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“Paris vaut bien plus que toute exposition ». L’image de Paris dans les récits des ouvriers...

Date post: 01-Mar-2023
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C O P Y R I G H T 131 PARIS VAUT BIEN PLUS QUE N’IMPORTE QUELLE EXPOSITION L’IMAGE DE PARIS DANS LES RÉCITS DES OUVRIERS ITALIENS ENVOYÉS AUX EXPOSITIONS 18781900 Anna P «Paris la grande ville cosmopolite par excellence dont j’avais beaucoup lu et entendu parler, dont je m’étais fait dans la tête une idée que la réalité a de très loin dépassé ; en elle il y a l’esprit agité et indompté de la race française. Tous les peuples y sont représentés, les jaunes, les noirs avec leurs coutumes bizarres se rencontrent à chaque pas ; bâtiments et immeubles majestueux noircis par le temps, mémoires et monuments historiques, voies larges et spacieuses et inté- rieurs nobles, une allée et venue qui fait perdre la tête, chariots, voitures, omni- bus, tramways à vapeur et électriques, chemins de fer aériens, bicyclettes et au- tomobiles, quelque chose enn qui paraît impossible et qui semble un rêve 1 C’est en ces termes que l’ouvrier milanais Rodolfo Colombo décrit son arrivée dans la métropole française, à l’occasion de l’Exposition uni- verselle de 1900. Rodolfo, mécanicien lithographe, était sorti le soir du 27août 1900 de son logement, 2 via del Pesce, à Milan, pour se rendre à la gare centrale de la ville. Il y avait retrouvé d’autres ouvriers, comme lui «gagnants» d’un voyage d’étude à la grande exposition organisée cette année-là dans la capitale française pour célébrer le bilan du siècle. Il en connaissait déjà certains, notamment des parents et des collègues de travail ; mais il découvrait aussi de nouveaux visages, car l’un des critères de sélection des ouvriers envoyés à Paris était d’obtenir la délégation la plus représen- tative possible des diérents «métiers» du monde du travail milanais, en donnant la préférence aux «industries dans lesquelles l’initiative de l’ouvrier est la plus grande». C’était la première fois que nombre de ces travailleurs 1. Archivio storico della Camera di Commercio di Milano (ensuite AsCcMi), Esposizioni e Fiere, Esposizione di Parigi 1900, Relazioni presentate, scat. 187/b5, «Relazione della visita fatta all’Esposizione di Parigi nell’agosto 1900 da Colombo Rodolfo macchinista litografo». («Parigi la grande città cosmopolita per eccellenza di cui tanto lessi e sentii parlare di cui mi ero fatto nella testa un concetto che la realtà ha di molto superato; in essa vi è il moto, la vita, insomma ben rappresenta lo spirito irrequieto ed indomito della razza francese. Tutti i popoli in essa vi sono rappresentati, il giallo, il nero coi loro bizzarri costumi ad ogni passo si incontrano; edici e palazzi maestosi anneriti dal tempo, memorie e monumenti storici, vie larghe e spaziose ed interni nobili, un via vai che fa perdere la testa, carri, carrozze, omnibus, tranvai a vapore ed elettrici ferrovie aeree, biciclette ed automobili, qualche cosa insomma che sembra impossibile e che par di sognare.»)
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L’IMAGE DE PARIS DANS LES RÉCITS DES OUVRIERS ITALIENS ENVOYÉS

AUX EXPOSITIONS $1878%1900&Anna P'((')*+,-

«"Paris la grande ville cosmopolite par excellence dont j’avais beaucoup lu et entendu parler, dont je m’étais fait dans la tête une idée que la réalité a de très loin dépassé ; en elle il y a l’esprit agité et indompté de la race française. Tous les peuples y sont représentés, les jaunes, les noirs avec leurs coutumes bizarres se rencontrent à chaque pas ; bâtiments et immeubles majestueux noircis par le temps, mémoires et monuments historiques, voies larges et spacieuses et inté-rieurs nobles, une allée et venue qui fait perdre la tête, chariots, voitures, omni-bus, tramways à vapeur et électriques, chemins de fer aériens, bicyclettes et au-tomobiles, quelque chose en.n qui paraît impossible et qui semble un rêve 1."»

C’est en ces termes que l’ouvrier milanais Rodolfo Colombo décrit son arrivée dans la métropole française, à l’occasion de l’Exposition uni-verselle de 1900. Rodolfo, mécanicien lithographe, était sorti le soir du 27"août 1900 de son logement, 2 via del Pesce, à Milan, pour se rendre à la gare centrale de la ville. Il y avait retrouvé d’autres ouvriers, comme lui «"gagnants"» d’un voyage d’étude à la grande exposition organisée cette année-là dans la capitale française pour célébrer le bilan du siècle. Il en connaissait déjà certains, notamment des parents et des collègues de travail ; mais il découvrait aussi de nouveaux visages, car l’un des critères de sélection des ouvriers envoyés à Paris était d’obtenir la délégation la plus représen-tative possible des di/érents «"métiers"» du monde du travail milanais, en donnant la préférence aux «"industries dans lesquelles l’initiative de l’ouvrier est la plus grande"». C’était la première fois que nombre de ces travailleurs

1. Archivio storico della Camera di Commercio di Milano (ensuite AsCcMi), Esposizioni e Fiere, Esposizione di Parigi 1900, Relazioni presentate, scat. 187/b5, «"Relazione della visita fatta all’Esposizione di Parigi nell’agosto 1900 da Colombo Rodolfo macchinista litografo"». («"Parigi la grande città cosmopolita per eccellenza di cui tanto lessi e sentii parlare di cui mi ero fatto nella testa un concetto che la realtà ha di molto superato; in essa vi è il moto, la vita, insomma ben rappresenta lo spirito irrequieto ed indomito della razza francese. Tutti i popoli in essa vi sono rappresentati, il giallo, il nero coi loro bizzarri costumi ad ogni passo si incontrano; edi!ci e palazzi maestosi anneriti dal tempo, memorie e monumenti storici, vie larghe e spaziose ed interni nobili, un via vai che fa perdere la testa, carri, carrozze, omnibus, tranvai a vapore ed elettrici ferrovie aeree, biciclette ed automobili, qualche cosa insomma che sembra impossibile e che par di sognare."»)

