Date post: | 25-Nov-2023 |
Category: |
Documents |
Upload: | independent |
View: | 0 times |
Download: | 0 times |
TSM numéro 11 - 2011 - 106e année 43
Bisphénol A : premiers résultats sur le bassinde la Seine
n M. CLADIÈRE1, J. GASPERI1, C. LORGEOUX1, C. BONHOMME1, V. ROCHER2, M. TROUPEL1, B. TASSIN1
Mots-clés : bisphénol A, perturbateur endocrinien, eaux de surface, rejets de stations d’épuration, rejets ur-bains de temps de pluie
Keywords: bisphenol A, endocrine disrupting chemical, surface water, wastewater treatment plant effluents,combined sewer overflows
Introduction
Le 2,2-bis(4-hydroxyphényle)propane, plus commu-
nément connu sous le nom bisphénol A (BPA), a été
synthétisé pour la première fois par le chimiste russe
A.P. Dianin en 1891. Initialement développé dans un
but contraceptif, le BPA est actuellement principale-
ment utilisé en tant que monomère dans la fabrica-
tion de plastiques polycarbonates et de résines de
type époxyde [KANG et al., 2006]. Les plastiques
polycarbonates sont majoritairement produits pour
leur résistance aux chocs et aux fortes températures
dans de nombreux matériaux de construction, les
DVD, ainsi que les bonbonnes d’eau. Les résines de
type époxyde sont, quant à elles, essentiellement
utilisées dans les laques qui recouvrent les surfaces
internes des cannettes de soda et des boîtes de
conserve. Toutes utilisations confondues, la produc-
tion mondiale de BPA était évaluée à 3 millions de
tonnes en 2007 [VANDENBERG et al., 2007].
Depuis la mise en évidence du potentiel de perturba-
teur endocrinien et cancérogène du BPA par SOTO et
coll. [1997], de nombreuses études se sont intéres-
sées à la toxicité de ce composé sur les animaux et les
hommes [PICKFORD et al., 2003 ; VANDENBERG
et al., 2007 ; WETHERILL et al., 2007]. Ces travaux
ont conduit à la forte médiatisation du BPA, notam-
ment en ce qui concerne son utilisation dans les
biberons en plastique et de sa possible transmission
1 Leesu, Université Paris-Est – UMR MA 102 – AgroParisTech – 61, avenuedu Général-de-Gaulle – 94010 Créteil cedex.Courriel : [email protected]
2 Siaap, direction du développement et de la prospective – 82, avenue Kléber –92700 Colombes.
Législations européennes et françaises concernant le bisphénol A (BPA)
• Santé publique
Europe. En 2006, à la suite d’études indépen-dantes sur la toxicologie du BPA, l’Autorité euro-péenne de sécurité des aliments (EFSA) a édictéune dose journalière admissible (DJA) de0,05 mg/kg de poids corporel (EFSA – adopté le26 novembre 2006). Cette dose journalière a étéreconfirmée en 2010 après un nouvel examen dela littérature récente (EFSA – adopté le 23 sep-tembre 2010). L’étude de 2006 révèle égalementqu’au vu des utilisations actuelles du bisphénol A(polycarbonate et résine époxyde), la dose suppo-sée ingérée quotidiennement est nettement infé-rieure à la DJA (EFSA adopté le 26 novembre 2006).
France. Dès 2010, la France a interdit la produc-tion et la mise en vente de biberons fabriqués àbase de bisphénol A dans la loi n°2010-729 du 30juin 2010. Fin 2011, l’Assemblée nationale votait
en première lecture l’extension de cette loi à tousles contenants et ustensiles destinés à recevoirdes produits alimentaires, pour 2014 (texte adoptén°747, séance du 12 octobre 2011). Au moment oùce n° de TSM était mis sous presse, le texte étaiten première lecture au Sénat et n’avait pas encoreété débattu.• Environnement
Europe. Aucune réglementation environnemen-tale restrictive n’existe au niveau européen. Toute-fois, selon l’annexe III de la directive 2008/105/CEdu 16 décembre 2008 venant modifier la directivecadre sur l’eau (directive 2000/60/CE du 23 oc-tobre 2000), le BPA pourrait être soumis à révisiondans un futur proche afin d’intégrer la liste dessubstances prioritaires dangereuses.France. Aucune réglementation existante àl’heure actuelle.
TSM numéro 11 - 2011 - 106e année 45
Bisphénol A : premiers résultats sur le bassin de la Seine
dans le lait à la suite de chauffages répétés par micro-
ondes [NAM et al., 2010].
