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Les Dossiers du Comité Asie n°3

Date post: 22-Apr-2023
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DOSSIERS DU COMITÉ ASIE Les N°3 Automne 2012 Ces Dossiers sont le fruit des recherches et du dynamisme des membres du Comité Asie de l’ANAJ-IHEDN. Je tiens à exprimer ma gratitude à chacun des membres pour leur implication et leur contribution. Mes chaleureux remerciements vont également au Pôle Étude de l’ANAJ-IHEDN pour sa relecture méticuleuse et au Comité Directeur pour son soutien continu et effectif à nos activités. StéphaneCholleton 60e session Jeunes, Lyon 2008 Responsable du Comité Asie
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N ° 3Automne 2012

Ces Dossiers sont le fruit des recherches et du dynamisme des membres du Comité Asie de l’ANAJ-IHEDN. Je tiens à exprimer ma gratitude à chacun des membres pour leur implication et leur contribution.

Mes chaleureux remerciements vont également au Pôle Étude de l’ANAJ-IHEDN pour sa relecture méticuleuse et au Comité Directeur pour son soutien continu et effectif à nos activités.

StéphaneCholleton60e session Jeunes, Lyon 2008

Responsable du Comité Asie

LE COMITÉASIE

ANAJ-IHEDNAssociation

Nationale desAuditeursJeunes de

l’Institutdes HautesEtudes de

DéfenseNationale

A propos de l’ANAJ-IHEDNParce que la Défense ne doit pas être la préoccupation des seules Armées, le Premier Ministre a confié à l'Institut des Hautes Études de Défense Nationale (IHEDN) la mission de sensibiliser tous les citoyens, « afin de leur donner une information approfondie sur la défense nationale comprise au sens le plus large ». A l’issue de ces séminaires, les nouveaux auditeurs jeunes de l'IHEDN sont accueillis au sein de l'Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l'IHEDN : l'ANAJ-IHEDN.L'ANAJ-IHEDN, c’est aujourd'hui un réseau dédié à la défense et à la sécurité de plus de 1500 étudiants, jeunes professionnels, élus et responsables d'associations.Reconnue « Partenaire de la réserve citoyenne » par le Ministère de la Défense, l'ANAJ-IHEDN est là pour dynamiser et synthétiser une réflexion jeune, imaginative et impertinente, autour des problématiques de défense, regroupant les sphères économiques, civiles et militaires, et de relations internationales.

LE COMITE ASIE Force est de constater que l’Asie a pris, notamment depuis la fin des années 1990, une part croissante dans l’économie et la politique internationale. Sur les questions des flux financiers internationaux, des ressources énergétiques, comme sur celles des revendications maritimes ou territoriales, des points chauds militaires et des grands marchés émergents, nos regards ne peuvent ignorer l’Asie.L’ANAJ-IHEDN compte parmi ses membres des personnes qui se sont plus particulièrement attachées à comprendre certains pays de ce vaste ensemble géographique. Nous avons donc voulu créer un groupe d’étude et de réflexion afin de partager, approfondir et diffuser les connaissances sur l’Asie. Le Comité Asie est ainsi né à l’hiver 2011. Au premier semestre 2012 nous avons, dans le cadre du Comité Asie, organisé quatre conférences. Ainsi Mme Isabelle Facon, spécialiste de la Russie, est intervenue le 25 janvier 2012 sur le thème : « Les réalités du partenariat stratégique sino-russe ». Laurent Malvezin, directeur Asie chez SSF, a présenté le 28 mars une conférence sur : « La Chine, une menace pour nos entreprises ? ». Le 12 avril, Sébastien Colin, géographe et maître de conférence à l’INALCO, nous a fait partager le fruit de ses recherches sur : « La Chine et ses frontières ». Enfin, le 9 mai, Emmanuel Lincot, co-rédacteur en chef de la revue Monde Chinois, et Guillaume Giroir, géographe spécialiste de la Chine, ont traité le thème de : « La Chine et le luxe ». Le numéro deux des Dossiers du Comité Asie a été publié au début de l’été 2012. En cette rentrée 2012, et en ce 1er octobre, jour de la fête nationale chinoise, nous sommes heureux de vous présenter le numéro 3 de notre revue, Les Dossiers du Comité Asie. Celui-ci résulte des travaux effectués par les membres du Comité Asie ainsi que des contributions des meilleurs experts de l’Asie. Vous pourrez y lire un témoignage de membres du Comité sur « la Corée, une Nation en devenir… » suivi d’une interview de Thierry Kellner réalisé par Milena Baud, sur « la politique régionale de l’Iran ». Inessa Baban a quant à elle réalisé l’interview de Christian Mauve sur le Caucase et l’Asie Centrale « l’Eurasie Centrale - le cœur de la politique globale au XXIème siècle ? » Vous pourrez également lire un article de Brij Khindaria sur « The Asian and Mid-East crescent of security challenges ». Sophie Chevaleyre s’est ensuite appuyée sur l’ouvrage de Sébastien Colin La Chine et ses frontières, pour vous proposer une étude sur « la politique frontalière chinoise et son application en Asie du Sud-Est ». Enfin, Laurent Malvezin répond à la question : « 18ème Congrès du PCC, beaucoup de bruit pour rien ? » En vous remerciant pour votre intérêt, je vous souhaite au nom du Comité Asie une très bonne lecture.

Stéphane Cholleton

TÉMOIGNAGELa Corée, une Nation en devenir…Membres du Comité Asie

ENTRETIENSLa Politique Régionale de l'IranEntretien avec Thierry Kellner réalisé par Milena Baud

L'Eurasie Centrale - le coeur de la politique globale au XXIème siècle ?Entretien avec Christian Mauve réalisé par Inessa Baban

GÉOPOLITIQUEThe Asian and Mid-East crescent of security challengesBrij Khindaria

LIVRELe Politique frontalière chinoise et son application en Asie du Sud-EstSophie Chevaleyre, avec la contribution de Sébastien Colin

PROSPECTIVE18ème Congrès du PCC, beaucoup de bruit pour rien ?Laurent Malvezin

Les opinions exprimées dans les différents articles n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.

Dans ce numéro

Les Dossiers du Comité Asie de l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale 2

LA CORÉEUNE NATION EN DEVENIR…

Depuis plus de 60 ans, la France est en guerre contre la Corée du Nord. Malgré l’ouverture officielle d’un bureau français de coopération dans les domaines culturel et humanitaire en octobre 2011 à Pyongyang, la France est, avec l'Estonie, le seul pays de l'Union Européenne à ne pas reconnaître la Corée du Nord sur le plan diplomatique. La guerre de Corée, qu’on a appelé la "guerre oubliée", fut un conflit au cours duquel des Français se sont battus aux côtés des Alliés sous la bannière des Nations Unies. Ce fut l’un des épisodes les plus extraordinaires de notre histoire militaire dans son déroulement, ses origines et les motivations de ces soldats. Des soldats qui se sont illustrés dans des combats qui forcent le respect. La France est intervenue en Corée mais la partie n'est pas terminée et le plus important reste à faire : sa réunification. Une question demeure : qu'est-ce qui en repousse l'échéance, alors même que la RPDC1 peut être aujourd'hui considérée comme un Etat effondré sous perfusion ? Pyongyang pourrait en effet estimer que la réunification constitue la seule option pour la survie de ce territoire de 23 millions d'habitants.

Il est surprenant de constater que peu de nos compatriotes connaissent ces éléments qui constituent l'un des piliers des équilibres stratégiques dans le Pacifique Ouest. Il nous a paru judicieux de pousser les décors un peu poussiéreux, de proposer quelques réflexions et de tenter de montrer que cette situation est un construit totalement artificiel sur le point de basculer.

1 - La ligne de démarcation, symbole d'une tragédie…

Depuis plus de 60 ans, une ligne de démarcation existe, telle une plaie ouverte sur cette terre coincée entre la Chine et le Japon, et qui ne se referme pas. Une plaie qui génère des réactions très différentes chez ceux qui s'en approchent et qui tentent de l'analyser voire de la guérir. Pourquoi, depuis plus d'un demi-siècle, cette ligne sépare-t-elle non seulement un peuple mais également deux vis ions, deux modèles, sur lesquels s'appuient nos sociétés modernes et les économies qu'elles animent ?

Estimer qu'il s'agit simplement d'un héritage de la Guerre froide serait un raccourci particulièrement simpliste. Cette ligne est en réalité au cœur de très nombreux défis qui se jouent aujourd'hui en Asie du Nord-Est. En comprendre toute l'importance notamment symbolique n'est pas chose facile car les représentations qui en sont faites, sont volontairement simplifiées.

En effet, celui qui se rend sur la ligne de démarcation entre le Nord et le Sud, et découvre la zone d é m i l i t a r i s é e ( D M Z ) , a généralement deux attitudes très marquées. La première, la plus classique, se caractérise par une totale indifférence. On se rend sur la DMZ comme on irait voir un musée, un lieu touristique, une erreur du passé. Cela fait partie du périple habituel des touristes venant à Séoul… ou à Pyongyang.

La seconde est plus rare et concerne ceux qui ont étudié les lieux, l'histoire de la Corée, et qui tentent de comprendre. Leurs traits sont plus sérieux, les photos moins fréquentes et leurs paroles plus d iscrè tes . I l s ressentent ce t te pesante atmosphère d'inachevé.

La DMZ est une tragédie. Une pièce de théâtre avec des acteurs que l'on voit à peine, des mises en scène parfois caricaturales, une

temporalité de long terme et un espace où la mort n'est jamais loin. Ce l ieu est par t icul ier car i l s'apparente à une vaste entaille, creusée entre deux territoires, des plaques tectoniques supportant deux mondes. De part et d'autre, on observe des terres et des peuples qui peu à peu évoluent suivant des rythmes différents.

Cette tragédie ne génère que peu de réactions dans le monde. On s'est habitué à l'inadmissible, masqué par le bruit de fond… à ce qui pourrait bousculer, remettre en cause, nos défis quotidiens.

Ce concept d'opposition Nord-Sud est d'autant plus important que son impact dépasse très largement la péninsule coréenne. Cette bande de terre de 4 kilomètres de large serait l a p a r t i e v i s i b l e d e c o n f l i t s régionaux larvés, d'économies aux croissances si différentes et parfois si fragiles, d'histoires revisitées p réparan t des revanches… e t finalement d'un chantier en attente du moment propice pour être achevé.

Elle caractérise cette partie du monde, où le temps n'a pas la même signification.

Elle s'explique enfin par la valeur accordée à la vie humaine, toute relative en comparaison des intérêts des pays concernés, des jeux de pouvoirs et des enjeux financiers.

Pourquoi là plutôt qu'ailleurs. La localisation géographique de cette faille ne doit probablement rien au hasard. La Corée présente une constante : depuis des siècles, et contrairement à ses voisins, il lui est difficile de se construire en tant que nation.

Panneau indiquant l'emplacement de la ligne de démarcation - Entrée du "pont du non-retour" - Panmunjom

Archives personnelles

1. République Populaire Démocratique de Corée

Les Dossiers du Comité Asie de l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale 3

2 - Construire une nation… un parcours difficile…

La Corée, c'est l'histoire d'un peuple qui s'est endurci au contact d'un climat rude, de l'escarpement de ses reliefs, de la violence des guerres qu'elle a livrées et de l'humiliation des occupations qu'elle a subies. C'est la partie Nord qui vit en état de mort clinique et la partie Sud qui réussit économiquement et dans la durée.

La présence américaine, considérée par une minorité de la population sud-coréenne comme insupportable, a probablement contribué à la réussite de la Corée du Sud dont le PIB ne dépassait pas de celui du Bangladesh durant les années 60 et représentait les 2/3 de celui de la France en 2011.

Mais il y a plus. Il y a cette formidable envie d'exister, d'être un jour une Nation à part entière, et de protéger une culture à la croisée des chemins.

Un pays que l'on ne visite que trop peu. On s'arrête en Chine et au Japon, mais on ne fait que survoler la péninsule. Ou alors on y séjourne parce que l'on y est affecté, comme ces milliers de GI’s, ou en mission pour une entreprise étrangère. D'où vient ce manque d'intérêt? On veut peut-être éviter d'approcher ce qui nous dérange, un peu comme ce qui est ressenti lors d'une visite de malade.

Il est vrai que découvrir Séoul ne provoque pas un choc aussi fort qu'en pénétrant dans certaines cités du sud-est asiatique. La capitale sud-coréenne est une ville étendue, moderne, saine, d o m i n é e p a r d e s m o n t a g n e s protectrices. On y rencontre un peuple fier, accueillant, tantôt discret, tantôt explosif, d'une très grande force de caractère et d'une sensibilité à fleur de peau… comme sa musique, son cinéma et sa littérature.

Il ressort de l'attitude des Coréens du Sud une incroyable volonté de se battre pour exister en tant que Nation. L'observateur un peu pressé pourra prendre cette volonté pour de l'arrogance, un manque d'éducation, voire de la xénophobie. Ce n'est pas exact. Il faut un peu de temps pour comprendre et assimiler ce qui a forgé l'histoire de la Corée du Sud. On peut se demander en effet quelles sont les raisons de ces difficultés à se créer, à exister, à être reconnu par ses voisins et alliés.

Un peu comme le mauvais garçon de la famille, cet être turbulent que l'on tente de cacher mais qui revient à la charge et s'insère dans le groupe. Il

égratigne par des revendications jugées excessives, comme ce territoire qu'il considère comme sien et qui est aujourd'hui en Mandchourie. Il est aussi cet adolescent conscient de ce qu'il doit à ceux qui l'ont aidé à parvenir à l'âge adulte mais avec cette envie, emprunte d'ingratitude, de disposer d'une autonomie responsable.

Un peuple qui rayonne par une diaspora discrète : 2 millions au Japon, 3 millions en Chine, 1 million et demi aux USA, 300 000 en Allemagne, mais seulement 15 000 en France contre moins de 3 000 français en Corée. Nombreux sont ceux qui ont été placés en terre étrangère pour échapper à la misère des années 60. Certains ont changé de nationalité mais restent fondamentalement attachés à leurs racines . I ls sont des vecteurs d'influence, des relais, des points d'ancrage.

Décrire le peuple coréen, c'est immanquablement tenter de le comparer à ses voisins. Les lieux communs ne sont pas loin. Reportons-nous sur les tendances fortes qui se sont traduites par des actes significatifs et tout à fait originaux :

- La solidarité : durant la crise asiatique de 2008, il a été demandé aux femmes de donner leurs bijoux pour sauver l'économie et diminuer la dette.

- Des réseaux puissants et croisés, y compris dans les espaces religieux. Ils guident et soutiennent les évolutions de carrière et le quotidien des intéressés.

- La démocratie qui constitue une réalité en Corée du Sud. Elle est originale car emprunte de passion, voire de violence, que l'on peut observer lors des sessions de l'Assemblée nationale, ou à l'occasion des manifestations paysannes.

------Nous sommes très probablement

tout proches d'une phase décisive de l'histoire de la péninsule. De nombreux sujets arrivent aujourd'hui à maturité au Nord comme au Sud (économie, politique, militaire,…) dans l'échec comme dans la réussite.

On observe une accélération de la redistribution des cartes au plan stratégique. Si la Chine et les Etats-Unis contribuent grandement à ces changements, la Corée du Sud y tient toute sa place. Rien que sur le plan économique et commercial, nous en voulons pour preuve la signature de l’accord de libre-échange Corée du Sud/Etats-Unis entré en vigueur en mars 2012, les négociations en cours sur un accord de libre-échange Corée

du Sud/Chine ou encore celles sur une zone de libre-échange trilatérale Chine/Japon/Corée du Sud.

