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L’approche institutionnelle du développement financier : cas des pays du Moyen-Orient et de...

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L’APPROCHE INSTITUTIONNELLE DU DÉVELOPPEMENT FINANCIER : CAS DES PAYS DU MOYEN-ORIENT ET DE L’AFRIQUE DU NORD Samouel Beji De Boeck Supérieur | « Mondes en développement » 2015/3 n° 171 | pages 117 à 134 ISSN 0302-3052 ISBN 9782807300897 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2015-3-page-117.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Samouel Beji, « L’approche institutionnelle du développement financier : cas des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord », Mondes en développement 2015/3 (n° 171), p. 117-134. DOI 10.3917/med.171.0117 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 14/10/2015 07h50. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 14/10/2015 07h50. © De Boeck Supérieur
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L’APPROCHE INSTITUTIONNELLE DU DÉVELOPPEMENTFINANCIER : CAS DES PAYS DU MOYEN-ORIENT ET DEL’AFRIQUE DU NORDSamouel Beji

De Boeck Supérieur | « Mondes en développement »

2015/3 n° 171 | pages 117 à 134 ISSN 0302-3052ISBN 9782807300897

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2015-3-page-117.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Samouel Beji, « L’approche institutionnelle du développement financier : cas des pays duMoyen-Orient et de l’Afrique du Nord », Mondes en développement 2015/3 (n° 171),p. 117-134.DOI 10.3917/med.171.0117--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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l’Afrique du Nord Samouel BEJI1

a prise en considération de la dimension institutionnelle qui se caractérise par le renforcement du cadre politique et juridique représente un

enseignement clé de l’épisode des crises qu’ont connues les pays émergents. Les expériences de libéralisation financière totale de la Tanzanie et de l’Ouganda, nous montrent bien l’importance du facteur institutionnel dans la transition vers une ouverture totale du compte financier. Outre les conditions économiques concernant les réformes du système financier domestique et les réformes macro-économiques, il faut donc s’assurer de mettre au diapason tout l’environnement politique et institutionnel pour éviter une transition nuisible et préjudiciable vers la libéralisation financière totale, même si cette transition se fait d’une manière graduelle. Cette analyse nous a amené à poser les mêmes interrogations pour le cas des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Ces pays ont déjà mis en place des plans de modernisation de leurs systèmes financiers dans l’objectif de réaliser une transition vers une libéralisation totale. Or, des enquêtes empiriques basées sur des faits stylisés concernant la qualité des institutions (le respect de la règle de droit, le respect de la propriété privée, la qualité des services administratifs, l’efficacité du système juridique dans le recouvrement des créances et le caractère démocratique des institutions politiques) ont révélé la relative faiblesse des institutions politiques et des infrastructures juridiques dans ces pays (Creane et al., 2004 et 2007). Ce cadre institutionnel risque de se montrer incapable d’assurer la prévention et le contrôle adéquat des acteurs financiers une fois opérée la transition vers une libéralisation financière totale. L’objectif de cet article est de souligner l’importance du cadre institutionnel et politique dans l’amélioration du niveau de développement financier dans les pays de la région. Cette finalité sera concrétisée par l’établissement des seuils de développement institutionnel à 1 Université de Sousse, Tunisie, Laboratoire Monnaie, Modélisation, Financement et

Développement (MO2FID). [email protected]

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partir desquels l'ouverture financière externe pourrait être bénéfique au développement financier. La première partie présente le lien théorique entre le développement institutionnel et le développement financier. La deuxième est réservée à une analyse économétrique en données de panel appliquée à 12 pays du bassin Sud et Est de la Méditerranée entre les années 1984-2010 pour étudier l’effet d’une ouverture du compte financier sur le développement financier, en prenant en compte le niveau de développement institutionnel. La troisième présente les conclusions.

1. LE RÔLE DES INFRASTRUCTURES INSTITUTIONNELLES DANS LE DÉVELOPPEMENT FINANCIER

Étant donné l’importance de l’identification des déterminants du développement financier, il y a eu un approfondissement des recherches sur les facteurs fondamentaux aidant au bon fonctionnement des systèmes financiers. La plupart de ces recherches ont souligné le rôle de l’infrastructure institutionnelle dans l’explication des niveaux de développement des systèmes financiers. Les travaux de La Porta et al. en 2000a et b, 1999, 1998, 1997a et b en représentent les principales illustrations (Beck et al., 2001, 484). Parmi les principales institutions qui agissent sur le niveau du développement financier, figure le cadre juridique et réglementaire qui : − assure le respect des contrats ; − prévoit une démarche précise pour résoudre les différends commerciaux et

les procédures de faillite ordonnées lorsque les emprunteurs ne peuvent pas rembourser leurs dettes ;

− veille à maintenir la concurrence et la capacité des banques qui reçoivent les dépôts à rendre leur argent aux déposants quand ils le demandent (Stiglitz, 2002, 228).

