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Semiotique Et Abstraction

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    Franois DuchesneauPhilosophiques, vol. 3, n 2, 1976, p. 147-166.

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    Smiotique et abstraction : de Locke Condillac

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    S M I O T I Q U E E T A B S T R A C T I O N : DE LOCKE C O N D I L L A Cpar Franois Duchesneau

    Pour les philosophes des Lumires, Y Essay concerningHuman Understanding de Locke reste le matre livre de la nouvelle mtaphysique, en dpit des critiques de Berkeley, qui visent dmanteler certains lments stratgiques de la philosophie loc-kienne. Berkeley s'tait attaqu, en premier lieu, la doctrine desides abstraites et sa critique lui fournissait les lments de base del'immatrialisme. Condillac et ses successeurs veulent dfendre lacause de la science, source des progrs de l'esprit humain, contre lescepticisme inhrent la position de Berkeley. Il s'agit pour eux derepenser les critiques que Berkeley adressait la philosophie dumatre de sa jeunesse. Or la critique des ides abstraites leursemble tout fait pertinente, et sans doute irrfutable. Commentsurmonter la difficult ? La solution pouvait-elle se trouver dansune modification de la perspective philosophique ? Peut-tres'agissait-il de passer d'une philosophie centre sur l'analyse critique de l'entendement humain une philosophie de la naturehumaine, en achevant ainsi le projet de la critique philosophique ?C'est cet itinraire de pense dont nous allons tenter de retracer lesgrandes lignes.I L'ANALYSE PROBLMATIQUE DE L'ENTENDEMENT CHEZBERKELEY

    Berkeley, voulant dnoncer les faux principes qui entranentla spculation philosophique vers le scepticisme, s'en prend l'opinion tha t the mind has a power of framing abstract ideas ornotions of things 1. Il n'y a pas, affirme-t-il, de reprsentations1. Berkeley, A Treatise concerning the Principles of Human Knowledge ( 1710) ,Introd., 6. Cet ouvrage est incontestablement le plus significatif de Berkeley en cequi concerne le problme des ides abstraites.

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    148 P H I L O S O P H I Q U E Sproprement gnrales, mais seulement des ides particulires : jepuis, tout au plus, considrer part des parties ou des qualits qui,bien qu'unies dans quelque objet, peuvent exister indpendammentde lui2. En consquence, il formule des critiques l'gard de lathorie des ides gnrales de Locke. Dans Y Essay, Locke situe enla possibilit de former des ides gnrales la distinction de laraison des hommes par rapport celle des btes, laquelle est limite la consecution empirique des ides particulires, faute d'utiliserdes signes pour reprsenter des ides gnrales3. Berkeley contesteque l'usage de termes gnraux implique la formation d'idesgnrales : si le signe est gnral, c'est qu'il peut indiffremmentsuggrer l'esprit l'une ou l'autre d'un grand nombre d'ides particulires. L'axiome tout ce qui est tendu, est divisible ne tientpas sa vrit de l'vidence d'une relation entre ides abstraites d'tendue et de divisibilit, mais il la tient de la capacit que j'a i d'appliquer cette rgle la srie infinie des reprsentations particulirespossibles de l'tendue, sans qu'elle soit rfute par l'exprience. S'iln'y a pas d'ides gnrales abstraites, une ide particulire peutdevenir gnrale dans la mesure o elle sert de signe pourreprsenter une classe d'ides particulires. La gnralit ne seraitdonc pas issue de l'abstraction, mais d'une disposition de l'esprit constituer des signes gnraux, ou plutt attribuer des signesune fonction reprsentative gnrale. Ainsi, dans le cas de la dmonstration du thorme de gomtrie suivant lequel la sommedes angles intrieurs d'un triangle est gale deux droits, l'ideque j'ai du triangle est la reprsentation d'une figure dtermine etunique, mais la dmonstration vaut pour tous les triangles rectili-gnes, puisque, dans la dmonstration, l'attention de l'esprit s'estdtourne des caractristiques particulires de la figure pour n'envisager que les proprits qui permettent au triangle reprsentd'tre le type de tous les autres triangles rectilignes4. La doubleerreur de Locke, qui entache sa rforme de l'entendement hum ain,rsulte de sa thorie de l'abstraction : elle vient de ce qu'il croyait that the only immediate use of words was to signify ideas, andthat the immediate signification of every general name was a determinate abstract idea 5. Comment l'illusion s'explique-t-elle ?2. Berkeley, Ibid., Introd., 10.3. Locke, Essay concerning Human Understanding (1690), II , x i , 10-11.4. Berkeley, Ibid., Introd., 16.5. Berkeley, Ibid., Introd., 23.

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    S E M I O T I Q U E E T A B S T R A C T I O N 1 4 9Berkeley l 'explique par le pr incipe mthodologique quisemble essentiel au travail scientif ique : il faut donner aux termesun sens prcis et dtermin 6 . Ce principe rend les philosophesenclins penser qu'il y a quelque ide gnrale abstraite qui constitue la seule vritable signification d'un nom gnral. Or un nomgnral correspond un grand nombre d ' ides par t iculires qu ' i lpeut indif fremment s ignif ier . Et qu 'on n 'objecte pas qu 'on peutdonner une dfinition stable d'un nom, ce qui prouve qu'il signifieune ide abstraite : car autre chose est d 'annexer la mme dfinition au nom, autre chose de lui adjoindre la mme ide ; il est

    inuti le e t impraticable de l ier toujours la mme ide au mmem ot7. S'il y a corrlation du mot et d 'une ide, celle-ci, dans sanature mme, reste toujours particulire ; mais, et ce point est important, les mots ne correspondent mme pas ncessairement desreprsentations ou des ides dtermines : car, mme lorsque lelangage a comme fonction de communiquer des ides , les noms s ignifiants ne sont pas toujours appels veiller dans l'esprit lesides qu'ils sont censs reprsenter ; ils peuvent avoir un rle symbolique analogue celui des lettres en algbre, qui indiquent unrapport de quanti t l 'exclusion de toute quanti t par t iculire . Parailleurs, le langage n'a pas comme fin essentielle la communicationdes ides : the re are o ther end s, as the raising of some p assion,the exciting to or deterring from an action, the putting the mind insome particular disposition 8. cette fonction pratique, vitale,mais il vaudrait mieux dire naturelle suivant le qualif icatif le plusappropr i la mtaphysique du XVIIIe s icle , es t subordonne laf in de communication des ides , qui peut s ' l ider compltement,en par t iculier lorsque l 'habit ud e intervient e t rend le langage directement actif sur la sensibilit sans l ' intermdiaire d 'unereprsentat ion. la rgle de mthode qui s t ipule la dterminationdu sens des mots, Berkeley substitue la rgle de sparation entre lesides et les mots : I confine my thoughts to my own ideas divested of words 9. Car les signes gnraux en particulier les mots6. Locke, Ibid, III, xi, 8-9.7. Berkeley, Ibid., Introd., 18 ; mais Berkeley attribue ici Locke une conception dela dfinition qui n'est pas la sienne. Bien qu'il soit raliste en ce qui concerne lesides gnrales, Locke rduit l'usage des dfinitions n'tre que des dfinitions demots : cf. Essay, III, iv, 6 : I think it is agreed, that a definition is nothing else butthe showing the m eaning of one word by several other not synonymous terms. 8. Berkeley, Ibid., Introd., 20 .9. Berkeley, Ibid., Introd., 22.

