Post on 02-Jan-2016
transcript
1
Julia Mazza
Université Paris-Diderot – Paris 7
Master Histoire et civilisations comparées
Spécialité : Ville, Architecture, Patrimoine
LA CULTURE DES FRUITS « A LA MONTREUIL. »
REFLEXIONS SUR LE PATRIMOINE IMMATERIEL.
Mémoire de Master 2 dirigé par Mme Laurence Gillot et codirigé par Mme Liliane Pérez.
Soutenu le 18 juin 2013.
Palissage à la loque, années 1930. SRHM Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement
2
3
R E M E R C I E M E N T S
Ce mémoire marque la fin de ma formation universitaire et à travers lui je voudrais
remercier ceux qui en ont fait partie. J’adresse tout d’abord ma reconnaissance aux
professeurs qui m’ont offert une formation passionnante. Je tiens ensuite à remercier Mme
Anne-Emmanuelle Demartini pour m’avoir introduite à l’histoire culturelle et à l’histoire des
sensibilités, deux disciplines qui ont été déterminantes dans ma manière d’aborder l’histoire.
Elle a dirigé mes recherches de l’année dernière, m’a conseillée et a toujours été
encourageante. Ayant changé de spécialité, je n’ai pu la remercier officiellement et je me
permets de le faire ici. Enfin, j’adresse mes plus sincères remerciements à Mme Laurence
Gillot, ma directrice de mémoire, pour sa pédagogie, la clarté et l’intérêt de ses
enseignements. Je la remercie de m’avoir encadrée toute l’année durant et d’avoir été
attentive à mon travail. Mais surtout, je la remercie d’avoir été si compréhensive et patiente
car la ponctualité n’est pas ma plus grande qualité. Je suis très heureuse de pouvoir profiter
de ces quelques lignes afin de lui présenter toutes mes félicitations pour l’arrivée d’un
nouveau bonheur dans sa vie.
Je tiens également à remercier Philippe Schuller, secrétaire général de la Société
Régionale d’Horticulture de Montreuil, qui fait vivre le savoir-faire horticole. Il a été
disponible et m’a aidée à comprendre des techniques horticoles qui ne m’étaient absolument
pas familières. J’adresse à Bernard Guicheteau ma reconnaissance pour ses connaissances, sa
sympathie et sa passion pour la culture des fruits. Grâce à lui, j’ai découvert le goût d’une
vraie pomme.
Enfin, de manière plus personnelle et intime, je remercie tous mes amis qui m’ont
supportée et soutenue toujours avec humour et sincérité. J’ai une pensée toute particulière
pour Inès, ma sœur de cœur depuis tant d’années, Isabelle à qui je ressemble tant même si
vingt-ans nous séparent, Martine et André Clair, les « Thénardier de la comptabilité publique
», qui m’ont fait confiance sans jamais oublier d’être bienveillants à mon égard. Je remercie
ma famille et plus spécialement ma tante et mon « parrain » attentifs et toujours
encourageants. Et pour terminer, je tiens à remercier avec énormément d’émotion mon père,
cet homme si drôle qui, même s’il ne comprend pas l’intérêt de mes recherches, a toujours été
fier de moi. Ma mère, d’une patience inouïe, qui cherche inlassablement à faire comprendre à
ce dernier l’intérêt de mes recherches et avec qui je partage tant… Et, au milieu de tout ce
monde, mon frère qui écoute, se questionne et fait son chemin en apprenant la sagesse…
4
5
S O M M A I R E
REMERCIEMENTS ………………………………………………………………………. 3
INTRODUCTION ………………………………………………………………………….. 9
C H A P I T R E I.
Cultiver « à la Montreuil » : De la gloire horticole à l’avènement d’un patrimoine
culturel immatériel.
1. « Montreuil est un village à deux lieues de Paris, où la culture des arbres fruitiers est
portée à la perfection. » …………………………………………………………………… 18
Cultiver « à la Montreuil. » ………………………………………………………………… 19
Cultiver à Montreuil. ……………………………………………………………………….. 23
Montreuil aux pêches ……………………………………………………………………….. 24
2. Transmission, rupture et redécouverte. ……………………………………………….. 27
Vers un déclin de la pratique. ………………………………………………………………. 27
Ruptures, recherches et évolutions. ………………………………………………………… 29
Le non-respect d’une continuité générationnelle …………………………………………… 31
3. Reconnaissance d’un patrimoine culturel immatériel. …………………………….…. 34
Patrimoine naturel, patrimoine horticole ou patrimoine culturel immatériel ? ……………. 35
Qui pour transmettre quoi aujourd’hui ? ………………………………………………...… 38
C H A P I T R E II.
Culture traditionnelle et environnement durable.
1. L’éveil des consciences environnementales en ville. ……………………………..…… 42
Du rejet de l’urbanisation au classement des murs… …………………………………….... 42
Vers un projet agri-urbain. ……………………………………………………………...….. 45
6
2. Paysage, nature et culture traditionnelle. ………………………………………...…… 49
Esthétique naturelle du paysage. …………………………………………………………… 49
Cultiver sainement et restaurer l’humus. ……………………………………………..……. 51
Palisser des pêchers, tailler des pommiers et manger des fruits. ………………………...… 53
3. Les temporalités d’une culture traditionnelle. ………………………………………... 55
La lenteur de la culture. …………………………………………………………………….. 55
Le PCI : Un patrimoine tourné vers l’avenir. …………………………………………….… 57
C H A P I T R E III.
Faire vivre les murs à pêches : Le choix de la patrimonialisation
1. Le classement des murs : L’illusion d’une juste sauvegarde. ……………………...… 61
Une protection indéniable… ……………………………………………………….……….. 61
… Mais contraignante… ………………………………………………………...………….. 63
… et rattrapée par la perte des usages. …………………………………………….………. 64
2. L’apport du patrimoine culturel immatériel dans la sauvegarde des murs. ……...… 66
Des murs de sens… ………………………………………………………………………..... 66
… Et entretenus… ………………………………………………………………….……….. 69
… Pour une meilleure visibilité du patrimoine. ……………………………………………. 71
3. Patrimonialiser l’immatériel : Le choix de la communauté ? …………………...…… 73
La légitimité du groupe : interprétation de la notion de « communautés. » ……………..… 74
Sauvegarde ou fixation ? Un patrimoine entre ruptures et continuités. ………………..……76
CONCLUSION ……………………………………………………………………………. 78
7
ANNEXES …………………………………………………………………………...……. 81
Annexe I. – L’outil « mur à pêche » ………………………………………………………… 82
Annexe II. – Cultiver « à la Montreuil. » …………………………………………………… 83
Annexe III. – Fruits marqués. ……………………………………………………………..... 85
Annexe IV. – Adaptations contemporaines du savoir-faire. ………………………...……… 86
Annexe V. – Evolution des murs. ……………………………………………………..…….. 87
Annexe VI. – Pêchers, pommiers, poiriers. ………………………………..……………….. 88
Annexe VII. – Manifestations et activités. ………………………………………………….. 89
Annexe VIII. – Projet agri-urbain. ……………………………………………………...….. 90
Annexe IX. – Dépliant sur les murs à pêches. …………………………………..………….. 92
Annexe X. – Dépliant de la SRHM. ………………………………………………….…….. 94
Annexe XI – Localisation des associations et des jardins partagés dans le secteur des murs à
pêches. ……………………………………………………………………………………… 96
ETAT DES SOURCES …………………………………………………………….……… 97
BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………………… 99
SITOGRAPHIE ………………………………………………………………………...... 102
FILMOGRAPHIE ……………………………………………………………….………. 103
8
9
I N T R O D U C T I O N
« Il n’y a pas de technique et pas de transmission,
s’il n’y a pas de tradition.
C’est en quoi l’homme se distingue avant tout des animaux. »
– Marcel Mauss1
« Le paysage des murs à pêches résulte d’une activité horticole historique.
Il est entièrement fabriqué par elle et ne se justifie que par elle.
La question qui se pose concernant la pérennité du paysage
des murs, revient à poser la question de la pérennité des usages. »
– Gilles Clément2
« La Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la
science et la culture ci-après dénommée « l’UNESCO », réunie à Paris du vingt-neuf
septembre au dix-sept octobre 2003 en sa 32ème
session (…) Considérant l’importance du
patrimoine culturel immatériel (…) Adopte, le dix-sept octobre 2003, la présente
Convention3. » C’est officiel, le patrimoine prend une nouvelle dimension. Travaillant hier à
l’installation de la nation et à la célébration d’une culture nationale, il est aujourd’hui à la
faveur des extensions patrimoniales. Sous-entendant la notion de transmission, le patrimoine
tient désormais compte des éléments « non matériels » à « faire-passer. » Il concerne
communément « les biens dont une personne dispose et qu’elle transmet par le mécanisme de
la dévolution successorale » et « le bien commun, le trésor collectif qu’un groupe humain
revendique pour sien, et que, par une alchimie singulière, il déclare avoir hérité du passé pour
le transmettre aux générations futures4. » En ce sens, il est évident que l’UNESCO ne pouvait
se restreindre à une Convention ne tenant compte que des « chefs d’œuvre de l’humanité »
réduisant « le bien commun, le trésor collectif » aux seuls édifices.
La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel s’est construite
lentement, en réaction à celle de 1972 sur les « chefs d’œuvre de l’humanité » mais non sans 1 M. MAUSS, Sociologie et anthropologie, 1950, 1934, p. 134.
2 Les mots sont ceux du paysagiste Gilles Clément s’exprimant dans une lettre sur l’avenir des murs à pêches de
Montreuil. Voir M. MARTINEZ, P. DESGRANGES, P. PETITJEAN, Commission extra-muncipale sur
l’aménagement du secteur des murs à pêches, Rapport final, 2009, p. 32. 3 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, Préambule, Paris, le 17 octobre 2003.
4 Voir J-L. TORNATORE, « L’esprit de patrimoine », Terrain, n°55, 2010, p. 108.
10
dissensions. Rieks Smeets – premier secrétaire de la Convention pour la sauvegarde du
patrimoine culturel immatériel (PCI) – rappelle que déjà en 1973 la Bolivie propose d’ajouter
une mention à la Convention afin de veiller à une protection du folklore5. L’Unesco et
l’Organisation mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) réfléchissent à cette possibilité
et élaborent en 1985 des « dispositions types de législation nationale sur la protection des
expressions du folklore contre leur exploitation illicite et autres actions dommageables. »
Mais chaque organisme campant sur des idées personnelles et déterminées, cette résolution
n’aboutit à rien de concluant. En 1989, la Conférence générale de l’Unesco adopte une «
Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire » et, dès lors, les
initiatives liées à un patrimoine encore mal défini ne cessent de s’enchaîner. En effet, en 1992
est créée une section dédiée au « patrimoine non physique », l’année suivante un programme
des « Trésors humains vivants » est envisagé même si non retenu et en 1997 l’Unesco, appuyé
par le Japon, crée le programme de « Proclamation des chefs-d’œuvre du patrimoine oral et
immatériel de l’humanité. » Mais l’expression « chefs d’œuvre » dérange, induisant une
hiérarchisation des pratiques et il a donc fallu trouver les termes justes pour désigner cette
nouvelle acceptation patrimoniale. Dans son étude « Anti-Monumental ? Actualité du
patrimoine culturel immatériel6 », le conservateur du patrimoine Christian Hottin se demande
si le PCI, par son nom, se définirait forcément en opposition au patrimoine matériel. Alors
que l’on parle tantôt de « folklore » pour qualifier péjorativement une notion encore
méconnue, tantôt de « culture traditionnelle et populaire » ou encore de « patrimoine vivant »,
l’expression « patrimoine immatériel » s’officialise enfin en 1993. Par « immatériel », on
entend « que l’on ne peut toucher » mais il n’est pas rare que des confusions soient encore
faites en ayant recours à l’expression « intangibilité du patrimoine. » Cette confusion
viendrait de l’anglais « intangible heritage », traduction de « patrimoine immatériel », mais
dont l’emploi en français n’est pas exact. « Intangible » se traduit par « impalpable » alors
qu’en français « intangible » signifie « qu’on doit laisser intact, à quoi l’on ne doit pas
toucher, immuable.7 » Et nous le verrons tout au long de cette étude, le patrimoine culturel
immatériel est en permanente évolution, s’opposant alors à la notion d’intangibilité. S’il ne
peut être touché, il n’en subira pas moins des changements, des renouvellements au fil du
5 R. SMEETS, « Deux nouvelles listes et un nouveau registre pour le patrimoine culturel immatériel. », in C.
HOTTIN (Dir.), Le patrimoine culturel immatériel : premières expériences en France, n°25, Paris, 2011, pp.
220-224. 6 C. HOTTIN, « Anti-monumental ? Actualité du patrimoine culturel immatériel », Monumental, semestriel 1,
2008, pp. 70-73. 7 C. KHAZNADAR, « Avant-propos », in HOTTIN (Dir.), Op. Cit., p. 12.
11
temps car il prend en compte la manière de vivre des individus qui n’est évidemment jamais
immuable et qui évolue en permanence.
La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel aboutit
finalement en 2003 et à l’Unesco d’en proposer une définition canonique. Selon l’article 2,
« on entend par « patrimoine culturel immatériel » les pratiques, représentations, expressions,
connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels
qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus
reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. » Le patrimoine culturel
immatériel est porté par les communautés, contrairement au patrimoine mondial de
l’humanité. Ni les Etats, ni les institutions culturelles, ni même les experts scientifiques n’ont
de légitimité à ordonner la patrimonialisation d’une pratique si les communautés ne la
reconnaissent pas en tant que patrimoine. Ces pratiques et autres savoir-faire doivent par
ailleurs être recrées en permanence par les communautés afin de laisser entrevoir l’aspect
vivant et évolutif du PCI faisant ainsi osciller la définition entre enracinement dans le passé et
recréation permanente. Les principes de la Convention émanant de l’Unesco – et par
extension de l’ONU – doivent être en accord avec les droits de l’homme, « dans le respect
mutuel entre communautés, groupes et individus » et doivent se conformer au concept de
« développement durable. »
L’objectif de la Convention est d’apporter une nouvelle vision du monde et de l’avenir
de l’homme en permettant de mieux connaître des pratiques et savoir-faire transmis de
générations en générations et témoignant de l’identité de tous et de chacun. La Convention a
pour but de protéger juridiquement un patrimoine enfin reconnu à l’échelle internationale.
Elle redonne surtout la parole aux communautés dans une volonté de rééquilibrage culturel,
géographique et diplomatique quant aux éléments inscrits sur les listes. En effet, la
Convention de 1972 trahissant une suprématie des pays des nords géographiques et
économiques, celle de 2003 offre la possibilité aux pays des suds de faire valoir leurs
éléments culturels. Par extension, elle reconnaît ainsi « que les processus de mondialisation et
de transformation sociale (…) font peser de graves menaces » et que le PCI permettrait « un
dialogue renouvelé entre les communautés8. » L’angoisse de l’uniformisation du monde
pousse alors à promouvoir la diversité des patrimoines, la diversité des « petites patries9 » qui
sont ces communautés davantage restreintes et localisées. L’inscription sur les listes de
8 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, Préambule, Paris, le 17 octobre 2003.
9 A-M. THIESSE, « Petite et grande patrie », in J. LE GOFF (Dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris,
1998, p. 71.
12
l’Unesco des pratiques et savoir-faire français comme le Fest-noz – rassemblement festif
breton – le Maloya – forme de chant, de musique et de danse de la Réunion – le cantu in
pagjella – chants corses profanes et liturgiques – ou encore la dentelle au point d’Alençon –
technique d’ornementation venue de Normandie – confirme l’intérêt porté aux éléments
régionaux.
Dans la même lignée, nous avons voulu nous attacher à l’étude d’un savoir-faire
localisé ; celui de la culture des fruits à Montreuil. Cinquième ville d’Île-de-France par son
nombre d’habitants – 103 192 au 1er
janvier 2012 – et située en Seine-Saint-Denis, la ville
semble être davantage le territoire des grands ensemble que de l’horticulture. Pourtant, elle a
joui d’un passé horticole glorieux, alimenté par le discours de l’Abbé Schabol, ecclésiastique
jardinier, qui a attribué tout le savoir-faire lié à la pratique horticole de Montreuil à ses
horticulteurs. Ce « mythe des origines » ainsi que la pratique horticole de la ville ont été très
étudiés en histoire. Reynald Abad a ainsi pu mettre en évidence l’importance de la production
de fruits à Montreuil venant remplir les marchés parisiens10
et Florent Quellier s’est évertué à
étudier l’arboriculture en Île-de-France établissant des relations entre les hommes, la terre et
les fruits comme témoignant des pratiques mentales et alimentaires des individus11
. Ces
auteurs ont analysé les murs à pêches en tant qu’outil principal de culture des fruits « à la
Montreuil » et se sont attachés à la description d’un territoire quadrillé qui a assuré la gloire
de la ville. En effet, en tant que murs de plâtre disposés stratégiquement, ils ont la capacité de
capter un maximum d’ensoleillement et, ainsi, les arbres apposés aux murs pouvaient
bénéficier de la chaleur du soleil emmagasinée le jour et restituée progressivement la nuit. Le
savoir-faire des horticulteurs attaché à ces murs a permis une pratique horticole intensive
débouchant sur une production remarquable de 272 tonnes de fruits encore en 194212
. Par le
palissage, les branches sont maintenues et soutenues sur le mur de plâtre grâce à un morceau
de tissu appelé loque. Se déploient alors des arbres sans axe central mais formant un « V »
constitué par les branches. D’autres techniques viennent renforcer le savoir-faire des
horticulteurs comme les conduites des arbres en espalier et l’embellissement du fruit qui
deviennent des spécificités de la ville. Par l’ensachage, qui consiste à mettre un sac autour du
fruit pour le protéger, ce dernier se développe lentement pour mieux se colorer ensuite aux
premiers rayons du soleil lorsque le « préservateur » sera enlevé. Le marquage viendra ensuite
10
R.ABAD, Le grand marché, L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, 2002,
700 p. 11
L’auteur parle d’un « statut psychosociologique du fruit » pour montrer qu’ « une étude des cultures fruitières
ne peut se comprendre sans une référence aux sensibilités alimentaires. » F. QUELLIER, Des fruits et des
hommes, l’arboriculture fruitière en Île-de-France (vers 1600-vers 1800), Rennes, 2003, pp.13-14. 12
A. AUDUC, Montreuil, Patrimoine horticole, Paris, 1999, p. 24.
13
tatouer les fruits pour les signer, les dédicacer et les rendre beaux. Ce sont donc tous ces
éléments qui définissent la culture des fruits « à la Montreuil » comme nous la dénommerons
au cours de cette étude.