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entreprenaient un aussi long voyage ; il s’agissait donc pour beaucoup d’une expérience nouvelle, que les caractéristiques de l’endroit visité rendaient encore plus extraordinaire. La ville-lumière accueillait en ces jours l’Expo-sition, lieu fantasmagorique et spectaculaire où l’on pouvait admirer toutes les merveilles de la technique et du progrès, mais aussi les produits typiques et insolites de pays exotiques et lointains. Pendant le voyage, des groupes et des amitiés s’étaient créés. À Paris, face aux di0cultés d’organisation et aux problèmes imprévus de logement, d’aucuns avaient béné.cié de la solidarité des camarades des autres groupes. Une fois la question de l’hébergement et des repas réglée, commençait un autre voyage, à l’intérieur de l’exposi-tion": une expérience tantôt fatigante, tantôt passionnante et émouvante. Les confrères et amis français leur avaient réservé un accueil chaleureux": le 2"septembre, ils avaient donné en leur honneur un concert à la Bourse du travail, puis dans les salons de l’Hôtel des Sociétés savantes, un vin d’hon-neur leur avait été o/ert en signe de bienvenue. Le"séjour avait duré un peu plus d’une semaine, l’excursion à Versailles, celle à Saint-Cloud et la visite de certains établissements parisiens comprises. Ce court laps de temps concen-trait cependant une quantité impressionnante de choses à voir. Beaucoup de travailleurs, par leur attitude un peu sceptique et ironique, avaient tenté de se distancier de ces «"fastes du progrès 2"», de cette volonté évidente d’émerveiller et de surprendre, sans toujours y parvenir. Les prodigieuses et imposantes machines de l’exposition étaient apparues à certains comme de véritables «"monstres"» bruyants, toujours en mouvement, des monstres qui dévoraient la matière première et restituaient des produits industriels .nis. D’autres, frappés par la beauté des mécanismes et par la qualité des .nitions, les avaient décrites, dans leurs relations de voyage, comme des engins magiques, des «"fées"» béné.ques capables d’accomplir des miracles pour réduire la fatigue des ouvriers 3. La métropole avait également suscité 2. Sur les expositions universelles en général, G*'',12()1 P., Ephemeral vistas: the expositions

universelles, Great Exhibitions and World’s Fairs, 1851-1939, Manchester, Manchester University Press, 1988 ; Le livre des expositions universelles 1851-1989, Paris, Édition des arts décoratifs, Hersher, 1983 ; A+3-,'"L. et O(3-"C., Le Esposizioni Universali 1851-1900, Turin, Allemandi, 1990 ; S41*-'5'*-G65'167"B. et R273677',"A., Les fastes du progrès. Le guide des expositions universelles 1851-1922, Paris, Flammarion, 1992 ; R85'(("R. W. et G9+,,"N. E. (dir.), Fair representation: World’s Fairs and the Modern World, Amsterdam, VU University Press, 1994 ; :2, W'7'32'("P., Architecture of instruc-tion and delight. A socio historical analysis of World Exhibitions as a didactic phenomenon (1798-1851-1970), Rotterdam, 010 Publishers, 2001 ; G';;'*<"A. C. T. et B2+-,+"M., Esposizioni in Europa fra Otto e Novecento. Spazi, organizzazione, rappresentazioni, numéro thématique de Memoria e ricerca, 17/2004 ; sur les expositions universelles parisiennes, C2**="A.-L., C-*48"M.-S., D'3'6(',2'*'-D-68>*'"C. et H+(2+*'-P=*'?"L. (dir.), Les expositions universelles en France au xixe"siècle. Techniques. Publics. Patrimoines, Paris, CNRS Éditions, coll. «"Alpha"», 2012.

3. P'((')*+,- A., Macchine come fate. Gli operai italiani alle Esposizioni Universali 1851-1911, Milan, Guerini e Associati, 2011 ; P'((')*+,- A., «"Les machines “fées” ou

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l’émerveillement des ouvriers, introduit de nouveaux savoirs et de nouveaux points de vue ; elle formait une part essentielle de l’expérience vécue lors du voyage pour l’exposition et faisait l’objet, dans les comptes rendus, d’un grand enthousiasme. À la .n de leur voyage, en e/et, les ouvriers étaient tenus de rédiger un rapport complet et détaillé qu’ils soumettaient ensuite aux organisateurs. Ce n’était pas un choix, une option laissée à leur discré-tion, mais une obligation, en contrepartie de la subvention qui leur avait été accordée pour .nancer le voyage": une clause à laquelle nous devons aujourd’hui la possibilité de lire tous ces comptes rendus dans les archives où ils ont été déposés ou dans les volumes où ils ont parfois été publiés.

Cet essai analyse les rapports de voyage de cinq groupes d’ouvriers italiens rédigés lors de leur visite aux expositions universelles parisiennes, entre 1878 et 1900 4. Nombreuses sont les questions qui peuvent être abor-dées à travers cette source. J’examinerai ici la manière dont ces travailleurs se posaient face à la ville et à la complexité de la vie urbaine, qui faisaient de Paris le lieu symbole de la modernité en Europe au @+@e"siècle. Il s’agit, en e/et, d’un matériel documentaire très vaste, peu connu, jugé parfois comme mineur, qui cependant fournit un regard singulier et inhabituel sur la ville de Paris à la charnière des @+@e et @@e"siècles. Ces comptes rendus peuvent être lus comme une synthèse éclairante des savoirs professionnels des ouvriers de l’époque et comme un révélateur de l’identité ouvrière, des réactions mentales et psychologiques aux nouveautés du voyage, de l’attitude par rapport aux institutions et aux réalités socio-économiques et politiques avec lesquelles les travailleurs entraient en contact.

En règle générale, ces textes d’écriture populaire qui font apparaître une fraîcheur dans l’imagination et la narration, parviennent à dessiner un portrait de Paris di/érent de celui qui était alors répandu dans et par les groupes sociaux d’un niveau culturel plus élevé.

Les écrits ouvriers peuvent être conçus comme des récits de voyage 5. Mais ces voyages di/èrent sensiblement du voyage classique des touristes de

“ monstrueux mécanismes” ? Technologie et progrès dans les comptes rendus des travailleurs italiens aux expositions universelles (1878-1900)"», in C2**="A.-L. et al. (dir.), Les expo-sitions universelles en France au XIXe"siècle…, op. cit., p."331-345.

4. Pour l’exposition de 1878, nous avons examiné cinquante rapports publiés à cette époque, qui concernent douze ouvriers de Rome, envoyés par la municipalité et la chambre de commerce, et trente-huit ouvriers de Turin, envoyés à l’initiative de la Société promotrice de l’industrie nationale de cette ville. Concernant l’exposition de 1889, nous avons analysé cent vingt et un comptes rendus, non publiés, relatifs à un groupe d’ouvriers envoyés par la municipalité et la chambre de commerce de Milan. Pour l’exposition de 1900, en.n, nous avons utilisé deux cent trente-trois comptes rendus relatifs à un groupe d’ouvriers lombards et douze comptes rendus d’un groupe piémontais.

5. Littérales, Les modèles du récit de voyage, numéro thématique, no"7, 1990, en particulier l’ar-ticle de L' H6',',"R, «"Qu’est-ce qu’un récit de voyage"», p."11-27. R-41'"D., Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003, en

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l’époque. Les protagonistes sont des travailleurs, c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas habituées à voyager, qui arrivent à Paris pour y séjourner pendant une brève période et dont la culture et les points de vue sont forgés, au moins en partie, par leur propre identité professionnelle.