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    150 P H I L O S O P H I Q U E Sdes diffrentes langues ont une utilit pratiqu, mais n'ont pasd'usage spculatif garanti par la possibilit qu'aurait l'esprit deformer des ides abstraites. D'o la ncessit d'une science entirement fonde sur l'exprience, qui ne serait rien d'autre que laperception commune dbarrasse des prjugs philosophiques10.

    Mais dans ces conditions, le problme est d'expliquer lascience elle-mme comme savoir rationnel : car d'o vient la ncessit qui lie des reprsentations particulires pour en faire unergle gnrale, voire universelle, capable d'tendre le savoir au-del de la perception actuelle et d'anticiper sur l'exprience venir,comm e c'est le cas lorsque le gomtre formule les lois de lamcanique cleste ? Berkeley est oblig de considrer nos perceptions dans leur corrlation empirique comme un systme designes : Those men w ho frame general rules from the phenomena and afterwards derive the phenomena from those rules seemto consider signs rather than causes ,u ce qui s'explique par le faitqu'aucune ralit sensible ne peut proprement tre dite cause, tant10. Berkeley, Ibid., Introd., 24 : In vain do we extend our view into the heavens andpry into the entrails of the earth, in vain do we consult the writings of learned menand trace the dark footsteps of antiquity, we need only draw the curtain ofwords, to behold the fairest tree of knowledge, whose fruit is excellent and withinthe reach of our hand. Il est toutefois vident que ce projet, lui-mme, requiert une interprtation. Ilsemble que, pour Berkeley, la vrit de la science ne puisse avoir qu'une base empirique, puisqu'il s'agit d'une corrlation des phnomnes par l'usage de signesreprsentant les constantes de l'exprience sensible : ce qui rapproche la science humainement possible du statut de la perception commune. Quant la prtention defixer l'attention sur les ides, en se passant de toute mdiation de signes (mots, enparticulier), Berkeley la conoit comme thoriquement fonde, mais, dans la pratique, il s'agit de rapporter l'usage des signes aux donnes mmes de l'expriencesensible. Sur ce point, Berkeley semble retrouver un thme proprement lockien.11. Berkeley, Ibid., 108. Il faut noter que, pour Locke, une science purement rationnelle, c'est--dire dductible a priori des phnomnes naturels, est inaccessible l'homm e. Et il insiste pour m ettre en valeur le projet d'une science des phnom nesqui reposerait sur l'usage de la mthode historique, c'est--dire descriptive. cepropos, J. W . Yolton, dans : Locke and the Compass of Human Understanding,Cambridge, CU.P., 1970, a soulign l'ambition qu'avait Locke de soutenir l'en

    treprise scientifique de la Royal Society. Nos recherches personnelles nous ontamen mettre en valeur cette forme de la science lockienne en rapport avec lam thode mdica le. Cf. La philosop hie m dicale de Sydenham , Dialogue, IX(1970) , p. 54-68 ; Locke et le savoir de probabilit , Dialogue, XI (1972), p .185-203. Berkeley est entirement gagn la distinction d'une science rationnellea priori de la nature, inaccessible l'homme, et d'un savoir descriptif des phnomnes naturels. Mais, notre avis, encore moins que chez Locke, on ne trouve

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    S M I O T IQ U E E T A B S T R A C T IO N 1 5 1rductible la seule existence d' ides ; or aucune ide n'est active,puisque la seule nature de l ' ide consiste tre perue ; la causali trelle ne peut donc appartenir qu' un esprit dont la volont estcapable de faire apparatre les sensations dans mon esprit , ce quin'est pas proprement en mon pouvoir, ni en celui d'aucun espritanalogue au mien quant la l imitat ion naturel le de sa volont.Dieu est considr par Berkeley comme l 'auteur de ce langage desreprsentations naturelles qui exprime sa volont ; et l ' interprtat ion objective des donnes sensibles et de leur corrlation naturellenous fait entrer dans les desseins de sa Providence. La seule vraiescience est en Dieu : si l 'homme veut construire un savoir rationnela priori , i l substi tue sa volont celle de Dieu et n'aboutit qu' unlangage sans fondement12.

    En fait, la position de Berkeley est sujette des difficultsconsidrables qui proviennent d 'une ambigu t dans sa doctr ine del 'entendement , ambigu t qui n 'est cer tainement pas t rangre l 'expos que Kant fait des paralogismes de la raison pure dans laDialect ique t ranscendantale. Sa cr i t ique de l ' ide de mat ire reposesur le principe que le rel n'est intelligible que circonscrit dans leslimites de la reprsentation : dans ces conditions, l 'activit de laraison n'est que la consecution empirique des reprsentations ouides ; mais cette consecution empirique ne devient intell igible quedans et pour un esprit , qui, lui-mme, n'est pas rductible unesuite d'ides, puisqu'il est sujet percevant13.

    dans sa philosophie le cadre pistmologique permettant d'tablir les droits la rationalit de ce savoir descriptif. Berkeley prtend que la science moderne incline produire une cosmologie matrialiste et sceptique. C'est cette mtaphysique dela science qu'il entend ruiner dans ses prtentions, mais, par le fait mme, c'est avecune nouvelle doctrine mtaphysique (celle-ci spiritualiste) qu'il entend concilier lascience.12 . Berkeley, se servant de sa critique des substances matrielles supposes hors de l'esprit, conclut que les philosophes devraient admettre : 1) qu'il n'y a pas d'autrecause efficiente que quelque esprit : 2) que la considration des causes finales est lgitime ; 3) que l 'ordre de l 'univers repose sur la volont du Crateur ; 4) que lascience de la nature se fonde sur des observations constantes et sur l'infrence delois gnrales. Mais il ajoute dans les Principles, 107 : I do not say demo nstrate , for all deductions of that kind depend on a supposition that the Author ofNature always operates uniformly and in a constant observance of those rules wetake for principles, which we cannot evidently know. En effet, si l'ordre de lanature n'est qu'un langage, il n'y a pas de dductions a priori possibles concernantce langage, moins d'en tre l 'auteur.13- Nous croyons qu'il y a une difficult majeure dans la notion d'ide, telle qu'elle estutilise par Locke pour reprsenter tout ce qui se trouve dans l'esprit lorsqu'il

