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Concevoir des référentiels comme des outils pour les formateurs ? Réflexions à partir de la...

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Concevoir des référentiels comme des outils pour les formateurs ? Réflexions à partir de la formation initiale à la conduite automobile. V. Boccara, C. Vidal-Gomel, J. Rogalski, et P. Delhomme Les référentiels donnent lieu à de multiples utilisations : outils du développement du sujet dans les processus de validation des acquis de l’expérience, d’expression d’un niveau de formation atteint ou d’un contenu de formation suivi, de reconnaissance des individus ou encore outils censés favoriser leur mobilité (Fourcade, 2007 ; Maillard, et Rose, 2007 ; Cros, et Raisky, 2010). Dans cet article, nous considérons qu’un référentiel de formation pourrait être conçu comme un outil pour les formateurs (Métral, 2009). Deux points de vue, classiques en ergonomie, guident ce choix. Le premier considère que les opérateurs sont des experts de leur travail. Ainsi, en tant qu’outil destiné à des formateurs, un référentiel ne peut pas être uniquement le produit de savoirs scientifiques constitués indépendamment des savoirs d’action des acteurs. Le second concerne la conception d’un outil qui puisse guider l’activité de médiation des formateurs. Il s’agit alors de concevoir un artefact, au sens de Rabardel (1995). Il doit pouvoir s’insérer dans l’activité des formateurs, c’est-à-dire être compatible avec ce qui organise leur activité Ces deux préoccupations rendent nécessaire d’opérer un détour : mieux renseigner l’activité des formateurs pour contribuer à la conception d’un référentiel. Nous nous appuierons sur l’exemple de la formation initiale à la conduite automobile (permis B). Dans ce domaine, les référentiels de formation et d’évaluation des élèves-conducteurs ainsi que ceux des enseignants de la conduite sont actuellement en cours de redéfinition. Deux mouvements majeurs sont à l’œuvre : intégrer les apports de la matrice GDE (Goals for Drivers Education, Siegrist, 1999) dans leur redéfinition et passer à une logique de compétences. Dans un premier temps nous proposerons une analyse de la matrice GDE, en tentant d’identifier les modèles de l’apprentissage et du développement dans lesquels elle puise. Cela nous conduira à préciser quelles en sont les conséquences pour la formation initiale à la conduite et pour le système français. Les limites de cette première approche nous amènerons à présenter un modèle d’apprentissage et de développement alternatif et des résultats d’une étude portant sur l’activité de médiation d’enseignants de la conduite automobile et de la sécurité routière (Boccara, 2011 ; Vidal- Gomel, Boccara, Rogalski et Delhomme, 2012). Ces éléments seront utilisés pour préciser des lignes de réflexion de ce que pourrait être un référentiel de formation des élèves qui constitue un outil des formateurs. 1. La matrice GDE Depuis une dizaine d’années, la matrice GDE est le principal cadre de réflexion en Europe sur les compétences des conducteurs et la formation à la conduite automobile. Elle a été construite à partir de synthèses de la littérature scientifique sur les accidents des jeunes conducteurs avec pour objectif de prévenir les risques routiers dès la formation initiale (Siegrist, 1999). Elle organise les compétences selon quatre niveaux et selon trois axes (figure 1). Figure 1 : La matrice Goal of Driving Education (GDE)
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Concevoir des référentiels comme des outils pour les formateurs ? Réflexions à partir de la formation initiale à la conduite automobile.

V. Boccara, C. Vidal-Gomel, J. Rogalski, et P. Delhomme Les référentiels donnent lieu à de multiples utilisations : outils du développement du sujet

dans les processus de validation des acquis de l’expérience, d’expression d’un niveau de formation atteint ou d’un contenu de formation suivi, de reconnaissance des individus ou encore outils censés favoriser leur mobilité (Fourcade, 2007 ; Maillard, et Rose, 2007 ; Cros, et Raisky, 2010). Dans cet article, nous considérons qu’un référentiel de formation pourrait être conçu comme un outil pour les formateurs (Métral, 2009).

Deux points de vue, classiques en ergonomie, guident ce choix. Le premier considère que les opérateurs sont des experts de leur travail. Ainsi, en tant qu’outil destiné à des formateurs, un référentiel ne peut pas être uniquement le produit de savoirs scientifiques constitués indépendamment des savoirs d’action des acteurs. Le second concerne la conception d’un outil qui puisse guider l’activité de médiation des formateurs. Il s’agit alors de concevoir un artefact, au sens de Rabardel (1995). Il doit pouvoir s’insérer dans l’activité des formateurs, c’est-à-dire être compatible avec ce qui organise leur activité Ces deux préoccupations rendent nécessaire d’opérer un détour : mieux renseigner l’activité des formateurs pour contribuer à la conception d’un référentiel.

Nous nous appuierons sur l’exemple de la formation initiale à la conduite automobile (permis B). Dans ce domaine, les référentiels de formation et d’évaluation des élèves-conducteurs ainsi que ceux des enseignants de la conduite sont actuellement en cours de redéfinition. Deux mouvements majeurs sont à l’œuvre : intégrer les apports de la matrice GDE (Goals for Drivers Education, Siegrist, 1999) dans leur redéfinition et passer à une logique de compétences.