Le statu quo qui a prévalu durant p lus d 'un demi-s ièc le devien t difficilement tenable à moins que les voisins de la Corée ne souhaitent maintenir ce pays sous une forme de tutelle pour éviter de le voir exister pleinement et revendiquer le fait que le moment est peut-être venu pour lui de recouvrer enfin ce qui lui revient.

Membres du Comité Asie de l’ANAJ-IHEDN

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l’IranEntretien avec Thierry KELLNER1

A u 1 e r J u i l l e t , l ’ U n i o n Européenne a lancé l’application de nouvelles sanctions à l’encontre de l’Iran. Les mesures économiques - parfois assorties de sanctions politiques, diplomatiques, militaires, judiciaires, etc. - prises par les Etats-Unis e t l ’Union Européenne notamment , permet tent -e l l e s réellement de contraindre un pays riche tel que l’Iran ? Quels acteurs ont effectivement bénéficié / souffert de ces sanctions ?

Historiquement , de manière générale, les sanctions ont eu tendance à plutôt mal fonctionner dans le système international. Dans le cas de l’Iran, la richesse du pays en matières premières et en hydrocarbures rendait leur efficacité d’autant plus incertaine. Cependant, au regard des chiffres qui commencent à circuler, les sanctions internationales imposées à Téhéran semblent produire des effets non n é g l i g e a b l e s . A u - d e l à d e s e s rodomontades, les observateurs ont d’ailleurs décelé une certaine fébrilité du régime. La presse régionale a par exemple été appelée à ne pas rendre compte des effets des sanctions. Les importations de pétrole iranien ont diminué, même de la part de pays asiatiques que l’on considérait comme proches de l’Iran. Or l’économie iranienne, fortement étatisée, dépend pour une large part des rentrées pétrolières. Les sanctions qui pèsent sur le système bancaire rendent aussi plus difficiles et plus onéreuses les relations économiques de l’Iran avec ses partenaires. Il ne faut par ailleurs pas oublier que l’Iran souffrait déjà d’une mauvaise gestion de son économie depuis la révolution islamique et plus encore sous l’administration Ahmadinejad. Les

sanctions ont en fait renforcé des difficultés déjà existantes.

Dans le cadre de sanctions in ternat ionales , les d i ff icul tés é c o n o m i q u e s c r é é e s t o u c h e n t généralement la population en premier lieu. Le cas de l’Iran n’échappe pas à cette règle. Le taux d’inflation est très important. La valeur du rial a été divisée par 2 par rapport au dollar américain en quelques mois, ce qui affecte les importations iraniennes et notamment celles de biens de première nécessité (comme le riz ou le blé). Le prix du pain par exemple a augmenté de 40 % au cours du mois de juin 2012. La population ressent donc directement les effets des sanctions. À l’inverse, il faut être conscient que certains groupes, à l’intérieur du régime, peuvent tirer profit de ce système de sanctions et pourrait donc avoir intérêt à le voir se perpétuer un certain temps. Par exemple, certains au sein du régime ont accès à des dollars américains, ils peuvent donc bénéficier largement de la situation grâce au marché noir des devises.

L’AIEA estime que l’embargo européen sur le brut iranien a provoqué, depuis début 2012, une baisse de 30% des exportations pétrolières iraniennes, vers l’Europe mais aussi vers l’Asie. Quelles sont les conséquences de ces sanctions dans les relations entre Téhéran et ses partenaires asiatiques, notamment avec Pékin qui, en 2011, dépendait du pétrole iranien pour 11% de ses importations ?

Il y a eu en effet une baisse des commandes de pétrole iranien de la part des pays asiatiques. Le Japon et la Corée du Sud ont commencé à réduire leurs importations au début de l’année

2012 avant de les arrêter complètement pour le mois de juillet (Séoul totalement, Tokyo provisoirement semble-t-il). La Chine a également réduit ses importations. Un différend oppose la compagnie chinoise Sinopec à la compagnie iranienne de transport de pétrole NITC, ce qui retarde le chargement des cargaisons. Même l’Inde semble avoir réduit ses importations en raison de difficultés liées au transport du pétrole iranien. Au regard de l’Asie, les quantités de pétrole exportées seraient passées de 1,48 million de barils par jour (b/j) en juillet 2011 à 890 000 b/j en juillet 2012 soit une baisse de 40 %. Les exportations totales de Téhéran seraient tombées en juillet à un maximum de 1,1 millions de b/j, soit la moitié de la moyenne des quantités exportées en 2011. Les pertes pour le gouvernement iranien s’élèveraient pour le seul mois de juillet à 3,4 milliards de dollars.

Pour le Japon, allié des Etats-Unis, cette baisse semble s’inscrire dans la même logique que les sanctions occidentales. Pour appuyer les efforts de la communauté internationale, Tokyo a réduit provisoirement ses achats de pétrole -sans les interrompre totalement puisqu’il semble qu’il achètera des quantités non négligeables en août 2012-. Il a aussi cherché à développer des relations avec des fournisseurs de substitution tels que l’Arabie Saoudite ou l’Irak. Du côté de la Chine, la baisse des impor ta t ions semble p lus conjoncturelle. Elle résulte d’un différend avec le transporteur iranien et peut-être s’agit-il aussi d’un moyen de pression dans ses relations commerciales avec Téhéran (Pékin utilise l’isolement de l’Iran à son profit, afin d’obtenir des prix préférentiels pour le pétrole iranien). Certains s’interrogent. Pékin pourrait-il véritablement se substituer aux autres

La politique régionale de

1. Thierry Kellner est maître de conférences au Département de science politique de l'Université Libre de Bruxelles (ULB) et chercheur au centre Recherche et enseignement en politique internationale (REPI) de l’ULB. Il est également chercheur associé au Brussels Institute of Contemporary China Studies (BICCS). (Voir sa page personnelle http://dev.ulb.ac.be/sciencespo/fr/membres_kellner-thierry.html)

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clients pétroliers de l’Iran et augmenter considérablement ses importations de pétrole iranien ? Cette solution semble difficilement envisageable. Ce n’est pas dans l’intérêt chinois. Sur le plan politique, mettre en danger les « bonnes » relations avec Washington pour satisfaire Téhéran n’est pas une option. Pékin a aussi tout intérêt à la diversification de ses approvisionnements pétroliers et à accroître considérablement sa dépendance pétrolière à l’égard de Téhéran ne serait guère rat ionnel . Les pressions internationales sur Téhéran permettent néanmoins à la Chine de conserver l’Iran comme une sorte de chasse gardée. Le cas indien est aussi très intéressant. Malgré le rapprochement avec Washington, New Delhi cultive l’indépendance en matière de politique étrangère et tient compte en priorité de ses intérêts nationaux. Or, il partage des intérêts communs avec l’Iran (exemple en Afghanistan et en Asie centrale) et son économie a besoin du pétrole iranien. Il prend en compte ces variables dans ses choix et ne s’aligne donc pas forcément automatiquement sur les demandes américaines. L’attitude de New Delhi a d’ailleurs placé Washington dans une position délicate et l’administration américaine a été obligée de redoubler d’effort. Les compagnies indiennes ont réduit les quantités de pétrole iranien importé afin d’échapper à d’éventuelles sanctions américaines. En juillet 2012, la Mangalore Refinery and Petrochemicals Ltd (MRPL), le plus gros importateur indien de pétrole iranien n’a ainsi pu recevoir qu’un des quatre chargements prévus.

Sur le fond, les pays asiatiques consommateurs de pétrole n’ont aucun intérêt à voir la situation s’envenimer dans le Golfe étant donné les risques d’une hausse du prix du pétrole pour leur économie et leur haut taux de dépendance à l’égard du pétrole produit dans cette région (risque de rupture physique des approvisionnements). Ils préfèreraient voir l’Iran négocier véritablement en exposant clairement ses objectifs en matière nucléaire. Lors des dernières rencontres consacrées au nucléaire, les Iraniens sont en effet restés très vagues sur ce qu’ils souhaitent réellement. Pour Téhéran, si les exportations de son pétrole vers le

marché mondial continuaient à diminuer, de réelles difficultés de stockage pourraient se poser. Si la situation s’aggravait encore, un arrêt pur et simple de la production sur certains sites pourrait avoir par ailleurs de graves conséquences sur l’outil de production pétrolière. Les champs pétrolifères iraniens posent déjà de sérieux problèmes de maintenance et de maintien de la pression.

L’Iran dispose de la deuxième réserve mondiale en gaz et est le quatrième producteur mondial en pétrole. Téhéran demeure néanmoins importateur de ressources énergétiques, afin de satisfaire sa consommation interne. Comment expliquez-vous ce choix? Quelles sont les conséquences géopolitiques de cette interdépendance énergétique avec les autres acteurs de la région ? Plus particulièrement, dans quelles mesures cette interdépendance influence-t-elle la relation de l’Iran avec la Russie ?

L’Iran dispose d’importantes réserves pétrolières. Il est cependant dépendant en matière de produits pétroliers en raison de la faiblesse de son secteur du raffinage dont la modernisation et l’expansion ont été gênées par les sanctions américaines et un sous investissement chronique depuis la révolution islamique. Vu sa demande interne, l’Iran devait donc importer des quantités importantes de produits pétroliers de hautes valeurs ajoutées. Pour réduire cette vulnérabilité, Téhéran s’est attaqué aux subsides afin de réduire sa demande interne et donc ses besoins d’importation. Ils se sont en effet contractés en 2011. Par ailleurs, Téhéran bénéficie de réserves gazières très importantes (les deuxièmes du monde après la Russie). Il les utilise en grande partie pour sa consommation interne mais aussi dans ses champs pétrolifères afin de maintenir la pression au niveau de la production pétrolière. Malgré ses réserves, Téhéran n’exporte que de faibles quantités de gaz vers l’Arménie et vers la région azerbaïdjanaise du Nakitchevan. Il est cependant devenu le 2ème fournisseur gazier de la Turquie derrière Moscou dans la décennie 2000. Certaines difficultés ont cependant modéré l’intérêt d’Ankara pour le gaz iranien et depuis le Printemps

arabe, la Turquie explore de nouvelles possibilités de diversification pour ses approvisionnements gaziers. En Iran, un grand projet de gazoduc à destination du Pakistan et de l’Inde est également discuté depuis une vingtaine d’années. Ce projet n’a guère avancé du côté indien malgré l’intérêt récurrent de New Delhi. Si quelques progrès ont été enregistrés du côté du Pakistan, les difficultés locales (le gazoduc doit traverser la région du Baloutchistan) ainsi que les pressions américaines continuent de peser sur Islamabad, ce qui rend sa réalisation f inale t rès a léatoire , même s i l’infrastructure est aujourd’hui en place du côté iranien.

Le grand problème de l’Iran est que ses choix en matière de politique étrangère l’ont isolé sur la scène internationale et ont rendu beaucoup plus délicate la mise en oeuvre d’une véritable politique régionale. Les Etats considérés comme « proches » de l’Iran sont en fait des pays qui tirent profit de sa faiblesse et de son isolement plutôt que de réels « partenaires » dans une relation équilibrée. Le Turkménistan par exemple qui exporte du gaz dans le nord de l’Iran a fermé les vannes en plein hiver et réclamé des tarifs plus avantageux. L’Iran n’a pas eu d’autres choix que d’accepter les conditions turkmènes. Ses relations avec Moscou n’échappent pas non plus à cette logique. En matière gazière, les deux pays sont concurrents. Mais compte tenu de l’isolement politique de l’Iran, celui-ci ne peut exporter en Europe, ce qui arrange très bien la Russie. De fait, Moscou encourage plutôt la réalisation du projet de gazoduc de l’Iran vers le Pakistan et l’Inde. Cela lui permet de s’assurer le marché européen, alors que le gaz iranien pourrait s’orienter vers le marché a s i a t i q u e . S u r l e s p r o j e t s d e désenclavement de la région Caspienne, Téhéran aurait également pu être un grand concurrent de Moscou. Ses très mauvaises relations avec les Etats-Unis l’ont à nouveau écarté de tout projet d’infrastructures depuis cette région. L’isolement du régime iranien est donc très profitable pour la Russie tant sur le plan économique que politique. Lors du conflit en Tchétchénie par exemple, l’Iran s’est abstenu de toute position critique à l’égard de la politique de Moscou.

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Production 5 408 074Importation 227 828Exportation 267 044

Utilisation Interne Transformation 32 % Industrie de l’Energie 7 % Consommation Finale 61 %

Gaz Naturel – Iran (2009)Unité : Terajoules

Source : International Energy Agency (IEA)

Le 24 juillet prochain est prévue, à Istanbul, une rencontre entre l’Union Européenne et l’Iran portant sur le programme nucléaire controversé de Téhéran. Vous rappelez dans votre article que l’Iran a pu bénéficier, jusqu’au début des années 1990, de l’aide pakistanaise dans le domaine du nucléaire civil, puis du réseau d’Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise. Vous soulignez en outre, l’aspiration iranienne à devenir une puissance globale. L’acquisition du nucléaire civil et/ou militaire pourrait-elle faciliter l’influence de la république islamique dans un environnement régional et international ? Quels sont les risques de voir l’Iran devenir une puissance nucléaire ?

Sur la question du nucléaire iranien, il y a plusieurs éléments à prendre en compte. Tout d’abord le réel sentiment d’insécurité du pays. Historiquement, l’Iran est un pays carrefour. Il a été envahi à de nombreuses reprises. Dans l’histoire récente, l’Iran des Qadjar a subi au XIXème siècle une double ingérence : britannique au Sud et russe au Nord. En 1941, le pays a été occupé par les Britanniques et les Soviétiques ( a u x q u e l s s e s o n t j o i n t s l e s Américains) et après la Seconde Guerre mondiale, Moscou a favorisé des projets séparatistes dans le nord du pays. La première crise de la « Guerre froide » opposant Soviétiques et Occidentaux, l’affaire d’Azerbaïdjan, aura d’ailleurs pour cadre l’Iran. Plus tard , le gouvernement du Dr. Mossadegh qui avait nationalisé le pétrole iranien contrôlé jusque-là par Londres a été renversé à la suite d’un c o u p d ’ E t a t a t t r i b u é p a r l’historiographie iranienne à la CIA et au MI6 (une version contestable mais qui est devenu un véritable mythe en Iran et parmi de nombreux Iraniens). Lors de la guerre Iran-Irak, Téhéran a souffer t d’un grand isolement international mais aussi régional alors qu’il subissait une violente agression de la part de Bagdad soutenu par de nombreux pays arabes. Pour certains en Iran, l’arme nucléaire, de nature essentiellement défensive, viserait donc à sanctuariser le pays face à une insécurité « chronique » en quelque sorte. Ensuite, il ne faut pas négliger l’importance du sentiment de fierté nationale. L’Iran est plus qu’un grand pays, c’est une grande civilisation, le premier empire « mondial » de l’histoire. L’arme atomique lui

fournirait à la fois le prestige qui doit accompagner l’image qu’il se fait de lui-même et de sa place (celle d’une grande puissance) et une réelle indépendance. Par ailleurs, Téhéran comprend et accepte difficilement que des pays moins avancés comme le Pakistan puissent posséder la bombe atomique et pas lui. Pour le régime en place, le nucléaire constitue aussi évidemment une garantie quant à sa survie. L’exemple nord-coréen et le contre-exemple libyen le confortent dans son choix. L’Iran a vocation à être non seulement la puissance du golfe Persique mais également un des acteurs majeurs du Moyen-Orient, aux côtés de la Turquie ou de l’Egypte. Sur le plan idéologique, la République Islamique aspire en outre à devenir une puissance globale. Or, l’arme nucléaire fait en quelque sorte partie de la « panoplie » des outils à disposition d’une telle puissance. Tous ces éléments tendent à expliquer l’intérêt iranien pour le nucléaire. Mais la volonté de Téhéran ne semble pas nécessairement être de posséder l’arme nucléaire mais d’avoir la capacité à en disposer un jour ou en tout cas, de maintenir cette ambiguïté. Je vois plus la volonté iranienne dans ce sens là. À l’heure actuelle, il n’y a en tout cas aucune preuve que le régime iranien (le Guide en fait) a pris la décision finale de se doter de l’arme nucléaire. Il semble cependant que certains caressent l’idée de faire de l’Iran un « Etat du seuil », c’est-à-dire capable de se doter de l’arme suprême si cela s’avérait nécessaire.

