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UN NOUVEAU NAVIRE GÉOMÉTRIQUE À ÉRÉTRIE

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EABETIKH APXAIOAOriKH EAAAL1A EXTRAIT DE ÉCOLE SUISSE D'ARCHÉOLOGIE EN GRÈCE SCHWEIZERISCHE ARCHÀOLOGISCHE SCHULE IN GRIECHENLAND SAMUEL VERDAN Un nouveau navire géométrique à Erétrie ANTIKE KUNST, 49e ANNÉE 2006
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EABETIKH APXAIOAOriKH

~XOAH

~THN EAAAL1A

EXTRAIT DE

ÉCOLE SUISSE D'ARCHÉOLOGIE EN GRÈCE

SCHWEIZERISCHE ARCHÀOLOGISCHE SCHULE IN GRIECHENLAND

SAMUEL VERDAN

Un nouveau navire géométrique à Erétrie

ANTIKE KUNST, 49e ANNÉE 2006

SAMUEL VERDAN

UN NOUVEAU NAVIRE GÉOMÉTRIQUE À ÉRÉTRIE

A l'époque géometnque, l'île d'Eubée joue un rôle important dans les contacts commerciaux qu'entretien­nent la Grèce et le Proche-Orient, de même que dans les premières entreprises coloniales grecques en Occident1

Pour gagner aussi bien les ports de Syrie et de Phénicie que les établissements du Sud de l'Italie, ses cités devaient être dotées de navires performants. Aussi est-il loisible de s'étonner qu'on trouve peu de traces de ces navires sur des documents eubéens contemporains. Sur la cérami­que notamment, qui livre la majorité des représentations

Antike Kunst 49, 2006, p. 97-107, pl. 20

Le présent article a pu être rédigé grâce au soutien de la Fondation Théodore Lagonico et de la Société Académique Vaudoise. Je remer­cie en outre le professeur Pierre Ducrey ainsi que Thierry Theurillat pour la lecture critique à laquelle ils ont soumis mon texte, de même que Irini Lemos et la British School d'Athènes pour m'avoir permis d'utiliser les images des bateaux de Lefkandi.

Coldstream 1968

Coldstream 1983

Coldstream 1994

Coldstream -Carling 1996

Gray 1974

Morrison­Williams 1968

L. Basch, Le musée imaginaire de la marine antique (1987) J. N. Coldstream, Greek Geometrie Pottery. A Survey ofTen Local Styles and their Chrono­logy (1968) J. N. Coldstream, Sorne Peculiarities of the Euboean Geometrie Figured Style, ASAtene 1981 (1983), 241-249 J. N. Coldstream, Pithekoussai, Cyprus and the Cesnola Pain ter, in: B. D'Agostino - D. Ridg­way (éd.), Apoikia. I più antichi insediamenti greci in Occidente: funzioni e modi dell' or­ganizzazione politica e sociale. Scritti in onore di Giorgio Buchner (1994) 77-86 J. N. Coldstream- H. W. Carling (éd.), Knos­sos North Cemetery. Early Greek Tombs. BSA suppl. 28 (1996) J.-R. Gisler, Erétrie et le Peintre de Cesnola, Archaiognosia 8, 1993/4, 11-95 D. Gray, Seewesen. Archaeologia Homerica I, G (1974) J. S. Morrison - R. T. Williams, Greek Oared Ships, 900-322 B.C. (1968)

1 La littérature sur ce sujet est vaste. Pour un bref résumé et quelques éléments bibliographiques, voir G. Le Rider- S. Ver dan, La trouvaille d'Erétrie: réserve d'un orfèvre ou dépôt monétaire?, AntK 45, 2002, q8-J40.

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et foulé le Cénéon, cap de l'Eubée fameuse pour ses navires. Hymne homérique à Apollon, 219

figurées pour cette période, ils semblent rares, du moins si l'on considère à titre de comparaison le répertoire ico­nographique de la céramique attique, où le bateau est un motif apprécié durant tout le Géométrique Récent2

Rareté ne signifie toutefois pas absence, et les attesta­tions dont on dispose n'en ont que plus de valeur. Jus­qu'à maintenant, on comptait cinq représentations certi­fiées de bateaux sur des vases produits en Eubée ou dans la sphère eubéenne3• Deux d'entre elles sont issues des nécropoles de Lefkandi et remontent au 9e siècle, ce qui les place parmi les premières d'époque géométrique4

• La troisième, à situer au milieu du ge siècle, se trouve sur un cratère eubéen exhumé dans une des nécropoles de Knossos5

• Une quatrième, découverte à Erétrie et datant de la seconde moitié du ge siècle, constitue un cas parti­culier puisqu'elle est incisée et non peinte sur un vasé. La cinquième est une fameuse scène de naufrage peinte sur un cratère provenant non pas d'Eubée mais de Pithé­cusses, fondation eubéenne sur l'île d'Ischia près de Na­ples, où elle a sans doute été réalisée par un peintre venu

2 Voir entre autres G. S. Kirk, Ships on Geometrie Vases, BSA 44, 1949, 95-116; Morrison- Williams 1968, 12-42; Gray 1974, 21-25. 57-61; Basch 1987, 161-187, avec la mention des études antérieures. L. Basch ayant réuni dans son <<musée imaginaire de la marine anti­que» un nombre considérable de documents, c'est à cet ouvrage qu'il sera le plus souvent fait référence. 3 Sans compter une représentation provenant de Skyros, qui sort du cadre chronologique fixé ici puisqu'elle remonte à la fin de l'Helladique Récent (milieu du 12' s.), mais qui constitue un remarquable an­técédent iconographique dans un contexte associé à l'Eubée: ibid. 142 fig. 295; Gray 1974, 20 no 55; 53 fig. 15 c; 55· A signaler encore la récente découverte, à Lefkandi, de deux fragments de vases datant de l'Helladique Récent III C et ornés de navires (Archaeological Reports for 2004-2005, 5I fig. 90 ). 4 M. R. Popham- L. H. Sackett- P. G. Themelis, Lefkandi I. The Iron Age Settlement and Cemeteries (198o) pl. 274, 918; M. R. Popham - I. S. Lemos, Lefkandi III. The Earl y Iron Age Cemetery at Toumba (1996) pl. 94, 3; 107. Deux articles sont spécialement consacrés à ces pièces: M. R. Popham, An Early Euboean Ship, Oxford Journal of Archaeology 6, 1987, 3 53-3 59; P. G. Kalligas, Earl y Euboean Ship Building, in: H. E. Tzalas (éd.), Proceedings of the 2nd International Symposium on Ship Construction in Antiquity, Delphi 1987 (1990) n-83. 5 Coldstream- Carling 1996, I 216 no 71; II 403-404; IV pl. 205. 6 AEphem 1983, 185 fig. 10 pl. 64,224.

