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Master Professionnel 1ère année Anthropologie et Métiers du Développement Durable
Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme
2014-2015
ETHR28
Anthropologie Appliquée à l’Aide Humanitaire.
MACIAS Diana
Le nouveau Bellavista: Un village sans histoire qui nous rappelle les chapitres plus
sombres de l’histoire colombienne.
1
I. INTRODUCTION
L’histoire de la guerre en Colombie s’écrit jour après jour. Cette histoire est bien
différente des guerres civiles des pays d’Afrique ou d’Asie. En Colombie, on trouve la plus
ancienne guerre civile du monde. En 60 ans, il y a eu plus de 281 mil morts et environ 5
millions 1 de déplacés internes (CNRR, 2015). Aujourd’hui, après les controversées
démobilisations des groupes paramilitaires d’extrême droite pendant le gouvernement du ex-
président Uribe, et les négociations de paix entre l’actuel gouvernement et les FARC (Forces
Armées Révolutionnaire de Colombie)2, la réparation des victimes est l'un des aspects les
plus importants à considérer pour atteindre un situation de paix durable.
Le dédommagement des victimes associé à la possibilité de retourner sur leurs terres,
est un des compromis que le gouvernement du président Santos a acquis afin de résoudre la
crise humanitaire dans laquelle se trouve le pays. Dans ce contexte, l’objectif de ce travail
est d’étudier les expériences de retour et de réintégration des populations déplacées du
point de vue de la notion de réparation des victimes et de garantie de non retour aux
actes violents. Pour cela, nous aborderons la situation de Bojayá (Chocó), un village au bord
du Pacifique qui a été victime, non seulement des diverses agressions de la part des groupes
armés et criminels, telles que l’intimidation, les menaces, le contrôle ou les massacres, en
plus de la violence de l’État Colombien manifestée par l’abandon, la corruption et une
complicité avec les paramilitaires ; c’est pou ces raisons pour que des milliers de personnes
ont été forcées de quitter leur maisons et de se déplacer vers les villages avoisinant.
Nous allons démarrer cette étude à partir du massacre de Bojayá, lequel a marqué un
tournant dans la politique de sécurité de l’Etat et dans son rapport avec les FARC. Il a surtout
permis de montrer à la communauté internationale et à la société colombienne, la réalité du
conflit armé et la violence structurelle qui a aggravée la crise humanitaire dans cette partie
du pays.
Notre objectif est d’étudier les processus de retour et de réintégration local de la
communauté de Bellavista, en prenant compte de plusieurs aspects : l’intervention de l’État
dans la réintégration et le dédommagement des victimes, le rôle de la communauté
internationale, des ONG et leur complémentarité avec les actions de l’État, la participation
des victimes et des organisations de base communautaire dans les processus de retour et de
1 Le crime commis à grande échelle lors du conflit armée a été le déplacement forcé, lequel a affecté environ
10% de la population colombienne. 2 Les Forces armées révolutionnaires de Colombie, sont la principale guérilla communiste colombienne
impliquée dans le conflit colombien depuis 50 ans.
2
reconstruction du tissu social, ainsi que la nouvelle situation de violence et de vulnérabilité
des victimes de ces régions.
En d’autres termes, nous voudrions savoir quelle est la situation actuelle des
personnes qui ont été déplacés de Bojayá et qui ont pris la décision de se réinstaller dans la
nouvelle Bellavista? Est-ce que ces personnes ont de vraies garanties de dédommagement et
de sécurité de la part des groupes armés? Est-ce que les actions menées par l’État colombien
et la communauté internationale ont été adéquats et suffisantes?
II. LES PROCESSUS DE JUSTICE TRANSITIONNELLE DANS LE MONDE
“La justice transitionnelle est l'ensemble des mesures juridiques et
politiques que de nombreux pays ont utilisés comme réparation pour
les violations massives des droits de l'homme. Dans la poursuite de
responsabilité et de réparation pour les victimes, la justice
transitionnelle donne aux victimes la reconnaissance de leurs droits,
afin de promouvoir la confiance du public et de renforcer la primauté
du droit3
Dans cette partie, nous allons illustrer la réflexion théorique sur les dynamiques de
retour, de réintégration, et de réparation des victimes des conflits armée, pour bien
comprendre le contexte dans lequel nous allons analyser l’intervention humanitaire de l’État
Colombien et des autres acteurs, dans la relocalisation et la réparation des déplacés de
Bellavista.
La réparation, le retour et la réintégration des déplacés pour des conflits armés
Historiquement, la justice transitionnelle n’est pas directement liée aux personnes
déplacées. Cependant, certaines mesures de ce type de justice ont une incidence pour les
personnes en situation de déplacement, en particulier par rapport à des solutions durables
telles que le retour et l’intégration dans son lieu d’origine. (Duthie, 2013 : 1).
La réintégration après des situations de déplacement est généralement considérée
comme un processus à long-terme et très complexe qui implique une multitude d’acteurs et
de domaines. Les acteurs humanitaires s’occupent principalement à fournir protection,
3 Centre Internationale pour la justice transitionnelle (2015). https://www.ictj.org/es/que-es-la-
justicia-transicional, 04, mars, 2015
3
assistance et faciliter l’émergence de solutions durables pour les personnes déplacées.
Cependant, si l'aide humanitaire est par définition conçue pour être une réponse à court terme
aux personnes en situation de danger, elle n'est par essence pas légitime pour mener la
réintégration durable d’une population massive. Cette compétence appartient à l’Etat.
(Duthie, 2013 :l).
D’après Duthie (2013:3), la réintégration est pensée pour permettre aux gens de
contribuer aux processus de réhabilitation sociale, le développement économique et la
gouvernance légitime. D'autre part, il y ajoute un élément social dans la réintégration,
étroitement liée à la réconciliation. Afin d’accomplir une solution durable, la réconciliation
implique la promotion de l'équité, de la coexistence, et la de confiance entre les personnes
déplacées et d'autres groupes.
Dans les contextes contemporains de transition, les réparations et la restitution
matérielle doivent être comprises comme deux réponses distinctes mais complémentaires aux
violations des droits des personnes déplacées (Williams, 2007: 15).
Dans ce sens, la restitution matérielle est généralement considérée comme une mesure
provisoire, impliquant des critères juridiques pour redresser des torts spécifiques. Elle devra
être coordonnée (pas confondu), avec des efforts de réforme structurelle sur le long terme
fondés sur des considérations politiques (Williams, 2007. 12).
