+ All Categories
Home > Documents > Reconstitution navale expérimentale au Proche-Orient ancien: aspects scientifiques, TIC et...

Reconstitution navale expérimentale au Proche-Orient ancien: aspects scientifiques, TIC et...

Date post: 27-Jan-2023
Category:
Upload: univ-brest
View: 0 times
Download: 0 times
Share this document with a friend
42
Master « HST, TIC & médiations culturelles » Mention Sciences et Techniques des Mondes Antiques 2013-2014 Reconstitution navale expérimentale au Proche-Orient ancien BOUDJEMA Maëva [email protected] Sous la direction de Mr. Grégory Chambon Résumé : A travers un exemple de projet de reconstitution navale expérimentale actuel (Le Projet Eleppu) , il s'agit de mettre en avant les étapes variées d'un tel processus. Mots Clefs : Proche-Orient ancien, reconstruction à l'échelle, construction navale antique, médiation culturelle, TIC (technologies de l'information et de la communication). Abstract : Trough an actual exemple of a full-scale ship reconstruction ( The Eleppu Project), this work tries to show the different various stages of the processus. Keywords: Ancient Near East, full-scale reconstruction, ancient shipbuilding, cultural mediation, ICTs (information and communication technologies) 1
Transcript

Master « HST, TIC & médiations culturelles »Mention Sciences et Techniques des Mondes Antiques

2013-2014

Reconstitution navale expérimentale au Proche-Orient ancien

BOUDJEMA Maë[email protected]

Sous la direction de Mr. Grégory Chambon

Résumé : A travers un exemple de projet de reconstitution navale expérimentale actuel (Le Projet Eleppu) , il s'agit de mettre en avant les étapes variées d'un tel processus.

Mots Clefs : Proche-Orient ancien, reconstruction à l'échelle, construction navale antique, médiation culturelle, TIC (technologies de l'information et de la communication).

Abstract : Trough an actual exemple of a full-scale ship reconstruction (The Eleppu Project), this work tries to show the different various stages of the processus.

Keywords: Ancient Near East, full-scale reconstruction, ancient shipbuilding, cultural mediation, ICTs (information and communication technologies)

1

Introduction La navigation dans l'Antiquité est un sujet qui est étudié depuis de nombreuses années : navigation fluviale et maritime, commerce méditerranéen, navires grecs, phéniciens ou encore égyptiens... Les angles de recherches sont ainsi extrêmement vastes et attirent encore aujourd'hui les chercheurs puisqu'une multitude de questions reste malgré tout sans réponses. Le projet franco-allemand Eleppu a pour but original la tentative de reconstitution intégrale et grandeur nature d'un navire mésopotamien antique. Pour ce faire, il s’agit de mettre en place toute une méthode de travail et de recherche autour de ce projet d’envergure considérable qui ne pourra prendre forme sans l’aide d’experts de tous horizons (assyriologues, spécialistes en architecture navale, charpentiers, menuisiers, informaticiens…). Le but final est de présenter ce navire dans le cadre des Tonnerres de Brest 2016. Mais plusieurs questions se posent. Comment reconstituer un navire à l’aide de sources antiques parfois rares ou inexistantes? Peut-on prendre en exemple des navires antiques liés à d'autres régions du monde afin de corréler leur structure à celle de notre navire mésopotamien? Jusqu’où sommes nous limité et pouvons nous extrapoler lorsque nous n’avons pas d’autres solutions ni d’informations suffisantes? Comment mettre en valeur ce projet et créer une exposition accessible au grand public ?

Problématique et cartes conceptuellesA travers les questions évoqués précédemment, je propose d'établir l'angle de réflexion dont il sera question dans cette étude comme le suivant :

Comment exploiter des sources antiques et quels outils utiliser pour mettre en place un projet d'envergure à la fois scientifique et culturelle?

L'exemple du Projet Eleppu: la reconstitution grandeur réelle d'un navire mésopotamien

Carte 1 . Différents aspects du cycle de vie d'un artefact (objet produit par l'Homme)

2

Carte 2. L'artefact « navire mésopotamien »

3

Un état des lieux Le Projet Eleppu n'est pas le premier du genre a avoir comme ambition la reconstitution d'un navire antique. En effet, plusieurs travaux de ce type ont déjà été menés à terme et nous nous intéresserons d'ailleurs à deux exemples dans cette étude. La spécificité du projet réside dans le fait qu'il s'agit d'orienter les recherches sur la navigation au Proche-Orient ancien et en particulier en Mésopotamie. Les sources relatant la construction de navires de cette région sont en effet assez rares et reconstruire une embarcation mésopotamienne ne peut se faire sans de multiples recherches iconographiques, textuelles et archéologiques. Il faut noter que ce projet a une double ambition. Il tente d'établir des preuves scientifiques dans un domaine où les hypothèses sont nombreuses. Par ailleurs cette expérience démontre une volonté notable de mise en valeur d'une culture ancienne et de partage de connaissances. Actuellement, l'archéologie sous-marine révèle quelques épaves, comme récemment en Méditerranée1 . Ces découvertes renseignent sur les techniques anciennes d'élaboration des navires. Mais la difficulté de compréhension des techniques de construction navale antique est plus complexe en Mésopotamie où la navigation était en majorité fluviale et où le climat ne laisse guère de chance aux matériaux d'époque...

Corpus de référence2 et outils TIC utilisésLes sources utilisées pour réaliser ce travail sont majoritairement les traductions des Archives Royales de Mari (ARMT). Elles apportent à elles seules la vision directe d'une société qui nous est inconnue et ce, dans tous les domaines (y compris la navigation). Ces archives sont en revanche très fournies et proposent parfois des traductions hypothétiques. Les sources iconographiques, principalement des reliefs, et sceaux-cylindres sont aussi des bases quant à ma réflexion.De nombreuses sources secondaires m'ont aussi été nécessaires : des études de spécialistes de la navigation antique (du Proche-Orient et de la Méditerranée) ainsi que des articles d'assyriologues concernant la navigation fluviale.

En ce qui concerne ma posture face à la problématique, je considère cette étude comme une volonté d'établir un aperçu général de ce qu'est la recherche dans un tel projet. Il ne s'agit en aucun cas de prendre la place de spécialistes mais plutôt de proposer une méthode d'approche des problèmes rencontrés par les chercheurs dans de tels cas. Je n'évoque pas séparément un domaine précis de l'histoire, les TIC ou la médiation culturelle, je les combine.

Mon travail s'est aussi organisé grâce à l'utilisation d'outils tels que Zotero (bibliographie numérique), Excel et Cmaps Tools ( création de carte conceptuelle). Ces choix m'ont permis de gérer la multitude d'informations qui s'est trouvée à ma disposition et de choisir au mieux les données les plus pertinentes qui ont servi ma réflexion.

1 En mars 2014, une épave dont la coque est "cousue" et datant probablement du XII ème s. avt. J.-C. a été retrouvée au large de la Croatie.

2 Voir bibliographie

4

TABLE DES MATIERES

PARTIE 1: LE PROJET ELEPPU ...............................................................................................p.71.1. Présentation1.2. Région étudiée1.2.1. Délimitations géographiques et physiques1.2.2. Le couple Tigre-Euphrate1.3. Navigation fluviale1.3.1 Généralités1.3.2. Communautés de pratiques1.4. Typologie des embarcations et construction navale1.4.1 Bateaux et radeaux1.4.2. Autres embarcations1.4.3. Matériaux et outils1.5. Techniques et questionnements

PARTIE2: RECONSTITUTION NAVALE EXPERIMENTALE: déf, enjeux,exemples ........p.182.1.Tentative de définition2.2. Entre ambitions et enjeux2.2.1 Un double défi pour les chercheurs2.2.2. La question de la certitude2.3. L'exemple de deux projets de reconstitution navale expérimentale menés à terme2.3.1. Le Magan Boat Project et le Min of the Desert: les raisons de ces choix2.3.2. Le bateau de Magan2.3.3. Le Min of the Desert

PARTIE 3: L'INTERET DES TIC ET DE LA MEDIATIONCULTURELLE .....................p.333.1. Les TIC au service du projet- Le logiciel Calcoque-La création d'un site Web3.2. La médiation culturelle comme moyen de partage

CONCLUSION.............................................................................................................................p.36BIBLIOGRAPHIE/ WEBOGRAPHIE ........................................................................................p.37ANNEXES.....................................................................................................................................p.40

5

Abréviations bibliographiques ARMT: Archives Royales de Mari Traduction DCM: Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne (Francis Joannès (dir.)) Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2001.POEA: Le Proche Orient et l’Égypte antiques (Margueron, J.-C., Pfirsch, L.), Paris, Hachette, (2000)

Précision s Les mots en sumérien sont écrits en MAJUSCULE et les noms en akkadien en minuscule italique.Les dates ne sont données qu'à titre indicatif

Chronologie simplifiée (Mésopotamie) Dynasties archaïques (-2800-2350)Rois mythiques (Gilgamesh), Episode du délugeEmpire d'Akkad (-2340-2150)Règne de Sargon d'akkad (-2340-2284)III e dynastie d'Ur (-2111-1939)Développement des relations commerciales du Golfe Persique à l'IndusEpoque des royaunes Amorites(-1938-1760)Zimri-Lin roi de Mari (-1874-1760)Empire Babylonien (-1792-1750)Stèle d'Hammurabi (-1760)Bronze récent (-1500-1200)Empire Assyrien (-900-606)Empire Néo-Babylonien (-612-539)Empire Perse(-538-331)

6

PARTIE 1 : LE PROJET ELEPPU

1. 1. PRESENTATION Dirigé par messieurs Grégory Chambon et Ariel Bagg (Université de Heidelberg, Allemagne), le Projet Eleppu voit le jour il y a près de quatre ans maintenant. Celui-ci a déjà été le sujet d'une conférence en juin 2012 à Brest: « The Eleppu Project. Ships and Shipbuilding in the Ancient Near East ». Ce projet s'insère dans des recherches visant à étudier la navigation, la construction navale et les structures portuaires au Proche-Orient ancien (Mésopotamie et Levant) aux III ème et II ème millénaires avant J.-C. La finalité de ces travaux de recherches conduirait à la reconstruction d'un navire mésopotamien grandeur nature qui ferait lui même l'objet d'une exposition aux Tonnerres de Brest en 2016. Le processus de recherche n'est pas à ces débuts mais la constitution du corpus de sources est tel que cette étape préliminaire est sans doute l'une des plus fastidieuses à mener. Pour mener à bien cette entreprise titanesque, il s'agit donc de faire intervenir de nombreux acteurs qui vont, grâce à leurs compétences propres, fixer et travailler sur les divers axes que comporte le projet. Mais quelle est l'origine du mot eleppu ? C'est le terme akkadien utilisé le plus souvent dans les textes cunéiformes pour désigner un bateau au sens général3.L’expérience vise à terme:- à appréhender le système de construction de ces navires dans tous ses aspects : forme de coque, structure, principe et méthode de construction, assemblages.- à comprendre le système technique : gréement, mode de propulsion (voile et rames), système de gouverne.- à évaluer leurs capacités nautiques : tonnage, capacité de charge, technique de navigation à la voile ou à la rame, performance de vitesse.