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    1 5 2 P H I L O S O P H I Q U E SPeut-tre Berkeley rencontre-t-il alors les thmes propres l'analyse du cogito chez Malebranche, en particulier, que, comme

    objet, je ne puis avoir qu'une connaissance analogique et symbolique de la nature de ma propre mens ; mais pour lui, l'entendement, comme pouvoir de signification ou de pense, nouspermet de connatre ce qui ne correspond aucun donn sensible,en dterminant le caractre de la pense comme activit. S'ilaffirme : such is the nature of spirit, or that which acts, that itcannot be of itself perceived, but only by the effects which itproduces 14, c'est pour affirmer que nous connaissons nanmoinsnotre moi percevant. On peut toujours imaginer un rapport d'analogie entre des ides et le sujet percevant : ce rapport d'analogierenverrait alors un autre rapport, celui-l non reprsentable, celuid'une causalit relle propre l'esprit, productrice de modificationdans la consecution des ides15. Ce dernier rapport n'est compris etinterprt que si l'entendemant n'est pas circonscrit dans les limitesdu reprsentable16. Berkeley utilise le terme de notion pour

    pense, car, par le fait mme, il tend assimiler les concepts l'tat de simplesreprsentations issues originellem ent de l'exprience des sens. D 'o l'ambivalen cedu terme mme de reprsentation , qui, implique, d 'une part, une correspondance un objet vis par l'acte de l'esprit, et qui, d'autre part, dsigne ce qui estdirectement prsent l'esprit, ce que l'on se reprsente (imagination), ce qui est lecontenu concret, la matire d'un acte de pense. Cette am bivalence se trouveraitchez Descartes, comme chez Gassendi. Mais Locke et Berkeley se rattachent davantage la tradition que reprsente celui-ci, lorsqu'il conteste l'existence d'une intuition proprement intellectuelle, pour rduire l'ide la nature sensible de corrlatd'un acte d'imagination ; toutefois Gassendi avait maintenu l'existence d'un entendement discursif qui, partir de telles ides comme signes, poursuit l'intellectionde ce qui est non reprsentable sous des espces sensibles. C'est ce type de conception qu'avec de notables variantes, se rattache l'usage des termes ide etreprsentation chez Locke et Berkeley, cette diffrence prs, que Berkeley rduitnettement l'ide tre le corrlat de la perception sensible, ce qui l'engage dans lavoie d'une distinction entre connaissance des esprits et connaissance des ides, avecles apories pistmologiques que cette distinction peut impliquer.14 . Berkeley, Ibid, 27.15 . En fait Berkeley, distinguant perception et volont comme actes du sujet percevanthumain, affirme que la volont n'agit pas proprement parier pour produire lesreprsentations ou ides (suis-je la cause de mes propres sensations ?), mais que lavolont peut modifier l'acte de perception de faon recomposer les rapports entremes perceptions (d'o les ides qui relvent de l'imagination et de la mmoire).16. Il est indubitable que, dans les Principles, 142, Berkeley affirme la distinction ontologique et pistmologique des esprits et des ides : Spirits and ideas are thingsso wholly different that when we say 'they exist', 'they are known', or the like,these words must not be thou ght to signify anything common to both natures. Mais, si la distinction est dfinie lorsqu'il s'agit d^ distinguer deux types d'tre :

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    S M I O T I Q U E E T A B S T R A C T I O N 1 5 3reprsenter ce qui a une signification sans tre rductible desides17. En dfinitive, ce n'est pas seulement l'esprit dont on a unenotion sans avoir d'ide (cet esprit tant d'ailleurs soit le mien,; soitcelui des autres hommes, soit celui de Dieu), mais toutes formes derelation : It is also to be remarked that, all relations including anact of the mind, we cannot so properly be said to have an idea, butrather a notion of the relations or habitudes between things 18.D'o le problme pos par le pouvoir de comprendre et d'interprter le langage naturel des reprsentations, problme toutentier contenu dans l'affirmation de Berkeley concernant la corrlation des phnomnes dans la formulation des lois physiques : Aman may well understand natural signs without knowing theiranalogy 19. Cette affirmation illustre l'ambigut d'une doctrinede la raison qui tente de rduire l'intelligibilit du rel externe aucontenu de la reprsentation. Comment puis-je reconnatre mesreprsentations comme signes, comme lments du langage naturel de la Providence divine, si ce n'est par un acte de l'entendement qui transgresse les limites de la reprsentation ?20. Cequi suppose que notre entendement, dans la relation de perception,a un fondement rel lui permettan t de s'tendre au-del du perceptible. Quel est ce fondement ? Est-il pouvoir de Dieu ou pouvoir dela nature ? Interrogation et dilemme qui se trouvent l'origine destentatives philosophiques pour dduire l'entendement. Il est indniable que pour Berkeley, la voie empiriste de l'analyse des idescomme signes renvoyant aux lments de la reprsentation sensibleest la source d'apories irrductibles. Mais cette critique vient en

    l'un, sujet, actif, percevant ; l 'autre, objet, passif, peru, elle implique un problmepistmologique lorsqu'il s'agit de connatre l'esprit, en tant qu'objet de connaissance. Ma notion de mon moi percevant n'est alors qu'hypothtiquementdistincte de toute relation mes ides (ne serait-ce que la relation aux effets que l'esprit produit). La description psychologique, ncessairement inadquate l'tre dela mens, n'en constitue pas moins un lment de mon exprience et de ma reprsentation .17 . Cf. l'addition de 1734 au texte de 1710, Principles, 27 : Though it must beowned at the same time that we have some notion of soul, spirit, and the operationsof the mind, such as willing, loving, hating in as much as we know or understand the meaning of those words. Remarquons que les mots tant des signes gnraux, dans un cas comme celui-ci, le sens des termes gnraux est indpendant desreprsentations particulires, ce qui laisse place un certain conceptualisme.18 . Berkeley, Ibid, 142.19 . Berkeley, bici., 108.20. Pour Berkeley, il s'agit d'une sorte d'illumination intrieure qui a son origine (sacause et son sens) dans la volont de Dieu.

