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Partie 2 Acteurs de

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Partie 2 Acteurs de santé Les bénéficiaires de soins Etude 277 L'être humain Le Lamy droit de la santé Section I De l'être humain à la personnalité juridique Partie 2 Acteurs de santé Les bénéficiaires de soins Etude 277 L'être humain Section I De l'être humain à la personnalité juridique Le Lamy droit de la santé 277-5 Distinction avec les choses 277-5 - Distinction avec les choses Définir les bénéficiaires des soins peut s'avérer simple si l'on se contente de dire que tout être humain doit pouvoir être soigné. La difficulté se déplace alors sur la conception de la notion d'être humain. Plus précisément, cerner le début de l'existence de l'être humain s'avère délicat. La fin est beaucoup plus certaine puisque le décès marque la fin de la vie de tout être, le cadavre ne nécessitant plus de soins mais restant digne de respect, celui dû, au nom de la dignité de la personne humaine, à toute dépouille humaine. Pour l'œuf fécondé, l'embryon puis le fœtus, la qualification d'être humain est plus facilement contestée. Depuis que les progrès scientifiques ont permis de visualiser la vie in utero, on peut se demander si la vie anténatale doit bénéficier de soins au même titre que la vie post natale. L'embryon est-il devenu un patient ? Cerner la qualification d'être humain, à défaut de celle d'embryon, permet d'apporter une réponse partielle. Il n'est pas dénié la qualité d'être humain à l'embryon puisque celui-ci est porteur d'humanité. La difficulté serait plutôt pour le juriste de superposer cette qualification avec celles dont il use habituellement. L'être humain n'est pas une catégorie juridique. Le Code civil est fondé sur la distinction entre personne et chose, aucune catégorie intermédiaire n'étant reconnue. Cette dichotomie n'est pas un artifice juridique mais est communément admise. Ainsi, le philosophe Emmanuel Kant a construit, à la fin du XVIII e siècle, une alternative fondée sur la distinction suivante : « les êtres dont l'existence dépend, à vrai dire, non pas de notre volonté, mais de la nature, n'ont cependant, quand ce sont des êtres dépourvus de raison, qu'une valeur relative, celle de moyens, et voilà pourquoi on les nomme des choses ; au contraire, les êtres raisonnables sont appelés des personnes parce que leur nature les désigne comme une fin en soi, c'est-à-dire comme quelque chose qui ne peut être employé simplement comme moyen » (Kant E., Fondements de la métaphysique des mœurs, Delagrave, 1975, p. 150). Seuls les êtres doués de raison peuvent se voir reconnaître le statut de personne. L'embryon et le fœtus, n'étant pas des êtres raisonnables, doivent-ils être assimilés à des choses ? Si ce ne sont pas des personnes, ce sont toutefois des êtres humains, ils doivent donc bénéficier d'une protection supérieure à celle accordée aux choses. Quels sont donc les droits des êtres humains ? Peuvent-ils être considérés comme des bénéficiaires de soins ? 277-6 Définition juridique de l'être humain ? 277-6 - Définition juridique de l'être humain ? Les textes internationaux comme nationaux emploient diversement les termes de « personne », d'« être » ou d'« individu » : la Déclaration universelle des droits de l'homme parle de « membres de la famille humaine », de « personne humaine » et d'« être humain », les pactes internationaux de 1966 reprennent les mêmes termes, mais la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens de 1789 précise que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », le Préambule de 1946 reprenant ce vocable d'« homme » ou lui préfèrant ceux de « famille », « individu », « enfant » ou « travailleur ». La Loi fondamentale allemande garantit la vie à « chacun » alors qu'en Espagne, « tous ont droit à la vie » et au Portugal on préfère dire que « la vie humaine est inviolable ». Individu, personne humaine ou être humain : on peut se demander si ces termes recouvrent les mêmes sujets de droit ou si, au contraire, ils concernent des réalités différentes donc des protections différentes. Si l'embryon n'est pas englobé dans le terme de « personne », il l'est dans ceux d'« être humain » et il semble pouvoir bénéficier de la protection de la vie humaine. Il est donc important de préciser les définitions accordées à l'ensemble de ces concepts pour savoir lequel peut qualifier l'embryon et ainsi définir si l'embryon est inséré dans la protection de ces divers textes et être considéré comme bénéficiaire de soins. Il semble que les juristes, aussi éminents qu'ils soient, ne font aucune distinction entre les termes d'« être humain », d'« individu », de « personne humaine » et de « personne juridique » : « la personne physique (ou personne par excellence), c'est l'individu, c'est l'être humain, tel qu'il est pris en considération par le droit » (Carbonnier J., Droit civil, Introduction, Les personnes, PUF, Coll. « Thémis », 16 e éd. 1987, n o 48, p. 249) ou encore « sujet de droit, personne, homme, c'est tout un » (Martin R., Personne et sujet de droit, RTD civ. 1981, p. 785). Or, si l'embryon n'est titulaire que d'un droit relatif à la vie, c'est qu'il ne fait pas partie à part entière des sujets de droit pouvant bénéficier des droits fondamentaux. Il n'a pas, semble-t-il, de personnalité juridique, il ne serait pas, dans ce cas, une personne juridique, un individu ou un sujet. Est-il pour autant une personne humaine ou seulement un être humain ? Or, s'il est assez simple de dire ce qu'est une personne juridique, il est plus difficile de cerner ce qu'est une personne humaine. L. Sève résume bien toute la difficulté de la mission de définir la personne humaine : « si l'entreprise de cerner 23/03/2016 Document Wolters Kluwer France soumis aux conditions d’utilisation définies par la Charte d’Utilisation et les Conditions Générales d’Abonnement BIBLIOTHEQUE CUJAS 1 / 22
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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainLe Lamy droit de la santé

Section I De l'être humain à la personnalité juridique

Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humain

Section I De l'être humain à la personnalité juridique

Le Lamy droit de la santé

277-5 Distinction avec les choses

277-5 - Distinction avec les choses

Définir les bénéficiaires des soins peut s'avérer simple si l'on se contente de dire que tout être humain doit pouvoir êtresoigné. La difficulté se déplace alors sur la conception de la notion d'être humain. Plus précisément, cerner le début del'existence de l'être humain s'avère délicat. La fin est beaucoup plus certaine puisque le décès marque la fin de la vie detout être, le cadavre ne nécessitant plus de soins mais restant digne de respect, celui dû, au nom de la dignité de lapersonne humaine, à toute dépouille humaine. Pour l'œuf fécondé, l'embryon puis le fœtus, la qualification d'être humainest plus facilement contestée. Depuis que les progrès scientifiques ont permis de visualiser la vie in utero, on peut sedemander si la vie anténatale doit bénéficier de soins au même titre que la vie post natale. L'embryon est-il devenu unpatient ? Cerner la qualification d'être humain, à défaut de celle d'embryon, permet d'apporter une réponse partielle.

Il n'est pas dénié la qualité d'être humain à l'embryon puisque celui-ci est porteur d'humanité. La difficulté serait plutôtpour le juriste de superposer cette qualification avec celles dont il use habituellement. L'être humain n'est pas unecatégorie juridique. Le Code civil est fondé sur la distinction entre personne et chose, aucune catégorie intermédiairen'étant reconnue. Cette dichotomie n'est pas un artifice juridique mais est communément admise. Ainsi, le philosophe

Emmanuel Kant a construit, à la fin du XVIIIe siècle, une alternative fondée sur la distinction suivante : « les êtres dontl'existence dépend, à vrai dire, non pas de notre volonté, mais de la nature, n'ont cependant, quand ce sont des êtresdépourvus de raison, qu'une valeur relative, celle de moyens, et voilà pourquoi on les nomme des choses ; au contraire,les êtres raisonnables sont appelés des personnes parce que leur nature les désigne comme une fin en soi, c'est-à-direcomme quelque chose qui ne peut être employé simplement comme moyen » (Kant E., Fondements de la métaphysiquedes mœurs, Delagrave, 1975, p. 150). Seuls les êtres doués de raison peuvent se voir reconnaître le statut de personne.L'embryon et le fœtus, n'étant pas des êtres raisonnables, doivent-ils être assimilés à des choses ? Si ce ne sont pasdes personnes, ce sont toutefois des êtres humains, ils doivent donc bénéficier d'une protection supérieure à celleaccordée aux choses. Quels sont donc les droits des êtres humains ? Peuvent-ils être considérés comme desbénéficiaires de soins ?

277-6 Définition juridique de l'êtrehumain ?

277-6 - Définition juridique de l'être humain ?

Les textes internationaux comme nationaux emploient diversement les termes de « personne », d'« être » ou d'« individu» : la Déclaration universelle des droits de l'homme parle de « membres de la famille humaine », de « personne humaine» et d'« être humain », les pactes internationaux de 1966 reprennent les mêmes termes, mais la Déclaration des droitsde l'homme et des citoyens de 1789 précise que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit », lePréambule de 1946 reprenant ce vocable d'« homme » ou lui préfèrant ceux de « famille », « individu », « enfant » ou «travailleur ». La Loi fondamentale allemande garantit la vie à « chacun » alors qu'en Espagne, « tous ont droit à la vie »et au Portugal on préfère dire que « la vie humaine est inviolable ». Individu, personne humaine ou être humain : onpeut se demander si ces termes recouvrent les mêmes sujets de droit ou si, au contraire, ils concernent des réalitésdifférentes donc des protections différentes.

Si l'embryon n'est pas englobé dans le terme de « personne », il l'est dans ceux d'« être humain » et il semble pouvoirbénéficier de la protection de la vie humaine. Il est donc important de préciser les définitions accordées à l'ensemble deces concepts pour savoir lequel peut qualifier l'embryon et ainsi définir si l'embryon est inséré dans la protection de cesdivers textes et être considéré comme bénéficiaire de soins.

Il semble que les juristes, aussi éminents qu'ils soient, ne font aucune distinction entre les termes d'« être humain »,d'« individu », de « personne humaine » et de « personne juridique » : « la personne physique (ou personne parexcellence), c'est l'individu, c'est l'être humain, tel qu'il est pris en considération par le droit » (Carbonnier J., Droit civil,

Introduction, Les personnes, PUF, Coll. « Thémis », 16e éd. 1987, no 48, p. 249) ou encore « sujet de droit, personne,homme, c'est tout un » (Martin R., Personne et sujet de droit, RTD civ. 1981, p. 785). Or, si l'embryon n'est titulaire qued'un droit relatif à la vie, c'est qu'il ne fait pas partie à part entière des sujets de droit pouvant bénéficier des droitsfondamentaux. Il n'a pas, semble-t-il, de personnalité juridique, il ne serait pas, dans ce cas, une personne juridique, unindividu ou un sujet. Est-il pour autant une personne humaine ou seulement un être humain ?

Or, s'il est assez simple de dire ce qu'est une personne juridique, il est plus difficile de cerner ce qu'est une personnehumaine. L. Sève résume bien toute la difficulté de la mission de définir la personne humaine : « si l'entreprise de cerner

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainLe Lamy droit de la santé

Section I De l'être humain à la personnalité juridique§ 1 L'être humain, qualification conditionnelle de l'embryon

Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humain

Section I De l'être humain à la personnalité juridique§ 1 L'être humain, qualification conditionnelle de l'embryon

Le Lamy droit de la santé

ce qu'est la personne humaine fait difficulté, ce n'est donc pas qu'elle se refuse à une définition. Ce serait plutôt, aucontraire, qu'elle en admet plusieurs dont on voit mal comment elles pourraient être compatibles » (Sève L., Pour unecritique de la raison bioéthique, Odile Jacob, 1994, p. 23). Mais il ne parle que de la difficulté du philosophe ; celle-cis'accroît lorsque l'on tente de prendre en compte les différentes conceptions existantes de la personne, c'est-à-direlorsque l'on essaie de tenir compte de la vision du scientifique, du philosophe, du psychiatre, puis enfin du juriste. Cedernier ne peut pas ignorer les divers éclairages de la notion de personne et doit tenir compte de ces diverses facettespour adapter le statut fixé à la réalité de la personne. Tout l'embarras est de déceler parmi ces caractéristiques celles quis'appliquent à l'embryon et au fœtus afin de savoir si son statut doit différer de celui de la personne ou y être assimilé.

La Constitution ne contient aucune indication et laisse le législateur trancher à sa guise la protection accordée à l'enfant

à naître. Dans sa décision no 94-343-344 DC (Cons. const., 27 juill. 1994, no 94-343-344 DC, Rec. cons. const., I, p. 592-595), le Conseil constitutionnel a relevé qu'elle n'obligeait pas le législateur à reconnaître l'embryon fécondé in vitrocomme un être vivant, le législateur restant libre de lui attribuer ou non cette qualification (Luchaire F., Le Conseilconstitutionnel et l'assistance médicale à la procréation, RDP 1994, p. 1653). Or, l'examen de la réalisation législative de

1994 (L. nos 94-653 et 94-654, 29 juill. 1994) et de l'édifice législatif dans lequel elle s'insère révèle certainesincohérences : le législateur, en refusant de s'engager sur le statut du commencement de la vie, a laissé une lacunedangereuse. La révision prochaine des lois de bioéthique apportera sans doute une avancée sur ce point.

L'appartenance de l'embryon au genre humain est une évidence, sa qualification d'être humain est donc souvent admise,mais des divergences essentielles apparaissent lorsque l'on tente de l'assimiler à la personne. En fonction du qualificatifque l'on donne à l'embryon et au fœtus, on pourra en déduire leur personnalité juridique.

277-7 Personne

277-7 - Personne

Le langage courant assimile souvent les termes de « personne » et d'« être humain » ; or, celle-ci présente un degréd'évolution supérieur à celui-là. L'origine étymologique du terme de « personne » est étroitement associée, en latincomme en grec, aux termes d'« homme » et d'« individu ». Ainsi, en grec, le terme prosôpon se trouvait entre les motsanthropos (désignant l'homme en général) et soma (désignant l'individu animé, généralement pourvu d'une individualitéjuridique). Ce terme permettait, à l'origine, l'identification puisqu'il désignait la face. Il a ensuite évolué pour désigner lemasque des comédiens. Il semble que cette ancienne origine ait perduré, tant il est épineux de savoir ce qui se cachederrière cette notion. L'inspection de la langue latine n'offre pas plus de précision : on y trouve les termes de homo,caput, individuum, et de persona qui désignent cette fois confusément l'homme en général, la personnalité juridique, lesujet humain et, toujours, le masque.

D'après Tite-Live, le mot, d'origine étrusque, ne fut introduit à Rome qu'au IVe siècle. Le terme de phersu y correspondaitau masque que portaient les morts. C'est cet aspect de théâtralité, de représentation, qui a intéressé les juristesromains. Il permettait de reproduire « chaque "place" abstraitement assignée dans le théâtre social de la parenté »(Plourde S., Incontournable en éthique biomédicale : le concept de personne, Revue d'éthique et de théologie morale,

déc. 1995, no 195, p. 33) afin d'établir les règles de transmission du patrimoine. Sous le règne de Cicéron, le terme « depersonne » permit ensuite de marquer la personnalité et d'opposer personne juridique et chose. La notion de personne aensuite été approfondie par l'Antiquité chrétienne. Le concile de Chalcédoine, en 451, l'a définie comme « le principe dedifférenciation relationnelle au sein du mystère d'un Dieu à la fois un et trine, et comme le principe d'unité et d'identitédans le cas des deux natures dans la personne unique du Christ » (Plourde S., Incontournable en éthique biomédicale : leconcept de personne, précité, p. 34). C'est cet aspect ontologique qui reste au Moyen Age, le terme de « personne »étant assimilé au principe d'identité et d'unité.

La caractéristique d'unité et d'identité n'est pas spécifique à la personne, il s'accorde aussi au terme d'« individu » etmême d'« être humain ».

