifter, the trigger Autoproduit

BADEN BADEN Mille éclairs Starlite / Naïve

BARBAGALLOAmor de LonhObjet Disque / La Souterraine

MAÏA BAROUHKodamaSaravah Editions

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Pour son quatrième album en solo, le batteur defeu Amor Belhom duo poursuit sa quête musicale,usant à l’envi de collages sonores audacieux illus-trant avec un goût affirmé ce qui peut s’apparenterà un recueil d’éléments biographiques évoquésavec sensibilité. Car Maritima est de ce tonneau-là ;un parcours atypique usant de chemins de tra-verse, loin des standards musicaux. Il convient dese souvenir que le musicien, multi-instrumentistede talent, a beaucoup fréquenté la scène de Tuc-son, collaborant entre autres avec Calexico et GiantSand. Il en reste des traces dans sa folk élaborée àpartir de multiples sonorités, sorte de fusion complexe entre le courant “tucsonien” et les com-positions épiques de Yann Tiersen, particulièrementpertinente sur le titre Krayola. Alternant instru-mentaux finement orchestrés et titres chantés (enfrançais ou en anglais), ce nouvel opus à la produc-tion léchée, s’avère d’excellente compagnie. Onnotera sur le titre Souvenir hanté, la présence auchant de Xavier Plumas. ALAIN BIRMANN

La fin propice à tous les excès. Si ce trio cosmopo-lite enregistré à Genève ne lésine jamais sur lacharge vibrante de psychédélisme déconstruit,voire transe, l’opus s’achève par un délire recordde 20 minutes. D’abord terrifiant, puis agité derythmes marteau-piqueur, Gambling with thewrong dice (“Partie jouée avec dés pipés”, si l’ontraduit) se poursuit par une improbable BOF wes-tern, avant de plonger dans le chaos définitif. Lamise constamment renouvelée, se joue sur un tapissous haute tension. Blind Thorn plante ses épinesfort dans les tympans, afin d’expulser la routine. Ilfaut dire qu’Antoine Lang éructe un “chant” guttu-ral des plus agités. Ne vous privez pas de sesséances exutoire en concert. De multiples porte-voix sortis d’un coffre mystérieux, il tire des sonsincroyables sans jamais perdre son souffle, mais àcouper le nôtre. VINCENT MICHAUD

Après un EP prometteur Grenade, sorti en 2011, etquelques sessions live les ayant mené en France eten Angleterre, le quintette toulousain revient enforce, livrant un premier album détonnant etsecouant. Si l’on apprécie l’énergie débordante etl’aisance de composition du groupe (batterie, gui-tare, clavier), c’est principalement à deux voixmixtes garçon et fille que les chansons s’affirment.Entre puissance rock et fragilité, les mélodiesriches et variées, empreintes de trip-hop, voire dequelques notes jazzy, sonnent comme un voyagecharismatique et auréolé. Seules des écoutes répé-tées permettront de livrer tous les secrets de cetunivers en clair-obscur. Nul doute qu’Alcaline estune pépite musicale convaincante et mystérieuse,à découvrir les yeux fermés et les poings levés !KAMIKAL

Ne pas se méprendre : aucune histoire de vélo nese cache derrière ce projet initié par SébastienLaas, musicien luxembourgeois qui n’y va pas parquatre chemins pour présenter son univers sonore.Dès les premiers titres de ce troisième disque - quisuccède à Soundwave EP paru en 2011 - les guitaresgorgées de reverb et de distorsion sont légion, toutcomme les ambiances progressives, planantes outempétueuses (Climatic). Shoegazing, new wave(Frozen sea), fulgurances post-rock et atmosphèreslégèrement électroniques mâtinent ces neuf titresde space-rock instrumental. Dans son écriture fou-gueuse, le musicien et son batteur Pit Reylandconvoquent My Bloody Valentine (Overcast), quijoue ici dans la même cour que M83, Jesus andMary Chain ou Spacemen 3. Une plongée électriquedans une musique voyageuse, qui érige la puis-sance à un haut niveau de qualité. EMELINE MARCEAU

Deux ans après Un soleil dans la pluie, l’ex-leaderde Virago n’a pas mis d’eau dans son vin pour cedeuxième disque enregistré en prise live. Cet odeà un rock français vif et sans concession se situe àmille lieues des formations stéréotypées qui sepréoccupent d’abord de leurs passages radio ou deleur look avant leur qualité artistique. Cettemusique caresse, serpente, puis ondule et s’inten-sifie jusqu’à exploser dans un dédale d’électricité.Quant à la plume, elle est toujours aussi saillante,fine et frontale, et sa voix semble même avoirgagné en aplomb comme avec Sans un bruit. Si lesguitares distordues et abrasives sont légion (Àjamais fait, Tout arrive), des paysages post-rock(Laisse agir), ballades (Une histoire) et de finsarrangements (cuivres incandescents sur Attrape,cordes sur le tendu Un inventaire et sur Impressionsoleil dedans) tapissent aussi le décor agréable duGrenoblois et viennent enrichir l’univers de cedisque plein de fougue et de sensibilité. EMELINE MARCEAU

De son passé de rappeur, Faada Freddy aura gardéson amour du chant, au point de ne garder(presque) que celui-ci sur cet album organique.C’est au Sénégal que Daara J (son premier groupe)fera ses premiers pas et s’imposera comme l’undes meneurs de la scène rap avec Positive Blacksoul. À l’instar d’un Bobby McFerrin ou du moinsconnu groupe islandais Human Body Orchestra,Faada abandonne tout instrument et construit deschansons uniquement à la force de la voix et declaquements divers sur le corps qui est ici utilisécomme une percussion. On parlera ici plutôt deréadaptations, car sur onze titres, deux seulementsont des originaux. Freddy donne certes une autredimension aux titres d’Irma, Imany et Sia, mais on aurait aimé encore plus de création. Quitte àêtre différent, autant l’être jusqu’au bout ! Mais laforce de cet album est qu’il nous entraîne dans undoux tourbillon sonore empreint d’une certainereligiosité. OLIVIER BAS

THOMAS BELHOMMaritimaIci d’Ailleurs

BLIND THORNSs/tCheap Satanism Records / Mandaï

BUDAPESTAlcalineN.Ö.H Prod

CYCLORAMAAstral bender Chez Kito Kat

OLIVIER DEPARDON Les saisons du silenceVicious Circle

FAADA FREDDYGospel journeyThink Zik

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CHERRY PLUM “Stick bay” (Auto)Il y a du blues dans ces quatre folk-songsmélodiques et gracieuses, mais aussi deseffluves de country et de bossa. Conçuesautour de Sébastien Chevillard et SamuelGalienne, têtes pensantes du groupe angevin,ces berceuses douces et emportées mènenttout droit vers les pistes de danse. E. MARCEAU

CLICHÉ (Microqlima)Si vous êtes passé à côté des papillons sur letitre Hélicon qui a tourné en boucle sur lesradios cet automne, une piqûre de rappels’impose. Voilà quatre garçons prêt à en dé-coudre avec la french pop, dans un universrêveur et captivant. Les mélodies douces etapaisantes se dessinent comme des bulles dechampagne, rendant l’imaginaire à une scènemusicale parfois aseptisée. Un peu de rêvene fait pas de mal. KAMIKAL