Dialectique entre ville «!réelle!» et ville «!"ctive!»Une première dimension importante de ces relations de voyage

réside dans la dialectique entre la ville réelle et la citadelle de l’exposition. Des"études récentes ont montré que la métropole, siège de l’exposition, constitue une exposition «"actuelle"» ou «"réelle"», par opposition à l’expo-sition, «".ctive"», momentanée et éphémère. De la même manière que les expositions sont considérées comme une «"ville à l’intérieur de la ville"», les villes qui les accueillent peuvent aussi être considérées comme des exposi-tions permanentes à rapprocher de l’exposition transitoire.

À l’occasion de l’exposition universelle de 1889, le journal britan-nique Pall Mall Gazette écrit":

«" Il y a beaucoup de choses à voir à Paris, mais la plus importante est Paris même. Paris vaut bien plus que n’importe quelle exposition. Toutes les expo sitions sont structurées plus ou moins sur le même modèle. Paris est par contre unique. Si les expositions sont plusieurs, Paris n’est qu’une seule. Paris est donc la première chose à voir, avant d’aller à l’exposition 6."»

Un tel avis est partagé par la majorité des travailleurs transalpins. Les"rapports des commissions chargées d’évaluer leurs récits se plaignent très souvent du fait que «"près de la moitié du texte"» porte sur les «"impressions suscitées par la métropole parisienne"». Des comptes rendus entiers sont consacrés à l’impact de rencontre-collision et d’attraction-répulsion généré par la métropole lieu de l’exposition. Depuis leur arrivée à la gare jusqu’à leur complète immersion dans la vie frénétique de la capitale":

«"Quel ébahissement, mon Dieu, à la gare"! Des hommes les plus bizarre-ment vêtus, des chariots lourds, des wagons vides et se vidant par milliers, des locomotives fumantes, des valises de toutes formes, des jurons en toutes langues 7."»

particulier les chapitres + «"De l’utilité des voyages"», p."49-93, et @+: «"Les"voyages du peuple"», p."923-1017.

6. «"Paris and its Exhibitions"», Pall Mall Gazette Extra, no"49, 26 juillet 1889, Londres, Pall Mall Gazette, p."10 ; G';;'*<"A. C."T., «"Luoghi, città, prospettive, le esposizioni e l’urbanistica .n de siècle"», Memoria e ricerca, no"12, a. XI, 2003, p."132.

7. Archivio del Comune di Milano (ensuite AcMi), Esposizioni e Fiere, Esposizione in Parigi 1889, Relazioni degli operai visitatori, cart. 5, «"Relazione della mia visita fatta all’Espo-sizione Mondiale di Parigi – 1889 – da Way Giuseppe, Ore.ce"». («"Che sbalordimento, mio Dio, lì in stazione! Uomini vestiti nelle più strane foggie, carri pesanti, vagoni vuoti e vuotantisi a migliaia, macchine sbu%anti, valigie d’ogni forma, bestemmie d’ogni lingua."»)

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Ou encore":«"Et Paris mérite à juste titre d’être louée dans toute son immensité pour ce

mouvement général, ce fourmillement, cette prolifération de personnes, de voitures de tram, d’automobiles, pour toute cette animation en.n qui forme la vraie vie de cette grande métropole 8."»

La visite fournit l’occasion de comparer l’image préconçue sur la base de connaissances indirectes ou stéréotypées avec une expérience vivante, parfois déconcertante et presque abrutissante 9. Paris est surtout, pour beau-coup d’ouvriers, un lieu très attendu, sur lequel ils ont bâti des espérances, construit des imaginaires, accumulé des connaissances indirectes. La ren-contre avec la ville mythique est source d’émotion bien avant l’arrivée":

«"Quand, partis de Milan au milieu des adieux festifs des parents et amis, nous nous sommes sentis entraînés vers cette grande métropole, j’ai éprouvé un sentiment d’anxiété indicible, comme quelque chose que l’on attend et désire depuis longtemps et que l’on est sur le point d’avoir à sa portée et en son pouvoir. Ce sentiment ne m’a pas quitté, sinon quand je me suis retrouvé au milieu de la splendeur de la vie parisienne, comme perdu dans ces rues larges, illimitées, devant ces monuments grandioses qui éveillent dans le cœur et dans l’esprit l’idée d’une autre vie, d’un autre âge 10."»

La dimension spectaculaire du rêve, de l’arrivée dans ce que les ouvriers italiens dé.nissent comme un «"monde nouveau"», se retrouve dans nombre de comptes rendus, mais la capitale française apparaît aussi comme le lieu de l’intellectualité européenne, le «"cerveau d’Europe"». De"la ville, les 8. AsCcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione di Parigi 1900, Relazioni presentate, scat. 187/

b5, «"Relazione dell’operaio montatore meccanico Colla Gaetano all’Esposizione di Parigi del 1900"». («"E giustamente Parigi merita di essere decantata in tutta la sua immensità per quel movimento generale, quel brulichio, quel centuplicarsi di persone, di vetture di tram, di automobili, per tutta quell’animazione in!ne che forma la vita vera di quella grande metrópoli."»)

9. L’imaginaire de l’époque sur la ville inAuait certainement aussi sur les visions des ouvriers ; S<+'*('"K., La capitale des signes. Paris et son discours, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2001 ; H2?2,"É., L’invention de Paris. Il n’y a pas de pas perdus, Paris, Le"Seuil, 2002 ; C-*B+,"A., Le sang de Paris. Ré&exions sur la généalogie de l’image de la capitale. Le temps, le désir et l’horreur. Essais sur le XIXe"siècle, Paris, Flammarion, 2006 ; C2:2??+,+"A., «"La Ville-Symptôme. Pour une Urgeschichte de l’espace urbain"», La rose de personne/La rosa di nessuno, 3, 2008, p."215-223 ; G6+(('*3'"A., La naissance de l’industrie à Paris (1780-1830), Paris, Champ Vallon, 2007.

10. AsCcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione di Parigi 1900, Relazioni presentate scat. 191/b13, «"Una visita all’Esposizione di Parigi 1900, Impressioni ed appunti di Angelo"Nazarri"». («"Quando partiti da Milano in mezzo agli addii festanti dei parenti e degli amici, ci sentimmo trascinare verso quella grande metropoli, io provai un senso di ansia indicibile, un senso come di cosa che da lungo tempo si attende e si desidera e che siamo sicuri fra poco avere alla portata nostra ed in nostro potere. Questo senso non mi abbandonò se non quando mi trovai in mezzo al fulgore della vita parigina come perduto in quelle vie ampie, interminate, dinnanzi a quei monumenti grandiosi che destano nel cuore e nella mente l’idea di un’altra vita, di un’altra età."»)

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ouvriers perçoivent la valeur «"révolutionnaire"» et progressiste synthétisée dans l’idée de modernité.