En d’autres termes, parallèlement au développement, la restitution matérielle doit être
considérée comme un acte de recours individuel et collectif qui peut contribuer à résoudre
des grands conflits dus à son aspect réparateur, ou à sa contribution à l’élaboration de
solutions durables au déplacement. (Williams, 2007 : 11).
Ainsi, il n'existe aucune raison valable pour que les recours juridiques et les solutions
durables rentrent en conflit. En fait, l'aspect réparateur de la restitution, c'est à dire le
rétablissement des droits des victimes (la vérité et la justice), doit représenter généralement
la principale condition préalable à toute solution durable (Williams, 2007, pg 32).
III. LA MASACRE DE BOJAYÁ : UN SYMBOL DE LA VIOLENCE
STRUCTURELLE EN COLOMBIE.
Contexte général du déplacement en Colombie
La Colombie traverse une longue crise, commencée depuis plus de 60 ans, qui perdure
plus silencieusement que dans d’autres parties du monde (Geoffroy, 2005). Les dynamiques
4
de déplacement sont très éloignées de champs rwandais et les gens ne meurent pas de faim.
Il s’agit de déplacements individuels, familiaux ou de petits groupes (quelquefois des villages
entiers) que s’incorporent aux villages adjacents ou aux ceintures de misère des grandes villes
(Geoffroy, 2005).
La crise, ce n’est pas la faim. En Colombie, le peuple meure pour avoir parlé, pour
revendiquer leurs droits. Au quotidien, les attentats contre les leaders communautaires sont
quotidiens et menaces des communautés entières (Geoffroy, 2005).
La principale conséquence de la crise politique que traverse le pays est la prise en
otage de la population civile (Geoffroy, 2005). Les différents acteurs armés essayent de
conserver du terrain pour plusieurs motifs: pour acquérir ou gagner du poids dans la
négociation, pour contrôler la production illicite et les voies d’accès. Pour cela, ils cherchent
à contrôler la population des territoires concernés. Dans ce contexte, les différentes
agressions contre la population (intimidation, homicide, séquestre, menaces, massacres)
entrainent de nombreux déplacements individuels ou collectifs.
Cela engendre de nombreux déséquilibres démographiques dans les zones d’accueils,
ainsi que des difficultés lors du retour des familles après plusieurs mois d’abandon de leurs
terres (Geoffroy, 2005). En effet, les principaux buts des acteurs de la violence sont la
destruction et le chaos des formes de participation communautaire associés la destruction du
tissu social existant et la dispersion des groupes organisés.
Même si les chiffres paraissent faibles (un déplacement collectif peut être de 50
personnes en Colombie et de 70.000 en Afrique), la diversité et la quantité de déplacements
compliquent le paysage humanitaire (Geoffroy, 2005).
Parfois, le déplacement va doubler la population de la ville d’accueil. Les
déplacements au compte-gouttes qui concernent de petits groupes, sont en fait une multitude
de déplacements silencieux, qui passent inaperçus dans les statistiques. Une des
conséquences majeures de ce type de déplacement est la création des ceintures de pauvretés
exponentielles autour des aires urbaines. De plus, il est fréquent que les cellules familiales
connaissent plusieurs déplacements, ce qui produit un déracinement total de l’individu
(Geoffroy, 2005).
Dans ce panorama, le retour est peu fréquent, dans certains cas il surgit longtemps
après le déplacement, ce qui engendre trop souvent une perte des récoltes, de l’élevage et des
biens. Cependant, on observe des communautés qui se déclarent en résistance, c’est à dire
qui n’ont pas fuit des zones menacées ou en conflit. Pour ces personnes, les conséquences
sont souvent graves: blocus, accès restreint aux produits, au commerce et/ou voies de
5
communication, contrôle des activités agricoles et de la circulation, entre autres (Geoffroy,
2005).
Contexte du déplacement dans l’Arato Medio-Chocó
Dans la région de l’Atrato Medio vit une population indigène (notamment de l’ethnie
Emberá) et une autre afro-colombienne. Trois organisation représentent ces groupes, créées
avec le soutien de l’Église catholique: ACIA (afro-colombienne), OREWA et OIA
(Indigènes) (Geoffroy, 2005).
L’Atrato Medio est une zone difficile d’accès, le fleuve est la seule voie de
communication, ce qui rend le transport très lié au prix du carburant. L’économie “formelle”
tourne autour de l’exploitation du bois, mais d’autres formes de subsistance occupent la
plupart de la population (la chasse, la pêche, l’extraction d’or (alluvion) et l’agriculture de
“tumbe y pudre” (forme d’extraction traditionnelle de culture mixte pour profiter des saisons
et des nutriments des plantes d’une saison à l’autre) (Geoffroy, 2005).
Les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) contrôlent la zone depuis
25 ans. En 1996, les premiers affrontements avec les paramilitaires ont entrainé le
déplacement de 17.000 personnes. Conséquence, la zone subit un blocage économique qui
empêche les communautés qui sont restées de s’approvisionner en denrée qu’elles ne
produisent pas (Geoffroy, 2005).
En mai 2002, l´Atrato Medio est le lieu d’un massacre. Dans le village de Bellavista,
la population civile est prise entre deux feux croisés des affrontements entre guérilla et
paramilitaires. La population se réfugie dans l’église, mais des bombes sont lancées à
l’intérieur de l’église provoquant la mort de 79 personnes. Les affrontements ont continué ;
les communautés ont commencé à se déplacer. Cet événement a eu pour conséquence une
chaine de déplacements, de pénuries de ressources, pour des communautés entières cachées
dans la forêt ou réfugiées dans la capitale du département (Quibdó) (Geoffroy, 2005).
Le déplacement…
Le massacre a produit une “toile d’araignée” de migrations entre les communautés,
7.000 familles déplacées sont arrivées à Quibdó. Les premiers jours de l’urgence, la
communauté d’un village voisin (Vigía del Fuente) prend l’initiative et la responsabilité de
coordonner la distribution des aliments, de nettoyer et d’aménager les habitations vides, pour
héberger les personnes qui arrivent de Bellavista et d’autres villages (Geoffroy, 2005).
6
En mai 2002, la capitale du Chocó reçoit autour de 5.771 personnes déplacées,
provenant de Bellavista, de Vigia del Fuerte, et d'autres cantons4 (CNRR 2010 : 77).