Dans un premier temps nous proposerons une analyse de la matrice GDE, en tentant d’identifier les modèles de l’apprentissage et du développement dans lesquels elle puise. Cela nous conduira à préciser quelles en sont les conséquences pour la formation initiale à la conduite et pour le système français. Les limites de cette première approche nous amènerons à présenter un modèle d’apprentissage et de développement alternatif et des résultats d’une étude portant sur l’activité de médiation d’enseignants de la conduite automobile et de la sécurité routière (Boccara, 2011 ; Vidal-Gomel, Boccara, Rogalski et Delhomme, 2012). Ces éléments seront utilisés pour préciser des lignes de réflexion de ce que pourrait être un référentiel de formation des élèves qui constitue un outil des formateurs.

1. La matrice GDE

Depuis une dizaine d’années, la matrice GDE est le principal cadre de réflexion en Europe sur les compétences des conducteurs et la formation à la conduite automobile. Elle a été construite à partir de synthèses de la littérature scientifique sur les accidents des jeunes conducteurs avec pour objectif de prévenir les risques routiers dès la formation initiale (Siegrist, 1999). Elle organise les compétences selon quatre niveaux et selon trois axes (figure 1).

Figure 1 : La matrice Goal of Driving Education (GDE)

Adapté de Siegrist (1999, p. 37).

Sur cette base, de nombreux projets ont été financés par la Commission Internationale des

Examens de Conduite Automobile 1 et des conséquences en ont tirées pour la formation des conducteurs (MERIT, 2003 ; TEST, 2005 ; HERMES, 2010).

Parallèlement à ces recherches, GDE a influencé l’évolution des référentiels de formation des élèves-conducteurs, des enseignants de la conduite et des examens du permis de conduire dans de nombreux pays européens : la Suède, la Finlande, et le Danemark ont intégré dans leur formation initiale des modules pour développer l’auto-évaluation des élèves et leurs examens du permis de conduire incluent une évaluation des capacités de conduite (Mynttinen, 2009a, 2009b).

1.1. GDE : un modèle des compétences et un point de vue sur l’apprentissage

À chacun des quatre niveaux de la matrice GDE, les compétences sont déclinées en tant que connaissances et capacités. Les niveaux supérieurs de la matrice influencent les niveaux inférieurs.

- Le plus haut niveau renvoie aux motivations, objectifs et aptitudes générales du conducteur pour gérer différentes situations de la vie. Les facteurs motivationnels et les objectifs poursuivis sur le plan personnel sont les principaux déterminants des comportements (Siegriest, 1999). On relève des influences de l’âge (Evans, 1991), du sexe (Twisk, 1994 ; Farrow 1987 ; Laapotti et Keskinen, 1998) et du style de vie (Schulze, 1990 ; Gregersen et Berg, 1994).

- Le niveau des « objectifs de la conduite et contexte social », niveau stratégique, regroupe des « compétences » comme la préparation de l’itinéraire et les connaissances qui y sont associées.

- Au second niveau, les conducteurs doivent adapter de manière proactive leur comportement à celui des autres usagers de la route et à l’environnement routier. Le comportement est ici principalement basé sur la connaissance et le respect des règles de circulation et sur une automatisation suffisante de l’activité.

- Enfin, au niveau le plus bas, les compétences requises sont des habiletés psychomotrices nécessaires à la maîtrise du véhicule. Ces habiletés doivent être automatisées pour les

1 http://www.cieca.be.

manœuvres élémentaires, afin de libérer des ressources cognitives nécessaires à la prise d’information et à l’anticipation des situations de conduite.

1.1.1. Une vision « constructive » de l’apprentissage

La matrice GDE est basée sur une vision « constructive de l’apprentissage » (Siegrist, 1999), qui repose sur un double encrage, empruntant certains aspects au constructivisme piagétien et d’autres à la régulation par rétroaction des premiers modèles cybernétiques, tels qu’ils ont été mobilisés dans des modèles de traitement de l’information (Neisser, 1976 ; Moran, 1991). De ce point de vue, le système de traitement « accumule » des expériences et des connaissances sous formes de représentations mentales qui guident les processus perceptifs, attentionnels, décisionnels et l’action. Ces modèles internes ne sont ni permanents, ni immuables. Ils sont constamment mis à l’épreuve de nouvelles expériences et se développent par assimilation et accommodation.

L’apprentissage est conçu comme « un processus actif et continu dans lequel l’apprenant construit et développe ses capacités et ses connaissances » (Siegrist, 1999, p. 28). Plaçant l’apprenant au centre, le modèle prend moins en compte l’enseignement que le processus d’apprentissage lui-même. Par conséquent, l’activité de l’apprenant et ses autorégulations sont considérées comme les principaux déterminants de son apprentissage. Les autorégulations se font via les rétroactions pouvant provenir de différentes sources (situation, enseignant, accompagnateur, etc.), afin que les actions de l’apprenant satisfassent aux objectifs souhaités.