Nous parlerons de « techniques » comme d’un ensemble des méthodes qui témoignent
du « savoir-faire » des horticulteurs. Ainsi, ce savoir-faire sera la mise en application des
techniques perfectionnées. Et nous parlerons de culture « à la Montreuil » pour désigner la
production de fruits grâce à la mise en pratique des savoir-faire et techniques caractéristiques
– à savoir le palissage à la loque, la conduite des arbres, l’ensachage et le marquage –
permettant la production de fruits. Afin d’éviter les redondances, nous parlerons de culture
traditionnelle ou de pratique horticole traditionnelle – puisqu’issue du passé et subsistant dans
le présent – pour renvoyer évidemment à la culture des fruits « à la Montreuil », alors que
nous parlerons simplement de pratique horticole pour désigner plus généralement une
production de fruits sur un territoire.
Que reste-t-il alors à faire sur cette histoire horticole ? Que reste-t-il à dire des murs à
pêches si leur usage a déjà été mis en évidence ? Que reste-t-il à expliquer des savoir-faire des
horticulteurs montreuillois s’ils ont déjà été analysés ? Il reste évidemment à étudier la
transmission d’un patrimoine, son intérêt et son engouement pour les contemporains. En effet,
les murs à pêches, par leur réalité matérielle, ont été l’élément permettant de lier ce qui a
subsisté physiquement dans le présent au passé. L’histoire horticole de Montreuil se note dans
son territoire quadrillé qu’ont formé les murs et, de ces restes les communautés voient tout
d’abord un patrimoine naturel formés de parcelles de plâtre et de verdure. Puis, un patrimoine
dit horticole surgit dans les mentalités contemporaines établissant une corrélation entre les
murs et une pratique de l’horticulture. Progressivement la question est alors posée de la
sauvegarde des 38 hectares de murs ayant survécu à l’urbanisation dans le quartier des Hauts-
de-Montreuil, aujourd’hui appelé Saint-Antoine-Murs-à-pêches. Quelques parcelles de murs
sont, aujourd’hui encore, toujours consacrées à la culture palissée des arbres pendant que
d’autres s’effritent et tombent. La question des usages des murs justifiant leur existence en
tant qu’outil de culture se pose de fait. La relation confirmée entre les murs et la pratique
traditionnelle, les communautés – regroupées en associations – témoignent de la volonté de
sauvegarder le savoir-faire afin de donner un sens à ces murailles abandonnées. Et, parlant
autrefois de patrimoine horticole pour faire référence à la pratique dans son sens général ou de
patrimoine naturel pour faire référence aux restes de murs à pêches visibles sur le territoire,
ces mêmes communautés parlent désormais de patrimoine immatériel renvoyant ainsi au
savoir-faire des horticulteurs montreuillois. Il semblerait que le terme « immatériel » donné
14
par l’Unesco apporte la désignation nécessaire afin que les communautés s’y retrouvent dans
ces patrimoines – naturel, horticole et immatériel – liés, ici, les uns aux autres.
Cette lente acceptation et appropriation du terme de PCI est sans doute dû au fait que
la France n’a ratifié la Convention qu’en 2006. Le pays paraît alors bien mal à l’aise avec la
définition donnée par l’Unesco dont « elle ne sait pas si c’est du lard ou du cochon13
. »
Malgré la mise en place d’inventaires nationaux devant rendre compte du PCI en France,
l’intérêt porté à cette nouvelle acceptation patrimoniale n’est véritablement célébré qu’en
2010 par Frédéric Mitterrand qui a « montré son attachement à la Convention en célébrant
dans les salons du ministère rue de Valois, l’inscription sur chacune des listes de la
Convention d’une forme d’expression spectaculaire14
. » Depuis, les ouvrages consacrés à
l’étude du patrimoine culturel immatériel se sont particulièrement axés sur l’histoire et l’étude
de la Convention elle-même ou, tout au plus, sur sa mise en pratique au niveau national.
Parmi eux, le très bel ouvrage collectif dirigé par Christian Hottin compilant les travaux de
conservateurs, d’ethnologues, d’ingénieurs au CNRS et autres directeurs d’associations
attachés au PCI15
. Leurs opinions et réflexions apportent un cadre essentiel à la
compréhension de la Convention de l’Unesco. Cependant, les études concernant l’apport du
patrimoine immatériel à la perception et à l’évolution du concept même de patrimoine se font
rares. Et celles sur le lien entre l’histoire et une nouvelle approche patrimoniale sont quasi
inexistantes. Dans son Histoire du patrimoine en Occident paru trois ans après la Convention
de l’Unesco, Dominique Poulot, pourtant spécialiste de la question, ne mentionne qu’une
seule fois le patrimoine culturel immatériel en disant simplement qu’il existe aujourd’hui un
« impératif de conservation de l’héritage, matériel et désormais immatériel16
. » La même
année pourtant, Mariannick Jadé propose une étude approfondie du patrimoine immatériel
ouvrant ainsi le champ des possibles aux recherches à venir. En définissant le patrimoine
immatériel comme un concept – et non comme une « notion » floue ou une « définition »
exclusive – elle fait de cette nouvelle acceptation patrimoniale un élément en construction et
en évolution.
13
C.KHAZNADAR, Op. Cit,. p. 16. 14
C. KHAZNADAR, Op. Cit., p. 22. 15
L’ouvrage recense les remarques de Cécile Duvelle, Chef de la Section du patrimoine culturel immatériel de
l’Unesco, mais aussi de Sylvie Grenet, ethnologue et chargée de mission pour le patrimoine culturel immatériel
au département du Pilotage de la Recherche et de la Politique scientifique, de Véronique Ginouvès, Ingénieure
de recherche CNRS au sein de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme ou encore de Charles
Quimbert, Directeur de Datsum, association qui a pour but de recenser et collecter le PCI de Bretagne. Voir C.
HOTTIN (Dir.), Le patrimoine culturel immatériel : premières expériences en France, Paris, 2011. 16
D. POULOT, Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIe – XXI
e siècles, Paris, 2006, p. 156.
15
Nous prendrons donc le patrimoine immatériel définit de façon duelle : a priori et a
posteriori. En effet, comme le souligne si justement Mariannick Jadé « comme le patrimoine
immatériel se construit à partir de l’observation d’un phénomène dans l’espace réel, il est
donc a posteriori. Mais il est aussi a priori car en tant que pure abstraction intellectuelle, il
sert par la suite à analyser, à regrouper, à comparer l’existence de ces phénomènes dans
d’autres contextes17
. » De ce fait, il s’agira de voir ce qu’apporte la définition de PCI –
donnée par l’Unesco – aux communautés de Montreuil, leur permettant ainsi d’ériger la
culture des fruits « à la Montreuil » comme un élément de leur patrimoine. Même si la culture
des fruits « à la Montreuil » ne figure pas sur les inventaires nationaux, le sentiment
patrimonial existe – et on parlera alors de « mise en patrimoine » par les communautés –
alors que nous parlerons de « patrimonialisation » pour désigner une mise en patrimoine
étatique et juridique. Il s’agira aussi de voir ce que l’appropriation de la définition donnée par
l’Unesco peut apporter à l’évolution de la définition conventionnelle actuelle de patrimoine
immatériel. Cette dernière ne sert que de référence normative, de cadre législatif mais le
patrimoine immatériel en tant que concept est porté par des communautés inscrites dans des
réalités qui évoluent. Ainsi, par cette étude de la culture des fruits « à la Montreuil » en tant
que patrimoine immatériel, il s’agira d’apporter des éléments de compréhension au patrimoine
immatériel et d’ouvrir sur de nouvelles interprétations du patrimoine immatériel. En ce sens,
qu’est ce que le PCI de l’Unesco apporte à l’étude de la culture des fruits « à la Montreuil » et
qu’est-ce cette pratique en tant que patrimoine immatériel apporte au concept même de
patrimoine ?
Ainsi et afin de mener à bien cette étude nous partirons toujours de la définition
canonique afin d’étudier la culture des fruits « à la Montreuil » et, de cette étude, nous
élargirons à l’interprétation du concept de patrimoine immatériel. Il s’agira dans un tout
premier temps – et selon le début de la définition donnée par l’Unesco – de voir en quoi la
culture des fruits « à la Montreuil » peut être considérée comme un patrimoine immatériel. Le
savoir-faire des horticulteurs et la pratique horticole ne sont pas nouveaux mais évoluant avec
les réalités historiques, sociales et économiques, ils se sont transformés et adaptés. Nous
essaierons de rendre compte de l’histoire de la pratique, du savoir-faire mais aussi de sa
transmission et de son état actuel. Nous étudierons ainsi le processus de prise de conscience
patrimoniale, de la pratique horticole spontanée à l’avènement d’un patrimoine immatériel.
Puis, nous avancerons un peu plus loin dans la définition de l’Unesco qui établit une relation 17
M. JADE, Patrimoine immatériel, perspectives d’interprétation du concept de patrimoine, Paris, 2006, p. 19.
16
sérieuse entre le patrimoine immatériel et le développement durable. La culture des fruits « à
la Montreuil » semble trouver sa justification dans les projets de sauvegarde au moment
même où l’on commence à entrevoir les limites des ressources naturelles et que l’on
s’intéresse plus particulièrement au « mieux-être » plutôt qu’au « plus avoir. » Enfin, dans un
dernier temps, nous proposerons une étude sur le « choix » du patrimoine. Tout d’abord, nous
nous attacherons à étudier le choix de ce que l’on veut mettre en patrimoine à celui de ce que
l’on décide de patrimonialiser. Puis, nous insisterons sur le choix de la patrimonialisation
désormais possible entre une matérielle et une immatérielle. Nous essaierons alors de voir ce
que chacune à leur manière apporte et contraint forçant ainsi à se questionner sur ce que l’on
veut transmettre aux générations futures. Enfin, nous ne pourrons faire l’impasse sur
l’importance du rôle et du choix des communautés nous permettant de nous demander si
l’élément porté en patrimoine est révélateur du patrimoine de tous ou d’un patrimoine
restreint et imposé à tous.
17
C H A P I T R E I.
Cultiver « à la Montreuil » : De la gloire horticole à l’avènement
d’un patrimoine culturel immatériel.
18
La Convention de l’Unesco sert de cadre au patrimoine culturel immatériel en lui
donnant une définition consentie par les Etats parties. Sont considérés comme PCI, les
« pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les
instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés. » Mais plus encore,
ces éléments essentiels au concept de patrimoine immatériel doivent être anciens, enracinés
dans les communautés depuis plusieurs générations afin de garantir un processus de
transmission continu de générations en générations et doivent être en recréation permanente
afin de s’adapter au présent. Enfin, et c’est sans doute la spécificité de cette nouvelle
acceptation patrimoniale, les communautés sont porteuses de ces pratiques qui leur procurent
un sentiment d’identité et de continuité. La culture des fruits « à la Montreuil » correspond à
une pratique datant de plusieurs siècles et transmise par des horticulteurs désireux de l’adapter
continuellement aux nécessités contemporaines. Mais la quasi disparition de la pratique
horticole dans la ville à un moment de l’histoire, pourrait remettre en cause la définition
donnée par l’Unesco, contestant ainsi le principe de continuité générationnelle. Pourtant, les
communautés – que nous définirons par la suite – considèrent le savoir-faire lié à la culture
des fruits comme le témoin du génie des cultivateurs montreuillois appliqué à une pratique de
l’horticulture spécifique, le tout faisant partie de leur patrimoine culturel.
1. « Montreuil est un village à deux lieues de Paris, où la culture des arbres fruitiers est
portée à la perfection18
. »
La production de fruits à Montreuil est rendue possible grâce à l’ingéniosité des
horticulteurs ayant su adapter leur territoire à une technique de culture particulière. La culture
des arbres fruitiers palissés sur des murs de plâtre devient la spécificité de la ville – malgré
des discordes sur son origine même – grâce à son intensification et son extension rapide
accomplissant l’âge d’or horticole de Montreuil.
18
R. SCHABOL, La théorie et la pratique du jardinage, Paris, 1770, p.93.
19
Cultiver « à la Montreuil. »
La culture des jardins fruitiers se théorise à la fin du XVIIème siècle lorsque
l’agronome et jardinier, Jean-Baptiste de La Quintinie rédige son Instruction pour les jardins
fruitiers et potagers qui, publiée à titre posthume en 1690, s’impose comme une référence en
matière de traité d’arboriculture. Créateur du Potager du roi Louis XIV à Versailles, La
Quintinie y définit les caractères fondamentaux de la pratique du jardinage et de
l’horticulture, mettant par exemple en évidence le rôle de la sève dans la croissance et la
fructification des arbres fruitiers. Dès lors, et tout au long du XVIIIème siècle, se multiplient
les ouvrages dédiés au jardinage notamment dans la seconde moitié du siècle. La période
1751-1800 marque l’apogée de la production des traités d’arboriculture avec plus d’une
cinquantaine de travaux rédigés pour seulement douze de 1701 à 175019
. Parmi bon nombre
d’essayistes de cette époque, les ecclésiastiques, développant un goût prononcé pour le
jardinage, investissent la littérature horticole. L’engouement est tel que l’historien des
pratiques alimentaires Florent Quellier parle d’un « habitus ecclésiastique » pour désigner la
participation active et régulière des curés en matière d’ouvrages agricoles20
. L’abbé Roger
Schabol est l’un de ces hommes du clergé passionné et intrigué par le jardinage et l’une de
nos premières sources sur la connaissance de la pratique horticole à Montreuil. Il s’en fait
d’ailleurs le promoteur allant jusqu’à attribuer à ce village l’invention d’un savoir-faire
unique et particulier. « Montreuil est un village à deux lieues de Paris où la culture des arbres
fruitiers est portée à la perfection. Ses habitants sont les seuls qui jusqu’ici ayent entendu la
direction de la sève dans le gouvernement des végétaux. Leur savoir et leur pratique sont
fondés sur une physique expérimentale plus parfaits, j’ose le dire, que les spéculations
renfermées dans les écrits des physiciens les plus profonds. Ceux-ci ont mis sur le papier leurs
idées et leurs pensée, sans trop s’enbarrasser si elles pouvoient cadrer avec la pratique, au-lieu
que ceux-là ne travaillent que d’après un systême le plus lié et le plus suivi qui fut jamais21
.»
Les sources écrites ne permettent pas de remonter plus loin que le discours de l’abbé afin
d’affirmer que la technique, apparemment révolutionnaire pour les contemporains, soit
véritablement née à Montreuil. Florent Quellier affirme d’ailleurs le trop grand crédit attaché
à Schabol nourrissant ainsi l’imaginaire des XVIIIe et XIX
e siècles et faisant de ce petit
19
F. QUELLIER, Des fruits et des hommes. L’arboriculture fruitière en Île-de-France, (vers 1600 – vers 1800),
Rennes, 2003, p. 30. 20
F. QUELLIER, G. PROVOST (Dir.), Du Ciel à la terre, clergé et agriculture, XVIe-XIX
e siècles, Rennes,
2008, pp. 28-31. 21
R. SCHABOL, Op. Cit., p. 93.
20
village de campagne le berceau d’une horticulture singulière. Mais, notre but n’est pas
d’apporter des éléments de recherche supplémentaires afin d’attester ou d’infirmer les
origines montreuilloises de la pratique. Il s’agit plutôt d’observer comment, à partir de ces
écrits et du développement de l’horticulture sur ce territoire, les contemporains n’ont eu de
cesse d’alimenter ce « mythe » des origines faisant de cette pratique une caractéristique de la
ville. En 1785, dans son ouvrage consacré à l’agriculture, l’Abbé Rozier dit citer le canton de
Montreuil « que parce qu’il est rempli de jardins où on cultive, avec le plus grand succès, les
arbres fruitiers, et qu’il seroit à désirer que tous les jardiniers qui se destinent à la même
branche d’économie, y eussent fait, avant de suivre cette culture, un apprentissage de
quelques années22
. » Au siècle suivant, les origines de la pratique sont toujours attribuées à
Montreuil, en attestent les mots de l’horticulteur Jean Mozard. « Il est impossible – dit-il – de
traiter de la culture du pêcher, sans que Montreuil s’offre à la pensée, et sans éprouver le
besoin de le présenter comme le premier des modèles. C’est là que cette culture a été portée
par le talent du cultivateur à un degré de perfection qui étonne et les nationaux et les
étrangers23
. » Aujourd’hui encore, la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil (SRHM)
insiste sur une pratique propre à la ville puisqu’« au fil des années, les cultivateurs de
Montreuil perfectionnent leurs techniques » et qu’un « véritable savoir-faire se développe
autour de la culture dans les murs à pêches24
. »
Ces derniers sont l’élément principal de l’horticulture montreuilloise. En effet, déjà à
la fin du XVIIIème siècle, Schabol faisait mention des « enclos de Montreuil » dans lesquels
les « habitant ont imaginé de partager leur terrein par carré et d’y pratiquer des murailles en
tout sens25
. » Ces murs d’une hauteur d’environ 2,70 à 3 mètres pour une trentaine de
centimètres d’épaisseur, s’affinent vers le haut et sont coiffés d’un chaperon dont le débord
varie de 10 à 15 cm. Constitués de pierres et de terre, ils sont enduits d’une couche d’environ
deux centimètres de plâtre et assurent une fonction thermique cruciale permettant les
échanges de chaleur et d’humidité. Espacés d’une dizaine de mètres les uns des autres, afin de
bénéficier d’un ensoleillement maximal, les murs se réchauffent lentement la journée
permettant ainsi à l’humidité de s’évaporer. La chaleur emmagasinée le jour était ensuite
22
F. ROZIER, Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et
vétérinaire, suivi d’une méthode pour étudier l’agriculture par principes, ou Dictionnaire universel
d’agriculture, par une société d’agriculteurs, Paris, 1781-1796, p. 577. 23
J. MOZARD, Principes pratiques sur l’éducation, la culture, la taille et l’ébourgeonnement des arbres
fruitiers, et principalement du pêcher, d’après la méthode de Pepin et autres célèbres cultivateurs de Montreuil,
Paris, 1814, p. 80. 24
« Savoir-faire », Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, En ligne,
