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Sortir du harcèlement moral

Date post: 10-Nov-2023
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Illustration de couverture : Bis Consulting. ISBN : 978-2-343-06060-6 20 € Sous la direction de Guy Sallat Sortir du harcèlement moral Conseils d’experts Préface du Sénateur Alain Milon, Président de la commission des afaires sociales du Sénat Sortir du harcèlement moral Comment lutter contre le phénomène du harcèlement moral au travail pour se protéger et faire valoir ses droits ? Comment lutter pour le stopper et le vaincre ? Comment y survivre pendant et revivre après ? Alain Milon, Président de la commission des afaires sociales du Sénat souligne dans sa préface la nécessité de comprendre ce phénomène dans sa multiplicité d’aspects et dans toute sa complexité. C’est en efet un vaste sujet qui exige des réponses multiples transverses et croisées. D’où cet ouvrage collectif qui, par les éclairages d’une vingtaine de personnalités hautement qualiiées, s’adresse tant aux personnes qui se sentent victimes de violences au travail qu’aux autres publics concernés : employeurs publics ou privés, managers, préventeurs, médecins, avocats, médiateurs. Ces experts vont vous recommander des idées, des postures, et des outils concrets qui aideront à mieux se battre contre le harcèlement moral au travail. La vision du magistrat sera mise en relief par celle de l’avocat et du médiateur, celle du médecin sera enrichie par celle du psychothérapeute, celle du harcelé côtoiera celle du DRH ou du chef d’entreprise, le préventeur y croisera le chercheur, le philosophe y croisera l’homme de foi, le coach ou le manager. Dans cette communauté d’écriture, l’expert français croise les idées du spécialiste canadien ou du chercheur belge. Son but est de faire carrefour et dialogue pour trouver les meilleures voies de sortie par le haut. Ancien élève de l’Institut d’études politiques de Strasbourg et des Écoles de Saint Cyr Coëtquidan, Guy Sallat est diplômé en management opérationnel, en sciences économiques, en sciences de l’éducation et en relations internationales. Ancien directeur d’établissement, chef d’unités opérationnelles, enseignant, oicier expérimenté, il est parfois consulté au plus haut niveau de l’État pour ses approches stratégiques et prospectives en matière de diplomatie de crise ou économique. Guy Sallat a exercé, notamment, les fonctions de Conseiller du ministre de la Défense. Il préside l’observatoire des dynamiques contemporaines. Auteurs : Michaël Poyet, Emmanuel Caulier, Angelo Soares, Didier Cremniter, Christine Roullière-Le Lidec, Philippe Baron, Nadine Goetz, Séverine Tanneux, Danielle Liget, Nicoletta Savova, Marie-Thérèse Vallet, Claude Burel, Denis Cafaratti, Jean-Pierre Porcher, Laurent Trivaleu, Marielle Dumortier, Christine Jeofrion, Élie Hernandez, Alain Setton, Véronique Laitte, Muriel Rosset. Stéphanie Duquesnoy, Guy Sallat. 9 7 8 2 3 4 3 0 6 0 6 0 6 Sous la direction de Guy Sallat
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Illustration de couverture : Bis Consulting.

ISBN : 978-2-343-06060-6

20 €

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Sortir du harcèlement moral

Conseils d’experts

Préface du Sénateur Alain Milon, Président de la commission des afaires sociales du Sénat

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Comment lutter contre le phénomène du harcèlement moral au

travail pour se protéger et faire valoir ses droits ? Comment lutter pour

le stopper et le vaincre ? Comment y survivre pendant et revivre après ?

Alain Milon, Président de la commission des afaires sociales du Sénat

souligne dans sa préface la nécessité de comprendre ce phénomène

dans sa multiplicité d’aspects et dans toute sa complexité.

C’est en efet un vaste sujet qui exige des réponses multiples

transverses et croisées. D’où cet ouvrage collectif qui, par les éclairages

d’une vingtaine de personnalités hautement qualiiées, s’adresse tant

aux personnes qui se sentent victimes de violences au travail qu’aux

autres publics concernés : employeurs publics ou privés, managers,

préventeurs, médecins, avocats, médiateurs.

Ces experts vont vous recommander des idées, des postures, et des

outils concrets qui aideront à mieux se battre contre le harcèlement

moral au travail.

La vision du magistrat sera mise en relief par celle de l’avocat et du

médiateur, celle du médecin sera enrichie par celle du psychothérapeute,

celle du harcelé côtoiera celle du DRH ou du chef d’entreprise, le

préventeur y croisera le chercheur, le philosophe y croisera l’homme de

foi, le coach ou le manager. Dans cette communauté d’écriture, l’expert

français croise les idées du spécialiste canadien ou du chercheur belge.

Son but est de faire carrefour et dialogue pour trouver les meilleures voies

de sortie par le haut.

Ancien élève de l’Institut d’études politiques de Strasbourg et des Écoles de Saint Cyr Coëtquidan, Guy Sallat est diplômé en management opérationnel, en sciences économiques, en sciences de l’éducation et en relations internationales. Ancien directeur d’établissement, chef d’unités opérationnelles, enseignant, oicier expérimenté, il est parfois consulté au plus haut niveau de l’État pour ses approches stratégiques et prospectives en matière de diplomatie de crise ou économique. Guy Sallat a exercé, notamment, les fonctions de Conseiller du ministre de la Défense. Il préside l’observatoire des dynamiques contemporaines.

Auteurs :

Michaël Poyet, Emmanuel Caulier, Angelo Soares, Didier Cremniter, Christine Roullière-Le Lidec, Philippe Baron, Nadine Goetz, Séverine Tanneux, Danielle Liget, Nicoletta Savova, Marie-Thérèse Vallet, Claude Burel, Denis Cafaratti, Jean-Pierre Porcher, Laurent Trivaleu, Marielle Dumortier, Christine Jeofrion, Élie Hernandez, Alain Setton, Véronique Laitte, Muriel Rosset. Stéphanie Duquesnoy, Guy Sallat.

9 7 8 2 3 4 3 0 6 0 6 0 6

Sous la direction de

Guy Sallat

Pour citer ce chapitre : Jeoffrion, C. (2015). Comprendre et prévenir le harcèlement moral au travail. In

G. Sallat (Ed.). Sortir du harcèlement moral. Conseils d'experts (pp. 129-147). Paris : L’Harmattan (Préface du Sénateur Alain Milon, Président de la Commission des Affaires Sociales au Sénat).