Le guidage des enseignants n’est ainsi qu’une source de rétroaction parmi d’autres, qui devrait être orientée vers le développement de la dimension métacognitive de l’activité de conduite de l’apprenant. L’objectif est qu’il devienne acteur de son propre apprentissage et de favoriser ses autorégulations (HERMES, 2010). Le développement de la dimension métacognitive (axe c de la matrice GDE) est en effet considéré comme le « moteur » de l’apprenant dans ses acquisitions. Cette dimension n’étant pas spécifique à l’activité de conduite, elle peut être développée par le biais de « cours d’apprentissage à l’apprentissage » (Siegrist, 1999) en dehors du domaine de la conduite automobile.

De ce fait, étant donné qu’en Europe et dans les pays membres de l’OCDE2, les formations initiales à la conduite sont essentiellement centrées sur l’apprentissage des habiletés psychomotrices et les connaissances impliquées dans la maîtrise des deux premiers niveaux de la matrice GDE (TRAINER, 2002 ; MERIT, 2005), on considère que les systèmes de formation devraient évoluer pour mieux prendre en compte les deux niveaux supérieurs3 et l’axe c4 de la matrice GDE.

Le modèle d’apprentissage de la matrice GDE semble ainsi se référer aux travaux sur la métacognition développés en psychologie cognitive et aux méthodes « d’éducabilité cognitive », qui partagent l’idée selon laquelle on peut apprendre à apprendre indépendamment du contenu, sans toutefois y faire directement référence. Du côté de la formation à la conduite automobile, les méthodes de coaching qui se développent dans la lignée de GDE conservent cette orientation. Sans entrer dans le débat, rappelons toutefois que les analyses précises et détaillées menées par Loarer (1998) ont montré combien les résultats obtenus étaient décevants.

1.1.2. Former à et par l’auto-évaluation : le coaching Le projet européen HERMES (2007-2010) se propose de répondre à un double objectif :

améliorer la formation aux niveaux supérieurs de la matrice GDE et mieux prendre en compte la dimension métacognitive de l’activité de conduite, en faisant des enseignants de la conduite des coachs. Dans cette perspective, l’apprentissage est conçu comme un changement personnel que l’on doit accompagner, afin qu’il perdure au-delà de la formation et de la réussite à l’examen du permis de conduire.

2 Organisation de coopération et de développement économiques. 3 « Projet de vie et habiletés fondamentales » (Niv. 4) et « objectifs et contexte de conduite » (Niv. 3). 4 L’auto-évaluation de ses capacités et la conscience du risque routier.

L’enseignant est considéré comme un médiateur qui doit guider l’élève par questionnement pour qu’il puise en lui les ressources nécessaires pour apprendre à conduire, l’élève devenant par ce biais plus conscient et plus responsable de sa conduite.

Par ailleurs, le coaching est comparé à l’instruction, qui est présentée comme une méthode classique des enseignants de la conduite visant à prescrire et à démontrer à l’élève tout ce qu’il doit faire (HERMES, 2010).

L’évaluation du coaching réalisée dans cette même étude ne présente toutefois pas des résultats convaincants. Après la formation au coaching, les enseignants guident majoritairement les élèves avec des méthodes classiques d’instruction plutôt qu’avec la méthode du coaching. Le type d’interventions des enseignants n’évolue pas comme il était escompté. On pourrait rajouter que l’augmentation attendue de la responsabilité, de la conscience et de l’acceptation de soi comme indicateur du développement de l’auto-évaluation, ou plus largement de la dimension métacognitive de l’activité des élèves, n’est pas abordée dans l’étude.

Pour résumer, les modèles d’apprentissage et de développement dont est issue la matrice GDE sont des modèles cognitifs de traitement de l’information, qui mettent la métacognition et les autorégulations au cœur des processus d’apprentissage. Les méthodes qui en découlent pour la formation considèrent que l’on peut « apprendre à apprendre » indépendamment du contenu. Enfin, le formateur est soit un moyen parmi d’autres d’obtenir du feedback, soit un médiateur (coach) mais dans ce cas le contenu des tâches à réaliser est explicitement évacué de la médiation.

1.2. L’influence de la matrice GDE sur les référentiels français en conduite

En France, la majeure partie de la conduite automobile et de sa formation est encadrée par le Code de la route. GDE influence les référentiels de formation à la conduite des élèves et des enseignants, le permis de conduire ayant été modifié en référence à cette matrice. Dans cet article, nous centrons notre propos sur l’état actuel de l’examen du permis de conduire et de la formation des élèves-conducteurs.

1.2.1. L’examen du permis de conduire B en France

Récemment, l’examen du permis de conduire a été modifié pour passer à une logique d’évaluation des compétences : « l’épreuve repose sur l’analyse et le bilan des compétences du candidat […] » (Art. 2, Arrêté du 19 février 2010 du code de la route). Les compétences sont principalement exprimées en termes de connaissances et de capacités comme dans l’axe a de la matrice GDE.