Paris capitale de la modernité!: quelques exemplesCes relations rendent compte, en e/et, de l’image «"exceptionnelle"»

de la ville de Paris, telle qu’elle apparaît aux yeux des «"touristes ouvriers"». Ceux-ci ne sont pas plongés, comme des touristes ordinaires, dans la vie quotidienne. Le Paris qu’ils visitent est une ville qui s’habille, qui se maquille pour l’occasion, qui a0che un visage extraordinaire, tout comme est extra-ordinaire la condition de ces travailleurs. Tout se passe comme si la ville o/rait un spectacle aux travailleurs italiens qui vont pour la première fois au théâtre. Ces derniers se rendent bien compte de ce caractère d’excep-tion ; ils savent bien que la ville qu’ils visitent se présente à leurs yeux à un moment bien précis, celui, comme le souligne le dessinateur de tissus Antonio Parazzoli, de son plus grand triomphe":

«"Paris !… Paris !…Le rêve de mes nuits, l’éternel cauchemar de mon esprit, la pensée d’une

partie de mon existence, je t’ai vue en.n… !Je t’ai vue, oh belle et historique ville mondiale, je t’ai vue au moment le

plus solennel, celui de ton plus grand triomphe !Je t’ai vue à l’instant où, on peut le dire avec superbement, les Sciences ont

atteint leur apogée 11 !"»

Le caractère exceptionnel de la ville relève également de sa capacité à exprimer l’excellence, y compris au niveau symbolique. Paris puise dans l’extraordinaire pour l’incorporer dans une nouvelle quotidienneté, di/é-rente ou plus «"moderne"»": en témoigne, par exemple, la monumentalité de l’exposition, qui souvent survit à l’événement qui l’a créée et devient un élément constitutif et même symbolique de la ville. Les Expositions universelles de 1878, 1889 et 1900 ont permis notamment la construction d’équipements prestigieux, comme le Palais du Trocadéro, la Tour Ei/el, le Grand et le Petit-Palais, la Gare d’Orsay, le métropolitain.

Au-delà de la ville animée et monumentale, un autre élément, symbole du progrès, marque profondément la vision de ces «"touristes ouvriers"»": il s’agit de la lumière électrique 12. Pour les travailleurs milanais

11. AcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione in Parigi 1889, Relazioni degli operai visitatori, cart. 3, «"Relazione di Enrico Antonio Parazzoli disegnatore di tessuti"». («"Parigi!... Parigi!... Il sogno delle mie notti, l’eterno incubo della mia mente, il pensiero d’una parte della mia esistenza !nalmente ti vidi…! Ti vidi o bella e storica città mondiale, ti vidi in un momento dei più solenni, quello del tuo maggior trionfo! Ti vidi nell’istante che superbamente può dirsi, che le Scienze hanno raggiunto il loro apogeo!"»)

12. Sur le rôle de l’électricité dans les expositions universelles, V+,4',<-B',7265'"B., «"En Aânant dans les expos": images de l’électricité"», Culture technique, no"17, mars 1987, p."89-93. Plus spécialement sur les expositions parisiennes, C2**'"P. A., «"Expositions

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à Paris en 1889, elle représente l’une des attractions les plus extraordinaires de la ville et de l’exposition et justi.e, dans leurs comptes rendus, un usage immodéré de superlatifs":

«"À la tombée de la nuit, ce fut un émerveillement de voir l’arc de Triomphe et la grande place de la Concorde entourés de jardins splendides et de très belles statues d’où s’écoulait l’eau. Mais le plus beau fut de voir le grand éclairage à gaz et la lumière électrique, dont l’e/et fut splendide, en un mot il nous semblait être éclairé par la lumière du soleil 13."»

Même si l’électricité n’a pas encore une place autonome dans le circuit de l’exposition de 1889, avec ses jeux de lumières spectaculaires organisés pour l’occasion, elle consacre le triomphe d’une technique extrême ment avancée pour l’époque et prend même un sens métaphorique en tendant à incarner les valeurs les plus profondes et les plus caractéristiques de l’idée de progrès. Ces valeurs sont censées assurer le plus grand bien-être, mais aussi mettre un terme aux aspects négatifs et nuisibles de la tradition, identi.ables dans la guerre et la violence. En ce sens, l’électricité assume une valeur quasi sacrée avec des inAexions millénaristes.

«"L’ère des combats est .nie […] l’ère du travail est en plein développe-ment […]. Le génie de la guerre doit fuir aveuglé devant la splendeur de la lumière électrique, comme dans les tableaux mystiques du Moyen Âge le diable fuyait devant la Croix 14."»

Paris internationalisteParis s’impose à l’époque comme le lieu symbole de l’internationa-

lisme culturel en Europe, l’internationalisme de la science comme celui de la mode, du goût et de l’art. Pour les élites dirigeantes italiennes, le voyage à Paris est un topos, un passage nécessaire et quasi obligé dans la formation et l’expérience de la vie. Il révèle très clairement le sens d’un déplacement du local vers l’international, d’autant que la plupart des villes italiennes, malgré

et modernité": électricité et communication dans les expositions de 1867 à 1900"», Romantisme, III, 1989, p."37-48 ; C2*5-<"F., «"L’éclair de la favorite ou l’électricité à l’Exposition de 1889"», Le mouvement social, octobre-décembre 1989, no"149, p."43-58.

13. AcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione in Parigi 1889, Relazioni degli operai visitatori, cart. 3, «"Relazione del viaggio e del progresso all’Esposizione Internazionale di Parigi 1889 di Baroni Francesco della società dei lavoratori di Crema"». («"Sul far della sera fu una meraviglia al vedere l’arco del trionfo e la gran piazza della Concordia circondata da stupendissimi giardini e di bellissime statue che tramandavano acqua. Ma il più bello al vedere fu la grande illuminazione a gaz, e la luce elettrica, che riuscì stupendissima, insomma ci sembrava di essere illuminati dal sole."»)

14. AcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione in Parigi 1889, Relazioni degli operai visitatori, cart. 3, «"Relazione della esposizione di Parigi 1889, dell’operaio Caldara Antonio di Treviglio"». («"L’era dei combattimenti è !nita […] l’era del lavoro è nel suo pieno sviluppo […]. Il genio della guerra deve fuggire abbacinato davanti allo splendore della luce elettrica, come nei quadri mistici del medio-evo il diavolo fuggiva davanti alla Croce."»)

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leur vocation touristique, ne peuvent revendiquer un caractère cosmopolite aussi a0rmé que celui de la capitale française. Pour les travailleurs italiens, cette tension entre le local et l’international est encore plus évidente. Paris est, par excellence, une ville ouverte, un lieu d’échanges et de rencontres. Comme l’a0rme l’ouvrier Savino Sabini, envoyé par la mairie de Milan à l’«"Exposition mondiale"» de Paris en 1867, à propos des tavernes qu’il fréquente pendant son séjour":

«" J’aime beaucoup y aller pour bavarder avec des ouvriers français, qui nouent des relations informelles avec leurs voisins ; et avant d’avoir .ni la soupe, on devient amis et con.dents, comme si on avait consommé ensemble un boisseau de sel 15."»