Mishkin (2009, 164) évoque le rôle des institutions comme garantes de l’établissement et du maintien de solides droits de propriété, d’un système judiciaire efficace et d’un système financier sain et solide. Néanmoins, parvenir à identifier le cadre institutionnel propice au développement du secteur financier n’est pas une tâche facile. Ces institutions prennent généralement beaucoup de temps à se mettre en place, et doivent s’adapter aux circonstances dans lesquelles elles doivent s’implanter. Un autre pan de la littérature s'est penché sur l'influence politique que peuvent exercer les groupes de pression sur la nature des institutions et sur le fonctionnement des structures de réglementation. À cet égard, Pagano et Volpin (2001) notent que les pays qui se caractérisent par des régimes politiques statiques et rigides tendent à résister à toute amélioration de la disponibilité de fonds externes. De peur de fragiliser leurs pouvoirs établis ou de se voir éroder leurs rentes et leurs positions préférentielles sur les marchés locaux, les élites

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politiques expriment une défiance face à d'éventuelles tentatives de diversification des sources de financement de l'économie. À cet égard, Rajan et Zingales (2003) défendent l’idée de la nécessité d’opérer une ouverture simultanée commerciale et financière afin de réaliser le développement financier. Ils supposent que l’opposition livrée par les occupants à l’ouverture se trouve fragilisée par ce type de libéralisation, contredisant la théorie du « sequencing » de McKinnon (1993). Pour remédier à cette problématique, certains économistes prônent l’ouverture à la mondialisation afin d’atténuer l’étendue du pouvoir politique et de faciliter l’adoption des institutions adéquates au développement. L’objectif de cet article n’est pas de montrer que l’ouverture à la mondialisation améliore l’infrastructure politique et institutionnelle d’un pays et contribue à développer son système financier. Il s’agit plutôt de montrer l’importance du cadre juridique, politique et institutionnel comme condition préliminaire à la mondialisation, et ce, pour se prémunir de ses risques sur la solidité des systèmes financiers. Ce lien ne nous a pas occulté la possibilité d’existence d’une structure parallèle, jouant le même rôle que le développement institutionnel « classique ». Il s’agit de la notion de capital social, qui a joué un rôle important dans la réussite de l’expérience de libéralisation financière maîtrisée de la Chine.

1.1 La notion de capital social

Ce concept a été adopté par des politologues comme Putnam (1994) et Fukuyama (1996) pour désigner l’une des caractéristiques des grandes nations. Putnam (1994) définit le capital social comme « les caractéristiques de la vie sociale telles que réseaux, normes et confiance qui permettent à des participants d’agir ensemble plus efficacement pour poursuivre des objectifs partagés » (Bousrih et Trabelsi, 2005, 88). Pour Fukuyama (1996), il s’agit de « l’existence d’un ensemble de règles informelles ou de normes communes entre les membres d’un groupe qui permettent la coopération entre eux… Les normes qui produisent le capital social… doivent substantiellement comprendre la sincérité, la loyauté, la coopération et la réciprocité » (Bousrih et Trabelsi, 2005, 85). Pour cela, les politologues mesurent le capital social par des indicateurs tels que le changement politique, la participation aux élections et l’adhésion aux associations. La Porta et al. (1997b) ont poursuivi la démarche des politologues, en montrant qu’il existe une forte corrélation entre la confiance qui règne dans un pays et l’existence de grandes entreprises et organisations. D’une manière similaire, Keefer et Knack (1997) ont prouvé l’existence d’un lien de corrélation entre la confiance qui règne dans une société et le taux de croissance de l’économie. Cette corrélation reste valable même après la prise en compte de la qualité des institutions juridiques d’après Knack et Zak (2001). Ainsi, même en l’absence d’un développement institutionnel et politique suivant les normes et les critères communément admis, il est possible d’avoir un substitut à cet ordre. C’est ce rôle de substitution qui a permis à certains pays émergents, dont la

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Chine, de réaliser les objectifs escomptés de la mondialisation, sans pour autant passer par les réformes exigées (financière, économique, fiscale, politique, etc.). Nous allons vérifier dans cet article si les pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée disposent de cette infrastructure informelle leur permettant de combler une éventuelle absence de développement institutionnel, ou si l’état actuel du cadre juridique et politique est suffisant à la réalisation du développement financier dans un contexte d’ouverture financière. L’insertion dans la finance mondialisée a des avantages et des bienfaits économiques pour les pays y prenant part et spécialement les pays en développement. Or, la réalisation de tels bienfaits nécessite un certain nombre de préalables et de conditions, aussi bien d’ordre économique qu’institutionnel qu’il convient de préciser, voire de quantifier, d’où la nouvelle approche des effets de la mondialisation financière.