En raison de l’absence actuelle de réglementation
environnementale (encadré), peu de valeurs de
concentrations de BPA dans les milieux aquatiques
naturels et urbains sont disponibles à l’échelle mon-
diale. Quelques valeurs de concentrations pour les
eaux de surface et les rejets de stations d’épuration
(STEP) sont données à titre indicatif dans le tableau I.
À l’échelle nationale et à notre connaissance, seule
une étude est disponible sur la vallée du Rhône
[BAUGROS et al., 2008]. Les valeurs disponibles
indiquent des niveaux de concentrations variant de
2 à 776 ng/L dans les rivières et de 1 à 208 000 ng/L
dans les rejets de stations d’épuration (tableau I).
Conscient de la problématique autour du BPA et afin
de fournir les premières informations relatives à ce
composé dans les milieux aquatiques, le Laboratoire
eau, environnement et systèmes urbains (Leesu)
s’intéresse, dans le cadre des programmes de recherche
Observatoire des polluants urbains (Opur) et
Programme interdisciplinaire de recherche sur l’envi-
ronnement de la Seine (Piren-Seine), aux sources ur-
baines et au devenir du BPA dans les milieux aquatiques.
Cet article vise à étudier, d’une part, l’imprégnation
du milieu récepteur en amont et en aval de la région
parisienne et, d’autre part, les sources urbaines de
pollution telles que les rejets de STEP et les rejets ur-
bains de temps de pluie. Dans une dernière partie, il
s’efforcera d’évaluer l’importance des sources urbaines
liées à l’assainissement dans la contamination du
milieu récepteur, grâce à une évaluation des flux
annuels. En l’absence de données disponibles sur la
phase particulaire pour les rejets de STEP, seules les
concentrations dissoutes ont été considérées dans cet
article. La concentration dissoute est, néanmoins, un
bon indicateur de la concentration totale, puisque des
tests préliminaires réalisés pour les eaux de surface
et les eaux usées indiquent que la fraction dissoute
représente plus de 90 % de la fraction totale.
1. Matériel et méthodes
1.1. Sites d’étude et matrices étudiéesCette étude s’intéresse aux niveaux de contaminations
en BPA des eaux de surface, des eaux usées, des rejets
de STEP et des rejets urbains de temps de pluie. Pour
les eaux de surface, un suivi mensuel des concentra-
tions a été mis en place à Marnay, très à l’amont de la
région parisienne, à Bougival juste à l’aval de Paris et
à Meulan situé à l’aval de tous les rejets urbains de l’ag-
glomération parisienne (figure 1). Ce suivi mensuel
s’est déroulé entre février 2010 et février 2011 (n = 11).
Pour les rejets de STEP (n = 19), les rejets des cinq plus
grandes stations de la région parisienne, gérées par le
Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de
l’agglomération parisienne (Siaap), ont été étudiés. Les
rejets de STEP ont été prélevés, avec le concours du
Siaap, sur les usines de Seine amont (SAM), Marne aval
(MAV), Seine centre (SEC), Seine aval (SAV) et Seine
Grésillons (SEG) au cours de quatre campagnes quoti-
diennes durant quatre mois (figure 1). Chaque jour, ces
cinq STEP traitent environ 2,5 millions de m3 d’eaux
usées, générées par près de 8,5 millions de Franciliens.
Dans le cas des rejets urbains de temps de pluie (RUTP),
huit prélèvements ont été effectués à Clichy, l’un des
plus grands déversoirs de la région (figure 1), en
collaboration avec le Siaap, entre juin
et novembre 2010. Les volumes d’eau
déversés au cours de ces campagnes
varient entre 35 000 m3 et plus
de 1 000 000 m3. Finalement, des
eaux usées ont également été collec-
tées au niveau de l’émissaire du
bassin versant de l’Orge à Athis-
Mons (n = 5). Le bassin de l’Orge est
équipé d’un réseau séparatif. Les
eaux usées collectées sur cet émis-
saire sont d’origines domestique et
industrielle.