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Fig. 1 Représentation d'une monère sur un cratère attique

de la mère patrie7• Une sixième pièce, récemment mise au

jour dans le sanctuaire d'Apollon Daphnéphoros à Eré­trie, vient désormais s'ajouter à ce corpus. Remarquable tant par son contexte de découverte que par l'originalité de l'image, elle mérite d'être étudiée en détail.

Le vase en question est un cratère de taille moyenne (pl. 20, r-2)8. Sa pâte, de couleur rosée, est très fine; les décors sont peints sur un fond d'engobe couleur crème de bonne qualité; des motifs en rehaut blanc sont appli­qués sur le vernis foncé: points et zigzags sur la coque du navire, lignes ondulées sur des bandes vernies au bas de la panse. Toutes ces caractéristiques signalent une produc­tion eubéenne9

• Plusieurs éléments permettent de situer la pièce à un stade avancé du Géométrique Récent (Géo­métrique Récent II, dernier quart du ge siècle): l'usage du rehaut blanc10

, notamment pour réaliser les lignes ondu­lées, le zigzag sur la lèvre, exécuté au pinceau multiple

7 D. Ridgway, The Pithekoussai Shipwreck, in: J.H. Betts et al. (éd.), Studies in Honour of T. B. L. Webster II (1988) 97-107; G. Buchner­D. Ridgway, Pithekoussai I (1993) 695 pl. 23r. 8 Diamètre à l'ouverture: 36 cm. La panse globulaire et la lèvre verti­cale épaissie en triangle sont des traits morphologiques habituels pour les cratères du Géométrique Récent: Lefkandi I op.cit. (note 4) 68; J. N. Coldstream, Euboean Geometrie Imports from the Acropolis of Pithekoussai, BSA 90, 1995,253. 9 La pâte, le vernis foncé et l'engobe clair correspondent à ce qui a déjà été décrit à plusieurs reprises pour les productions eubéennes: J. Boardman, Pottery from Eretria, BSA 47, 1952, 2; Coldstream 1968, 190; Lefkandi I op.cit. 58; Coldstream op.cit. (note 8) 251-252; voir aussi la discussion dans: S. Hu ber, Eretria XIV. L'Aire sacrificielle au nord du Sanctuaire d'Apollon Daphnéphoros. Un rituel des époques géométrique et archaïque (2003) I 46-47. 10 Pour la céramique eubéenne, l'emploi de cette technique décora­tive connue depuis le Géométrique Moyen à Corinthe (Coldstream 1968, 97) n'est pas encore clairement situé dans le temps. Les cher­cheurs l'ont associé à des <<dinoi subgéométriques>> (Boardman op.cit. [note 9] 7 pl. 2 B; Coldstream 1968, 193; A. Andreiomenou, AEphem 1975, 226-227 pl. 66-68), ou plus généralement aux cratères de la fin

de mamere peu rigoureuse11, ainsi que la construction

simple du décor12• Du vase, quelques dizaines de frag­

ments seulement ont été retrouvés. Ils nous permettent cependant de voir que le registre de la panse, sur une des faces au moins, était occupé par un navire.

L'embarcation, dont seule la partie arrière est bien conservée, est pourvue d'une coque basse. La poupe est surmontée d'un élément incurvé vers l'avant, l'aphlas­ton, dont l'extrémité est carrée. Le gaillard d'arrière est surmonté d'une lisse et supporte également une épaisse pièce en forme de L dont l'extrémité, dépassant à l'ar­rière de la poupe, sert de perchoir à un oiseau aux ailes déployées13• Le bateau est doté d'une rame-gouvernail

du Géométrique Récent Q. N. Coldstream, Geometrie Greece: 9oo-7oo B.c. [ 22003] 194). Il est à noter que, dans le matériel du sanctuaire d'Apollon remontant au Géométrique Récent I (troisième quart du 8' s.), la présence du rehaut blanc ne semble pas attestée. 11 Dans la céramique eubéenne, ce motif est très rare sur la lèvre des cratères ou des petits vases ouverts. Peut-être est-ille résultat de la dégénérescence des traits épais reliés, décor courant (voir par exemple Gisler 1993/4, 84 fig. 14); ce phénomène est d'ailleurs décrit pour la céramique attique du Géométrique Récent II (Coldstream 1968, 88). On peut aussi y voir une influence corinthienne (sur le zigzag dans la céramique corinthienne, ibid. 99-100). On trouve ce motif dans la nécropole de Pithécusses, sur la lèvre d'un cratère de production locale daté du Géométrique Récent Il: Buchner - Ridgway op.cit. (note 7) pl. 69. 12 Long panneau sans métopes latérales ni motifs secondaires horizon­taux ou verticaux. 13 L'oiseau est associé au navire à de nombreuses reprises. Il fait déjà office de figure de proue sur des sceaux minoens (Basch 1987, 107). Il orne également la proue et la poupe des embarcations appartenant aux Peuples de la Mer sur le relief du temple funéraire de Ramsès III (ibid. 67-69 fig. 123; pour une illustration complète du relief, voir Gray 1974, 88 planche hors texte). A l'époque géométrique, l'oiseau, dis­tinct du navire, accompagne souvent ce dernier aussi bien sur la céra­mique que sur les fibules de bronze (ibid. 164-194 passim). A l'époque archaïque, sa tête est l'ornement le plus fréquent de l'aphlaston (ibid. 206-227 passim et 232). Sa présence évoque peut-être les services qu'il rendait aux navigateurs en leur indiquant la direction de la terre ferme:

S. VERDAN

Fig. 2 Représentation d'une dière sur un cratère corinthien

avec une poignée, et d'une voile, qui est ferlée à la vergue. A la pointe de la vergue, une fine ligne oblique et une ligne verticale plus épaisse se rejoignent. Elles représen­tent probablement des cordages (bras, écoute?), même si elles ne touchent pas tout à fait la vergue; il doit s'agir là d'une négligence du peintre. Au-dessus de la coque, trois lignes horizontales croisent à intervalle régulier des lignes verticales. Les deux horizontales inférieu­res sont pourvues de courts traits verticaux dirigés vers le haut. Ces derniers sont à n'en pas douter les tolets, pièces auxquelles étaient fixées les rames lors de leur uti­lisation. Les deux lignes horizontales auxquelles ils sont reliés sont donc à considérer comme des lisses de nage14

A noter que la lisse inférieure, soutenue par les éléments verticaux que l'on voit se prolonger jusqu'à la coque, est reliée au plat-bord par un zigzag qui constitue certaine­ment un aménagement réel et non un élément décoratif15

La ligne horizontale supérieure n'est en revanche pas une lisse de nage, étant dépourvue de tolets (on y reviendra par la suite).