1.2. REGION ETUDIEE 1.2. 1. Délimitations géographiques et physiques

La notion de « Proche-Orient » est compliquée à définir précisément étant donné le fait que la région n'a jamais formé un bloc homogène d'un point de vue physique, géographique et humain. On désigne ici par ce terme les terres qui s'étendent des rives de la Méditerranée orientale des hauts plateaux d'Asie centrale aux rivages de l'océan indien. C'est donc une zone de contact de trois continents avec toutes les diversités et les multiples troubles que cela est susceptible d'apporter.4

La Mésopotamie a su tirer profit de ses caractéristiques multiples pour être associée au Proche-Orient et faire partie intégrante de son histoire. Du grec meso (milieu) et potamos (fleuve), la région est un bassin hydrographique alimenté par deux grands fleuves: le Tigre et l'Euphrate. Elle englobe aujourd'hui l'Irak, le Koweït, l'est de la Syrie et une partie du sud-est de la Turquie. On sépare le plus souvent la Mésopotamie en deux entités: la haute Mésopotamie avec ses collines et plateaux s'élevant du sud au nord de 200m à 500m et la basse Mésopotamie caractérisée par sa vaste plaine marécageuse dont le sud est en lien avec le golfe Persique. La région est délimitée au nord ouest par l'Anti-Taurus et à l'est par la chaîne montagneuse du Zagros ( TU15 KUR.RA en sumérien et šâr šâdi en akkadien qui évoquent la « montagne » et l'Orient en général) qui culmine à plus de 4000 m.5 Elle est difficilement franchissable et constitue une frontière naturelle.

Malgré les nombreux points communs des peuples qui façonnent de la Mésopotamie, on ne peut cependant pas clairement définir comment les mésopotamiens eux-mêmes considéraient cet espace. Diverses formules ont été répertoriées pour l 'évoquer et font référence à des notions de royaume (au XVIIIème s. avt. J.-C., Samši-Addu se présente comme « celui qui a unifié le pays entre le Tigre et l'Euphrate ») mais aussi de géographie (birît nâri « (région incluse) entre le fleuve » ou mât

3 Voir 1.4.4 Margueron J.-C. et Pfirsch L., Le Proche-Orient et l'Egypte antiques, Paris, 2005, p.22-235 "Zagros", in F. Joannès (ed.) Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, 2001, p. 917

7

birîti « pays du milieu »).6

Fig1 : Carte de Mésopotamie et de Levant, M. Sauvage.

1.2.2. Le couple Tigre-Euphrate Il faut noter l'influence notable qu'ont ces deux fleuves pour les mésopotamiens de l'Antiquité. Malgré cet espace général au climat plutôt désertique dans lequel est implantée la Mésopotamie, les apports du Tigre et de l'Euphrate sont considérables. Ces derniers offrent des quantités de possibilités aux hommes et des liens perpétuels vont s'établir entre eux. Les mésopotamiens influent sur leurs fleuves à des fins agricoles et commerciales (création de canaux d'irrigation et de navigation) mais ne peuvent parfois pas lutter contre eux (crues, déplacements de populations). Ils vont ainsi être dépendants des nombreuses variations de direction des deux cours d'eau mais aussi de leurs débits au cours des millénaires, et devoir s'adapter.

Les deux fleuves prennent leur source dans les montagnes d'Anatolie orientale.- Le Tigre (IDIGLAT en sumérien et akkadien signifiant « la flèche »)Long de 1950 km et de formation encaissée, son cours est rapide et favorise les remous dangereux. Le Zagros est la source de plusieurs de ses affluents (Zab, Adhaim, Diyala). Durant l'Antiquité, le Tigre traverse Ninive, Kahlu, Ekallâtum, Aššur et rejoint la plaine alluviale et le golfe Persique sans fusionner avec l'Euphrate. La navigation y est assez difficile jusqu'au Centre-Iraq actuel.

-L’Euphrate (BURANUN, Purattum)Prenant au départ la direction de l'ouest et de la méditerranée, il bifurque au niveau d'Emâr vers le sud-est. Son cours devient plus proche de celui du Tigre en Babylonie et se sépare en de nombreux bras dans la plaine alluviale, formant des marécages. Au cours des 2850 km qu'il parcoure il n'a que deux affluents importants : le Balih et le Habur. Le débit de l'Euphrate varie fortement à la fin du printemps lors de la crue en avril (à Hît passage de 838 à 5000 m3/s) et permet ainsi de remplir les canaux pour faire circuler les embarcations. Il semble que le fleuve soit navigable sur la majeure partie de son cours (quelques rapides au nord-ouest de la Syrie) quand la période d'étiage ( maximum des basses eaux fin septembre) est terminée. Aux III ème et début du II ème millénaires,

6 "Mésopotamie", in F. Joannès (ed.) Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, 2001, p.526

8

le trafic y est très actif entre Carkémiš et Emar et jusqu'à Babylone dans le Centre-Iraq actuel. Le fleuve passait par des grandes villes telles que Tuttul, Terqa, Mari et Sippar.7 La plaine alluviale est aussi un lieu de communication avec les nombreux bras qui la serpentent et qui sont reliés à l'artère principale. L’Euphrate représente un enjeu économique et politique pour les mésopotamiens. En effet, des points de contrôle le sillonnaient et une taxe (miksum) était prélevée sur les marchandises en trafic (international ou local).8

1.3 L A NAVIGATION FLUVIALE 1.3.1 GénéralitésIl existe une longue tradition de construction de ports et de structures pour la navigation fluviale en Mésopotamie ancienne. Les sources nous renseignent assez bien sur les conditions de navigation et les activités qui y étaient associées. On trouve à la fois des textes administratifs (correspondances entre rois et administrateurs, entre marchands), quelques écrits littéraires et des textes juridiques précisant la réglementation en ce qui concerne la navigation sur les fleuves (quelques articles du Code de Hammurabi par exemple). Aucune preuve archéologique concrète n'a cependant été trouvée mais on recense malgré tout quelques modèles réduits de bateaux ainsi que des représentations de navires sur des sceaux-cylindres, reliefs et vases.

Fig 2. Impression de sceau-cylindre, Eshnunna/Tell Asmar (-2300-2150)

Fig 3. : Fragment de relief, Shuruppak/ Fara (-2600-2500)

7 Chambon G., La navigation fluviale sur l’Euphrate au second millénaire av. J.-C. : usages, enjeux et communautés de pratiques.8 Durand J.-M., Les documents épistolaires du palais de Mari III, LAPO 18, Paris, 2000, pp.25-26.

9

Même si toutes ces sources ne nous donnent pas d'informations précises sur les modes de construction des bateaux, elles évoquent néanmoins les communautés de pratiques qui s'y rattachent ainsi qu'une quantité de termes relatifs aux types d'embarcations utilisées. La navigation fluviatile était utilisée dans quels buts? Il s'agissait principalement de transits commerciaux (importations, ravitaillement des villes), de pêche et de transport de personnes. Les archives de Mari nous présentent un commerce plutôt organisé où des personnes étaient missionnées de la recherche de bateaux, de la prise en charge des marchandises, du chargement...Chaque étape du processus commercial était ainsi occupée.> 228 [XIII 126] LAPO 16 p.361 (Durand J.-M.)« Dis à mon Seigneur : ainsi parle Kibrî-Dagan ton serviteur. Mon Seigneur m'avait donné ses instructions à propos des jarres de vin à prendre pour Atamrum sur les bateaux des gens d'Imâr. J'ai moi-même fait monter (au palais) – Mannu-balu-Šamaš,le sommelier d'Atamrum, se tenant à mes côtés - toutes les jarres de vin de ces bateaux. Sur ces jarres, on en a choisi 90 de bonne qualité et on les a prélevées. Le restant, les jarres qui n'étaient pas bonnes, on les a retournées. Voilà que j'ai fait charger ces 90 jarres de vin sur un bateau et j'ai fourni à Mannu-Balu-Šamaš, le sommelier d'Atamrum, un naute pour le mener à bon port. »

La voie fluviale était souvent un moyen plus rapide et moins cher pour arriver à la destination voulue. Nous pouvons évoquer le trajet en bateau de Lagash à Nipur qui durait environ 16 à 17 jours pour l'aller et 4 à 5 jours seulement pour le retour (environ 135 km).Les troupes de soldats pouvaient par ailleurs réquisitionner des bateaux (dont la fonction n'était pas militaire à la base) et naviguer avec leur équipement et denrées et atteindre plus facilement les zones de combats.9

>465 (I 7) LAPO 17 pp.40 (Durand J.-M.)« Dis à Yasmah-Addu : ainsi parle Samsî-Addu.Ton père envoie de la troupe pour la faire embarquer sur des bateaux afin qu'ils amènent en amont les tours et le bélier en même temps que les instruments de combat. Lorsqu'ils auront amené en amont à Mari les tours et le bélier que l'on équipe des chariots de leurs roues, qu'on (y) charge les tours et le bélier et qu'on (les) fasse porter à Makitânum. »

Nous l'avons évoqué plus haut, le roi Hammurabi (-1792-1750 ), en fixant ses lois applicables dans tous les domaines de la vie quotidienne instaure une véritable économie. La navigation n'est pas épargnée dans son fameux code de lois, nous pouvons ainsi citer quelques articles qui en font référence 10:

§ 234 « Si un batelier a calfate pour quelqu'un un bateau de 60 kur, il lui remettra pour sa gratification 2 sicles d'argent. »11

§ 237 « Si quelqu'un a pris en location un batelier et un bateau et (s') il l'a charge d'orge, de laine, d'huile, de dattes ou de quelque fret que ce soit, (si) ce batelier a été négligent et (s') il a fait s’échouer le bateau et fait perdre sa cargaison, le batelier compensera le bateau qu'il a fait s’échouer ainsi que chaque chose qu'il a fait perdre de sa cargaison»

§ 239 « Si quelqu'un [a engagé] un batelier, il [lui re]mettra 6 [kur d'orge] par a[n] »

9Abrahami P., « La circulation militaire dans les textes de Mari : la question des effectifs », in D. Charpin et F. Joannès (éd.), La Circulation des biens, des personnes et des idées dans le Proche-Orient ancien, CRRAI 38, Paris, 1992, pp. 157-166.10 Traductions comparées de J-V SCHEIL, L.W.KING et A. FINET11 1 kur= 300 litres ; 60 kur= 18.000 litres ; c'etait le tonnage standard pour la navigation fluviale ; il existait de plus grosses embarcations jusqu'a 36 tonnes

10

Nous pouvons par ailleurs nous poser une question majeure: y avait-il des étapes le long de ces trajets et si oui comment étaient-ils structurés ? Étaient-ce de véritables « ports » ? On ne peut certainement pas encore établir des dimensions à ces structures mais nous savons qu'elles existent. Les textes mentionnent le terme kârum comme désignant le « quai ». > 906 [A 2407] LAPO 18 p.42 (Durand J.-M.)« Dis à mon Seigneur: ainsi parle Apil-kubi, ton serviteur. J'ai fait parvenir 200 troncs d'arbres (découpés en) planches au quai de Carkémiš .»Ces « quais » étaient un lieu de passage de biens et de personnes et devaient donc être adaptés aux mouvements induits par ces activités. On peut alors admettre que les berges étaient aménagées pour accoster et que des entrepôts les bordaient.12

Des réseaux de canaux sont également très développés dans la plaine du sud. Dans une lettre adressée au roi de Mari, Zimrî-Lîm, Hammurabi de Babylone en donne la preuve: «La force de votre pays, ce sont les ânes et les chariots. Et la force de ce pays-ci, ce sont les bateaux. C’est précisément pour le bitume et l’asphalte que je désire cette ville... ». Ces canaux ont une double fonction de navigation et d'irrigation (aucun terme ne différencie les deux). Ils facilitaient les transports des marchandises et des personnes sur des bateaux de petite taille. En particulier, le grain issu des moissons et rassemblé sur les aires de battage était acheminé jusqu’aux entrepôts par voie d’eau. Les groupes de pêcheurs livraient le produit de leur activité aux cités et fournissaient des spécialistes de batellerie utiles en période de guerre ou bien lors d’opérations commerciales.13

1.3.2. Communautés de pratiques Les textes cunéiformes sont une mise d'informations pour les épigraphistes mais il est parfois complexe de définir avec précision le vocabulaire qui était utilisé. C'est le cas du terme « LÚ.MÁ.LAḪ4/5, malāḫu » qui peut être à la fois utilisé (suivant le contexte de la lettre) pour désigner un « réparateur », « constructeur », « fabricant de barques » ou même « pilote ».Ce terme est le plus rencontré dans les écrits pour faire référence à quelqu'un qui exerce de façon générale une activité dans le domaine naval.14

Le terme « LÚ.NA.GAR, nagāru » réfère au « charpentier-menuisier », mais pas forcément spécialisé dans la construction navale. Il n'est pas considéré à proprement parler comme un constructeur de bateau.> 118 [I 25] LAPO 16 pp.254-255 (Durand J.-M.)« Dis à Yasmah-Addu : ainsi parle Samsî-Addu ton père. En ce qui concerne les menuisiers de Tuttul qui résident à Šubat-Šamaš et qu'il faut faire revenir à Tuttul, sujet d'une lettre de toi, je viens d'envoyer un mot à Iškur-lu-til. Il va renvoyer ces menuisiers à Tuttul afin qu'ils entreprennent de faire les barques. »

« LÚ.AD.KID, atkuppu » est l'artisan en roseau.