http://www.srhm.fr/savoirfaire.htm (consulté le 1er
juin 2013) 25
R. SCHABOL, Op. Cit., p. 96.
21
progressivement restituée la nuit garantissant une température constante des murs et
essentielle à la maturation des fruits (Annexe I.b et c). De ces murs, naissent ensuite deux
techniques attribuées aux horticulteurs montreuillois. La première est la culture en espalier se
caractérisant par la pousse d’un arbre parallèlement au mur et prenant la forme d’un éventail
ou d’un carré. La seconde est la culture palissée consistant à attacher les branches d’un arbre
conduit en espalier sur le mur. Dans les clos de Montreuil, l’arbre est palissé à loque, c’est-à-
dire à l’aide d’une bande de tissu usagé qui, clouée au mur de plâtre, viendra soutenir la
branche lors de la croissance et de la maturation des fruits l’empêchant ainsi de tomber sous
leur poids (Annexes II.a et VI.c). Les Montreuillois n’ayant à leur portée « ni jonc, ni osier,
firent des loques avec des morceaux de leurs vieux habits et chassèrent des clous dans la
muraille sur les deux bouts de ces loques unis dont ils enveloppèrent chaque branche26
. » Le
technique du palissage s’étend ensuite partout en France et notamment au Potager du roi du
Versailles. Mais ce qui fait la spécificité de Montreuil c’est bien le support du palissage et
Philippe Schuller, secrétaire général de la SRHM, nous rappelle que la loque s’est maintenue
sur les murs jusqu’à aujourd’hui (Annexe II.b). Le tissu permet au cultivateur de mener les
branches d’un arbre là où il le désire contrairement à un autre palissage, comme celui sur
lattes de bois par exemple qui oblige à une prédéfinition de la forme de l’arbre au début de la
plantation. Mais gardons-nous d’explications trop spécifiques et insistons simplement sur le
fait que le palissage à la loque permet le maintien de la branche des fruitiers tout en favorisant
une meilleure conduite de la sève et laisse une plus grande liberté à l’horticulteur dans la
conduite de ses arbres. L’arboriculteur Alexis Lepère perfectionne « la taille de formation »
véritable art qui a pour but de signer l’arbre ou de rendre hommage. Même si cette technique
n’est pas spécifiquement montreuilloise, il réalise quelques chefs-d’œuvre, dont l’arbre taillé
au nom de Napoléon III rendant hommage à l’empereur vers 1860 (Annexe VIII.d). La taille
conduite des arbres et la taille de formation valent aussi pour les fruitiers cultivés en plein
vent. Les pommiers et poiriers sont taillés et conduits en carré ou en candélabre afin de
laisser passer la sève et sont une autre caractéristique du savoir-faire des horticulteurs de
Montreuil (Annexe VI.a, b, c).
Alors que la production de fruits devient exceptionnelle, les horticulteurs montreuillois
se perfectionnent progressivement dans le fruit de luxe. Pour obtenir de beaux fruits qui se
vendront mieux sur les marchés parisiens, ils ont recours à la technique de l’éclaircissage et
de l’ensachage. Après la floraison et le début des premiers fruits, un mode de sélection
artificielle – dit éclaircissage – est entrepris afin de favoriser la croissance de certains aux 26
R. SCHABOL, Op. Cit., p.111.
22
dépens des autres. Ces fruits choisis sont ensuite entourées d’une poche de papier appelée
« préservateur » qui a un double but. Le premier est de protéger les fruits des parasites comme
le carpocapse, larve des pommes. Le second est de favoriser la coloration car les horticulteurs
se sont aperçus qu’un fruit privé de soleil pendant toute sa croissance, devenait extrêmement
sensible à la lumière et brunissait plus rapidement lorsqu’il y était confronté. La peau, plus
fine, se colore ainsi rapidement aux premiers contacts du soleil (Annexe II.c et d). Enfin,
même si les horticulteurs montreuillois n’en sont pas les créateurs, le marquage des fruits est
pratiqué et assure à la ville une grande renommée. Connue depuis le XIIe siècle, la méthode
du marquage consiste à occulter du soleil une partie du fruit généralement à l’aide d’un
pochoir collé par de la gélatine – ou de la bave d’escargot – et, en murissant, le fruit se colore
excepté là où le modèle a été posé (Annexe II.e et f). Par la même méthode, Louis Aubin,
horticulteur montreuillois, se sert d’un négatif comme pochoir et met au point la technique de
la photographie du fruit.
Cultiver des fruits « à la Montreuil » coïnciderait ainsi avec ces différentes étapes
techniques qui, même si leur origine montreuilloise est discutable, qualifient la pratique
horticole de la ville et le savoir-faire de ses horticulteurs. Ce savoir-faire s’inscrit ainsi dans
un processus tridimensionnel. En premier lieu, la construction des murs est fondamentale car,
définis par une composition et une architecture particulières, ce sont des outils horticoles dont
le processus de fabrication est révélateur du savoir-faire des horticulteurs montreuillois. En
second lieu, les techniques de palissage des arbres conduits en espalier témoignent d’une
pratique horticole propre aux murs et, en creux, à leurs créateurs. Enfin, l’embellissement des
fruits par l’ensachage et le marquage, est une pratique esthétique dans laquelle les
arboriculteurs montreuillois excellent au point d’en faire une distinction. Les liens ici établit
entre l’outil et le savoir-faire, l’outil et la pratique et le savoir-faire et la pratique, permettent
de mettre en évidence le lien entre l’abstrait et le concret, l’immatériel et le matériel ; Car, et
nous le verrons tout au long de notre étude, jamais ces notions ne s’opposent. Sans ces murs,
la culture « à la Montreuil » ne pourrait exister et sans la culture, l’usage des murs paraît
difficilement justifiable.
23
Cultiver à Montreuil.
L’arboriculture se développe en Île-de-France et atteint son apogée aux XVIIIe-XIX
e
siècles. L’Est parisien est particulièrement concerné par une horticulture intensive notamment
dans les villages de Bondy, Romainville, Bagnolet, Rosny ou encore Fontenay qui entourent
Montreuil. Or, c’est bien à Montreuil, que les murs de plâtre, outil principal de la pratique
horticole en question, vont connaître une expansion croissante jusqu’au XXe siècle. Espacés
les uns des autres et alignés parallèlement, ils forment un territoire parcellaire et quadrillé qui
a tant impressionné les observateurs et les contemporains. Au XIXe siècle, grâce à la vente
des propriétés ecclésiastiques et nobiliaires, « ce paysage curieusement carcéral27
» connaît
son apogée s’étendant jusqu’à couvrir plus d’un tiers de la ville. Mais, si nous avons fait
référence au génie montreuillois quant à la construction de ces murs, il faudrait préciser que
leur fabrication est rendue possible par la matière première mise abondamment à disposition
dans la ville. En effet, sur l’actuel parc des Beaumont s’étendaient des carrières de gypse. Et,
alors que neuf personnes sur dix vivent encore d’une activité agricole au début des années
1820, quelques usines artisanales, comme Morel, s’implantent afin de procéder à l’excavation
des carrières de plâtre et de briqueteries28
servant à la construction et à l’entretien des murs
(Annexe I.a) car le palissage à la loque, détruit continuellement les murs. Lorsque le clou,
supposé tenir la bande de tissu, est planté sur l’enduit de plâtre, le mur se fragilise, s’effrite et
finit par tomber. Afin d’assurer le bon fonctionnement des murailles et pour pouvoir continuer
à mener leurs arbres en espalier, les horticulteurs doivent sans cesse les reconstruire à l’aide
des matières premières qu’ils trouvent à proximité. Plâtre et terre sont à la portée des
cultivateurs et assurent l’approvisionnement nécessaire en matériaux de fabrication jusqu’à la
moitié du XXe siècle. La pratique horticole développée à Montreuil structure le territoire en le
faisant dépendre directement des besoins et des techniques de production. Ce lien est essentiel
pour notre étude car il permet de comprendre la relation permanente qu’entretient la
transmission des savoir-faire avec l’héritage d’un territoire segmenté ; mais, nous y
reviendrons plus tard. Avec la disponibilité de plâtre et du fumier provenant des gadoues de
proximité, les Montreuillois parviennent à maintenir et même à intensifier leur production
horticole malgré un climat parisien peu favorable à la maturité des fruits. En outre, l’historien
Reynald Abad, ayant étudié l’approvisionnement du marché parisien, affirme la position
27
L’expression est empruntée à l’historien Florent Quellier et nous paraît bien rendre compte de l’occupation et
de l’organisation du territoire. Ce paysage quadrillé est aujourd’hui encore perceptible dans le parcellaire
montreuillois. Voir F. QUELLIER, “Montreuil-aux-pêches”, L’Histoire, n°301, 2005, p.25. 28
D. HERVIER, O. MEYER, Montreuil, patrimoine industriel, pp.4-5.
24
géographique stratégique de Montreuil. La proximité de la ville avec la capitale, permet aux
femmes de se rendre à pieds, fautes de routes praticables, jusqu’aux Halles ou au marché
d’Aligre.
Les murs de plâtre, appelés murs à pêches, témoignent d’une production importante de
ce fruit à Montreuil. En 1825 par exemple, 15 millions de pêches sont produites sur 600 km
de murs et ces fruits peuvent peser jusqu’à 500 grammes29
. Mais l’activité horticole ne se
cantonne pas aux pêches. Emballées dans des feuilles de vigne afin d’être protégées et mieux
vendues, la viticulture est essentielle sur le territoire. Ainsi, en 1904, 1500 litres de vin sont
obtenus mais, concurrencée par les vins de du midi dans les années 1920, la vigne disparaît30
.
Par ailleurs, pommes et poires participent de la renommée de Montreuil. A ce titre, Philippe
Schuller affirme que les Montreuillois ont le secret de la Calville à joues rouges obtenue grâce
à l’ensachage et la Calville blanche est une des variétés favorites. Poires comices, passe-
crassanes, beurrés et pommes d’apis roses ou encore reinettes du Canada sont aussi cultivées.
Le petit village de Montreuil, décrit un siècle plus tôt par l’abbé Schabol, témoigne du
dynamisme d’une paysannerie marchande périurbaine s’illustrant dans l’arboriculture et se
libérant ainsi de la tyrannie des blés. Enfin, la floriculture se développe progressivement et
parvient à perdurer au XXe siècle alors même que la culture des fruits tend à diminuer.
Montreuil aux pêches.
L’arboriculture devient toutefois l’activité horticole la plus importante de Montreuil et
la pêche en devient le symbole. Parmi tous les fruits cultivés, les sources historiques
témoignent du crédit accordé à ce fruit d’été coloré et juteux. L’abbé Schabol fait référence à
l’officier de la maison du Roi à Montreuil, Nicolas Pépin, et affirme que « des princes et des
seigneurs (…) venoient d’admirer ses arbres » et que « tous les ans (…) il présentoit au roi
des pêches de son jardin31
. » Jean Mozard consacre, quant à lui, un traité à la taille des arbres
fruitiers et « notamment du pêcher32
» au début du XIXe siècle. Pourtant, comme le précise
aujourd’hui la SRHM, les premières pêches ne sont pas nées à Montreuil mais à Corbeil.
L’amélioration des techniques horticoles à Montreuil permet une production considérable de
ce fruit qui, lorsqu’il est cultivé « en plein vent » comme à Corbeil, perd de son prestige.
29
A. AUDUC, Montreuil, Patrimoine Horticole, Paris, 1999, p.24. 30
Op. Cit., p. 7. 31
R. SCHABOL, Op. Cit., Préface p. V., note b. 32
J. MOZARD, Op. Cit., p. 80.
25
Obtenue d’après une technique « vulgaire », la pêche de Corbeil est dévalorisée au fil des ans
pour finalement devenir « une pêche au vin » tellement dure et amère qu’elle n’est bonne que
trempée dans l’alcool33
. Au contraire, la pêche de Montreuil cultivée en espalier jouit d’une
réputation de plus en plus appréciable. Par ailleurs, ce fruit tiendrait une part de son succès
d’un code social important basé sur des valeurs nobles et ignobles. Plus un aliment serait
produit loin de la terre et plus il serait considéré comme un végétal noble. Les fruits obtenus
sur des branches élevées bien loin du sol seraient « infiniment supérieurs à tous les autres
végétaux » et conviendraient « mieux aux classes sociales élevées34
. » En ce sens, les
horticulteurs montreuillois se spécialisent rapidement dans le fruit de luxe et, afin de se
distinguer de la concurrence, ils créent leurs propres variétés de pêches. Citons par exemple
l’Aubin 75 obtenue par Louis Aubin lorsqu’il était président de la SRHM, la Théophile Sueur
obtenue par Arthur Chevreau en 1897 ou encore la Belle impériale créée par Désiré Chevalier
en 1861. D’autres variétés sont souvent attribuées à Montreuil sans que cela ne soit
véritablement attesté mais sans pour autant empêcher les montreuillois de se les approprier.
La Noire de Montreuil, pêche très rouge, porte ainsi le nom de la ville, les Tétons de Venus
renvoient aujourd’hui encore à la tradition horticole montreuilloise, quant à la Grosse
Mignonne, elle est devenue le nom d’un bar-restaurant très en vogue de la rue Carnot.
Les techniques d’embellissement des fruits ont pour but d’apporter une certaine plus-
value afin que les pêches soient reconnues parmi toutes celles du marché. En plus d’une
production importante dans les clos à pêches de Montreuil, ces fruits se distinguaient donc par
leur incroyable beauté. L’éclaircissage, l’ensachage et le marquage permettent d’obtenir de
beaux fruits pouvant peser de 400 à 500 grammes. La production de fruits de luxe devient la
spécificité des producteurs montreuillois qui vont jusqu’à perfectionner les techniques
d’emballages des pêches. Philippe Schuller rappelle que l’horticulteur Léon Loiseau « va se
battre pour que la provenance et le titre de propriété figurent sur les emballages afin de
protéger les fruits de Montreuil35
. » Véritables bijoux, les pêches sont entourées de feuilles de
vigne ou de papier de soie pour protéger leur peau et, emballées dans de la ouate de coton,
elles sont ensuite déposées dans une boite en carton cloisonnée (Voir les fruits marqués et leur
présentation en Annexe III.). Le marquage assure aux fruits une particularité esthétique
renvoyant aux savoir-faire des horticulteurs montreuillois et à la renommée de ville. Les
horticulteurs participent, par ailleurs, à des concours qui leur assurent une réputation
33
D’AUSSY, Histoire de la vie privée des Français depuis l’origine de la nation jusqu’à nos jours, Paris, 1782,
pp. 186-187, cité dans F. QUELLIER, Op. Cit., p. 35. 34
J-L. FLANDRIN, M. MONTANARI, Histoire de l’alimentation, Paris, 1996, p.486-487. 35
Philippe Schuller, entretien du 28 janvier 2013.
26
internationale confirmée lorsque le Tsar Nicolas II commande des fruits marqués à la ville en
189336
. Les commandes exceptionnelles se perpétuent et en 1943 lorsque les horticulteurs
montreuillois doivent produire des fruits marqués pour Walt Disney (Annexe VII.a et b) et en
2012 pour une réception aux Fouquet’s37
.
La renommée de « Montreuil-aux-pêches » semble osciller entre la réalité d’une
production incontestable se notant jusque dans la structuration du territoire et un mythe
alimenté par le discours autour de la renommée des pêches de Montreuil que les
contemporains n’ont de cesse d’entretenir. Ainsi, il se dirait même qu’un « gamin de
Montreuil » en voulant offrir une pêche à François 1er
, la fit tomber par terre et gêné de
donner au roi un fruit sali, l’enfant enleva la peau marquant ainsi le début de l’habitude de
peler les fruits38
. Ici encore, ce n’est pas l’exactitude de ces événements qui est important
mais la volonté de perpétuer ces dires contribuant à la notoriété de la ville au fil des ans.
Depuis plusieurs générations, Montreuil s’est illustré dans une production fruitière
rendue considérable par les matériaux mis à disposition sur le territoire et par le savoir-faire
des horticulteurs ayant développé des techniques particulières. Construction et reconstruction
permanente des murs à pêches, arbres en espalier, palissage à la loque, ensachage et marquage
sont les principales phases techniques de la culture des fruits « à la Montreuil » qui ont assuré
la célébrité de cette ville au territoire quadrillé. Ce village « à deux lieues de paris où la
culture des fruits est portée à la perfection » a joui d’une renommée alimentée par un discours
hésitant entre anecdotes mythiques et réalités mais contribuant à la transmission d’un savoir-
faire indéniablement attribué à Montreuil et à ses horticulteurs.