La présence des deux lisses de nage, identifiables à leurs tolets, soulève un problème relatif à la manière dont le peintre a voulu représenter les superstructures du navire. Il s'agit en effet de déterminer si ce dernier est montré de profil, d'une manière «réaliste», ou s'il est rendu par une sorte de vue en perspective où les éléments superpo­sés appartiennent à plusieurs plans différents, les parties éloignées dans la réalité étant placées, sur le dessin, au­dessus de celles qui sont proches16

• Dans le premier cas,

P. Monti, Homeric Tradition in the Mediterranean Navigation of the Pithekoussans, Talanta 30-3 r, r998-9, r22-r24. 14 Basch r987, r64. 15 Il s'agit peut-être du laçage d'une fargue (toile de protection). On trouve un cas semblable sur une fibule (ibid. I93 fig. 4rr) de même que sur un modèle en terre cuite chypriote (ibid. 2 5 r fig. 5 30 ). Basch illustre le principe par des exemples actuels (ibid. 252 fig. 53r-532). 16 Sur ce principe, ibid. r 6 3- r 69.

UN NOUVEAU NAVIRE GÉOMÉTRIQUE À ERÉTRIE

les lisses de nage se trouveraient toutes deux à bâbord, et l'on aurait par conséquent affaire à une embarcation possédant deux rangs de rameurs de chaque côté, c'est­à -dire à une dière (ou navire dikrotos ). Dans le second cas, seule la première lisse se trouverait à bâbord, tandis que la seconde serait à tribord: il s'agirait d'une monère (ou navire monokrotos). Cette question, qui s'est posée depuis longtemps pour le corpus attique, a été largement débattue. Certaines représentations font l'accord des chercheurs et sont unanimement interprétées comme des monères ou des dières17 • D'autres, principalement celles que l'on attribue au Groupe du Dipylon, restent l'objet de controverses18

. Il n'y a pas lieu de prolonger ici ces débats. Au demeurant, le recours aux parallèles ne permet pas de résoudre pleinement notre problème, car la solution adoptée par le peintre eubéen est tout à fait originale, et cela pour plusieurs raisons. Il est rare, pour commencer, que deux rangées de tolets soient visibles. On en trouve deux autres attestations seulement, sur une monère dans un cas (fig. r, cratère du British Museum), sur une dière dans l'autre (fig. 2, cratère du Royal On­tario Museum de Toronto)19

• Ensuite, le fait que deux lisses de nage se superposent sans éléments horizontaux intermédiaires distingue clairement notre image de celles du Dipylon (fig. ;); sur ces dernières, en effet, les deux points d'appui attestés pour les rames sont séparés par

17 Monère: cratère attique du British Museum r899.2-r9 (ibid. r63-r65 fig. p8-329 = Morrison- Williams r968, pl. 4, Geom. r9); voir fig. I.

Dières: fragments de cratères attiques (Basch r987, r8r-r83 fig. 384-386 = Morrison- Williams r968, pl. 7, Geom. 43-44 et pl. 8, Arch. r); cratère corinthien du Royal Ontario Museum de Toronto C.r99 (Basch r987, r84-r87 fig. 387-388 = Morrison- Williams r968, pl. 7, Geom. 42); voir fig. 2.

18 Pour deux tendances interprétatives divergentes, voir Basch r987, r65-r72, etH. T. Wallinga, Ships and Sea-power before the Great Per­sian War. The ancestry of the ancient trireme (r993) 53-59, avec les références à la bibliographie antérieure. 19 cf. supra note r7.

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Fig. 3 Schéma d'un navire d'après les conventions du Dipylon

deux lignes qui ont donné lieu à diverses explications20. Enfin, la présence d'une horizontale supplémentaire pla­cée au -dessus des lisses de nage n'a pas d'équivalent dans l'iconographie géométrique. Le caractère unique de ce mode de représentation rendrait son interprétation dif­ficile, et ce d'autant plus que font ici défaut les rames et les rameurs, indices précieux pour la compréhension des images attiques, s'il n'existait un détail qui permettait d'y voir plus clair: les tolets des deux lisses de nage ont sys­tématiquement été placés de manière décalée les uns par rapport aux autres21 . Cette particularité n'aurait pas de raison d'être dans une vue en «perspective>>, sinon dans une perspective cavalière, ce qu'on ne saurait attendre à l'époque géométrique. Elle prend en revanche tout son sens si l'on a affaire à une dière. Sur ce type de navire, en effet, non seulement les deux rangs de rameurs sont situés à une hauteur différente, mais aussi les rameurs sont décalés longitudinalement d'un rang à l'autre. Ce décalage n'apparaît pas clairement sur les dières attestées au 8e siècle22, mais il est visible plus tard, sur des navi­res de la céramique à figures noires23

• C'est également sur ces exemples d'époque archaïque que l'on trouve

20 cf. supra note r 8. 21 Le dernier tolet de la lisse supérieur vers le gaillard d'arrière est la seule exception. Le peintre l'a éventuellement déplacé pour qu'il ne touche pas la poignée de la rame-gouvernail. Cela pourrait aussi s'expliquer s'il n'y a plus de tolet au rang inférieur, ce qui reste mal­heureusement invérifiable en raison d'une cassure. 22 Sur les pièces fragmentaires (Basch 1987, r82-r83 fig. 384-386 = Morrison- Williams 1968, pl. 7, Geom. 43-44 et pl. 8, Arch. r), le point d'appui exact des rames n'est pas visible, mais les rameurs sont légèrement décalés. Sur le cratère de Toronto (fig. 2), les tolets inférieurs et supérieurs ne sont pas vraiment alternés, mais ils ne sont pas alignés non plus. 23 Coupe du British Museum B 4 36 (Bas ch r 987, 22 r-22 fig. 462-463 = Morrison- Williams r 968, pl. r 9-20, Arch. 8 5 ); amphore du Musée de Tarquinia 678 (Basch 1987,226, fig. 470 B = Morrison- Williams 1968, pl. 20, Arch. 86). Voir également les navires phéniciens représentés sur les bas-reliefs du palais de Sennacherib à Ninive (Bas ch r 987, 3 r r-3 r 8).

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des aménagements correspondant à la ligne horizontale supérieure de notre image. Ils sont interprétés comme un pont dominant les bancs de nage, ou seulement comme des lisses, structures permettant de fixer des protections amovibles sur les côtés («fargues>>) ou même au-dessus des rameurs24 . La seconde hypothèse semble la plus probable.