Deux mois après son élection en 2005, le président M. Ahmadinejad déclarait : « Israël doit être rayée de la carte ». Vous soulignez d’ailleurs que l’Iran se présente comme chef de file du « front de refus » face à l’Etat hébreu, ce qui a octroyé à Téhéran un certain succès régional. De son côté, Israël a énoncé en février 2012, être prête à envisager des frappes militaires contre les installations nucléaires iraniennes. Quelle est la véritable nature des relations entre ces deux états ? Quels intérêts – économiques, stratégiques, idéologiques etc. – alimentent les tensions entre Téhéran et Tel Aviv, soutenue par les Etats-Unis ?

Fondamentalement, il n’existe historiquement pas de conflits entre l’Iran et Israël. Les deux pays ne partagent pas de frontières communes et leurs intérêts géostratégiques les ont

portés vers des zones différentes. L’Iran s’intéresse avant tout au golfe Persique même si, comme nous l’avons expliqué dans notre article2, Téhéran regarde en fait dans cinq directions différentes en matière de politique régionale. De son côté, Israël s’oriente surtout vers le Levant et la Méditerranée avec une ouverture sur la mer Rouge. Les régions d’influence principales des deux pays peuvent se chevaucher (notamment au Levant) mais demeurent plutôt distinctes. En outre, historiquement, les relations entre juifs et iraniens ont été très bonnes (voir les références bibliques positives à cyrus par exemple). Il existe encore à l’heure actuelle une communauté juive en Iran (environ 25 000 personnes) qui a d’ailleurs un député au Majles. De nombreux juifs d’origine iranienne ont émigré en Israël. Le pays en compte de 100 à 150 000. Certains ont des postes très é l e v é s d a n s l ’ a r m é e o u l e gouvernement. Tel Aviv dispose donc d’une expertise de haut niveau sur ce pays et a une très bonne connaissance de l’Iran. Les radios israéliennes en persan (comme la station publique Israël Radio International Persian Service ou la station privée Radio Radisin) sont d’ailleurs très écoutées en Iran.

Le discours anti-israélien (anti-sioniste) en Iran a débuté avec la R é v o l u t i o n i s l a m i q u e . I s r a ë l entretenait d’excellentes relations avec le Shah. Le nouveau régime a donc pris le contre-pied du précédent. Israël est proche de Washington et considéré comme son relais au Moyen-orient, raison de plus pour le vouer aux gémonies . Enf in , su r l e p l an idéologique, la question palestinienne intéressait aussi Khomeiny. Le discours antisémite et négationniste date pour sa part davantage de l’arrivée au pouvoir d’Ahmadinejad. Plutôt qu’à la scène interne, le discours anti-israélien de la République islamique s’adresse essentiellement à la rue arabe, afin d’accroître le soft power du pays et de donner une image positive de Téhéran au sein des pays arabes. Il s’agissait aussi pour Téhéran d’instrumentaliser le facteur israélien pour projeter son influence régionale (notamment au Levant). Mais l’image de l’Iran est aujourd’hui très écornée dans le monde arabe. En effet, Téhéran est très critiqué dans le monde arabe sunnite compte tenu de son alignement et de son soutien continu au régime syrien de Bachar al-Assad. Les relations entre Téhéran et le Hamas

2. Voir Mohammad-Reza Djalili, Thierry Kellner, « La politique régionale de l’Iran : potentialités, défis et incertitudes », GCSP, Geneva Papers, Research Seriesn°6, avril 2012, 38p. (http://www.gcsp.ch/Middle-East-North-Africa/Publications/GCSP-Publications/Geneva-Papers)

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palestinien se sont aussi distendues dans le cadre du printemps syrien.

Du côté israélien, il est difficile de se prononcer sur le fond. Certains en Israël semblent obsédés par la « menace » iranienne. Jusqu’à présent, la stratégie d’Israël consiste à essayer de ralentir le programme nucléaire iranien en s’en remettant à la diplomatie menée par Washington et les Européens mais aussi au moyen de la subversion (sabotage, emploi de virus informatiques, peut-être aussi élimination de savants iraniens, mais il faut rester très prudent sur ces points). Certains envisagent des frappes militaires (les milieux militaires israéliens sont cependant divisés sur cette question). C’est en tout cas la menace que Tel Aviv a brandi à plusieurs reprises. De la même façon que les frappes israéliennes sont sensées avoir affaibli les capacités militaires du Hezbollah, en le ramenant quelques années en arrière (ce qui reste à démontrer), il s’agirait de gagner du temps face à Téhéran. Tous les experts s’accordent cependant sur le fait qu’il n’est pas possible par de simples frappes de mettre un terme au programme nucléaire iranien. Au contraire, selon nous, des frappes israéliennes permettraient à Téhéran de se dégager de toutes obligations internationales et de renier le Traité de non-prolifération. À l’instar de ce qui s’était passé lors du bombardement israélien sur le réacteur irakien d’Osirak, des frappes en Iran pourraient avoir l’effet inverse et venir alimenter la volonté de Téhéran de se doter de l’arme nucléaire le plus rapidement possible. Les archives capturées à la chute du régime irakien montrent en effet que les frappes israéliennes ont conduit Bagdad à accélérer le développement de l’arme nucléaire plutôt qu’à y renoncer. L’Iran est pour l’instant en mauvaise posture et isolé. Les pressions internationales sont importantes et le mettent en situation de fragilité. Des frappes i s r a é l i e n n e s m o d i f i e r a i e n t complètement la situation et Téhéran en serait finalement le seul gagnant. Le programme nucléaire deviendrait entièrement secret, certains sites s e r a i e n t d a n s t o u s l e s c a s inatteignables et les « cerveaux » seraient toujours là. Sans compter le coût politique pour Israël dans le monde arabe et la position de « victime » que Téhéran pourrait adopter.

I l f a u t é v i d e m m e n t r e s t e r particulièrement vigilant vis-à-vis des ambitions nucléaires iraniennes et ce d’autant qu’on sait aujourd’hui que la

recherche de la détention d’une capacité nucléaire n’a pas seulement un caractère essentiellement défensif c o m m e d e n o m b r e u x e x p e r t s continuent de le penser. En effet, à nouveau grâce aux archives irakiennes cap turées lo r s des opéra t ions américaines de 2003, nous savons que la stratégie prévue par S. Hussein était en fait de lancer et de mener une guerre d’usure contre d’Israël à l’abri du bouclier nucléaire. Si un tel cas de figure se dessinait dans le cas iranien, il serait évidemment très inquiétant pour Israël mais aussi pour l’Arabie Saoudite et les autres monarchies du golfe Persique à minorité chiite. Rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que Téhéran cherche à adopter ce même type de stratégie ou a fait le même calcul. Mais le précédent irakien doit nous conduire à envisager cette possibilité et à relativiser le caractère supposé essentiellement défensif de la recherche d’une capacité nucléaire. Cette possibilité complique bien entendu encore la donne sur le dossier du nucléaire iranien et rend d’autant plus urgent et nécessaire l’obtention d’une solution à cette question.

Vous soulignez l’importance de l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah-Hamas, que vous qualifiez d’ailleurs d’un « des plus beaux succès de la polit ique iranienne ». Or, le printemps arabe et la situation incertaine du régime de B. al-Assad, viennent aujourd’hui menacer cet axe. Quel est le rôle effectif de Téhéran dans le maintien de l’actuel chef d’état syrien au pouvoir? Quelles seraient les conséquences de la chute du régime syrien pour le positionnement iranien? Quelle position Téhéran pourrait alors être amenée à adopter, en vue de réajuster ses intérêts dans la région ?

Depuis quelques mois, le Hamas s’est rapproché de l’Egypte et des Frères musulmans. Il a pris ses distances vis-à-vis de l’Iran qui soutient le régime de Bachar al-Assad. Le Hezbollah a également montré quelques signes de distanciation par rapport à Damas. La répression violente en Syrie a des répercussions au Liban et pour le Hezbollah, il pourrait devenir contreproductif sur la scène libanaise de maintenir une trop grande proximité avec le régime syrien. Il est toutefois encore trop tôt pour conclure à une véritable prise de distance entre Hezbollah et régime syrien et pour dresser un bilan des conséquences de cette possible distanciation sur le lien entre Téhéran

et le Hezbollah. Il sera toutefois très intéressant d’observer les évolutions de la situation.

Pour l’Iran, le « printemps arabe » est resté positif tant qu’il touchait des alliés des Occidentaux (Tunisie, Egypte…) mais lorsqu’il a atteint la Syrie, la situation s’est inversée. Téhéran a soutenu et continue de soutenir le régime syrien par tous les moyens possibles malgré une petite hésitation à l’été 2011. Il serait aujourd’hui difficile pour Téhéran de modifier à nouveau son discours en faveur de Damas (il l’avait durci à l’automne 2011 voyant le régime reprendre le dessus). Téhéran a fait tout ce qu’il pouvait pour aider le régime en place. Il a fourni un soutien politique au régime syrien par sa propagande et en relayant celle de Damas. Il a offert ses conseils aux autorités en matière de répression et de cyberguerre contre les opposants. Téhéran a également fourni une assistance financière et économique, notamment à travers la contrebande de pétrole qui a permis à Damas de livrer du pétrole syrien à la Chine. L’Iran avait aussi proposé la construction d’un gazoduc qui passerait par la Syrie et la Turquie pour atteindre le marché européen afin que les Européens aient davantage d’intérêts économiques au maintien du régime syrien.

À l’heure actuelle, l’influence i r a n i e n n e s u r D a m a s s ’ e s t considérablement accentuée car Téhéran s’est placé en position d’allié inconditionnel. Cette influence est intéressante pour la République islamique à court terme. Mais à moyen et long terme, la prise de position iranienne pourrait ne pas avoir que des conséquences positives. Si le régime syrien se maintient au pouvoir, il sera très affaibli. Téhéran pourra maintenir de l’influence, mais devra composer avec une partie de l’opposition syrienne. Si les opposants renversent finalement le pouvoir en place, la position de l’Iran sera évidemment très délicate vu l’image iranienne très dégradée dans l’opinion sunnite syrienne. Quoi qu’il arrive, Téhéran va payer un prix politique pour son soutien inconditionnel au régime de Bachar al-Assad. Si le contact se r o m p t r é e l l e m e n t a v e c l e gouvernement syrien, c’est toute la politique de Téhéran au Levant et en direction de la Méditerranée qui pourrait être remise en question. Cela sonnerait le glas de 30 années de politique étrangère iranienne en direction de ces zones et briserait l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah-Hamas

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déjà affaibli par le « printemps arabe ». L’effondrement du régime syrien pourrait aussi avoir des conséquences internes en Iran, en montrant qu’un régime politique même violent à l’extrême, ne peut f inalement pas résis ter à une opposition déterminée. Dans le sillage du « printemps arabe », le régime iranien déjà affaibli par les événements de 2009 (élect ion c o n t e s t é e d ’ A h m a d i n e j a d e t p r o t e s t a t i o n s m a s s i v e s d u « Mouvement Vert » , ensui te s a u v a g e m e n t r é p r i m é ) e t l e s sanctions internationales qui le frappent dans le cadre du dossier du nucléaire risque d’apparaître de plus en plus clairement comme étant du « mauvais côté de l’histoire ».

Entretien conduit par Milena BAUD3

3. Après une licence en droit, Milena Baud étudie désormais les relations internationales, spécialisation sécurité, paix et conflits, à l’Université Libre de Bruxelles.

Récemment paru : Mohammad-Reza DJALILI, Thierry KELLNER, L'Iran et la Turquie face au « printemps arabe ». Vers une nouvelle rivalité stratégique au Moyen-Orient ?, Bruxelles, Grip, 2012, 140p.(voir détails http://dev.ulb.ac.be/sciencespo/fr/livres-details_liranetlaturquiefaceau.html)

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L’Eurasie centraleLe coeur de la politique globale au XXIe siècle?

Depuis la disparition de l’URSS et l’émergence des nouveaux Etats indépendants en 1991 il y a un grand nombre d’experts, notamment anglo-saxons qui parlent du déroulement d’un Nouveau Grand Jeu dans la rég ion cen tra l e - euras ia t ique (comprenant les huit Etats ex-soviétiques du Caucase du Sud et d’Asie Centrale). Dans quelle mesure cette thèse vous semble pertinente? Quels sont les acteurs et les enjeux actuels de ce Nouveau Grand Jeu ?

Je ne crois pas qu’on puisse parler d’une thèse car personne, à ma connaissance, n’a défini exactement ce que serait ce nouveau « Grand jeu » et quels en seraient les enjeux. Comme la notion de « Nouvelle Route de la Soie », c’est une manière de rattacher des phénomènes qu’on peine à interpréter à une représentation collective rassurante et accrocheuse.

Historiquement, le Grand jeu a opposé la Russie impériale et l’Empire britannique sur un immense territoire aux souverainetés alors fragiles : l’Asie centrale. C’est ce terrain de jeu qui a fait le jeu. Aujourd’hui, la région est un espace organisé politiquement en cinq Etats (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan) et il n’y a plus cet appel du vide qui avait aiguisé les ambitions britanniques et russes. Pourtant, alors que son histoire contemporaine est restée confondue avec celle de l’URSS jusqu’en 1991, l’Asie centrale retrouve aujourd’hui de la singularité et de l’intérêt aux yeux des

puissances mondiales, anciennes comme émergentes.

Comme vous, j’incorporerais à cette méta-région le Caucase. Les trois Etats qui le composent (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan) sont désormais pleinement acteurs des logiques régionales, avec peut-être un bémol pour l’Arménie.

Sur ce terrain de jeu qui n’a donc pas de nom (Centre Eurasie ?) et dont les lignes de touche sont incertaines pour rester dans la métaphore sportive, se croisent une multiplicité d’acteurs, s’entremêlent des problématiques de court et de long terme, locales et planétaires, se confrontent des sociétés traditionnelles avec des évolutions économiques et sociétales d’une violence aigüe. S’il y a Grand jeu, il faut y voir une mêlée de rugby plus que le jeu d’échecs et d’intrigues mené par quelques officiers courageux, tels que le décrit l’ouvrage de Peter Hopkirk (Le Grand jeu – Officiers et espions en Asie centrale, Bruxelles, 2011, Nevicata pour la version française).

Dans cet entrelacs, évoquer les acteurs et les enjeux, c’est forcément être réducteur. Parmi les incontournables, figure la Russie, soucieuse de stabilité dans une zone qui reste la sphère d’influence qu’elle contrôle le mieux.

La Chine est également très présente, pour des raisons stratégiques, de sécurité et d’approvisionnement énergétique, mais également parce

qu’elle est engagée dans un effort de désenclavement et de développement de son grand Ouest, zone toujours sensible en raison de la problématique ouighour. Pour la Chine, l’Asie centrale, c’est la voie d’accès au Golfe arabo persique et, de ce point de vue, on est dans une sorte de Grand jeu.