Il n’y a pas de terme définissant le « capitaine » mais MÁ.LAḪ4/5.GAL, malāḫu rabîtu signifiant « chef des bateliers » pourrait bien s'en approcher.Ce vocabulaire est donc à prendre avec précaution. Seul le contexte de la lettre peut éclairer sur la traduction.

12Michel C., « Le commerce dans les textes de Mari », pp. 413-417.13 Charpin D., « La politique hydraulique des rois paléo-babyloniens », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2002/3 57e année, p. 545-559.14 Durand J.-M., LAPO 18, ARM I 102, pp.42-43.

11

1.4. TYPOLOGIE DES EMBARCATIONS ET CONSTRUCTION NAVALE Les textes cunéiformes mentionnent une multitude de noms pour désigner les bateaux. Certains termes sont assez généraux mais d'autres peuvent aussi nous renseigner sur l'utilisation principale des embarcations et sur les matériaux avec lesquels elles sont construites.

1.4 .1. B ateaux et radeaux Le mot utilisé le plus souvent dans les textes pour désigner un bateau au sens général est "GIŠ.MÁ" ou "eleppu". Le terme tend à être employé sur une vaste aire géographique et ce, jusqu'au début de l'ère chrétienne. Le signe "GIŠ" (iṣu) est utilisé avant un nom comme déterminatif faisant référence au bois. Le "MÁ" (eleppu) désigne une embarcation plutôt à haute étrave (proue) et fond plat comme le montrent les signes archaïques :

Fig 4 : Al-Hachami 1981

La racine principale est souvent suivie par d'autres signes pour donner plus de précisions sur l’embarcation (matériaux, marchandises, taille). Nous pouvons en donner ici quelques exemples:GIŠ.MÁ.GÍD.DA, eleppu makittu ou eleppu šaddatu désignent un bateau halé. Des cordes (ašlu) sont attachées au bateau positionné près de la berge et attelées à des animaux ou des hommes. Ce système est surtout utilisé pour remonter dans le sens inverse des courants, quand il est plus difficile de diriger les embarcations.

GIŠ.MÁ.ŠÀ.ḪA, eleppu šaḫḫītu signifie « bateau à voile » (ŠÀ.ḪA : linge ou tissu). La plus ancienne preuve archéologique démontrant l'utilisation de bateaux à voile en Mésopotamie est le modèle d' Éridu (fig 3). Ce modèle de bateau en argile cuite, retrouvé dans une tombe de l’époque d’Obeïd à Éridu (Tell Abu Shahrain au sud d’ouest d’Ur), daterait d’avant 4000 avt. J.-C. Il possède un socle pour le mât et des trous de fixation pour les haubans (un sur chaque bord, un sur la proue et un sur la poupe). Il pourrait donc s’agir d’un bateau capable de naviguer en mer.

12

Fig 5 : Modèle d'Eridu en terre cuite ( Roaf 1991)15

dimensions : longueur 26 cm, largeur 15,5 cm, hauteur 10 cm

Il existe de nombreux types de radeaux (amu) comme les keleks (kalakku). Ces derniers sont construits à partir d'outres en peaux gonflées, attachées avec nattes de palmier et goudronnées. Une structure en bois y est apposée pour réaliser une structure stable. D'autres radeaux en roseaux ou en bois sont aussi évoqués et présentent déjà une architecture et une technique de construction élaborée même s'ils restent de taille assez petite.16

Fig 6 : Radeaux faits de roseaux, Ninive.

15 www.marine-antique.net16 Strabon évoque notamment, dans Géogr.XVI 1,9, que des nattes de roseaux servaient de voile à ces radeaux.

13

Fig 7 : Radeaux faits d'outres et de bois, Ninive.

1.4.2. A utres embarcations Pour évoquer des bateaux transportant des marchandises, on retrouve les termes GIŠ ou eleppu ša suivis du nom de ce qui est transporté.

GIŠ.MÁ.LÁ, eleppum malallû/mallûm semble se traduire par « radeau militaire » (de GIŠ.LAL, tuquntu : combat)

GIŠ.MÁ.DIRIG.GA , nēberu, nēḫiru semble avoir plusieurs significations dont bac, gué, croisement ou même « transport en bac ». C'est dans tous les cas, une embarcation à fond plat qui sert au passage d'une rive à l'autre et non de longs trajets.

Le terme GIŠ.MÁ.U5, rukūbu renvoie à l'idée générale de « véhicule » : un bateau, un chariot mais aussi un cargo transportant du bitume ou une barque de cérémonie.

Des dénominations plus simples sont aussi possibles et indiquent simplement sur la direction dans laquelle naviguent les bateaux : GIŠ.MÁ.DIRIG.GA.BA.TIL, eleppum muqqelpītu: bateau qui navigue vers l'aval ainsi que GIŠ.MÁ.GAB.RU.GÚ ou GIŠ.MÁ.GAB.RI.A.NI, eleppum māḫertu: bateau se déplaçant vers l'amont.

1.4 . 3 . Matériaux et outils 17 Malgré l'évocation nombreux termes pour désigner les embarcations, les textes sont pratiquement muets concernant l'architecture navale pure, les techniques et étapes de construction des bateaux. Pour les navires antiques grecs et romains cette problématique tend à diminuer du fait des nombreuses découvertes archéologiques sous marines. Il est alors possible dans ce cas de parfois voir avec précision les composantes de certaines embarcations. La problématique mésopotamienne réside dans le fait du climat non propice à la conservation des matériaux, du bois notamment.Mais alors quels étaient précisément les matériaux utilisés pour la construction navale ?

17 Voir en Annexes p.42 un exemple de traduction de tablette relatant les matériaux nécessaires à la constuction d'un navire en bois. Texte :AO 5673, UMMA, 2048 avt J.-C.

14

Le bois : beaucoup utilisé en Mésopotamie antique comme combustible, en architecture et pour construire des objets de la vie quotidienne, il n'est cependant pas présent en très grande quantité. C'est la plaine du sud qui fournit une grande partie des besoins locaux avec notamment ses palmiers-dattiers (GIŠ.GIŠ.IMMAR, gišimmaru). D'autres espèces sont aussi évoquées dans les textes comme le peuplier (GIŠ.ASÁL, ṣarbatu), le tamaris (GIŠ.ŠINIG, bînu et ṭarpu'u) ainsi que (moins souvent certes), le saule, le pin et le platane. Pour construire des structures plus solides, les mésopotamiens recouraient en revanche à l'importation de cèdre de la région du Liban (GIŠ.EREN, erênu) ou de chêne (GIŠ.HA.LU.ÚB, haluppu). Les poutres de bois sont par ailleurs souvent coupées lors d'expéditions militaires (sous Sargon d'Akkad et Yahdhun-Lîm par exemple) et ramenées par flottage sur l'Euphrate.18

Le roseau (GI, qanû) : l'espèce la plus commune en Mésopotamie et dans les marais du sud de l'Irak est le « roseau-à-balai » (de 6 à 7,5 m de haut). Le roseau est présent au bord de la plupart des cours d'eau mais particulièrement dans la zone marécageuse au sud.19 Utilisé pour réaliser des nattes, il sert à couvrir les sols, les murs, à transporter des marchandises... Dans la construction navale, les roseaux peuvent être arrangés de façon à réaliser la coque des radeaux. Des nattes tressées peuvent aussi couvrir les bords ou le pont et servir de voiles.20

Le bitume (ESIR2, iṭṭû) : déjà connus au III ème millénaire par les mésopotamiens, les gisements de bitume sont un mélange de carbures d'hydrogène. Ils peuvent se présenter sous forme solide (asphalte) ou liquide (naphte, « naptu »). Son commerce est très répandu et il est particulièrement présent dans la région de Kirkuk et à Hît. Ses qualités imperméables font qu'il est utilisé abondamment pour calfater les coques des bateaux.>234 [M.8155] LAPO 16 p.366 (Durand J.-M.)« Dis à mon Seigneur, ainsi parle Iškur-lu-til, ton serviteur.Mon Seigneur m'avait écrit ceci : J'ai besoin de bitume. Écris aux gouverneurs qui te sont limitrophes et fais-moi porter tout le bitume. »

Nous avons donc abordé précédemment les différents aspects toutefois assez généraux de la navigation en Mésopotamie : types de bateaux évoqués dans les textes, communautés de pratiques et matériaux susceptibles d'être utilisés pour la construction navale. Qu'en est-il des outils ? Au III ème millénaire avt J.-C., les outils sont déjà assez évolués notamment grâce au progrès faits dans le travail du bronze. Il est difficile d'associer un outil à un contexte artisanal particulier, certains objets pouvant en effet servir des communautés de pratiques distinctes. En rapport avec le travail du bois, nous pouvons répertorier la cognée (agasalikku), les hâches (pâšu, pâš nîti), l'herminette (pâš qadûmi), la scie (šaššaru), les couteaux. Des outils faits en bois ou en os pouvaient aussi servir la construction navale : louches à bitume, truelles plates, aiguilles pour percer les peaux... Cette variété dans l'outillage utilisé renforce l'idée que les techniques associées devaient être développées et qu'elles pouvaient permettre de réaliser des embarcations très travaillées et perfectionnées.

1. 5. Techniques et questionnements Il n'y a à notre connaissance pas de chantiers navals à proprement dit en Mésopotamie ancienne. Les bateaux sont construits aux endroits mêmes où les hommes vont en avoir besoin et suivant les matériaux qu'ils ont à disposition. Il n'y a pas non plus de productions en série, la construction navale est un travail d'artisans et c'est de ce fait le besoin qui crée le chantier, non l'inverse.

18 "Bois", in F. Joannès (ed.) Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, 2001, pp.135-137. 19 Dans le sud de l'Irak actuel, les pêcheurs utilisaient il y a encore quelques années ce roseau pour construire des

embarcations.20 Glassner J.-J., La mésopotamie, Les Belles Lettres, Paris, 2009, p.141.

15

La coqueQu'elles soient en roseau ou en bois, les coques posent de multiples problèmes quand à la compréhension de leur assemblage. Les chercheurs sont divisés sur les étapes de leurs constructions : la carcasse interne était-elle construite en premier et les bords ensuite montés autour de la structure ? Ou est-ce l'inverse ?. Pour Patrice Pomey, spécialiste de la navigation antique, notamment en Méditerranée, c'est la question primordiale à se poser. « En Méditerranée antique, la construction d'un navire en bois se faisait sur « bordé premier » : c'est à dire que la coque était montée avant la carcasse (charpente transversale). Il semblerait se soit l'inverse au Proche-Orient antique pour les grandes embarcations en bois mais aussi en roseaux. »21 Cette vision est elle la meilleure ? Ce n'est pas sur et nous le démontrerons plus tard dans la seconde partie.

