+ All Categories
Home > Documents > Le renouveau de l’engagement syndical. Le cas de la CFDT, rapport de recherche pour l’IRES, 2006

Le renouveau de l’engagement syndical. Le cas de la CFDT, rapport de recherche pour l’IRES, 2006

Date post: 07-Feb-2023
Category:
Upload: surrey
View: 0 times
Download: 0 times
Share this document with a friend
99
1 ETUDE CFDT-IRES LE RENOUVEAU DE L’ENGAGEMENT SYNDICAL Le cas de la CFDT Cécile GUILLAUME 1 Décembre 2006 1 Maître de conférence à l’Université de Lille 1 [email protected]
Transcript

1

ETUDE CFDT-IRES

LE RENOUVEAU DEL’ENGAGEMENT SYNDICAL

Le cas de la CFDT

Cécile GUILLAUME1

Décembre 2006

1 Maître de conférence à l’Université de Lille [email protected]

2

SOMMAIRE

INTRODUCTION p.4

1. LES CONDITIONS DE L’ENGAGEMENT p.81.1. L’insertion durable dans l’emploi comme préalable à l’engagement p.81.2. Fréquence des engagements associatifs et héritage catholique p.111.3. Des filiations hétérogènes p.14

2. LES MOTIFS DE L’ENGAGEMENT p.212.1. Le vécu du travail comme moteur de l’engagement syndical p.212.2. Le registre des convictions et des valeurs p.26

3. LES CIRCONSTANCES DE L’ENGAGEMENT p.313.1. L’adhésion individuelle p.313.2. L’adhésion collective p.323.3. L’adhésion d’opportunité p.343.4. L’adhésion package p.363.5. L’adhésion par principe p.37

4. LE CHOIX DE L’ORGANISATION SYNDICALE p.394.1. Le rejet d’autres formes de militantisme p.394.2. Logiques de situation et quête de représentativité p.414.3. Le choix de la CFDT : un syndicalisme constructif p.434.4. La médiation d’une personne : le syndicalisme en actes p.47

5. PREMIERS MANDATS ET VIE SYNDICALE DANS L’ENTREPRISE p.505.1. L’intensité de la vie syndicale, l’espace d’opportunité p.505.2. Un rôle d’interlocuteur légitime p.525.3. L’activité syndicale comme travail p.545.4. Une dynamique de professionnalisation localisée p.59

6. UN CONTEXTE OUVERT ET STRUCTURE D’ACCESAUX RESPONSABILITES p.686.1. Un contexte général de pénurie de candidats p.686.2. Le modèle du cumul des mandats et la diversification des modesd’accès aux responsabilités p.706.3. La permanence de la sollicitation et de la cooptation p.726.4. Des formes de légitimité concurrentes p.73

3

7. LES RAISONS DE L’ENGAGEMENT p.767.1. Solidarité et volonté de pérenniser le travail collectif engagé p.767.2. Mise à distance du travail syndical de terrain etprofessionnalisation syndicale p.787.3. Accès au politique p.79

8. LES STRUCTURES COMME ESPACE IMPROBABLEDE PROJECTION ? p.828.1. La concurrence des offres professionnelles et syndicales p.82 8.2. L’acceptation d’un travail et d’un mode de vie de cadre p.878.3. Un coût d’entrée élevé p.908.4. Mobilisation des ressources individuelles etconstruction d’un parcours professionnel p.94

CONCLUSION p.98

4

INTRODUCTION

La CFDT a connu une période de désyndicalisation massive, initiée à la fin des années 70et qui s’est accélérée tout au long des années 80. Cela dit, depuis le début des années 90,elle a entrepris une démarche intensive de développement et elle a enregistré entre 1990 et2000, une croissance moyenne de son nombre d’adhérents de 5,5% par an. Toutefois, lachute des adhésions comme leur progression n’a pas été identique pour toutes lesstructures. Certaines fédérations ont multiplié par cinq leurs effectifs, d’autres se sontretrouvées en 2001 avec un résultat inférieur de près de 40% à celui de leur meilleureannée. Plus récemment, le taux de progression moyen a en outre commencé à baisser àpartir de 2000. Ce ralentissement est en partie lié à l’essoufflement de la prise en charge dela syndicalisation par les équipes syndicales et aux effets de vieillissement de la populationactive, mais il est aussi indissociable de la période de crise interne qu’a connul’organisation en 2003 (retraites, intermittents, recalculés). Cela dit, en dépit duralentissement du développement syndical, la CFDT a attiré, depuis plus de 10 ans, denombreux « nouveaux militants »2, dont le profil s’est par ailleurs nettement diversifié.Agé de 30 à 45 ans, ces nouveaux vénus exercent une activité professionnelle dans dessecteurs d’activité nouveaux (services et secteur tertiaire), même si certains secteurs ditstraditionnels ont continué de se développer. Ils ont pour la plupart connu une expérience dela précarité plus forte que leurs aînés (turn over, périodes de reconversion, chômage) ettravaillent davantage dans le secteur privé et le monde des petites et moyennes entreprises.Le taux de féminisation est en croissance constante. 44% des adhérents sont aujourd’huides femmes.

Au-delà d’un souhait de contribuer à une morphologie réactualisée du tissu militantcédétiste, cette enquête vise aussi à comprendre les ressorts d’un engagement qui a priorine va pas de soi. Car s’il est bien un constat largement partagé par les salariés comme parles syndicalistes : le syndicalisme a mauvaise presse. S’engager aujourd’hui dans lesyndicalisme ne va pas de soi. Si le tissu associatif3, les organisations humanitaires4

bénéficient d’une image attractive, les organisations syndicales traditionnelles souffrent demauvaise réputation. Clientélisme, logiques d’appareil, corporatisme et défensescatégorielles, autant d’attributs qui viennent combler un déficit d’information évident sur lerôle des syndicats. Dans ce contexte, comment comprendre l’investissement des militantsque nous avons rencontrés, investis parfois depuis des années dans leur section, leursyndicat et plus largement dans la CFDT. Nous avons cherché à comprendre ce quiexplique cet engagement et la forme concrète qu’il trouve au sein des collectifs syndicaux.

2 Dans le cadre de cette étude, les caractéristiques du nouveau militant sont définies comme suit. Il s’agitd’un mandaté syndical en entreprise (désigné ou élu) et/ou d’un responsable en charge d’une structure(syndicat, union départementale, union professionnelle régionale…) ou d’une fonction (secrétaire fédéral,régional, confédéral, développeur…). Les critères de légitimité (politique ou « technique ») et de statut(bénévole, permanent, détaché, salarié) sont secondaires. Le nouveau militant n’est en outre pas défini parson âge mais par son ancienneté dans l’organisation. Il a rejoint la CFDT depuis moins de 10 ans, avec unemajorité de militants qui sont arrivés après 2000.3 HAVARD-DUCLOS B., NICOURD S., Pourquoi s’engager ? Bénévoles et militants dans les associations desolidarité, Payot, 2005.4 DAUVIN P. SIMEANT J., Le travail humanitaire – les acteurs des ONG, du siège au terrain, Presses deSciences Politiques, 2002.

5

L’enquête menée s’est attachée à analyser les processus de construction des « carrièresmilitantes5 » des syndicalistes, de l’engagement initial à une éventuelle prise deresponsabilité dans les structures syndicales. Cette approche permet en effet d’articuler lesdimensions biographiques (configurations familiales et professionnelles), institutionnelles(orientations politiques) et organisationnelles (dispositifs formels et informels de gestiondes ressources militantes, modes d’organisation et caractéristiques de l’activité militante).Nous avons exploré plus particulièrement les modes d’articulation et les processusd’interaction entre les deux sphères d’engagement syndical et professionnel, au niveau desindividus. Nous avons analysé les processus de continuité, de rupture mais également detransfert des investissements d’un champ vers l’autre, tout en mettant en perspective lephénomène de renouvellement générationnel avec le processus de professionnalisation6 quitouche aujourd’hui l’univers syndical comme le monde associatif et bénévole7. Si nousavons mis l’accent sur la sphère professionnelle, plutôt que la sphère privée, c’est parcequ’il nous semble que les formes contemporaines d’engagement syndical révèlent lacentralité des enjeux et des rétributions d’ordre professionnel. Dans un contexte deprofessionnalisation et de managérialisation des pratiques syndicales, de tensions sur lemarché du travail et d’évolution des profils des nouveaux militants, le syndicalisme sembleen effet devenir, presque malgré lui, un espace professionnel à part entière, offrant desperspectives de (re)qualification mais aussi des opportunités de carrière. Le terme de« carrière » sera donc utilisé dans une acceptation large d’inspiration interactionniste ausens d’enchaînement objectif et subjectif de séquences (et de positions) dont la logiquesociale est à reconstruire, mais il sera également appréhendé au sens plus restrictif depromotion dans la hiérarchie des organisations.

Pour étayer cette hypothèse, nous nous appuyons sur l’analyse de 90 entretiens qualitatifs(récits de vie) dont une dizaine d’entretiens collectifs (les militants d’une même équipesyndicale d’entreprise) menés à différents niveaux de l’organisation auprès de militantsayant pour la plupart des mandats dans leur entreprise (élu comité d’entreprise, délégué dupersonnel, élu CHSCT, délégué syndical) et/ou des responsabilités en structure (c’est-à-dire ayant des mandats en dehors de leur entreprise). Il s’agit de 48 femmes et de 42hommes. Les militants interviewés sont âgés de 25 à 45 ans. L’ancienneté de l’adhésion esten moyenne de 5 ans, mais cette moyenne ne rend pas compte des écarts puisque cetteancienneté va de 1 an à 10 ans. Ce qui réunit ces militants est moins leur âge, même s’ilssont tendanciellement plus jeunes que les militants plus anciens, que la « communautéd’adhésion8». Cette génération de militants est en effet entrée à la CFDT à une époqueparticulière de son histoire, marquée par l’affirmation d’un syndicalisme réformiste quiassume ses positions même quand elles sont minoritaires et l’expérience d’une successionde crises internes (1995 et 2003) qui verra la sortie de militants historiques.

5 FILLIEULE O, MAYER N., (2001) « Devenirs Militants », Revue Française de Science Politique, vol.51, n°1-2, février-avril.6 GUILLAUME C., MOURET B., (2004) « Les élus de comités d’entreprise : de l’institutionnalisation à laprofessionnalisation ? », Revue de l’IRES, n°44.7 BERNARDEAU D., (2004) « Du militant bénévole au militant professionnel : le cas des fédérations sportives,Sociologies Pratiques, n°9. DAUVIN P., SIMEANT J., (2002) Le travail humanitaire – les acteurs des ONG, dusiège au terrain, Presses de Sciences Po.8 LABBE D., CROISAT M., La fin des syndicats, L’Harmattan, 1992.

6

Les caractéristiques de la population de l’enquête révèlent la préoccupation que nousavions de privilégier la diversité des parcours professionnels et des expériences syndicalescomme critère de représentativité. Cette diversité se retrouve au niveau des réalitésprofessionnelles (secteurs privé / public, secteurs d’activité, contexte économique, tailledes établissements), des réalités syndicales (ancienneté de la section, ancienneté del’implantation syndicale, taux de syndicalisation), des types de parcoursprofessionnels (conditions de travail, statuts d’emploi, expérience ou non de la précarité),des types de parcours syndicaux (différents niveaux de responsabilité de la section auniveau national en passant par le niveau départemental et régional, différents types destatuts dans l’organisation - salarié, détaché, permanent, bénévole), des sexes, des âges etdes catégories socioprofessionnelles. Le tableau ci-dessous récapitule les types de mandatsou responsabilités tenus par les interviewés, en sachant que nous choisissons de faireapparaître le mandat « le plus élevé » et de ne pas rendre compte des phénomènes decumul des mandats.

Types de mandats/responsabilités Nombred’interviewés

Élus d’entreprise (CE,DP, CHSCT) ou d’administration(CAP, CTP..)

34

Délégué syndical / délégué syndical central 10Secrétaire général de syndicat 8Secrétaire général adjoint du syndicat 5Membre de l’exécutif de l’union départementale 5Secrétaire général de l’union départementale 3Membre de l’exécutif régional 5Développeur fédéral 8Conseiller fédéral 5Secrétaire fédéral / national 4Secrétaire confédéral 3

Ces différents mandats sont tenus dans 11 régions (Ile-de-France, Auvergne, Aquitaine,Poitou-Charentes, Pays de Loire, Franche-Comté, Rhône-Alpes, Champagne Ardennes,Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Bretagne) et 13 fédérations professionnelles (Santésociaux, Construction Bois, Agriculture, Postes et Télécom, Services, Finances, Culture etcommunication, Collectivités territoriales, Éducation Nationale, Habillement, cuir, textile,Métallurgie, Chimie-Energie, Arsenaux). Ce travail s’est effectué en deux temps, avec une première vague d’entretiens menés encollaboration avec Sandrine Nicourd en 2001 auprès d’une population de jeunes salariésfaiblement qualifiés et travaillant plutôt dans le secteur des services et le monde des petitesentreprises. Une seconde vague d’entretiens a eu lieu entre 2003 et 2005 auprès d’unepopulation plus hétérogène : des cadres, des salariés du secteur public, des salariéstravaillant dans de grosses entreprises et dans des secteurs d’activité plus traditionnels. Cetravail s’appuie en outre sur d’autres enquêtes menées au sein du service Recherches etDiagnostics de la CFDT, pendant 4 ans, sur la question de l’engagement syndical deshommes et des femmes9, ainsi que la participation à une recherche-action sur 9 GUILLAUME C., Engagement et prise de responsabilités des femmes à la CFDT, Rapport de recherche FSE-CFDT, 2005. GAUDEUL S., GUILLAUME C., Le mandatement : Quelles incidences sur la représentationcollective et les modes de régulation sociale dans les TPE/PME ? Le cas de la CFDT, Rapport pour leCommissariat au Plan, 2005.

7

l’intensification du travail qui a mobilisé 22 équipes syndicales sur une durée de 2 ans10.La qualité des contacts maintenus avec l’organisation syndicale a en outre permis uneapproche longitudinale puisqu’il nous a été possible de suivre l’évolution du parcours d’uncertain nombre de militants interviewés sur la période 2001-2006. Le plan du rapport est structuré de manière à rendre compte des différentes étapes duprocessus d’engagement, de l’adhésion à la prise de responsabilité éventuelle. Nousverrons donc dans un premier temps une présentation des dispositions générales quicaractérisent les interviewés, pour ensuite préciser les circonstances de leur adhésion et lesmotifs qui les ont poussés à choisir la CFDT. Nous explorerons ensuite les registres dejustification de l’engagement et les formes concrètes de son expression. Parce quel’engagement est toujours construit par des situations organisationnelles et relationnellesconcrètes, nous examinerons ainsi le vécu du travail des syndicalistes de terrain, en priseavec l’actualité de leur collectif d’entreprise. Il s’agira ensuite de comprendre ce quipermet de faire ou non le « saut » vers les « structures », pour construire une éventuellecarrière militante au sein de l’organisation.

10 THERY L. (sous la dir.), Le travail intenable, La découverte, 2006.

8

1. LES CONDITIONS DE L’ENGAGEMENT

De par son périmètre d’action et son champ de revendication, l’engagement syndical estquasiment indissociable d’une insertion professionnelle. Rares sont les militants syndicauxqui n’exercent pas ou plus d’activité professionnelle (chômeurs, retraités…). En ce sens, etc’est sans doute une spécificité du champ syndical, l’engagement militant est subordonné àl’engagement dans une autre sphère de vie11. Cette évidence mérite d’être rappelée dans uncontexte de chômage élevé et de difficultés majeures de primo insertion sur le marché dutravail. Cela dit, tous les salariés insérés professionnellement ne s’engagent pas dans lesyndicalisme, d’autres dispositions sont à rechercher du côté des héritages familiaux.

1.1. L’insertion durable comme condition de l’engagement… dans un contexte deprécarisation

Les militants que nous avons rencontrés sont, pour la totalité, issus des classes populaireset moyennes, mais il est important de distinguer deux sous-groupes. Une premièrecatégorie de militants (36) possèdent une qualification professionnelle assez élevée qui lespositionne sur des professions intermédiaires (14) bien identifiés dans la Fonction Publique(éducateur, assistante sociale, infirmière, enseignant, cadre territorial) ou sur des fonctionsde cadres (22) dans le secteur privé. Leur niveau d’études est supérieur à bac+3 et s’élèvejusqu’à bac+ 5, notamment pour les cadres du secteur privé les plus jeunes (30-40 ans).Une seconde catégorie de militants (54) occupe des emplois moins qualifiés d’employés(34), d’ouvriers ou d’agents d’exécution (20). Leur niveau d’étude est inférieur ou égal aubac, à l’exception des employés les plus jeunes (30-40 ans) qui possèdent souvent unbac+2 et parfois un niveau d’étude supérieur. Les deux catégories de militants sontreprésentées dans la population de l’enquête mais avec une légère sur-représentation de laseconde catégorie. Cela dit, les caractéristiques socioprofessionnelles de cette populationviennent conforter les rares données statistiques disponibles sur le tissu militant cédétistedans la mesure où elles témoignent à la fois d’une augmentation significative des ouvrierset des employés dans la population des nouveaux militants, et d’une élévation générale desniveaux d’étude et de qualification dans la population militante. De fait, seulement douzepersonnes interviewées ont un niveau d’étude inférieur au Bac. Ce constat nous indiqued’ores et déjà un décrochage manifeste entre le niveau de diplôme (ou la qualification) et letype d’emploi obtenu, avec des effets évidents de déclassement professionnel. Cetteévolution s’accompagne également d’une tertiarisation accrue des secteurs d’activité. Unepartie des « ouvriers » sont en réalité des « agents d’exécution » dans le secteur desservices (téléconseiller, caissiers, agent d’accueil).

Majoritairement, les militants rencontrés affichent des prédispositions scolaires assezfavorables, même si un certain nombre d’entre eux n’ont pas pu mener leur parcoursscolaire où ils le souhaitaient. Un certain nombre d’entre eux sont en effet entrésprécocement dans la vie active (après le bac), par souci d’autonomisation, par manque demoyens financiers ou tout simplement par défaut d’orientation. La plupart de ces jeunessalariés ont souvent fait l’expérience de la précarité parfois sur une durée assez longue,enchaînant les petits boulots. Les jeunes femmes sont particulièrement touchées par cesphénomènes de précarisation comme en témoigne l’étude de Sophie Béroud12 sur les 11 PASSY F., « Interactions sociales et imbrication des sphères de vie », in FILLIEULE O. (dir.), L edésengagement militant, Belin, 2005.12 BEROUD S. , Adhérer, participer, militer : les jeunes face au syndicalisme et à d’autres formesd’engagements collectifs, Rapport de recherche IRES, 2004.

9

jeunes et le syndicalisme, mais nombre de jeunes hommes témoignent des mêmesdifficultés d’insertion professionnelle.

« J’ai démarré en tant qu’emploi-jeune dans une association qui travaille pour EDF comme un sous-traitant en fait. Nous travaillions pour quatre partenaires dont la Compagnie de Transport enCommun d’ici. Donc c'était une association avec des emplois-jeunes. Il s’agissait surtout de relier lelien social entre les entreprises et les personnes en difficulté entre autres. Dans les bus, c'était plus dela médiation. J’étais tout simplement agent de médiation en fait. A Paris c’est plutôt l’appellationGrand Frère dans les cités, donc catalogué issu d’un quartier sensible de Brest. C’est comme cela quenous sommes catalogués. En gros nous appartenions chacun à un quartier sensible de Brest. Donc làils ont tapé un peu partout. Il y a à peu près huit gros quartiers sensibles à Brest, surtout deux ou troisqui m’ont recruté comme cela, parce que j’ai démissionné de la police où j’étais gardien de la paixavant. J’ai été reçu, j’ai démissionné dans la foulée. Je vis ici, je n’aime pas Paris. Le boulot meplaisait. C’est le contexte, tout ce qu’il y a d’autre, c’est Paris. C’est la pollution, c’est la circulation,ce sont les transports en commun, les loyers, tout ce qu’il y a de Paris, tout ce que tout le mondeconnaît de Paris en province. J’ai fait deux ans et demi agent de médiation. J’ai dû galérer six ou septmois. Quand je dis galérer, je n’ai jamais galéré, je n’ai jamais été au chômage en fait. J’ai toujourstrouvé du travail à droite et à gauche. Je suis un art martial donc j’ai été videur. Tous les concertsqu’il y avait à Brest, c’est moi qui accompagnais la personnalité sur le lieu du concert. J’ai toujourstrouvé du taf et puis bon cela paye très bien. J’ai toujours réussi à me débrouiller. Je n’appelle pasvraiment cela galérer » (homme, employé dans une grosse entreprise d’énergie, 28 ans, syndiquéCFDT depuis 3 ans, délégué du personnel).

« J’ai un parcours éclectique, j’ai arrêté mes études car je travaillais déjà, j’étais journalisteculturelle, j’ai été guide touristique, serveuse, intermittente et journaliste et puis je me suis posé chezX à l’occasion d’un changement de ville et de ma mise en couple, depuis 95 je cherchais un boulotalimentaire car j’étais intermittente et il fallait que je reprenne des contacts sur Lyon pour essayer detravailler dans le théâtre. Je suis entrée chez X, en tant que chargée de clientèle pendant 2 ans »(femme, télé conseillère, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuse fédérale).

Plus le niveau d’étude des militants est faible, plus le choix du métier est circonstanciel etcontraint, mais l’obtention d’un diplôme élevé ne garantit pas nécessairement l’obtentiond’un emploi de niveau équivalent.

« J’ai un bac +4 et un diplôme d’expertise comptable, mais j’ai connu 10 ans de précarité, phoning,les trois/huit dans des entreprises de lait…Et puis j’ai travaillé dans un cabinet d’expertise pendant 2ans, j’ai été remercié, ça m’a déçu et finalement je suis resté dans le Cinéma, j’aime le cinéma et leshoraires me conviennent, plutôt le soir. Il y a le cinéma et tout ce qui est à côté : les rencontres avecles réalisateurs et les acteurs avant le lancement du film et puis c’est pas trop mal payé, comparé àMac Do et Leclerc » (homme, caissier de cinéma, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, déléguésyndical)

Ces effets de déstructuration du marché du travail sont également observables au niveau dela population cadre si l’on tient compte de fortes variations selon les périodes, les secteursd’activité et la taille des entreprises13. Les statistiques montrent deux périodes critiquespour les jeunes diplômés (1991-1995 et 2001-2004), mais l’on observe aussi une plus forteprécarisation des parcours professionnels dans certains secteurs d’activité qui vivent desrestructurations permanentes (économie du savoir et de la culture notamment) et dans lespetites entreprises très sensibles aux effets de conjoncture.

« Moi je suis rentré en 86 en classe prépa, il y avait dix offres par ingénieur, je suis sorti en 93-94, il yavait dix ingénieurs par offre » (homme, ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35 ans,syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

13 POCHIC S. (2001), « Chômage des cadres : quelles déstabilisations ? », in Bouffartigue P., Cadres, lagrande rupture, La Découverte.

10

« En fait je me suis intéressé à l’aspect social du travail, parce que j’ai commencé à travailler il y asept ans. J’ai fait des CDD, j’ai été trimbalé pendant un an et demi de CDD en CDD. Je me suisvraiment rendu compte de la précarité de tout ce que cela pouvait apporter de négatif. Du coup je mesuis intéressé un peu à l’aspect social Je n’étais pas enfermé dans ce schéma et puis Sup de Co, celam’avait complètement énervé. Ces bourrages de crânes, cette démagogie en plein cœur de la criseéconomique. En plus, nous nous sommes tous retrouvés à la rue en sortant de Sup de Co. Nous étionstous au chômage pratiquement pendant un an. Moi au bout de six mois j’ai trouvé deux CDD. Je nesuis resté que six mois au chômage, mais je me suis tapé deux ans de CDD » (homme, cadrecommercial dans une entreprise de presse professionnelle, 33 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, éluau comité d’entreprise).

Cela étant dit, un certain nombre de militants syndicaux, notamment les plus anciens, ontconnu des carrières professionnelles plus stables au sein d’une même entreprise. Lapopulation des mandatés RTT14 témoignent particulièrement bien de ces trajectoires depromotion sociale interne pour des salariés au départ dotés d’un bagage scolaire moyen (leplus souvent inférieur au BAC et très rarement supérieur à Bac + 2) et entrés dansl’entreprise comme « simple ouvrier » (ou exécutant). Aujourd’hui, « chef d’équipe »,« responsable d’atelier ou de magasin », il s’agit de cadres promus qui ont gravi leséchelons de l’entreprise progressivement et qui exercent aujourd’hui une fonctiond’encadrement de proximité.

« J’ai commencé comme simple magasinier, pour être passé au service commercial, pour êtreretourné après à la logistique et pour revenir au service commercial depuis maintenant huit ans etm’occuper de l’encadrement commercial des vendeuses avec ma collègue et puis des relationspubliques, communication d’entreprise. En vingt ans. Disons que j’ai connu cette entreprise parhasard, je me suis dit : je vais rester deux, trois ans pour faire mes armes comme on dit et puis vousvoyez, vingt ans après, je suis encore là » (homme, cadre commercial dans une PME de cosmétiquebio, 40 ans, syndiqué CFDT depuis 7 ans, mandaté RTT puis délégué du personnel).

Les jeunes cadres, bien dotés sur le plan scolaire, et ayant eu la chance d’intégrer unegrosse entreprise témoignent également d’un parcours professionnel à la fois stable etpromotionnel.

« Il y a une pré-hiérarchisation interne et donc qui se voit également sur le parcours. Donc je suisrentré là-dedans et après j’ai évolué doucement. Je suis resté, j’ai fait un petit passage par le CEAaussi, j’ai évolué doucement vers des postes d’encadrement, de chef de projet, début 2000. J’ai dirigédes équipes de plus en plus grosses, d’abord de 5 personnes, après de 20 à 30 personnes » (homme,ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

Si la majorité des militants, notamment les plus anciens ou les mieux diplômés, ont connuune intégration stable et durable sur le marché du travail favorisant une démarchesyndicale assez précoce, les plus jeunes ont, pour leur part, connu des difficultés de primoinsertion professionnelle, ce qui les a conduit à différer cet engagement15. Le report del’adhésion est particulièrement visible dans les enquêtes statistiques puisque la proportionde militants âgés de moins de 30 ans est extrêmement faible. Dans tous les cas, et c’estsans doute une évolution de fond, l’engagement a perdu de son automaticité. Quand lesanciens militants ont vécu la simultanéité de leur entrée dans le monde professionnel et deleur adhésion syndicale, les nouveaux s’engagent après quelques années d’activité aumoment où ils peuvent se permettre d’agir syndicalement (quand ils ont enfin accédé à unemploi stable)…. En revanche, ce qui reste inchangé d’une génération à l’autre, c’est que

14 GAUDEUL S., GUILLAUME C., op.cit.15 BEROUD S., op.cit.

11

l’engagement syndical comme la plupart des engagements militants s’appuie sur uneintégration sociale et professionnelle stable16.

1.2. Fréquence des engagements associatifs et héritage catholique

Sur le plan des contextes de socialisation familiale et politique, des points de convergenceet de différenciation sont observables. Tout d’abord, les militants interviewés témoignentd’engagements associatifs passés et actuels fréquents. S’ils sont peu nombreux à avoir faitpartie de groupes militants de jeunesse, l’engagement associatif reste très valorisé etsouvent pratiqué. Les associations concernées sont nombreuses et variées. Elles ne sont pastoujours centrées sur les questions sociales, mais correspondent à une vie collectivepublique qui a de l’importance pour les militants rencontrés (associations sportives, deconsommateurs, parents d’élèves, citoyenneté )

« J’ai toujours plus ou moins milité quand j’étais ado, dans les mouvements écolo. Je suis native desLandes, mon village était pollué par des industries papetières, mon grand-père avait été ouvrier danscette usine. C’est un mélange entre l’amour du pays, mon milieu social modeste et ma conscience desproblèmes des ouvriers » (femme, cadre territoriale, 39 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans,permanente dans une union régionale).

« Quand j’étais étudiante, j’allais dans une petite association pour aider les enfants du quartier endifficulté scolaire, aider les gens ça m’a toujours… Quand je suis arrivée sur Paris, c’était un besoinde me rendre utile, pour les enfants, donner la chance à quelqu’un… ce qui est peu utopique pour cesenfants là mais au moins leur donner confiance en eux » (femme, employée administrative, 28 ans,syndiquée CFDT depuis 2 ans, déléguée du personnel)

Cette exposition à l’engagement associatif est le plus souvent à relier avec des expériencesfamiliales, mais le rôle de la socialisation étudiante est également marquant, notammentpour les salariés diplômés de Grandes Ecoles d’ingénieur ou de commerce encouragés às’investir dans le tissu associatif de leur école ou pour les universitaires qui ont puparticiper à la vie syndicale étudiante.

« En fait quand j’étais à Sup de Co, je faisais partie d’associations. J’ai monté une associationd’audiovisuel.. Donc le côté de s’investir dans autre chose que le boulot, à proprement dit, pour moic'était quelque chose d’important » (homme, cadre commercial dans une entreprise de presseprofessionnelle, 33 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, élu au comité d’entreprise).

« En fait je suis rentré à la Fac à Tolbiac. J’ai fait des inscriptions comme tout le monde. L’UNEF-ID, à l’époque, avait une démarche d’accueil des nouveaux inscrits dans laquelle je suis tombéecomme beaucoup de gens qui arrivaient à la Fac à l’époque. Et en fait, ensuite très, très vite, leurfameuse réunion de présentation du cursus de première année de la Fac en tant que telle m’abeaucoup intéressé. Je suis restée discuter avec eux à la fin et puis de fil en aiguille je suis très vitedevenue militante auprès d’eux. Et au bout d’un an j’ai pris des responsabilités. J’étais responsablede la filière Science Eco » (femme, cadre dans une grosse entreprise d’énergie, 30 ans, syndiquéeCFDT depuis 4 ans, adhérente)

Quelques rares militants, plutôt des cadres ou des professions supérieures, ont égalementété investis dans un mouvement politique, en particulier le Parti Socialiste, et plusrécemment certaines associations altermondialistes comme ATTAC. Ces engagementsinterviennent cependant plus tardivement, au moment de l’entrée dans la vie active.

16 MCADAM, D., « Pour dépasser l’analyse struturale de l’engagement militant », in FILLIEULE O. (sous ladir.), Le désengement militant, Belin, 2005.

12

« Je suis quelqu’un qui a côtoyé assez tôt le militantisme politique. Je suis né en 69, là où j’habitais àl’époque à Tours, je traînais un peu avec les gens qui faisaient la campagne présidentielle en 88. Jeme souviens, je soutenais Juquin à l’époque, ça paraît être une autre époque. C’est vrai que c’était lamauvaise époque du parti socialiste. J’ai côtoyé les différents clubs qui tournaient à l’époque autour»(homme, ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans,adhérent)

« Je suis un sympathisant de l’association Attac alter-mondialiste depuis la création. C'est un peumon côté idéaliste. J’ai un très bon ami qui connaissait la personne qui a créé Attac. Il m’a emmené àla première réunion. Et puis, je trouvais les idées vraiment bien au niveau international. Maintenantdepuis le changement de gouvernement, ils se mêlent beaucoup de la politique intérieure. Je trouveque cela a un petit côté idéaliste et sympa. C'est pour ma bonne conscience. Mais ils ont de bonnesidées. Après, il y a du bon et du pas bon. Il y a un côté dogmatique, manichéen qui n’est pas évident » (homme, cadre commercial dans une entreprise de presse professionnelle, 33 ans, syndiqué CFDTdepuis 3 ans, élu au comité d’entreprise).

Par ailleurs, un certain nombre de militants évoquent une forte socialisation catholiquedans leur milieu familial ou leur contexte de vie local avec son lot d’investissementsassociatifs dès le plus jeune âge. Au-delà de l’aspect religieux qui n’est que très rarementmis en exergue, les militants insistent sur la dynamique collective et les liens affinitairestissés dans l’engagement associatif, ainsi que l’apprentissage du débat et de laconfrontation d’idées. Au-delà de l’expérience d’activités collectives, l’idéologie véhiculéepar l’Église « attentive aux malheurs d’autrui peut susciter des dispositions à lacontestation17 ». Si les militants ne font jamais spontanément référence aux valeursreligieuses, cet héritage constitue une sorte d’évidence dans l’orientation implicite de leursconduites.

« Je viens d’une famille catholique. Mon père était aussi impliqué dans tout ce qui était associationcatholique, gestion d’œuvre catholique. Par exemple la fondation qui s’occupait des lépreux et qui amis en place des hôpitaux. Une petite anecdote : en 85, mon père est assez atypique, parce qu’il n’ajamais voulu tremper dans les magouilles, et donc un jour il fallait quelqu’un de très présentable pourfaire le discours de bienvenue au pape. Et donc il a fait le discours de bienvenue au pape. Leprésident lui a demandé de faire le discours de bienvenue au pape au nom des intellectuelscamerounais. Donc c'est quelqu’un qui était hyper impliqué » (homme, technicien dans une entrepriseaudiovisuelle, 40 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, secrétaire général adjoint du syndicat)

D’autres militants témoignent pour leur part d’une socialisation beaucoup plus laïque,structurée autour de l’engagement politique de gauche - voire d’extrême gauche - centrésur les questions de développement, de solidarité, de démocratie. On peut faire l’hypothèseque ces militants ont reçu en héritage l’engagement politique de leurs parents dans lamouvance de 68 ou parfois dans la guerre d’Algérie ou la guerre civile espagnole.

« Moi je suis issue d’une famille militante, pas très syndicale. Ma mère est mexicaine et a toujours étébranchée sur les questions de problèmes en Amérique Latine, des choses comme cela. C’est commecela que mes parents se sont rencontrés d’ailleurs. Donc, depuis toute petite, j’ai baigné dans uneambiance engagée. Mon père qui est prof est syndiqué depuis toujours mais sans être un militantardu. Il paie une cotisation Je ne crois pas qu’il fasse beaucoup plus ou qu’il ait jamais fait beaucoupplus et donc l’engagement... Je pense que tout engagement trouve sa naissance quelque part dansl’environnement familial qu’il a eu, soit dans un sens ou dans un autre. Je me souviens de ma toutepremière fois. Tu sais dans les cours d’école, les gamins ils causent. Je me souviens très bien qu’unefois, il y en avait un qui devait être particulièrement charismatique dans la cour d’école et qui disaitque la politique c'est nul. J’étais rentrée le soir en disant : « papa, la politique c'est nul. ». Il m’avaitdit : « tu sais, il ne faut pas dire cela ». Tu vois, cela m’a marqué. Je devais vraiment être petite. Je nesais pas si c'est en fin de maternelle ou en tout début de primaire, mais j’étais vraiment petite et il m’adit : « non ce n’est pas vrai, la politique c'est important. La politique c'est ce qui permet de décider où

17 MATHIEU L., Comment lutter ? Sociologie des mouvements sociaux, Textuel, 2004.

13

est-ce que nous mettons des routes, qu’est-ce que nous faisons à l’école et ce genre de choses ». Tuvois avec des éléments très simples et cela m’a vraiment marquée. J’ai dit : « oui c'est vraimentimportant ». C'est-là où je me suis différenciée en fait de mes copains d’école. Je me suis dit « oui, enfait cela c'est vraiment important et cela m’intéresse ». Mais après, j’étais quand même éduquée defaçon un peu simpliste. Je me souviens très bien, nous regardions en 80 les élections à la télé, il yavait des interventions. Moi je me retournais vers mes parents en disant : « lui, il est gentil, lui estméchant », donc l’environnement n’était vraiment pas neutre » (femme, cadre dans une grosseentreprise d’énergie, 30 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, adhérente)

Les militants puisent en outre dans leur expérience de vie pour expliquer leurs dispositionsà s’engager et plus largement à se prendre en charge soit parce qu’ils y ont été incités parleurs parents, soient parce qu’ils y ont été contraints. La fréquence des histoires de viechaotiques ou bousculées par des expériences de migration, de ruptures familiales, dedeuil, de maladie, bref de difficultés expérimentées dès le plus jeune âge témoigne d’unesensibilité préalable aux situations d’injustice et plus largement à ce que les militantsnomment « le social ».

« Un père qui m’a éduquée dans le sens où il n’existait pas de différence entre mes frères et moi. Il nedevait pas en avoir, en tout cas. J’ai eu un père qui respectait ma mère. Et après viennent lesinfluences, avec les lectures, un tas de trucs, le vécu. Car moi j’ai vécu beaucoup à l’étranger, dansdes pays pas… après, c'est le regard que tu portes sur les différences qu’il peut y avoir par rapport àta condition à toi. Donc cela t’interpelle ou ne t’interpelle pas. Mon père étant enseignant, il atravaillé énormément pour la Coopération. Nous sommes souvent partis. Au Sénégal et en Côted’Ivoire, principalement en Afrique. Il y a des choses qui m’ont marquée. Quand tu es toute jeune,que tu te retrouves toute seule dans une classe avec uniquement des garçons, que tu es la seuleblanche, forcément tu te poses des questions. Tu te demandes pourquoi il n’y a pas de filles à l’école.Ce sont des choses qui m’ont interpellée très jeune. Parce que ces filles, à cette époque, à cet âge-làelles étaient déjà mariées. Des choses comme cela. En fait c'est incroyable, mais en Afrique jeconnaissais la mixité, même si elle n’était pas très développée. Elle existait quand même jusqu’à uncertain âge. Après, elle n’existait plus parce que les filles n’allaient plus à l’école, elles n’étaient plusscolarisées. Mais je me souviens, une fois j’ai fait une année scolaire au Cap-Vert. Ce n'était que desgarçons encore. Je n’avais même pas le droit de me mettre en pantalon ! Tu te rends compte ? Commesi c'était au siècle dernier ! Il y a quand même des choses comme cela qui m’ont un peu interloquée,interpellée dans mon enfance. J’ai toujours été sensible au fait qu’on fasse des différences entre lesfilles et les garçons. Cela a toujours été quelque part dans ma tête» (femme, comptable dans unegrosse entreprise de métallurgie, 45 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, déléguée du personnel).

Ces dispositions héritées permettent de comprendre le caractère « naturel » del’engagement et de la fonction de représentation. Bien que les militants présentent souventleur engagement comme « allant de soi », construit dès le plus jeune âge parfois dès lesbancs de l’école, en vertu de prédispositions liées à leur « caractère » ou à leur« personnalité », cette naturalisation de l’engagement révèle en réalité des formes desocialisation politique et/ou religieuse transmises dans les milieux familiaux d’origine.Comme le souligne L. Mathieu, « quel qu’en soit le lieu, la socialisation politique estdécisive pour l’engagement, en ce qu’elle dote d’une aptitude à définir certains élémentsdu monde social ou de sa propre condition comme relevant du registre politique – et nondes registres individuel ou moral -, et donc à les concevoir comme susceptibles d’untraitement d’ordre lui aussi politique18 ».

« J’aime bien défendre, j’aime bien je sais pas, quand quelqu’un se plaint de quelque chose, j’aimebien aller faire les démarches nécessaires et puis faire en sorte que le problème soit résolu. C’est pasdepuis que je suis né mais pas loin, depuis la 6ème je suis représentant, j’ai été délégué de classedepuis la 6ème : 6ème, 5ème, 4ème, 3ème, seconde, deux fois la seconde, 1ère, terminale. Quand je suis alléen BTS, j’étais délégué des lycées de Bretagne » (homme, ouvrier dans une petite entreprise du

18 MATHIEU L., op.cit.

14

secteur pharmaceutique, 29 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, mandaté RTT puis délégué dupersonnel).

Si ces militants présentent a priori une socialisation propice à la poursuite d’unengagement pour autrui, le passage de l’associatif au syndicalisme est loin d’être évident.Bien que l’on puisse supposer la transférabilité des compétences d’un champ à l’autre,l’engagement syndical ne répond pas toujours de manière claire aux motivations desbénévoles associatifs, qu’il s’agisse d’un ancrage dans des actions de proximité ou aucontraire d’un investissement dans un mouvement d’idées plus général. Bien que lesyndicalisme se positionne sur ces deux registres – pragmatique et politique – lesreprésentations que peuvent en avoir les salariés sont brouillées par les dimensionsorganisationnelles et institutionnelles de l’action syndicale. La vie des structures syndicaleset des instances de représentation, les logiques électorales et le fonctionnement duparitarisme positionnent le syndicalisme dans un espace intermédiaire que les bénévolesassociatifs connaissent mal et qui semble éloigné du sens de leur engagement.

« Mes études finies, j’ai fait mon service national en tant que coopérant pour le compte d’IngénieurSans Frontière et l’association française des volontaires du progrès au Sénégal. Durant 2 ans,période assez significative pour aborder les questions d’interculturalité, j’ai travaillé sur un projetd’appui à la gestion de l’eau dans 60 villages de 2 à 25 mille habitants. En rentrant en France,poursuivre mon engagement était donc évident… Mais comment ? D’un point de vue professionnel,j’avais envie à la fois de faire de mettre en œuvre mes compétences d’ingénieur mécanicien(concevoir, inventer) et en même temps de participer à la construction d’un projet social. Je me suisdis qu’en allant à EDF, je trouverais ce cadre. Pragmatiquement, je me suis rapproché de monsyndicat en local. Plus par conviction qu’il pouvait y avoir une réflexion démocratique et des lieux dedébat au sein de l’entreprise que par l’offre syndicale elle-même. Là encore, ça n’a pas été facilepour plusieurs raisons. Les délégués en local sont pris par les sujets d’actualités. Il y a des logiquesélectoralistes. Les stratégies ne sont pas claires et s’apparentent plus à un sauvetage de meublesquotidien avec comme seuls outils le tract et la grève. Parmi les quelques syndicalistes bénévoles, jen’ai pas trouvé de personnes avec qui partager mes questionnements. Et l’assemblée générale de laCFDT en local est plus une chambre d’enregistrement, le vote est même facultatif (!), qu’un lieu dedébat entre syndicalistes… La question du sens, est pour moi, fondamentale. Il y a finalement peu delieu où l’on peut débattre de cette question. On est trop vite dans le comment faire, et non pas, dans lepourquoi faire. Et j’avoue que je me pose encore la question, le syndicalisme : pourquoi faire ?Quand un cadre ne sait plus pourquoi il travaille, comment voulez-vous qu’il s’engage dans autrechose ?!! Aujourd’hui, le sens, je le trouve chez Ingénieurs Sans Frontières, association dans laquelleje continue à m’investir » (homme, ingénieur dans une grosse entreprise d’énergie, 31 ans, syndiquéCFDT depuis 2 ans, adhérent)

1.3. Des filiations hétérogènes

Si le fait d’avoir baigné dans un milieu favorable à l’engagement associatif et promoteurd’une forme de socialisation politique favorise la propension à s’engager, l’intérêt pour lesyndicalisme se construit toujours dans une forme de distance à l’égard des héritagesfamiliaux. Même pour les fils et filles de militants, l’engagement à la CFDT relève d’untravail d’appropriation individuel. L’héritage militant ne se fait jamais à l’identique. Ainsi,sur le plan des héritages familiaux, trois cas de figure sont repérables dans notrepopulation.

a) Un certain nombre de militants évoquent une distance forte avec le monde syndical etpolitique. Issus de familles d’agriculteurs, de commerçants, d’artisans, de travailleursindépendants ou de salariés de PME, ils n’ont pas été socialisés au monde syndical. Ils’agit parfois d’une image négative mais aussi d’une absence de représentation ou d’unvécu d’externalité du syndicalisme par rapport à la réalité socio professionnelle de leursparents, mais également par rapport à leur propre situation de travail. De fait, les salariés

15

des PME et plus encore des TPE ont des difficultés à percevoir l’utilité du syndicalismepour eux, tout du moins tant que leur entreprise ne rencontre pas de problèmes.

« Je vivais l’entreprise à un niveau familial où il n’y avait pas de problèmes, où rien ne s’était posé.On n’avait pas forcément le besoin de se défendre. Quand on pouvait discuter, on pouvait échanger, ily avait une ouverture d’esprit. Ce qui fait que cela ne me paraissait pas nécessaire » (homme, ouvrierdans une petite entreprise agro-alimentaire, 44 ans, syndiqué CFDT depuis 5 ans, mandaté RTT puisdélégué du personnel)

L’enquête menée auprès des mandatés RTT19, comme les autres travaux sur les relationssociales dans les PME20, soulignent la prépondérance des modes de régulation sociale detype informel, familial et/ou communautaire qui vont de paire le plus souvent avec uneextériorité manifeste du syndicalisme. Les relations de travail sont imprégnées d’unelogique domestique qui ne disparaît pas systématiquement dans les entreprises de taillemoyenne rattachées à un groupe. La petite taille de l’entreprise vient encore renforcer lecaractère informel et direct de la gestion des différends. Dans ce contexte, on peut fairel’hypothèse que la légitimité syndicale entre en concurrence directe avec d’autres formesde légitimité construites sur l’interconnaissance, l’ancrage local et la médiation directe.

« Mon père avait une petite entreprise, ma mère était commerçante… J’ai vécu dans le milieu ducommerce, de l’artisanat et des PME. J’ai été élevé dans un bourg où tout le monde se connaît. Dèsque les gamins faisaient une connerie, les parents le savaient. Ça réglait ses comptes comme çadonc… On faisait des conneries, on assumait, lorsqu’on n’en faisait pas, on se tenait à carreau. Jevois dans mon bled, il y a plusieurs entreprises de 30, de 50 et plus et à ma connaissance, il n’y a pasde délégation syndicale » (homme, ouvrier dans un petite entreprise de meubles, 40 ans, mandaté RTTpuis adhérent).

L’engagement syndical exprime ainsi une rupture avec le milieu familial (et local). Il peutêtre perçu comme contraire à un projet de promotion sociale. Les parents considèrent quele syndicalisme n’est pas une ressource pour faciliter un parcours professionnel.

« Et le milieu syndical, c'est un milieu que je connaissais vraiment pas du tout puisque je suis… monpère est garagiste, c'était un petit patron, enfin je veux dire moi pas du tout… » (homme, employédans une banque, 32 ans, syndiqué CFDT depuis 1 an, délégué du personnel).

« Le plus dur c’est avec ma famille, ils ne comprennent pas , même mon frère qui est routier, ils medisent vous êtes des fouteurs de merde… La dernière fois que l’on s’est vu je me suis demandée sij’étais normale, je n’étais jamais d’accord avec eux, dans ces cas là mon mari me soutient, mais il vafalloir que je me calme sinon ils ne voudront plus me voir, on a été un mois sans se voir… » (femme,ouvrière textile, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuse régionale)

Dans cette configuration, les familles peuvent émettre des inquiétudes sur les conséquencesde l’engagement syndical sur la carrière. L’investissement éducatif engagé par la famille etles difficultés de primo insertion sur le marché du travail font en effet craindre pourl’avenir professionnel de l’enfant.

« Je n’ai aucune culture syndicale familiale. Ma mère est fonctionnaire aux impôts et mon pèretravaille à la banque de France, tous les deux sont passifs. Parfois c’est un peu conflictuel avec mon

19 GAUDEUL S, GUILLAUME., op.cit.20 LEPLEY B., Systèmes de relations sociales et PME, rapport de recherche pour le GIP-MutationsIndustrielles, Paris 2000. LEPLEYB, CHARPENTIERP., Développement et dialogue social : les TPE face aux 35heures, documents d’étude DARES, n°65, janvier 2003. LELEY B., Dialogue social et petites entreprises,Rapport d’étude pour le CARIS, juin 2003.

16

père, il est à la BDF, il est assez à l’aise, ça lui fait peur pour moi, pour ma carrière et puis il a vu lestravers du syndicalisme à la BDF… Ma mère me voit comme une rouge mais elle est fière de moiquand elle me voit dans le journal » (femme, assistante de communication dans une CAF, 30 ans,syndiquée CFDT depuis 4 ans, secrétaire générale adjointe du syndicat).