36
Sur le site internet de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, la technique et la renommée des
pêches marquées sont dépeintes dans un discours s’inscrivant entre mythe et réalité : « Le marquage des pêches
fait partie du savoir-faire emblématique des murs à pêches de Montreuil. Dans ses écrits, l’abbé Schabol évoque
ces pêches marquées offertes au roi par les cultivateurs de Montreuil. En 1893 les montreuillois offrent des
pêches marquées au Tsar Nicolas II. Production rare, si rare qu’aucune photo n’a été retrouvée à ce jour. » voir
« Fruits marqués », Société Régionale d’Horticulture, En ligne
http://www.srhm.fr/fruitsmarquespechesmarquees.html (consulté le 1er juin 2013) 37
Philippe Schuller, entretien du 28 janvier 2013. 38
La culture des fruits « à la Montreuil » a fait l’objet d’une étude en partenariat avec la SRHM et le ministère
de la culture et de la communication présentant le « patrimoine vivant de la France. » L’art de peler les fruits
serait ainsi attribué à la ville. Voir la vidéo « La tradition de la pêche à la montreuilloise », Patrimoine culture
immatériel en France, En ligne,
http://www.patrimoinevivantdelafrance.fr/index.php?mact=News,cntnt01,detail,0&cntnt01articleid=18&cntnt01
returnid=25 (consulté le 1er
juin 2013)
27
2. Transmission, rupture et redécouverte.
L’Unesco insiste sur la nécessite d’une transmission continue de génération en
génération dans le but d’assurer un sentiment d’identité aux communautés porteuses de
patrimoine. Toutefois, l’histoire de la transmission du savoir-faire horticole s’inscrit dans
celle d’une pratique horticole qui n’a pu faire face aux transformations de la société du XXe
siècle. Le processus de transmission de la pratique « à la Montreuil » ne semble alors pas
coïncider avec la législation de l’organisme international.
Vers un déclin de la pratique.
Le savoir-faire s’est perpétué de génération en génération par le biais d’une pratique
horticole ingénieuse que des horticulteurs célèbres ont pu et su fait vivre. L’importance de
l’agriculture en France participe du succès de l’horticulture et il faudrait d’ailleurs rappeler
que la population rurale augmente de trois millions et demi entre 1811 et 1841, passant de
23,4 millions à 26,9 millions. Alors qu’une main d’œuvre saisonnière provenant des villages
voisins témoigne de migrations occasionnelles, une main d’œuvre permanente venant des
départements bourguignons, et plus particulièrement de l’Yonne, s’installe durablement à
Montreuil. Certains travailleurs rachètent les parcelles appartenant aux ecclésiastiques du
siècle passé devenant ainsi les propriétaires fonciers de la ville. De grands arboriculteurs
naissent alors et participent à la transmission de cette pratique horticole traditionnelle. En
1878, ils créent la Société Pratique d’Horticulture de Montreuil grâce à un prix de 500 francs
remporté pour la présentation de leurs fruits lors de l’Expositions universelle de Paris39
.
L’objectif de cette association est de faire la promotion de la production montreuilloise lors
des expositions et des concours. Les présidents de la Société sont des horticulteurs talentueux
comme Léon Loiseau qui présida de 1893 à 1930. En écrivant L’ensachage des fruits et La
conservation des fruits par le froid, ce cultivateur perfectionne les techniques arboricoles et
s’intéresse aux questions économiques et commerciales afin de permettre à Montreuil de
s’imposer comme le mentor du fruit de luxe. A la fin du siècle, il remporte de nombreux
succès internationaux grâce à des fruits cultivés à la perfection qui parviennent jusqu’aux
tables princières européennes des Habsbourg de Vienne et des Romanov de Saint-
39
« Histoire/Les grandes dates », Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, En ligne,
http://www.srhm.fr/grandesdates.htm (consulté le 1er juin 2013)
28
Pétersbourg40
. Louis Aubin succède à Léon Loiseau en 1930 et, en élaborant la technique de
la photographie sur fruit, fait partie de ces arboriculteurs ingénieux chers à Montreuil.
Malgré un succès indéniable et une volonté de maintenir la pratique horticole, la
production diminue dans les années 1880 pour plusieurs raisons. Les progrès des transports
ferroviaires et de la réfrigération permettent l’introduction sur le marché français de fruits
méridionaux concurrençant la production montreuilloise qui ne parvient plus à rivaliser.
Même si les murs à pêches permettent un ensoleillement maximal palliant le soleil discret de
la région parisienne, les fruits d’été venus de la méditerranée offrent un goût finalement plus
apprécié. En outre, dans la première moitié du XXe siècle, Montreuil élit son premier maire
communiste issu du monde ouvrier, Fernand Soupé. Cette élection témoigne de nouvelles
réalités politiques, sociales et économiques. L’industrialisation de la commune ne cessera de
s’étendre de 1920 à 1960 marquant les « quarante glorieuses » de l’industrie montreuilloise et
faisant reculer le secteur agricole. Les usines s’installent dans le bas-Montreuil, l’habitat se
concentre à proximité des industries et s’entend sur tout le territoire finissant par empiéter sur
le haut-Montreuil et le secteur horticole. Le logement a de ce fait accompagné la progression
spatiale de l’industrie et selon le recensement de 1954, plus de 5000 habitations sont
construites dans l’entre-deux guerres. Les premières habitations à loyer modéré (HLM) sont
construites en 1928 rue Edouard Vaillant près des industries et les grands ensembles des
années 1950-1960 s’étalent sur une grande partie de Montreuil détruisant les murs à pêches.
Maurice Chapal, petit-fils de Louis Aubin, témoigne de l’expropriation dont a été victime son
grand-père en 196241
. Afin de permettre la construction du Lycée Jean-Jaurès, cet horticulteur
célèbre est exproprié de sa maison du 43 rue Pépin et six ans plus tard, Maurice Chapal, qui
avait reprit l’activité horticole, doit céder à son tour son terrain. Ce dernier précise d’ailleurs
que le transfert des Halles de Paris à Rungis est un moyen supplémentaire pour faire pression
sur les horticulteurs propriétaires en leur proposant de s’implanter dans des communes de
Seine-et-Marne ou du Val-de-Marne. D’autres familles d’horticulteurs comme les
Graindorge, les Désiré, les Robin ou encore les Voisinet, sont toutes expropriées afin de
mener à bien le projet autoroutier débuté en 1962. L’autoroute A186 aura eu raison des
dernières exploitations horticoles de Montreuil et viendra traverser les murs à pêches
modifiant considérablement le paysage (Annexe V.a et b). Sous la pression du béton, les
40
F. QUELLIER, « Montreuil-aux-pêches », Op. Cit. 41
D’après un entretien organisé par la SRHM avec Maurice Chapal à Crocq dans la Creuse au début des années
2000. Voir « Histoire/Les familles », Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, En ligne
http://www.srhm.fr/grandefamilleAubinChapal.html (consulté le 1er juin 2013)
29
horticulteurs partent et abandonnent les murs qui étaient pourtant leur principal outil de
travail.
Aujourd’hui disséminés ça et là sur le territoire, ces murailles se mêlent au paysage
urbain et lorsqu’elles ne dépendent pas directement des nouvelles habitations modernes, elles
finissent par tomber en ruines. Pour les maintenir, il ne reste aujourd’hui que très peu
d’horticulteurs montreuillois. Parmi eux, André Patureau ancien président de la SRHM, doit
se limiter à une production personnelle, isolée et dérisoire. Des communautés d’hommes et de
femmes ayant fait la gloire de Montreuil et ayant transmis un savoir-faire horticole singulier,
il ne reste que les noms de certaines rues leur rendant hommage. Les rues Désiré Chevalier et
Léon Loiseau rappellent ces familles d’horticulteurs montreuilloises témoignant alors d’un
passé certes glorieux mais révolu. Si l’installation des grandes familles exploitantes à
Montreuil a permis une interaction permanente entre les horticulteurs, elle a aussi permis un
ancrage de la pratique qui a perduré jusqu’à la fin du XIXe siècle. Malgré la transmission d’un
savoir-faire continuellement amélioré par les horticulteurs, la production de fruits a
brutalement diminué lorsque l’outil principal de culture a disparu. L’industrialisation d’abord
et l’urbanisation ensuite ont détruit les murs à pêches essentiels à la culture palissée,
entrainant ainsi le déclin de la pratique horticole.
Ruptures, recherches et évolutions.
Dans les années 1970-1980, les horticulteurs ayant été expropriés et une partie des
murs ayant été détruite, il n’y a pratiquement plus d’arboriculture à Montreuil.
L’approvisionnement des marchés et des supermarchés n’obéissant plus aux mêmes règles
qu’auparavant, la permanence d’une production fruitière en ville n’a plus été nécessaire et est
même apparue comme contraignante face aux réalités socio-économiques urbaines. Le savoir-
faire des horticulteurs était mis à profit afin de produire de manière intensive des pêches et
des pommes pour répondre à des besoins qui justifiaient une pratique horticole aux portes de
paris ; mais le recul de l’agriculture en Île-de-France a fait progressivement passer Montreuil
d’un territoire horticole à un territoire urbanisé dans lequel le savoir-faire des horticulteurs ne
trouvait plus sa place. Toutefois, la SRHM s’est maintenue et n’a connu aucune absence de
présidence depuis sa création jusqu’à aujourd’hui. Association historique des cultivateurs des
murs à pêches, elle n’a pas cédé à son tour sous la pression urbaine. En 1920, alors que le
déclin de la pratique est déjà amorcé, les horticulteurs décident de créer un lieu de recherche
30
et d’expérimentations collectives en fondant le Jardin-école. S’étendant sur une surface de
7000m2 et abritant des parcelles de murs à pêches, il est un haut lieu de la pratique horticole
montreuilloise. Il permet le maintien de la culture des arbres palissés alors même que les murs
du reste de la ville sont détruits. Même si aujourd’hui la production au Jardin-école est
incomparable avec celle d’autrefois, elle témoigne d’une continuité de la pratique
traditionnelle réduite cependant à quelques mètres linéaires de murs. Le Jardin-école, toujours
lieu d’expérimentations, a permis l’évolution des techniques par l’emploi d’outils
contemporains témoignant d’une capacité d’adaptation de la pratique horticole. Rappelons-le,
l’Unesco insiste sur la « recréation permanente » des pratiques et savoir-faire qui en tant
qu’éléments vivants doivent s’adapter au présent. Philippe Schuller nous indique à titre
d’exemple que la loque, auparavant utilisée, est abandonnée au profit de la résille plastique.
En effet, la loque est une bande de tissu que les horticulteurs montreuillois avaient à
disposition. Le tissu, souple et léger contrairement à l’osier ou autre support de soutien,
permet de maintenir délicatement la branche sans la casser et sans freiner le passage de la
sève. La résille plastique, symbole de modernité, conserve les avantages de la loque tout en se
dénichant plus facilement que celle-ci ; car, même si a priori n’importe qui possède du tissu,
l’achat de bande plastique paraît incontestablement plus pratique et moins contraignant. Grâce
à son maillage, la résille plastique se place plus facilement sur des clous déjà fixés sur le mur
lors des palissages antérieurs et Philippe Schuller alors que le mur est épargné de coups
supplémentaires risquant de le détériorer davantage42
(Annexe IV.a et b). A partir de nouvelle
matière fournie par la période contemporaine, le savoir-faire des horticulteurs s’adapte et se
réinvente tout en restant fidèle à lui-même.
La situation concernant le marquage des fruits est plus complexe. Cette technique
d’embellissement avait pour but de distinguer les fruits de Montreuil des autres et en cela,
assurait un ancrage de la ville dans le fruit de luxe. Le déclin de la pratique horticole et
simultanément l’affaiblissement du marché du fruit de luxe ont entrainé un étiolement de la
pratique du marquage jusqu’à sa disparition. Le marquage traditionnel des pommes est
relancé depuis 2000 alors que la technique du marquage des fruits restait une énigme pour nos
contemporains. La recherche dans les bulletins de la Société Régionale d’Horticulture, publiés
mensuellement depuis 1939, a permis de redécouvrir ce savoir-faire perdu. Grâce à ses
découvertes dans les archives, ses connaissances et ses expérimentations au Jardin-école,
Philippe Schuller redécouvre la technique du marquage des pêches en 2004 après trois ans
d’essais (Annexe III.d et f). Aujourd’hui, ces fruits marqués ont toujours une symbolique forte 42
Philippe Schuller, entretien du 28 janvier 2013.
31
et porte encore l’histoire de Montreuil. Il suffit de rappeler que le célèbre restaurant Fouquet’s
a fait une commande spéciale de fruits marqués aux horticulteurs montreuillois lors d’une
réception43
. Le marquage, aujourd’hui utilisé de manière exceptionnelle et ludique, tente de
s’adapter au monde moderne. Dans une étude des ateliers du Puy-en-Velay et d’Alençon,
Marie-Hélène Massé-Bersani nous livre les procédés techniques liés au savoir-faire de la
dentelle au point inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Elle y
précise que les dentellières mettent leur savoir-faire au service de la modernité en
reproduisant des œuvres d’artistes contemporains. Cette capacité d’adaptation témoigne alors
de « l’importance de la relation existant entre la notion de patrimoine et le monde
contemporain44
. » Dans la même lignée, des pochoirs dessinés par des artistes contemporains
et représentant tête de mort, silhouette africaine ou encore danseur de hip-hop permettent de
voir comment le marquage tient compte de la modernité (Annexe IV.c, d, e).
Le savoir-faire lié à la culture des fruits à Montreuil s’inscrit donc dans un processus
de continuités, d’adaptations et de ruptures. Ces trois temps caractérisent le savoir-faire pris
comme objet d’étude ici, mais ils pourraient sans doute valoir pour d’autres. Car, le savoir-
faire se transmet de manière continue lorsque rien ne lui fait obstacle. Il s’adapte lorsque ceux
qui le pratiquent et le transmettent ont la capacité, l’envie et la possibilité de l’accommoder ou
de l’ajuster à la situation contemporaine. Mais lorsque les modifications conjoncturelles,
politiques, sociales, économiques ou encore culturelles sont trop fortes, il se peut que ni le
savoir-faire, ni ceux qui en sont les porteurs soient capables de lutter contre sa disparition. A
ce moment, la recherche historique est la seule qui permette de (re)découvrir des techniques
fondamentales d’un savoir-faire particulier. Il semblerait que la culture des fruits « à la
Montreuil » soit un exemple – sans doute parmi bien d’autres – de la transmission d’un
savoir-faire s’inscrivant entre ruptures et continuités.
Le non-respect d’une continuité générationnelle
L’Unesco a établi la définition du PCI en affirmant qu’on ne pouvait entendre par PCI
que « les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire (…) transmis
de génération en génération. » Pourtant, il a été démontré précédemment que la pratique
43
Lors de l’entretien, Philippe Schuller n’a pas précisé pour qui exactement ces pommes avaient été marquées. 44
M-H. MASSE-BERSANI, « Les ateliers de dentelle du Puy-en-Velay et d’Alençon », in C. HOTTIN (Dir.),
Le patrimoine culturel immatériel. Premières expériences en France, n°25, Paris, 2011, p. 168.
32
horticole a décliné pour n’être finalement concentrée que sur un territoire limité. Le savoir-
faire qui lui est lié a subi une rupture dans son processus de transmission. Car rappelons-le, la
SRHM s’est attachée à conserver la spécificité première de la culture montreuilloise – le
palissage à la loque – laissant le marquage disparaître. Par ailleurs, le Jardin-école, même s’il
a permis au savoir-faire de se maintenir vivant, n’a pas été le lieu de regroupement de tous les
horticulteurs au moment du déclin de la pratique horticole. L’expropriation et les réalités
socio-économiques de la ville ont eu raison d’eux malgré un attachement indéniable à leur
activité. Jacques Bellot et son père Lucien Chevalier ont dû partir pour permettre la
construction du Lycée Eugénie Coton. Le fils se rappelle qu’ « Après les expropriations, son]
père a changé du tout au tout. C’était sa terre, toute sa vie, ce qu’il avait fait naître de son
travail. Le plus dur pour lui fut de voir tous ses arbres arrachés45
. » Lucien Chevalier meurt au
milieu des années 1960 et avec lui ce sont des techniques qui s’éteignent. Le Jardin-école est
alors resté le lieu de Montreuil conservant les outils et les savoir d’une pratique horticole
passée qui ne demandait qu’à être de nouveau connue de tous. L’arrivée de certains acteurs de
la Société Régionale d’Horticulture, comme Philippe Schuller, a été déterminante pour saisir
l’engouement attaché à ce passé horticole. En s’intéressant de plus près à ce qui a fait la gloire
de Montreuil, les communautés concernées par ce patrimoine horticole ont cherché à
connaître avec exactitude les techniques d’une pratique célèbre.
Ainsi, malgré la rupture, « le sentiment de continuité » résolument réclamé par
l’Unesco semble tout de même présent. Plus qu’une continuité permanente et temporelle, ce
qui semble prépondérant est le lien que les communautés souhaitent (re)tisser entre le passé et
le présent en (re)découvrant des techniques fondamentales et oubliées de la pratique horticole
montreuilloise. Le principe de permanence immuable prôné par l’Unesco et devant assurer
« le sentiment de continuité » aux générations est sans doute le reflet d’un patrimoine toujours
accroché à l’éternelle idée occidentale de la relique. Cette dernière se transmet de mains en
mains constituant ainsi le patrimoine de ceux qui la possèdent. Si elle se perd, c’est le
patrimoine qui se perd et rien ne pourra la remplacer. Il sera toujours possible d’en
reconstruire une à l’identique mais elle sera « un nouvel objet patrimoine » non pas « l’objet
authentiquement patrimoine » et perdra ainsi sa valeur. Mais la pratique en tant qu’élément
vivant et basée sur des critères de « non-authenticité » subit l’inévitable de la vie : la mort.
