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Les Archives Internationales de la Danse et l’anthropologie de la danse"

Date post: 04-Feb-2023
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Les Archives internationales de la danse et l'anthropologie de la danse Anne Decoret-Ahiha Laboratoire d'anthropologie des pratiques corporelles Universite Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand Concluant son article sur l'emergence d'une ethnologie de la France, :sac Chiva soulevait la question de la formation des traditions intellec- elles (Chiva 1987: 33).]e m'interesserai ici a un objet longtemps rele- =ue ala peripherie des sciences humaines et sociales : la danse. ]usqu'a tres :icemment, les ethnologues tendaient a la considerer comme un element ;:e contexte de l'etude des societes I. Pourtant, des 1928, Edward Evans- .tchard considerait qu'elle avait une place margin ale dans l'enquete ethno- 'que, ce qui etait« indigne de son importance sociale » (Evans-Pritchard 928 : 446). Six ans plus tard, Marcel Mauss pronons:ait sa les:on sur les :echniques du corps et invitait les chercheurs a explorer Ie champ des pra- 'ques corporelles, dont la danse (Mauss 1936 [1934]). Ma communication ffiira l'occasion de s'interroger sur Ie retard et la rarete en France des etudes thropologiques dans ce domaine. J' evoquerai une institution non acade- .que puisque entierement privee, ayant consacre une grande partie de ses drorts a l'etude de la danse : les Archives internationales de la danse (AID). Entre 1932 et 1939, les AID constituerent des collections documentaires consequentes qui necessiterent de vastes operations de recueil de donnees eI al'occasion desquelles une methodologie propre a la collecte des faits e danse fut experimentee. Bien qu'elles n'aient engendre aucune ecole de ~nsee theorique, elles formerent un foyer d'activites organisees autour du eveloppement de la connaissance anthropologique de la danse. Plusieurs 1. C'est lafameuse formule: « ... et ils danserent », que les ethnographes, con frontes a un ~enement de danse, se contentaient d'inscrire, traduisant ainsi leur difficulte a rendre compte et a analyser cette pratique sociale (Ness 1996 : 245).
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Les Archives internationales de la danseet l'anthropologie de la danse

Anne Decoret-AhihaLaboratoire d'anthropologie des pratiques corporelles

Universite Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand

Concluant son article sur l'emergence d'une ethnologie de la France,:sac Chiva soulevait la question de la formation des traditions intellec-

elles (Chiva 1987: 33).]e m'interesserai ici a un objet longtemps rele-=ue ala peripherie des sciences humaines et sociales : la danse. ]usqu'a tres:icemment, les ethnologues tendaient a la considerer comme un element;:e contexte de l'etude des societes I. Pourtant, des 1928, Edward Evans-

.tchard considerait qu'elle avait une place margin ale dans l'enquete ethno-'que, ce qui etait« indigne de son importance sociale » (Evans-Pritchard

928 : 446). Six ans plus tard, Marcel Mauss pronons:ait sa les:on sur les:echniques du corps et invitait les chercheurs a explorer Ie champ des pra-'ques corporelles, dont la danse (Mauss 1936 [1934]). Ma communicationffiira l'occasion de s'interroger sur Ie retard et la rarete en France des etudesthropologiques dans ce domaine. J'evoquerai une institution non acade-.que puisque entierement privee, ayant consacre une grande partie de ses

drorts a l'etude de la danse : les Archives internationales de la danse (AID).Entre 1932 et 1939, les AID constituerent des collections documentairesconsequentes qui necessiterent de vastes operations de recueil de donneeseI a l'occasion desquelles une methodologie propre a la collecte des faitse danse fut experimentee. Bien qu'elles n'aient engendre aucune ecole de

~nsee theorique, elles formerent un foyer d'activites organisees autour dueveloppement de la connaissance anthropologique de la danse. Plusieurs

1. C'est la fameuse formule: « ... et ils danserent », que les ethnographes, con frontes a un~enement de danse, se contentaient d'inscrire, traduisant ainsi leur difficulte a rendre compte eta analyser cette pratique sociale (Ness 1996 : 245).

collaborations d'envergure furent ainsi menees avec des folkloristes et descollaborateurs du musee d'Ethnographie du Trocadero (MET). Ce faisant,les AID ont opere une transition dans leur approche de la danse qui relevede celie operee entre Ie folklore et l'ethnologie.

