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Stress et syndrome de l’intestin irritable - edimark.fr · 120 | La Lettre de...

Date post: 10-Sep-2019
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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVIII - n ° 3 - mai-juin 2015 | 119 DOSSIER Syndrome de l’intestin irritable Stress et syndrome de l’intestin irritable Stress and irritable bowel syndrome G. Goucerol* * Département de physiologie, Inserm U 1073, CHU Charles-Nicolle, Rouen. L a notion de stress a été introduite par Hans Selye (1), qui l’a définie comme l’ensemble des réponses de l’organisme à une menace, qu’elle soit réelle ou perçue comme telle. Cette menace peut provenir du milieu extérieur (extéroceptif), mais également de l’organisme lui-même (stress de réanimation, infection, etc.) dénommé intéroceptif. Au cours des dernières décennies, le rôle du stress a été identifié non seulement dans le développement du syndrome de l’intestin irritable (SII), mais égale- ment comme cible thérapeutique de ce syndrome. Neurobiologie du stress et impact sur le tube digestif La perception d’un stress, qu’il soit extéro- ou intéroceptif, induit la production hypothalamique de Corticotropin-Releasing Factor (CRF), que beaucoup considèrent comme “le médiateur du stress”. Le CRF hypothalamique stimule l’axe hypothalamo- hypophyso-surrénalien, ce qui conduit à la libération plasmatique d’adrénocorticotrophine (ACTH) puis de cortisol. Le CRF hypothalamique stimule également le système nerveux autonome par le biais de relais pontiques (locus cœruleus). C’est par ce dernier mécanisme que le stress exerce la plupart de ses effets sur le tube digestif. En effet, un stress psychologique aigu stimule le système nerveux sympathique pour ralentir la vidange gastrique et le transit intestinal, tandis que le transit colique est accéléré par la mise en jeu du système nerveux parasympathique sacré (2). Le stress psychologique aigu altère également la perméabilité intestinale en induisant la dégranulation mastocytaire muqueuse (3). Une hypersensibilité viscérale peut se développer après un stress, ce qui pourrait s’expliquer par les troubles de la perméabilité digestive, d’une part, mais aussi par une sensibilisation centrale, d’autre part. Il est à noter que le tube digestif exprime également le CRF et ses récepteurs. Ceux-ci sont probablement à l’origine, comme le CRF central, de la réponse digestive au stress extéro- et intéroceptif (2). Au début des années 2000, les 2 récepteurs du CRF ont été identifiés, et nommés CRF 1 et CRF 2 . Actuellement, on considère que les récepteurs CRF 1 sont impliqués dans la majorité des effets proanxiogènes et digestifs du stress. À l’inverse, les récepteurs CRF 2 interviendraient pour contrebalancer ces effets, permettant notamment une adaptation, voire une habituation, aux situations stressantes (4). Impact du stress sur l’histoire naturelle du SII Compte tenu de l’impact du stress sur le tube digestif, en particulier sur le transit, la perméabilité et la sensi- bilité, la question de son rôle dans le développement du SII a été soulevée (5, 6). De nombreuses études ont retrouvé une nette augmentation de la préva- lence d’événements traumatiques dans l’enfance chez les malades souffrant de SII par rapport à une population contrôle. Ces événements incluent une composante émotionnelle (perte d’un proche, divorce), physique (agression, violence physique) ou sexuelle (abus). Ils sont retrouvés chez 30 à 50 % des patients consultant pour un SII. Ces malades présentent à l’âge adulte des scores d’anxiété plus élevés, ainsi qu’une forme plus sévère de SII. Cela s’associe avec une qualité de vie plus altérée que chez les patients qui ne présentent pas de tels anté- cédents. De la même manière, le stress prédispose au développement d’un SII à la suite d’une gastro- entérite. Sur le plan neurobiologique, une élévation du cortisol et de la noradrénaline plasmatique a été décrite chez les patients présentant un SII par rapport à une population contrôle, traduisant l’exacerbation de la sollicitation des voies du stress. Enfin, plusieurs travaux soulignent l’association entre l’aggravation des symptômes digestifs chez les malades porteurs de SII et la récurrence des épisodes de stress. En effet, les malades ayant vécu un événement stressant sont prédisposés à répondre de manière exacerbée aux épisodes stressants ultérieurs.
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La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mai-juin 2015 | 119

DOSSIERSyndrome de l’intestin irritable

Stress et syndrome de l’intestin irritableStress and irr itable bowel syndrome

G. Goucerol*

* Département de physiologie, Inserm U 1073, CHU Charles-Nicolle, Rouen.