Type d’eau Concentrations
(ng/L) Pays Références
< 5 - 272 Allemagne BOLZ et al., 2001
9 - 776 Allemagne HEEMKEN et al., 2001
5 - 410 Allemagne FROMME et al., 2002
2 - 46 Suisse JONKERS et al., 2009
Rivière
136 - 156 France BAUGROS et al., 2008
1 - 707 Suisse JONKERS et al., 2009
2 - 700 Allemagne FROMME et al., 2002 Rejet de STEP
56 - 208 000 France BAUGROS et al., 2008
Tableau I. Concentrations (ng/L) de bisphénol A mesurées dans les eaux de surfaces et les rejetsde stations d’épuration (STEP)
TSM numéro 11 - 2011 - 106e année 47
Bisphénol A : premiers résultats sur le bassin de la Seine
1.2. Analyse du bisphénol A
1.2.1. Extraction de la phase dissoute
Les échantillons d'eau, prélevés de façon ponctuelle
(sauf pour les RUTP moyennés sur 3 h), sont dans un
premier temps filtrés successivement sur deux filtres
de porosité 2,7 et 0,45 µm (Whatman), afin de séparer
les phases dissoutes et particulaires. Dans le cadre de
la présente étude, seule la phase dissoute est consi-
dérée. Avant extraction, la phase dissoute est dopée
avec un étalon deutéré servant à suivre le rendement
d’extraction (BPA-d6) et laissée une nuit en chambre
froide (5 °C) pour mise en équilibre. L’extraction est
ensuite effectuée en phase solide (SPE) sur des
cartouches Oasis HLB (200 mg/6 mL) à l’aide d’une
Autotrace SPE (Caliper). Dans un premier temps, les
cartouches sont conditionnées avec 2 mL de métha-
nol (MeOH) et 2 mL d’eau ultrapure (Elga). Les
échantillons d’eau (250 mL pour les eaux de surface
et rejets de STEP, 100 mL pour les RUTP et eaux usées)
sont ensuite passés sur la cartouche à 5 mL/min.
Après passage des échantillons, les cartouches sont
séchées sous flux d’azote pour être finalement éluées
avec 12 mL d’un mélange méthanol/dichloromé-
thane/acétate d’éthyle (40/40/20 v/v/v).
1.2.2. Analyse du bisphénol A par chromatographie
liquide
Avant l’analyse, les extraits sont dopés avec un second
étalon deutéré (BPA-d16) qui sert d’étalon interne
pour la quantification. Enfin, les échantillons sont
analysés par chromatographie liquide couplée à une
spectrométrie de masse en tandem, LC-MS/MS
(Acquity UPLC-TQD, Waters). Le BPA et les compo-
sés deutérés sont élués sur une colonne Acquity
UPLC BEH C18 (100 � 2,1 mm, 1,7 µm) chauffée à
40 °C, à l’aide d’une phase mobile composée de mé-
thanol + NH4OH (A) et eau osmosée + NH4OH (B).
L’équilibre étant au préalablement établi avec 50 % B
à 0,4 mL/min. L’ionisation se fait par électrospray en
mode négatif (ESI-). Les trois composés sont
détectés en mode Multiple Reaction Monitoring
(MRM) grâce à deux transitions, la première servant
à la quantification, la seconde utilisée pour la qualifi -
cation. La tension du cône et l’énergie de collision ont
également été optimisées pour les trois composés
(tableau II).
Figure 1. Sites d’échantillonnages (eaux de surface, stations d’épuration et déversoir d’orage) considérés dans cette étude
Débit moyen de laSeine :Marnay : 45 m3/sBougival : 238 m3/sMeulan : 424 m3/s
Capacités de traitement :SAM : 600 000 m3
MAV : 75 000 m3
SEC : 240 000 m3
SAV : 1 700 000 m3
SEG : 100 000 m3
Volume annuelmoyen déversé :Clichy : 4 600 000 m3
Total : 14 400 000 m3
noitacifilauQ noitacifitnauQ
Com
posé
Mode
d’ionis
ati
on
Tem
ps d
e
réte
nti
on
(min
)
Tensio
n
de c
ône (V)
Transition (masse/charge)
Énergie de collision (eV)
Transition (masse/charge)
Énergie de collision (eV)
BPA ESI - 1,82 30 226,9 133,0 25 226,9 212,2 25
BPA-d16 ESI - 1,77 48 241,3 223,2 22 241,3 142,0 25
BPA-d6 ESI - 1,79 48 233,2 215,2 18 233,2 138,2 30
Tableau II. Paramètres chromatographiques et spectrométriques d’analyse du bisphénol A (BPA)
TSM numéro 11 - 2011 - 106e année48
Étude
2. Résultats et discussions
2.1. Concentrations dans les matrices étudiées
Les concentrations des matrices étudiées sont illus-
trées sur la figure 2 sous forme de « boîtes à mous-
taches ». Cette illustration permet de représenter la
distribution de valeurs sous forme simplifiée : mé-
diane (trait épais), une boîte s'étendant du premier
au troisième quartile (d25 et d75) et des moustaches
qui correspondent à 1,5 l’écart interquartile.