L’exposition ne fait qu’exalter ce caractère. La citadelle de l’expo-sition est une sorte de terra franca, un lieu où les identités locales et les sentiments d’appartenance peuvent être remodelés, voire remis en cause. La tension entre le local (chaque produit et chaque producteur), le national (les pavillons nationaux) et l’international (le système des jurys, pivot du fonctionnement de l’exposition, qui oblige à la confrontation et à la hiérar-chisation des di/érences à l’échelle mondiale) n’est ni occasionnelle, ni relé-guée au niveau des représentations. Elle constitue au contraire le fondement même de l’exposition. La victoire appartient évidemment au «"moderne"», mais ce «"moderne"» est vu surtout comme le résultat de l’échange, de la vitesse des communications, de l’intégration et de la confrontation entre les di/érents pays à l’échelle mondiale, de tout ce qui facilite et accélère la circulation et la di/usion de l’innovation. La dimension cosmopolite de Paris en est très valorisée (.gure 1).

«"On dit que Paris est le cerveau du monde ; je ne sais pas jusqu’à quel point cette assertion est vraie, mais le fait est qu’en cette période de l’exposi-tion, la couleur cosmopolite que l’on rencontre dans les rues, le mouvement énorme, la multiplicité et la diversité des idiomes qui frappent l’oreille font vraiment croire qu’il y bat l’esprit et le cœur du monde entier 16."»

15. S2B+,+"S, «"L’esposizione mondiale. Lettera VII al signor Edoardo Pensabene. Gli ope-rai francesi. Parigi 20 maggio 1867"», in C2,<C"C., Portafoglio di un operaio, Milan, Bompiani, 1997, p."340. («"Amo andarvi per confabulare con operai francesi, che senza cerimonie legano coi vicini; e prima d’aver !nito la minestra, s’è amici e con!denti, come se s’avesse consumato insieme uno staio di sale."»)

16. AsCcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione di Parigi 1900, Relazioni presentate, scat. 191/b13, «"Una visita all’Esposizione di Parigi 1900, Impressioni ed appunti di Angelo Nazarri"». («"Dicono che Parigi è il cervello del mondo ; io non so !no a qual punto possa esser vero tale asserto, ma sta il fatto che in questo periodo dell’Esposizione la tinta cosmopolita che s’incontra per le vie, il movimento immane, la molteplicità e diversità degli idiomi che colpiscono l’orecchio fan credere davvero che colà palpiti la mente e il cuore dell’orbe intera."»)

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Ou bien":«" Je me sens obligé de remercier les lithographes parisiens admis à la

Bourse du Travail pour le bon accueil qu’ils ont fait aux lithographes italiens, car, après nous avoir o/ert un verre en signe de fraternité internationale, après nous avoir fait visiter le palais grandiose de la Bourse du Travail, splen-dide édi.ce avec environ 120 000 associés et après avoir échangé nos sym-pathies réciproques, le directeur de la Coopérative Monsieur Andrieux nous a gentiment invités à visiter l’établissement en question dont je garderai un souvenir impérissable 17."»

Figure 1. – Frontispice du rapport d’Angelo Nazarri, ouvrier mécanicien, (AsCcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione di Parigi 1900). Cliché de l’auteure

Dans la majorité des cas, une telle hospitalité renforce les sentiments pro-français dont font souvent montre les ouvriers transalpins, et a, dans leurs comptes rendus, des implications politiques et culturelles plus larges, qui tendent à considérer la France comme un modèle par rapport à l’Italie.

17. Il se réfère à la lithographie parisienne ; AsCcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione di Parigi 1900, Relazioni presentate, scat. 190 b/11, «"Relazione di Mazzoleni Giuseppe a Parigi nel 1900"». («"Mi sento in dovere di ringraziare i litogra! parigini ascritti alla Borsa del Lavoro per la gentile accoglienza fatta ai litogra! italiani, poiché dopo o%ertaci una bicchie-rata come segno di fratellanza internazionale, dopo fattoci visitare il grandioso palazzo della Bourse du Travail, stupendo edi!cio con circa 120.000 associati e dopo vicendevoli scambi di simpatie reciproche, il direttore della Cooperativa Sign. Andrieux gentilmente c’invitò a visitare il suddetto stabilimento e di quello ne serberò perenne memoria."»)

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«"Par la suite, l’accueil qui nous fut fait à notre arrivée à Paris fut vraiment fraternel et courtois, comme il fallait s’y attendre d’une population cultivée et par nature aimable comme celle française ; si, par aventure, certains eurent à se plaindre pour des motifs rapportables à une mauvaise interprétation, ce qui est probablement arrivé parce que chacun d’entre nous aurait dû savoir qu’en se rendant dans ce pays, il se serait trouvé au sein d’un peuple dissem-blable du nôtre par le langage, les us et les coutumes, qui de plus possède par tradition un haut degré d’amour de soi et de son pays, et n’aurait pas dû s’étonner ni s’o/enser de cet orgueil national qui lui est caractéristique et dont il est d’usage de faire montre en s’estimant supérieur aux autres peuples, car il était fort, me semble-t-il, à raison 18."»

Paris industrielÀ l’occasion des expositions, Paris devient aussi un lieu de rencontres

et d’échanges au niveau professionnel. La capitale française se montre aux yeux des travailleurs transalpins comme un lieu d’innovations techniques, et ceci dans un sens très large. On y respire un air de modernité beaucoup plus marqué que dans le cadre italien, et les expositions permettent de mettre en valeur la technique sous ses formes les plus avancées. En tout état de cause, Paris constitue un modèle accepté pour le goût, pour le design et pour la mode, autant de secteurs productifs et professionnels que les ouvriers transalpins (en particulier ceux quali.és, issus d’une longue tradition artisa-nale) regardent avec intérêt. Le rapport entre la culture du métier artisanal et la modernité des productions industrielles, comme celui entre l’identité nationale et la fascination exercée par la France, sont souvent vécus par les travailleurs de façon problématique et ce d’autant plus qu’ils sont amenés à visiter les établissements industriels de la capitale. La comparaison se révèle très intéressante, notamment pour les ébénistes, les imprimeurs, les tailleurs et les couturiers.

Parfois, les visites donnent lieu à des échanges d’idées et d’informa-tions techniques très spécialisées. Le lithographe Erasmo Herdenberg, par exemple, visitant l’imprimerie lithographique de Monsieur Lemercier, «"la

18. AcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione in Parigi 1889, Relazioni degli operai visitatori, cart. 4, «"Relazione dell’operaio guantaio Carlo Barbini all’Esposizione di Parigi nel 1889"». («"L’accoglienza poi che ci venne fatta al nostro giungere in Parigi fu veramente fraterna e cortese quale era da aspettarsi da una popolazione colta e per natura gentile come la francese; che se per avventura taluno ebbe a muovere lamento per motivi ai quali devesi forse una cattiva interpretazione, ciò probabilmente è avvenuto perché ad ognuno di noi avrebbe dovuto essere presente, che recandoci in quel paese ci saressimo trovati in mezzo a un popolo, che dissimile dal nostro per linguaggio, uso e costumi, per tradizione poi possiede un alto grado d’amore di se stesso e del proprio paese, e quindi non doveva stupirci ne o%enderci quel nazionale orgoglio che gli è caratteristico, e di cui è solito far pompa reputandosi superiore agli altri popoli, perché parmi fosse forte con ragione."»)