Il existe des liens importants entre les recommandations des projets européens et les évolutions du code de la route en France. On peut relever par exemple que les compétences évaluées au cours de l’épreuve du permis de conduire renvoient aux quatre niveaux hiérarchiques de la matrice GDE.

Ce même arrêté définit 7 « domaines de compétences » en conduite qui doivent être évalués (op. cit., Art. 21) et indique que « l’expert évalue l’autonomie et la conscience du risque du candidat au travers des compétences suivantes : analyse des situations, adaptations aux situations, conduite autonome ». On remarquera aisément ici la proximité entre la législation portant sur l’examen du permis de conduire et les axes b et c de la matrice GDE, qui concernent respectivement « la connaissance des facteurs augmentant le risque routier » et la dimension métacognitive.

1.2.2. Le référentiel de formation à la conduite automobile en France La version actuelle du Programme National de Formation (PNF, 1989) 5 rend compte des

compétences en les définissant comme « connaître », « savoir + verbe d’action », « être conscient de » et « être capable de », à l’image de nombreux référentiels. Il décline les contenus de formation selon quatre axes :

5 Le PNF est actuellement en cours de redéfinition vers l’intégration d’une logique de compétences et d’apports de la matrice GDE.

- « devenir automobiliste » qui intègre en partie le niveau 4 de la matrice GDE et la gestion des autres usagers ;

- « gérer son déplacement » qui renvoie aux trois premiers niveaux ; - « les états dégradés du système » qui renvoie à l’axe b et l’axe c ; - « comprendre le phénomène automobile » qui regroupe des thèmes (aspect

économiques, écologiques, etc.) transversaux à GDE.

Dans le livret d’apprentissage des élèves et leur fiche de suivi, l’organisation de la formation à la conduite est formalisée selon 4 étapes que les élèves devraient franchir et valider successivement :

- maîtriser la voiture à allure lente ou modérée, le trafic étant faible ou nul ; - choisir la position sur la chaussée, franchir une intersection ou y changer de direction ; - circuler dans des conditions normales sur route et en agglomération ; - connaître les situations présentant des difficultés particulières.

Ces intitulés correspondent aux objectifs. Chaque étape est ensuite décrite, en cascade, par des sous-objectifs de plus en plus fins. La formation est ainsi constituée de plus de 170 sous-objectifs au niveau le plus fin (de 3 à 4 niveaux de sous-objectifs).

On retrouve aisément la logique de la pédagogie par objectif issue de l’approche nord-américaine de la « pédagogie de maîtrise » (Cros et Raisky, 2010). Cette atomisation des actions réduit les compétences à leur dimension performative, ce qui n’autorise qu’une vision comportementaliste de l’apprentissage et sommative des compétences, s’apparentant à une taylorisation des apprentissages (idem).

2. Un modèle alternatif de développement des compétences

À partir des apports de la psychologie ergonomique et de la didactique professionnelle (Samurçay et Pastré, 2004 ; Pastré, Mayen et Vergnaud, 2006), nous proposons un autre modèle de développement des compétences, partant de l’activité en situation. L’enseignant y est considéré comme un médiateur des acquisitions des élèves (Vygotski, 1934/1994 ; Bruner, 2002 ; Kuzulin et al., 2009). Notre approche consiste à s’appuyer sur l’activité de médiations des enseignants et ses évolutions avec le développement des compétences des élèves pour proposer des pistes de conceptions de référentiels en tant qu’outils pour les formateurs.

2.1. Les compétences en conduite automobile, apports de l’ergonomie et de la didactique professionnelle

Schématiquement, on considère que l’activité et l’apprentissage sont situés, dépendants des caractéristiques des situations et du contenu des tâches à réaliser (Leplat, 1997). Dans ce cadre, la didactique professionnelle met l’accent sur l’organisation de l’activité : certaines dimensions de l’activité sont invariantes en fonction de classes de situations, construites par le sujet au cours de son expérience (Vergnaud, 1990 ; Samurçay, et Pastré, 2004 ; Pastré, Mayen, et Vergnaud, 2006). Pour Vergnaud (1990) ces dimensions invariantes sont des parties constitutives des schèmes. A un autre niveau d’analyse, on peut distinguer des indicateurs, des stratégies, des procédures, des règles, des instruments et les concepts organisateurs de l’activité — concepts pragmatiques ou concepts-en-actes (Samurçay, et Rabardel, 2004 ; Weill-Fassina, et Pastré, 2004 ; Pastré, 2005 ; Vidal-Gomel, et Rogalski, 2007).

Les processus de conceptualisation dans et pour l’action sont ici considérés comme étant au cœur du développement des compétences. Ce point de vue est issu des apports de Piaget qui identifiait deux moments dans la coordination de l’action : « la coordination de l’action, où l’action peut être réussie sans être comprise ; et la coordination conceptuelle, où la compréhension de l’action vient rattraper sa réussite, constituant ainsi un progrès décisif dans l’organisation de l’action » (Weill-Fassina, et Pastré, 2004, p. 217). Parmi les organisateurs de l’activité, nous porterons une attention particulière aux concepts pragmatiques (Samurçay, et Pastré, 1995) : « représentations schématiques et opératives, élaborées par et pour l’action, qui sont le produit d’un processus historique et collectif, et

qui sont transmises essentiellement par expérience et par compagnonnage » (Samurçay et Rogalski, 1992, p. 235).

