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ETUDE ARCHEOGEOGRAPHIQUE DU LIGET

Date post: 28-Jan-2023
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ETUDE ARCHEOGEOGRAPHIQUE DU LIGET Par Rémi LEQUINT et Anthony GRILLOT INTRODUCTION L’implantation des établissements monastiques cartusiens répond à une logique d’implantation guidée par l’exemple de la maison mère. Les règles d’implantation répondent aux besoins de la communauté : l’isolement et la proximité des ressources, la principale étant l’eau, d’où la devise « L’eau dans un désert ». La Grande-Chartreuse est implantée dans une vallée alpine encaissée qui alimente le ruisseau de Saint Bruno. La correrie située en aval du monastère établit le lien entre le désert et l’extérieur. Les limites du territoire cartusien dans le massif de la Chartreuse s’identifient facilement par les lignes de crêtes des vallées qui par leur escarpement établissent bien les frontières du domaine. L’ensemble du territoire à l’intérieur ses limites va s’organiser pour gérer les ressources et assurer au monastère un fonctionnement sans perturber la vie monastique. Au Liget, l’implantation de la chartreuse va suivre le plan de la Grande Chartreuse, mais avec ses spécificités régionales. Le Liget est située dans un paysage rural marqué par la présence de zones boisées et agricoles entre plateaux et vallons encaissés. L’espace cartusien est originellement situé dans un « désert », coupé du monde pour permettre aux moines chartreux de se consacrer à la foi. Mais il est également caractérisé par l’eau car le désert cartusien ne représente pas un espace stérile mais au contraire, le territoire des chartreux doit permettre à la communauté de subvenir à ses besoins. Donc à partir d’un espace caractérisé par son milieu naturel, les chartreux vont se l’approprier, le délimiter et le gérer pour qu’il devienne leur territoire en particulier. Il s’illustre ici par la fondation de la Chartreuse du Liget dans une clairière de la forêt de Loches. Le milieu sera structuré, organisé et géré pour parvenir à répondre aux besoins que nécessite un établissement monastique pour sa subsistance. Le territoire des chartreux du Liget va donc nous intéresser ici afin de mettre en évidence les relations qui sont apparues et se sont développées entre les hommes et le milieu et leurs impacts spatiaux. L’approche passe par l’origine de l’implantation qui va occasionner la structuration et l’organisation du territoire puis par le décryptage de la gestion du domaine par ses conséquences sur le paysage.
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ETUDE ARCHEOGEOGRAPHIQUE

DU LIGET

Par Rémi LEQUINT et Anthony GRILLOT

INTRODUCTION

L’implantation des établissements monastiques cartusiens répond à une logique d’implantation guidée par l’exemple de la maison mère. Les règles d’implantation répondent aux besoins de la communauté : l’isolement et la proximité des ressources, la principale étant l’eau, d’où la devise « L’eau dans un désert ». La Grande-Chartreuse est implantée dans une vallée alpine encaissée qui alimente le ruisseau de Saint Bruno. La correrie située en aval du monastère établit le lien entre le désert et l’extérieur. Les limites du territoire cartusien dans le massif de la Chartreuse s’identifient facilement par les lignes de crêtes des vallées qui par leur escarpement établissent bien les frontières du domaine. L’ensemble du territoire à l’intérieur ses limites va s’organiser pour gérer les ressources et assurer au monastère un fonctionnement sans perturber la vie monastique. Au Liget, l’implantation de la chartreuse va suivre le plan de la Grande Chartreuse, mais avec ses spécificités régionales. Le Liget est située dans un paysage rural marqué par la présence de zones boisées et agricoles entre plateaux et vallons encaissés. L’espace cartusien est originellement situé dans un « désert », coupé du monde pour permettre aux moines chartreux de se consacrer à la foi. Mais il est également caractérisé par l’eau car le désert cartusien ne représente pas un espace stérile mais au contraire, le territoire des chartreux doit permettre à la communauté de subvenir à ses besoins. Donc à partir d’un espace caractérisé par son milieu naturel, les chartreux vont se l’approprier, le délimiter et le gérer pour qu’il devienne leur territoire en particulier. Il s’illustre ici par la fondation de la Chartreuse du Liget dans une clairière de la forêt de Loches. Le milieu sera structuré, organisé et géré pour parvenir à répondre aux besoins que nécessite un établissement monastique pour sa subsistance. Le territoire des chartreux du Liget va donc nous intéresser ici afin de mettre en évidence les relations qui sont apparues et se sont développées entre les hommes et le milieu et leurs impacts spatiaux. L’approche passe par l’origine de l’implantation qui va occasionner la structuration et l’organisation du territoire puis par le décryptage de la gestion du domaine par ses conséquences sur le paysage.