1.2 La nouvelle approche des effets de la mondialisation financière

Kose et al. (2009) ont proposé une nouvelle approche pour analyser les implications macro-économiques de l’ouverture financière internationale. Le point fondamental de cette approche est que les principaux avantages de la mondialisation financière sont plutôt indirects et catalytiques. Ils considèrent que les bénéfices potentiels d’une telle démarche ne se résument pas simplement à une amélioration de l’accès au financement de l’investissement domestique, comme le prône l’approche traditionnelle.

Figure 1 : La nouvelle approche de l’intégration financière internationale La vision traditionnelle

Croissance Ouverture financière internationale Croissance Volatilité de la consommation

La nouvelle approche

Croissance Ouverture financière internationale Volatilité de la consommation Kose et al. (2009) considèrent que la mondialisation financière permet d’accélérer le mouvement de modernisation des secteurs financiers domestiques, d’améliorer la qualité de l’environnement institutionnel et de

*Meilleure allocation des ressources *Transfert technologique et managérial *Diversification internationale des risques

Les avantages collatéraux potentiels

*Développement financier *Développement institutionnel *Amélioration de l’environnement macro-économique

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renforcer la rigueur et la discipline des politiques macro-économiques dans les pays en développement (figure 1). C’est ce qu’ils appellent les avantages « collatéraux » de l’ouverture financière internationale. L’intérêt principal de l’ouverture financière internationale, suivant cette approche, est que les pays s’efforcent d’atteindre certains niveaux de développement financier, économique et institutionnel pour « accueillir » dans des conditions optimales les flux internationaux de capitaux. La réalisation de ces acquis permettrait aux pays adoptant la mondialisation financière de bénéficier de ses avantages. Dans le même ordre d’idées, l’étude de Calderon et Kubota (2009), effectuée sur un échantillon de 145 pays développés et en développement durant la période 1975-2007, a montré que seuls les pays bénéficiant d’un niveau moyen ou élevé de qualité institutionnelle et d’un appareil juridique efficace de protection des investisseurs arrivent à tirer profit de l’ouverture financière internationale. Dans le même sens, le cas de la Tanzanie et de l’Ouganda, qui sont des pays qui souffrent de niveaux de corruption élevés, d’une lourde bureaucratie et d’un niveau élevé de collusion entre le pouvoir politique et le système financier, nous montre l’importance du facteur institutionnel dans la réussite de la libéralisation financière. À cet effet, certaines études empiriques s’intéressant à la relation entre l’ouverture financière et la croissance trouvent qu’il pourrait y avoir des effets de seuil (Aykut et Kose 2013 ; Kose et al. 2011 ; Abiad et al. 2007 ; Ito 2006). Autrement dit, la libéralisation des mouvements de capitaux semble avoir des effets positifs sur l’économie uniquement à partir d’un certain niveau de développement. Aykut et Kose (2013) ont essayé d’illustrer cette nouvelle vision des effets de l’ouverture financière internationale par le schéma ci-dessous.

Figure 2 : L’approche des seuils de développement En dessus des seuils Croissance Risque de crise Ouverture financière internationale Croissance ? En dessous des seuils Risque de crise Source : Aykut et Kose (2013, 296).

L’intérêt de l’étude des cas des pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée s’explique par la rareté des travaux empiriques sur le lien entre le développement institutionnel et le développement financier pour ces pays. La plupart des études dont les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée ont fait l’objet, se concentrent généralement sur le lien entre le développement financier et la croissance économique (Barajas et Yousefi, 2012 ; Nabli, 2008 ; Makdisi et

Les conditions de seuil *Développement financier *Amélioration de l’environnement institutionnel *Stabilité macro-économique et ouverture commerciale