Les Etats-Unis, véritablement arrivés dans la zone avec la guerre en Afghanistan, semblent vouloir ne pas laisser Russie et Chine, notamment au travers de l’Organisation de la Coopération de Shanghai, assurer un condominium de fait sur la région. Toutefois, la nouvelle orientation stratégique des Etats-Unis vers l’Asie méridionale et la fin prochaine de l’engagement américain en Afghanistan ne garantissent pas la pérennité de leur engagement dans une région où ils sont relativement peu présents, en dehors de leurs bases militaires et de leurs investissements pétroliers.

Un autre acteur majeur auquel on pense moins est l’Iran, pays riverain de la Caspienne qui jouit d’appuis réels auprès des acteurs régionaux. C’est le cas de la Russie et de la Chine, mais également du Turkménistan, pays reconnu comme neutre par les Nations Unis et qui, à ce titre, bénéficie d’une position singulière dans la confrontation qui oppose Téhéran à la communauté des nations. Pour Téhéran, l’enjeu, c’est éviter l’encerclement en préservant ses relations avec ses voisins du Nord Est.

Le Pakistan est aussi à compter parmi les acteurs « régionaux », par sa

1. Né en 1959, Christian MAUVE a suivi des études de sciences politiques avant d’intégrer l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr. Officier de l’Arme blindée-Cavalerie, il débute sa carrière par des temps de commandement en France et Allemagne, à une époque encore marquée par la Guerre froide. A partir de 1992, dans des fonctions à finalités politico-militaires, il vit la fin de la présence militaire française à Berlin, et la guerre du Kosovo au SGDN (aujourd’hui SGDSN). Il rejoint ensuite les services du ministère de la Défense où il exerce diverses responsabilités opérationnelles et de commandement dans le renseignement stratégique. Fort de cette expérience et de ses connaissances sur le monde ex-soviétique, il fonde en 2011 une société d’intelligence économique orientée sur la zone eurasiatique.

Les acteurs et les enjeux d’un espace hautement convoité. Où en est la France?Entretien avec Christian MAUVE1

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capacité à œuvrer pour ou contre un apaisement en Afghanistan au-delà de 2014, et pour son intérêt pour les ressources énergétiques de la zone (Hydroélectricité et gaz). On peut faire un copier-coller pour l’Inde.

La Turquie enf in , don t on surestime parfois l’influence culturelle et politique dans la zone (la plupart des langues d’Asie centrale sont turciques, à l’exception du tadjik qui tire son origine de certains dialectes persans) mais dont il ne faut pas sous estimer l’influence économique en r a i s o n d u d y n a m i s m e d e s e s entreprises et de son rôle potentiel de porte d’entrée vers l’Europe pour les hydrocarbures du bassin caspien.

Et enfin, il y a les Etats de la région qui ne sont pas les satellites qu’on décrit et qui cherchent des voies pour se développer de manière équilibrée, en profitant au mieux de la convoitise de leurs voisins et d’une rente qu’ils savent volatile. Ceux qui comptent sont le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et le Turkménis tan. I l leur manque néanmoins certains des attributs de la puissance ; s’ils ont un territoire, parfois immense (le Kazakhstan est aussi étendu que l’Union européenne) l e u r s f o r c e s a r m é e s r e s t e n t dépendantes de leurs grands alliés et leur population est peu nombreuse et insuffisamment formée en dépit de leurs efforts. Surtout, elle subit de plein fouet des transformations inimaginables de mode de vie, avec des modifications sociologiques importantes, notamment dans le partage clanique du pouvoir et de la richesse, à tous les niveaux. C’est le terreau d’un malaise social ou sociétal qui prend parfois la forme d’un islamisme radical.

Quelle influence, la Russie exerce-t-elle encore sur cette vaste région et par quels moyens? Quels sont les Etats du Caucase du Sud et d’Asie centrale qui sont les plus vulnérables face à la Russie et pour quelles raisons?

Dans le domaine militaire et de sécurité, l’influence reste forte. La proximité avec Moscou constitue une garantie de sécurité indispensable pour les régimes de la région dont la légitimité repose souvent sur la seule personnalité du dirigeant et qui, d’autre part, sont affectés par les turbulences d’une crise afghane que le retrait des forces internationales, en 2014 ne règlera pas. Les relations po l i t iques e t ce l l es en t re l es « organes » de la Russie et des pays de la zone sont donc étroites, au niveau

b i l a t é r a l o u d a n s l e c a d r e d’organisations comme l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) ou de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). En limitant les velléités chinoises de donner à l’OCS en une dimension économique tout en renforçant l ’ o r i e n t a t i o n s é c u r i t a i r e d e l’organisation, Moscou a confirmé sa position de tête de file.

Dans le domaine économique, la région s’ouvre de façon croissante à d’autres échanges et la position économique de la Russie y est désormais fortement contestée, y compris dans le domaine des hydrocarbures où elle faisait figure d’acheteur unique. Dans ce secteur, Moscou use et abuse de son poids politique pour préserver son accès privilégié aux ressources énergétiques de la Caspienne, afin de maintenir le niveau de ses exportations vers l’Europe occidentale, source de devises pour « l’émirat pétrolier de Russie ». Mais l’intérêt bien compris des pays de la région - ceux qui ont des ressources – les pousse à s’ouvrir au marché in te rna t iona l pour bénéficier de prix plus élevés et de la technologie occidentale, seule capable d’optimiser l’exploitation de leurs gisements en minimisant le risque environnemental.

Par ailleurs, « Poutine III » sera jugé sur sa capacité à conduire la diversification de l’économie russe, trop dépendante des industries d’extraction. Pour cela, il faut à la Russie un marché intérieur protégé et un marché périphérique plus ou moins

captif. L’union douanière à laquelle ont adhéré la Biélorussie et le Kazakhstan est l’instrument de cette stratégie dont l’aboutissement serait la c r é a t i o n d e c e t t e « U n i o n eurasiatique » proposée par M. Poutine en 2011. Devant constituer un pôle capable de « servir de lien efficace entre L’Europe et la dynamique région Asie-Pacifique », cette union a cependant peu à offrir aux pays de la région, peu solubles ou déjà très engagés avec d’autres partenaires, la Chine au premier rans, et qui éprouvent une grande réticence à coopérer sur une base régionale. Son succès n’est donc pas garanti en dépit de ce qu’on entend ici ou là. Rappelons que la Biélorussue, dont l’économie est à terre, ne compte que 9,5 mil l ions d’habi tants et le Kazakhstan 16,6 millions. Cela ne fait pas un grand marché.

Concernant la vulnérabilité de certains pays de la région, je parlerai p l u t ô t d e d é p e n d a n c e . C e t t e dépendance est de sécurité et/ou économique.

Dans le Caucase, le conflit russo-géorgien de 2008 et la gestion des pseudo-Etats du Caucase ont fait la démons t r a t ion d ’une capac i t é d’ingérence directe de la Russie via les structures de force et le contrôle de la vie économique. C’est pourquoi, l’Arménie et la Géorgie sont plus d é p e n d a n t e s q u e l e u r v o i s i n azerbaïdjanais. La première souffre d ’ u n e é c o n o m i e f r a g i l e a u x potentialités limitées et le conflit qui l ’ o p p o s e à B a k o u l u i r e n d indispensable le soutien russe. Pour ce

Source : http://centralasiaconnect.web.unc.edu/

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qui est de la Géorgie, les milieux d’affaires géorgiens, en dépit du conflit de l’été 2008 et de la question pendante de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, renouent actuellement des liens économiques avec la Russie, confirmant ainsi le poids de la géographie et leur sens des réalités. Car l’avenir économique de la Géorgie dépend de sa capacité à profiter des investissements russes dans le Caucase, liés aux Jeux Olympiques de Sotchi. Dans ce cas précis, on peut se hasarder à parler d’une sorte de soft power à la russe, ou d’alternance de carotte et du bâton.

En As ie cen t ra le , où s ’es t développé dès avant la fin de l’URSS un nationalisme fort, l’influence de Moscou a connu un recul important durant ces 20 années d’existence des nouveaux Etats, période où la Russie a connu elle-même des difficultés. La population d’origine russe y a diminué en moyenne de 50 % tandis que la langue russe passait derrière les langues nationales, tout en restant la langue véhiculaire régionale.

Les pays qui restent dépendants de l’ex puissance tutélaire sont le Tadjikistan et le Kirghizistan, directement menacé par la crise afghane et leur absence de ressources, toujours à la recherche d’un équilibre entre l’ours russe et le dragon chinois.

Notons la place particulière du Kazakhstan, membre de l’union douanière et proche de Moscou par ses prises de position sur la scène internationale. Contrairement aux pays précédemment cités, c’est un pays riche qui aspire à développer une économie diversifiée sur un territoire grand comme l’Europe occidentale. Sa proximité avec Moscou s’explique sans doute par la personnalité de M. Nazarbaiev et son souhait d’apparaitre comme le premier allié de la puissance russe, tout en ayant les moyens de son indépendance.

Je voudrais conclure sur ce point de l’influence russe en évoquant l’origine commune des dirigeants de la région, quasiment tous issues des structures de cadres de l’Union soviétique. Cette manière identique de penser le monde et la région les rapproche et, tant que la Russie saura maintenir cette logique d’Empire, être un centre et un modèle plus qu’un donneur d’ordres, elle restera une référence dans la région. De ce point de vue, beaucoup d’analystes évoquent un retour de la Russie dans la région. Pour les raisons déjà évoquées, je suis relativement dubitatif, d’autant qu’avec le départ biologiquement programmé de ces anciens du PCUS,

la Russie va perdre prochainement son meilleur vecteur d’influence.

Quels sont les acteurs européens les plus engagés dans le Caucase du Sud et en Asie Centrale ? Est-ce que la France est suffisamment active dans ces deux régions connectées par la Mer Caspienne? Quels sont l e s i n t é r ê t s p o l i t i q u e s e t économiques de la France dans cet espace?

A vrai dire, il n’y a pas d’acteur européen véritablement engagé, dans le sens où celui-ci suivrait une s t r a t é g i e r é g i o n a l e . L’ U n i o n européenne en tant qu’acteur s’est distinguée en lançant le programme TRACECA (Transport Corridor Europe-Caucasus-Asia), en 1993. T R A C E C A v i s e à s o u t e n i r l ' i n d é p e n d a n c e p o l i t i q u e e t économique des pays d'Asie centrale en améliorant leurs capacités d'accès aux marchés européens et mondiaux. Cette volonté de mettre en place des axes routiers structurant l’Eurasie a permis effectivement de désenclaver ces régions et de lever l’obstacle de la distance. Plus récemment, en 2007, sous l’influence de l’Allemagne dont les entreprises sont assez présentes dans la région, l’U.E a initié une Stratégie pour l’Asie centrale dont l’objectif réel est le renforcement des liens en matière d’énergie et de transports. Il y avait d’autres ambitions dans ce document mais la volonté de sortir de la dépendance au gaz russe en accédant au gaz caspien est désormais l’angle quasi unique de lecture de la relation U.E– Caucase –Asie Centrale. Sur ce terrain, la « diplomatie des pipelines » et les déboires du projet européen Nabucco, concurrencé par des tracés tels que le TANAP(Trans Anatolian Pipeline) + TAP(Trans Adriatic Pipeline) auxquels se sont associés des Européens, ont montré la difficulté de l’Union à surmonter ses dissensions internes.

Faute de démarche intégrée, les Européens avancent donc en ordre dispersé. Les plus avancées sont les entreprises allemandes et italiennes dont l’objectif semble être de profiter de la rente des Etats pétroliers et gaziers de la région sur les marchés de bien d’équipement pour les premières et de biens de consommation pour les secondes. La France suit une ligne semblable, cherchant à développer ses échanges avec le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan, mais elle reste en retard (ainsi le volume de nos échanges en Asie centrale est 6 fois moins important que celui de l’Allemagne). Les avancées notables

dans la région sont le fait de grands groupes (Total, Alstom, Thales, Bouygues, Vinci), sur des marchés dont la dimension politique est souvent forte et où l’appel aux sous-traitants locaux est souvent une obligation. De ce fait, le marché centre-asiatique ne s’ouvre que trop lentement aux PME françaises, par comparaison avec les Allemands et les Italiens qui, sur des marchés plus B2B, entrainent leurs fournisseurs dans leur sillage.

Politiquement et économiquement, la France reste donc un challenger. Et après notre départ d’Afghanistan, nous n’aurons plus guère d’enjeu politique dans la région. Il restera néanmoins un incitatif fort, celui de profiter d’une zone aux ressources énergétiques importantes pour y trouver des relais de croissance pour nos entreprises, alors que nos zones traditionnelles d’intérêt (Afrique Moyen-Orient) connaissent à la fois une phase d’instabilité et d’irruption d’une concurrence agressive. C’est pourquoi, je suis convaincu que nous devons nous intéresser à une zone qui, en dépit de sa solvabilité inégalement répartie, constitue un marché émergent de 82 millions d’habitants.

Quelles opportunités d’affaires les pays du Caucase du Sud et d’Asie Centrale offrent-ils aux investisseurs étrangers, hors du secteur énergétique ? Quels sont les pays les plus attractifs et les plus accueillants pour les entreprises étrangères, y compris françaises ?

Les opportunités d’affaires, potentiellement nombreuses, sont différentes d’un pays à l’autre, naturellement bien plus importantes dans les pays disposant de ressources en hydrocarbures.

La répartition soviétique du travail avait condamné les Etats de la région à la monoproduction : hydrocarbures, coton, minerais ou hydroélectricité. Ces secteurs, vieillissants ou menacés par la raréfaction des ressources naturelles, sont aujourd’hui porteurs d’opportunités pour les entreprises qui offrent des équipements ou des technologies de réduction des entrants et d’optimisation des processus industriels, dans le respect du milieu.

Concernant les infrastructures, le discours dominant dans la région est c e l u i d u d é v e l o p p e m e n t /diversification, inspiré de la réussite de Dubaï. Il est donc possible d’entrer en premier dans un domaine nouveau. Cela suppose néanmoins une claire identification du besoin, parfois

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diff ic i le car les s t ra tégies de développement des Etats sont opaques et leurs attentes souvent irréalistes, marquées par un « tout, tout de suite ». Cet effort d’équipement, qui est surtout le propre des pays à hydrocarbures, provoque aussi l’émergence d’un secteur de soutien aux entreprises où nous occupons déjà des places (par ex : Sodexho dans la restauration collective sur les grands chantiers), mais qui reste encore largement ouvert.

Quant au consommateur de la région, tenté par l’offre à bas coût venue d’Asie, il est en attente de produits à l’identité marquée et à la valeur d’usage dépassant la simple relation qualité/prix. Dans ce domaine, l’émergence d’une classe moyenne en recherche de différenciation offre des possibilités pour les produits de semi-luxe, du soin du corps et de la santé, notamment la puériculture. L’agro- alimentaire, et en particulier le matériel servant à la transformation et à la valorisation des produits locaux, bénéficie également d’une demande forte, liée à la modification des goûts a l i m e n t a i r e s i n d u i t e p a r l e s c h a n g e m e n t s s o c i é t a u x e t l’urbanisation.