Incluse dans un monde dans lequel la manière de vivre des individus n’est pas immuable, elle
peut être amenée à disparaître si les conditions nécessaires à sa vie ne sont plus assurées. Ces
45
« Histoire/Les familles », Société Régionale d’horticulture de Montreuil, En ligne,
http://www.srhm.fr/grandefamilleCHEVALIER.html (consulté le 1er juin 2013)
33
mêmes conditions sont parfois indépendantes de la volonté seule de perpétuation de la
pratique et des savoir-faire qui lui sont attachés. A Montreuil, les contextes historique, social,
économique et culturel ont amené la pratique à décliner et ont évincé la majorité de ceux qui
pouvait transmettre leur savoir-faire. Mais, ce qui fait « vivre » ces deux éléments – pratique
et savoir-faire – est la volonté de certains acteurs de les faire « revivre » témoignant ainsi de
leur attachement pour la tradition et leur procurant « un sentiment de continuité. » La culture
« à la Montreuil » devient un patrimoine immatériel lorsque ce « sentiment » de continuité est
assumé. Les communautés s’attachent alors à cette pratique traditionnelle et témoignent d’une
volonté de la mettre en valeur et en cela de la transmettre. Un attachement sentimental semble
alors correspondre davantage au « sentiment de continuité » qu’une réalité matérialisée de la
transmission.
Malgré des efforts indéniables, il semble que la législation soit encore attachée à la
notion de continuité matérielle dans l’idée de patrimoine et ait du mal à concevoir qu’un
élément, matériel ou non, reconnu comme patrimoine puisse faire l’objet de modifications
considérables. Il suffirait d’ailleurs de se tourner vers l’Asie pour voir à quel point cette vision
est caractéristique d’une mentalité occidentale du patrimoine. Le Japon a dû batailler pour
faire accepter à l’Unesco l’intérêt patrimonial des édifices que le pays souhaitait faire classer.
Ces monuments connaissent des phases successives de construction, de démolition et de
reconstruction mais la valeur patrimoniale réside bien moins dans l’édifice lui-même que
dans le rite qui y est pratiqué46
.
Il semblerait alors judicieux de comparer le patrimoine culturel immatériel avec
l’histoire culturelle. Cette dernière, attentive aux comportements des individus, met en
évidence un décalage permanent entre les normes et les pratiques, les prescriptions et les
usages. La convention du patrimoine culturel immatériel donne une définition normative que
les communautés s’approprient et réinterprètent. Mais davantage qu’une définition, le
patrimoine culturel immatériel tel qu’il est présenté doit être pris comme un concept dans la
mesure où il est susceptible d’évoluer. Il est alors un « espace de conscience », pour reprendre
les termes de Reinhart Kosselleck, tiraillé entre théories et interprétations47
. Qu’importe pour
les groupes d’individus que la culture des fruits à Montreuil se soit momentanément arrêtée et
que certains savoir-faire aient été perdus car ce qui compte aujourd’hui est que les techniques
oubliées aient été redécouvertes et soient progressivement remises en valeur.
46
Voir à ce sujet, C. HOTTIN, “Une nouvelle perception du patrimoine.”, Culture et recherché, n°16-17, 2008,
pp. 15-17. 47
Expression reprise par M. JADE dans Patrimoine immatériel, perspectives d’interprétation du concept de
patrimoine, Paris, 2006, p.19.
34
Dans sa transmission, le savoir-faire développé par les horticulteurs de Montreuil a
subi des interruptions. Entre une incapacité à s’adapter à la modernité et une quasi
impossibilité de lutter contre des bouleversements de la société, nous choisirons la deuxième
proposition afin d’expliquer la perte partielle de la connaissance de certaines techniques
horticoles. Mais l’intérêt des communautés pour cette culture « à la Montreuil », qui fait
partie de l’histoire de la ville, est le moteur de la redécouverte et de la reprise de ce savoir-
faire traditionnel. Se pose ici une nouvelle question que nous étudierons par la suite, celle du
choix du patrimoine. Peut-on et doit-on tout sauver ? Faut-il patrimonialiser tous les éléments
en perdition afin de les maintenir à tout prix ou bien faut-il les laisser mourir inévitablement ?
Le savoir-faire traditionnel des horticulteurs montreuillois a-t-il une légitimité à être
patrimonialisé sur un territoire où la ville a remplacé la campagne, où les bâtiments ont
remplacé les espaces verts et dans une époque où l’agriculture modernisée et intensifiée n’a
plus la même signification qu’auparavant ?
3. Reconnaissance d’un patrimoine culturel immatériel.
L’intérêt du patrimoine culturel immatériel réside dans l’importance accordée aux
communautés qui sont les porteuses d’un élément qu’elles considèrent comme faisant partie
de leur histoire, de leur culture – et nous le verrons – de leur environnement. Les groupes ont
un rôle capital à jouer dans la visibilité et la viabilité de l’élément. Contrairement à la mise en
patrimoine d’éléments matériels, les Etats, les institutions culturelles ou les experts
scientifiques n’ont aucune légitimité à ordonner la patrimonialisation d’une pratique si les
communautés ne la reconnaissent pas en tant que telle. A Montreuil, le concept de patrimoine
culturel immatériel pénètre progressivement les mentalités. Des communautés hétérogènes
témoignent d’une volonté de porter le savoir-faire et la pratique horticoles comme
représentant leur patrimoine désormais qualifié d’« immatériel. »
35
Patrimoine naturel, patrimoine horticole ou patrimoine culturel immatériel ?
Durant le XIXe siècle, les horticulteurs produisent des fruits pour répondre à une
demande. En développant des techniques spécifiques et efficaces, ils parviennent à une
production spectaculaire qui s’étend en 1880 sur 320 hectares48
. Durant cette période, que
l’on pourrait qualifier de « spontanée », la société produit ce dont elle a besoin sans pour
autant avoir conscience du patrimoine qu’elle est en train de créer. Puis, en 1900, les
cultivateurs montreuillois participent à l’exposition universelle sur le thème « le bilan d’un
siècle. » A cette occasion, un musée itinérant est créé et composé d’une collection d’objets
personnels de la famille Chevalier. D’autres gravures, objets et photographies des familles
d’horticulteurs montreuillois viennent enrichir la collection initiale. En 1928, sans doute
conscients de l’histoire horticole qui s’est développée sur leur territoire, les cultivateurs créent
un « musée rétrospectif » à Montreuil présentant les objets collectés. Par son nom,
l’établissement témoigne de la volonté des horticulteurs de lier une pratique encore présente
sur le territoire au passé et au futur. En 1992, André Patureau inaugure le musée dans
l’ancienne salle de cours du Jardin-école et depuis 20 ans, par les régulières donations des
familles, la richesse du musée contribue à faire connaître l’histoire des horticulteurs et de leur
savoir-faire. Cette deuxième période marque la « prise de conscience » des horticulteurs
montreuillois qui ajoutent une valeur à des savoir-faire avant tout utilitaires. Il est alors
essentiel de noter la volonté des cultivateurs du début du XXe siècle de regrouper des
éléments de leur histoire avec un but de préservation et de transmission49
. La conservation et
l’agrandissement de l’établissement témoignent d’un début de conscience patrimoniale liée à
l’histoire horticole. Aujourd’hui, une nouvelle période est amorcée et que nous pourrions
qualifier de « conquête de l’identité patrimoniale par l’objet50
. » La présence de murs à pêches
sur le territoire amène les habitants à se questionner par rapport à cette réalité physique. C’est
le dernier temps de la création du patrimoine, celui qui permet l’appropriation d’une histoire
passée pour vivre le présent. Mais, il paraît difficile pour les communautés de trouver le bon
qualificatif pour désigner les restes de ces murs. Tantôt patrimoine horticole, tantôt
48
A. AUDUC, Montreuil, patrimoine horticole, Paris, 1999, p. 24. 49
S. CHIQUER, P. SCHULLER, (Dir.), « Le musée horticole des murs à pêches : 20 ans déjà. Et demain ? »,
Bulletin trimestriel de la société régionale d’horticulture de Montreuil, 1er
trimestre 2012, pp.8-9. 50
Les expressions entre guillemets marquent les trois temps du patrimoine définis par Michel Colardelle. Voir
M. COLARDELLE, « Les acteurs de la constitution du patrimoine : travailleurs, amateurs, professionnels. » in J.
LE GOFF (Dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris, 1998, p.125.
36
patrimoine naturel, il n’est pas encore question de patrimoine culturel immatériel. Les
associations de défense des murs à pêches – comme l’association Murs à pêches (MAP) –
insistent sur un patrimoine naturel, celui des murs eux-mêmes qui sont à rattacher à une
histoire horticole passée. « Ce que nous voulons vraiment – disent les partisans des MAP –
c’est sauver un morceau de notre territoire qui résiste encore à la ville. Nous ne voulons pas,
tout simplement, que le pays des murs à pêches – ce qu’il en reste – devienne une banalité de
plus.51
» Elément du paysage, les murs à pêches structurent la ville de Montreuil mais il ne
faudrait pas oublier qu’ils sont avant tout un outil. L’absence du terme « patrimoine
technique » pour les qualifier démontre que leur répartition formant un territoire structuré
prime sur leur usage originel. Mais nous y reviendrons plus longuement par la suite. Au-delà
d’un patrimoine naturel, la ville de Montreuil, l’office de Tourisme et d’autres associations
montreuilloises – comme Montreuil Environnement ou la SRHM – parlent tout d’abord d’un
patrimoine horticole renvoyant à « la longue tradition agricole et horticole qui a fait les heures
de Montreuil » et qui est « encore largement visible sur certains sites de la ville52
. » Enfin, et
pour la première fois, lors des débats et conférences aux Assises de la Culture, déroulées à
Montreuil dès le mois de juin 2011, le terme de « patrimoine culturel immatériel » fait son
apparition. « La ville de Montreuil présente un patrimoine riche, dans chacun des trois
domaines habituellement considérés par l’Unesco » à savoir le patrimoine matériel, le
patrimoine naturel et le patrimoine immatériel. Ce dernier renvoie « aux savoirs et savoir-faire
(à Montreuil, les horticulteurs), à la mémoire vivante, aux pratiques culturelles et sociales des
habitants, aux cultures et aux expressions artistiques émergentes, à la diversité des origines
ethniques des populations53
. » Même si la définition de patrimoine immatériel semble
quelque peu « fourre-tout », il ne faudrait pas sous-estimer la reconnaissance du savoir-faire
lié à l’horticulture comme faisant partie du patrimoine culturel de Montreuil. Comme précisé
dans les Assises, l’Unesco reconnaît les trois patrimoines définis précédemment et semble
ainsi apporter le cadre qu’il manquait aux communautés pour définir et comprendre ce qui
« fait patrimoine » pour eux. Un glissement s’opère ainsi progressivement du patrimoine
horticole vers un patrimoine culturel immatériel se référant davantage au savoir-faire des
horticulteurs qu’à la tradition horticole elle-même. Même si la distinction est subtile, il est
51
Voir à ce sujet les revendications de l’association sur le site des Murs à pêches sur « Ce que nous voulons »,
Murs à Pêches, En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/ce-que-nous-voulons/ (consulté
le 1er
juin 2013) 52
La définition de « patrimoine horticole » est donnée par le site de la ville. « Culture/Patrimoine/Visiter-
découvrir », Montreuil, [En ligne] http://www.montreuil.fr/la-ville/visiter-decouvrir/le-patrimoine-horticole/
(consulté le 1er
juin 2013) 53
Assises de la culture, Une nouvelle ambition culturelle pour Montreuil, 2012, p.15.
37
important de noter ce changement témoignant d’une part de l’appropriation par les
communautés du concept de patrimoine culturel immatériel et d’autre part de l’emploi
progressif du terme de « PCI » pour désigner les savoir-faire attachés à ce patrimoine
horticole. Car, comme le souligne Marc Bloch, « L’avènement d’un nom est toujours un
grand fait, même si la chose avait précédé ; car il marque l’étape décisive de la prise de
conscience54
. » Les communautés conscientes portent désormais leur patrimoine.
L’Unesco ne définit pas le terme de « communautés » et leur organisation est acceptée
en fonction des situations pouvant ainsi faire référence à un groupe de personnes détenant le
savoir-faire, à un groupe de praticiens amateurs ou plus généralement, « il peut s’agir d’un
ensemble de personnes se reconnaissant dans le partage d’un même élément du PCI. (…) Les
communautés peuvent compter seulement quelques individus (huit personnes dans le cas des
dentelières)55
, plusieurs milliers (les compagnons), plusieurs millions (pour le repars
gastronomique des Français)56
. » Il serait bien prétentieux d’affirmer que le savoir-faire des
horticulteurs et la culture des fruits « à la Montreuil » concerneraient tous les Montreuillois.
Cependant, une communauté hétérogène englobant des professionnels, des associations et des
amateurs montreuillois ou non s’assemblent afin de défendre ce patrimoine culturel. A la
question « le savoir-faire lié aux murs à pêches peut-il être considéré comme un patrimoine
culturel immatériel ? », Philippe Schuller répond « oui. » Et à la suivante « ce savoir-faire
doit-il continuer à être transmis », il répond encore par l’affirmative57
. A Montreuil, les
associations d’habitants de la ville et de défense des murs à pêches forment cette communauté
porteuse et le soutien qu’apporte la municipalité à ces dernières n’exclut pas l’intérêt du
pouvoir politique pour un patrimoine revendiqué et assumé. Parmi les associations, la Société
Régionale d’Horticulture affirme que les « pratiques horticoles représentent un patrimoine
immatériel », qu’elles doivent être « pratiquées au quotidien pour ne pas disparaître » et que
de « conduire des arbres fruitiers « à la Montreuil », c’est sauver ce patrimoine immatériel
d’une disparition imminente58
. » L’association Montreuil Environnement ou encore
54
M. BLOCH, Apologie pour l’histoire ou métier d’historien, Armand colin, Paris, 1997, cité dans M. JADE,
Patrimoine immatériel, perspectives d’interprétation du concept de patrimoine, Paris, 2006, p.37. 55
Les références entre parenthèses renvoient toutes à des éléments inscrits sur la liste du patrimoine culturel
immatériel. Il s’agit pour le premier cas de la « Dentelle au point d’Alençon et du Puy-en-Velay », pour le
deuxième du « Compagnonnage » et pour le dernier du « Repas gastronomique des Français ». 56
C. HOTTIN, « Candidatures pour l’Unesco : du dossier au projet » in C. HOTTIN (Dir.), Op. Cit., n°25, Paris,
2011, p. 179. 57
Réponses collectées lors de l’entretien du 28 janvier 2013. 58
« PLU de Montreuil – Avis de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil (SRHM) concernant le
secteur dénommé « quartier de Saint Antoine, dit des Murs à pêches », d’une surface d’environ 50 ha » in J-P.
CHAULET, Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S et à l’élaboration du plan local
d’urbanisme de Montreuil sous bois, Annexe I, Courrier n°51, septembre 2010, p. 158.
38
l’Association de défense des habitants de Montreuil (ADHM) insistent sur l’importance de la
protection des savoir-faire. « Ces terres et leurs usages passés et futurs doivent être protégés
en tant que patrimoine local mais aussi mondial (la renommée des Murs à pêches de
Montreuil est connue jusqu’au Japon !)59
» De manière générale, de nombreuses associations
sont créées afin de perpétuer la pratique des pêchers palissés sur murs. L’association Murs à
Pêches possède quelques parcelles aménagées en verger sur lesquelles sont palissées des
pêchers et l’association Lézarts dans les Murs insiste sur la mise en place de chantiers de
restauration des murs et la transmission des « savoir-faire et techniques de construction des
murs, et de la taille et palissage des pêchers60
. » Ainsi, même s’il est impossible d’entendre
« les communautés » comme la totalité des montreuillois, il est important de souligner qu’un
groupe est bien porteur d’une pratique et d’un savoir-faire qu’il considère comme faisait
partie de son patrimoine culturel, de son histoire et de son identité.
Qui pour transmettre quoi aujourd’hui ?
La Convention de l’Unesco vise avant tout à sauvegarder le PCI qui est défini à
l’article 2 comme « les mesures visant à assurer la viabilité du patrimoine culturel immatériel,
y compris l’identification la recherche, la préservation, la protection, la promotion, la mise en
valeur, la transmission, essentiellement par l’éducation formelle et non formelle, ainsi que la
revitalisation des différents aspects de ce patrimoine. » La culture des fruits « à la Montreuil »
ne figurant pas sur la liste de l’Unesco, ni même sur une liste nationale du PCI, les acteurs
locaux participent seuls à la mise en valeur actuelle du patrimoine. Les actions de la SRHM
sont à ce titre plus qu’importantes car « depuis plus d’un siècle, la société régionale
d’horticulture de Montreuil maintient vivants les savoir-faire horticole et arboricole des murs
de Montreuil » et insiste sur sa mission de transmission en précisant que « transmettre c’est
donner du sens….Le partage d’expérience permet de donner un éclairage nouveau à ces
savoir-faire horticoles pour construire un avenir aux murs à pêches61
. » Pour Philippe
Schuller, parmi les individus qui ont vécu à Montreuil pendant son heure de gloire horticole,
59
“Participation de l’Association de Défense des Habitants de Montreuil à l’enquête publique concernant le PLU
sur le secteur des Murs à pêches d’une superficie d’environ 50 hectares sur la commune de Montreuil », lettre du
15 juillet 2010 in J-P. CHAULET, Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S et à
l’élaboration du plan local d’urbanisme de Montreuil sous bois, Annexe I, Courrier n°50, septembre 2010, p.
152. 60
« Nos objectifs », Lezarts dans les murs, En ligne, http://lezartsdanslesmurs.com/paysage-environnement-
patrimoine (consulté le 1er juin 2013) 61
Voir la Brochure de présentation de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil en Annexe X.