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al., 2007 ; El-Badawi, 1999). Ces travaux partagent l’idée que les insuffisances institutionnelles et l’absence des règles de la bonne gouvernance affectent indirectement la croissance en empêchant l’appareil financier de jouer pleinement son rôle d’irrigateur de l’économie. D’un autre côté, l’intérêt de cette étude s’explique aussi par la nature des régimes politiques qui ont précédé les révolutions vécues dans la région à partir de janvier 2011. Ces pays sont caractérisés par un déficit démocratique et la faiblesse de leurs infrastructures institutionnelles. El Mouhoub (2012) note que dans des pays comme l’Algérie, et à un degré moindre l’Égypte, la corruption a été « verticalisée » à partir de 1984. Avant cette date, et pendant les années 1970, la corruption était confinée et profitait à une minorité militaire-industrielle qui se partageait la rente provenant des revenus de l’exportation des hydrocarbures. À partir du choc pétrolier de 1984, les revenus des États rentiers ont baissé et la corruption s’est généralisée parmi les couches sociales (El Mouhoub, 2012, 43). La propagation de la corruption, le blocage des institutions et l’absence de la règle de droit peuvent porter préjudice au potentiel de l’économie et entament le capital de confiance, facteur important pour l’essor des systèmes financiers. Ayadi et al. (2013) ont effectué une étude relative aux déterminants du développement financier dans les pays de la Méditerranée sur la période allant de 1985 à 2009. Ils ont trouvé qu’une bonne gouvernance démocratique, des institutions juridiques solides et une mise en place de judicieuses réformes financières affectent positivement la distribution des crédits au secteur privé et la collecte des dépôts auprès des épargnants. Ils nuancent leur résultat par l’impérative mise en place simultanée et exhaustive de ces réformes. Ils précisent qu’une implantation partielle et incomplète d’institutions juridiques et démocratiques adéquates peut porter préjudice au développement financier. Falahaty et Law (2012) ont mené une étude comparable à celle d’Ayadi et al. (2013). Ils ont étudié l’effet de la globalisation sur le développement financier dans 9 pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord entre 1991 et 2007. Ils ont conclu que la globalisation (dans ses trois dimensions : économique, politique et sociale) ne semble pas avoir un effet significatif sur la qualité des institutions. Par conséquent, la globalisation n’exerce pas d’effet sur le développement financier et le développement économique. Dans ce qui suit, nous exposerons une étude économétrique faite sur 12 pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, à l’issue de laquelle des seuils de développement institutionnels seront calculés pour marquer le niveau à partir duquel l’ouverture à la finance internationale commencera à être bénéfique.

2. ÉTUDE DE LA RELATION ENTRE LE DÉVELOPPEMENT FINANCIER, L’OUVERTURE FINANCIÈRE ET LE DÉVELOPPEMENT INSTITUTIONNEL

Le modèle étudié est inspiré de celui d’Ito (2006), qui a entrepris de chercher si l’ouverture financière internationale conduit au développement financier en

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prenant en compte le niveau du développement juridique et institutionnel. Le modèle était appliqué à 87 pays en développement de 1982 à 2005, avec une focalisation sur le cas des pays du Sud-Est asiatique. Les résultats trouvés étaient conformes aux hypothèses posées, à savoir qu’un degré élevé d’ouverture financière était à l’origine du développement des marchés financiers seulement au cas où un certain niveau de développement institutionnel était atteint.

2.1 Présentation des équations à estimer

L’objectif de l’estimation des coefficients du modèle ci-dessous est d’étudier l’effet de l’ouverture du compte financier, du développement institutionnel et de leur interaction sur le développement financier. La variable expliquée ici est le développement financier et les variables explicatives sont le degré d’ouverture du compte financier (ou degré de libéralisation financière externe), le développement institutionnel, l’interaction entre le développement institutionnel et l’ouverture financière externe, et un ensemble de variables de contrôle. Le modèle est spécifié dans l’équation (1) :

( ) (1) U X KAOPEN INS INS KAOPEN DF DF itit1 -it it3it21 -it 11-it0it ++×++++= τγγγβγ

Avec : ittiit U νεμ ++= où ) N(0, 2it νσν → (i.i.d)

ti et εμ étant respectivement les effets spécifiques individuels et temporels.

DFit est une mesure du développement financier pour le pays i à l’instant t ; DFit-1 est une mesure du développement financier pour le pays i à l’instant t-1 ; KAOPENit-1 est une mesure de la libéralisation financière externe du pays i à l’instant t-1 ; INSit est une mesure du développement institutionnel pour le pays i à l’instant t ; INSit×KAOPENit-1 est l’interaction entre le développement institutionnel et l’ouverture financière ; Xit est le vecteur des variables économiques de contrôle. La régression est conduite sur 12 pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (Algérie, Égypte, Iran, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Arabie Saoudite, Soudan, Syrie, Tunisie et Turquie) pour la période allant de 1982 à 2010. Le choix est porté sur les pays qui n'ont pas encore opté pour une libéralisation financière externe totale, d’après l'indice d'ouverture financière de Chinn-Ito. Nous avons aussi pris en considération une mesure du développement institutionnel informel, par l'introduction de la variable TRUST :

( ) (2) U X KAOPEN TRUST TRUST KAOPEN DF DF itit1 -it it3it21 -it 11-it0it ++×++++= τγγγβγ

2.2 Présentation des variables des modèles

Nous présentons dans ce qui suit les différentes variables ayant servi à l’estimation de ces modèles.