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plus ancienne de France et peut-être du monde"», explique comment il a découvert des procédés de fabrication très utiles pour sa profession":

«"Nous avons eu une discussion aimable sur la façon de reproduire des dessins au pastel sur la pierre […]. Chez nous cette opération se fait sur une pierre lisse, c’est-à-dire polie à la perfection. Chez Lemercier, elle se fait au contraire sur une pierre grenue, mais d’un grain très .n. Nos ouvriers veulent avoir raison et feront des expériences. Il me semble pourtant que la méthode française est meilleure car, avec la pierre lisse, le travail s’ empâte plus faci-lement qu’avec la pierre grenue et ces mêmes imprimeurs ont d’ailleurs démontré qu’après 3 000 tirages, le travail est net et frais, comme s’il s’agissait de la première copie 19."»

La visite des ateliers parisiens o/re des éléments de réAexion perti-nents tant du point de vue technique que de celui de l’organisation, de la division du travail, des salaires, de la solidarité entre entrepreneurs, dans une perspective comparative avec le pays d’origine":

«"De la visite de ces fabriques […] on peut voir que l’ouvrier français est beaucoup plus éduqué et instruit ; qu’il a beaucoup d’intérêt à se perfection-ner dans son travail et à maintenir une conduite exemplaire ; et que tant les grands que les plus petits établissements ont à leur tête des hommes capables de les guider non seulement par les mots mais par les œuvres, par l’intelli-gence et par les études. Ces hommes estiment l’ouvrier et l’aiment ; mais ce sont des hommes de science, c’est pourquoi ils savent l’instruire et l’aider à se perfectionner 20."»

Une autre observation récurrente concerne la question de la dimen-sion industrielle. Pour les ouvriers de métier italiens, généralement liés à

19. AcMi, Esposizioni e Fiere, Esposizione Internazionale in Parigi 1889, Relazioni degli operai visitatori, cart. 3, «"L’arte litogra.ca all’Esposizione internazionale di Parigi nel 1889 – Relazione di Erasmo Hardenberg"». («"Abbiamo avuto una cortese discussione sul modo di riprodurre disegni a pastello sulla pietra. Si sa che quando il numero delle copie occorrenti è di qualche importanza si usa riprodurre un certo numero di esemplari su altra pietra, atti a facilitare e sempli!care il numero delle tirature. Da noi questa operazione si fa su pietra liscia cioè levigata alla perfezione. Da Lemercier si fa invece su pietra granita ma di una grana !nissima. I nostri operai vogliono aver ragione e facevano degli esperimenti. A me pare invece che il metodo francese sia migliore, poiché colla pietra liscia il lavoro s’imposta più facilmente che non colla pietra granita e questo ci fu anche dimostrato da quegli stessi stampatori, che dopo 3"000 tirature il lavoro è nitido e fresco siccome fosse la prima copia."»)

20. «"Relazione di Cucco Carlo sugli strumenti ed apparecchi di precisione a Parigi nel 1878"», dans Relazioni degli operai piemontesi inviati alla esposizione universale di Parigi nel 1878, Turin, tip. Bagione e c., 1879, p."135. («"Dalla visita di codeste fabbriche […] si può scorgere che l’operaio francese è molto più educato e più istruito; che egli ha molto interesse a perfezionarsi nel suo lavoro, ed a mantenere una condotta esemplare; e che tanto i grandi che i più piccoli stabilimenti industriali hanno alla testa uomini capaci di guidarli non solo a parole, ma colle opere, colla intelligenza e collo studio. Codesti uomini stimano l’operaio e lo amano; ma sono uomini di scienza, epperò lo sanno pure istruire ed aiutare a perfezionarsi."»)

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des méthodes de production semi-artisanales et à une dimension productive réduite, l’un des aspects qui frappe le plus leur imagination est la grandeur et la complexité de la fabrique. Les thèmes de la taille des établissements, de la hiérarchisation, des aspects disciplinaires et de la nature di/érente des rapports interpersonnels sur les lieux de travail sont au centre de nombreux comptes rendus. En.n, l’associationnisme ouvrier et professionnel repré-sente non seulement un moyen de sauvegarder les intérêts économiques des a0liés, mais aussi et surtout un moyen de perfectionner l’art que l’on exerce.

Paris politiqueDe cette comparaison avec les associations et les organisations

ouvrières de la ville émergent aussi souvent des considérations politiques. Le contact avec les travailleurs et les organisations syndicales parisiennes o/re à la fois un point d’appui pratique incontournable et une opportunité pour réAéchir sur les associations françaises, sur le rôle des syndicats en France, sur le rôle des ouvriers et sur l’organisation du travail.

«"L’impression que la capitale française m’a laissée fut excellente ; beau-coup d’élan et de volonté. Elle devrait être imitée par toutes les nations. Ses" systèmes de transport, ses mœurs, tout a laissé dans mon esprit un sou-venir spécial. L’aimable invitation que la Bourse du Travail nous a faite et son hospitalité cordiale m’a montré l’intérêt et l’accord qui serait partout nécessaire pour le développement du travail."»

Ou encore":«"En France, […] bien que beaucoup soutiennent qu’il n’y a pas de liberté,

le travailleur peut faire entendre sa voix bien mieux que chez nous […]. Les"autorités traitent bien di/éremment les Bourses du Travail, les syndicats, les ligues, etc., alors que chez nous on les considère comme des abris de malfaiteurs et de fauteurs de troubles […]. L’organisation ouvrière forte est donc le bien-être du travailleur, et partout on s’en aperçoit en parcourant les galeries interminables de l’exposition 21."»

Souvent ces observations glissent du domaine syndical vers un niveau plus général et plus explicitement politique. Rappelons que le parcours Milan-Paris ou Turin-Paris est un parcours hiérarchique (du moins avancé vers le plus avancé), une sorte de marche vers le progrès. Il s’agit de faire prendre la mesure d’un retard et conscience du besoin de le rattraper.

21. AsCcMi, Esposizioni e Fiere, op." cit., scat. 187/b5, «"Relazione della visita fatta all’Esposizione di Parigi nell’agosto 1900 da Colombo Rodolfo macchinista litógrafo"». («"In Francia, dove benché molti sostengono non vi sia libertà, pure il lavoratore può meglio che da noi far sentire la sua voce […] Quanto diversamente sono trattate dalle autorità le Borse del lavoro, i sindacati, le leghe ecc. mentre da noi si guardano come covi di malviventi e di turbolenti […] La forte organizzazione operaia è quindi il benessere del lavoratore, e dovunque lo si riscontra girando le interminabili gallerie dell’esposizione."»)