2.1.2. Eaux usées et rejets de STEP
La concentration médiane trouvée dans les eaux
usées à Athis-Mons est de 1 300 ng/L. Cette valeur
est cohérente avec celles déjà rapportées dans la
littérature qui vont de 446 ng/L à 4 400 ng/L
[JONKERS et al., 2001 ; HOHNE ET PUTTMANN,
2008], principalement dues à l’utilisation du BPA
comme monomère par l’industrie.
Pour les rejets de STEP, les concentrations médianes
trouvées au cours de cette étude avoisinent 48 ng/L.
Ces concentrations sont cohérentes avec celles trou-
vées en Suisse [JONKERS et al., 2001], mais nette-
ment inférieures aux concentrations rapportées dans
la région lyonnaise (médiane : 429 ng/L) [BAUGROS
et al., 2008]. Aucune différence significative des
concentrations n’est observée entre les stations d’épu-
ration, qu’il s’agisse des filières de traitement par
boues activées (SAM, SAV) ou par biofiltration (SEC,
SEG, MAV). Ce constat est en accord avec les obser-
vations établies par SAHAR et coll. [2011].
Bien qu’il soit impossible de calculer précisément les
rendements d’abattement de BPA de chaque STEP à
partir des données de cette étude, il est possible d’es-
timer une tendance sur la région parisienne. Ainsi,
l’estimation du rendement d’abattement des concen-
trations en BPA par les STEP parisiennes avoisinerait
les 95 %, ce résultat étant cohérent avec ceux annon-
cés dans la littérature [HOHNE et PUTTMANN,
2008].
2.1.3. Rejets urbains de temps de pluie
La concentration médiane trouvée dans les RUTP au
cours des huit déversements est de 1 300 ng/L. Cette
forte concentration est à rapprocher des concentra-
tions mesurées dans les eaux usées (1 300 ng/L).
Toutefois, aucune relation significative n’a pu être
établie entre la concentration en BPA, le volume
déversé ou la proportion d’eau usée. De plus, la faible
proportion des eaux usées dans les RUTP (entre 11 et
39 %) permet de suspecter l’existence d’autres
apports. Ces derniers peuvent provenir du réseau à
la suite de l’érosion des dépôts qui se sont formés par
temps sec [GASPERI et al., 2010] ou directement des
eaux de ruissellement. Pour confirmer cette dernière
hypothèse, une étude a été lancée récemment au
Leesu sur les eaux de ruissellement dans le cas d’un
Figure 2. Concentrations dissoutes en bisphénol A dans les eauxde surface, les eaux usées, les rejets de stations d’épuration(STEP) et les rejets urbains de temps de pluie (RUTP)
2.1.1. Eaux de surface
Les valeurs médianes des concentrations trouvées au
cours du suivi annuel sont respectivement égales à
18 ng/L à Marnay, à 40 ng/L à Bougival et 62 ng/L à
Meulan. Ces concentrations peuvent être considérées
comme faibles au vu de la littérature (tableau I),
notamment des valeurs retrouvées dans la région
lyonnaise (136-156 ng/L) par BAUGROS et coll.
[2008]. La figure 2 met également en évidence une
évolution des concentrations en Seine entre l’amont
et l’aval, témoignant de l’impact de l’agglomération
parisienne. L’écart interquartile illustré sur la figure 2
montre que les concentrations à Marnay varient
faiblement au cours du temps (5-24 ng/L) alors qu’à
Meulan elles présentent une variation plus impor-
tante (20-120 ng/L à Meulan). Les variations tempo-
relles trouvées à Bougival et à Meulan ne semblent
pas dépendre du régime hydrique de la Seine puisque
des concentrations comparables ont été observées en
période de basses et hautes eaux.
TSM numéro 11 - 2011 - 106e année 49
Bisphénol A : premiers résultats sur le bassin de la Seine
réseau séparatif. Les premiers résultats tendent à
confirmer la forte présence du BPA dans les eaux de
ruissellement urbain.