Enf in , la modernisa t ion de l’agriculture et surtout de l’élevage, sinistré depuis la fin de l’Union soviétique, sont des chantiers où notre expertise est très attendue. A ce titre, l e s p a y s a t t r a c t i f s s o n t b i e n évidemment ceux qui sont solvables et qui disposent d’un marché intérieur organisé : l’Azerbaïdjan, la Géorgie, le Kazakhstan et le Turkménistan. Les pays accueillants, selon vos termes, sont tous les pays de la région, même s’il faut considérer que le poids de l’administration rend notoirement moins « agréable » l’accès aux marchés ouzbèke et turkmène.

Quelles sont les caractéristiques de l’environnement des affaires dans ces pays ex-soviétiques et les difficultés rencontrées par une entreprise étrangère ?

L’environnement des affaires dans la région est semblable à ce qu’on observe dans le reste de l’ex-Union sovié t ique . I l es t marqué par l’incertitude juridique, le poids excessi f e t souvent abusif de l’administration, et par l’existence de groupes d’intérêts potentiellement prédateurs, ayant une vraie capacité de nuisance en raison de leurs accès

directs aux politiques et à la décision administrative.

Pour autant, cela ne constitue pas une généralité et il existe des entreprises locales qui fonctionnent selon des standards de gouvernance proches des standards occidentaux, par conviction de leurs dirigeants ou parce qu’elles ont compris que cela déterminait leur capacité à développer leurs affaires hors de la zone.

La première difficulté est donc, après avoir identifié une opportunité, de connaitre l’environnement concurrentiel et ses pratiques et - je ne saurais trop le conseiller - d’identifier un ou des partenaires susceptibles de faciliter l’insertion sur le marché local, dans le respect des règles corporate. C’est un processus long, qui nécessite de se faire aider et conseiller.

D’autre part, les entreprises occidentales ne sont pas attendues sur ces marchés, et la concurrence y est particulièrement âpre. Si nos productions bénéficient d’un niveau technologique attractif, l’effet prix joue contre elles, non seu lement parce que nos concurrents sont régulièrement moins chers mais aussi parce qu’ils proposent des modalités de financement défiant toute concurrence, comme le font les Chinois avec leurs fonds souverains.

Enfin, Turcs, Russes, Coréens et Chinois, aux méthodes commerciales parfois limites et qui ne sont pas gênées par les restrictions aux échanges décidées par l’Union européenne pour des raisons éthiques, telles que les sanctions appliquées à l’Ouzbékistan entre 2005 et 2009, bénéficient d’un avantage certain.

Parce qu’elle doit faire face à toutes ces difficultés à la fois, une entreprise occidentale qui souhaite s’implanter dans cette région doit réunir deux conditions impératives. La première est de ne pas y aller seule, et le succès de nos amis allemands dans la zone tient à ce qu’ils sont concentrés (84 % de leurs échanges avec l’Asie centrale concernent le Kazakhstan) et qu’ils chassent en bandes. La seconde est de s’inscrire dans le temps long en oubliant le French Style, comme on le décrit ironiquement en Chine, cette faible appétence que nous avons pour les projets de longue durée nécessitant une préparation et une approche coûteuses en temps et en argent. C’est pourquoi, il est primordial de choisir des collaborateurs capables de créer des liens et de comprendre le pays, et qui évitent de rentrer tous les

vendredis soirs à Paris, comme je l’ai vu !

Pour une entreprise tentée par l’aventure, il me parait enfin utile d’avoir une action de communication et de marque mettant en avant l’utilité sociale de l’entreprise. Héritage du passé communiste et témoignage d’une société encore holiste, les décideurs et consommateurs de la région privilégient (en apparence au moins) le progrès de la communauté sur la réussite individuelle.

Quel avenir politico-stratégique et économique pour ces deux régions ? Assisterons-nous à l’installation d’une pax Europeana, Russica ou… Sinica ? Comme je vous l’ai dit, la Pax Europeana et Russica ne me paraissent pas les plus probables. La Pax Sinica est une éventualité qui ne peut pas être écartée. Si la Chine n’a pas de volonté d’occupation, même pacifique, elle a besoin d’un libre et sûr accès à la zone afin de désenclaver économiquement son Grand Ouest et pour faciliter le transfert des ressources énergétiques locales et en provenance du Golfe, voire d’Afrique. C’est une stratégie de puissance terrestre qui vise à contrer la stratégie américaine qui, elle est navale. Historiquement, c’est la domination navale et la « navalisation » des échanges qui ont toujours fini par prévaloir mais la Chine a des moyens énormes et inscrit sa démarche dans le temps long. Je pense donc, sans être prophète, que la zone va connaitre un moment historiquement particulier, dû à la conjonction de cette volonté de la Chine et d’une rente énergétique non négligeable. Saura-t-elle en tirer les ressources nécessaires pour s’établir comme une zone de stabilité et de prospérité ? L’Histoire reste à écrire.

Entretien conduit par Inessa BABAN2

2. Doctorante en géopolitique à l’Université Sorbonne-Paris IV, Membre du Séminaire « Jeunes Chercheurs » à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire, Membre du « Comité Asie » de l’ANAJ-IHEDN, Séminaire IHEDN Master 2 « Défense et Sécurité » 2008

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The Asian and Mid-East crescent of security challengesBy Brij KHINDARIA1

A large crescent of security and political challenges to the Unites States and its NATO allies is emerging, stretching from the South China Sea to Kosovo. China is evolving as a gainer and Israel the loser over the longer term although it will make some short-term gains. These and other challenges (outlined at the end) should prompt rethinking of French policies, including how France uses its military to further goals connected to the United States and NATO. (All of this essay’s information is drawn from published media reports.)

Israel gains in the near term since its adversaries are becoming weaker. The Syrian regime’s power is corroded by civil war and Hamas and Hezbollah are being forced into prudence because their supply lines from Iran are disrupted. This reduces the threat from them as proxies for Teheran if the Israelis decide to bomb Iran’s nuclear fuel enrichment facilities in coming months. Hezbollah may also be too preoccupied to support Teheran if the violence spreads elsewhere in Lebanon after the early fighting around Tripoli in August 2012. Iran’s Mullahs are already treading more carefully as discontent among their people grows because of the severe Western sanctions on financial transactions and the oil trade. If chaos in Syria does not cause war beyond its borders after Bashar al-Assad falls, Israel would still be a gainer because a new Damascus regime would be less able to threaten its control of the Golan Heights.

Israel’s longer-term difficulties stem from Washington’s declining

ability to exercise diplomatic and military power to influence local governments to serve American or Israeli interests. Israel is strong enough to destroy its enemies, including Iran, but their destruction cannot secure the Jewish homeland’s longevity. That is possible only through peaceful acceptance as a local citizen by the neighborhood. Fractious Israeli politics and feckless Palestinian leadership will continue to impede that happy outcome.

Long term risks for Israel will increase because of the likely prospect of Islam-inspired regimes in Israel’s neighborhood. The more Israel asserts its Jewish identity, the more Islamic neighbors will feel obliged to maintain a n a c c u s a t o r i a l r e l a t i o n s h i p . Washington will be less able to buy off or intimidate them, not least because of America’s debt and other structural economic problems.

The Afghanistan and Iraq wars have already cost $1.3 trillion and some estimates by academics put the final bill at $3.7 trillion. Paul Ryan, the R e p u b l i c a n Vi c e P r e s i d e n t i a l candidate, says US debt in 2020 could be three times the size of America’s $15 trillion economy and cost 20 percent of tax revenue in debt service. Despite being enormously wealthy and innovative, America is plagued by many structural issues, including bitterly partisan politicians, high poverty levels and dilapidated infrastructure. Voters will force both Federal and State governments to focus more on rebui lding the homeland, leaving less money for commitments abroad.

That does not look good for the Jewish homeland. By 2050, the world will contain about 9 billion people and one third will be Muslim compared with 23 per cent now. Many Arabs think Israel will be extinguished, like the Christian Crusader kingdoms after Europe’s kings could no longer provide sufficient military and economic support to protect them. A similar slide in America’s ability to protect Israel may have begun already.

Meanwhile, China is expanding its policy space. It is too early to infer what Beijing will do with that space but much will depend on how the ongoing sharp tussle between military and civilian leaders is managed within China. An upper hand for the military might result in more assertion of Chinese power in its neighborhood, causing further erosion of American leadership there. With foreign reserves of nearly $3.3 trillion, Beijing already has more money than the US to buy influence with foreign leaders.

China’s push for policy space may also indicate that both the military and civilian leadership feel hemmed in by the US and its allies and suspect them of trying to slow down the growth of Chinese economic and political strength. Beijing is not hostile to the West but its leaders have urgent need to dramatically improve social equity and living standards for their people. That will inevitably confer more wealth and power to China, which makes many in America and Europe nervous. These undercurrents deserve attention from French diplomacy and the military.

1. Brij Khindaria is an economic journalist based in Geneva at the United Nations. He is a widely-traveled analyst and editorial writer for US, British and Indian publications. His focus is on security and peace-building issues viewed from broader perspectives, including human rights, social equity, energy, water, poverty and democracy. He was born in India and is French by marriage to Dr. Marie-Noëlle Belot, a health education and behavior change specialist.

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Challenges to American influence

The global reach of American power bolstered by European allies, including France, is unique. But it is being steadily eroded from the Far East to the edges of Europe because of narrowly-based local challenges that Washington is unable to manage to its advantage. It no longer has loyal client regimes and local elites place much less trust in Washington as a protector because its military and economic models have been disfigured.

Worse, from Pakistan to Syria loathing of American security postures is spreading beyond hate-filled zealots to significant swathes of ordinary people. The US military is unable to prevent that or provide security for client regimes, which also complain their popularity is undermined by its increasing use of drones that kill civilians. Meanwhile, the economic model has yet to recuperate credibility, after turbulence since 2008 and the excruciatingly slow jobless economic recovery.

Against this backdrop, the policy space for France deserves review. How far should France be loyal to the American-led views of the world and how far should it keep an open mind towards those challenging them? Is the US entangled in military overreach because of domestic politics and raucous media? If so, where does France fit in? (This essay is not designed to answer these questions. It tries only to draw attention to factors that make the questions relevant.)

The US is not becoming weaker or less skilled but other regimes are becoming more devious. They are learn ing to p lay the game of international laws and security, invented by the US after World War II and operated through the United Nations Security Council and UN agencies. Their behavior is regularly thwarting American attempts to build globally applicable law and order based on US-European analyses of the common good, usually endorsed by France.

There are many reasons for this behavior but the background might simply be that their people have not experienced the absolute horrors that the two Great Wars rained upon Europeans. They still imagine that wars, whether of attrition or terrorism, can provide conclusions to local enmities and resentments fostered by history. Most governments are not as dependent on the US and the West as in past, so they are less pliable.

Within this context, Israel has a natural disadvantage because it is an

indefensible sliver of land. It can fight terrorists and insurgents, and probably pulverize enemies. But it cannot protect the homeland in a modern all-out war because its people, too, would be nearly destroyed. Its survival depends on avoiding all-out war, and that depends on enemies fearing the long arms of its American protector.

However, that protector is tied down like Gulliver by Lilliputians in each local area between the South China Sea and Kosovo. Undoubtedly, the US could win any conflagration, including a Third World War and would rush to Israel’s aid as a priority above all others. But Israel may not survive such a war in its current form. It might cease to be the Jewish homeland as the people flee to safety elsewhere. Its nuclear weapons are powerless because a single enemy nuclear explosion would end the Jewish dream by wiping out almost the entire population through direct hit,

fall out and disease. Even expertly used conventional missiles could visit sufficient misery upon the people to defeat its raison d’être.

Few in the world follow the White House because they are persuaded, so it is increasingly resorting to coercion. Having to use big sticks is in itself a sign of declining sway. For instance to oblige foreign businesses and governments to obey sanctions against Iran, Washington is threatening to cut off access to America’s dollar clearing system and Europe is disallowing shipping insurance and use of the SWIFT clearing system. Those who refuse to comply face very heavy penalties in US courts under American laws.

Many Asian governments perceive such tactics as “blackmail” because global financial, trade and insurance networks should be treated as public goods, not as pressure points to force foreigners to obey laws enacted by US

Top 10 Defense budgetsSource: International Institute of Strategic Studies

http://www.iiss.org/publications/military-balance/the-military-balance-2012/press-statement/figure-comparative-defence-statistics/

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Congress for the good of Americans. Despite the complexities and great odds, China is already making headway with neighbors to set up alternative financial clearing systems within their region. To avoid US dollar transactions, discussions are underway for installing barter or local currency systems through informal channels. Over time, parallel mechanisms will cause large losses to SWIFT, shipping insurers and the dollar clearing house since Asian countries are among the fastest growing users of those services.

As shown by the examples below, open defiance of US power in the crescent from the South China Sea to Kosovo is visible even among those who have received the most US aid and support. Being a key member of the US-led Western alliance, France’s military-diplomatic establishment has a role to play in helping to fully think through these issues.

China’s probes

China is giving cause for concern because of its patriotic muscle flexing in several theaters. China’s firm actions in the South China Sea cause no direct threat to the West or Israel but they do challenge America’s credibility as a partner and protector of others in the region.

Beijing is in the throes of a game-changing power struggle between the civilian Communist Party and the military for control over Chinese diplomacy and posture, especially in its near abroad. General Zhang Quinsheng, a former protégé of President Hu Jintao, recently dared to v o i c e s h a r p c r i t i c i s m o f t h e Communist Party’s running of the military, including the 2.3 million person People’s Liberation Army. This could be a sign of the military’s self-confidence since Xi Jinping, who is likely to succeed Hu as President in late 2012, is seen as beholden to the military and could tilt the balance towards the generals.

Undertones of militarism are visible in the Chinese probes in the East China Sea around the Senkaku islands disputed with Japan (known as Diaoyu in China). In mid-August 2012, authorities orchestrated anti-Japanese demonstrations in several cities after Tokyo detained Chinese activists who had landed on an island of that chain. “Defend the Diaoyu islands to the death…Even if China is covered with graves we must kill all Japanese,” some banners exhorted.

China’s military claims nearly all of the South China Sea, which is crowded with international shipping lanes and believed to be rich in oil and gas deposits. In acts of quixotic defiance, Vietnam, Malaysia, the Philippines and Brunei are trying to stare down Beijing. Other flashpoints include a dispute over undersea oil fields between China and Japan and a dispute over Takeshima, also known as Dokdo in Korean, between Japan and South Korea.

The usual Chinese method is to send civilian fishing vessels as probes. If unopposed, they are used as evidence of Chinese sovereignty over the waters and “facts” are established on the ground. In June 2012, Beijing tried to intimidate Vietnam and the Philippines by establishing such a fact: the new city of Sansha backed by an armed garrison on an island in the disputed Paracel chain. It declared that Sansha would administer the Spratly, Paracel and Macclesfield Bank archipelagos and surrounding waters.

In April 2012, the Philippines had to back down in a tense confrontation with Chinese patrol vessels in the S c a r b o r o u g h S h o a l w h e n t h e Philippine navy tried to arrest Chinese fishermen. Earlier, Manilla tried to underline its ownership claims by offering oil and gas exploration contracts off the coast of the western island of Palawan. But it is no match for Chinese power and may have to give up again. Vietnam attracted China's anger in June after it adopted a law that placed the Spratly islands under Hanoi's sovereignty. It may also have to back down.

Washington seems unable to deter the Chinese probes and muscle f l e x i n g , a l t h o u g h t h e O b a m a administration announced a new Asia-Pacific Strategy in January 2012 to move more naval resources to the region. But an independent US review said in July 2012 that the focus remains on the seas around Japan, South Korea and Taiwan rather than South and South East Asia where the risks posed by China are growing fastest.