Ce modèle intègre les processus de prise de conscience et d’abstraction réfléchissante (Piaget, 1974a, 1974b) qui peuvent prendre place au cours même de la réalisation de l’action ou après-coup. Ces processus sont au cœur de la conceptualisation. Ils permettent d’élaborer de nouvelles stratégies, règles procédures etc. et de nouvelles connaissances, dont des métaconnaissances. Ici, elles sont des connaissances sur soi, sur ses compétences en situation (Valot, 2001). De ce point de vue, elles ne sont pas déconnectées du contenu des tâches à réaliser, ce qui n’exclut pas que le sujet mobilise, dans une même situation, d’autres métaconnaissances, acquises au cours de ses diverses expériences professionnelles et personnelles.

2.2 Outiller les formateurs à partir de la structure conceptuelle des situations

À partir de ce cadre théorique, l’un des objectifs de l’analyse de l’activité est de mettre en évidence la structure conceptuelle des situations (Pastré, 2005), qui comprend des dimensions invariantes, identiques pour une classe de situations. Elle relie des concepts organisateurs, dont les concepts pragmatiques, des paramètres des situations et des indicateurs, orientant les prises d’informations pertinentes, et elle sert à la compréhension des situations.

Elle peut devenir un outil pour la conception de situations de formation. Les formateurs peuvent contribuer à ce processus de conception, adapter les caractéristiques des situations de formation proposées aux caractéristiques des formés, en concevoir de nouvelles et constituer une bibliothèque de situations et/ou de cas. En se saisissant ainsi de la structure conceptuelle le formateur peut mettre en œuvre un processus de conception poursuivie dans l’usage. La simulation portant sur la taille de la vigne conçue par Caens-Martin (2005) en est un exemple.

La structure conceptuelle des situations permet de constituer un autre type d’outil pour les formateurs : les référentiels de situations (Mayen, Métral, et Tourmen, 2010). L’objectif poursuivi est d’échapper à la constitution de listes de tâches précédées de « capacités à… » ou au découpage de la formation en objectifs, sous-objectifs, voire sous-sous-objectifs, à atteindre. Ces outils ont largement été remis en cause pour leur tendance à exclure les dimensions cognitives de l’activité et leur vision sommative des compétences, comme nous l’avons précédemment souligné.

L’outil conçu sur la base de la structure conceptuelle met en évidence l’articulation entre les caractéristiques des situations et différentes dimensions des compétences des sujets, qui peuvent ou doivent être acquises. Il permet alors de concevoir des formations à partir des situations identifiées, en guidant les formés pour qu’ils construisent leurs propres ressources afin de maîtriser ces situations. Ces situations peuvent être utilisées pour concevoir différents dispositifs de formation, dont des simulations par exemple, en jouant sur certaines de leurs variables, en faisant travailler les compétences des formés à différents niveaux pour les transformer, les améliorer, etc. En ce sens les référentiels de situations sont destinés à outiller les activités de conception des formateurs en dépassant les limites des référentiels traditionnels, c’est-à-dire en rendant explicite l’articulation « situations-dimensions des compétences ».

Une voie de construction de ce type de référentiel est alors d’analyser l’activité de médiations des formateurs et notamment ses évolutions avec le développement des compétences des formés, au fil de la formation.

2.3. L’activité de médiation des formateurs Les activités de médiation du formateur sont ici abordées en considérant qu’elles recouvrent

l’ensemble de ce que fait un formateur pour favoriser le développement des compétences de l’élève : il s’agit aussi bien du choix de « ce à quoi il faut former » que de « comment on forme ».

2.3.1. « Ce à quoi il faut former » En situation de formation, les médiations du formateur cherchant à agir sur les différentes

dimensions des compétences permettent d’accéder au genre professionnel (Clot, Faïta, Fernandez, Scheller, 2002). Dans la formation à la conduite automobile, le genre intègre les pratiques de conduite

que le formateur peut tolérer de la part d’un élève-conducteur ou auxquelles il peut éventuellement former si les inspecteurs du permis de conduire les tolèrent ou qu’il peut signaler comme un risque auquel le futur conducteur devra faire face — par exemple, les autres conducteurs n’utilisent pas systématiquement leurs clignotants pour indiquer un changement de direction.