G. BONSON “The dust andthe incense” (TFTC Records)Du beatmaking à la marche d’un éléphant, il n’y a qu’un pas… Figurant une musique rentre-dedans, ce premier EP de G. Bonsonlaissera poussière derrière ses poursuivants,écrasant à coup de boutoirs électroniques lescorps les plus frêles. La formule saura spora-diquement s’émanciper de cette gravitécontagieuse, en singeant par de multiplessamples, une atmosphère qui flirte plus avecl’Inde de Gandhi que l’Afrique de Madiba, sitaren tête et en fête… J. NAÏT-BOUDA

IN THE CANOPY“The light through” (Auto)Après leur premier EP Never return, sorti en2012, et un accueil très chaleureux, le quin-tette parisien revient avec six titres en formed’apothéose, le regard toujours pointé vers leciel et la cime des arbres. Le groupe livre unpop rock entre fragilité et force, comme si samusique prenait de la hauteur au fil des com-positions. Un paysage musical à 180 degrés,entre canopée et lumière. KAMIKAL

MOUNT ANALOGUE“Yama”(AB Records)Un regard jeté en direction des masques nôde ce binôme et une première visions’échappe : celle d’un Japon traditionnel affu-blé de nombreux rites. Une oreille suspenduesur les trois titres de ce maxi et c’est un pay-sage néo-futuriste qui se dévoile. Un hiatustemporel perturbant et dépositaire d’un déli-rium aux vibrations électroniques fiévreuses.J. NAÏT-BOUDA

NÏATS ”Antares” (Banzaï Lab)Cet artiste inspiré est obsédé par la relationentre l’image et la musique. Ingénieur du sonémérite et amateur de cinéma, il distille unmelting-pot d’influences dans la lignée froideet abstract d’Amon Tobin et la puis-

maXis, eP’s, 45 tours…

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chroniquesmusique

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Oubliez le folk rock et l’accent franchouillard quel’on retrouvait sur Piano élégant, paru il y a six ans.Cette fois, le quintette montréalais roule au son durock’n’roll pur et dur. La voix de son chanteur etleader Jimmy Hunt est ainsi reléguée à l’arrière-plan, comme si elle n’était qu’un instrument noyédans une nuée de rock. Chocolat s’en donne à cœurjoie dès le départ avec la puissante et efficace Burnout, puis avec l’incursion blues Méfiez- vous du Boo-galoo et ses claviers psychédéliques. La réalisation,brute et sans fioriture, met particulièrement enavant les guitares, dans l’optique bien précise dereproduire l’univers sonore des albums rock amé-ricains du début des années 1970. Bordé vers la finpar quelques pièces aux résonances plus lugubrescomme l’enivrante Apocalypse et l’inquiétanteInterlude, l’album s’impose parmi les parutionsquébécoises les plus substantielles de l’année 2014.OLIVIER BOISVERT-MAGNEN

DJ Click, assoiffé de voyages et de rencontres, seveut ici bâtisseur de passerelles musicales entre laculture des Balkans et celle de l’Andalousie. Levoyage commence en Grèce avec le chant tradi-tionnel I Garsona mais version 2014 ! De la rumbaélectro de Vida au gypsy de Butelcuta 2.0 et BatutaMoldoveneasca, l’humain prime. Ainsi, un musiciende Grenade accompagne un maestro roumain, lavoix d’une chanteuse moldave se joint à celle d’uneespagnole, image parfaite du potentiel de sym-biose entre les différentes cultures. Les chants etmusiques traditionnels deviennent envoûtants. Leshistoires racontent des vies, des passés, des eth-nies, des pays. Des musiques et des instrumentscomme la guimbarde de Hungarian interlude ou lecymbalum de Sirba de la Vasiesti font chanter, dan-ser et surtout vibrer. BalkAndalucia se clôture surl’éclatant Sirba oltenesca et là, si ce n’est pas déjà fait, c’est le moment de se lever et de danser ! CÉLINE MAGAIN

Antoine Bellanger est un artiste régulièrement pro-ductif : après avoir déjà sorti deux albums en 2010et 2012, le Nantais revient défendre sa pop électro-nique avec un troisième disque extatique. Habiledans son utilisation du piano et des synthétiseurs,mais aussi des cuivres, le musicien explore la thé-matique humaine (Les autres) sous tous ses angles,à travers des textes en français qu’il chante ourécite souvent de manière frontale et séduisante(Ça craque). Tour à tour tendues (le dub apocalyp-tique de Je crie), effervescentes, emplies dechœurs (Reviens), épurées et downtempo ou plusentraînantes (Attendre), ses chansons kaléidosco-piques dessinent des ambiances aussi bienpropices à l’introspection qu’au lâcher-prise. Dans sa musique vaporeuse, les ambiances un peubaroques côtoient une folie douce et une légèrenoirceur, mais montrent aussi la lumière et dévoi-lent une certaine propension à s’élever (Au-delà).Profitons-en, tout cela est en accès libre… EMELINE MARCEAU

Certaines collaborations se révèlent de vraies réus-sites : celle entamée par le musicien tourangeauGérald (alias Gus), tête pensante de ce projet, et lepoète brestois Yan Kouton, en fait partie. Les deuxhommes signent huit titres poétiques et glaçants,à l’univers très singulier. Sur des ambiances som-bres viennent se greffer des mots en français surl’amour, les corps, les souvenirs… Dans leur erranceen clair-obscur résonne une voix grave et pro-fonde, mi-chantée mi-parlée, comme sortie del’au-delà, qui dépeint un monde fait de tourmentsou d’espérances. “Choisir, c’est des fois mourir” est-il dit dans A spare moment. Synthétiseursvaporeux, guitares délayées ou jouées en accordsacoustiques et répétitifs, illustrent ces chansonshypnotiques à la croisée du post-rock et de la cold-wave, qui tournoient doucement jusqu’à se poserau fond du crâne pour ne plus jamais s’en déloger.Faire de l’Aquaplaning n’a jamais été aussi plai-sant ! EMELINE MARCEAU

Ce fier représentant de la musique synthétiquepost-Carpenter, officiant au sein du duo ZombieZombie, se permet là une échappée en solo. Et bienque n’ayant pas rangé ses synthétiseurs et oscilla-teurs fétiches, il saupoudre le tout d’élémentsperturbateurs qui viennent se glisser dans l’espacefroid des machines. Des arrangements cuivrés à laMichel Portal, des mots ambigus, évoquant uneplongée dans le corps humain, possédé par lesspectres teutons des dieux kraftwerkiens, notreartisan sait y faire pour agencer les timbres,contrôler les espaces et cultiver les paradoxes. Illaisse aussi traîner une dose d’humour dans lestextes sus-cités et dans les dérèglements du voco-der (Anatomy of a synthesizer). Puis, l’humainréapparaît, dans Modern jungle, perdu avec son saxqu’il fait gémir en marchant sur des tonnes decâbles électriques, avant un final tout en descente.Soit une musique de nuit mélancolique à souhait. MATHIEU FUSTER