Dans cette configuration particulière où les militants sont des « novices » de l’actioncontestataire21, les ressorts de l’engagement syndical sont étroitement liés soit à l’héritagede socialisation religieux – catholique mais aussi musulmane – soit à l’exposition àd’autres expériences sociales qui ouvrent les individus à des horizons plus politiques. Si lagénération 68 a baigné dans un contexte de haute socialisation politique, la génération 90 aeu moins d’occasions pour se forger des convictions et se familiariser avec les structurespolitiques. Cela dit, chez quelques militants, le souvenir de l’élection de Mitterand, lepassage à l’université et le choix pour des études en sciences sociales (droit, sciencespolitiques, sociologie, économie), la rencontre avec des personnes issues d’autres milieuxsocioprofessionnels dans le cadre d’activités sportives ou artistiques ou encore l’immersiondans un milieu professionnel très syndiqué a permis une ouverture à des réalités politiquesméconnues voir dénigrées dans les milieux familiaux d’origine.

« Je viens d’une famille bourgeoise Lyonnaise. J’ai fait du catéchisme. Je ne suis jamais allé dans uneécole religieuse, mais ma mère voulait que nous ayons une éducation religieuse. Ma mère était assezpratiquante. Moi j’étais plutôt dans les jupes de ma mère. J’étais sérieux à l’école. Après, j’ai faitbeaucoup de musique et depuis que je suis à Paris, donc 97, pendant cinq ans, j’ai joué dans ungroupe de musique, de jazz et tout cela. J’avais des copains aussi avec un parcours différent du mienet qui étaient informaticiens ou artistes. Enfin, j’ai joué avec des gens qui étaient artistes, c’était leurmétier . C'est pour ça que maintenant ma mère ne comprend pas pourquoi je refais le mondemaintenant. Elle ce qui l’intéresse, c'est que j’ai un bon boulot, une petite fille adorable » (homme,cadre commercial dans une entreprise de presse professionnelle, 33 ans, syndiqué CFDT depuis 3ans, élu au comité d’entreprise).

« Mon père avait une petite boîte, il était artisan, son père était tanneur, il avait boutique de tannerie.Ma mère, elle est issue de milieu très à droite, enfin bourgeoisie catholique du Nord assez à droite,même si elle, elle a été plutôt la génération de 68, bon elle n’avait pas 20 ans en 68, elle en avait déjà35, m’enfin elle a forcément subi toute celle culture années 50, années 60, des gens comme ça maiselle n’a pas basculé dans le militantisme. Mes parents n’étaient pas militants d’extrême gauche.Même quand je les vois maintenant, je vois bien qu’ils sont dans une espèce de centre droit mou quoi.J’ai pas un souvenir frappant, j’ai pas eu un gourou, je ne sais pas il faut que j’en discute avec monfrère à mon avis ça doit plutôt relever… Il doit y avoir tout l’aspect Mitterrand. Je pense queMitterrand en 81 j’avais 12 ans, je pense que ça a dû marquer beaucoup de monde, t’as 10 ans, t’as12 ans, tu ne comprends pas vraiment ce que c’est mais à mon avis ça doit te marquer pour la vie. Jete dis mes parents n’étaient ni vraiment de droite, ni vraiment de gauche. D’une certaine façonMitterrand en 81 il y avait cette espèce de fête générale » (homme, ingénieur dans une petiteentreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

b) Un second cas de figure met l’accent sur la filiation indirecte, en référence à l’héritagefamilial transmis par les grands parents. Nous avons rencontré des militants qui citaientavec une certaine fierté l’engagement syndical de leur grand père, le plus souvent à laCGT. C’est alors une cohérence biographique de mobilisation collective qui est valoriséeet qui justifie l’engagement. Les « faits d’armes » sont relatés en faisant référence àl’histoire du mouvement ouvrier notamment à travers le Front Populaire et la participationà la résistance.

21 COLLOVALD A., MATHIEU L., « Mobilisations de salariés précaires et apprentissage d’un répertoiresyndical », Communication au colloque « Comment penser les continuités et discontinuités dumilitantisme ? » - CERAPS-CLERSEE, juin 2006.

17

« Du côté de ma mère, mes grands-parents, mon grand-père a été militant communiste. C'était uncamarade de Duclos, il a été en camp, la totale quoi, le vrai de vrai quoi... Tous arrêtés par laGestapo » (homme, cadre dans une grosse entreprise de transport, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 2ans, secrétaire général du syndicat)

Toutefois les héritages sont rarement homogènes22. Les dispositions héritées des individussont multiples et parfois contradictoires. Ainsi, cette femme qui distingue les culturesfamiliales de son ascendance paternelle et maternelle, mais également les investissementsdifférenciés de ses parents et grands parents. Le sens de l’engagement est présent enfiligrane dans l’héritage familial, mais ne prend pas les mêmes formes selon lesgénérations.

« Mes grands-parents, du côté de mon père, étaient des agriculteurs, mais, pour l’époque, ils étaienten même temps très intellectuels et ils ont fait beaucoup de choses. Eux, ils étaient dans lesmouvements, ils ont été dans la JOC, des trucs comme ça. Je crois que, ça, mes parents ne voulaientpas du tout rentrer dans ce genre de mouvement. Par contre, il faut quand même reconnaître aussiqu’il y a des choses bien qui ont été faites par ces mouvements là et puis, oui, sûrement mes parentsavaient envie de s’impliquer comme leurs parents avaient pu le faire. Du côté de ma mère, je pensequ’ils n’ont probablement pas eu de culture syndicale. Ma mère est vendéenne, c’est la deuxièmed’une famille de 10 enfants, donc je pense qu’ils se sont beaucoup débrouillés par eux-mêmes aussi.Ils se sont intéressés à beaucoup de choses, tous. Ma mère, par son boulot aussi, elle aidait les gens.Souvent, quand il y a des grèves, on entend les gens dire « non, moi, je fais pas grève parce que… »Or, des fois, les grèves, il faut se dégager du temps, il y a plein de choses ou alors « on n’est pasconcerné ». Moi, j’entendais mes parents dire « oui, on n’est pas concerné, mais on fait grève pour lesautres », il y a ça aussi » (femme, agent administratif, 34 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, élue dupersonnel).

c) Enfin, nous trouvons des filiations directes par l’engagement parental. Sur ce point,l’engagement des parents a probablement permis une socialisation politique, mais vas’exprimer de façon très différente chez les militants. L’engagement paternel, souvent à laCGT, constitue soit un modèle et on rencontre alors des expressions d’engagement sur lemode de la continuité ou de l’actualisation dans un contexte sociopolitique différent. Soitl’engagement paternel constitue un contre modèle. Le militantisme de la générationprécédente n’attire pas les militants d’aujourd’hui, il apparaît comme trop rigide etidéologique. Surtout l’engagement cégétiste apparaît d’abord comme masculin, véhiculantun univers symbolique viril – agressivité, « verbe haut », sociabilités masculines.

« Mon père était militant et trésorier CGT dans son entreprise. Il était mécanicien automobile. Parconséquent, je ne connaissais que la CGT. Mon père a un tempérament assez fort. Je pense que c’estce qui est ressenti au niveau de la CGT : des personnes qui râlent beaucoup et qui ne négocient pastellement. Elles font plutôt de la revendication au lieu de chercher des solutions. Je ne m’entendaispas du tout avec mon père à cause de cela. Il m’a transmis le tempérament de défendre les personnes,de combattre les injustices et l’autodéfense. J’ai été élevée à la dure pour pouvoir me défendre etdéfendre les autres. Je me souviens que ma sœur et moi l’aidions à coller les timbres sur les cartes.Nous avons commencé très jeunes » (femme, aide soignante, 38 ans, syndiquée CFDT depuis 7 ans,déléguée du personnel).

Quelques militants témoignent pour leur part d’une filiation cédétiste ou qui passe par lesyndicalisme enseignant de leurs parents.

22 LAHIRE B., L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Nathan, 1998.

18

« Je suis issue d’un milieu familial très militant, des enseignants militants politiques et syndicaux,plutôt gauche-gauche, PC et ex FEN, de Charente. J’ai baigné dans un milieu de militantisme fort, lanotion d’engagement, quand on fait quelque chose, on va jusqu’au bout » (femme, cadre territoriale,35 ans, syndiquée à la CFDT depuis 8 ans, secrétaire générale du syndicat)

Les ressorts de la filiation même quand elle est directe ne sont cependant pas mécaniques.S’il est influencé par l’héritage parental, le choix de la CFDT ne se discute pasnécessairement en famille. Parfois l’engagement parental à la CFDT n’existe plus ou s’estréorienté vers d’autres organisations syndicales, mais l’héritage reste….

« Mon père était à la CFDT aussi.D’accord. As-tu discuté avec lui au moment de ton adhésion ?

Non, c'est vu ce que j’avais entendu auparavant » (femme, infirmière, 33 ans, syndiquée CFDT depuis 13 ans, permanente à l’union départementale).

« Pourquoi la CFDT ?Parce que mes parents étaient syndiqués à la CFDT. Je dis « étaient » parce que ma mère ne doit

plus être syndiquée actuellement, par négligence, mon père, parce que, lui, je ne suis pas sûre, mais ila peut-être bien quitté la CFDT récemment. Je crois qu’il y a toute une culture familiale qui fait que,pour moi, c’était évident que, si je me syndiquais un jour, c’était à la CFDT » (femme, agentadministratif, 34 ans, syndiquée depuis 2 ans, élue du personnel).

Parfois, l’engagement a pu être différé pendant des années, en dépit d’un héritage politiqueet syndical omniprésent. Sans doute peut-on faire l’hypothèse que les éléments desocialisation politique n’opèrent pas à l’identique pour les filles et les garçons. Ainsi, cettefemme décrit le caractère sexué de l’engagement syndical dans sa famille. Cette piste derecherche est particulièrement développée dans le champ de l‘action politique. Les travauxd’Anne Muxel23 soulignent en effet la façon dont la famille « creuset de l’identitépolitique » est un lieu de socialisation politique primaire différencié pour les garçons et lesfilles, marquées par « la prégnance d’un modèle masculin d’interprétation de l’intérêtcomme de l’engagement politique ».

« Je ne me sentais pas vraiment concernée. Même si je savais que cela existait parce que j’avaisautour de moi, dans ma famille, des gens qui étaient syndiqués.Mes frères étaient syndiqués, monpère était syndiqué. Mon père était enseignant, mon frère aussi. C'était donc des syndicatsd’enseignants. Pour les noms exacts, je ne veux pas vous dire des bêtises. J’ai un frère qui était à laCFDT aussi. Mes sœurs ne le sont pas » (femme, comptable dans une grande entreprise d’énergie, 45ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, déléguée du personnel).

De même, la trajectoire professionnelle et familiale des militants et surtout des militantesinfluence le moment de leur adhésion. L’inscription précoce dans le monde du travail (quin’a pas permis le passage en université), de même que le mode d’entrée dans la vie adulteen couple qui ancre les individus dans la sphère domestique (avec de surcroît un conjointpeu sensibilisé aux questions politiques) ne favorise pas une entrée en militance très rapide.

« Je suis allée bosser de bonne heure : j’avais 20 ans. En fait, j’étais lycéenne. Après, je n’ai pas étéen fac. Je n’ai pas poursuivi mes études. J’aurais peut-être été plus affirmée ou un peu plusrevendicatrice. J’aurais peut-être eu plus de maturité pour militer. Mais cela, je ne l’ai pas connu. Jesuis rentrée tout de suite dans la vie active. Je me suis mariée jeune et mon mari c’ était pas trop sontruc la politique » (femme, comptable dans une grande entreprise d’énergie, 45 ans, syndiquée CFDTdepuis 8 ans, déléguée du personnel).

23 MUXEL A., L’expérience politique des jeunes, Presses de Sciences Po, 2001.

19

Ainsi certaines femmes ont différé leur engagement syndical comme elles ont différé, parchoix ou par contrainte, leur insertion professionnelle durable.

« Je n’ai jamais été syndiquée avant, mais, bon, c’est vrai peut-être que je me sentais moinsconcernée aussi parce que c’est mon premier boulot. J’ai travaillé, j’ai été pionne pendant mesétudes, après, j’ai été en congé parental. Je pense que c’est pour ça que je ne l’ai pas fait avant,probablement, parce que je me sentais moins concernée » (femme, agent administratif, 34 ans,syndiquée depuis 2 ans, élue du personnel).

De même, la filiation n’implique pas nécessairement une connaissance fine dusyndicalisme, - son rôle, ses fonctions, ses clivages. L’héritage familial offre un terrainfavorable à la syndicalisation et oriente le choix de l’organisation, mais ne suffit pas à luiseul. D’ailleurs, une partie des militants « découvrent » ou « s’intéressent » à l’engagementde leurs parents au moment de leur propre adhésion à la CFDT.

« Avec mes parents, on a des discussions mais ils ne sont pas engagés. Ils votent PS et moi aussi. Mamère est adhérente (j’ai découvert qu’elle l’était lorsque je me suis engagée !), elle bosse dans uneDRH de Fonction Publique » (femme, cadre dans une grosse entreprise d’énergie, 30 ans, syndiquéeCFDT depuis 4 ans, adhérente)

Pour les « héritiers » qui s’inscrivent dans une filiation, directe ou indirecte, lesyndicalisme ne pose toutefois aucun problème de légitimité et il est « normal » de sesyndiquer. Autrement dit, se syndiquer est à la fois un geste « naturel » mais également uneforme de contrainte morale.

« Je suis adhérente à la CFDT depuis début d’année 2002, donc c’est tout récent aussi. Pourquoi laCFDT ? Enfin, d’abord, pour un syndicat, parce que je pense que c’est important qu’on ait dessyndicats et que j’ai l’impression quand même que les gens s’investissent de moins en moins, sesyndiquent de moins en moins. J’ai l’impression qu’il y a un retour en arrière à ce niveau là et, pourque les syndicats continuent à vivre, il faut bien des adhérents et puis, bon, le syndicalisme, en fait,c’était quelque chose qui ne me posait pas de problème du tout. Pour moi, c’était nécessaire, c’étaitquelque part normal » (femme, agent administratif, 34 ans, syndiquée depuis 2 ans, élue dupersonnel).

Quels que soient les cas de figure, on constate que ces nouveaux militants ne sont pascoupés de toutes racines politique et syndicale. Ils ont eu une socialisation politique quileur permet soit de reconduire l’engagement ou de s’en détacher, même s’il est vrai que lesprocessus de transmission directe (c’est-à-dire de reproduction à l’identique desengagements hérités) sont rares. Un certain nombre de militants, issus de milieux a prioripeu touchés par le fait syndical (paysans, artisans, petits commerçants) ont dû inventer detoutes pièces les modalités de leur engagement quitte à se positionner en porte-à-faux avecleurs appartenances familiales ou, au contraire, à aller retrouver dans la mémoire familialedes actes militants ou des positions politiques (participation des grands parents à larésistance, prise de position sur des débats de société) permettant de construire unejustification biographique à leur engagement.

Cela dit, et c’est un constat largement partagé par tous les militants, qu’ils soientfamiliarisés avec le syndicalisme ou novices, s’engager dans le syndicalisme aujourd’huin’est pas forcément très « tendance ». Par contraste avec d’autres organisations –associatives ou humanitaires – les organisations syndicales souffrent d’une imagedésastreuse. Certains militants reconnaissent avoir eu une image plutôt dégradée dessyndicats nourrie de représentations stéréotypées des actions menées par les syndicats –

20

grèves, manifestations – qu’ils associaient le plus souvent à la réalité des grossesentreprises

« Je me demandais ce que j’allais faire dans le syndicalisme. On ne sait pas ce que c’est en fait.L’image que j’avais du syndicalisme, c’était voir les gens défiler dans les rues en train de râler »(homme, informaticien dans une entreprise de logiciels, 43 ans, syndiqué CFDT depuis 5 ans,mandaté puis adhérent).

« Avant j’étais anti-syndicat, anti-politique, ça a surpris mon engagement, c’est le monde du travailqui change les choses, quand tu regardes la télé tu ne comprends pas pourquoi ils font des choses,quand tu y es tu comprends mieux » (homme, ouvrier dans un petite entreprise de meubles, 40 ans,mandaté RTT puis adhérent).

« Je ne connaissais pas les positions de la CFDT, si c’est l’image que l’on voit des syndicats à la télé,ça ne donne pas envie : les grèves et c’est tout ce qu’ils montrent » (femme, téléconseillère, 31 ans,syndiquée CFDT depuis 2 ans, déléguée du personnel)

« Je n’avais aucune représentation des syndicats, pour moi c’était le brasier devant l’entreprise, lesbidons sur lesquels on tape, j’avais une image négative des organisations syndicales qui font fermerles boites, j’étais jeune à l’époque… » (femme, assistante de communication dans une CAF, 30 ans,syndiquée CFDT depuis 4 ans, secrétaire générale adjointe du syndicat)

Même dans le cas de filiation ou de proximité politique avec le syndicalisme, les militantséprouvent souvent une difficulté d’identification qui se situe au niveau de l’image généraledu syndicalisme mais aussi au niveau des pratiques existantes dans les entreprises.

« On est dans une entreprise, c’est une entreprise avec une forte syndicalisation je dirais, mais bon,les gens qui sont syndiqués sont reconnus comme syndicaliste, etc. Je n’avais pas le profil du militantsyndical dans l’entreprise. Il y avait deux gros syndicats qui tenaient la boîte à l’époque, c’était laCGT et la CGC pour des raisons un peu historiques, ça aurait pu être autre chose, franchement. Detoute façon c’était plus ou moins le même profil de cadres, c’était beaucoup des ingénieurs, lacinquantaine, certains étaient plutôt à la CGT, d’autres à la CGC, mais enfin ils avaient les mêmesrevenus. Il y en avait peut-être qui votaient plus à gauche que d’autres, encore c’était même pas si netque ça. Je pense qu’il y avait beaucoup des raisons personnelles, à un moment ou à un autre, les gensétaient rentrés dans un des deux syndicats et puis avaient prospéré là-dessus. On pouvait pas voir, il yavait pas des lignes de fracture je dirais entre ça. Et puis c’est vrai que c’est le genre d’entreprisequand même où les syndicats pesaient lourd, c'est-à-dire je ne vais pas dire qu’il y avait une co-gestion, m’enfin les syndicats étaient quand même… Le type de gens qui étaient syndiqués faisait quec’était des gens qui sont très intelligents et donc que la direction était obligée de prendre en comptedans toutes décisions. Il y avait donc une forte présence syndicale, une présence syndicale qui n’étaitpas bête, qui était assez bien menée, etc. Et donc moi j’ai eu ce long moment à savoir si je rentrais là-dedans mais je dirais c’était vraiment en prolongement de l’action politique quand même de dire« voilà on a gagné qu’est-ce qu’on fait, voilà on a atteint certaines limites, qu’est-ce qu’on fait de savictoire ? ». Je me souviens d’ailleurs qu’il y a eu… c’est un bouquin qui m’a décidé je lisais lesmémoires de - comment il s’appelle - de Jox, le ministre et qui expliquait il s’était posé les mêmesquestions il devait avoir 30 ans, il était à la Cour des Comptes et voilà, un jour il s’est dit « bon bahvoilà je vais… » par contre c’était à la CGT lui. Comme il dit, « un jour je me suis lancé, j’ai été voirla direction et je me suis dit, finalement si Pierre Jox a fait ça, lançons-nous . C’est vrai que l’imagedu militant politique est, parmi son cercle de relations, en général assez valorisante alors que celle demilitant syndical est à l’inverse connotée négativement » (homme, ingénieur dans une petiteentreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

« Les cadres ont des a priori négatifs sur les adhérents ou les militants à un syndicat : le coté « hasbeen », corporatif, politique (dans le sens « parti politique »), « doux rêveur » et surtout anti-libreentreprise. Tout au long de sa formation, et plus particulièrement au sein des Ecoles de Commerce, lecadre commercial s’est forgé une culture très libérale, où l’exercice de la libre entreprise ne doit pasêtre perturbé par des structures comme les syndicats (il n’existe pas de syndicats dans cesétablissements contrairement aux Universités » (homme, cadre commercial dans une entreprise depresse professionnelle, 33 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, élu au comité d’entreprise).

21

Cette image repoussoir du syndicalisme est sans nul doute liée au phénomène dedésyndicalisation massif qui a eu lieu dans les années 80. La pénurie de militants afortement contribué à la diffusion d’un syndicalisme de militants (et de permanents)absorbé par les activités institutionnelles et éloigné du terrain. La figure du « syndicaliste »,est de ce fait très souvent rejetée par les nouveaux militants, car elle condense tous lesgriefs portés au mouvement syndical – éloignement du terrain, fonctionnement en vase closet peu transparent, défense d’intérêts catégoriels et/ou personnels, proximité avec ladirection. Dans ce contexte, l’engagement syndical est tout sauf attractif, l’image dumilitant politique étant presque plus facile à porter que celle du syndicaliste. Même dans lapopulation des « héritiers », la désaffection des parents, pourtant souvent très investissyndicalement à la CFDT ou ailleurs, a également contribué à altérer les processus detransmission familiale. Choisir le syndicalisme comme support de son engagement est donctout sauf une évidence.

2. LES MOTIFS DE L’ENGAGEMENT

La question de l’engagement – ses motifs, ses rationalités, sa signification - est au cœur dudébat actuel sur le renouveau de l’engagement militant dans le secteur associatif etpolitique. Au sein de l’organisation CFDT, un certain nombre de militants et deresponsables semblent également s’accorder sur le constat d’une profonde évolution desmotifs de l’engagement cédétiste, entre hier et aujourd’hui, entre les militants de lagénération des années 70 et ceux qui sont arrivés depuis la période de resyndicalisation(années 90). L’hypothèse d’un engagement qui serait plus utilitariste, moins altruiste etmoins motivé par des valeurs et des convictions semble faire aujourd’hui débat dansl’organisation. Ce questionnement semble en outre plus présent depuis 1995, comme sicette année-là avait marqué un tournant dans les raisons de s’engager. Notre échantillonétant représentatif de ce renouveau générationnel, nous avons donc exploré cesdimensions, afin de saisir tout à la fois les ressorts de l’engagement syndical contemporainet les éventuelles évolutions de contenu et de forme.

2.1. Le vécu du travail comme moteur de l’engagement

Interrogés sur les raisons de leur adhésion, les militants convoquent différents registres etnotamment celui des valeurs, mais ils mettent surtout en avant les motifs d’ordreprofessionnel. Qu’il s’agisse de trouver des moyens d’action pour défendre les droits dessalariés ou une certaine idée du métier ou encore pour favoriser les mobilitésprofessionnelles (hiérarchiques, fonctionnelles et géographiques), les circonstances del’engagement syndical sont indissociables d’une lecture des situations d’emploi et desconditions de travail. Chez les nouveaux militants, l’engagement syndical est en effetd’abord lié à l’expérience de difficultés rencontrées dans le travail, tant sur le planindividuel (mésentente avec la hiérarchie, humiliations…) que collectif (conditions detravail, accord 35 heures…). C’est l’expérience difficile des relations de travail qui faitbasculer les individus dans l’action syndicale.

Les militants évoquent le contexte économique général et les choix dans les méthodesd’organisation du travail pour justifier la primauté de la défense des droits : la détériorationdes conditions de travail, l’intensification du travail, la précarité des conditions d’emploi,la résurgence de la conflictualité dans les entreprises, la multiplication des restructurations

22

et des plans sociaux… La dégradation des conditions d’embauche et de mise au travail desjeunes actifs tant sur le plan du rapport salarial que de la concentration dans des secteursd’activités (tertiaire principalement), des formes d’emplois (atypiques) et des typesd’entreprise spécifiques (TPE-PME), renforce encore cette dimension.

« Les conditions de travail… un certain nombre de choses m’exaspéraient, il y avait beaucoupd’incompréhension avec la hiérarchie directe, des problèmes sur le plan humain. Délégué dupersonnel m’intéressait, centré sur les conditions de travail, les défauts de réponse de la part de lahiérarchie, un jour on nous demande quelque chose et le lendemain autre chose… ce qui compte c’estde ne pas rester passif, d’ouvrir sa gueule. C’est une question de volonté personnelle, d’engagement,on se heurte à des murs, on pose des questions, ma hiérarchie me prenait pour une conne, c’estcomme ça et c’est pas autrement » (femme, ouvrière textile, 32 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans,secrétaire adjointe du syndicat)

« J’ai adhéré en 98, j’avais envie de mettre des choses en place dans ma boîte, une équipe syndicale,au niveau du droit du travail c’était tout et n’importe quoi, les gens étaient taillables et corvéables àmerci » (homme, ouvrier dans une petite entreprise du secteur pharmaceutique, 29 ans, syndiquéCFDT depuis 4 ans, mandaté RTT puis délégué du personnel).

« Il se posait des tas de difficultés, souvent l’administration agissait au mépris des règles, des lois….C’est un problème banal auquel j’ai été confrontée moi, j’ai rencontré le DRH et je n’ai pas supportéle mépris avec lequel il nous avait traité ma collègue et moi et je pense que notre ignorance lui afacilité les choses et donc à partir de ce moment là j’ai bien compris que si je n’avais pas le mêmesavoir que lui je ne pourrai jamais le contrer et donc voilà comment je me suis engagée dans laCFDT » (femme, employée administrative, 28 ans, syndiquée CFDT depuis 2 ans, élue du personnel)

La primauté donnée à la défense des droits des salariés est prédominante chez les salariésdu privé et des TPE-PME24, mais elle est également présente dans le secteur public : fairevaloir ses droits, faire barrage à l’employeur, faire respecter le droit du travail.

« J’avais une idée révérencieuse de l’employeur mais j’ai eu 48 contrats de travail, rétroactivementj’ai trouvé ça incroyable. Au bout de 5 ans, j’ai appelé l’inspection du travail et voilà. Ces 6 annéesm’ont renforcé sur l’action actuelle, elles m’ont décomplexé par rapport au côté révérencieux quej’avais vis-à-vis de l’employeur. Je suis restée en CDD pendant 6 ans. Je n’avais pas un compte àrégler avec mon employeur mais je me suis dit ce n’est pas normal qu’il y ait des situations comme ça,par justice et pour le respect du code du travail, je voulais qu’on applique ce qui est dû» (femme,assistante de communication, 28 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, secrétaire générale adjointe dusyndicat).

« Ce qui m’intéressait était la défense, combattre les injustices, apprendre des choses, connaître mesdroits, etc. Il est vrai que, quand nous travaillons, nous avons une vague idée de nos droits mais nousne les connaissons pas aussi bien que si nous sommes dans un syndicat où recevons l’information. Jesavais qu’il y avait des injustices mais je ne savais pas comment les combattre. Quand on nous dit quenous devons utiliser les règles qui existent pour pouvoir nous défendre et pour faire valoir nos droits,c’est intéressant » (femme, aide soignante, 38 ans, syndiquée CFDT depuis 7 ans, déléguée dupersonnel).

Derrière cette volonté de restaurer les salariés dans leurs droits les plus élémentaires, seprofile une posture critique liée au rapport social de classe qui différencie les militants - leplus souvent issus de milieux socio professionnels modestes - et leurs employeurs ou leurscollègues de travail. La question des hiérarchies sociales dans l’entreprise rejaillit avecacuité.

24 GUILLAUME C., « Le renouveau de l’engagement syndical cédétiste », in D. Ferrand Bechman (sous ladirection de), Des bénévoles et leurs associations, Autre réalité, autre sociologie, L’harmattan, 2004.

23

« Nous, nous avons surtout à faire aux chirurgiens, aux anesthésistes. En libéral, pas tous, mais enmajorité, ils sont quand même pourris par l’argent. Plus ils en ont, plus ils en veulent. En tant quemédecin, je peux juger moi, personnellement, qui est bon et qui n’est pas bon, mais je n’ai pas d’avisà donner. Mais en tant qu’individus, la plupart, ne pensent qu’à eux et ne pensent qu’à l’argent. Ils nele sont pas tous. J’en connais qui sont bien vis-à-vis des malades et vis-à-vis de l’équipe. Quand c'esttoi, si tu veux que cela se passe bien au niveau du boulot, c'est très bien. Mais, ce serait un autre, ilss’en fichent royalement, mais royalement. Un pion, point» (femme, infirmière, 33 ans, syndiquéeCFDT depuis 13 ans, permanente à l’union départementale).

« Je suis entrée en contact avec Bruno, on a discuté, après il y a eu négociation, c’était un peu tendu,mes employeurs ont des a priori sur les organisation syndicales, ils ne veulent pas se syndiqués, c’estle grand luxe, ma patronne est snob. Mon patron était prof d’anglais à l’origine, il était sûrementmilitant quand il était jeune, ma patronne vient d’une famille bourgeoise, ils ont côtoyé du beaumonde, ils voulaient s’implanter dans un quartier populaire mais le pain n’est pas abordable pour lesgens, mais le rapport qualité prix vaut le coup. Ils sont gérants, patrons, on fait tout, ils neconnaissent pas leur chiffre d’affaires, on a servi du pain à la reine d’Angleterre lors de son passage,ils dépensent trop d’argent pour leur bureau et pas pour la boulangerie, ça nous fait bondir, ils fontdes achats inutiles. A chaque fois qu’il y a des problèmes, mes collègues viennent me voir, j’ai acceptéde faire le tampon, c’est intéressant de défendre nos droits, ça n’a pas été facile à gagner, faut sebattre pour les conserver et les faire appliquer, je suis travailleuse mais je veux que ce soit fait dansla légalité, les heures sup. d’accord mais que ce soit légal et reconnu. Le syndicat peut aider à faireappliquer les choses et permet d’être bien renseigné » (femme, vendeuse en boulangerie artisanale, 29ans, syndiquée CFDT depuis 1 an, mandatée RTT).

Au niveau des professions les plus qualifiées, l’engagement syndical est également lié àl’expérience directe ou indirecte de difficultés professionnelles (licenciements répétés,pressions managériales, précarité de l’emploi, situation de sous-traitance). Ces difficultéssont d’autant plus mal vécues qu’elles sont en décalage avec les anticipations des jeunesdiplômés. S’ils accèdent à l’emploi, la découverte du monde du travail a un effetprofondément désenchanteur tant sur le plan des perspectives professionnellesindividuelles (une partie de ces jeunes cadres expérimentent de fait une situation de« déclassement social » au regard de leur trajectoire scolaire et familiale) que desconditions de travail.

« "Motivation" est un mot trop fort en ce qui me concerne. Ce n'est que lorsque j'ai compris quej'allais être licencié une troisième fois pour motif économique que j'ai décidé de mettre monexpérience au service des autres. J'ai d'abord été élu Délégué du Personnel, puis nommé DéléguéSyndical par la CFDT. Quant à ma "motivation", elle ne dépassait pas le cadre des salariés aux côtésdesquels j'avais vécu des moments inoubliables » (homme, cadre dans une petite entreprise detelecom, 32 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, délégué syndical)

« C’est vrai qu’avant je n’étais pas vraiment engagé dans un truc politique, mais le monde du travailm’a donné envie. Je me suis dit : « Mais cela n’est pas possible, je ne vais pas pouvoir supporter celatoute ma vie. Il faut vraiment que je fasse autre chose dans l’entreprise. ». L’entreprise n’est passeulement faite pour cela. Cela n’est pas fait que pour générer du profit. C’est sûr que c'est cela à labase mais cela sert aussi à autre chose. Je ne sais pas, ce sont des gens qui travaillent ensemble, vuqu’en plus c’est très individualiste, les gens sont vraiment... Puis il existe une pression, il y a des idéesreçues, pendant la période de crise les gens ont peur de perdre leur travail. Donc certains managersen profitent, ils exercent des pressions psychologiques » (homme, cadre commercial dans uneentreprise de presse professionnelle, 33 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, élu au comitéd’entreprise).

Un certain nombre de militants exerçant des métiers qualifiés dans la Fonction Publique(travail social, éducation, santé) s’engagent également dans le syndicalisme pour« défendre leur métier ». Contrairement aux années 70, cette défense du métier sembleaujourd’hui moins politique (et contre institutionnelle) et davantage centrée sur ladégradation des conditions de travail, le maintien d’une « qualité de service » et la défense

24

des éthiques professionnelles25, dans un contexte de rationalisation organisationnelle etgestionnaire.

« Et c’est marrant, parce que je l’ai pas vu venir, j’étais tellement prise dans mon, j’étais unepassionnée de l’animation, et tout ça. Révoltée, passionnée, passionnée et révoltée par rapport àl’accompagnement de fin de vie, on avait mis plein de choses en place. On avait une bonne équipe. Ona mis l’animation, on a mis les soins palliatifs en place, on faisait des massages, c’est un des servicesoù ça a le mieux marché. Et puis, mais bon, le travail était beaucoup trop dur, euh, en faitl’animation, c’était notre bouffée d’oxygène et puis, là où c’était notre bouffée d’oxygène, on nous l’aenlevé. Donc, forcément, c’était les toilettes vite fait, les douches une fois toutes les trois semaines,enfin on se rendait compte que bon, moi j’aurais pas voulu ça non plus pour mes parents ou mesgrands-parents. Même si on y mettait tout ce qu’on pouvait, c’était pas vivable ça. On a tenu je penseparce qu’on avait pas tilté. D’abord, on avait un bon cadre. On a eu le départ d’une cadre qui nousécoutait, quand même quelqu’un qui nous écoutait, qui savait quand ça allait mal, discuter un petitpeu avec nous au moment du café, repositionner les choses. Elle est partie. Donc, ça, ça a été undépart. Je pense que moi, c’était un deuil aussi ça. C’était un départ. Et puis le moment où je me suisécroulée, je me suis dit on cautionne des choses qu’on devrait pas, » (femme, aide-soignante, 42 ans,syndiquée CFDT depuis 3 ans, déléguée du personnel)

Ainsi la dimension revendicative autour des droits et des conditions de travail structurel’engagement et contribue à maintenir la dynamique, y compris dans la durée. Les militantsse sentent portés par une forte légitimité de leurs actions pour faire valoir le respect desdroits communs à tous les salariés. Ainsi, c’est moins la conquête de nouveaux droits quiprévaut que le souci de faire appliquer les droits existants dans des conditions correctes. Demanière assez classique, l’engagement syndical reste ancré dans une visée d’émancipationcollective, même si les militants ont le sentiment que les entreprises sont aujourd’hui dansune logique régressive favorisé par l’immobilisme des salariés.

« On avait un vrai problème qui était que la direction voulait se donner les moyens de licencier lesgens qu’elle voulait licencier, alors que c’est pas du tout l’esprit d’un plan de sauvegarder del’emploi. Et ça, il faut l’expliquer aux autres élus qui comprennent pas forcément ce que c’est, quicomprennent pas forcément les enjeux. Donc, nous notre boulot là-dedans, c’est pas de dire à ladirection « c’est pas bien ce que vous faites », c’est de tenter de mobiliser les élus pour leur faireprendre conscience que c’est important en se méfiant parce qu’on sait qu’il y en a certains qui sonttrès proches de la direction, enfin c’est ça qui est particulier » (femme, employée dans une grandeentreprise de transport, 43 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, déléguée syndicale)

« Il faut que ça bouge le bâtiment, c’est le pire travail sur terre, le moins reconnu, ça n’a pas évolué,c’est très physique, il faut faire bouger quelque chose au niveau national. Il y a des gens qui sont desmomies, à 62-63 ans, il faut qu’ils restent chez eux, je le dis au patron, faut renouveler cette vieillerie,mais le patron a embauché les gens à 30-40 ans qui avaient travaillé au noir et qui n’ont pas leurscotisations, ils sont foutus de partout, il faut faire quelque chose » (homme, maçon, 40 ans, syndiquéCFDT depuis 8 ans, délégué syndical)

« J’ai toujours voulu faire valoir mes droits, devenir délégué syndical ça permet aussi de faire valoirceux des autres » (homme, technicien dans une petite entreprise de métallurgie, 42 ans, syndiquéCFDT depuis 7 ans, délégué syndical)

Finalement, l’engagement reste ici dans une conception historiquement fondée sur unerésistance aux formes de domination. On rencontre souvent dans les propos desinterviewés un vocabulaire du « combat » : « il faut se battre », « ne pas se laisser faire »,« c’est la guerre ». Les militants que nous avons rencontrés souhaitent donc clairementfaire valoir leurs droits en utilisant l’organisation syndicale comme un contre-pouvoir au 25 LECHIEN M-H., « Aider les autres : trajectoires professionnelles, reconversions militantes et valorisation dela « personne » », in A. COLLOVALD (sous la dir.), L’humanitaire ou le management des dévouements.Enquête sur un militantisme de « solidarité internationale » en faveur du Tiers-Monde, Res Publica, 2002.

25

service d’objectifs précis et finalisés. Il s’agit surtout de mettre en lumière des problèmesconcrets rencontrés et de solliciter la hiérarchie pour la « mettre devant ses responsabilitésd’employeur ». Si pour l’ensemble des militants, l’engagement syndical est une manièred’être acteur de son environnement de travail, cette dimension prend une tonalité encoreplus forte chez les cadres. Ces derniers tissent en effet clairement une cohérence entre leurresponsabilité professionnelle à l’égard de leur entreprise – le souci de sa performance etde sa survie – et leur investissement syndical.

« Moi si tu veux l’entreprise c’est important pour moi. Je suis effectivement syndiqué, mais je diraisque je suis cheminot avant d’être CFDT. Et déjà je dis je suis CFDT avant d’être cheminot, mais jesuis les deux en même temps, c’est 50/50. Alors le travail syndical j’ai aimé dans mon truc déjàt’apprends à connaître l’entreprise, parce que l’entreprise est très cloisonnée. T’as une vision globalede l’entreprise. Quand t’es syndiqué CFDT tu défends mieux l’entreprise que certains dirigeants »(homme, cadre dans une grande entreprise publique de transport, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 3ans, délégué syndical)

« Par exemple, les gens que j’ai rencontrés dans la CFDT, ils avaient une vision de l’entreprise, de lastratégie, de là où ils voulaient aller. Ils me vendaient un projet. Même s’ils ne le vendaient pas, ilsavaient un projet en tête. Tous les gens à la CFDT n’avaient pas de projet mais au regard des autresorganisations syndicales, il y avait un projet » (homme, technicien dans une entreprise audiovisuelle,40 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, secrétaire général adjoint du syndicat)

La même préoccupation est visible chez les salariés des petites et moyennes entreprises,mais également chez les salariés des grandes entreprises publiques. Dans les deux cas,l’attachement à l’entreprise – son projet économique mais aussi ses valeurs – est au cœurde la préoccupation syndicale des militants.

« Le champ sur lequel on intervient quel que soit le sujet, était celui des TPE/PME, parce que dansles grosses Entreprises, là où nous étions présents avec les sections syndicales, nous n’intervenionspas. De ce que j’ai vu, je ne sais pas si je peux qualifier cela en terme d’autonomie. Je ne suis pas sûr.Cela mériterait peut-être un chantier de travail spécifique sur la relation et sur l’autonomie. J’ai, eneffet, un peu l’impression que ce que l’on désigne comme un manque d’autonomie du salarié vis-à-visde l’employeur est peut-être simplement une plus grande conscience, ou une visibilité plus forte dusalarié sur la santé de l’entreprise et sur l’employeur. C'est-à-dire que, plus l’entreprise est petite,plus on sait si cela va mal pour cette entreprise. Du coup, j’ai vu des gens être soucieux, dans lanégociation, de l’intérêt de l’entreprise, ce qu’on ne perçoit pas de la même manière dans les grandesboîtes. Pour eux, ils ont intérêt à ce que leur entreprise tourne, et je crois que c'est plus sensible dansles petites entreprises » (homme, permanent syndical dans une union départementale, responsable del’accompagnement des mandatés RTT, 50 ans).

« Je crois en plus que tu as vraiment un truc qui est très particulier. Sur cette espèce de fondapolitique revendiqué maintenant, qui peut fonctionner dans les PME, dans les petites boîtes oùeffectivement tu peux te recentrer sur ta pratique syndicale, il ne faut pas oublier que dans lesentreprises publiques, il y a une particularité. Il y a une vraie culture, un vrai souci sur l’avenir del’entreprise en tant qu’entreprise publique, pas seulement en tant qu’entreprise pour le maintien del’emploi. Tu vois, tu es vraiment sur une logique où tu interpelles la direction sur des choix politiques,sur des choix stratégiques. Tu es vraiment dans le mouvement syndical, qui est partie prenante del’entreprise publique. Dans une logique de transformation sociale aussi. C’est quelque chose qui restevigoureux » (homme, cadre dans une grosse entreprise de transport, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 2ans, secrétaire général du syndicat)

Cela dit, pour une majorité de salariés, là où engagement syndical et engagementprofessionnel pouvaient nourrir ensemble une dynamique d’intégration professionnelle etde promotion individuelle, les espaces d’activité semblent aujourd’hui de plus en plusdisjoints. Cette idée de disjonction n’interdit pas de penser les liens entre activité syndicaleet professionnelle, notamment sous l’angle des compromis entre identité professionnelle et

26

conditions d’exercice du métier, mais elle met l’accent sur la mise à distance du travailopéré par l’action syndicale. En d’autres termes, l’engagement syndical apparaît comme unespace de défense (et de recomposition) de la dignité professionnelle. Confrontés à demultiples formes de reconnaissance dépréciative26 – déclassement, dévalorisation,disqualification – les salariés investissent le syndicalisme pour résister au mépris social27

dont ils sont victimes. C’est à la fois la question de la reconnaissance du sujet juridique (lerespect de soi) et de l’identité personnelle (l’estime de soi) qui est en cause28.

2.2. Le registre des convictions et des valeurs

Si l’engagement est avant tout ancré dans la situation de travail, si l’implication syndicalese justifie par des problèmes concrets liés à l’application des droits du salarié, le constat deces situations est facilité par une sensibilité préalable à la lutte contre les injustices qui peuttrouver son origine dans des circonstances biographiques. Sur ce point, nous percevons desconvergences avec d’autres recherches. Ainsi, en 1994, l’équipe du CESTE29 pointaitl’importance de ce sentiment d’injustice dans la mise en mouvement des individus. Nousconstatons le même écart entre la « valeur » que les individus pensent avoir et celle quileur est renvoyée par une position professionnelle ou par une histoire familiale.

« Nous sommes arrivés du Cambodge, j’avais 8 ans, en 1978. J’ai un frère et une sœur. Je viens d’unpays où il n’y a pas de droits, où les gens n’ont pas « d’armes ». La France nous a offert les moyensde nous exprimer et de faire valoir nos droits » (homme, employé de banque, 29 ans, syndiqué CFDTdepuis 6 ans, délégué syndical)

« Mes parents sont ouvriers, pour avoir la moindre petite chose, il faut se battre et puis en tantqu’étrangers ils ont eu des réflexions permanentes, ça m’a beaucoup touché, je ne peux pas restersans réaction, c’est pas possible, donc j’ai beaucoup d’écoute, si je pouvais je ferais plus mais il y aaussi des problèmes de moyens et il y a moi aussi.. » (femme, téléconseillère, 31 ans, syndiquée CFDTdepuis 2 ans, déléguée du personnel)

« Le fait de ne pas être française, je ne supporte pas les abus de pouvoir, le fait de s’appeler Fatima,ça n’aide pas, ça donne envie de se battre » (femme, assistante maternelle, 34 ans, syndiquée CFDTdepuis 6 ans, adhérente)

Sur le terrain nous n’avons pas manqué d’explorer le registre politique, entendu au sensdes conceptions de la vie collective et de la société. C’est alors que nous retrouvonstoujours des valeurs affirmées et qui cherchent à être défendues dans l’action syndicale.Les mots utilisés relèvent souvent d’un registre affectif ou religieux.

« J’en ai donné plus que ça m’a apporté mais moi je suis d’un concept « il y a plus de bonheur àdonner qu’à recevoir », concept chrétien, biblique même ! Si, c’est vrai c’est les paroles de Jésus ! Ilfaut y croire quoi, c’est la foi. Moi je le dis c’est la foi maintenant c’est plus… on parle plus d’idées, ilfaut avoir la foi. » (homme, cadre dans une grande entreprise publique de transport, 35 ans, syndiquéCFDT depuis 3 ans, délégué syndical)

« Je voulais faire partager ce à quoi je crois, mieux connaître le milieu de l’entreprise, c’est pas unehistoire d’argent, de contrat, c’est passionnant, ça vient du cœur » (femme, télé conseillère, 35 ans,syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuse fédérale).

26 EME B., « Jeunes salariés en quête de respect », Sciences Humaines, n°172, juin 2006.27 RENAULT E., Mépris social. Ethique et politique de la reconnaissance, Editions du Passant, 2000.28 ION J. (sous la dir.), L’engagement au pluriel, Publication de l’Université de Saint Etienne, 2001.HONNETH A., La lutte pour la reconnaissance, Cerf, 2000.29 CESTE, Piotet et alli, Le développement de la syndicalisation à la CFDT, Rapport de recherche, 1994.

27

Les interviewés prennent position personnellement en tant qu’individu attaché à desvaleurs, à des convictions qui doivent être défendues dans les situations les plusquotidiennes. C’est une certaine conception des conditions du « vivre ensemble » qui estrecherchée tant sur le plan général des valeurs républicaines – démocratie, égalité,solidarité – que d’une éthique dans la relation à autrui. Ces préoccupations morales sontsouvent plus explicites dans le discours de cadres, mais on les retrouve en filigrane cheztous les militants. Finalement comme le dit simplement Karim, 35 ans, caissier de cinémaet syndiqué CFDT depuis 4 ans, « se syndiquer c’est être citoyen ».

« Moi je ne supporte pas la démagogie, donc c’est plutôt une approche pragmatique. Disons que lesarnaques quelles qu’elles soient, ça me dérange pas si je vois comment il s’appelle lui, BernardTapie, ça me dérange pas. Il fait des arnaques, etc. Mais qu’on raconte des histoires aux gens, je nesupporte pas. Donc en plus quand on travaille, on passe un temps fou avec des gens et quand on nousraconte, par exemple, je sais pas, juste à côté de moi t’as une personne qui était là et puis qui disait« mais je crois bien qu’on a des droits quand même - parce qu’elle était enceinte - mais mon manageril me dit que non », etc., tu vois ça te révolte, tu vois. Tu sais bien que le manager ça lui coûte pasgrand chose d’appeler la RH, mais apparemment il veut même pas qu’elle… Bon c’est plutôt de larévolte à deux balles, enfin je veux dire pas de la révolte à deux balles, mais de la révolte pour deschoses qui sont à deux francs quoi. La démagogie toute la journée, je ne supporte pas » (homme,informaticien dans une petite entreprise du secteur internet, 31 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans,délégué syndical)

« Pourquoi ne sommes-nous pas découragés ? Le monde n’a pas commencé avec moi. Tout ce qui faitque la France est ce qu’elle est, c'est parce qu’il y a des gens qui sont morts pour et qui se sont battuspour un certain nombre de valeurs. Si mes parents m’ont éduqué, c'est qu’ils s’attendaient, à unmoment donné, que je ressemble à quelque chose, je l’espère pour eux. À un moment donné, même sice ne sont que deux grains de sable que j’apporte dans le système c'est un plus pour faire en sorte queles choses avancent et qu’il y ait moins d’inégalités. Je vis dans un pays dont la devise est quandmême « Liberté, Égalité, Fraternité ». La Déclaration des Droits de l’Homme, la Révolution françaisesont quand même mondialement enviées. Donc quelque part j’ai été formé à la française, je ne suispas un anglo-saxon. J’ai énormément de copains anglo-saxons, sauf que moi je suis formé à lafrançaise et puis j’ai les valeurs que m’ont transmis un certain nombre de personnes. Derrière, il fautavancer (homme, technicien dans une entreprise audiovisuelle, 40 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans,secrétaire général adjoint du syndicat)

De ce point de vue, l’engagement syndical comporte une dimension sociétale dans le sensoù il contribue à défendre et produire un certain type de société.