277-8 Appartenance à l 'espècehumaine

277-8 - Appartenance à l'espèce humaine

Il faut entendre par être humain, un organisme vivant appartenant à l'espèce humaine, ou encore une entité disposantde la qualité de ce qui est propre à l'homme. L. Sève, ancien membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE),éclaire ce lien d'appartenance à l'humanité : « l'être humain est humain parce qu'il a pour point de départ l'humanitécomme espèce biologique. La personne est humaine en un sens tout différent : en ce qu'elle a pour fin l'humanité

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainLe Lamy droit de la santé

Section I De l'être humain à la personnalité juridique§ 1 L'être humain, qualification conditionnelle de l'embryon

comme idéal régulateur. Dans l'être humain, l'humanité est présente à titre de fait. Dans la personne, elle est présentecomme une valeur » (Sève L., Pour une critique de la raison bioéthique, Odile Jacob, 1994, p. 26).

Ainsi, l'être humain précède la personne, celle-ci est un stade supérieur de la construction, qui suppose que l'on ne portepas seulement les stigmates génétiques de l'appartenance à cette espèce, mais que l'on agit en tant que représentantde la communauté des hommes.

Par conséquent, on pourrait considérer que l'embryon est un être humain puisque, dès sa conception, il contient (neserait-ce qu'en germes) les caractères d'appartenance à l'espèce humaine. Cependant, il ne s'agit que de potentialitéd'humanité : en effet, pour ne citer qu'un exemple, l'embryon ne dispose pas encore d'un système nerveux propre àl'homme durant les quatorze premiers jours de son existence, et il faut attendre le septième mois pour que le cerveausoit fonctionnel : « ainsi, l'activité nerveuse supérieure, si essentielle à ce qui constitue la vie d'un homme que le tracéélectroencéphalographique durablement plat est aujourd'hui le critère de la mort. Or, dans le développement del'embryon, il faut attendre le quatorzième jour pour qu'avec l'apparition de la ligne primitive commence à s'indiquer cequi deviendra le système nerveux central, et jusqu'au septième mois pour que le cerveau soit fonctionnel » (Sève L.,Pour une critique de la raison bioéthique, précité, p. 35). On peut objecter qu'il ne s'agit là que d'un problème de temps,l'embryon portant l'ébauche d'un système nerveux auquel il ne manque que la maturité. Cependant, rien n'assure qu'il sedéveloppera de façon à donner un être humain normalement constitué, particulièrement lorsqu'il s'agit d'un embryon dequelques heures.

Dans les conditions normales de fécondation, près de 50 à 80 % des embryons avortent spontanément dans les premiersjours et sont évacués à l'insu de leur mère (Sève L., Pour une critique de la raison bioéthique, précité, p. 36), cetteexpulsion étant due à une malformation (près de 75 % des embryons arrêtant leur développement dans les deux ou troispremières semaines sont atteints d'anomalies ; Loridon H., Les enfants du désir, Une révolution démographique,Hachette, Coll. « Pluriel », 1995, p. 112). Certaines cellules embryonnaires ne se développent pas correctement et setransforment en cancer. Il est donc difficile de reconnaître à un embryon de quelques jours le statut d'être humainpuisqu'aucune certitude n'existe alors sur son devenir. O. Guillod, critiquant l'éthique naturaliste, lie cette situationnaturelle avec le statut des embryons in vitro : « quelles conclusions morales tirer pour le statut de l'embryon in vitro,par exemple du fait qu'environ deux tiers des ovules fécondés par voie naturelle sont éliminés par l'organisme de lafemme ? » (voir Guillod O., Des cigognes aux éprouvettes : les méthodes changent, l'amour reste, Société de législationcomparée, 1989, p. 653). Il peut être atteint d'une anomalie telle qu'il ne pourra donner naissance qu'à un enfant nonviable. H. Leridon précise encore que reconnaître le statut d'être humain à l'embryon de quelques cellules, c'est accorderle même statut au placenta qui, lui aussi, est composé des cellules de l'œuf fécondé (Leridon H., Les enfants du désir,Une révolution démographique, précité, p. 114).

La difficulté est alors de placer une barrière temporelle dans l'évolution biologique de l'être pour savoir à partir de quelmoment il devient humain. L'embryon de quelques cellules, peut difficilement être qualifié d'être humain, ce qui estbeaucoup plus facile lorsqu'il a véritablement entamé son processus de formation et ce qui devient évident après lestrois premiers mois où le corps est déjà celui d'un homme miniature. Il pourrait alors paraître intéressant de reconnaîtrele stade du préembryon ou embryon préimplantatoire. En effet, une distinction entre embryon et préembryonavantagerait l'embryon, car, en les distinguant, on pourrait attribuer à l'embryon la qualité d'être humain et la refuser aupréembryon, justifiant de la sorte une protection différente. Certains pays, comme l'Espagne, ont déjà établi cette

démarcation (la loi espagnole no 35/1988 du 22 novembre 1988 sur les techniques de reproduction assistée et la loi no

42/1988 du 28 décembre 1988 sur la donation et l'utilisation des embryons et fœtus qui définit le stade du préembryonde la fécondation à la quatorzième semaine).

277-9 Individu

277-9 - Individu

Si l'embryon doit être respecté comme un être humain, il n'en est pas toujours un pour le scientifique. Si l'expression d'«être humain » est contestée, l'embryon est-il considéré comme un individu ? Ce terme d'« individu » n'est pas réservé àl'espèce humaine, il se contente d'indiquer la particularité : « tout être formant une unité distincte dans uneclassification » (Le Robert, Dictionnaire de la langue française, 1993, p. 1161).

Un individu est une entité propre, mais pas uniquement parce qu'il est un être humain. Cette individualité n'est pas dueà l'appartenance au genre humain, elle existe parmi les hommes, mais ne leur est pas propre : « L'homme est "porteurd'une valeur", il dit bien la singularité de chaque humain, mais non la spécificité humaine de cette singularité », (SèveL., Pour une critique de la raison bioéthique, Odile jacob, 1994, p. 23 et 57, L. Sève relate ici les propos de Dumont L.,Essais sur l'individualisme, Seuil, 1983, p. 29 et 304). L'embryon peut ainsi être un individu, car il est porteur des gènes

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humain

Section I De l'être humain à la personnalité juridique§ 2 Négation de la qualification de personneA – De la personne à la personnalité

Le Lamy droit de la santé

de l'espèce humaine mais aussi d'un patrimoine génétique qui lui est propre. Toutefois, le préembryon ou l'embryon dequelques cellules n'est pas un individu, car il est susceptible de se scinder pour donner par la suite plusieurs embryonsdistincts qui donneront naissance à des jumeaux… Cette division peut se produire naturellement ou est l'œuvre desmédecins pratiquant une assistance médicale à la procréation. L'embryon de quelques cellules n'est donc pas uneindividualité.

L'œuf fécondé, ou zygote, est la première étape de la fécondation (Kahn A., Copies conformes, le clonage en question,éd. Nil, 1998, p. 274) : « C'est la toute première cellule de l'organisme (la première manifestation de l'embryon),contenant le génome diploïde de l'être, qui sera dupliqué dans chaque nouvelle cellule. Le zygote est le résultat de lafécondation de l'ovule par le spermatozoïde, et de la fusion pronucleus de l'ovule avec le pronucleus du spermatozoïde.La première cellule de l'organisme ainsi constituée (embryon de stade 1 ou cellule) se divise ensuite en deux, puisquatre, puis huit, puis seize cellules (…) constituant l'embryon, le fœtus et finalement un être abouti »). Après unepériode d'inertie apparaît la première cellule de l'organisme, puis le passage au deuxième stade se fait par la division decette cellule. Ainsi, au troisième stade, l'organisme se compose de quatre cellules, puis huit au quatrième et ainsi desuite. Jusqu'au quatrième ou cinquième jour, on appelle l'embryon « morula » parce que l'amas des seize à trente-deuxcellules ressemble à une petite mûre. Il faut attendre le septième ou huitième jour pour que l'œuf éclose dansl'organisme maternel et passe d'une apparence cellulaire à celle de l'ébauche d'un petit être. Il s'agit alors du stade «blastula » ou « blastocyste ». Les cellules peu nombreuses qui composent alors l'embryon se nomment « blastomères »et elles ont la particularité d'être totipotentes. Ces cellules ont donc « la faculté de participer à l'édification de n'importequelle partie d'un organisme entier » (Kahn A., Copies conformes, le clonage en question, éd. Nil, 1998, p. 25). Après lestade blastocyste, les cellules commencent à se différencier, alors il n'est plus possible de scinder l'amas de cellules pourformer deux individus. Tant que l'on se situe en deçà de ce seuil, il ne peut donc pas y avoir d'individu.

Si l'on distingue l'embryon du préembryon à partir du quatorzième jour, il est alors possible de dire que l'embryon est unindividu, puisqu'il est composé de cellules humaines différenciées et que le préembryon n'en est pas un, puisqu'il necontient que des cellules totipotentes, qui peuvent donner un individu achevé comme uniquement un rein ou un foie.

Ce phénomène de division cellulaire entraîne également une remise en cause de la théorie de l'animation immédiatedéfendue par l'Eglise catholique. Le magistère ne se prononce pas précisément sur le moment de l'animation, mais il estmajoritairement admis qu'elle intervient au moment de la fécondation cité in Bauman considère ainsi que « la génétiquea permis d'affirmer que l'ovule fécondé est déjà proportionné à la réception d'une âme humaine. Aussi pouvons-nous direavec certitude que l'âme est créée dès la fécondation » (Baertschi B., La valeur de la vie humaine et l'intégrité de lapersonne, PUF, 1995, p. 162). Or, si l'amas de cellules primaires peut se scinder pour donner deux individus, Thomasd'Aquin pense qu'il est ridicule d'admettre que la substance spirituelle en fasse de même (Summa contra Gentiles, II, Ch.LXXXVI, 1711, Rome & Turin, Marietti, p. 249 a : « Ridiculum est dicere aliquam intellectualem substantiam (…) perdivisionem corporis dividi ». Voir Baertschi B., La place et le rôle de la personne en bioéthique, Journ. int. bioéthique,

1993, vol. 4, no 3, p. 190). On en déduit alors que tant que les cellules sont totipotentes, il ne peut pas y avoird'animation, celle-ci ne peut donc être que médiate. L'apparition de la ligne primitive à la fin de la troisième semaine, àpartir du moment où l'embryon ne peut plus se diviser, apparaît comme le moment qui pourrait être retenu comme celuide l'apparition de l'animation (Baertschi B., La place et le rôle de la personne en bioéthique, précité, p. 192).

Si l'embryon est un être humain, il n'est pas toujours un individu contrairement au fœtus, il est encore plus difficile de lui

reconnaître la qualité de personne (voir no277-10 et s.).

277-10 Concept philosophique depersonne

277-10 - Concept philosophique de personne

Le concept de « personne » est très complexe (J.-Y. Goffi relève la difficulté de définir la personne devant la pléthore dedéfinitions : « Il existe toute une gamme de définitions de la personne, si bien qu'il est presque impossible de dire cequ'est au juste une personne ; et cette impossibilité est de principe car ce n'est pas le manque de réponses qui poseproblème mais, au contraire, l'abondance de réponses », cité in (Baertschi B., La place et le rôle de la personne enbioéthique, p. 188), on ne peut le comprendre qu'en examinant plusieurs de ses facettes le juriste ne doit pas ignorer laconception philosophique de la notion dont nous ne verrons ici qu'un aperçu.

La première définition qu'il convient de rappeler est celle de Boèce (Boèce, De persona et duabus naturis, c. 3, patrologielatine, t. 64, col. 1343, cité in Andorno R., La bioéthique et la dignité de la personne, PUF, 1997, p. 41 et Sève L., Pourune critique de la raison bioéthique, Odile Jacob, 1994, p. 41), que l'on trouve dans la plupart des ouvrages sur laquestion, tant elle est concise et précise : « substance individuelle d'une nature rationnelle ». Cette définition ne

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présente que l'inconvénient de dater du VIe siècle. Cependant, elle reste entièrement d'actualité, puisque la personneest d'abord un être humain, puis un individu, avant d'être une personne humaine à part entière.

La conception moderne de la personne est l'héritière du concept métaphysique du Moyen Age (la synthèse de l'évolutionidéologique du concept de « personne » est issue de Plourde S., Incontournable en éthique biomédicale : le concept de

personne, Revue d'éthique et de théologie morale, déc. 1995, no 195, p. 35 et s.). Elle a pris une nouvelle dimensionavec Descartes pour qui la notion de « personne » rejoint celle de sujet exerçant son libre arbitre. Kant développeracette liberté de volonté. Le concept de « personne » s'infléchit alors vers une dimension morale, son attribut essentielétant l'autonomie. La personne assure sa dignité en constituant sa propre loi et en se créant des devoirs. Fichte et Hegelcomplétèrent la notion par son aspect relationnel : Fichte mit en valeur les aspects de réciprocité et d'intersubjectivitéqui sont propres à la personne ; Hegel insista sur l'interaction du regard de l'autre qui crée le « Je » et sur les conflitsinévitables entre les sujets, la reconnaissance devenant un enjeu fondamental.

L'aspect relationnel est toujours un critère déterminant pour certains auteurs. Toutefois, si l'on considère que le fœtusest une personne à partir du moment où il acquiert des propriétés relationnelles, se pose alors la question de savoir queltype de relations il faut prendre en compte : suivant que la grossesse est vécue négativement ou positivement, il peutêtre considéré comme un membre de la famille in utero ou non. Cette propriété relationnelle est directement la cause dela personnalité attribuée au fœtus. Selon Thévoz, le fœtus n'acquiert pas lui-même la personnalité, mais son insertiondans les relations humaines font qu'il n'est pas une simple chose.

Au XXe siècle, la personne a été placée au centre du débat philosophique, notamment par l'intermédiaire d'E. Mounier. Cephilosophe a fourni les éléments de base de la réflexion éthique actuelle, en établissant la dignité de la personne et endétaillant les facteurs nécessaires à sa compréhension (la corproriété, l'intériorité, l'affirmation de soi, la transcendance,la communication avec autrui, la liberté, la générosité, l'engagement, etc.). Le caractère responsable de la personne enest renforcé : « la personne est un être capable de répondre aux interpellations des événements, un être de réponse quidoit prendre ses responsabilités » (Plourde S., Incontournable en éthique biomédicale : le concept de personne, p. 36). E.Mounier donna ainsi les fondements de la réflexion sur la personne induite par l'éthique biomédicale. En effet, laconstruction du concept de « personne » n'est pas close ; au contraire, la biotechnologie permet de la faire avancer, et laquerelle doctrinale reste vive sur ses critères constitutifs.

Ses fonctions au sein du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ont conduit L. Sève à fournir une réflexion sur leconcept actuel de « personne ». Il s'est appliqué à démontrer que ce concept ne convient pas à l'embryon. Ainsi, lapremière définition qu'il donne de la personne s'applique à un bébé, montrant par ce biais qu'elle n'est pas réservée àl'adulte, à la « grande personne ». Un bébé est une personne, car « il a une compétence à percevoir, à ressentir, àcommuniquer » (Sève L., Pour une critique de la raison bioéthique, précité, p. 24). La personne va bien au-delà de laréalité corporelle qui donne une trace visuelle à sa présence.