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2.2.1 La variable du développement financier « DF »

C’est la variable endogène dans toutes les équations de (1) à (4). Pour sa construction, nous avons calculé une moyenne simple de 4 indicateurs relatifs au développement financier : − Le ratio des crédits domestiques accordés au secteur privé par rapport au

PIB. − Le ratio des crédits domestiques distribués par le secteur bancaire par

rapport au PIB. − Le ratio des réserves liquides bancaires par rapport aux actifs bancaires. − Le ratio de la capitalisation boursière par rapport au PIB. Les trois premières variables sont relatives au développement du secteur bancaire, alors que la dernière est relative au développement des marchés des capitaux. Ces variables sont calculées à partir des World Bank Indicators (2012).

2.2.2 La variable de l’ouverture financière totale « KAOPEN »

Elle est mesurée par l’indice de Chinn-Ito de libéralisation financière totale. L’indice KAOPEN est calculé à partir de 4 variables muettes binaires disponibles dans l’« Annual Report on Exchange Arrangements and Exchange Restrictions (AREAER) ». Ces variables fournissent des informations sur l’ampleur et la nature des restrictions sur les transactions financières internationales pour chaque pays. Ces variables sont : − k1 : variable indiquant l’existence de multiples taux de change. − k2 : variable indiquant l’existence de restrictions sur les transactions du

compte courant. − k3 : variable indiquant les restrictions sur les transactions relatives au compte

financier. − k4 : variable indiquant l’obligation de rapatrier les revenus de l’exportation. Afin de calculer l’effet de l’ouverture financière, plutôt que les contrôles des capitaux, les auteurs ont inversé les valeurs de ces variables binaires, de telle sorte que les variables ki (avec i = 1, 2, 3, 4) deviennent égales à 1 quand les restrictions ne sont pas existantes (alors qu’à l’origine, elles sont égales à 1 quand il y a restrictions). Ceci n’empêche pas de considérer aussi l’ouverture financière comme un indicateur de contrôles de capitaux.

2.2.3 La variable du développement institutionnel « INS »

Nous avons construit cet indicateur à partir de 6 autres indicateurs institutionnels. Il s’agit de la moyenne simple des sous-indicateurs suivant : − Contrôle de la corruption (Control of Corruption). − Règle de droit (Law and Order).

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− Qualité de l'administration (Bureaucratic quality). − Tensions sociales (Ethnic Tensions)2. − Responsabilité démocratique des dirigeants politiques (Democratic

Accountability) − Profil d’investissement (Investment Profile)3. − Les données concernant ces variables sont collectées à partir de la base

ICRG (International Country Risk Guide).

2.2.4 La variable du capital social « TRUST »

L’expérience d’ouverture financière de la Chine représente un cas particulier à bien des égards. La transition vers la libéralisation économique et financière dans ce pays n’a été accompagnée ni par des réformes institutionnelles, ni par une restructuration de l’infrastructure juridique ou politique. Paradoxalement, ceci n’a pas eu d’effets négatifs quant aux implications de ces réformes. L’explication théorique de ce paradoxe est l’existence de mécanismes de (bonne) gouvernance informels, qui se substituent aux canaux classiques du développement institutionnel. Cette alternative était basée sur la notion de réputation et sur l’importance des relations sociales synthétisées dans la notion de capital social. Le capital social devient donc une vertu où les individus obéissent à la loi et montrent des niveaux élevés de coopération entre eux. C’est ce qui explique notre choix de la variable « TRUST ». C’est l’indice qui donne une appréciation sur le niveau de confiance que les individus s’accordent entre eux dans une société. La confiance est considérée comme une estimation du niveau de capital social dans un pays. Le niveau de confiance est important dans la détermination du développement financier en général. L’intuition de l’introduction de cette variable TRUST est de voir s’il existe aussi pour les pays du sud de la Méditerranée une infrastructure institutionnelle parallèle et informelle. La caractéristique de ce type d'institution est qu'elle repose sur la confiance, qui n’apparaît pas dans les mesures du développement institutionnel standard. La source de calcul de cette variable TRUST est la base de données World Values Survey.

2.2.5 Le vecteur des variables macro-économiques de contrôle « X »

Le modèle est complété par une série de variables macro-économiques de contrôle habituellement introduites dans ce genre d’estimations. Il s’agit du taux

2 Le terme original est « Ethnic Tensions », tel qu’il apparaît dans la base, mais d’après la

définition de la variable, il paraît clair qu’elle était conçue pour évaluer plus les tensions sociales que les seules tensions ethniques.