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COMPRENDRE ET PREVENIR LE HARCELEMENT MORAL AU TRAVAIL

Dans la vie comme dans le travail, avant d’agir ou de réagir de façon opportune, il n’est jamais inutile de chercher à comprendre au mieux la situation dans laquelle on est. On peut ensuite mieux en déterminer les arcanes et les marges de manœuvre. Pour rentrer dans le sujet du harcèlement moral au travail, il semble donc pertinent de rechercher à mieux comprendre ce qu’il revêt comme dimension sociale, culturelle et psychologique. Le docteur Christine Jeoffrion est psychologue et maître de conférences en psychologie sociale, du travail et des organisations à la Faculté de psychologie de l’université de Nantes. Elle nous présente une contribution intitulée : « Comprendre et prévenir le harcèlement moral au travail par des grilles de lecture psycho-socio-organisationnelles » qui va répondre à l’attente forte de toute personne en difficulté relationnelle ou en souffrance au travail : remettre chaque pièce du puzzle de son environnement à sa place pour faire le partage des responsabilités et pour identifier des voies de sortie de crise. Christine Jeoffrion donne des définitions, recadre les concepts, et fait un tour d’horizon averti des différents facteurs de risque et de leurs conséquences. Son analyse est savante, son observation internationale montre que le harcèlement des uns n’est pas celui des autres. De là un concept horizon, c’est-à-dire vaste, indéfini, si vague et diversement perçu qu’il ne fait pas l’unanimité. Elle permet d’ouvrir les yeux sur des réalités prégnantes et un phénomène s’amplifiant au même rythme que se durcissent des méthodes managériales s’alignant sur les exigences croissantes de la compétitivité. Un mal ancien, un débat nouveau Thème quasi inexistant avant les années 1990, le harcèlement moral a pris ces dernières décennies une ampleur considérable dans le monde entier. Médecins, psychiatres, psychologues, juristes, gestionnaires, etc. se trouvent de plus en plus confrontés à la question partout dans le monde. Plusieurs ouvrages ont sans doute permis d’ouvrir le débat public, notamment Mobbing1 de Leymann, mais aussi, en France, Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien2 de Marie-France Hirigoyen et Souffrance en France : la banalisation du mal3 de Dejours, L’Organisation Internationale du Travail l’identifiait en 1998 comme l’«une des formes de violence de plus en plus dénoncées ». On va aujourd’hui jusqu’à parler de surmédiatisation4. Bien que les comportements associés au harcèlement moral ne semblent pas nouveaux dans le monde du travail, ils sembleraient être en nette recrudescence ces dernières années, et l’intérêt constaté pour la question sert ici d’indicateur des malaises profonds qui se vivent actuellement dans la sphère du 1 Leymann, La persécution au travail, Seuil, Paris, 1996. 2 Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien La Découverte & Syros, 1998. 3 Christophe Dejours, Souffrance en France. La banalisation de l'injustice sociale, Seuil, 2009. 4 Viaux, 2004.

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travail. Pour les conséquences graves qu’il entraîne tant d’un point de vue psychologique (pour les victimes, témoins, etc.) que social (coûts engendrés pour les organisations et pour la société en général), le harcèlement est aujourd’hui une thématique incontournable dans l’étude des organisations. À partir d’un état des lieux de la littérature internationale5, l’objectif est ici de présenter dans un premier temps une analyse des termes et des définitions auquel renvoie le concept horizon de harcèlement, ainsi que les différents facteurs de risque et leurs conséquences. Nous présenterons dans un second temps un cas de harcèlement qui permettra un repérage des procédés à l’œuvre. Notre objectif est d’offrir ainsi au lecteur différentes grilles de lecture du harcèlement afin de l’aider à mieux prévenir de telles situations. Le harcèlement, un concept horizon Les définitions du harcèlement dépendent des domaines et des champs d’intérêt des chercheurs et des praticiens qui l’étudient, mais aussi des contextes culturels. Il existe en effet une grande disparité de perception et de reconnaissance du problème dans le monde, et la description comme la définition de ce phénomène relève du défi. Une analyse de la littérature internationale sur le harcèlement permet de repérer l’utilisation de termes privilégiés selon les contextes géographiques6 . Dans les pays anglophones, et dans les pays nordiques, on utilise les termes de workplace bullying et harassment. Un centre de recherche est d’ailleurs spécifiquement dédié à ces questions depuis 2004 à l’université de Bergen en Norvège : The Bergen Bullying Research Group. The International Association on Workplace Bullying & Harassment (IAWBH) a été créée à la conférence de Montréal en 2008. De fait, l’emploi de ces termes tend à se généraliser. L’Allemagne et l’Italie du Nord utilisent encore volontiers le terme mobbing, terme beaucoup plus général qui inclut également le stress. En France et au Québec, on utilise l’expression harcèlement, notamment depuis la parution de l’ouvrage de Marie-France Hirigoyen, en 1998, qui a exercé une forte influence sur la loi de 2002 contre le harcèlement moral. Présentons rapidement l’origine de chacun de ces termes7. L’expression workplace harassment est employée pour parler des comportements hostiles au travail8. Ce terme a été introduit en 1976 par un psychiatre américain, Carroll Brodsky, pour qualifier des attitudes et comportements malveillants d’individus envers d’autres individus dans le monde du travail. Il le définit ainsi : « Le harcèlement au travail est un comportement qui implique des tentatives répétées et persistantes d’une personne pour tourmenter, 5 Christine Jeoffrion, Des représentations sociales comme vecteurs de changement aux diagnostics et à l'accompagnement des changements organisationnels : Identification des facteurs de risques. psycho-socio-organisationnels pour la prévention de la santé psychologique au travail. Habilitation à diriger des recherches, Université de Nantes. 6 Zid, Jeoffrion, Barré, & Haynes, à paraître. 7 Pour plus de détails, voir Faulx & Delvaux, 2005 ; Faulx, 2007. 8 Keashly & Jagatic, 2003.

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porter vers le bas, frustrer, ou obtenir une réaction d’une autre personne. Il s’agit d’un comportement qui provoque, de manière persistante, pressions, peurs, intimidations, ou malaises d’une autre personne » Le mot bullying a souvent été associé au domaine scolaire pour décrire des situations entre élèves ou étudiants qui mettent en place des comportements (humiliations, brimades, voire brutalités) destinés à faire peur ou à faire mal à un plus faible. Par la suite, ce terme s’est étendu aux agressions perpétrées dans l’armée, dans le cadre d’activités sportives ou au sein de la vie familiale, notamment à l’égard des personnes âgées. C’est en 1984 que Lazarus utilise pour la première fois la notion en psychologie. Einarsen et al la situent spécifiquement dans le cadre du travail : « Le terme Bullying au travail signifie harceler, contrarier, exclure socialement quelqu’un ou affecter négativement les taches professionnelles de quelqu’un. Pour que le terme de bullying ou mobbing soit appliqué à une activité particulière, l’interaction ou le processus doit se produire de manière répétée et régulière9 ou sur une longue période, aux alentours de six mois. Le bullying est un processus-escalade au cours duquel la victime finit dans une position d’infériorité et devient la cible d'actes sociaux négatifs systématiques. Un conflit ne peut pas être appelé bullying si l'incident est un évènement isolé ou si deux parties approximativement égales en « force » sont en conflit ». Un autre concept similaire a été introduit en Suède par le psychologue allemand Heinz Leymann au cours des années quatre-vingt : le mobbing. Ce terme a été inventé par Lorenz, en 1966 pour décrire le rassemblement en grand nombre visant à faire fuir un animal dangereux. Dans le cadre du travail, il est associé au harcèlement collectif provenant de collègues ou de supérieurs hiérarchiques contre une personne jusqu’à ce que cette personne quitte son emploi, devienne malade, ou même se suicide. Leymann le définit en 1996 comme « une forme de terrorisme psychologique qui se manifeste par l’enchaînement sur une assez longue période de propos et d’agissement hostiles, exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne10 au travail... Pris isolément, ces propos et agissements peuvent sembler anodins, mais leur répétition constante a des effets pernicieux ». Les chercheurs Faulx & Delvaux ont aussi répertorié en 2005 une quarantaine de termes qui s’apparentent à cette forme de violence au travail, dont psychological terror11, emotional abuse12 , victimization13, etc14. On parle aujourd’hui beaucoup de manière plus large d’incivility15ou uncivil workplace behavior16, ou encore d’antisocialité17 ou de même de comportement antisocial18. Toujours selon

9 Par exemple une fois par semaine. 10 La cible. 11 Leymann, 1996. 12 Keashly, 1998. 13 Einarsen & Raknes, 1997. 14 Voir aussi Skogstad, Matthiesen, & Einarsen, 2007. 15 Caza & Cortina, 2007. 16 Martin & Hine, 2005. 17 Desrumaux, Ntsame-Sima, & Leroy-Frémont, 2011.