Sept années se sont écoulées depuis la parution deDifficult fun qui aura assis le duo helvète dans lepaysage musical dit de la synth-pop, octroyant àce dernier de prestigieuses collaborations, commeles sacro-saint Beach House pour ne citer qu’eux.Jura se pose donc comme le disque d’une confir-mation attendue. Et au sortir des onze titres quicomposent cette galette pleine de sucre, on peutdire que le geste est réussi. Plus mainstream danssa composition, la formation de Lausanne usecependant de tout son savoir faire mélodique etrythmique pour développer une musique augroove implacable. Cette onde sonore est ainsi à labaguette de titres métissés dont la couverture syn-thétique et instrumentale définit une dualitéesthétique touchant au schizophrénique. Passer de la sonate analogique Jura au beat fiévreux etarc-bouté de Broken leg theory témoigne d’uneexpérience musicale hybride dont la volonté première est de chasser l’obscurité au profit de lalumière. JULIEN NAÏT-BOUDA

CHOCOLATTss TssGrosse Boîte / Born Bad

CLICk HEREBalkAndaluciaNo Fridge

GRATUITLàKythibong

GU’S MUSICS Aquaplaning Autoproduit

ÉTIENNE JAUMETLa visiteVersatile Records

LARYTTAJuraCreaked Records

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chroniquesmusique

Tout frais, tout beau ! Un an d’existence et ce quatuor de rock prêt-à-danser déferle afin de restaurer légitimement le leadership bordelaisen matière d’énergie brute. Brand new shoes présente même tous lesattraits du tube, servi par une élégance post-punk, mais une mélodiepop. La tension désarmée par une irrésistible envie de danser, légèretéet attaque mordante, voilà résumées ses caractéristiques que l’on auraittort d’opposer. De quoi évoquer Gang of Four ou LCD Soundsystem pourl’aspect dancefloor. Ce savoir-faire so british s’explique notamment parla présence d’un chanteur britannique, Sol Hess. Confirmation avec lesmithien Sir Victor ou encore City light, brillant par une guitarecristalline très pop et dont le tempo chaloupé évoque le charme desModern Lovers. Sweat Like an Ape ! promet de transpirer de bon cœursur scène. Avec un public avide de se déhancher, cela augure de bonnesséances de fluides communicants ! VINCENT MICHAUD

SwEAT LIkE AN APE !Sixty sinking sailing shipsPlatinum Records

Entrevue sur longueurdondes.com

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Lindigo est l’un des meilleurs représentants dumaloya, cette musique trad’ issue des champs decanne à sucre de l’Île la Réunion et qui connaît,depuis quelques années déjà, un joli renouveau.Groupe militant, héritier de ces combats identi-taires venus de l’esclavage - le maloya fut interditpar les autorités jusque dans les années 80 avantd’être reconnu par l’Unesco… -, il reprend les codesde cette musique en les mélangeant à une visionmoderne. Bénéficiant de la présence de Fixi, l’ac-cordéoniste de Java, déjà complice du disqueprécédent, Milé sèk milé est une œuvre directe,sans longueurs, ni fioritures. La voix est un appel àla danse, le kayamb donne comme jamais et, avecses sonorités presque électro, il a une énergiecommunicative qui évoque l’Afrique voisine. DanyelWaro et Ziskakan peuvent être tranquilles, avec Lindigo, leur succession est assurée ! BASTIEN BRUN

Après l’EP Never go down, sorti en février 2014, lemusicien-chanteur dévoile enfin son premieralbum, qui porte plutôt bien son nom. Parce que dedécollage, il est éminemment question dans cesdouze titres oniriques, planant très loin de la Terre,dans les hautes sphères d’une pop-folk électro-nique aérienne, émotive et personnelle. Avec lebatteur Laurent Tarnagno (membre du duo Hannahet collaborateur de M83), l’Aixois donne du relief àses chansons construites autour du piano et de laguitare. Celles-ci oscillent entre douceur et ardeur,procurent des sensations de grandeur et d’espace,s’électrisent parfois (Live) pour mieux hypnotiserensuite (Recognize). Nourri de mélodies imparables(One time too many), d’arrangements synthétiquesenvoûtants et d’une voix à la clarté élégante, l’ar-tiste érige la mélancolie en sacre de la beauté(Elephant aux accents radioheadiens) ou fait admirablement flirter la pop et la soul dans untourbillon d’émotions (Apart). Joli coup.EMELINE MARCEAU

Après avoir glorifié le rock noise au sein du défuntgroupe Diabologum, puis rejoint le navire Pro-gramme (lui aussi coulé), Arnaud Michniak revientavec un deuxième disque solo résolument hypno-tique et gorgé de clairs-obscurs. Nageant dans leseaux troubles du spoken word, du rap, de la cold-wave et de l’électro-jazz, le Toulousain se pose entémoin critique de la société, questionne l’exis-tence et évoque l’amour en préférant unedescription factuelle des choses à la surenchère demétaphores. Ses mots, toujours aussi bruts, cou-pent comme un poignard (“Je me suicide tous lesjours”, dit-il dans C’était les jardins d’ouvriers),mais enveloppent parfois l’esprit d’optimisme(“Garde espoir car l’avenir nous attend”, sur 6 sou-venirs). Hormis quelques interludes au piano, savoix résonne sur une musique tendue (Cracoviefreestyle), répétitive (Des lumières sur nuages, fea-turing Nadj), groovy ou synthétique (Comme si). De quoi garantir à cette transe un bel Echo. EMELINE MARCEAU

Le duo tourangeau n’a pas mis d’eau dans son vinni calmé ses ardeurs électriques. Trois ans aprèsHighway to health, ses nouveaux titres enregistrésaux États-Unis par Andrew Scheider (Unsane, Pigs,Made Out ot Babies) ne connaissent aucun tempsmort et embarquent l’auditeur dans une courseintense et effrénée. Une fois encore, tout est jouéavec une extrême rapidité, mais jamais de manièreindigeste. Éboulement de noise par-ci (Catadioptreambidextre), flamboyances math-rock par-là etesquisses post-metal en arrière-fond : ce disque,majoritairement instrumental, a de quoi impres-sionner n’importe quel féru de gros son brut, tenduet rock. Au-delà de leur sens aiguisé de la titraille(Pyramide banane chocola, Gin tonique abordable)et de leur technique irréprochable, les deux musi-ciens surprennent aussi par une inventivitérenouvelée, une énergie et des ambiances fou-gueuses, et privilégient une approche directe et sans fioritures de la musique. Ça fait du bien ! EMELINE MARCEAU

Prendre ce Togoban, c’est s’engager étonnammentsur une voie ascensionnelle. En effet, cette électromatinée de math rock sans calcul s’avère propiceà de joyeux retournements. Tour à tour rêveur ethalluciné, Quadrupède nous balade sur les quatremembres, la tête en bas, la raison bousculée. Lessonorités synthétiques sur Via là s’avèrent suffi-samment travaillées pour titiller les espritsrêveurs, fans d’électronica martienne. Mais quandRhododendron enchaîne avec un groove bof puiss’emballe, on se laisse tout autant conduire sansavoir pu percevoir le changement de cap… Quadru-pède avance telle une mécanique infaillible, maisavec force légèreté… À noter : ce duo manceau instrumental, version adoucie d’Electric Electric, abénéficié d’un mastering londonien par Peter Bech-mann (Sun Ra ou encore The Magic Lantern). VINCENT MICHAUD