L'attestation d'une dière remontant au dernier quart du 8e siècle mérite d'être relevée, car elle peut apporter un nouvel argument dans la controverse concernant l'apparition de ce type de bateau en Grèce25

• Mais cette question dépasse le cadre de la présente étude; il suffira d'insister ici sur l'intérêt intrinsèque du navire eubéen. Il est représenté de manière sobre, sans équipage ni pa­vois2\ mais précise, puisque les principaux composants de la superstructure y figurent. Deux éléments sup­plémentaires contribuent à faire son originalité par rap­port aux modèles attiques: l'extrémité carrée de l'aphlas­ton27, et la voile ferlée, point sur lequel on reviendra par la suite.

On notera enfin la qualité de l'image. Des décors en rehaut blanc enrichissent les plages de vernis foncé: aux points peints sur la poupe et sur le gaillard d'arrière s'ajoutent, sur la coque, de petits zigzags qui figurent les vagues. Ce dernier motif, répété au vernis foncé derrière le bateau, n'est d'ailleurs pas le seul à évoquer l'élément liquide: le décor de la lèvre ainsi que les lignes ondulées en rehaut qui ornent le bas de la panse contribuent à ren­dre la présence de la mer. Des détails, comme la structure

24 ibid. 204-21 r. L'auteur parle de «lisses de fargue>>. 25 Basch, en fonction de sa lecture des représentations attiques, situe l'apparition de la dière vers 700 (ibid. r83-r84). Wallinga considère quant à lui qu'elle remonte au moins au milieu du 8' s.: op.cit. (note r8) 59· 64-65. 26 Eléments que l'on trouve sur les exemples attiques. 27 Sur les représentations attiques, l' aphlaston se termine presque tou­jours en forme de corne.

S. VERDAN

Fig. 4 Bateaux de Lefkandi: a) sur une pyxide de la nécropole de Toumba, b) sur un cratère de la nécropole de Skoubris

quadrillée de la rame-gouvernail ou le zigzag comblant l'espace entre le plat-bord et la première lisse de nage, témoignent aussi du soin accordé à cette réalisation.

La pièce apparaît comme un document relativement isolé au sein de la céramique géométrique eubéenne. Il convient toutefois de la considérer en relation avec les quelques autres attestations de navires énumérées en in­troduction.

Plus d'un siècle la sépare des deux images provenant de Lefkandi (fig. 4 a-b). Du seul point de vue icono­graphique, elle ne présente d'ailleurs pas de correspon­dance notable avec ces dernières; tout au plus peut-on leur trouver une ressemblance faite de traits qui sont communs à plusieurs représentations géométriques et qui ne peuvent donc pas être considérés comme la preuve d'une filiation. En l'état actuel de nos connaissances, les deux pièces précoces restent sans descendance directe28

Toutefois, elles attestent que le bateau n'est pas étranger à la céramique eubéenne, et ce bien avant que les peintres des grands ateliers attiques ne le développent.

Chronologiquement parlant, le cratère découvert à Knossos se rapproche davantage de notre pièce29

• Il ne permet malheureusement pas une comparaison appro­fondie, en raison de son état très fragmentaire; des navi-

28 Kalligas op.cit. (note 4) voit dans les représentations trouvées à Lefkandi la preuve de l'importance qu'y revêtaient les navires, et plus précisément ceux de guerre, au 9' s., mais il n'est pas certain qu'une telle explication soit nécessaire. Divers facteurs peuvent régir l'ap­parition ou non du thème sur la céramique, tandis que la navigation reste certainement d'une importance constante pour les Eubéens. A ce propos, la récente mise au jour de représentations de navires sur deux vases qui remontent à la fin de la période helladique est intéressante (cf. supra, note 3). Elle nous rappelle combien nous sommes dépen­dants du hasard des découvertes. 29 Coldstream estime qu'il est à situer à la même époque que le cratère de Cesnola, c'est-à-dire vers 750, au tout début du Géométrique Récent eubéen (Coldstream- Carling 1996, Il 404).

UN NOUVEAU NAVIRE GÉOMÉTRIQUE À ERÉTRIE

Fig. 5 Fragments de navires sur un cratère eubéen: a) la poupe, b) le mât avec la vergue

res qui y figuraient, seuls deux éléments sont conservés: une poupe et le sommet d'un mât supportant une vergue (fig. 5 a-b). Cette dernière est néanmoins intéressante, car elle est soulignée par un zigzag évoquant à n'en pas douter une voile ferlée. Or il s'agit d'un trait que l'on a aussi relevé sur la représentation provenant du sanc­tuaire d'Apollon.

Le graffita d'Erétrie (fig. 6) doit être considéré à part, puisqu'il échappe à la catégorie des œuvres peintes sur vases. La plupart des éléments qui le composent semblent d'ailleurs empruntés non tant au répertoire iconographi­que de la céramique qu'à celui des fibules gravées30

: on remarque en effet l'absence de véritable gaillard d'ar­rière, remplacé par quelques traits, l'absence de lisses, le château de proue très développé, le chevalet à la base

30 Basch 1987, I90-I95· Ces fibules à décors figurés sont datées entre la fin du 8' et la première moitié du 7' s.; la production des plus ri­ches ensembles de pièces est attribuée à la Béotie. Pour un exemplaire récemment publié de fibule ornée d'un bateau, avec les références bibliographiques sur le sujet, voir E. Simon, Eine spatgeometrische bootische Bronzefibel im Martin-von-Wagner Museum, in: P. Linant de Bellefonds et al. (éd.), Agathos Daimon: mythes et cultes. Etudes d'iconographie en l'honneur de Lilly Kahil. BCH suppl. 38 (2ooo)

453-46!.