Le déplacement forcé du Chocó est devenu perceptible depuis 1995. Son taux élevés
l'a classé jusqu'en 2009 troisième département avec plus de population en situation de
déplacement au niveau national. Malgré la baisse du conflit armé depuis 2007, la crise
humanitaire du déplacement forcé ne cesse pas. Entre 2007 et 2008, l'Agence Présidentielle
pour l'Attention aux Victimes (Action Sociale) a signalé le déplacement de 31.367 personnes
originaires de la région de l'Atrato. (CNRR, 2010:246).
Analyses du massacre et de la crise humanitaire dans cette région
Le massacre doit être considéré comme un crime de guerre contre des sujets collectifs.
Cela signifie que l'ampleur et la complexité des dommages sont expliqués par l'appartenance
des victimes aux communautés noires et autochtones très attachés à leur territoire. Il s'agit
aussi des groupes qui ont historiquement été victime de discrimination, d'exclusion sociale
et d'exploitation économique (CNRR, 2010:20).
Bien que ces faits soient nommés par leurs victimes comme un "massacre", à l’instar
des médias et de l'imaginaire collectif du pays (CNRR, 2010: 30), il s'agit plus précisément
d'un massacre massif de civils, d’un crime contre l'humanité qui reflète la dégradation de la
guerre en Colombie.
De même, la négligence et l'incapacité de l'Etat à protéger les civils restent évidentes
aux regards du massacre de Bojayá. Cela a démontré la précarité des institutions
démocratiques, puis le soutien, la tolérance des fonctionnaires et des membres l'Armée
colombienne envers des groupes armés illégaux qui défendent des intérêts privés et mafieux
(CNRR, 2010:40).
Ce type de réponse de la part de l'État reflète aussi un comportement historique, qui
explique la persistance de conflits dans les régions les plus reculées du pays. Notamment
l'absence de l'Etat, la précarité et la négligence institutionnelle, l'inégalité sociale profonde,
la corruption, l'exclusion politique et la discrimination, en plus du développement de méga-
projets productifs qui ne se traduisent pas par l'amélioration des conditions de vie des
communautés noires et autochtones (CNRR, 2010: 20), (Conferencia Episcopal de
Colombia, 2008:30).
4 “Una vez en Quibdó, el 42,39% de las familias planteó que las razones que causaron el desplazamiento
fueron los combates; el 38,65%, el miedo; el 3,25%, las amenazas; y el 2,62%, los asesinatos. Por tanto, la
violencia generalizada es la principal causa de expulsión en el Medio Atrato”. (Caicedo, 2006 : 29)
7
Du point de vue des droits humains, plus spécifiquement des droits des minorités
ethniques, ces massacres peuvent être considérés comme un ethnocide5 étant donné que selon
la définition, il y a eu un déracinement profond pour deux groupes ethniques déjà vulnérables
et qui méritent une protection spéciale.
IV. LE PROCESSUS DE RELOCALISATION, REINTEGRATION ET
REPARARTION DES VICTIMES : Une analyse du programme de justice réparatrice
de l’état colombien.
Les premières manifestations de “réparation” aux victimes de Bojayá
Le désintérêt de l'Etat avant le massacre contraste avec l'attention particulière donnée
au peuple par l'Etat et les organisations nationales et internationales. L'événement a convoqué
une extraordinaire solidarité au sein et à l'extérieur du pays, ce qui a entraîné une forte
présence des agences humanitaires.
Malgré leurs bonnes intentions, l’avalanche inhabituelle de fonctionnaires, de projets,
d’œuvres et d’actions ont été réalisé sans coordination et de manière décontextualisée. Cela
a généré à l'intérieur et à l'extérieur de la communauté de Bellavista un large débat sur
l’impact social et culturel de ces massacres.
La réponse de l'Etat à travers un ambitieux projet de relocalisation du peuple de
Bellavista a fait de sa reconstruction un aspirateur à investissements et projets
gouvernementaux. La perte quasi définitive de nombreux aspects culturels pour les
communautés victimes de la violence prouve que les processus de réparation des victimes ne
devraient pas uniquement se focaliser sur les aspects économiques et individuels (CNRR,
2010:30).
5 “El etnocidio significa que a un grupo étnico, colectiva o individualmente, se le niega su derecho de disfrutar,
desarrollar y transmitir su propia cultura y su propia lengua. Esto implica una forma extrema de violación
masiva de los derechos humanos, particularmente del derecho de los grupos étnicos al respeto de su identidad
cultural, tal como lo establecen numerosas declaraciones, pactos y convenios de las Naciones Unidas y sus
organismos especializados, así como diversos organismos regionales intergubernamentales y numerosas
organizaciones no gubernamentales” (CNRR , 2010: 124)
8
L'action de l'Etat: ¿Attention ou Réparation?
“Le massacre est indissociable des œuvres et des actions de l'Etat dans l'esprit
des habitants de la région” (CNRR, 2010:179).
La plupart des fonctionnaires publiques ont considéré la relocalisation du village
comme la principal action de réparation aux victimes, non seulement par des effets directs
liés à l’argent et au temps investi, que par le déploiement institutionnel territorialisé de l’Etat
(CNRR, 2010:179).
Selon l’Agence présidentielle pour l'action sociale et la coopération internationale6
(Action Sociale), le volet social du projet de réinstallation a été composé d’une série
d'activités participatives et de gestion communautaire, dans lesquelles l'institution a conçu :
le processus de consultation pour la réinstallation du peuple, le renforcement du tissu social
et des groupes de base, associé à la création de nouvelles organisations et activités visant à
générer des revenus (CNRR, 2010:185).
Cependant, ce processus n'était pas exempt de tensions et de préoccupations
exprimées par les résidents de Bellavista, dues aux impacts et aux changements de
dynamique culturelle, de vie familiale et collective au sein de la communauté. Cette dernière
est désormais vouée à nourrir un projet de ville avec des caractéristiques urbaines inconnues
par les habitants de la région jusqu’à présent.
“Le nouveau Bellavista, en contraste avec les colonies qui sont affichés sur le fleuve
"El Atrato", s’étend dans la jungle, érige des bâtiments en béton, des routes et des rues
pavées, de l'électricité et un réseau des fosses septiques” (CNRR, 2010:185).