Son premier album, L’hiver et la joie, lui a permisd’obtenir le Prix du jury Georges Moustaki, début2014. Sa prestation charismatique avait alors beau-coup impressionné. Le projet du deuxième albums’est concrétisé ; il était attendu et est à la hauteurdes espérances. Les compositions réservent uneplace de choix à la basse percutante et aux froidessonorités électroniques, ce qui forge l’identité deRobi. On trouve aussi des titres plus intimistescomme Être là (avec tout de même une intro auxbasses bien appuyées) ou encore ce Chaos au triphop saisissant. Le chant de Chloé est envoûtant,mélodique, théâtral, sublimant des textes aiguisés,au tranchant net. Il y a la lenteur grave de L’éter-nité, les tressautements répétitifs de Devenir fou,la danse 80’s de Nuit de fête, la pop énergique d’Àcet endroit, la sensualité lancinante de Je m’ap-pelle… L’album tient en haleine jusqu’à une Cavalehypnotique, cette montée en puissance, cetteambiance western justement suggérée. ELSA SONGIS

LINDIGOMilé sèk miléHélico

MARTIN MEY Taking off In/Ex Music

MICHNIAkEcho Nuun Records

PNEU Destination qualitéHead Records

QUADRUPÈDETogobanBlack Basset Records / Mandaï

ROBILa cavaleAt(h)ome

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sance rock de Hint. Le projet s’inscritau travers d’une rencontre live au mappingspectaculaire, à voir et à entendre. KAMIKAL

OTTILIE B “Histoires d’O Deux”(Internexterne) La demoiselle aux multi-ples facettes poursuit sa route avec un liveconcept accompagné de nouveaux musiciens.Ça file à toute vitesse, c’est beau à voir etdoux à entendre. Quelques touches coloréeset festives, histoire de rajouter des cordes àson arc. Bien plus qu’un live donc, un projet àpart entière, façonné dans du roc ! KAMIKAL

RENDEZ-VOUS (Zappruder Rec.)Le premier EP des Parisiens semble être toutdroit sorti des années 80. Les garçons ontprobablement écouté à haute dose The Cure- en témoigne Plasticity- et The Smiths. Synthés, basse mélodique et batterie métro-nomique… la new wave est là. Mais rien à voiravec un pâle pastiche du genre : ils saventparfaitement allier candeur et noirceur, bru-talité et douceur sur cet EP très réussi. I. BIGOT

SwANSONG (Bright Records)Une voix sincère et maîtrisée se joint à desmusiques légères d’une volupté envoûtante,teintées de folk, de pop sucrée et de blues.Des ballades mélancoliques et romantiques,animées par un univers qui invite, tout endouceur, au voyage, à l’évasion. Cette harmo-nie suscite des émotions à même de séduirel’oreille. S. BANCE

TAIwAN MC “Diskodub”(Chinese Man Records) Deuxième EP bientroussé pour le MC “ragga” de l’écurie mar-seillaise, dont on reconnaît ici la griffe. Le sonépais, les basses qui groovent et les sonori-tés venues de l’espace évoquent souvent lesAméricains de Major Lazer. Comme quoi, lamusique jamaïcaine made in France ne signifiepas sound system au rabais, loin de là… B. BRUN

TORB “TT001” (Torb Trax)Ce duo, fétichiste des vieilles machinescomme Arnaud Rebotini, n’en finit pas d’éti-rer un groove techno transgressif etprogressif. “Fever”, le deuxième titre,s’avère plus intériorisé, distillant une épais-seur stroboscopique à faire pâlir les convives,servis comme il se doit par cette galette duMotorbass Recording Studio. V. MICHAUD

VINCENT VINCENT“Abat-jour” (Auto)Vincent diffuse ses œuvres atypiques, commebon lui semble, au fil des ans. Souvenez-vous de Demi-deuil, Stéréotypie, Solol. Sadémarche est très personnelle, nourrie d’ex-périences, de pérégrinations en France ouailleurs. Abat-jour, démo réalisée en solo àBesançon, est dans le style “chanson élé-giaco-surréaliste”. L’on se doit d’écouter Likeet ces cinq autres titres. E. SONGIS

maXis, eP’s, 45 tours…

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Voilà un disque qui ne ressemble à aucun autre. Aupremier abord, on pourrait s’attendre à un albumde reprises, hommage au carton du même nompublié par de The Zombies en 1968 devenu depuissommet indépassable de pop baroque, aux côtésde Love et son Forever changes. Mais en fait non,toutes les compositions sont originales et conçuespar un certain Guillaume Médioni, musicien lyon-nais intraçable qui vient autant du jazz, de la popque de la musique contemporaine. Son idée : réunirune quinzaine de musiciens armés d’instrumentsanciens (viole de Gambe, flûtes médiévales…) etréinventer en totale liberté la pop baroque et fleu-rie d’un époque hybride et fantasmée. Naviguantentre les âges avec une précision et un souci dudétail extrêmes, il réussit le pari à l’aide de sonCasiotone Orchestra de nous faire écouter pour lapremière fois depuis longtemps quelque chose deneuf et expérimental. Chapeau bas ! JULIEN DEVERRE

Présence sur le fil, charisme dans les vapes, NicolasKer est un anti-héros talentueux du rock en France.Si on le connaît surtout en tant que chanteur dePoni Hoax, il présente ici le premier disque de Paris,son groupe, et annonce en anglais dans le texteque “c’est la tempête”. À défaut de réel gap clima-tique, There is a storm est un disque électro-rockde bonne tenue qui va voir du côté des années 80.Il y a le clap des boîtes à rythme, des claviersamples, et un romantisme très coldwave qui siedbien au personnage (The silk screen, The cross-over). Souvent dans la retenue, Paris n’est jamaisaussi efficace que lorsqu’il incite au déhanché (Mybaby drove away, Up from the distance). Quoi qu’ilen soit, on vous invite surtout à découvrir l’intenseNicolas Ker sur scène, astre lunaire, c’est dans cettenuit qu’il éclaire le plus… BASTIEN BRUN

Ropoporose est d’abord une affaire de famille. À la tête du groupe, Pauline et Romain, frère etsœur dans le civil, tout un orchestre à eux seuls.Elephant love, très attendu premier album des Vendômois, sidère en effet par sa profusion d’idées, par sa capacité à construire de complexesarchitectures sonores n’ayant pourtant rien de grandiloquent. L’auditeur navigue dans unconstant balancement entre douceur et tension,extase et frisson, lyrisme pop et rock acariâtre.Beaucoup d’ambitions et d’ampleurs ébouriffantes,mais aussi, et surtout, une certaine modestie quipermet à Ropoporose de jouer à taille humaine. Carici, la musique reste arrimée au facteur intime : lesgrattes peuvent bien s’élancer, la batterie peut s’of-frir un sprint aussi soudain que virtuose, n’enressort qu’une offrande synonyme d’adhésioncomme d’identification. Les souvenirs du SonicYouth originel se font parfois entendre. Il faudranéanmoins parler de cousinage plutôt que d’in-fluence héréditaire. JEAN THOORIS