Among results is uncertainty about America’s ability to augment the security and independence of the region’s countries in relation to China. So each country is quietly studying compromises with Beijing while urging the US to remain actively engaged to prevent outright Chinese hegemony. Washington is caught in a difficult situation. It has limited options as China nibbles its influence.

India, Pakistan and Afghanistan

After Bill Clinton’s visit to India in 2000, China increased exhibitions of power along India’s Eastern and Western borders. Clinton was the first US President to visit India in 22 years and opened the path to what is now called a “strategic partnership”. China’s reactions remain worrisome.

On India’s Eastern front, it is breathing down on the entire region of Arunachal Pradesh and is building roads, airfields and garrisons near the frontiers of Bhutan, Sikkim and Nepal. India also suspects China, together with Pakistan, of aiding extremist rebels who regularly conduct terrorist actions in vast swathes of remote areas in Central and Northern India.

On India’s Western front, China hovers all along the Tibetan border and has encroached on remote parts of Ladakh. It is a firm ally of Pakistan’s military, supplying nuclear weapons technology, aircraft and other weapons to India’s avowed enemy. It is also building a major port near Karachi to open new trade routes to the West bypassing the South China Sea and Indian Ocean. Thus, it is consolidating political, economic and military ties with Islamabad.

Despi te Washington’s grea t attentiveness to Delhi, it has been able to do very little to dissuade Beijing from leaning on India and the neighborhood. So, there is growing consensus among Delhi’s otherwise very quarrelsome politicians that India should warily walk a tight rope between Washington and Beijing. So, Delhi is trying to boost trade with China to build friendly ties untainted by differences on security and Washington’s attempts to use India’s massive size as a counterfoil to China.

The most significant erosion of US influence is in Pakistan, which has been an American ally since 1954 under the Mutual Defense Assistance Agreement and the later Central Treaty Organization (CENTO). Pakistan was the major US partner in helping to push Soviet troops out of Afghanistan but is now far from a friend despite aid of over $13 billion dollars since 2003. Senior American officials accuse it of providing safe haven to terrorists attacking NATO and US soldiers in Afghanistan but Pakistan’s actions remain opaque despite the CIA’s long-standing links with the ISI, the nation’s intelligence organization.

Islamabad is caught between a rock and a hard place. Its military does not trust Washington as a friend and is, therefore, unwilling to destroy the

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anti-US jihadists. It is also unable to overcome its traditional fear of India as a secular State containing about 160 million Muslims compared with Pakistan’s 170 million because secularism emasculates the roots of its Islamic identity.

In Afghanistan, China is making very large investments in mineral and other natural resources raising the possibility of becoming Kabul’s main trading partner after the departure of US forces. Chinese money can be expected to buy peace for its projects even if Afghanistan slides into civil war. India has strong emotional and historic ties with Afghanistan, especially the non-Taliban northern regions, but it cannot compete with Beijing’s deep pockets. China could enjoy greater influence in post-Obama Afghanistan than the US, NATO, Pakistan or India.

On current indications, Obama will exit from Afghanistan without much to show for the sacrifices made there by the US and NATO. Washington does not get a deferential hearing currently from the Hamid Karzai government beholden to it and can expect to get lesser at tent ion from Karzai’s successors.

Iran, Iraq, Turkey and Syria

Next along the crescent is Iran, where the US has no powerful friends a n d l i t t l e k n o w l e d g e o f t h e government’s inner workings. Instead of using India’s ties with Teheran to learn more, the White House is pushing Delhi away as part of its drive to punish the Mullahs for wanting to acquire nuclear fuel technology.

The Shiite Mullahs hate the bigoted Sunni Taliban in Afghanistan and Pakistan but are now cultivating them to counter US, French and British pressure. Iran is also meddling in I raq and among the Shias ofBahrain, Saudi Arabia and the Gulf Emirates to create as much trouble as possible if the current sanctions turn into bombing raids on its nuclear facilities. The US has little or no ability to restrain these potentially destabilizing moves by Teheran. As such, each country in the region is trying to look after its own interests without giving centrality to American desires.

Iraq, where America has spent so much blood and treasure, is also not much of a friend to Washington. In August 2012, David Cohen, the senior US Treasury official responsible for

terrorism and financial intelligence, warned that Iraq could help Iran to circumvent financial sanctions. Other officials said Iraq has provided that help for months. Some reports said Iraq was also aiding Syrian pro-government forces in defiance of US policy.

Meanwhile, almost without anyone noticing Turkey has entered Iraq in a big way and may already be the largest investor and trading partner there. Its influence is increasing even in the Basra area, which was long a stronghold of Iranian influence. Ankara is also cozying up to the Iraq’s northern Kurds to build business ties and shut safe havens of the rebel Turkish Kurds who conduct terrorist raids inside Turkey. Americans have almost no influence over these developments and do not seem to care much.

At best, post-American Iraq is a neutral actor beset by too many internal problems to avoid being a playground for others jockeying for power in the region. It is emerging as a chessboard for Iranian and Turkish rivalry with the Saudis, who are using Salafist allies in Iraq’s northern Sunni heartland to bolster their influence. Because of centuries old historical rivalries, Turks will not allow Arab Saudi Arabia or Persian Iran to become the dominant regional power.

Similar rivalries are also playing out further West in Syria, where battle-hardened Iraqi al Qaeda and affiliated zealots from Afghanistan are gathering to ignite a war of attrition that will certainly take a heavy toll of civilians on all sides. The Turks are also arming factions to undermine Saudi and Iranian influence in post-war Syria, while nipping Kurdish rebellion in the bud. Sophisticated weapons and improvised explosive devices have a l ready begun to show up in coordinated and quite well planned attacks on government forces. This is partly because Saudi Arabia, Qatar and the Gulf Emirates, who are financing and arming the anti-government forces, are often unable to distinguish rebels from al Qaeda-inspired militants despite the presence of American advisors.

The US position remains muddled although Special Forces are said to be helping the anti-Assad fighters with intelligence, logistics and training. Powerful pro-humanitarian voices in the US are seeking some kind of military intervention, such as a no fly zone over safe havens for the Free Syrian Army and over historic cities

like Aleppo to prevent attacks by Syrian planes and helicopters. Such remedies might be worse than the malady since Syria is a more complex battleground than Iraq or Libya, which were weak militarily and had no outside support. Syria has better weapons and can expect a flow of supplies from Russia, if pushed to the wall. Taking his cue from Russia, President Bashar al-Assad might end up razing Aleppo to the ground, as was Chechnya’s Grozny when the Russian army entered to destroy anti-Russian rebels.

Turkey is watching with alarm because Syrian Kurds seem close to declaring some form of autonomy since Assad’s forces, their former oppressors, have moved away. Syria's Democratic Unionist Party, or PYD, has links to a separatist Turkish Kurd group called the PKK, which Turkey, the US and European Union have branded as terrorists. The PYD is reported to have taken control in areas close to the 900-kilometer-long Syrian-Turkish border. Ankara fears they might declare a new autonomous zone straddling Syria and Turkey because ethnic Kurds living on both sides have strong political and economic ties.

The PKK has managed to create de facto political control over some Kurdish-populated provinces of Syria. It is reported to have raised its own “flag” to give birth to an independent Kurdistan that almost all Kurds, oppressed for generations by Syria, Turkey, Iran and Iraq, have dreamed of for a very long time. In late July, Turkey reacted by sending armored units and missile batteries to the Syrian border and threatened to intervene if Syrian Kurds incite violent rebellion among Turkish Kurds to take advantage of the chaos in Syria.

Ankara’s anger is on a knife’s edge since mid-August 2012 after a landmine inside Turkey near the Syrian border killed two Turkish soldiers and a car bomb killed eight civilians and wounded more than 60 in Gaziantep, a village near the border. Again, the US can do almost nothing so Ankara is determined to act militarily without Washington’s approval if the Kurdish situation starts to get out of hand.

The other key local player, Israel, is becoming more restive each week because it thinks that Iran may pass a threshold before this year-end towards making nuclear weapons. Chatter about Israeli air strikes inside Iran has increased and American diplomats and

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generals began a flurry of meetings with the Israelis in summer 2012. They discount an Israeli strike but Tel Aviv is maintaining sphinxlike mystery.

Edge of Europe

Whatever Israel does about Iran, the point is that US influence is not significant in Tel Aviv, its key ally receiving over $3 billion in annual aid, or in Ankara, a vital NATO ally. It is even less significant in the crescent from the South China Sea to Syria.

Moving further West to Kosovo, t h e A m e r i c a n s w h o c r e a t e d independent Kosovo in 2008 with French and other European help, have almost no influence there. The European Union plays the leadership r o l e i n K o s o v o b u t t h e k e y destabilizer, which is hatred between Kosovo Albanians and Kosovo Serbs in the northern region has worsened rather than abated. The Kosovo Serbs refuse Albanian rule and Belgrade, backed by Russia and China, continues to act as if northern Kosovo is a part of Serbia. It flatly refuses to recognize Kosovo’s independence. European peacekeepers under the EU Rule of Law Mission in Kosovo (EULEX) are trying in vain to promote peace but t h e i r t a s k i s b e c o m i n g m o r e unattainable by the day.

Such developments on the edge of Europe are driving further nails into the exercise of American power. They are frustrating the kind of world order based on human rights, peaceful resolution of conflicts and electoral democracy that the US and its Western allies want to establish as widely as possible.

The crescent of security challenges emerging in Asia and the Mid-East deserves much more attention to assess whether tectonic plates are shifting to transform so far limited violence intowider wars. To many observers in the crescent, the US looks like the has-been in Pakistan, Afghanistan, Iraq, Iran and Syria. These perceptions will create peril for world peace and international order if they grow unchecked.

The decisive test is whether the US can prevent an all-out war in the West Asian region over Syria or Iran, which would severely hurt its protégé, Israel. The best options are to prevent Syria’s civil war from spilling outside its borders and dissuade Turkey from conducting strikes inside Syria in pursuit of Kurds. Iran should also not

be hurt so severely through sanctions as to provoke retaliation that spreads into a wider war.

In another sign of indifference for US policies, Egypt, which used to be a bulwark guided by Washington to preserve Israel’s security, may be charting a course that treats Iran, Israel’s archenemy, as a neighbor worthy of f r iendship . This i s happening despite ethnic and religious antagonisms between them, which predate Islam (Egyptians are Arab and Iranians are Persian) and became worse after Islam (Egyptians are Sunni and Iranians are Shia).

Mohamed Morsi became the first Egyptian President to visit Iran in 30 years for bilateral and multilateral talks. During his visit in August 2012, a Non-Aligned Movement Summit in Teheran handed over its rotating chairmanship to Iran despite the displeasure of America and its European and Arab allies. Several of the Movement’s influential members, including India, are located in the crescent of emerging secur i ty challenges and prefer to hedge their bets rather than comply with American requests.

One implication is that the crescent is not emerging only from religious or ideological affinities. It is also a reaction to America’s diminished ability to get open-minded hearing from countries that earlier fell into line easily.

More challenges and what France can do

Two additional equally significant crescents of challenges to Washington are emerging almost simultaneously (each probably merits an essay). The first is forming in a number of Muslim countries, including those trying to install democracy after the Arab Spring. It is comprised of the speedy rise of Salafist Muslim political groups in Egypt, Syria, Libya, Yemen, Tunisia, Morocco, Algeria, Bahrain, Kuwait and Palestine. Similar groups are also rising in Indonesia, India, Malaysia and Pakistan, which contain over twice as many Muslims as the Arab countries.

Salafists are sharply conservative Sunni Muslims usually backed by the puritanical but wealthy Wahhabi Muslims who dominate Saudi Arabia. Though non-violent, they support return to seventh-century Islamic social order and see no separation between rel igion, pol i t ics and government. Wahhabis, who are

usually Salafists, started funding Islamic schools called Madrasas in South Asia in the 1970s that unintentionally spawned the Taliban and many Jihadis including suicide bombers.

The other crescent is growing among Latin American countries that take pride in refusing to respect Washington’s views about their region. They include Ecuador, Venezuela, Colombia and Uruguay but Argentina, Chile, Bolivia and Brazil often are also wary of Washington.

These trends further confirm that Amer ica ’s ab i l i ty to exerc i se leadership for an orderly global community guided by Western views is under challenge from several directions. They indicate geopolitical shifts that deserve much greater and more urgent attention to apprehend their policy impacts. The radicalization of moderate Islam by Salafists in countries far beyond their homeland of Saudi Arabia may also have security implications.

To prevent war, including by terrorists, diplomacy and persuasion to pursue the common good must prevail. However, peaceful responses can be effective only if challenges, including interlinks, are apprehended from the start and remedies negotiated without jingoism. The best military is one that contains all threats in tandem with diplomacy. Otherwise, peace becomes just a pause to gather the forces of war.

Finding solutions is far from easy but one forward path would be for France to bring together military leaders and diplomats from around the world to discuss the interplay between their professions. Militaries need to understand world affairs just as diplomats must understand military affairs. A new think tank could be created (not linked to the UN system) to hold annual meetings in each world region , a l lowing mi l i ta ry and diplomatic officials to meet one another and develop the human relationships necessary to avert violence.

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La politique frontalière chinoise et son application en Asie du Sud-EstPar Sophie CHEVALEYRE1Avec l'aimable contribution de M. Sébastien Colin auteur de l'ouvrage "La Chine et ses frontières" également conférencier auprès de l'ANAJ-IHEDN le 12 avril 2012"

Les échauffourées récurrentes entre la Chine, les Philippines et le Vietnam au suje t de la mer de Chine méridionale, qui a récemment atteint un tournant avec l’établissement en juillet 2012 de la ville de Sansha par la Chine sur l’île Woody, dans l’archipel des Paracels, témoignent de la prégnance des enjeux frontaliers en Asie. En particulier, la Chine doit faire face depuis des millénaires à des enjeux liés à ses longues frontières. Si elle a pu s’attacher par le passé à unifier son territoire, elle tente aujourd’hui de relever via une politique frontalière redéfinie les nouveaux défis qui s’opposent à ses intérêts nationaux.

Dans son ouvrage La Chine et ses frontières, le géographe Sébastien Colin, maître de conférences à l’INALCO, nous livre une synthèse de ces enjeux frontaliers qui se présentent à la Chine aujourd’hui. Par la mise en perspective à la fois historique, géographique et géopolitique de ces enjeux, par la synthétisation des différents aspects relatifs à cette question des frontières chinoises, l’ouvrage de Sébastien Colin permet d’appréhender de façon avertie les évolutions géopolitiques à venir dans cette zone sur la question frontalière. Après avoir présenté de façon globale les enjeux liés aux frontières chinoises, l’ouvrage approfondit ces différents défis par thématiques (« la Chine et la dé l imi ta t ion de ses f ront ières terrestres », « La Chine et ses frontières maritimes », « Ouverture frontalière, diplomatie du pourtour et sécurité énergétique »), et par sous-régions (« Les frontières du Nord et du Nord-Est », « Les frontières d’Asie du Sud-Est », « Les frontières du Grand

Ouest »). Cette perspective inédite permet de comprendre que la politique frontalière chinoise repose sur des enjeux géopolitiques à la fois internes et externes qui s’entremêlent . L’ouvrage suggère également que la façon dont la Chine gère et gèrera cette p r o b l é m a t i q u e d e s f r o n t i è r e s déterminera son avenir géopolitique.

Face à ces défis, les autorités chinoises ont adopté une stratégie frontalière basée principalement sur l’outil économique et sur l’outil diplomatique. Cet article, qui s’appuie sur l’ouvrage de Sébastien Colin, reviendra tout d’abord sur les objectifs, les moyens et les résultats de la politique frontalière chinoise, avant de se concentrer sur le cas de l’Asie du Sud-Est, une région voisine avec laquelle la Chine entretient des relations depuis des millénaires et dans laquelle elle souhaite regagner en influence.