« Un syndicat peut avoir un rôle politique sur des questions de société parce qu’il ne s’agit pas nonplus qu’il se présente comme un parti politique, mais sur des questions de société importantes, unsyndicat a son mot à dire parce qu’il apporte un aspect, entre guillemets, « que pense le monde dutravail » au sens large sur un fait de société, sur une question de société, comme la guerre» (homme,informaticien dans une petite entreprise du secteur internet, 31 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans,délégué syndical)

« Parce que pour moi la dimension politique a du sens. S’il n’y avait pas une dimension politique, jene ferai pas du syndicalisme sinon je vais dans les sociétés de consommateurs. Il y a une dimensionpolitique forte. C'est des valeurs. C'est un positionnement par rapport aux choix politiques de société.C'est une analyse du contexte social national, européen, mondial. C'est des convictions... C'esteffectivement un projet politique, qui ne trouve pas forcément son bonheur sur l’offre de projetspolitiques publique. Mais c'est clair, bien sûr » (homme, cadre dans une grosse entreprise detransport, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans, secrétaire général du syndicat)

Pour autant, les convictions exprimées ne sont pas nécessairement rattachées à desorientations politiques classiques. Lorsqu’est abordé le registre politique en référence aumonde politique institutionnalisé à travers les partis et les formes de gouvernement, lescritiques sont générales et les militants n’identifient que rarement leur action à ces formesconventionnelles d’action politique. De fait, ces militants valorisent l’indépendance de la

28

CFDT par rapport au monde politique. Ce point précis est souvent présenté comme unecondition de leur engagement. Pourtant, si les nouveaux militants que nous avonsrencontrés n’investissent pas beaucoup de sens sur la politique dite « politicienne », ils ontmaintenu une participation électorale à gauche ou à droite. Quelques militants évoquentmême l’expérience du 21 avril 2002 comme un moment clé dans leur engagementsyndical, tissant de fait un lien étroit avec les évènements de la vie politique.

« Le 21 avril 2002 me convaincra finalement d’adhérer à un syndicat. C’est ici un engagementcitoyen, la conséquence logique de 3 ans d’implication sociale dans mon entreprise. Le syndicat estun réel contre pouvoir, afin de lutter contre les extrémismes sociaux surtout, et politique aussi »(homme, cadre commercial dans une entreprise de presse professionnelle, 33 ans, syndiqué CFDTdepuis 3 ans, élu au comité d’entreprise).

Cela dit, l’absence de sacralisation du monde politique conventionnel invite les militants às’ancrer dans un fonctionnement concret pour répondre à des enjeux localisés et bien« réels », par différenciation avec l’action menée par les Partis Politiques. Ils n’évoquentque peu de discussions ou de débats politiques sur le terrain. Les plus anciensreconnaissent une absence de culture politique chez les plus jeunes. Au total, une norme durespect des différences semble l’emporter.

« Ici c’est la génération loft, aucune discussion politique n’est possible, au contraire on perdrait toutenotre légitimité si on commence à leur « prendre la tête » comme ils disent » (homme, employé dansune banque, 32 ans, syndiqué CFDT depuis 1 an, délégué du personnel).

« J’ai accepté de parler des élections par exemple, on a eu un débat y compris avec quelqu’un quiavait voté FN, elle a expliqué, on a débattu, elle a sûrement évolué depuis. J’ai appris des choses, çaa nourri l’organisation, l’organisation a intérêt à se soucier de ça même si ici le FN est à 5%. Moi jedis : on est pas là pour juger les gens, on est pas là pour donner des consignes » (femme, cadreterritoriale, 35 ans, syndiquée à la CFDT depuis 8 ans, secrétaire générale du syndicat)

« Jamais je ne parle de politique, la CFDT met la maison en péril si elle parle de politique car ça vaen frustrer certains, c’est un melting pot donc il faut respecter chacun, on écoute son voisin »(homme, technicien dans une petite entreprise de métallurgie, 42 ans, syndiqué CFDT depuis 7 ans,délégué syndical)

Si les cadres et les professions qualifiées semblent, pour leur part, davantage faireréférence à des motivations idéologiques30 au sens à la fois d’idéaux et de convictionspolitiques, quand ils évoquent leurs préférences électorales et parfois leur engagement danstelle ou telle mouvance politique (le plus souvent le Parti Socialiste), c’est pour soulignerqu’il ne peut y avoir de cumul entre mandats syndicaux et mandats politiques. Sil’engagement syndical découle du politique, l’action syndicale doit nécessairements’autonomiser. Il n’est pas question de « confondre les deux registres ».

« Au début on parlait trop politique et quelques personnes sont revenues d’ailleurs qui avaient desmilitants plus anciens, ont fait que petit à petit on s’est éloigné de la politique. Il y avait unedimension non négligeable, le noyau dur à l’origine était un noyau dur qui venait beaucoup du partisocialiste, mais petit à petit il y a eu une forte autonomisation en fait. D’ailleurs je sais quemaintenant les gens qui dirigent, je crois, sont presque identifiés à droite localement, c'est-à-dire qu’ily a eu une très forte autonomisation entre la politique et le syndicat. Bon, au début sur des idéesgénérales et puis après il se créé une dynamique propre du truc et puis tu t’éloignes. Il y a unedimension du projet local qui fait que tu t’éloignes un petit peu de la théorie pour rentrer dans lapratique. Mais en même temps c’est pas inintéressant d’avoir une culture politique en amont qui tedonne en même temps des cliveurs je dirais, qui te donne des marqueurs qui te permettent de savoir

30 C.GUILLAUME, « Les jeunes cadres : une forme d’engagement singulière ? », CFDT Cadres, NuméroSpécial sur les Nouveaux visages de l’engagement, n°409, avril 2004.

29

un peu là où il faut aller, là où il faut pas aller… Mon engagement syndical a découlé de monengagement politique au Parti Socialiste. Les deux aspects se sont vite éloignés. Certains camaradesplus expérimentés m’ont fait comprendre les risques liés à une politisation de l’action syndicale. Deplus, la dimension concrète de l’action syndicale s’impose très rapidement, avec ses contraintes et sesenjeux propres » (homme, ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDTdepuis 6 ans, adhérent)

« SUD, c'est très rhétorique, ça me fait suer. La rhétorique m’emmerde. Je pense qu’ils confondent leterrain du syndicalisme et le terrain politique. Même si je pense que les analyses politiques sont à labase des positionnements syndicaux et que nous pouvons parler aussi politique que nous faisons dusyndicalisme, je pense qu’il ne faut pas se tromper sur les terrains d’action. Il faut faire dusyndicalisme pour obtenir des avancées sociales pour les salariés, pas simplement pour lutter contrele capitalisme international. Moi je n’ai rien contre lutter contre le capitalisme international. Je suismême plutôt d’accord ; sauf qu’il ne faut pas se gourer de champ » (homme, cadre dans une grosseentreprise de transport, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans, secrétaire générale du syndicat)

Pour un certain nombre de militants, le choix du syndicalisme implique même lerenoncement à l’activité politique au nom de l’indépendance de l’action syndicale.

« Quand j’ai opté pour la CFDT, j’ai choisi le syndicalisme. Je suis attaché à l’indépendance del’organisation vis-à-vis du politique même si je garde mes convictions politiques. J’ai chevillé aucorps l’indépendance politique du syndicat, j’ai fait le choix de mon engagement syndical, je ne militeplus » (homme, ouvrier d’entretien dans une collectivité locale, 38 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans,secrétaire fédéral)

La préférence donnée au syndicalisme peut aussi se comprendre comme le rejet dufonctionnement interne des partis politiques – éloignement du terrain, notabilisation,tensions internes – et comme l’opportunité que propose le syndicalisme d’être une « écoled’application31 » pour la mise en œuvre des convictions ou de l’engagement politiques,offrant des possibilités d’action réelles et l’obtention plus immédiate de résultats.

« C’était intéressant parce qu’il y avait vraiment… c’est là que j’ai senti une vraie dimensionspécifique à l’action syndicale qui était indépendante de l’action politique et qui m’a vraimentintéressée et qui après m’a même fait dire peut-être que si un jour je devais conserver le syndicalismeou pas, enfin si je devais choisir entre les deux, j’aurais peut-être à l’époque plutôt retenu le syndicatque le politique, alors qu’à l’origine c’était plutôt l’inverse. En politique, on se bat pour les idées, àl’arrivée il y a un vote sur lequel on influe assez peu, ce vote se traduit par un gouvernement, si ongagne, inchala, ce gouvernement fait des lois qui sont plus ou moins parfaites, qui sont descompromis divers et variés et puis ces lois quand elles retombent en pluie fine sur le terrain, engénéral on ne voit pas grand chose. Le côté vraiment intéressant de l’action syndicale, c’est qu’il y aun côté on bâtit un projet et il y a une dimension politique qui est très forte, c'est-à-dire il faut êtrecapable de gagner des gens, petit à petit, un par un, de savoir identifier qui va vouloir venir dans lesyndicat, pas forcément prendre une carte, de savoir jusqu’où… Donc il y a une dimension politiquequi est forte et puis après il y a la négociation et la mise en place qui sont très très appliquées, trèstrès pratiques je dirais. Les résultats on les voit directement. On met en place un horaire 35 heures,les gens ils voient tout de suite leurs RTT, leurs machins, leurs bidules. Il y a un côté projet complet,mais en même temps je dirais que la dimension on en voit beaucoup plus les retombées, on estvraiment complètement au contact, tout en étant dans la sphère de la réalité c'est-à-dire on est uneentreprise, il faut pas couler l’entreprise, il faut bien identifier quels sont les points d’équilibre, lespoints autour desquels on peut tourner. La sphère de la réalité est totale. Je comparerai ici les vécussyndical et politique. La dimension forte de l’action syndicale est la prise directe avec la réalité. Lesdécisions et les projets de la section peuvent, en cas de succès, avoir des conséquences importantessur les conditions de vie et de travail de centaines de salariés, voir sur l’équilibre économique del’entreprise. Au contraire l’action politique locale se situe essentiellement dans le verbe et la posture,la seule prise avec le réel se situant dans le choix des candidats aux élections » (homme, ingénieurdans une petite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

31 C.GUILLAUME, ibid.

30

Un certain nombre de militants essayent malgré tout de maintenir une double participation,au Parti Socialiste et à la CFDT. Ce double engagement est particulièrement difficile dansun contexte de différends récurrents entre les deux organisations, notamment sur laquestion des retraites et de l’Europe.

« Je suis militant PS et cédétiste, c’est pas facile mais ils le savent des deux côtés, ça permet unecomplémentarité : voir comment la politique envisage la vie en Société et de l’autre côté dire attentionil y a peut-être des choses qu’on ne peut pas faire. Voir de l’intérieur et de l’extérieur. Mais je ne suisqu’à la section du PS, je m’intéresse à la vie politique mais je m’arrêterai là, c’est pour m’informer etdonner mon avis » (homme, technicien dans une entreprise de services audiovisuels, 32 ans, syndiquéCFDT depuis 5 ans, délégué syndical)

« Chronologiquement dans mon expérience, le second élément de tension est lié à l’engagementsimultané à la CFDT et dans l’aile gauche du Parti Socialiste. Toutefois il ne s’agit ici que d’assumerune schizophrénie personnelle qu’un bricolage intellectuel du type « les idées d’Henri Emmanuelli,les méthodes de la CFDT » permet de surmonter. Les difficultés deviennent réellement majeureslorsqu’il ne s’agit plus d’un problème personnel mais que les tensions se trouvent retranscrites auniveau collectif et que le PS et la CFDT se trouvent comme depuis le printemps 2003 en oppositionde fait. Comment concilier le double engagement lorsque l’on lit par exemple dans une revue de laCFDT « l’attitude du PS est honteuse et irresponsable » tandis qu’une large partie des militants duPS voit dans l’attitude de la CFDT un appui à la politique de régression sociale du gouvernement dedroite ? Il n’est d’ailleurs pas surprenant qu’au même moment circulent au sein du PS des analysessur l’infiltration de la CFDT par l’UMP et l’UDF, thèses qui ont le mérite de rassurer les militants etleur conscience sur « l’ordre du monde ». Réciproquement est propagée au sein de la CFDT l’idéeque l’intérêt des travailleurs est porté par le syndicat, que les accords signés leur sont favorables etque l’attitude du PS n’est qu’une posture démagogique d’un parti en dérive idéologique » (homme,ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

Si une minorité de militants, dotés d’un bagage scolaire plutôt élevé et/ou héritiers d’unatavisme politique/syndical familial, tissent un lien étroit entre leur préférences politiqueset leur engagement syndical, la grande majorité d’entre eux justifient leur engagement parle souci de défendre des valeurs plus générales à la fois républicaines et humanistes, maisfaiblement investies d’un contenu idéologique structuré. Surtout, les motivations évoquéespar les militants pour expliquer leur engagement syndical, mettent particulièrement enavant les motifs d’ordre professionnel. Ce qui pourrait apparaître comme une évidence dufait de l’objet même de l’action syndicale semble aujourd’hui prendre le pas sur d’autresmotifs d’ordre politique ou axiologique pourtant tout aussi structurant chez les générationsmilitantes plus anciennes32. Cela dit, loin de nous l’idée de conclure à une dépolitisationgénérale de l’engagement syndical. Les nouveaux militants sont porteurs de valeurs et deconvictions qui viennent justifier leur action syndicale. Sans doute sont-ils tout simplementcaractéristiques des nouveaux entrants en politique qui, par défaut de ressources partisanes,légitiment d’abord leur engagement par des orientations politiques et morales plusgénérales.

32 LABBE D., CROISAT M., op.cit.

31

3. LES CIRCONSTANCES L’ENGAGEMENT

L’ancrage de l’engagement syndical dans le registre de la défense des droits des salariés,dans un contexte de difficultés professionnelles, se traduit de fait par des circonstancesd’engagement majoritairement caractérisées par des adhésions individuelles ou collectivesqui placent l’organisation syndicale dans un rôle de défense juridique ou d’appuitechnique. Les processus d’adhésion liés à une recherche plus diffuse d’information et/ou àdes motivations plus générales (et politiques) sur le rôle du syndicalisme semblent enrégression forte, même s’ils continuent d’exister dans les milieux traditionnellementsyndiqués (grandes entreprises publiques, fonction publique).

3.1. L’adhésion individuelle

Dans une première configuration nettement majoritaire, l’adhésion des militants estd’abord individuelle. Elle fait suite à des difficultés personnelles rencontrées dans letravail, avec la hiérarchie, l’employeur ou plus généralement l’entreprise. L’organisationsyndicale est alors saisie pour son rôle de défense individuelle sur un registre d’abordjuridique.

« J’ai une formation d’architecte. J’ai travaillé dans plusieurs cabinets, mon dernier poste était dansles monuments historiques, je suis tombé en désaccord avec mon employeur sur les procéduresd’appel d’offre, il m’a menacé de licenciement pour faute grave, j’ai été voir la CFDT pour uneassistance à l’entretien préalable. L’entretien préalable a abouti à un licenciement pour cause réelleet sérieuse et une transaction. Au départ, ils voulaient me réduire mon temps de travail, j’ai bien sentiqu’il s’agissait d’une sanction » (femme, architecte, 30 ans, syndiquée CFDT depuis 3 ans,développeuse régionale).

Cette première adhésion peut ne pas se poursuivre par un engagement syndical plusmarqué ni même par un maintien de la cotisation dans le temps. Les effets de mobilitéprofessionnelle sont ici évidents, les individus ne renouvelant pas systématiquement leuradhésion syndicale dans leur nouvel emploi. Cela dit, ce premier contact contribue à lareprésentation en acte d’une utilité du syndicalisme pour soi et constitue un terreaufavorable pour un recours ultérieur à d’autres formes souvent plus collectivesd’engagement syndical.

« Suite à un licenciement abusif dans une PME, je suis allée chercher conseil auprès d’un juriste à laCFDT. J’ai pu grâce à son aide négocier seule ma transaction avec mon employeur. Quelques annéesplus tard, salariée d’une grande entreprise en pleine restructuration, je suis confrontée à des querellesmanagériales qui empêchent mon évolution professionnelle. Je trouve une écoute auprès de laDéléguée Syndicale CFDT. Peu de temps après je décide d’adhérer. Dès que j’ai trouvé un travailstable dans une entreprise où je me sentais bien, j’ai adhéré à la CFDT afin d’appuyer le syndicat enplace. L’entrevue que j’ai eu avec le juriste CFDT il y a quelques années a été déterminant » (femme,cadre dans une grande entreprise d’agro-alimentaire, 31 ans, syndiquée CFDT depuis 2 ans,adhérente)

« J’avais été syndiquée au tout, tout premier emploi dans lequel je suis restée neuf mois. Parce qu’enfait, c’était une petite entreprise familiale. En fait, j’avais été embauchée parce que mon patron del’époque s’était renseigné dans le village, et savait que j’étais une petite fille bien gentille, mignonne,bien tranquille. Donc c’est pour ça qu’il m’avait embauché. Et oui, j’étais peut-être sage, mais déjà àl’époque, je n’aimais pas trop l’injustice, et un jour j’ai su que j’étais payée en dessous du seuilminimum. Ça, c’est un collègue qui m’a dit : mais je ne te dis rien, mais tu devrais aller te renseigner.En face, il y avait la maison des syndicats. Et en fait, à la maison des syndicats, comme, à l’époque, laville où je travaillais était une ville communiste, c’était la CGT. J’y suis allée, ils ont vérifié, ils m’ontdit : oui, effectivement, tu es payée en dessous, donc si tu veux que l’on fasse quelque chose, il faut quetu prennes une carte au syndicat. Donc j’ai pris une carte. Et effectivement le dossier a été

32

relativement vite réglé, puisqu’ils ont envoyé un courrier en disant que j’étais en dessous du seuilminimum. De ce fait là, j’ai été convoquée tout de suite au bureau de mon patron, qui m’a dit : oui,qu’est-ce que c’est que ça, espèce de petite révolutionnaire, si ça continue on va vous voir défiler dansla rue avec le drapeau rouge. Et moi je lui ai dit : oui, tant que c’est le drapeau et pas le fusil, vouspouvez encore dormir tranquille. Et j’ai été licenciée.. Il voulait que je parte de moi-même, et je lui aidit : non, je me plais bien ici. Comme ça, je n’aurais pas eu d’indemnités du tout. Donc j’ai dit : non,si vous voulez que je parte, il faut me licencier. Et j’ai été licenciée dans la foulée. Mais bon, j’airécupéré mon dû. Mais ça a été quand même une bonne expérience. Première expérience. Après, jesuis restée un moment sans emploi. J’ai bougé un petit peu, je suis allée en Angleterre, etc. Je n’étaispas en France, donc je n’avais pas lieu de le faire. Et après, j’ai commencé à travailler pour le groupeBouygues. Je n’entendais pas parler de syndicat, personne dans mon entourage ne l’était, je n’avaisaucun souci au niveau du travail, tout se passait très bien. Donc je ne l’ai pas été. Ensuite Francine amonté la section et elle m’a convaincu de prendre un mandat » (femme, membre d’équipage dans unegrande entreprise de transport, 36 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, élue CHSCT).

Chez les cadres et les salariés des grosses entreprises privées, l’entrée dans l’actionsyndicale se fait aussi, de plus en plus, au moment, souvent inattendu, de l’annonce d’unplan social. Cette montée en force des politiques de délocalisation et de restructurationmotivées par des logiques financières, est aujourd’hui très visible dans le secteur desservices (musique, internet, telecom) alors qu’elles étaient plutôt cantonnées aux secteursindustriels traditionnels. Les plans sociaux touchent donc aujourd’hui des populations plusqualifiées et « favorisent » ainsi la syndicalisation de populations faiblement enclines à sesyndiquer (les jeunes diplômés). Si l’action syndicale est le plus souvent portée par une oudeux personnes dotées d’une ancienneté plus élevée et/ou d’une culture politique évidente,le rôle de l’organisation syndicale dans l’accompagnement du plan social contribue à unerevalorisation de l’image des syndicats et, si ce n’est à une vague d’adhésion massive, àune participation plus élevée aux élections professionnelles (voir à la mise en placed’institutions représentatives du personnel).

3.2. L’adhésion collective

Dans une seconde configuration moins fréquente, les militants collectivement ont adhérésuite à un conflit dans leur entreprise (grève, tensions, désaccords…). L’absence dereprésentation collective dans leur entreprise a poussé les salariés à se syndiquercollectivement et à créer une section syndicale (fortement encouragés par l’organisationsyndicale qui incite à la création d’un collectif). Cette adhésion syndicale peut faire suite àune adhésion d’abord individuelle, avec la prise de conscience que l’action des élus ducomité d’entreprise serait renforcée par le lien affiché à une organisation syndicale.

« On a eu des soucis avec l’entreprise, des agressions verbales permanentes, on a pris les pagesjaunes, on ne connaissait pas, j’ai téléphoné, la CFDT nous a reçues, j’ai dit tout ce qui n’allait pas,ils m’ont conseillé de venir avec d’autres personnes pour monter une section (110 salariés). Lapremière fois, je suis venue seule, les autres n’ont pas osé, ensuite on a tous adhéré ensemble »(femme, ouvrière textile, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuse régionale)

« Je me suis syndiquée en 2000, j’avais fait des études de BTS secrétariat à Toulouse, tout ce quitouchait au droit du travail et à la protection des salariés me branchait, et l’idée de défendre lessalariés contre l’employeur, mais sinon il n’y a pas eu de raisons particulières sauf que le directeurgénéral pratiquait le harcèlement moral, on m’a emmené à la CFDT j’ai demandé comment adhérerpour pouvoir apporter mon aide. Il n’y avait aucune implantation syndicale dans l’entreprise. Un demes collègues connaissait la CFDT, on a monté la section, on a eu 18 adhérents en 3 mois » (femme,agent de gestion, 36 ans, syndiquée CFDT depuis 3 ans, élue au comité d’entreprise).

« Ensuite, le deuxième contact a eu lieu 2 ans plus tard. Nous avons commencé à négocier les planssociaux. Là, il y a eu la crise en 2001 : éclatement de la bulle Internet, la bulle des Télécoms. La

33

chute dramatique du chiffre d’affaires a entraîné le premier plan social en septembre. C'était en 2001.C'était mon deuxième mandat. La personne qui a été mandatée par la CFDT a créé une sectionsyndicale. Elle a créé une section syndicale. En fait, en juin 2001 il y avait eu un gros problème,puisque le groupe avait vendu un titre et cela s’était mal passé avec les représentants du personnel. Ily avait eu un manque de transparence, d’informations. Du coup, nous avons dit : « Il faut absolumentcréer une section syndicale » (homme, cadre commercial dans une entreprise de presseprofessionnelle, 33 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, élu au comité d’entreprise).

Du fait de l’ampleur ou de la nature du problème rencontré, mais également de l’expositionindividuelle liée au rôle de leader informel ou de porte parole, les salariés souhaitent à lafois se faire aider et soutenir par un tiers externe par peur des sanctions et crainte del’isolement, mais également pour « se couvrir ».

« Je me suis engagée à la CFDT un petit peu par hasard. J’étais aide-soignante au bloc opératoire.Suite à une injustice, j’ai « ouvert ma bouche » comme je sais bien le faire. Ne sachant pas commentme défendre, j’ai décroché mon téléphone pour appeler la CGT. Cependant, il n’y avait personne. Ducoup, j’ai appelé la CFDT où j’ai trouvé une personne. À partir de ce moment, toutes les choses sesont mises bout à bout et cela s’est passé très rapidement. Je me suis retrouvée devant un conflit queje ne savais pas du tout gérer. C’est allé jusqu’au directeur. Puis, quand j’ai vu l’ampleur que celaprenait, je me suis dit que je devais absolument me syndiquer. Comme c’est la CFDT qui a suivi monproblème, j’ai pris une carte à la CFDT.J’ai eu peur des soucis parce que c’est très hiérarchisé auCHU. Je me suis demandé ce qui allait me tomber sur le coin du nez. Ayant peur d’un retour demanivelle, j’ai senti un besoin de me protéger. J’étais réellement en conflit avec l’équipe de cadres.Au bloc opératoire de ce CHU, il y avait sept cadres dont un cadre supérieur, chacun avec desresponsabilités bien distinctes. Du coup, j’ai vu une équipe de cadres avec le directeur et l’infirmièregénérale devant moi, seule à me défendre. Je connaissais les mentalités. La spécialité de certainscadres est, une fois que les personnes se sentent défendues, de les sanctionner au niveau de leurnotation » (femme, aide soignante, 38 ans, syndiquée CFDT depuis 7 ans, déléguée du personnel).

Ce faisant, ces salariés rompent avec une pratique de défense individuelle et une aversionpour ce qu’ils nomment « les grosses machines » qui expliquent en grande partie le faitqu’ils ne se soient jamais sentis concernés par le syndicalisme par le passé (et ce même enayant un héritage syndical marqué), en dépit parfois d’une implantation syndicale assezforte dans leur entreprise et de l’expérience passée de conflits avec l’employeur.

« Je n’ai pas ressenti le besoin de me syndiquer avant.. Je réussissais à me défendre toute seule. Jen’avais pas de difficulté. En plus, j’ai le dialogue facile et je rigole beaucoup. Par conséquent, ledialogue passe bien généralement avec mes supérieurs. C’est pourquoi je n’avais pas du tout éprouvéle besoin de me syndiquer. Quand j’avais un problème, j’arrivais à le résoudre sauf pour ce conflit aucours duquel j’ai pris peur. Quand je suis arrivée ici, je n’ai pas fait attention au départ puisque jecherchais à repérer les lieux. J’ai travaillé au bloc avec des collègues qui étaient adhérents à laCFDT et qui recevaient régulièrement du courrier bien que je ne savais pas trop ce qu’il y avaitdedans. Je voyais arriver des tracts mais je ne me sentais pas concernée. Cela ne m’intéressait pas,cela me passait réellement au-dessus de la tête. Comme je le disais au début, j’ai toujours appris à medéfendre toute seule, je n’ai jamais eu besoin de personne jusqu’au conflit. C’est peut-être pour celaque je ne faisais pas attention. Pour moi, je n’avais besoin de personne. J’arrivais à avancer bon gré,mal gré. Quand une chose n’allait pas, j’allais directement voir la personne, le directeur quand c’étaitla maison de retraite ou la surveillante. Nous en discutions et essayions de trouver une solution. Parconséquent, je n’avais jamais eu besoin de qui que ce soit » (femme, aide soignante, 38 ans, syndiquéeCFDT depuis 7 ans, déléguée du personnel).

« Avant, très franchement, ça me gavait, ces histoires. Parce qu’en même temps -c'est sans douteaussi pourquoi j’ai choisi la CFDT, on y reviendra- les appareils, les grosses machines me barbent.Dans mon moteur, il y a la fois la lutte contre l’injustice sociale, pour des valeurs comme l’égalitépuis en même temps, il y a une dimension libertaire : il ne faut pas me gaver » (homme, cadre dansune grosse entreprise de transport publique, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans, secrétaire généraldu syndicat)

34

Devant les difficultés, ils attendent souvent que d’autres salariés se décident. En vain.Rattrapés par leur histoire et légitimés par leurs collègues de travail, c’est « plus fortqu’eux », ils s’engagent pour eux-mêmes mais surtout pour les autres.

« Il n’y avait rien. Au début, il n’y avait pas matière à, parce qu’il n’y avait qu’une poignée, 35personnes, au départ, et essentiellement des cadres, des cadres supérieurs, qui étaient basés à Paris.Donc il n’y avait pas d’activité syndicale. Il s’est passé du temps. Aucun syndicat. Et à un momentdonné, ils parlaient de restructuration. Ils continuaient à engager du personnel, mais il y avaitquelque chose qui n’allait pas. Et moi, je me disais : j’espère qu’il y a des syndicats qui vont se créer.Et j’attendais toujours. J’espère au moins qu’il y a des syndicats qui vont se créer. Et ça ne venaitpas. Et un beau jour, j’avais quand même la fibre, moi, et un beau jour, j’ai dit : si il n’y a personnequi y va, je vais devoir y aller. Je me suis fait nommer avec un gars des agents d’accueil, Vincent. Onn’était qu’à deux. Et la CGT a nommé quelqu’un une semaine après. Eux, ils étaient en train aussi. LaCGC avait quelqu’un depuis quelques mois » (femme, employée dans une grande entreprise detransport, 43 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, déléguée syndicale)

« On se faisait exploiter dans l’association, les collègues ne voulaient pas réagir, « tu travailles et tute tais… », le conseil d’administration de l’association c’était des grosses pointures, tu te sensinférieur à eux…, un jour j’en ai au marre, j’ai pris des responsabilités, je suis devenu le seul déléguésyndical emploi-jeune. J’ai pris ma carte, je fais ça pour les autres, je savais que moi j’allais megriller, personne voulait se bouger, c’était trop injuste, t’es tout seul quand tu es en emploi jeune. Caallait tellement mal, l’employeur fait ce qu’il veut de toi, il joue sur la naïveté des gens » (homme,employé dans une grosse entreprise d’énergie, 28 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, délégué dupersonnel).

3.3. L’adhésion d’opportunité

Autre cas de figure quelque peu atypique : l’adhésion dans le cadre du mandatement RTT.Au moment de la négociation des 35 heures, suite aux lois Aubry I et II, certains salariés sesont vus « offrir l’opportunité », par choix ou incitation, de se syndiquer pour pouvoirnégocier un accord de réduction du temps de travail dans leur entreprise. La loi imposait eneffet la signature d’une organisation syndicale et donc le plus souvent l’adhésion d’unsalarié de l’entreprise à une organisation de son choix. Même si les pratiques de gestion etd’accompagnement du mandatement RTT ont été assez diverses dans l’organisation33, lesresponsables ont la plupart du temps exigé l’adhésion du mandaté, au moins pour unedurée minimum d’un an. La plupart des mandatés se sont donc syndiqués par contrainte,même si un certain nombre d’entre eux ont ensuite maintenu leur adhésion et se sontparfois investis dans un rôle de représentation quotidienne.

« Mon adhésion s’est faite à l’occasion du mandatement, ce sont mes employeurs qui m’ont dit qu’ilsvoulaient passer à 35 heures, j’étais la plus ancienne, ils m’ont demandé de me mandater. Ils ont toutfait à ma place, ils m’ont donné le numéro de la CFDT, en fait c’est le cabinet conseil qui travaillaitavec mon patron qui m’a dirigé vers la CFDT sachant qu’on était favorable. A la suite dumandatement je me suis syndiqué, j’ai trouvé ça bien sympa qu’un syndicat soit à l’écoute, présent etdisponible, c’est un juste retour des choses d’adhérer » (femme, vendeuse en boulangerie artisanale,29 ans, syndiquée CFDT depuis 1 an, mandatée RTT).

Certains militants se sont aussi investis dans le mandatement par conviction et poursoutenir la réduction du temps de travail (vision plus politique). Il s’agit d’une minoritéd’individus ayant un niveau d’information supérieure à la moyenne des salariés. Certainsévoquent leur goût pour les dimensions légales et juridiques, de même que leur« curiosité » intellectuelle pour décliner une loi particulièrement complexe dans leurentreprise.

33 GAUDEUL S, GUILLAUME C., op.cit.

35

« Donc tout ça a fait que quand je suis parti dans le midi, je suis rentré au parti socialiste donc en 94,juste avant l’éclosion de Lionel Jospin. Et tout ça nous a amené à 97, donc il y a la victoire de 97 etsuite à la victoire en 97 il y a cette affaire des 35 heures qui était je pense un élément relativement clé.Donc la victoire de 97, les 35 heures, je dirais quand même un symbole social quand mêmeincroyable, la démission du Président du MEDEF c’était quand même… De toute façon, il y avait unesorte d’aboutissement là et puis c’est là que je me suis dit « mais comment on peut faire pourprolonger ça ». Je savais bien que le truc d’après c’était d’une certaine façon de rentrer dans unsyndicat, en l’occurrence la CFDT, je ne me suis pas posé la question, mais sans que ce soit évident,le pas n’est pas évident à franchir. Ça, c’était vraiment une motivation oui, c’était la prolongation del’engagement politique, complètement. On a fait un combat pour amener la gauche au pouvoir,maintenant comment on continue ce combat, je dirais, concrètement. C’est une motivation totalementpoussée par l’engagement politique » (homme, ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent).

Si l’on considère les effets du mandatement sur le lien au syndicalisme des mandatés desTPE-PME, force est de constater que l’expérience du mandatement a favorisé une réelledynamique de développement (si l’on considère le nombre d’adhésions dans la période desnégociations RTT). La réduction du temps de travail a permis à la CFDT de toucher dessalariés peu enclins à s’adresser spontanément à une organisation syndicale, en dehors decirconstances exceptionnelles nécessitant une assistance juridique (le plus souvent dans lecadre d’une défense individuelle).

Dans ces trois premiers cas de figure – adhésion collective, individuelle ou d’opportunité –l’adhésion intervient le plus souvent a posteriori, comme reconnaissance des servicesrendus et par « correction ». Rarement exigée comme préalable à la prise en charge parl’organisation syndicale, elle intervient comme un contre don « naturel » ou « normal »pour le salarié qui a été aidé. Elle ne présage toutefois pas du maintien de l’adhésion dansle temps. L’enquête menée auprès des mandatés RTT a montré que le lien à l’organisationsyndicale reste majoritairement faible. Bien qu’une majorité de mandatés se soientsyndiqués au moment du mandatement, un nombre certain ont cessé leur adhésion une foisle mandatement terminé.

« Je suis restée en CDD pendant 6 ans et puis un jour j’ai rencontré Catherine. Je tenais une petiteagence et elle est venue faire un remplacement dans le cadre de son travail, grâce à elle j’ai eu monCDI tout de suite, après c’est don contre don, on m’a proposé l’adhésion et j’ai trouvé cela naturel »(femme, assistante de communication dans une CAF, 30 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans,secrétaire générale adjointe du syndicat).

« J’ai trouvé ça bien sympa qu’un syndicat soit à l’écoute, présent et disponible, c’est un juste retourdes choses d’adhérer » (homme, ouvrier dans une petite entreprise du secteur pharmaceutique, 29ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, mandaté RTT puis délégué du personnel).

« C'est après avoir pris contact avec le comité d’entreprise de Wanadoo pour les informer du projetde fermeture qui menaçait notre filiale que la Secrétaire du CE et Délégué Syndical m'a orienté versla section CFDT des Postes et des Télécoms. L'accueil et l'écoute qui nous a été accordé nous aséduit, et nous avons accepté leur collaboration à la défense de notre cas. Il y avait bien sûr unecontrepartie plus ou moins tacite à cette aide : adhérer à la CFDT. Représentant les intérêts dessalariés, j'ai d'abord été gêné par cette casquette de "militant - recruteur" endossée du jour aulendemain, avant même d'être adhérent. Je n'ai d'ailleurs pas insisté auprès des salariés, et j'aifinalement été le seul à adhérer, plus par "correction" que par "conviction". J'en ai d'autant plusapprécié l'aide de la CFDT car elle perdait alors son caractère "intéressé"… (homme, cadre dans uneentreprise d’internet, 30 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, adhérent)

36

3.4. L’adhésion package

Autre forme d’accès au syndicalisme : l’adhésion « package ». Les militants se sontgénéralement syndiqués très jeunes, dès l’entrée dans la vie professionnelle. L’adhésionsyndicale leur a été proposée au même titre que l’adhésion à une Mutuelle ou à uneassurance. Très typique du milieu enseignant, les travailleurs sociaux et les salariés desgrosses entreprise publiques (EDF, Gaz de France, SNCF…) témoignent aussi de cetteforme d’engagement précoce. Les organisations syndicales jouent, en effet, un rôle majeurdans la gestion des mutations professionnelles ou la détention d’informations sur lesavancements, les évolutions salariales et plus largement les questions relatives à l’emploiet la gestion du personnel.

« Bien avant d’être à la CFDT, quand tu passes à l’IUFM, on te propose le package avec le syndicatd’enseignants, la Mutuelle…., j’ai pris le pack complet mais je n’ai jamais fait de démarche syndicale,je l’ai pris par sécurité » (femme, institutrice, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, conseillèrefédérale).

La précocité de l’adhésion n’est d’ailleurs pas un gage d’investissement militant. Danscette configuration, l’engagement syndical reste diffus, les militants ne prennent pasnécessairement de responsabilités ou de mandats. Le lien au syndicalisme est distant,instrumental. Cette adhésion automatique n’est pas toujours liée à un choix pour « raisonsaxiologiques » (accord avec les idées de l’organisation syndicale) et conduit les salariés àprivilégier le syndicat majoritaire sans connaissances précises du paysage syndical. Lechemin vers la CFDT a pu être long et c’est parfois des années plus tard que les salariésadhèrent à la CFDT pour ses positions et son projet. Cette conversion est le plus souventinitiée par une rencontre avec un ou des militants CFDT et facilitée par la possibilité d’êtrepositionnée sur une liste aux élections professionnelles.

« Je me suis syndiquée en 95, avant j’étais au SNES, j’étais instit en Vendée, la CFDT est très affichéecatho, moi qui n’ai pas eu une éducation religieuse, je ne me voyais pas là, j’ai été au SNI et puis jesuis passée au SNES quand je suis passé dans le 2nd degré, ensuite j’ai rencontré des gens dans lalycée par hasard et je me suis syndiquée au SGEN» (femme, institutrice, 42 ans, syndiquée CFDTdepuis 10 ans, conseillère fédérale).

Pour les militants les plus jeunes, le processus de l’adhésion package semble beaucoupmoins automatique mettant en lumière le caractère déterminant de la démarche d’accueil etde syndicalisation de l’organisation syndicale. Si les militants les plus anciens ont faitd’eux-mêmes le geste de se syndiquer, les nouveaux ont le plus souvent eu besoin de sevoir proposer l’adhésion. Ainsi cette jeune professeur, fille de militants CFDT, quireconnaît être passée à côté de l’adhésion à l’IUFM et avoir eu besoin d’être sollicitée dansson établissement pour prendre sa carte.

« Je n’ai adhéré que quand j’ai été titulaire et accueillie dans un bahut. Mais bon comme je suis fillemoi-même de militants à la CFDT, je connaissais déjà la maison. J’ai adhéré dès que j’ai été titulaire.Donc, ça doit remonter à 94 ou 95, je ne sais plus. On m’a proposé l’adhésion. Donc ce n’est pas sûrque, même en étant enfant de militants, j’aurais eu le réflexe puisque je ne l’ai pas eu à l’IUFM. Je nel’ai pas eu en école professionnelle. En fait, en école professionnelle, je n’ai pas été sollicitée. Alorsque quand je suis arrivée dans mon premier bahut, il y avait un secrétaire de sélection. Donc il m’aaccueillie. Je n’étais pas toute seule. Il y avait deux ou trois autres jeunes collègues aussi. Il m’a faitla présentation de la CFDT et puis de ma fédération de façon très simple, environ 10 minutes à unquart d’heure. Donc là, après ça, la démarche était facile puisque j’avais un référent. Ne serait-cequ’au niveau tout bête du bulletin. Je n’avais pas à faire, moi, la démarche. Il y avait quelqu'un surplace » (femme, professeur, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, secrétaire fédérale).

37

Au-delà des services que propose les organisations syndicales, l’engagement estindissociable du rapport au travail (et au métier) des individus, comme en témoigne cettedirectrice d’établissement. Dans cette perspective emblématique des militants attachés àl’exercice d’un métier engageant tant sur le plan des valeurs défendues que du rôlesociétal, le syndicalisme est en quelque sorte un prolongement du travail. Le sens del’engagement syndical est indissociable du vécu de l’identité professionnelle (et passeulement de ses dimensions catégorielles et corporatistes).

« J’ai acquis la certitude lors de ces stages que l’engagement des directeurs était indispensable.Pourquoi ? Mettre en œuvre une politique publique telle que la protection de l’enfance, la prise encharge des personnes handicapées ou des personnes dans une situation de grande exclusion nécessiteque le directeur qui constate ce que de telles politiques contiennent comme insuffisances etincohérences doit pouvoir « faire remonter » ces constats. Un directeur ne peut pas se contenterd’appliquer les textes et politiques départementales sans pouvoir exprimer en retour son évaluation,ses difficultés, le décalage constaté entre les discours politiques et la réalité des moyens alloués. Lecontact avec les usagers induit à mon sens cet engagement.Comme une majorité de directeurs j’aidonc choisi de me syndiquer à la CFDT afin de participer à une démarche constructive de réformedes politiques publiques, des statuts….Cette forte syndicalisation est commune aux directeursindifféremment de leur âge, parcours professionnel. En effet les directeurs étaient recrutés jusqu’aumilieu des années 1990 parmi les cadres intermédiaires du secteur social puis sanitaire. En 1997, il ya eu le premier recrutement de directeur par la voie du concours externe, dont je suis issue. L’ENSP afavorisé la réussite de ce recrutement. Ecole professionnelle où les directeurs ne sont pas formés pardes universitaires mais par des professionnels d’horizons différents dans le champ de la santépublique, l’identité professionnelle n’a pas joué comme un frein à l’arrivée de jeunes directeurs maisplutôt comme le moyen d’un avenir commun. On peut noter dans ma profession que cet « engagementnécessaire » est souvent pluriel : associations professionnelles, participation à la société civile…alors pourquoi un tel succès de la CFDT avec 70% des voix obtenues aux dernières électionsprofessionnelles (26 mai 2003) sur 85% de suffrages exprimés ? Cela tient à l’organisation de lafédération Santé Sociaux qui a recréé un syndicat de cadres national en 1993, 20 ans après sadissolution » (femme, directrice d’établissement dans le champ sanitaire et social, 28 ans, syndiquéeCFDT depuis 4 ans, secrétaire générale du syndicat)

3.5. L’adhésion par principe

Dans cette configuration, les militants ont adhéré, sans avoir rencontré de problèmesindividuels ou collectifs particuliers. Le moteur de l’adhésion renvoie plutôt à desconvictions générales sur l’importance du syndicalisme, la nécessité pour les salariés des’affilier à une organisation syndicale et la fréquentation d’un milieu professionnelfortement syndiqué. Bien sûr ces salariés sont le plus souvent assez familiers des questionssyndicales, soit par filiation (fils et filles de militants) soit par intérêt personnel (études,intérêt pour les questions de société…). Pour un certain nombre, l’engagement syndical faitsuite à des engagements politiques ou associatifs

« Le jour de ma titularisation dans l’organisme, c’était en 1998, après ma formation, j’ai adhéré lemême jour à la CFDT. Déjà, je trouvais qu’en étant salarié, c’était important d’être adhérent dansune organisation syndicale. Dans mes divers emplois, j’ai souvent rencontré des militants syndicauxqui m’ont expliqué ce qu’était la CFDT. Et puis, donc vraiment à la CAF, ce qui s’est passé, c’est quedans le service où j’effectuais mes stages, il y avait une élue CFDT avec qui j’avais sympathisée. Lachose sympathique qui s’était passée, c’est que quand j’étais en formation les sections CFDT desdifférentes CAF où il y avait des agents qui suivaient une formation, étaient venues à notre rencontre.Ils avaient offert un petit déjeuner. On avait fait un petit questionnaire. Ils nous avaient expliqué unpetit peu nos droits en tant que salariés. Ils nous avaient donné une convention collective » (femme,employée administrative, 28 ans, syndiquée CFDT depuis 2 ans, élue du personnel)

« Voilà, et du coup je me disais qu’à la CFDT, ce que je retrouverai c'est ce que j’avais à l’UNEF.C'était pour moi le débouché, cela devrait être symétrique. Cela devrait être la continuité parfaite »

38

(femme, cadre dans une grosse entreprise d’énergie publique, 30 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans,adhérente)

« D’abord, tout au long de ma vie, j’ai rencontré des gens de la CFDT. Quand j’étais jeune étudiant,j’étais très branché tourisme populaire, vie associative etc. Dans cette mouvance-là j’ai très vite eudes contacts avec la CFDT parce qu’elle était quand même très implantée dans ce truc là. Après j’aibossé pendant trois ou quatre ans avec un camarade qui a été militant CFDT pendant des années.Puis nous avons beaucoup discuté, nous avons monté des... On a travaillé ensemble sur des projetsprofessionnels et puis on a été amené à beaucoup échanger. Et puis c’est à ce moment-là que je mesuis aperçu que nous étions en phase sur plein de trucs, sur une approche théorique, sur les façons defaire. Et puis c'est vrai que pendant trois/quatre ans, il n’arrêtait pas de tanner sur le thème« pourquoi tu ne t’engages pas ». Il y a eu le 21 avril. Je pense que cela faisait un moment que jetournais autour de cette idée de m’engager. Au niveau de la vie professionnelle, j’ai toujours eu lachance de faire à peu près ce que je voulais et puis de vivre d’une manière un peu militante puisquej’avais travaillé dans l’insertion professionnelle assez longtemps » (homme, cadre dans une grosseentreprise de transport publique, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans, secrétaire général dusyndicat)

Si les adhésions liées à des difficultés professionnelles ont toujours existé34, les formesd’adhésion syndicales, liées à des modes de socialisation politique structurée et/ou à dessociabilités formelles (structures associatives, mouvements de jeunesse, mouvancespolitiques) semblent en régression notable, même dans les milieux professionnels les plusemblématiques de ce lien syndical (éducation, travail social…). Ce constat n’invalide paspour autant l’idée que les militants s’engagent en vertu de dispositions antérieures héritéesqui leur confèrent une sensibilité particulière à ce qu’ils nomment « la lutte contre lesinjustices » et la défense de certaines valeurs morales. Cela dit, c’est l’expérience del’injustice pour soi et pour les autres qui devient moteur de l’engagement. L’engagementsyndical se construit dans une tension forte avec l’activité professionnelle et dans unrapport souvent distancié au collectif de travail. De ce point de vue, l’engagement peutprendre une forme très individualisée de défense personnelle (l’archétype étant le recoursaux prud’hommes), mais aussi une forme plus collective qui témoigne de la convergencedes vécus professionnels des salariés quels que soient leurs statuts.

34 LABBE D, CROISAT M., op.cit.

39

4. LE CHOIX DE L’ORGANISATION SYNDICALE

Cela dit, si la plupart des militants sont venus au syndicalisme suite à des difficultésprofessionnelles, ils partagent dans l’ensemble une vision réformiste de l’action syndicale.Dans un premier temps, leur action syndicale vise l’amélioration des situations de travail,dans un souci de conciliation des intérêts de l’entreprise et des salariés. En ce sens, leurchoix pour la CFDT n’est pas anodin. Parfois, sans connaissance précise des organisationssyndicales, les nouveaux militants ont opté pour la CFDT de manière pragmatique.

4.1. Le rejet d’autres formes de militantisme

Le premier constat marquant que l’on peut faire indique que le choix de la CFDT estlargement déterminé par le rejet des autres organisations syndicales.

« Il existait comme OS, la CGT, FO (majoritaire à l’époque) et un syndicat de cadres. Le peu que jeconnaissais de FO ne m’intéressait pas, la CGT inféodée au PC ne m’attirait pas du tout, le syndicatdes cadres : je me sentais encore moins concernée, donc la CFDT…» (femme, agent administratif, 40ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, élue du personnel).

« Je me suis posée la question de l’étiquette, j’en ai parlé autour de moi pour savoir quelle imageavait les différentes OS, la chose déterminante est que je n’avais pas envie de mener un combat, je nevoulais pas de la version réfractaire de la CGT, pour moi le fait de parler des choses et le fait de direon parle et on avise me correspond mieux » (femme, télé conseillère, 35 ans, syndiquée CFDT depuis4 ans, développeuse fédérale).

« Parce que je pense aussi qu’il y a une très mauvaise image. Notamment due à la CGT, où c’est unpetit peu gros camionneur dans les rues avec la banderole tout le temps. Je trouve cela a beaucoupfaussé l’image du syndicalisme. Cela donne un peu une image que nous, nous essayons de casserjustement, dans l’entreprise, en disant : non, c’est autre chose. Le syndicalisme donne toujoursl’impression que c’est : pas grand chose dans la tête, les gros bras et les banderoles. C’est quandmême une image des médias… » (femme, agent administratif, 45 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans,secrétaire fédérale).

La CGT, tout particulièrement, fait office de contre modèle. L’image qu’elle renvoie –contestataire, oppositionnelle - et ses liens avec le Parti Communiste sont dénoncés, maisl’on peut également faire l’hypothèse que certains militants, et notamment les femmes ontparfois du mal à s’identifier à une organisation syndicale perçue comme masculine,souvent associée à l’engagement paternel, et plutôt représentative du monde industriel etouvrier.