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Einarsen et al, les différences quant à l’usage des termes doivent être reliées aux différences culturelles du phénomène dans les différents pays, plutôt qu’aux réelles différences dans les concepts. La multiplicité conceptuelle du terme de harcèlement, associée à une forte présence dans le discours scientifique et social a amené certains auteurs à en parler comme d’un concept horizon19 , du fait qu’il suscite encore de nombreux débats et ne peut être considéré comme un concept objectivable20. Facteurs de risque du harcèlement moral au travail Afin de parvenir à une meilleure compréhension de ce phénomène, plusieurs catégories de facteurs explicatifs ont été repérées. Ils sont individuels, interindividuels, situationnels, et organisationnels. Les facteurs individuels du harceleur et de la victime Plusieurs chercheurs se sont intéressés aux facteurs individuels tant du harceleur que de la victime21 . Ces facteurs renvoient aux caractéristiques biologiques (âge, genre, etc.), aux habitudes de vie (consommation de l’alcool et/ou de la drogue, etc.), aux caractéristiques psychologiques (personnalité, confiance en soi, estime de soi, etc.), et aux stratégies de défense et d’adaptation (soutien social, déni, etc.).

Les caractéristiques des victimes Marie-France Hirigoyen, souligne en 1998 le nombre important de personnes sans doute trop investies dans leur travail se retrouvant dans le rang des victimes de harcèlement. Selon Zapf & Einarsen, le harcèlement serait favorisé si la victime est une personne différente du reste du groupe et a un faible réseau social. Elle est généralement plus vulnérable que d’autres. Elle peut être une personne très compétente et qualifiée, mais qui n’est pas empathique, c’est-à-dire qu’elle essaie d’imposer ses points de vue et critique les autres membres du groupe. Elle est donc considérée comme une menace pour l’estime de soi de ses supérieurs et de ses collègues. D’autres individus, présentant la caractéristique d’être trop honnêtes ou trop scrupuleux et se démarquant de certains arrangements propres aux salariés d’une entreprise, seront alors perçus comme des donneurs de leçons et, à ce titre, davantage exposés à des pratiques de harcèlement. De nombreuses études montrent aussi que la majorité des victimes sont des femmes22 . La liste pourrait être longue

18 Desrumaux & De Chacus, 2007. 19 Faulx & Delvaux, 2005. 20 C’est-à-dire objectivement reconnu par tous. 21 Balicco, 2001; Baron & Neuman, 1998 ; Hirigoyen, 2001. 22 Di Martino, Hoel, & Cooper, 2003 ; Hirigoyen, 2001, 1998.

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et les caractéristiques parfois antagonistes. Selon Leymann certaines de ces caractéristiques méritent d’être interprétées comme « une réponse normale à une situation anormale ». Ainsi beaucoup d’auteurs s’écartent de la responsabilisation des victimes et défendent l’idée que n’importe qui peut, à un moment de sa vie professionnelle, être la cible du harcèlement psychologique23.

Les caractéristiques des harceleurs Ballico distingue quatre types de personnalités prédisposant à devenir à tout le moins agresseur, au pire harceleur :

1) Les pervers et les pervers narcissiques qui visent à « assujettir autrui, l’asservir et le soumettre à sa volonté non pas par la force, comme chez le paranoïaque, mais plutôt par la séduction24 » identifient ce type de profil, précisant que les pervers narcissiques sont des individus qui établissent « avec autrui des relations fondées sur les rapports de force, la méfiance et la manipulation ».

2) Les paranoïaques en tant que personnes méfiantes, psychorigides, souffrant d’un « orgueil démesuré pouvant aller jusqu’à la mégalomanie » et présentant une « intolérance et un mépris d’autrui », de même qu’un « égocentrisme exagéré ». Ils interprètent comme des menaces dirigées contre eux, tout changement dans leur environnement professionnel, d’où une suspicion souvent démesurée vis-à-vis de collègues.

3) Les caractériels qui se manifestent, selon Balicco, par des comportements excessifs de « véritable tyran », consistant à hurler et terrifier leur personnel, étant entendu que de tels comportements ne se rencontrent que dans la catégorie des dirigeants. Zapf & Einarsen25évoquent à ce propos le manque de compétences sociales et relationnelles de ces managers, qui souffrent d’un manque de contrôle émotionnel et d’autocritique, et ne se rendent pas compte des conséquences de leurs actes.

4) Les obsessionnels qui, souffrant d’un souci constant de « bien faire » et étant dans la recherche de « maîtrise de leur environnement », deviennent sensibles au moindre changement de ce dernier, aux manières de faire différentes des leurs et surtout à la remise en cause de la « rigidité qui les entoure ».

23 Poilpot-Rocaboy, 2010. 24 Hirigoyen, 2001. 25 Zapf & Einarsen, Individual antecedents of bullying. Victims and perpetrators, Bullying and emotional abuse in the workplace. International perspectives in research and practice, Taylor & Francis, London.

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Selon la revue de la littérature réalisée par Di Martino et al., l’agresseur serait plutôt un jeune, de sexe masculin, ayant une haute estime de soi. En effet, une caractéristique déterminante et la plus fréquemment citée concerne le statut hiérarchique, les harceleurs étant dans la majeure partie des cas des supérieurs hiérarchiques26. Vartia27 a aussi mis l’accent sur des traits générateurs d’hostilité tels que l’envie, la jalousie, la concurrence, l’absence d’autocritique. Vouloir répertorier des facteurs individuels relatifs à des situations de violence revient à adopter une perspective personnologique, centrée sur les personnes28, selon laquelle certaines caractéristiques individuelles favoriseraient la violence. Cette perspective suscite des réserves, d’autant plus que les résultats des recherches sont assez contradictoires. Une situation de violence s’instaure dans une relation et une situation particulière, et les caractéristiques des personnes se manifesteront d’autant plus que la relation, la situation et le contexte organisationnel l’autoriseront, voire la favoriseront. Les facteurs interindividuels et situationnels Le conflit interpersonnel est un élément susceptible d’être à l’origine de la problématique de harcèlement au travail29. A cet égard, on peut souligner l’importance du rôle du management dans la gestion de telles situations, et le dénuement souvent observé de managers insuffisamment formés, voire pas du tout, aux processus interindividuels et collectifs, alors que l’un de leurs rôles consiste justement à gérer des équipes de travail. Bilheran souligne que le conflit repose sur une relation symétrique, où chacune des parties veut faire entendre et respecter ses besoins et ses valeurs. Lorsque la relation est inégalitaire, et que l’un vise la destruction de l’autre, le conflit se transforme en harcèlement. Mais cette question des différences et similitudes entre harcèlement et conflit ne fait pas consensus30. Selon Zapf & Einarsen, une situation de travail dans un climat interpersonnel négatif et caractérisé par des conflits de rôles, combinés à un manque d’intérêt pour les tâches, apparaît comme une situation à haut risque de harcèlement. Garcia et Baillien 31pointent des facteurs de risque concernant le style de leadership, le soutien social offert par les collègues et la manière dont les collaborateurs réagissent aux conflits dans l’équipe. Quelques études montrent que le harcèlement est favorisé par des normes de groupes fortes, une dynamique de groupe marquée par le manque de solidarité, un émiettement de la responsabilité entre les membres