Comment était assemblé le bordé22 ? Là encore, il existerait plusieurs techniques : planches de bois cousues ? Assemblage par un système de tenons-mortaises ? Fagots de roseaux noués ? Plusieurs hypothèses sont de mise.

Fig 8 : Système de coque cousue, Irak

Les bateaux antiques étaient principalement à fond plat avec une quille plus ou moins structurée ou même parfois inexistante.23 Il semblerait que ce soit donc aussi le cas pour la majorité des bateaux mésopotamiens. Étant donné le peu de profondeur d'eau en contexte fluvial comparé à une navigation en mer, une quille serait un inconvénient réel et un danger si des obstacles venaient à rencontrer l'embarcation.

La capacité des navires : les textes nous renseignent sur le fait que les bateaux pouvaient avoir des capacités de transport (tonnages) très variables : de 5 à 120 GUR24, soit 1,5 à 36 t. (voir 90 t plus rarement). Les navires les plus courant ont un tonnage aux alentours de 6t.

L a propulsion et la direction -les voiles: de quelle taille et de quelle forme étaient-elles? Comment étaient fixés les cordages (pitiltū)?

21 Pomey P. (dir.), La navigation dans l'Antiquité, Aix-en-Provence, Edisud, 1997. 22 La structure de la coque.23 Rougé J., La marine dans l'Antiquité, Paris, PUF, 1975.

24 1 GUR = 300 litres environ en Babylonie, voir Tableau de mesures et capacités en annexes.

16

- le gouvernail, les rames et pagaies: y avait-il un ou deux gouvernails (sikkanu) à la proue des bateaux ?Les rames, pagaies ou perches étaient utilisées sur quels types d'embarcations ?

Comprendre les techniques d'assemblage et la forme générale des bateaux mésopotamiens est complexe du fait de la diversité des usages qui en sont faits. Les méthodes de construction vont dépendre de l'utilité primaire des embarcations même ces dernières peuvent couramment être modifiées et réutilisées pour d'autres activités.

Même si les textes et l'iconographie nous permettent parfois de déduire les formes générales des bateaux, il est en revanche complexe d'établir les techniques d'assemblage précises. Alors sans sources traitant de la technique, comment avoir une idée plus précise de ce que pouvaient réaliser les hommes de l'époque ? Les hypothèses et extrapolations sont inévitables et à ce stade du projet, il est intéressant d'avoir une vision plus large de que pouvait être la construction navale autour de la Mésopotamie, dans des régions avec lesquelles cette dernière établissait des liens. Deux projets de reconstitution navale expérimentale menés à terme seront ainsi abordés. Il s'agit de mettre en liens les techniques de construction navale d'une même époque et de régions proches. Ceci permettra d'avoir un éclairage global sur toutes les méthodes et étapes de tels projets mais aussi de savoir si les techniques de construction qui ont été employées sont valables et applicables pour le Projet Eleppu.

17

Partie 2 : RECONSTITUTION NAVALE EXPERIMENTALE : définition, enjeux, exemples

2 . 1. Tentative de définition Comment définir une « reconstitution navale expérimentale » ? Mise en liens de plusieurs acteurs et compétences, ces types de projets ont pour visée la réalisation, grandeur nature quand cela est possible, de navires ayant réellement existé dans le passé ou de navires « types » ayant pu être mis en circulation. Les sources, quelles soient écrites, iconographiques ou archéologiques conditionnent totalement les étapes d'une reconstitution navale. En effet, retrouver une épave peut être d'une grande aide et plus intéressant (même si cela va dépendre de la conservation générale de l'embarcation) que de n'avoir seulement des sources écrites à disposition, même si certaines peuvent être toutefois très précises. Mais le plus souvent, les preuves archéologiques restent rares où sont dans des états qui empêchent leur exploitation, ce qui complique la tâche des chercheurs. Ceci explique que ces projets peuvent être des expériences en tant que telles avec de nombreuses zones d'ombres. Mais faut t-il parler de reconstitutions, reconstructions ou réplications navales ? Les avis divergent mais ce n'est sans doute pas le plus important. Nous nous accorderons simplement sur le fait qu'une réplication, reconstitution ou reconstruction navale expérimentale nécessitent d'avoir des bases matérielles : épaves souvent incomplètes, textes plus ou moins précis, stèles et bas-reliefs sont les matériaux servant de réflexion à ce que nous voulons tenter de reconstruire. Mais la méthode à employer vis à vis des informations que l'on récolte n'est pas sans difficultés. Il ne suffit pas d'amasser les informations telles quelles: les sources, qu'elles soient écrites, iconographiques, récentes ou anciennes doivent sans cesse être comparées les unes aux autres, associées à un contexte particulier (historique, social, culturel...). Le chercheur, peu importe son domaine d'action, ne peut partir avec l'idée que ce qu'il tient entre ses mains est toujours la vérité: il doit à chaque instant analyser scrupuleusement tous les matériaux dont il dispose et qui vont lui être essentiels dans le cheminement de son travail.

2 . 2. Entre ambitions et enjeux 2. 2 . 1. Un double défi pour les chercheurs La résolution de problèmes scientifiques, historiques Un navire est un système technique à part entière. Que cela signifie t-il ? Autour de lui gravitent divers éléments : une construction propre (étapes et mode d'assemblage, matériaux et outils utilisés) ; des communauté de pratiques, c'est à dire toutes les activités humaines ayant un lien avec l'embarcation (pêcheurs, spécialistes de la construction navale, personnes habilitées à l'entretien et à la réparation, contrôleurs de marchandises, soldats embarqués, etc.); la fonction primaire de l'embarcation (commerciale, cérémonielle, militaire). Les chercheurs sont donc confrontés à une multitude de questions, qu'elles soient historiques ou purement scientifiques. Les sources peuvent relater des épisodes d'une vie passée mais ces derniers sont-ils toutefois assez détaillés pour qu'on puisse en retirer des informations qui coïncident historiquement et scientifiquement ? Tenter de reconstruire un navire qui serait au près de la réalité antique englobe donc plusieurs points :- Définir quels étaient les moyens de l'époque pour mettre en place un tel chantier : qui finançait les constructions ? Quels corps de métiers étaient recrutés pour réaliser les chantiers ? Comment se procurait-on les matériaux (bois, roseaux, métal, bitume, cordes, voilage …) et dans quels cas avait-on recours à l'importation ?- Comprendre les techniques pures : quelles étaient les étapes d'assemblage ? Quels étaient les multiples outils utilisés ? Comment les hommes s'organisaient dans le temps ?- Définir les capacités des navires : vitesse, rotations, quantité maximale de marchandises, nombre d'hommes à bord.Les sciences s'entremêlent pour arriver aux analyses et interprétations. Les deux domaines sont donc totalement liés et il est impensable de mettre en place un projet de ce type sans mettre ces

18

deux aspects en confrontation.

Rendre les résultats visibles au plus grand nombre Nous avons donc bien compris qu'une reconstitution navale expérimentale est à la fois à vocation scientifique et historique. Bien sûr, la publication d'articles relatant les étapes des recherches et de la construction est une finalité de ces travaux mais ce n'est pas le seul moyen ni le plus efficace pour communiquer et montrer l'aboutissement d'un projet. La question à se poser est alors la suivante : à qui veut-on réellement s'adresser et montrer les résultats ? On pense en premier lieu aux scientifiques et historiens et ce n'est pas une erreur. Ceux-ci sont les concepteurs, décideurs de ces reconstructions navales mais peuvent aussi avoir besoin de ces dernières pour effectuer des projets de recherches ultérieurs. La recherche scientifique et historique a aussi, dans ce cas là, pour but de faire profiter des personnes qui ne peuvent accéder à la recherche en temps normal. Quel serait l'intérêt de reconstruire un navire antique et garder les résultats dans un cercle fermé de spécialistes ? En mettant en place des expositions ou en créant des sites internet qui relatent les étapes de la construction du navire (présentation des sources ayant aidé au cheminement du projet, photographies et vidéos du chantier etc.), le grand public peut alors découvrir le projet dans son intégra lité même si ses connaissances sur le sujet sont minimes. Il va alors s'agir d'adapter et de rendre accessible des informations pour de la simple découverte personnelle ou notamment pour des élèves dans un contexte scolaire.La reconstitution navale expérimentale vise donc un double public : les spécialistes d'un domaine en relation plus ou moins éloignée avec la navigation (scientifiques, historiens, architectes navals, menuisiers...) et le grand public non initié.

2.2. 2. La question de la certitude La période antique, en ce qui concerne les sciences et les techniques, pose de nombreuses interrogations. La question est d'autant plus complexe dans le domaine de la reconstitution navale expérimentale étant donné le peu de sources directes disponibles. Les chercheurs doivent ainsi émettre des hypothèses et il leur est parfois nécessaire de faire des extrapolations, c'est à dire d'utiliser des données ou idées qui semblent être proches (ou en tout cas les moins éloignées et les plus plausibles d'un point de vue scientifique, technique et historique) et de les utiliser pour la réalisation du navire. Alors comment être surs que les sources que nous exploitons sont fiables? Mais aussi, analysons-nous et interprétons-nous bien les sources dont nous disposons ? Je serai tentée de répondre que malheureusement, il n'y a en vérité pas de méthode définie pour résoudre ces questions. L’Antiquité et ses complexités nous empêchent d'adopter une posture de certitude face à nos analyses. Ceci peut paraître comme une vision pessimiste d'entrée en matière mais peut-on réellement reproduire à l'identique quelque chose qu'on n'a pas sous les yeux ? La reconstitution expérimentale ne prône pas une méthode de travail définie mais nous pouvons quand même distinguer des étapes nécessaires à sa bonne réalisation.

19

Fig. 9 : Diagramme de procédure en archéologie expérimentale25.

La reconstitution navale expérimentale se révèle donc être une tentative de s'approcher au plus près d'un modèle de navigation à un instant T même si on ne peut être surs de la véracité de ce que l'on va proposer. Il est alors obligatoire de préciser dans les résultats définitifs toutes les hypothèses et incertitudes qui ont parsemé le projet. En effet, il ne s'agit pas d'imposer un modèle sans contestations possibles mais de faire partager le cheminement d'idées et de travaux qui ont mené au navire final.

2. 3 . L'exemple de deux projets de reconstitution navale expérimentale menés à terme 2. 3.1. Le bateau de Magan et le Min of the Desert: l es raisons de ce s choix Véritable prouesse technique, la construction navale a toujours nécessité la mise en relation de multiples compétences. Mais les chercheurs se réunissent tous pour admettre que la construction d'un navire dans l'antiquité était sûrement la chose la plus difficile à réaliser pour les hommes de l'époque. Cependant il ne faut pas penser que les embarcations antiques sont restées rudimentaires pendant un long moment. Même s'il est difficile de fixer des moments précis d'évolution des techniques de constructions, on remarque une véritable diversité de types d'embarcations au sein même de la période. Les images les plus souvent véhiculées sont celles des grands navires grecs ou phéniciens du bassin méditerranéen mais le Proche-Orient a aussi pu s'inscrire dans cette grande histoire de la navigation grâce à sa proximité avec des littoraux et ses peuples de navigateurs. Autre point non anodin : le bassin hydrographique mésopotamien et la navigation fluviale associée (sur lesquels je m’attarderai en détail dans la seconde partie) dont le Proche-Orient antique a su tirer profit à des fins commerciales. A l'amorce de mes recherches, un de mes choix s'était porté sur l'exemple de la reconstruction d'une trière grecque: l'Olympias. Le projet, entreprit en 1985 semblait intéressant à analyser mais plusieurs points m'ont finalement incités à abandonner cet exemple. Même s'il montre les techniques antiques évoluées de construction navale, l'Olympias est pour autant un navire utilisé à une époque trop récente (VIème - IVème siècles avt J.-C.) et donc assez éloignée de notre champ de

25. Vosmer, T., « The naval architecture of Early Bronze Age reed-built boats of the Arabian Sea », Potts, D. et al. (eds), Archaeology of the United Arab Emirates, London, 2003, 151-158.