3 Cet indicateur est composé de trois sous-indicateurs : risque d'expropriation par l'État (viabilité des contrats), retards de paiement et obligation de rapatriement des profits.

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d’inflation, du PIB par tête en termes de parité de pouvoir d’achat (PPA) et du taux d’ouverture commerciale extérieure (la somme des importations et des exportations par rapport au PIB). La source de ces variables est la base de données World Bank Indicators (2012)

2.3 La méthode économétrique

La méthode économétrique adoptée est celle du General Method of Moments (GMM). L’estimation en GMM permet d’apporter des solutions aux problèmes de biais de simultanéité, de causalité inverse et de variables omises. Elle permet, particulièrement, de traiter le problème d’endogénéité des variables, qui se pose nécessairement lorsque nous étudions la relation entre le développement financier et le développement économique4. C’est la raison pour laquelle la variable du PIB par tête est traitée comme endogène. Par souci de vérification de la robustesse des résultats trouvés par la méthode du GMM, nous avons également estimé notre équation par la méthode des doubles moindres carrés (DMC) adéquate pour traiter le problème d’endogénéité. L’application de ces deux méthodes passe par l’introduction de variables instrumentales fortement corrélées à la variable endogène, mais complètement indépendantes des termes de l’erreur. Ceci permet de se conformer à l’hypothèse 6 des hypothèses de Gauss Markov. La variable instrumentale introduite dans cette équation est celle relative au développement économique décalée de deux périodes.

2.3.1 Présentation des résultats de l’estimation

Les résultats de l’estimation de l’équation (1) sont reportés dans le tableau 1. Les coefficients qui nous intéressent dans ces séries d’estimation sont ceux relatifs à l’ouverture financière internationale (KAOPEN), la variable du développement institutionnel (INS), et l’interaction entre ces deux variables (INS×KAOPEN).

4 L’existence de cette relation causale circulaire a été évoquée, entre autres, par Greenwood et

Jovanovic, 1990.

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Tableau 1 : Relation entre le développement financier, l’ouverture financière et le développement institutionnel

Variables Signe attendu DMC GMM DF (t-1) (+) ou (-) -0,034

(0,000)*** KAOPEN (t-1) (+) ou (-) -0,169

(0,087)* -0,577

(0,000)*** INS (+) 0,184

(0,098)* 0,253

(0,234) INS×KAOPEN (t-1)

(+) 0,05 (0,03)**

0,157 (0,000)***

PIB (+) 0,724 (0,01)***

0,484 (0,014)**

INFL (+) 0,076 (0,07)**

0,025 (0,531)

TRADE (+) 0,37 (0,036)**

0,348 (0,1)*

Constante -2,46 (0,366)

-3,331 (0,1)*

Test de Hausman 24,32 (0,757)

Test de Hansen 0,000 (1)

AR(1) 1,09 (0,277)

AR(2) 1,47 (0,143)

Test de Wald 219,26 (0,000)

Nombre d’observations 229 240 Notes : ***significativité à 1%, ** significativité à 5%, * significativité à 10%. Toutes les variables sont exprimées en logarithme népérien, sauf la variable KAOPENt-1, INS et INS×KAOPEN. La p-value est indiquée entre parenthèses. Des variables temporelles muettes ont été ajoutées.

La lecture de ces résultats nous révèle que la libéralisation financière externe exerce un effet négatif sur le développement financier. En revanche, cet effet d’ouverture devient positif quand nous conditionnons la libéralisation financière externe au niveau du développement institutionnel, puisque les coefficients de la variable INS×KAOPENt-1 sont tous positifs d’après les résultats de l’estimation. Intéressons-nous donc à l’effet total de l’ouverture financière externe : celle-ci est supposée agir directement sur le développement financier par le biais du coefficient 1γ et d’une manière indirecte et conditionnée

par le développement institutionnel, via le coefficient 3γ . L'impact global de l’ouverture du compte financier peut être représenté par cette équation :

L’effet total de l’ouverture financière = )INS( 31 γγ + KAOPENit – 1

où INS représente la moyenne de la variable du développement institutionnel.