C'est Rolf de Mare, un mecene suedois installe a Paris qui crea et dirigealesAID. Grand voyageur, amoureux des arts, celui-ci avait fonde, en 1920,les Ballets suedois qui furent a l'origine de choregraphies modernes asso-ciant peintres, poetes et musiciens de I'avant-garde parisienne (L'Hommeet son desir, Les Maries de fa tour Eiffef, La Creation du monde, Refdche ... ).Apres la dissolution de la troupe, en 1924, il imagina d'ouvrir un centreinternational de ressources, de documentation et de conservation, dediea la danse sous routes ses formes: les Archives internationales de la danse- musee de la danse. La vocation patrimoniale du projet repondait a 1'in-quietude soulevee par la disparition prematuree, en moins d'une decen-tlie, de plusieurs grandes figures de la danse de 1'epoque, notamment JeanBodin, danseur et choregraphe des Ballets suedois2• Le declin rapide dumusic-hall de varietes, formule initiale de ce gente spectaculaire, preoccu-pait egalement Ie monde des artistes. Installees dans un hotel particulier,au 6, rue Vital a Passy, les AID furent officiellement inaugurees Ie 19 mai1933. Bien que s'adressant en particulier aux choregraphes, danseurs, deco-rateurs ainsi qu'aux « historiens, ethnologues et folkloristes », elles etaiemouvertes a tous et leur entree etait gratuite. A Pierre Tugal, un journaliste erecrivain d'origine russe, forme a la philo sophie a I'universite de Heidelberg,revint la charge de conservateur.

Les activites des AID relevaient de deux ordres : artistique d'une parravec l'organisation de concours de choregraphie, museographique d' autrepart selon une conception rappelant celIe du « musee-laboraroire » deve-loppee par Georges Henri Riviere, dans la mesure au l'activite patrimo-niale se conjuguait a celles de mediation et de recherche. Outre la co1-lecte d'objets (costumes, maquettes de decors, photos, accessoires ... ) erde documents (ouvrages, films, partitions ... ), les AID publiaient trimes-triellement une revue et organisaient des expositions - au rythme de deuxpar an - ainsi que des conferences sur des aspects historiques, techniqueset ethnologiques de la danse.

Lorsque la guerre eclata, lesAID furent contraintes de fermer et confierent:me partie de leurs objets au musee national des Arts et Traditions populaires~ATP). A la Liberation, De Mare etant souffrant, Pierre Tugal en reprit

direction. En 1950, une querelle entre les deux hommes mit fin a 1'aven-;:meque De Mare ne parvenait de toutes fa~ons plus a financer. Les collec-·ons furent alors dispersees entre Ie nouveau Dance Museum de Stockholm

er la bibliotheque de 1'Opera de Paris. Quant aux documents administratifs,plupart sont introuvables et l'on sait peu de choses aujourd'hui sur la ges-

:ion et Ie fonctionnement des activites de cette epoque.Cherchant a apprehender la danse dans toute sa diversite sociale et

culturelle, De Mare etablit, au sein des AID, un « Departement socio-ogique et ethnologique », dont la vocation etait a la fois scientifique etartistique. II s'agissait d'une part de « faire du point de vue sociologique unLravailcomparatif et [d']encourager les travaux esthetiques, psychologiqueset physiologiques sur la danse et Ie mouvement» j d'autre part d'« inspireres choregraphes, les danseurs, les peintres, en leur apportant de nouvellesfurmes d' art appartenant a des populations exotiques »3.Cette articulationdu scientifique et de 1'artistique, au cceur du projet des AID, temoigne une-ois encore des liens de contigulte existant a cette epoque entre l'ethnogra-• hie fran~aise et l'avant-garde artistique (Clifford 1996). De meme, nom-oreux furent les danseurs qui, du debut du xxe siecle aux annees 1940, etu-dierent les danses exotiques, populaires et « folkloriques »et s'en inspirerentdans leurs compositions choregraphiques (Decoret-Ahiha 2004)