1. L’implantation monastique, présentation propriétaires et usagers

Figure 1. Le bassin de l’Aubigny. 1

1.1. L’occupation antérieure à la chartreuse

Ormis les vestiges préhistoriques de la vallée de l’Indrois, les premières traces d’occupation du site du Liget se trouvent à Chambaudon en périphérie de la forêt de Loches. Le site Gallo-romain de Chambaudon correspond au premier défrichement attesté du secteur2. Dans le cœur de la forêt un second site apparait à l’Ouest de l’étang de Marigny (Figure 3), le fossé qui longe le domaine des chartreux le contourne légèrement, alors que les chemins modernes qui quadrillent la forêt lui coupent un de ses côtés. Une levée de terre délimite le site découpé en deux parties attenantes. Peu de vestiges fournissent d’information sur sa datation. Au cours du XIe siècle, une communauté s’était déjà installée près de la Chapelle

1 Source : d’après l’IGN 2011 - www.geoportail.fr. 2 Jacquet, G., 2003. La forêt en Val de Loire aux périodes préindustrielles : Histoire, Morphologie, Archéologie, Dendrologie. Thèse de Doctorat, Université de Tours, 565 p.

Saint Jean autour d’un ermitage. Les travaux de prospection qui ont été menés à proximité de la Chapelle (op. cit. Jacquet, 2003) montrent un site enclos par un fossé avec la présence en surface de matériel archéologique datant du Xe et XIe siècle (Figure 2). Une première occupation érémitique est donc présente sur le site dit des Renfermés. Il est délimité par un fossé formant un quadrilatère (Pointillés rouge sur la Figure 3 et Figure 4).

Figure 2. Matériel céramique datant du Xe-XIe siècle et provenant du site des Renfermés

Source : Jacquet 2003.

Avant l’arrivée des Chartreux, le site va connaitre une première mise en valeur. Les données historiques montrent que la communauté présente sur le site avait commencé les défrichements avec l’ouverture de la clairière du Liget (op. cit. Jacquet, 2003). Au cours du XIIe siècle, l’abbaye de Villeloin va acheter les terrains et les délimiter par un fossé. Les moines vont continuer d’étendre la clairière du Liget qui va pouvoir accueillir la Chartreuse. A proximité du site de la Tuilerie, la limite de la clairière est matérialisée dans la forêt par la présence d’une levée de terre. Elle illustrerait les limites de la clairière originelle. L’espace était donc déjà occupé, défriché et géré avant l’arrivée des chartreux au moins à partir du Xe siècle.

Figure 3. Les anomalies topographiques de la partie Nord-Est de la forêt de Loches.

Figure 4. Extrait de la Carte de course d’orientation centré sur le site des Renfermés3.

3 Comité Départementale d’Indre et Loire de Course d’Orientation, 1996, carte N°3734.

1.2. L’installation des chartreux

1.2.1. Des terres héritées

La Chartreuse est fondée entre 1181 et 1189, les conditions d’implantation répondent aux contextes politiques et religieux de l’époque qui est laissé à l’étude des historiens. Lors de la fondation de la Chartreuse 700 arpents4 de terres sont données par l’abbaye de Villeloin, elles seront ensuite payées par le roi entre 1176 et 1183. La forêt de Loches devient propriété du roi de France en 1205, elle le reste jusque la Révolution. Le roi donne le fief à Dreux de Mello lors du XIIIe siècle5. Les cantons qui ont été donnés portent les noms à l’époque moderne du Bois Revenant, le Chatellier, la Vallée des Pierres, les Sept frères, les Houssières, les Renfermés, le Pas aux Anes, les Hauts Bois, le Bois brulé, Marigny et la Vente à canons. Le don des terres réserve les droits de vœux dans l’emprise des fossés dans la forêt et également sur les métairies. La forêt de Loches dépend de deux propriétaires aux époques médiévales et modernes que sont le roi d’Angleterre puis de France et la Chartreuse du Liget. Les limites de la forêt sont restées stables depuis la fin du XVIe siècle.

1.2.2. La délimitation du territoire

Dans le fonctionnement d’une Chartreuse plusieurs espaces apparaissent, le terminii monasteri qui correspond au monastère, le terminii spaciementa qui délimite l’espace de promenade en dehors du monastère et le terminii possessorum qui englobe les possessions qui ne sont pas forcément contiguës. Nous laissons de côtés les limites du monastère qui sont bien connues et celles des possessions que nous aborderons plus tard pour l’espace proche. Ce sont les limites du spaciement qui vous nous intéresser. Elles marquent l’extension du désert de Chartreuse. Pour la Grande-Chartreuse, les limites du désert correspondent aux lignes de crêtes bien marquées qui entourent la vallée du monastère. Des bornes régulières jalonnent les crêtes du Massif. Mais la topographie tourangelle étant sensiblement différente à celle des Alpes, les limites doivent être plus marquées pour pouvoir bien être identifiables. C’est pourquoi elles sont matérialisées par un fossé. Comme il a été évoqué, les Chartreux possèdent les terres à l’intérieur du tracé des fossés. Ils vont marquer la délimitation avec la forêt royale. L’étude des documents figuratifs anciens montre la présence d’un élément linéaire qui peut correspondre à la limite. Les plans des possessions de la Corroirie de 16806 montrent bien une limite depuis Chambaudon jusque Marigny (Figure 5 : ligne rose). Sur la carte de Cassini (Figure 6), nous pouvons observer qu’il y a un élément linéaire depuis le lieux–dit de la Bauge au Nord-Ouest du Bois de la Chartreuse jusqu’à l’étang de Marigny.