* * *

Une politique frontalière redéfinie en f o n c t i o n d ’ e n j e u x i n t e r n e s e t externes.

Situé au cœur de l’Asie, le territoire chinois comporte des conditions physiques diverses et des peuplements variés. Il possède par ailleurs des frontières avec chaque sous-région asiatique ainsi qu’avec la Russie. Cette complexité a amené la Chine à développer une conception duale de ses frontières. D’un côté, les frontières politiques sont conçues comme des lignes d’opposition avec le monde extérieur, tandis que de l’autre, les zones périphériques sont perçues comme de véritables frontières internes. A ces deux niveaux, correspondent des enjeux différents

qui, ensemble, vont définir l’avenir géopolitique de la Chine.

Les enjeux frontaliers auxquels est confrontée la Chine ont changé dans le temps, en fonction des évolutions internes et externes. Ces évolutions ont façonné la situation frontalière actuelle de la Chine. Ainsi, jusqu’à la fin de l’empire en 1911, l’enjeu pour les autorités était d’unifier et de consolider le territoire national, ce qu’elles ont favorisé par une politique pluraliste s’appuyant sur les élites locales non han. Après la « mise en frontières » de la Chine par l’Occident, une politique de territorialisation de l’espace a remplacé cette politique pluraliste. En 1960, fragilisée par des révoltes internes faisant suite à la politique du Grand Bond en avant puis par des tensions avec l’URSS, la Chine engage des pourparlers avec certains de ses voisins afin de « redélimiter » ses frontières. Une deuxième vague de « redélimitations » aura lieu dans le courant des années 1990 et 2000 si bien qu’aujourd’hui, à l’exception des frontières avec l’Inde et le Bhoutan, l’enveloppe frontalière terrestre de la Chine est en très grande partie délimitée et démarquée.

Dans les années 1990, après avoir favorisé l’ouverture économique du pays par les régions côtières, la Chine réoriente sa politique frontalière pour répondre à de nouvelles problématiques q u i m e n a c e n t s e s « i n t é r ê t s fondamentaux » , définis comme la protection de la « souveraineté », de l’ « intégrité territoriale », et de la « sécurité nationale ». Au niveau interne, les autorités chinoises prennent conscience de ce que le fossé économique et social grandissant entre

1. Diplômée de SciencesPo Bordeaux, stagiaire à l’ambassade de France à Pékin

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les provinces côtières et les provinces intérieures représente un risque pour la stabilité du pays et la poursuite du développement économique2. Afin de favoriser le développement économique dans ces régions périphériques, la Chine met en place de nombreux « ports o u v e r t s » , o ù s e d é v e l o p p e considérablement le commerce transfrontalier. Les investissements dans ces régions ont également été encouragés, via la construction d’infrastructures, tout comme les migrations de populations han afin de mener le développement.

Au niveau extérieur, la mise en place de la « politique de bon voisinage », ou « diplomatie du pourtour », doit garantir les intérêts de la Chine sur le plan économique, doit l’aider à sécuriser son environnement régional et ses approvisionnements en énergie dont elle est de plus en plus dépendante, et enfin doit favoriser son émergence sur la scène régionale comme une puissance influente et responsable. L’accroissement des relations avec ses voisins a aussi pour but de contrer l’influence des Etats-Unis, qui effectuent ces dernières années un retour dans la région.

Pour cela, la Chine a mis en place une politique active. Elle a développé la coopération bilatérale avec les pays frontaliers, au niveau économique, énergétique et sécuritaire notamment. Elle a également lancé des grands projets transfrontaliers de coopération économique (Projet Tumen, projet du Grand Mékong…), qui ont engendré la c o n s t r u c t i o n d e n o m b r e u s e s infrastructures dans les régions transfrontalières. Enfin, elle s’est engagée ces dernières années dans des regroupements multilatéraux, dont certains ont même été créés sur son initiative, comme l’Organisation de Coopération de Shanghai. Elle est aussi devenue un partenaire de l’ASEAN.

Si la politique semble volontariste, les résultats, eux, restent mitigés. A i n s i , a u n i v e a u i n t e r n e , u n développement économique a bien été a m o r c é d a n s d e s r é g i o n s traditionnellement très pauvres. Néanmoins, dans les périphéries de l ’Oues t (Xinj iang , Tibe t ) , l es populations han immigrées restent les principaux acteurs du développement économique et participent d’une sinisation forcée de ces provinces. La marginalisation et le risque de paupérisation accrue des minorités qui en découlent laissent poindre des risques accrus de mouvements sociaux

et de révoltes de la part des minorités, d’autant plus que ces dernières ont historiquement témoigné de profondes réticences vis-à-vis de la domination chinoise.

Sur le plan extérieur, certes les r e l a t i o n s é c o n o m i q u e s o n t considérablement augmenté avec les pays voisins. Cependant, les risques d’instabilité, les rivalités et les méfiances des pays voisins à l’égard de la Chine, renforcés par la modernisation de son appareil militaire, demeurent. Certains pays, comme l’Inde, l’Indonésie ou le Vietnam, qui recherchent également à jouer un rôle plus important sur la scène régionale, voient d’un mauvais œil les ambitions chinoises. De nombreux pays voisins sont également toujours en litige avec la Chine pour des ques t ions de dé l imi ta t ion frontalière dans les mers3. De façon générale, les pays voisins de la Chine ne souhaitent pas la voir s’imposer c o m m e p u i s s a n c e r é g i o n a l e hégémonique, et font appel aux Etats-Unis pour maintenir un équilibrage des puissances dans la zone.

Les effets de la nouvelle politique frontal ière chinoise sont donc ambivalents. Ils le sont particulièrement dans une région qui pourtant entretient des liens historiques avec la Chine : l’Asie du Sud-Est.

La stratégie frontalière chinoise en Asie du Sud-Est  : une forte volonté d’influence mais des résultats limités.

De par les liens historiques qu’elle possède avec la Chine, l’Asie du Sud-Est a une place particulière dans la politique frontalière chinoise. En effet, depuis des millénaires, la proximité géographique et l’ancienneté des relations politico-diplomatiques de la Chine avec les royaumes indochinois et riverains de la mer de Chine méridionale ont favorisé une présence chinoise historique en Asie du Sud-Est. Cette dernière s’est caractérisée par des flux de migrants importants, de nombreuses interactions commerciales et culturelles, et a même pu se traduire par la suzeraineté chinoise sur l ’ e n s e m b l e d e l a p é n i n s u l e indochinoise. La nouvelle politique frontalière chinoise vise à retrouver une influence dans cette région, pour des raisons économiques, politiques, stratégiques et culturelles.

Sur le plan économique, l’Asie du Sud-Est est une zone qui jouit d’un fort dynamisme dont la Chine veut tirer profit. La mise en place en 2010 d’une zone de libre-échange entre les Etats de l’ASEAN et la Chine, la China-ASEAN Free Trade A r e a ( C A F TA ) , a p e r m i s u n développement considérable des échanges économiques entre la Chine et ses voisins méridionaux, créant ainsi la troisième zone

de libre-échange mondiale (Péron-Doise, 2012, p.31). La création en 1992 de la région d u G r a n d M é k o n g a également contribué au développement du commerce f r o n t a l i e r e t d e s investissements croisés dans la zone. Ce projet, initié par la Banque As ia t ique de Développement, a pour but le renforcement de la coopération dans le secteur économique mais aussi dans de nombreux domaines connexes tels que l’énergie, le t o u r i s m e o u l e s télécommunications. Grâce à ce projet, de nombreuses infrastructures de transport reliant la Chine à la péninsule indochinoise ont pu être financées, assurant ainsi à la Chine un accès à la mer par le Sud et renforçant les dynamiques transfrontalières, déjà favorisées par la libéralisation des échanges d a n s l a s o u s - r é g i o n (Phanarangsan, 2006).

3. Les deux différends maritimes majeurs opposant la Chine à ses voisins concernent les îles Diaoyu/Senkaku,en mer de Chine orientale, et les îles Paracel et Spratley en mer de Chine méridionale.

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Litiges territoriaux et conflits régionaux aux frontières de la Chine

Source : Colin Sébastien, La Chine et ses frontières, Armand Colin, Paris, 2011

Du côté chinois de la frontière, les provinces du Guangxi et du Yunnan ont é t é des ac teu r s ma jeur s dans l’établissement de ces projets. Les autorités locales avaient en effet pour stratégie de favoriser le développement économique de ces régions, où les minorités sont dominantes, par les dynamiques transfrontalières. Si le pouvoir central a appuyé cette volonté locale par des politiques incitatives, les acteurs privés, notamment les hommes d’affaires chinois issus de la diaspora et en particulier ceux issus des minorités sino-thaï, se sont aussi considérablement investi dans les activités économiques de l’autre côté de la frontière. Ainsi, les hommes d’affaires chinois de Chang Rai, au nord de la Thaïlande, ont eu un rôle crucial dans la mise en place du plan précurseur de la sous-région du Grand Mékong et du développement de la coopération économique frontalière (Phanarangsan, 2006, p.103).

Paral lè lement à ces projets spécifiques, la Chine a veillé à développer les relations bilatérales avec le Cambodge, le Laos et la Thaïlande, mais aussi avec le Vietnam, par une diplomatie active. Elle a en outre fait évoluer sa politique à l’égard des 30 millions de chinois issus de la diaspora et présents dans le Sud-Est asiatique, qu’elle considère désormais comme des acteurs majeurs du développement économique.

Si le volet économique constitue un aspect majeur de la coopération Chine-ASEAN, des initiatives de coopération ont également été mises en place ces dernières années dans d’autres domaines. Ainsi, la déclaration conjointe de « bonne conduite » en mer de Chine méridionale et la signature d’un « partenariat stratégique pour la paix et la prospérité » en 2003 prévoient la coopération de la Chine avec les pays de l’ASEAN dans la lutte c o n t r e d e s m e n a c e s n o n -conventionnelles telles que le trafic de drogue, la contrebande et la piraterie. Des « Border Liaison Offices », visant à accroître la coopération transfrontalière dans la lutte contre les trafics, ont par ailleurs été mis en place dans les villes frontalières des pays de la région du Grand Mékong suite à la déclaration commune de la Région du Grand Mékong sur la lutte contre les trafics (Sauterey, 2008).

Sa diplomatie active et son influence accrue permettent également à la Chine de bénéficier de facilités chez certains de ses voisins sud-

asiatiques, notamment de bases ou de facilités portuaires. Selon certains analystes, la Chine serait en train de tisser un « collier de perles » dans l’océan Indien, ce qui lui permettrait d’accroître son influence dans la zone et de veiller à la sécurisation de ses intérêts maritimes. Dans le même but, la Chine chercherait à relancer le projet de construction d’un canal dans l’isthme de Kra, en Thaïlande, qui lui permettrait d’éviter de passer par le détroit de Malacca4 pour relier l’océan Indien à la mer de Chine méridionale.

Cependant, si une dynamique de coopération accrue a bien été initiée entre la Chine et ses voisins du sud-est asiatique, cette coopération n’est pas sans l imites. Tout d’abord, le développement des infrastructures de transport et la libéralisation des échanges transfrontaliers facilite les activités illégales des trafiquants, entraînant une augmentation des trafics. Cette dernière rend encore plus difficile la lutte conjointe contre les trafics, déjà mise à mal par les difficultés liées à la corruption plus ou moins institutionnelle, au manque de véritable volonté politique et à la diversité des capacités de moyens des pays impliqués (Phanarangsan, 2006, p.108). Le programme des « Border Liaison Offices » est aussi dépendant des intérêts politiques et économiques du Japon, qui finance la quasi-totalité du programme (Sauterey, 2008, p.18).

Les litiges diplomatiques, et en particulier les frontières maritimes, constituent par ailleurs un point d’achoppement majeur des relations entre la Chine et les pays d’Asie du Sud-Est. La politique expansionniste de la Chine en mer de Chine m é r i d i o n a l e s e h e u r t e a u x revendications de cinq autres états riverains : Brunei, la Malaisie, les Philippines, Taïwan, le Vietnam. S’étalant sur trois millions et demi de mètres carrés, la mer de Chine méridionale fait depuis des années l’objet de tensions et d’actions d’intimidation de la part des différents protagonistes, qui se cristallisent surtout autour de deux groupes d’îles et d’îlots : les Paracels, que la Chine occupe dans leur totalité depuis 1974, et les Spratleys, qu’elle n’occupe que partiellement depuis 19885.

Si elle renferme d’importantes réserves halieutiques et de probables réserves en hydrocarbures, la mer de Chine méridionale constitue surtout un enjeu crucial sur les plans économique

et stratégique. Ainsi, s’ouvrant au sud-ouest sur le détroit de Malacca, elle constitue la voie de passage principale entre l’océan Pacifique et l’océan Indien6. Le pétrole nécessaire aux économies chinoise, coréenne et japonaise, ainsi que la majorité des marchandises produites en Asie de l’Est pour l’Europe, transite par ses voies de communication maritimes. Cette configuration fait de la liberté de navigation sur cette mer un intérêt fondamental pour la Chine et les pays riverains, mais aussi pour les Etats-Unis, qui couvrent la région grâce à la présence de leur VIIe Flotte. S’ajoute à cela le développement des exploitations off-shore dans cette zone, même si elles sont largement freinées par les litiges frontaliers. L’enjeu n’est donc pas seulement régional mais mondial.

Parallèlement à ces revendications, la modernisation militaire de la Chine, et notamment de sa marine, inquiète les Etats d’Asie du Sud-Est, qui cherchent à leur tour à renforcer leurs capacités navales, en particulier sous-marines, et n’hésitent pas à se tourner vers les Etats-Unis et sa flotte pour garantir la sécurité de la zone. En moins de dix ans, la Chine a ainsi acquis trente-deux sous-marins conventionnels, onze destroyers, vingt-trois frégates et un premier porte-avions, ce qui lui permettrai t d’acquérir un avantage militaire sur ses rivaux en cas de conflit en mer de Chine méridionale. De leur côté, Brunei, la Malaisie, les Philippines et le Vietnam ont augmenté de 50% leurs dépenses militaires entre 2001 et 2011 (Lim, 2012, p.79). Les Philippines ont par ailleurs fait appel aux Etats-Unis en février 2012 pour moderniser leur flotte (Péron-Doise, 2012, p.33). Le 4 juin 2012, elles ont également accepté que les américains utilisent à nouveau la base de Subic, vingt ans après leur départ forcé de l’île (Bougon, 2012).

Pour éviter les risques de conflit régional dans ce contexte de tensions intenses et dans une région essentielle pour la bonne tenue du commerce, l’ASEAN a tenté de faire émerger des discussions sur la question. Malgré les progrès symbolisés par la signature de la déclaration de bonne conduite en mer en 2002, la présence d’enjeux de souveraineté et de rivalité entre les Etats empêche pour le moment la résolution de ces litiges maritimes. Cette question maritime a même entraîné l’échec de l’édition 2012 du Forum Régional de l’ASEAN, qui,

4. Le détroit de Malacca fait l’objet de nombreux actes de piraterie, malgré une nette baisse depuis 2003. Toutefois, malgré la mise en place de patrouilles conjointes entre les pays riverains, on estime qu’un tiers des actes de piraterie mondiale a toujours lieu dans le détroit de Malacca. En 2009, la Chine déclarait que 20% de ses bâtiments de commerce étaient victimes d’actes de piraterie, notamment dans le détroit de Malacca (Fonrath E.,2009).