La direction du Departement sociologique et ethnologique fut confieea Alfred Smoular. Diplome de 1'Institut d' ethnographie, ce demier consi-derait que malgre de nombreux essais litteraires sur Ie mouvement, aucuneffort n'avait ete tente jusqu'alors par les historiens de la clansepour « trouver[sa]profondeur intime, sescauses enfouies dans Ie reseau des idees sociales ».En inaugurant une methode d' observation et de comparaison, les etudesethnologiques lui semblaient etre les seules a pouvoir repondre aux ques-Donsposees par la danse (Smoular 1934 : 86). Debut 1934, Smoular devintegalement attache au musee d'Ethnographie, a la section Tibet. II fut ainsirres probablement a l'origine de la premiere collaboration entre les deuxinstitutions.

« Les viei lies danses de France»(novembre 1935-fevrier 1936)

En 1934, IesAID entreprirent de realiser une exposition sur Ies « Vi .danses de France» et solliciterent Ie concours de folkloristes ainsi que c.::musee d'Ethnographie. Georges Henri Riviere, Pierre-Louis Ducha.rr:-=et Andre Varagnac firent partie du comite d'honneur. Le folkloriste GLe Floch fut charge du secretariat general tandis que Claudie Marcel-Dubo'-attachee au Trocadero a la section organologie, s'occupa de l'administrati -interieure et des instruments de musique. Curt Sachs, collaborateur per-manent du musee depuis Ia fin 1933, apporta egalement sa contributioL'enquere preparatoire debuta en avril et dura pres d'un an. Plus de rn.iUquestionnaires furent distribues a des informateurs ruraux par 1'intermedi~de nombreux enqueteurs tels que Marcel Provence,Marie-Rose CIouwt, Yves.Lacroix-Novarro, folkloriste et musicologue et Ie chansonnier Canteloube.Dix-huit musees locaux preterent des objets. L'exposition reunit des gravures.et des photographies, des costumes regionaux, des reconstitutions d'habi-tat, des miquettes, des partitions musicales et choregraphiques ainsi qu'uncentaine d'instruments de musique. Elle evoquait autant « Ies danses pOpll-Iaires d'autrefois que [celles]d'aujourd'hui »4.Vne carte de France signalai:d' ailleurs Iesprovinces OU« la danse populaire est conservee » et Ies « regionsOUIe folklore choregraphique est perdu »5.

Le dispositif heuristique et epistemologique de l'exposition relevait dt:folklore scientifique (Weber 2000). L'inquietude soulevee par Ie fait que« la danse regionale se perd en France» motiva sa realisation. L'objectif etai:de cartographier les faits folkloriques de danse et de rendre compte de leurregression ou de leur disparition. Mais les objets et pratiques collectes furenpresentes sans etre resitues au sein de leur contexte d' elaboration. Si l'ex-position contribua, pour Pierre Tugal et Rolf de Mare, a « sauvegarderquelques-unes des danses regionales, elle ne constituait dans leur esprit quela premiere etape d'un projet plus vaste. « Avec les moyens dont nous dis-posions, nous ne pouvions qu'indiquer 1'etendue et 1'interet du sujet. »6Selon eux, c'etait a un musee du folklore qu'il incombait de poursuivre Ietravail commence. On pelit alors considerer l'exposition « Vieilles dansesde France» comme une initiative d'appui ou d' encouragement a Ia creationd'une institution museographique dediee au folklore et qui reserverait une

4. Voir la brochure de I'exposirion.5. Voir Revue des Archives internationales de fa dame (mai 1936: 5)6. Document tapuscrit, archives du MNATP.

~lace importante a la danse populaire. A plusieurs reprises, de Mare souligna« suggestion interessante pour Ie futur musee du folklore» que formait la

reconstitution d'un interieur auvergnat dans lequel etait presentee « la bour-ree dansee ala veillee » (de Mare 1935). Riviere Ie remercia d'ailleurs de cetteallusion qui, lui ecrivit-il, allait l'aider dans sa tache. II affirma aussi :

« Sur de relles bases, les rravaux si bien commences se poursuivronr. Des organismesrels que Ie futur musee franyais des Arts et Traditions populaires feronr leur profit d'unericonde experience donr Ie merire entier revienr it M. de Mare» et qui a permis « d' eva-uer la richesse de ce terrain d'etude» (Riviere 1936: 2).