20

recherche. Les trières étaient des embarcations spécialisées dans la navigation maritime et la guerre. Même si on peut admettre que l'histoire de la navigation est un processus d'emprunts de techniques entre régions (même éloignées!), l'Olympias me parait être un navire trop évolué et trop ancré dans la culture grecque pour le mettre en lien direct avec le projet Eleppu.Le bateau de Magan (actuellement le golfe d'Oman) et le Min of the Desert (navire égyptien) sont les reconstitutions expérimentales de navires qui peuvent aussi paraître éloignés d'un point de vue géographique mais pas tant que çà d'un point de vue technique et culturel. En effet, les échanges commerciaux sont attestés entre la Mésopotamie et l’Égypte ainsi qu'entre la Mésopotamie et la région de Magan. Ces échanges (qu'ils soient de types commerciaux ou relatifs à des conflits) peuvent présager des emprunts culturels mais aussi techniques entre les populations, notamment dans le domaine de la construction navale. Autre raison de ces choix, le lien majeur entre les trois projets (Bateau de Magan, Min of the Desert et Eleppu) est sans conteste que les deux navires dont les reconstructions ont été menées à terme ont été construits avec peu de preuves archéologiques directes concrètes. Le projet Eleppu pose le même type de problème puisque les sources disponibles sont majoritairement iconographiques et textuelles. Ces deux anciens projets sont des exemples de réussite en ce qui concerne la reconstitution navale expérimentale associée à l'Antiquité. Par l'analyse des étapes respectives de ces projets, il s'agit d'avoir une vue d'ensemble de tous les paramètres à envisager pour mener à bien un travail de recherche si vaste et complexe (méthodes des chercheurs, comparaisons des techniques de construction propres et probables de chaque navire). Cette analyse est un moyen parallèle et indispensable pour trouver des réponses aux questionnements que pose le projet Eleppu.

2. 3. 2. Le bateau de Magan Aperçu de l a région concernée Le nom de Magan est a associer à celui d'une des régions (avec Dilmun et Meluhha) que les marchands de Mésopotamie atteignaient par voie de mer, lorsqu'ils partaient faire du commerce dans le golfe Persique. Jusqu'au début de l'époque néo-assyrienne (vers -911), on lie la région de Magan à la péninsule d'Oman (extrême sud-est de la péninsule arabique). Ce lieu, bordé par le golfe Persique au nord-ouest, par la mer d'Arabie au sud et par le golfe d'Oman au nord-est, a on l'imagine été très tôt une interface maritime importante du fait de son emplacement mais aussi des richesses dont il disposait. En effet, de nombreux textes mythologiques sumériens (datant principalement des III ème et du début du II ème mill. avt. J.-C.) comme Enki et l'ordre du monde évoquent les échanges commerciaux nombreux avec la péninsule arabique et notamment les importations mésopotamiennes de cuivre (en grande partie), d'or et de diverses pierres précieuses (comme l'olivine) de Magan. Le cuivre importé n'était pas directement récupéré à Magan par les marchands mésopotamiens (destination trop lointaine), mais à Dilmun qui était une sorte de relais de livraison pour ce métal. Plusieurs rois font aussi état dans leur correspondance de ces liens avec Magan : Sargon d'Akkad mentionne (vers 2300 avt. J.-C.) que des vaisseaux en provenance de cette région (GIŠ.MÁ.MÁ.KAN.NA, eleppu makkanītu: bateau de Magan) arrivaient au quai de sa capitale (preuve que ces navires remontaient aussi les fleuves mésopotamiens!). Man-ištušu, son fils, ainsi que Narâm-Sîn évoquent quant à eux des expéditions militaires dans le golfe Persique et à Magan.26 Les sources cunéiformes nous renseignent donc clairement sur une région dont la culture maritime est en lien étroit, de par ses activités commerciales régulières, avec la région mésopotamienne.

26 "Magan et Meluhha", in F. Joannès (ed.) Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, 2001, pp.483-484.

21

Fig 10 : Magan, Dilmun et Meluhha. H David

Étapes du projet et difficultés rencontrées C'est entre 1985 et 1994 que les archéologues Maurizio Tosi et Serge Cleuziou découvrent, après une série de fouilles à Ra's al Jinz (ancien point de passage important sur la côte omanaise), près de 300 fragments et blocs de bitume datés d'environ 2300-2100 avt J.-C. Ces derniers ont la particularité d'avoir sur une de leurs faces des impressions de cordes en roseaux et de nattes tissées. L'autre face possède des empreintes de berniques ce qui par déduction a amené à penser que ces fragments de bitume correspondaient à des parties de coques de bateaux. Ces fouilles ont aussi permis de trouver des planches de bois disposées de façon spécifiques : on suppose qu'elles étaient arrimées c'est à dire fixées entre elles solidement. Celles-ci dateraient de 200 ans plus tard que les fragments de bitume et roseaux et attestent déjà de la présence d'une autre technique : celle des bateaux cousus de la construction navale arabe traditionnelle. Les résultats de toutes ces recherches sont donc les premières preuves de navires de l'âge du Bronze capables de naviguer sur les mers (par cabotage le long des côtes mais aussi en réalisant des traversées directes jusqu'en Inde en période de moussons). Selon les textes, ces bateaux étaient construits dans les arsenaux de Mésopotamie méridionale sous le nom de « bateaux noirs de Magan » (nom relatif à la couleur des voiles), un terme qui référait à un modèle de navires en usage dans tout le Golfe, héritier de traditions navales antérieures communes à toute la région. Mais pour Serge Cleuziou « les textes mésopotamiens ne doivent pas faire illusion : c'est dans le Golfe et sur les côtes de la mer d'Arabie que furent développés les bateaux et les techniques de navigation, et c'est de là et non de la plaine des deux fleuves (Tigre et Euphrate) que venaient les marins qui les premiers ont osèrent affronter l'océan ».

22

Fig 11: Fragment de bitume avec impressions

L'approche adoptée pour aller plus loin dans l'interprétation de ces découvertes a été la reconstitution navale expérimentale : la création d'un navire basé sur les évidences provenant des sources variées. Le « Magan Boat Project » a pour ambition de construire un navire en roseaux capables de naviguer en mer sur une longue distance. Financé par le ministère omanais de l'héritage et de la culture, le projet regroupe le sultanat d'Oman, l'Australie, l'Inde, les États-Unis et l'Italie. L'archéologue Tom Vosmer en prend la direction en 1995. Celui-ci insiste sur le fait que ce type de recherches est autant un travail d'interprétation de sources qu'un processus de découverte. En aucun cas il n'est envisagé de reproduire une réplique du bateau de Magan « type » puisque malgré tout ce qui a été évoqué précédemment, les chercheurs ne possèdent pas d'informations assez détaillées sur les éléments constitutifs et les techniques d'assemblage d'un tel navire. Cependant un tel travail repousse les frontières de nos connaissance dans le domaine : il s'agit explorer les propriétés des matériaux utilisés et de proposer des solutions aux problèmes technologiques posés par l'utilisation de ces derniers. Le but est aussi de s'approcher au plus près des capacités des navires, de mesurer la quantité de travail que cela représente pour les constructeurs, de comprendre les méthodes de navigation...

Entre 1995 et 2005, plusieurs modèles du navire à différentes échelles ont été construits :

- un modèle à l'échelle 1/20 ème

- un navire de 5m

- un navire de 13m mis à l'eau en février 2002

- Le Magan III construit de février à juin 2005 et ayant navigué une dizaine de jours de Magan à l'état indien actuel de Gujarat pour reproduire les anciens voyages commerciaux entre l'Inde et l'Oman et ainsi prouver que ces trajets ne se faisaient pas uniquement par la côte. Pour créer et évaluer les différentes formes de base possibles du navire, plusieurs modèles ont au préalable été générés par ordinateur (logiciel MaxSurf). Pour déterminer la forme susceptible de la coque et sa largeur idéale, les chercheurs se sont surtout aidés de l'iconographie (même si celle-ci n'est jamais à l'échelle et avec des proportions assez relatives...). Le bateau doit à la fois être assez sûr pour pouvoir naviguer en mer (golfe persique mais aussi océan indien) et assez grand pour transporter une quantité de marchandises assez élevée. Mais un problème est vite apparu : jusqu'à quelle taille un navire peut-il être construit en roseau ? Des architectes navals australiens ont ainsi fait des expérimentations sur la résistance des roseaux Phragmites (utilisés pour la construction). Le premier résultat qui est tombé est le suivant : que le fagot de roseau soit sec ou humide, la force et la résistance de celui-ci restent les mêmes ! Autre résultat : si une déformation est appliquée sur les roseaux, ceux-ci reprennent leur forme initiale. L'équipe en a déduit que construire un navire de 6 tonnes serait tout à fait cohérent pour le transport d'une quantité élevée de marchandises sur une

23

longue distance.

Les matériauxLa quantité totale de matériaux ayant été nécessaire à la construction du navire de 13 mètres est considérable : environ 3 tonnes de roseau Phragmites australis, près de 12 km de cordes en fibre de Carex faites à la main, 300 kg de bois d'Oman, 700kg de bitume pur, 800kg de chaux en poudre et 20kg d'huile de poisson.Bien sûr, chaque élément a été choisi méthodiquement par l'équipe et ce suivant différents critères :- le roseau : espèce « roseau-à-balai », la plus commune en Mésopotamie et dans les marais du sud de l'Irak ( de 6 à 7,5 m de haut) et acheminée du nord de l'Italie pour le projet. De la même espèce, les roseaux italiens et d'Oman se différencient par leur milieu d'implantation : l'eau douce pour les premiers et l'eau saumâtre pour les seconds (qui seraient plus solides, moins cassants). Ils ont été regroupés en fagots de 25 à 27 kg chacun. Pourquoi ce poids ? Ce serait un standard défini par ce qu'un homme peut facilement porter à la main.

- les cordes : servant au maintien de la structure entière qui est soumise à de multiples frictions. Les analyses sur les fragments de bitume ont renseignés que deux types de cordes auraient été utilisées (une corde en fibre de palmier-dattier de type Phoenix dactylifera ou en fibre d'herbe de type Desmostachya bipinnata attestée en Iran et en Egypte sur le navire de Cheops datant du III ème mill. avt J.-C.) et une corde plus lisse et plate pour réaliser les fagots (fibre des feuilles de palmier-dattier) . Mais c'est une autre plante qui a été choisie pour réaliser les cordes du navire : la Carex, facilement disponible, toujours faite main (non traitée) au « Centro Etnografico della Civiltà Palustre » à Ravenne en Italie. Il y a malgré tout des aspects négatifs à ce choix. La fibre est moins résistante, notamment face aux types de nœuds réalisables avec elle. Elle est aussi plus glissante et plus susceptible que les autres à être endommagée par le soleil et l'humidité. À ce sujet, T. Vosmer avoue qu'utiliser cette fibre n'était pas le meilleur choix mais le plus simple et rapide. Il ajoute aussi que d'après ses observations, la réalisation des cordes se fait de la même façon dans toute la région. Le poil de chèvre est aussi évoqué dans les textes du III ème millénaire avt. J.-C. (Girsu) relatant des listes de matériaux utilisés pour la construction d'un navire. L'hypothèse de son utilisation pour réaliser des cordes est envisageable mais pas pour lier les nattes de roseaux (plutôt pour les voiles ou du moins pour des lier des éléments de taille réduite).