5. La Chine revendique au total environ 80% de la mer de Chine méridionale.6. 25% du commerce mondial transite par la mer de Chine méridionale, dont 90% du commerce extérieur de la Chine (Péron-Doise, 2012, p.30).

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contrairement aux années précédentes, n’a donné lieu à aucune déclaration commune.

* * *Selon Sébastien Colin, cette

question des souverainetés en mer de Chine méridionale constitue un des plus gros risques d’instabilité et de conflit à proximité des frontières chinoises. Les revendications maritimes de la Chine témoignent de son intention d’affirmer sa puissance en Asie du Sud-Est. Tout comme les pays voisins, elle cherche à matérialiser sa souveraineté dans la région : c’est ainsi que suite à l’adoption par le Vietnam d’une « loi de la mer » établissant une juridiction formelle sur les zones qu’il revendique en mer de Chine, la Chine a nommé Xiao Jie maire de Sansha et a envoyé une garnison militaire sur place7.

Face à ces litiges, l’ASEAN, malgré la mise en place récente de plusieurs cycles de réunions sur les questions de sécurité8 échoue à jouer un véritable rôle d’arbitre. Dans ce contexte de tensions croissantes en mer de Chine du Sud, la garantie américaine reste donc la seule alternative crédible pour faire face à la Chine en cas de conflit ouvert. Tant que les conflits de souveraineté

perdureron t en mer de Chine méridionale, la présence américaine semble donc avoir encore de beaux jours devant elle en Asie du Sud-Est, réduisant par la même occasion la portée de la politique frontalière chinoise qui vise à faire de la Chine une puissance régionale influente et responsable.

7. « Chine : Xiao Jie élu premier maire de la ville de Sansha », French.news.cn, publié le 23 Juillet 2012, disponible à la page http://french.news.cn/chine/2012-07/23/c_131733558.htm

8. L’ASEAN a mis en place ces dernières années plusieurs réunions portant sur les questions de sécurité : l’ASEAN Regional Forum (1993), l’ADMM (ASEAN Defence Ministers Meetings), et l’ADMM+, regroupant les ministres de la Défense de l’ASEAN+8 (les dix pays de l’ASEAN et leurs huit partenaires : Etats-Unis, Russie, Australie, Nouvelle-Zélande, Chine, Inde, Japon, Corée du Sud).

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Ouvrage de référence Colin Sébastien, La Chine et ses frontières, Armand Colin, Paris, 2011.

BibliographieBougon F., « Face à la Chine, les Philippines et les Etats-Unis se rapprochent », Le Monde.fr, 6 juin 2012, disponible à l’adresse http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/06/06/face-a-la-chine-les-philippines-et-les-etats-unis-se-rapprochent_1713733_3216.html.Fonrath E., « La marine chinoise passe de la pataugeoire au grand bain », QuestionChine.net, 17 janvier 2009, disponible à l’adresse http://www.questionchine.net/la-marine-chinoise-passe-de-la-pataugeoire-au-grand-bain?artpage=2-2Lim Y.-H.., « La mer de Chine méridionale : de la dispute au conflit ? », « Géopolitique de l’Asie du Sud-Est : la maritimisation des enjeux stratégiques », Les grands dossiers de Diplomatie, Affaires Stratégiques et relations internationales, n°9, Juin-Juillet 2012.Péron-Doise M., « Géopolitique de l’Asie du Sud-Est : la maritimisation des enjeux stratégiques », Les grands dossiers de Diplomatie, Affaires Stratégiques et relations internationales, n°9, Juin-Juillet 2012.Phanarangsan K., “China’s Reach : Subregional Economic Cooperation in Southeast Asia”, Yale Journal of International Affairs, Fall-Winter 2006Sauterey A.-L., “Anti-trafficking Regional Cooperation in Southeast Asia and the Global Linkages from Geopolitical Perspective Borders and Anti-trafficking Strategies between Burma, Laos PRD and Thailand”, Les notes de l’Irasec, n°3, Juillet 2008.

Beaucoup de bruit pour rien?Par Laurent MALVEZIN1

Entre le mois de novembre 2011 et la fin du mois de juin dernier, 2 270 délégués au 18ème Congrès ont été désignés dans 40 corps électoraux (dont les provinces et municipalités, les organes centraux, les entreprises d’Etat, des institutions financières centrales, l’Armée…) parmi les 82.6 millions de membres que compte, en 2012, le parti communiste chinois (PCC).

Ces délégués constituent le Congrès National du PCC. Ils sont à 68 % du parti, comme le stipule la loi. Les 32 % restants sont sensés représenter la base et la société civile « modèle » : personnalités éminentes ou remarquées dans les domaines politiques, économiques, scientifiques, culturel, sportif…Mais aussi et encore des militaires, dirigeants d’entreprises. Ils élisent, lors du premier Plenum du Congrès qui a lieu dès la clôture du Congrès National, tous les 5 ans, son Comité Central et la Commission d’Inspection de la Discipline (CID). Le Congrès peut aussi proposer des modifications à la charte du

parti. Ce sera probablement le cas lors du 18ème Congrès.

La Commission à l’Inspection de la Discipline est un rouage important du régime qui a pour vocation d’empêcher toute « dérive » au sein du Parti. Elle a, de ce fait, été largement activée pour l’ « affaire » Wang Lijun-Bo Xilai. Elle apparaît comme un organe essentiel dans la représentation graphique officielle des organes centraux du PCC (Cf. schéma).

Le Prés idium du Congrès National supervise les élections en validant le premier tour (yuxuan) et en proposant la liste finale des membres du Comité Central. Il est composé de dirigeants du Comité Central actuel, mais peut ê t re remanié après « négociations ». Chaque délégation du Parti, au niveau central comme local dispose d’un Présidium, sorte de collège de super grands électeurs et de secrétariat général.

C’est le Comité Central qui désignera, par vote, les dirigeants du

Bureau Politique et de son Comité Permanent, ainsi que le Secrétaire Général du PCC, le n°1 chinois. Il peut y avoir plusieurs tours, si les résultats ne sont pas « conformes aux prévisions ». C’est ce qui semble avoir été le cas, au mois de juin dernier, alors que le Plenum prenait quelques semaines de retard par rapport à ses précédentes « éditions » : Ni Xi jinping, ni Li Keqiang n’auraient obtenu le score le plus élevé, et il aurait fal lu plusieurs tours pour que l’unanimité soit finalement trouvée.

Le N°1 chinois doit recueillir le plus de voix lors des différents « scrutins ». Le premier a traditionnellement lieu en marge du Plenum d’été, sur lieu de villégiature et station balnéaire de Beidaihe, en face de la ville de Dalian de l’autre côté du golfe de Bohai.

Le Comité Permanent compte aujourd’hui neuf membres, dont sept seront remplacés à l’issue du 18ème Congrès. Seuls Xi Jinping et Li Keqiang y siègeront encore. Il y a actuellement huit prétendants pour les sept places. Il est possible que le format change en un comité permanent à 7 ou 8 membres, les plus anciens (Liu Yandong, Liu Yunshan ou Zhang Dejiang) se voyant attribués la présidence des plus hautes institutions nationales comme le Parlement (l’Assemblée ou la CCPPC, la chambre haute chinoise). 14 des 25 (moins Bo Xilai) membres du Bureau Politique devront être remplacés, ce qui constitue une redistribution importante du pouvoir. Toutefois, le 16ème Congrès en 2002 avait connu un taux de remplacement encore plus élevé avec 14 départs sur 22 membres. Aussi, ne faisons pas d’amalgame entre renouvellement du Bureau Politique et changement de génération de dirigeants. Le vrai b o u l e v e r s e m e n t g é n é r a t i o n n e l interviendra lors du 19ème Congrès, en 2017, et plus encore en 2022, à l’occasion du 20ème Congrès du PCC.

Le 1er Plenum du 18ème Comité Central se tiendra le lendemain de la clôture du

18e congrès du PCC

1. Directeur pour l’Asie et éditeur de la Lettre de Chine (SSF). Diplômé de l’INALCO et de l’Université de Pékin. Responsable de la revue Asian Affairs, Hong Kong (1997-2001), ancien membre d’un comité interministériel sur la Chine et Conseiller Chine pour le Ministère de la Défense (2001-2009), rejoint la société de conseil aux entreprises SSF en 2010 en tant que Directeur pour l’Asie de l’Est-Chine. Conseille les grandes entreprises françaises présentes en Asie sur la stratégie amont et la protection du patrimoine.

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Charte organisationnelle officielle des organes du Congrès National du PCC.

18ème Congrès. Il officialisera les nominations des membres du Bureau Politique et de son Comité Permanent.

Les membres du Comité Central (204 membres aujourd’hui au sein de l’actuel 17ème Comité Central, auxquels s’ajoutent les membres suppléants) sont classés selon les votes obtenus en leur faveur lors du Congrès, mais il n’y a pas de communication officielle de faite sur leurs résultats individuels, qui restent secrets. En effet, dans l’esprit de la charte du Parti, ces membres à part entière du Comité Central sont interchangeables et doivent être mis sur un pied d’égalité. Ils apparaissent donc sur une liste selon le nombre de traits du caractère de leur patronyme, équivalente à nos listes par ordre alphabétique. Ainsi, les dirigeants s’appelant Wang ( ), composé de 4 traits, trois horizontaux et un vertical, seront positionnés en tête de liste, avant les noms à écriture complexe comme , sans idée de hiérarchie. Le turn-over des dirigeants du Comité Central peut paraître très élevé, de l’ordre de 50 % à 60%. Il s’accélèrera à l’avenir, notamment en raison du changement générationnel qui atteindra un pic autour des années 2017-2020 et constituera un nouveau défi pour le régime.

En revanche, il est intéressant de noter que les membres suppléants du Comité Central (167 membres au 17ème Comité Central), sont classés et listés officiellement en fonction des votes des congressistes en leur faveur, ce qui fait émerger assez clairement les f u t u r s d i r i g e a n t s , c a r i l f a u t généralement avoir été suppléant d’un Comité Central pour entrer ensuite dans la liste des membres à part entière. En cela, la nouvelle liste des membres suppléants du 18ème Comité Central sera déterminante pour la connaissance des élites dirigeantes du 19ème et 20ème Comités Centraux, en 2017 et 2022.

Les membres suppléants du Comité Central servent aussi et surtout de force d’appoint en cas de départ anticipé (décès ou éviction) d’un des membres. Au jour d’aujourd’hui, 3 membres du 17ème Comité Central (2007-2012) ont du être démis de leurs fonctions, dont Yu Youjun (2008), Kang Rixin (2009) et Bo Xilai (2012). Yu Youjun a été remplacé par la tête de liste des membres suppléants : Wang Xinxian, de la Fédération des Handicapés de Chine, et Kang Rixin par Yan Rongzhu, ancien n°1 du Chef lieu du Shandong, Jinan. Prochain suppléant sur la liste : Wang Xuejun, le Directeur du Bureau des « Lettres et Visites », réceptacle des plaintes des citoyens chinois contre les abus de pouvoir et les dysfonctionnements de l’administration…

Par ailleurs, L’ordre protocolaire des dirigeants du Comité Permanent peut changer, en fonction des priorités d’affichage du moment des fonctions étatiques exercées par ces mêmes dirigeants, notamment le rang du Président de l’Assemblée Nationale Populaire, 2ème personnage de l’Etat avec Wu Bangguo, mais 3ème dans les mandatures précédentes.

Le Secrétariat du Comité Central est l’organe permanent du Comité Central. Il regroupe en général trois des plus hauts dirigeants du Bureau Politique, dont Xi Jinping, ainsi que trois autres dirigeants hors BP. Il s’agit, pour ces derniers, de He Yong, sur le départ, de Ling Jihua, promis à d’autres fonctions, et Wang Huning, l’éminence grise du Secrétariat, qui occupe le Bureau des études du Comité Central depuis 2002.

La Commission aux Affaires Militaires (CAM) et la Commission Centrale Militaire (CMC) n’est qu’un seul et même organe. C’est le Comité Central qui propose et décide in fine de sa composition, en autant de « tours » qu’il est nécessaire.

Les principaux bureaux fonctionnels du Comité Central sont listés ci-dessous. Ils ont tous leur pendant dans l’organisation de l’Etat et, à ce titre, se partagent les mêmes dirigeants, employés et bureaux : • le Cabinet du Comité Central

(émanation du Secrétariat du Comité Central), dirigé par Ling Jihua.

• l e Dépar tement Organisa t ion (Ministère du Personnel) qui gère toutes les ressources humaines des dirigeants de niveau vice-ministériel et ministériel (y compris donc les PDG et vice-PDG des grandes sociétés d’Etat) ;

• le Département Propagande (Bureau Information du gouvernement), piloté par Liu Yunshan

• le Dépar tement des Lia isons Internationales, dirigé par Wang Jiarui

• le Département du Front-Uni• le Bureau des Affaires extérieures du

CC, incarné par Dai Bingguo• La Commission politico-légale, le

coffre-fort du régime encore dirigée par Zhou Yongkang

Le déroulement du Congrès s’effectuera conformément aux intérêts du parti-Etat, à l’instar des congrès précédents. N’en déplaise aux dirigeants chinois insistant sur la rationalité de ce processus « démocratique », ces élections ne sont pas autre chose qu’un système très bien huilé de désignation-cooptation entre pairs qui exclue donc par essence l’expression de toute

sensibilité différente. A fortiori de tout courant, coalition ou groupement qui pourrait se distinguer et ainsi venir briser la sacro-sainte unité du parti.

Dans ce contexte, qu’est-ce que ce Congrès nous apprend de plus que nous ne savons aujourd’hui sur les orientations futures de politique intérieure et de politique extérieure de la Chine ? J’ai bien peur que nous ne soyons déçus. Bien sûr, il n’y a de richesse que d’hommes et de femmes constituant les nouvelles élites du pays. Chacun de nous sera tenté de créer sa base de données dirigeants de la « 5ème ou 6ème génération » pour disposer d’un Who’s Who in China actualisé. Toutefois, si l’exercice est nécessaire, il est insuffisant pour en extrapoler une connaissance renouvelée des politiques chinoises car celles-ci s’élaborent bien plus en amont de ces cercles de dirigeants dont la fonction principale est d’incarner en pleine lumière l’unité du parti et de l’Etat. C’est plus en profondeur que s’affrontent les courants de pensée économique, politique et sécuritaire. Autrement dit, le Congrès du parti est la superstructure tampon qui protège l’édifice tout entier. N’en attendez pas grand-chose.

En revanche, une révolution de l’information est en marche en Chine. Elle est en train de bouleverser les rapports entre l’Etat, le parti et la population. Elle prend forme depuis 2005 environ sous les traits de véritables politiques publiques et de transparence, bien que très partielle, de l’action publique. L’Etat doit rendre des comptes, de plus en plus souvent, et sur un spectre d’activité de plus en plus large. Le dogme de l’infaillibilité du parti communiste chinois se combine désormais avec celui du principe d’efficacité et de rationalité, mis en avant dans les nouveaux guides de pensée scientiste du pouvoir (« le développement scientifique »). Passons moins de temps à décrypter les cursus des élites chinoises, ou les process de décision, et intéressons-nous aussi à l’émergence de cette information « officielle », ainsi qu’aux politiques publiques que le Centre et les provinces mettront en place dans le cadre du 12ème plan quinquennal. Elles seront nécessairement de plus en plus informatives, précises, et illustreront bien mieux les lignes de force du pouvoir et les grandes orientations de la société chinoise.

Les Dossiers du Comité Asie de l’Association Nationale des Auditeurs Jeunes de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale 25

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