26 Desrumaux, 2011. 27 1996. 28 Ndla. 29 Soares, 2002. 30 Faulx, 2007. 31 Garcia et Baillien, 2006.

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et la présence de phénomènes de type bouc émissaire32. Ce deuxième niveau permet de dépasser les caractéristiques individuelles pour s’acheminer vers l’analyse des processus interindividuels et groupaux. La théorie du champ de Kurt Lewin33 (1951-1959) peut servir de cadre d’interprétation en montrant l’intérêt de prendre en compte l’interdépendance des divers paramètres de la situation, et de privilégier ainsi une perspective galiléenne - on s’intéresse aux relations entre les personnes - au lieu d’une perspective aristotélicienne où l’on décrit les caractéristiques des personnes34. Les facteurs organisationnels Le harcèlement moral au travail (HMT) provient souvent de déficiences organisationnelles et de tensions qui règnent dans l’organisation. Leymann a identifié trois sources du harcèlement psychologique : Un changement de rôle. Des problèmes d’organisation du travail. Une difficulté à manager ou un style de management directif versus laisser-

faire. Un style de management directif, c’est-à-dire centré uniquement sur la production et non sur la gestion des relations humaines induit un état agentique35 et favorise un harcèlement de type vertical, c’est-à-dire de supérieur à subordonné36. Un style laisser-faire peut induire un harcèlement horizontal37. Selon Angelo Soares38 les facteurs organisationnels les plus fortement déclencheurs de harcèlement moral sont les changements organisationnels39. Une série d’autres facteurs comme les conflits de rôles, la pression au travail, le manque de contrôle ou à l’inverse un excès de contrôle, l’insécurité de l’emploi et un climat de compétition ont été repérés comme précurseurs du HMT à un niveau organisationnel40. Les études 32 Drida, Engel, & Litzen-Berger, 1999, cités par Faulx & Detroz, 2009. 33 Kurt Lewin, Field Theory in Social Science, Harper, 1951 New York. 34 Selon Aristote, un objet est défini par divers attributs. Ces divers attributs servent à construire des « classes » (ensemble d’objets à attributs semblables). La perspective de Galilée vise une compréhension des liens entre les objets. L’un décrit, l’autre explique. Lewin rejoint la perspective galiléenne selon laquelle il est impossible de considérer les propriétés d’un objet sans considérer les propriétés de l’environnement. Tout empreint de la théorie gestaltiste, il en a transposé les résultats dans l’étude de la dynamique des groupes. L’interdépendance est le pivot de l’épistémologie de Lewin. Faucheux (1959) estime que la théorie de Lewin est, en psychologie sociale, l’équivalent de la théorie de la relativité en physique. 35 Milgram, 1974. 36 Ndla. 37 Desrumaux-Zagrodnicki, 2003. 38 Angelo Soares, Quand le travail devient indécent : le harcèlement psychologique au travail, UQAM, Montréal, 2002. 39 Voir aussi Zid & Jeoffrion, 2014. 40Einarsen & Raknes, 1997 ; Hoel & Salin, 2003.

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menées par Courcy, Savoie, Harvey, & Brunet41, ont montré qu’un climat de travail basé sur les règles et les procédures au détriment d’une gestion humaine des personnes relativement à l’autonomie et à la considération est générateur de harcèlement moral. Le harcèlement trouve aussi un terrain fertile lorsque le travail génère de l’insécurité, notamment lorsque les salariés perçoivent que leur situation et leurs perspectives professionnelles sont imprévisibles et peu claires42. Garcia et al.43 relèvent que le risque organisationnel peut être associé à des faiblesses dans la gestion des ressources humaines au sein des organisations, dont une conséquence est la faible et/ou mauvaise communication institutionnelle. Des problèmes relatifs à la distribution des tâches, aux difficultés de communication, aux changements de supérieur hiérarchique constituent des circonstances susceptibles de favoriser l’émergence de situations de harcèlement. Le harcèlement peut aussi résulter de l’observation, de l’expérience et de l’imitation venant de diverses sources, ce que O’Leary-Kelly, Griffin, & Glew44nomment, dès 1996, le social-learning perspective, qui ne pourra se poursuivre que dans une organisation qui le tolère, voire l’encourage45. Dorothée Ramaut 46dénonce en 2006, en tant que médecin du travail, les travers d’un mode de gestion impitoyable dans le secteur de la grande distribution. Elle étaye le propos de Christophe Dejours47, en déplorant la mise à mal « par les nouvelles formes d’organisation : recours à l’intérim, contrat à durée déterminée, polyvalence, sous-traitance, et flexibilité des horaires » des « collectifs de travail » et confirme la thèse de ce dernier qui fait du harcèlement une « pathologie de la solitude ». Angelo Soares a souligné, en 200248, lui aussi, la précarisation de l’emploi comme une autre source du harcèlement. Selon Leclerc, Sabourin, & Bonneau49cette précarisation de l’emploi génère un clivage au niveau des salariés entre les permanents et les précaires à qui l’on confierait volontiers les tâches ingrates et avec qui l’on éviterait, dans un réflexe de protection, de se lier. Le harcèlement serait donc susceptible de se manifester lorsque les salariés 41Courcy, Savoie, Harvey, & Brunet, Le climat organisationnel et les comportements d’agression en milieu de travail ; Bien-être au travail et transformation des organisations, Presses Universitaires de Louvain, 2003; La violence au travail : facteurs individuels et organisationnels, revue Psychologie, Québec, 2006. 42 Vartia, 1996. 43 Garcia et al, Violences au travail : Facteurs organisationnels pouvant générer des violences physiques et du harcèlement sexuel et moral sur les lieux de travail, Université Catholique de Louvain, 2005. 44O’Leary-Kelly, Griffin, & Glew, Organization-motivated aggression: a research framework, Academy of Management Review, 1996. 45 Brodsky, 1976. 46 Dorothée Ramaut, Journal d'un médecin du travail, Le Cherche Midi, Paris, 47Christophe Dejours, L'évaluation du travail à l'épreuve du réel. Critique des fondements de l'évaluation, INRA, Paris, 2003 ; Conjurer la violence. Travail, violence et santé, Payot, Paris, 2007. 48 Angelo Soares, Quand le travail devient indécent : le harcèlement psychologique au travail, UQAM, Montréal 2002. 49 La collégialité détournée : Les racines organisationnelles du harcèlement psychologique dans les universités ; Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé.