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Fig. 6 Graffita géométrique d'Erétrie

du mât31, et enfin, au sommet du mât, le carré surmonté

d'une sorte de tête de personnage, qui trouve un paral­lèle presque exact sur une fibule de Béotie et qui suggère l'existence d'une hune32

• Le graffita présente toutefois deux points communs importants avec le navire du sanc­tuaire d'Apollon: l'extrémité carrée de l' aphlaston33, et surtout la voile ferlée à la vergue34

• Cette dernière mérite un commentaire particulier puisque, comme on vient de le voir, elle apparaît sur trois représentations eubéennes, alors qu'elle n'appartient ni à la tradition iconographi­que attique ni à celle des fibules béotiennes. Ailleurs en Grèce, elle trouve une attestation isolée sur une plaque d'ivoire découverte dans le sanctuaire d'Artémis Orthia à Sparte et datant du 7e siècle35

• En revanche, elle figure sur de nombreuses représentations hors du monde grec, en Egypte, en Assyrie et en Phénicie, de même qu'à

31 Basch 1987, 194. Ce «mât à chevalet» trouve cependant une attes­tation sur un vase, un cratère géométrique provenant d'Oropos, le site qui fait face à Erétrie sur l'autre rive du Golfe Euboïque. La représentation du navire, dans ce cas, s'apparente fort à celles des fibules: A. Mazarakis Ainian, Recent Excavations at Oropos (Nor­them Attica), in: M. Stamatapoulou - M. Yeroulanou, Excavating Classical Culture. Recent Archaeological Discoveries in Greece (2002) 172 fig. 11 b. 32 Bas ch 1987, 192 fig. 404 (=Morris on- Williams 1968, pl. 8, Arch. 8). Une autre fibule comporte un élément semblable (Basch 1987, 193 fig. 409). La hune, s'il s'agit bien de cela, trouve ici ses seules attestations précoces en Grèce, auxquelles il faut ajouter celle du cratère d' Aris­tonothos, provenant de Grande Grèce (ibid. 233 fig. 482 = Morrison -Williams 1968, pl. 9, Arch. 5). 33 Sur les fibules, l'extrémité de l' aphlaston est lui aussi anguleux, mais il présente un élargissement qui ne se trouve pas sur les exemples érétriens. 34 Comme sur le cratère de Knossos, la présence de la voile ferlée est indiquée ici par un zigzag soulignant la vergue. A noter que Coldstream avait déjà signalé ce point commun entre les deux représentations (Coldstream- Carling 1996, II 404). 35 Basch 1987, 239-241 fig. 506-508 (= Morrison - Williams 1968, pl. 10, Arch. 31).

102

Fig. 7 Hydrie de l' <<aire sacrificielle» au nord du sanctuaire d'Apollon

Chypre et en Etrurie36• Il serait difficile d'attribuer au

seul hasard nos trois occurrences de même origine. Elles suggèrent plutôt l'existence d'une convention iconogra­phique, peut-être inspirée des modèles orientaux37

, au sein de la céramique géométrique eubéenne; le navire n'y était-il donc pas un motif aussi rare que ne le laisse croire l'état actuel des découvertes?

Au passage, considérons brièvement un vase dont il n'a pas été question jusqu'ici, parce que son décor est d'une lecture délicate. Il s'agit d'une hydrie géométrique qui provient d'une «aire sacrificielle» située au nord du sanctuaire d'Apollon à Erétrie38 • Elle porte sur l'une de ses faces des chevaux paissant et sur l'autre un motif in­connu que S. Huber, à la suite de Coldstream, propose d'interpréter comme un bateau (fig. 7 ). Il est vrai que la manière dont se termine le motif, à droite, rappelle une poupe avec son gaillard d'arrière fait de hachures et son aphlaston pointant vers le haut, et que le zigzag au-des­sous pourrait évoquer la mer. Mais le dessin s'éloigne trop des représentations connues pour que l'on puisse être sûr qu'il s'agit d'un bateau.

Le cratère de Pithécusses semble être la pièce se rap­prochant le plus de la nôtre (fig. 8). Les deux vases, de

36 Egypte: relief du temple funéraire de Ramsès III, premier quart du IZ' s. (Basch 1987, 68-69). Assyrie: reliefs du palais de Sennacherib à Ninive, début du 7' s. (ibid. 31 1-31 8). Phénicie: monnaies de Sidon, fin du 5' s. (ibid. 321 fig. 677-678). Chypre: deux vases, fin du 8'-7' s. (ibid. 261 fig. 564. 567). Etrurie: graffita de Veiès, première moitié du 7' s. (ibid. 408 fig. 865), situle d'ivoire de Chiusi, fin du 7' s. (ibid. 409 fig. 871), vases de Cerveteri, fin du 7' s. (ibid. 411 fig. 878) et début du 6' s. (ibid. 409 fig. 869 ). 37 Ce phénomène d'emprunt est attesté dans la céramique eubéenne, notamment pour un motif comme celui de l'arbre de vie: P. P. Kahane, Ikonologische Untersuchungen zur griechisch-geometrischen Kunst. Der Cesnola-Krater aus Kourion im Metropolitan Museum, AntK r6, 1973, 118-I26; Coldstream 1983, 242; Coldstream 1994, 83). 38 Eretria XIV op.cit. (note 9) I 66. II pl. 32.

s. VERDAN

Fig. 8 Scène de naufrage sur un cratère de Pithécusses

forme semblable, sont également marqués par l'influence corinthienne39

• Les deux bateaux ont certains traits en commun: l'extrémité carrée de l' aphlaston et une lisse que les supports verticaux dépassent d'une bonne lon­gueur40. Toutefois, la ressemblance ne va guère plus loin. Surtout, le contexte dans lequel les navires sont insérés est très différent. La scène du cratère de Pithécusses a une valeur narrative: elle raconte un dramatique naufra­ge. Celle du cratère d'Erétrie est davantage ostentatoire: elle montre un imposant bâtiment. La première s'appa­rente aux scènes de la céramique attique, qui sont le plus souvent animées de personnages (batailles, navigations). Elle s'en rapproche aussi par sa destination, puisque le vase provient d'une tombe. A Athènes, en effet, le na­vire appartient avant tout au répertoire de l'iconographie funéraire41

Le fait qu'une telle iconographie, développée à Athè­nes au Géométrique Récent, ne trouve pas d'équivalent en Eubée42 permet peut-être d'expliquer pourquoi le bateau est fréquent d'un côté et rare de l'autre. Il n'est pas certain cependant que cette comparaison soit éclai-

39 Au sujet du cratère de Pithécusses, voir Coldstream 1968, 195. On relèvera que le cratère de Pithécusses dessine une vasque moins globu­laire et donc plus profonde que celle du cratère érétrien. 40 Basch interprète cette dernière structure comme une lisse de fargue (Basch 1987, 1 87). 41 G. Ahlberg, Fighting on Land and Sea in Greek Geometrie Art (1971) 67-70; Basch 1987, 161. Kirk, en revanche, propose de disso­cier le navire et le contexte funéraire: op.cit. (note 2) 144-1 53· 42 Cette spécificité a déjà été relevée à plusieurs reprises. Elle concerne bien entendu un plus large domaine que le seul thème qui nous oc­cupe: voir Coldstream 1983 et J. N. Coldstream, The Meaning of the Regional Styles in the Eighth Century B.C., in: R. Higg (éd.), The Greek Renaissance of the Eighth Century B.c.: Tradition and Inno­vation. Proceedings of the First International Symposium at the Swe­dish Institute, Athens 1981 ( 198 3) 20. Le même auteur relève cepen­dant à juste titre que les nécropoles géométriques de l'Eubée sont très mal connues, ce qui peut biaiser notre appréhension du phénomène