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    154 P H I L O S O P H I Q U E Spartie d'une position du problme suivant laquelle l'ide est radicalement dtache de la relation conue par l'esprit, caractristiquede l'activit mme de l'entendement mais inaccessible lareprsentation, du moins suivant une dtermination berkeleyenne.Une analyse empiriste attentive aux relations constitutives desides dans le passage du simple au complexe et, par le fait mme,attentive aux relations v des ides aux signes du langage , pouvait-elle s'inscrire dans un dpassement des apories berkeleyennes ? Laquestion se trouve plus particulirement l'arrire-plan des discussions sur l'origine du langage chez Condillac. En rsolvant cenouveau problme, c'est, pense-t-on, le problme de la nature desides et du langage des reprsentations qu'on se trouvera rsoudre,sans recourir l'explication mtaphysique de l'ordre rationnel desides par l'action du sujet percevant divin. Le point de dpart deCondillac est l'analyse des instruments de connaissance chezLocke, en particulier son analyse du langage. D'un point de vuecritique, un retour Locke s'impose donc par-del les analyses deBerkeley.I I L 'ANALY SE LO CKIEN NE DES SIGNES ET DES RELA TIONS DECONNAISSANCE

    L'analyse du langage dans Essay concerning HumanUnderstanding rpondait au dsir de complter l'tude des idescomme instruments et matriaux l'aide desquels nous construisons le savoir, par une tude des mots comme signes des ides.Car les ides sont intimem ent relies par l'esprit des mots, et cetterelation a lieu constamment dans le cas des mots gnraux et desides abstraites21. D'autre part, notre savoir porte principalementsur des propositions, en particulier sur les propositions les pluscommunment universelles, et il n'y a pas de propositions sansl'usage de signes gnraux22. Enfin, il ne faut pas perdre de vuequ'en dfinissant la smiotique comme l'une des trois grandesbranches du savoir, Locke conoit la doctrine des signes cessignes sont aussi bien les mots que les ides comme pouvant dboucher sur une nouvelle forme de logique et de critique, c'est--dire sur une nouvelle forme de thorie du savoir et du jugement 23.21. Locke, Essay, II, xxxiii, 19.22. Locke, IbU., III, i. 6.23. Locke, Ibid, IV, xxi, 4.

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    S MIOT IQUE E T ABS T RACT ION 155Deux problmes dominent le livre III de Y Essay : 1) dansl'usage du langage, quoi les mots sont-ils immdiatement appliqus ? 2) puisque tous les noms, l'exception peut-tre des nomspropres, sont gnraux et reprsentent des espces de choses, quesont ces espces qu'ils reprsentent, comment se forment-elles dansla rep rsenta tion ? Chez les philosophes franais d'allgeancecondillacienne, ces deux problmes deviendront : 1) comment lelangage analyse-t-il la pense ? 2) quel est le principe qui rgit laconstitution des langues ?Positivement, pour Locke, les mots ne peuvent rienreprsenter d'autre que les ides de celui qui les choisit commesignes choix arbitraire afin de conserver ou de communiquerses penses. Mais nous rfrons en plus nos ides la ralit deschoses. Dans le cas des noms d'ides simples et d'ides complexesde modes, leurs archtypes n'existant et n'tant reconnus que dansle reprsentation, la relation n'est pas douteuse. M ais il n'en est pasde mme pour les ides de substances, o l'archtype suppos estextrieur au cham p de la reprsentation : It is a perverting theuse of words, and brings unavoidable obscurity and confusion intotheir signification, whenever we make them stand for anything butthose ideas we have in our own minds 24. Deux phnomnestendent nous voiler le vritable rapport des mots et des ides : 1)nous utilisons souvent les mots par l'effet de l'ducation, de l'habitude, de l'ignorance, sans considrer attentivement les ides correspondan tes ; 2) l'usage intervient pour nous faire croire qu'il y aune connexion naturelle des mots avec certaines ides, alors que le

    vrai rap port est : a perfect arb itrary imposition 25. Ce sont cesdeux phnomnes que Locke entend dnoncer dans son analyse destermes gnraux, ce qui permet d'interprter sous son vrai jourl'explication qu'il donne des ides abstraites.Cette explication est en effet subordonne l'examen de laquestion : comment parvenons-nous des termes gnraux ? Lathse propose est la suivante : words become general by beingmade the signs of general ideas : and ideas become general by separating from them the circumstances of time and place, and anyother ideas that may determine them to this or that particular exis-

    24. Locke, Ibid., Ill , i i . 5.25. Locke, Ibid., Ill, ii. 8.

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    1 5 6 P H I L O S O P H I Q U E Stence 26. Autrement dit , l 'abstraction serait cet acte de l 'esprit parlequel i l spare d'une ide particulire toute reprsentation circonst anc i e l l e , pour en f a i r e une i de gnra l e . Mai s , t ou t ereprsentation tant ncessairement particulire, une telle idegnrale n 'est pas proprement par ler une reprsentat ion, et , sansdoute, Berkeley prte-t-i l trop facilement Locke un point de vuegntique sommaire sur l 'abstraction. En fait , Locke se proposesurtout de donn er une interpr tat ion pistmologique des idesgnrales comme termes gnraux dans le langage de la pense. I lest clair pour lui que le gnral et l 'universel n'appartiennent pas l 'existence relle des choses, ni n'appartiennent par consquent l 'existence des ides da ns l 'esprit : ce sont se ulem en t, dit-il, theinventions and creatures of the understanding, made by i t for i tsown use, and concern only signs, whether words or ideas 27. La signification de l 'expression ide g nra le est don c rviser, caril ne s'agit que d'une relation ajoute quelque ide particulirepar l 'espr i t de l 'homme. Toutefois le problme phi losophique l i cette interprtation ressurgit , lorsque l 'on considre que les motsgnraux signifient des espces de choses.En effet, quand on se demande quelle est la signification desmots gnraux, on est amen constater qu' i ls ne signifient pasindividuellement, chacun, une chose particulire, mais qu' i ls signifient une pluralit 28, et qu'ils ont une fonction de classification parrapport aux objets de l 'exprience. Or la signification de chaqueespce de choses est reprsente par une essence. Puisque le nom,dans le cas des ides de substances particulires, ne correspond aucun archtype connu par-del les reprsentat ions qui const i tuentl 'exprience du sujet connaissant, c'est donc que l 'essence signifiepar un terme gnral correspond aux lments de la reprsentationvoqus par le terme, et , par le fait mme, l ' ide abstraite devientcoextensive certaines images ou reprsen tations p articulires ;s'ensuit-il que l'ide abstraite soit considre comme un mode relde l 'esprit , alors que tout mode rel de l 'esprit , en tant qu'on en aconscience, est ncessairement concret ? Dans l 'esprit de Locke, lefait que l ' ide abstraite soit coextensive des images n' implique26. Locke, Ibid., Ill, iii, 6 ; c'est prcisment cette formule prise comme dfinition del'ide abstraite que Berkeley attaque dans l 'introduction du Treatise concerning thePrinciples of Huma n Know ledge.27 . Locke, Ibid., NI, iii, 11.28. Locke, Ibid., Ill, iii, 12.