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Notre objectif à travers cette étude est de calculer des seuils de développement institutionnel à partir desquels l’ouverture du compte financier devient bénéfique au développement financier. Il convient de déterminer à partir de quels niveaux de développement institutionnel, une éventuelle libéralisation financière externe apportera aux pays de l’échantillon les bénéfices escomptés. L’ouverture du compte financier peut amener à un niveau supérieur ou inférieur de développement financier en fonction de l’environnement institutionnel en vigueur. Pour calculer ce seuil, nous devons supposer que l’effet total de l’ouverture financière est positif :

)INS( 31 γγ + KAOPENit – 1 > 0

Donc INS31 γγ + > 0

Il s’ensuit que : 3

1seuil

- INSγγ=

Cette formule a été appliquée à l’ensemble des pays, pour calculer le niveau du développement institutionnel, politique et juridique qu’ils doivent satisfaire afin de bénéficier de la libéralisation financière totale. Le tableau 2 récapitule les résultats trouvés.

Tableau 2 : Calcul de la moyenne du développement institutionnel et comparaison avec le niveau seuil

Moyenne du développement

institutionnel ( INS)

Seuil du développement institutionnel à atteindre

DMC Intervalle de confiance à 95%

GMM Intervalle de confiance à 95%

Algérie 1,917

3,38

[2,654 ; 4,106]

3,675

[3,47 ; 3,88]

Égypte 2,182Iran 2,094Koweït 2,276Liban 1,835Libye 1,911Maroc 2,345Arabie Saoudite 2,213Soudan 1,024Syrie 1,917Tunisie 2,301Turquie 2,196Moyenne générale 2,017 Source : Calculs de l’auteur.

2.3.2 Interprétation des résultats de l’estimation

Nous prenons en considération, pour l’interprétation de ces résultats, l’estimation par les GMM. Nous remarquons que si la référence est faite à la moyenne du niveau du développement institutionnel pour l’ensemble des pays de la région, une libéralisation du compte financier ne peut être que préjudiciable pour le développement financier. La Tunisie et le Maroc

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représentent les pays les plus proches du minimum du niveau de développement institutionnel requis et, à un degré moindre, la Turquie. Ce résultat est assez prévisible, si l'on se réfère aux faits stylisés énoncés par Creane et al. (2004 et 2007). Ils ont établi un classement pour les pays de la région du Sud et de l'Est de la Méditerranée en fonction du degré du développement financier et du degré du développement institutionnel. Ils ont conclu que les pays ayant le degré de développement institutionnel le plus élevé sont ceux qui bénéficiaient d'un développement financier élevé par rapport aux autres pays. Le cas du Liban représente une exception, puisqu'il s'agit d'un pays qui enregistre un niveau de développement financier relativement élevé par rapport à son niveau de développement institutionnel. Dans les faits stylisés de Creane et al. (2004, 2007), la classification du Liban était dans le groupe des pays ayant le degré de développement financier le plus élevé. Toutefois, le lien entre le développement institutionnel et financier n'est pas corroboré pour le cas de ce pays en particulier. Il faut rappeler, à cet égard, que ce pays est le seul de la région qui a connu une guerre civile confessionnelle5 pendant les années 1980, et qui reste caractérisé par une grande instabilité politique, ce qui n’a pas favorisé l’implantation d’un environnement institutionnel adéquat. Si l'on se fie aux résultats de cette étude, il paraît clair que pour l'ensemble de la région, aucun pays ne peut prétendre à une libéralisation financière totale sans connaître des conséquences négatives sur la santé de son appareil financier. La raison est qu'aucun pays n'a entamé les réformes institutionnelles ou démocratiques nécessaires. Le niveau élevé de corruption, les lenteurs administratives, la faible protection des droits de propriété, l'exclusion de la population du débat politique et l'absence des règles de la bonne gouvernance n'ont pas permis à ces pays de hisser leur niveau de développement institutionnel à celui du minimum requis. La conséquence directe de ce retard de développement est le risque d'accroître les possibilités d'occurrence de crises en cas d'ouverture financière totale. Même après les révoltes populaires connues par quelques pays de la région (Tunisie, Égypte, Libye et Syrie) réclamant, entre autres, davantage d'ouverture politique, de transparence et de démocratie, les réformes politiques tardent à se mettre en place du fait du climat d'incertitude et d'instabilité qui règne encore dans ces pays. La même démarche a été effectuée en prenant en compte une mesure du développement institutionnel informel. La variable choisie pour remplacer la variable du développement institutionnel classique est le capital social. Ce dernier a pallié l'absence de réformes politiques de nature démocratique dans certains pays émergents comme la Chine. Le capital social s'est substitué à l'infrastructure institutionnelle classique dans ce pays et a accompagné son ouverture financière externe prudente et graduelle.

5 Rappelons que pour le calcul de l’indice du développement institutionnel, nous avons

incorporé un sous-indice des tensions sociales de nature ethnique, religieuse et raciale.