La notion de stress a été introduite par Hans Selye (1), qui l’a définie comme l’ensemble des réponses de l’organisme à une menace, qu’elle

soit réelle ou perçue comme telle. Cette menace peut provenir du milieu extérieur (extéroceptif), mais également de l’organisme lui-même (stress de réanimation, infection, etc.) dénommé intéroceptif. Au cours des dernières décennies, le rôle du stress a été identifié non seulement dans le développement du syndrome de l’intestin irritable (SII), mais égale-ment comme cible thérapeutique de ce syndrome.

Neurobiologie du stress et impact sur le tube digestifLa perception d’un stress, qu’il soit extéro- ou intéroceptif, induit la production hypothalamique de Corticotropin-Releasing Factor (CRF), que beaucoup considèrent comme “le médiateur du stress”. Le CRF hypothalamique stimule l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, ce qui conduit à la libération plasmatique d’adrénocorticotrophine (ACTH) puis de cortisol. Le CRF hypothalamique stimule également le système nerveux autonome par le biais de relais pontiques (locus cœruleus). C’est par ce dernier mécanisme que le stress exerce la plupart de ses effets sur le tube digestif. En effet, un stress psychologique aigu stimule le système nerveux sympathique pour ralentir la vidange gastrique et le transit intestinal, tandis que le transit colique est accéléré par la mise en jeu du système nerveux parasympathique sacré (2). Le stress psychologique aigu altère également la perméabilité intestinale en induisant la dégranulation mastocytaire muqueuse (3). Une hypersensibilité viscérale peut se développer après un stress, ce qui pourrait s’expliquer par les troubles de la perméabilité digestive, d’une part, mais aussi par une sensibilisation centrale, d’autre part. Il est à noter que le tube digestif exprime également le CRF et ses récepteurs. Ceux-ci sont probablement à l’origine, comme le CRF central, de la réponse digestive au stress extéro- et intéroceptif (2).

Au début des années 2000, les 2 récepteurs du CRF ont été identifiés, et nommés CRF1 et CRF2. Actuellement, on considère que les récepteurs CRF1 sont impliqués dans la majorité des effets proanxiogènes et digestifs du stress. À l’inverse, les récepteurs CRF2 interviendraient pour contrebalancer ces effets, permettant notamment une adaptation, voire une habituation, aux situations stressantes (4).

Impact du stress sur l’histoire naturelle du SIICompte tenu de l’impact du stress sur le tube digestif, en particulier sur le transit, la perméabilité et la sensi-bilité, la question de son rôle dans le développement du SII a été soulevée (5, 6). De nombreuses études ont retrouvé une nette augmentation de la préva-lence d’événements traumatiques dans l’enfance chez les malades souffrant de SII par rapport à une population contrôle. Ces événements incluent une composante émotionnelle (perte d’un proche, divorce), physique (agression, violence physique) ou sexuelle (abus). Ils sont retrouvés chez 30 à 50 % des patients consultant pour un SII. Ces malades présentent à l’âge adulte des scores d’anxiété plus élevés, ainsi qu’une forme plus sévère de SII. Cela s’associe avec une qualité de vie plus altérée que chez les patients qui ne présentent pas de tels anté-cédents. De la même manière, le stress prédispose au développement d’un SII à la suite d’une gastro-entérite. Sur le plan neurobiologique, une élévation du cortisol et de la noradrénaline plasmatique a été décrite chez les patients présentant un SII par rapport à une population contrôle, traduisant l’exacerbation de la sollicitation des voies du stress. Enfin, plusieurs travaux soulignent l’association entre l’aggravation des symptômes digestifs chez les malades porteurs de SII et la récurrence des épisodes de stress. En effet, les malades ayant vécu un événement stressant sont prédisposés à répondre de manière exacerbée aux épisodes stressants ultérieurs.

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120 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mai-juin 2015

Points forts » Le stress modifie le fonctionnement et les informations sensitives provenant du tube digestif en impli-

quant le système CRF. » Le stress et les événements traumatiques participent au développement du syndrome de l’intestin irritable. » Le syndrome de l’intestin irritable peut également aggraver, voire déclencher un syndrome anxiodépressif.

Mots-clés Stress

Syndrome de l’intestin irritable

CRF

Highlights » S t ress a l te r s the gu t

physiology and gastrointes-tinal sensation through CRF pathway.

» Stress and stressful early life events contribute to generate the irritable bowel syndrome.

» The irritable bowel syndrome can in turn generate or worsen patient’s anxiety and depres-sion.