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    S M I O T I Q U E E T A B S T R A C T I O N 1 5 7pas que l ' ide ne signifie davantage que le mode ou l 'tat actuel del 'esprit : c 'est mme pour viter cette rduction que Locke s'at-tache dvelopper la relat ion pistmologique de l ' ide par rapportaux donnes de l 'exprience. Aussi pour chapper la contradict ion, cet te mme contradict ion que dnoncera Berkeleypar la suite, Locke tabli t sa notion d'essence nominale, par opposit ion l 'hypothse d'essences relles, mais inconnaissables, envertu desquelles nous tablirions la classification gnrique des lments ou ides particulires de notre exprience. Il raisonne de lamanire suivante : si les essences ne sont pas reprsentables, el lessont inconnaissables, et , comme telles, el les ne peuvent servir destructures pour la slection et la classification des ides particulires ; il reste donc une seule possibilit de justifier la classificationdes phnomnes naturels : par rfrence des structures de lareprsentat ion ayant un caractre gnral , s t ructures qui deviennent intell igibles par l 'acte d'abstraction de l 'esprit sur le donn desides particulires. And what are the essences of those species setout and marked by names, but those abstract ideas in the mind ;which are, as i t were, the bonds between part icular things thatexist, and the n am es they a re to be ran ked und er ? 29 Cette thsepeut-el le t re considre comme une rponse ant icipe aux object ions de contradict ion et d 'ab surd i t que form ule Berkeley ?

    La mthode descriptive que Locke uti l ise s 'applique l 'observation des structures o sont impliques les ides, mais Lockerefuse de l 'appliquer l 'examen de la nature mme des ides, etsurtout la recherche de leur cause productrice 3 0 . Certes, pour rpondre aux crit iques de Norris et pour effectuer le rfutation de lathorie de Malebranche sur la vis ion en Dieu, i l fournira une explication m tap hy siqu e des ides, qui se fonde sur l 'extensionde l ' interprtat ion mcaniste des phnomnes naturels aux lments mmes de la reprsentat ion 31 . Mais cette explication n'aqu'une valeur de probabili t, et i l lui semble prfrable de s 'en29. Locke, Ibid, III, i i i , 13.30. Locke, Ibid., (d. F raser), I ntro d., 2 : I shall not at present meddle w ith the

    physical consideration of the mind ; or trouble myself to examine wherein itsessence consists ; or by what motions of our spirits or alterations of our bodies wecome to have any sensation by our organs, or any ideas in our understanding, andwhether those ideas do in their formation, any or all of them, depend on matter ornot. 31 . Cf. Remarks upon some of Mr. Norris1 Books, sect. 17, The W orks of John Locke(10e d.), 1801, tome X, p. 256 : Ideas may be real beings, though not substan-

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    158 P H I L O S O P H I Q U E Stenir l'ignorance professe dans VEssay, o l'explication mca-niste elle-mme est prsente comme reposant sur la distinction desides de qualits premires et des ides de qualits secondes, distinction qui est en fait la distinction de deux langages, l'un plusgnral et plus fondamental que l'autre le langage des qualitspremires correspondant, semble-t-il, aux catgories mmes du relet de l'esprit. La vritable explication du mcanisme de l'abstraction se trouve plutt dans la dfinition de la raison, non seulement considre comme pouvoir de percevoir la connexion ncessaire des ides, mais aussi comme pouvoir d'tendre les idessuivant les indications de l'analogie32 .Mais qu'est-ce qui rend le rapport d'analogie significatif ? Eninterprtant YEssay, on en vient formuler l'hypothse qu'il s'agitd'une doctrine de la finalit naturelle, qui s'exprime la fois dansl'ordre constant des phnomnes naturels, dans la constitution deshabitudes de pense et dans le pouvoir reprsentatif des catgoriespremires de la connaissance : ides simples de la sensation et de larflexion. Mais, cette finalit naturelle tant irrductible l'exprience, il faut se fier la mthode historique pour fonder un savoirdes ralits, ce qui explique que les ides, chez Locke, n'aientaucune rationalit a priori. Les ides deviennent des modles, destypes intelligibles, lorsque l'esprit leur donne une signification,mais elles restent alors toujours inadquates l'expression de lavraie logique qui rgit la nature. C'est dans cette perspective que lasmiotique, comme critique des instruments de connaissance, prendtout son sens : elle permet la discrimination du savoir objectif et dusavoir de pure institution. L'ide abstraite n'existe que comme attention de Tesprit tel ou tel lment ou tel ou tel groupe d'lments de la reprsentation. Cette attention de l'esprit est un acte derflexion qui implique la rationalit de l'esprit. Cette adquationde la raison et de la rflexion, qui est aussi adquation de la raisonet de l'ordre, constitue l'hritage cartsien, tel qu'il s'exprime dansYEssay de Locke. Mais pour le philosophe anglais, si la rflexion

    ces ; as motion is a real being, though not a substance ; and it seems probable that,in us, ideas depend on, and are some way or other the effect of motion ; since theyare so fleeting ; it being, as I have elsewhere observed, so hard, and almost impossible, to keep in our minds the same unvaried idea, long together, unless whenthe object that produces it is present to the senses ; from which the same motionthat first produced it being continued the idea itself may continu e. 32. Locke, Essay, II, xvii, 2.

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    SEMIOTIQUE ET ABSTRACTION 159de l'esprit sur les lments de la reprsentation aboutit la conception d'ides-essences, le savoir que l'imagination produit partir deces essences abstraites n'est que nominal : il n'est confirm ouinfirm que par les effets de nos habitudes de pense dans la pratique de l'existence. De mme qu'il rejette l'hypothse cartsiennedu rve continu33, Locke rejette la doctrine d'un savoir certain desralits naturelles dans leur essence ; il n'y a plus de certitudesabsolues, seulement des certitudes suffisantes pour l'existencehumaine. Il assigne l'homme de science, comme seule tcheraisonnable, la description de la nature. Il dfinit ainsi une positionphilosophique qui sera l'une des caractristiques des philosophesfranais au XVIIIe sicle, caractristique que l'on retrouve parexemple dans les lments de philosophie (1759) de d'Alembert.En fin de compte, l'analyse lockienne contourne le problmesoulev par Berkeley en restreignant l'ampleur de la dduction del'entendement la drivation empirique des ides qui servent constituer la description rationnelle des ralits, par comparaisonavec celles qui entrent dans la formation des connaissances issuesde la combinaison, relation et analyse des notions complexes demode.