Les victimes et les membres d'organisations sociales et régionales du Medio Atrato,
affirment que l'Etat Colombien existe institutionnellement dans la région depuis les années
90. Suite au massacre de 2002, sa présence a été réelle et significative. L'attention
institutionnelle a été caractérisée par une présence plus circonstanciel, ponctuelle et massive
de l'ordre gouvernemental et non-gouvernemental, national et international. S’en est suivi de
nouveau une action institutionnelle et internationale sporadique, en fonction de la dynamique
et des effets des conflits, des missions d'observation et d'assistance, ainsi que selon l’intérêt
et l'engagement de chaque agence (CNRR, 2010:183).
6 Cette agence est l'organisme d'État chargé de la gestion technique et sociale du processus de réinstallation
de Bellavista.
9
Le cadre légal et juridique pour la réparation des victimes
Le modèle de justice transitionnelle colombien se caractérise d'une part par la
juxtaposition du cadre juridique national, avec la construction de la mémoire par le haut et la
recherche de la vérité, et d'autre part avec des niveaux élevés d'impunité pour les auteurs et
l'application de mesures de punition internationales telles que l'extradition (FIP, 2014: 30).
Ces mesures ont inclus des pardons absolus en forme d'amnistie et de grâce, des pardons
conditionnels à travers le désarmement et la démobilisation, jusqu'à des actions de
transparences institutionnelles qui cherchent à générer un équilibre entre la justice et la paix
(FIP, 2014: 40).
Loi 1448 de 2011: “Ley de Víctimas”
La plupart des tentatives de création d’un organisme de réglementation qui
permettrait d'atteindre un équilibre entre un climat pacifique et les exigences de justice, de
vérité et de réparation, ont donné la sensation qu’aucun outil institutionnel ne donner de
pouvoir aux victimes. Au regard de l’histoire, il semble clair qu’il n’existe pas d’intérêt
politique pour assumer telle responsabilité. Au cours du deuxième mandat d'Alvaro Uribe
(2006-2010), quelques parlementaires ont impulsé une initiative dans cette direction, mais
elle a échoué puis a été enterrée par la coalition du gouvernement qui s’y est opposée au
regard du financement jugé démesuré, environ 80 milliards de pesos, qui pourrait créé un
traumatisme irréparable pour le budget de l’Etat (FIP, 2014: 40).
Le parlement actuel a approuvé la loi 1448 en 2011 et son nouveau projet
d’indemnisation des victimes et de restitution de terres lancé par le gouvernement (FIP, 2014:
40). Ce texte stipule les mesures d'attention, d'assistance et de réparation intégrale aux
victimes du conflit armé, et signifie une avancée historique pour la construction de la paix et
d’une réconciliation nationale, dans la mesure où c'est la première fois que les victimes sont
visibles dans le débat politique.
V. L’AIDE HUMANITAIRE DANS LE CONFLIT COLOMBIEN : Son rôle dans les
processus de retour et de réintégration de la population déplacée de Bojayá.
Une mosaïque d’acteurs humanitaires, une diversité d’approches
Le cadre légal du soutien aux déplacés: Les lois colombiennes de protection des
déplacés par la violence sont parmi les plus complètes du monde. L’instance de l’État est le
Réseau de solidarité sociale (RSS): La Colombie a développé une structure légale solide, qui
réglemente l’assistance d’urgence et des droits des déplacés. Ce réseau assume la
10
responsabilité de l’assistance humanitaire, décrite comme aide d’urgence pendant les trois
premiers mois suivant le déplacement (Geoffroy, 2005).
En ce qui concerne la communauté internationale, le CICR (Crouge Rouge
Internationale) travaille en accord avec l’Action Sociale, en ce qui concerne l’aide d’urgence.
Le PAM, l’UNICEF et les autres agences de l’ONU travaillent en accord avec les ministères
de la Santé et de bien-être social. Le HCR s’intègre aux actions nationales d’attention aux
déplacés et l’OIM réalise des actions multiples (Geoffroy, 2005).
Les bailleurs de fonds, les USA par le biais du Plan Colombie allouent des
financements à l’urgence et à la post-urgence. L’Union Européenne, à travers le programme
ECHO, est le principal bailleur de fonds des ONG et ses actions sont centrées sur l’aide
d’urgence. Les réseaux ecclésiastiques à travers CARITAS, soutiennent l’action humanitaire
des Églises présentes en Colombie (Geoffroy, 2005).
L'action humanitaire des ONG Internationales et les avertissements de L'Agence des
Nations Unies pour les Refugiés (UNHCR)
L'aide humanitaire internationale et les actions d'attention aux victimes, ont été
dirigés par la Croix Rouge Internationale. Leur intervention a été fondamentalement
importante grâce au contact direct avec toutes les différentes parties du conflit, afin d'obtenir
de garanties de sécurité pour permettre l'entrée de l'aide humanitaire dans la région (CNRR,
2010: 265).
D'autre part, la crise humanitaire provoquée après le massacre, a induit l’arrivée de
plusieurs organisations de l’ONU, lesquelles ont publié une déclaration attirant l'attention du
public sur la gravité de la situation humanitaire de l'Atrato Medio, tout en alertant sur les
possibilités de nouvelles tragédies (CNRR, 2010: 267). L'Etat n’a pas accepté ces
déclarations, qui indiquaient sa responsabilité dans la non-protection des populations civiles
et l’insécurité de ses territoires (CNRR, 2010: 267), (Caicedo, 2006 : 80).
L'UNHCR a joué un rôle essentiel dans la reconstitution et la diffusion des faits de
Bojaya. Il est important de souligner qu’entre 1998 et 2002, une détérioration progressive
s'est produite dans les relations entre cette institution et le gouvernement colombien, en raison
des déclarations répétées de hauts fonctionnaires du gouvernement qui délégitimaient les
rapports internationaux (CNRR, 2010:262).
Une attitude différente de la part de l'État, avec plus de coopération et moins de
confrontation avec l’UNHCR, aurait permis de prendre au sérieux les alertes émises par
l'agence sur la situation et ainsi mettre en place des mesures préventives.
11
Le rôle fondamental des Organisations de Base Communautaire.
La création de groupes et d’organisations sociales est une caractéristique des
populations de “l’Atrato Médio”, mécanisme utilisé par les communautés pour traiter et
atténuer les impacts de la violence.
Les habitants de cette région se sont organisés en fonction de leurs traditions et en
réponse à la dynamique de guerre qui leur était imposée. Les populations créent un ensemble
divers et hétérogène d’actions, à partir desquelles ils dénoncent la guerre, tout en renforçant
leur identité et leur relation à la terre et à la culture (CNRR, 2010:271).