Si vous aimez Johnny Cash, l’harmonica, les wes-terns, le yodel ou tout simplement taper du pied,Jesus shot me down est fait pour vous ! Mêlant lefolklore rural de la country, le rythme du bluegrasset la mélancolie du blues, cet album, composé dedouze chansons, nous propulse tout droit dans leSud-Est des États-Unis des années 20. S’inspirantdes grands noms du blues comme Mississippi FredMcDowell, Scott H. Biram, mais également d’artistescomme Jacques Brel ou Nina Simone, ThomasSchoeffler Jr (que l’on imagine aisément chevau-chant son cheval dans les plaines du Texas ouchantant ses déboires sous les étoiles de Nashville,mais qui est en réalité originaire d’Alsace) abordedes thèmes intemporels comme la désespérance,l’amour ou la mort. Armé de sa guitare, son harmo-nica et son tambourin, l’homme-orchestre auvibrato particulier, rappelant Jello Biafra des DeadKennedys ou Johnny Rotten des Sex Pistols, livreun opus aux doux parfums d’Amérique, d’érable etde coton. AUDE GRANDVEAU

Quand Luz (dessinateur et DJ tourangeau) et KidChocolat (producteur et musicien électro suisse)s’associent, il en ressort dix titres sous influenceélectro-rock. Au menu de leur disque arrangé etproduit par Rubin Steiner, on découvre une belleintroduction électronica (I), des basses rebondis-santes (I’m your dancefloor, proche de LCDSoundsystem), une rythmique up tempo (Rex), dessynthétiseurs groovy, des mélodies pop auxchœurs ensoleillés (Call the cops) et quelquestitres teintés de coldwave obsédante (I don’t wantto be nice). Un tableau vivifiant, aux paroles sou-vent légères, qui s’accompagne d’une amusante BDsur l’histoire du duo et ses chansons où sont évo-quées des chiens, des zombies et autres créaturesfantastiques, mais aussi Mark E. Smith, leader dugroupe The Fall. Les dessins parlent aussi de clefde sol galactique, de solfège cosmique et de… rillettes ! Ce qui en dit long sur la douce fantaisiede ces deux artistes originaux. EMELINE MARCEAU

Originaire de Lorraine, ce bidouilleur électroniqueet éclectique œuvre dans la musique de support(danse, théâtre, vidéo) et il est vrai que les climatsinventés et évocateurs sont des appels aux gestes,aux images… mais pas que. L’écoute domestiquesied aussi bien à ces pièces électroniques où sub-sistent çà et là des sons concrets (les oiseaux deTurn off the century et autres bruitages captés aumicrophone). Aussi ressent-on un petit intérêt pourles atmosphères coldwave 80’s (Sornette est né en1965, ceci explique peut-être cela…). Ces quelquesrelents dark savamment dosés, ajoutés à une richepalette sonore et des rythmes plutôt mid-tempodonnent un résultat tout à fait convaincant, d’au-tant que chaque piste a son lot de surprises etd’événements tous aussi intéressants les uns queles autres. Et à voir les quelques vidéos glanées surla toile, ça marche plutôt très bien in situ. MATHIEU FUSTER

ODESSEY & ORACLEs/tCarton Records

PARISThere is a stormEkleroshock

ROPOPOROSEElephant loveYotanka

THOMAS SCHOEFFLER JRJesus shot me downEcho Productions / Pias

THE SCRIBBLERS s/tPoor Records

SORNETTEExtérieur nuitAutoproduit

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chroniquesmusique

Voilà maintenant plusieurs années que Stéphane Milochevitch, aliasThousand, possède un noyau dur d’inconditionnels. Il était certesdifficile de ne pas succomber à cette folk-pop aux atours intimistes bienque taillée pour le plus grand nombre. De plus, sur scène, Thousandn’avait aucun mal à rallier le public à sa cause. Logique : voix bluesy,mélodies à la cool, érudition, connivence avec l’auditeur. Haute classe !D’évidentes qualités que corrobore ce deuxième album. Produit avecspatialité par Frédéric Lo, Thousand permet de retrouver l’universfaussement chaloupé, détendu mais inquiet, de ce songwriter ami. Carsi l’entêtant The flying pyramid esquisse un swing pas très loin d’AztecCamera, la suite, sans ne rien perdre de son immédiateté, plonge dansl’enivrante mélancolie : ballades sous obédience Smog, storytelling(tendance Lou Reed) bercé de discrètes touches électroniques,comptines aussi fiévreuses qu’apaisantes… Plus qu’une confirmation :une attendue consécration. JEAN THOORIS

THOUSANDs/tTalitres

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Jamais à sec d’idées pour secouer les consciencesbien pensantes, le gentiment irrévérencieux siteInternet et magazine papier Gonzaï ajoute encoreune paire de cordes à son arc en surfant sur lavague du retour du vinyle (modernement accom-pagné de digital). Au programme, deux sériesintitulées Feedback (pour les rééditions) et Not forsale (pour les nouvelles sorties) qui accueille doncaujourd’hui le quatrième album du groupe rouen-nais après six ans d’absence. Toujours adepte depost-punk synthétique et entêtant (Silver banana),Arno Vancolen semble enfin libre d’apporter savision à l’édifice, encore quelques marches en des-sous de Suicide, Public Image Limited ou Can.Peut-être encore plus cinématographique que sespetits frères, ce Position normal ne fait justementrien comme les autres. On aurait bien aimé taclerdu Gonzaï comme l’aurait fait Gonzaï, mais çaaurait été se mentir à soi-même. JULIEN DEVERRE

Il aura donc fallu attendre plusieurs longuesannées pour avoir droit d’entendre un nouvelalbum de Tahiti Boy and the Palmtree Family, mêmesi quelques EP ont permis de patienter sereine-ment. Le projet de David Sztanke donne enfin suiteà des débuts (2008) prometteurs, et on retrouveavec une joie réelle une pop toute en claviers, sou-vent dansante (Low life, Big sur, Negociation blues),parfois extrêmement ample (The park, tout enchœurs). Le disque étant composé d’une majoritéde morceaux des deux derniers EP, il y a parfoisune sensation de juxtaposition surprenante, maiselle est aussi garante d’une énergie toujoursrenouvelée. La qualité d’écriture du Français (qui acontribué à des bandes originales de film et a jouéavec Émilie Simon en live) lui permet pourtant dene jamais totalement perdre le fil d’un disque qui mettra, en tout cas on lui souhaite, un musiciensingulier en lumière. MICKAËL CHOISI

Puisant son inspiration dans le heavy metal (Metal-lica, Motörhead) et le rock anglais (Sex Pistols,Rolling Stones), Tikahiri (“le sang”, en langue paumotu) rompt avec la tradition. Rythmes envoû-tants, alternance de vocaux clairs et gutturaux,solos de violoncelle, fusion improbable de diffé-rents styles musicaux (punk, rock gothique, hardrock)… une chose est sûre, leur musique n’a rien depacifique ! Originaire de l’atoll de Fakarava en Poly-nésie française, le groupe se compose de deuxfrères (Mano et Aroma Salmon assurant le chant,la guitare et la basse), de Stéphane Rossoni (batte-rie) et de Simon Pillard (violoncelle et clavier).Mariant avec talent musique classique, rock som-bre et énergie cosmique, Son of Sun, leurquatrième album, a été enregistré à Paris en colla-boration avec Frank Redlich et compte bienconquérir la scène internationale. Manuia les Tikahiri ! AUDE GRANDVEAU