L'exposition « Vieilles danses de France» fur done l' occasion pourRiviere et ses futurs collaborateurs d' engager des enquetes sur Ie folkloremusical et choregraphique franc;ais qui signalaient Ie chantier possible d'unmusee du folklore. Fruit d'un partenariat avec une instance privee, cetteentreprise mettait aussi en evidence « la carence de l'Etat et des corps consti-rues, academies et autres 7 » a lancer des terrains de recherche. Aussi, per-mit-elle a Riviere de defendre Ie projet politique et intellectuel d'un museenational des Arts et Traditions populaires.

« Les danses populaires d'Europe » (avril-mai 1937)

A peine cette exposition se referma-t-elle que les AID se lance rent dansd'autres enquetes portant cette fois sur les « danses folEoriques d'Europe ».Dne brochure a l'intention de « folkloristes, ethnographes, artistes locaux»explicita, des juin 1936, la nomenclature des pieces. La partie franc;aise futconfiee a Pierre-Louis Duchartre. Arnold Van Gennep proceda a l'etablis-sement d'une cartographie et Claudie Marcel-Dubois se chargea a nouveaude l'organisation generale ainsi que des pays etrangers. Le mode d'investiga-'on ressemblait sensiblement a celui de la precedente exposition. Inauguree

15 avril 1937, « Danses populaires d'Europe» fut conc;ue dans l'esprit de lagrande Exposition des Arts et Techniques. 0' aucuns penserent d' ailleurs qu' elleen faisait partie. La proximite des locaux des AID avec l'enceinte officielle en:ut sans do ute la raison. Les objets et documents colleetes furent regroupesen deux sections. La section « Art » se constituait de maquettes, d' objets d'art?Opulaire et de plus de quatre cents poupees en posture dansee ... Quant a lasection « Technique », elle contenait une « documentation methodique » faite

e photos, de cartes et d'informations relatives aux activites des centres folklo-~ques europeens. La manifestation connut un grand succes public.

Des l' ouverture, Pierre Tugal reconnut Ie caractere lacunaire desenquetes realisees. Selon lui, c'etait « Ie travail du futur musee de I'Hommede [les] completer» (Tugal 1937b: 2). De fait, alors qu'elles projetaientde creer un « musee de la danse populaire», les AID commen~aient as'essouffier financierement. Leur organe de presse avait cesse de paraltredepuis mai 1936, probablement pour des raisons de COllt.Le programmeambitieux d'edition sur les danses populaires de differents pays d'Europene put demarrer. Un relais institutionnel public paraissait inevitable. Enjuin 1938, Tugal fut explicite :

« Laction des AID ne peut etre efficace, parce qu'institution privee et disposam demoyens financiers insuffisants pour une tache de cette importance. Locuvre doit etrecominuee par Ie musee des Arts et Traditions populaires de France, institution officielledisposam de tous les appuis et [... ] de fonds suffisams pour mener 11. bien cette tache.Nous sommes dans les meilleurs termes avec les dirigeams et nous les avons assures detoute notre aide » (Tugal1938 : 10).

Cette collaboration escomptee n'eut pas lieu. Au contraire, il semble queRiviere ait pris ses distances avec les AID. Bien qu' elles ne fussent pas invi-tees, en aOllt 1937, au Congtres international de folklore, elles continuerentpourtant d'informer de leurs activites Ie sous-directeur du Trocadero. EllesIe solliciterent meme pour rejoindre un « Centre de recherches sur l'esthe-rique de la danse » dont Ie projet fut lance en janvier 1938. Celui-ci pre-voyait d'associer des danseurs, des journalistes, des ecrivains, des medecins,des musicologues, des folkloristes et des ethnologues. II ne vit vraisembla-blement pas Ie jour, mais il temoignait d'une nouvelle orientation moinssoucieuse de sauvegarde du patrimoine. Les AID s'eloignerent en effet desmilieux folkloristes qui leur avaient adresse maintes critiques et se preoc-cuperent plut6t de standardiser et de promouvoir les danses folkloriques.Leurs revendications n~gionalistes,voire meme nationalistes, ne correspon-daient effectivement pas aux aspirations desAID dont l'interet se portait surtoutes les formes de danse. Celles de I'Asie allaient faire l'objet de nouvellesinvestigations, menees cette fois selon une demarche ethnographique.