S. Plourde reproche, entre autre, à L. Sève d'être resté fidèle à la théorie marxiste et d'avoir abandonné l'aspectmétaphysique de la notion. P. Valadier se joint à cette critique en répondant à l'article de L. Sève de juin 1996 (Sève L.,Pour une critique de la raison bioéthique, précité), car il considère que sa démonstration ne permet pas de résoudre lanécessité de fonder la valeur absolue de la personne, le fondement des relations interpersonnelles ne faisant que larelativiser. Pour lui, seule la démarche religieuse peut offrir un discours audible par tous et qui permette de fonder lavaleur unique et mystérieuse de l'homme (voir Valadier P., La personne et le prochain, Laennec, oct. 1996, p. 2-4).Comme P. Ricœur, S. Plourde considère que « l'identité personnelle ne peut s'articuler que dans la dimension temporellede l'existence humaine » (Plourde S., Incontournable en éthique biomédicale : le concept de personne, précité, p. 45).Pour eux, le sujet psychique conserve une permanence, une « mêmeté » à travers le temps, dont on trouve l'exempledans le code génétique. Si l'on transpose ces réflexions philosophiques à l'éthique biomédicale, on notera que lapersonne raisonnable, par l'intermédiaire du législateur, doit se faire à elle-même la promesse de maintenir ce caractèreimmuable dans le temps, mais sans cesse différent d'un individu à l'autre, qu'est le patrimoine génétique.

Pour P. Ricœur, la dignité de la personne ne peut trouver son fondement que dans cette intemporalité de l'humanité, «l'humanitude », en tant que « mêmeté » fondamentale et « ipséité » justifiant la valeur de la personne (Plourde S.,Incontournable en éthique biomédicale : le concept de personne, précité, p. 48). C'est finalement en fonction del'adhésion ou non à cette conception de la personne, c'est-à-dire en fonction d'une volonté de prendre en compte sonintemporalité que l'on se décidera pour la qualification attribuée au fœtus et à l'embryon. Si l'on tient compte de l'«humanitude » de l'embryon, on ne peut l'exclure de la dignité de la personne humaine.

Deux courants philosophiques s'opposent en la matière : le courant « vitaliste », qui soutient que la personne coexiste àl'organisme qui la sous-tend, et le « courant relationnel », position néo-kantienne exposée par l'Américain T. Egelhardt,pour qui le génome humain ne suffit pas pour être une personne, il doit nécessairement s'accompagner de la capacité de

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humain

Section I De l'être humain à la personnalité juridique§ 2 Négation de la qualification de personneA – De la personne à la personnalité

Le Lamy droit de la santé

Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainLe Lamy droit de la santé

Section I De l'être humain à la personnalité juridique§ 2 Négation de la qualification de personneA – De la personne à la personnalité

se conduire rationnellement et librement dans la communauté humaine. Il existe également une troisième voie quireconnaît que le fœtus puisse être considéré comme une personne dès que son cerveau (ou plus exactement sonnéocortex, « Couche de substance grise, particulièrement développée chez les mammifères, qui constitue la paroi deshémisphères cérébraux », Dictionnaire Robert) est suffisamment développé, c'est-à-dire aux alentours de la douzièmesemaine. A moins qu'il ne faille attendre la dix-neuvième semaine, période à laquelle apparaissent les synapses (lecerveau n'est relié au corps par le thalamus qu'au milieu de la grossesse) ; (voir Baretschi B., La place et le rôle de lapersonne en bioéthique, précité, p. 193).

L'approche juridique de la notion de « personne » ne connaît pas le concept d'« humanitude », elle s'oriente plutôt versune réflexion sur la notion de « sujet ».

277 -11 Con cep t j u r i d i q ue d epersonne

277-11 - Concept juridique de personne

Certains juristes, comme R. Andorno, tranchent aisément la question de la personne en considérant que « le concept de"personne" est applicable à tout être humain vivant, bien qu'il n'ait pas encore développé ses potentialités (comme lefœtus, ou le nouveau-né), ou qu'il les ait déjà perdues (comme dans certains cas de démence spécialement graves) »(Andorno R., La bioéthique et la dignité de la personne, PUF, 1997, p. 41, souligné par l'auteur). Pour lui, la personne estun « individu humain ». En effet, si la définition de « personne » suit celle d'être humain et d'individu, c'est qu'elle estau croisement des deux : un être individualisé de nature humaine. Cependant, le concept de « personne humaine » vaau-delà.

La difficulté du droit est de placer des barrières pour délimiter son champ d'intervention. En effet, tout ne peut pas êtrejuridique, certains domaines échappent nécessairement à la science juridique. Certains considéreront qu'il n'appartientpas au droit de définir ce qu'est une personne : « la question est trop complexe et il est préférable de résoudre desproblèmes concrets », selon G. Braibant (Etudes du Conseil d'État, Sciences de la vie, de l'éthique au droit, Doc. fr.,

Notes et études documentaires, 1988, no 4855, p. 79), ou « La loi ne peut répondre à la question séculaire de savoir

quand s'impose la réalité de la personne humaine », selon J.-F. Mattei (JO AN CR, 7 avr. 1994, p. 647, 2e séance). Il estvrai qu'il n'appartient pas au droit de définir ce qu'est une personne humaine et quand un être vivant peut recevoir unetelle qualification. Pourtant, c'est au juriste que revient la tâche d'attribuer un statut à la « personne ». Il répond à laquestion avec ses convictions profondes, qu'elles soient issues d'une morale personnelle ou religieuse, mais nullementavec ses seules connaissances juridiques.

Le juriste emploie généralement les termes de « personne juridique » et non de « personne humaine ». Le droit romaina, en effet, dissocié la personne humaine de la personne juridique : l'esclave était considéré comme un bien pour le droitcivil et comme un être humain par le droit pénal. Le droit criminel protège la personne humaine en elle-même,indépendamment des catégories du droit public ou privé (Doucet J.-P., La protection pénale de la personne, Ed. de laFaculté de droit, d'économie et de sciences sociales de l'université de Liège, 1991, p. 29). Si l'une ne recouvre pasentièrement l'autre, on y retrouve toujours le même substantif. Le livre premier du Code civil est consacré aux personnes

et les lois du 29 juillet 1994 (L. nos 94-653 et 94-654, 29 juill. 1994) y ont introduit l'article 16 qui garantit la primautéde la personne et le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie. La Cour de cassation elle-même affirme

qu'il n'est point de droit sans titulaire, lequel est une personne (Cass. 1re civ., 22 juill. 1987, nos 85-13.097 et 85-14.507,

Bull. civ. I, no 258, p. 187). Le droit ne peut pas employer des concepts sans en avoir fixé une définition, même si cettedernière reste incomplète et subjective. Il est donc nécessaire de comprendre ce que le juriste englobe sous le terme de« personne ». La question n'est pas mince, car si, en 1994, le législateur a réafirmé la summa divisio entre chose etpersonne, il s'est gardé d'aller jusqu'à définir leurs différences.

Pour le juriste, seule importe la personne juridique, car elle est la seule porteuse de droit, la notion de « personne »pour le droit est alors similaire à celle de « sujet de droit » ; il est néanmoins important de faire quelques distinctionsentre ces deux expressions.

277-12 Personne juridique

277-12- Personne juridique

Chaque traité de droit civil recèle sa propre définition de la personne. G. Mémeteau présente différentes définitions (voir

Mémeteau G., La définition de la personne humaine, Journ. int. bioéthique, 1997, no 1-2, p. 41-42). Pour Gilles

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainLe Lamy droit de la santé

Section I De l'être humain à la personnalité juridique§ 2 Négation de la qualification de personneA – De la personne à la personnalité

Goubeaux, « la personne juridique, au sens technique du terme, est (…) le sujet de droit. La personne ainsi considéréen'existe donc, en tant que telle, qu'autant qu'elle a vocation à être titulaire de droits, c'est-à-dire est dotée de lacapacité de jouissance. L'existence de la personnalité juridique et la capacité de jouissance sont synonymes. Il s'agittoujours d'une création du droit objectif, d'un effet de la loi au sens large. "La personnalité est un don de la loi" »(Goubeaux G., Traité de droit civil, Les personnes, sous la direction de Ghestin J., LGDJ, Paris, 1989, p. 25). Pour D.Thouvenin, la personne juridique est « un concept abstrait qui se définit comme l'aptitude à être titulaire de droits etd'obligations et qui emprunte la figure du contractant quand il exerce ses droits et fait circuler ses biens. L'expressionde sa volonté libre et autonome permet la gestion rationnelle des particularités individuelles » (Thouvenin D., Le droitaussi a ses limites, in Le Magasin des enfants, sous la direction de Testart J., Gallimard, 1990, p. 308). Il fait d'ailleursremarquer que la définition de la personne juridique ne fait aucun cas du corps qui en est le nécessaire support physique.

Au plan juridique, il existe également un lien étroit entre personne, individu et être humain. La personnalité juridique nepeut se reconnaître qu'à un être humain envisagé individuellement (Terré F., Introduction générale au droit, Dalloz, 1996,p. 281 : « Seuls des êtres humains envisagés individuellement sont doués de la personnalité juridique »). Cependant,pour devenir une personne juridique, l'être humain doit d'abord être regardé comme être social : « En s'attachant à l'êtrehumain, le droit objectif considère cet être physique en tant qu'il est aussi un être social, une personne juridique : c'estcette considération, génératrice d'attachement, de rattachement, qui assure, consacre ou consolide l'insertion de l'êtrehumain dans la société globale », (Terré F., Introduction générale aux droit, précité), c'est-à-dire envisagé au sein d'unesociété qui a établi un système juridique auquel cet individu est soumis. Ainsi, être reconnu comme un être socialpermet de se voir attribuer des droits qui sont ceux d'une personne physique.

Autrement dit, la qualification d'être social, qui suit celle d'être humain individualisé, permet d'être reconnu commeappartenant à la catégorie des personnes physiques (par opposition à personne morale). Cette catégorisation soulèvedeux remarques : la première est que l'utilisation du terme de « personne » n'est pas uniquement réservée à l'êtrehumain, il peut être attribué à une société, à une association etc. De fait, et c'est ici la seconde remarque, le qualificatifde « physique » prend toute son importance. Il induit que « personne » s'applique à l'être humain uniquement lorsquecelui-ci est matérialisé, une telle matérialisation ne pouvant s'entendre que par le corps. Donc, pour reprendre les proposde Kant, si la personne ne se résume pas à son aspect corporel, l'aspect corporel est cependant, pour le droit, un signedistinctif de la personne. Or, peut-on reconnaître dans l'aspect physique d'un embryon le corps d'une personne humaine ?Il faut beaucoup d'imagination pour voir dans un embryon de quelques jours la forme que prendra son corps lorsqu'il auraatteint le stade de fœtus.

L'aspect physique de la personne n'a aucune importance pour le droit, elle n'en est que le support qui permettra del'individualiser et de la classer. Ainsi, une vieille dame et une société n'ont pas la même apparence physique, elles sontpourtant toutes deux une personne titulaire de droits. Le support physique doit être identifiable, c'est pourquoi lapersonne physique, comme la personne morale, doivent avoir un nom et un domicile. Ainsi, la personne physique est unêtre humain, alors que la personne juridique n'en est pas un. Une personne est donc pour le droit un être humainconsidéré comme sujet de droits et d'obligations.

Pour H. Kelsen, si le concept d'« homme » est un concept de biologie, le concept de « personne » est un concept descience du droit, d'analyse des normes juridiques. Il écrit dans ce sens : « La personne physique, en tant que sujet dedroits et d'obligations, n'est pas l'être humain dont la conduite forme le contenu de ces obligations ou l'objet de cesdroits, elle n'est que la personnification de ces droits et obligations » (Kelsen H., Théorie générale du droit et de l'Etat,LGDJ, 1945, p. 147). La personne physique est donc la personnification d'un complexe de normes juridiques. Seule laconduite des êtres humains forme le contenu des normes juridiques. Il existe ainsi une étroite interaction entre le droitet la conduite des personnes physiques, puisque le droit se présente comme l'ensemble des actions et des abstentionsdes êtres humains dont la conduite est régie par les normes juridiques.

277-13 Sujet de droit

277-13- Sujet de droit

La notion de « sujet » a beaucoup évolué et les avancées biotechnologiques ont largement contribué à son extension, sibien que certains envisagent à présent de l'étendre à la nature, afin d'assurer sa protection (voir pour de plus amplesdéveloppements sur ce point, Thomas Y., Nouveau sujet de droit ?, Le Bulletin SFPJ, mai 1997, p. 6). Si l'on fait remonter

l'apparition de la notion de « sujet de droit » au XVIIe siècle avec Descartes, voire au XIVe siècle avec le nominalisme,

ce n'est qu'au XVIIIe siècle qu'elle acquiert le contenu qu'on lui connaît actuellement, à savoir celle d'un sujet qui «déploie librement sa volonté et réalise unilatéralement son autonomie par l'appropriation des choses extérieures selondeux modalités de droit subjectif, le droit réel et le droit personnel : possession et propriété d'un côté, contrat et

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humain

Section I De l'être humain à la personnalité juridique§ 2 Négation de la qualification de personneB – Personnalité juridique

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obligation de l'autre » (Thomas Y., Nouveau sujet de droit ? , précité, p. 8).

Le sujet de droit n'existe pas en tant que tel comme l'individu ou l'être humain, mais « c'est un ensemble de normes quiimposent aux individus, régis par un ordre juridique donné, des obligations, lesquelles ont pour contrepartie des droitssubjectifs » (Thomas Y., Nouveau sujet de droit ?, précité, p. 9). La personne, sujet de droit, n'est donc pas un êtrehumain, mais une abstraction de l'ordre juridique.

Tout être humain se voit reconnaître automatiquement la qualité de sujet de droit et, inversement, seuls les êtresvivants humains sont titulaires de droits (les animaux, selon le cas, sont assimilés à des biens meubles ou immeubles ;C. civ., art. 522, 524 et 528). Il faut remonter dans l'histoire au temps de l'esclavage pour trouver des êtres humainsprivés de cette qualité : dans l'Antiquité, les esclaves étaient objet de propriété, ils étaient juridiquement des choses.L'influence du christianisme a été déterminante dans l'abandon de cette discrimination. Cependant, si son statut achangé, l'esclavage a longtemps été maintenu. L'esclave avait le statut de « personne non libre ». Par conséquent,personne et non marchandise, bénéficiant à ce titre d'une certaine protection de la loi, mais il était objet de propriété,non sujet de droit (Goubeaux G., Traité de droit civil, Les personnes, LGDJ, 1989, sous la direction de Ghestin J., p. 14).La personnalité a donc longtemps été distincte de la qualité de sujet de droit.

Seule l'étude des droits et obligations de l'embryon et du fœtus permet de savoir si les qualifications de sujet et depersonne juridique sont applicables à la vie anténatale.

277-14 Conditions d'acquisition pourl'embryon

277-14 - Conditions d'acquisition pour l'embryon

a) Etre vivant

Ainsi, pour le droit, seule importe la personnalité juridique, puisque la personne humaine n'est pas distincte de sesdroits et obligations, elle n'en est que la personnification.

La personne physique, ainsi identifiée, se voit attribuer des droits subjectifs. En effet, le seul fait d'être reconnu par lasociété comme une personne physique entraîne automatiquement le fait de recevoir les droits attribués à une personnephysique.

D'après G. Goubeaux, « Aucune discussion n'est plus aujourd'hui possible quant à la détermination des personnesphysiques : tout être humain est doté de la personnalité juridique », c'est-à-dire les droits devant permettre d'exprimerune personnalité juridique (Goubeaux G., Traité de droit civil, Les personnes (sous la direction de Jacques Ghestin), LGDJ,1989, p. 47). La personnalité juridique est « cette aptitude à être titulaire actif ou passif de droits subjectifs que le droitobjectif reconnaît à chacun » (Terré F., Introduction générale au droit, Dalloz, 1996, p. 280).