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Ce"retard ne s’exprime pas seulement du point de vue technique et écono-mique, mais aussi et surtout d’un point de vue politique, culturel et social. L’ouvrier mécanicien milanais Gaetano Colla, venu à Paris en 1900, après avoir exposé ses impressions monumentales et artistiques sur la ville-lumière, continue ainsi":

«"Impression qui grandit quand je pense à la liberté dont on y jouit, liberté qui, quoique certains cherchent à la représenter plus limitée qu’elle ne l’est en réalité, s’avère bien di/érente de ce à quoi je m’attendais ; de beaucoup supérieure à celle dont on peut jouir sur notre beau sol d’Italie. Dans mon bref séjour à Paris, il ne me fut jamais donné de voir des gardes municipaux, ni de sécurité publique, errer dans la ville avec des revolvers à la ceinture comme chez nous, comme si nous étions un pays de brigands ou en état permanent de siège, et ceci dénote un plus grand degré de civilisation ; je n’ai jamais eu l’occasion de voir cette austérité a0chée entre supérieurs et subal-ternes de la grande armée, telle qu’on l’enregistre chez nous ; je n’ai jamais eu l’occasion d’observer dans les lieux publics de rencontre, cette aristocratie dominante, le riche qui refuse le contact du travailleur, comme la majo-rité le pratique chez nous ; mais par contre cette fraternité réciproque, cette communion de sentiments comme il convient à un peuple civil et vraiment libre 22."»

Pour comprendre quelle image les ouvriers italiens se sont forgée de Paris au cours de leur visite et comment ils la représentent dans leurs écrits, il faut tenir compte de trois éléments au moins.

Le premier élément concerne la distance entre l’expérience de départ et celle d’arrivée. Il s’agit de considérer qui voyait quoi, autrement dit d’exa-miner à la fois le point de vue des ouvriers italiens, qui viennent d’une réalité industriellement en retard, et le fait qu’à l’époque, Paris devient e/ectivement la ville qui symbolise sur la scène européenne la modernité, en vertu de nouveaux espaces urbains et de techniques de construction plus modernes et rationnelles 23.

22. AsCcMi, Esposizioni e Fiere, op."cit., scat. 187/b5, «"Relazione dell’operaio montatore meccanico Colla Gaetano all’Esposizione di Parigi del 1900"». («"Impressione che si ingran-disce allorché penso alla libertà che vi gode, libertà che per quanto taluni vogliano !gurarla limitata, più del suo essere, io la riscontrai ben diversa di quello che mi aspettavo; di gran lunga superiore a quella che si gode nel nostro bel suolo d’Italia. Nel breve mio soggiorno a Parigi non mai mi fu dato vedere delle guardie di città, né di sicurezza pubblica vagando per la città con tanto di revolver alla cintola come da noi, quasi si fosse in uno stato di briganti o in permanente stato d’assedio, e ciò denota maggiore civiltà; non mai mi fu dato vedere quel austerità palese fra superiori e subalterni del grande esercito, come si riscontra da noi, non mai mi fu dato vedere nei pubblici ritrovi quell’aristocrazia dominante, cioè che il ricco scansi il contatto del lavoratore come si usa dalla maggioranza da noi; ma bensì quella reciproca fratellanza quella comunione d’a%etti come s’adice ad un popolo civile e veramente libero."»)

23. V')'<<+ M. (dir.), Filoso!e della metropoli. Spazio, potere architettura nel pensiero del Novecento, Rome, Carocci, 2009 ; C2;6??-"P., Culture del Consumo, Bologne, Il Mulino, 2006, en particulier «"Lo spazio pubblico del consumo: geogra.a e reincanto

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Paris, reconstruite par Napoléon"III dans l’intention d’en faire la plus «"belle"» capitale d’Europe et du monde, après la .n du Second Empire et l’haussmannisation, entre la .n du @+@e"siècle et le début du @@e, devient non seulement le lieu de formation du goût et de la mode la plus actuelle, mais elle est aussi au cœur d’un processus historique dans lequel elle incarne «"l’archétype"» de la métropole moderne comme synthèse de la technique et de l’art, comme lieu privilégié du «"développement technique, industriel et commercial, avec la transformation de la ville en une puissante machine de spectacularisation fétichiste de la technique, de la marchandise et du progrès 24"».

La distance de Paris avec la ville d’origine des ouvriers italiens est donc très importante. Même si l’on note des di/érences notables entre les ouvriers venant de Turin, de Milan ou de Rome, à la .n, tous doivent se mesurer avec un contraste saisissant, avec une réalité qui les met à l’épreuve et provoque un choc émotionnel et cognitif considérable.

L’impact de la modernité technique, de la «"machine"» urbaine sur «"l’esprit du visiteur"» (ainsi s’exprime l’un de nos ouvriers) est donc inévi-table et, dans une large mesure, traumatisant": il provoque dépaysement et désorientation. Quelqu’un le compare même, dans son rapport .nal, à une «"tempête sous un crâne"», citant Les Misérables de Victor Hugo.

Pourtant, nos travailleurs ne sont pas complètement subjugués par l’appareil spectaculaire de l’exposition et par le caractère grandiose de la métropole. Si d’un côté ils semblent éblouis et éprouvent une sensation de vertige, de l’autre ils se montrent critiques et mé.ants. La rencontre avec Paris a des e/ets contradictoires qui donnent lieu à des jugements disparates, entre fascination et répulsion": la métropole se présente en fait comme une con.guration ambiguë, un lieu de jonction et de frontière de réalités très di/érentes.

Le deuxième élément se rapporte au fait que le Paris du @+@e"siècle se trouve en pleine phase de transformation et de transition ; pour le dire avec Walter Benjamin, la capitale française «"hésite encore sur le seuil"» de cette métamorphose historique, c’est pourquoi elle s’impose comme un observatoire privilégié du passage entre l’ancien et le nouveau, permettant de «"saisir, pour ainsi dire, au ralenti, le tourbillon originel, l’Ursprung de la modernité capitaliste, avec toutes ses ambiguïtés et contradictions 25"».

del mondo"», p."277-322 ; C-5'(6;;+"V., Lo spettacolo della merce, i luoghi del consumo dai passages a Disney World, Milan, Bompiani, 2000 ; H2*:'8"D., L’esperienza urbana Metropoli e trasformazioni sociali, Milan, Il Saggiatore, 1998 ; A3',5-(2"G., La città postmoderna. Magie e paure della metropoli contemporanea, Bari, Laterza, 1997.

24. G6*+72<<+ G., «"Parigi, capitale del @+@"secolo. Walter Benjamin e la soglia della moder-nità"», in V')'<<+"M. (dir.), Filoso!e della metropoli, op. cit., p. 82.

25. Ibid., p."90.

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Les réAexions de Benjamin sur Paris, capitale du @+@e"siècle, o/rent des éléments de réAexion et d’analyse pertinents qui invitent à relire les comptes rendus des ouvriers. De ce lieu de seuil et de passage naît la «"fan-tasmagorie"» bourgeoise, dont le philosophe berlinois se propose d’examiner toute l’ambiguïté, la polarité et l’ambivalence dans son œuvre inachevée sur Paris.