« Mon père était militant et trésorier CGT dans son entreprise. Par conséquent, je ne connaissais quela CGT. Mon père a un tempérament assez fort. Je pense que c’est ce qui est ressenti au niveau de laCGT : des personnes qui râlent beaucoup et qui ne négocient pas tellement. Elles font plutôt de larevendication au lieu de chercher des solutions. Je ne m’entendais pas du tout avec mon père à causede cela » (femme, aide soignante, 38 ans, syndiquée CFDT depuis 7 ans, déléguée du personnel).

« Donc à l’époque, il fallait s’appuyer à quelque chose qui tenait la route et aussi à un syndicat quinous permettrait de faire avancer les choses sans être l’intendance sociale. Donc nous ne le pouvionspas à la CGT, parce qu’ils disent toujours non. En tout cas c'est ce qu’ils affichent. Nous ne pouvionspas à la CFTC, parce qu’ils sont mal réputés. Ils ont fait des compromissions et FO aussi. FO à uneimage qui n’est pas très transparente dans notre secteur » Jérôme : (homme, technicien dans uneentreprise audiovisuelle, 40 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, secrétaire général adjoint du syndicat)

« Dans la famille, j’ai un tonton qui est cégétiste, pas depuis qu’il est né, mais depuis très jeune. Jeconnaissais un petit peu la CGT. L e côté communiste oppositionnel, ce n’est pas moi. Enfin, je veuxdire que je ne me retrouvais pas » (femme, employée administrative, 28 ans, syndiquée CFDT depuis2 ans, élue du personnel)

40

Au-delà du registre des représentations, un certain nombre de militants ont également pu sefaire une idée des pratiques syndicales de la CGT dans leur univers de travail. Pratiquesqu’ils décrivent comme peu démocratiques, hiérarchisées et contestataires par principe.L’image de la CGT qui ne « signe jamais » est largement partagée.

« Si tu veux, j’avais la vision de la CGT et de la CFDT dans l’entreprise, donc des deux syndicats.Pour moi, la CGT a été un refus total par rapport à des gens qui ont œuvré dans l’entreprise. J’avaisété contactée par la CGT et par la CFDT. Je ne sais pas. La CGT, c'est vraiment à l’opposé desvaleurs que je peux avoir eue de tout temps. Donc pour moi ce n'était même pas envisageable. Je lestrouve trop sectaires. À Paris, j’ai été huit ans dans une entreprise où il n’y avait que la CGT surplace. Mais ils étaient inexistants, de toute façon, et le peu que j’ai pu entrevoir d’eux, c'était desmalversations au niveau du CE. Aussi n’avais-je pas une opinion spécialement... » (femme, comptabledans une grosse entreprise de métallurgie, 45 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, déléguée dupersonnel).

« Le « D » de CFDT, je le dis pour moi c’est vachement important. Le jour où il y a pas de démocratieje partirai moi parce que moi c’est vachement important. Pour moi la CGT je la côtoie, c’est trèsstructuré, c’est très militaire chez eux. Tu vois les tracts qui sortent sur ma région, c’est Montreuil,parce que tout passe par Montreuil, tout est vérifié, moi je peux sortir un tract dans la CFDT sansfaire référence pratiquement quand c’est urgent, on me fait confiance. On n’a pas besoin de passerpar la branche ou par la Fédé, quand c’est urgent bon… » (homme, cadre dans une grandeentreprise publique de transport, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, délégué syndical)

« La seule fois où la CGT a signé l’accord d’intermittence c'est en 1969, quand ils ont signé1.000 heures sur 12 mois. Il fallait travailler 1.000 heures pour indemniser sur 12 mois. Là c'est507 heures sur 10 mois et demi. Toute la sécurité sur l’intermittence qui a été mise en place n’a étésignée que par la CFDT. La CGT n’a jamais signé, sauf que la CGT revendique les accords signéspar la CFDT quelques années avant. La technique est simple. Nous refusons la chose, nous, nousfaisons la proposition, nous signons. Nous ne devenons plus l’interlocuteur social, c'est la CGT quidevient l’interlocuteur social mais nous avons fait le boulot. Nous, nous faisons le boulot social etnous signons les choses, nous nous mouillons, nous prenons les coups. » (homme, technicien dans uneentreprise audiovisuelle, 40 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, secrétaire général adjoint du syndicat)

La CGT cristallise en réalité les images d’un syndicalisme « ancien » dont les militantsveulent se détacher. Parmi les critiques qui lui sont adressées on peut lister : une positioncritique systématique fondée sur des positions idéologiques, des logiques d’appareilenvahissantes ne laissant que peu de marges de manœuvres locales, le recours privilégié àl’action collective et à la grève. De même, quand FO est évoquée, c’est à la fois pourdénoncer le caractère irréaliste des revendications et le caractère sectaire de l’organisation.

« FO pour moi c’est Arlette LAGUILLER, c’est tout. J’ai changé un peu d’avis parce que j’ai vu uneémission récemment qui m’a fait changer d’avis. Je trouvais que c’était une bonne femme marranteparce qu’elle a des convictions, qu’elle est vraiment très convaincue de ce qu’elle dit, mais, en mêmetemps, je trouve que c’est irréalisable. Enfin, il y a beaucoup de choses qui sont irréalistes,irréalisables. Et puis j’ai vu un reportage sur elle et sur FO et, en fait, je trouve que ça fait peur. Çafait peur parce que, de là à ne pas avoir de vie de famille parce qu’on est syndiqué… enfin, il y a pleinde choses, en fait, qui sont très gênantes, je trouve, dans ce syndicat. On leur demande vraiment de sedévouer au syndicat. Non, faire partie d’un syndicat, ça veut pas dire forcément une dévotion nonplus, un sacrifice de la vie personnelle » (femme, agent administratif, 34 ans, syndiquée CFDT depuis4 ans, élue du personnel).

« Bon, moi, par exemple, je te dirais, FO ça c’est des mecs qui me font vomir mais je ne pourrais paste dire pourquoi exactement. Je n’aime pas ce syndicat. Parce que c'est mi-chèvre, mi-chou, je saispas où ils sont, ceux-là. Tu vois ? Je sais qu’il y a des trotskistes... à mon avis, il y aussi des fachos, ycompris la SNCF. Donc je n’aime pas » (homme, cadre dans une grosse entreprise de transport, 45ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans, secrétaire général du syndicat)

41

D’autres formes d’action syndicales sont également dénoncées pour leur orientationcorporatiste, particulièrement dans le secteur public. Par contraste, choisir la CFDT c’estavant tout opter pour un syndicalisme général, dégagé des revendications strictementcatégorielles. De même, les salariés peuvent choisir la CFDT car il s’agit d’un syndicatconfédéré et représentatif donc habilité à négocier au plan national, avec un certain degréde structuration et de contrôle sur ses modes de fonctionnement.

« Bien avant d’être à la CFDT, quand tu passes à l’IUFM, on te propose le package avec le syndicatd’enseignants (UNSA éducation aujourd’hui), la Mutuelle…., j’ai pris le pack complet mais je n’aijamais fait de démarche syndicale, je l’ai pris par sécurité. J’y suis resté 2-3 ans, c’est un syndicatétriqué ne représentant que les enseignants et ne défendant qu’eux, j’ai arrêté, ça m’ennuyait. »(femme, institutrice, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, conseillère fédérale)

« De ma personnalité, je ne sais pas faire seul, je crois à l’individu mais au sein d’un collectif, lecollectif doit contribuer à l’émancipation de l’individu, ce n’est pas le corporatisme si il y a prise encompte de revendications catégorielles comme les problématiques de grades qui sont présentes maison parle aussi du syndicalisme de transformation sociale et de comment on peut peser sur la société,ce qui compte c’est l’intégration dans un schéma d’ensemble. Au regard des positions politiques quel’on défend, l’intérêt général, le collectif, inscrire les objectifs dans un système confédéré sans nier lecôté professionnel. Le fait que le militant n’est pas inféodé au niveau politique et qu’il doit êtrereconnu au même titre qu’un militant politique. Il doit être force de proposition, participer au débatde société, faire progresser la solidarité. Le fait d’être structuré au niveau départemental et passeulement au niveau des entreprises ça permet la prise en compte des dimensions territoriales, espritd’ouverture et de collectif » (homme, ouvrier d’entretien dans une collectivité locale, 38 ans, syndiquéCFDT depuis 6 ans, secrétaire fédéral)

« Je voyais que Sud nous avait permis de fédérer des gens, mais quand t’as un plan social, t’as desfractures qui se créent dans l’entreprise entre ceux qui partent et ceux qui restent. Et dans ceux quirestent, qu’est-ce qu’a fait la direction et qui est peut-être tout à fait possible avec un syndicat commeSud, elle a commencé à acheter les uns, les autres. Et donc je me suis retrouvée avec des gens au seinde ce syndicat Sud qui visiblement roulaient pour la direction suite à des promotions internes, destrucs habituels. A Sud moi je les avais prévenus, je leur avais dit « voilà ce qui se passe, ce syndicatje ne le tiens plus, les gens qui sont dedans restent adhérents uniquement pour pouvoir présenter deslistes électorales de soutien à la direction » et ils ont pas bougé, ils m’ont dit « c’est votre problème »,c'est-à-dire il y a pas de structure de soutien. En plus de ça, alors autre problème qui se posait, c’estqu’à ce moment-là on avait eu une dénonciation de la Convention Collective Édition de la part desemployeurs, pour la revoir à la baisse, or Sud n’est pas du tout un syndicat national et moi je voulaisêtre dans un syndicat qui négocie, enfin qui soit là pour cette bataille-là. C’était une batailleimportante dans l’édition la convention collective » (femme, éditrice, 48 ans, syndiquée CFDT depuis10 ans, déléguée syndicale)

4.2. Logiques de situation et quête de représentativité

Au-delà de ce choix par la négative, le recours à la CFDT est aussi lié à des logiques desituation35 et notamment à la présence majoritaire de l’organisation sur un territoire, unsecteur d’activité ou dans l’entreprise. Dans le cas des salariés des TPE-PME, le choix del’organisation syndicale est ainsi principalement dicté par l’implantation territoriale de laCFDT dans le bassin d’emploi qui contribue à une forte visibilité (et une bonne réputation)de l’organisation auprès des salariés comme des employeurs. Cela dit, les militantsévoquent également le caractère aléatoire et fortuit de leur « choix » : l’ordre alphabétiqued’un annuaire, la présence d’un militant au téléphone, une rencontre….

« Il n’y a que la CFDT ici, c’est le seul que l’on a trouvé » (femme, ouvrière textile, 32 ans, syndiquéeCFDT depuis 4 ans, secrétaire adjointe du syndicat)

35 COLLOVALD A, MATHIEU L., op.cit.

42

« Mon père étant à la CGT, j’ai appelé la CGT. Je ne connaissais que ce syndicat. Il n’y avaitpersonne au bout du fil. À la suite, j’ai appelé la CFDT. J’ai pris le premier qui vient dans l’annuairedu CHU. Pour moi, c’était un syndicat, point. Je ne faisais aucune différence entre les différentssyndicats» (femme, aide soignante, 38 ans, syndiquée CFDT depuis 7 ans, déléguée du personnel).

D’autres militants évoquent le fait que la CFDT soit présente et active dans leur secteurd’activité, ce qui n’est pas forcément le cas des autres organisations syndicales. De lamême manière, la présence majoritaire de la CFDT dans l’entreprise oriente le choix dessalariés. L’identification de l’action de la section – et de ses résultats – joue un rôle décisifdans le choix de s’investir ou non dans le collectif CFDT. S’il s’agit d’influencer lesdécisions de l’employeur, autant opter pour une organisation qui « pèse ».

« Moi j’ai pris la CFDT car le peu de représentativité qu’il pouvait y avoir dans la pub c’était laCFDT. Et puis moi ce qui m’a plu surtout c’est de voir qu’ils avaient un syndicat dans ce secteur-là,dans la nouvelle économie » (homme, cadre dans le secteur de la publicité, syndiqué CFDT depuis 2ans, mandaté RTT)

Inversement, le choix d’une organisation syndicale peut aussi être dicté par une tactiqueopportuniste, visant à contourner les représentants syndicaux en place en introduisant unnouvel acteur dans le « jeu ». Ce souhait d’ouvrir un nouvel espace d’opportunité estsouvent lié à la perspective d’un renouvellement générationnel et à la volonté detransformer les pratiques syndicales en place.

« Pour être honnête je te dirais la sociologie des trois syndicats, qui étaient les trois dirigés par desingénieurs, enfin les deux syndicats historiques étaient dirigés par des ingénieurs, des gens je diraisraisonnables. La grosse différence qu’il y a eu, nous on a créé notre syndicat, il y a eu un effetgénérationnel, c'est-à-dire qu’on avait tous autour de 29, 30 ans, jusqu’à 35 ans quoi. Alors que lesautres syndicats avaient plus de 35, il y avait un effet générationnel » (homme, ingénieur dans unepetite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

« La CGT était majoritaire, si j’avais voulu des mandats, il aurait fallu que j’attende longtemps, laCFDT c’était le petit syndicat, il y avait tout à faire » (homme, projectionniste, 35 ans, syndiquéCFDT depuis 4 ans, délégué du personnel)

Enfin et surtout, les militants justifient plus globalement le choix de la CFDT par desconsidérations « sociologiques ». La recherche d’une représentativité de l’action syndicaledans l’entreprise invite les militants à choisir une organisation qui peut être perçue commecompatible avec les caractéristiques socio-professionnelles des salariés. Là encore le jeu dedes images associées aux différentes organisations (et à leurs représentants) entre en lignede compte. La CFDT semble être une « évidence » dans les milieux professionnels avecune forte proportion d’agents de maîtrise et cadres.

« Sur le milieu où je suis la CFDT c’est peut-être ce qu’il y a de plus efficace sans tomber dans laCFTC ou la CGC. Les syndicats de cadre en général sont trop directeurs, enfin trop près desdirecteurs » (homme, informaticien dans une petite entreprise du secteur internet, 31 ans, syndiquéCFDT depuis 2 ans, délégué syndical)

« Mes amis qui font de la politique disent : « Mais qu’est-ce que tu fais franchement à la CFDT ? ».D’un autre côté, si je veux faire passer des idées dans l’entreprise et dans des services commerciauxde management, je pense que la CFDT est une sorte de consensus. Je ne sais pas. C'est déjà plusfacile parce que sinon c'est trop brutal. Déjà tu es catégorisé parce que tu es syndiqué. Cela a un côtéassez révolu, un peu comme l’Ovni. Pour discuter avec des gens qui ont plutôt une philosophie assezlibérale, c'est déjà plus facile. » (homme, cadre commercial dans une entreprise de presseprofessionnelle, 33 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, élu au comité d’entreprise).

43

« Pour moi c’était une évidence de par la sociologie de la Chambre de Commerce, avec une très forteproportion de maîtrise et cadre. La CGC, trop corporatiste, hors de question, la CGT, un attachementcommuniste qui ne m’intéresse pas, c’était la CFDT ou rien » (femme, cadre territoriale, 39 ans,syndiquée CFDT depuis 8 ans, permanente dans une union régionale).

De même, le choix de la CFDT renvoie au degré d’acceptabilité de l’action syndicale dansl’entreprise. Le type de syndicalisme proposé par la CFDT apparaît adapté et « pertinent »dans des univers de travail où les relations sociales sont plutôt consensuelles, où laproximité entre l’employeur et les salariés est forte. Le risque d’une action sociale« inadaptée » car trop dure et trop frontale est en effet de casser le mode de régulationsocial existant, sans réussir à construire autre chose.

« Non parce que moi je ne voulais pas rentrer, parce que c’est une petite boîte, j’ai pas une culture delutte syndicale d’antagonisme je dirais. J’ai plutôt une culture d’entreprise où il y a vraiment dudialogue avec la direction et on essaie de mettre des choses en place ensemble et c’était le syndicatqui paraissait le plus proche de ça, voilà. L’efficacité par rapport au milieu où je suis, par rapport àl’entreprise. Une entreprise il n’y a pas non plus un antagonisme tout le temps entre les salariés et ladirection. On vit ensemble, on bosse ensemble, donc quelque part l’efficacité d’un syndicat pour moic’est que ça vienne pas non plus mettre du sable dans les engrenages, c’est plutôt de l’huile que jeveux, c’est pas du sable. Donc quelque part, moi le syndicat c’est pas quelque chose qui vient détruireun fonctionnement, c’est quelque chose qui vient améliorer un fonctionnement. Une culturesyndicaliste type CGT, FO ou la CNT qui sont sur des cultures dures dans une entreprise comme lanôtre où mine de rien la proximité de formation entre la direction et les salariés elle apporteénormément au fait que ça se passe bien. Si on vient avec un syndicat dur, ça fout tout en l’air quoi.Alors effectivement c’est l’efficacité derrière, mais c’est plus dans le sens « mieux vivreensemble » (homme, informaticien dans une petite entreprise du secteur internet, 31 ans, syndiquéCFDT depuis 2 ans, délégué syndical)

« Mon objectif c'est de développer le syndicalisme. Je ne vais pas aller à l’organisation où il y a peut-être quelque chose d’affectif qui joue fort. Mais je vais plutôt aller sur une organisation qui ne faitpas peur à la direction. Je préfère aller là où je ne fais pas peur et puis du coup me permettre detemps en temps d’être rigoureux ou radical sur des sujets, si j’estime qu’il faut le faire. Mais comme ily a cette espèce d’aura « La CFDT elle ne fait pas peur et eux ils discutent », je trouve que c'estintéressant, parce que c'est plus compliqué pour un patron quand il discute : tu es CFDT mais enmême temps tu es exigeant. Je trouve cela intéressant, alors que CGT, c'est le repoussoir » (homme,cadre dans une grosse entreprise de transport, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans, secrétairegénéral du syndicat)

4.3. Le choix de la CFDT : un syndicalisme constructif

Une des clés de compréhension du choix de la CFDT renvoie donc à l’identification par lessalariés d’une acceptabilité possible de l’action syndicale dans leur univers de travail. Or,le type de syndicalisme proposé par la CFDT apparaît recevable pour des salariés (etparfois des employeurs) qui défendent une approche constructive et réformiste de l’actionsyndicale. L’univers sémantique associé à la CFDT recouvre en effet des notionsétroitement liées à la posture contractuelle de l’organisation - « négociation »,« proposition », « dialogue », « discussion », « constructif » - mais également à sonengagement réformiste - « syndicat intelligent », « raisonnable ». La CFDT est perçuecomme un syndicat compréhensif qui tente de rapprocher les points de vue et de trouver uncompromis, plutôt que d’opter pour la manière forte et « antagoniste ».

« La CFDT ne revendique pas pour revendiquer, revendiquer des choses plausibles et justes,envisageables, les deux (patrons, salariés) doivent aller dans le même sens » (homme, ouvrier dansune petite entreprise agro-alimentaire, 44 ans, syndiqué CFDT depuis 5 ans, mandaté RTT puisdélégué du personnel)

44

« Ce qui me plaît le plus, c’est le fait de proposer les choses, c’est-à-dire d’être réaliste, d’êtrepragmatique, d’analyser un environnement, avec tous les éléments que ça comporte. Et ce qui meplaît le plus, c’est que quand on n’est pas d’accord, on n’est pas d’accord, on le dit, et en plus, etsurtout, on propose quelque chose. Et on prend nos responsabilités, et on peut prendre toute la placequ’on doit avoir. Y compris sur des dossiers, où à la fois le patronat, et même l’opinion publique, nenous attendent pas forcément. Je le vois surtout au travers des questions économiques. C’est un trucoù on dit : les organisations syndicales n’ont rien à voir là-dedans, elles n’ont rien à dire. Et bien si,on a quelque chose à dire. Donc dès qu’on peut prendre notre place pour dire les choses, on le dit. Eton a une certaine compétence qui nous permet de le faire. Je pense que c’est une organisation qui estcompétente, et sa principale qualité, c’est d’être force de proposition » (femme, secrétaire fédérale,32 ans, syndiquée à la CFDT depuis 8 ans)

« Les idées CFDT, c'est-à-dire ce n’est pas forcément tout refuser, c’est réfléchir pour proposer, agir.Tu vois, c’est des axes. Ça j’aime bien parce que tu réfléchis sur tous les grands problèmes del’entreprise, même du monde, de la société pourquoi pas et plus concrètement de l’entreprise, parcequ’il faut aussi penser à l’entreprise. Tu proposes quand la Direction parce qu’en ce moment toutesles entreprises réforment, proposent, donc tu proposes. Si t’es pas d'accord c’est bien, mais tuproposes derrière. Pourquoi t’es pas d'accord ? Déjà tu dis pourquoi t’es pas d'accord et tu dis ceque tu veux, ce que tu proposes. Ce que ne font pas les autres syndicats, parce qu’il y en a qui refusenttout le temps » (homme, cadre dans une grande entreprise publique de transport, 35 ans, syndiquéCFDT depuis 3 ans, délégué syndical)

« A ce moment là l’organisation a été reconnue comme une organisation responsable qui savaitorganiser les salariés et dont le principal objectif n’est pas de régler des comptes politiques mais defaire avancer le droit des agents » (femme, infirmière, 33 ans, syndiquée CFDT depuis 13 ans,permanente à l’union départementale).

Par ailleurs, la dimension revendicative ne passe pas systématiquement par le conflit. Lesmilitants cherchent avant tout à tisser des relations de négociation en intégrantpartiellement la rationalité de l’employeur et celles des salariés. Le conflit est le plussouvent présenté comme un ultime recours, comme le montre l’exemple d’un échangeentre des délégués syndicaux ci-dessous (échange recueilli au cours d’une séanced’observation dans une entreprise)

A la demande d’un salarié, une réunion s’organise entre DP CFDT et DP FO. On nous explique la situation :les Télé Opérateurs (TO) experts ont une prime horaire insuffisante par rapport aux autres TO, par ailleurs ilsn’ont pas un statut reconnu parmi les autres sociétés de centre d’appel ….

C’est Laurence, DP CFDT, qui anime la réunion de façon très organisée : « nous allons écouter vosrevendications, ensuite on discutera de stratégie face au patron ».

Le salarié TO : « on a comparé nos feuilles de salaires et on comprend pas … on veut une augmentation denotre prime et qu’elle soit intégrée … »DPCFDT : « OK, donc vous voulez passer de 3.5 à 5 F de prime et pour le statut, vous avez des idée determe ? »Le salarié TO : « assistant plateau …. »DP FO : « on n’est pas là pour ça, (le ton monte), ça fait des mois qu’on demande maintenant y’en a marre,vous vous êtes trop conciliant avec le patron »DP CFDT : « non mais l’objectif, c’est de trouver un moyen pour s’en sortir »DP FO : « les revendications, c’est toujours les mêmes »DP CFDT : « oui, mais la reconnaissance comme ça, ça veut rien dire, le patron n’acceptera pas, il faut luifaire des propositions »DS CFDT : « il s’agit pas de se faire la guerre (il essaye de faire le médiateur) »DP FO : « oui, mais le terrain est tendu, ils craquent (les TO) ils en ont marre »DP CFDT : « un patron, ça marche pas comme ça »DP FO : « oui, mais aujourd’hui on peut plus discuter »

45

Le DS CFDT reprend la parole et propose une menace de grève : « on débrayera d’abord tout doucement,puis comme vous êtes amenés à bloquer le système, vous aurez facilement des réponses. C’est pas trop dansmes habitudes, mais si rien n’a changé … »Accord de tous

DP CFDT : « y’a qu’à débrayer pour faire chier »DP FO : « mon délégué m’a dit la même chose »Le salarié TO : « il y a aussi les reprises d’appel quand on est en pause ….. »DP CFDT : « là c’est pas normal, quand on est dans notre droit, il faut être ferme, faut pas se laisser faire »

L’échange revient sur la grève

DS CFDT : « d’abord, tu fais une lettre « nous sommes au regret de ….menace pour le …. » je pense qu’ilva bouger. On est d’accord que ça vous fait chier tous les jours, que c’est plus tenable ? alors il faut y aller. »

La discussion revient sur le nom du nouveau statut :

DP CFDT : « il faudrait qu’on lui donne un terme (au patron) »DP FO : « téléconseiller expert »DP CFDT : « on arrivera à quelque chose, si on dit assistant plateau »DP FO : « oui, mais il faut quelque chose qui mette en valeur la responsabilité »DP CFDT : » excuse moi de m’être emportée tout à l’heure »

La DP CFDT résume toutes les revendications qui ont été formulées et organise la répartition de la diffusiondes infos avec le DP FO.

En ce sens, le choix de la CFDT révèle l’attachement des salariés pour leur insertionprofessionnelle et la survie de leur entreprise. Il s’agit de mettre l’action syndicale auservice de leur situation professionnelle (et celles de leurs collègues) dans une visée deréparation et d’amélioration. Le leitmotiv d’un militantisme responsable à la recherche derésultats tangibles sur le travail (des choix, des actes) entre en résonance avec la trajectoiresocioprofessionnelle des militants, qui bien que parfois contrariée, présente un souhaitaffiché d’intégration sociale et professionnelle. Poussés par la dégradation des conditionsde mise au travail, les militants cédétistes tentent donc d’articuler syndicalisme et travail,sans les opposer. Cette visée d’intégration professionnelle est particulièrement sensiblechez les cadres qui trouvent dans le syndicalisme une autre manière d’être acteur de leurenvironnement de travail et de participer à la vie sociale et économique de l’entreprise.Dans le secteur privé notamment, ce syndicalisme « de régulation36 » semble prendre unpoids tangible, notamment par le biais du comité d’entreprise. Les attributionséconomiques des élus n’ont eu de cesse de se développer37 et les contextes desyndicalisation marqués par les fusions et les plans sociaux sollicitent particulièrementcette instance. Cela dit, si les salariées identifient la CFDT sur sa posture contractuelle etson projet réformiste, les positions de l’organisation sont souvent méconnues.

« Je ne connais pas les positions de la CFDT, c’est le flou artistique, il me faudrait un fascicule, çafait moderne quand je lis les articles de CFDT Magazine » (femme, vendeuse en boulangerieartisanale, 29 ans, syndiquée CFDT depuis 1 an, mandatée RTT).

36 GROUX G., op.cit.37 GUILLAUME C., MOURET B., « Les élus de comités d’entreprise : de l’institutionnalisation à laprofessionnalisation ? », Revue de l’IRES, vol.44, n°1, 2004.

46

Quelques exceptions sont toutefois notables, en particulier pour les militants les plusengagées politiquement ou les fils et filles de militants. Ainsi, cette jeune professeurexplique les raisons de son choix pour la CFDT.

« Je suis née dedans, donc je savais que ça ne serait pas un autre syndicat. Ça, c'était clair. Lesvaleurs, je les connais. Et puis bon, tous les problèmes, les retraites et compagnie, ce n'était pas desproblèmes pour moi, puisque mon père était dans l’équipe. Donc ce qu’on appelait le recentrage etles valeurs, je les ai vus, même si j’étais petite, mais j’ai grandi avec ça. Donc, après, j’ai un peu plusdigéré l’histoire, je me suis un peu plus penché quand j’ai été davantage impliquée » (femme,professeur, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, secrétaire fédérale)

D’autres militants, souvent plus âgés et avec des référents politiques plus affirmés fontréférence à l’histoire de la l’organisation et notamment à son passé autogestionnaire.

« Je pense que ce qui m’a plu à la CFDT, c'est aussi quand même des références un peu mythiques,l’autogestion. Ce qui m’a aussi plu c'est cette dimension un peu libertaire par rapport à d’autresorganisations où en fait tu attends la consigne qui tombe. D’ailleurs c'est pour cela que je réponds àla question sur la CFDT aujourd’hui. C'est aussi parce que l’état, il faut le dire, de délabrement dusyndicalisme fait que si tu as envie de faire des choses, tu peux en faire, tu as de la place pour enfaire. Si tu es à la CFDT c'est encore plus facile qu’ailleurs. Ceci avec quand même des références, situ veux, un projet un peu construit, un syndicalisme qui certes envisage des rapports de force, maisaussi une logique de contribution et de proposition » (homme, cadre dans une grosse entreprise detransport, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans, secrétaire général du syndicat)

Plus récemment, l’engagement de la CFDT dans le chantier de la réduction du temps detravail lui a permis de gagner en visibilité auprès des employeurs comme des salariés. Plusque toutes les autres organisations syndicales, la CFDT s’est emparée du chantier de laréduction du temps de travail, dès l’époque de la loi de Robien et des premiers accordsAubry.

« Je n’avais pas étudié l’histoire de la CFDT. Je savais que la CFDT portait les 35 heures depuisquelques années, mais comme des syndicats portent. Je dirais pour moi les 35 heures ça a quandmême été, quand le parti socialiste est arrivé, qu’il les a mis en place. Les 35 heures étaient pour moibeaucoup plus associées à Martine Aubry qu’à la CFDT » (homme, ingénieur dans une petiteentreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

D’autres valeurs plus générales identifiées comme propres à la CFDT sont égalementmentionnées mais de manière plus diffuse : la solidarité, l’émancipation, la défense duservice public et le refus des discriminations.

« La CFDT ça a été … c’est bien le choix que j’aurai fait y compris sur des valeurs d’émancipation,de solidarité » (femme, agent administratif, 40 ans, syndiquée à la CFDT depuis 10 ans, élue dupersonnel).

« Notre valeur motrice ? La notion de service public, le service rendu au public, on est à la dispositiondu public ; Ne pas faire de différence dans le public qui s’adresse à la mairie. J’ai déjà refusé undossier de quelqu’un qui tenait des propos racistes. On est la seule organisation à défendre cela, lesautres ne font que défendre le statut, ils n’ont même pas conscience de la notion de service public »(femme, cadre territoriale, 39 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, permanente dans une unionrégionale).

Enfin, la personnalité de Nicole Notat a attiré un certain nombre de nouveaux militants,notamment des femmes. Elle a, semble-t-il, incarné la marque d’un changement significatifpar rapport aux formes d’action syndicale plus anciennes et les militants retiennent souventl’image d’une femme courageuse qui n’a pas faillit à ses convictions dans un contextesocial et politique difficile.

47

« C’est avant tout la personnalité de Nicole Notat, son positionnement d’indépendance par rapportaux partis politiques. Elle a apporté énormément à l’organisation , elle était claire sur les positions del’organisation, lisibilité des grandes lignes, pas d’ambiguïté » (femme, assistante sociale dans unecollectivité territoriale, 36 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, secrétaire générale adjointe dusyndicat) ».

4.4. La médiation d’une personne : le syndicalisme en actes

Si les militants ont une connaissance hétérogène du projet et des valeurs de l’organisation,le lien à l’organisation syndicale passe toujours par la relation interpersonnelle avec unepersonne engagée syndicalement (un élu, un militant, un adhérent). Ces résultats rejoignentceux d’une étude récente sur les adhérents CFDT mettant en exergue la force des liensfaibles38, c’est-à-dire interpersonnels. Parfois, les salariés ne connaissent pasl’appartenance syndicale de cette personne, mais cette relation permet non seulement dedémythifier/dédramatiser le syndicalisme tout en le rendant plus familier et plus tangible.Cette relation de confiance est indispensable - pour ne pas dire incontournable - pour fairele pas vers l’adhésion. Les militants ont besoin d’être accompagnés dans cette phaseinitiale d’engagement. Les qualités de cette personne sont nombreuses et assezrécurrentes : écoute, proximité, patience, disponibilité, réalisme, accompagnement…

« J’avais entendu parler des avancées sociales dans l’entreprise, je me demandais qui négociait toutça. C’est aussi une question de personne, pas d’idéologie, quelqu’un qui a une prestance, qui m’aécouté, il était conscient des problèmes depuis longtemps, nos démarches se sont rencontrées, je mesuis senti moins seul, je suis devenu DP » (homme, employé dans une grosse entreprise d’énergie, 28ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, délégué du personnel).

« Nous on a des permanents qui sont à l’écoute des salariés, on ne va pas de but en blanc à la grève,on cherche à négocier, parler avec l'employeur et quand on va négocier on est pas d'entréecontre...De rencontrer les employeurs et de négocier c’est un atout, ils se sont mis dans la tête quemaintenant il y a quelqu’un à temps plein pour le bâtiment, ça favorise les arrangements à l’amiable,le but n’est pas d’aller aux prud’hommes, on obtient moins mais on a pas à retourner dans la boite età être en guerre avec le patron » (femme, ouvrière textile, 32 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans,secrétaire adjointe du syndicat)

« J’ai été voir la CFDT pour une assistance à l’entretien préalable. Je suis allé à la Mairie, j’aidemandé la liste des conseillers du salarié avec leur étiquettes, ensuite tu appelles, les personnes sontdisponibles ou pas La personne a pris le temps de m’écouter, de me rassurer, d’avoir envie de sebattre, elle n’a pas pu m’assister mais elle m’a envoyé quelqu’un d’autre. J’ai été bien accueillie etbien orientée. Le premier jour où j’ai mis les pieds à l’union départementale, on m’a dit tu es là cheztoi, tu viens quand tu veux. On ne m’a pas imposé la CFDT, le conseiller juridique m’a expliqué lesvaleurs au nom des droits de l’homme, l’émancipation, le collectif, la démocratie, la solidarité : jet’aide aujourd’hui et peut être que c’est toi qui m’aidera demain. Cette personne reste une référence,il fait ça sur du temps bénévole, du militantisme avec un grand M » (femme, architecte, 30 ans,syndiquée CFDT depuis 3 ans, développeuse régionale).

Plus généralement, le militant CFDT doit faire preuve d’une rectitude morale avérée, tantsur le plan de l’honnêteté que de la transparence des pratiques et du respect des individus.

« Martine a une vision alors, collective dans le sens où quand on mène une action on le fait de façonouverte, transparente, auprès de tout le monde, en discutant avec tout le monde, en prenant l’avis detout le monde, enfin en essayant de mobiliser. Ça ressemble pas du tout à ce que faisait par exemplecelui qui était ripou, qui avait le dogme du secret. Avec une vision aussi, enfin c’est elle qui nous aplus ou moins appris ça, mais construire un rapport de force avec la direction pour pouvoir l’amenerà négocier. Et puis vraiment le côté démocratique qui était fabuleux quoi. Ouais, elle n’est pas là

38 DURIEZ B., SAWICKI F., « Réseaux de sociabilité et adhésion syndicale », Politix, n°63/2003.

48

pour nous dire il faut faire ça et ça. Elle nous disait systématiquement il y a ça, il y a ça, il y a ça,voyez avec les salariés et dites ce que vous en pensez, c'est-à-dire qu’elle nous laissait pas le choix,elle nous incitait, elle nous invitait à en discuter avec les autres pour choisir ensemble, enfin tu vois.On avait bien, on avait l’explication des conséquences des choix et par la suite avec le nombred’actions, quand même on peut dire que ça a fait pas mal d’actions, on s’est rendu compte qu’elleavait raison, enfin elle avait une bonne vision de ce qui se passait (homme, technicien dans unesociété d’internet, 30 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, élu au comité d’entreprise)

On perçoit que les modalités de construction de cette légitimité sont spécifiques aucontexte de resyndicalisation après une longue période de baisse des adhésions et dans unclimat général peu favorable au développement du syndicalisme. Les exigences à l’égarddu militant de référence n’en sont que plus grandes. Il se doit d’être « exemplaire »syndicalement et professionnellement (quand il s’agit d’un collègue de travail).

« Et il y avait un cadre là-bas, sur Paris Austerlitz CFDT qui m’a démarché de façon intelligente.C’est un cadre qui montrait l’exemple déjà. Bah déjà par rapport à ce qu’il faisait, ses convictionsCFDT non seulement étaient écrites, dites, mais il le faisait lui-même, c'est-à-dire tout ce qui est -parce que chez nous il y a des éléments variables de solde pour certains agents, c'est-à-dire tout cequ’il y a en plus du salaire. Il y a des trucs fictifs pour arranger tout le monde, ce qui dépasse parrapport aux horaires tout ça. Lui il jouait pas ce jeu-là, il était clair dans l’unité qu’il dirigeait. Enplus dans l’unité qu’il dirigeait il y avait une certaine bonne ambiance, parce que tout était clair,quelqu’un qui était en difficulté il l’aidait, etc. même si ça lui a mis des bâtons dans les roues parrapport à son déroulement de carrière parce qu’il est assez droit, enfin il est très droit même. Il m’amontré le bon exemple. Moi j’étais en formation plus ou moins donc j’ai dit « écoute Patrick, on verraplus tard », c’était mon excuse en fait pour pas… Et puis à la fin quand c’était plus tard il a fallu queje prenne des décisions et puis bon son exemple tout le long des années m’a plu et donc je me suisintéressé un peu plus à la CFDT » (homme, cadre dans une grande entreprise publique de transport,35 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, délégué syndical)

« Je n’ai aucun regret d’avoir choisi la CFDT, au contraire. J’ai appris à découvrir la CFDT par lesgens qui y sont, par les formations, les échanges. Je me suis rendue compte qu’à la CGT, il n’y avaitjamais de formations. Chez FO, alors FO le syndicat « f-a-u-x ». En plus, aux équipages, on est unpeu un département de rebelles, il faut le savoir. Donc il y a tous les syndicats qui ont été représentés.Et chaque syndicat représente pour le département une image. Donc FO, le Syndicat faux. La CFTC,c’était celui qui prenait ses heures de délégation pour vaquer à ses occupations personnelles. L’imagede la CFDT est celle d’un syndicat, déjà, qui communique, et d’intégrité, en fait » (femme, membred’équipage dans une grande entreprise de transport, 36 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, élueCHSCT).

Cette légitimité ne sera toutefois acquise que s’il y a une démonstration concrète descapacités relationnelles de confiance. Cette confiance se construit en effet à travers lesrésultats concrets de l’action syndicale, dans l’accompagnement des salariés dans lesmoments difficiles et sur la durée. L’ancrage dans l’action, les résultats obtenus et lepragmatisme sont des critères de singularisation de l’action syndicale cédétiste. En cesens, les militants attendent du responsable une capacité à se mettre à leur place, àcomprendre la spécificité du contexte et à ne pas calquer des solutions toutes faites. LaCFDT est associée à des modes de fonctionnement souples, permettant l’invention desolutions et l’expérimentation. Surtout, la CFDT a ancré son action et sa réflexion auniveau des entreprises, en tentant de prendre en compte les spécificités de chacune et dedécliner les orientations syndicales nationales de manière ad hoc. Les responsables qui ontaccompagné le chantier RTT ne s’y trompent pas quand ils soulignent l’importance de nepas arriver avec des idées préconçues et des solutions toutes faites et de privilégier unedémarche pragmatique.

« Il faut faire gaffe aussi, cela nous permet de faire attention de ne pas venir toujours avec nos grossabots, avec des schémas arrêtés. Il ne fallait surtout pas y aller de toute façon avec un schéma arrêté

49

d’un certain nombre de choses ou d’a priori. Je crois que là-dessus, il faut essayer d’avoir un espritun peu en retrait. Si nous arrivons avec des a priori ou si nous pensons les choses de telle façon et quecela doit se construire de la façon dont on le conçoit, alors là, à mon avis c’est mort » (homme,permanent dans une union départementale en charge de l’accompagnement des mandatés RTT, 45ans).

« En termes de pratiques syndicales, je pense que ça a favorisé le développement d’une approchepragmatique, fondée sur l’expertise, et je ne suis pas sûr qu’ils emploieraient les mêmes termes quemoi. Mais je pense aussi que ça a développé le discernement. C'est-à-dire que quand on est sur dusur-mesure, il faut faire preuve d’un discernement dans le regard qu’on porte sur la situation. C'est-à-dire, ce qu’est une entreprise, pas seulement d’un point de vue activité, économie, c’est aussisociologique. On avait mis l’accent là-dessus, parce que j’ai oublié de dire que, dans notre démarche,on ne l’a pas généralisée, mais notamment, là où on avait des équipes CFDT, on avait élaboré unpetit questionnaire rapide à remplir, qui était diffusé aux salariés, ceux-ci devaient le remplir avantl’ouverture de la négociation sur la RTT. On sentait bien que, selon la sociologie de l’entreprise,selon qu’on avait à faire à des jeunes, à des vieux, à des femmes, à des hommes, les réponses n’étaientpas les mêmes. On voyait bien les attentes en fonction de la sociologie de l’entreprise. Et ça, je croisque ça a ouvert un peu les yeux en disant : « Attention, il ne faut pas se pointer avec des mesuresqu’on applique comme ça ». Je pense que ça a éclairé en termes de pratiques» (homme, permanentdans une union départementale en charge de l’accompagnement des mandatés RTT, 50 ans).

Le « bon militant » n’est donc pas uniquement doté de capacités d’écoute et d’empathie,mais il est également compétent et capable d’obtenir des résultats pour les salariés.

« Et finalement, j’ai été à la CFDT, non pas pour la CFDT, mais pour Martine en fait, enfin pas pourelle, mais parce que c’était une source d’informations, de compétences dont on ne pouvait pas sepasser, d’action, enfin c’était vraiment… On l’appelle n’importe quand elle est dispo, en plus elle estcalée sur le plan juridique, parce que depuis j’ai rencontré d’autres personnes qui savent pasforcément de quoi ils parlent. Ils sont plein de bonne volonté mais… donc elle est calée sur le planjuridique, elle est claire, enfin je veux dire… donc c’est pour Martine que j’ai été à la CFDT. Etdepuis j’ai une opinion différente, je ne sais pas si la CFDT est plus de droite et de gauche, en toutcas, l’impression que j’ai c’est que quelque soit le syndicat, on a à faire à des individus et que elle, entant qu’individu, je la trouve particulièrement efficace. Et puis elle répond vraiment aux attentes et àla vision que j’ai de l’action syndicale et collective dans les entreprises » (homme, technicien dansune entreprise d’internet, 30 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans , élu au comité d’entreprise)

« La personne que j’ai rencontrée au début était vraiment attentive, il écoutait vraiment, il a euconscience qu’on était dans l’urgence et qu’on attendait quelque chose, il a les compétences » (agentde gestion, 36 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans).

Le choix de l’organisation syndicale se fait prioritairement par exclusion d’autres formesd’action syndicale perçues avant tout comme contestataires, dogmatiques, fortementaffiliées sur le plan des idées politiques et indissociables d’un engagement ouvriériste etmasculin. En ce sens, la CFDT qui contraste en de nombreux points avec cet héritagesyndical est très certainement favorable à l’engagement des femmes et des jeunes (et despopulations plus qualifiées), d’autant que les identifiants généraux associés à l’organisationsyndicale sont avant tout ceux de la négociation, de la recherche d’accord et de compromis,du pragmatisme, avec une forte composante relationnelle incarnée par la notion dedialogue. Ce syndicalisme « intelligent » qui tente de faire la part des choses, tout enadoptant une posture compréhensive et la recherche de solutions acceptables pour tous esttrès porteur pour les nouveaux militants qui « s’y retrouvent ». En d’autres termes, le choixde la CFDT est d’abord et avant tout lié à une certaine conception du rapport à l’autre -l’employeur, les salariés, le militant syndical – qui va irriguer les pratiques syndicales desmilitants cédétistes et donner un sens profond et inaliénable à leur engagement.L’engagement syndical comme l’engagement politique est indissociable d’une forme desollicitation, davantage ancré dans l’univers de travail que l’entourage familial pour ce qui

50

concerne le syndicalisme39. Cet ancrage relationnel surdétermine l’entrée en militance etminore les choix ouvertement idéologiques. Les modes traditionnels d’action politiquemettant en avant les différences partisanes et les combats idéologiques ont de fait peud’écho chez une population jeune et plus féminisée, qui à quelques exceptions a une faibleculture politique.

5. PREMIERS MANDATS ET VIE SYNDICALE DANS L’ENTREPRISE

Les chemins qui mènent à l’adhésion sont à la fois hétérogènes et fortement orientés pardes dispositions biographiques et des circonstances organisationnelles particulières - descontextes d’engagement - qui déterminent en partie non seulement le choix del’organisation syndicale mais également le moment de l’engagement. Pour autant, cetteadhésion - rarement fortuite et liée à un faisceau de motivations - n’est pas nécessairementsuivie d’un investissement dans l’action syndicale de terrain. Comment comprendre quecertains salariés passent le pas de l’investissement militant alors qu’un certain nombred’entre eux viennent grossir le rang des adhérents, lesquels constituent une part majeure dutissu militant (un ratio de 1 militant pour 9 adhérents est un chiffre raisonnable même sil’organisation ne dénombre pas ses militants de manière précise) ?

5.1. L’intensité de la vie syndicale, l’espace d’opportunité

Au-delà des qualités du militant référent, l’un des facteurs explicatifs du passage del’adhésion à la participation, tient dans l’existence d’un mode de fonctionnement collectiflocal permettant à l’adhérent de trouver progressivement sa place. Le caractère ouvert etaccueillant de l’équipe en place, l’intensité de la vie syndicale de section et l’horizontalitédes modes relationnels facilitent le passage à l’acte. La dynamique collective garantit ou aucontraire invalide la fidélisation de l’engagement et le degré de participation des militants.La convivialité et les liens informels au sein du collectif sont déterminants dans le souhaitde s’investir et d’être acteur.

« J’ai eu de la chance avec les gens que j’ai rencontré : chaleur, patience. Je n’aurais peut être paseu cet engagement dans un autre département, c’est le petit truc déclencheur » (femme, institutrice,42 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, conseillère fédérale).

« J’ai dit pourquoi je voulais arrêter donc ils m’ont laissée partir sans aucun reproche. C’est ça quej’ai apprécié. C’est que j’ai pu m’éloigner mais quand j’ai voulu revenir, j’ai retrouvé ma place sanssouci. C’est vrai qu’il y a un noyau, mais vu que nous travaillons énormément en collectif, tout lemonde a sa place. Il n’y a jamais eu de hiérarchie dans la section » (femme, employée administrative,28 ans, syndiquée CFDT depuis 2 ans, élue du personnel)

De ce point de vue, l’action syndicale de terrain se nourrit souvent d’une dynamique detype communautaire, favorisant des liens affectifs et étroits entre les membres de lasection. Cet entre soi et le sentiment d’appartenance à un collectif militant estparticulièrement visible dans les sections syndicales confrontées à la présence d’autresorganisations syndicales et/ou à un dialogue social tendu40. Le sentiment d’altéritécontribue au renforcement des identifications collectives. De même, dans bon nombre desections qui se créent ou qui se renouvèlent, on observe l’effet vertueux que produit la

39 DUBUIS C., «Les rétributions militantes à l’éclairage du genre. L’engagement politique de femmes Suissesà un niveau local », Communication au colloque Genre et Militantisme, Lausanne, novembre 2004.40 cf. thèse sur section locale Cadres CFDT, Castelot, Cahiers GDR Cadres n°7.

51

ressemblance entre les salariés et leurs représentants : les équipes syndicales jeunes attirentles jeunes salariés, et les équipes féminisées deviennent plus attractives pour les femmes.Renouvellement générationnel et féminisation vont cela dit souvent de pair.

« D’une certaine façon parce qu’on a construit très tôt un projet, mais il y avait vraiment une bandede jeunes qui s’est énormément impliquée, vraiment toute une bande, on était une bonne quinzaineautour de 30 ans, on est rendu dans le truc. Il y a pas de structure, donc on a pris tous les trucs. Onavait fait un projet, etc., d’une certaine façon on a complètement… » (homme, ingénieur dans unepetite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

Inversement, l’enquête témoigne aussi de cas d’adhérents isolés, confrontés à des contextesoppositionnels ou de non sollicitation par les anciens militants qui exercent une main misesur la section et freinent la participation des adhérents à la vie syndicale de terrain, maiségalement l’accès aux responsabilités syndicales dans l’entreprise.