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permanents déversent leur frustration sur les salariés intérimaires. Ils dénoncent depuis plus de vingt-cinq ans la culture de la haute performance, de l’excellence, de la qualité totale, du zéro défaut, identifiée comme source de l’aggravation des violences psychologiques dans le monde du travail. En 2008, Jean-Pierre Le Goff50 fait référence au jeune cadre dynamique, qui a intériorisé le fait de devoir toujours être au sommet de ses performances, à tel point qu’il ne peut supporter de faire face au moindre échec, et qu’il en rejette la responsabilité sur ses collaborateurs, participant ainsi activement à la création et au maintien d’un climat de violence. Les conséquences de cette culture de la performance sont un important contrôle des salariés par l’entreprise sous forme d’évaluations individualisées des performances que Christophe Dejours dénonce comme conduisant à un climat de compétition généralisée transformant en profondeur les rapports de travail. C’est aussi ce que relève Luc Boltanski51 qui veut en finir avec l’ excellence : « Dans un monde social où chacun est sans arrêt sous la menace de l’épreuve, et est incité à son tour à mettre les autres à l’épreuve, pour les récompenser, les sélectionner ou les éliminer, la vie sociale devient simplement intenable, et parfois infernale ». Si ces nouvelles formes d’organisation ne conduisent pas nécessairement au harcèlement, elles en constituent le terreau. Les facteurs sociétaux Le harcèlement moral doit être situé dans le contexte économique actuel, qui privilégie la logique de marché et se caractérise par la concurrence accrue entre les entreprises, les changements organisationnels, la multiplication des phénomènes de délocalisation, les suppressions continues d’emplois dans le but d’une réduction des coûts de production et des coûts de la masse salariale. Nombre d’auteurs semblent s’accorder pour désigner ces formes modernes d’organisation du travail comme facteur d’explication à l’origine de l’intensification de la violence au travail. Ainsi, mondialisation, restructurations, nouvelle organisation du travail, affaiblissement des collectifs de travail, se situeraient bel et bien en amont de cette recrudescence du harcèlement psychologique au travail. Dans la préface de la réédition de Travail usure mentale (2000), Christophe Dejours, évoquant l’aggravation des conséquences psychopathologiques du harcèlement professionnel, précise que le phénomène d’usure serait « lié à la déstructuration des stratégies collectives de défense contre l’injustice et la souffrance infligées à un collègue ». Déstructuration, qui elle-même, sera « plutôt due à une transformation en profondeur des formes de la domination sociale dans le monde du travail et à un remaniement des stratégies de défense en vue de se protéger contre les effets délétères de la peur, qui a massivement fait son entrée dans le monde du travail avec la flexibilisation et la précarisation ».

50 Jean-Pierre Le Goff, La France morcelée, Gallimard, Paris, 2008. 51 Boltanski, A bas l’excellence !, 2013.

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Divers facteurs sociaux ont été décrits pour expliquer la violence au travail, parmi lesquels la pauvreté et l’inégalité dans le monde, la prévalence de la criminalité dans la société, et les changements tels que la globalisation, les pressions pour la privatisation, et la compétition. Ces changements intervenant dans le contexte de la globalisation économique constituent eux aussi un environnement propice au développement du harcèlement. Thomas Garcia et al.52 citent par ailleurs un environnement externe qui impose une large part des logiques organisationnelles avec de multiples formes de pression du marché et la prédominance des exigences de la clientèle, dimensions qui ont des effets sur la santé mentale des travailleurs en raison de la nature même des charges de travail. Ces facteurs de risques ont des conséquences négatives sur la société (perte d’emplois et de compétitivité), sur la qualité des prestations, sur les relations de travail, et provoquent des réactions de violence voire de harcèlement moral. Conséquences du harcèlement moral au travail Les conséquences de ces différents facteurs sur la santé physique et psychique des salariés sont nombreuses. Un grand nombre d'études en montre les effets délétères sur la tension, mais aussi sur le sommeil, sur les troubles musculo-squelettiques, cardio-vasculaires (douleurs thoraciques, troubles du rythme, etc.), digestifs (colopathie fonctionnelle, troubles du transit, etc.), rhumatologiques (cervicalgies, périarthrite de l’épaule, lombalgies, etc.), neurologiques (céphalées, acouphènes, vertiges, etc.), troubles de la sexualité, amaigrissement ou prise de poids, troubles endocriniens, digestifs ou encore dermatologiques, en passant par les vertiges et malaises divers. Les effets s’exercent également sur la peau (eczéma, herpès, etc.), l’asthme, le cancer et les maladies chroniques. Concernant les conséquences sur la santé psychique, lorsque les ressources et le soutien disponibles face aux stresseurs sont faibles, lorsque les contraintes sont importantes, et que le sentiment de contrôle est limité, les personnels peuvent se retrouver en situation d’épuisement professionnel (burn-out), et parfois même être en situation de stress post-traumatique lorsque le salarié a vécu directement ou indirectement un évènement traumatisant et ressenti une peur intense, des sentiments d’impuissance ou d’effroi. Les répercussions peuvent alors être de divers ordres : Répercussions émotionnelles : le choc, la terreur, la culpabilité, l’anxiété,

l'hostilité, et la dépression. Répercussions sur le plan cognitif : affaiblissement ou diminution des

capacités. Répercussions sur le plan somatique, dont la perturbation du sommeil avec

insomnies, cauchemars, ou symptômes psychosomatiques.

52 Thomas Garcia, Facteurs organisationnels pouvant générer des violences physiques et du harcèlement sexuel et moral sur les lieux de travail, Université Catholique de Louvain, Louvain, 2005.

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Répercussions comportementales avec stratégies d’évitement, retrait social, stress interpersonnel, voire abus de substance. Les cas de dépression et de troubles psychosomatiques sont nombreux, résultant d’un état d’anxiété chronique et s’accompagnant d’un ensemble de symptômes (ralentissement psychomoteur, humeur triste, pensées morbides, etc.) et un risque de passage à l’acte….

Les violences psychologiques et le harcèlement moral peuvent non seulement avoir des conséquences dramatiques sur les personnes, mais aussi des effets pervers sur le collectif de travail. La dégradation des relations de travail rend plus difficile leur poursuite, voire rend irrémédiable leur rupture. Tel est le cas lorsque les témoins de harcèlement se sont tus, par crainte de réprimandes, laissant la situation s’installer, générant des risques pour la victime, mais aussi pour eux-mêmes dont les valeurs se sont trouvées mises à mal. Les conséquences sont aussi importantes sur le plan organisationnel, puisque les arrêts maladies, les turn-overs ou les départs d’une organisation génèrent des coûts financiers parfois importants. Repérage des procédés : Le cas d’un harcèlement moral au travail Si les situations de harcèlement moral au travail ont fait l’objet de nombreuses études depuis une quinzaine d’années, plusieurs questions subsistent : La première est celle de l’identification de critères qui permettent de repérer un

cas de harcèlement. La seconde renvoie à la dynamique psycho-socio-organisationnelle de ces

situations. L’étude de cas présentée ci-après apporte des éléments de réponse à ces deux questions majeures. Elle repose sur des données empiriques recueillies à l’occasion d’un suivi de stage à l’Université. Son analyse permet de décrypter les procédés à l’œuvre dans une situation de harcèlement à l’aide d’une lecture psychosocio organisationnelle. Ce cas sera présenté à la lumière de niveaux d’explication différents de manière à souligner l’interaction des facteurs personnels, situationnels, organisationnels et sociétaux. La présentation ci-dessous reprend la métaphore théâtrale à la manière d’Erving Goffman53. Ce sociologue suggère d’observer la vie quotidienne comme une mise en scène avec, comme au théâtre, une scène, des acteurs, le public…Cette grille de lecture54 a permis à l’étudiante de prendre la distance nécessaire à l’analyse d’une situation qui était encore très éprouvante pour elle au début de nos échanges. L'approche qualitative, privilégiée en recherche-intervention, met en effet l'accent sur l'expérience subjective des 53 Erving Goffman, La mise en scène de la vie quotidienne. Les relations en public, Les Editions de Minuit, Paris, 1973. 54 Le sociologue Erving Goffman, dans son ouvrage La Mise en scène de la vie quotidienne, suggère d’observer la vie quotidienne comme une mise en scène avec, comme au théâtre, une scène, des acteurs, le public…

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individus dans leurs transactions avec leur environnement. La compréhension de ce qui est vécu et la recherche de sens au vécu individuel sont prioritaires à tout autre objectif. Est aussi posée ici la limite principale de cette analyse puisque le rendu des observations émane exclusivement des propos de l’étudiante. La triangulation nécessaire à toute étude rigoureusement menée n’a évidemment pas pu avoir lieu dans ce contexte.