- le bois : utilisé pour la structure interne du navire et notamment les poutres transversales, le mat, les gouvernails. Quatre essences ont été utilisées :l'acacia et le jujubier provenant d'Oman, le teck et le sapin d'Europe.

- le bitume : utilisé dans tout le Proche-Orient antique pour assurer une bonne étanchéité des vases, sols, murs, toits et consolider les digues. Quels sont ses atouts pour la construction navale ? Le calfatage au bitume imperméabilise la coque et protège le roseau de l'usure. Très présent dans les sous-sols de la Mésopotamie méridionale et centrale (région de Kirkuk, à Hît notamment) ainsi qu'à Dilmun, le bitume est présent à l'état solide ou liquide (le naphte c'est à dire le pétrole). La difficulté a été de réaliser, d'après les analyses chimiques sur le bitume retrouvé, un amalgame capable de résister à des températures diverses sans changer de texture ni de craquer sous l'effet des mouvements du bateau. Il a finalement fallu intégrer au bitume pur de l’hydroxyde de calcium (chaux en poudre) et de 2,5 % à 5 % d'huile de de poisson pour obtenir un amalgame efficace et résistant pouvant être utilisé pour le bois et le roseau. Certains pêcheurs irakiens utilisent aujourd'hui la technique à peu de chose près, puisqu'ils imperméabilisent aussi leurs bateaux, totalement en bois, avec du bitume (qui demande moins de flexibilité qu'un bitume devant imperméabiliser seulement des nattes de roseaux).

24

Technique s d'assemblage des matériaux pour le navire de 13m. Durant une dizaine d'années, l'équipe de construction a tenté de rester au plus près des techniques de construction traditionnelles et a appris par essais et erreurs. On peut retracer la chronologie de construction globale de la coque du 13 m de la façon qui suit :

1) Une charpente en roseaux est construite à l'envers

2) On recouvre ensuite cette charpente avec les fagots de roseaux disposés longitudinalement

Les deux premières difficultés ont été de comprendre comment réaliser ces fagots de roseaux et les assembler entre-eux. Plusieurs méthodes ont été employées et parmi l'une d'entre elles celle d'enrouler les fagots (25 à 28 cm de diamètre maximum) avec les cordes de façon continue (voir fig T. Vosmer) au lieu de faire des nœuds tous les 20 à 40 cm (qui auraient moins résisté) comme cela avait été fait pour le modèle de 5 m. Entre les fagots sont insérées des lattes en bois qui solidifient la structure.

3) On réalise des nattes de roseaux tissés (feuilles de palmiers-dattiers) et on recouvre la totalité des roseaux avec celles-ci

4) On recouvre ensuite la structure extérieure avec le mélange bitumeux

5) On coupe les roseaux en surplus aux extrémités et on retourne la coque

6) Une fois la coque retournée, l'intérieur est aussi calfaté de bitume. Sont ensuite disposés la structure interne associant bois et faisceaux de roseaux, le mat, et deux gouvernails. (voir photos)

Fig : 12, 13, 14: Classic ships of Islam , from Mesopotamia to the Indian Ocean, Agius, p.136

25

Le tableau ci-dessous nous renseigne sur les principales caractéristiques du navire de 13m construit à Ravenne :

Fig 15: Caractéristiques Magan (2002) T. Vosmer27

Le Magan III (2005) a quant à lui été quelque peu modifié : d'une longueur de 12,5m il est haut de 1m en son centre et la proue et la poupe atteignent 3,8m toutes les deux. Des peaux de chèvres ont aussi été disposées sur les cotés de l'embaraction pour protéger plus efficacement contre les conditions climatiques. L'équipage se composait de 8 personnes au maximum et le navire a atteint une vitesse maximale de 5 nœuds (un peu plus de 9km/h).

En une dizaine d'années, le Magan Boat Project a permis, avec les sources cunéiformes, iconographiques et archéologiques une nette avancée dans la compréhension de la navigation maritime au bronze ancien dans une région en relation étroite avec la Mésopotamie et la vallée de l’Indus. La particularité du projet résidait dans le fait que les recherches se sont principalement axées sur les caractéristiques des matériaux mais aussi et surtout qu'aucun renseignement direct sur les principes de construction navale de l'époque n'a été découvert. Chaque étape de construction s'est ainsi faite à partir d'un assemblage de détails mais aussi de mélange de multiples idées et hypothèses. Ce long processus de réflexion a fait évoluer de nombreuses fois la forme et l'assemblage des reconstructions. Il a parfois été impossible de passer d'une échelle à une autre sans faire de modifications. Il y a ainsi des différences entre le prototype de 5 m et celui de 13 m : les dimensions de certaines parties du navire ont été réduites ou augmentées, la technique de réalisation des fagots grâce à des nœuds à été abandonnée... Notons aussi qu'une reconstitution navale expérimentale a pour but de reproduire, quand c'est possible, les gestes techniques des hommes de l'époque : le Magan Boat Project n'a pas dérogé à la règle et même si des techniques modernes ont aidé à l'avancement (ordinateurs, transport de matériaux...), le travail s'est principalement fait à la main. Cette règle s'est aussi appliquée aux conditions de vie de l'équipage lors de l'expédition vers l'Inde du Magan III : utiliser le soleil, la lune et les étoiles pour se guider, survivre avec les seules provisions apportées (dattes, pain, miel, eau) et la pêche.

Ces navires en roseaux n'étaient pas construits en Mésopotamie mais les échanges commerciaux attestés entre cette dernière et les régions de Dilmun et Magan suggèrent probablement des emprunts, diffusions et transmissions de techniques de construction navale entre ces territoires. En effet, même si les mésopotamiens étaient plus cantonnés à la navigation fluviale, ces navires faits pour naviguer en mer et très résistants ont pu être à certains moments des exemples pour améliorer ou modifier les techniques navales mésopotamiennes.

27 Vosmer T, The Magan boat project : a process of discovery, a discovery of process. Proceedings of the Seminar for Arabian Studies Vol. 33, Papers from at the thirty-sixth meeting of the Seminar for Arabian Studies held in London, 18-20 July 2002 (2003), pp. 49-58

26

2. 3. 3 . Le Min of the desert Aperçu de l a région concernée

Fig 16 : Ensembles régionaux de la seconde moitié du II ème millénaire , POEA, p.410

Dans l'antiquité, le Nil était pour les égyptiens l'axe essentiel de communication, une sorte de colonne vertébrale où l'essentiel des activités humaines s'est implantée. D'une longueur de près de 6700 km, le fleuve est en crue une fois par an de façon lente et régulière (le débit passait de 400m3/s à 9200 m3/s entre juin et septembre). Mais le climat était plus humide dans l'antiquité et aujourd'hui ces valeurs sont revues à la baisse, la végétation bordant le fleuve y est moins dense. Le Nil constitue un axe majeur entre Afrique, Méditerranée et Asie proche-orientale28. Mais malgré une situation géographique ouverte sur deux mers, on ne peut pas dire que l’Égypte soit une terre de marins et les égyptiens voient, jusqu'à assez tard dans l'antiquité, leurs littoraux comme des limites à leur monde. C'est la nécessité militaire ou commerciale qui va les inciter à partir à l'assaut de la Méditerranée : dès la fin du III ème millénaire. avt. J.-C., se développe une sorte de commerce triangulaire florissant entre Égypte, Levant et mer Égée. Cette évolution va se remarquer plus encore à partir du règne de Ramsès II (vers –1250) avec l’abandon de Thèbes et l’installation de la capitale administrative à Pi-Ramsès dans le delta du Nil. Nous savons que les ports d'Ugarit et de Byblos (sur la côte levantine) ont certainement pu faire office d'interface avec la région mésopotamienne pour le commerce de cuivre, verre et cèdre. Nous pouvons donner d'autres preuves de ces échanges entre l'Egypte et le Proche-orient antiques: vers 2500 avt J.-C., le pharaon Sahouré (Ve dynastie) envoya une expédition maritime dont on voit le retour, probablement à Byblos, sur les bas-reliefs du temple funéraire qu’il se fit construire à Abousir. Cette expédition dut se prolonger dans l’arrière-pays syrien avec une chasse à l’ours qui vivait probablement encore dans ces régions29. Dès cette Ve dynastie, les égyptiens se sont rendus dans le fameux pays de Pount encore mal localisé géographiquement mais illustré par la célèbre expédition de la reine Hatschepsout

28 Margueron JC et Pfirsch, POEA, p.31-3229 N. Grimal

27

représentée sur les parois de son temple funéraire de Deir el-Bahari. En fait, ces expéditions, toutes commerciales, vers le Pount se prolongèrent jusqu’au règne de Ramsès III, c’est à dire pendant plus d’un millier d’années. A la XVIIIe dynastie, Thoutmosis III (- 1504 - 1450), dans sa guerre contre le Mitanni (nord-est de la Syrie actuelle), occupa tous les ports de la Phénicie qu’il approvisionna pour assurer ses arrières. Il fit construire des bateaux fluviaux que son armée traînera à travers la Syrie pour franchir le fleuve Euphrate en délimitant la sphère d'influence de son pays à l'est. Les sources concernant les navires égyptiens sont donc relativement nombreuses et ceci même pour la période qui nous intéresse.

C aractéristiques générales de la navigation égyptienne aux III ème et II ème mill. avt. J.-C. Il y a généralement deux moyens de construire un bateau en bois. Le plus courant (à l'ouest) : créer le squelette interne avant la coque. L'autre au Proche-Orient, en Asie du sud et dans quelques parties d'Europe du nord (Vikings) : une coque est réalisée avec des planches assemblées bord à bord (système tenons-mortaises, coutures). Une structure en bois est ensuite insérée dans la coque pour rigidifier le tout.30 Les navires égyptiens entrent dans cette deuxième catégorie. Les navires de commerce typiques au début du Nouvel Empire (1500 à 1069 avt. J.-C.) sont représentés avec des mâts « plantés » exactement au milieu de la coque et une voile attachée sur deux longs « bras » de 90 cm chacun. Ceci suppose une surface de prise au vent assez grande. Les embarcations en bois sont larges et lourdes, plutôt à fond plat et sans quille. Où naviguer avec ce genre d'embarcations ? Sur des trajets nord/sud le plus souvent (le Nil), en Mer Rouge et vers les courants du Levant et Chypre. Ces endroits sont dominés par des vents doux et des courants prévisibles et peu fluctuants qui n'atteignent pas la force de ceux de la mer Égée.31

La plus ancienne source archéologique est la barque funéraire de Khéops (vers 2500 avt J.-C.). Découverte en 1954 au pied de la pyramide de Khéops, l'épave n'est pas une ancienne embarcation destinée au commerce. Elle est malgré tout une preuve directe de techniques de construction navale : elle est dépourvue de quille mais a déjà une structure assez évoluée avec ses planches de bordé assemblées à franc-bord (les planches ne se recouvrent pas), la présence de membrures (ensemble des pièces courbes de la charpente transversale) et de barrots (poutres supportant le pont) de renfort interne de la coque. Les éléments sont assemblés par des ligatures et des tenons. En bois de cèdre et munie de tout son outillage (rames, cordes et cabine) la barque comprenait 1224 pièces détachées. Elle mesure 43,63 m de long, sa proue s'élève à 5 m et sa poupe à 7 m.