« Par contre, après, pour le militantisme, je n’ai pas été sollicitée directement pendant pas mal detemps, parce que j’étais dans un bahut assez éloigné. Donc, j’avais peut-être eu des sollicitations, jepense, auxquelles je n’ai pas fait attention, mais uniquement des sollicitations papier en fait, descourriers, des invitations à des conseils syndicaux, des choses comme ça, mais aucun contact direct.Eh bon, ça ne dit pas grand chose. Quand tu démarres, tu ne sais pas trop comment c'est structuré,comment c'est organisé, ce qui va se faire, ce qui va se dire, donc je pense que sans sollicitationdirecte, sans truc un peu personnel, ça ne dit pas grand chose. Mais ça, je pense que ça vient aussi dufait que j’ai été géographiquement un peu excentrée et pas connue. Je participais quand il y avait desgrèves ou des manifs, des choses comme ça. Mais j’étais invitée une fois à un conseil syndical, à uneformation de base et je n’ai pas été sollicitée de nouveau par la suite, sauf au moment de ces électionset c'était assez tard. Et donc, là, j’ai accepté d’être sur la liste. Bon là du coup, j’étais intégrée à uneéquipe. Et ce qui explique aussi que du coup j’ai fait partie ensuite de l’équipe régionale et pas deséquipes départementales, puis de cette équipe qui a poussé à la régionalisation, puisque c'était monéquipe d’accueil en fait. C'était plus facile de faire sa place dans un truc qui était en construction quedans un truc qui était déjà fait, même s’ils étaient contents de voir des gens. Mais je pense que, poureux, ce n’était pas évident d’accueillir quelqu'un. Non pas qu’ils ne voulaient pas, mais tout bêtementcomme on le fait pour quelqu'un de l’extérieur pour lui expliquer comment ça marche, quelles sont lesactivités, quels sont les besoins. On essayait de voir ce qu’il pourrait ou qu’elle pourrait apporter. Jepense que ce n’était pas évident pour eux, parce qu’ils étaient déjà submergés de boulot et déjà dansun fonctionnement avec des gens qui étaient là depuis pas mal de temps. Bon, je pense que j’aurais pufaire d’autres choses, mais, je n'ai pas été beaucoup sollicitée, je n’ai pas été du tout sollicitée. C'est-à-dire que je pense qu’ils avaient dans l’idée que, de toute façon, ils avaient eu tellement de refusqu’ils étaient résignés à ne pas redemander. Donc une génération de militants un peu désabusés, etpuis ne sachant pas que moi j’étais prête à faire les trucs. Mais bon, je pense que c'est plus par peurde l’échec que les copains du département n’ont rien fait parce qu’ils auraient pu le faire. Parce quej’étais venue à une formation. J’ai assisté à un conseil syndical. Donc, je pense qu’ils auraient pu meresolliciter, mais qu’ils étaient déjà tellement dans l’idée qu’il y avait plein de gens qui refusaient. »(femme, professeur, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, secrétaire fédérale).

L’isolement peut aussi être lié à l’absence de collectif militant dans l’entreprise, du fait soitdu faible niveau de syndicalisation ou de l’éclatement des sites géographiques. De même,les salariés ayant adhéré individuellement suite à des difficultés professionnelles ou pournégocier le mandatement évoquent fréquemment l’absence de lieux d’investissement pourpérenniser leur engagement syndical. De manière générale, l’absence de fidélisation desadhérents tient principalement dans le déficit de liens organisationnels concrets tissés avecles personnes. Même si l’engagement est le plus souvent lié à un événement, la décisiond’adhérer et plus encore de s’engager est étroitement liée aux dispositifs organisationnelsmis en place par la CFDT. Parmi les facteurs facilitant, on note ainsi la présence d’uncollectif, le contexte de syndicalisation, l’accueil, la taille du collectif, la disponibilité, laqualité du relationnel du militant référent, la convivialité, l’horizontalité des échanges, lescompétences et les ressources mises à disposition des salariés, le champ d’action laissé.

52

Inversement, l’isolement, l’absence de collectif, la surcharge des militants et leur manquede disponibilité, la routinisation des pratiques, l’entre soi, le déficit d’information etl’absence de sollicitation sont des facteurs dissuasifs à la participation.

5.2. Un rôle d’interlocuteur légitime

Un certain nombre de militants se retrouvent aussi avec un mandat, par défaut decandidature et pénurie de candidats, mais aussi par la force des pressions exercées par lessalariés qui les désignent pour être leur représentant. Le rôle des élections professionnellesou de la vacance de pouvoir dans la concrétisation de l’engagement est alors central. Pourun nombre conséquent de militants, la prise de mandat apparaît comme une opportunitédont ils se saisissent par choix mais aussi par obligation. Le poids du regard des autres, lesouhait de ne pas laisser tomber le collectif, de ne pas « se défiler » devant lesresponsabilités engagées sont des motivations centrales dans l’accès des salariés auxmandats de représentation locaux, et notamment les plus politiques (délégué syndicale,secrétaire de comité d’entreprise). A ce stade de l’engagement syndical comme après, c’estbien le contexte d’engagement qui est déterminant, marqué notamment par la pénurie decandidats.

« Moi j’ai adhéré car j’étais enceinte et on a pas voulu m’augmenter, j’ai voulu monter une section etpuis chaise vide, on m’a dit il n’y a que toi qui peut être délégué syndical… » (femme, téléconseillère, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuse fédérale).

« Après je suis devenue élu CE/DP, et puis déléguée syndicale un an après, dans le comitéd’entreprise tout le monde disait il n’y a que toi à qui cette place revient, t’as le profil, j’ai la répliqueplus facile que les autres face à l’employeur, j’ai accepté » (femme, ouvrière textile, 42 ans, syndiquéeCFDT depuis 4 ans, développeuse régionale)

Cela dit, même dans un contexte de pénurie, l’acceptation du mandat n’est pas anodine.L’enquête sur les mandatés RTT41 a tenté de saisir les facteurs qui permettent d’expliquerle fait qu’une grande majorité de mandatés étaient en réalité des « volontaires désignés ».Dans bien des cas, les salariés avaient été sollicités personnellement par leur employeurpour représenter les salariés et négocier l’accord en leur nom. Simultanément, ils avaientégalement été poussés par leurs collègues.

« Moi je suis arrivé parce que, en route, parce qu'il y a eu une mini implosion sociale dansl'entreprise juste avant que j'arrive. Il y a eu des licenciements... il y a eu une tension socialeimportante et il manquait de journalistes et je pense que, quelque part, j'en suis pas sûr ils m'ontrecruté justement un peu pour, à cause de mon âge, peut-être, pour stabiliser un peu la situation. Etdonc, 1995, l'entreprise décolle vraiment bien, a des belles, de très bonnes perspectives. Arrive la loiRobien, donc, bon le thème des 35 heures était déjà dans l'air et finalement c'est mon employeur quim'a fait signe, il m'a dit « au fond la loi Robien, ça m'intéresse ». Dans le cadre offensif bien sur, pasdéfensif. Et donc, ça m'a conduit à me syndiquer pour signer un accord » (homme, journaliste, 60 ans,syndiqué CFDT depuis 4 ans, mandaté RTT puis délégué syndical)

« Ce qui m’a poussée … c’est les collègues ! … En fait parmi les collègues j’étais pratiquement dansles plus anciennes et beaucoup m’ont demandé de m’engager là dedans ! Ce que j’ai acceptéd’ailleurs » (femme, travailleuse sociale, 45 ans, syndiquée CFDT depuis 2 ans, mandatée RTT)

Paradoxalement, ce consensus autour de leur désignation n’étonne que partiellement lesmandatés qui ont conscience de leur rôle de « leader informel » dans l’entreprise. Celeadership vécu comme évident est d’abord et avant tout lié à une capacité de

41 GAUDEUL S, GUILLAUME C., op.cit.

53

représentation quotidienne des salariés, une aptitude à discuter avec le patron et à lui tenirtête si besoin. Cette fonction de leader est également liée à une certaine ancienneté dansl’entreprise qui confère une autorité reconnue et qui protège du « risque de carrière » induitpar la prise de mandat. Les mandatés sont ainsi souvent définis comme des salariés qui« sortent du lot », par leur charisme, leur forte personnalité, leur implication dansl’entreprise et souvent dans la société.

« Ce sont les salariés qui m’ont désignée d’office car je suis la plus ancienne dans la Société. Deplus, quand j’ai envie de dire quelque chose à mon Directeur, je le lui dis. A l’époque, je n’avais pasbesoin d’un comité d’entreprise pour m’exprimer. Je rentrais directement dans son bureau pourl’informer de ce qui n’allait pas. Je dois dire que j’ai toujours eu un langage assez libre et puisj’étais, entre guillemets, une grande gueule, je n’aimais pas me laisser faire » (femme, comptable, 50ans, syndiquée CFDT depuis 3 ans, mandatée RTT puis déléguée du personnel)

« Parmi les gens qui, traditionnellement, avaient des discussions au travers de la délégation unique, ils’avère qu’il existait une personne dont la personnalité émergeait depuis des années comme étant,non pas un leader exerçant un pouvoir mais un leader en terme de charisme. Quelqu’un quis’implique dans l’humanitaire, dans l’écologie, dans sa mairie, dans sa commune, dans l’entreprise,qui comprend les enjeux des syndicats, qui a la culture du compromis, qui fait partie d’un syndicatmixte de commune et voit très bien les intérêts convergents et divergents » (homme, patron d’unepetite entreprise du secteur automobile, 52 ans)

Du fait de leur position hiérarchique intermédiaire, les mandatés ont aussi des compétencesorganisationnelles et réglementaires que les autres salariés n’ont pas, en particulier dans lesentreprises qui emploient des ouvriers et des travailleurs faiblement qualifiés. Quandfonction de leadership informel et rang hiérarchique se superposent, la désignation dumandaté fait alors l’objet d’une approbation unanime, tant du côté des salariés que del’employeur.

« Le mandaté a une compétence technique, c’est-à-dire qu’il comprend bien le fonctionnement de cetype d’institutions. Il comprend bien ce qu’est une entreprise, il sait ce qu’est un syndicat, il a une viesociale très développée. Donc il a cette culture. Si nous avions dû le désigner de façon formalisée, ilserait sorti de l’urne exactement la même chose » (homme, patron d’une petite entreprise du secteurautomobile, 52 ans)

« En dehors de moi. Après ils se sont vus à part et ils ont décidé d'un commun accord de nommer unepersonne. Il s'avère que là la personne qu'ils ont choisie ça a été leur chef d'atelier qui était de monpoint de vue effectivement le leader hiérarchique et qui s'avérait être aussi le leader en termes dereprésentation du personnel. Ca aurait pu être un autre salarié puisqu'on a aussi d'autres fortespersonnalités dans l'entreprise, ça aurait pu être un autre salarié mais ça a été décidé autrement »(homme, directeur d’une association dans le champ du travail social, 55 ans)

Finalement, c’est bien souvent une logique de « compétence » qui prévaut dans le choix dumandaté, compétence qui est tacitement appréciée par l’employeur et par les salariés. Lecaractère très technique de la RTT a sans doute mis l’accent sur ces logiques de savoir-faire (juridiques, économiques et relationnels) tant du côté des mandatés que desaccompagnants syndicaux. Cela dit, si l’implication dans le mandatement se justifie par desproblèmes concrets liés à l’application de la réduction du temps de travail, l’acceptation dumandat est d’abord et avant tout liée à la reconnaissance pour soi et pour les autres d’uneposition particulière dans l’entreprise et à un sentiment de responsabilité des mandatés àl’égard des autres salariés, révélant l’attachement des mandatés à leur entreprise (et à sasurvie économique). L’acceptation de la désignation s’explique par le souci de permettreaux autres salariés de bénéficier d’une avancée sociale que les mandatés pensent êtrecapables de négocier avec l’employeur, compte tenu de la place qu’ils occupent dansl’entreprise (et de leur statut d’interlocuteur légitime). En dehors du cas du mandatement,

54

ce sentiment de responsabilité vis-à-vis des salariés est très fréquent chez les militants, etnotamment chez les cadres.

« L’impression que j’ai c’est que c’est mon idéalisme qui fait que je pense qu’il faut qu’il y ait unejustice, qu’on soit tous égaux, que le plus faible il doit avoir les moyens de se défendre, ces choses-làqui m’ont conduit à devenir… Mais aujourd’hui j’ai l’impression que je suis dedans, je suis dans lebain et c’est vrai que même si à des moments donnés j’ai envie de me dire « il faut que je me calme,que je pense un peu plus à ma vie de couple ou il faut que je pense un peu plus à ceci ou cela », il y ales événements et les individus qui comptent sur nous qu fait que rapidement, de toute façon, j’ail’impression que je suis impliqué maintenant et que je le fais parce qu’il y en a qui comptent sur moi àun moment donné et puis au fur et à mesure… Donc pourquoi je fais du syndicalisme, voilà je saispas, c’est lié à l’historique que j’ai eu et maintenant j’ai le sentiment qu’on compte sur moi et souventje suis sollicité donc je suis dedans » (homme, technicien dans une société d’internet, syndiqué CFDTdepuis 3 ans, élu au comité d’entreprise)

« Est projectionniste et chef d’équipe : dit ne pas vouloir monter dans la hiérarchie, je ne me sens pasleur supérieur même si je suis chef d’équipe, on ne peut pas être juge et partie, je me sens plusemployé que cadre, aujourd’hui entente parfaite, mes collègues sont des amis, on est une petiteéquipe, on s’entend bien. Je me suis senti investi d’une mission de défendre leurs positions » (homme,projectionniste, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, délégué du personnel)

5.3. L’activité syndicale comme travail

Le fait d’accepter un mandat est aussi étroitement lié au contenu de l’activité syndicaleproposée et au type de compétences requises. La technicité du mandat, et notamment lesdimensions juridiques et réglementaires, peuvent être dissuasives pour certains salariés, etnotamment des femmes42, qui préfèrent parfois des fonctions plus « ludiques » (etnécessitant des compétences organisationnelles acquises et construites dans l’espacedomestique) comme les commissions vacances ou loisirs du comité d’entreprise.

« Parce qu’il y avait des élections et qu’on m’a proposé de me présenter au comité d’entreprise, doncon m’a proposé d’être élue, ce qui me semblait bien pour commencer. Enfin, je trouvais que le comitéd’entreprise, c’était l’idéal parce qu’on s’investit, mais, en même temps… J’ai l’impression quec’était le côté peut-être un peu moins sérieux, par exemple, que les délégués du personnel. Au comitéd’entreprise, il y a un côté très sérieux évidemment, mais, en même temps, il y a les voyages, les trucspour les gamins, il y a un côté qui était peut-être plus à portée de main, enfin, je sais pas » (femme,agent administratif, 34 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, élue du personnel).

Plus généralement, le passage par un mandat d’élu de comité d’entreprise ou un mandat dedélégué du personnel est un premier pas vers l’accession à des postes nécessitantdavantage des compétences juridiques et réglementaires ou un positionnement pluspolitique, comme le mandat de délégué syndical.

« J’ai eu des hésitations, j’ai eu peur. J’ai eu peur parce que je n’avais pas suffisamment demilitantisme derrière moi. Je n’avais pas suffisamment de repères, pas suffisamment deconnaissances. Et j’essaie d’être perfectionniste, c’est-à-dire que si commence quelque chose, il fautque cela soit bien fait, que je le fasse avec mes tripes, que je le fasse au mieux. Je n’aime pas l’à peuprès, donc j’ai eu peur de cette responsabilité. Parce que je m’engageais, moi, mais en même tempsj’engageais d’autres personnes. J’engageais une section, j’engageais des gens, c’est ce qui me faisaitpeur. En plus, une autre chose, c’est une image que j’ai toujours : il est toujours question de la« Déléguée Syndicale » avec un grand D et un grand S… » (femme, agent administratif, 45 ans,syndiquée CFDT depuis 8 ans, déléguée syndicale).

42 GUILLAUME C., Engagement et prise de responsabilités des femmes à la CFDT, Rapport de recherche FSE-CFDT, 2005.

55

Si les militants hésitent dans l’acceptation de nouvelles responsabilités c’est aussi parcequ’ils prennent très au sérieux leur activité syndicale. Celle-ci se présente en effet commeun travail. Le vocabulaire que les militants de terrain utilisent pour caractériser leur activitéde militant est très souvent emprunté à celui de l’entreprise. Travailler pour la sectionrepose ainsi sur les mêmes bases cognitives que celles diffusées en entreprise. L’activitéest concrète, les résultats obtenus sont visibles et mesurables, l’utilité de l’action estdémontrable. Les militants font référence aux « objectifs », aux « projets », aux « méthodesde travail », aux « preuves à réaliser ». Ils agissent dans un monde d’objets (thèmes derevendication, objectifs à atteindre), de procédures (applications informatiques, textelégaux, dispositifs techniques) et d’acteurs (le délégué du personnel, le délégué syndical, lereprésentant au CHSCT, le secrétaire du CE, la direction…)43.

« Mes prochaines preuves à faire c’est le conseil aux adhérents, on a du potentiel sur le départementdans l’agro-alimentaire, à terme il faudra que je sois capable de faire le diagnostic avec la personne,prendre du recul, ça me fait un peu peur, le côté organisationnel je m’y sens bien mais le côtéjuridique ou renseignement des personnes, il faut que j’ai un entretien avec le responsable de l’UD etla permanence juridique, mon rôle n’est pas clair » (homme, technicien dans une coopérativeagricole, 30 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, développeur régional)

L’expérience de terrain est vécue comme enrichissante et formatrice. L’apprentissage decompétences nouvelles se construit au fil des d’épreuves et des conflits traversés dans laconfrontation à l’employeur. Les militants évoquent les heures de préparation des réunions,de « travail » sur les dossiers, de recherche d’informations juridiques et statutaires. Lesmilitants expérimentent de nouvelles compétences et valorisent fortement le travail concretde défense des salariés et de négociation. Parmi les grandes satisfactions des militants, ontrouve les actions réussies sur le terrain. Quasiment tous les entretiens mettent en scène desmoments de tensions ou de négociations qui ont apporté des résultats concrets (primes,accords positifs, élections gagnantes, défense d’un salarié). Le registre du « faire » est toutà fait central pour comprendre le sens de l’investissement syndical des nouveaux militants.L’action est indissociable de l’apprentissage du métier, elle fonctionne comme une séried’épreuves successives, avec son lot d’échecs, d’angoisses, de frustrations et de solitudeaussi. Elle structure l’expérience et l’acquisition de compétences.

« Mon premier travail de militant a été la campagne pour les élections professionnelles de 98, on afortement progressé, on est passé à la 2ème place devant la CGT. Une fois ce travail et le résultatobtenu, on a développé notre action, on a fait connaître notre syndicalisme, on a fait des adhésions,on est passé à 80 adhérents. On a mené deux grosses actions : les tableaux d’avancement de grade :ça donne de l’objectivité sur les critères d’avancement, c’est une action collective au service del’intérêt général » (homme, ouvrier d’entretien dans une collectivité locale, 38 ans, syndiqué CFDTdepuis 6 ans, secrétaire fédéral)

« Ca a été un gros boulot, monter la défense d’un agent c’est des heures de préparation, il fauttrouver les arguments, les parades juridiques, statutaires, c’est un travail de recherche extrêmementintéressant » (femme, agent administratif, 34 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, élue du personnel).

43 ROZIER S., « Les justifications de l’engagement » in A. COLLOVALD (sous la dir.), L’humanitaire ou lemanagement des dévouements. Enquête sur un militantisme de « solidarité internationale » en faveur duTiers-Monde, Res Publica, 2002.

56

Les militants utilisent tous des termes forts pour qualifier leur travail syndical :« passionnant », « intéressant », « génial », « épanouissant ». Ces propos sont souvent misen valeur en opposition à leurs situations de travail qui de fait semblent plus ternes ouroutinisées. De fait, les militants mettent l’accent sur l’autonomie qu’ils découvrent dans lagestion de leur activité syndicale. Cet aspect est d’autant plus important et valorisé que lespersonnes étaient en position subalterne dans l’entreprise ou soumises à des contraintesd’organisation fermement établies par des horaires. Les militants apprécient de pouvoirgérer leur temps syndical. Certains évoquent leur travail syndical en faisant un parallèleavec le travail d’un cadre qui dispose d’une expertise et d’une gestion autonome de sontemps. Ils sont donc nombreux à exprimer une forte demande de qualification à travers leurexpérience syndicale, probablement en lien avec un parcours scolaire initial qu’ils jugentinabouti.

« C’est un mi-temps mais je serai prête à prendre un temps plein, c’est une expérience fabuleuse etunique, un bon challenge personnel et professionnel, les gens ont confiance en moi plus que moi, c’estun enrichissement de mes connaissances professionnelles et humaines » (femme, aide soignante, 38ans, syndiquée CFDT depuis 7 ans, déléguée du personnel).

« C’est comme si on me proposait un emploi mais c’est une mission, je vais représenter la CFDT, pasque moi, je ne vais pas parler en mon nom. C’est une mission au sein d’un syndicat, à l’échellenationale. Je suis prête à relever le défi, surtout quand on sait les a priori, je suis prête à suivre desformations… » (femme, ouvrière textile, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuserégionale)

L’enchaînement des événements (licenciements, restructuration, plan social…) accélère ladécouverte du « travail » militant et contribue à construire une image professionnelle dusyndicalisme. Le rythme « structurel » de l’activité syndicale dans l’entreprise –négociations successives, élections tous les deux ans – inscrit également les militants dansune dynamique d’action et de réflexion permanente. Les termes employés pour décrirel’activité syndicale s’éloignent du registre du bénévolat et de la « bonne volonté » pourrejoindre celui du travail : « boulot », « gérer », « délais »….

« Là il a fallu s’affirmer, il a fallu s’imposer, être reconnu. Ça a été un gros boulot, je me souviensque pour n’importe quel rendez-vous, y compris pour représenter la défense d’un agent, c’était desheures de préparation, il fallait trouver les arguments, les parades juridiques, statutaires, c’est untravail de recherche, extrêmement intéressant » (femme, agent administratif, 40 ans, syndiquée CFDTdepuis 10 ans, déléguée syndicale).

« J’étais toujours entourée mais j’ai vu, petit à petit, l’ampleur du boulot. Il y a eu la préparation desélections, nous avons eu assez rapidement des licenciements, des problèmes dans la section, juste auxélections. Gérer les états d’âme des militants, les timings, faire des choses qu’on n’a pas forcémentenvie de faire. J’ai pris sur moi mais c’est qu’en l’espace de, entre le mois d’août et le mois dedécembre, il y a beaucoup de choses qui se sont passées au niveau de la section. C'était assez intense.Donc là j’ai pu mesurer tout le travail qu’il y avait à faire » (femme, employée administrative, 28 ans,syndiquée CFDT depuis 2 ans, élue du personnel)

« Et puis c’est marrant parce qu’il y avait plusieurs rythmes, il y avait la négociation 35 heures quiavait son rythme, là-dessus il y a la négociation annuelle salariale qui implique son rythme, quiimplique des tensions, il y a les élections qui font que les syndicats sont obligés de faire de lapression » (homme, ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6ans, adhérent)

Pour autant, ces acquisitions le plus souvent insolites sont aussi une source d’inquiétudes.Les militants savent que leur exposition publique auprès des directions et les salariés nepeut leur permettre d’avoir une parole approximative ou erronée. La formation devient un

57

recours indispensable, notamment sur le plan des connaissances juridiques. L’organisationest donc attendue sur sa capacité à soutenir la montée en professionnalité des nouveauxtant sur le plan des formations que des outils. Attente qui fait dire aux responsables que lesmilitants sont de plus en plus exigeants.

« C’est pas la motivation qui me fait défaut, je ne suis pas bien organisée dans mon boulot, ça faitdeux ans, j’ai lu mes droits, je suis à l’affût du moindre petit détail sur ce métier, de ce que d’autresont de plus que nous, mais je ne suis pas encore prête, j’ai beaucoup lu mais je n’ai pas encore assezde connaissances juridiques. On ne peut pas faire n’importe quoi, on a des responsabilités, faut êtresûre d’être bien assuré » (femme, assistante maternelle, 34 ans, syndiquée CFDT depuis 6 ans,adhérente)

« Quand je vois Bruno s’occuper de toutes ces choses, je suis trop impulsif, la diplomatie tout ça…. Jevais essayer de voir de quoi je suis capable mais il faut assimiler, il faut une sacrée mémoire. C’estdes grosses pointures les gars, si je ne me sens pas capable, je ne le ferai pas, mais je sais que je nesuis pas seul » (homme, technicien dans une coopérative agricole, 30 ans, syndiqué CFDT depuis 4ans, développeur régional)

Cette colonisation du champ syndical par les référents (et référentiels) du mondeprofessionnel est en partie liée à l’élévation du niveau de diplôme des nouveaux militants(et la codification accrue des milieux professionnels) et au processus d’institutionnalisationdu syndicalisme (développement des instances de représentation du personnel, notammentdans les grandes entreprises), mais également à l’accroissement des compétencestechniques nécessaires à l’exercice des mandats de représentation collective dansl’entreprise. L’évolution du cadre légal, le renforcement et la segmentation des attributionsdes élus du personnel tirent l’activité syndicale du côté de l’expertise. En dépit du travailde l’organisation pour maintenir une approche dite « politique » des problèmes(construction du rapport de force avec l’employeur, mobilisation des salariés, visionglobale des enjeux…), les militants les plus récents s’engouffrent dans une approchevolontiers plus technicienne reprochant parfois à l’organisation son manque deprofessionnalisme dans l’accompagnement et la formation des militants…

« Pour moi, il y a beaucoup de boulot à faire, parce que comme je disais le syndicalisme était plus oumoins reconnu. Quand je suis arrivé, des fondamentaux n’étaient pas tenus. Des organisationssyndicales, les réunions de DP n’étaient pas préparées, les réunions de CE non plus. Ce sont des trucsque moi je n’ai pas abordés de manière politique, parce que je n’ai pas d’expérience syndicale. Jen’ai même pas suivi de formation syndicale. Je veux dire, j’ai abordé cela de manièreprofessionnelle. Je me suis dit : tu as un truc, tu as une réunion, tu ne la prépares pas, c'est quoi cedésordre ? Tu as des questions de DP qui est-ce qui [Mots incompris] ta question de DP quoi ? Alorsil y en avait un qui faisait des questions de DP. Tu vois des choses comme cela, pas de distribution detracts ou très peu. Et puis, alors une langue de bois d’enfer. Je sais que la littérature syndicale que jerecevais avant d’y être, je la balançais au panier, direct. Rien que de voir le truc, cela me filait desboutons. Je m’ennuyais à la deuxième ligne.J’ai essayé de remettre en place un peu les fondamentaux.Nous faisons des informations syndicales, nous les préparons. Nous préparons les réunions DP, nouspréparons les réunions de CE. Si possible après les réunions de CE, nous faisons un bulletin que nousdiffusons. Nous essayons de développer des campagnes sur un certain nombre de sujets, notammentl’intensification du travail des cadres avec toutes les problématiques, je ne dirai pas de harcèlementparce qu’on en revient, mais de maltraitance, parce que ça c'est vrai de vrai. Nous essayons dedévelopper des campagnes de sensibilisation des contractuels aux différences de situation qu’ils ont.Nous essayons de contacter les jeunes embauchés. Enfin, tu vois, un certain nombre de sujets surlesquels j’ai essayé d’avancer » (homme, cadre dans une grosse entreprise de transport, 45 ans,syndiqué CFDT depuis 2 ans, secrétaire général du syndicat)

« Le premier contact était surtout avec l’avocat parce que nous découvrions la législation. Et puis ladirection était... Cela s’est très mal passé pour le plan social. C'était donc entre avocats. Noussommes allés en référé parce que la direction a mis le comité d’entreprise en référé. Nous ne voulionspas continuer la négociation. Enfin, cela ne s’est pas bien passé. Du coup, nous avons beaucoup

58

travaillé avec l’avocat. Et puis il y a eu un deuxième plan social six mois après. Là, nous avons lepremier plan, deuxième plan six mois après. Et là, avec la loi de modernisation sociale, nous avonsvraiment bien travaillé avec le cabinet conseil qui a fait des études, analysé les comptes de la boîte ettout cela. Cela nous a permis de vraiment bien négocier le deuxième plan social Oui, parce qu’ilsavaient vraiment une démarche professionnelle. Ce n'était pas dogmatique, c'était une vraie démarcheprofessionnelle qui a permis de faire des contre-propositions, et de comprendre vraiment, deproposer, enfin d’avoir une force de propositions. Donc c'était vraiment bien » (homme, cadrecommercial dans une entreprise de presse professionnelle, 33 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, éluau comité d’entreprise).

Dans ce contexte, la loi constitue une référence pour les militants dans la mesure où elle aune dimension objectivante et extérieure à la situation de travail. En ce sens elle peut entreren équivalence avec la rationalité gestionnaire de l’employeur. En mobilisant le registre dela légalité, les militants quittent le registre des valeurs, qu’ils considèrent certainementcomme moins efficace, pour privilégier une légitimité rationnelle et légale. Pour autant, ilne s’agit pas d’une préférence pour la judiciarisation du traitement des problèmes,puisqu’ils misent simultanément sur l’action collective et le rapport de force.

« L’ancien militant était très porté sur le juridique, autant j’ai senti qu’il était important d’avoir desbases mais c’est l’action syndicale qui prime, c’est créer le rapport de force, le juridique c’est quandon est dans l’impasse, on est pas des avocats, on a une mission dans un cadre d’ensemble, moi jem’attache à leur dire ce qu’est la société, la place des salariés pour faire évoluer les choses, pasl’aspect personnel » (homme, employé de banque, 29 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, déléguésyndical)

Etre militant c’est donc un travail. Travail sans doute plus exaltant car altruiste et informéen valeurs, mais un travail avant tout. On peut alors comprendre pourquoi les militants sontparfois horripilés par certains militants qui dévalorisent l’image du syndicaliste enn’utilisant pas leurs heures de délégation à du travail syndical effectif. De même ilsdéplorent l’amateurisme de certains fonctionnements syndicaux. Des conflits entre ancienset nouveaux surgissent sur la base d’une divergence d’approche en matière de « gestion desdossiers », mais aussi sur le plan de l’organisation du travail (et sa division) dans lasection, la circulation de l’information, la participation des salariés, le rapport auxadhérents. Les anciens reprochent aux nouveaux leur vision restrictive (et utilitariste) desproblèmes, les jeunes se représentent souvent les pratiques syndicales héritées commeopaques, stratégiques/politiques, ritualisées et insuffisamment documentées (donc peuprofessionnelles).

« Je suis entrée dans un syndicat qui vivotait, ils commencent à se reprendre en main. Je les aibousculés, j’avais besoin d’infos, moi par rapport à eux j’ai une autre vision des choses : est-ce quec’est parce que je suis à temps plein ? Je ne fonctionnerais pas comme eux, ils n’ont pas vraiment decontact entre eux, il n’y avait pas de réunion de bureau, ils fonctionnaient beaucoup par téléphone,c’est que des gens qui travaillent. Quand j’ai besoin, je dis je veux une réunion, ça les fait bouger, j’aibousculé leur train train quotidien, ça leur fait du bien. Ils ne faisaient jamais de permanences pourles salariés, ils en font maintenant. J’essaye de leur faire partager mon travail, après ils font, ils fontpas…je leur donne des idées et ils apprécient, est-ce que c’est parce que je suis une femme ? Ilsavaient peut-être besoin d’un coup de pouce » (femme, ouvrière textile, 30 ans, syndiquée CFDTdepuis 2 ans, secrétaire générale du syndicat).

En ce sens, le terme « militant » est diversement apprécié. Il est soit considéré commeimpropre pour qualifier la conception professionnelle de l’engagement. Dans ce cas, lemilitantisme évoque des réunions interminables, avant tout consacrées à des discussionsidéologiques et non pas associées à des problèmes concrets. Surtout, c’est la dimensionprofessionnelle de l’activité syndicale qui semble absente. S’il ne s’agit pas d’un travailcomme un autre, le militantisme requiert du sérieux, du professionnalisme, des

59

compétences techniques mais aussi relationnelles qui vont bien au delà des savoir-faire etpratiques non formalisées que les anciens se transmettaient.

« J’aurais une vision personnelle : le terme militantisme me dérange, le mot ne me convient pas, çacorrespond aux années 70, on se réunit après le boulot…. Je vis plutôt ça comme un challenge, fairesauter tout ça, s’exprimer avec des idées qui vont dans le bon sens, ça va être dur » (homme, cadredans une grande entreprise publique de transport, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, déléguésyndical)

« Ce qui me plaît c’est qu’on s’est donné les moyens de porter les dossiers en réussissant àconvaincre l’administration et le personnel, on s’est réuni, on a cherché l’information, on a travaillésur les tracs, on a démarché l’administration, informé le personnel, on s’est bougé, on s’est donné lesmoyens pour être au niveau des ambitions qu’on s’était donné, si on doit défendre quelque chose, jeveux connaître les tenants et les aboutissants, c’est mon côté cartésien, la fleur au fusil c’est pas montruc » (homme, projectionniste, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, délégué du personnel)

Soit, au contraire, le terme militant est en correspondance avec l’activité syndicale carfaisant référence à un travail plus autonome que l’activité professionnelle habituelle. Leregistre militant permet de tracer une ligne de démarcation entre le travail militant qui estinvesti d’une finalité plus noble et le travail salarié. Le travail militant articulantautonomie, valeur et projet reflète l’image d’un affranchissement à l’égard de contraintesextérieures.

« Je me définirais comme militante, je ne suis pas là pour faire quelque chose que l’on m’a demandé,je suis là pour construire le projet, mettre en place les moyens, contribuer à faire reconnaîtrel’organisation, l’aider à être reconnue en tant que telle comme un partenaire économique et social »(femme, employée dans une grande entreprise de transport, 43 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans,déléguée syndicale)

5.4. Une dynamique de professionnalisation localisée

Cette montée en force des rationalités techniques ne doit pas occulter le déploiement d’unedynamique de professionnalisation plus complète articulant certes l’acquisition denouvelles compétences (techniques, réglementaires, gestionnaires) mais aussi laconstruction d’une dynamique collective de coopération au sein de la section (polyvalenceet division du travail entre les différents représentants du personnel), et la constructiond’une position d’acteur reconnue dans l’entreprise (à l’interface des salariés, de la directionet des autres organisations syndicales). Autant d’attributs d’une dynamique de métier44 quimet notamment l’accent sur l’espace d’autonomie que se construisent progressivement lesmilitants. Comme nous l’avions souligné à propos des élus de comité d’entreprise45, la« plasticité du cadre légal46 » qui encadre les attributions des élus du personnel et dudélégué syndical contraint les acteurs à inventer les modes d’actions les plus adaptés à lasituation de l’entreprise et la disparité des pratiques des élus indique que l’on ne peut seréférer à un modèle intégré et hiérarchisé qui guiderait l’action a priori. C’est dans laquotidienneté des rapports sociaux, au cœur d’un « champ relationnel complexe47 » que lesélus construisent leur action, définissent des priorités et construisent leur position au

44 OSTY, F., Le désir de métier. Engagement, identité et reconnaissance au travail, PUR, Rennes, 2003.45 GUILLAUME C., MOURET B., « Les élus de comités d’entreprise : de l’institutionnalisation à laprofessionnalisation ? », Revue de l’IRES, n°44, 2004/1.46 DUFOUR C., HEGE A., « Les systèmes représentatifs à l’épreuve de leur capacité d’interventionquotidienne », Travail et Emploi, n°61, 1994.47 HEGE A., « Works councils et comités d’entreprise, histoires d’institutions et de représentants », Revue del’IRES, n°28, 1998.

60

carrefour de trois pôles de légitimation : les salariés, l’organisation syndicale etl’entreprise.

Un lien privilégié avec les salariésPour les nouveaux militants, l’activité syndicale est en effet synonyme d’une ouverturerelationnelle qu’ils ne connaissaient pas dans leur poste de travail. Connaître des « gensnouveaux », pouvoir parler avec eux, les écouter représente une part considérable de la viesyndicale. Cette ouverture passe d’abord par le lien aux salariés.

« Rencontrer d’autres personnes, d’autres milieux, des gens de la Mairie, d’autres élus, d’autresorganisations syndicales, des personnes qui pensent différemment, c’est intéressant, j’aime bien avoird’autres sons de cloche » (homme, ouvrier d’entretien dans une collectivité locale, 38 ans, syndiquéCFDT depuis 6 ans, secrétaire fédéral)

La fonction centrale des élus du personnel (et dans une moindre mesure du déléguésyndical) réside dans une « action de représentation au quotidien48 » impliquant unecontinuité du travail représentatif et des contacts quasi permanents avec les salariés.L’efficacité représentative ne se limite pas à l’usage des attributions formelles etspécialisées (donc techniques) mais implique d’abord et avant tout une capacité à assurerdes liens forts avec les salariés. Loin de valider l’hypothèse d’une distanciation des liensentre représentants et représentés, les résultats de l’enquête insistent sur les effortsdéployés par les élus pour maintenir la proximité de l’action représentative avec l’acte detravail quotidien et avec l’ensemble des salariés. Les élus ont le souci d’établir un véritablemode d’échange avec les salariés, de les informer pas seulement pour transmettre lesinformations mais pour établir le dialogue. Les élus sont appelés à entretenir des relationsétroites, mais aussi complexes avec les salariés. Complexes car elles sont régulièrementsoumises aux urnes et ne sont jamais complètement gagnées ni stabilisées. La confiancedes salariés se gagne tous les jours, pas seulement lors des campagnes électorales ; tous lesreprésentants mesurent cette complexité des relations aux salariés. Les militantsdéveloppent donc une conception forte de la relation et ont sans doute moins de réticencesque les anciens à proposer l’adhésion. En partie parce qu’ils croient « au nombre » maisaussi parce qu’ils n’ont pas une conception fermée de l’adhésion.

« Je te dis que je suis pour la construction d’un syndicalisme puissant. Donc je trouve ça bien qu’onsyndicalise les gens. Après le problème, c’est bien gentil de dire : on adhère, on a 800.000 adhérentsetc. Mais c’est quoi les flux ? Il y en a combien qui partent pour combien qui viennent ? Il faudraitqu’on regarde ça un petit peu aussi, qu’on les publie, ces chiffres-là. Qu’on aie le courage de lespublier. Pour moi, un syndicat qui n’est pas en capacité, s’il le faut, de créer un rapport de force, seplante. Et je pense qu’à la CFDT, si des gens dans l’appareil dirigeant croient qu’ils peuvent sepasser de cela, ils se plantent. Et même si on arrivait, même s’ils arrivaient en extrapolant sur uneespèce de logique, négociée avec le gouvernement, de démocratie syndicale représentative, du type« on signe les accords quand l’organisation majoritaire » etc... oui mais le problème c’est que tuprends le risque » (homme, cadre dans une grosse entreprise de transport, 45 ans, syndiqué CFDTdepuis 2 ans, secrétaire général du syndicat)

En ce sens, les propos que les nouveaux militants tiennent sur la politique desyndicalisation et les objectifs de développement sont tout à fait éclairants. Tous lesinterviewés connaissent parfaitement la politique volontariste de la CFDT en matière dedéveloppement et déclarent le plus souvent y adhérer, affirmant qu’il est tout à fait normalde se fixer des objectifs (comme dans l’entreprise….) et de proposer l’adhésion.

48 DUFOUR C., HEGE A., L’europe syndicale au quotidien. La représentation des salariés en France,Allemagne, Grande-Bretagne et Italie, P.I.E- Peter Lang, Bruxelles, 2002.

61

« Je trouve ça normal de proposer la carte, je fais des réunions avec les salariés et je leur expliqueque s’ils ont des infos c’est grâce aux adhérents de la CFDT. Ce que je leur dis : je suis à votredisposition parce que certains adhèrent et vous aurez des infos, on aura des réunions bien spécifiquesaux adhérents » (homme, maçon, 40 ans, syndiqué CFDT depuis 8 ans, délégué syndical)

Cela dit, si la majorité d’entre eux sont convaincus de la nécessité d’établir une relationforte avec les salariés par opposition aux anciens qui auraient « oublié de maintenir un lienavec l’adhérent », ils peuvent être assez critiques avec ce qu’ils perçoivent comme uneinjonction restrictive à « faire du chiffre ». Un certain nombre de principes semblent guiderleur réflexion :

- le statut de l’adhérent et la capacité de l’organisation à lui rendre des comptes et à ne pasl’instrumentaliser

« C’est ambitieux mais est-ce bien réaliste. C’est la question de la fidélisation, les gens qui ont apprisla disparition du chantier, il disent on avait rien et le peu qu’on a eu, on veut nous l’enlever, on vaécrire à l’UD, ils ne sont pas contents, quand on installe quelque chose sur la localité, il faut lemaintenir sinon ça fait boule de neige » (femme, architecte, 30 ans, syndiquée CFDT depuis 3 ans,développeuse régionale).

« Ceux que j’ai fait adhérer, je leur dois des comptes »(femme, membre d’équipage dans une grandeentreprise de transport, 36 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, élue CHSCT).

- l’accent mis sur une pratique de terrain articulant offre de services et actions destructuration et de formation. De fait les militants n’hésitent pas à accrocher les futursadhérents par des services (information, aides), mais ils cherchent dans un deuxième tempsà donner du sens à cette adhésion et se défendent d’être des « VRP ».

« La démarche de syndicalisation est définie comme un moyen de syndiquer les agents mais ce n’estpas un horizon, après il faut faire de la formation pour faire passer les valeurs de l’organisation :créer le public avec la finalité de transformer le système éducatif » (femme, institutrice, 42 ans,syndiquée CFDT depuis 10 ans, conseillère fédérale).

- le respect de la personne et la capacité à entendre des volontés d’engagementdifférenciés.

« Il faut prendre les militants pour ce qu’ils veulent bien faire et ne pas les calquer sur toi. Il faututiliser la complémentarité, le collectif c’est pas la négation des individus. A partir de là, le problèmequ’ils ont eu sur la suite, c’est qu’ils devaient penser que tous les militants devaient s’engager à mêmehauteur » (homme, technicien dans une entreprise de services audiovisuels, 32 ans, syndiqué CFDTdepuis 5 ans, délégué syndical)

« Le problème des adhérents à la CFDT, t’es mieux placée que moi pour le savoir, sur 100 adhésionst’as 73 démissions, c’est ça. Alors le problème pour faire de l’adhérent, pour faire de l’alimentaire tupeux en faire tous les jours. Parce qu’aujourd’hui… mon (secrétaire ?) il est un peu comme ça, jerends service donc je veux derrière une adhésion. Oui, je dis « t’as raison mais le lendemain il va serendre le gars au plus offrant ». Je dis c’est bien, mais si on veut garder nos adhérents, peut-être qu’ilfaut commencer comme ça, mais il faut les suivre derrière et le problème c’est que le suivi… et lesfaire adhérer aux idées CFDT, les convaincre, mais c’est du temps, du temps, de la passion, de la foi.Il faut croire aux relations humaines. Moi, c’est les relations humaines » (homme, cadre dans unegrande entreprise publique de transport, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, délégué syndical)

Par ailleurs, tous s’accordent aussi pour exprimer les difficultés du travail dedéveloppement des adhésions : une énergie importante doit être à chaque fois déployéepour « rassurer », « justifier », « informer », « motiver ». Chaque adhésion est presque une

62

véritable conquête. Les principales difficultés mises en évidence sont les suivantes : laforte rotation du personnel, la méfiance à l’égard des organisations syndicales, l’invisibilitédes enjeux syndicaux, la dévalorisation des enjeux politiques, la faiblesse de la culturesyndicale et politique et, l’individualisme et le consumérisme des salariés Ce dernier pointest tout à fait intéressant dans la mesure où l’on sent bien que ce que les militantsstigmatisent c’est l’individu « non initié » qu’il était avant d’avoir opéré leur conversion àl’action collective, leur prise de conscience. Une majorité de militants évoquentfréquemment l’ingratitude des salariés et leur manque de solidarité. La relation aux salariésest donc très ambivalente : elle est à la fois la condition sine qua non de l’action syndicaleet elle est aussi sa principale difficulté.

« Ca va être dur d’obtenir des adhésions, les gens ont tendance à se syndiquer quand ils ont unproblème, comme ça a été mon cas, c’est dommage, il faut aller au devant d’eux » (homme,informaticien dans une petite entreprise du secteur internet, 31 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans,délégué syndical)

« Cela ne les intéresse pas. C'est très individualiste, les services commerciaux, enfin tout ce qui estmarketing, management. C'est vraiment du chacun pour soi. À la limite, tant mieux si nous, nousavons réussi à négocier quelque chose. Je sais que sur 200 personnes, il y a deux personnes qui nousont remerciées, il ne faut rien attendre, c'est assez ingrat en fait. Déjà le Comité d’entreprise, d’aiderle personnel c'est assez ingrat parce que nous faisons des trucs, personne ne nous remercie et tout lemonde en profite. Les gens, je crois qu’ils s’en fichent » (homme, cadre commercial dans uneentreprise de presse professionnelle, 33 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, élu au comitéd’entreprise).

Lorsque les secteurs concernés sont en récession ou sont très peu perméables à l’actionsyndicale, les militants ne croient pas à un fort développement même s’ils sont eux-mêmesconvaincus de l’intérêt du nombre. Ces militants préfèrent alors approfondir leur travailsyndical, proposer des services, convaincre sans nécessairement commencer parl’adhésion. Les élections professionnelles prennent alors parfois plus d’importance que lescartes elles-mêmes.

« Notre problème majeur c’est la syndicalisation : on a fait une énorme campagne de syndicalisation,plusieurs mois de communication régulière et des outils de suivi de nos actions (il me montre untableau de bord exel dans lequel il consigne toutes les actions engagées : tracts, contacts y compris lesrappels, affichage…) On a repris une campagne confédérale, on a tracté, on a eu deux adhérents etune prise de conscience des autres, ce qui n’est peut-être déjà pas si mal. Ici on est un peu considérécomme le grand méchant loup : ils sont réticents par rapport à leur carrière donc il faut le faire sousle manteau » (femme, ouvrière dans grande entreprise d’agro-alimentaire, 41 ans, syndiquée CFDTdepuis 4 ans, déléguée syndicale)

« 1.2 million, ça fait énorme, nous dans notre profession où les boites ferment ça fait beaucoup, c’estun but qu’ils ont trouvé, mais 1.2 million quand il y en a plein qui vont partir à la retraite… » (femme,ouvrière textile, 32 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, secrétaire adjointe du syndicat)

Enfin, il est nécessaire de distinguer au moins trois notions : la priorité donnée à lasyndicalisation, le lien aux salariés et le syndicalisme d’adhérents. Ce n’est pas parce queles nouveaux militants valorisent la relation aux salariés – au sens fort du terme - et qu’ilsadhèrent en partie aux objectifs de développement qu’ils prônent pour autant des formesréellement participatives de fonctionnement syndical. Associer, écouter les salariés, lesfaire adhérer quand c’est possible ne signifie pas nécessairement les faire participer aucœur du métier syndical. Par choix ou par contrainte, les militants optent plutôt pour unfonctionnement resserré autour d’un noyau dur d’élus. En cela, les nouveaux militants nese distinguent pas particulièrement des plus anciens…

63

« Je ne considère pas les adhérents comme faisant partie de la section, ils ont fait le choix de rester enretrait, ils nous soutiennent quand il faut mais ils comptent sur nous sur la production derevendications » (homme, employé de banque, 29 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, délégué syndical)

« La différence entre un syndicalisme d’adhérents et un syndicalisme d’adhérents militants c'est queles militants eux, ils pensent. Un adhérent, je ne sais pas s’il pense. Un militant, il pense, il s’implique.Nous considérons qu’il y a trois types d’adhérents au sens très large d’adhérents militants. En toutcas, les adhérents militants pour nous, ce sont les adhérents actifs. Parce qu’il y a les passifs et lesdormants. Nous, nous avons par exemple des chefs d’entreprises qui disent : « Je suis chez toi, mais tune m’ennuies pas avec tes histoires. Je te paye et puis c'est assez mais si j’ai un problème,éventuellement, tu m’aides. ». Il y a des gens qui sont adhérents chez nous, ils ne veulent même pasque nous les aidions. Ils payent, parce qu’ils considèrent que c'est important mais il ne faut pas lesennuyer. Ils sont comme des sous-marins. Ils payent parce qu’ils se disent que cela fait un équilibre,cela leur donne un peu plus d’argent, mais moi j’ai autre chose à faire. Je suis d’accord avec eux,mais je ne me sens pas capable. Mais nous sommes un syndicalisme d’adhérents militants. Nous nesommes pas un syndicalisme de militants à savoir « c'est la lutte finale, nous allons tout casser etc. »Non ! Nous adhérons à un certain nombre de valeurs et nous militons pour. Il y a des gens quiadhèrent sur un certain nombre de valeurs ou sur un certain nombre de projets. C'est par exemple leprojet CFDT qu’il faudrait tout de même un peu expliquer aux gens, parce que tout le monde est unpeu perdu. Si les gens arrivent à faire les deux, ils adhèrent et ils militent cela est génial. S’ilsadhèrent, cela ne fait pas de mal d’avoir un peu plus de sous pour mettre en place des choses. Maisnous, nous sommes contre un syndicalisme de militants, parce que cela n’a aucun sens. Unsyndicalisme d’adhérents, c'est une aberration. Si nous faisons un syndicalisme d’adhérents, celavoudrait dire que nous cautionnons une société ou le... Je ne sais pas, nous ne sommes pas chezGymnase Club, il faut arrêter les bêtises » (homme, technicien dans une entreprise audiovisuelle, 40ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, secrétaire général adjoint du syndicat)

« On fait des réunions de section, on fait des réunions de bureau, on fait des AG. Ça prend du tempsça aussi. Des fois t’as l’impression que ça sert à rien, je te le dis franchement, si c'est dire après queça a été démocratiquement, voilà. Parce que l’adhérent simple il s’en fout, ce qu’il veut lui, c’est il estCFDT il aurait pu être autre chose peut-être des fois, ce qu’il veut lui c’est que dès qu’il a unproblème il faut le résoudre : problème de notation, problème de logement, problème… Tu as cettecatégorie-là qui représente 80 % des adhérents. Dans les 20 % tu as un potentiel militant mais qui pasforcément s’exprime, donc tu les utilises » (homme, cadre dans une grande entreprise publique detransport, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, délégué syndical)

Au sein de la section en revanche, les militants développent une capacité de travailcollectif et optent plutôt pour un mode d’animation participatif. Ils semblent cultiver ungoût certain pour le fonctionnement en mode projet, ce qui n’exclut pas pour autant uneaptitude à la division du travail.