Le décor : le contexte organisationnel Le stage se déroule dans une société de travail temporaire, spécialisée dans les services à la personne55, qui travaille avec deux types de clients : les particuliers dits aussi clients directs, et les clients assisteurs, principalement des mutuelles56. L’activité principale consiste à recruter et à suivre des personnels qualifiés mis à disposition de la clientèle à son domicile.

Les personnages : L’équipe de travail L’agence concernée est une petite structure dirigée par deux piliers : le directeur régional, responsable de trois agences, constitue l’intermédiaire entre la région et le siège parisien. La responsable recrutement et clientèle gère seul l’agence en l’absence du directeur. La structure fonctionne aussi avec une équipe de six personnes chargées des relations avec les clients-assisteurs, dans un travail essentiellement administratif et commercial. Cette équipe est constituée uniquement d’étudiants en formations diverses (ressources humaines, sciences économiques, psychologie, etc.). Ces étudiants sont employés en tant que stagiaires, et tous payés à 30% du SMIC, ce qui montre d’emblée leur statut précaire face à leurs deux supérieurs hiérarchiques, seuls CDI57 de l’agence. La durée de leur stage ne dépasse pas deux mois, et leur objectif consiste à le valider. L’étudiante dont il va être question a choisi de préparer sa première année de master de psychologie (spécialité psychologie sociale et du travail) en deux ans. Ayant validé la majeure partie de ses unités d’enseignement en première année, elle a pour objectif, lors de cette seconde année, de réaliser son mémoire de recherche et de renforcer sa candidature pour la sélection en seconde année de

55 Les services à la personne regroupent l’ensemble des services contribuant au mieux-être des citoyens à leur domicile : aide-ménagère, auxiliaire parentale, auxiliaire de vie, bricoleur, jardinier…etc. Actuellement, ils connaissent une forte croissance, correspondant à une demande sociale importante et diversifiée, à laquelle l’Etat entend répondre par une politique de soutien. 56 Les clients-assisteurs sont des partenaires ayant passé des accords. Il s’agit essentiellement de grandes plateformes de mutuelles permettant à l’entreprise de récupérer des clients qui ont besoin d’une aide à domicile au sortir d’une hospitalisation. 57 Contrat à durée indéterminée.

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master par la réalisation d’un stage long (6 mois) en lien avec ses aspirations professionnelles : travailler dans le recrutement 58.

Acte I : Les enjeux organisationnels Le directeur régional, supervisé par le directeur opérationnel, est mis sous pression afin d’atteindre une croissance toujours plus haute. Les méthodes de management servent à motiver les membres de l’équipe tout en les faisant mieux vivre le stress lié aux objectifs à atteindre. Par exemple, tous les mois, chacun reçoit par mail le nombre d’heures réalisées par chaque région pour la partie client directe et la partie assisteurs. Il y a toujours du champagne au frais dans le cas où les objectifs sont atteints, une forme de renforcement positif des pratiques mises en œuvre par l’équipe. L’ambiance de l’agence se veut jeune et conviviale, tous les membres se tutoient, quel que soit leur statut. Ils organisent des repas lors d’évènements comme Noël, ou les anniversaires. L’analyse psychosociale nous renvoie aux travaux de Tajfel & Turner sur la comparaison intergroupe et la compétition sociale. En substance, ils montrent comment la préservation d’une estime de soi positive est fondamentale dans le choix et le maintien de leurs groupes d’appartenance pour les individus. D’un côté, il y a cette concurrence entre les groupes, c'est-à-dire entre les agences des différentes régions, car le bilan remis chaque mois, au-delà de montrer l’évolution du chiffre d’affaires au niveau national, montre la position de l’agence concernée par rapport aux autres. Et d’un autre côté, il y a ce système de récompenses qui consiste à célébrer les réussites avec toute l’équipe autour d’un verre. Cela permet de diminuer la pression et les tensions, et renforce la cohésion de l’équipe. C’est un moyen de maintenir une paix sociale dans l’entreprise.

Acte II : La complémentarité des dirigeants Le binôme directeur régional / responsable recrutement et clientèle semble fonctionner parfaitement, car ils sont très différents et se complètent. L’un compense les lacunes de l’autre. En effet, lui manque beaucoup d’organisation et elle, a contrario, est très ordonnée. Et vu qu’il délègue facilement aux autres et qu’elle aime tout contrôler, c’est tout naturellement qu’il se repose sur elle pour toujours tout lui rappeler. Elle est devenue sa tête pensante, son éminence grise. Elle est décrite comme quelqu’un d’assez colérique, et excessif dans toutes ses attitudes. Lui se montre au contraire plutôt jovial, ce qui sert à tempérer le caractère de la responsable et à rendre plus légère l’ambiance dans l’agence. Il tente d’éviter les conflits, tandis qu’elle avoue aimer faire sa loi (dixit). Il lui a donc aisément confié le soin de surveiller et réprimander, et de recadrer d’autres acteurs (clients, intérimaires,…) quand cela semble nécessaire. Ainsi il la laisse contrôler en quelque sorte l’agence, lui exprimant ainsi des marques de confiance, d’estime et

58 Le stage sera interrompu à notre demande un mois avant la date prévue, en raison du caractère insoutenable de la situation.

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de reconnaissance. Le contraste est donc net entre les deux personnages principaux, jusque dans l’apparence physique, puisque le directeur est un homme blond, mince et de petite taille par rapport à la moyenne, tandis que la responsable, très brune, mesure un bon mètre 80 et est plutôt corpulente. Ils sont aussi très complices : ils se concertent sur toutes les décisions à prendre, donnant l’impression de rapports égalitaires entre eux. Quand l’un d’eux n’est pas à l’agence, l’autre lui téléphone pour lui dire tout ce qu’il s’y passe.