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3. EFFET DU DÉVELOPPEMENT INSTITUTIONNEL INFORMEL SUR LE DÉVELOPPEMENT FINANCIER

Pour mieux prendre en considération l’incidence du développement institutionnel sur le développement financier, nous avons pris en considération l’indice TRUST qui évalue le niveau du capital social (considéré ici comme une mesure du développement institutionnel informel). Les résultats des estimations de l'équation (2) sont présentés dans le tableau 3. Tableau 3 : Relation entre le développement financier, l’ouverture financière et

le niveau du capital social Variables Signe attendu DMC GMMDF (t-1) (+) ou (-) -0,178

(0,000)*** KAOPEN (t-1) (+) ou (-) -0,311

(0,002)*** -0,244

(0,024)** TRUST (+) 0,002

(0,655) 0,022

(0,000)*** TRUST×KAOPEN (t-1) (+) 0,006

(0,044)** 0,006

(0,024)** PIB (+) 0,589

(0,000)*** 0,241

(0,000)*** INFL (+) 0,023

(0,518) 0,002

(0,885) TRADE (+) 0,671

(0,000)*** 0,135

(0,458) Constante 0,884

(0,393) 6,18

(0,000)*** Test de Hausman 40,18

(0,000) Test de Hansen 0,000

(1) AR(1) 0,73

(0,467) AR(2) 0,34

(0,736) Test de Wald 202,43

(0,000) Nombre d’observations 107 112

Notes : ***significativité à 1%, ** significativité à 5%, * significativité à 10%. Toutes les variables sont exprimées en logarithme népérien, sauf la variable KAOPENt-1, TRUST et TRUST×KAOPEN La p-value est indiquée entre parenthèses. Des variables temporelles muettes ont été ajoutées.

Comme nous l’avons déjà fait pour les régressions avec la variable INS, nous présentons dans le tableau 4 les seuils pour la variable TRUST à partir desquels

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l’ouverture financière commence à produire du développement financier pour les pays de la région. Le problème avec cette mesure est qu'elle n'est disponible que pour la moitié des pays de l'échantillon.

Tableau 4 : Calcul de la moyenne du capital social et comparaison avec le niveau seuil

Capital social

(TRUST)

Seuil du développement institutionnel informel à atteindre

DMC Intervalle de confiance à 95%

GMM Intervalle de confiance à 95%

Algérie 10,8

48,45

[24,37 ; 72,52]

35,03

[29,43 ; 40,63]

Égypte 27,95Iran 30,05Maroc 17,25Arabie Saoudite 40,5Turquie 9,77Moyenne générale 22,72

Source : Calculs de l'auteur.

Pour l’indice du capital social, le constat est quasiment le même que pour le cas du développement institutionnel classique. Aucun pays de l'échantillon n'arrive à égaler ou à dépasser le seuil minimum requis, à l’exception de l'Arabie Saoudite. L’Iran, et à un degré moindre l’Égypte, représentent les pays qui se rapprochent le plus du niveau seuil exigé. La forte religiosité des sociétés saoudienne et iranienne peut expliquer le degré élevé du niveau de confiance dans ces pays. De même, l’homogénéité de la société égyptienne et la primauté de l’espace rural par rapport à l’espace urbain dans ce pays peuvent aussi expliquer l’émergence du facteur confiance comme un substitut aux infrastructures institutionnelles classiques. Pour l’ensemble des pays de la région, il serait recommandable d’améliorer le niveau de l’environnement institutionnel et politique avant de pouvoir prétendre à une ouverture financière totale. Il est donc clair que si un pays arrive à se doter d’un système législatif et juridique fiable et d’institutions crédibles, il disposera davantage d’opportunités de profiter de la mondialisation financière et des bienfaits de l’ouverture sur le développement de son appareil financier.

CONCLUSION

Le but de l’étude effectuée était de montrer de façon objective les risques d’une insertion dans un mouvement de mondialisation financière, pour le cas des pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée. Les résultats obtenus montrent que dans l’ensemble, les moyennes des pays du Sud et de l'Est de la Méditerranée étaient en dessous des seuils institutionnels minimums calculés. Pour les institutions informelles, le constat est le même, puisque pour la plupart des pays, le seuil minimum du capital social n’a pas été atteint. Or, d’après la nouvelle approche

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de la mondialisation financière, il serait préférable de s’abstenir de toute politique d’ouverture financière tant que ces minimums ne sont pas atteints. Nos résultats montrent que l’état actuel du développement institutionnel ne permet pas d’assurer une amélioration de l’activité et de l’efficience des systèmes financiers. Une amélioration de la qualité de l’environnement politique et des institutions représente un prérequis nécessaire, au même titre que la modernisation du système financier ou l’adoption de politiques macro-économiques adéquates, pour la réussite de l’ouverture financière internationale.

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