« Theatre et danses aux Indes neerlandaises »(fevrier-mars 1939)

En 1938, Rolf de Mare entam a un periple de quatre mois en Asie qui Ieconduisit depuis la Malaisie jusqu'aux lIes Celebes, en passant par les lIesdeNias, Sumatra, Java et Bali. Il etait accompagne de son assistant Hans Evertet de Claire Holt, une des correspondantes des AID. Americaine d'origine

wone, celle-ci avait ete critique choregraphique a New York avant de-"installer a Java, en 1930. Elle y etudia les differentes danses sous l'egidee l'anthropologue et archeologue hollandais Willem Stutterheim (Holt939a et 1939b). Elle developpa une methode d'enquete originale, asso-

ciant l'observation et l'apprentissage des danses aupres de Gusti Pangerancr d'Ario Tedjokusumo, maItre de danse a la cour de Jogjakarta et fonda-~ur de l'ecole de danse Krida Beksa Wirama (Burton 2000). Holt rejoi-gnit l'expedition de Mare en qualite de directrice technique et scientifique.Tandis que ce dernier filmait et que son assistant prenait des cliches, elle-'occupait de noter les danses.

Lequipe s'interessa a tous les types de danse de la region: citadines, vil-lageoises, aristocratiques. Lexposition organisee, a leur retour en France,comprenait une riche iconographie, une soixantaine de masques, des cos-tumes et des accessoires. Si l'intention du mecene suedois fut d'« amasser Ieplus grand nombre possible de faits et de materiaux », c'etait pour « entre-prendre ensuite la synthese et assigner ainsi a la danse sa place dans la viesociale des indigenes, dans Ie present et si possible dans Ie passe» (de Mare1939).11 manifestait de cette maniere une preoccupation de nature ethno-logique, s'interrogeant aussi quant aux « influences etrangeres sur les ele-ments indigenes ». Le compte rendu de ce travail de terrain fut en partierapporte dans Dance Quest in Celebes. Signe par Claire Holt, l'ouvrage nepretendait pas livrer une etude qui aurait demande, selon l'auteur, de plusamples investigations. De fait, lesAID ne se donnaient pas pour mission deproduire des analyses mais plutot de reunir les elementt necessaires a leurreaIisation. Dans la conception de leur directeur, il s'agissait de collecter desdocuments et des materiaux pour les mettre a la disposition des savants etd'ceuvrer ainsi au « developpement pratique et scientifique des recherchessur la danse» (de Mare 1939).

Jalons d'une anthropologie de la danse

Au fur et a mesure de la constitution des fonds documentaires, PierreTugal et Rolf de Mare engagerent une reflexion epistemologique et metho-dologique sur la « science de I'art de la danse » qu'ils cherchaient a pro-mouvoir. Alors qu'il organisait son reseau d'informateurs, Tugal se trouvaconfronte a « de nombreuses difficultes theoriques » (1937 a: 12) que desdisciplines telles que la sociologie, Ie folklore ou l'esthetique vers lesquellesil se touma ne lui permirent pas de resoudre. Tout d'abord, celles-ci neconsacraient que tres peu de place a la danse. En outre, selon Tugal, lesquelques travaux d'Emile Durkheim, Marcel Mauss, ou Marcel Jousse

comportaient de « tres nombreuses lacunes et contradictions ». L'approchesymbolique de Curt Sachs s'averait quant a elle tres incertaine. C' est que cessavants ne developpaient pas une analyse kinesique de la danse, n'examinantpas ses techniques ni les savoirs somatiques mobilises. Par ailleurs, regrettaitTugal, aucun scientifique n'avait entrepris un questionnement preliminairesur l'objet danse lui-meme, ni etabli une terminologie precise des pas et desconcepts. « Quel est exactement Ie domaine de la danse, quels en sont lescompartiments? » s'interroge-t-il. C'est precisement a cette question queplus tard, dans les annees 1970, les premiers anthropologues americains dela danse chercherent d' abord a repondre mn de delimiter les contours et1'etendue de leur champ d'etude (Kaeppler 1978 ; Ness 1996).