L'absence de garanties pour retourner aux territoires dépossédés et la précarité des
politiques d'Etat pour obtenir réparation pour les communautés affectées, sont le terreau du
processus de formation, de dénonciation, de gestion et de mobilisation effectué par ces
organisations de la société civile (CNRR, 2010:271).
Le travail de deuil et les initiatives de mémoire
Sur la base de leurs propres ressources, les victimes, avec le soutien des équipes du
diocèse de Quibdo, ont entreprit diverses activités et initiatives qui ont aidé à atténuer la
douleur et à effectuer certains rituels. La reconnaissance du massacre a en effet donné lieu à
des commémorations et à l'inscription des évènements dans la mémoire collective. Ces
organisations ont repris le contrôle de leurs rituels traditionnels tels que les festivités, qui ont
été modifiées après la tragédie, et leurs ont donnée du sens comme un mécanisme pour
renforcer l'identité et la survie sur leur territoire. Cela leur a également permis de constater
les rapports et la diversité d'intérêts qui se sont combinés après le massacre, dans les milieux
politiques et dans la sphère sociale de la communauté (CNRR, 2010:280).
Bien que l'incursion de groupes armés dans la région ait perturbé nombre des
processus organisationnels, les survivants ont construit des coalitions et des réseaux de
soutien qui redonnent une certaine durabilité aux projets d'origines. Les organisations
régionales ont réussi à construire des ponts avec les organisations de victimes, en gardant
pour principe la défense de leur territoire et la mise en œuvre d’une société toujours en accord
avec leurs logiques traditionnelles.
Les premières alertes aux autorités : Les premières actions d'aide humanitaire avant le
massacre
OREWA, ACIA, et la Pastorale sociale et l'UNHCR avaient averti des prémices d’une
possible dégradation de la situation dans le Medio Atrato. Ils avaient identifié les risques à
temps. Mais cela n’a pas calmé la virulence des affrontements, ni l'indifférence de l'Etat
12
(Geoffroy, 2005). La communauté victime reçue l'aide des autorités civiles deux jours après
le massacre, et celui des forces militaires quatre jours plus tard (CNRR, 2010: 23).
Cela a été dénoncé par un groupe d’associations dans une lettre ouverte et distribuée
aux médias. Il apparaît donc que la coordination est utile mais qu’elle n’est pas suffisante.
Sans une vraie volonté d’action et sans les ressources nécessaires, les résultats ne peuvent
être que limités.
L'aide humanitaire après le massacre
Sans doute, rare sont les cas qui ont suscité autant d'allégations de graves violations
des droits de l'homme commises contre la population civile, comme celle du massacre de
Bojayá. Cela a été rendu visible par l'extraordinaire participation et la solidarité internationale
autour des victimes (CNRR, 2010: 60).
Le sentiment d'absence historique de l'Etat s’est par la suite transformée. La vie
quotidienne de ces communautés a été englouti soudainement et massivement par les
processus institutionnels d'accompagnement à la reprise économique, à des projets
productifs, des ateliers, des réunions, des forums, des interviews et des enquêtes qui ont été
développés par les acteurs nationaux, la coopération internationale, les ONG, les entreprises
privées et certains universités (CNRR, 2010:183).
L'abondance d'institutions présentes dans l'Atrato après les évènements a rendu
compte de l'inefficacité des mesures pour résoudre la situation, comprendre les processus de
consultation nécessaires et les besoins de la population. Cela a généré une sensation
d'illégitimité de la part de la population vers tous les projets et mesures des proposés par elles
(Caicedo, 2006:48).
Juste après le massacre, les victimes ont quitté le village et ont été accueilli par les
habitants du village voisin appelé “Vigía del Fuerte”. C’est important de souligner que la
première institution qui a pénétré dans la foret jusqu'au refuge des victimes était le Diocèse
de Quibdó, qui est arrivée avec plusieurs commissions humanitaires (CNRR, 2010: 66).
Pendant ce temps, la population qui s’est déplacée vers la capitale Quibdo a été reçue
par les équipes du diocèse de Quibdó, la Croix-Rouge internationale et Action Sociale. Ils
ont été installés dans des refuges de la ville où se trouvait déjà la population déplacée du
Atrato Medio et Bajo. Ces derniers ont fuit “l'Operation Genesis” de l'Armée, “l'Operation
Cacarica” des Paramilitaires, les deux développées en 1997, fuit aussi l'attaque des
guérilleros en 2000 (CNRR, 2010: 78) (Caicedo, 2006: 30).
13
Il semble calir que l'État colombien est responsable, pour omission et abandon, de
presque toutes les causes qui ont déclenché le massacre. Il est également devenu le plus grand
garant pour que les populations puissent supporter et sortir de cette tragédie. L'État a assumé
43,1% de toute l'aide humanitaire, suivi par l'Église (20,13%), la Croix Ruge Nationale
(10,13%) et les organisations de base communautaire (10%). L'UNHCR, et les organisations
non gouvernementales, ont apporté tout le reste de l'aide (Conferencia Episcopal de
Colombia, 2008), (Caicedo, 2006: 30).
Les mécanismes de coordination entre les différentes institutions responsables de
l'attention ont été insuffisants, tant entre les ONG qu’entre l'Etat. Cela a généré des
incohérences dans les approches et a limité la capacité et la pertinence des réponses.
L'aide était axée sur des actions qui ont permis la survie pendant la crise, à travers
une assistance fragmentée. La plus grande proportion de l'aide associait nourriture et
hébergement provisoire, de sorte que les conditions de vulnérabilité de la population n'ont
quasiment pas changé et se sont au contraire perpétuées malgré les gros investissements
impliqués (Caicedo, 2006: 32).
VI. ANALYSE DE LA SITUATION ACTUELLE DANS UN CONTEXTE DE
VULNÉRABILITÉ, D'EXCLUSION DE VIOLENCE ET D'ABANDON.
Les obstacles d’un retour effectif
En Colombie, la principale restriction sur les retours comme une solution durable,
provient du niveau toujours élevé de conflit et de violence, malgré une baisse notable des
kidnappings, des massacres et des assassinats (UNHCR, 2010).
Les 12 dernières années ont vu une transformation du conflit en raison de
l’augmentation des capacités des forces militaires, un cessez-le-feu entre les FARC et
l’Armée, et la quasi-complète démobilisation des groupes paramilitaires. Cependant, la
plupart des causes des déplacements persistent ou ont été transformés (UNHCR, 2010).