    C'est dans la mesure o Locke propose une description desinstruments du savoir et de leur usage lgitime, plutt qu'unedduction de l'entendement humain, que sa doctrine des ides abstraites chappe aux analyses critiques de Berkeley. Mais, dans unautre registre d'analyse, les attaques de Berkeley contre l'existencerelle des ides abstraites, en tant qu'lments de la reprsentation,semblent nanmoins difficilement vitables aux successeurs deLocke. Tout en conservant l'enseignement lockien sur la mthode,la possibilit de constitution et les limites d'un savoir portant surl'exprience des ralits naturelles, ils devront envisager de le corriger sur un point fondamental : il leur faudra tenter de tirer laraison de la nature empirique de l'homme et de dduire sonpouvoir de rflexion des lments mmes de la reprsentation.Rien de plus significatif cet gard que le dessein de Condillacdans Y Essai sur l'origine des connaissances hum aines (1746) .

    33. Locke, Ibid., IV, ii. 14.

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    1 6 0 P H I L O S O P H I Q U E SI I I C O N D I L L A C E T L A D R I V A T I O N E M P I R I Q U EG N R A L I S E

    Co ndillac affirme : nous ne devons aspirer q u' dco uvrirune premire exprience que personne ne puisse rvoquer en douteet qui suffise pour expliquer toutes les autres. Elle doit montrersensiblement quelle est la source de nos connaissances, quels ensont les matriaux, par quel principe i ls sont mis en uvre, quelsinstrumens on y emploie et quelle est la manire dont i l faut s 'enservir. 34 Et i l reproche Locke de n'avoir pas vu que, dans l 'tudede l 'entendement, c 'est la question de l 'origine des facults qu' i lfallait examiner : il n'est pas suffisant d'affirmer que l 'me reoittoutes ses ides des sens, et que l 'esprit possde le pouvoir de lesrpter, de les composer, de les unir et de faire toutes sortes denotio ns com plexes ; il fallait exp lique r la g n rati on des op rations de l 'me 35.

    L'analyse gntique de Condillac et la thorie de la sensationtransforme sont assez connues pour que nous nous dispensions deles rappeler ici . Retenons seulement le principe d'ensemble de l 'analyse et son fondement philosophique. Condillac fait des sensations et des oprations de l 'me celles-ci rduites compltement celles-l dans le Trait des Sensations (1754) , par sui te de l 'analogie qui les l ie les matriaux de toutes nos connaissances, matriaux que la rflexion, qui n'est que l 'analogie naturelle devenueconscience, met en uvre en oprant l 'analyse des rapports qui ysont impliqus. Le fondement philosophique de l 'analyse est fournipar des considrations subtiles pour vincer le problme mtaphysique de l 'htrognit de l 'me et du corps : Condillac dveloppe une thorie occasionnal is te qui , en mme temps, subordonnetoute connaissance au fait que dans l 'tat actuel postrieur aupch originel nous n'avons point d' ides qui ne nous viennentdes sens36 . Ce sera le point de dpart des analyses du Trait desSensations, o il entend distinguer sa philosophie de celle de l ' ida-34. Condillac, Essai sur l'origine des connaissances humaines, introduction, uvresphilosophiques de Condillac, Paris, P.U.F ., 194 7, tome I, p. 4A (nous dsigneronspar l'abrviation O.P. cette dition des uvres de Condillac).35 . Condillac, Ibid., introduction, O.P., tome I, p. 5B.36. Condillac, Ibid., II, I, i., 8, O.P., tome I, p. 7B : L'me tant distincte et diffrente du corps, celui-ci ne peut tre que cause occasionnelle de ce qu'il parotproduire en elle.

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    S M I O T I Q U E E T A B S T R A C T I O N 161liste Berkeley : si la sensation est modification de l'me, avecl'exprience du toucher dans le mouvement, la sensation devientcelle d'un double contact, ou d'une rsistance qui produit la conscience de l'extriorit de l'objet. Remarquons-le : c'est de l'intrieur de l'exprience sensible, partir des donnes mmes de lasensation, que se produit cette prise de conscience37. Mais peut-oninfrer de l'exprience sensible la gense des abstractions, c'est--dire des reprsentations-signes ayant une signification gnrale ?

    L'usage des signes, explique Condillac, dpend de l'imagination qui rveille une perception par l'effet de la liaison que l'at-tention a tablie entre cette perception et un objet, lorsque celui-cise prsente de nouveau l'exprience sensible ; il dpend aussi dela mmoire qui, dfaut de la perception mme, en rappelle lescirconstances ou signes, le nom par exemple, mais ces signes nesont en fait que des perceptions concomitantes la perception initiale, qu'il est impossible ou inutile de se remmorer ; la rminiscence, enfin, identifie le signe en faisant connatre la relation qu'ila aux perceptions qu'on a dj eues38. Mais la possibilit de ce dplacement de l'attention, qui permet l'usage de certaines perceptions comme signes, repose sur une liaison des ides suivant unesorte de logique ou d'analogie naturelle, qui est ainsi exprime : La liaison de plusieurs ides ne peut avoir d'autre cause que l'at-tention que nous leur avons donne quand elles se sont prsentesensemble : ainsi les choses n'attirant notre attention que par lerapport qu'elles ont notre temprament, nos passions, notretat, ou, pour tout dire en un mot, nos besoins ; c'est une consquence que la mme attention embrasse tout--la fois les ides desbesoins et celles des choses qui s'y rapportent, et qu'elle les lie. 39

    Les besoins fourniraient une suite d'ides fondamentales auxquelles se rattacheraient toutes nos perceptions. Condillac reprendl'une des ides matresses des Regul de Descartes, celle d'uneunit relle des dductions possibles partir des diverses notionspremires, mais il transforme la chane des vidences, commetrame des raisons pour l'esprit et comme expression de l'ordrenaturel, en une suite d'ides dont la force serait entirement dansl'analogie des signes, dans l'ordre des perceptions et dans la liaison37 . Condillac, Trait des Sensations, II, v, 1, 1-2, O.P., tome I , p . 243-255.38. Condillac, Essai, I, II, ii, 25, O.P., tome I, p. 16B.39. Condillac, Ibid, I, II, iii, 28, O.P., tome I, p. 17A-B.

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    1 6 2 P H I L O S O P H I Q U E Sque les circonstances qui runissent quelquefois les ides les plusdisparates auraient forme 40. La raison serait-elle alors une sorted'instinct suprieur ? Condillac fait remarquer que si l'esprit del'homme tait limit aux signes accidentels et naturels que l'exprience lui rvle, il n'aurait pas de pouvoir proprement parler surde tels signes, sa mmoire serait rductible l'imagination, et il secomporterait comme les btes, dont l'instinct n'est qu'une imagination capable de les diriger sans l'aide de la rflexion. L'hom m es'mancipe des limitations naturelles de l'esprit, lorsqu'il estcapable de rattacher ses ides des signes artificiels acte qui implique une dtermination consciente ce qui lui permet de contrler et d'amplifier le cours de son imagination41. Le problme dela raison hum aine devient celui de l'invention des signes artificiels.