UN NOUVEAU NAVIRE GÉOMÉTRIQUE À ERÉTRIE

rante dans le cas qui nous occupe; d'abord parce que le phénomène attique revêt un caractère exceptionnel et ne constitue donc pas nécessairement une norme à l'aune de laquelle juger ce qui se passe ailleurs en Grèce; en­suite parce que nos observations doivent beaucoup au contexte de découverte de la céramique et que les né­cropoles de l'Eubée restent peu connues pour l'époque géométrique43

Plaçons-nous dans une perspective proprement eubéenne pour essayer de comprendre la place qu'occu­pe le navire au sein du répertoire iconographique. On le verra, cette dernière relève sans doute de facteurs autres que les seules coutumes funéraires. Parmi les décors fi­gurés qui ne manquent pas sur la céramique produite en Eubée, le thème de prédilection est celui de l' hippotro­phie, apparaissant sous deux formes principales: un che­val debout devant sa mangeoire ou une file de chevaux en train de paître44

• De telles représentations peuvent se trouver en contexte de nécropole, mais il est certain qu'elles n'appartiennent pas spécifiquement à l'icono­graphie funéraire; le vase qu'elles ornent est d'abord destiné à servir aux vivants, et notamment à figurer au banquet des nobles, à être offert à des hôtes de marque

(Coldstream 1994, 8o-81). A ce propos, on mentionnera la découver­te, dans la zone du Quartier de l'Ouest à Erétrie, d'un col appartenant à une amphore de taille monumentale et orné de frises de chars. K. Re­ber interprète ces frises comme la mise en scène d'un concours d'apo­bates, à mettre en rapport avec des jeux funèbres (K. Reber, Apobaten auf einem geometrischen Amphorenhals, AntK 42, 1999, 126-141). Il s'agirait donc d'un exemple d'image spécifiquement funéraire dans la céramique eubéenne. La question sera considérée par B. Blandin dans son étude consacrée aux coutumes funéraires géométriques d'Erétrie (à paraître dans la collection Eretria, Fouilles et recherches). 43 cf. supra note 42. 44 Gisler 1993/4, 28-39, avec une énumération des autres régions de Grèce où l'on trouve ces mêmes motifs: Attique, Béotie, Argolide ... Sur Argos, voir P. Sauzeau, Pourquoi Argos nourrit-elle des cavales?, Pallas 64, 2004, 129-143.

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ou à être consacré aux dieux45• La prééminence accordée

au thème susmentionné s'explique par l'existence d'une élite tirant sa richesse de l'élevage des chevaux et se ren­dant au combat à cheval: pour l'époque archaïque, des hippeis sont attestés à Erétrie, des hippobotai à Chalkis46

Le noble animal incarne tout particulièrement le statut de cette «aristocratie terrienne» et constitue un emblème sur lequel elle pouvait exercer une sorte de monopole; le navire, quant à lui, n'avait rien d'un symbole exclu­sif, faisant référence à des réalités très diverses. Cela ne signifie pas que l'élite eubéenne s'abstenait de toute ac­tivité sur mer. Au contraire, elle devait être impliquée au premier chef dans des entreprises maritimes à caractère aussi bien commercial que militaire: échanges avec des partenaires orientaux, expéditions coloniales, piraterie, affrontements entre communautés voisines47

• En termes de prestige, la navigation n'occupait en revanche pas la première place dans l'échelle des valeurs.

45 Coldstream 1994, 79-Sr. Sur les vases servant de dons prestigieux, voir J. N. Coldstream, Gift Exchange in the Eighth Century b.c., in: Hagg (éd.) op.cit. (note 42) 2or-2o6. 46 Sur les hippeis et les hippobotai, voir A. Mele, I caratteri della società eretriese arcaica, in: Contribution à l'étude de la société et de la colo­nisation eubéenne. Cahiers du Centre Jean Bérard II ( r 975) 2 3-24. Sur le lien entre cette aristocratie et les représentations de chevaux, voir Coldstream 1983; Coldstream 1994, 83-85; Gisler 1993/4, 49-p. 47 Sur le rapport entre aristocratie et commerce à l'époque archaï­que, voir la controverse entre Bravo et Mele: B. Bravo, Remarques sur les assises sociales, les formes d'organisation et la terminolo­gie du commerce maritime grec à l'époque archaïque, Dialogues d'histoire ancienne 3, 1977, r-59; A. Mele, Il commercio greco ar­caico. Prexis ed emporia. Cahiers du Centre Jean Bérard IV (1979); B. Bravo, Commerce et noblesse en Grèce archaïque. A propos d'un livre d'Alfonso Mele, Dialogues d'histoire ancienne ro, 1984, 99-r6o; A. Mele, Pirateria, commercio ed aristocrazia: replica a Benedetto Bravo, Dialogues d'histoire ancienne 12, 1986, 67-109; plus récem­ment, D. W. Tandy, Warriors into Traders: The Power of the Market in Early Greece (1997). Pour le rôle de l'aristocratie eubéenne dans les contacts avec l'Est et l'Ouest, voir J. P. Crielaard, The Social Organi­zation of Euboean Trade with the Eastern Mediterranean during the roth to 8th Centuries B.c., Pharos r, 1993, 139-146 et id., How the West was Won: Euboeans vs. Phoenicians, in: Akten des Internationa­len Kolloquiums <<Interactions in the Iron Age: Phoenicians, Greeks and the Indigenous Peoples of the Western Mediterranean>>, Amster­dam 1992. Hamburger Beitrage zur Archaologie r9ho, 1992ir993 ( I 996) 2 3 5-249.

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Reste que le bateau se trouve sur des vases eubéens, et non des moindres. Revenons pour conclure aux deux cratères, celui de Knossos et celui d'Erétrie.

Le premier, selon Coldstream, compte parmi les plus imposantes offrandes dans une des tombes les plus riches de la nécropole48

• Comme il est peu probable que ce vase ait été transporté en Crète uniquement pour être intégré à du mobilier funéraire, il faut imaginer qu'il a d'abord été utilisé, notamment lors de banquets. Dans ce contex­te, il devait constituer une prestigieuse «carte de visite» des Eubéens49

• Or il porte en même temps la figure du cheval et celle du bateau. L'association est remarquable, d'autant que l'on se situe, avec cette pièce, au début du style géométrique récent sur la céramique eubéenne50

Les deux motifs ne sont pas sur pied d'égalité: le premier occupe une place en vue, de part et d'autre du méandre centra!S1

; le second sert à remplir un espace sous les anses. Cette construction du décor doit certainement beaucoup à l'influence attique52

• Il n'empêche que le choix des thè­mes et leur hiérarchisation sur le vase peuvent illustrer la valeur respective de l'élevage et de la navigation dans la société eubéenne.