« Démarrer et mettre en place, parce que je n’étais pas toute seule, tout mettre en place au départ etpuis après que cela fonctionne, oui. Un bon souvenir. Le travail d’équipe surtout » (femme,infirmière, 33 ans, syndiquée CFDT depuis 13 ans, permanente à l’union départementale).

« Les gens on peut dire, se sont vraiment impliqués parce que d’une certaine façon c’était le rêvequoi. On avait écrit notre projet, il y avait le projet de la direction et puis le projet de la CFDT et puisça allait dans chaque sens, les négociations allaient comme elles allaient. Au CE il y a toujours desgens qui sont motivés pour rentrer au CE parce que ça permet… Il y a des gens qui ont 35-40 ans, ilscommencent à « s’emmerder » un petit peu ou ils stagnent dans ces postes de bureau d’études, doncpour eux aller au CE, pouvoir gérer un budget de quelques millions de francs, ça les motive aussi. Ilfaut voir c’est plein de petits trucs, aussi il faut savoir le gérer au sens, je dirais, sur le terrain il fautun peu sentir ses gars et puis voir untel qu’est-ce qu’il va avoir envie de faire. Il y en a qui ont plutôtenvie d’écrire des textes, il y en a d’autres qui ont plutôt envie de gérer, il y en a qui ont envie de jesais pas… Les gens ils sont motivés par exemple pour organiser les sorties des gamins quoi, il faut lesavoir, il faut passer du temps à discuter avec eux » (homme, ingénieur dans une petite entreprise deconseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

64

Les analogies avec le travail d’encadrement sont très fréquentes, notamment chez lesmilitants qui exercent précisément des fonctions de management. Animer une sectionrevient finalement à « manager le bénévolat », c’est-à-dire les envies, les attentes et lescompétences des uns et des autres.

« Il y a toujours des gens qui sont motivés pour rentrer au CE parce que ça permet… Il y a des gensqui ont 35-40 ans, ils commencent à « s’emmerder » un petit peu ou ils stagnent dans ces postes debureau d’études, donc pour eux aller au CE, pouvoir gérer un budget de quelques millions de francs,ça les motive aussi. Il faut voir c’est plein de petits trucs, aussi il faut savoir le gérer au sens, jedirais, sur le terrain il faut un peu sentir ses gars et puis voir untel, ce qu’il va avoir envie de faire. Ily en a qui ont plutôt envie d’écrire des textes, il y en a d’autres qui ont plutôt envie de gérer, il y en aqui ont envie de je sais pas… Certains sont motivés par exemple pour organiser les sorties desgamins, il faut le savoir, il faut passer du temps à discuter avec eux. Je me souviens une fois il y avait,le CHSCT il fallait le constituer, il y a un mec de la CFDT qui vient me voir et il me dit « David il y aun problème on n’a pas de candidat », je lui dis « attends », je rentre dans… je ne sais plus ce qu’il yavait, il y avait un truc du CE, je rentre, je lui dis « tu vas voir je vais en trouver », je regarde uncopain, je lui dis « viens nous voir », je lui dis « tu veux pas rentrer au CHSCT » il me dit « si, si jesuis super intéressé », voilà quoi. Il faut un peu connaître les gens, passer du temps avec » (homme,ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

Un lien essentiel mais ambivalent avec l’employeurLes relations avec la direction constituent également une part importante du travailsyndical. Les propos sont homogènes pour considérer qu’il ne peut y avoir une oppositionfrontale. La négociation sera de fait effectivement toujours privilégiée. Simultanément,sont recherchées des relations fréquentes, des échanges et par là même une reconnaissance.

« Il faut dire que je suis un acteur principal maintenant dans l’entreprise, la CFDT est majoritairepour les agents de maîtrise et notre position est très écoutée car nos demandes sont réalistes etsensées » (homme, employé de banque, 29 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, délégué syndical)

« Je tire la satisfaction de n’éprouver aucune difficulté d’entrer dans le bureau des directeurs deservices et de dire ce que j’ai à dire mais avec des dossiers préparés, c’est l’occasion de discuterd’égal à égal avec des personnes avec qui je n’aurais jamais imaginé discuter, on se fait tout uncinéma, on les perçoit comme des personnes inaccessibles au commun des mortels » (homme, caissierde cinéma, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, délégué syndical)

Cette sensibilité à la reconnaissance patronale est, cela dit, plus sensible pour les salariésles moins qualifiés. Les cadres vivent davantage leur engagement syndical sur le mode du« changement de bord » ou comme un prolongement de leur position intermédiaire, entredirection et salariés. De par leur position antérieure, ils sacralisent également moins lasphère dirigeante qui leur est plus familière.

« Quand il y a eu cette fusion, je me suis retrouvé avec des propositions de travailler avec la direction,de rentrer dans le cercle de direction. J’ai vu que cela était impossible, parce que leur vision et leurméthode de travail ne correspondaient pas à l’idée que je me faisais d’une entreprise et du partageéquitable. A la fois des profits, des conditions de travail pour les salariés dans la mesure où j’avais unrôle de manager tout de même. Donc je leur ai dit non. A ce moment-là, vu que le délégué syndical enavait assez, il s’était fait sérieusement réprimander, ils m’ont demandé si je voulais prendre cettecharge et donc j’ai changé de bord. Je suis passé de l’autre côté et on m’a traité de traître, jusqu’àaujourd'hui d’ailleurs » (homme, technicien dans une entreprise audiovisuelle, 40 ans, syndiquéCFDT depuis 6 ans, secrétaire général adjoint du syndicat)

« Nous on sort des sujets pratiques parce qu’on a structuré dans chaque région SNCF on a descorrespondants de mon métier qui s’appelle Ingénierie, on fait des réunions nationales, on voit ce quiva pas, on fait des synthèses, on envoie des questions à la Direction ou on fait un ordre du jour ou unedéclaration et puis en fait, la Direction elle nous regarde nous, alors qu’on est la deuxième OS à laSNCF, il y a la CGT aussi qui est devant nous, elle nous regarde nous, on est en face c’est un dialogue

65

entre la Direction et nous et puis toutes les autres OS elles participent plus ou moins. Mais bon, et moiça m’intéresse et leur dire à la Direction, parce qu’ils ont besoin la Direction Nationale parce quec’est pas tellement hiérarchisé chez nous et puis ils ont pas les informations qui remontent, parce quemoins on a d’informations qui remontent, plus tas l’impression que ça va bien et mieux t’es noté soi-disant la hiérarchie intermédiaire, donc ils ont besoin des syndicats pour court-circuiter tout ce quiest intermédiaire » (homme, cadre dans une grande entreprise publique de transport, 35 ans,syndiqué CFDT depuis 3 ans, délégué syndical)

Comme nous l’avions déjà signalé, la recherche du dialogue et le souhait de maintenir unerelation suivie avec la direction n’exclut par pour autant la conscience très précise d’unedivergence d’intérêt structurelle entre les dirigeants et les salariés. Même dans les PME oùla notion de « communauté de destin » est fortement ressentie, les liens avec la directionsont toujours sujets à l’expression du rapport de force. L’engagement syndical marque trèsprécisément cette prise de conscience du rapport social qui lie salariés et dirigeants. Defait, les relations avec les employeurs peuvent représenter de réelles difficultés à laréalisation du travail syndical. Les cas de répression syndicale sont fréquents, notammentdans les nouveaux secteurs d’activité et les petites entreprises. L’engagement syndicalcontinue d’être un frein à la promotion et les relations avec la hiérarchie directe restentcompliquées.

« La pression tu l’as, dans ce milieu c’est la famille, ils tiennent à ce que ce soit familial dans leursens à eux, on est leur fils, leur fiston, c’est paternaliste dans leur sens. Le patron m’a fait la gueuleparce que j’avais fait un article dans la Presse sur les difficultés des salariés agricoles » (homme,technicien dans une coopérative agricole, 30 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, développeur régional)

« Ils ne m’ont éventuellement plus parlé. J’étais au placard. En fait depuis que je suis déléguésyndical, je n’arrive pas à rencontrer mon supérieur hiérarchique pour faire un bilan professionnel,avoir des objectifs, des missions claires. Je suis là, donc je me suis occupé. Ils me payent pour fairecela, c'est bien. Comme j’allais dans d’autres entreprises, je faisais le tour des amis pour résoudre lesproblèmes, trouver des solutions, pour travailler quoi ! Aussi pour venir de temps en temps poser monsac. Cela n'est pas évident de se retrouver brusquement comme cela, après des années de travailintensif, à un moment donné suspendu en plein vol. Ils ne me donnaient rien à faire.Là je vaistravailler ce week-end, mais sur un mois, si je faisais une mission pour la l’entreprise, c'est variable, ily a des mois où je fais quatre, cinq, dix missions et il y a des mois où je ne fais rien. Puis aussi c'estune stratégie pour me couper de la base, pour me décrédibiliser professionnellement. Siprofessionnellement il est un très bon, il travaille donc les gens, à un moment donné, vont s’identifierà la personne. C'est machiavélique, l’histoire » (homme, technicien dans une entreprise audiovisuelle,40 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, secrétaire général adjoint du syndicat)

Le risque professionnel est nettement moins important dans les grosses entreprises où lefait syndical est reconnu et les passerelles entre carrière syndicale et professionnellesexistent.

« J’ai vraiment beaucoup beaucoup d’intérêt pour le syndicat à cette époque-là, cette dimension à lafois théorique et pratique qui s’y mêlait. C’était une occasion aussi incroyable, c'est-à-dire qu’oncréait le syndicat, donc à la fois on avait tous les rênes, etc., c’était une boîte de taille humaine, c'est-à-dire qu’on était les négos en face du PDG, en même temps on se fait pas brimer parce qu’on estresponsable syndical, etc. C’est sûr qu’il y avait une croix dans un dossier, m’enfin on se fait pasbalayer de l’usine parce qu’on est militant syndical. Il y a une dimension qui joue aussi, faut pas se lecacher, c’est du syndicalisme un peu facile quoi. En même temps ça correspond aussi à cette culturedes grands bureaux d’études qui est un univers assez peu conflictuel, où finalement tout le monde aune sociologie assez proche. Les directeurs c’est des gens qui étaient ingénieurs il y a 20 ans, 25 ans.Je crois que tout le site d’Aix-en-Provence le Directeur c’était le responsable syndical de la CFDT 25ans plus tôt. Comme il disait lui-même « c’était une autre époque de ma vie ». A la limite on peutmettre ça dans un parcours, c’est pas forcément une croix qui restait » (homme, ingénieur dans unepetite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

66

Les militants de terrain sont donc insérés dans un tissu de relations dense et complexe. Au-delà des connaissances techniques dont ils disposent, leur savoir faire et leurs compétencesse mesurent à leur capacité à construire une dynamique relationnelle au service de leuractivité de médiation quotidienne49 – entre salariés et employeur. Ces savoir-fairedifficilement transmissibles s’appuient sur des dispositifs tangibles (supports decommunication et d’information, dispositifs d’enquête, organisation de permanences) maisaussi et surtout sur la démonstration de capacités relationnelles en action, dans la relationinterpersonnelle, dans le face à face et l’informel. Autrement dit, une partie du jugementporté sur l’action des militants tient, selon eux, dans leur capacité à faire la démonstrationconcrète de leurs capacités relationnelles, à faire vivre une logique de proximité.

Un lien faible aux structures syndicalesDans cette dynamique, le lien syndical est tout à fait central à la fois comme support del’acquisition des savoirs techniques et de compétences pratiques, comme lien desocialisation par l’encouragement à construire un projet et des choix orientés en valeurs etcomme pôle de légitimité. Comme l’ont souligné d’autres travaux, la qualité des liensqu’entretiennent les représentants avec un système d’échanges externes, notammentsyndical, est essentielle dans la construction d’une légitimité interne à l’entreprise50. Laprofessionnalisation progressive des militants met en lumière le rôle de l’affiliationsyndicale dans la capacité à passer progressivement d’une logique de satisfaction desdemandes immédiates des salariés à une action plus autonome, informée en valeurs, de sedoter de compétences nouvelles tant sur le plan de la gestion de l’information, desconnaissances techniques et juridiques que de l’animation d’une équipe. L’étiquettesyndicale favorise en outre le travail de construction d’une légitimité à l’égard del’employeur et des autres organisations syndicales. L’affiliation syndicale joue égalementcomme un tiers permettant de gagner en autonomie à l'égard des salariés. Un lien étroitavec l’organisation syndicale permet aux élus de se distancier des exigences immédiates etdes contradictions de la « base » pour adresser de nouvelles propositions aux représentéstant sur le plan des actions à mener que des référents identitaires51.

Toutefois, si le lien syndical contribue à la construction de cette dynamique deprofessionnalisation des militants de terrain, le sentiment d’appartenance à l’organisationn’est pas « mécanique ». La professionnalisation accrue des militants leur confère unecapacité d’action et une efficacité plus forte. Elle leur offre également un espaced’acquisition de compétences et de construction identitaire. Pourtant, aussi paradoxal quecela puisse paraître, les liens entre les militants de terrain et les structures intermédiaires del’organisation syndicale sont parfois difficiles ou distendus52. Les militants entretiennentune relation ambivalente à l’organisation syndicale. S’ils identifient l’organisation commeun pôle de ressources techniques et stratégiques (savoir-faire en matière de négociation,connaissances juridiques…) support de leur professionnalisation, ils ne développent pasnécessairement une appartenance institutionnelle forte. Bien sûr plus l’ancienneté militanteaugmente plus les effets de socialisation syndicale sont perceptibles. Toutefois, il s’agit 49 DUFOUR C., HEGE A., « Les systèmes représentatifs à l’épreuve de leur capacité d’interventionquotidienne », Travail et Emploi, n°61, 1994.50 HEGE A., DUFOUR C., « Représentation des salariés en France et en Allemagne. La représentation en quêtede légitimité », Revue de l’IRES, n°8, 1992.51 DUFOUR C., HEGE A., L’europe syndicale au quotidien. La représentation des salariés en France,Allemagne, Grande-Bretagne et Italie, P.I.E- Peter Lang, Bruxelles, 2002.52 LEROY-ZICSCHEK P., YVERGNAUX A., Militants syndicaux élus des comités d’entreprise et leursorganisations syndicales : analyse d’un lien difficile, Revue de l’IRES, n°29, hiver 1998-99.

67

souvent de l’affirmation d’une identité en accord avec les grandes lignes dupositionnement cédétiste – réformisme, syndicalisme de proposition et de négociation –mais souvent peu au clair avec l’histoire, les valeurs et les positions nationales del’organisation. Là aussi, c’est bien l’espace local qui est structurant (l’histoire de la sectionet de la CFDT localement et dans l’entreprise).

« Le mot "arrivée" dans le cas présent décrit mal la réalité. A part l’aide d’une petite section d’unautre site, nous n’avons reçu aucune consigne ou appui ni au niveau fédéral, ni confédéral (pour uneentreprise de plus de 1000 personnes). Nous avons ainsi fonctionné en totale autarcie pendant toute lanégociation 35 heures puis au delà. Ce coté "autogestion" avait bien des attraits et a certainementcontribué à attirer de jeunes salariés. Il est possible que l’accord final sur les 35 heures largementissu du projet de la section CFDT n’ait pas été entièrement orthodoxe au regard des canons dusyndicat. De la même façon notre fonctionnement était extrêmement souple, les militants encartés etles sympathisants plus ou moins éphémères travaillant ensemble sans distinction. Je peux pas direspontanément j’ai beaucoup sollicité l’organisation et puis je voyais pas du tout les contacts quej’avais eus, ça me semblait totalement découplé. J’avais l’impression que d’un côté il y avait unappareil qui tournait et puis de l’autre côté il y avait notre vie locale, deux mondes totalementdécouplés quoi. Il n’y avait aucun lien entre les deux. Et effectivement l’organisation n’est jamaisintervenue une seule fois quoi, ni dans un sens, ni dans l’autre. On était en autonomie totale quoi »(homme, ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans,adhérent)

La professionnalisation des militants se construit souvent dans un fonctionnement en vaseclos, dans l’entre soi de la section et dans une distance forte avec les structures CFDT.Comme nous l’avons souligné dans d’autres travaux, cet ancrage de terrain adossé à unedynamique progressive de professionnalisation peut conduire à un effet de clôture53 dutravail militant dans l’entreprise, n’encourageant ni la sortie des militants vers desresponsabilités syndicales dans les structures ni le renouvellement des équipes en place.Dans tous les cas de figure, l’ancrage dans l’expérience syndicale de terrain constitue unpôle de référence dans la construction du parcours syndical, y compris dans le processus deprise de responsabilité ultérieur. La réalité syndicale vécue dans l’entreprise, comme letype d’actions et de pratiques syndicales, structure profondément les représentations desfuturs responsables.

53 GUILLAUME C., MOURET B., op.cit.

68

6. UN CONTEXTE OUVERT ET STRUCTURE D’ACCES AUXRESPONSABILITES

La prise de responsabilité est une question à la fois centrale pour l’organisation et difficileà appréhender dans la mesure où il s’agit d’un processus aux contours flous. A partir dequel moment peut-on se considérer et être considéré comme un responsable syndical ?Doit-on forcément devenir permanent pour être responsable ? Comment et pourquoidevient-on responsable ? Qu’est-ce qu’une vie de responsable syndical ?

Si l’on peut s’accorder sur le fait qu’un responsable est a priori en charge d’une structure etdonc d’un collectif (syndicat, union départementale…) ou d’une fonction (secrétairefédéral, confédéral, développeur …), les formes de l’exercice des responsabilités sontvariables. Une première distinction doit être opérée entre les permanents et les bénévoles.Les premiers se consacrent entièrement à l’activité syndicale, les seconds exercent leursmandats sur du temps personnel (même s’ils peuvent utiliser le temps de déchargesyndicale qu’ils obtiennent dans l’entreprise pour l’exercice de leurs mandats électifsinternes). Si le permanent reste la figure type du responsable syndical, de nombreusesresponsabilités (secrétaire de syndicat notamment) sont tenues par des bénévoles. Uneautre distinction existe selon les statuts d’emploi des responsables. Certains sont détachéspar leur entreprise (et payés par leur employeur), d’autres ne sont pas à proprementdétachés mais ont obtenu suffisamment de temps syndical (par le cumul des mandats) pourêtre de fait libérés de toute ou partie de leur activité productive, d’autres encore sontsalariés par l’organisation syndicale, à temps plein ou à temps partiel. En ce sens, le mondedes responsables est en réalité assez hétérogène, au moins sur le plan formel.

La prise de responsabilité est en outre un processus progressif et hiérarchisé. Le passageentre l’entreprise et les structures est rarement radical. Les militants se voient proposer desresponsabilités graduelles qui peuvent les amener à devenir permanent. Récemment, ceprocessus est entré dans une phase de turbulences remettant en cause sa progressivité et salinéarité. La difficulté est donc d’appréhender un processus, rarement stabilisé, multiformeet pluriel qui s’inscrit dans un contexte évolutif.

6.1. Un contexte général de pénurie de candidats

A tous les niveaux, l’organisation se caractérise par une pénurie de militants. Cette carenceest particulièrement sensible dans les structures syndicales intermédiaires (syndicat, uniondépartementale) qui fonctionnent sur la base du volontariat. Un des facteurs explicatifs decette insuffisance de responsables a trait à l’histoire de la CFDT et de son développement.Bien que l’organisation ait connu une progression de ses adhérents après le phénomène dedésyndicalisation massif des années 80, ses résultats en matière de syndicalisation sont ànouveau en régression. Par ailleurs, le « renouveau » syndical a touché des populationstraditionnellement étrangères à l’action syndicale et peu présentes dans les structuressyndicales – femmes, salariés des TPE-PME – et des secteurs ayant une faible traditionsyndicale. Ce double déficit de socialisation militante et de structuration organisationnellen’est a priori pas favorable à la création d’un vivier de militants appelés à prendre la relèveet à combler le déficit des années noires. Cette pénurie est particulièrement sensible dansles structures syndicales intermédiaires (syndicat, UD) qui fonctionnent sur du volontariatet quelques décharges de temps.

« J’ai un parcours atypique, je suis le plus jeune secrétaire général d’Union ProfessionnelleRégionale. Il y a deux raison à ça : mon engagement et le fait qu’il n’y a pas beaucoup de personnes

69

pour prendre les postes, il n’y avait pas tellement le choix, j’ai été le seul sollicité » (homme, ouvrierdans la métallurgie, 30 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, secrétaire générale de l’UPR)

L’insuffisance de vocations militantes est également liée au processus d’hétérogénéisationet d’autonomisation des parcours professionnels au regard des parcours syndicaux. Ladiversification des modes d’accès au marché du travail a fait voler en éclats le rythmeternaire traditionnel (formation, emploi, retraite) et remis en cause l’idée d’un passagedirect de l’école à l’emploi stable et pérenne. Les parcours professionnels sont davantagemarqués par la discontinuité et la mobilité, ce qui ne favorise pas l’engagement au seind’un collectif syndical stable et tenu par des attaches territoriales et professionnelles. Demême, l’engagement syndical continue d’être pensé sur le modèle du salarié à temps pleinen CDI et peine à trouver les modalités pratiques d’intégration de salariés dont lessituations d’emploi impliquent davantage de précarité et d’instabilité.

« J’ai été militer au sein du syndicat, on dépendait des services. Ils m’ont accepté, ils étaient enmanque de personne. Moi je ne connaissais que l’interprofessionnel, j’ai rencontré le secrétaire del’union départementale et il m’a expliqué que la structure politique c’est le syndicat. J’ai participétout de suite dans ma première année d’adhésion à un congrès fédéral, je prenais ça sur mes congés,bénévolement ; et puis la même année, le secrétaire du syndicat est parti, on s’est retrouvé en crise »(femme, vendeuse, 32 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, secrétaire du syndicat)

Dans les secteurs en développement, comme les services, les TME/PME ou le secteurprivé dans son ensemble, les possibilités d’accession à la responsabilité sont encore plusfortes. L’effet numérique du nombre de mandats et d’adhérents drainés par le secteur privédans les secteurs professionnels historiquement dirigés par des militants du public (lafédération des Télécom est un bon exemple) contribue à propulser de nouveaux militantsdans les structures professionnelles (syndicat, branche et parfois fédération). Danscertaines équipes, l’existence d’une politique offensive de mixité facilite en outre l’accèsdes femmes aux responsabilités, d’autant plus « facilement » qu’elle se double d’unepréoccupation de rajeunissement des effectifs militants. Le plus souvent cette volontéaffichée de miser sur le renouvellement générationnel (et donc la mixité) est ensuiterelayée et entretenue par les nouveaux responsables suscitant un effet dynamique. Certainssyndicats ont construit leur développement sur le pôle d’attraction que constitue laprésence d’un collectif militant rajeuni. Cet effet est particulièrement visible dans lesnouvelles sections.

« Dans le secteur de l’assurance, la proportion hommes femmes est de l’ordre de 55% de femmes et de45% d’hommes. Si l’on regarde la sociologie des implantations, Marie-Pierre constate que lesanciennes implantations sont principalement composées de militants hommes tandis que les nouvellesimplantations comptent autant d’hommes que de femmes dans leurs implantations. Enfin, parmi lesDSC, il y a quelques femmes (surtout dans les nouvelles implantations). Une politique de féminisationdu syndicat est pratiquée depuis qu’elle est secrétaire du syndicat. C’est-à-dire qu’à niveau decompétences égales, elle prend toujours une femme. La volonté de féminiser les instances a toujoursété une volonté du syndicat, ce n’est donc pas un chantier en soi. Chercher des jeunes, des femmes etune relève est la position du syndicat » (femme, employée dans l’assurance, 47 ans, syndiquée CFDTdepuis plus de 20 ans, secrétaire du syndicat).

« La mixité est portée par le secrétaire général de l’union départementale, c’est la complémentaritéqui nous porte, il est convaincu et cela ne date pas d’hier, ça tient aux personnes, c’est une questionde respect » (femme, agent administratif, 34 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, élue du personnel).

70

6.2. Le modèle du cumul des mandats et la diversification des modes d’accès auxresponsabilités

Une analyse fine met également en évidence une diversification des modes d’accès auxresponsabilités. Si par le passé, le nouveau militant empruntait un parcours progressif,linéaire et hiérarchisé menant à la prise de responsabilité au sein d’un collectif structurédans l’entreprise (un mandat après l’autre selon un « cursus honorum »), il est aujourd’huiconfronté à deux processus : une prise de mandats extrêmement rapide ou au contraire unedifficulté à trouver sa place.

Les facteurs d’accélération des parcours sont corrélés d’une part à la pénurie de militants(chaises vides) et de moyens qui induit une concurrence entre les structures pour« aspirer » les militants montrant des signes d’investissement, d’autre part auxcaractéristiques de la syndicalisation qui a eu lieu dans des secteurs en développement avecdes implantations récentes (et donc des créations de « poste »), peu de droit syndical et unturn over important.

« Parallèlement à tout cela, j’ai vu une annonce dans Syndicalisme Hebdo pour un poste à la FD, j’aipostulé, après réflexion et concertation avec mon épouse, j’ai postulé avec l’idée que j’aurais peu dechances… un petit mécano au niveau national…On m’a recruté en janvier 99. Ma motivation parrapport à mon adhésion m’avait conduit à bien regarder le fonctionnement de la CFDT, les différentesstructures. On m’a sollicité l’année dernière pour occuper un poste de SN, ça m’a posé des questionspar rapport à mes compétences. J’ai eu un parcours très rapide, 5 ou 6 ans en arrière, je n’auraisjamais pensé…» (homme, ouvrier d’entretien dans une collectivité locale, 38 ans, syndiqué CFDTdepuis 6 ans, secrétaire fédéral)

« Je suis devenue déléguée syndicale en 1996 et par un enchaînement de circonstances (remplacementde congés maternité) je me suis retrouvée en première ligne. En 1998, avec la fusion de l’entreprise,j’ai été happée par mes mandats syndicaux. Il fallait que quelqu’un soit présent pour être pris enconsidération, l’enjeu était tellement important. J’ai tout découvert. Là je me retrouve un peupartout : au CE, à l’UD, à la région et au CA de la CAF. Ca a été plus vite que je ne pensais, il fautque je fasse un bilan de compétences pour y voir plus clair » (femme, cadre dans une grosse entreprised’assurance, 32 ans, syndiquée CFDT depuis 5 ans, membre de l’exécutif de l’union régionale)

A quelques exceptions près, le processus de responsabilité apparaît comme non maîtrisé etsoumis au modèle inchangé du cumul des mandats54. Comme le soulignent les militants,les « choses se rajoutent » les unes après les autres, menant à la permanentéisation parfoistrès rapidement. A croire qu’une fois détectés les militants sont « sur sollicités », avecparfois une concurrence réelle entre les structures pour capter les « bons ».

« Quand j’ai été développeuse IUFM, c'était une décharge fédérale. Quand j’étais commissaireparitaire, c'était une décharge régionale. Donc pendant pas mal de temps, j’ai eu, sur un service de15 heures, trois heures de décharge. Et puis, il y a deux ans, comme je faisais aussi partie du conseilde branche, c'est comme ça que j’ai atterri après à la fédération, je suis passée à un mi-temps fédéral,mi-temps régional et deux heures de cours. Donc, ça été assez vite. Ça été long à démarrer maisaprès rapide, d’ailleurs peut-être un peu trop, parce que c'est vrai que ça fait une charge de travail etpuis un cumul des mandats qui n’est pas confortable non plus » (femme, professeur, 35 ans, syndiquéeCFDT depuis 10 ans)

« Au début j’aidais sur les listes, la CFDT venait de se créer, j’étais élue, mais suppléante. Jeparticipais aux réunions de section, je rédigeais les tracts. Je suis devenue déléguée syndicale en 1996et par un enchaînement de circonstances (remplacement d’un congé maternité), je me suis retrouvée

54 SILVERA R., Le défi du mainstreaming pour le syndicalisme en Europe : comment intégrer l’égalité entrehommes et femmes, au travail et dans la vie, par les organisations syndicales, Synthèse de la première année duprogramme MSU, 2003.

71

en première ligne. En 1998, avec la fusion de l’entreprise, j’ai été happée par mes mandats syndicaux,il fallait renégocier les statuts. Il fallait que quelqu’un soit présent pour être pris en considération,l’enjeu était tellement important. J’ai tout découvert d’un coup » (femme, cadre du privé, 30 ans,syndiquée CFDT depuis 7 ans, déléguée syndicale centrale).

Au-delà des contraintes de pénurie, cette pratique du cumul, caractéristique du mondepolitique, joue un rôle de sécurisation dans la construction des parcours syndicaux. Lacarrière syndicale étant soumise aux aléas de l’élection, le cumul des mandats permet decontrer la possibilité d’une brusque cessation d’activité.

A côté de ces phénomènes accélérés de prise de responsabilité cohabitent des situations deblocage liées à la pratique du cumul des mandats et à l’ancienneté des équipes. Desquestions fortes de renouvellement sont posées avec des anciens qui peinent à laisser leursresponsabilités et cantonnent les nouveaux à des dossiers spécifiques. Si la notion de filed’attente a toujours existé au sein des équipes, elle semble s’être fortement accentuée cesdernières années. Elle s’explique en partie par les effets secondaires de la période dedésyndicalisation et le creux générationnel qui ont conforté certains responsables dansleurs fonctions – en toute légitimité du reste, du fait du déficit de candidatures.

« Ça bouge, il y a un contractuel au bureau syndical mais il y a une crevasse entre les âges, les vieuxvieux sont bien assis dans leurs chaises, ils ne veulent pas partir, ils sont indéboulonnables, j’attendsqu’un ancien me forme pour aller plus loin » (homme, facteur, 29 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans,délégué du personnel)

« Le syndicat est très volontaire, très représentatif de la CFDT, mais il a besoin d’un nouveau souffle.Le problème majeur c’est la pyramide des âges, même si ce sont des gens que l’on respecte beaucoup,ils font tous ça depuis 20/25 ans, sans dire qu’ils sont essoufflés, ils ont besoin d’être regonflés,notamment par des jeunes, mais on est peu nombreux, on a fait un bide total quand on a voulu réunirdes jeunes CFDT dans le groupe. Peu de jeunes se montrent, est-ce que c’est le poids des anciens ? lapersonnalité des jeunes ? » (homme, employé dans une grosse entreprise publique d’énergie, 34 ans,syndiqué CFDT depuis 4 ans, délégué du personnel)

Dans ce contexte, certains nouveaux s’épuisent dans un parcours initiatique interminable,d’autres mettent en place des stratégies, avec le soutien de l’organisation, pour accéder auxresponsabilités :

« En janvier 2000, je suis entré au conseil du syndicat, ils ont vu que j’en voulais, j’ai été mandaté,j’avais pris le dossier emploi-jeune, j’ai eu rendez-vous avec le DRH, on a fait la négociation. J’aisollicité, je suis devenu représentant syndical du Bureau syndical. A chaque congrès, il y a denouvelles candidatures pour le bureau syndical qui émane du conseil syndical, il y a eu 2 nouveauxsur 30 élus » (homme, postier, 29 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, élu du personnel)

Le contexte de prise de responsabilité est de fait assez paradoxal puisqu’il implique parfoissimultanément des possibilités de « promotion » et une « lutte des places ». Entre lapénurie de militants et les problèmes de reconversion des anciens, il existe un risque dedualisation des carrières syndicales, les nouveaux se voyant proposer les premiers niveauxde responsabilité au niveau local (les tâches les plus opérationnelles et les moinsvalorisées) et les anciens conservant les mandats les plus élevés et les tâches les plusnobles (élaboration du revendicatif, gestion des relations intersyndicales, activité denégociation collective).

72

6.3. La permanence de la sollicitation et de la cooptation

Au-delà de cette transformation des caractéristiques du marché interne du travail, l’accèsaux responsabilités reste toutefois gouverné par une « super règle » relativementintangible : la sollicitation. Que les postes soient vacants ou non, la gestion desresponsables relève de l’organisation. Si dans l’entreprise, les individus peuvent se faireélire sur des mandats avec l’étiquette syndicale de leur choix, sans que l’organisation nepuisse réellement « contrôler » le profil du candidat, la prise de responsabilité fait l’objetd’un travail de détection et de sélection. Rares sont les cas où les militants témoignent dedémarches pour « postuler » ou se porter candidat pour telle ou telle fonction. Lesformulations sont le plus souvent passives et relativement impersonnelles, « il m’a étédemandé ».

« Là il y a eu une proposition de la CFDT, ça m’a agréablement surprise la confiance que l’on peutavoir en moi, je trouve ça bien, c’est sérieux, avoir envie que la nouvelle génération s’investisse plus,faire confiance à des jeunes qui n’ont pas d’expérience » (femme, vendeuse en boulangerie artisanale,30 ans, syndiquée CFDT depuis 1 an).

Quand elle intervient, l’offre de responsabilité est souvent vécue comme une « surprise »d’autant plus inattendue que les nouveaux militants ont une faible connaissance dufonctionnement de l’organisation et une pratique syndicale récente. Il est assez rare derencontrer des nouveaux militants qui affirment avoir mis en place des stratégiesintentionnelles pour accéder à un poste de responsable au niveau des structures. Aucontraire, dans un contexte de pénurie de candidats, la force de la sollicitation peut êtrevécue de manière pesante. Tout bénévole qui s’engage est rapidement détecté comme unresponsable en puissance. Dès qu’il obtient une décharge ou du temps syndical il peut sevoir « promu » responsable dans une multitude d’instances. Le modèle du cumul desmandats tend de facto à s’accentuer et les militants enquêtés témoignent d’une « peur del’engrenage », d’autant que la prise de responsabilité se fait, dans un premier temps, sur dutemps bénévole.

« Il y a des sollicitations, et comme je ne veux pas tout dire sur ma vie personnelle (sa femme estmalade), ça pose problème, ça reste discret mais il est vrai qu’il y a des invitations formelles commepour Bercy. On m’a sollicité une semaine pour partir en formation, il en est hors de question pour lesraisons que j’ai annoncé. Dès qu’on s’implique plus que d’autres, on a tendance à lui mettre legrappin dessus, moi je tiens à un équilibre entre ma vie privée, professionnelle et syndicale. Jem’investis déjà pas mal » (homme, technicien dans une entreprise de bâtiment, 32 ans, syndiqué à laCFDT depuis 4 ans, secrétaire adjoint du syndicat)

Un certain nombre d’entre eux ont le sentiment d’accepter sous contrainte pour “soulagerles copains”, “soutenir un collectif”, “contribuer à une dynamique”. Ils font l’expériencedes liens d’interdépendance qui les relient à l’organisation et qu’ils avaient probablementsous-estimés. En un sens, cette sollicitation impromptue les fait basculer souvent malgréeux dans l’engagement syndical de structure. Cette situation renforce la crise du volontariatdans les structures et contribue à associer horizon syndical et exercice de fonctions tenantplace d’activité professionnelle.

« A la fédération, ils me sollicitent pour être au prochain bureau fédéral, donc je me pose la questioncar j’ai toujours dit que je ne voulais pas cumuler. Je suis au conseil régional, élue au bureaurégional, j’assiste à la commission exécutive, ça me suffit. Je ne sais pas si je vais décliner, il y al’enjeu du syndicat, on est le 10ème syndicat de la fédération, elle ne veut plus des anciens et l’équipeétant jeune il y a peu de personnes du syndicat qui peuvent monter sur des postes politiques, peut être

73

en 2003 » (femme, cadre territoriale, 35 ans, syndiquée à la CFDT depuis 8 ans, secrétaire généraledu syndicat)

6.4. Des formes de légitimité concurrentes

Les militants ne maîtrisent ni le moment ni les motifs de leur promotion. Le futurresponsable est « sollicité » quand il est jugé apte à remplir le mandat disponible. Dans lescollectifs, les futurs responsables sont cooptés et la sollicitation est plus personnalisée. Lerôle des « mentors » est central dans l’accès aux responsabilités. La relation avec cemilitant se tisse souvent très tôt dans le parcours syndical (au moment de la prise demandat dans la section, et parfois même de l’adhésion) et se poursuit dans la durée. Ce lienfort est à la fois le garant d’une possible « carrière » syndicale, mais il constitue égalementun élément de fragilité dans le parcours, subordonnant la réussite du « poulain » à celle deson mentor. Cet effet de fragilisation est encore plus significatif dans les univers politiques,régis par des règles électives, que dans les entreprises. La non élection peut en effetsubitement signer le terme d’une carrière syndicale. Toutefois, le processus de détectiondes candidats s’appuie également sur des processus de cooptation plus larges. Ainsi, le rôledes commissions de branches ou des sessions de formation est déterminant dans lerepérage des futurs responsables.

« Comme je faisais partie du conseil de branche second degré des représentants régionaux, descollèges et des lycées, là à la fédé c’était normal que ça soit dans cette assemblée là, où, je crois, ondoit être une vingtaine de membres. C’était le premier endroit sollicité. Et comme ils avaient déjàessayé de faire le tour et puis ils n’avaient pas de candidats, voilà » (femme, professeur, 35 ans,syndiquée CFDT depuis 10 ans, secrétaire fédérale).

« C’est parti du collectif PME, j’ai fait connaissance des gens d’Hacuitex et j’ai fait des formations àl’union départementale : instances représentatives du personnel, conseiller syndical (commentaccueillir les gens), c’est Bernard qui me les a proposées, c’était intéressant, surtout conseiller, c’étaitle top, c’était génial, je ne regrette pas. La boite a fermé, elle a déposé le bilan en septembre 2000,c’est là que Bernard m’a dit qu’il y aurait un poste à pourvoir à la FNCB, j’ai dit je veux bien mais jeveux savoir en quoi ça consiste. Il existe deux postes en France, deux postes expérimentaux. Jeconnaissais Bernard, je participais au collectif PME, je passais 4 heures tous les mois sûrs pour lecollectif. Bernard nous a aidés à remettre en place le syndicat Hacuitex, j’étais Hacuitex, je faisaispartie du bureau du syndicat, j’ai été élue au conseil régional » (femme, ouvrière textile, 30 ans,syndiquée CFDT depuis 2 ans, développeuse régionale).

Cela dit, le choix reste in fine validé par le dirigeant, c’est-à-dire le secrétaire général de lastructure concernée, ou plus largement par les instances dirigeantes. Toute sollicitation doitêtre assortie d’une validation politique. Les modes de désignation relèvent en effet d’abordet avant tout d’une rationalité politique qui leur est parfaitement étrangère. Souventignorants des tensions existant entre différents courants au sein de l’organisation (lesquelsne sont pas représentés dans la composition des instances dirigeantes), les nouveauxmilitants et futurs responsables sont soumis à une série d’épreuves non formalisées visant àtester leurs « tendances » politiques. Au cours des premiers mois de leur mandat, ils sontl’objet d’un contrôle diffus mais serré tant sur le plan de leurs opinions politiques(l’extrémisme de droite comme de gauche étant rédhibitoires à toute forme de promotioninterne) que de leur capacité à partager les valeurs de l’organisation (le « socle culturel »)et de leur allégeance à la ligne majoritaire (confédérale). Cette question du positionnementpolitique est d’autant plus sensible que l’organisation est traversée de débats et crisesinternes. Or la période 1995-2003 a été de ce point de vue fort mouvementée.

74

« Il y a deux ans j’ai rejoint la fédération en abandonnant mes mandats dans le syndicat où cela ne sepassait pas bien, car c’est un syndicat opposant depuis l’origine. Le secrétaire général de lafédération avait assisté à une commission de branche, c’est une branche un peu difficile, il a vu quemoi je n’étais pas dans la mouvance de la branche. J’ai choisi mon dossier avec le secrétaire général,les critères de repérage ont clairement été mon positionnement politique en décalage avec la branchequi était la branche noire de la fédération » (femme,rédactrice d’assurance, 45 ans, syndiquée CFDTdepuis 8 ans, secrétaire fédérale).

Cela dit, d’autres éléments entrent en ligne de compte et notamment des critères dedisponibilité et le degré d’investissement. La reconnaissance de la participation consentiepar le militant à des activités à caractère bénévole (contribuer à une action dedéveloppement ou de communication, monter et animer une formation, donner du tempspour la préparation des élections prud’hommes….) est un des leviers de la sollicitation. Ence sens, l’organisation syndicale est très sensible aux logiques de don contre don et l’oncomprend mieux les logiques de promotion interne si l’on prend en considération lesdynamiques de la dette (symbolique, morale, politique, affinitaire, matérielle), y comprissur le long terme. Certains responsables ont ainsi pu se maintenir dans l’organisationpendant de longues années, et construire un parcours syndical ascensionnel, du fait de leurcontribution passée à l’organisation (ou à tel(s) membre(s) de l’organisation).

« Quelles qualités ont été selon vous repérées ?Je travaille mes dossiers, ça c’est vu et puis on manque de bras, c’était une opportunité» (femme,

cadre du privé, 30 ans, syndiquée CFDT depuis 7 ans, secrétaire régionale)

« Je suis femme, jeune, et je travaille en centre d’appel, cela n’a rien à voir avec une compétencemême si je le savais et que Martine y croyait, c’est la reconnaissance du travail que l’on avait faitensemble de sa part, pas de la part de l’organisation » (femme, télé conseillère, 35 ans, syndiquéeCFDT depuis 4 ans, développeuse fédérale)

Les compétences entrent peu en considération, ce qui en soi minimise les chances desfemmes puisque la plupart des études montrent que les carrières féminines se construisentd’abord et avant tout sur l’atout compétence. La notion elle-même est peu identifiée dansl’univers syndical. Quelques aptitudes comportementales sont également valorisées, parexemple la capacité à tenir tête à l’employeur ou au responsable hiérarchique, à s’exprimerpubliquement et plus globalement à « se défendre », « à monter au créneau ». Le registredu charisme continue d’être convoqué dans le choix des leaders syndicaux, mais ce registreautrefois central, semble aujourd’hui fortement concurrencé par des critères deperformance. Les responsables comme les militants d’entreprise sont davantage évaluéssur leurs résultats (en nombre d’adhésion, négociation d’accords et obtention de droitsnouveaux, visibilité médiatique, place dans le dialogue social territorial, national eteuropéen).

« On me l’a dit clairement : rigueur, détermination, caractère, à plusieurs conseils syndicaux, j’étaisintervenue en dénonçant les manières dont les militants se comportaient : menaces physiques à la clé,mes collègues masculins ne bougeaient pas. Une dizaine de femmes : des copines qui se taisaient,celles qui pleuraient…» (femme, agent administratif, 40 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans,secrétaire du syndicat)

« Je monte au créneau, c’est peut-être mes origines espagnoles, je sais ce que je veux et tant que jel’ai pas, je ne lâche pas » (femme, ouvrière textile, 30 ans, syndiquée CFDT depuis 2 ans,développeuse fédérale).

Cohabitent en réalité dans l’organisation plusieurs registres d’évaluation des militants. La« voie politique » laisse de fait de plus en plus de champ à une logique de spécialisation.

75

La construction d’un parcours syndical requiert l’acquisition d’un bagage technique deplus en plus étoffé (technicité qui peut d’ailleurs être dissuasive pour un certain nombre demilitants et plus encore de militantes). La forte spécialisation des mandats et des périmètresd’intervention syndicaux, la complexité des organismes partenaires (Ministère, organismesspécialisés, administrations diverses…), l’hétérogénéité des problématiques selon lessecteurs professionnels et l’étendue des questions traitées par le syndicalisme contribue à laformation de militants dotés d’une expertise pointue. Cette technicité peut les inciter àconstruire leur parcours syndical au sein de filières spécialisées. Dans certains secteurscomme la santé au travail ou les conditions de travail, un petit nombre de militants hyper-spécialisés se maintiennent dans l’organisation en perfectionnant sans cesse leur savoir-faire, mais cette logique de spécialité se mesure aussi dans les secteurs professionnels etdans le champ de « l’interpro » avec le faible turn over des négociateurs de branche et desreprésentants dans les organismes paritaires.

Cette tension entre technique et politique révèle un conflit non résolu, mais récurrent, entreplusieurs formes de légitimité militante. Bien que le contexte et le contenu de l’activitésyndicale tendent à promouvoir un profil militant de plus en plus expert, les sphèresdirigeantes opèrent un travail constant de (re)légitimation du caractère politique de l’actionet donc des responsables. Les débats autour de la formation syndicale sont de ce point devue éclairant. Si l’acquisition de connaissances et compétences expertes est nécessaire, lesformateurs (qui sont souvent d’anciens responsables syndicaux) ont tendance à mettrel’accent sur « l’approche politique » de l’exercice des mandats et des fonctions. Cela dit,l’emploi du terme « politique » est polysémique. S’il se réfère pour partie à descompétences d’analyse des enjeux et des jeux politiques (questions de sociétés et stratégiesd’action), il incorpore également une dimension managériale, certes peu explicitée, maistrès présente. Dans un contexte d’institutionnalisation de l’action syndicale55 et restrictiondes collectifs militants, les représentants d’entreprise comme les dirigeants d’organisationsont évalués sur leurs capacités à « gérer leurs équipes ». En filigrane de cette concurrencedes registres technique, politique et managérial, se joue une lutte pour l’accès aux positionsles plus valorisées. L’attractivité des filières de carrière dépend donc à la fois desressources individuelles mais également de l’espace d’opportunités proposé ou perçu. Lafilière politique, doublée d’une compétence managériale, reste la voie « royale », pouvantéventuellement mener aux postes de secrétaire général, mais elle est également l’objetd’une lutte des places que les nouveaux militants (et plus particulièrement les femmes) onttendance à délaisser. Bien que plafonnées, les filières de carrière « expertes » offrentdavantage de stabilité et peuvent constituer un espace de carrière alternatif.