4 Unité de mesure de surface valant ½ ha. 5 ADIL H167 : T5, XXVIII 160b et T1, 15 6 ADIL H 195 ADIL H 197 fol 2 r° Arpantage figuré de la Chartreuse du Liget de ses Bois, Prez, vignes, Estangs et Métairies et de tous les héritages qui sont dans le fief de la Courerie avec leur contenue et le devoir au quel ils sont subjets

Figure 5. Assemblage des plans des possessions de la Corroirie en 16807.

La limite présente sur les plans anciens se retrouve sur la carte IGN actuelle, elle est symbolisée comme un élément linéaire quelconque et dénommée le fossé des Chartreux. Il importait donc de savoir si cet élément existait encore actuellement et quelles étaient ses caractéristiques, c’est pourquoi l’étude s’est orientée vers l’analyse topographique. Les cartes de courses d’orientation de la forêt de Loches sont des bons éléments pour détecter ces anomalies topographiques. Elles sont réalisées afin de fournir un document permettant de se déplacer en se localisant rapidement dans l’espace. Tous les éléments qui peuvent servir à l’orientation sont indiqués (chemins, végétation, topographie, éléments anthropiques…). Un

7 Travail d’Anthony Grillot d’après : ADIL 37 H197 fol 13 r° « Arpantage figuré de la Chartreuse du Liget de ses Bois, Prez, vignes, Estangs et Métairies et de tous les héritages qui sont dans le fief de la Courerie avec leur contenue et le devoir au quel ils sont subjets »

relevé de précision est indispensable à la réalisation d’une carte pour quelle puisse être exploitable. Les cartes réalisés entre le 1/5 000ème et le 1/15 000ème vont illustrer tous éléments présents sur le terrain de plus de 50 cm dans leur plus grande longueur. La carte de course d’orientation représente donc un outil important et fiable dans l’étude des anomalies topographiques. Elles correspondent à des éléments topographiques dont l’origine ne peut être naturelle. Elles sont classées entre les anomalies ponctuelles et linéaires, ces derniers vont nous intéresser ici. En observant la carte un des éléments est composé d’un fossé et d’une levée de terre parallèles entourant une partie de la Chartreuse. L’anomalie topographique est marquante car elle n’est pas réalisée dans le sens du drainage d’un secteur car elle recoupe des vallons sans prendre en compte les sens d’écoulement. L’ensemble formant une limite bien identifiée et identifiable dans le relief. Il apparait donc que cela serait la limite du terminii spaciementa ce qui a été confirmé par la prospection pédestre (Figure 7).

Figure 6. Extrait de la Carte de course d’orientation8.

Le tracé en rouge souligne l’anomalie topographique marquant la limite du territoire des Chartreux.

Dans sa majeure partie la limite apparait comme un fossé et une levée de terre du côté intérieur du domaine cartusien, ce qui est vrai pour toute la partie Ouest et Sud, mais ils y a

8 Comité Départementale d’Indre et Loire de Course d’Orientation, 1985, carte N°3713.

quelques variations sur les autres parties. A partir du coin Sud-Est, un nouveau fossé démarre vers l’Est puis disparait peu à peu. Il peut s’agir d’un second état des possessions du bois. A partir du même coin, la limite Est du domaine qui semble le mieux correspondre à celle qui apparait également sur les plans anciens change de caractéristiques. Elle devient un ensemble de deux levés de terre parallèles qui passe à un moment à deux fossés jusque la terminaison orientale du Bois. Il apparait souvent qu’un ensemble de levée de terre marque un chemin traversant un bois, hypothèse émise par G. Jacquet (2003) et qui marquerait logiquement un chemin longeant le domaine. La limite est jalonnée de quelques bornes restantes dans des états de conservation variables et dont la datation n’est pas possible, même si certaines bornes apparaissent sur les plans de 1620. En dehors de la forêt, des haies limitaient le territoire des Chartreux au niveau des métairies, mais elles ne sont pas assez régulières pour montrer une organisation visible. Des bornes de délimitation peuvent jalonner l’extérieur du territoire comme c’est le cas dans la partie Est.

Figure 7. Photos du de la limite du terminii spaciementa du Liget.

Gauche : vue du fossé et de la levée de terre, droite : vue d’une des bornes présente à l’extérieur de la limite.

L’étude des anomalies topographiques a mis en évidence la présence de ces fossés de délimitation jalonnés par des bornes. Les textes montrent que ces limites sont antérieures à l’implantation de la Chartreuse, mais elles n’ont pu perdurer jusqu’aujourd’hui qu’avec un entretien régulier.

1.2.3. Les voies de communication

Les routes et chemins vont avoir leur importance dans l’organisation du territoire cartusien. Les plans et cartes sont les principales sources de l’étude de la hiérarchie viaire du territoire. Actuellement la route de Montrésor à Loches passe par la Corroirie et longe la digue de l’étang de la Corroirie avant de partir vers la Chartreuse. Cette configuration est très récente et la configuration originelle en est tout autre. Les plans des possessions de la Corroirie en 1680, fait un état des voies de communications dans le domaine des Chartreux (Figure 5).