2.2. Flux mensuel de bisphénol A à MeulanLes flux mensuels de BPA exportés par la Seine à
Meulan ont été estimés à partir des concentrations
ponctuelles de BPA obtenues pour chaque mois
multipliés par les débits mensuels à Meulan (station
banque hydro : Vernon) pendant le même mois
(figure 3). Les flux mensuels ainsi estimés constituent
une première évaluation, car ils ne tiennent pas
compte des fluctuations de concentration au sein
d’un même mois. Cependant, la complexité et le coût
de l’analyse du BPA dans les matrices aquatiques ne
permettent pas un suivi en continu des concentra-
tions de BPA.
Les flux mensuels de BPA, déterminés entre février
2010 et février 2011, varient entre 24 et 184 kg/mois.
Toutefois, en l’absence de données disponibles, aucun
flux n’a pu être déterminé pour les mois d’août et de
décembre 2010. Les flux les plus importants ont été
observés en période de hautes eaux, en février 2010
(180 kg/mois) et janvier 2011 (160 kg/mois). Bien
que comparables, ces deux flux reflètent des situa-
tions différentes. Alors que le flux important noté en
février 2010 résulte d’une concentration élevée
(110 ng/L), le flux de janvier 2011 s’explique essen-
tiellement par un débit élevé de la Seine (1 120 m3/s).
Les flux les plus faibles ont été observés en période
de basses eaux, soit en septembre (27 kg/mois) et
novembre 2010 (24 kg/mois).
Même si aucune tendance nette entre les flux de BPA
et le débit moyen de la Seine ne peut être clairement
tirée de ces résultats, l’évolution concomitante de ces
deux grandeurs, ainsi que l’absence de dilution des
concentrations en période de hauts débits, sous-
entend la contribution d’apports diffus de BPA à
l’échelle du bassin de la Seine. Ces apports diffus
peuvent provenir directement des précipitations, du
ruissellement en milieu urbain ou de la remobilisa-
tion des stocks déjà existants en Seine. Pour confir-
mer cette hypothèse, les premiers résultats obtenus
par le projet Endocrinair, réalisé dans le cadre du pro-
gramme national de recherche sur les perturbateurs
endocriniens (PNRPE), ont souligné la présence du
BPA dans les eaux de pluie de la région parisienne à
hauteur de plusieurs dizaines de nanogrammes par
litre. En parallèle, les premières expérimentations réa-
lisées sur les eaux de ruissellement urbain ont égale-
ment montré des niveaux de contamination en BPA
élevés, de l’ordre de 1 000 ng/L. Toutefois, ces pre-
miers résultats doivent être confirmés à l’aide de nou-
velles campagnes de mesure. D’autres apports exté-
rieurs sont également à envisager par temps de pluie.
Par exemple, certaines études ont démontré que, à la
suite d’un épisode pluvieux, les lixiviats collectés au
niveau des décharges contrôlées ou sauvages, peu-
vent avoir un impact important sur la contamination
d’un cours d’eau [LIN et LI, 2009].
2.3. Rôle de l’assainis -sement dans l’imprégnationdu milieuÀ la suite des hypothèses précé-
dentes soulevées par la déter -
mination des flux mensuels à
Meulan et afin d’évaluer le rôle
de l’assainissement dans l’impré-
gnation du milieu, les contribu-
tions des rejets de STEP et des
RUTP au flux annuel de BPA
exporté à Meulan ont été esti-
mées (tableau III). Pour les rejets
de STEP, les flux individuels de
*Données de concentrations et de flux indisponibles.**Les concentrations dissoutes et flux mensuels sont reportés sur le même axe, seules les unités diffèrent. Figure 3. Flux mensuels en kg/mois de bisphénol A (BPA) exportés par la Seine à Meulan
TSM numéro 11 - 2011 - 106e année50
Étude
chaque station ont été calculés à partir des concen-
trations médianes et des volumes traités, puis som-
més. Pour les déversoirs d’orage, le volume déversé
par l’ensemble des déversoirs d’orage parisiens du
Siaap, de Paris intra-muros et du département de la
Seine-Saint-Denis (21,1 millions m3/an) et la concen-
tration médiane (1 300 ng/L) ont été utilisés. Dans le
cas du flux exporté à Meulan, les flux mensuels de
2010 ont été sommés, ce calcul entraînant une sous-
estimation du flux annuel, car amputé des valeurs
d’août et décembre 2010.