Étapes du projet et difficultés rencontrées 32 L'origine du projet est à lier à une équipe d'archéologues italo-américains recherchant depuis des années des épaves de navires égyptiens. Entre 2006 et 2008, les fouilles de Mersa Gawasis (côte égyptienne de la Mer Rouge) donnent aux chercheurs des preuves archéologiques tant espérées : traces de bivouac, ancres, caisses de bois avec inscriptions relatives au pays de Pount, cordes par dizaines, planches de bois, gouvernail...Tout laisse à croire qu'une épave égyptienne est sous leurs pieds. Une archéologue spécialisée dans la navigation égyptienne, Cheryl Ward, rejoint l'équipe : cette dernière conteste le fait que les égyptiens de l'antiquité n'étaient pas des marins, comme cela est souvent évoqué. Le temple de Deir El-Bahari construit en l'honneur du règne d'Hatchepsout (1490 à 1468 avt J.-C.) présente de nombreux bas-reliefs relatifs à un voyage vers le pays de Pount qui est encore mal localisé aujourd'hui (Somalie ? Yémen ?). Ces bas-reliefs présentent une flotte de

30 Casson L., Ships and seamanship in the ancient world, 1995, chapitre 10.31 Georgiou Hara S, Bronze Age ships and rigging32 "Quand les égyptiens naviguaient sur la Mer Rouge", Film de S. Bégoin, ARTE, 2009.

28

cinq navires revenants avec des cargaisons de richesses, non décorés, où l'on distingue clairement les équipages de marins et rameurs.

Fig 17 : Reproduction du bas-relief de Deir el-Bahari, H. G. Wells, 1923.

Depuis cette découverte, les interrogations sont multiples : ce voyage a t-il réellement eu lieu ? Si oui, pour quelles raisons ? Où se trouve le pays de Pount ? Les découvertes de Mersa Gawasis ont relancé le débat et Cheryl Ward parvient à faire correspondre les formes de nombreuses planches de bois trouvées avec celles représentées sur les bas-reliefs de Deir El-Bahari. Mais le scepticisme de plusieurs archéologues (notamment par rapport à la datation des éléments découverts) est toujours présent. Alors comment apporter une preuve qui aurait valeur scientifique ? Pour la spécialiste, la seule solution est de reconstruire le navire sur la base des fouilles de Mersa Gawasis et des bas-reliefs de Deir El-Bahari afin de vérifier sa capacité à naviguer en mer. Là encore, Tom Vosmer (voir Magan Boat Project ) participe aux investigations.

Techniques d'assemblage et matériaux utilisés Première étape : comment déterminer la taille et l'aspect global du navire ? L'équipe a commencé par mettre en lien les tailles des planches retrouvées avec les bas-reliefs de Deir El-Bahari qui semblaient à l'échelle. En partant de la taille d'un homme de l'époque (environ 1,60m), les calculs ont permis de déduire que le navire devrait faire environ 20 m de long. La barque de Chéops décrite précédemment a quant a elle donné une idée de la forme globale de la future coque et de la quille, assez aplatie. Pour la disposition des planches et la largeur, c'est la barque de Dahschour qui a servi de base. La spécificité de son assemblage réside dans le fait que les planches ne sont pas droites, chacune est unique. Toutes ces mesures ont ensuite été gérées par un logiciel de design nautique afin d'évaluer la stabilité de la future embarcation. Les premiers résultats ont montré une mauvaise stabilité et finalement les hauteurs des bords à la proue ont été réévalués à la hausse.Mais un problème d'envergure s'est ensuite posé : comment rendre le bateau étanche ? En effet à part des traces nettes d'outils, il n'y a aucune trace de calfatage ni d'isolant entre les planches de bois (pas de bitume ou de résine, pas de clous ni de métal...). C'est le système d'assemblage par tenons et mortaises qui a été choisi pour fixer les 90 planches entre elles. Il est connu qu'une partie de l'étanchéité de la coque se fait avec le gonflement du bois dans l'eau. Mais les premiers essais de mise à l'eau ont échoué et obligé les chercheurs à utiliser d'autres matériaux (qui auraient aussi été disponibles à l'époque) : de la cire d'abeille et de la fibre de lin (encore utilisée aujourd'hui en Égypte) disposée dans les interstices. Une fois le problème d'étanchéité réglé, le gréement a été mis

29

en place . Sur les bas-reliefs de Deir El-Bahari, il est représenté de façon très sophistiquée avec une dizaine de cordages qui se croisent de part en part des deux vergues mais les essais en mer prouveront que seuls 6 cordages sont utiles pour gérer la voile. Le mât a été fixé de la même façon que celle que l'on peut voir sur les bateaux du lac de Borolos (Égypte) : un nœud complexe en bas du mât.

Fig 18 : Tableau présentant les caractéristiques générales du Min of the DesertNom du navire MIN OF THE DESERT

Concepteurs, architectes Conception: Dr Cheryl Ward, Université de Floride (USA),Plans: Patrick COUSER, architecte naval (GB)

Chantier constructeur Chantier Ebad El-Rahman, Rosette (Egypte)

Date de construction 2008

Genre à l’origine Réplique d’un navire de l’Égypte ancienne. Seule expérience d’archéologie expérimentale de reconstitution d’un navire de l’Egypte pharaonique, qui soit scientifiquement fondée sur des données archéologiques validées, jamais réalisée à ce jour.

Longueur hors tout 20,3 m

Longueur coque 17,9 m

Longueur flottaison 13,3 m

Largeur Maître bau 4,9 m

Tirant d’eau 1,2 m évolutif

Tirant d’air 9 m

Déplacement (en tonnes) 30 t

Jauge administrative (en tonneaux) 12 t

Coque : type de construction, matériaux, formes particulières...

Construction sur bordé premier, assemblage par tenons-mortaises, forme ronde. Bois (11 tonnes): pin douglas (similaire au cèdre)

Gréement : 1 mât et deux vergues.

Voilure : description, surfaces, matériaux Voile rectangulaire, 14x5m, Cotton 800gm par m

Autres éléments remarquablesaprès les essais de navigation en mer.

Le système de construction se révèle solide et résistant. Des ballastes ont dues être ajoutées pour assurer une stabilité au navire (sacs de sables). Le gréement peut être manœuvré avec un équipage de douze personnes sans difficulté. Il se révèle efficace et a permis de naviguer à une vitesse moyenne de 5,5 nœuds par des conditions de vent favorable variant de 8 à 22 nœuds. Il a été possible de naviguer à 45° du lit du vent. La manœuvre des rames, avec un équipage non expérimenté, a permis d’atteindre une vitesse de 2,5 nœuds avec 14 rameurs. La manœuvre de l’appareil de gouverne (2 gouvernails

30

jumeaux) s’est révélée sensible et efficace mais lourd à manœuvrer.

Port d’attache habituel Raschid, Egypte

Ces deux projet de reconstitution navale expérimentale nous montrent ce qui est réalisable dans les régions environnantes de la Mésopotamie et à des périodes similaires. Navigation fluviatile, maritime ou de commerce, les techniques de constructions sont différentes sur certains points mais proches sur d'autres.

Fig 18: Le Min of the Desert sur la Mer Rouge, 2008.

Fig 19 : Le Magan III, 2005.

31

Que pouvons nous déduire de ces expérimentations ?Les navires du Proche-Orient ont déjà des structures élaborées. Pour les hommes de l'antiquité proche orientale et égyptienne il s'agit de créer des navires qui collent à un environnement dans lequel on s'aventure chaque jour et chaque saison pour subsister et faire du profit. Nous pouvons lister les premières conclusions (qui sont bien sûr pour certaines encore des hypothèses) qui pourraient être une aide pour la construction du navire mésopotamien :- les navires « basiques » de transport de marchandises ont de grandes capacités (en matière de tonnage) que ce soit pour le commerce fluviale ou maritime.- Le roseau n'empêche pas de construire des embarcations transportant de grandes quantités de marchandises.- La construction de la coque se ferait avant celle de la charpente intérieure, pour les navires en roseaux comme pour ceux en bois.- Les planches de bois de la coque pourraient être cousues ou assemblées par un système de tenons et mortaises. Les embarcations en roseaux requièrent une technique de tressage et de nouage particulière.- Il n'est pas exclu que des embarcations étaient construite avec un assemblage de bois et de roseaux !- Le bitume est abondamment utilisé que ce soit pour les structures en bois et en roseaux.- La forme des coques est assez typique, avec la proue et la poupe remontées. Des ponts étaient sûrement construits pour les navires les plus grands- Les quilles sont inexistantes ou très plates en contexte fluviale comme maritime.- les systèmes de propulsion et de direction sont divers : voile (carrée ou rectangulaire), gouvernails jumeaux, rames.

32

Partie 3 L'INTERET des TIC et de la MEDIATION CULTURELLE

3.1. Les technologies de l'information et de la communication au service du projet Maintenant communément appelées TIC, les technologies de l'information et de la communication font partie intégrante de notre quotidien. Elle rassemblent les techniques de l'informatique, de l'audiovisuel, des multimédias, de l'Internet et des télécommunications qui permettent aux utilisateurs de communiquer, d'accéder aux sources d'information, de stocker, de manipuler, de produire et de transmettre des données sous toutes les formes: texte, document, musique, son, image, vidéo, et interface graphique interactive. Toutes ces technologies peuvent être mises à profit et utilisées dans un contexte de recherche historique et scientifique tel que le Projet Eleppu.

Le lociciel Calcoque 33

-présentationNous l'avons vu précédemment, les différentes versions du bateau de Magan ainsi que le Min of the Desert ont pu être conçus à partir de la réalisation préalable d'un modèle numérique. C'est la méthode qui est aussi envisagée pour établir le profil général du futur navire mésopotamien. Pour ce faire, l'équipe du Projet Eleppu a sollicité l'aide de l’École Navale de Brest et d'un de ses membres en particulier, François Grinnaert. Capitaine de corvette et enseignant à l’École Navale, il est notamment spécialiste en stabilité, conception de coque et motorisation. Il crée en 1993 la première version du logiciel Calcoque. Après une dizaine d'années de phase de sommeil, le logiciel est recréé en 2003 sous la forme d’une application pour Microsoft Windows. L’objectif de 1993, limité aux formes du navire, a été étendu au devis des masses puis aux autres principales étapes de la conception des navires. Le logiciel permet de modéliser un navire de manière détaillée et d’effectuer les principaux calculs nécessaires à sa conception et au suivi de sa stabilité en toutes circonstances. Entre 2006 et 2007, des améliorations considérables y ont été apportées :un module de calcul de stabilité après avarie ainsi que la possibilité de visualisation du navire et de ses éléments en 3D.C’est aujourd’hui un logiciel d’architecture navale à vocation pédagogique largement utilisé à l’Ecole navale pour la formation des aspirants au travers de travaux dirigés et de nombreux projets scientifiques. Le logiciel est également embarqué à bord de plusieurs bâtiments de combat, où il est utilisé par l’équipage pour suivre la stabilité au quotidien et après avarie.-la modélisation de navireCeci consite à définir la géométrie complète d'une embarcation à l'intérieur et à l'extérieur. La durée de ce travail est comprise entre quelques jours et quelques semaines, voire quelques mois, selon la taille du navire et le niveau de détail souhaité. Les formes du navire sont modélisées de manière classique par des couples, eux-mêmes définis comme une succession de points (Y,Z) de la quille jusqu’au livet de pont34 situés à une abscisse commune X ( voir figure des couples du patrouilleur Adroit). Les couples et les lignes sont utilisés pour générer un maillage à l’aide d’un algorithme matriciel innovant permettant de respecter fidèlement la géométrie de la coque. Ce maillage modélise la coque du navire et constitue la base de tous les calculs.