La dualité entre la citadelle de l’exposition et la ville réelle, si présente dans les récits ouvriers, fait pleinement partie de cette ambiguïté, de ce dualisme, de ce caractère de con.ns. En un sens, la citadelle de l’exposition est dépeinte par les travailleurs comme un gigantesque «"passage"», même s’il est temporaire. En réalité, il s’agit d’un «"passage"» très di/érent de celui dé.ni par Benjamin comme l’Urphänomen du @+@e"siècle, comme «"la plus importante architecture du @+@e"siècle"». L’exposition incarne le lieu où la modernité voit non pas «"son époque archaïque à peine passée"», mais son avenir prochain. Quoi qu’il en soit, l’e/et de l’exposition et des «"passages"» est le même, à savoir l’attribution aux marchandises d’une valeur onirique, ambiguë, la création d’une fantasmagorie, dans laquelle les produits de l’industrie deviennent des objets de désir et de culte, des fétiches. Il est intéressant de noter que l’aspect ludique et vertigineux des expositions, le caractère fabuleux et surréel relevé par Benjamin, est très fréquemment invo-qué dans les témoignages des travailleurs, qui en sont les témoins directs ; eux aussi établissent une équivalence substantielle entre la fantasmagorie de la citadelle de l’exposition et la fantasmagorie de la ville proprement dite. C’est également là que se réalise, comme l’annonçait Benjamin, l’inAuence la plus forte, là où la masse «"s’entraîne […] à cet assujettissement sur lequel la propagande tant industrielle que politique doit pouvoir compter 26"».

Le voyage est aussi un voyage mental, d’un être qui se transforme et évolue, mais qui revient et reconstruit, même si c’est di/éremment, sa propre identité 27. Nos travailleurs sont conscients du caractère éphémère de cet e/et, ils gardent à l’esprit leur identité de départ et cherchent des con.rmations. Di0cilement, ils cèdent aux attraits de l’exposition": ils résistent et se replient dans la tranchée de leur métier, de leurs connaissances professionnelles, de leurs compétences spéci.ques, de leur conscience poli-tique, de façon assez explicite.

La ville leur o/re un terrain plus propice encore que l’exposition pour renforcer, sous des formes renouvelées, leur sentiment identitaire. Le mythe de Paris, qui, pour les classes dirigeantes italiennes, était celui de la culture, de la mode, du goût et du luxe, pour les ouvriers est celui de la démocratie, du mouvement révolutionnaire, de la solidarité ou, plus simplement, d’une

26. B',D23+, W., I “passages” di Parigi, Opere complete di Walter Benjamin, vol." IX, Rolf"Tiedmann (éd.), ed. it. Enrico Ganni, Turin, Einaudi, 2000, p."24.

27. L''5 E. J., La mente del viaggiatore, Bologne, Il Mulino, 1992, p."259.

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modernité qui prend la forme d’un environnement industriel plus avancé et favorable, d’une organisation ouvrière plus forte et consciente. Cet aspect est très soigné dans les rituels d’accueil, dans les fêtes, dans les occasions de socialisation et d’échange avec les travailleurs et les syndicats parisiens.

L’expérience de l’exposition, précisément parce qu’elle ne se limite pas à la citadelle de l’exposition mais s’élargit à la ville, fait de ces lieux d’accueil des lieux de classe, des espaces ou des nœuds d’un réseau de soli-darité et d’organisations qui confortent les sentiments identitaires préexis-tants. Les"questions sociales et de travail ne sont d’ailleurs pas étrangères au domaine plus restreint de l’enceinte de l’exposition. Il faut rappeler qu’en diverses occasions, la question du travail revêt une importance considérable dans les expositions françaises. Dans certains cas, en 1889, par exemple, année de la commémoration du centenaire de la Révolution française, l’expo sition prend même un caractère politique très net, dans un sens démo-cratique et progressiste.

Dans ce contexte, les industriels eux-mêmes sont vus di/éremment. Il faut dire que les travailleurs italiens livrent des impressions très positives de leurs rencontres avec le milieu parisien de la production et des relations sociales qu’ils y observent.

Tout compte fait, le charme qui émane de la capitale française et la signi.cation symbolique que l’aînée des «"sœurs latines"» porte tradition-nellement avec elle dans les sphères démocratiques italiennes, concordent bien avec les impressions que les travailleurs ont des conditions de vie et de travail de leurs collègues.

Dans l’ensemble, malgré des divergences de points de vue, les juge-ments des ouvriers sur Paris sont presque toujours favorables, souvent exal-tants. L’opinion positive sur Paris, le véritable engouement qu’une bonne partie de la classe dirigeante italienne a0che pour la capitale française, semble se transmettre directement aux couches populaires et laborieuses. Toutefois, cette «"reconnaissance"» du rôle positif de la capitale française, par la façon dont elle s’opère, par les arguments qu’elle utilise, se prête aussi à servir d’instrument pour critiquer la situation italienne. Comme certains auteurs l’ont justement observé, le mouvement ouvrier de l’époque prend souvent des positions qui tendent à une «"intégration par opposition"». Bien que partant de positions radicalement subversives et formellement alterna-tives à la réalité bourgeoise capitaliste, la sous-culture socialiste, largement présente et probablement prédominante chez nos travailleurs, pour des raisons fonctionnelles et du fait d’une tradition démocratique et républi-caine persistante, éprouve le besoin d’établir un dialogue, même critique et conAictuel, avec la partie sociale adverse.

En Italie, ce trait domine durablement": même après la Seconde Guerre mondiale, la sous-culture socialiste et communiste paraît isolée,

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repliée dans ses bastions, objet d’une conventio ad escludendum qui dure plusieurs décennies ; mais, dans les faits, elle arrive à interagir, à trouver des terrains d’intégration culturelle et politique importants.

Dans la période considérée, Paris est un des lieux de ce partage cultu-rel, de cette intégration par opposition. Les travailleurs italiens peuvent volontiers se rendre à Paris dans le cadre d’un programme «"modéré"», géré par leur contrepartie sociale, par les entrepreneurs ; ils peuvent partager le jugement positif que les classes dirigeantes ont de la métropole française parce qu’ils peuvent se construire une image di/érente, personnelle, de la ville, qui permet la comparaison, la distinction, la critique.

Ces relations révèlent donc sous quelles formes et dans quelle mesure ce mythe d’une ville tout à la fois révolutionnaire, démocratique, patrie de la liberté, e0cace, avancée, aux frontières de la modernité, est utilisé et réélaboré par les ouvriers eux-mêmes dans leurs récits de voyage ; et comment, très souvent, il sert à contrebalancer et à nuancer le message trop industrialiste des expositions 28.

28. L’auteure remercie Catherine Drubigny qui a traduit l’introduction et les conclusions et révisé l’ensemble du texte.

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