« Ce à quoi il faut former » est un objet de débat pour les formateurs à la conduite automobile (Litim, Zitoun, Prot, et Clot, 2008 ; voir Prot dans cet ouvrage). Les référentiels n’épuisent pas le sujet. Par exemple, l’un des débats porte sur le franchissement de ronds-points et particulièrement sur la référence à retenir pour former un élève : faut-il former sur la base du code de la route, des attentes des inspecteurs le jour de l’examen, ou en se référant aux pratiques réelles des conducteurs ? Dans ce débat entre différentes références au sein duquel s’élaborent les décisions sur le contenu de la formation, il est aussi question de l’apprentissage de la gestion des risques par le futur conducteur. En effet, en fonction de la référence adoptée, les opérations de franchissement des ronds-points ne comporteront pas les mêmes risques. Contenu et apprentissage de la gestion des risques ne sont jamais dissociés.

2.3.2. « Comment on forme » En cherchant à analyser de façon précise l’activité de médiation des enseignants en conduite,

Rismark et Solvberg (2007) identifient deux étapes décisives de la médiation : la sélection des situations de conduite proposées à l’apprenant et la clarification des objectifs didactiques. Les travaux de Groeger et Clegg (2007) se sont davantage intéressés aux interventions d’enseignants de la conduite en fonction du nombre de manœuvres réalisées par les élèves. Ils ont montré que leurs interventions diminuaient de façon systématique au cours de la formation. Ces résultats peuvent être interprétés du point de vue de l’activité de médiation des formateurs et, plus précisément, en considérant que dans la mesure où l’activité de l’apprenant se transforme avec l’apprentissage, « les contenus et les formes de guidage doivent évoluer en parallèle » (Savoyant, 1996/2010, p. 124).

L’apprentissage de l’élève n’est pas découpé en tâche et en sous-tâche par le formateur, comme le prévoit le PNF (Weill-Fassina, 2005). Si à un moment donné le franchissement d’intersections de tel type est l’objectif principal d’une leçon, il est aussi l’occasion de travailler d’autres aspects de la conduite (le freinage, les contrôles, etc.), en fonction des caractéristiques des situations. Inversement, un même objectif pourra être retravaillé de façon incidente dans d’autres leçons.

Nous en retiendrons que l’activité de médiation des enseignants doit être analysée sur des temps assez longs pour pouvoir observer ses évolutions en fonction de l’acquisition des compétences des élèves et que l’analyser pour une tâche donnée nécessite d’extraire toute réalisation de cette tâche de l’ensemble des leçons observées, qu’elle soit annoncée comme un objectif de la leçon ou non.

3. Un exemple d’analyse de l’activité de médiation des formateurs pour l’outiller

L’activité de médiation des formateurs en conduite automobile est ici appréhendée avec l’objectif d’identifier des pistes de conception d’un référentiel de formation des élèves qui puisse constituer un outil. Dans ce cadre, nous présentons une étude sur le contenu des interventions d’un enseignant et leur évolution au cours du temps, avec l’acquisition des compétences de l’élève. Ce niveau d’analyse permet en outre de mettre en évidence les dimensions des compétences en conduite dont l’acquisition est visée par l’enseignant, aspect sur lequel nous ne disposons que de peu d’informations dans la littérature.

Notre objectif consiste à caractériser ces évolutions dans la formation initiale à la conduite d’un élève, en considérant les interventions de l’enseignant, d’une part, sous l’angle des activités de médiation et, d’autre part, comme un indicateur indirect du développement des compétences de l’élève (Savoyant 1996/2010 ; Vidal-Gomel, 2001 ; Kunégel, 2007 ; Vidal-Gomel, Boccara, Rogalski, et Delhomme, 2008).

Nous examinons le contenu des interventions du formateur au cours de 5 leçons (après 2h de formation, 15h, 25h, 30h et 35h juste avant l’examen). Nos données sont construites sur la base de retranscriptions intégrales de leçons filmées d’un élève de 18 ans qui n’a jamais conduit de véhicule

motorisé avant cette formation. L’enseignant a 28 ans et trois ans d’expérience. À partir des transcriptions des leçons, nous avons cherché à identifier les concepts pragmatiques (§ 2.1), règles, procédures, prises d’information, indicateurs, tâches, sous-tâches, caractéristiques des situations ainsi que leurs relations, exprimés dans les interventions de l’enseignant (Boccara, 2011). Nous présentons des schématisations de l’ensemble des relations verbalisées par l’enseignant pour une catégorie de situations : tourner-à-gauche. Les changements de direction à gauche sont en effet des situations accidentogènes chez tous les conducteurs et plus particulièrement chez les jeunes (Clarke et al., 1998, 1999, 2005). Ce type de manœuvre est aussi l’un des principaux objets des leçons de conduite tout au long de la formation (Boccara, 2011).

L’ensemble des relations que nous identifions peut être présenté sous forme de graphique (figure 2 par exemple).

Figure 2 : Relations verbalisées par l’enseignant au cours de la première leçon (2h de conduite)

Lors de la première leçon de conduite, l’enseignant travaille trois sous-tâches

interdépendantes dans la classe de situations « tourner-à-gauche » : se positionner sur la chaussée, gérer la trajectoire et prendre de l’information. La position sur la chaussée et la trajectoire sont mises en relation avec : 1) un concept pragmatique : le retour du volant, 2) deux règles : faire un angle droit et ne pas faire d’écart en tournant, 3) un ensemble d’artefacts à utiliser (volant, accélérateur, frein et clignotants) et 4) la position sur la chaussée est liée à deux indicateurs : le sens de circulation et l’axe médian de la chaussée (signalisé par des petites lignes discontinues).