55 LABBE D, CROISAT M., op.cit.

76

7. LES RAISONS DE L’ENGAGEMENT EN STRUCTURE

Si l’on se représente la prise de responsabilité comme un engrenage sur lequel les militantsn’exercent que peu de contrôle alors qu’il s’agit en théorie d’un engagement volontaire,c’est-à-dire réversible et subordonné à la bonne volonté des individus, il est tout à faitcentral de s’intéresser aux « bonnes raisons » qui poussent les militants à accepter des’investir davantage. Pourquoi accepter la sollicitation alors que l’on ne contrôle pas lesmodalités de cette prise de responsabilités et que les critères de sélection restentrelativement opaques ?

7.1. Solidarité et volonté de pérenniser le travail collectif engagé Une des premières pistes de compréhension de cette décision en apparence peu rationnelle,renvoie à la force des liens tissés dans les collectifs syndicaux et des engagements qui lientles militants aux salariés dont ils défendent les intérêts. Interrogées sur les motifs de leurprise de responsabilité en structure, laquelle n’est d’ailleurs souvent pas envisagée sous cetangle mais plutôt perçue comme l’acceptation d’un nouveau mandat « pour remplir unvide » ou « pour rendre service », les militants évoquent fréquemment l’idée de« solidarité » et de volonté de pérenniser le travail engagé dans l’entreprise et pluslargement dans le secteur professionnel. Les dimensions affinitaires, affectives etémotionnelles sont indissociables du souhait de continuer le travail collectif engagé, de semobiliser pour tenir ses engagements et assumer ses responsabilités, pour faire face auxcrises, au vide, aux aléas de le vie syndicale et finalement pour « faire vivre lesstructures ».

« Et après, ce sont les gens que tu rencontres. Comme le bureau a évolué et que Jean-Claude estparti, la question s’est posée : « Comment faisons-nous pour fonctionner ? » C'est là que la questiont’est posée de savoir si tu veux en faire plus ou pas. Étant dans un collectif, cela me paraît un peunaturel. Je ne voulais pas laisser tomber» (femme, comptable dans une grosse entreprise demétallurgie, 45 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, déléguée du personnel).

« C’est une histoire de personnes, de gens qui en veulent, qui ont les mêmes opinions que toi. Ons’entend bien, il y a de l’affect, de l’amitié, il y a une dynamique, c’est une question de feeling et le faitaussi d’être obligé de reprendre l’union départementale, on est tous dans la même galère, on s’estserré les coudes, le secrétaire général nous a planté du jour au lendemain. Traditionnellement lesgens d’Interco sont impliqués dans l’interprofessionnel du fait de nos champs d’intervention, ce quiexplique que l’on se soit investi dans l’union départementale, une partie de notre droit syndical est misdans l’interprofesssionnel. On s’est retrouvé pour la campagne prud’homme, on s’est défoncé, maisça s’est fait dans la bonne humeur, on a obtenu le meilleur score pour prouver qu’on était unenouvelle équipe » (femme, agent de gestion, 36 ans, syndiquée CFDT depuis 3 ans, membre del’exécutif de l’union départementale).

De manière plus tactique un certain nombre de militants comprennent que s’investir dansle syndicat est le moyen de sécuriser et de consolider le travail de la section. L’exemple deFrancine et de Gilbert est de ce point de vue éclairant.

« Et quand il a proposé de le faire, moi si tu veux, comme je savais que monter dans les structures, çadevenait politique, politique, politique. Comme j’avais énormément de travail à faire sur le terrain, jene pouvais pas m’investir non plus dans les structures. Moi, il faut quand même comprendre, audépart, on n’était que deux. Il a fallu tout développer. Je ne pouvais pas être à la fois dans lesstructures, et à la fois sur le terrain. Moi, je n’avais que le temps de mon mandat syndical, et monmandat de comité d’entreprise, de 40 heures. Je n’y suis pas allé, non, je n’y suis pas allé. Et puis moi,je n’avais jamais pensé qu’il allait m’arriver une chose pareille. Si, j’étais membre du bureau de l’UL.Je n’ai jamais pensé qu’il allait m’arriver le vent du large. Tu fais confiance. Tu es dans un syndicat,tu es dans une structure, tu es à des lieux de penser qu’on peut te jouer des tours pareils. Tu penses

77

côtoyer des gens intègres quand tu intègres un syndicat » (femme, employée dans une grandeentreprise de transport, 43 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, déléguée syndicale)

« Ben, après ce que j’avais vécu j’ai dit non, euh, je suis frileux et puis, on m’a dit si, si, il fautabsolument, alors j’ai dit « ok. Je le fais, mais il est pas question de nous laisser tomber. » et puis euh,le directeur de, quand j’avais créé en 80 la section euh, il m’avait dit : « tu sais, quand tu payes unecarte c’est pour ceux du haut, c’est pas pour toi, euh, dans la défense peut être, mais tu, quand tudonnes ta cotisation, c’est ceux qui sont au dessus de toi qui sont contents ». alors, j’ai dit merde, à cemoment là, j’étais un peu sur déclin, j’ai dit oui, c’est vrai, je paye une cotisation, je participais euh, àpart les formations que j’avais un peu syndicales. Et là donc, quand on a recréé la section en 2000,j’ai dit euh, il est pas question de nous laisser tomber. Et moi je me suis dit, le seul moyen pour pasqu’on laisse tomber la section, c’est commencer à, c’est l’investir dans autre chose que la section.Donc, c’est pour ça que j’ai dit, alors à ce moment là j’allais régulièrement aux réunions du conseilsyndical, départemental, et puis petit à petit, j’ai commencé à être reconnu dans, déjà dans ma pasponctualité, mais persévérance » (homme, aide-soignant, 40 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans,secrétaire adjoint du syndicat)

Plus fondamentalement, ce qui reste très marquant dans le discours des nouveaux militants,c’est leur attachement à une conception finalement assez basiste de l’action syndicale.C’est en effet la relation aux salariés et les résultats de l’action pour les adhérents quiconfèrent et confirment le sens de l’engagement. Une majorité de militants insistent surcette dimension relationnelle centrale, le service à l’adhérent, l’utilité de l’action pour lessalariés. Cet ancrage local qui conduit les militants à dévaloriser l’image du syndicalisteéloigné du terrain peut être lu comme un rejet des pratiques syndicales portées par les plusanciens et qui ont contribué à la décrédibilisation de l’action syndicale dans les entreprises.Cela dit, il ne s’agit ni de dire que les anciens militants avaient des préférences pour unsyndicalisme de militants (lequel a été fortement poussé par la réduction des effectifsmilitants), ni de donner à penser que les nouveaux militants sont tous convaincus par uneformes de syndicalisme plus proche du modèle du syndicalisme d’adhérents. Ce que lesnouveaux ont compris, c’est que la légitimité (renouvelée) du syndicalisme se construitdans la proximité avec les demandes des salariés.

« Ça fait un an que je fais ça, c’est génial, je ne veux pas changer, le contact avec les gens se passebien, les salariés sont sympas, les salariés s’habituent à moi et commencent à me demander ce qu’ilsveulent pour la prochaine réunion. J’ai appris à me contrôler, à rester zen dans des situations bienspécifiques et à faire bien savoir aux personnes ce que je veux. J’ai l’ambition de mettre en place unesection professionnelle locale, ce n’est pas évident, ils ont encore un peu peur de venir, c’est que desisolés. Il y en avait 3 quand je suis arrivée, ils sont 10 aujourd’hui. Les salariés sont très satisfaitsdes infos que je leur donne, la convention collective, ils ne la connaissaient pas, les 35 heures, leschèques déjeuner, c’est des attentes qu’ils ont sur des thèmes spécifiques » (femme, ouvrière textile,32 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, secrétaire adjointe du syndicat)

« C’est cet écart entre les gens qui sont sur le terrain, qui marnent --à une époque on aurait dit lesproducteurs- et ces gens qui sont dans les appareils, qui sont un peu, sinon coupés, qui au moins ontune conception de leur rôle, qui n’est pas celle que j’attends d’eux. C’est un autre sujet, un petitdétour juste pour expliquer : quand nous avons travaillé sur les contrôleurs, nous nous sommes ditsaprès « nous avons positionné le contrôleur comme étant vraiment au service du client, le service duclient se déclinant sur informer, renseigner, mais aussi être là en cas de difficulté, de blessure,d’agression, de malaise ». C’est un truc très large qui fait fond sur ce sur ce que les contrôleursaiment dans leur métier, c’est-à-dire aider les gens, beaucoup. Et on a dit, à partir du moment où ondit ça, à partir du moment où on dit que le contrôleur est au centre de l’entreprise, parce que c’est luiqui est en contact le plus fréquent, le plus long avec le client. C’est lui qui a le plus grand rapportavec le client. Donc si nous voulons fonctionner correctement, en sachant que son métier c’est un vraimerdier -contrôleur, il n’y a pas plus merdique. Quand tu discutes avec les contrôleurs, ils ont desemmerdements tout le temps, ce n’est jamais comme ça devrait être. Tu as tout le temps des aléas. Sinous voulons aider ces gens-là, qu’ils fassent bien leur boulot... quand nous les voyons... Bon, à partdes bœufs mais t’en as partout donc ça, ça ne compte pas. En général, ces gens ont envie de bien faire

78

leur boulot et quand tu les écoutes, ils ont une connaissance extraordinaire de leur boulot, avec deshistoires, des anecdotes à te raconter, qui ont un sens du client. Des fois les mecs, ils sont géniaux.Donc on se dit, ces mecs-là, on est parti de ce principe : on ne va pas leur faire des formations extra-professionnelles pour leur apprendre comment il faut être avec les gens. Il ne faut pas se foutre deleur gueule.Par contre, ce qu’il faut, c’est que les dirigeants soient en appui. C’est ça le truc. Lalégitimité du dirigeant de proximité va être d’aider ces mecs-là à régler leurs aléas, tous les aléaspour lesquels les réponses ne sont pas entre les mains du contrôleur. C’est à la hiérarchie d’aider.J’estime que dans une organisation moderne aujourd’hui, démocratique, ses dirigeants sont auservice de sa base. Si tu es au service du développement syndical, tu es au service des gens qui sontsur le terrain pour développer le syndicalisme. » (homme, cadre dans une grosse entreprise detransport, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans, secrétaire général du syndicat)

C’est aussi le défaut « d’utilité » de l’engagement en structure pour l’activité syndicale deterrain qui peut décider un militant à ne pas accepter ou à se démettre de certains de cesmandats pour se recentrer sur des mandats locaux et/ou professionnels.

« L’apport fédéral, il est très intéressant mais le problème c’est que le rôle de secrétaire fédéral çase… Tu as vraiment l’impression au bout d’un moment d’être un gratte-papier, donc de beaucouplire, beaucoup écrire. Alors dans un premier temps, c’est enrichissant, mais dans un second, je pensequ’on a assez vite fait le tour. Si en plus tu n’as pas de marge de manœuvre ou que tu as l’impressiond’être en permanence chaperonné, un bout d’un moment c’est quand même énervant. Et puis, lecontact direct avec les gens aussi me manque. J’allais pas mal dans les IUFM. Puis bon, c’est aussi leproblème du cumul des mandats, c’est-à-dire, quand tu es partout, au bout d’un moment tu asl’impression d’être nulle part et de ne pas pouvoir finir tout ce que tu as à faire. Il y a le côté trèsgénéraliste aussi d’un secrétaire de syndicat qui est vraiment intéressant. J’ai accompagné unenénette à la médecine du travail. Enfin, je suis sollicitée. Alors en même temps, ce n’est pas évident,mais ça, ça me convient bien aussi de ne pas être cantonnée, spécialisée dans un domaine. Ce que jen’aime pas c'est tous les trucs un peu de représentation, genre le conseil académique de l’Éducationnationale où on est réuni autour d’une table. Chaque syndicat fait sa déclaration préalable et puisaprès, tu as les chiffres du Rectorat. Les trucs de ce genre-là, ça c'est vrai que c'est plus le pensum.Pour moi, c'est vraiment la représentation externe. Il y a beaucoup de gens, enfin, tout le côtéinstitutionnel. En même temps, je comprends qu’il en faille un minimum. Mais c'est toujours difficileparce que les gens ont l’impression que tu ne fais pas le travail, si tu ne fais pas l’institutionnel. Alorsque pour moi, c'est l’inverse. C’est-à-dire, ça bouffe trop de temps. Après, ça empêche d’aller sur leterrain » (femme, professeur, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, secrétaire fédérale).

7.2. Mise à distance du travail syndical de terrain et professionnalisation syndicale

Pour un certain nombre de militants, la prise de responsabilité en structure est au contraireperçu comme le moyen de perfectionner leurs pratiques syndicales, de prendre du champpar rapport à l’entreprise notamment en ayant une meilleure connaissance des réalités de labranche professionnelle. Il s’agit à la fois d’acquérir une vision plus globale et davantagede « technicité ». En d’autres termes, l’offre de responsabilité permet le prolongement duprocessus de professionnalisation syndicale enclenchée dans l’entreprise.

« Moi ça fait 10-12 ans, je fais parti d’un noyau dur qui a essaimé, tous ces gens-là sont là depuislongtemps, ils ont essuyé des restructurations, ils ont une vision du secteur, un niveau de maturité, ilsne sont pas collés à leur structure, mais on ne peut pas demander à un nouveau militant de toutcomprendre, il faut un certain temps pour que tu dépasses, toi-même tu bricoles dans ta boite et t’asenvie de voir ailleurs comment ils font, surtout dans un secteur peu normé, c’est comme ça qu’on acommencé à se réunir pour construire une convention de branche, l’intérêt et venu de construirequelque chose, un niveau de négociation supérieur tangible, quand je suis arrivée j’étais effarée parles discussions sur les grilles de classification, avec des gens du privé, on est parti du syndicat pouraller vers la branche » (femme, télé conseillère, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, secrétairefédérale)

79

« On a eu un congrès de notre syndicat, on pesait lourd, mais on avait besoin d’eux, j’ai été éluesecrétaire adjointe. J’avais compris que l’organe politique c’est le syndicat, à chaque fois qu’onmonte on est toujours meilleur en redescendant, on a une vision plus globale, on est meilleur entechnicité. Être dans le syndicat c’est un plus, on voit se profiler de façon globale le revendicatif. Ontraite des informations globales pour les vendre et les diffuser dans les sections et pareil pour ce quiremonte » (femme, assistante de communication dans une CAF, 30 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans,secrétaire générale adjointe du syndicat).

Pour d’autres militants, et ici la question des temporalités est centrale, la prise deresponsabilité correspond à un souhait de « sortir de l’entreprise ». L’ancienneté del’expérience de représentation quotidienne dans l’entreprise peut susciter une formed’usure chez les militants qui s’affrontent aux mêmes problèmes (et parfois à l’incapacitéd’instaurer un dialogue social constructif avec l’employeur), qui ont le « sentiment d’avoirfait le tour » de leurs mandats, qui « tournent en rond » dans l’entreprise ou toutsimplement qui ont envie d’explorer des dimensions moins techniques et plus générales dutravail syndical. Cette « usure » est très perceptible chez les militants qui ont plus de 8-10ans d’activité syndicale de terrain, mais elle peut intervenir beaucoup plus tôt dans descontextes de relations sociales fortement conflictuelles ou en cas de situation syndicaleminoritaire.

« Non, je n’avais pas envie de changer de métier. Du moins, pas forcément. J’avais envie d’essayer.Quand cela m’a été proposé, j’avais bien envie mais en même temps, cela me faisait un peu peur. Plusqu’un peu même. Cependant, arrêter mon métier, non, mais changer de direction… J’avais envie departir de la clinique. J’en avais fait le tour. Je ne me voyais pas trop continuer comme cela pendantdix ans. Surtout au niveau syndical. Dix ans de déléguée syndicale, c'est bon. Cela lasse. Parce quec'est dur. C'est fatigant » (femme, infirmière, 33 ans, syndiquée CFDT depuis 13 ans, permanente àl’union départementale).

« Voilà, on passe du temps à dire « mais ça faut pas le faire parce qu’on n’a pas le droit ou c’est paslégal ou parce que c’est dangereux » et puis avec une direction qui dit « ah bon, soit on le on savaitpas, soit mais vous vous rendez pas compte, on n’a pas le temps », enfin on passe du temps avec des« conneries ». Si tu veux, si ça t’amuse on peut te faire parvenir des comptes-rendus de réunion maistu vas voir ce que c’est, on passe du temps à dire, je vais dire n’importe quoi mais « voilà il y a eu unepériode où l’été il a fait très très chaud, il y a eu une panne de climatisation, il a fait chaud, donc ceserait bien de prendre des mesures parce qu’on peut pas éviter les pannes, alors ça serait bien, je saispas, d’avoir des ventilateurs, qu’on puisse ouvrir les fenêtres ». Ça va être deux heures de débat avecle responsable des services généraux parce qu’on peut pas ouvrir les fenêtres. Pourquoi ? Parce quec’est interdit. Enfin, voilà et après finalement ils prennent l’engagement que si ça arrive,exceptionnellement ils ouvriront les fenêtres. Il y a une panne de climatisation, on ouvre pas lesfenêtres, on ouvre pas individuellement. Tout ce qu’ils nous avaient promis de faire ils le font pas c’estça quoi. On va se battre, on va revenir en réunion à chaque fois pour dire « bah normalement ilfaudrait peut-être qu’on fasse un exercice d’évacuation parce qu’on doit en faire régulièrement ».« Oui, on va le faire », on le fait jamais. On les obtient, enfin on obtient des résultats mais par rapportà la somme de travail qu’on fait. Mais il faut voir aussi, il y a un détail important, c’est qu’on netravaille qu’à deux. Et en gros, on peut dire que dans cette boîte-là on était les deux à travailler, c’esttout » (homme, technicien dans une société d’internet, syndiqué CFDT depuis 3 ans, élu au comitéd’entreprise)

7.3. Accès au politique

Par ailleurs, quand on observe le travail en structure, les ressorts de la professionnalisationobservée dans les mandats de terrain prennent des voies plus hétérogènes et sans doute plusimparfaites. Moins technique que dans les mandats de terrain, l’apprentissage en structureporte sur des dimensions politiques, générales, de société, nécessitant des capacités desynthèse, d’analyse et d’ouverture sur des sujets complexes. Comme le souligne unemilitante, c’est la « découverte d’un continent » immense, inexploré et antérieurement

80

perçu comme inaccessible. De ce point de vue, le travail syndical en structure donne accèsà des sphères de connaissances et de décision inégalées dans les entreprises (à l’exceptionde quelques rares postes). La découverte du projet politique, au départ faiblement investipar les militants, est un des moteurs de la pérennisation de l’engagement et l’intérêt qu’ilreprésente semble se développer au fur et à mesure du développement de la carrièresyndicale. De manière plus affirmée que dans les mandats de terrain, l’engagement enstructure comporte une dimension idéologique. Bien que les nouveaux militants aient unereprésentation assez floue des valeurs et des principes généraux qui guident l’action del’organisation syndicale, c’est précisément l’idée que le projet syndical est lié à la défensed’un bien commun supérieur qui motive pour partie leur prise de responsabilité. L’entréeen militantisme est liée à un registre moral convoquant des convictions et des valeurs,prenant un sens particulier dans chaque biographie individuelle. L’entrée en responsabilitéprolonge cette dynamique par la découverte progressive du projet de l’organisation et lepari d’une articulation possible avec les aspirations morales de chaque individu. Quand laprise de responsabilité est suffisamment préparée, cette “montée en généralité” estprogressive. Elle agit comme une période de probation réciproque au cours de laquellel’organisation et le candidat apprennent à se connaître et s’apprécier. La formation, laparticipation aux instances et la fréquentation des rassemblements syndicaux fonctionnentcomme des espaces favorisant l’identification des différents niveaux d’intérêt défendus parl’organisation (du professionnel au général, du singulier au collectif) et le repérage desvaleurs. Ce sont aussi des lieux où les militants prennent la mesure des débats quitraversent l’organisation et prennent conscience de sa dimension historique - au sens decontribution à la définition de principes d’orientation culturelle (ou politique) généraux. Ence sens, l’activité syndicale n’est pas un emploi comme un autre. L’affirmation d’unedemande de professionnalisation accrue n’a pas fait disparaître la dimension vocationnellede l’engagement militant. La justification et la légitimité de l’engagement militant ne selimitent pas aux registres technique et de savoir-faire mais relèvent aussi de l’adhésion àdes principes généraux, à visée universelle.

« Printemps 97, la CFDT m’a fait des propositions, je suis rentrée au conseil syndical du syndicatnational, en 98, j’ai eu mon 3ème enfant, ça m’a lassé, c’était trop sectoriel avec des considérationstrop corporatistes, on travaillait sur les nouveaux statuts, le juridique et le réglementaire, ça nem’intéressait pas. Moi ce qui m’intéressait c’était la RTT, la négociation collective sur les grandesquestions d’intérêt général, c’est ma culture universitaire… du coup je m’ennuyais. Alors quand onm’a proposé d’aller à l’union départementale, je me suis démise de mes mandats nationaux. A l’uniondépartementale, dans une journée, on accueille la misère du monde, on négocie avec un employeur,on gère du paritarisme, la déclinaison d’actions nationales, tout ça a un caractère plus général, je mesortais de la considérations égoïstes des salariés de la CCI, j’étais dans le Monde » (femme, cadreterritoriale, 39 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, permanente dans une union régionale).

« Il y a eu des élections à l’union départementale, j’ai accepté un mandat de conseillère : j’assiste auxconseils, c’est enrichissant et complémentaire avec ce que je fais au SGEN, je m’occupe de la fêteBBB qui a été initié par un collectif après les élections de 98 où certains élus de droite avaient pactiséavec l’extrême droite. On essaye de faire du travail dans les quartiers. Ça a enrichi mon travail ycompris au SGEN (femme, institutrice, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, membre de l’exécutifde l’union départementale).

Bien sûr, la vocation s’apparente davantage à un désir d’accomplissement de soi dans lacorrespondance entre les valeurs de l’organisation et l’éthique personnelle, que sous laforme du sacrifice et du dévouement. L’engagement syndical permet de manière plus oumoins explicite une mise en cohérence personnelle. “Etre en accord avec soi-même”, allerdans le sens de sa “bonne conscience”, les militants évoquent la dimension personnelle deleur engagement.

81

« De toute façon c'était un engagement personnel et je savais que les gens sont assez égoïstes »(homme, cadre commercial dans une entreprise de presse professionnelle, 33 ans, syndiqué CFDTdepuis 3 ans, élu au comité d’entreprise).

« Un engagement syndical c’est comme un engagement religieux, ça ne regarde que soi. Après ce quej’aimerais bien c’est que la personne qui est avec moi délégué du personnel, mais suppléant, viennesuivre les formations DP par exemple, des choses comme ça. C’est une façon pour lui aussi dedécouvrir et peut-être de se syndiquer, mais quelque part je vais pas lui vendre une carte, je suis pasVRP. Alors peut-être que des gens se sont syndiqués depuis, mais je dirais que moi je l’affiche, mais jeconsidère que c’est quelque chose qui est personnel » (homme, informaticien dans une petiteentreprise du secteur internet, 31 ans, syndiqué CFDT depuis 2 ans, délégué syndical)

« Donc moi je dirais j’y trouve une espèce d’équilibre personnel aussi. Mais il y a des gens, je peuxcomprendre, que des gens trouvent leur équilibre personnel dans le fait de marcher en montagne oude gravir des collines, ou ce qu’ils veulent. Mais j’y trouve une sorte d’équilibre personnel. Je trouveplus d’équilibre personnel effectivement à être dans un truc où il y a 5, 10, 15 ou 20 personnes ou50 personnes à faire un discours, ou à débattre avec des copains qu’à marcher en montagne, voilà. Jete dis c’est un peu comme pourquoi l’engagement… je pense qu’il y a une dimension personnelleforte, là c’est tu trouves un équilibre personnel là-dedans, je pense qu’il y a un plaisir d’être engroupe, il y a certainement des dimensions même narcissiques. Il doit y avoir un plaisir de briller, il ya une dimension fortement narcissique là-dedans tu vois, il faut pas se le cacher, mais en mêmetemps… Mais bon chacun trouve son équilibre où il le trouve » (homme, ingénieur dans une petiteentreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, adhérent)

Pour beaucoup, l’offre de responsabilité syndicale correspond de fait à la construction ou laconfirmation d’une identité engagée. Les militants évoquent sans détour la notiond’engagement et assument ouvertement leur appartenance syndicale. La référencefréquente aux valeurs, à la mission, au rôle qui sont confiés aux responsables inscrit laprise de responsabilité syndicale dans le cadre d’un projet collectif, global, à vocationsociétale et politique.

« Je me définirais comme militante, je ne suis pas là pour faire quelque chose que l’on m’a demandé,je suis là pour construire le projet, mettre en place les moyens, contribuer à faire reconnaîtrel’organisation, l’aider à être reconnue en tant que telle comme un partenaire économique et social »(femme, cadre territoriale, 35 ans, syndiquée à la CFDT depuis 8 ans, secrétaire générale dusyndicat)

« C’est comme si on me proposait un emploi mais c’est une mission, je vais représenter la CFDT, pasque moi, je ne vais pas parler en mon nom. C’est une mission au sein d’un syndicat, à l’échellenationale » (femme, vendeuse en boulangerie artisanale, 29 ans, syndiquée CFDT depuis 1 an,mandatée RTT).

« On arrive toujours à trouver un sens à ce qu’on fait, c’est l’image que j’ai envie de donner de moi àmes enfants, quand les grands me questionnent je suis fière de voir qu’ils commencent à sentir lanécessité de ce qu’est l’engagement » (femme, cadre territoriale, 39 ans, syndiquée CFDT depuis 8ans, permanente dans une union régionale).

82

8. LES STRUCTURES COMME ESPACE DE PROJECTION ?

Si le champ syndical semble apparemment ouvert pour la construction d’une carrièremilitante, les conditions d’exercice des postes à responsabilité s’avèrent pour leur partplutôt dissuasives. 8.1. La concurrence des offres professionnelles et syndicales

Quelles que soient les motivations des militants pour accepter une responsabilité enstructure, leur participation reste étroitement liée à la possibilité d’obtenir du tempssyndical et plus largement à articuler activité professionnelle et activité syndicale. Ledomaine professionnel est un des domaines sur lequel l’engagement syndical agit avec laplus forte incidence et comme pour l’engagement humanitaire, « la disponibilité plus oumoins grande autorisée par certaines professions détermine directement le coût del’engagement56 ».

«Je travaillais toujours. Je le faisais que sur mes heures de délégation. J’ai pu avoir 15 heures parmois de déléguée syndicale et je devais avoir 20 heures d’élue CE. Quand j’étais de nuit, ce n'étaitpas très facile mais après, je suis passée de jour. Oui, quand j’étais de nuit, c'était plus difficile parcequ’à ce moment-là, nous faisions 12 heures de nuit. Nous travaillions 42 heures par semaine car nousfaisions des heures supplémentaires, en fait. Cela faisait beaucoup. J’étais obligée de prendre desnuits entières pour 15 heures, 12 heures. Cela allait vite. Quand je suis passée de jour, au départ,c'était pareil parce que nous faisions des missions de 12 heures. Après, nous sommes passés enjournées de 8 heures. C'était un peu plus facile » (femme, infirmière, 33 ans, syndiquée CFDT depuis13 ans, permanente à l’union départementale).

Si cette question de l’articulation travail – activité syndicale est déjà évoquée au niveau desmandats de terrain, elle devient centrale au moment de l’acceptation de mandats syndicauxen structure. Devenir responsable implique de fait une recomposition des investissementsprofessionnels puisqu’il s’agit soit de devenir permanent soit de donner du temps bénévoleà l’organisation (en particulier dans les structures syndicales de proximité). Cette situationplace les militants ayant accepté des responsabilités syndicales devant des difficultésmajeures de conciliation de leurs contraintes professionnelles et des exigences dedisponibilité exigée par l’activité syndicale. Les tensions sont telles que les militants n’ontpas d’autres « choix » que d’opter soit pour le désinvestissement (retrait de la viesyndicale, recentrage sur les mandats d’entreprise) soit au contraire de se sur investir(passage au statut de permanent). Rares sont les militants qui parviennent à assumer defront engagement professionnel à temps plein et responsabilités syndicales.

« Là-dessus arrive le congrès de l’union régionale, je suis sollicitée pour être au conseil, je suis élue.Tout ça faisant, ça n’était plus possible dans mon boulot. Avec la croissance de ma boite, il y avait unvirage administratif et politique à prendre, c’était peut-être pas mal que ce soit fait par d’autres. J’aisollicité un bilan de compétence, je l’ai dit à l’organisation. La confédération a donné son accordpour la création d’un syndicat régional avec la difficulté de savoir qui allait en prendre laresponsabilité. J’ai été poussée par l’union régionale et la fédération, j’ai dit attention je ne peux pasle faire avec le niveau de responsabilités que j’ai dans ma boite et en plus professionnellement, il fautque je bouge. J’annonce que fin 2002, je ne suis plus dans mon boulot. Je fais le bilan, j’envisageaisde faire un CIF pour l’administration de scènes de spectacles vivants. Mai 2001, je suis éluesecrétaire générale du syndicat et je donne ma démission » (femme, cadre territoriale, 35 ans,syndiquée à la CFDT depuis 8 ans, secrétaire générale du syndicat)

56 DAUVIN P, SIMEANT J., op.cit

83

L’offre syndicale entre alors en concurrence avec l’emploi occupé et l’intérêt de l’activitéou du métier exercé. Dans la mesure où l’offre de responsabilité s’accompagne souvent del’octroi d’un détachement professionnel (partiel ou complet) voir d’un contrat de travail,l’organisation syndicale peut être identifiée comme un lieu offrant un emploi et une offrede qualification pour les militants les moins diplômés ou occupant des emplois précaireset/ou faiblement qualifiés, mais également un espace de construction d’une trajectoireprofessionnelle alternative pour des personnes ayant fait le « tour de leur métier » ouplafonnées dans leur déroulement de carrière (y compris des cadres et des professionsintellectuelles supérieures). En ce sens, l’engagement syndical et plus encore la prise deresponsabilités en structure ne peuvent pas être envisagés indépendamment du rapport àl’activité de travail. Par les liens que l’activité syndicale entretient avec le monde dutravail, mais aussi du fait que cette activité est en réalité abordée comme un travail(impliquant des compétences, des méthodes, des procédures, des savoir-faire, des modesd’organisation….) et parfois même comme un emploi.

« Dans l’entreprise, il n’y a pas de perspective d’évolution, je ne suis pas comptable de métier, cen’est pas ce que j’ai choisi, j’avais souhaité tenir une boutique de la boite, je suis trilingue mais je suisbloquée, cantonnée dans un métier, dans le syndicat la porte est ouverte à tout le monde, il y a despossibilités d’évolution et d’expressions offertes » (femme, comptable, 41 ans, syndiquée CFDT depuis4 ans, conseillère fédérale)

« C’est un espace où on peut se réaliser, dans la Fonction Publique on a un déroulement de carrièremais les femmes sont dans des postes précaires, ça faisait 17 ans que j’étais adsem, le syndicat m’adonné une bouffée d’air » (femme, adsem, 40 ans, syndiquée CFDT6 depuis 8 ans, membre de l’uniondépartementale)

« Je suis quelqu’un qui, dans la vie, m’ennuie souvent vite. Le syndicalisme me permet de ne jamaism’ennuyer parce qu’il faut toujours apprendre, toujours obligé de se remettre en question et puisfinalement il n’y a pas de routine. Je trouve que cela permet de garder le cerveau en éveil, des’obliger à travailler. J’ai 45 ans, donc cela me permet de garder cette activité cérébrale » (femme,agent administratif, 45 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, déléguée syndicale)

« Mon boulot ne me plaît pas, on a trop de pression, on est en pleine restructuration, je ne suis pasreconnu et mon responsable me bloque sur mes frais de remboursement, je commence à me demandersi cela ne me met pas en porte-à-faux, ça fait trois ans que je suis là, j’estime bien faire mon travail,mon chef est un connard, bac+6 ou 7, il ne connaît rien à l’entreprise mais veut tout changer. Je vaisprendre un 50%, c’est un choix professionnel, tu t’engages, tu représentes les gens, tu dois être au toptout le temps, c’est un choix important dans une vie professionnelle, sachant qu’après ton étiquette estcollée sur ton front. A partir du moment où tu choisis de faire le boulot, il faut être sérieux, tu as uneréunion, un compte-rendu, t’appelle, on te donne des réponses » (homme, employé dans une grosseentreprise d’énergie, 28 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, délégué du personnel).

Au-delà de la relation d’emploi au sens strict du terme, la prise de responsabilité s’inscriteffectivement dans un parcours professionnel, comme perspective de reconversion, deprofessionnalisation (au sens d’acquisition de compétences) voire de promotion -notamment pour les salariés les moins diplômés ou ayant connu une trajectoireprofessionnelle bloquée. Le syndicalisme a toujours fait office « d’ascenseur social », maisce qui semble « nouveau » c’est l’identification de l’organisation syndicale comme un lieud’inscription professionnelle offrant un emploi, une offre de qualification etéventuellement un parcours, à équivalence avec l’entreprise.

« Je voulais faire un bilan de compétence et j’avais le projet de monter une PME avec une amie. Là ily a eu une proposition de la CFDT, ça m’a agréablement surprise la confiance que l’on peut avoir enmoi, je trouve ça bien, c’est sérieux, avoir envie que la nouvelle génération s’investisse plus, faireconfiance à des jeunes qui n’ont pas d’expérience. Dans un premier temps, ce sera à temps partiel,c’est un CDD de 3 ans, si c’est intéressant, que je fais mes preuves, on verra. Ca ne me fait pas peur

84

par rapport à mon avenir, j’ai pesé le pour et le contre, entre faire ce genre d’intervention et vendredu pain toute ma vie… » (femme, vendeuse en boulangerie artisanale, 29 ans, syndiquée CFDT depuis1 an, mandatée RTT). « Oui on a évoqué plus d’investissement… tu dois pouvoir t’épanouir, y’a plein de gens à conseiller,de choses à apprendre, rencontrer des gens différents, certains plus intéressants que d’autres, uneouverture. C’est pas qu’un métier c’est aussi une volonté, ça doit être usant aussi. Tu peux pas faireça sans conviction… Faudrait voir, si ça commence à être aussi intéressant je dis oui, si ça peut êtreutile à l’organisation et m’apporter à moi, aller aux commissions paritaires, c’est intéressant, si onme propose un boulot comme ça plutôt que de laver ma cuve, ça pourrait être un plus même si tu saisque ça va t’apporter des problèmes, des déplacements à droite à gauche, c’est pas facile de donnertout le temps, après c’est un choix. Aller ailleurs si c’est pour retrouver les mêmes conditions detravail, c’est dur. Il y a des petites caves où les relations sont paternalistes avec de meilleuresconditions mais tu n’y entres pas comme ça. Dans ma région à Nîmes, je pourrais être maître de chaià 8500 brut alors que je les ai en net ici » (homme, technicien dans une coopérative agricole, 30 ans,syndiqué CFDT depuis 4 ans, développeur régional)

Les nouveaux militants interrogent donc les possibilités de montée en responsabilité àl’aune de « l’intérêt » du poste, notamment dans la perspective de la construction d’uneprofessionnalisation syndicale. En ce sens, être responsable syndical ne se limite pas àl’occupation d’un rôle social, dimension qui était très forte par le passé. Il s’agit del’inscription dans une dynamique de construction individuelle centrée sur l’apprentissaged’un nouveau métier. Le profil-type du permanent a de fait bien changé en 10 ans : « on estpassé d’un permanent qui tenait sa légitimité du combat, de sa capacité à gérer un conflit àun permanent très professionnel, pédagogue, rigoureux, compétent, technicien de dossier,crédible, ouvert, ayant une forte capacité d’écoute57 ». Cette transformation des répertoiresde l’action contribue en retour à une mise en équivalence, de gré ou de force, des deuxsphères d’investissement et hisse l’activité syndicale au rang d’activité professionnelle (ladénudant en chemin de sa dimension bénévole). C’est ce qui peut rendre difficile le choixde la prise de responsabilité pour certains salariés. L’offre syndicale entre en concurrenceavec l’emploi occupé et l’intérêt de l’activité ou du métier exercé (notamment pour les plusqualifiés). Les candidats présumés à la prise de responsabilité raisonnent donc davantageen termes d’alternative que de combinaison (connexion) : parcours syndical ou parcoursprofessionnel. En ce sens, il s’agit d’un choix peut-être plus risqué que par le passé etparadoxalement plus engageant.

« Une fois j’ai visité la confédération, un machin immense, froid, impersonnel, j’ai jamais mis lespieds à la fédération, ça ne me manque pas. Je ne me vois pas faire ça à temps complet, t’as vite faitde perdre les pédales, c’est ce qu’on reproche aux inspecteurs, ça fait des lustres qu’ils n’ont pas misles pieds dans une classe. Moi je suis attachée à mon boulot, je travaille avec des enfants déficientsmentaux. Je ne me verrais pas permanente» (femme, enseignante, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 7ans, élu du personnel)

L’élévation des exigences professionnelles dans les entreprises (hausse de la productivité,intensification du travail, diversification et déformalisation des critères d’évaluation….) etla concurrence sur le marché de l’emploi, incitent les militants à peser les risquesprofessionnels qu’ils prennent en acceptant une responsabilité syndicale .

« Il y a un clivage entre ceux qui veulent rester un bon professionnel et le fait d’avoir desresponsabilités syndicales. A un moment il y a un divorce qui se crée, il faut choisir. Dans les PME latension devient ingérable, tu ne peux plus rester dans l’entreprise. D’un autre côté la CFDT ne peutpas avoir que des permanents » (homme, 46 ans, routier, syndiqué CFDT depuis 8 ans, secrétairegénéral du syndicat)

57 Voir le document intitulé « Union Régionale CFDT Bretagne : Réflexion sur l’organisation du travail et dutemps de travail des permanents » - Synthèse des travaux conduits au cours de l’année 2000.

85

« Si tu veux il y a tellement un manque derrière, il y a tellement une structure vieillissante qui dirige,que de suite tu passes au national, de suite tu peux faire des trucs. Mais c’est bien et c’est pas bienparce que tu peux pas mettre un jeune permanent sachant qu’en plus nous on est conscient que laretraite va être repoussée pour nous, etc., il va pas faire du syndicalisme toute sa vie. Nous on a desaccords nationaux à la SNCF qui permettent une carrière protégée pour un permanent, mais leproblème c’est que notre Direction ne veut pas que ce permanent à un moment reprenne le boulot. »(homme, cadre dans une grande entreprise publique de transport, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 3ans, délégué syndical)

Si un certain nombre de militants identifient effectivement l’organisation syndicale commeune alternative à leur situation d’emploi, ceux qui restent attachés à l’exercice d’un métierou qui ont une situation de travail « tenable » conçoivent davantage le syndicalismecomme un prolongement de leur métier/activité professionnelle. Le sens de l’engagementsyndical est indissociable du vécu de l’identité professionnelle (et pas seulement de sesdimensions catégorielles et corporatistes). Il est d’ailleurs tout à fait surprenant deconstater à quel point les militants tentent de tisser une cohérence de fond entre leur métieret leur fonction syndicale.

« Je me suis dit que c’est une aventure. J’avais l’impression que je plafonnais aussi au niveau desdécouvertes professionnelles, que j’avais fait un petit peu le tour de mon boulot et puis que peut-êtrelà je pourrais peser de façon différente pour faire changer les choses. J’avais essayé de changer leschoses dans mon établissement. Je commençais tout juste à voir au niveau de la région mais c’étaitencore très flou. Et puis sur le plan des conditions de travail, toutes les envies de réforme, toutes lesréformes qu’on proposait, je me suis dit peut-être que là, à la fédération, je pourrais en proposerdavantage ou peser davantage. Tu te dis que c’est un peu une scène un peu nouvelle pour prolongermon engagement aussi de prof, une certaine vision du métier. Tout en étant dans la ligne des valeursfamiliales… » (femme, professeur, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, secrétaire fédérale).

Chez les cadres, la dimension métier se double d’un engagement qu’ils définissentégalement comme spécifique à leur statut de cadre. Pour eux, il existe beaucoup de pointscommuns entre la fonction de représentation du personnel et celle d’encadrement. Ilsdéfinissent d’ailleurs souvent leur rôle comme celui d’un « intermédiaire » ou d’un« médiateur ».

« En plus si tu veux au niveau national je travaille mon métier, je défends mon métier national doncquand je reviens sur régional face à mon directeur d’établissement, j’ai de la crédibilité, je luiapprends même des choses que lui ne sait pas. Et en plus, quand je fais des tournées sur le terrain, jesais de quoi je parle . Voilà parce que j’ai dit la problématique maîtrise et cadre c’est vrai. Parce quemoi j’ai un secrétaire qu’est maîtrise mais qui… « tu me fais chier avec tes cadres Eric, les cadresc’est des « branlos » ils servent à rien… » enfin tu vois un peu le discours qu’on a » (homme, cadredans une grande entreprise publique de transport, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 3 ans, déléguésyndical)

« Je n’ai aucune honte à dire que je suis syndiqué, charité bien ordonnée commence par soi-même,les ONG c’est joli mais j’ai envie de faire des choses dans le milieu ou je suis. Mon travail syndicalest totalement lié à mon activité professionnelle, je n’aspire pas à prendre des responsabilités plusimportantes, ce qui m’importe c’est de régler les problèmes sur mon site : accords, amélioration desstatuts d’emploi. Ce qui me plaît c’est que c’est le pendant de mon activité professionnelle, je ne seraipas syndicaliste si je n’étais pas salarié de cette boite-là, pour moi ce n’est pas un métier en soi, je neme vois pas permanent, j’aime bien toucher à tout, non je ne veux pas renoncer à mon boulot, même sij’aime bien m’en évader, monter à Paris, avoir un dialogue avec des gens qui tiennent les rènes et lepetit pouvoir que ça me donne, j’ai plus d’infos que mon directeur, je connais mieux le DRH »(homme, projectionniste, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, délégué du personnel)

Ces militants, attachés à leur métier, développent souvent une vision assez « puriste » del’engagement, mettant l’accent sur la dimension bénévole et refusant la permanentéisation

86

pour conserver leur crédibilité syndicale (mais aussi leurs perspectives de carrièreprofessionnelle). Cela dit, la prise de responsabilité syndicale induit en réalité uneincompatibilité entre la tenue d’un poste de responsable dans l’entreprise (les processus demobilité professionnelle via l’engagement syndical semblant se raréfier) et peut être perçuecomme un risque professionnel majeur. Dans le cas des salariés les plus qualifiés, oncomprend aussi que les perspectives de carrière syndicale sont certainement moinsattrayantes que les possibilités offertes dans les entreprises. En ce sens, on peut fairel’hypothèse d’un double processus, de permanentéisation et de professionnalisation pourles salariés les moins qualifiés et de bénévolat (assurer ses mandats sur du temps horstravail) pouvant conduire au désengagement ou à des engagements limités pour les plusqualifiés.

« Dans l’entreprise, on a de la matière, 1400 salariés, on a de quoi se mettre sous la dent, des accordsqu’il faut suivre, quand on est éclaté sur plusieurs sites, ça demande un travail en réseau. DevenirDSC je ne sait pas, ne veut ni renier sur son boulot, ni sur sa fille, je prendrai la place s’il faut mais àma façon : moins de déplacements, plus de délégation, moins de relations directes avec la DRH, jesouhaite que les choses soient nickel, ce qui me dégoûte ce sont les syndicalistes qui font ça pour leurpoire, j’en connais plein dans l’ancienne génération, je souhaite faire du syndicalisme propre, je suispassé chef d’équipe mais parce que j’étais déjà n°2 de la cabine pas parce que je suis syndicaliste, jeme sens clean » (homme, projectionniste, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 4 ans, délégué du personnel)

« Ils m’ont proposé 25 fois de prendre du détachement, plus exactement la responsabilité de lasection. J’ai toujours été très frileuse parce qu’à un moment donné, il y a un argument qui estimportant pour moi et qui est que je ne me sentais pas crédible au début. Et je me dis quand mêmequ’en début de carrière, alors qu’il me manque par rapport à la trajectoire normale de tout cadredans cette entreprise, un passage de terrain, en faisant les fonctions centrales tu avances un peu plusvite qu’ailleurs dans les échelons hiérarchiques. Je me disais que pour me revendre derrière, pourréintégrer sur un poste intéressant, ce serait difficile d’autant plus que j’ai des collègues qui l’ont faitmais dans ces cas-là, ils réintègrent et finissent leur carrière sur des postes fonctionnels en général,dans les fonctions centrales. Et j’ai envie de faire de l’opérationnel, d’aller en unité sur le terrain.Cela me semble assez incompatible avec un bout de carrière affiché. Comment tu fais pour gérer tesrelations sociales dans ton unité quand tu es chef de service quand tout le monde sait que ton posteprécédent c’était responsable de la CFDT dans les fonctions centrales ? A un moment donné, c’est unpeu compliqué. Maintenant depuis six mois que je suis chef de cabinet parce que-là, j’ai un vraiproblème de compatibilité entre ma fonction syndicale et mon poste. Dans mon poste, je suisforcément au courant des dossiers largement avant qu’ils ne sortent, des orientations politiques quisont prises, des choses confidentielles. Je vois régulièrement passer des discussions dans lesquelles ilest dit : « bon, nous allons faire cela et qu’allons-nous dire aux organisations syndicales ? Bon, Nousleur dirons cela et puis ce n’est pas pareil et puis voilà. » Là, nous avons une incompatibilité certaineque j’ai eu un peu de mal à admettre au début et sur laquelle c’est mon mari qui m’a freiné, qui m’aretenu, qui m’a dit non,-là à partir du moment où tu dis oui au poste de chef de cabinet, il faut savoirraison garder. Cela ne t’empêche pas éventuellement de participer à des groupes de réflexion, desgroupes de travail au niveau de la fédération mais tu ne peux plus t’afficher localement, ce n’est paspossible. C’était une très belle opportunité de carrière. Je crois que je suis le seul chef de cabinet demoins de 30 ans de la terre et en plus, je suis une fille dans un monde d’hommes. Donc qu’ils mefassent cette proposition-là, objectivement, je ne pouvais pas le refuser (cadre privé, 30 ans, syndiquéeCFDT depuis 6 ans).

L’offre de responsabilités renvoie à des rationalités hétérogènes - affinitaires, affectives,pragmatiques, stratégiques, identitaires – qui bien souvent se mêlent et s’entremêlent.Toutefois, on peut faire l’hypothèse que les logiques d’ordre professionnel sont de plus enplus prégnantes du fait de la professionnalisation accrue des pratiques syndicales, destensions sur le marché du travail et de la dévalorisation relative des diplômes scolaires (etdes effets de déclassement qui l’accompagne), du profil des nouveaux et nouvellesmilitantes (jeunes, plus diplômés, et travaillant souvent dans le secteur privé). Sur le plande la relation à l’organisation syndicale, cette évolution s’accompagne d’une salarisation

87

croissante des militants et responsables (liées à l’afflux de militants syndicaux enprovenance du secteur privé et à la précarisation des parcours professionnels), ce quiimplique aussi le passage d’un mode d’engagement volontaire à une relation contractuelle(et de subordination) de travail. 8.2. L’acceptation d’un travail et d’un mode de vie de cadre Sur le plan des conditions de travail des responsables, les militants sont conscients du faitque la réalité de l’activité syndicale en structure est consommatrice de temps et demobilité. La centralisation des fonctions de responsables en région parisienne (ou dansquelques grandes villes de province) implique des déplacements fréquents et une mobilitégéographique auxquels les militants de terrain ne sont pas nécessairement habitués. Pourcertaines catégories de salariés ayant des horaires de travail décalés ou de plus faibleamplitude, cette réorganisation temporelle a des répercussions importantes sur ladisponibilité familiale et privée. Dans ce contexte, les critères de compatibilité de l’activitésyndicale avec les rythmes familiaux et scolaires sont décisifs dans l’acceptation desresponsabilités syndicales, surtout dans les cas où les militants – et surtout les militantes -ne sont pas permanentes.

« Des fois c’est un peu lourd quand j’ai l’impression de ne plus contrôler, je ne veux plus m’investirau niveau fédéral, cela me pose des soucis au niveau de l’organisation de ma vie familiale, c’est pastoujours facile » (femme, institutrice, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, conseillère fédérale).