39
il ne resterait qu’un horticulteur capable de transmettre de qu’il a appris. Toutefois,
concernant le palissage, les élèves de l’Ecole Dubreuil, les membres du Potager du Roi, du
Sénat et des Croqueurs de pommes pourraient transmettre la technique. Cette dernière ayant
connu un succès tel qu’elle est reprise qu’à Montreuil et, par exemple, une collaboration unit
le Potager du roi de Versailles à la SRHM pour « l’amour et la promotion de beaux fruits et
de l’art de la taille de formation62
. » Mais Bernard Guicheteau et Philippe Schuller sont parmi
les seuls à transmettre le palissage à la loque à Montreuil au sein du Jardin-école et à pouvoir
en parler. Les acteurs de la transmission étant peu nombreux le risque de voir – ou revoir – les
techniques disparaître est grand. Afin d’attirer et de former davantage de « passeurs de
techniques », la SRHM multiplient les activités dans le but de donner plus de visibilité à la
pratique. Un dimanche par mois, le Jardin-école ouvre ses portes et organise des
manifestations allant de la taille au traitement des arbres en passant par le palissage ou encore
le marquage des fruits. Par ailleurs, la SRHM organise des activités pédagogiques afin de
sensibiliser les plus jeunes à ce savoir-faire en les faisant palisser des arbres ou poser des
pochoirs (Annexe VII.e). Sans pour autant devenir de véritables professionnels, quelques
curieux peuvent apprendre les techniques et contribuer à l’approfondissement des
connaissances de ce patrimoine culturel. En venant au Jardin-école, en observant des
professionnels et en pratiquant, les individus parviennent à mettre en lien le savoir-faire avec
le passé horticole glorieux de la ville et, plus encore, ayant eu connaissance de ces techniques
spécifiques, ils peuvent participer ou bien à la transmission de la pratique, s’ils la maitrisent
suffisamment, ou bien entreprendre des recherches historiques en cas d’impasse. D’autres
activités ont pour but de sensibiliser les individus comme des concours de pochoirs qui seront
ensuite décalqués sur les fruits. Par ailleurs, des manifestations sont régulièrement organisées
autour du savoir-faire horticole et, plus généralement, autour des murs à pêches. Lors du
marché des saveurs ou du festival « pêches en folies », pommes, pêches et autres produits
obtenus grâce aux fruits de Montreuil sont vendus (Annexe VII.c). Lors de la manifestation
« La voie est libre » en septembre 2012 des « Tétons de vénus du Jardin-école encore
humides de rosée se sont laissées cueillir pour rejoindre leur nid douillet de papier de soie… »
Renouant avec la tradition lors de cet éco-festival, une trentaine de pêches précieusement
emballées selon la manière traditionnelle ont été vendues au prix de 3 euros la pièce. Une
somme certes élevée mais il est précisé que le but était avant tout de « faire la démonstration
que les fruits de Montreuil nourrissent nos esprits plus encore que notre palais et que le public
62
« Partenaires », Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, En ligne
http://www.srhm.fr/potager_du_roi.htm (consulté le 1er juin 2013)
40
est prêt à nous suivre afin de donner toute sa valeur d’exception à ce patrimoine vivant63
. »
Même si la pratique horticole a fait la renommée de Montreuil en France et à l’étranger, le
savoir-faire qui lui est rattaché ne bénéficie pas aujourd’hui d’une visibilité suffisante pour en
assurer la transmission. N’étant inscrite sur aucune des listes, les associations se chargent de
la mise en valeur de ce patrimoine par des activités fréquentes et variées. Plus que de recruter
et de former des professionnels, ces activités ludiques ont pour but de contribuer à la mise en
valeur du PCI mais, nous le verrons, les projets d’avenir des murs à pêches semblent apporter
des mesures de sauvegarde particulièrement intéressantes.
Cultiver « à la Montreuil » est un savoir-faire appliqué dans une pratique horticole
ancienne de la ville. Les horticulteurs l’ont mis à profit afin de répondre aux nécessités
arboricoles des XVIIIe – XIX
e siècles. Cette production particulière a fait la renommée de
Montreuil au-delà des frontières françaises mais, au XXe siècle, lorsque la pression du béton a
été trop forte l’horticulture s’est arrêtée. Seuls quelques individus ont su garder vivantes les
techniques développées par les horticulteurs alors mêmes que d’autres, temporairement
disparues, ont été redécouvertes grâce à la curiosité des montreuillois et aux écrits que
prédécesseurs et contemporains ont pris soin de conserver. Malgré un déclin de la pratique
horticole, restreinte aujourd’hui à quelques parcelles de murs, l’intérêt porté au savoir-faire
témoigne de la motivation des communautés de le valoriser et de le perpétuer. Le terme de
« patrimoine culturel immatériel » délivré par la Convention de l’Unesco permet aux
communautés de mettre un nom sur un élément de leur patrimoine culturel et les phases de
rupture et redécouverte de certaines techniques ne semblent pas contester le sentiment de
continuité invoqué par les communautés porteuses. Ainsi, en tant que patrimoine vivant, la
culture « à la Montreuil » est à comprendre comme un patrimoine évoluant entre ruptures et
continuités. Il apparait alors comme évident que le patrimoine culturel immatériel tel que
défini par l’Unesco ne semble pas résumer tout le patrimoine culturel immatériel. Le rôle des
communautés primant dans cette nouvelle conception du patrimoine, l’intérêt porté supplante
certaines caractéristiques de la définition conventionnelle faisant ainsi du PCI un patrimoine
en permanente évolution et de la définition de l’Unesco un simple cadre de compréhension et
d’approche.
63
Bulletin trimestriel de la société régionale d’horticulture de Montreuil, 4ème
trimestre 2012, p.2.
41
C H A P I T R E II.
Culture traditionnelle et environnement durable.
42
La culture des fruits à Montreuil se caractérise par le palissage des arbres sur des murs
de plâtre. Il est donc essentiel de répéter que les murs à pêches sont un outil sans lequel la
technique développée il y a plus de deux siècles n’existerait pas. Ils font partie intégrante du
savoir-faire des horticulteurs montreuillois, de par leur construction et de par leur usage. Dans
leur réalité matérielle, ils marquent le territoire et témoignent aujourd’hui de la tradition
horticole passée. La progression de l’urbanisation a eu raison de la pratique horticole en
détruisant ces murs mais l’intervention des communautés militant pour leur sauvegarde
semble témoigner d’une nouvelle appréciation de l’environnement quotidien. Le désir de
qualité environnementale urbaine permet à la pratique liée aux murs de se justifier dans les
nouveaux projets élaborés par les citadins. Mariannick Jadé soulignait la grande similitude du
PCI avec le développement durable dont, dit-elle, l’Unesco n’a pas encore « déterminé la
teneur intellectuelle64
. » Le concept de développement durable donne indéniablement tout
son sens à la pratique horticole « à la Montreuil » en tant que patrimoine culturel immatériel à
sauvegarder et les projets de sauvegarde tentent de concilier la mise en valeur du PCI avec le
renforcement du lien socio-culturel dans la ville.
1. Eveil des consciences environnementales en ville.
Du rejet de l’urbanisation au classement des murs…
La pratique horticole a progressivement décliné dès le début du XXe siècle à mesure
que la concurrence sur le marché du fruit s’est durcie et que les industries ont empiété sur les
espaces cultivés. Mais c’est surtout l’urbanisation de Montreuil accentuée dès les années 1960
qui a accéléré la disparition de l’horticulture. Les murs à pêches deviennent, dans le langage
courant des années 1970-1980, non plus un outil de culture mais une dénomination, un terme
désignant le quartier dans lequel ils survivent. Ce secteur concentré en majorité dans le Haut-
Montreuil a fait l’objet de projets d’urbanisation considérables. Nié dans sa valeur
patrimoniale, il a été coupé par l’autoroute A186 détruisant l’homogénéité du territoire
agricole. Les deux espaces obtenus et anciennement horticoles ont par la suite fait l’objet de
grands projets. Une Zone d’aménagement concerté (ZAC) envisageait la destruction des murs
afin d’y construire des équipements urbains. Puis, le quartier a été imaginé comme une zone
urbanisable à 80% afin d’y construire un quartier pavillonnaire pour répondre à la demande en
64
M. JADE, Op. Cit., p. 86.
43
logements65
. C’est alors que l’Association Des Habitants de Montreuil (ADHM) et
l’association Murs à Pêches (MAP) s’opposent à ces projets et parviennent à en empêcher la
réalisation. Les motivations des acteurs reposent en grande partie sur la volonté de stopper
une urbanisation désastreuse et irréversible.
Le rejet de la bétonisation de Montreuil se note dans les propos des associations de
défense du secteur des murs à pêches. « Les villes atroces qui entourent Paris paient le prix
d’un siècle d’urbanisme criminel – s’insurge l’association MAP – On y a entassé, on y a
envoyé des millions d’ouvriers et de paysans déchus pour y créer exactement ce que nous ne
voulons pas. Un dortoir. Parfois même un dépotoir66
. » Les projets ambitieux de densification
et de constructions deviennent synonymes de « monde malade » – pour reprendre l’expression
de Pascal Mage, président de l’association Murs à pêches – et sonnent le rejet final de
l’urbanisation. La vue des grands ensembles urbains ou encore les nuisances de l’autoroute
participent inévitablement de cette révulsion pour la ville de la fin du XXe siècle. L’espace
urbain est ressenti et l’appréciation que l’on y porte témoigne d’un « abaissement des seuils
de tolérance. » Cette expression de l’histoire des sensibilités, due à Alain Corbin, illustre
clairement la variation des sensations qui s’opère dans la ville. L’auteur explique par exemple
comment le bruit des cloches faisant partie de la vie quotidienne est supporté jusqu’au XIXe
siècle pour devenir progressivement une nuisance sonore ou encore comment l’odeur des
excréments est devenue synonyme de miasme putride qu’il faut combattre67
. La sensibilité
nouvelle aux bruits et aux odeurs esquissée par ces exemples est à mettre en parallèle avec le
rejet de l’urbanisation. Dans les années 1960-1980, les montreuillois ont vécu en ville sans
s’alarmer de l’urbanisation – ou en tout cas, sans en témoigner la même animosité
qu’aujourd’hui – mais cette dernière est devenue par la suite intolérable s’apparentant à
l’horreur. Les adhérents de l’association MAP parlent de l’agglomération parisienne comme
d’un lieu où la « pollution de l’air et le niveau de bruit » constituent de véritables
« agressions » et, en opposition à cela, ils manifestent leurs besoins de « silence, sons de la
nature, intimité, sérénité et détente68
. » La variation des seuils de tolérance à l’urbanisation
65
M. MARTINEZ, P. DESGRANGES, P. PETITJEAN, Commission extra-municipale sur l’aménagement du
secteur des murs à pêches, Rapport final, avril 2009, p. 4. 66
Voir les motivations complètes de l’association sur son site internet. « Ce que nous voulons », Murs à Pêches,
En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/ce-que-nous-voulons/ (consulté le 1er
juin
2013) 67
Ces deux exemples sont tirés d’études sur l’ouïe et l’odorat menées par Alain Corbin. Voir Les cloches de la
terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXème siècle, Paris, 1994 et Le miasme et la
jonquille. L’odorat et l’imaginaire social XVIIIe-XIX
e siècles, Paris, 1986.
68 Questionnaire MAP réalisé par l’association MAP en décembre 2008 auprès de ses 167 membres.
« Documents », Murs à Pêches, En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/documents/
(consulté le 1er
juin 2013)
44
affirme une nouvelle sensibilité des habitants en ville. Dès lors, les murs à pêches deviennent
une échappatoire à la bétonisation. « Tout ce qui n’a pas été urbanisé, tout ce qui n’a pas été
massacré par le béton et l’urbanisme fou des années 60 doit être conservé69
» dira encore
Pascal Mage.
La volonté de conservation des murs s’affirme sérieusement jusqu’à ce que
l’association MAP et le parti vert demandent la classification du site pour empêcher une
« destruction irréversible de ce patrimoine. » Dominique Voynet, alors ministre de
l’environnement et de l’aménagement, appuie le projet qui aboutit finalement au classement
des murs au titre des sites en 2003. Au total 8,6 hectares de murs sont classés de manière
aléatoire de part et d’autre de l’autoroute (Annexe V.c). Mais l’objectif du classement est de
« sauvegarder et de pérenniser un paysage agricole remarquable et original70
» révélant
l’attachement porté aux murs en tant que paysage constitué et non celui porté au savoir-faire
qui leur est lié. Quoi qu’il en soit, le classement permet de conserver des parcelles de murs et
propose une réflexion sur leur avenir. En février 2008, la nouvelle équipe municipale reçoit
les orientations de l’équipe précédente sur les murs à pêches et considérant que les projets
envisagés rendent le territoire encore trop urbanisable, elle décide alors de la création d’une
Commission extra-municipale le 25 septembre 2008 pour une durée de 5 mois afin d’élaborer
des propositions « pour mettre en valeur le patrimoine horticole du site, ses qualités
paysagères71
. » Cette commission composée d’élus, d’associations et de personnes ressources
– paysagistes et horticulteurs – expose les valeurs historiques du site classé en insistant sur
« un patrimoine horticole lié à des savoir-faire (y compris dans la dimension de patrimoine
immatériel) par] la conduite du verger ‘à la Montreuil’, greffes, tailles et usages des murs
agricoles spécifiques et par] la création de différentes variétés de fruits72
. » Les murs à
pêches, dans leur matérialité, deviennent alors l’objet patrimonial qui fixe les réminiscences
de l’immatérialité.
Le rejet de l’urbanisation a permis l’appréciation d’un territoire alors en disparition et
seul témoin d’une essence agricole s’opposant au béton. Mais ces murs à pêches deviennent
bien plus qu’un paysage naturel en ville. Par leur présence physique, ils permettent aux
communautés de se souvenir et deviennent l’objet patrimoine porteur d’immatérialité, une
madeleine de Proust renvoyant à un savoir-faire horticole propre à Montreuil. Ce patrimoine
69
« Ce que nous voulons. », Murs à Pêches, En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/ce-
que-nous-voulons/ (consulté le 1er
juin 2013) 70
Rapport pour la commission départementale des sites, perspectives et paysages, 29 avril 2012, in A.
ROUQUETTE, D. VERMEERSCH, Murs à pêches, cahier pédagogique de restauration, septembre 2012, p. 2. 71
M. MARTINEZ, P. DESGRANGES, P. PETITJEAN, Op. Cit., pp. 4-5. 72
Op. Cit., p.8.
45
immatériel réanimé par de nouvelles manières de vivre en ville est réactivé par des projets
urbains justifiant de son utilité et de sa nécessité.
Vers un projet agri-urbain.
Avec 50 hectares de murs présents sur le territoire montreuillois et 8,6 hectares de
murs classés, la commission extra-municipale se trouve face à un dilemme : Que faire de ces
murs s’ils ne sont pas détruits ? Parmi les propositions faites afin de tenir compte des murs
dans leur ensemble – de leur construction aux usages – un projet d’EcoQuartier est retenu et
soumis à réflexion par la commission et la municipalité. Ce projet est à insérer dans un
contexte bien plus large témoignant d’une nouvelle manière de vivre la ville et de l’habiter.
De manière générale, le lieu dans lequel on habite n’est plus seulement le lieu dans lequel on
dort mais tend à devenir celui dans lequel on vit. Les associations de défense des murs à
pêches insistaient sur la volonté de ne pas faire de Montreuil une ville « dortoir » mais plutôt
un espace apprécié et appréciable renvoyant à des nouvelles pratiques urbaines, au sensible et
aux ambiances. La géographe Anne Sgard parle de « l’habiter » pour expliquer les relations
qui se tissent entre le territoire quotidien et les habitants et, par extension, le rôle d’acteur que
jouent les habitants sur ce territoire73
. Le besoin d’une amélioration de la qualité de vie en
ville dévoile la progressive introduction de la notion d’écologie en milieu urbain. En 1983, un
premier manifeste pour l’écologie urbaine est rédigé et en 1992 le sommet de Rio, consacré
au développement durable, annonce la prise en compte d’une nécessaire amélioration de la
qualité de vie plus soucieuse des hommes et de leur environnement. Les élections municipales
des Verts en 1989 et régionales en 1992 font décoller l’intérêt grandissant sur le devenir du
monde et sur la qualité environnementale74
. En outre, à l’échelle nationale, le 22 octobre
2008, simultanément aux réflexions et orientations sur les murs à pêches, le plan Ville durable
est présenté en Conseil des Ministres se donnant pour principe de favoriser l’émergence d’une
nouvelle façon de concevoir, construire et gérer la ville. Les premiers appels à projets
d’EcoQuartier sont lancés afin de rassembler les projets de qualité et de les valoriser. Par
définition, l’EcoQuartier est une opération d’aménagement durable contribuant à améliorer la
qualité de vie en s’appuyant sur des principes fondamentaux. Le Ministère de l’écologie, du
développement durable et de l’énergie insiste sur l’importance de son intégration « dans la
73
A. SGARD, Le partage du paysage, Rapport pour l’habilitation à diriger des recherches, 15 avril 2011, p. 36. 74
V. BERDOULAY, O. SOUBEYRAN, L’écologie urbaine et l’urbanisme, Paris, 2002, p. 26.
46
ville existante et le territoire qui l’entoure » et ajoute qu’il a « la particularité de s’appuyer sur
les ressources locales, qu’elles soient paysagères, urbaines, humaines ou
environnementales75
. »
La réflexion sur l’avenir du « site murs à pêches » inséré dans un EcoQuartier paraît
alors une aubaine pour faire valoir non seulement sa qualité paysagère mais aussi et surtout
les usages de ces murs. Dans un contexte de volonté d’amélioration de la qualité de vie en
milieu urbain, la tradition agricole attachée aux murs trouve une place légitime.