L'impact de la démobilisation de paramilitaires, n'a pas donné les résultats espérés en
termes de réduction de la violence: de nombreux groupes armés, dont beaucoup sont
aujourd’hui liés au trafic de drogue, opérèrent dans des zones abandonnées par les acteurs
démobilisés, et luttent pour le contrôle de la production, la transformation et le trafic de
drogues. Cela a facilité l’augmentation des menaces contre la population, les fonctionnaires,
les défenseurs des droits de l'homme, la communauté et les leaders sociaux (UNHCR, 2010).
14
D’autre part, les conditions dans les municipalités où les retours ont été effectués ne
sont pas faciles. Par exemple, dans les 115 municipalités où ont été réalisés les retours,
306.000 personnes ont de nouveau été expulsés entre 2006 et 2009. De plus, le taux
d'homicides dans 52 de ces municipalités est plus élevé que la moyenne nationale, et environ
85 % ont déclaré fournir des efforts pour éradiquer les cultures illicites (UNHCR, 2010).
L’insécurité explique en partie la réticence générale de gens à retourner chez eux.
Entre 3% et 5% des personnes déplacées expriment un désir de retour, par ailleurs plus de 2
millions de personnes déplacées sont dispersées dans les grandes villes de la Colombie. Cette
dispersion fait le retour plus difficile, c’est pour ça que généralement les processus de retour
qui réussissent, sont de nature collective (UNHCR, 2010).
En outre, le peu de ressources des municipalités où de nombreux déplacements ont
eu lieu, ainsi que les longues distances, posent également des problèmes. Les suivis fait par
UNHCR ont trouvé certains déplacés qui ont reçu une attention inadéquate, puisque le
protocole sur le retour est inconnue par les autorités locales et les personnes déplacées.
L’application du protocole en a été limité, et son impact en a été diminué dans le temps
(UNHCR, 2010). Généralement, les retours ne sont pas réels, surtout quand les communautés
ont été forcées au retour soit par les groupes armés, soit par l’État. Cela a favorisé les rejets
des nouveaux arrivants par les collectivités d'accueil ainsi qu’un faible accompagnement de
la part des autorités.
Dans le cas de la relocalisation du nouveau Bella Vista, l'Etat a pris la décision de
reconstruire le village dans une région loin du fleuve (El Atrato), qui avait pour la
communauté une valeur culturelle et symbolique importante et qui déterminait leur identité
comme un peuple autochtone et résistante. Le retour a eu lieu 4 mois après les événements,
le 2 septembre 2002, et bien que les institutions de l'État ont défini ce processus comme
volontaire, la communauté déplacée a pris cette décision sous diverses pressions (Caicedo,
2006: 41). Certains résidents et membres de l’Église soutiennent que la décision finale de la
population a été le résultat des pressions exercées par les entités du gouvernement central, et
la nécessité des autorités locales d'amasser de fonds (CNRR, 2010:189).
Le mécontentement du peuple de Bella Vista, est dû principalement au non-respect
du temps d'exécution des travaux, leur mauvaise qualité, leur inaboutissement et l'absence de
certaines questions concertées. Il semble également que la difficulté pour générer des revenus
et les forts changements qu’ont dû affronter lors de leur installation dans ce nouvel endroit à
largement participer au sentiment de lassitude des populations (CNRR, 2010:192),
(Conferencia Episcopal de Colombia, 2008).
11 ans après l’arrivée officielle du peuple dans la nouvelle Bellavista, le sentiment
d'abandon, de marginalisation perdure. La population continue à vivre sans que ses besoins
15
principaux comme la santé, le bon fonctionnement des services publics et l'assistance aux
victimes ne fonctionnent.
Selon Duthie (2013: 4), les situations d'intégration locale ou de réinstallation
impliquent une démarche économique, politique, sociale et de sécurité. Tout de même, les
personnes ont besoin de se intégrer à une communauté et à une société, et pas seulement à
une espace physique. C'est pour ça que la relocalisation doit être accompagnée d'une
réintégration sociale, qui implique des relations de confiance entre les individus et les
groupes. Dans ces cas, les efforts pour raconter la vérité à toute la société, peuvent réduire
les tensions en relevant et en validant les expériences de différentes groupes. Les réparations
peuvent également jouer un rôle dans la facilitation de la réinsertion sociale en réduisant
potentiellement le ressentiment entre les groupes.
En ce qui concerne notre cas d'étude, les processus d’indemnisation du Gouvernement
ont été assimilés à une réparation intégrale des victimes, démarche ayant reçu de nombreuses
critiques de la part de la Cour Constitutionnelle et des victimes.
L'accent mis sur l'infrastructure et l’indemnisation matériel, a mis de côté d'autres
composantes tels que la réhabilitation et la satisfaction. L’Etat n'a entre autres pas mis la
priorité sur la mis en œuvre d’un processus de réparation collectif qui tiendrait compte de la
dynamique du conflit armé dans la région. La complexité posée par les caractéristiques
ethniques spécifiques des communautés noires et autochtones implique une conception des
politiques avec une approche des droits différentiels (CNRR, 2010: 204).
La relocalisation de Bella Vista comme une réponse de l'État aux problématiques de
Bojayá, ne correspond pas aux vrais besoins de cette région, puisqu’elle ne change pas la
situation de vulnérabilité des communautés rurales de par la pression des acteurs armés
illégaux. Elle accentue au contraire les facteurs structurels de pauvreté et de marginalisation
en sortant les populations de leur cadre d’origine.
Les obstacles à la justice et à l’essor de la vérité
Les différents éléments d'une politique intégrale de justice transitionnelle peuvent être
interprétés comme des efforts pour institutionnaliser la reconnaissance des individus en tant
que victimes de violations des droits de l'homme et en tant que détenteurs de droits. Elle
promeut en parallèle la confiance civique des citoyens envers les institutions (Duthie, 2013,
4).
En outre, s’engager auprès des personnes déplacées au niveau politique, implique de
leur donner les moyens, par leurs votes ou en développant leur capacité à faire des
réclamations. Toutefois, les personnes déplacées peuvent se sentir doublement blessée, si la
16
justice ne les reconnait pas. Sur un autre niveau, les mesures de justice transitionnelle peuvent
faciliter l'intégration politique de ces populations à travers une coopération des organisations
de la société civile. (Duthie, 2013, 4).