« Mes enfants sont grands, ils ont 18 ans. Mais j’ai un enfant qui est handicapé. Quand j’ai acceptéde passer à mi-temps, j’avais des contraintes avec les garçons, qui étaient plus jeunes. Et je m’étaisdit que dans quelque temps cela serait fini, qu’ils seraient autonomes, etc. Puis un problème m’esttombé dessus, avec un de mes fils qui a des phobies sociales importantes. Du coup c'est trèscompliqué, parce que c'est une personne qui peut être un peu autonome et brusquement, sans criergare, il ne le sera plus et il faudra que je sois présente. Donc cela a été la grosse massue il y a quatreans de cela. À peu près à la période où je me suis engagée. Donc c'est vrai que je n’ai pas cettedisponibilité. C'est ce que je dis, parce que je ne suis pas disponible. J’ai prévenu. Mon choix, il estfait. C'est vrai que c'est difficile pour les femmes, même quand elles ont des jeunes enfants. Là je vaispartir au mois de février pour une semaine en formation CHSCT. Il faut s’organiser » (femme,comptable dans une grosse entreprise de métallurgie, 45 ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, déléguéedu personnel).

Le soutien du conjoint et de la famille dans la gestion familiale, l’âge des enfants et leurdegré d’autonomie, sont des critères prédominants dans l’acceptation du mandat syndical,comme l’ont d’ailleurs montré d’autres études sur l’engagement des femmes58. Cela dit,ces préoccupations familiales sont également exprimées par certains jeunes pères defamille. On peut par ailleurs penser que les responsables syndicales sont plutôt« favorisées » par rapport à leurs homologues cadres dans les entreprises car la plupartd’entre elles ne sont pas mariées à des cadres et n’ont pas à faire face aux contraintes descouples à « double carrière ». Cela dit, la présence d’enfants reste une contrainte majeure.

« Mes enfants ont 16 et 19 ans, je ne pense pas que j’aurais accepté s’ils étaient petits, ça fait rentrertard, au début avec mon mari ça a été dur, le plus dur ça a été conseillère fédérale, il n’avait pasl’habitude que je parte, maintenant il est bien rodé, on a décidé à quatre » (femme, ouvrière textile, 40ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuse régionale).

« Le père de mes enfants s’en occupe pas mal, mon compagnon aussi sinon je me débrouille avec lanounou et les copines. On prend beaucoup de notre temps personnel, les réunions le soir, il fautjongler avec les enfants, la maison. Je fais beaucoup de choses sur mon temps perso, je ne suis pas des

58 LE QUENTREC Y., RIEU A., Femmes : engagements publics et vie privée, Éditions Syllepse, 2003.

88

dossiers complets car je ne veux pas mettre en péril mon emploi. Sur le plan perso aussi cela demandede se remettre en cause, j’ai été longtemps seule, si je voulais travailler jusqu’à minuit c’était monproblème, maintenant j’ai refait ma vie, il faut trouver quelqu’un qui accepte ça, il faut s’organiserpour les enfants, il n’était pas question que j’arrête de militer mais après il faut trouver un justemilieu, parfois les enfants râlent un peu » (femme, comptable, 41 ans syndiquée CFDT depuis 4 ans,membre de l’exécutif de l’union départementale).

Cela dit, bien que les militants anticipent les contraintes de disponibilité et de mobilitéavant leur prise de responsabilité, la charge de travail réelle peut vite s’avérer ingérable Letemps de travail des responsables dans les organisations peut être tout à fait « horsnormes » syndicales comme en témoignent ces militants :

« Le rythme de travail, même si on me dit que j’ai une force de travail mais j’essaie de mettre deslimites, quelques fois je n’hésite pas à rester chez moi pour travailler et écrire (une fois par mois….),je mange avec mon épouse et je vais chercher mon gamin. Sinon je pars à 6 heures et je rentre à20h40 tous les jours. L’ancien que je connais, il est toujours au boulot et se rajoute le temps demilitantisme, faut s’aménager des espaces pour souffler. Je suis prêt à donner du temps mais j’aibesoin de me ménager un espace familial et privé, je ne suis pas dans un militantisme aveugle quicasse tout autour de soi » (homme, ouvrier d’entretien dans une collectivité locale, 38 ans, syndiquéCFDT depuis 6 ans, secrétaire fédéral)

« Là, cette semaine, à cause des élections, je suis rentré chez moi samedi matin à 10 heures, je suisreparti hier matin à 10 heures et je suis là jusqu’à vendredi soir. Bon, le contrat que j’ai avec mespetits camarades de la FD, c’est que je rentre le plus souvent possible le mercredi pour pouvoirm’occuper de mes gosses. Mais le plus souvent possible, ça voulait dire… Je ne suis rentré que 6mercredis sur 10, l’année dernière. C’est quand même relativement lourd pour la maman qui gère lereste… Et puis c’est épuisant. J’ai fait le compte… Je me suis amusé à faire le compte sur… Du 19août à fin octobre, j’ai fait 32 fois le voyage. A chaque fois, c’est trois heures. Ca pèse » (homme,enseignant, 45 ans, syndiqué CFDT depuis 10 ans, secrétaire fédéral)

Les situations les plus difficiles à vivre sont, semble-t-il, celles des bénévoles, c’est-à-direles militants qui font vivre les structures de proximité sur du temps syndical obtenu dansleur entreprise. La plupart des responsables de syndicat non permanents témoignent desmêmes difficultés : solitude, faiblesse des moyens, vampirisation de la vie hors travail parl’activité syndicale…

« Il n’y a pas de temps pour le syndicat c’est du temps perso, soit après le boulot et encore j'ai unboulot qui me permet de faire quelques trucs entre deux RV ou les jours RTT pour aller en formationet au conseil de l’UD. Je dis pas que c’est un obstacle mais faut savoir gérer tout ça sachant que j’aiune autre casquette dans une association, je suis vice-président et choriste dans une chorale, et puis ilfaut savoir garder une vie privée, je ne suis pas marié, je n’ai pas d’enfant, s’il y avait eu une vie defamille construite, je ne sais pas comment j’aurais pu concilier tout ça, j’aime bien mener les choses àfond » (homme, employé dans une administration, 40 ans, syndiqué CFDT depuis 8 ans, secrétaire dusyndicat)

Même quand l’activité syndicale s’accompagne d’un temps de décharge professionnel, elleimplique des rééquilibrages entre les différentes sphères de vie. Prendre des responsabilitéssyndicales en structure implique a minima de s’engager à respecter des contraintes dedisponibilité (assurer une permanence tel jour à telle heure) et pour les permanentsd’adopter des horaires de travail « de bureau », proches de ceux d’un cadre. De même, lestentatives de l’organisation syndicale pour rendre compatible l’activité syndicale avec lavie familiale (organiser les réunions sur le temps de travail et non plus le soir ou le week-end) contribue au renforcement de la professionnalisation du syndicalisme, excluant de faitles investissements bénévoles, sauf pour les salariés qui ont des horaires de travail souplesou de faible amplitude.

89

« En fait, moi, quand je travaillais le week-end, j’avais des jours de repos en semaine ; étant en33 heures j’avais des jours de repos et je ne les ai plus ici » (femme, infirmière, 33 ans, syndiquéeCFDT depuis 13 ans, permanente à l’union départementale).

« Et puis c’est un fonctionnement différent, puisque la fédé, ils sont là tous les jours. La région, le jourde permanence c’est surtout le jeudi et c’est un temps qui est beaucoup plus discontinu aussi. Cela dit,ça ne veut pas dire qu’à la fédé, il y n’a pas des périodes de bourrage. Ça aussi, c’est déstabilisant,ça on je ne l’avais pas prévu non plus, parce que comme ils sont tellement sur un truc où on bosse 24heures sur 24, enfin j’exagère, mais on bosse continuellement, après quand tu as à la limite unepériode d’inactivité, tu te sens presque coupable. Et de se dire « Non. Oui oh, là, là, il y a moins deboulot ! Le ministère n’envoie rien. C’est une période creuse », on en profite pour se reposer, pourfaire autre chose ou pour avoir un temps de recul pour réfléchir. Tu as l’impression que tu dois êtretout le temps sur la brèche. Moi, j’ai découvert avec la fédé un fonctionnement d’entreprise et decadres » (femme, professeur, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, secrétaire fédérale).

Les contraintes que fait peser l’activité syndicale de structure sur la vie familiale peuventdans une certaine mesure contribuer à renforcer l’effet “plafond de verre” pour les femmes,les incitant à se cantonner à des niveaux de responsabilités de proximité. Toutefois, uncertain nombre de jeunes militants hommes évoquent également leur souci de préserverleur vie privée.

« Quand je fais des choses sur le temps personnel, je me fais engueuler par ma femme, j’en fais lemoins possible mais je n’ai pas eu le choix, il a fallu bosser les dossiers à la maison. On fait d’autreschoses à côté, on traverse la France pour faire de la Brocante, c’est notre passion commune, onrestaure, on se documente, tous les week-ends on va dans les salles des ventes, ça ne prendra jamaisdes proportions importantes sur ma vie personnelle, même si certaines personnes n’ont pas l’air decomprendre, ma femme est malade » (homme, technicien dans une entreprise de bâtiment, 35 ans,syndiquée CFDT depuis 4 ans, secrétaire adjoint du syndicat)

Si le travail reste une sphère d’investissement et de construction identitaire centrale, il estaujourd’hui concurrencé par les autres sphères de vie – privée et publique – qui ont acquisune forme de légitimité renouvelée (notamment grâce aux 35 heures et autres modalitésd’ARTT). Or l’activité syndicale est plus que jamais associée au champ professionnel. Lesliens qu’elle pouvait entretenir avec les autres scènes sociales par l’inscription dans unecommunauté de vie locale se sont distendus. Vie privée et vie militante se vivent de plus enplus de manière séparée.

« Avant les sphères de vie étaient liées, le temps de travail syndical et le temps de travail semélangeaient, la vie syndicale dépassait l’entreprise, le niveau local était riche et les conjoints étaientsoit eux-mêmes militants, soit ils comprenaient ça par tradition. Aujourd’hui ces liens se sontdistendus, on raisonne sur des zones plus vastes, les gens ont plus d’horizons différents que par lepassé » (homme, 55 ans, secrétaire générale de fédération)

Ainsi, certains militants engagés bénévolement (sur leur temps libre et leurs congés),basculent parfois dans une situation vécue comme insatisfaisante car déstabilisante dupoint des équations temporelles antérieurement établies. Un sentiment de « trop plein »semble alors prédominer (« le mandat de trop ») et les militants ont plutôt tendance àvouloir modérer leur engagement. La rapidité des processus de prise de responsabilité et lepeu de contrôle exercé par les militants sur leur parcours peuvent accentuer encore cesentiment de tension entre vie professionnelle, vie familiale et vie syndicale, au détrimentle plus souvent du temps privé et des autres formes d’engagement public.

« C’est mon engagement associatif qui en a pâtit, société de botanique, activités pour les enfants lemercredi, je savais que je ne pourrais pas tout faire. On a des réunions d’adhérents le soir, ça setermine tard, on un conseil syndical mais on ne revoit pas les gens avant la prochaine réunion, c’estune course contre la montre pour tenir les objectifs et tenir le quotidien, le week-end c’est le travail

90

domestique, j’avais aussi des loisirs tant que j’avais mon tiers temps ça allait. Maintenant je vaismoins souvent au cinéma, je vois moins mes amis, il faut lire, se tenir au courant » (femme, adsem, 40ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, secrétaire générale du syndicat).

De même, les militants n’hésitent pas à poser les termes matériels de leur contribution,notamment sur le plan financier. Evolution qui tranche avec certaines pratiques del’organisation : il n’est en effet pas rare que les militants prennent sur leurs denierspersonnels pour mener leur action syndicale, qu’il s’agisse des frais de déplacements ou detéléphone.

« Ce qui m’inquiétait c’est par rapport à la voiture, mais j’ai obtenu une voiture de fonction. Et puis ily a eu le salaire, je ne voulais pas continuer à gagner comme en confection (minimum garanti), unhomme de la FD est venu, je suis sur la grille des salaires du bâtiment et j’ai une complémentaire »(femme, ouvrière textile, 32 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, secrétaire adjointe du syndicat)

« J’habite toujours Troyes, en règle générale le principe c’est que je rentre chez moi tous les jours, j’ytiens. Avant non seulement tu donnais de ton temps mais aussi de ton argent, ça allait plus loin, moi jene veux pas mettre en péril mon budget familial, mes aller-retour sont payés par la FD. Je ne suis paslà pour tirer un bénéfice de ma situation mais pas non plus pour mettre à mal mon budget, je seraiscélibataire, sur mon budget propre je ne serais pas sur cette ligne-là. Mon épouse est adhérenteCFDT mais je ne me vois pas lui dire que sur les pauvres 7500 francs que je gagne je paye mes aller-retour » (homme, ouvrier d’entretien dans une collectivité locale, 38 ans, syndiqué CFDT depuis 6ans, secrétaire fédéral)

« Le premier thème de dispute c’est que quand je vais au conseil je perds du salaire, j’ai posé laquestion, on perd 3 jours tous les deux mois, tout le monde était d’accord avec moi mais ils m’ont dit« on a toujours fait ça », ils ne se rendent pas compte de l’argent qu’on perd. C’est choquant, j’aitoujours dit que c’est pas la FD que je remercierai pour mon mi-temps » (femme, ouvrière textile, 42ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuse régionale)

Pour autant, sur cette question du temps et des moyens dédiés à l’action syndicale, il estnécessaire d’éviter l’amalgame entre la volonté de construire un équilibre entre lesdifférentes sphères de vie et le constat d’une sur-valorisation du temps privé, au détrimentdes autres types d’engagement. Au-delà de cette tendance qu’il conviendrait en outre denuancer, l’analyse des pratiques temporelles des militants en responsabilité donne plutôt àvoir un investissement intense, dans les limites parfois incertaines d’un équilibre de vierevendiqué. En majorité, les militants affirment ne pas compter leur temps. Cetinvestissement est proportionnel à l’enjeu professionnel lié à la prise de responsabilité etaux rétributions qu’ils en attendent tant sur le plan pragmatique (opportunité derequalification, acquisition de nouvelles compétences, ouverture d’un espace de carrière)qu’idéologique (contribution à l’élaboration d’un bien commun, défense d’un idéal, d’unevision de la société) et symbolique (construction d’une identité professionnelle reconnue).

8.3. Un coût d’entrée élevé

En dehors de ces considérations pratiques, l’exploration du discours que les nouveauxmilitants tiennent sur les structures met tout d’abord en évidence la difficulté qu’ils ont (ouont eu) à se représenter l’organisation tant sur le plan de son langage que de ses dimensionssymboliques : poids de la coutume, des rituels, des rites, des routines, de l’histoire... C’esttout un vocabulaire de découverte des sigles et des symboles d’un monde vécu commeétranger qui est mobilisé.

« Aller à l’union départementale, me balader toute seule, j’ai le sentiment d’être un fantôme, Il mefaudrait un organigramme, c’est pas évident de tout comprendre, c’est un peu comme la mangrove,entre le secrétaire générale de la confédération, de la fédération… il y a combien de secrétaires

91

généraux ? Je visualise bien qui est Jean, il s’est retrouvé sur ma route à différentes reprises, idempour Christophe mais ça donne l’impression d’être dans un grand building et tu cherches le bureau111 et tu ne le trouves pas…A chaque fois que je suis allée à l’union départementale, je n’ai pas étéaccueillie, froideur excessive…, la première fois, le conseiller juridique m’a pris de haut, j’avaisl’impression d’être à la sous-préfecture » (femme, vendeuse en boulangerie artisanale, 29 ans,syndiquée CFDT depuis 1 an, mandatée RTT).

L’organisation est souvent perçue comme « opaque », « froide » et « distante ». Dès lespremiers instants de leur rencontre avec les structures syndicales, les nouveaux militantsont le sentiment de basculer dans une réalité qui les éloigne radicalement de l’universsyndical de terrain. Cette distance initiale avec l’univers linguistique et culturel del’organisation qui s’explique en partie par le déficit de socialisation militante et surtoutpolitique des nouveaux militants, requiert un travail d’acculturation parfois difficile. Defait, les militants ayant eu des responsabilités militantes antérieures dans des organisationspolitiques ou associatives ont plus de facilité à se repérer.

« Non, il y a un coût d’entrée dans toutes ces organisations qui est très élevé. Alors une fois que t’asfait le coût d’entrée dans une, je pense, t’as fait le coût d’entrée dans le PS, après le coût d’entréedans les autres va être plus facile parce que t’acquiers une certaine habitude, etc. Mais le coûtd’entée dans la première organisation est très élevé, c'est-à-dire qu’entre les jeux militants qui fontque les débats t’échappent beaucoup, le fait… Il y a un aspect par exemple t’es dans une section, aubout d’un moment souvent les gens de ta section, dans ta section syndicale, ça devient tes copains. Aubout d’un moment t’y viens aussi parce que t’y vois des copains. Au début tu rentres là-dedans tuconnais personne, je veux dire t’as pas de plaisir à y aller. Il y a un coût d’entrée dans lesorganisations qui est très élevé. Alors quand tu vas au travail t’acceptes de le payer parce que t’espayé, le coût d’entrée par contre dans toute organisation de ce type c’est quand même très élevé, ilfaut le dire. Les six premiers mois tu connais personne, tu comprends pas très bien les débats »(homme, ingénieur dans une petite entreprise de conseil, 35 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans,adhérent)

Cette difficulté est parfois renforcée par une conception initiatique de la prise deresponsabilité qui semble perdurer à tous les niveaux de l’organisation. Elle consiste enune surexposition des individus à qui l’on confie des responsabilités lourdes, parfois sansleur assentiment, ou que l’on place dans des situations risquées (dossiers sensibles, trèspolitiques, controversés…) sans qu’ils y aient été préparés. Ce baptême du feu qui semblefaire partie des normes sociales du milieu syndical est sans doute en train de s’estomper,mais certains témoignages attestent de sa survivance.

« Je pensais qu’il y avait un collectif à l’union régionale, j’ai été trompée sur la marchandise d’unjour à l’autre j’ai eu des responsabilité énormes, je m’étais mis dans la peau d’une chargée demission, côté technique, personne ne m’a aidée à percevoir la dimension politique. Quand j’ai prismes responsabilités, le CESR était en reconfiguration, la CFDT a droit à deux postes, vice présidenteet présidente de commission, le second poste est accablant de travail. A mon insu le secrétaire généralm’a mis présidente de commission…» (femme, cadre territoriale, 39 ans, syndiquée CFDT depuis 8ans, permanente dans une union régionale).

Autre difficulté, le plus souvent sous-estimée par les militants, le souhait ou non deséquipes en place de les intégrer au fonctionnement collectif. Bien qu’ils aient été le plussouvent cooptés et sollicités par des militants avec qui ils avaient noué des relations deconfiance, un petit nombre de militants ont du mal à se faire une place dans la structure quiles a accueillies. Soit parce qu’ils étaient perçus comme « parachutés » par l’externe (lafédération, la région…), soit parce qu’ils venaient de petites sections ou de secteursprofessionnels nouveaux peu représentés dans la structure. Dans tous les cas de figure, iln’est jamais aisé pour un nouveau militant - de surcroît jeune et femme- de faire sa placedans un collectif de militants anciens ayant des pratiques syndicales installées.

92

« Suite à un gros désaccord avec le syndicat, on m’a proposé de m’occuper du pôle privé dans lesyndicat, mais personne n’était prêt à me faire une place, il n’y avait que des gens du public et moi jen’étais pas prête à cartonner. La fédération est composée essentiellement de syndicats nationaux, il ya un problème de proximité, des instances qui ne se réunissent pas régulièrement, c’est pas uneorganisation idéale, ce n’est pas facile de faire sa place, les débats sont souvent tournés autour desgrosses sections, les petites n’osent pas poser leurs questions de tickets resto alors qu’on débat duCSA. En 3 mois j’ai été écoeurée, ils ne me laissaient pas de place, ils ne se réunissaient jamais, pasde réunion d’équipe, pas d’objectifs. Quand tu viens de l’entreprise…. le choc est violent quand tusors de ta boite » (femme, télé conseillère, 35 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, secrétairefédérale).

Le syndicalisme est avant tout une forme d’ouverture relationnelle, une histoire humaine etsi la plupart des travaux sur l’adhésion syndicale mettent un bémol sur le rôle des « liensforts » (Duriez, 2004), la compréhension des phénomènes de fidélisation dans l’action etplus encore de prise de responsabilité converge pour souligner le rôle central des liensinterpersonnels et des dynamiques collectives. Ainsi, par contraste, les nouveaux militantsévoquent aussi des facteurs ayant encouragé et facilité leur prise de responsabilité. Lepremier point saillant tient dans un accompagnement durable qui articule soutien etautonomie. En d’autres termes un suivi qui évite les écueils du maternage et favorise unegradation dans la montée en responsabilité. Au-delà des qualités d’accueil des militants enplace, la question du tuilage et du tutorat est centrale tant sur le plan du transfert descompétences, de l’accompagnement dans la découverte des structures et de leurfonctionnement que de la socialisation politique, de la transmission de la « mémoire »collective et du lien intergénérationnel.

« Je participais au collectif PME, je passais 4 heures tous les mois sûrs pour le collectif. Ca nous aideà faire connaissance avec d’autres personnes, j’ai appris pas mal de choses, on ne sait pas tout. C’estparti du collectif PME, j’ai fait connaissance des gens d’Hacuitex. Dans le collectif c’est 25-40 ans,c’est sympa, tout le monde se tutoie, j’aime bien le contact avec les gens et c’est un moyen deconnaître d’autres corps de métier. C’est Rafäel qui a eu l’idée, ils m’ont bien accueilli, de toutesfaçons il y a la parité, il suffit pas d’en parler… ça se passe bien, j’ai pas l’impression d’avoir desdifficultés d’intégration » (femme, ouvrière textile, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans,développeuse régionale)

De même, l’attribution de chantiers ou de dossiers précis permet de donner un cadre detravail clair et peut servir de tremplin pour la montée en responsabilité, à condition qu’ellene fonctionne pas comme un processus probatoire menant à la spécialisation. L’aptitude del’organisation à proposer des stages de formation dont les contenus soient pertinents et latemporalité adaptée aux étapes de la prise de responsabilité est un des éléments clés dansl’évaluation que font les militantes de l’accompagnement qui leur a été proposé. Laformation est en effet décisive tant sur le plan de la clarification des fonctionnementsinternes de la CFDT et des collectifs syndicaux que des dimensions techniques de l’activité(GESSI, juridique…) et de la découverte progressive des valeurs et du projet del’organisation. Même si « l’apprentissage sur le tas » reste le mode d’acquisition principaldes pratiques et des compétences syndicales, l’accès à la formation – difficile et décalédans certains cas – est central dans la professionnalisation et dans la socialisation desmilitantes.

« Les questions de culture, de politique, de méthodes de tenue de réunion, qui sont abordées au coursde la formation créent une vraie différence par rapport aux problématiques du mode professionneld’origine. L’apprentissage de la CFDT s’est fait progressivement, d’abord au niveau local, sur le taspar le travail à la section, et grâce à la formation « faire ensemble » (femme, chercheure, 43 ans,syndiquée CFDT depuis 8 ans, conseillère de branche).

93

« Ils étaient à plusieurs : Jean-Claude, Jean-Luc et Richard ont dû animer en 1998 une session deformation, de ce que nous appelons « Bienvenue en CE ». Cette formation a duré trois jours. Leschoses se sont enchaînées comme cela, cela m’a intéressée. Plus tard tu te formes, tu acceptes d’alleren formation. Et là, tu découvres un peu réellement ce qu’est la CFDT, dans les formations, dans laprésentation, dans l’historique etc. » (femme, comptable dans une grosse entreprise de métallurgie, 45ans, syndiquée CFDT depuis 8 ans, déléguée du personnel).

« Paradoxe : ma chance ça a été la RTT , c’est la question des champs d’investissement que l’ondonne aux nouveaux et l’accompagnement des gens dans l’action » (femme, infirmière, 33 ans,syndiquée CFDT depuis 13 ans, permanente à l’union départementale).

Cela dit, si les formations sont indispensables pour combler le déficit de compétencestechniques, c’est la participation aux instances qui permet de répondre aux interrogationsorganisationnelles des militants et de préparer le terrain pour la prise de responsabilité.C’est dans la confrontation à d’autres militants, dans l’ouverture à d’autres secteursprofessionnels et dans la participation aux instances décisionnelles de l’organisation auniveau professionnel ou interprofessionnel que se joue la socialisation – notammentpolitique - des futurs responsables. Si dans un premier temps, les militants participent auxinstances pour en faire bénéficier leur collectif syndical, ils entament aussi leur travail dedistanciation à l’égard de l’échelon local, leur acculturation aux normes et aufonctionnement des structures. Autres lieux de socialisation et de formation : les congrès etles rassemblements. Au-delà de la fonction de communion qui permet de sentirl’organisation « derrière soi » et de consolider son appartenance institutionnelle, lesmanifestations collectives permettent de prendre la mesure de l’organisation – sa taille, sadiversité, la richesse des débats – et de toucher du doigt son projet.

« J’ai fait des formations à l’union départementale : instances de représentation du personnel,conseiller syndical (comment accueillir les gens), c’est Bernard qui me les a proposé, c’étaitintéressant, surtout conseiller, c’était le top, c’était génial, je ne regrette pas. On a eu une formationde 2 jours à la fédération, c’était intense et bien, impressionnant à voir. Et puis j’ai eu une formationde négociateur de branche à Bierville, on est mandaté par le syndicat pour aller négocierrégionalement, moi j’ai négocié pour les entreprises de moins de 10 salariés » (femme, vendeuse enboulangerie artisanale, 29 ans, syndiquée CFDT depuis 1 an, mandatée RTT). « Le conseil fédéral c’est extrêmement formateur à titre personnel, prendre l’habitude de synthétiser,d’aller vite, la concision» (femme, institutrice, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 10 ans, conseillèrefédérale).

« Tu bricoles dans ta boîte et t’as envie de voir comment ils font ailleurs, surtout dans un secteur peunormé, on s’est intéressé à l’élaboration d’une convention de branche avec l’intérêt de construirequelque chose à un niveau de négociation supérieur » (femme, télé conseillère, 35 ans, syndiquéeCFDT depuis 4 ans, développeuse fédérale).

Enfin, les militants insistent également sur la gestion du parcours de prise deresponsabilité, ses étapes et ses temporalités. Bien que la tendance actuelle soit àl’accélération du processus d’accès aux responsabilités, un certain nombre d’étapes sembleindispensable pour le confort et la sécurisation des futurs responsables. Ainsi, lestémoignages soulignent le rôle des commissions de branche (ou des chantiers TPE-PME)dans la formation des responsables. Centrés sur les dimensions professionnelles de l’actionsyndicale, en lien avec les réalités de l’entreprise, ces collectifs ou commissions sont nonseulement des lieux privilégiés d’acculturation au milieu syndical (langage, sigles, us etcoutumes, rites…), mais ils servent également de sas d’apprentissage. Ayant une fonctionconsultative ou élaborative, mais non décisionnelle, ce sont des lieux de débats et deconfrontation, en grande partie exempts des enjeux de pouvoir et politiques que l’on peutretrouver dans les exécutifs ou les instances des structures. L’accompagnement réussi

94

témoigne de l’instauration d’un espace de relations individuelle et collective basées sur laconfiance réciproque. Il s’agit d’un sas de professionnalisation et de constructionidentitaire préparatoire pour une intégration durable dans l’organisation (sas qui existaitantérieurement dans les sections).

« J’ai fait des choses qui ne sont pas dans les statuts, je me suis aperçu que les syndicats tels qu’ilssont structurés ne correspondent pas aux demandes des nouveaux, j’ai constitué un collectif PME, jeréunis les adhérents une fois par mois pour leur apporter ce qu’ils souhaitent et c’est eux quidemandent, ils voulaient des choses pratico-pratiques qu’on ne fait plus, dans l’organisation on a prisde la hauteur….. par exemple : lecture d’une fiche de paie, calcul des congés, affichage, ordre dujour, rôle du CE… et aussi répondre à leurs problèmes, c’est un temps d’expression, ils nousracontent leurs malheurs » (homme, 50 ans, secrétaire d’une union départementale)

La réussite d’un accompagnement se mesure à l’articulation vertueuse de ces différentesdimensions organisationnelles. Ainsi ce témoignage qui souligne tout à la fois l’importancedu binôme, des fonctionnements collectifs, de l’accès à la formation et de la participation àune commission de branche.

« En 1999, elle est devenue « secrétaire générale adjointe ». Pour elle, ce n’est qu’ « un titre ». Laprise de fonction a été douce vers le mandat de secrétaire générale (en octobre 2000). En effet, lorsdu changement du secrétaire général, elle a assuré l’intérim pendant près d’un an (le secrétaireadjoint n’étant pas souvent là). Il y avait un contrôle de ce qu’elle faisait mais elle faisait beaucoup.Le syndicat par sa convivialité lui a facilité son arrivée. Elle est arrivée « à l’aise » parce qu’il y avaitdes membres qu’elle connaissait depuis longtemps. Elle a suivi tous les stages de formations car ellene se sentait pas très à l’aise. Elle a pu acheter les logiciels et le matériel dont elle avait besoin, il n’ya jamais eu de blocage pour faire ce qu’elle voulait. Elle estime avoir été bien accompagnée. Elle faitmention d’une politique du syndicat tournée autour de la formation. Le syndicat a payé la formationde responsable de syndicat. Elle a également été membre de la commission de branche » (femme,employée, 45 ans, syndiquée CFDT depuis plus de 20 ans, secrétaire générale du syndicat).

8.4. Mobilisation des ressources individuelles et construction d’un parcoursprofessionnel

Cela dit, de manière globale, l’organisation peine à mettre en œuvre une politiqued’accompagnement harmonisée et intégrée. Bien qu’elle tente de modéliser etd’harmoniser ses modes de fonctionnement, l’organisation syndicale a pour caractéristiquede dépendre étroitement des individus qui la composent, lesquels possèdent« des ressources différenciées et sont intéressés à des titres et selon des intensitésdifférentes à la réussite ou à la pérennité de l’organisation59 ». En ce sens, si l’organisationpeut aider à la prise de responsabilité, les limites de son action se situent très clairementdans l’interdépendance des acteurs syndicaux entre eux. Les situations sont doncextrêmement hétérogènes et le meilleur côtoie le pire. Si la majorité des militantsinterviewés ont « bien vécu » leur prise de responsabilité, c’est en grande partie parcequ’ils ont puisé dans leurs ressources de trajectoire et leurs compétences acquisesantérieurement, qu’il s’agisse de savoir techniques ou organisationnels.

« Pour le boulot de développeur je retrouve le management que je faisais dans ma boite,accompagnement à faire faire, aider les gens à travailler avec d’autres … » (femme, télé conseillère,35 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuse fédérale).

« On te file le dossier et t’apprends sur le tas, on te donne les bases et après tu as ta propre analyse etton regard. On m’avait préparé pour que je prenne la relève sur différents dossiers même si je ne

59 OFFERLE M., Sociologie des groupes d’intérêt, Montchrestien, 1998.

95

pensais pas que ce serait moi qui prendrais la fonction. J’ai eu la formation dont j’avais besoin. Deformation j’ai fait de la compta bureautique, ça aide, il y a toujours de la gestion quelque part et desanalyses à faire, ma collègue qui est adsem on l’a plutôt orientée sur le terrain de la syndicalisation.Ma progression s’est faite sur la base de cette compétence de gestion » (femme, agent de gestion, 42ans, syndiquée CFDT depuis 6 ans, membre de l’union départementale)

Par ailleurs, la plupart d’entre eux témoignent de leur pugnacité et de leur sens del’initiative pour réussir à se frayer un chemin dans l’organisation. Force de caractère, talentd’observation, forte motivation et sens de la débrouille sont semble-t-il des qualitésindispensables pour « faire sa place ».

« Si j’ai été bien accompagnée ? Oui et non, le syndicat au début, on nous a exclut mais je suis uneteigne un peu, on y est arrivé… il faut être une femme dégourdie et disponible, un peu culottée et unpeu technicienne même si on ne fait pas seule » (femme, assistante de communication, 30 ans,syndiquée CFDT depuis 4 ans, secrétaire adjointe du syndicat).

«Au départ il a fallu que seule j’arrive à comprendre comment fonctionne la CFDT, qui allaitm’aider, je me suis construit un réseau, j’ai lu, j’ai posé des questions, j’étais seule dans le local, soitj’allais chez moi me coucher soit je profitais de ce qu’on m’a donné. » (femme, architecte, 30 ans,syndiquée CFDT depuis 3 ans, développeuse régionale).

Finalement un certain nombre de militants arrivent à passer le cap et à se réaliserpleinement dans leurs responsabilités. Et bien que responsabilité syndicale rime souventavec sacrifice et dévouement (en temps, en rémunération), l’engagement syndical est aussiassocié au registre émotionnel convoquant le plaisir, la joie, la jubilation.

« Je pense que l’organisation m’a laissé l’espace pour m’épanouir et a eu le mérite de reconnaîtremes capacités et compétences et ce n’est pas rien compte tenu du fait que je suis mécano et comptetenu de mon milieu, j’arrivais dans un monde d’intello mais pour eux c’est pas un critère, on m’alaissé de l’autonomie par rapport à mon rôle et le choix de la mise en œuvre »: (homme, ouvrierd’entretien dans une collectivité locale, 38 ans, syndiqué CFDT depuis 6 ans, secrétaire fédéral)

A première vue, les nouveaux militants apparaissent comme des individus pragmatiques etrationnels, articulant leurs différentes sphères de vie, négociant les termes matériels de leurinvestissement, anticipant les conditions de leur employabilité et de leur reconversion.Pourtant, quand on s’attache à leurs mots et à leurs discours, c’est surtout l’intensité dutravail réflexif qu’ils mettent en œuvre pour donner sens à leur engagement dans le cadreplus global de leur trajectoire professionnelle et de vie qui saute aux yeux. Bien sûr, c’estaussi la quête d’une maîtrise de soi et de ses engagements qui peut surprendre les plusanciens et entrer en dissonance avec la figure mythique du bénévole dévoué. Les formes del’engagement traduisent de fait une recherche de maîtrise de soi plus marquée que par lepassé. En ce sens, le rapport à l’organisation est sans doute plus contractuel. Il s’agit moinsd’endosser un rôle dont les attributs étaient avant tout vocationnels (avec tout ce que celaimplique de sacrifices temporels et matériels), que d’occuper une fonction inscrite dans unparcours de professionnalisation. Cette reconfiguration de l’engagement a pour effet defaire évoluer la place et le vécu de l’identité syndicale. Celle-ci devient une identité parmid’autres. Elle ne « résume » plus l’individu. Elle est dissociée des autres formes identitaires(familiales, privées) même si elle est plus que jamais étroitement liée à la sphèreprofessionnelle. L’engagement est intrinsèquement lié à un travail réflexif de constructiond’une trajectoire sociale et professionnelle qui donne sens à l’expérience syndicale, en lapositionnant comme une étape de leur parcours. Certains avec plus de facilité qued’autres….

96

« Entre l’architecture et le syndicat il y a le logement social… mais pas tout de suite, un mandat c’estpas assez, une vie c’est trop. En décembre 2002, le chantier se termine, il ne sera pas reconduit, il y ad’autres priorités régionales, j’ai refait mon CV et je vais faire un bilan de compétences. Au début ilsm’ont dit, s’il faut on va te licencier mais on va tout faire pour te trouver une mission, là-dessusPierre a pris la situation en main, il creuse pour trouver une solution. Je tiens à rester chargée demission. Je sais qu’ils vont me proposer quelque chose mais en parallèle je fais quelque chose aussi,je ne m’arrête pas à la CFDT pour manger ou payer ma maison. Déjà pour aller à l’école, je me suisbattue tout le temps, j’ai ramassé des melons mais toujours j’ai gardé mon étoile en vue » (femme,architecte, 30 ans, syndiquée CFDT depuis 3 ans, développeuse régionale).

« J’ai un contrat de 3 ans, j’espère continuer ce que j’ai commencé car c’est pas en 3 ans qu’on vaavoir de bons résultats. Si on ne me propose rien je vais faire valoir mes acquis professionnels etchercher un poste de prof. Je préférerais rester mais je me suis bien mis dans la tête que c’est uncontrat de 3 ans, j’ai d’autres possibilités, c’est un emploi, c’est mon travail » (femme, ouvrièretextile, 42 ans, syndiquée CFDT depuis 4 ans, développeuse régionale)

« C’est très clair qu’il y a 4 ans de financement d’un poste et pour que le syndicat se crée et sedéveloppe et dans 4 ans, je n’exigerai rien de l’organisation, je ne suis pas en attente d’unerécompense, de quoi que ce soit, je suis mobile dans mes emplois, j’ai une technicité monnayable unpeu partout. Ce qui ne veut pas dire que je vais quitter l’organisation, mais c’est un contrat moral, jene me retournerai pas contre l’organisation. Je ne suis pas inquiète pour l’avenir, je le vois pas nidedans ni dehors, je ne sais pas, mais je ne vis pas de promesses, je ne construirai pas un avenir surdes promesses, je suis prudente, ce sera le concret qui décidera, je peux jouer des coups de poker,mais à l’époque je savais que j’avais autre chose. Si je ne suis pas d’accord sur quelque chose je ledirai même si je suis fondamentalement démocratique, ensuite, si ça ne va pas à l’encontre de mesconvictions profondes, j’appliquerai, sinon je quitte l’organisation. Pour moi c’est clair que je neserai pas demain secrétaire de l’union départementale, puis régionale puis fédérale, idem je ne seraipas secrétaire du syndicat ad vitam, un peut être deux mandats et c’est tout, si on change pasrégulièrement les têtes on avance plus » (femme, cadre territoriale, 35 ans, syndiquée à la CFDTdepuis 8 ans, secrétaire générale du syndicat)

« J’avais annoncé que je partirai en 2003, 2 mandats c’est le minimum et le maximum car un seul onne se rend pas compte de ce qu’on a fait. Je voudrais distinguer la CFDT et ma quête, elle m’a ouvertles bras mais attention c’est une maman, les gens ne peuvent plus en partir, tout individu a peur duchangement, je pense qu’il faut que je m’applique la règle du départ, 9 ans c’est déjà beaucoup, ilexiste une dépendance psycho-affective et intellectuelle, la distance n’est pas prise entrel’investissement et le primo affectif, c’est la fusion, c’est pour ça que les gens ont du mal à parlerd’eux-mêmes » (homme, ouvrier d’entretien dans une collectivité locale, 38 ans, syndiqué CFDTdepuis 6 ans, secrétaire fédéral)

Ce travail réflexif est pour partie le produit de l’expérience militante et parfois de lasocialisation religieuse60, mais il est également lié à la diffusion d’une rhétorique del’expression et de la réalisation de soi très perceptible chez les jeunes salariés61. Cela dit,au-delà de cette incitation subjective à la « révision de vie », l’expérience syndicale produitdes effets objectifs sur les trajectoires professionnelles des militants interviewés. La plupartd’entre eux entament des parcours de formation professionnelle, s’interrogent surd’éventuels bilans de compétences ou de processus de valorisation des acquis del’expérience. Selon leurs ressources et leur bagage professionnels, les militants envisagentdes prolongements et des passerelles entre l’activité syndicale et leur future activitéprofessionnelle. Ces constats rejoignent les résultats de recherche dans le champ associatif,mettant l’accent sur les logiques de reconversion qui traversent les carrières militantes62,

60 LECHIEN M-H., op.cit.61 EME B., op.cit.62 AGRIKOLIANSKY E., La Ligue française des droits de l’homme et du citoyen depuis 1945. Sociologie d’unengagement critique, Paris, l’Harmattan, 2002. OLLITRAULT S., « Les écologistes français, des experts en

97

les individus pouvant passer d’une organisation à l’autre et d’un secteur à l’autre(politique, association, syndicalisme), parfois cumuler les engagements mais égalementconvertir leur engagement syndical dans le champ professionnel. Les savoir-faire d’ordrepratique acquis dans et par leur action militante peuvent en effet être appliqués dans unemultitude d’univers sociaux63. Cela dit, la reconversion s’avère difficile pour de nombreuxmilitants. Au-delà du périmètre du « réseau CFDT » composé des organismes sociaux etparitaires, des associations et ONG « amies », et de quelques grosses entreprises,l’étiquette syndicale constitue un handicap que les militants tentent de dissimuler. Si lesyndicalisme offre des opportunités de reclassement, il ne bénéficie pas, tout du moins enFrance, du prestige social d’autres formes d’engagement64.

action », Revue française de science politique, vol ; 51, n°1-2, 2001. SIMEANT J., « Entrer en humanitaire »,Revue française de sociologie, vol. 51, N°1-2, 2001.63 THEVENOT L. « Faire entendre une voix. Régimes d’engagement dans les mouvements sociaux »,Mouvements, n°3, 1999. MATHIEU L., « Rapport au politique, dimensions cognitives et perspectivespragmatiques dans l’analyse des mouvements sociaux », Revue française de science politique, vol. 52, n°1,2002.64 DAUVIN P. SIMÉANT J., op.cit.

98

CONCLUSION

Si l’on tente de dresser les constats centraux de cette étude, il est tout d’abordindispensable de souligner l’hétérogénéité des profils des militants interviewés, tant sur leplan des filiations que des trajectoires socio-éducatives ou des modes de socialisationfamiliaux. La lecture des trajectoires d’engagement des militants interviewés permet demettre en exergue à la fois des éléments de différenciation majeurs, notamment du point devue des circonstances et contextes d’engagement, mais également des permanences ouéléments récurrents permettant d’expliquer, en partie, l’engagement syndical à la CFDT.Les modes de socialisation familiaux par exemple, de même que la force des héritagesmilitants sont des facteurs déterminants de l’adhésion et du choix de la CFDT. L’enquêtesouligne la force des dispositions héritées, mais elle insiste également sur le lien nonmécanique qui existe entre ces héritages qui peuvent prédisposer à l’engagement et lepassage à l’acte en pointant non seulement les contradictions qui les traversent (notammententre les filiations maternelles et paternelles), les effets de « mise en latence » ou de reportde l’engagement malgré des incitations parentales fortes et le rôle des tensions entres lesdifférentes sphères de vie (travail, famille, syndicalisme). En d’autres termes, tous lesenfants de militants ne le seront pas nécessairement, mais tout le monde ne s’engage pasnon plus dans l’activité syndicale. Cela dit, au-delà de la diversité des contextesd’engagement, les individus ne viennent pas à la CFDT par hasard. Si les individusn’identifient pas toujours clairement les positions revendicatives de l’organisation,l’adhésion à la CFDT est motivée par un certain nombre de valeurs et le rejet de certainesformes d’action politique et syndicale.

Par ailleurs, la force des dispositions héritées ne suffit pas – ou très rarement - à expliquerle passage à l’acte. L’ancrage professionnel de l’adhésion syndicale invite à explorer plusavant les liens entre activité professionnelle et engagement syndical. Qu’il s’agisse detrouver des moyens d’action pour défendre les droits du ou des salariés, pour défendre unecertaine idée du métier ou encore pour favoriser les mobilités professionnelles(hiérarchiques, fonctionnelles et géographiques), les circonstances de l’engagement sontindissociables d’une lecture des situations d’emploi et des conditions de travail. Cettedimension professionnelle est également décisive dans la compréhension des formesd’investissement dans l’action syndicale. La stabilité dans l’emploi apparaît de fait commeun élément favorisant l’engagement syndical, mais parallèlement un engagementprofessionnel intense et satisfaisant peut être dissuasif pour une prise de responsabilitésyndicale, même de terrain, ou alors sous une forme « bénévole », n’empiétant pas surl’exercice de l’activité professionnelle. Inversement une situation professionnelle peusatisfaisante peut susciter un désir de transfert des engagements de la sphère du travail verscelle du syndicalisme, et une quête de professionnalisation au travers de l’exercice desmandats syndicaux dans l’entreprise. Cette dichotomie en termes de parcours professionnel(et de capital scolaire) se retrouve de manière accrue à mesure que l’on progresse dans lesstructures de l’organisation. Pour une majorité de responsables syndicaux, la stagnationprofessionnelle liée au déficit de capital scolaire, est un des moteurs de la carrièresyndicale.

Sur le plan des motivations qui poussent à l’engagement, l’enquête permet de soulignerl’affaiblissement des raisons axiologiques pour comprendre l’engagement syndicalcontemporain, à l’exception peut-être des militants les plus diplômés et les plus politisés(mais là encore on constate un report de l’engagement) et la montée en force desmotivations liées à la défense des droits des salariés. Cette évolution est intrinsèquement

99

liée à l’évolution conjointe des lieux de syndicalisation (secteur privé et tertiaire,TPE/PME) et de la dégradation des conditions de travail et d’emploi (flexibilité, précarité).Cette hétérogénéisation se lit également dans les circonstances de l’engagement quipeuvent être variées, même si les chemins qui mènent à l’adhésion ont tous pour pointcommun d’accorder une place centrale à la dimension interpersonnelle. Le « travail » del’organisation est perceptible dès la mise en forme des engagements syndicaux deproximité. S’il paraît difficile de syndiquer – dans la durée - un individu qui ne partage pasa minima un certain nombre de valeurs ou de croyances avec l’organisation syndicale,l’engagement est indissociable d’un lien fort avec une personne qui incarne à lui seul lesqualités –morales, professionnelles et relationnelles – attendues de l’organisationsyndicale. Figure du courtier ou du passeur, cet individu est au centre du processusd’adhésion. La fidélisation de l’engagement pour sa part s’inscrit dans une dynamiquerelationnelle plus large – un collectif. Cette relation d’abord interpersonnelle se joue aussià l’échelle de l’équipe syndicale de terrain. Elle est en outre indissociable du type d’actionsmenées et de leur résultat. En ce sens, l’expérience syndicale de terrain – la vie de lasection d’entreprise – constitue une matrice pour l’engagement futur, lieu d’apprentissageet de construction d’une légitimité pour soi et pour les autres, avec les risques de clôture etd’enfermement sur soi qu’elle comporte. La « fabrique » de l’adhérent puis du militantrelève de la rencontre entre des trajectoires individuelles, en partie hétérogènes, descontextes professionnels et des configurations relationnelles. Ce processus, contingent etfragile, se construit dans le cours de l’action. Il permet parfois d’enclencher unedynamique cumulative progressive incitant les individus à faire le choix d’une prise deresponsabilité syndicale en structure.

Si l’on se penche maintenant sur la prise de responsabilité en structure, dont on ne redirajamais assez les liens étroits qu’elle entretient avec les étapes précédentes (et ce en dépitdes phénomènes d’accélération des parcours), plusieurs constats peuvent être soulignés. Siles « bonnes raisons » de s’engager sont étroitement liées à des dimensions affinitaires, etpolitiques, elles doivent toujours être replacées dans une trajectoire socio professionnelledonnée, laquelle sera au cœur des rétributions perçues de l’engagement. De fait, si l’onobserve les modalités de prise de responsabilité c’est d’abord la question des coûts quisaute aux yeux. La montée en responsabilité est un processus non maîtrisé par lescandidats, le plus souvent impulsé par les contraintes de la politique dedéveloppement/mixité et le déficit de militants. La logique de cumul qui préside à cettecarrière syndicale engendre par ailleurs une concurrence forte entre les différentes sphèresde vie et bascule les militants dans une fonction de cadre, avec toutes les contraintes demobilité et de disponibilité afférentes. La difficulté à vivre les structures et le peu d’aidereçue par l’organisation tant sur le plan de la formation que des processus d’apprentissageinduit des situations très hétérogènes. Seules les ressources individuelles permettent decomprendre comment les militants parviennent à se maintenir et à construire leur placedans l’organisation. Finalement, les militants adoptent donc pour beaucoup descomportements tactiques qui permettent de minimiser le coût de l’engagement pourdégager de cette expérience des rétributions susceptibles d’être reconverties dans d’autresscènes, et notamment la sphère professionnelle.


Recommended