La voie principale est celle de Loches à Montrésor, en venant de Montrésor, elle passe par le Pont aux Chèvres puis traverse le bois en direction de l’angle Sud de la Chartreuse sans passer par la Corroirie. Sa présence dans la forêt et son importance sont attestées par les deux levés de terres, admises comme des anomalies topographiques qui suivent le tracé de l’ancienne route (Figure 3). Elle traverse le domaine et continue vers la forêt royale par la passée des Regus (Figure 5). Elle se retrouve sur les plans du domaine de la Chartreuse de la fin du XVIIe siècle (Figure 8 et 10). La carte de Cassini montre une rupture dans la continuité de la route entre le Pont aux Chèvres et la Chartreuse, traduisant soit un faible entretien soit que son utilisation était plus limitée (Figure 11). Pour les portions représentées, les figurés illustrent qu’elle n’était pas empierrée. La carte d’Etat-major, dont les relevés ont été établies en 1840 pour la feuille de Loches, montre que la route principale est la même que l’actuelle, elle est empierrée et l’ancienne route de s’est transformée en chemin (Figure 13). Pour le réseau secondaire, les plans anciens en particulier la série H 197 qui a été numérisée et assemblé montre un réseau établi entre les métairies et qui va aboutir à la Corroirie et à la Chartreuse dans une moindre mesure. Il va permettre d’assurer le lien avec l’extérieur.

La route actuelle qui va de la Corroirie à la Chartreuse est très récente. Lors de la période d’activité du monastère, il est logique que la route principale qui traverse le domaine ne desserve pas directement l’entrée du monastère afin de ne pas perturber la quiétude des chartreux. C’est pourquoi la Corroirie possède cette relation privilégiée avec la Chartreuse. Elle assure les relations avec l’extérieur jusqu’au XVIIe siècle et cela est observable dans l’organisation du réseau de communication. Depuis le Pont aux chèvres, où arrive la route de Montrésor, un diverticule s’oriente vers la Corroirie. Les plans les plus anciens montrent que le chemin passait sur la digue et venait traverser l’Aubigny avant de passer un pré pour arriver face au pont-levis. Le cadastre Napoléonien confirme cette organisation, mais à partir de 1840, la carte d’Etat-major montre une évolution avec la route principale qui ne passe plus dans le bois mais qui utilise l’ancien chemin de la Corroirie à la Chartreuse. De la même sorte, le plan de l’étang vers 1900 illustre qu’il y a toujours présence d’un chemin qui accède face au pont-levis par un ponceau chevauchant l’Aubigny. Mais il indique également un nouveau chemin qui accède directement dans la cour principale de la Corroirie. Vers l’aval l’étude du réseau parcellaire ne met pas en évidence la présence d’un chemin. L’accès par le pont-levis était donc, au moins à partir de la fin du XVIIe siècle, le point d’accès principal de la Corroirie. Il est à mettre en lien avec le réseau hydraulique avec lequel il vont former le système de défense de l’établissement.

Figure 8. Extrait du plan géométrique et arpentages du domaine de la Chartreuse9.

Figure 9. Extrait du plan de la Corroirie en 168010.

9 ADIL H. 198. registre. 1672-1675 ; 25 plans. Plans et arpentages des domaines de la chartreuse. (A.D. II, 124) 10 H. 195. registre +1680 ; 13 plans. Etat des fiefs de la Couroirerie. (A.D. II, 124)

Figure 10. Extrait du plan des coupes pour la provision de la Chartreuse, XVIIIe siècle11.

Le plan indique les dates de coupes réalisées ultérieurement dans le bois.

11 ADIL H 174 Abbaye du Liget, Plan et arpentages, XVIIe siècle (56 pièces)

Figure 11. Extrait de la Carte de Cassini de 1753.

Figure 12. Extrait du cadastre Napoléonien de 1812.

Figure 13. Extrait de la Carte d’Etat-major de 184012.

12 Source : www.geoportail.fr

Figure 14. Extrait du plan de l’étang de la Corroirie13.

La clairière du Liget rassemble les conditions d’implantation d’un monastère cartusien. La forêt de Loches apporte l’isolement nécessaire autour de la clairière créé au sein d’un vallon alimenté par le Liget. Mais leur impact va dépasser largement le simple vallon du Liget. La possession des terres va leur assurer la totalité de leur gestion. Ils ont pouvoir bénéficier des ressources afin d’assurer leur autonomie, les métairies vont également avoir un rôle dans l’approvisionnement de la Chartreuse et de la Corroirie.

2. Gestion des ressources du territoire et impact spatial

Les chartreux ont acquis un espace qui a été délimité, mais les processus d’appropriation de cet espace seraient incomplets dans le processus de création d’un territoire sans une gestion adaptée.