Cette attribution de la personnalité juridique ne supporte aucune exception, elle est garantie par l'article 6 de laDéclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il s'agit donc d'un droit constitutionnellement garanti puisque,si besoin est de le rappeler, la Déclaration de 1789 fait partie du bloc de constitutionnalité français (sur la notion de «bloc de constitutionnalité » et sa composition, voir, entre autres, Favoreu L., et Renoux Th. S., Le contentieuxconstitutionnel des actes administratifs, Sirey, Coll.« Droit public », 1992, p. 29-41). Le Conseil constitutionnel a donc lamission de garantir que la personnalité juridique sera attribuée à toute personne physique. Cependant, doit-il garantirqu'elle sera octroyée à l'embryon (pour certains, seule « la vie humaine (est l') unique condition de la personnalité »,Goubeaux G., Traité de droit civil, précité, p. 47) ?

Un examen de l'apparition de la personnalité juridique permet d'apporter une réponse à cette question. La personnalitéjuridique est attribuée automatiquement à toute personne physique qui naît mais sous deux conditions : celles d'être névivant (« Vivant : les fonctions essentielles permettant à l'être humain d'avoir une existence propre, indépendante decelle de sa mère, doivent s'accomplir. L'enfant mort-né ou mort au cours de l'accouchement n'est pas une personne etne l'a jamais été », Goubeaux G., Traité de droit civil, précité, p. 48) et viable (« Viable : le nouveau-né doit êtreconstitué de façon à pouvoir continuer à vivre. Un enfant peut naître vivant et cependant n'avoir aucune chanced'échapper à une mort presque immédiate, soit parce qu'il est insuffisamment formé, soit parce qu'il est dépourvu decertains organes nécessaires à la survie. La personnalité juridique lui est alors refusée », Goubeaux G., Traité de droitcivil, précité). Les articles 311-4, 725, 906 du Code civil révèlent cette condition de la naissance en matière de filiationet d'héritage. En vertu d'une tradition qui remonte au droit romain, la personnalité juridique n'est attribuée qu'à lanaissance (Terré F., Introduction générale au droit, précité, p. 284), et non au moment où l'on reconnaît la vie, c'est-à-dire la conception. Cependant, l'adage Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur traduit la

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volonté de protéger les intérêts de l'enfant à naître dès que l'on peut supposer sa naissance prochaine. Ainsi, l'enfantest considéré comme né chaque fois qu'il en va de son intérêt (et uniquement de son intérêt). Cependant, cette règle n'apas trouvé de transcription formelle dans notre droit positif, exceptée la prise en compte indirecte par les articles duCode civil précités. Bien qu'il ne soit pas formalisé, il est toutefois considéré comme un principe général du droit et la

Cour de cassation y fait référence (Cass. 1re civ., 10 déc. 1985, no 84-14.328, Bull. civ. I, no 339 , Defrénois 1986, p. 668,obs. Breton A., D. 1987, chr., p. 150, note Paire J., , Gaz. Pal. 1986, 2, som., p. 323, note Piedelievre S.). On préciseratoutefois qu'il ne s'applique pas à l'embryon congelé (Neirinck C., L'embryon humain ou la question en apparence sans

réponse de la bioéthique, Petites affiches 9 mars 1998, no 29, p. 5).

Cette règle de l'infans conceptus n'est pas uniquement suivie dans les pays connaissant le droit romain, mais aussi dansles pays de Common Law. Les articles 608, 771, 838 et 945 du Code civil canadien prévoient que l'enfant, dès saconception, peut être sujet de droit de façon conditionnelle. Il peut être bénéficiaire d'intérêts juridiquement protégéslorsque c'est dans son intérêt (Baudouin J.-L., Vie et mort de la personne. La personne humaine en droit comparé :apparition et disparition, in La personne humaine, sujet de droit, Quatrièmes journées René Savatier, (Poitiers, 25 et 26mars 1993, PUF, 1994, p. 76). Le législateur québécois est, lui, beaucoup plus clair sur l'apparition de la personnalité,puisqu'en 1971 a été créé un article 18 du Code civil québécois qui dispose que « tout être humain possède lapersonnalité juridique ». Toutefois, la Cour suprême du Canada a jugé, dans un arrêt « Tremblay c/ Daigle » du 16novembre 1989 (C. suprême Canada, Tremblay c/ Daigle (1989) 2 R.C.S. 530), que le fœtus n'est pas une personne auxyeux du droit civil québécois (Knoppers B. M., Dignité humaine et patrimoine génétique, Document d'étude préparé àl'intention de la Commission de réforme du droit du Canada, 1991, p. 37).

b) Etre viable

S'il est aisé de dire qu'un enfant est né vivant, il est beaucoup plus difficile d'affirmer qu'il est né viable. Cette notion aété rendue encore plus relative par le développement des techniques de réanimation des nouveau-nés et de leurdéveloppement en couveuse. Cette estimation peut entraîner des conséquences importantes en cas de contestation dela personnalité de l'enfant en matière de succession. Les critères retenus pour établir la viabilité étaient, d'une part, unematurité suffisante (c'est-à-dire un minimum de gestation de cent quatre-vingts jours, un poids et une ossificationraisonnables) et, d'autre part, le fait que l'enfant soit dépourvu de monstruosités ou d'anormalités incompatibles avec lavie (pour plus de développements, voir Phillipe C., La viabilité de l'enfant nouveau-né, D. 1996, chr., p. 29-32).

Depuis 1993, la position française était ambiguë sur cette question puisque les deux circulaires d'application de la loi no

93-22 du 8 janvier 1993 (C. civ., art. 79-1) étaient contradictoires : la circulaire du ministre de la Justice du 3 mars 1993(JO 24 mars) relative à l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant prévoyait qu'un acte de naissance ou de décèsdevait être dréssé si l'enfant naissait vivant ou viable, ces conditions étant applicables même si l'enfant n'avait vécu quequelques heures et quelle que fût la durée de la gestation. Toutefois, la circulaire du ministre délégué à la Santé du 22juillet 1993 retenait, elle, les critères de l'Organisation mondiale de la santé, c'est-à-dire vingt-deux semainesd'aménorrhée (avant cette, date l'air ne passe pas dans les poumons) ou un poids de 500 grammes à l'exclusion detoutes malformations. Or, les deux ministères concernés se sont, enfin, mis d'accord pour arriver à une solution plus

harmonieuse et plus respectueuse de la volonté des parents. En effet, la circulaire no 2001/571 du 30 novembre 2001relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des enfants décédés avant la déclaration de naissanceabandonne le seuil classique des cent quatre vingt jours. Désormais, un acte d'enfant sans vie est établi quand l'enfantest né vivant mais non viable, quelle que soit la durée de sa gestation et quand l'enfant est né mort-né après un termede vingt deux semaines d'aménorrhée ou pesant plus de 500 grammes. Cette solution permet aux parents ayant perduun enfant à la suite d'une interruption thérapeutique de grossesse de marquer leur attachement à l'enfant (voir Murat P.,L'acte d'enfant sans vie, un mieux, Dr. famille, avr. 2002, p. 23-24). Mais l'acte de l'enfant sans vie n'a pas la mêmenature que la déclaration de naissance, la position française reste donc toujours éloignée de celle d'autres Etatseuropéens, comme la Suisse ou l'Allemagne, qui accordent la personnalité juridique à l'enfant né vivant même s'il n'estpas viable.

Le droit italien pose, lui, une simple présomption de viabilité de l'enfant né vivant.

On remarquera que la naissance est toujours l'élément déclencheur de l'attribution de la personnalité juridique. Lestechnologies nouvelles ont permis une meilleure connaissance de l'embryogenèse et l'imagerie médicale offre à présentaux parents et à l'entourage l'occasion d'établir des contacts importants avec l'être à venir, si bien que la conception del'adage infans conceptus a été inversée. A l'origine, c'est la naissance de l'enfant qui permettait de faire rétroagir sapersonnalité, c'est parce qu'il était né vivant et viable que l'on pouvait lui accorder, a posteriori, une personnalité inutero. Actuellement, on considère, à l'inverse, que si l'enfant ne naît pas vivant et viable, sa personnalité juridique inutero est annulée par rétroactivité (sur cette notion de « rétroactivité », voir plus particulièrement, Terrasson deFougeres A., La résurrection de la mort civile, RTD civ., oct.-déc. 1997, p. 898). Si l'enfant ne naît pas vivant ou viable,

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humain

Section I De l'être humain à la personnalité juridique§ 2 Négation de la qualification de personneB – Personnalité juridique

Le Lamy droit de la santé

Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?Le Lamy droit de la santé

alors la fiction de sa naissance en tant qu'être humain constitué est annulée et sa personnalité juridique est nonseulement abrogée, mais aussi annulée.

En conséquence, il paraît évident que la personnalité juridique n'est pas attribuée à l'embryon en tant que tel, on ne lalui accorde que partiellement et elle ne deviendra entière que lorsqu'il sera devenu un nouveau-né viable. On peut doncconclure sur ce point que si le Conseil constitutionnel a la tâche de veiller à ce que toute personne physique se voitreconnaître la personnalité juridique, ce droit ne peut être reconnu qu'aux personnes physiques nées vivantes et viables,c'est-à-dire n'ayant plus aucune dépendance physique avec la mère dont elles sont issues.

On peut même pousser le raisonnement plus loin et ajouter que puisque la personnalité juridique est accordéeautomatiquement à toute personne physique et qu'elle n'est pas reconnue à l'embryon, ce dernier n'est pas une personnephysique. Ce raisonnement peut être confirmé, si l'on considère que l'être humain devient personne physique après avoirété reconnu comme être social. En effet, si l'on peut retenir la qualification d'être humain à l'embryon, on ne peut enaucun cas lui reconnaître la qualité d'être social. S'il s'intègre dans la société, ce n'est que par l'intermédiaire de samère, on ne peut lui reconnaître de liens autonomes avec ses congénères lui permettant d'avoir des relations sociales ausein d'un groupe organisé.

277-15 Personna l i té ju r id iquep o t e n t i e l l e d e

l'embryon

277-15 - Personnalité juridique potentielle de l'embryon

Cependant, la disparition de la personnalité juridique n'implique nullement l'absence totale de prise en compte par ledroit et le fait que l'embryon ne reçoive aucune protection juridique. La conséquence se résume à l'absence dedénomination de l'embryon sous l'expression de « personne juridique ».

L'expression de « personne juridique » apporte une précision au terme seul de « personne » qu'utilisent les philosophes.Il permet de montrer que l'individu est intégré dans un système juridique dans lequel il trouve sa place en tant quesujet, au sein duquel on lui reconnaît des droits et des obligations. Cette qualification lui permet d'exercer ces droitsmais aussi de les faire valoir. En retour, la société attendra de lui qu'il remplisse ses obligations, celle-ci ayant lesmoyens de l'y contraindre. Sous ces conditions, l'être humain individualisé devenu être social puis personne physiquedevient personne juridique, elle se trouve de ce fait englobée dans un édifice juridique dont elle est à la fois le sujet,l'objet et l'élément générateur. Elle est identifiée et reconnue par les membres de cette communauté à laquelle elleappartient.

Le statut particulier de l'embryon le place à la frontière de cette reconnaissance. La personnalité juridique ne lui étantacquise que sous condition d'une future naissance, elle n'est que potentielle. Il semble qu'on ne lui accorde qu'un créditdes droits qui seront les siens. Dans le respect de la personne juridique que l'on attend de lui, il aura un statut privilégiéqui comprend une certaine protection, c'est-à-dire une protection bien supérieure à celle que l'on accorderait à un objet,mais inférieure à celle que l'on accorde à un véritable sujet de droit.

277-25 Présentation historique

277-25 - Présentation historique

L'étude des différents statuts que peut acquérir l'homme – être humain, individu, être social, personne humaine puisjuridique, sujet de droit, etc. – aura permis de montrer que ceux-ci correspondent à des stades différents de sondéveloppement. L'amas de cellules devient être humain avant d'être un individu, puis de non-personne passe à personnepotentielle en fonction de sa maturation (et notamment celle de son cerveau). Elle devient une personne juridique avecla naissance, sous réserve qu'elle soit née vivante et viable, pour ne devenir une personne humaine que quelques moisplus tard, lorsque personne raisonnable elle peut véritablement entretenir des relations avec ses congénères. Cettesynthèse de l'évolution de l'être humain est notamment partagée par B. Baertschi, même si l'on peut douter que lenourrisson de quelques heures ne soit pas une personne humaine, car il entretient déjà des relations, si minimes soient-elles, avec son entourage, même si elles ne sont pas raisonnées et ne correspondent qu'à des réflexes de surviesemblables à ceux d'un animal (voir Baerschi B., La valeur de la vie humaine et l'intégrité de la personne, PUF, 1995, p.197).

Toutefois, la vie anténatale n'est pas pour autant ignorée par le droit : l'embryon puis le fœtus font l'objet de protectioncar ils sont porteurs de vie humaine. Il reste à déterminer les limites de cette protection. S'il n'est pas un véritable sujet

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnés

Le Lamy droit de la santé

Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésA – Recherches sur l'embryon

Le Lamy droit de la santé

Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésA – Recherches sur l'embryon

Le Lamy droit de la santé

de droit, certains droits lui sont reconnus mais ils restent très limités. En effet, les droits de l'être en devenir seheurtent vite à ceux des personnes juridiques et même à l'intérêt général. Ils évoluent également avec les changementslégislatifs : son droit à la vie pouvait paraître absolu avant 1975, il est devenu relatif depuis la dépénalisation del'interruption volontaire de grossesse. Il en est de même avec la levée de l'interdiction de la recherche sur l'embryon

annoncée par la révision des lois bioéthiques (L. nos 94-653 et 94-654, 29 juill. 1994, JO 30 juill.). Si les droits del'embryon peuvent légitimement être plus altérés, car son humanité est fragile, il en est différemment du fœtus. Petitêtre achevé, sa potentialité de personne humaine est plus difficile à remettre en cause et l'on pourrait considérer qu'ildoit avoir la même protection qu'une personne déjà née. La jurisprudence est intervenue, à côté du législateur, pourpréciser la qualification qui devait être attribuée à ce dernier et la protection en découlant.

277-26 Stades de maturité

277-26 - Stades de maturité

La protection reconnue à l'embryon, et donc ses droits, évolue en fonction de sa maturité. Ainsi, on pourrait être tentéde distinguer les différents stades de la vie utérine pour accorder trois statuts différents au préembryon, à l'embryonpuis au fœtus : le premier pouvant être un objet de recherche n'a pas de droit à la vie garanti, le deuxième dispose d'undroit à la vie relatif conditionné au droit de sa mère sur son corps et le troisième bénéficie d'une protection supérieuremais n'est pas reconnu comme une personne pouvant être victime d'un homicide. Toutefois, ce fractionnement de la vieanténatale est difficile à admettre pour certains puisque le développement intra utérin est un phénomène continu. Lesatteintes à l'être humain tolérées ne sont cependant pas les mêmes du début à la fin de la grossesse : la recherche surl'embryon ne peut être limitée qu'aux tout premiers stades de développement et l'interruption volontaire de grossesse nese pratique que sur l'embryon et non sur le fœtus.

L'autorisation de la recherche sur l'embryon fait l'objet depuis une vingtaine d'années de débats acharnés en Francecomme à l'étranger. Certains pays d'Europe se sont montrés plus rapidement permissifs que la France. En 1994, lelégislateur français a préféré condamner toute expérimentation, mais la révision des lois de bioéthique prévue pour 2002devrait permettre aux scientifiques de voir cette interdiction se lever. Il convient alors de se demander si la nouvelle loiconduira à la reconnaissance du stade de préembryon ou embryon préimplantatoire et modifiera ainsi le statut del'embryon. Le préembryon pourrait de la sorte ne plus être considéré comme un être humain alors que l'embryon,bénéficiant d'une évolution plus achevée, le resterait. Le préembryon objet de recherche ne serait qu'un objet auquel onne pourrait pas reconnaître le titre de bénéficiaire de droits.