Progressivement, des associations et des professionnels s’appuient sur cette idée de ville
durable pour proposer des projets en lien avec l’agriculture et le patrimoine. Le glissement
s’opère ainsi de la volonté de création d’un EcoQuartier améliorant la qualité de vie des
habitants en se servant des ressources paysagères vers un – voire plusieurs – projet agri-urbain
dans lequel les ressources paysagères sont aussi le patrimoine. Montreuil Environnement
souligne que « les caractéristiques patrimoniales matérielles et immatérielles sont
suffisamment intéressantes et solides pour permettre d’imaginer sur ce territoire la reprise
d’activités horticoles de proximité qui apparaissent de nouveau comme essentielles aux
citadins76
. » En outre, ces murs, formant à la fois les ressources paysagères et le patrimoine
naturel, sont l’opportunité pour la pratique horticole traditionnelle de justifier sa reprise sur le
long terme et dans un projet urbain tenant compte des attentes des citadins. En effet,
« préserver quelques kilomètres de murs à pêches authentiques sur lesquels « conduire » des
arbres fruitiers « à la Montreuil », c’est sauver ce patrimoine immatériel d’une disparition
imminente » et « la surface agricole restante (une trentaine d’hectares) permet de le faire77
. »
Les diverses mesures liées au développement durable (Rio en 1992 ; Plan sur la ville durable
en 2008) ont permis une reconsidération des savoir-faire liés au passé horticole de Montreuil
et les incluant dans des projets écologiques et environnementaux viables. De la ville de
banlieue urbanisée et dortoir, les communautés veulent faire de Montreuil une banlieue verte
et horticole renouant non seulement avec son passé mais surtout avec le savoir-faire
traditionnel désormais affirmé comme élément du patrimoine.
75
« Ville durable, aménagement et construction durable /Ville durable, aménagement, site et
paysage/EcoQuartier », Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, En ligne,
http://www.developpement-durable.gouv.fr/Plan-Ville-Durable.html (consulté le 1er juin 2013) 76
« Contribution de l’association Montreuil Environnement concernant le quartier Saint-Antoine dit « des murs
à pêches » à l’enquête publique sur le PLU de Montreuil » in J-P. CHAULET, Rapport d’enquête publique
relative au projet de révision du P.O.S et à l’élaboration du plan local d’urbanisme de Montreuil-sous-Bois,
Annexe I, septembre 2010, courrier n° 54, p. 167. 77
M-C. LEGER, « PLU de Montreuil – Avis de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil (SRHM)
concernant le secteur dénommé « Quartier de Saint-Antoine, dit des Murs à pêches », d’une surface d’environ 50
ha » in J-P. CHAULET, Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S et à l’élaboration
du plan local d’urbanisme de Montreuil-sous-Bois, Annexe I, septembre 2010, courrier n° 51, p. 155.
47
Parmi les projets d’agriculture urbaine, ceux portés par l’association Montreuil
Environnement et l’association Montreuil aux Pêches semblent les plus aboutis dans leur
volonté de réintroduction et de sauvegarde de la culture « à la Montreuil. » La proposition du
projet agri-urbain par la première association citée porte sur un ensemble d’éléments
rassemblés en 5 piliers dans une logique de cohérence globale de l’aménagement autour de
l’agriculture et du patrimoine. Le premier pilier fondamental est d’ordre culturel et comprend
deux aspects : patrimonial et identitaire. Dans le premier cas il s’agit de protéger durablement
et de réhabiliter les murs à pêches comme lieu de mémoire vivante afin de rendre compte de
l’histoire horticole de la commune. Dans le second, l’objectif est de mettre en valeur et de
faire « revivre le savoir-faire et les techniques perfectionnées au fil du temps par les
cultivateurs de Montreuil autour de la culture des murs à pêches78
. » Par ce biais patrimonial,
l’intention est de permettre l’installation d’agriculteurs engagés pour une agriculture
responsable et respectueuse de la qualité patrimoniale du site. Ces agriculteurs pourraient à
leur tour devenir les nouveaux acteurs de la transmission du savoir-faire traditionnel en se
multipliant et en assurant ainsi la mise en valeur et la sauvegarde de la pratique horticole.
Afin de présenter ces ambitions, l’association a imaginé ce que pourrait être les murs à pêches
demain. Dans une image réalisée par le graphiste Olivier Aubry la ville retrouve sa pratique
d’antan, les arbres sont palissés et des fruits ensachés (Annexe VIII.c). En outre, pour le
compte de l’association, le graphiste a réalisé une vidéo d’animation intitulée « Evolution de
la rue Saint-Antoine79
» dans laquelle, en une trentaine de secondes, les murs sont reconstruits
et leur usage horticole rendu. A la manière d’une ancienne carte postale titrée « Retour de la
cueillette », Olivier Aubry redonne tout son sens à ce patrimoine immatériel (Annexe VIII.a et
b).
Le projet porté par l’association Montreuil aux Pêches est aussi révélateur de cette
volonté de voir le savoir-faire des horticulteurs montreuillois réinvestir la ville. Constituée
autour de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, du Sens de l’humus et de Rêve de
Terre, l’association Montreuil aux pêches propose un « paysage comestible au cœur de la
ville » et est financièrement soutenu par le Ministère du travail, des relations sociales, de la
famille et de la solidarité, par la région Île-de-France, par la commission Européenne et est en
partenariat avec de nombreux acteurs locaux. S’appuyant sur les « nouveaux besoins de l’Île-
78
« 5 piliers pour un projet agri-urbain dans les murs à pêches », Montreuil Environnement, En ligne,
http://montreuil-environnement.blogspot.fr/search/label/demain (Consulté le 1er juin 2013) 79
AUBRY (Olivier) (Réal.), Evolution de la rue Saint-Antoine, Montreuil Environnement, 2009, 30’’ voir la
vidéo sur Montreuil, Environnement En ligne, http://montreuil-environnement.blogspot.fr/2009/06/blog-
post.html (Consulté le 1er juin 2013)
48
de-France » et de ses habitants en matière d’environnement et d’agriculture, l’association
propose de préserver le patrimoine végétal, historique et culturel par « la production agricole
au centre même d’une agglomération afin de favoriser le dialogue et les rencontres
ville/campagne » par l’ « apprentissage de pratiques agricoles intra-urbaines80
. » Par ces
nouvelles attentes, Montreuil aux Pêches insiste sur l’opportunité de « s’adosser aux murs à
pêches » afin d’en révéler un « patrimoine aussi bien matériel (…) qu’immatériel (une
technique culturale née au XVIIe siècle et qui a perduré jusqu’au milieu du XX
e) (…) car] la
production fruitière est à l’origine du patrimoine des murs à pêches et] la valorisation de ce
paysage remarquable est indissociable d’une remise en culture de pêchers palissés81
. »
Les deux projets agri-urbain ont vocation à faire renaitre une agriculture locale
renouant avec l’ancienne production horticole prestigieuse aux portes de Paris. Un lieu
consacré à la vente de fruits de Montreuil marquerait, par extension, l’ambition de créer un
lieu dévoilant toute la richesse culturelle de la production agricole d’Île-de-France pour
donner plus de visibilité au patrimoine et répondre aux attentes des habitants. Ces deux
projets ne résultent évidemment pas d’une vision utopique et égoïste de quelques associations
concernées davantage par l’écologie que par les enjeux sociaux de la ville. La volonté
d’inclure les réalités socio-économiques et culturelles de Montreuil au sein de ce projet est
réelle.Alors que le projet de Montreuil aux Pêches prévoit des chantiers de réinsertion
permettant « à des personnes en difficulté sociale et/ou professionnelle de (re)trouver un
équilibre personnel82
» en offrant des emplois tournés vers l’agriculture, celui de Montreuil
Environnement insiste sur la diversité des cultures agricoles comme témoins de la diversité
culturelle de la ville.
Il convient de garder à l’esprit que les liens qu’entretiennent ville durable et pratique
horticole, projet agri-urbain et culture « à la Montreuil » s’intègrent dans une dimension plus
large trahissant le lien étroit tissé entre le développement durable et le patrimoine culturel
immatériel ; les uns justifiant les autres dans une relation d’interdépendance. Il est aussi
essentiel de rappeler la relation étriquée qui unit l’immatériel au matériel, murs à pêches et
culture traditionnelle. La pratique horticole est, en effet, reconsidérée à partir du moment où
la cause même de sa disparition – l’urbanisation – devient assez insupportable aux
communautés, pour provoquer en eux une prise de conscience patrimoniale sur un élément
concret : les murs. C’est en premier lieu par cet « objet-madeleine », porteur de l’immatériel,
80
Montreuil aux Pêches, un projet agriculturel porté par trois associations, p.4. 81
Op. Cit., p. 9. 82
Op. Cit., p. 13.
49
que la pratique horticole trouve ensuite son sens s’inscrivant ainsi dans les nouvelles attentes
urbaines des citadins.
2. Paysage, nature et culture traditionnelle.
La culture « à la Montreuil » s’intègre par ailleurs dans un besoin de nature et de
respect de la biodiversité. Allant de pair avec une volonté de vivre la ville de manière
qualitative plus que par des actions économiques, la culture traditionnelle des fruits renoue
avec le besoin de nature.
Esthétique naturelle du paysage.
La prise de conscience des enjeux environnementaux, des menaces et de l’épuisement
des ressources a profondément revisité les relations entre la société et l’environnement. On l’a
vu, privées de nature par l’urbanisation, les communautés ont rejeté le béton qui semblait les
asphyxier. Augustin Berque écrit que « la divergence moderne du symbolique et de
l’écologique, la déconnexion croissante de la science, de la morale et de l’art se sont
retrouvées radicalement remises en cause. Une commune mesure s’impose maintenant au
paysage et à l’environnement : l’échelle de la Terre83
. » Ce désir contemporain de retourner
au plus près de la terre se note d’abord dans l’appréciation des murs et de l’espace qu’ils
constituent. Témoins d’une pratique horticole organisée, ils ont marqué le territoire en
quadrillant la ville. Le paysagiste Michel Corajoud, à l’origine du parc du Sausset à Saint-
Denis, est sollicité en 1993 afin de réfléchir à l’avenir de ces murailles en ville. De ce qu’il
voit, il opte dans un premier temps pour une destruction totale du reste des murs ruinés. Mais,
dans un second temps, par une observation plus attentive et un intérêt pour l’histoire
renfermée dans ces murs, il propose un projet soulignant le potentiel de ce territoire84
. Les
projets de Corajoud ne seront pas retenus suggérant la construction d’habitations entre les
murs mais en voulant donner plus de visibilité au site, il soumet les murs à pêches à
l’appréciation visuelle, les faisant ainsi passer de « territoire » à « paysage. » Par ailleurs,
83
A. BERQUE, Médiance, de milieux en paysages, 1990, p. 11 cité in A. SGARD, Le partage du paysage,
Rapport pour l’habilitation à diriger des recherches, 15 avril 2011, p. 33. 84
Voir l’intervention de M. CORAJOUD dans le film de GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de
Montreuil, 2008, 20’15’’ DOC2GEO, En ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-
projets-de-montreuil (consulté le 1er juin 2013)
50
cette idée de paysage est confirmée lors des réflexions de la Commission extra-municipale sur
l’avenir du site lorsque le paysagiste Gilles Clément propose le projet d’un belvédère afin de
saisir pas la vue « un paysage gravé dans la mémoire85
. » L’appréciation visuelle des murs à
pêches permet de prendre conscience d’une nature cachée, secrète au cœur de la ville.
Ce sont ensuite tous les sens qui sont mis en éveil afin de ressentir ce paysage comme
une bouffée d’air frais en plein cœur de la ville. « Dans cette trame paysagère – dit François
Lacroix – il y a du secret, il y a d’autres trames cachées qui ne demandent qu’à être vues,
ressenties, goûtées, comme le suc des pêches et des fruits qui ont fait la renommée de ces
murs. » De ruines et territoire, les murs deviennent terres et paysage rappelant ainsi la nature
et la gloire horticole passée. Par ailleurs, « le domaine des murs à pêches est exactement ce
que l’univers marchand n’a pas réussi à dérober à la ville » c’est à dire « évasion, rêve,
poésie, déambulation, flânerie, errance, émerveillement devant une libellule, sieste à l’ombre
d’un arbre, flirt au soleil, amour 86
», nous dit l’association Murs à Pêches. Le paysage
correspond alors à cet idéal d’harmonie rousseauiste dans lequel les hommes vivent dans et
avec la nature. Les codes esthétiques du paysage, à savoir le beau, le sublime et le pittoresque
– pouvant tous les trois qualifier les murs à pêches87
– s’enrichissent visiblement d’un
nouveau qualificatif : le naturel. En opposition à la ville superficielle et malade, le naturel
témoigne du bien être dans lequel tous les sens sont éveillés.
A la manière d’un Candide, cultiver ramène l’homme dans une réflexion personnelle,
intime, intellectuelle dépassant le cadre de l’aliénation urbaine. Au plus près de la terre,
l’homme paraît atteindre l’harmonie égarée dans les immeubles bétonnés. En insistant sur la
réintroduction de la pratique traditionnelle avec pour objectif « «la relation harmonieuse entre
l’humain et la nature 88
», c’est le paysage crée autrefois par le savoir-faire des horticulteurs
qui se justifie dans un cadre naturel et, en creux, esthétique. Il suffit pour cela d’observer le
paysage tel qu’imaginé dans le projet agri-urbain de l’association Montreuil Environnement.
85
« Contribution de Gilles Clément à la Commission extra-municipale », 10 janvier 2009 in Commission extra-
municipale sur l’aménagement du secteur des murs à pêches, rapport final, avril 2009, p. 32. 86
« Ce que nous voulons », Murs à Pêches, En ligne, http://mursapeches.wordpress.com/qui-sommes-nous/ce-
que-nous-voulons/ (consulté le 1er
juin 2013) 87
Selon Alain Corbin, « le beau » renvoie au code de la beauté classique et implique un espace limité, bordé et
soumis à l’homme. Les murs à pêches en tant qu’espace clos cultivé renvoient alors au « beau. » Le « sublime »
évoque l’effroi, l’horreur suscitée par l’irruption brutale d’une catastrophe. Pour certains, l’urbanisation est vue
comme un acte criminel qui a détruit des hectares de murs. Le regard porté sur les murs mutilés ou disparus
renvoie ainsi au « sublime. » Enfin, le « pittoresque » sous-entend la quête de la surprise et correspondrait tout à
fait aux découvertes surprenantes que l’on pourrait faire au détour d’une ancienne parcelle de mur. Pour les
définitions des codes esthétiques du paysage, voir A. CORBIN, L’homme dans le paysage. Entretien avec Jean
Lebrun, Paris, 2001, pp. 86-87. 88
Montreuil aux Pêches, un projet agriculturel porté par trois associations, p.6
51
En proie au rêve et à « l’imaginaire89
», les murs à pêches redonnent toute leur symbolique à
la pratique horticole traditionnelle. Sur des représentations du projet agri-urbain de
l’association Montreuil Environnement, on peut apprécier des lignes de pêchers palissés et
des rangées de pommiers et poiriers taillés en candélabre. Les fruits ensachés attendent le bon
moment pour se colorer au soleil. Comme un clin d’œil à l’œuvre d’Alexis Lepère, des
pêchers conduits selon l’art de la taille de formation, forment le nom de « Montreuil » sur un
grand mur de plâtre. Des montreuillois photographiés et intégrés dans les représentations,
déambulent à pieds, à vélo, pendant que d’autres arrivent par le tramway, mode de circulation
douce. Loin du bruit de l’autoroute, du béton et de l’agitation urbaine, ils sourient, dansent,
cultivent et cueillent les fruits produits sur leurs terres (Annexe VIII.c, d, e, f, g). Le paysage
naturel ainsi formé renvoie au savoir-faire des horticulteurs montreuillois, à un patrimoine
vivant en plein cœur de la ville et prend tout son sens dans un espace esthétique naturel
apportant l’harmonie en milieu urbain.
Cultiver sainement et restaurer l’humus
Renouer avec une pratique horticole traditionnelle revient à reconsidérer la nature des
sols sur lesquels on cultive. En effet, disparue avant l’intensification des traitements
chimiques en agriculture, la culture « à la Montreuil » renvoie à une manière respectueuse de
produire et plus soucieuse de la préservation des ressources naturelles et de l’humus. On l’a
vu, l’ensachage par exemple avait pour but de protéger des insectes parasites alors
qu’aujourd’hui les pesticides ont largement remplacé les sacs de papier auparavant utilisés.
Sans faire ici l’apologie d’une agriculture biologique, il s’agit d’observer en quoi la culture
traditionnelle des fruits à la Montreuil encourage la restauration la qualité de la terre
permettant ainsi aux communautés porteuses de justifier la réintroduction de l’horticulture
traditionnelle.
Des études de faisabilité des projets agri-urbain ont été menées afin de savoir si un
retour à l’agriculture sur un territoire urbain pollué par l’industrie était possible. En 2008, la
Direction Régionale et Interdépartementale de l’Agriculture et de la Foret (DRIAF) a alors
procédé à des tests des sols afin d’en évaluer la contamination. Dans son enquête, la DRIAF
89
Le terme est de l’association Montreuil Environnement pour décrire le paysage formé par les murs à pêches.