Alors que le flux annuel de BPA estimé à Meulan est
de 609 kg/an, le flux annuel lié aux rejets de STEP
n’est que de 47 kg/an et de 25,5 kg/an pour les RUTP
(tableau III). D’après les expérimentations et les
premiers calculs, il apparaît que l’ensemble des STEP
traitant les eaux usées de 8,5 millions d’habitants
représenterait moins de 8 % du flux annuel de BPA
estimé à Meulan tandis que les RUTP, en raison de la
discontinuité de leurs déversements, représenteraient
moins de 4 % du flux annuel. Par conséquent, l’en-
semble des sources liées à l’assainissement de la
région parisienne ne contribuerait qu’à hauteur de 12 %
du flux annuel de BPA à Meulan. Ces premiers résultats
renforcent l’hypothèse de l’existence de sources
diffuses à l’échelle du bassin versant. Les retombées
atmosphériques, les eaux pluviales en milieu urbain
(cas des réseaux séparatifs) ou encore les lixiviats de
décharges contrôlées ou sauvages pourraient contri-
buer fortement aux flux mesurés. Enfin, les rejets
industriels non raccordés au réseau d’assainissement
pourraient également constituer une dernière source.
Conclusions
En conclusion, cette étude fournit les premiers
éléments de la contamination du bassin amont de la
Seine par le bisphénol A. Des concentrations allant
de quelques ng/L à 120 ng/L ont été mesurées dans
la Seine et dans les rejets de stations d’épuration, tan-
dis que les eaux usées et les rejets urbains de temps
de pluie présentent une contamination nettement
plus importante (médiane : 1 300 ng/L). Bien que le
bisphénol A soit un composé de synthèse fortement
lié aux procédés industriels de fabrication de matière
plastique, les sources liées à l’assainissement ne
représenteraient, à l’échelle annuelle, que 11 % de la
pollution trouvée dans la Seine. De plus, l’évolution
concomitante des flux mensuels de BPA et du débit
moyen mensuel de la Seine couplée à une absence
de dilution des concentrations en fonction du débit
suggèrent qu’une grande partie du flux annuel serait
issue de sources diffuses. Parmi les sources diffuses,
les retombées atmosphériques (eau de pluie) et les
eaux de ruissellement urbain (réseau séparatif) sont
en cours d’investigation au Leesu, et pourraient se
révéler être des contributeurs majeurs dans la pollu-
tion en BPA retrouvée sur le bassin de la Seine. Enfin,
même si la fraction particulaire n’est pas dominante,
son étude est en cours au Leesu. Dans le futur, les
stocks présents en Seine (sédiments) et leur remise
en suspension en période de crue seront étudiés.
Remerciements
Cette étude a été réalisée conjointement dans le cadre
des programmes de recherche Observatoire des
polluants urbains (Opur) et Programme interdisci-
plinaire de recherche sur l’environnement de la Seine
(Piren-Seine). Les auteurs souhaitent remercier le
Siaap, et en particulier Céline Briand, Daniel Duparc
et Jean Daste-Blanc, pour leur participation active à
la mise en œuvre des campagnes d’échantillonnage
sur les stations d’épuration et sur le déversoir d’orage
de Clichy.
Rejets de STEP (n = 19)
RUTP (n = 8)
Meulan (n = 9)
Volume annuel (103 m3) 925 700 21 100* 12 000 000
Flux annuel médian (kg/an) 47 25,5 609
% flux Meulan 8 4 –
RUTP : rejets urbains de temps de pluie ; STEP : station d’épuration.*Volume moyen déversé chaque année entre 2005 et 2010 par la majorité des déversoirs de la région parisienne(Siaap, mairie de Paris, conseil général de la Seine-Saint-Denis).Tableau III. Bilan massique annuel des flux de bisphénol A
TSM numéro 11 - 2011 - 106e année 51
Bisphénol A : premiers résultats sur le bassin de la Seine
HEEMKEN O.P., REINCKE H., STACHEL B., THEOBALD N.(2001) : « The occurrence of xenoestrogens in the Elberiver and the North Sea ». Chemosphere ; 45 : 245-259.
HOHNE C., PUTTMANN W. (2008) : « Occurrence and tem-poral variations of the xenoestrogens bisphenol A, 4-tert-octylphenol, and tech. 4-nonylphenol in two German wastewater treatment plants ». EnvironmentalScience and Pollution Research ; 15 : 405-416.
JONKERS N., KNEPPER T.P., DE VOOGT P. (2001) : « Aerobicbiodegradation studies of nonylphenol ethoxylates inriver water using liquid chromatography-electrospraytandem mass spectrometry ». Environmental Science &Technology ; 35 : 335-340.