2.1. Les ressources forestières

L’insertion de la Chartreuse dans la forêt de Loches implique nécessairement une importance de la ressource en bois. La forêt assure l’approvisionnement des seigneuries locales, le bois sera utilisé pour chauffer, construire mais également pour assurer une source de revenus aux chartreux lorsque cela était nécessaire. Comme en 1280 où les chartreux qui n’ont pas assez de revenus sont obligés de vendre leur bois. Au Moyen Age, la forêt va alimenter en bois les villes de Loches, Chémillé sur Indrois, Saint Quentin sur Indrois, Perrusson, Saint Senoch et Mouzay. Il servait à la confection de pièces de menuiserie et de charpente. L’étude du bois de la charpente de l’Hôtel de Ville de Loches montre qu’il provient de la forêt des chartreux. L’analyse dendrologique a permis de mettre en évidence

13 ADIL S 4307 Plan de l’étang de la Corroirie XIXe XXe

qu’il a été acheté, coupé et charroyé entre 1540 et 1542 et qu’il a poussé dans une futaie dense. A l’époque moderne un procès-verbal de réformation (op. cit. in Jacquet, 2003) indique que les Chartreux sont les derniers occupants particuliers qui exploitent leur bois, tout le reste est destiné à la ville de Loches où il est débité. En 1788 et 1789, les chartreux vendent le bois de la Futaie des Barrières et du Grand Renfermé à respectivement un tuilier, un vigneron et un laboureur de Chemillé14. Les baux montrent que le teneur de la tuilerie peut acheter son bois dans les ventes du bois des Chartreux, mais n’y a pas le droit d’usage.

Pour la gestion forestière, le traitement majoritaire en taillis est mentionné jusqu’au XIVe siècle. Alors qu’à partir du XVIIIe siècle, la futaie est privilégiée. La figure 5 et le traitement des données des plans d’arpentages illustrent que la totalité du bois des chartreux est traitée en futaie (689 arpents) alors que les taillis apparaissent dans les ilots boisés insérés dans les terres agricoles (92 arpents). Le traitement en futaie est associé à la volonté de vouloir augmenter la production de bois d’œuvre. Les chartreux assurent la gestion de toute leur forêt illustrée par de nombreux actes15. Les plans de la forêt royale de Loches montrent bien la séparation avec le bois des Chartreux qui n’est pas représenté. Ils en assument la protection des zones de régénération16. Les quantités maximales de coupent sont également déterminées (100 arpents au XIVe siècle). Les plans du domaine qui vont apparaitre au XVIIe siècle illustrent bien la gestion des coups qui est faite (Figure 10). Gaëlle Jacquet (2003) fait le constat que l’ancien bois des chartreux dont le parcellaire a été préservé montre actuellement de plus beaux arbres que dans l’ancienne forêt royale. Elle pourrait être liée à la différence de pratiques et de gestion sylvicoles qui aurait renforcé la régénération naturelle de la forêt et ainsi favoriser la qualité des peuplements, même si il n’existe pas de source directe sur les pratiques sylvicoles cartusienne au Liget, mais également dans le reste des Chartreuse. Il n’est donc pas possible de suivre l’évolution des caractères sylvicoles (Peuplement, essences, sols…) avec précision dans le bois des Chartreux comme cela a pu être mené dans le reste de la forêt de Loches (op. cit. Jacquet, 2003).

14 ADIL 3E52/210 et 211 15 ADIL H167, XIV 125 TIII 16

H167 : XX126b TIII Acte du roi de France en faveur des Chartreux du Liget en 1312

Figure 15. Extrait du plan de la forêt royale de Loches17.

2.2. Les espaces non-forestiers

En dehors de la forêt, la gestion des espaces est répartie entre les métairies. Chaque métairie possède son espace à gérer qui s’organise autour de la zone d’habitation principale avec son verger entourée des espaces agricoles, avec les près et pâtures en périphérie et parfois des productions viticoles sur les coteaux. Les fonds de vallée sont indiqués en prairies ou friches mais relèvent en réalité des landes qu’il est difficile d’appréhender tant au niveau de leur surface que de leur répartition. Les fonds de vallées avec les formations alluviales récentes (1,8 Ma – actuel) sont peu exploités car composés d’argiles à silex issues de la dégradation des formations anciennes, ils sont donc peu fertiles. Ils vont donc composés des corridors orohydrographiques bien présents dans le parcellaire. Par contre les formations de versants ainsi que les calcaires vont accueillir les espaces agricoles en lien avec la fertilité des sols qui en découlent.

17 Gallica.bnf.fr

Dénomination Surface en arpents

Bois de haute futaie 689

Taillis 91 arpents 68 chaisnées

Vigne 41

Prés 50

Labourages 1628 ?

Total 2 500

Figure 16. Tableau de répartition des usages de la terre dans le fief des Chartreux18.

Voici la liste des métairies gérées par la Corroirie du Liget :

Le Boulay, la Chappeliere, Chambaudon, La Donerie, La Gaillardière, la Garmouzière, La Grangette, Gouart, Grangette, Marigny, Les Tranches, La Thuillerie, La Villatte, Le Groschesne, Le moulin des roches, la Tourtoirie, la Guignaudière.