Pour la modélisation du navire mésopotamien, les premières étapes à réaliser seraient donc les suivantes:1. réaliser des dessins cotés, coupes transversales/ longitudinales2. entrer les données (hypothétiques) sur excel

33 Compte rendu F. grinnaert nov 201334 Ligne de jonction entre le pont et la coque

33

3. entrer le fichier excel dans CalcoquePour F. Grinnaert, la capacité serait la seule piste scientifique valable sur laquelle il faudrait s'appuyer. Les sources peuvent en effet nous renseigner sur les tonnages, il s'agit ensuite de faire correspondre ces derniers avec d'autres valeurs présentes dans les textes... Même si ce logiciel est principalement utilisé pour des navires contemporains, ceci n'est pas un frein à son utilisation pour la modélisation d'un navire en bois. Il permet de fixer de nombreuses caractéristiques (dont l'épaisseur des matériaux) avant de réaliser les calculs.

La c réation d'une plateforme d'informations visible sur le Web Étant donné le peu de visibilité qu'a pour l'instant le projet sur la toile, il serait intéressant de concevoir un site internet qui y serait lié. Créer une vitrine virtuelle du projet serait une manière de faire découvrir au grand public les étapes successives du processus de recherche et de construction du navire. Ceci serait pour les intéressés une première approche, sous forme de chronique ludique, avant l'exposition réelle. Quelles informations pourraient alors être partagés sur une plateforme de ce type ?- la présentation du projet, ses acteurs et contributeurs divers- des articles à chaque nouvelle étape du processus de reconstitution (photographies des premières maquettes...)- des informations annexes sur la Mésopotamie en général, l'écriture cunéiforme, les sources aidant aux recherches...Il s'agirait globalement de faire partager la recherche (qui est souvent pour le grand public un mystère et souvent impalpable) de façon régulière mais aussi de donner l'envie aux gens de s'intéresser à ce projet aux multiples horizons.

La réalisation d'un logoAfin de représenter le projet de façon officielle et de lancer une véritable communication autour de celui-ci, un logo a été créé en collaboration avec une étudiante en graphisme.

34

Réalisation: Amandine Anquetin

3.2. La m édiation culturelle comme moyen de partage Comment définir la médiation culturelle ? Elle fait entrer en jeu plusieurs paramètres : le passeur de savoir ou médiateur, le savoir à transmettre, un apprenant ou un public et un contexte d'apprentissage qui comprendra des outils, dispositifs ou supports pour la médiation. « D'un point de vue conceptuel, la médiation serait le processus par lequel le singulier et le collectif se relieraient, ou encore le liant entre sensible et symbolique. C'est aussi une mise en rapport entre ce qui est et ce qui devient » (Paul Rasse, 2000). Elle est donc un moyen de construire un lien social puisqu'elle structure un espace public avec ses propres repères . La médiation culturelle impose ainsi des règles, buts et anticipations. Le médiateur doit s'adapter au public et donc à son niveau de connaissances (par exemple par le choix du vocabulaire utilisé). Chaque partie concernée (médiateur ou public) doit s'adapter, se confronter aux outils et idées véhiculés pour se les approprier. C'est donc un espace de communication à part entière (homme à homme mais aussi homme à machine !).L'étape finale du Projet Eleppu concernerait la réalisation d'une exposition aux Tonnerres de Brest en 2016. En ce sens, il est nécessaire de se demander quels pourraient être les outils à mettre en place pour mener à bien cette perspective. Que présenter au public ? Le navire bien sûr s'il est réalisé à temps ou, autre possibilité si ce n'est pas le cas, des maquettes et modèles réduits. Écrans tactiles, applications mobiles, maquettes virtuelles réalisées grâce à des logiciels de modélisation 3D, codes QR sont par ailleurs quelques exemples récurrents de ce qui se fait actuellement en contexte de découverte. Le projet global et des généralités sur la navigation en Mésopotamie pourraient être présentés sur des supports basiques (types panneaux) et les étapes successives du cheminement de la construction du navire sur des écrans tactiles. Des spécialistes présents pourraient notamment intervenir et expliquer leur propre contribution au projet. Les possibilités sont relativement larges sur cette question et c'est le type de public visé qui conditionne fortement comment l'exposition pourrait être agencée. Étant donné le double public visé (les scientifiques et les non initiés !), il s'agirait à la fois de montrer toute la complexité du processus de recherches sans pour autant oublier d'instaurer un côté ludique.

35

CONCLUSION

Comment exploiter des sources antiques et quels outils utiliser pour mettre en place un projet d'envergure à la fois scientifique et culturelle ? L'exemple du Projet Eleppu, qui n'en est encore qu'à ses prémices montre à la fois les aspects de recherches très larges que doivent aborder les acteurs mais aussi la dimension culturelle de l'expérience. L'histoire de l'Antiquité est complexe dans le sens où les données directes et disponibles qui la relatent sont relativement faibles. Comment rendre explicites ces données manquantes ? Paradoxalement, la reconstitution navale expérimentale tente de reconstruire des navires dont on sait qu'ils ont existé mais dont l'image précise nous est inconnue. Le chercheur est dans ce cas forcé d'émettre des hypothèses sur les points dont il n'est pas certain, et qui, par faute de preuves ne peuvent être vérifiés(ces hypothèses doivent bien sûr être précisées dans les résultats!).L'étude précédente a permis de donner les caractéristiques principales de la navigation au Proche-Orient et plus particulièrement en Mésopotamie aux III ème et II ème millénaires avt. J.-C. Les idées reçues sur la navigation antique et sur le peu de techniques qu'avaient les hommes de l'époque sont ici balayées. Véritables systèmes techniques, les bateaux sont les constructions les plus élaborées de l'Antiquité. Ils nécessitent une organisation humaine notable autour d'eux, que ce soit pour l'acheminement des matériaux constitutifs, pour l'assemblage ou pour la navigation en elle-même. Même si les preuves archéologiques en ce ce qui concerne la Mésopotamie sont inexistantes, nous pouvons assurer clairement que les bateaux qui y naviguaient (sur les fleuves mais aussi peut-être sur les mers !) étaient des structures polyvalentes et faisant partie intégrante de la vie des sociétés.Les nouvelles technologies participent maintenant à l'amélioration des méthodes de recherche. Les chercheurs ne sont plus cantonnés à rester cloîtré dans leur propre domaine. Les échanges entre pratiques, de nos jours plus faciles avec les TIC, permettent de lever certains questionnements et cela est particulièrement vrai dans les travaux menés sur l'Antiquité. Le projet Eleppu n'échappe pas à la règle. Il projette de réunir différents acteurs compétents dans leur domaine. Ainsi, de part les échanges, spécialistes de la marine dans l'antiquité, assyriologues, architectes navals, menuisiers, graphistes ou autres forment un condensé de compétences bénéfiques à chacun et au projet entier.Les outils numériques ont ainsi de réels avantages pour les chercheurs et sont aussi vecteurs de découverte dans le cadre des médiations culturelles et permettent d'aborder des problématiques de manière plus ludique. La future exposition serait un moyen de montrer à un public large une vision possible du passé reconstitué.

36

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages généraux

Glassner, J-J. (2002). La Mésopotamie, Les Belles Lettres.

Francis Joannès (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2001

Kramer, S. N. (2009). L'histoire commence à Sumer, Flammarion.

Margueron, J.-C., Pfirsch, L. (2000) Le Proche Orient et l’Égypte antiques

O uvrages et articles spécialisés

Agius, D. A. (2008). Classic Ships of Islam: From Mesopotamia to the Indian Ocean. Brill.

Carter, R. A., « Watercraft », Potts, D. T. (ed.), A Companion to the Archaeology of the Ancient Near East, Malden-Oxford, 347-372.

Casson, L. (1995). Ships and Seamanship in the Ancient World. JHU Press.

Charpin, D. (2002). La politique hydraulique des rois paléo-babyloniens. Annales. Histoire, Sciences Sociales, 57e année(3), 545-559.

Charpin, D. (2012). Les archives de Mari de l'époque amorrite. DIGITORIENT.

Cleuziou, S. (2002) Oman aux origines du commerce maritime vers la mésopotamie et l’océan

indien. (s. d.).http://www.clio.fr/

Comptes rendus. (2001). Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale, Vol. 94(2), 181-191.

Corvisier, J-N. (2008). Les Grecs et la mer, Les Belles Lettres.

Crawford, H. (2013). The Sumerian World. Routledge.

Durand, J-M. (1997). Les Documents épistolaires du palais de Mari, tome I, LAPO 16, Paris.

Du même auteur, (1998). Les Documents épistolaires du palais de Mari, tome II, LAPO 17, Paris.

Du même auteur, (2000). Les Documents épistolaires du palais de Mari, tome III, LAPO 18, Paris.

Durand, J.-M., & Marti, L. (2004). Chroniques du Moyen-Euphrate. Revue d’assyriologie et d’archéologie orientale, Vol. 98(1), 121-150.

Gasche, H., Tanret, M., Cole, S. W., & Verhoeven, K. (2002). Fleuves du temps et de la vie. Annales. Histoire, Sciences Sociales, 57e année(3), 531-544.

George, A. R. (2003). The Babylonian Gilgamesh Epic: Introduction, Critical Edition and

37

Cuneiform Texts. Oxford University Press.

Georgiou, H. S. (1991). Bronze Age Ships and Rigging, Aegaeum 7, « Thalassa. L'Egée préhistorique et la mer. », Actes de la 3e Rencontre égéenne internationale de l'Université de Liège, Station de recherches sous-marines et océanographiques, Calvi

Guillerm, A. (1995). La marine dans l'Antiquité, Que-sais-je ?, Presses Universitaires de France.

Joannès, F. (2002). Les droits sur l’eau en Babylonie récente. Annales. Histoire, Sciences Sociales, 57e année(3), 577-609.

Kowalski, J-M. (2012). Navigation et géographie dans l'Antiquité gréco-romaine : la terre vue de la mer, Picard.

Leemans, W. F. (1950). The Old-Babylonian Merchant: His Business and His Social Position. Brill

Mahy N. (2007). Les bateaux et la navigation fluviale au Proche-Orient ancien. Mémoire de Master

Morenon, J-P., Code d'Hammourabi, Traductions comparées de Scheil, J-V., King, L. W. et Finet, A.

Pedersen, R. K., « Was Noah's ark a sewn boat ? », Biblical Archaeology Review 31/3 , 2005,18-23.

Pomey, P., Gianfrotta, P., Nieto, X., Tchernia, A. (1997). La navigation dans l'Antiquité, Edisud.

Potts, D. T. (2012). A Companion to the Archaeology of the Ancient Near East. John Wiley & Sons.

Potts, D. T., Naboodah, H. A., & Hellyer, P. (2003). Archaeology of the United Arab Emirates Trident Press Ltd.

Révillion, S., Rieth, É., Veyrat, É., Demon, A., Fosse, G., Gonsseaume, C., … Piton, D. (2007). Découverte d’éléments d’un navire gallo-romain dans la baie de Wissant (Pas-de-Calais), à Tardinghen-Le Châtelet. Revue du Nord, N° 373(5), 71-88.

Rougé, J. (1975). La marine dans l'Antiquité, Presses Universitaires de France.

Salonen, A. (1942). Nautica Babyloniaca. Eine Lexikalische und Kulturgeschichtliche Untersuchung.

Vosmer, T., « The naval architecture of Early Bronze Age reed-built boats of the Arabian Sea », in Potts, D. et al. (eds), Archaeology of the United Arab Emirates, London, 2003, 151-158.

WEBOGRAPHIEwww.marine-antique.net

www.maritime.om (Histoire de la navigation en Oman)

www.actu-histoireantique.com

38

ANNEXES

CARTE: Royaume Babylonien sous Hammurabi

40

41

TRANSCRIPTION ET TRADUCTION D'UNE TABLETTE

Texte :AO 5673UMMA, 2048 avt J.-C.Tablette présentant la liste de matériaux nécessaires à la construction d'un navire en bois.

42


Recommended