L'approche scientifique que les deux animateurs des AID aspirerent adevelopper entendait decouvrir « les caraeteristiques communes» a toutes lesdanses ainsi que ce qui les « distingue essentiellement» (Tugal1937a: 12).De nature resolument anthropologique, elle empruntait l'idee maussiennede technique du corps. Etudiant « un phenomene complexe », Ie chercheuren danse etait pour de Mare un « investigateur de faits sociaux » (de Mare1939 : 107-108). Sa tache consistaira examiner lesprocessus physiologiquespsychologiques et sqciologiques a l'reuvre dans la danse et a en degager lesfonctions symboliques. Mais devant ce « phenomene de la vie mouvante »,

I'enqueteur « se trouve des Iedebut embarrasse »car depourvu d'une metho-dologie appropriee. En matiere de methode de recherche en danse, « nousnous trouvons devant une terra incognita» releve Rolf de Mare, qui a envain cherche des guides au musee d'Ethnographie. De fait, chacune desexpositions donnerent l'occasion aux AID d' experimenter une methodo-logie. Le mode d'investigation utilise pour celle sur « Les vieilles danses deFrance» fut perfectionne lors des enquetes menees pour la suivante. Quanau voyage en Asie, il permit a de Mare et a son equipe « d' etablir certainsprincipes pour une methode de recherche rationnelle sur les danses des dif-ferentes contrees de cet archipel », l'objectif etant de la « generaliser » erde donner ainsi « quelques bases solides a une methode d'investigation(de Mare 1939). Parmi lesoutils d'enquete, la notation du mouvement appa-rut comme indispensable bien que difficilea elaborer.Des 1936, YvesLacroix-Navarro trouvait particulierement complexe la mise au point d'un systeme designes universels pour analyser la danse (Lacroix-Novarro 1938 [1936] : 10).Pour Pierre Tugal, les folkloristes devaient necessairement s'accorder sur unetechnique unique pour consigner lesmouvements et les pas des danses regio-nales. Quant a Claire Holt, elle utilisa une notation assezrudimentaire, creeepar elle-meme. 11existait pourtant celles du Frans;aisPierre Conte, publieesen 1931, et du choregraphe theoricien allemand Rudolph yon Laban; maisles enqueteurs des AID ne semblent pas les avoir utilisees.

En conduisant plusieurs enquetes en France, en Europe et en Asie ainsi__'en mettant en lumiere les problematiques propres a l'approche scienti-- • e de la danse, les AID ont pose les premiers jalons d'une anthropologie

danse. Si elles n' ont pas donne lieu a des productions theoriques d' en-:=> e, elles ont neanmoins rassemble une tres importante documenta-. I.:reuvre entreprise ne trouva cependant pas de prolongement malgre

collaborations et les relations entretenues avec Ie MET puis avec sessuccesseurs. Au sein de ces deux institutions, la danse n' a pas beneficie

=- we attention significative. Integree dans la section « Loisirs populaires »- MNATp, elle ne representa qu'un interet secondaire. Riviere, qui conti-

de s'impliquer dans la danse folklorique en qualite d' observateur, puis,-~ conseiller de la Federation nationale des groupes folkloriques fondee en. 35, avait pour souci principal d'exercer un controle sur les manifestations- oriques (DuBos-Priot 1995). Marcel Maget s'interessa quant a lui ala-= e lors de ses enquetes d'avant et d'apres-guerre. II proceda meme a des

rations de pas, au moyen de la methode Conte. Mais ce n' est que plus~ que des recherches ethnographiques sur les danses de France allaient

.rablement etre entreprises, grace a Jean-Michel et Helene Guilcher. Bien__ elle constituat une « source de suggestion d' ordre sociologique », selon

revue Les Annales sociologiques, la danse paraissait d'une « extreme diffi-te» a etudier8• C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles elle fut

ngremps delaissee par les sciences humaines et sociales.

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