277-27 Différents stades

277-27 - Différents stades

Le rapport « Serusclat » de 1991, inspiré par les législations étrangères, s'est longuement penché sur le statut dupréembryon (Rapp. Serusclat F., Les sciences de la vie et les droits de l'homme, Bouleversement sans contrôle oulégislation à la française, Assemblée nationale et Sénat, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques ettechnologiques, Economica, 1991, p. 118-119). Il expose ainsi que l'on distingue quatre phases dans le début dudéveloppement après la fécondation. Le premier stade va de la fécondation jusqu'à environ huit cellules ; durant cettepériode, l'œuf vit entièrement sur les réserves maternelles, le génome paternel n'intervient que très peu : il n'est paspossible de qualifier l'œuf d'embryon, à ce stade. Durant la deuxième période, se différencie l'enveloppe appeléetrophoblaste et le bouton embryonnaire ; c'est la phase blastocyste, environ cinq jours après la fécondation. Vers sixjours, commence la troisième période qui est préparatoire à l'implantation : l'œuf perd sa protection externe mais cesont surtout les cellules du trophobaste qui sont actives, elles se modifient et pénètrent dans la muqueuse utérine, alorsque les cellules du bouton embryonnaire sont quiescentes. Enfin, la quatrième phase se caractérise par l'implantation del'embryon au cours de laquelle se différencient les tissus primitifs et s'ébauche la structure organique du nouvel être.

Ce rapport précise encore que le terme de « préembryon » est apparu à la réunion de la European Science Foundation àLondres en 1985, pour qualifier le stade allant de la fécondation à l'apparition de la ligne primitive qui deviendra lesystème nerveux, ce qui se produit vers le quatorzième jour. En France, on lui préfère la qualification d'embryonpréimplantatoire qui correspond aux six premiers jours avant la nidation dans la muqueuse utérine, c'est-à-dire le stadedurant lequel il peut être conservé in vitro.

277-28 Processus continu

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277-28 - Processus continu

Le CCNE rejette quant à lui cette distinction, considérant que si les propriétés de l'être personnel apparaissentprogressivement, il s'agit d'un processus continu. Il en conclut que « l'embryon humain dès sa fécondation, appartient àl'ordre de l'être et non de l'avoir, de la personne et non de la chose » (CCNE, avis, 15 déc. 1986, relatif aux recherches etutilisations des embryons humains in vitro à des fins médicales et scientifiques).

En 1993, le rapport Mattei ne laissait pas plus de chance à la reconnaissance du préembryon, notamment parce que,d'après ledit député, il n'est pas possible, du point de vue scientifique, de déterminer le moment où l'œuf fécondédevient embryon et plus encore le moment où l'embryon devient fœtus. Il reconnaît toutefois que la huitième semaineest marquée par la mise en place des organes qui permettent à l'embryon d'entrer dans la phase fœtale. Mais pour J.-F.Mattei, il ne faut pas marquer ces phases qui correspondent à un continuum. Le député insiste sur cette continuité quin'est que « l'expression morphologique temporaire d'une seule et même vie » (Rapp. Mattei J.-F., La vie en question :pour une éthique biomédicale, Rapport au Premier ministre, Doc. fr., coll. « Rapport officiel », 1994, p. 91). Pourtant, ildistingue nettement, au sein de ce processus, différents stades d'œuf fécondé, d'embryon, de fœtus, de nouveau-né,d'enfant jusqu'à personne âgée. Il rappelle que la vie humaine est éminemment respectable et doit être protégée quelque soit son stade. Le statut de l'embryon risquerait alors de porter préjudice au respect de la vie qui est principefondateur de notre société.

Certains auteurs, comme le professeur B. Mathieu, s'opposent également au découpage en tranches de la vie humainecar elle est un processus continu (Mathieu B., La vie en droit constitutionnel comparé, Eléments de réflexions sur un droitincertain, RID comp. 1998, p. 1037). Pour l'auteur, « la transformation du droit à la vie en droits sur la vie conduit à uneinstrumentalisation de l'humain dont les dangers semblent évidents ». On peut craindre, d'après lui, que la rechercheautorisée sur l'embryon ne soit ensuite étendue aux personnes dans le coma, au mourant, à l'imbécile ou au malademental (voir Mathieu B., La recherche sur l'embryon au regard des droits fondamentaux constitutionnels, D. 1999., chr., p.456). C. Labrusse-Riou confirme le danger de cette distinction en posant qu' « il est essentiel de maintenir l'idée qu'il n'ya pas de seuil, à compter de la conception, en deçà duquel l'embryon serait un matériel de laboratoire et que, sirecherche il y a, elle porte sur des êtres humains présumés sujets » (Labrusse-Riou C., Servitudes, servitudes, inL'homme, la nature et le droit, par Hermitte M.-A. et Edelman B. (sous la direction de), Ed. Bourgeois, 1988, p. 332 ).Son acceptation conduirait inévitablement, pour l'auteur, à la réduction de la personne (cette position revientnécessairement à assimiler l'embryon au concept de « personne », ce qui est critiquable).

Les positions des religions monothéistes ne sont pas toujours claires et concordantes sur le statut de l'embryon. L'Eglisecatholique reste partagée entre l'animation médiate et immédiate (pour plus de développements, voir Verspieren P.,L'embryon humain dans les grandes religions monothéistes, un point de vue catholique, in L'embryon entre chose et

personne humaine, XIe entretiens consacrés à l'éthique biomédicale sous le haut patronage de M. Alain Juppé, Premierministre, 18 et 19 nov. 1995).

Le Coran est très précis sur l'embryogenèse qu'il distingue en différentes phases : « C'est une véritable ontogenèse quiest ainsi énumérée : la première étape est une phase liquide (« Nutfa ») qui correspond à la fécondation ovulaire, c'est-à-dire l'union des gamètes mâles et femelles, c'est-à-dire la fusion des deux noyaux haploïdes (zygote) ; la deuxièmephase, décrite "Alaqa", fut diversement traduite (adhérence, caillot, sangsue, etc.) et correspond très probablement auxdeux premières semaines du développement ; elle se traduit au mieux par "jonction" (…) ; la troisième phase,"Mudhgha", littéralement "substance mâchée", correspond à un embryon de quatre semaines avec ses somiteséchelonnés systématiquement le long de la ligne dorsale ; à la quatrième phase, il est dit "ensuite nous l'avonstransformé en une toute autre création" » (Boubakeur D., L'embryon dans l'islam, in L'embryon entre chose et personnehumaine, précité) et le prophète Mahomet précise que le statut du fœtus n'est celui d'un homme qu'au cent vingtièmejour, c'est-à-dire après trois cycles de quarante jours (pour plus de précision voir Hadj-Eddine Sari-Ali G., Procréationmédicalement assistée, in Ethique, Religion, Loi et reproduction, par Sureau C., Madelenat P., Milliez J. et Proust A. (sousla direction de), Gref, 1997, p. 60). Les rabbins distinguent aussi délibérément entre le moment de la conception (dite «première heure ») et le moment où l'embryon devient un être humain ou, pour reprendre l'expression talmudique, « l'âmelui fut insufflée » (c'est la quatrième heure). Le Talmud affirme que jusqu'au quarantième jour de la grossesse, l'embryonn'est pas considéré comme un être humain. Il n'atteint que progressivement ce stade entre le quarantième jour après laconception et le jour de la naissance (Sirat R.-S., Le statut de l'embryon, in L'embryon entre chose et personne humaine,précité).

Ainsi, on peut trouver un certain consensus religieux, philosophique et même juridique à ne pas accorder le statut d'êtrehumain aux tous premiers jours de la vie humaine. Une véritable reconnaissance légale de cette première période paraîtdonc envisageable.

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésA – Recherches sur l'embryon

Le Lamy droit de la santé

277-29 Législation étrangère

277-29 - Législation étrangère

On retrouve la notion de « préembryon » dans nombre de textes étrangers et internationaux. Le projet de guide éthiquede la recherche avec des sujets humains présenté, en 1996, au Canada contient, dans son chapitre 16, ce concept d'«embryon » des seize ou dix-sept premiers jours en estimant que celui-ci est issu d'un consensus international. Toujoursau Canada, le rapport « Baird » de 1993 se réfère à ce concept en posant la limite des quatorze jours comme uncompromis acceptable dans une société pluraliste (Mémeteau G., La dédinition de la personne humaine, Journ. int.bioéthique 1997, p. 49). Le projet C-47 du 14 juin 1996 de la chambre des communes du Canada prévoit également deprendre en compte la notion. Le projet de convention bioéthique du Conseil de l'Europe envisageait de faire une place auconcept de « préembryon », mais cette volonté n'a pas été concrétisée dans le texte final de novembre 1996.

La position législative la plus intéressante, car la plus tranchée, est celle de l'Espagne. Dans ce pays les lois nos 35/1988

et 42/1988 (la loi no 42/1988 réglemente le don et l'utilisation d'embryons et de fœtus humains et la loi no 35/1988réglemente le don et l'utilisation de gamètes ou d'ovules fécondés in vitro) distinguent le préembryon ou embryonpréimplantatoire (de la fécondation au quatorzième jour), l'embryon (du quatorzième jour à deux mois et demi) et lefœtus (après deux mois et demi). Les lois établissent une distinction entre les préembryons viables et les non viables oumorts. L'Espagne autorise de la sorte le développement de la recherche à partir de préembryons ou d'embryons conçus in

vitro ou in vivo, morts ou non viables. Cette recherche est très encadrée ; ainsi, l'article 3 de la loi no 35/1988 interdit lafécondation d'ovules humains ayant une finalité autre que la procréation humaine ; cela signifie que les préembryonsconçus in vitro ne peuvent avoir la recherche pour utilisation directe. Cependant, afin d'assurer le succès de la techniquede reproduction médicalement assistée, un nombre supérieur de préembryons est créé par rapport au nombre implanté.

L'article 3 de la loi no 42/1988 interdit l'interruption volontaire de grossesse ayant pour but le don et l'utilisation desembryons, fœtus et de leurs structures biologiques. L'article 2 e) de cette loi indique clairement que les embryons etfœtus faisant l'objet de don doivent être cliniquement non viables ou morts ; l'article 2 d) précise que le don etl'utilisation de ces matériaux ne doivent jamais l'être à but lucratif ou commercial.

Concernant les préembryons non viables, fruits des techniques de reproduction assistée, donc conçus in vitro, l'article

15.3 de la loi no 35/1988 autorise la recherche étendue à d'autres finalités que de vérification ou diagnostique, sous lesconditions que cette recherche ne puisse pas être réalisée sur le modèle animal, qu'elle soit soumise au contrôle desorganismes sanitaires et scientifiques compétents et dans les délais autorisés. L'article 17 de cette loi ajoute que lespréembryons, conçus in vitro et avortés, sont considérés comme morts ou non viables et peuvent faire l'objet derecherche ou d'expérimentation à des fins scientifiques, diagnostiques, pharmaceutiques ou thérapeutiques. L'article 6 de

la loi no 42/1988 autorise l'obtention et l'utilisation de structures biologiques provenant d'embryons ou de fœtus morts àdes fins diagnostiques, thérapeutiques, pharmacologiques, cliniques ou chirurgicales, de recherche ou d'expérimentationainsi que leur don à de tels effets, sous réserve d'une autorisation accordée par les autorités sanitaires et sociales ou laCommission nationale de suivi et de contrôle et d'utilisation des embryons et des fœtus humains.

La thérapie sur l'embryon vivant in vitro, ou sur des préembryons, embryons et fœtus in utero n'est autorisée que si,

conformément à l'article 13.3 de la loi no 35/1988, les conditions suivantes sont respectées : le couple ou la femmeseule doivent avoir été informés de ces procédés, des recherches diagnostiques, des possibilités et des risques de lathérapie et avoir préalablement accepté ; il doit s'agir de maladie au diagnostic très précis, de pronostic grave ou trèsgrave, le traitement devant offrir des garanties, au moins raisonnables, d'amélioration ou de solution du problème ; ilfaut disposer d'une liste de maladies sur lesquelles la thérapie envisagée est possible avec des critères strictementscientifiques ; est exclue l'action sur les caractères héréditaires non pathologiques et la recherche de sélection d'individuou de race ; la thérapie doit être réalisée dans des centres sanitaires autorisés et par des équipes qualifiées et dotéesdes moyens nécessaires.

La recherche ou l'expérimentation, de caractère diagnostique ou général, sur les préembryons vivants, si elle est

possible, doit, elle aussi, répondre à des conditions très strictes. L'article 15.1 de la loi no 35/1988 énonce l'obligationd'obtenir le consentement des donneurs après explication détaillée des fins poursuivies, le respect du délai de quatorzejours après la fécondation de l'ovule (en déduisant le temps de cryoconservation) au-delà duquel la recherche ne peutêtre poursuivie, ainsi que l'obligation de réaliser ces recherches dans les centres autorisés et par des équipesscientifiques qualifiées, sous le contrôle des autorités publiques compétentes.

Enfin, l'article 15.2 de la loi no 35/1988 autorise la recherche sur des préembryons in vitro viables, mais uniquement s'ils'agit d'une recherche appliquée à caractère diagnostique et à des fins thérapeutiques ou préventives et si l'on ne

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésA – Recherches sur l'embryon

Le Lamy droit de la santé

modifie pas leur patrimoine génétique non pathologique.

Le Royaume-Uni est, avec l'Espagne, un des rares pays autorisant l'expérimentation sur les embryons. Toutefois, lalégislation britannique ne connaît pas la notion de « préembryon », elle se contente de fixer une limite à la recherche

aux quatorze premiers jours. La principale loi en la matière est celle du 1er novembre 1990 sur la fécondation humaine etl'embryologie. Elle a été modifiée par la loi du 16 juillet 1992. Ces deux lois concernent non seulement l'expérimentationsur les embryons, mais également les techniques de procréation médicalement assistée. La loi de 1990 commence parune définition des gamètes et des ovules, puis elle précise les nombreuses interdictions faites sur l'utilisation desembryons et des gamètes, plaçant le gouvernement comme garant du respect de ces dispositions. Cependant la loi nedonne pas de statut à l'embryon.

La loi de 1990 prévoit que la création, la préservation ou l'utilisation d'embryons humains hors du corps doivent êtreautorisées par la Human Fertilization Embriology Autority (la HFEA a été créée par l'article 5 de la loi de 1990 afind'exercer un rôle de régulation et de contrôle de certaines pratiques dans le traitement de la fécondation et de larecherche sur l'embryon. Elle est chargée de mettre en œuvre un système d'autorisations pour les centres pratiquantl'une ou l'autre des activités suivantes : stockage de gamètes ou d'embryons, recherche sur les embryons humains,traitements pour la fécondation impliquant l'utilisation de gamètes, création ou utilisation d'embryons hors du corpshumain. L'article 25 de la loi autorise la HFEA à appliquer un code de bonne pratique donnant des directives sur la façonde mener des activités en vertu des autorisations données. Ce code permet d'assurer l'efficacité de pratiques cliniques etscientifiques ainsi que les conditions de sécurité, du point de vue de l'équipe médicale comme de l'équipement, danslesquelles les interventions doivent être effectuées) dans le cadre d'une autorisation distincte de tout autre projet derecherche pour une durée maximale de trois ans. Ainsi, l'utilisation de l'embryon pour la recherche est limitée à certainesfinalités : promouvoir les progrès dans le traitement des infertilités ; accroître les connaissances sur les causes desmaladies congénitales et des fausses couches ; améliorer les méthodes de détection de la présence de gènes défectueuxou de chromosomes anormaux dans les embryons avant leur implantation, ainsi que les techniques contraceptives.Aucune autorisation ne sera délivrée si l'utilisation de l'embryon n'est pas essentielle pour les besoins de la recherche.