    Condillac est en effet capable de tourner la difficult que Berkeley rencontrait dans la doctrine des ides abstraites de Locke,mais, par le fait mme, il reporte la difficult sur la question de l'origine du langage. Les ides abstraites ne sont plus considres quecomme des dnominations que nous donnons aux choses envisages par les endroits par o elles se ressemblent ; c'est pourquoion les appelle ides gnrales 42. Elles se forment lorsque l'attention se porte vers les proprits des choses par o elles conviennent,en se dtournant des qualits par o elles se distinguent 43. Les perceptions gnriques ainsi acquises ne sont pas proprement dessignes, mais il suffit que l'esprit fixe son attention sur l'analogiepossible de ces perceptions avec des mots par exemple, pour accder des notions gnrales. Cette analogie ne peut tre saisie que sil'esprit a dj acquis le pouvoir d'tendre ses perceptions par unemmoire lmentaire44. Ce qui explique peut-tre l'un des pa-40. Condillac, Ibid., I, II, iii, 29, O.P., tome I, p. 17B.41 . Condillac, Ibid, I, II, iv, 46, O.P., tome I, p . 21B : Da ns la suite, il acq uerrad'autant plus d'empire sur son imagination, qu'il inventera davantage de signes,parce qu'il se procurera un plus grand nom bre de moyens pour l 'exercer. 42. Condillac, Ibid, I, V, 1, O.P., tome I, p. 49A.43 . Condillac, Ibid., I, II, vi, 57, O.P., tome I, p. 24A ; et Trait des Sensations, IV ,

    vi, 4-6, O.P., tome I, p. 306-307. Dans ce dernier texte, Condillac annonce trsnettement la doctrine des images gnriques, lorsqu'il affirme (sec. 6, O.P., I, p.307B ) : Elle [la statue] gnralise donc davantage, proportion q u'elle voitd'une manire plus confuse ; et elle se fait des notions moins gnrales, proportion qu 'elle dm le plus de diffrence dans les choses. 44. C'est ce que Condillac exprime lorsqu'il dit dans le Trait des Sensations, IV, vi, 4(addition postrieure 1754), O.P., tome I, p . 30 7A : Com me la statue n'a

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    S M I O T I Q U E E T A B S T R A C T I O N 1 6 3radoxes de la noognie de Condillac. D'une part, il affirme eneffet que le commerce rciproque des hommes est indispensablepour que les perceptions deviennent objets de rflexion : auparavant elles ne sont que des impressions faites dans l'me, auxquelles il manque pour tre des ides d'tre considres commeimage 45. D'autre part, il lie ce commerce des actes de connaissance qui ne sont que des sensations transformes . Le paradoxe s'estompe, lorsque, par les oprations du toucher dans lemouvement, la statue a pris conscience de l'existence des corps :car l'exprience des corps est la condition premire et l'instrumentde la communication des hommes par le langage46. Le vritableproblme de l'abstraction est alors d'expliquer l'analogie qui lie lelangage et la raison comme pouvoir de combiner des ides par descompositions et des dcompositions qui fassent ressortir de nouvelles relations.

    On connat l'affirmation clbre de Condillac dans la Languedes Calculs : Toute langue est une mthode analitique, et toutemthode analitique est une langue. 47 Comment est-il parvenu l'nonc d'une proposition aussi ambigu ? D'une part, Condillacinterprte la pense logique comme soumise la loi de l'enchanement analogique des perceptions et des signes, qu'il a mise envidence dans Y Essai sur l'origine des connaissances et que nousavons dj indique48. Par ailleurs, il donne une analyse de l'origine des langues qui est destine mettre en valeur l'empire souverain de l'association analogique jusque sur les lments physiques du pouvoir de reprsentation, c'est--dire sur les conditionsmatrielles de la pense rflchie. Il utilise ainsi la notion de langage d'action pour qualifier les gestes, les mouvements du visage

    l'usage d'aucun signe, elle ne peut pas classer ses ides avec ordre, ni par consquent, en avoir d'aussi gnrales que nous. Mais elle ne peut pas non plus n'avoirabsolument point d'ides gnrales. Si un enfant qui ne parle pas encore, n'en avoitpas d'assez gnrales pour tre communes au moins deux ou trois individus, on nepourroit jamais lui apprendre parler, car on ne peut commencer parler unelangue, que parce qu'avant de la parler, on a quelque chose dire, que parce qu ona des ides gnrales : toute p roposition en renferm e ncessairement. 45 . Condillac, Essai, I, IV, ii, 25, O.P., tome I, p. 47B ; ce point de vue semble confirm par le Trait des Sensations, II, viii , 35, O.P., tome I, p. 267B-268A.46 . Condillac semble cet gard annoncer la triple corrlation de l'tendue, du langageet de l'intelligence chez Bergson.47 . Condillac, Langue des Calculs, objet de cet ouvrage, O.P., tome II , p. 419A.48. Cf. De l'art de Penser, I, v ; tout le dbut du chapitre est une reprise de l'Essai, I,II, iii (O.P. tome I, p. 726 et p. 17-19).

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    1 6 4 P H I L O S O P H I Q U E Set les sons inarticuls qui sont comme l 'expression naturelle de nosbesoins, dans la mesure o i ls permettent l 'esprit de signifier uneperception. Condillac forge un modle thorique avec la supposit ion de deux enfants gars dans quelque dsert avant de connatrel 'usage d'a uc un signe. Q ua nd ils vcuren t ense m ble, affirme-t-i l,i ls eurent occasion de donner plus d'exercice ces premires oprations [grosso modo, il s'agit des oprations dont la statue dans leTrait des Sensations sera, par la suite, capable], parce que leurcommerce rciproque leur fi t at tacher aux cris de chaque passionles perceptions dont ils taient les signes naturels 49. Ce langaged'action est celui des besoins naturels qu' i l exprime en fonction dela conformation physique de l 'espce. Par l 'habi tude de rat tacherainsi des perceptions l 'expression sensible du corps, la mmoiredes uti l isateurs du langage d'action se dveloppa considrablement ; puis ils en vinrent lier quelques perceptions des signesarbitraires, au dpart simples effets des contingences naturelles, ce qui leur donna occasion de faire un nouveau langage suivantle modle des cris naturels. Et encore le sens des premiers motsqu'i ls crrent dut-i l tre ajust grce aux signes du langagenaturel , qui fournissait des circonstances, ou perceptions remmores, ou signes concomitants , que chacun pouvai t rapporter auxmmes perceptions50. Voi l pourquoi , dans sa Grammaire,Co ndillac refuse d'app eler signes arb itraires les mots de noslangues, qui ne sont, son avis, que des signes artificiels choisisen raison, c 'est--dire suivant l 'analogie naturelle des perceptionset pour les reprsenter51 . En entrant dans le dtail des analyses deCondillac sur le langage, on reconnat sans difficult que, pour lui ,la raison est le pouvoir d'tendre nos perceptions par. l 'usage dessignes : cet usage exprime des rapports d'analogie. Or l 'analogieest pro pre m ent un ra ppo rt de ressem blance et une chose peu t49. Condillac, Essai, II, I, 1, 2, O.P., tome I, p. 60B-61A ; dveloppements trsvoisins sur le langage d'action comme origine du langage des sons articuls dans laGrammaire, I, i, O.P., tome I, p. 4 2 8 -4 3 1 .50 . Condillac, Essai, I, I, ix, 80, O.P., tome I, p. 83A : Le langage d'action levoit