Chacun de ces labourages correspondent à des feux auxquels il faut ajouter une vingtaine de feux dispersés dans les différents endroits suivant : la Fouettière, le petit Gouard, les Rouëres, le petit Marigny, la Frotinerie, les Bereaux, la Croix, Lousche, le Plessis. Les recherches en démographie historique récente nous montrent qu’un feu correspond à une moyenne de 4,5 à 5 personnes. Si l’on multiplie cette moyenne par le nombre de feux nous arrivons à environ 200 personnes qui occupent de manière permanente la seigneurie du Liget. Ajoutons à cela la communauté cartusienne proprement dite à savoir une trentaine de personnes en maison haute et une dizaine de personnes vivant à la Corroirie. Notons également que la seigneurie du Liget est entourée par des petits hameaux et de petits villages d’où proviennent surement la main d’œuvre agricole journalière nécessaire à l’exploitation des terres. Ces indications démographiques seront bien sûr à affiner avec des données régionales plus précises et sont valables pour la période qui nous intéresse (la seconde moitié du XVIIe siècle). Période durant laquelle les progrès agricoles sont déjà importants et où le nombre de personnes nécessaire à l’exploitation d’une pièce de terre est réduit par des innovations techniques et la meilleure qualité du bétail de traction.

2.3. Les ressources du sous-sol

Les anomalies topographiques ponctuelles donnent des indications sur l’utilisation du sol qui était faite. Les carrières de pierres facilement identifiables se retrouvent régulièrement au niveau des abrupts rocheux et falaises. Le paysage actuel repose sur le massif tertiaire de Tuffeau de Touraine (Figure 17). L’installation d’un régime marin transgressif dans une mer peu profonde avec des conditions de forte énergie en est à l’origine. Il est épais d’une centaine de mètres et correspond à l’étage du Turonien (93 Ma) qui tient son nom de la Touraine. Il est ici représenté par des calcaires bioclastiques glauconieux à silex bruns caractéristiques du Tuffeau jaune. Le calcaire gréseux est réputé pour la construction. La plus vaste carrière se situe au niveau du Moulin des Roches au Nord de la Corroirie. Une seconde carrière est beaucoup plus proche, elle se situe entre le Boulay et le Pont aux chèvres sur l’abrupt qui fait face à l’étang de la Corroirie. Ces grandes carrières ont été exploitées pour les pierres de construction dans les affleurements du fameux calcaire turonien.

18 Travail réalisé par Anthony GRILLOT d’après les plans d’arpentage du fond ADIL H197.

Les autres sites d’extraction se situent dans la forêt en grande partie à proximité de la Tuilerie du Liget. Sa construction est attestée depuis au moins le XVIIe siècle. Elle a cessé son activité en 1939. Lors de la période de fonctionnement du monastère, c’est la seule métairie qui n’est pas gérée directement par les chartreux et qui est située au cœur de la clairière du Liget. Sa localisation répond à la proximité de la matière première. Comme son nom l’indique elle servait à la production de tuiles, mais également de briques, chaux et elle servait pour la lessive de la Chartreuse et de la Corroirie. Les zones d’extraction se situent toutes dans la partie boisée. L’absence de zone d’extraction dans les espaces découverts ne prouve pas qu’il n’y en ait pas eu. Car le sol étant composé des mêmes sédiments et roches à l’intérieur et à l’extérieur de la forêt, il serait logique de croire qu’il y eu des zones d’extraction à proximité immédiate de la tuilerie. Elles auraient donc pu être comblées et nivelées, soit volontairement soit par le travail du sol lié à l’agriculture. La faible dynamique des sols forestiers a donc permis de préserver les traces de l’exploitation ancienne au même titre que les fossés anciens qui bordaient les chemins et ceux qui limitaient le territoire des chartreux. Les zones de calcaires turoniens se situent entre les milieux de versant et sous le haut des plateaux. Leur dégradation créée sur les bas de versants des dépôts sableux et argileux qui sont faiblement exploités. Il n’apparaît que deux zones d’extraction de ces sédiments au Sud du Pont aux chèvres. Ils peuvent correspondre à des extractions de minerais de fers qui alimentaient les forges de la Guinanderie près du Boulay. Sur le plateau autour de la tuilerie, de nombreuses zones d’extraction ont été détectées, elles correspondent à de vastes dépressions à flancs raides partiellement comblées mais bien marquées dans le paysage. Une quinzaine d’anomalies ont été détectées. Elles peuvent être séparées en deux groupes, un premier qui comprend les anomalies situées sur le limon de plateaux et un second avec les anomalies sur le Tuffeau.

Le limon de plateau est composé d’argile blanche à silex et spongiaires siliceux. Il est issu de l’altération en surface sous forme d’argile sableuse du calcaire turonien et des apports de limons issus de la succession des épisodes glaciaires et interglaciaires durant le Pléistocène (2 Ma – 18 000 BP19). Il montre une fertilité limitée liée au lessivage important des sols qui explique en partie la localisation des parties boisées. Sa fraction argileuse étant dominante il va alimenter la tuilerie pour la production de terres cuites. Quatre zones sont identifiées dans la parcelle des Renfermés à proximité directe de la tuilerie.