Le cas du cratère d'Erétrie est non moins édifiant. Ce qui distingue en premier lieu ce vase du précédent, c'est l'importance accordée au navire, qui ne se trouve plus dans une zone subalterne mais qui constitue le motif cen­tral et unique. Le contexte de découverte du vase est éga­lement très différent, et mérite qu'on s'y attarde. Il a été mis au jour à l'intérieur d'un édifice absidal qui occupait

48 Coldstream- Carling 1996, II 403. 49 Coldstream, Gift Exchange op.cit. (note 45). On peut faire le paral­lèle avec le cratère de Cesnola qui, à la même époque, voyage jusqu'à Chypre. Sur ce vase, voir entre autres Coldstream r 994, ainsi que la synthèse récente de M. B. Moore, CVA New York 5 (2004) 79-84. 50 Pour la datation du vase, cf. supra note 29. 51 Coldstream - Carling r 996, IV pl. 20 5. 52 ibid. II 404. Sur la céramique attique, c'est dès le Géométrique Moyen II que le cheval se trouve dans des métopes flanquant le méan­dre central (Coldstream 1968, 25-26). D'autre part, sur deux cratères attribués à l'atelier du Dipylon, on trouve des exemples de navires placés sous les anses (cratères du Musée du Louvre A 517 et A 522: Basch 1987, r72 fig. 353; I75 fig. 362 = Morrison- Williams r968, pl. 3, Geom. 9; pl. 4, Geom. r7).

S. VERDAN

une place particulière dans la zone du sanctuaire d' Apol­lon à l'époque géométrique, comme l'indiquent sa lon­gue durée de vie et sa situation en face d'un autel53

• Sur le sol du bâtiment, le vase, ou du moins ce qu'il en restait, a été trouvé à côté d'une base quadrangulaire en argile sur laquelle était posé un cratère de taille monumentalë; les fragments d'un troisième cratère, orné d'un cheval à la mangeoire, ont été récoltés au même endroit55

• Les trois vases se dressaient à un emplacement de choix au fond de l'édifice, face à l'entrée, et constituaient un point de focalisation pour le regard de ceux qui fréquentaient les lieux. On ne saurait les interpréter de manière définitive, car il reste difficile de préciser la fonction du bâtiment: s'agit-il d'un temple au sens strict du terme, ou d'une salle de banquet par exemple56 ? Les cratères sont entre autres susceptibles d'être des offrandes, des ustensiles du cultë ou de la vaisselle utilisée au banquet. Quoi qu'il en soit, on peut au moins évoquer deux raisons principa­les à leur présence: le caractère sacré des lieux et le rôle important qu'y joue l'élite locale. L'exposition des ima­ges se justifie parfaitement dans un contexte religieux: ne sont-elles pas une manière de placer le cheval et le navire

53 Concernant la découverte de cet édifice, voir AntK 43, 2000, 128 et AntK 44, 2ooi, 85-87 (avec un plan, fig. 3). Le bâtiment présente un premier état de construction remontant au Géométrique Moyen II (première moitié du 8' s.). Au Géométrique Récent (seconde moitié du 8' s.), il est reconstruit exactement au même emplacement. C'est sur le sol de ce second état qu'a été retrouvé le cratère au bateau. Alors que les bâtiments alentour sont orientés nord-sud et s'ouvrent vers le sud, celui-ci regarde vers le nord-est, en direction d'une construction interprétée comme un autel (no I2 sur le plan). 54 AntK 44, 2ooi, 8 5 (plan) et 86. Le pied du cratère, découvert en pla­ce sur la base (St 58 sur le plan), a un diamètre de 50 cm, ce qui permet de restituer une hauteur d'un mètre ou davantage pour le vase entier. La pièce, dont le décor s'organise autour d'un large méandre, remonte au Géométrique Moyen II et provient certainement d'Attique. 55 La pièce, qui s'inscrit dans la tradition du Peintre de Cesnola Q. N. Coldstream, The Cesnola Painter: a Change of Address, BICS I 8, I97I, I-I 5; Gisler I993/ 4), est une réalisation plutôt tardive. 56 A l'époque géométrique, il n'est pas même certain que ces catégories existent véritablement, mais il s'agit là d'une question qu'il serait trop long de développer dans le cadre de cette étude. 57 Je mentionnerai ici, sans y adhérer, l'hypothèse d'un usage des cratè­res dans le cadre d'ablutions rituelles (Gisler I993/4, 48. 50).

UN NOUVEAU NAVIRE GÉOMÉTRIQUE À ERÉTRIE

sous la protection divine58 ? Il ne semble pas qu'Apollon entretienne spécifiquement un lien avec la navigation, ce rôle étant plutôt dévolu à Héra en Eubée comme ailleurs en Grèce59

, mais il est possible que le message s'adresse à une autre divinité, qui serait associée au dieu dans son sanctuairé0• Le prestige de l'élite se trouve également ex­primé par ce groupe de cratères, attributs par excellence de ceux qui dispensent le vin du banquet61

; les préroga­tives aristocratiques sont ainsi affirmées devant la divi­nité et devant la communauté réunie pour le culte. Dans ce cadre, où la présence du cheval est particulièrement appropriéé2

, celle du navire est plus singulière. La place accordée à ce dernier serait-elle le signe de son impor­tance accrue? On peut se demander enfin si l'association des deux images, une nouvelle fois attestée non plus sur un seul vase mais dans un même contexté3, évoque uni-