Le code de bonne pratique mis en place par la Human Fertilization Embriology Autority (HFEA) rappelle les interdictionsfaites par la loi, notamment celle de conserver ou utiliser un embryon après quatorze jours. Il impose aussi que, dès lecommencement de la recherche, le centre médical doit décider de la durée de conservation et de la méthode utilisée pourinterrompre le développement de l'embryon après quatorze jours.

277-30 Jurisprudence constitutionnelle espagnole

277-30 - Jurisprudence constitutionnelle espagnole

Ces lois espagnoles, en permettant la recherche très encadrée sur le préembryon, l'embryon et le fœtus, respectent ainsi

la jurisprudence du Tribunal constitutionnel. En effet, dans sa sentence no 53/1985 du 11 avril 1985, relative àl'interruption volontaire de grossesse, le Tribunal a établi que le nasciturus (ni le Tribunal ni les auteurs de la saisinen'ont employé le terme d'« embryon » ou de « fœtus » mais celui de nasciturus, locution latine qui signifie « qui naîtra ».Ce terme, plus générique, permet d'englober toutes les étapes du développement prénatal) n'est pas titulaire du droitfondamental à la vie mais qu'il est un « bien juridique constitutionnellement protégé ». Il a ainsi précisé la portée del'article 15 de la Constitution qui énonce que « tous ont droit à la vie », en excluant de ce « tous » le préembryon,l'embryon et le fœtus. Les travaux des constituants ne laissaient pourtant aucune place au doute sur leur volontéd'assimiler le nasciturus dans ce « tous » puisqu'ils avaient rejeté une mouture du texte énonçant « toute personne àdroit à la vie », le nasciturus n'étant pas compris dans le terme de « personne » (pour plus de développements sur cepoint, voir Bon P., Rapport sur l'Espagne, in Constitution, et Éthique biomédicale, par Lenoir N., Mathieu B. et Maus D.(sous la direction de),Doc. fr. et Les cahiers constitutionnels de Paris I, 1998, p. 75 ). Exclu des titulaires du droit à lavie, le nasciturus fait toutefois l'objet d'une protection constitutionnelle, le Tribunal démontrant que si la Constitutionprotège le droit à la vie, elle ne peut pas se désintéresser du processus qui en est le commencement. Le droitconstitutionnel à la vie implique donc que le nasciturus soit considéré comme un bien juridique.

Cette reconnaissance implique que l'Etat s'abstienne d'interrompre ou de faire obstacle au processus naturel degestation et édicte des normes légales le protégeant. Mais « cela ne signifie pas que cette protection ait à revêtir uncaractère absolu car, comme il arrive à propos de tous les biens et droits constitutionnellement reconnus, elle peut et

même doit, dans des hypothèses déterminées, être soumise à des limitations » (Sentence no 53/1985 cité par Bon P.,Rapport sur l'Espagne, précité, p. 76). Les limites sont donc plus importantes que si le nasciturus était une personne etpermettent notamment qu'il soit support d'expérimentations sous certaines conditions. Le Tribunal constitutionnel s'est

prononcé sur la constitutionnalité de ces lois dans une sentence no 116 du 17 juin 1999 (B.O.E., num. 162, suplemento,

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésA – Recherches sur l'embryon

Le Lamy droit de la santé

jueves 8 julio 1999, p. 67-80). Il n'a fait que confirmé sa jurisprudence de 1985 en retenant que « l'examen attentif deschoix légaux exposés permet de rejeter une quelconque atteinte par ces derniers à la protection juridique qui est,constitutionnellement, garantie aux nascituri » (paragraphe 7 : « El examen atento de las expresadas determinacioneslegales permite rechazar cualquier vulneración por las mismas de la protección jurídica que, constitucionalmente, segarantiza a los nascituri »).

Le Tribunal autorise ainsi l'expérimentation sur les embryons non viables (le Tribunal reprend ici la définition de la non-

viabilité exposée dans la sentence no 212/1996 : « appliquer à un embryon humain la qualification de "non viable" faitréférence concrètement à son incapacité à se développer jusqu'à faire apparaître un être humain, une "personnehumaine" », paragraphe 9), car il rappelle que les embryons ou les fœtus avortés sont déjà frustrés de la dimension quifait d'eux un bien juridique. Ils ne sont donc pas titulaires de la protection du droit à la vie que garantit l'article 15 de laConstitution. Les embryons non viables n'étant pas des sujets de droit n'ont pas, non plus, droit à la protection de ladignité. Le Tribunal étend ce raisonnement aux préembryons non viables. N'étant pas des nascituri, ils sont exclus destitulaires des droits fondamentaux constitutionnellement garantis ; ils peuvent donc faire l'objet d'expérimentation. Il enest de même pour les préembryons vivants puisque la Haute juridiction relève, face au problème de la cryoconservation,que ni les préembryons, ni les gamètes ne sont des personnes humaines ; le fait de rester à disposition des banques deconservation ne peut pas être considéré comme contraire au droit à la vie et à la dignité, comme le soutenaient lesrequérants.

Le Tribunal constitutionnel réaffirme que les préembryons transférables ne bénéficient pas d'une protection équivalente àcelle accordée à ceux qui sont déjà transférés dans l'utérus maternel. Il consacre donc une distinction très nette entreles préembryons, certains étant plus proches de la chose.

277-31 Point de vue du scientifique

277-31 - Point de vue du scientifique

En France, les études émises en vue de la réactualisation des lois bioéthiques s'orientent vers la levée de l'interdictiondes recherches sur l'embryon. La plupart des scientifiques interrogés par A. Claeys et C. Huriet pour leur rapport sur

l'application de la loi no 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corpshumain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, se sont prononcés pour « la personnification

différée » de l'embryon (Claes A. et Huriet C., Rapports sur l'application de la loi no 94-654 du 29 juillet 1994 relative audon et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic

prénatal , Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Rapp. AN, no 1407 et Rapp. no

232, déposés le 18 février 1999, p. 76). Le professeur A. Kahn est défavorable à la reconnaissance du préembryon etpréfère parler de dignité croissante de l'embryon. Jacques Testart juge nécessaire d'autoriser la recherche sur le «moment zéro » du développement embryonnaire, c'est-à-dire sur ce qui n'est pas encore un embryon mais les gamètes etle zygote, le stade d'interaction gamétique précédant la fusion des noyaux. R. Frydman insiste lui aussi sur la séparationentre, d'une part, l'embryon « préimplantatoire » ou blastocyste, qui peut être cultivé jusqu'au septième jour, à ce stadeles cellules sont totipotentes et peuvent évoluer vers la division gémellaire comme vers une tumeur trophoblastique, et,d'autre part, l'embryon proprement dit qui correspond à l'établissement d'un lien avec la mère par implantation dansl'utérus.

Si le législateur choisit de suivre les indications des scientifiques et de lever l'interdiction, il apparaît nécessaire dereconnaître le statut de l'embryon préimplantatoire. En effet, la recherche sera vraisemblablement limitée à un certainstade de développement, comme c'est le cas en Espagne ou au Royaume-Uni. Or, la simple reconnaissance de cettelimite temporelle fixe une distinction entre les embryons soumis à la recherche et les autres. Cette différenciation étant,entre autres (au-delà de la maturation, la différence peut venir de la viabilité ou de la disparition du projet parental),basée sur un stade de maturation différent, le statut de l'embryon préimplantatoire serait donc reconnu de facto.

Le ministre de la recherche a autorisé par une décision en date du 30 avril 2002 l'importation d'Australie de deux lignéesde cellules souches pluripotentes humaines d'origine embryonnaire à des fins scientifiques par un laboratoire et, lapossibilité pour le centre national de la recherche scientifique, de procéder à des recherches sur les dites cellulessouches. L'association Alliance pour les droits de la vie a demandé au Conseil d'Etat d'annuler une ordonnance de référédu Tribunal administratif de Paris du 18 juin 2002 qui avait rejeté sa requête de suspension de la mesure (CE, 13 nov.

2002, no 248310, Association alliance pour les droits de la vie). L'association requérante soutient que le ministre de larecherche, qui ne pouvait légalement se fonder sur les dispositions du projet de loi relatif à la bioéthique en coursd'examen au Parlement à la date à laquelle sa décision a été prise, a méconnu les dispositions de l'article L. 2141-8 du

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésA – Recherches sur l'embryon

Le Lamy droit de la santé

Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésA – Recherches sur l'embryon

Le Lamy droit de la santé

Code de la santé publique issu de la loi no 94-654 du 29 juillet 1994 disposant que « la conception in vitro d'embryonshumains à des fins d'étude, de recherche ou d'expérimentation est interdite. Toute expérimentation sur l'embryon estinterdite ».

Constatant, par ailleurs, l'urgence à statuer, le Conseil d'Etat a annulé l'ordonnance du juge des référés du Tribunal deParis. Il suspend, en conséquence, l'exécution de la décision attaquée pour une période de quatre mois. Ce délai doitpermettre au Tribunal administratif de Paris, saisi d'une demande d'annulation de la décision contestée, d'instruire et dejuger cette demande.

277-32 Point de vue du Comité consultatif national d'éthique

277-32 - Point de vue du Comité consultatif national d'éthique

La difficulté reste de délimiter temporellement les phases de fœtus, embryon ou préembryon. Le Comité consultatifnational d'éthique (CCNE) s'oppose à un tel séquençage de la vie prénatale. En effet, l'avant-projet de révision des loisde bioéthique prévoyait d'autoriser les recherches sur les cellules souches embryonnaires, trois catégories d'embryonsétant susceptibles d'être utilisées : des produits d'avortement, des embryons issus d'une fécondation in vitro, desembryons issus du transfert d'un noyau somatique dans un ovule préalablement énucléé. Dans son avis rendu sur cetavant-projet, le CCNE commence par préciser que l'embryon constitué par transfert du noyau d'une cellule dans unovocyte énucléé est un embryon humain. Il s'oppose ainsi à ce que ne soit pas reconnu le statut d'être humain à l'enfant

qui en serait issu après transgression de l'interdit d'implantation. D'après l'avis du CCNE no 67 sur l'avant-projet derévision des lois de bioéthique du 18 janvier 2001, « On ne saurait tracer une telle frontière entre un embryon IFIV et unembryon ITNS, même s'il est clair que leur origine, sexuée d'un côté, non sexuée de l'autre, introduit une différenceessentielle, qui tient en partie à la nature du projet qui les a suscités et qui justifie la différence radicale de traitementintroduite par la loi ».

Le CCNE précise ensuite qu'il s'est toujours refusé à donner une définition normative de l'embryon encadrée par desstades biologiques définis. Considérant que la vie prénatale est un processus continu, il n'envisage pas la possibilité de

distinguer le préembryon de l'embryon (voir no277-28). Or, l'avant-projet trace cette différence. Il introduit une référenceau stade de développement correspondant à la différenciation tissulaire pour fixer la limite au développement in vitrodes embryons destinés à la constitution de lignées de cellules souches. Le Comité recommande, lui, de se référer à la findu stade préimplantatoire, « c'est-à-dire au moment où l'embryon acquiert la capacité à s'implanter dans l'utérus »(ibid). Il conclut sur ce point en affirmant « son attachement à l'idée selon laquelle l'embryon humain doit, dès saformation, bénéficier du respect lié à sa qualité » (ibid).

Le législateur devra donc à nouveau s'interroger sur le statut qui doit être accordé aux toutes premières cellules de la viehumaine. Le rapport d'information déposé auprès de l'Assemblée nationale au vu de la révision de la loi pose clairementles termes de l'arbitrage : « il s'agit, pour le législateur français, de trouver un nouvel équilibre entre le principe dedignité due à l'embryon en sa qualité de personne humaine potentielle et le principe de solidarité vis-à-vis despersonnes atteintes de maladies graves, qui nourrissent légitimement des espoirs à l'égard des recherches sur les

cellules souches » (Rapp. inf. no 3208 déposé en application de l'article 145 du règlement par la mission d'informationcommune préparatoire au projet de loi de révision des « lois bioéthiques » de juillet 1994, le 27 juin 2001, rapporteur M.Claeys A.). L'objet des recherches est présenté à la fois comme une personne humaine potentielle, suivant ainsi lavolonté du CCNE, et comme un simple groupement de cellules.

277-33 Point de vue du législateur

277-33 - Point de vue du législateur

Le projet de loi no 3166 relatif à la bioéthique, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 20 juin 2001, proposede lever l'interdiction posée en 1994 et de permettre la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires et fœtales.Outre l'interdiction du clonage thérapeutique, qui devrait être formulée dans le Code civil et dans l'article L. 2151-1 duCode de la santé publique, le Gouvernement souhaite ouvrir la possibilité de mener des recherches sur les embryons invitro ne faisant plus l'objet d'un projet parental. Cette volonté est principalement motivée par le souci de bénéficier destraitements que de telles recherches pourraient offrir à des maladies incurables. Ces recherches seraient menées à partirde cellules souches embryonnaires. Le projet précise sur ce point que « les cellules d'un embryon à ses premiers stadesde développement sont totipotentes, c'est-à-dire capables de se différencier en autant de types cellulaires qu'il enexiste dans l'individu (…) or, les cellules totipotentes humaines n'existent (…) qu'aux stades embryonnaires initiaux. Les

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésA – Recherches sur l'embryon

Le Lamy droit de la santé

cellules totipotentes ont un plus grand pouvoir de multiplication. Les expériences menées sur la base de cellulesanimales ont ouvert de grands espoirs d'application chez l'homme, mais cette nouvelle médecine régénératrice nécessiteque soient menées des recherches à partir de cellules humaines. Les cellules adultes ne présentent pas les mêmescaractéristiques car elles sont plus pluripotentes que totipotentes. Les cellules embryonnaires restent donc le meilleur

modèle pour comprendre le mécanisme de différenciation cellulaire(Projet de loi AN no 3166 relatif à la bioéthiqueenregistrée à la présidence le l'Assemblée nationale le 20 juin 2001, p. 21).

Le Gouvernement propose d'importantes mesures d'encadrement de ces recherches : le Conseil d'Etat, dans son avisformulé lors de son assemblée générale du 14 juin 2001, envisage qu'un seul type de recherche puisse être autorisé. Ils'agirait des recherches conduisant à la mise au point de techniques permettant d'accéder aux cellules dites «totipotentes » susceptibles de donner naissance aux différents tissus qui constituent l'organisme (voir Le monde, 21 juin2001, p. 3), ce qui apporte des garanties apportées aux couples donneurs d'embryons à partir desquels seront menéesles expériences, système d'autorisation des ministres chargés de la Santé et de la Recherche, etc. (voir article 19 duprojet de loi ; C. santé publ., art. L. 2151-1 à L. 2151-4. Pour de plus amples développements, sur la recherche sur

embryons, voir no353-5 et s.). Cependant, rien n'est précisé quant au stade de développement de l'embryon sur lequel larecherche serait autorisée. M. A. Claeys, rapporteur de la mission d'information, insiste pourtant sur ce point dansl'exposé des limites et conditions qui doivent entourer la recherche. Il fait référence aux législations étrangères,notamment britannique, qui, après l'abandon du terme de « préembryon », restent sensibles au terme des quatorzejours. Ce délai correspond au moment où apparaît la gouttière primitive, ébauche du système nerveux. Le rapporteurrappelle également le choix posé par l'avant-projet du stade précédant la différenciation tissulaire (entre six et huitjours), rejeté par le CCNE au profit du stade préimplantatoire. Le projet de loi ne tranche pas, laissant aux débatslégislatifs le soin de décider. Il faut rappeler que la Convention d'Oviedo ne pose aucune obligation dans ce domaine,offrant une liberté de choix à chaque Etat. Un protocole additionnel est, néanmmoins, actuellement en préparation sur laprotection de l'embryon et du fœtus humains. Il devrait permettre aux Etats d'utiliser les embryons surnuméraires pour larecherche.