JONKERS N., KOHLER H.P.E., DAMMSHAUSER A., GIGER W.(2009) : « Mass flows of endocrine disruptors in the Glattriver during varying weather conditions ». EnvironmentalPollution ; 157 : 714-723.
KANG J.-H., KONDO F., KATAYAMA Y. (2006) : « Human expo-sure to bisphenol A ». Toxicology ; 226 : 79-89.
LIN C.W., LI M.H. (2009) : « Effects of two types of landfillson river water quality and endocrine disruptor concen-trations before and after rainfall in a subtropical climate ». Water Quality Research Journal of Canada ;44 : 355-363.
LOI N° 2010-729 du 30 juin 2010, Journal officiel de la République française, n° 0150 : page 11857.
NAM S.-H., SEO Y.-M., KIM M.-G. (2010) : « Bisphenol A migration from polycarbonate baby bottle with repeateduse ». Chemosphere ; 79 : 949-952.
PICKFORD D.B., HETHERIDGE M.J., CAUNTER J.E., TILGHMANHALL A., HUTCHINSON T.H. (2003) : « Assessing chronictoxicity of bisphenol A to larvae of the african clawed frog(Xenopus laevis) in a flow-through exposure system ».Chemosphere ; 53 : 223-235.
SAHAR, E., ERNST, M., GODEHARDT, M., HEIN, A., HERR, J.,KAZNER, et al. (2011) : « Comparison of two treatmentsfor the removal of selected organic micropollutants and
Bibliographie
ASSEMBLÉE NATIONALE (2011) : Texte adopté n° 747, séancedu 12 octobre 2011, Assemblée nationale, pp. 1-3.Téléchargeable depuis :www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/ta/ta0747.pdfBAUGROS J.-B., GIROUD B., DESSALCES G., GRENIER-LOUSTALOT M.-F., CREN-OLIVÉ C. (2008) : « Multiresidueanaly tical methods for the ultra-trace quantification of33 priority substances present in the list of reach in realwater samples ». Analytica Chimica Acta ; 607 : 191-203.BOLZ U., HAGENMAIER H., KORNER W. (2001) : « Phenolicxenoestrogens in surface water, sediments, and sewagesludge from Baden-Wurttemberg, South-West GerMANY ». Environmental Pollution ; 115 : 291-301.
DIRECTIVE 2000/60/CE du 23 octobre 2000, Journal officieldes Communautés européennes ; n° 327 : 1-72.DIRECTIVE 2008/105/CE du 16 décembre 2008, Journal officiel de l'Union européenne ; n° 348 : 84-97.EFSA (2010) : « Scientific opinion on bisphenol A: Evalua-tion of a study investigating its neurodevelopmental toxi-city, review of recent scientific literature on its toxicityand advice on the danish risk assessment of bisphenolA ». Adopté le 23 septembre 2010, EFSA Journal,n° 1829 : 1-118.EFSA (2006) : « Opinion of the scientific panel on food additives, flavourings, processing aids and materials incontact with food on a request from the commission related to 2,2-bis(4-hydroxyphenyl)propane (bisphenolA) ». Adopté le 26 novembre 2006, EFSA Journal, n° 428 :1-6.FROMME H., KUCHLER T., OTTO T., PILZ K., MULLER J., WENZEL A. (2002) : « Occurrence of phthalates and bis-phenol A and F in the environment ». Water Research ;36 : 1429-1438.GASPERI J., GROMAIRE M.-C., KAFI M., MOILLERON R.,CHEBBO G. (2010) : « Contributions of wastewater, runoffand sewer deposit erosion to wet weather pollutantloads in combined sewer systems ». Water Research ;44 : 5875-5886.
À l'heure où l'on parle de développement durable, d'éco-quartiers, le constat est sévère : pas ou peud'innovations en matière de collecte des déchets et de gestion de la propreté depuis l'origine de cesservices ! Pourquoi ?• aucune prise en compte, en amont des programmes d'aménagement urbain, des contraintes induitespar ces services publics ;• aucun investissement anticipatif favorisant une gestion plus harmonieuse des déchets en ville et de la propreté des espaces urbains ;Néanmoins, quelques collectivités pionnières, quelques urbanistes curieux ont mené ici et là des
opérations intéressantes. Ces expériences porteuses d'espoir sont recensées.Des pistes d'avenir où urbanistes, aménageurs et professionnels de la propreté travailleraient ensemble en amont afin deconstruire une ville propre sont évoquées.