Les autres zones d’extraction se situent à une plus grande distance de la tuilerie, ces dernières sont localisées sur les zones de calcaires qui vont alimenter la production de chaux de la tuilerie. Elles ont également pu servir de carrière de pierres de construction.

19 BP : Before Present, le présent représentant en Géologie le 1er janvier 1950.

Figure 17. Carte géologique simplifiée au niveau de la Chartreuse du Liget.

2.4. Eau et environnement

La présence de l’élément hydraulique répond aux besoins de la communauté et sa gestion est indispensable pour commander la disponibilité est assurer les besoins tout au long de l’année. L’eau est importante déjà pour sa consommation, pour les activités, pour sa ressource halieutique, d’autant plus que les chartreux ne consomment pas de viande, mais également comme élément moteur et comme support de la défense militaire. La régulation du débit d’un cours d’eau passe par des réseaux d’étangs. L’effet de stockage est le principal facteur de modification de l’écoulement. Plus les étangs sont nombreux et plus leur impact est élevé. Actuellement, ils sont au nombre de six sur le cours de l’Aubigny et il y en a un seul sur le Liget. Comme il a déjà été abordé, les fonds de vallées sont composés d’argiles à silex. Ces corridors orohydrographiques sont à la fois des espaces de friches délaissés du fait de leur faible fertilité mais également des espaces tampon dans la dynamique fluviale. Les fonds de vallées imperméables favorisent la création des étangs. Les étangs sont accompagnés par un réseau d’écluses disséminées sur tout le territoire, certaines encore en activité et d’autres abandonnées comme l’écluse en amont de l’étang de la Corroirie (Figure 18). La régulation des débits est faite à dessein économique. Elle est historique et a permis de gérer les ressources en équilibrant les crues et les périodes d’étiages. Elle permet de garder des réserves durant la période estivale et d’écrêter les hauts niveaux d’eau hivernaux et donc les inondations.

Le cours d’eau originel est celui du Liget qui a donné son nom à la chartreuse. Son bassin versant restreint limite la disponibilité en eau. Actuellement l’étang du Pas-aux-ânes est encore présent mais lors du XVIIe siècle les plans montrent que deux étangs étaient présents directement en amont et en aval de la chartreuse (Figures 8 et 10). Il y avait l’étang de l’Abreuvoir en amont et l’étang du Marjollet en aval. La disponibilité en eau du cours du Liget était trop faible pour permettre à la communauté d’avoir une ressource suffisante. Le Liget s’assimile actuellement à un fossé humide. Le petit âge glaciaire qui s’est développé entre le début du XIVe siècle et le milieu du XIXe siècle était une période plus humide et plus fraîche. Mais malgré cela le cours du Liget était tout de même limité car il n’apparaît pas de manière plus significative sur les documents planimétriques. Pour pallier à la disponibilité en eau, les chartreux ont investi les cours d’eau et les bassins versants alentours. Le site de la corroirie acquiert toute son importance dans la gestion de l’eau du domaine. Il est situé à la confluence entre le Liget et l’Aubigny. Ce dernier possède un bassin versant plus étendu qui dépasse les limites de la forêt de Loches. Sa gestion est ancienne20 et il montre actuellement cinq étangs dont trois sont attestés à l’époque moderne, l’étang de Marigny, l’étang de Pézières et l’étang de la Corroirie. La situation de la corroirie n’est pas anodine, elle est située sur un site de confluence, relativement plat sur une terrasse alluviale ancienne subhorizontale avec une faible pente vers la zone alluviale. Elle est composée d’alluvions sableuses et graveleuses holocène recouvertes par les dépôts sableux et limoneux de la dernière glaciation du Würm (115 000 à 18 000 BP). Le complexe a été mis en place par les cours d’eau actuel et représente une épaisseur de 3 à 6 m. Il est composé de sables fins, limons et argiles riches en matières organiques21. Le site de la corroirie est une zone de confluence importante dans la dynamique alluviale. C’est un goulet naturel favorisant la baisse de vitesse des cours d’eau et donc le dépôt des sédiments. L’étranglement créé est à l’origine de la terrasse alluviale. Avant la création de l’étang, la Corroirie était située sur un site potentiellement marécageux. Car une terrasse alluviale sur un site de confluence marque souvent la formation d’un marécage avec la divagation des cours d’eau sur un sol imperméable. Cette situation est confirmée par le sondage réalisé au niveau de la Corroirie (Figure 18). Le niveau argileux bleuté avec développement racinaire est un gley de marais. Donc le site de la Corroirie était un marais, il est vrai à une période indéterminée mais en tout cas postérieure au Pléistocène (18 000 BP), période à laquelle la falaise en arrière de la corroirie a été créée par une boucle de méandre. La présence d’un marais n’est pas favorable à l’installation d’une communauté. Mais le niveau supérieur d’argile blanche avec débris organiques sur 50 m marque un arrêt net de la dynamique marécageuse avec un passage à un comblement lent et régulier sans crise marquée du fait de son uniformité. Le site anciennement marécageux a donc eu besoin rapidement d’un assainissement. La création de l’étang de la Corroirie date certainement au minimum de la fondation de la Chartreuse. Car la création d’un étang dans cette position possède plusieurs avantages. Elle permet d’assainir le site impropre à l’installation et de créer un verrou naturel à l’entrée du désert de chartreuse. Le rôle de la corroirie est d’établir le lien entre le monastère