Les discussions menées au Parlement sur le délai limitant la recherche devront être suivies avec attention. En effet,cette barrière temporelle pourrait être considérée comme marquant la distinction entre les cellules humaines et laconstitution d'un être humain. Les termes du projet de loi, éclairés par le rapport d'information, encadrent clairement lesembryons concernés : il ne s'agit que d'embryons in vitro non viables :

— soit parce qu'ils ne seront pas implantés après manipulations ; l'article 19 du projet (C. santé publ., art. L. 2151-2)pose l'interdiction de concevoir des embryons à des fins de recherche ;— soit parce qu'ils sont issus d'une interruption de grossesse ; l'article 20 du projet de loi (C. santé publ., art. L. 1241-5) permet l'utilisation des cellules embryonnaires ou fœtales issues d'interruption de grossesse. Il vise à combler levide juridique existant en ce qui concerne le prélèvement, la conservation et l'utilisation de ces cellules.

Les embryons in utero sont exclus de la recherche, à maturation égale, ils auront donc une protection supérieure auxautres. Le projet de loi s'oriente ainsi vers la position que soutient depuis longtemps R. Frydman, selon laquelle lavolonté des géniteurs sur l'embryon lui accorde sa valeur (Frydman R., Dieu, la médecine et l'embryon, Odile Jacob, 1997,p. 202).

La prochaine intervention législative permettra, par l'intermédiaire de la délimitation de la recherche sur l'embryon, demieux sérier, a contrario, la qualification de personne humaine potentielle. Elle semble subordonnée à la volonté desparents de mener à terme le développement de l'embryon, qu'il soit déjà implanté ou cryoconservé en vue d'uneimplantation ultérieure. La notion d'« être humain » semble alors confondue avec celle de personne humaine potentielle.L'éclairage qu'apportera le législateur précisera peut-être, de la sorte, les bénéficiaires des droits fondamentaux, lesgaranties qui doivent leur être accordée et enfin facilitera l'arbitrage du Conseil constitutionnel entre les conflits dedroits.

277-34 Point de vue doctrinal

277-34 - Point de vue doctrinal

Certains auteurs sont favorables à ce partage en phases du développement humain : « il se trouve que nous devonschoisir quel niveau de protection accorder aux divers stades de la vie prénatale (…) la reconnaissance du concept depersonne humaine est graduelle et subjective car elle bute toujours sur l'énigme existentielle que représente laprocréation, il paraît dès lors évident que le concept de personne humaine ne relève pas de la science et celle-ci estincapable de nous dire quand la personne commence » (Mauron A., La législation sur les procréations médicalement

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésB – Droit à la vie de l'embryon

Le Lamy droit de la santé

assistées et l'article 24 novies de la Constitution, Médecine et hygiène 1995, p. 2160).

X. Dijon opère, quant à lui, des dissociations dans le statut de l'embryon mais qui ne sont pas basées sur sa maturation.Il relève d'abord la différence de traitement qu'accordent le droit civil et le droit pénal à l'embryon : « la détresse de lamère enceinte lève la protection légale que la répression pénale avait dressée autour de l'embryon désormais livré à ladestruction, et en même temps cet être bénéficie de tous les enrichissements qui lui viendraient de la succession,donation ou testament » (Dijon X., Droit naturel, t. 1, Les questions du droit, PUF, coll. « Thèmes droit privé », 1998, p.113 et 114). Il pense encore que l'on doit distinguer entre l'embryon in vitro suivant qu'il est issu de l'avortement ou dela fécondation in vitro (FIV) et pose alors qu'il faut créer de nouveaux concepts, en droit comme en science, comme celuide « préembryon ». Il sépare enfin l'embryon in vitro et in utero afin que les scientifiques ne se servent pas du prétextede la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse pour revendiquer la légalisation des manipulationsgénétiques.

Il est évident que cette parcellisation des différentes périodes de la vie prénatale est artificielle et aléatoire. Elle esttoutefois basée sur des situations juridiques et/ou scientifiques existantes. Face à l'objection du continuum d udéroulement de la vie, on peut d'ailleurs soulever que le droit établit déjà des distinctions entre les différents stades dela vie. Ainsi, un individu n'a pas les mêmes droits ni les mêmes obligations avant et après sa majorité ; pourtant, lafrontière des dix-huit ans est artificielle (elle a d'ailleurs varié) et ne correspond pas fondamentalement à une évolutionbiologique. La révision des lois de 1994 permettra de savoir si un tel raisonnement peut être concrétisé. Il fautégalement rappeler que le Conseil constitutionnel ne s'oppose pas à ce qu'une distinction soit faite entre les embryons

in et ex utero (Le considérant 9 de la décision no 94-343-344 du 27 juillet 1994 du Conseil constitutionnel déclare : «considérant que le législateur a assorti la conception, l'implantation et la conservation des embryons fécondés in vitrode nombreuses garanties ; que, cependant, il n'a pas considéré que devait être assurée la conservation, en toutescirconstances, et pour une durée indéterminée, de tous les embryons déjà formés ; qu'il a estimé que le principe durespect de tout être humain dès le commencement de sa vie ne leur est pas applicable ; qu'i l a par suitenécessairement considéré que le principe d'égalité n'était pas non plus applicable à ces embryons » (Cons. const., 27

juill., 1994, no 94-343-344, Rec. const. const., I, p. 594).

277-35 Statut de l'embryon

277-35 - Statut de l'embryon

Le terme d'« embryon », entré dans le domaine législatif en 1994, désigne le stade de développement qui marque lepassage de la cellule unique (ou zygote) à un ensemble complexe de cellules (ou fœtus), il s'agit donc de la période quiva de la fécondation aux deux premiers mois ; à ce terme, les organes et les membres sont formés, donnant à l'embryonune forme humaine. Toutefois, cette définition n'est pas communément admise. Ainsi, le CCNE, dans son rapport de1984, accorde l'expression d'« embryon humain » à « tous les stades de développement du zygote depuis la fécondationde l'ovule jusqu'au stade de la maturation permettant une vie autonome hors du corps maternel soit vers la vingtcinquième semaine gestationnelle (600 grammes) ». En 1986, le CAHBI (Comité hoc d'experts sur la bioéthique) a retenu« tous les stades de développement du zygote avant le stade fœtal qui est atteint à la huitième semaine de lagrossesse ». Cependant, aucun texte de droit ne définit véritablement ce qu'est l'embryon, comme le relève la cour deVersailles dans un arrêt du 8 mars 1996 : « Ni les textes de droit interne ni aucun texte de droit international applicablesen France ne conduisent à une définition ou à un statut de l'embryon humain avant la fin de la dixième semaine et que,par conséquent, pendant cette même période, l'embryon ne saurait être titulaire de droit subjectif » (CA Versailles, 8

mars 1996, cité in Byk C., L'embryon jurisprudentiel, Gaz. Pal., no spécial droit de la santé, nos 297 et 298, 1997, p. 50).

J.-F. Niort rappelle qu'il existe un large éventail de positions doctrinales sur le statut qui doit être accordé à l'embryon(Niort J.-F., L'embryon et le droit : un statut impossible, RRJ 1998, p. 463). La première position consiste à considérerque l'embryon est une personne juridique à part entière et qu'il doit donc bénéficier de la même protection que lesindividus déjà nés. Le deuxième courant doctrinal reconnaît également l'embryon comme une personne juridique, maisqui ne dispose pas de l'intégralité des droits d'une personne née et n'en a pas la capacité d'exercice (par exemple, ledroit à la vie de l'embryon n'est que relatif). La troisième voie n'accorde à l'embryon que la personnalité juridique «conditionnelle », « en devenir » ou « potentielle » ; il ne jouit pas du statut de personne juridique parce qu'il ne disposepas d'une autonomie suffisante. La quatrième attitude consiste à penser que l'embryon est bien sujet de droit, maisn'est pas une personne juridique. D'autres estiment encore que l'embryon n'est pas une personne juridique, mais un êtrehumain, qui, à ce titre, doit bénéficier d'une protection minimale. Enfin, la position extrême est d'assimiler l'embryon àune chose et de ne lui reconnaître aucune protection juridique.

Il est très difficile de pouvoir trancher définitivement en faveur de l'une de ces conceptions, et le juriste ne peut, à lui

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésB – Droit à la vie de l'embryon

Le Lamy droit de la santé

Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 1 Droits concurrentiels et conditionnésB – Droit à la vie de l'embryon

Le Lamy droit de la santé

seul, régler une question aussi complexe que celle de la nature de l'embryon. Cependant, un statut juridique existe déjàde facto dans les législations applicables sur le sujet, c'est-à-dire essentiellement celles relatives à l'interruptionvolontaire de grossesse, ainsi que les règles d'état civil réglementant la prise en compte des dépouilles des nasciturus.J.-F. Niort confirme que tenir compte des législations existantes est le seul moyen de rester cohérent au plan juridique :« il convient plutôt de partir du fait que le législateur a émis un certain nombre de propositions et de règles juridiquessur la question, et que, sur cette base, on peut rechercher à construire un statut techniquement approprié » (Niort J.- F.,L'embryon et le droit : un statut impossible, précité, p. 465).

277-36 Apports législatifs

277-36 - Apports législatifs

Ainsi, on sait que la loi no 75-17 du 17 janvier 1975, relative à l'interruption volontaire de grossesse apporte uneprotection plus faible de la vie intra-utérine dans les dix premières semaines de la vie. A ce stade, le droit de la mèresur son corps prime celui de vivre de l'enfant à naître. Il serait donc incohérent d'y reconnaître l'existence d'unepersonnalité juridique, puisque le droit même de vivre n'est pas garanti à cette éventuelle personne juridique. Lacohérence du droit positif serait assurée si le terme d'« embryon » se limitait (arbitrairement, il est vrai) aux dixpremières semaines d'aménorrhée, le terme de « fœtus » lui faisant suite. Il est vrai que cette période ne correspondpas tout à fait à la position scientifique qui fait commencer le stade fœtal à partir de la huitième semaine. Or, lelégislateur n'a pas choisi de se conformer à cette position scientifique ; au contraire, il a allongé ce délai pour régler lasituation de détresse qui conduit chaque année 5 000 femmes à se rendre à l'étranger pour pouvoir avorter au-delà dedix semaines.

La loi du 4 juillet 2001 (L. no 2001-588, 4 juill. 2001, JO 7 juill., p. 10823) relative à l'interruption volontaire degrossesse et à la contraception modifie l'article L. 2212-1 du Code de la santé publique pour permettre à la femmeenceinte, que son état place dans une situation de détresse, de demander à un médecin l'interruption de sa grossesseavant la fin de la douzième semaine de grossesse. La France s'est ainsi alignée sur le délai retenu dans de nombreuxpays d'Europe : l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Grèce, l'Italie et le Portugal retiennent le délai dedouze semaines et certains pays vont même au-delà (dix-huit semaines en Suède, vingt-deux semaines aux Pays-Bas,vingt-quatre semaines en Grande-Bretagne). Le stade de maturité exigé pour que la vie ne dépende plus de la volontéde la mère est ainsi reculé. Les soixante-treize sénateurs, auteurs de la saisine devant le Conseil constitutionnel, ontd'ailleurs fait remarquer que cette disposition entraînait une atteinte à la vie d'un être qui n'est plus un embryon mais unfœtus : « L'état actuel de la science, que la sagesse du législateur de 1975 est d'ailleurs depuis venue conforter sur cepoint, permet pleinement de regarder le délai de dix semaines comme correspondant au stade de l'embryon, alors que leseuil de la douzième semaine conduit à le faire regarder, au terme de l'évolution biologique qui va du stade des gamètesfécondées à celui de l'enfant à naître, comme étant graduellement devenu un fœtus », d'après la lettre de saisine du

Conseil constitutionnel par plus de soixante sénateurs (Cons. const., 27 juin 2001, no 2001-446 DC). Le gouvernementjustifie cette prorogation sur la base des consultations scientifiques effectuées antérieurement à l'élaboration du projetde loi. L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé interrogée ne relève, en effet, aucune différencedéterminante entre les dix et douze semaines de grossesse tant pour l'évolution de l'embryon que pour la santé de lamère (observations du gouvernement du 15 juin 2001 sur le recours dirigé contre la loi relative à l'interruption volontairede grossesse et à la contraception). Le Comité consultatif national d'éthique, saisi par les présidents du Sénat et del'Assemblée nationale, n'oriente pas sa réflexion sur l'éventuelle différence de statut du nasciturus entre la dixième et ladouzième semaine. Il relève simplement que « cette proposition d'allongement à 12 semaines du délai légald'interruption volontaire de grossesse résulte d'une demande de la société plutôt qu'elle n'est la conséquence d'un

progrès médical ou scientifique » (CCNE, avis no 66, 23 nov. 2000, réponse du CCNE aux saisines du président du Sénatet du président de l'Assemblée nationale sur l'allongement du délai d'interruption volontaire de grossesse). Cetteposition est d'ailleurs tout à fait conforme à celle toujours soutenue par le CCNE selon laquelle on ne doit pas distinguerau sein du processus continu qu'est la croissance in utero du nasciturus. Le CCNE se contente de répondre par lanégative aux interrogations soulevées sur les risques de dérives eugéniques.

La France s'est donc rangée à la position la plus commune en Europe, celle des douze premières semaines. On peutconsidérer que la période embryonnaire est fixée arbitrairement par le législateur aux trois premiers mois de la vieprénatale, les droits de la mère étant durant cette période supérieurs à ceux de l'enfant qu'elle porte. Ce n'est qu'après

ce stade que commence la vie du fœtus, doté d'une protection renforcée (pour plus de précisions sur l'IVG, voir no326).

277-37 Influence de la naissance

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Partie 2 Acteurs de santéLes bénéficiaires de soinsEtude 277 L'être humainSection II L'être humain, sujet de droit ?

§ 2 Homicide sur le fœtus, personne humaine potentielle

Le Lamy droit de la santé

277-37 - Influence de la naissance

La valeur reconnue par la société à la vie prénatale est confirmée par le sort que l'on réserve aux dépouilles desnascituri. Il n'est pas accordé le même statut à leur dépouille qu'au cadavre d'une personne humaine, tant pour lesformalités administratives que d'inhumation. Les enfants mort-nés après une gestation inférieure à cent quatre vingtjours ne sont pas enregistrés à l'état civil. Ils sont soumis aux formalités de la déclaration administrative visée à larubrique 462 de l'instruction générale relative à l'état civil. La circulaire JUSC9320/34C du 3 mars 1993 (JO 24 mars, p.4451-4557) relative à l'état civil, à la famille, aux droits de l'enfant dispose que, dans ce cas, l'officier d'état civil établitun acte d'enfant sans vie. Les corps des embryons avortés sont considérés comme des déchets hospitaliers. Ainsi, dupoint de vue du droit, la dépouille de l'embryon ou du fœtus n'est pas regardée comme une dépouille humaine (voir pourde plus amples détails, Arnoux I., Les droits de l'être humain sur son corps, PUF, 1994, p. 57-59).