KeywordsStress

Irritable bowel syndrome

CRF

Il est souvent admis que le stress est un des princi-paux facteurs prédisposant au développement du SII. Les symptômes du SII peuvent également avoir une répercussion centrale. En effet, une étude a mis en évidence que, sur 12 ans d’un suivi longitudinal, les patients atteints de SII avaient des scores d’anxiété et de dépression plus élevés que les sujets d’une population contrôle (7). Dès lors, un cercle vicieux se développe probablement, l’aggravation de la symp-tomatologie au cours d’un stress pouvant aggraver à son tour le syndrome anxiodépressif. Le stress est également susceptible d’expliquer les comorbidités associées au SII, tant sur le plan psychosocial que somatique (5). En effet, il existe une augmentation de la prévalence d’autres troubles somatoformes digestifs (dyspepsie fonctionnelle, pyrosis fonctionnel, etc.) ou extradigestifs (syndrome de vessie douloureuse, fibromyalgie, etc.) chez les patients souffrant de SII. De la même manière, le SII est plus fréquemment décrit par les patients souffrant de ces troubles somatoformes que dans la population générale. Ces troubles se caractérisent eux aussi par une prévalence élevée d’événements traumatiques dans l’enfance, des scores d’anxiété et de dépression plus élevés que la moyenne, et une signature neuro-biologique comparable à celle du SII, avec une éléva-tion du cortisol et de la noradrénaline plasmatique.

Le stress comme cible thérapeutique du SIIPlusieurs approches ont donc ciblé le stress et ses composantes pour offrir des pistes thérapeutiques aux patients (6, 8). L’utilisation d’antagonistes des récepteurs CRF1 s’est montrée prometteuse dans les études de preuve de concept, plus décevante dans le cadre d’essais thérapeutiques. L’utilisation

d’agonistes de CRF2 s’est heurtée aux fonctions extra-digestives (vasculaires, obstétricales) de ce récepteur. Les antidépresseurs, en particulier tricycliques, sont les molécules les plus efficaces dans le traitement du SII. Une partie de cette efficacité est sous-tendue par la modulation sérotoninergique centrale de la réponse digestive au stress, mise en évidence par l’imagerie cérébrale. L’utilisation des benzodiazépines reste en revanche plus limitée, en particulier chez les patients atteints d’un SII à forme constipée. En effet, si ces dernières molécules ont une action tangible sur la réponse comportementale au stress, leur impact sur les symptômes digestifs reste modeste.L’utilisation d’alternatives non pharmacologiques semble bien plus prometteuse, bien qu’il soit difficile de réaliser des études versus placebo. Elles incluent les thérapies cognitivocomportementales, la méditation, la sophrologie ou l’hypnothérapie, avec un niveau de preuve plus élevé pour cette dernière. Elles ont en commun d’être en majeure partie basées sur la relaxa-tion, et peuvent cibler des stratégies d’adaptation tant sur le plan cognitif que sur le plan comportemental. Sur le plan neurobiologique, ces thérapies diminuent la réponse neuroendocrine au stress ainsi que l’acti-vation de zones cérébrales (amygdale, tronc céré-bral, etc.) spécifiquement activées au cours du stress. Elles s’accompagnent également d’une élévation des seuils de réaction douloureuse à la distension diges-tive. De plus, ces thérapies offrent l’avantage d’induire une amélioration symptomatique souvent pérenne dans le temps, en même temps qu’elles diminuent les niveaux d’anxiété et de dépression rapportés par les patients. Cette amélioration s’accompagne souvent d’une meilleure qualité de vie ainsi que d’une réduc-tion de la consommation de soins. Enfin, comme les antidépresseurs, ces thérapies sont également utiles dans le traitement des comorbidités digestives et extradigestives associées au SII. ■

1. Selye H. Le stress de la vie. Paris : Gallimard, 1962.2. Taché Y, Bonaz B. Corticotropin-releasing factor receptors and stress-related alterations of gut motor function. J Clin Invest 2007;117(1):33-40.3. Vanuytsel T, Van Wanrooy S, Vanheel H et al. Psycholo-gical stress and corticotropin-releasing hormone increase intestinal permeability in humans by a mast cell-dependent mechanism. Gut 2014;63(8):1293-9.

4. Gourcerol G, Wu SV, Yuan PQ et al. Activation of corti-cotropin-releasing factor receptor 2 mediates the colonic motor coping response to acute stress in rodents. Gastro-enterology 2011;140(5):1586-96.

5. Mayer EA. Gut feelings: the emerging biology of gut-brain communication. Nat Rev Neurosci 2011;12(8):453-66.

6. Koloski NA, Jones M, Kalantar J, Weltman M, Zaguirre J, Talley NJ. The brain–gut pathway in functional gastro-

intestinal disorders is bidirectional: a 12-year prospective population-based study. Gut 2012;61(9):1284-90.7. Larauche M, Mulak A, Taché Y. Stress and visceral pain: from animal models to clinical therapies. Exp Neurol 2012; 233(1):49-67.8. Ford AC, Quigley EM, Lacy BE et al. Effect of antidepres-sants and psychological therapies, including hypnotherapy, in irritable bowel syndrome: systematic review and meta-analysis. Am J Gastroenterol 2014;109(9):1350-65.

Références bibliographiques

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

0120_LGA 120 26/06/2015 16:53:31


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