58 La pratique consistant à faire l'offrande de bateaux, sous forme d'images ou de modèles réduits, est d'ailleurs bien attestée dans les sanctuaires grecs, notamment à Isthmia (BaschI 987, 2 37-2 38 fig. 496), à Corinthe (ibid. 235-237), et à l'Héraion de Samos (ibid. 244-245). Voir aussi F. de Polignac, Héra, le navire et la demeure: offrandes, di­vinité et société en Grèce archaïque, in: Héra. Images, espaces, cultes. Actes du Colloque International de Lille I993 (I997) IIJ-I22, avec une carte de répartition des modèles de bateaux retrouvés en Grèce. 59 ibid., ainsi que F. de Polignac, Navigations et fondations: Héra et les Eubéens de l'Egée à l'Occident, in: M. Bats- B. D'Agostino (éd.), Euboica. L'Eubea e la presenza euboica in Calcidica e in Occidente. Atti del Convegno Internazionale, Napoli I996 (I998) 23-29. 60 Des découvertes effectuées au nord du sanctuaire y suggèrent notamment la présence d'Artémis: Eretria XIV op.cit. (note 9), spé­cialement I49-I68. 61 Sur l'importance de ce vase, voir J. Luke, The Krater, Kratos, and the Polis, Greece and Rome 4I, I, I994, 23-32. 62 Gisler I993/ 4, 50. 63 On notera encore que l'association du cheval et du navire est également attestée dans des lieux qui ne sont pas sans rapport avec Erétrie. A Oropos, des figurines de chevaux et un modèle de bateau en terre cuite ont été découverts en lien avec des aménagements du début du 7' s. Le fouilleur y voit le signe d'un culte rendu à un héros: Mazarakis Ainian op.cit. (note 3I) I6I-I64. A Pithécusses, un dépôt daté entre la fin du 7' et le début du 6' s. a livré des objets du même type. Le contexte de ces offrandes est interprété de diverses manières: tombe, culte héroïque ou sanctuaire (B. D'Agostino, La «stipe>> dei cavalli di Pitecusa, Atti e memorie della Società Magna Grecia I 994/5, 9-Io8, spécialement 86-9I).

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quement l'oligarchie locale, ou si elle concerne cette fois­ci une communauté plus large d'Erétriens qui, dans le sanctuaire de leur divinité poliade, auraient désiré illus­trer d'une manière condensée les deux sphères d'activité occupant tout particulièrement la cité naissante: son as­sise territoriale et ses entreprises maritimes.

Samuel Verdan Université de Lausanne, Institut d'Archéologie et des Sciences de l'Antiquité BFSH2 CH-ror5 Lausanne

Samuel. [email protected]

LISTE DES PLANCHES

Pl. 20, r-2 Fragment de cratère géométrique du sanctuaire d'Apollon à Erétrie. Erétrie, Musée 00396-3. H. cons. 2I cm. Phot. S. Verdan, dessin L. Roduit.

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LISTE DES FIGURES

Fig. r Représentation d'une monère sur un cratère attique. London, British Museum r899.2-r9. D'après Morrison­Williams r968, pl. 4·

Fig. 2 Représentation d'une dière sur un cratère corinthien. To­ronto, Royal Ontario Museum C.r99. Dessin S. Verdan, d'après Basch r987, fig. 387-388.

Fig. 3 Schéma d'un navire d'après les conventions de l'atelier du Dipylon. Dessin S. Verdan, d'après Basch r987, fig. 34r.

Fig. 4 a-b Bateaux de Lefkandi: a) Pyxide de la nécropole de Tourn­ba. D'après M. R. Popham- l. S. Lemos, Lefkandi III. The Early Iron Age Cemetery at Toumba (r996) pl. ro7; b) Cratère de la nécropole de Skoubris. Dessins S. Verdan, d'après M. R. Popham- L. H. Sackett- P. G. Theme­lis, Lefkandi l. The Iron Age Settlement and Cemeteries (r98o) pl. 274.

Fig. 5 a-b Fragments de navires sur un cratère eubéen de la nécropo­le nord de Knossos, tombe 2r9 no 7r: a) poupe; b) mât avec vergue. Dessins S. Verdan, d'après Coldstream- Carling I996, IV pl. 205.

Fig. 6 Graffito géométrique d'Erétrie. D'après AEphem r983, r85fig.ro.

Fig. 7 Hydrie de !'<<aire sacrificielle>> au nord du sanctuaire d'Apollon. D'après S. Hu ber, Eretria XIV. L'Aire sacri­ficielle au nord du Sanctuaire d'Apollon Daphnéphoros. Un rituel des époques géométrique et archaïque (2003) II pl. 32-

Fig. 8 Scène de naufrage sur un cratère de la nécropole de San Montano à Pithécusses. D'après Morrison - Williams I968, pJ. 6.

S. VERDAN

ZusAMMENFASSUNG

Auf einem Kraterfragment geometrischer Zeit (Ende 8. Jahrhundert v. Chr.), das im Apollon-Heiligtum in Eretria zum Vorschein kam, ist ein Schiff dargestellt (Taf 20). Es ist sorgfaltig gezeichnet und unterscheidet sich deutlich von gleichzeitigen Schiffbildern der atti­schen Keramik. Gewisse Details lassen sogar vermu­ten, der Maler habe einen Dieres - mit zwei Rangen von Ruderern übereinander - wiedergeben wollen, einen Schiffstyp also, dessen Existenz im 8. Jahrhundert noch umstritten ist.

lm Gegensatz zum Pferd erscheint das Motiv des Schiffs in der eubi:iischen geometrischen Keramik selten, obwohl Eubi:ia in der Kolonisation und im Seehandel ja re ge aktiv war. Dafür mag es verschiedene Gründe ge ben: Fundzufall, Vorliebe der Maler, oder eine hi:ihere Wert­schatzung der Pferdezucht gegenüber der Schiffahrt. Wie dem auch sei, verdienen die wenigen Beispiele besondere Aufmerksamkeit, und das neueste ist auch deswegen in­teressant, weil es in einem Heiligtum entdeckt wurde. Ob als Votivgabe oder beim Opferbankett, cliente der Krater vielleicht dazu, gi:ittlichen Schutz für eine Meer­fahrt zu erbitten.

(Übersetzung Redaktion)

UN NOUVEAU NAVIRE GÉOMÉTRIQUE À ERÉTRIE

ABSTRACT

On a fragment of a kra ter of the Geometrie period (end of the eighth century B.c.) discovered in the sanctuary of Apollo in Eretria, a ship is represented (pl. 20). It is care­fully drawn and differs considerably from ships depicted on Attic pottery of the time. Certain details even suggest that the painter wished to represent a dieres - with two superposed rows of oarsmen -, a type of vessel whose existence in the eighth century is still under discussion.

Compared with horses, images of ships are rare on Euboean Geometrie pottery, although Euboea is known to have been quite active in colonial undertakings and maritime commerce. This may be due to various factors: archaeological coincidence, the painters' preferences, or perhaps horse breeding was more esteemed than naviga­tion. In any case, the few examples deserve particular at­tention, and the most recent is especially interesting for having come to light in a sanctuary. Whether as a votive offering or at a sacrificial banquet, the krater may have been intended to invoke divine protection for a maritime enterpnse.

(Translation by editor)

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