Certains artistes ne sont heureusement pas prêtsà céder leur art aux diktats des majors ni à lisserleur musique pour récolter quelques (futiles)deniers d’une gloire souvent éphémère. La Bres-toise fait incontestablement partie de ceux-là. Encomposant cet album - aussi inspiré soit-il -, l’ar-tiste ne remplira pas les stades et ne passera pasen playlist radio. Un moindre mal ! Car tout le longde ses neuf titres ensorcelants, elle touche en pleincœur, livre une dose incroyable d’émotions bruteset d’ambiances ultra personnelles. Beaux et bru-meux (Turn around), sombres et glaciaux (Chokemy sorrow, Fellow), tendus et minimaux, ses pay-sages sonores font entrevoir autant la mélancolieque la lumière. Les fans de Portishead, MassiveAttack ou Godspeed ne renierait pas la productionquasi cinématographique, signée Yann Tiersen. La basse hypnotise, la voix envoûte, les samplescaptivent : ce trip hop-là prend aux tripes. EMELINE MARCEAU

Dès les premières notes, les premiers motifs, lesamateurs de musique de films des années 70 sontdans un environnement familier. Les ressortsbizarres, les claviers vintage… Et ces mélodies faus-sement enjouées, dans lesquelles viennent seglisser des notes mineures cruciales, qui ajoutentune pointe de mélancolie. Ceci est un hommage,très solennel et très pertinent à l’œuvre du génialFrançois de Roubaix, l’un des plus grands compo-siteurs de bandes originales de films. Ici, que cesoit le choix de l’instrumentarium ou les effets uti-lisés, tout est synthèse de l’œuvre du maître troptôt disparu. C’est agencé avec savoir-faire, et lecompositeur d’origine suisse - qui joue tous les ins-truments entendus -, enregistre avec du matérielold school, désireux qu’il est de préserver le grainanalogique, tout en revendiquant la non utilisationde samples. Du talent, c’est indéniable, mais àconfirmer à l’avenir avec un style plus personnel etpeut-être un peu moins “Roubaisien”. MATHIEU FUSTER

Ces Rennais ont le sens de la longueur, de lapatience aussi. Les cinq années qui séparent ceBoring pools de leur précédent disque se retrou-vent en filigrane ici. We Only Said, groupe àl’étiquette post-rock à la fois réductrice et appro-priée, offre neuf titres où l’on entend presque tout :des cordes de guitare à la moindre peau de batte-rie. C’est âpre, ombrageux et on se laisse séduirepar ces atmosphères guère riantes mais prenantes,qui évoquent un peu la scène de Chicago de la findes 90’s. Que ce soit sous la forme de morceauxcourts et directs (Everything turns cold, A fearfuland violent hurry) ou de titres plus étirés (Mitch,Dry as dust), We Only Said réussit à être efficacesans faire de concessions en termes de productionet d’écriture, tout en restant attachant à samanière. Peu de mots, mais qui en disent suffisam-ment long pour que l’on se penche dessus avecattention. MICKAËL CHOISI

L’ancien bassiste de Billy Ze Kick et les Gamins enFolie s’est surtout fait connaître comme DJ et ani-mateur de radio en popularisant le bootleg enFrance. Après plusieurs années de ces mélangespirates, il continue son petit bonhomme de cheminderrière le micro. Allons enfants, branchez les gui-tares demi-caisse ! Faites sonner les cuivres !Évoquant le rockabilly, Mambopunk est un disqueoù les chansons font des onomatopées et tournentle plus souvent autour de deux ou trois minutes. Le zèbre chante en français, un peu en anglais(Naked in Paris) et le dit tout net : “C’est la fête à lamaison.” Ceux qui cherchent une musique intellopasseront leur chemin, les autres découvriront unalbum de rock français sans chichis, rempli depetits samples et d’énergie positive. Ce que l’onapprécie depuis longtemps chez Zebra, c’est que,quoi qu’il fasse - de la salsa à un album avec unbagad -, il n’a jamais essayé de péter plus haut que ses platines, et il aurait tort de faire autrement. BASTIEN BRUN

Deux amis d’enfance, d’origine sétoise. Deux com-pagnons de galère des transports parisiens. Puisun nom, référence aux ouvriers algériens venustravailler en France dans les années 50 et étendardd’une chanson française métissée. De celle quipuise ses mots dans les destins cabossés et sesmélodies sur les tarmacs. Poésie de comptoir etd’un quotidien universel qui n’esquive aucunequestion, ni n’aurait à sacrifier son franc-parler…Aujourd’hui, la troupe s’est agrandie, mais conserveune même liberté, accompagnant son propos deréguliers hors-pistes musicaux. Après un maxi en2011 (Et ta mère) et un premier galop l’année sui-vante (Prison dorée), ce reviens-y est bluffant ! Biensûr, on retrouve leurs éternels chassés-croisés(zouk, rumba, jazz, reggae, salsa…), mais rien n’està jeter, notamment en raison de tendres cuivresadoucissant le mordant des textes. Le tout s’épa-nouit dans les marges et sait prendre ses aises,sans jamais vouloir vous quitter… Qui s’en plain-dra ? SAMUEL DEGASNE

STEEPLE REMOVEPosition normalGonzaï Records

TAHITI BOY AND THE PALMTREE FAMILY

Songs of vertigoEdge of Town

TIkAHIRISon of SunQuart de Lune

TINY FEETSilent Autoproduit

ANTHONY CÉDRIC VUAGNIAUXLe clan des guimauvesPlombage Records

wE ONLY SAIDBoring poolsLes Disques Normal

ZEBRAMambopunkAutoproduit

ZOUFRIS MARACASChienne de vieChapter Two / Wagram Music

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chroniquesmusique

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Pour ses 60 ans, la Fnac a édité, à 1200 exemplaires,cinq recueils du photographe star. Il faut dire quemôssieur Gassian est devenu aussi mythique queceux qu’il shoote depuis 1969. Hendrix, Morrison,Dylan, Springsteen, Zappa, Hallyday… Que desartistes qui lui ont été fidèles et dont on amputedésormais le prénom. Pas étonnant, donc, que leFrenchy ait exposé aux États-Unis : son iconogra-phie fait partie du patrimoine mondial. Ici, sasélection de clichés rares ou inédits s’est concen-trée sur Bashung, Bowie, les Stones, Bob Marley etDepeche Mode. Résultat ? On aurait pu rêver meil-leur écrin pour ce format carré. À raison : unfaçonnage et une mise en page assez simplistes,voire un manque de didascalies sur le contexte.Heureusement, l’incroyable patte du maître se suf-fit à elle-même. Cadrages au cordeau, lumièrestransverses, gestes immortalisés dans l’action…Tout y est. Faisant même oublier la dimension plas-ticienne du maître, pour en révéler une plushistorienne… Un must. SAMUEL DESGANE