Acte III : Le changement de poste Les premiers temps du stage se déroulent plutôt bien. L’étudiante gère la partie assisteurs avec les autres stagiaires. C’est le directeur qui les forme. Elle donne satisfaction à ses supérieurs, même si ce travail, qu’elle maîtrise très rapidement, lui semble aussi vite routinier. Au vu de ses aspirations et de ses compétences, on lui propose au bout d’un mois et demi, de passer à la gestion des clients directs, mission qui était jusque-là exclusivement dévolue à la responsable recrutement et clientèle. Ce changement de poste est une forme de promotion. Il occasionne aussi un changement de bureau, autant d’éléments qui participent à la dégradation des relations entre l’étudiante et la responsable. En effet, jusque-là, il n’y avait pas de tensions directes même si la responsable pouvait répondre très sèchement aux questions des stagiaires, mais de par leur séparation physique - les stagiaires étaient dans un bureau à part, la responsable et le directeur étaient ensemble- ils avaient moins souvent affaire à elle. Avec ce nouveau poste, l’étudiante doit quitter le bureau collectif pour partager celui du directeur et de la responsable en open space. Elle est donc séparée de fait du groupe des stagiaires, dans un processus de division. De plus, c’est la responsable qui la forme à ses nouvelles fonctions. Du point de vue spatial, la situation de l’étudiante devient stratégique puisqu’elle se trouve à l’entrée de l’agence. C’est donc elle qui accueille les clients, intérimaires et demandeurs d’emplois. Le bureau des autres stagiaires se trouvant juste derrière elle, c’est elle qui leur fournit les prises en charge des assisteurs et les informations que ses supérieurs veulent leur transmettre. Elle gère aussi le standard et se charge du courrier. Il s’agit d’une place charnière par laquelle transitent toutes les informations et qui lui donne donc une grande responsabilité. Elle pourrait être affiliée à celle du portier au sens où le définit Kurt Lewin dans son étude sur les changements d’attitudes, avec une célèbre expérience sur les abats59.Cette position la propulse chef des stagiaires puisque la responsable lui demande de leur distribuer leurs commandes et aussi d’aller pointer leurs erreurs le cas échéant, ce qui ne la met pas dans une position facile. Cette position la place aussi en observatrice directe et passive du binôme directeur responsable. Il arrive, en effet, souvent, qu’ils fassent des allusions qui les font rire sans qu’elle puisse en 59 La porte, c’est-à-dire un poste clé, incontournable, y était tenu en l’occurrence par une ménagère, car c’est elle qui avait le rôle de faire rentrer ou non, dans les repas, les abats. Le concept de porte s’applique aussi à la transmission d’informations à travers certains canaux de communication dans un groupe.

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comprendre le sens, ce qui lui donne la sensation d’être exclue. Finalement, le changement de bureau est pour l’étudiante assez déstabilisant, avec d’un côté une promotion assez flatteuse, mais de l’autre, le retrait du groupe des stagiaires qui étaient très complices. Elle se retrouve finalement observatrice du binôme de direction qui la met à l’écart, tout en la plaçant au-dessus de ses collègues, pourtant stagiaires eux aussi.

Acte IV : La violence psychologique au travail en acte Pour la responsable Recrutement et Clientèle, former une nouvelle recrue, de niveau Bac+4 en psychologie, peut, à plus ou moins long terme, faire d’elle une potentielle concurrente au sein de l’agence, à tout le moins, montrer que le travail peut être fait au moins aussi bien par une autre qu’elle-même. Dès lors, le contrôle et la soumission de l’autre s’imposent. Les choses doivent être faites exclusivement à sa manière. Il est inconcevable de pouvoir penser les choses autrement. Et gare à la moindre erreur, car celle-ci est montée en épingle, faisant passer l’étudiante pour une véritable incompétente, sur laquelle on avait beaucoup misé, mais dont la déception à son égard est à la hauteur des espoirs placés sur elle. De son côté, le directeur fait de plus en plus de reproches à l’étudiante, en lui disant que dans ce métier, il faut être réactif et autonome, qu’elle n’est plus aussi investie qu’à ses débuts qui étaient pourtant très prometteurs. Il est témoin des agissements qui vont être décrits ci-dessous puisqu’il se trouve entre la responsable et l’étudiante, mais n’intervient à aucun moment, cautionnant ainsi l’attitude de la responsable. Les quelques exemples ci-dessous résultent des nombreux témoignages de l’étudiante. Des contrôles incessants : « La responsable recrutement et clientèle me demandait sans arrêt ce que j’étais en train de faire et ce que je comptais faire ensuite, de lui faire un point sur mes commandes, celles que j’avais pourvues, celles restant à pourvoir, les clients que j’avais appelés, ceux que je comptais appeler maintenant, ceux que j’appellerai ensuite… ne me laissant souffler à aucun moment, et m’accablant de travail ». Une autorité perpétuellement affirmée : « Elle employait souvent des formules comme : " Tu as l’INTERDICTION FORMELLE de…" Il est HORS DE QUESTION que tu fasses cela… ", … etc. ». Des consignes contradictoires : « Le lundi 18 janvier60, elle m’a demandé si j’avais traité les contrats sans retour code XXX. En effet, si les contrats n’avaient pas de codes XXX, les intervenantes ne recevaient pas leur salaire. Je lui réponds que non, qu’elle et le directeur m’avaient toujours dit de ne pas m’en occuper, que c’était exclusivement eux qui devaient gérer cela. Elle répète alors avec énervement : « Donc, TU NE T’EN ES PAS OCCUPÉE ! », et poursuit en criant :

60 Cette date est importante car elle correspond à la veille de l’arrêt définitif du stage à notre demande. Il s’est agi là de l’une des ultimes remontrances qui ont suscité le trop-plein pour l’étudiante.

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" Eh bien, FAIS-LE MAINTENANT ET VITE ! ". Comme je lui demande comment faire, car on ne m’avait jamais appris la procédure, elle finit par me dire sur un ton exaspéré qu’elle va s’en occuper elle-même ». Des atteintes personnelles : « Elle me rabaissait régulièrement en me disant que je ne savais pas m’exprimer, qu’elle ne comprenait rien à ce que je voulais dire et que je n’articulais pas. Elle se plaignait aussi de l’expression de mon visage. Quand elle m’interpellait et que je levais la tête pour savoir ce qu’elle voulait, elle me disait souvent : « Mais arrête de faire cette tête, on dirait que tu portes toute la misère du monde sur tes épaules, c’est pénible ! » Des intimidations : « Á chaque fois qu’elle trouvait une erreur, elle me demandait de confirmer que c’était bien moi qui l’avais commise. Si je lui répondais que oui, elle me répétait avec un ton agacé, " C’EST TOI QUI AS FAIT ÇA ?! ", puis elle me lançait des regards noirs en haussant les sourcils et soupirait d’un air affligé, ce qui ne faisait qu’augmenter mon stress et ma baisse de confiance en moi. Il lui arrivait aussi souvent, si je lui demandais par exemple de répéter une consigne, ou si j’avais commis une erreur, de simuler le geste de m’envoyer en pleine figure sa chaussure, son agrafeuse, ou encore un classeur qu’elle avait en main ». La parcellarisation de l’activité : « Le mardi 19 janvier, dernier jour de stage, elle me dit : "Tu vas faire maintenant les renouvellements de contrats de février, ensuite je t’en donnerai d’autres". Comme je m’étais levée pour aller ranger des dossiers, j’en profitais pour lui demander si je pouvais prendre au passage les nouvelles prises en charge en question sur son bureau, elle me dit alors : " Qu’est-ce que je t’ai dit ! Je t’ai dit, tu fais D’ABORD ces contrats-là et APRÈS je te donnerai les autres ! Tu as compris ? ". J’ai passé dès lors un certain temps à retenir mes larmes. Des larmes de colère et de honte, j’avais honte que quelqu’un ne s’en rende compte, je n’étais plus capable de faire quoi que ce soit, il fallait que je reprenne mes esprits, mais, bien qu’ayant remarqué ma gêne, elle insistait encore et toujours. »