La trajectoire est également mise en relation avec un concept pragmatique : « le moment approprié pour tourner », lié à deux indicateurs : 1) le point tangent repérable par un point central dans l’intersection (« Bitoniau », figure 2) et en projetant, en son absence, la ligne de la rue visée au milieu de l’intersection et 2) regarder la rue dans laquelle l’élève veut aller. La trajectoire est également liée à deux caractéristiques des situations : 1) la rue visée, qui peut être en sens unique ou en double sens de circulation et 2) la présence des autres usages de la route.

Ces verbalisations mettent en évidence un découpage de l’apprentissage de la conduite différent de celui préconisé dans le référentiel de formation. Dans le référentiel de formation, la première étape est centrée sur la maîtrise des commandes du véhicule et ne correspond pas à la

maîtrise des situations de conduite comme le franchissement d’intersection, dont les « tourner à gauche » sont une sous-classe, ou encore à la prise d’information. Ces verbalisations soulignent également que la réalisation des sous-tâches est sous-tendue par des concepts pragmatiques, absents des référentiels (§1.2.2.).

Après 15h de conduite environ (première leçon de l’étape 2), l’objectif annoncé par l’enseignant est la reconnaissance et le franchissement des intersections au moyen de la conduite commentée, qui consiste à demander à l’élève de verbaliser les diagnostics qu’il élabore des situations de conduite. Dans l’ensemble, le nombre de règles, d’indicateurs et de sous-tâches, ainsi que le nombre de mises en relations entre ces différents éléments augmentent par rapport à la première leçon de conduite.

Après 25h de conduite (première leçon de l’étape 3), les verbalisations de l’enseignant témoignent d’un développement des compétences de l’élève. L’enseignant n’intervient plus que sur certaines règles, indicateurs et concepts pragmatiques déjà identifiés au cours des leçons antérieures. En revanche, de nouvelles relations entre les éléments constitutifs de la classe des « tourner-à-gauche » élargissent le champ pris en compte. Dans ce mouvement, les sous-tâches verbalisées lors des leçons précédentes deviennent des sous-tâches de la navigation, qui a alors une portée transversale à plusieurs classes de situations. Ces transformations rendent compte d’un changement de niveau de conceptualisation des interventions du formateur.

Après 30h de conduite (étape 4), les sous-tâches centrales sur lesquelles portent les verbalisations de l’enseignant reste « naviguer » et « prendre de l’information ». « Naviguer » est constituée de cinq sous-tâches qui s’organisent en deux groupes de interdépendants autour de la « gestion de la trajectoire » : 1) se placer sur la chaussée-changer de file-gérer la trajectoire et 2) gérer la trajectoire-s’arrêter-redémarrer. Ainsi, les verbalisations de l’enseignant densifient le réseau de relations relatif à la navigation. La sous-tâche « prendre de l’information » est maintenant liée à des éléments déjà abordés : deux règles (vérifier l’angle mort avant de tourner et détecter les priorités à droite) et des indicateurs (les marquages au sol, représentant une ligne mixte et les panneaux de signalisation indiquant les directions). Ces interventions de l’enseignant mettent ainsi en évidence les compétences que l’élève ne maîtrise pas encore pour tourner à gauche.

Au cours de la dernière leçon avant l’examen (après 35 heures de conduite environ), les verbalisations de l’enseignant se centrent sur une difficulté locale à un moment précis de la leçon. La figure 3 rend ainsi compte d’une seule correction de l’enseignant qui porte sur la trajectoire effectuée par l’élève pour changer de direction à gauche. Le réseau de relations verbalisées est très réduit par rapport aux leçons antérieures, ce qui laisse penser que l’élève maîtrise mieux cette classe de situations, compte tenu des exigences de l’enseignant, qui n’intervient plus autant. Toutefois, les compétences sous-jacentes à la maîtrise de la trajectoire semblent encore fragiles alors qu’elles sont travaillées depuis la première leçon.

Figure 3 : Relations verbalisées par l’enseignant au cours de la dernière leçon avant l’examen du permis de conduire (environ 35h de conduite)

L’analyse du contenu des interventions de l’enseignant a été réalisée pour mettre en évidence leur évolution au cours du temps, ce qui nous renseigne sur l’activité de médiation du formateur et nous fournit un indicateur indirect des compétences acquises par le formé pour une classe de situations, les « tourner-à-gauche ».

On identifie ainsi une augmentation importante du nombre d’éléments et la densification de leur mise en relation jusqu’à la 15ème heure de conduite. Puis, les interventions du formateur sont plus localisées et sont essentiellement des « redites ». À la veille de l’examen du permis de conduire, le formateur n’intervient qu’une seule fois au cours de la leçon sur les « touner-à-gauche », pour corriger la trajectoire adoptée. Les interventions deviennent plus rares dès le milieu de la formation, ce qui suggère une meilleure maîtrise des changements de direction à gauche par le formé. Notons toutefois que des difficultés de gestion de la trajectoire subsistent dès que tourner-à-gauche implique de traverser un flux de véhicules circulant en sens inverse. Ce type de situations est aussi particulièrement accidentogène (Clarke et al., 1999, 2005).