Les règles qui régissent l'inhumation ne lui sont pas applicables. Pourtant, à partir du deuxième mois, le corps dunasciturus a déjà la forme humaine, ce n'est donc pas l'aspect humain du corps qui influe sur la personnalité (MémeteauG., Vie biologique et personnalité juridique, in La personne humaine, sujet de droit, Quatrièmes journées René SavatierPoitiers, 25 et 26 mars 1993, PUF, 1994, p. 45). On doit aussi rejeter les thèses qui soutiennent la théorie suivantlaquelle l'embryon acquiert le statut d'être humain par destination, parce que son corps est humain (Murat P., Décèspérinatal et individualisation juridique de l'être humain, RTD sanit. et soc., juill.-sept. 1995, p. 471). On peut de la sortes'interroger sur la possibilité de réalisation de la conception de la personnalité juridique de X. Dijon, selon lequel « s il'objectivité pour autrui du sujet lui est donnée d'emblée en et par son corps, alors la qualification "sujet de droit" nepeut dépendre d'une décision arbitraire du pouvoir » (Dijon X., Droit naturel, t. 1, les questions du droit, PUF, coll. «Thèmes droit privé », 1998). Si cette conception objective du corps humain se produit, ce n'est que pour le fœtus et nonpour l'embryon.

Comme le rappellent G. Mémeteau (Mémeteau G., La situation juridique de l'enfant conçu, de la rigueur classique àl'exaltation baroque, RTD civ. 1990, p. 616-618. G. Mémeteau expose, dans ces quelques pages, les différentes théoriesdes seuils de personnalisation de l'embryon qui ne seront pas reprises ici. G. Atkinson, en 1977, a ainsi proposé dix-neufstades de références, depuis la fertilisation jusqu'à la capacité de donner un sens à sa vie. Fletcher n'en a proposé quequinze parmi lesquels on trouve la curiosité et l'intelligence minima) et G. Raymond (Raymond G., Le statut juridique del'embryon humain, Gaz. Pal. 1993, 1, doct., p. 527-528), on ne peut donc reconnaître à l'embryon qu'une personnalitéconditionnelle et incomplète, car elle est soumise à la naissance. La naissance fait ainsi passer l'embryon comme lefœtus d'une capacité civile potentielle à une pleine capacité de jouissance (de même que l'arrivée à l'âge de dix-huit ansfait passer le mineur d'une capacité d'exercice réduite à une pleine capacité civile). La naissance doit cependantintervenir entre cent quatre vingt et trois cent jours après la fécondation pour que le fœtus puisse revendiquer certainsdroits patrimoniaux, qui ne s'appliquent donc pas à l'embryon, et prouver sa filiation. Le fœtus dispose, commel'embryon, d'une capacité de jouissance, car il peut être titulaire de droits patrimoniaux et extra patrimoniaux. Il n'acependant qu'une capacité partielle d'exercice.

Sa personnalité juridique n'est que conditionnelle, car la règle de l'infans conceptus le soumet à une naissance, vivant etviable. Il est également soumis à la possession de sa mère qui peut décider de son sort. La Common Law considèred'ailleurs que seule la naissance confère la qualité de personne, donc la personnalité (Mémeteau G., Vie biologique etpersonnalité juridique, précité, p. 36).

Cette personnalité conditionnelle et incomplète est également celle du fœtus, selon les mêmes modalités, sauf en ce quiconcerne la condition potestative de la mère qui est amoindrie. Toutefois, cette personnalité juridique peut sembler plusaccomplie puisque s'est posée, à plusieurs reprises, la question de l'existence d'un homicide sur un fœtus.

277-38 Seuil de viabilité

277-38 - Seuil de viabilité

Les évolutions biotechnologiques de la fin de ce siècle ont permis d'envisager très différemment la vie intra-utérine ;l'évolution du diagnostic prénatal et de la thérapie génique a fait de l'embryon et du fœtus de véritables patients (MatteiJ.-F., Qu'est-ce que l'embryon ?, in L'embryon humain est-il humain ?, Forum Diderot, PUF, 1997, p. 47). La vie prénataleest donc beaucoup plus « personnifiée ». On retrouve d'ailleurs ce comportement dans la terminologie juridique : lepassage du respect de l'être humain dès le commencement de « la » vie en 1975 au commencement de « sa » vie

marque cette volonté de personnification (L. no 75-17, 17 janv. 1975). Ainsi, si une meilleure connaissance de l'embryonpréimplantatoire incite à le comparer à une chose, celle du fœtus conduit à l'assimiler à une personne. Le recul du seuilde la viabilité et de la réanimation des enfants prématurés permet d'ailleurs d'avancer le moment où le nasciturus entre

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dans la société. Si l'enfant était véritablement traité comme une personne chaque fois que c'est son intérêt, l'empêcherde vivre serait un meurtre (Goubeaux G., Traité de droit civil, Les personnes, sous la direction de Ghestin J., LGDJ, 1989,p. 54). Or, il existe une jurisprudence importante en France qui reconnaît que attenter à la vie du fœtus est un homicide.Pourtant, le fœtus ne peut pas être considéré comme une personne et avoir une personnalité juridique complète, il nepeut être qu'une personne humaine potentielle.

Certains pays posent clairement que le droit à la vie n'est pas garanti pour le fœtus. Dans un arrêt de 1987, « Borowskicontre Attorney General of Canada » (C. suprême Canada, Borowski c/ Attorney General of Canada (1987) 4 W.W.R. 385(C.A. Sask)), la Cour suprême du Canada a affirmé que le droit de chacun à la vie, assuré par l'article 7 de la Charte desdroits et libertés, ne s'applique pas au fœtus. A l'inverse, certains Etats des Etats-Unis admettent que les parentsobtiennent des réparations pour la perte d'un enfant in utero, à la suite d'un acte fautif d'un tiers en l'assimilant, parinterprétation de la loi, à un enfant déjà né.

En France, la jurisprudence a évolué pour reconnaître, en 1997, le délit d'homicide involontaire pour la mort d'un fœtusde vingt-quatre semaines. Classiquement, les infractions contre les personnes et notamment l'homicide, les coups etblessures par imprudence ou l'omission de porter secours à une personne en danger ne se concevaient qu'à l'égard d'unevictime non pas dotée de la personnalité juridique, mais du moins viable, c'est-à-dire qu'elles ne s'appliquaient pas surun être déjà mort ou non viable (Murat P., Réflexions sur la distinction être humain/personne juridique, Dr. famille, sept.1997, p. 5). Ainsi, si le seuil de viabilité du fœtus n'était pas atteint, les cours ne relevaient pas la qualificationd'homicide. On trouve un exemple de cette position jurisprudentielle dans un arrêt du 9 novembre 1951 (CA Paris, 9 nov.1951, Gaz. Pal. 1952, 1, jur., p. 236), où la cour d'appel de Paris avait rejeté un homicide involontaire, aux motifs que lamère était enceinte de six mois et demi et qu'il n'était donc pas prouvé que l'enfant pût vivre. Mais l'existence d'une vieautonome n'est pas requise pour que soit retenue l'atteinte à la vie intra-utérine. Dans un arrêt de 1957, la Cour decassation a établi qu' « il y a homicide dès lors que l'enfant, dont le cœur battait lors de la naissance, a bien respiré etque, dans ces conditions, le décès est dû à la maladresse du médecin » (Cass. crim., 14 juin 1957, D. 1957, jur., p. 512).

Le seuil de viabilité restant déterminant, les juges retenaient l'homicide involontaire sur le fœtus de neuf mois, c'est-à-dire pour les négligences ayant entraîné sa mort au moment de la naissance. La jurisprudence illustrant cette position

est assez abondante (jurisprudence citée par Puigelier C., L'homicide involontaire du fœtus, Dr. pénal 1997, p. 4, no 10).La Cour d'appel d'Amiens, par un arrêt du 28 avril 1964 (CA Amiens, 28 avr. 1964, Rev. sc. crim. 1964, p. 615, obs.Hugueney L.), a condamné une sage-femme d'homicide involontaire pour avoir provoqué la naissance d'un enfant mort-néen tardant à intervenir lors de l'accouchement. La cour d'appel de Douai, le 2 juin 1987 (CA Douai, 2 juin 1987, Gaz. Pal.1989, 1, doct., p. 45, note Doucet J.-P), a condamné pour homicide involontaire l'auteur d'un accident de la circulation quiavait conduit à extraire par césarienne un enfant mort-né de neuf mois. Enfin, la cour d'appel de Bordeaux, dans un arrêtdu 22 mars 1996 (CA Bordeaux, 22 mars 1996, Procureur général c/ Fagetou), a condamné un gynécologue pour homicideinvolontaire, car il avait tardé à effectuer une césarienne, provoquant la mort de la mère et de l'enfant.

Toutefois, le seuil de viabilité a beaucoup évolué depuis 1951 et un fœtus de vingt quatre semaines peut désormais vivreen dehors du sein maternel. C'est ce qui a vraisemblablement motivé la cour d'appel de Lyon en 1997. Mme Thi-Nho Vos'était présentée, le 27 novembre 1991, à l'hôpital Hôtel-Dieu à Lyon pour la visite médicale de son sixième mois degrossesse. Le praticien gynécologue-obstétricien de l'hôpital, le docteur Golfier, commettait alors une confusion avecMme Thi Thanh Van Vo venue se faire ôter un stérilet. L'intervention, qui n'avait été précédée d'aucun examen préalable,provoqua une rupture de la poche des eaux. La patiente fut hospitalisée, mais la grossesse ne put se poursuivrenormalement et Mme Vo dut subir une interruption thérapeutique de grossesse, le 5 décembre 1991.

Le fondement juridique de l'instruction était celui d'avortement, prévu et réprimé par l'article 317 du Code pénal. Maisdevant l'absence de caractère volontaire des faits reprochés, cette qualification fut abandonnée par la partie au profit decelle de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail de moins de trois mois. C'est le procureurgénéral qui, dans son réquisitoire, ajouta la qualification d'homicide involontaire à l'égard du fœtus, considérant qu' «au-delà de trois mois, le fœtus devenait un sujet de droit ». En fait, cet argument établissant un lien entre personnalitéjuridique et vie humaine, puisé dans l'article 311 du Code civil, était critiquable et a été écarté par les juges de premièreinstance (Serverin E., note sous CA Lyon, 13 mars 1997, D. 1997, jur., p. 559). Les premiers juges se fondèrent sur lecritère de viabilité, qu'ils fixèrent au vu des « connaissances acquises de la science » à six mois. Ils considéraient ainsique « le fœtus âgé de 20 à 21 semaines n'était pas une personne humaine ou autrui au sens des article 319 ancien et221-6 du nouveau Code pénal». La décision de première instance précisait, en effet, que les mensurations de l'enfantpratiquées après l'interruption thérapeutique, comparées aux tables publiées, avaient permis d'attribuer à ce fœtus unâge de 20 à 21 semaines. Toutefois, ces tables ne tiennent pas compte de la morphologie propre aux enfants d'originevietnamienne. Le poumon fœtal présentait un âge de 20 à 24 semaines, cette fourchette étant retenue par les jugesd'appel. Les juges de première instance relaxèrent donc le docteur Golfier du chef d'homicide involontaire. Sur appel de lapartie civile et du ministère public, la cour d'appel de Lyon déclara, le 13 mars 1997 (CA Lyon, 13 mars 1997, Procureur

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général c/ X., D. 1997, jur. p. 557, note Severin E., JCP éd. G 1997, II, note Faure G., Defrenois 1997, art. 36578, noteMalaurie Ph., Dr. pénal 1997, chr. 22, note Puigelier C.), le docteur Golfier coupable du délit d'homicide involontaire pouravoir causé la mort, par sa négligence, d'un fœtus âgé de 20 à 24 semaines et en parfaite santé.

La cour a rejeté le seuil de viabilité fixé par les premiers juges et a fait application au fœtus, contrairement aux premiersjuges, des articles du Code pénal qui protègent la vie de la personne humaine. La cour basa sa décision sur l'ensembledes textes nationaux et internationaux assurant le droit à la vie : l'article 2 de la Convention européenne des droits de

l'homme, l'article 6 du Pacte international sur les droits civil et politiques, l'article 1er de la loi no 75-17 du 17 janvier1975, le nouvel article 16 du Code civil, etc. Curieusement, la cour fit également référence à deux arrêts de la Chambrecriminelle de la Cour de cassation du 27 novembre 1996 qui font application des mêmes textes, pour sanctionner un délit

d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (Cass. crim., 27 nov. 1996, nos 96-80.318 et 96-80.223). Elle s'estservie en fait de ce précédent a contrario pour démontrer que, si la législation française tolère l'avortement, elle protègela vie par principe, et ce, à partir de la onzième semaine, date à laquelle le délai légal pour l'interruption volontaire degrossesse expirait.

L'interprétation des textes en vigueur en la matière est donc que la vie humaine est strictement protégée de la onzièmesemaine jusqu'au terme. Le fait que l'embryon soit viable en dehors du sein maternel n'a aucune incidence sur cetteprotection. De la sorte, les juges de première instance, en tenant compte du seuil de viabilité, ont distingué là où la loine distingue pas. La cour souligne que cette notion de viabilité est « scientifiquement incertaine, et de surcroîtdépourvue de toute portée juridique ».

Cet arrêt apporte donc une conception très nouvelle de la vie intra-utérine. Il réaffirme l'interprétation de la loi de 1975comme attribuant une valeur croissante à la vie du nasciturus. Il paraît alors évident que reconnaître au fœtus, et non àl'embryon, un droit à la vie, c'est le considérer comme un sujet de droit. Le fœtus aurait donc une personnalité juridique.Cette personnalité n'est cependant que conditionnelle, puisqu'elle reste subordonnée au fait de naître en étant vivant ouviable. Cette jurisprudence permet aussi de confirmer que la vie prénatale peut se découper entre le stade d'embryon etde fœtus, cette dernière qualification ne pouvant être attribuée au nasciturus qu'après la treizième semaine sous l'égidede la nouvelle loi.

Toutefois, la Cour de cassation n'a pas suivi le raisonnement de la cour d'appel. Dans un arrêt de sa Chambre criminelledu 30 juin 1999, elle a cassé l'arrêt du 13 mars 1997, considérant que « les faits reprochés au prévenu n'entrent pas

dans les prévisions des articles 319 ancien et 221-6 du Code pénal» (Cass. crim., 30 juin 1999, no 97-82.351, Bull. crim.,

no 174, note Vigneau D., D. 1999, chr., p. 170 ; note Malaurie Ph., Defrénois 1999, p. 1048 ; Mayaud Y., Rev. sc. crim.

1999, p. 813 ; obs. Mayaud Y., Petites affiches, 17 nov. 1999, no 229, p. 15-19, note Debove F., JCP éd. G 2000, I, p. 235,

note Maron A., Robert J.-H., Véron M., Médecine et Droit, mai-juin 2000, no 42, p. 18 ; Daver C., L'interruption volontaire

de grossesse sur un fœtus de cinq mois et demi ne constitue pas un homicide involontaire, RGD médical 1999, no 2, p. 5

; Rebut D., La loi pénale est d'interprétation stricte, Dr. famille 1999, no 12, chr. 20 ; Lesaulnier F., De la protection

pénale de l'être humain en gestation, Médecine et Droit avr. 2000, no 41, p. 10 ; Rassat M.- L., La victime des infractions

contre les personnes après l'arrêt de la Chambre criminelle du 30 juin 1999, Dr. pénal 2000, chron. no 12). La Cour decassation a notamment relevé que la viabilité est une notion scientifique contingente et incertaine qui est dépourvue detoute portée juridique puisque la loi n'opère aucune distinction à cet égard. Elle ne retient pas le lien de causalité entrela faute reprochée au médecin et la mort du fœtus. Ainsi, la Cour de cassation tranche le débat sur le commencement dela vie en ne retenant pas la qualification de personne humaine pour le fœtus. Comme le fait remarquer F. Debove, « laChambre criminelle distingue clairement entre le droit à la vie (consacré et protégé) et le droit de naître (inexistant etchimérique) » (Debove F., précité, p. 19). La Cour de cassation retient donc uniquement l'événement de la naissance pourmarquer le début de la personnalité juridique.

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