CLAUDE GASSIANAlain BashungFnac, coll. Anniversaire, 29 €

photos

Un quasi sans faute pour cette BD venant du paysdes Lego. Ses auteurs, tout d’abord : deux Danoisayant écumé le milieu underground de Copen-hague et coopéré pour une flopée de fanzines. Saforme, ensuite : un 128 pages au grammage ren-forcé et à la couverture généreusement cartonnée.Le trait est acéré, donnant aux personnages noiret blanc des allures fantasmagoriques auxcontours cabossées. Avec quelques bonnes idéessur les déformations et surplombs. Sur le fond,enfin : les aventures de Charley et Mickey encontrée musicale, dans la pure tradition du buddymovie (deux héros aux antipodes). Le premier joueles clowns blancs, blogueur snob et observateurcynique des scènes indépendantes. L’autre est l’au-guste, musicien malgré lui, sans limite dans l’alcoolet les lourdeurs graveleuses. Au final, si la satire seperd parfois dans ses à-côtés, la galerie de por-traits fait mouche. Ou comment dépeindre ceslosers que seule la hype unifie et dont le rock est un palliatif outrancier à la vacuité de leurs vies.SAMUEL DESGANE

SØREN MOSDAL & JACOB ØRSTEDRock worldThe Hoochie Coochie, 20 €

BD

En introspection, l’auteur du Nouveau dictionnairedu rock republie son second essai, vingt ans aprèssa première parution. Dans ce Paris des années 80,la musique est omniprésente. Michka est un jeunejournaliste prêt se lancer dans n’importe quelleépopée pour une interview, comme celle de l’icônebritannique Syd Barrett. Les 120 pages de cetouvrage en lévitation sont obsédées par une museinsaisissable : Emmanuelle, la chérie sublimée du moment. Le plus souvent en errance, MichkaAssayas se dévoile entre timidité et légitimité jour-nalistique, évoquant finalement trop peu lesdessous de son métier, d’autant qu’il ne dévoile pasla plupart des références musicales. Preuve que lepropos n’est pas là. Ici, le rock critic s’efface peu àpeu devant l’écrivain. Les sentiments du quotidien,entre nostalgie et mélancolie, en deviennent sur-réalistes. Ils prennent un relief particulier lorsquel’auteur touche au plus intime, le rapport à la mortet à son père. PATRICK AUFFRET

MICHkA ASSAYASDans sa peauLe Mot et Le Reste, 16 €

essai

Ce recueil non exhaustif montre toute l’absurdité et,dans la plupart des cas, l’inefficacité de la censure.Car depuis les hymnes maquisards du début du XXe

siècle, jusqu’au rap du XXIe, en passant par la chan-son, le rock, la variété et la new wave, elle a plussouvent permis d’amplifier la portée des œuvresincriminées qu’elle n’en a fait tomber dans l’oubli.Si sexualité, guerre, politique, drogue et religionsont les thèmes les plus exposés aux représaillesdes gardiens de la morale, ce sont aussi les plus ins-pirants pour une grande majorité d’auteurs.Brassens, Brel, Ferrat, Gainsbourg, ont joyeusementpincé ces cordes sensibles, se voyant infliger des interdictions d’antenne par l’obscur “comitéd’écoute”. Plus grave, NTM et La Rumeur furentmême traînés devant les tribunaux pour leurs propos (virulents) envers les forces de l’ordre… La censure, Henri Tachan, lui, en disait ceci : “Elle estmalingre, elle est petite, Elle boit des grands verresd’eau bénite, (…) Elle coupe, elle mutile ou elleblesse, Ici un cœur, là une fesse, Elle est chirurgiendes rois…” CÉDRIC MANUSSET

E. PIERRAT & A. SFEZ100 chansons censuréesHoëbeke, 24,50 €

anthologie

Super Mama Djombo est un groupe mythique del’histoire de la Guinée-Bissau : dans les années 1970,ses chansons ont accompagné l’indépendance dupays et marqué les esprits. Dans ce roman, le jeuneécrivain Sylvain Prudhomme s’inspire de la vie desmusiciens pour tisser un récit imaginaire, prétexteà l’exploration de la capitale. Un soir, Couto, ancienguitariste du groupe, apprend la mort de Dulce,chanteuse de Super Mama Djombo, qui fut aussison ancien grand amour. Lui n’est plus qu’une stardéchue et sans le sou, mais faisant partie de cesartistes clés que la jeune génération locale appellerespectueusement “les grands”. La nuit tombée,Couto se met en quête de ses amis d’autrefois. Tan-dis que les rues s’animent et vibrent, ses souvenirsdéfilent : la guérilla contre les Portugais, les pre-miers succès du groupe, l’amour… Les mots del’auteur, bercés du créole de Guinée utilisé par lespersonnages, restituent avec force l’énergie et latristesse qui baignent la ville africaine. AENA LÉO

SYLVAIN PRUDHOMMELes grandsGallimard, 19,50 €

roman

Graceland, 16 août 1977. Quand Elvis meurt, il n’estplus que l’ombre de lui-même. Un monstre défigurépar trop d’alcool, de gloire, de filles. Un icône durock’n’roll obèse et abîmée, le rêve déchu du nou-veau monde. Dix sept ans plus tard, à Paris, Yvonneentre au service d’un Américain, John White. Untyran pathétique et fantasque, accro aux pilules,auprès de qui elle restera pendant vingt ans. Lesvies s’entrelacent. Entre celle du rockeur et del’Américain se tissent des liens à la fois mystérieuxet évidents, jamais simples. La romancière dresseun portrait en miroir de deux hommes qui pour-raient ne faire qu’un tant ils partagent un destin oùsolitude et monstruosité se font écho. Surtout, elleparvient à décomposer le mythe Elvis avec uneplume à la fois tendre, ironique et sans merci. Enmettant en parallèle la tragédie absurde de sonnaufrage avec la triste dérive John White, l’auteursigne ici un roman intelligent sur l’abandon.AENA LÉO

CAROLINE DE MULDERBye Bye ElvisActe Sud, 20 €

roman

chroniqueslivres

À feuilleter ce truculent petit ouvrage, on se demande pourquoipersonne n’y a pensé plus tôt. Un jour, Alister, chanteur et co-rédacteuren chef de la revue Schnock, est tombé sur ces paroles : “C’était finaoût, début juillet”. Un trait de génie absurde tiré d’une chanson de Johnny, Les chiens de paille. Amusé, le musicien s’est lancé à la recherche d’autres bourdes chansonnières, qu’ils compilent ici : fautes d’orthographe, d’accord ou de goût, boulettes innommables…“Le monde sera ce que tu le feras”, clame Michel Fugain dans Le chiffonrouge, en 1977. En 1976, sur la pochette de son 45 tours, Karen Cherylimplore : “Ne raccroche pas je t’aime”, oubliant le “s” au premier verbe.Eddy Mitchell, lui chante “une télé, sans l’son, sans l’image, resteallumée”, dans Le barman… Au fil des pages, on découvre que mêmeles plus grands ont écrit des bêtises. Et il est plutôt rassurant de savoirque les auteurs de chefs d’œuvre sont aussi capables d’accoucher decanards boiteux. AENA LÉO