Les analyses des interventions du formateur mettent également en évidence un réseau de sous-tâches travaillées sous différents angles au cours du temps — comme « gérer la trajectoire » ou « se positionner sur la chaussée » — permettant une structuration progressive de l’activité du formé pour « touner-à-gauche ». Deux sous-tâches sont ici centrales — « naviguer » et « prendre de l’information » —, qui font appel à un ensemble de sous-tâches, de règles, de procédures, d’indicateurs et, de concepts physiques (par exemple, la vitesse et l’accélération) et pragmatiques (par exemple : le « retour du volant » ou le « moment approprié »).

4. Conception des référentiels : quelques pistes de réflexion

Dans ce chapitre, nous avons examiné la matrice GDE (Goals for drivers éducation), qui sert de référentiel européen dans le domaine de la conduite automobile, pour en souligner les limites. De notre point de vue, ces limites relèvent de sa conception même qui exclut l’activité des formateurs en conduite automobile, ainsi que du point de vue adopté sur l’apprentissage et le développement. En partant des apports de l’ergonomie et de la didactique professionnelle nous avons proposé quelques éléments d’un modèle alternatif d’apprentissage et de développement qui nous conduit à examiner l’activité de médiation des formateurs pour l’outiller.

Les formateurs réalisent des activités de diagnostic des compétences acquises par les formés pour leur proposer des situations de formation précises (Vidal-Gomel, Boccara, Rogalski, et Delhomme, 2012). Ainsi, une même situation de conduite (un même carrefour) peut renvoyer à des classes de situations de formation différentes (par exemple, tourner-à-droite, tourner-à-gauche), en fonction des objectifs pédagogiques du formateur et donc de ses représentations des compétences acquises par le formé.

Ces différents usages d’une même situation de conduite vont de pair avec l’évolution du degré de prise en charge de la conduite du véhicule par le formateur : le nombre et le contenu de ses interventions évoluent au cours du temps, formant un véritable réseau de relations dont il vise

l’acquisition dans l’action chez le formé. Le niveau de conceptualisation de ses interventions change au cours du temps, avec le développement des compétences en conduite du formé. Le formateur opère par découplage (Samurçay et Rogalski, 1998) en intervenant sur des commandes (en début d’apprentissage il prend en charge l’action sur les pédales), certaines prises d’informations, la gestion des autres usagers, de l’espace routier ou de la navigation, jusque dans les dernières leçons.

En cohérence avec les apports de la didactique professionnelle, les référentiels peuvent être élaborés à partir des classes de situations qu’un sujet est susceptible de rencontrer avec l’objectif de favoriser le développement des organisateurs de l’activité qui y sont associés (Mayen, Métral, et Tourmen, 2010).

Utiliser l’articulation entre « situations de conduite » et « organisateurs de l’activité » pour concevoir un référentiel ne signifie pas que l’on explore de façon exhaustive l’activité pour l’intégrer dans un référentiel. Le projet serait vain. Il s’agit plutôt de se centrer sur des dimensions essentielles de l’activité, pour en favoriser l’apprentissage par les formés et fournir un guide générique pour les formateurs.

Dans ce cadre, les analyses des interventions du formateur et de leur évolution au fil des leçons sont des moyens d’accéder au contenu effectif de la formation (voir figures 2 et 3 plus haut). Ainsi par exemple, la matrice GDE définit de façon générique les « connaissances et capacités » requises (axe a) pour le niveau 1 (maîtrise du véhicule) de la façon suivante : « maîtrise du véhicule, système de protection, fonctionnement de la voiture » (voir figure 1 plus haut). Une redéfinition des référentiels à partir des situations de conduite et des organisateurs de l’activité conduit plutôt à prendre en compte les situations de tourner à gauche ou plus largement les situations de changement de direction et les concepts pragmatiques de « moment approprié » et de « retour de volant ».

Ainsi l’approche proposée permet de définir plus finement le contenu des apprentissages, et de conserver au moins en partie les dimensions intégratrices de l’activité et des compétences, qui disparaissent habituellement des référentiels — pour garder le même exemple : les relations entre le retour du volant, la trajectoire, et l’action sur le volant.

Pour conclure, l’analyse des activités de médiation des formateurs ouvre des pistes pour élaborer des référentiels de situations de formation qui pourraient constituer des outils pour les formateurs et engage à d’autres réflexions. Concevoir des artefacts c’est aussi donner des occasions de développement aux acteurs (Rabardel, 1995), c’est-à-dire aux apprenants mais aussi aux formateurs. Comme le soutiennent Béguin et Cerf (2004), la conception peut avoir plusieurs horizons, dont celui de concevoir pour des genèses.

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