    les ambiguts et les quivoques qui, dans les commencemens, dvoient tre frquentes. 51 . Condillac, Grammaire, I, i, O.P ., tome I, p. 4 29 A : En effet, qu'est-ce que dessignes arbitraire s ? Des signes choisis sans raison et par ca price. Ils ne seraient donc-pas entendus. Au contraire des signes artificiels sont des signes dont le choix estfond en raison : ils doivent tre im agins avec tel art, que l'intelligence en soit prpare par les signes qui sont connus.

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    S M I O T I Q U E E T A B S T R A C T I O N 1 6 5tre exprime de bien des manires, puisqu' i l n'y en a point qui neressemble beaucoup d 'autres 52. Il s'ensuit deux principes d'interprtation de la raison humaine : 1) la raison est elle-mme dansun rapport d'analogie par rapport la nature : par consquent, ledveloppement matr iel de l 'humanit et galement le dveloppement physique de l ' individu humain expriment , dans leur diversit, l 'ordr e d e la raison ; 2) l ' inven tion ration nelle , po url 'homme, est conforme l 'analogie des oprat ions mmes de lanature : en particulier, l 'abstraction n'est qu'une analyse de lareprsentation par la reprsentation, suivant un ordre que la natureind iqu e elle- m m e : c'est celui dan s lequel elle offre [les] objets.Il y en a qui appellent plus particulirement les regards ; ils sontplus frappants ; i ls dominent ; et tous les autres semblent s 'arranger au tou r d'eu x p our eux . . . O n co m m ence don c par les objetsprincipaux : on les observe successivement, et on les compare pourjuger des rapports o i ls sont. Quand, par ce moyen, on a leur situation respective, on observe successivement tous ceux qui remplissent les intervalles, on les compare chacun avec l 'objet principalle plus prochain, et on en dtermine la posit ion. Alors on dmletous les objets dont on a saisi la forme et la situation, et on les embrasse d'un seul regard. L'ordre qui est entre eux dans notre espritn'est donc plus successif. C'est celui-l mme dans lequel ils existent, et nous les voyons tous -la-fois d'une manire distincte. 53L' ide abstrai te n 'est donc qu'une reprsentat ion-signe dont l 'espr i tse sert pour analyser sa pense suivant le mode de la successiontemporelle, mais l 'essence correspondant l ' ide abstraite ne peuttre que la totali t de la reprsentation dans son ordre. L'art icleLangue de XEncyclopdie traduit merveil le cette pense deCo ndillac : L'esp rit , y est-il crit , vient bo ut de disting uer desparties dans sa pense, toute indivisible qu'elle est , en sparant, parle secours de l 'abstraction, les diffrentes ides qui en consti tuentl 'objet, et les diverses relations qu'elles ont entre elles cause durapport qu'elles ont toutes la pense indivisible dans laquelle onles envisage. 54

    52 . Condillac, Langue des Calculs, objet de cet ouvrage, O.P., tome II, p. 419A.5 3- Condillac, Logique, I, ii, Que l'analyse est l'unique mthode pour acqurir des con-naissances. Comm ent nous l'apprenons de la nature mme, O.P., tome II, p.375A-B.54. Encyclopdie, ar t . Langue, tome IX, p. 257A.

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    166 PHILOSOPHIQUESAinsi se trouve acheve l'analyse critique des ides abstraitesdans leur fonction reprsentative, analyse commence avec Lockedans la perspective d'une smiotique qui dtache l'ide abstraite deson adquation une essence relle suppose, pour ne plus la rapporter qu'au contenu mme de la reprsentation. Mais Berkeleymontrait, tout aussi bien, qu'il n'y a pas de reprsentation abstraitecorrespondant l'acte mme de perception de l'esprit : ce qui l'amenait alors concevoir la rationalit du rel comme objet de postulation sous forme de notions par-del toute possibilit dereprsentation ; l'existence mme de l'objet comme ralit ind

    pendante du sujet percevant tait nie ; les perceptions devenaientles signes de la volont divine, mais l'interprtation de ce langagereposait sur la connaissance de notions qui se situaient hors duchamp de la reprsentation possible. Condillac, reprenant Locke,n'entend point rapporter les lments de la connaissance une signification transcendante l'esprit humain : il tente la gense desoprations mmes de l'me, partir d'un principe qui doit trefourni par l'exprience. Ce principe unique est la liaison analogique des ides qui est illustre par l'usage des signes. Par le faitmme, il est amen tenter d'tablir que la raison est le rapportanalogique de la nature dans la reprsentation. pistmologique-ment, le champ est libre pour que s'labore le projet de l'Ency-clopdie. Sans doute, dfinit-il, dans la pense du XVIIIe sicleune troisime voie, qui n'est ni celle de Hume, ni celle de Kant.C'est cette voie que suivront les Encyclopdistes, en particulier lorsqu'ils concevront de rattacher l'analyse de l'tat des connaissancesscientifiques sur la nature la structure d'une idogense no-lockienne. Indiquons seulement que la signification de l'analyse deCondillac se trouve profondment altre ds le dbut du XIXesicle, lorsque les sensations cessent d'tre considres comme depures modifications de l'me pour devenir l'expression du dynamisme du corps, comme cela apparat, par exemple, travers lesRapports du Physique et du Moral (1802) de Cabanis. MaisCondillac lui-mme n'est-il pas responsable de cette transformationdans la mesure o il projetait de tirer de l'exprience le principegnrateur des oprations de l'me ? Quant l'analyse des idesabstraites, dans une telle orientation de la recherche, elle taitappele devenir de plus en plus dpendante d'une psychologie del'adaptation vitale.Universit d'Ottawa


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