Limitations pour connaitre la vérité
Pour les habitants de Bojayá et de toute la région de l'Atrato, le droit à la vérité va au-
delà d'établir les responsables et les causes du crime de Bojayá. Le crime du 2 mai, fait partie
d'une histoire qui le précède, et d'un contexte qui comporte toute la région de l'Atrato. La
vérité consiste alors à démêler la dynamique des acteurs armés dans la région et l'attribution
des responsabilités, en particulier en ce qui concerne l’État. En ce sens, la vérité est associée
à la nécessité de clarifier le crime, d'identifier les corps des morts, d'établir les responsabilités
des parties prenantes tout en clarifiant les dynamiques, les relations, les actions et les
omissions qui ont nourrit la violence dans cette région (CNRR, 2010: 234).
L’Impunité
La faible présence de l'Etat dans la région n’est pas propice à la mise en œuvre de
mécanismes de prévention efficaces. Cela accru la vulnérabilité et le risque que des civils du
“Medio Atrato » soient exposés à la pression des groupes armés illégaux.
De nombreux crimes et violations des droits de l’Homme ne sont pas dénoncés par
crainte de représailles, par ignorance des procédures judiciaires ou à cause des grandes
difficultés structurelles d'accès à la justice. Cette violence est une preuve que les actions de
l'État suite au massacre restent inefficaces et limités, en dépit de la forte présence militaire
(CNRR, 2010:241).
Au cours des dernières années, le grand nombre de crimes contraste avec le faible
nombre d'enquêtes, ce qui a renforcé le sentiment d'insécurité parmi la population et sa vision
d'un état d'impunité généralisé. Néanmoins, le fait que les FARC ait été principalement tenus
responsables du massacre, a conduit à une action efficace de la justice visant à punir les
guérilleros et en leurs appliquant des peines exemplaires. Toutefois, ces actions ont été rares
vers les autres responsables de l’incident, en particulier les groupes paramilitaires et les
fonctionnaires impliqués, pour lesquels la justice n’a pas été appliquée ou a été lente et
inefficace (CNRR, 2010 : 248).
La reconnaissance des victimes de la part des auteurs responsable du crime
Malgré 11 ans d'impunité suite au massacre, deux des acteurs responsables ont
reconnu partiellement leurs responsabilités dans le drame du Bojayá. Dans le cadre des
négociations de paix, deux des victimes du massacre étaient présents à Cuba, pays où se
17
tiennent en ce moment les négociations, pour discuter avec les parties prenantes sur le chemin
menant à une réparation effective. Les FARC, de leur coté, ont accepté leur participation au
massacre, qu’ils considèrent comme une « erreur involontaire » et ont exprimé leur volonté
de compenser les dégâts. Dans cette optique, ils sont prêts à ouvrir une période de
consultation avec les victimes dans le cadre des négociations, afin de convenir des actions
compensatrices avec les communautés touchées par ce méfait (Verdad Abierta, 2015).
Par ailleurs, les 8 mais 2008, l’ex-chef paramilitaire “El Aleman” a parlé des
évènements face aux victimes, en attribuant toute la responsabilité de ce qui est arrivé à
l'insurrection. Dans un premier temps, il n'a accepté aucune responsabilité dans ces
événements et a insisté sur la culpabilité des FARC qui ont lancé la bombe artisanale dans
l'église. Finalement, suite aux réactions des victimes et de la société, il a fini par admettre sa
culpabilité, mais en soulignant que ses hommes ont aidé les victimes suite à l'explosion
(Verdad Abierta, 2015).
Il parait que la position des FARC sur la question des victimes du conflit est en train
de changer, car ils ont laissé derrière eux leur discours historique attribuant toute la
responsabilité à l'Etat, puisque selon eux, le groupe d'insurgés est une autre victime d'un Etat
oppressif. Aujourd’hui, ils commencent à reconnaître leur impact humanitaire, mais en
insistant toujours sur la culpabilité des élites politiques et militaires.
En revanche, les aveux partiels des paramilitaires sur leur responsabilité au niveau
des violations des droits de l’Homme prouvent que les possibilités de recevoir une indemnité
de leur part sont encore loin d’aboutir, tout comme la vérité.
Le mouvement des victimes
La reconnaissance des victimes a conduit les organisations de la société civile à mettre
en œuvre différentes stratégies pour défendre les droits à la justice, à la réparation et à la
vérité. Ces trois éléments deviennent alors des raisons suffisantes pour motiver l'action
collective et la cohésion des victimes. Cela contribue à la formalisation d’un discours uni,
audible par les institutions, et à l'acquisition de connaissances qui peuvent apporter un soutien
aux actions menées attendant que justice soit faite.
En ce sens, les organisations des victimes utilisent de multiples stratégies pour
aborder la complexité de la violence, telles que le dépôt de plaintes à travers la tutelle, des
processus juridiques, des rassemblements permanents, des appels à la responsabilisation des
organismes gouvernementaux et la lutte contre l'impunité (CNRR, 2010 : 236), (Caicedo,
2006).
18
Le droit à la réparation intégrale et collective vrs une réparation administrative et
individuelle
Dans l'Atrato Medio, l'interprétation de la réparation faite par le gouvernement a
entraîné plusieurs limitations dues à leur vision étriquée de ce concept. En effet, il l’entend
comme une tentative de parvenir une compensation économique et individuelle, qui a peu de
chance d’aboutir. L'aide humanitaire proposée aux victimes, associée aux autres services de
l'Etat, ont été assimilés à des actions de réparation limitant drastiquement les possibilités
d'indemnisation complète et efficace (CNRR, 2010: 236).
D'autre part, les failles judicaires ont limité les possibilités aux recours collectifs,
laissant les dommages réalisés dans un degré élevé d'incertitude juridique. Cela a incité les
victimes à engager individuellement les actions juridiques de réparation devant la juridiction
administrative.
Les expectatives économiques tronquées.
Pour Duthie, (2012:4) la réparation sous la forme de restitution des biens, de
rémunération ou des programmes de génération de revenues, peuvent faciliter la réinsertion
et la participation active dans une communauté, permettant la reconstruction des moyens de
subsistance durables.
Au cours de la relocalisation de Bojayá et des processus amenés de la part de toutes
les institutions impliquées dans la reconstruction du peuple, le composant de génération de
revenus était l’objectif principal dans les lignes directrices des plans d’action et de soutien á
la population. Cependant la plus part de ces actions ne couvrent pas les besoins fondamentaux
des familles.