LIVRE BLANC Urbanisme et Propreté
L'ouvrage peut être commandé au prix de 10 € à [email protected]
TSM numéro 11 - 2011 - 106e année52
Étude
bulk organic matter: Conventional activated sludge followed by ultrafiltration versus membrane bioreactor ».Water Science and Technology ; 63 : 733-740.
SOTO A.M., FERNANDEZ M.F., LUIZZI M.F., KARASKO A.S.O.,SONNENSCHEIN C. (1997) : « Developing a marker of exposure to xenoestrogen mixtures in human serum ».Environmental Health Perspectives ; 105 : 647-654.
VANDENBERG L.N., HAUSER R., MARCUS M., OLEA N., WELSHONS W.V. (2007) : « Human exposure to bisphenolA (BPA) ». Reproductive Toxicology ; 24 : 139-177.
WETHERILL Y.B., AKINGBEMI B.T., KANNO J., MCLACHLANJ.A., NADAL A., SONNENSCHEIN C., et al. (2007) : « In vitromolecular mechanisms of bisphenol A action ». Repro-ductive Toxicology ; 24 : 178-198.
Le 2, 2-bis(4-hydroxyphényle) propane ou bisphénolA (BPA) est un composé de synthèse utilisé majori-tairement dans la formulation de plastique poly -carbonate (DVD, matériaux de construction) et de résines de type époxyde (surface interne des cannettes et boîtes de conserve). Malgré la recon-naissance du bisphénol A comme perturbateurendocrinien, et sa forte médiatisation du fait de saprésence dans certains biberons, les donnéesaujourd’hui disponibles sur les niveaux de contami-nation en bisphénol A de différentes matrices envi-ronnementales sont limitées, particulièrement enFrance. Dans ce contexte, le Laboratoire eau envi-ronnement et systèmes urbains (Leesu) étudie,dans le cadre des programmes de recherche Opuret Piren-Seine, les niveaux de contamination des
eaux urbaines et naturelles par le bisphénol A. Lespremiers résultats obtenus sur les phases dissoutesont permis de révéler des niveaux de contaminationallant de 562 à 2 100 ng/L dans les eaux usées (n = 5)et les rejets urbains de temps de pluie (n = 8) et de19 à 157 ng/L dans les rejets des stations d’épu -ration de la région parisienne (n = 19). En outre, lesconcentrations trouvées dans la Seine (n = 11) présentent une évolution entre les secteurs amont (18 ng/L) et aval (40 à 62 ng/L). Un premier bilanentre les flux annuels déversés (rejets de stationsd’épuration et déversoirs d’orage) et le flux annuelexporté à l’aval de l’agglomération parisiennesemble indiquer que les sources liées à l’assainisse-ment ne représenteraient, à l’échelle annuelle, que12 % de la contamination observée dans la Seine.
RésuméBisphénol A : premiers résultats sur le bassin de la Seine
M. CLADIÈRE, J. GASPERI, C. LORGEOUX, C. BONHOMME, V. ROCHER, M. TROUPEL, B. TASSIN
The 2, 2-bis(4-hydroxyphenyl)propane or bisphe-nol A is a xenobiotic commonly used as a mono-mer in the manufacture of polycarbonate plastics(DVD, building materials) and epoxy resins (surfa-ce lacquer for cans and tin cans). Despite its endo-crine disrupting potential, and its high media cove-rage because of baby bottles made with bisphenolA, few data are available on environmentalmatrices and more particularly in France. In thiscontext, levels of bisphenol A found in urban andsurface waters were assessed by the Leesu labo-ratory, as a part of the Piren-Seine and Opurresearch programs. The first results, on dissolvedphases, reveal concentrations ranging from 562 to2,100 ng/L in wastewater (n = 5) and combined
sewer overflows (n = 8) and from 19 to 157 ng/L inwastewater treatment plant effluents (n = 19).Furthermore, an increase of concentration wasobserved in the Seine River (n = 33) from upstreamsites (18 ng/L) to downstream sites (40 and62 ng/L). At last, an estimated annual mass balanceof bisphenol A was established between loadsannually discharged by the wastewater treatmentplants and combined sewer overflows, on the onehand, and the annual exported load by the SeineRiver downstream of the Parisian conurbation, on the other hand. The first estimations highlightthat urban sources linked to sanitation onlyaccount, at the annually scale, for 12% of SeineRiver contamination.
AbstractBisphenol A: first results on Seine River basin
M. CLADIÈRE, J. GASPERI, C. LORGEOUX, C. BONHOMME, V. ROCHER, M. TROUPEL, B. TASSIN