Acte V : En guise d’épilogue Le directeur pourrait bien tirer les ficelles de la situation. Quand il est arrivé dans l’agence, il était en terrain conquis, puisque la responsable œuvrait dans l’agence depuis quelques années, mais il a su s’en faire apprécier en exploitant les faiblesses de celles-ci. Il a compris sa personnalité et ce qu’elle demandait : de la reconnaissance, de la considération. Il l’a laissée mener un management de type autoritaire dans l’agence, l’a laissée surveiller jusqu’à l’excès, un rôle qu’il n’avait pas envie de jouer et qui était important pour elle. En lui offrant cette latitude, il a donné envie à cette dernière de se surpasser, de travailler toujours plus, sans compter ses heures. Il a ainsi pu se reposer sur elle grâce à un climat de confiance et de complicité qu’il a su instaurer. Finalement, le binôme directeur/responsable

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est le « noyau dur » de l’agence et personne ne semble pouvoir le déstabiliser. Rappelons qu’ils sont les deux seuls CDI de l’agence et que l’agence ne tourne qu’avec des stagiaires, c'est-à-dire des personnes en situation précaire, qui n’ont aucun pouvoir de s’imposer et qui sont là pour une courte période. Ce contexte organisationnel et les statuts de chacun participent de l’autorisation, voire de l’encouragement de la violence psychologique au travail. Quant à l’étudiante, elle perdait au fil des semaines confiance en elle. Elle ne s’est jamais autorisée à mettre des limites aux agissements qu’elle subissait quotidiennement. Il s’agissait de son premier stage et ignorait quels étaient ses droits et ses devoirs. Avait-elle le droit de réagir ? Ne risquait-elle pas de passer pour une rebelle, et de subir encore plus d’agressions ? En parler à son directeur devenait inconcevable puisqu’il n’intervenait jamais pour assainir les situations, alors même qu’il affichait par ailleurs un respect de chacun. Pouvait-elle se trouver dans la situation normale d’un management d’entreprise ? L’étudiante était peut-être réellement coupable de tant d’incompétences… Les doutes surgissaient… Durant ces longs mois, plusieurs signes de somatisation sont apparus : grand stress, insomnies, cauchemars (toujours liés au stage), palpitations, brûlures d’estomacs, gorge nouée, agressivité, anxiété, nausées, perte d’appétit et de poids, pleurs faciles … Une atteinte donc physique et psychologique. À peine un mois après l’arrêt anticipé du stage, nous avons appris que la responsable avait été promue directrice de l’agence où elle exerçait, et que le directeur actuel renforçait ainsi sa responsabilité de directeur de la région. Il est aisé de prédire que les situations décrites ici se renouvelleront avec d’autres stagiaires, comme elles avaient déjà eu lieu avant elle : une jeune fille avait été victime de la même violence psychologique pendant de longs mois, mais cela n’avait été su qu’ultérieurement. On est aussi en droit de se demander quelles sont les valeurs promues dans cette agence, et plus largement dans le milieu du travail au vu des situations dramatiques rencontrées ces dernières années au sein de grands groupes français comme Orange ou Peugeot. Cette étude de cas montre, en effet, que la rentabilité peut rapidement primer sur le bien-être des employés, a fortiori lorsqu’il s’agit de stagiaires sans expériences préalables. Comment être certain d’être face à une situation de harcèlement ? Les situations qui viennent d’être décrites pourraient paraître anodines, si elles n’avaient pas été quotidiennes et récurrentes. C’est bien cette récurrence et cette durée qui transforment de simples vexations en un véritable harcèlement qui contribue à démolir psychologiquement la personne qui en est la cible. Pour Leymann, ces agissements visent, de manière plus ou moins consciente, à manipuler les fonctions et les situations de la vie professionnelle, à manipuler la communication avec la victime choisie, la considération dont elle jouissait jusqu’alors, à manipuler les tâches professionnelles. Il ajoute qu’il n’existe aucun conflit dans lequel le supérieur hiérarchique n’aurait pu intervenir et redresser la situation, s’il l’avait voulu. Les spectateurs, ceux qui prétendent ne pas être des acteurs, partagent en fait la responsabilité collective, en tant qu’agents. Le

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« mobbing » n’est possible que grâce à leur abstention. C’est bien ce qui s’est passé de longs mois dans ce bureau où le directeur qui se voulait jovial, présent lors de ces situations, n’est intervenu à aucun moment, et cette non-intervention a participé à la destruction psychologique et psychique de l’étudiante qui culpabilisait en pensant que la situation était peut-être normale au vu de son inexpérience… d’autant plus que le directeur lui disait souvent que le monde de l’entreprise était rude. Leymann a clairement identifié 45 agissements répertoriés à l’issue d’environ trois cents interviews qu’il a réalisées et présentés en fin de cette contribution. La répétition soutenue de ces agissements suffit amplement à déstabiliser, à angoisser la victime choisie, à la briser et à l’exclure. Nous avons donc demandé à l’étudiante d’illustrer par des exemples qui correspondaient aux situations qu’elle avait vécues les agissements de Leymann. Ce travail a permis de vérifier que chacun des types d’agissements pouvait être illustré par au moins un exemple, souvent plusieurs, surtout la première rubrique : « Agissements visant à empêcher la victime de s'exprimer ». Or Leymann déclare que l’on est victime de harcèlement moral lorsqu’un ou plusieurs des quarante-cinq agissements définis préalablement se répète au moins une fois par semaine et sur une période d’au moins six mois. L’étudiante prétend que ces agissements étaient quasi-quotidiens durant son stage qui a duré cinq mois et demi. On peut donc en conclure qu’il s’est agi de harcèlement moral. Des pistes de prévention : « des mots sur les maux » Ce cas de harcèlement rappelle la nécessité qu’un suivi des stages soit réalisé par les enseignants, quelles que soient les structures, et tout particulièrement au sein des universités. Ce suivi permet de rappeler quels sont les droits et les devoirs des stagiaires et des employeurs, et pour l’enseignant de jouer un rôle d’interface indispensable entre les milieux de formation et d’exercice professionnels. De même, l’éviction de lieux de stage maltraitants pourrait être officialisée par l’Université, et exprimée à l’entreprise concernée au siège, en dénonçant les dérives locales par exemple. D’autres pistes peuvent évidemment être soulignées, comme le rappel de la loi sur le harcèlement, l’encouragement à consulter un médecin du travail, la mise en lien avec des organisations de victimes, etc. Notre écoute aura en tout cas permis de faire cesser l’inacceptable, et d’éviter à l’étudiante un enfermement dans une solitude destructrice. En guise de compréhension, voire de prévention pour d’autres situations professionnelles, les différentes grilles de lecture proposées auront participé d’une prise de distance en mettant « des mots sur les maux » et en guise de soin, auront permis un rehaussement de l’estime de soi de l’étudiante qui sera passée d’une lecture personnologique : « Tout ce qui arrive est du à ma personnalité ; je ne suis pas faite pour ce travail » , à une lecture situationnelle : le harcèlement est un phénomène complexe qui résulte de l’interaction de facteurs personnels, interpersonnels, situationnels et organisationnels. Rappelons, par ailleurs, que dans le système français, et à condition que les structures soient suffisamment

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importantes, le CHSCT et le médecin du travail ont un droit d’intervention important. Nous aborderons ensuite le même thème par une approche tout autant scientifique, mais fondée sur des observations cette fois canadiennes. Christine Jeoffrion [email protected]


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