D’un part les personnes se sont habitués á vivre de l’aide et ils ont négligé toutes les
activités productives telles que la pêche, la chasse et la plantation. Globalement, toutes les
actions institutionnelles dans ce domaine représentent pour les “bellavisteños” des revenues
sporadiques, l’invalidité financière et commerciale pour la durabilité productive ainsi qu’une
incohérence entre les processus pilotés et les capacités productives, techniques et ethniques
de la région (CNRR, 2010:196), (Conferencia Episcopal de Quibdó).
Cette non-viabilité économique, s’explique par l'absence d'une proposition plus large
qui aborde les problèmes et les dynamiques économiques et socio-culturelles de la région, et
les projets de vie, ainsi comme les conceptions ethniques et territoriaux qu’ont les résidents
sur le développement (CNRR, 2010:196).
19
La violence, l’abandon et l’exclusion: Composants d’une violence structurelle.
Entre 2003 et 2006, juste après le massacre, l'escalade de la guerre dans la région a
atteint son niveau critique. Le massacre ne marque pas la fin de la guerre, mais le début d'une
nouvelle étape. Cela se est reflété dans plus de présence de l'Armée et des tous les acteurs
qui mettent en danger les civils.
Non seulement, la violence du conflit armé dans l'Atrato n'est pas terminée, mais
encore elle s'est transformé. Depuis 2002 Bellavista est devenu un lieu d'accueil aux
personnes déplacées des cantons avoisinants (CNRR, 2010: 84).
Tout ça s’ajoute la logique d''exclusion et les conditions historiques de la violence
structurelle, qui doivent être compris, comme des facteurs qui contextualisent le massacre de
Bojaya, liés aux représentations du territoire, et du développement.
Comme nous l'avons déjà mentionné, le territoire a été au cœur de toutes les demandes
d'organisations autochtones et noires du Chocó, mais ces revendications entrent en collision
avec les divers intérêts des groupes armés (paramilitaires et guérillas) opérant dans la région
et visant à maintenir leurs liens avec les économies illicites telles que le trafic de drogue
(CNRR, 2010:137).
Aujourd'hui, toutes ces dynamiques restent d’actualités. Les groupes paramilitaires
de la région et de tout le pays ont subi une démobilisation quasi générale, suite aux accords
signés entre ce groupe armé et le gouvernement d'Alvaro Uribe Velez. Les espaces laissés
vacant ont été repris par de nouveaux groupes paramilitaires, qui sont appelés par le
gouvernement national comme des "bandes criminelles émergentes" (BACRIM).
En outre, l'une des causes principale du conflit colombien réside dans l'absence de
protection de l'État, mais cette absence sert des intérêts économiques qui soutiennent le
conflit armé. Certains de ces intérêts économiques qui ont soutenu le conflit sont les
gigantesques projets d'exploitation minière (or et le charbon), de déboisement, de culture de
palmes africaines, de construction des routes et de barrages hydroélectriques7.
7 “También en el Pacífico colombiano son evidentes los intereses económicos que han impulsado el conflicto:
la construcción del canal interoceánico Atrato–Truandó, la culminación de la carretera panamericana, la
creación de nuevos puertos o la ampliación de los existentes, los proyectos hidroeléctricos del río Murrí y el
Baudó, la explotación maderera, la siembra de palma africana y la extracción de riquezas minerales como oro
y carbón. A todo ello se une la expansión de los cultivos ilícitos” (Caicedo, 2006)
20
Beaucoup de ces projets sont considérés par les organisations communautaires
comme nocifs, au regard de leurs notions de développement. Aucun de ces projets n’a usé de
la consultation envers les communautés touchées par leur entreprise, en dépit de la loi, et
aucun ne vise à résoudre les problèmes la pauvreté de la région.
C’est pourquoi le nettoyage du territoire (le déplacement) est essentiel pour répondre
aux intérêts de l'Etat et des investisseurs privés. La violence de ces projets, symbole de
l'expansion d’un pays qui s’ouvre de nouveau au commerce international formel, et la
domination de certains groupes armés coïncident. L’enjeu ici n’est pas seulement de contrôler
le territoire, mais surtout de contrôler des ressources stratégiques.
VII. CONCLUSION
En guise de conclusion, nous rappelons que la plupart des causes du déplacement
persistent ou ont été transformées dans la nouvelle Bella Vista.
Tout d'abord, les conditions d’essor de la violence restent une menace pour les
populations, tout comme la lutte pour contrôler de la production, la transformation et le trafic
de drogue, et les exploitations de ressources naturelles par de groupes armés.
D'un autre côté, les communautés se trouvent toujours dans une situation d'abandon
et de marginalisation de la part de l’État, qui s’en tient à son programme de réparation. En
effet, l’accès à une indemnisation matérielle et individuelle a évincé les enjeux d’une
réparation intégrale et collective, qui serait en accord avec la dynamique du conflit dans la
région et les caractéristiques ethniques des communautés.
En d'autres termes, le relocalisation de Bella Vista, comme action de réparation aux
victimes de la part de l’État, ne correspond pas aux vrais besoins de la région, puisqu'elle ne
change pas les conditions structurelles de vulnérabilité et d’abandon dans lesquelles se
trouvent les habitants, ni la pression des groupes armés.
Aujourd'hui, dans le contexte des négociations de paix entre l’État et les FARC, les
éventuels accords de paix doivent mener à un changement de modèle économique en accord
avec les traditions et valeurs ethniques des populations locales. Les projets productifs et
d'exploitation doivent tenir compte des projets de vie et d'ethno-développement des
communautés directement touchées.
En matière de justice, il faut réaliser des enquêtes approfondies sur les violations des
droits de l'homme dans la région, ainsi que la consolidation d'une version unifiée de la vérité
du massacre, ainsi que des garanties pour punir pénalement les coupables. Il serait également
nécessaire de rendre publique les déclarations des responsables ainsi que celles des victimes,
21
pour que la société colombienne puisse connaître la vérité et la conserver dans sa mémoire
collective.
Quant à la réparation, il est important de dessiner et d’engager un plan de réparation
intégrale aux victimes, à travers un processus de concertation avec la population concernée.
Finalement, en ce qui concerne les institutions d'aide humanitaire, il est souhaitable
qu'elles tiennent en compte le travail des organisations de base communautaire, et de les aider
à renforcer leurs propres capacités.
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22
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