20 Lorans, E., 1996. Le Lochois du haut Moyen Âge au XIIIe siècle. Territoires, habitats et paysages, Tours, Publications de l’Université de Tours, 290 p. 21

BRGM, 1990. Notice explicative de la feuille de Châtillon-sur-Indre à 1/50 000. Orléans, 38p.

et l’extérieur. Nous avons vu que le désert est limité au Sud, à l’Est et à l’Ouest par la forêt. Dans cette configuration la corroirie est dans une position stratégique, elle a une position de verrou pour limiter l’accès à la chartreuse. C’est également pour cela que sa fonction militaire est importante. La régulation des flux apporté par la gestion de l’eau a été favorable à la vocation militaire et économique de la corroirie. Par ailleurs, il apparait que sur le cadastre napoléonien, la présence d’un bassin au contact amont de la corroirie atteste que cet espace a connu un comblement postérieur assez important pour pouvoir y installer la route qui accède dans la cour actuelle et qui n’existait pas auparavant.

Figure 18. Coupes stratigraphiques dans le périmètre de la Corroirie22.

22 Source (log du Pont aux chèvres) : BRGM, 2011 – infoterre.brgm.fr

Figure 19. Carte géologique simplifiée du site de la Corroirie23.

23 Source : d’après le BRGM, 2011 - infoterre.brgm.fr

Conclusion - L’évolution du paysage : une gestion séculaire

L’implantation des moines de saint Bruno sur le site de Liget ne répond pas au hasard. La clairière du Liget occupée et entretenue depuis le XIe siècle était un site rural idéal pour accueillir la communauté. Le désert est produit par la forêt de Loches et l’eau est apportée par la Liget mais également par le cours de l’Aubigny et ses affluents. Même si les chartreux n’ont pas été les instigateurs de la gestion et de la limitation de cet espace il apparait qu’ils vont en être les principaux acteurs. Le processus de territorialisation d’un espace passe par une appropriation, une gestion ainsi qu’une protection. Et ce processus va se perpétrer jusqu’à aujourd’hui et modeler le paysage à l’image des chartreux. Au premier regard on note la dichotomie qui existe dans le paysage entourant la Corroirie. Au sud et à l’Ouest, nous observons un paysage forestier dense avec un maillage routier et des communications réduites c’est également un territoire ou l’eau tient une place importante. Les étangs font partie intégrante du territoire aménagé par les moines. Ne nous trompons pas, même si ce territoire boisé peut paraitre sauvage et se recoupe avec le désert cartusien il n’en est pas moins un territoire façonné par l’homme et moteur de ressources pour la communauté monastique. La forêt produit le bois utilisé pour le chauffage des cellules et les cheminées de la Corroirie. Les étangs sont soumis à contribution car au-delà de la ressource en eau se sont des pêcheries qui fournissent aux chartreux du poisson, base de leur alimentation. Ils vont également alimenter les fonctions économiques et militaires que va avoir la Corroirie au cours du temps. Le paysage au Nord et à l’Est est bien différent, nous sommes sur le territoire des exploitations agricoles gérés par les métayers. Le schéma se répète de manière assez régulière. Au centre se trouve la métairie qui est en réalité une grosse ferme siège de l’exploitation agricole avec une parcelle de jardin et un carré de vigne en particulier au Nord de la Corroirie. Autour et de manière relativement concentrique, les champs où travaillent le métayer, sa famille et quelques ouvriers agricoles durant les périodes de récoltes ou de semis. Au-delà d’une zone pouvant être exploité par cette exploitation se trouve une autre métairie qui prend le relais. Et ce environ tous les 500 mètres jusqu’aux limites du fief. Par le biais des relations que les chartreux ont mis en place au sein de leur territoire, ils sont les acteurs de leur paysage. Ils ont su instauré un échange fonctionnel avec leur environnement dans un souci de préservation qui va de pair avec la pratique contemplative cartusienne. La gestion différenciée du territoire qui a été le leur jusqu’à la période révolutionnaire garde leur empreinte. Cela se retrouve encore avec l’impact de la gestion différencié entre la forêt royale et le bois des chartreux qui garde les plus essences du domaine forestier. La gestion des espaces prend en compte également par la composition du substrat. Les fonds de vallées et les zones humides composées d’alluvions argileux vont accueillir les étangs et les friches inscrites dans le corridor orohydrographique. Les zones fertiles des versants et des parties les plus basses des plateaux sont occupées par les cultures, alors que les espaces boisés appartiennent au terrain de sols plus pauvres mais non moins exploités pour les ressources du sol utiles pour les matériaux de constructions. Le paysage de la Corroirie du Liget garde donc l’empreinte cartusienne qui transparaît dans la sérénité que le site inspire tout en gardant en bruit de fond le tumulte des eaux qui n’est pas sans rappeler les fonctions économiques, militaires et juridique de la Corroirie.


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