ALISTER Anthologie des bourdes et autres curiosités de la chansonfrançaise La Tengo Editions, 19 €

anthologie

45 LONGUEUR D’ONDES N°74

Page 46: Longueur d'Ondes n°74 (hiver 2015)

vend comme le modèle évident d’une vie qui ne doit pastrop s’attarder à être marrante parce qu’il y a du boulot :passé la trentaine, tu n’as plus rien à espérer et donc àdécouvrir, tu peux tranquillement te lamenter sur tonsort funeste en cotisant pour une assurance-décès dequalité qui te permettra de t’offrir une plus grosse pierretombale que tous ceux qui auront eu l’impudence depenser que leur vie ne s’était pas arrêtée le jour où ilsont commencé à travailler ou à choper un cheveu blancen guise de maladie aussi honteuse que mortelle. C’estréglé comme du papier à musique et celle-ci constituele pilier sur lequel on bâtit un temple propitiatoire ànotre jeunesse défunte qui était, cela va de soi, bien plusbelle que notre vie d’aujourd’hui, d’autant plus qu’onétait quand même moins cons que les jeunes d’au-jourd’hui qui écoutent de la musique de merde, certainsécoutant même Supertramp.

Alors que non, ce n’est pas parce qu’on prend de l’âgeque l’on est obligé de se transformer en larves nauséa-bondes ressassant en guise d’espoir celui de creveravant que l’Alzheimer nous ait fait oublier notre jeu-nesse. Si peu que l’on n’écoute pas les évidencesqu’impose un monde où la jeunesse est présentéecomme le seul moment où on peut s’amuser parcequ’après, il faut se calmer et devenir un bon petit soldatde capital, il y a quand même moyen de se marrer unpeu, même avec de l’arthrose. Je connais même desparaplégiques qui ont de l’humour. Et qui continuent às’enrichir la tête en ayant la curiosité minimale pour cequi nous entoure. Parce que si c’est pour se dire quetout ce qui était sympa est derrière nous, autant fairekamikaze. Au moins, on n’est pas obligé d’écouterSupertramp.

46 LONGUEUR D’ONDES N°74

C. M

ANUS

SET

par Jean Luc Eluard

même si j’ai autant d’ego qu’un artiste sans talent,je me doute que la plupart d’entre vous se contre-foutent des habitudes et autres coutumes de ma

vie quotidienne. Je le sais bien et pourtant, puisque, aurisque de voir débarquer à la rédaction deux crétinsencagoulés qui n’auront personne d’autre à dégommerqu’un chat paralytique et deux mondains désœuvrésdigérant leur champagne au coin de l’âtre, on m’a confiéune rubrique où j’écris ce que je veux lorsque j’y pense,eh bien pour autant (qui fait le lien avec le “pourtant”que j’ai laissé trainer par mégarde un peu plus hautavant de m’aventurer dans le taillis touffu d’une digres-sion indigeste), je vais vous en entretenir puisqu’elle estpleine d’enseignements, un peu comme celle de Bouddhamais en moins chiant. (Que ceux qui ont compris laphrase précédente sans avoir besoin de la relire troisfois aillent immédiatement consulter : ils sont hypermné-siques) (ou champions d’Europe de sudoku, c’est moinsclasse). Or donc, pour tout vous dire, lorsque je conduis,j’aime bien écouter des radios débiles : ça concentre monénervement sur quelque chose d’abstrait et de lointainet m’évite ainsi de m’en prendre physiquement à d’autresautomobilistes, ce qui est mal vu et particulièrementdangereux lorsqu’on n’atteint le mètre quatre-vingt dixque debout sur une chaise (en l’occurrence, un prie-dieusuffit, je ne suis pas cousin avec Michel Petrucciani). Etpuis France Cul, ça va bien pour faire le malin en sociétéet jouer les jolis cœurs lorsque je sors dans le mondemais ça n’intéresse vraiment que ceux qui espèrent yêtre invités un jour. Et ça n’est pas en écrivant ici que çarisque m’arriver. Les Grosses Têtes éventuellement maisdepuis que Guy Montagné n’y œuvre plus, l’humour péto-mane y est moins mis en valeur.

Or donc (qui ne se réfère pas au “or donc” précédentmais le poursuit grâce à une habile suite logique), j’écou-tais un jour l’une de ces affligeantes émissions polluantla bande FM où l’animateur cause à des auditeurs aussiconsternants que lui en feignant de s’intéresser à leurvie putride entre deux réclames de pâtée pour chiens,principaux clients de ce genre de vacuités, et un coupde choisissez bien-choisissez But (Monsieur But, n’ou-bliez pas mon chèque pour vous avoir cité ou je vousdénonce à Monsieur Meuble). L’auditeur, tout poisseux

d’insigne banalité, répondait au doux nom de Jean-Christophe et il en faut aussi, ça détourne l’attention deceux qui s’appellent Jean-Luc. “Alors Jean-Christophe,qu’est ce que tu écoutes comme musique ?” lui demandele vendeur de hareng saur à la criée. “Oh ben moi [maispourquoi foutre commences-tu donc une phrase par “ohben moi”, sombre tâcheron du néant consumériste ?]Oh ben moi, comme j’ai 45 ans, j’aime Police, Dire Straits,Supertramp, tu vois, des choses comme ça.” Comme uneévidence. Comme l’aboutissement logique d’une vie pas-sée dans la déploration d’une jeunesse ordinaire nimbéea posteriori du prestige douteux d’y avoir fondé desespoirs moins médiocres que le présent. Car outre le faitqu’avoir 45 ans n’est nullement une excuse pour avoirdes goûts de chiotte (avoir 20 ans non plus, mais on faitmoins attention), il est encore moins pardonnable de s’y cramponner comme à une bouée censée sauver dunaufrage supposé d’une vieillesse putative qui, pourbeaucoup de gens comme ce cher Jean-Cricri, com-mence aux alentours de la trentaine.

Comme lui, des millions de gens voient leur vie s’arrêter(et leurs goûts musicaux en constituent la bande origi-nale qui aurait déraillé) aussitôt qu’ils ont décidé depasser dans le camp des vieux. Le truc est implicite etsournois comme une campagne électorale chez undéputé socialiste : il est généralement admis qu’on a ledroit de s’amuser (avec modération, on ne va pas nonplus faire des trucs qui sortent de l’ordinaire) jusquevers 25-30 ans. Du moins jusqu’à ce qu’on trouve l’âme-soeur qui prend généralement la forme de la premièrepersonne que l’on ait trouvé qui accepte que l’on prennedu bide à ses côtés. Passé cet âge, suivi de préférencepar un acte reproductif simple ou double à moins qued’être fondamentalement fondamentaliste auquel cas tupeux aisément passer la demi-douzaine, tu peux crever.Et ce n’est pas seulement une image. Les kamikazes par-tent généralement avant terme puisque ça fait partie duboulot mais les gens comme Jean-Christophe et nombrede nos contemporains, qui sont restés scotchés commedes moules de bouchot aux goûts musicaux approxima-tifs qui berçaient leurs souleries (et il faut êtresacrément beurré pour trouver de l’intérêt à Super-tramp), sont l’illustration patente de ce que l’on nous i

CA GAVEhumeur & vitriol‘

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