« Demain les murs à pêches/incrustez vous dans l’image ! », Montreuil Environnement, [En ligne,
http://montreuil-environnement.blogspot.fr/search/label/demain (consulté le 1er juin 2013)
52
tient compte d’une « dimension agricole qui] concerne en priorité la replantation d’espèces
fruitières, à commencer par le pêcher symbole emblématique de l’histoire du site, mais aussi
d’autres espèces comme le pommier.90
» Les tests mettent alors en évidence une
contamination incontestable par le cuivre, le mercure, le plomb et le zinc. Le facteur explicatif
de premier plan serait le recours aux gadoues de la ville de Paris comme produit de
fertilisation. Avec le développement de l’industrialisation, la matière organique des gadoues
s’est chargée en éléments toxiques dont en éléments traces métalliques (ETM)91
. Il faudrait
toutefois relativiser ce constat pour ne pas faire des industries les seules responsables de la
contamination puisqu’un autre facteur explicatif serait le recours aux pratiques phytosanitaires
ancestrales comme la bouillie bordelaise préparée à base de sulfate cuivre. Mais l’enquête
affirme que la contamination en ETM a été largement plus limitée par le recours à ces
préparations que par la pollution industrielle des gadoues. En outre, c’est l’utilisation massive
de ces matières pour répondre à une production horticole intensive qui est à l’origine d’une
contamination des sols sur le long terme. Dans la mesure où il ne s’agit pas de réintroduire
l’agriculture en ville à des fins de production extraordinaire et que celle-ci sera concentrée sur
un parcellaire moins important qu’autrefois, le recours intensif à ces pratiques phytosanitaires
ancestrales ne sera pas justifié et sera adapté aux techniques actuelles.
Les résultats de l’enquête débouchent sur un constat très intéressant pour notre étude.
Il ressort que la concentration de plomb dans les fines herbes, les légumes tiges ainsi que dans
les légumes-feuilles dépasse largement les seuils réglementaires. En revanche, aucun
dépassement n’est observé dans les légumes-fruits et les espères fruitières. Ainsi, thym,
menthe, poireaux, rhubarbe et salade sont « à éviter, voire à proscrire » alors que pêchers,
poiriers, pommiers sont « à privilégier92
. » Enfin, l’enquête insiste sur l’engagement d’une
réflexion concernant la décontamination des sols afin d’encourager une agriculture saine. De
ces résultats débouchent deux constats. Premièrement, la mise en évidence d’une pollution
des sols pour certaines espèces permet de ne pas faire du projet agri-urbain un moyen
d’introduction d’une production agricole diversifiée mais plutôt ciblée. L’arboriculture y
retrouve pleinement sa place dans les réalités contemporaines où pêchers et pommiers
retrouvent, par extension, leur symbolique d’antan. Deuxièmement, la restauration de l’humus
par des pratiques de décontamination est un point d’ancrage à la réinstauration d’une culture
traditionnelle. Ainsi l’association Montreuil aux Pêches insiste-t-elle sur les fondements de
90
Rapport de synthèse du plan de surveillance sols et végétaux mis en œuvre sur le périmètre des murs à pêches
de la ville de Montreuil-sous-Bois, 2008, p.2. 91
Op. Cit., pp. 6-7. 92
Op. Cit., p.14.
53
son projet dans son Axe 1, « Production maraichère, arboricole et horticole. » La production
doit être assurée à travers 3 actions : restauration de l’humus, réflexions sur les principales
actions de la mise en culture et la plantation d’un verger de pêchers. Ces trois étapes liées
entre elles assurent « dépollution associée à une remise en culture progressive », « production
arboricole » et « remise en culture de pêchers palissés93
. »
Palisser des pêchers, tailler des pommiers et manger des fruits
La culture palissée, comme fondement de la pratique horticole « à la Montreuil »,
permet la production de pêches et ces dernières ont vocation à redevenir le symbole de la
ville. Le « pilier culturel » du projet agri-urbain de l’association Montreuil Environnement
stipule qu’il faudrait « faire revivre le savoir-faire et les techniques perfectionnées au fil du
temps par les cultivateurs autour de la culture de murs à pêches. Et que] La pêche pourrait
redevenir l’emblème de la ville de Montreuil, comme elle le fut par le passé94
. » L’association
Montreuil aux Pêches prévoit quant à elle la plantation d’un verger de pêchers en culture
palissée avec la plantation de plus trois cents pêchers. Parmi les variétés de pêches, seront
replantés cent-cinquante arbres produisant des Gypses, cent-vingt donnant des Grosses
mignonnes et quatre-vingt des Tétons de Vénus. Il est par ailleurs proposé de replanter des
variétés fruitières « traditionnellement attachées aux pêches : abricots, prunes, cerises,
pommes, poires, raisin de cuve et de table (…) » La présence de la viticulture dans le projet
permet évidemment de faire le lien entre les feuilles produites et leur utilisation comme
support de présentation des pêches dans la pratique horticole traditionnelle. Les cent
pommiers de type Calville et les cinquante poiriers de type Comice participent du désir de
redonner aux murs et aux terres de Montreuil leur dimension culturelle par le biais des savoir-
faire développés au fil des générations et qui, alliés aux techniques contemporaines,
pourraient permettre l’élaboration de nouvelles variétés de fruits. Le premier essai
d’hybridation de deux variétés de pommes, la calville blanche et la pomme noire pour obtenir
une nouvelle variété « la calville noire », a été réalisé au Jardin-école en 2012. Par la
technique traditionnelle de l’ensachage, la calville a été protégée de toute pollinisation
extérieure pour ne recevoir que le pollen préalablement prélevé de la pomme noire et former
93
Montreuil aux Pêches, un projet porté par trois associations, pp. 8-9. 94
« 5 piliers pour un projet agri-urbain dans les murs à pêches », Montreuil Environnement, En ligne,
http://montreuil-environnement.blogspot.fr/search/label/demain (Consulté le 1er juin 2013)
54
ainsi un nouveau fruit. Même si l’hybridation a été un échec, elle est surtout un « espoir »
pour Philippe Schuller qui compte bien « créer une pomme de Montreuil95
. »
A l’ère des slogans « manger équilibré », « manger 5 fruits et légumes par jour » et
« évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé96
», pêches et pommes sont gages de santé.
L’arboriculture ne peut être étudiée qu’en prenant en considération l’environnement mental et
les pratiques culturelles des individus. A titre d’exemple, l’historien Florent Quellier rappelle
que la culture des fruits intensifiée au XVIIIe siècle doit son succès à la nouvelle réputation
qui lui est liée. Les pêches deviennent particulièrement bienfaisantes alors qu’elles étaient
considérées comme pernicieuses par les théories de Galien97
et c’est bien de cette même
réputation dont jouissent aujourd’hui les fruits. Produits de la terre, ils croisent tout d’abord
l’histoire du paysage dont on a mis en évidence l’appréciation esthétique naturelle qui se
développe. Produits de la terre, ils croisent ensuite l’histoire de l’alimentation et nécessitent
d’être mis en relation avec les sensibilités alimentaires98
. Les fruits, parce qu’issus de la
nature, sont « l’élément-santé. » La production de pêches à Montreuil s’instaure dans un
« droit à une alimentation saine pour tous » en permettant « à chacun de réfléchir à ses
pratiques alimentaires et de trouver la place de citoyen qui lui revient en la matière99
. »
Les fruits de Montreuil deviennent le témoin de ces sensibilités alimentaires des
individus soucieux d’une alimentation saine et demandeurs de produits savoureux et cultivés
respectueusement. A ce titre, la SRHM participe à des activités pédagogiques au cours
desquelles les enfants décrivent les pommes du verger par le toucher et l’odorat. Puis, ils
goûtent les fruits à l’aveugle et votent pour celui qui deviendra « Miss pomme » (Annexe
VII.d). Et, les produits du marché annuel des saveurs d’Île-de-France garantissent, comme son
nom l’indique, des fruits savoureux de Montreuil, des pommes marquées et d’autres produits
fabriqués localement car, pommes et pêches permettent de faire sorbet, sirop, liqueur de
noyau de pêches, vin de pêches, confitures, jus et cidre (Annexe VII.c).
Le fruit doit ainsi être analysé de manière socioculturelle car, chargé de sensations et
de sentiments, il porte en lui l’histoire des mentalités et des pratiques culturelles des
individus. La réputation dont jouissent les fruits aujourd’hui, en tant qu’aliment sain et
savoureux, permet de comprendre l’engouement pour la sauvegarde de ce patrimoine culturel
95
P. SCHULLER, « Hybridation, premier essai. », Bulletin trimestriel de la Société Régionale d’horticulture de
Montreuil, 3ème
trimestre 2012, p. 17. 96
Ces slogans font partie du programme national de nutrition santé Manger-Bouger soutenus par le Ministère de
la Santé et par l’INPES. Voir à ce sujet les actions menées et la campagne de sensibilisation à une alimentation
saine et équilibrée sur www.mangerbouger.fr En ligne 97
F. QUELLIER, Des fruits… Op. Cit., p. 68. 98
Op. Cit., p. 13. 99
Montreuil aux pêches, Op. Cit., p. 11.
55
immatériel qu’est la culture des fruits « à la Montreuil. » Car, c’est bien cette pratique vivante
et spécifique à la ville qui permettra la production de pêches et de pommes tout en répondant
aux attentes alimentaires et environnementales des individus.
3. Les temporalités d’une culture traditionnelle
La culture traditionnelle « à la Montreuil » est liée à l’environnement dans lequel elle
se déploie et est très attachée au concept de développement durable grâce auquel elle se
justifie. Pratiquée par des individus, elle témoigne de leur rapport au temps dans un monde où
l’épuisement des ressources replace l’homme dans sa position de mortel l’obligeant à réfléchir
à ce qui restera quand il ne sera plus là.
La lenteur de la culture
Nous l’avons vu précédemment, la culture des fruits trouve sa place en tant que
patrimoine lorsque se fait la prise en compte de concepts de développement durable et celle
de l’environnement habité. Les individus plus attachés à des valeurs du « mieux-être » plutôt
que du « plus avoir » trouvent un nouveau sens à la nature et aux pratiques qui lui sont
associées. Les mouvements du « slowfood » et du « cittaslow » permettent de saisir les
nouveaux rapports au temps qui se jouent en ville. Mais, ces deux mouvements permettent
aussi de comprendre l’enjeu de la culture « à la Montreuil » dans cette volonté de lenteur en
ville. La pratique horticole traditionnelle, en permettant la production de fruits à échelle
locale, a pour but de développer la qualité de la vie par le goût, et répond, en creux, à la
définition du slowfood en opposition au fastfood. Et, par la présence d’espaces cultivables en
ville, c’est toute la qualité de la vie en générale que les communautés montreuilloises veulent
améliorer en prenant leur temps, en cultivant et en se rapprochant ainsi du phénomène de
cittaslow. Le rapport à l’agriculture est déterminant pour comprendre cette volonté de lenteur
et de ralentissement du temps. Si l’homme peut encourager un sol à produire, il ne peut pas
l’y obliger. Par ailleurs, alors que certaines espèces végétales et animales peuvent apporter
une production permanente et continue, ce n’est pas le cas des arbres fruitiers. Les plantes
aromatiques s’épanouissent très bien à la fenêtre d’un immeuble urbain, même si le jardinier
en serait négligeant. Les poules pondront des œufs presque quotidiennement pourvu qu’un
56
coq ne soit pas loin. Et carottes et poireaux se cultiveront presque sans encombre toute
l’année durant. Mais le fruitier est saisonnier et le pêcher, plus encore que les autres, a besoin
de soleil. Les horticulteurs montreuillois ont donc construits les murs à pêches afin d’être
certains qu’aux premiers jours de douceur et d’ensoleillement la récolte sera assurée.
L’arboriculture, sans doute encore plus que les autres cultures, est le témoin de cette volonté
de lenteur. Non pas que les communautés montreuilloises soient plus désireuses que d’autres
de ralentir la ville mais ils peuvent s’appuyer d’une part sur ce désir pour faire vivre leur
patrimoine et d’autre part sur leur patrimoine pour assouvir leurs désirs. Philippe Schuller
affirme que les individus sont plus sensibles à la culture traditionnelle des fruits aujourd’hui
qu’auparavant et il explique cette sensibilité nouvelle en affirmant que c’est la relation au
temps qui a changé. « Aujourd’hui on est tellement dans l’immédiateté que là, il y a un retour
au temps et au passé – dit-il. En plus, la culture des fruits se fait sur le long terme dans une
autre relation au temps. Les arbres fruitiers donnent beaucoup de travail et il faut attendre
longtemps pour le résultat. C’est propre à l’arboriculture100
. »
La culture des pêchers par le palissage sur murs confirme davantage cette notion de
lenteur. Il ne s’agit pas de planter des arbres fruitiers n’importe où sur le territoire, de faire de
la ville une terre agricole productive comme au XIXe siècle et retrouver un âge d’or horticole
révolu. Il s’agit de s’adosser aux murs restants, de leur redonner leur fonction d’outil de
culture et peu importe si d’autres techniques sont plus productives aujourd’hui.
Le fruitier, témoin du désir de lenteur est aussi témoin du temps des âges écoulés. « Se
tenir au pied de l’arbre, l’observer impose de faire silence, oblige à penser à ce qui oppose
l’éphémère et le durable, à se confronter à une temporalité qui n’est pas celle de l’homme. La
distance entre son caractère immémorial et la mémoire de soi est immédiatement ressentie ; ce
qui incite à l’interroger comme si la pensée se faisait espoir de sens, désir d’adhésion au
monde101
. » Evidemment, au pied d’un pêcher, d’un pommier, la rêverie, la réminiscence
nous projette dans le passé. Ces arbres sollicitent la mémoire, ils induisent le souvenir, ils sont
les garants d’une pratique horticole passée. Au Jardin-école, des pommiers et poiriers taillés
en carré ou candélabre et plantés au début du XXe siècle rappellent autant le savoir-faire des
horticulteurs de Montreuil que la résistance de l’arbre au temps et sa survie à l’urbanisation
(Annexe VI.a et b). L’arbre, survivant à l’homme, est ce passeur de temps, un souvenir
végétal et naturel. Même si la plupart des pêchers ont disparu suite au délaissement des murs,
100
Philippe Schuller, Entretien du 28 janvier 2013. 101
A. CORBIN, La douceur de l’ombre, L’arbre, source d’émotions de l’Antiquité à nos jours, Paris, 2013, p.
27.
57
les pommiers résistent et, renvoyant au passé, témoignent d’un savoir-faire qui a traversé les
âges quand la transmission même de la pratique se serait arrêtée...
Le PCI : Un patrimoine tourné vers l’avenir
L’homme toujours ramené à son statut de mortel s’inquiète de ce qu’il laissera quand
il ne sera plus là. L’association Montreuil Environnement rappelle que « situé dans le Haut
Montreuil, à 4 kilomètres du périphérique parisien, le site des murs à pêches est constitué en
majorité de jardin en friche. Ce sont les dernières terres agricoles formant une zone cohérente
(38 hectares) si près de Paris102
. » Cette peur eschatologique de la disparition d’une zone
horticole en ville a suscité la volonté de classer le site des murs à pêches et d’en faire le
« patrimoine horticole » et « patrimoine naturel » de la ville. Progressivement, une réflexion
sur la patrimonialisation de la nature est engagée. Au nom de ce patrimoine environnemental
dont l’homme est exclu, doit se développer une activité patrimoniale portant sur une catégorie
de vivant et permettant à l’homme de faire vivre cet espace naturel et, en creux, de justifier
son rôle dans cette nature. La culture des fruits « à la Montreuil » en tant que patrimoine
culturel immatériel se justifie alors par sa capacité à faire vivre la nature.
Dans cette nouvelle conception, le patrimoine culturel immatériel est très lié à la
nature et à la notion de durabilité. Le sommet mondial sur le développement durable qui s’est
tenu du 26 août au 4 septembre 2002 à Johannesburg précède la Convention du Patrimoine
culturel immatériel de 2003 de l’Unesco qui insiste à son tour sur le concept de durabilité. A
l’heure où l’on commence à entrevoir les limites de nos ressources naturelles103
– eaux et
pétrole – et que la crise financière des subprimes a amorcé une crise mondiale104
, les sociétés
commencent à s’interroger sur le devenir global de notre planète. L’angoisse de l’épuisement
des ressources et la peur d’un monde dénué de nature laissé en héritage justifient le fait d’être
plus attentif à l’environnement et d’inscrire ses pratiques quotidiennes dans la durabilité. La
culture « à la Montreuil » en tant que patrimoine immatériel – et de pratique vivante –
témoigne de cette volonté de transmettre un élément du patrimoine culturel tenant compte de
102
« PLU de Montreuil : des paroles aux actes », Montreuil Environnement, En ligne, http://montreuil-
environnement.blogspot.fr/search/label/PLU (consulté le 1er juin 2013) 103
M. JADE, Op., Cit., p. 86. 104
E. AUCLAIR, « Revenir vers les habitants, revenir sur les territoires », Développement durable et territoires,
vol. 2, n°2, mai 2001, p. 2.
58
la fragilité d’une nature à sauvegarder. De cette nature restante, il faudra alors encourager le
renouvellement à des fins de continuité.
En conclusion de son ouvrage sur l’histoire du patrimoine, Dominique Poulot souligne
qu’une nouvelle définition est née : « Une définition gouvernée par l’avenir105
. » D’après lui,
on travaillerait aujourd’hui à la postérité, au prestige futur et peu importe que « les choses
patrimonialisées] soient banales pourvu qu’elles soient projetées vers le futur. » Mais, plus
qu’une patrimonialisation des choses banales, l’avènement du patrimoine culturel immatériel
montre que le fait patrimonial est profondément lié au contexte historique, social, économique
et culturel dans lequel il se déploie car, « dans le mesure où le patrimoine constitue le rapport
de l’homme au réel, l’appropriation qu’il s’en fait, mais également sa relation avec ce qui le
précède et ce qui lui succède, les conceptions que l’homme a du patrimoine changent en
fonction de la représentation qu’il a de lui-même et de son environnement106
. » La
reconnaissance de la culture des fruits « à la Montreuil » en tant que patrimoine immatériel et
sa sauvegarde imminente comme le moyen le plus adapté pour garantir aux citadins une
qualité de vie durable et réclamée marquent bien cette nouvelle relation au patrimoine. Un
patrimoine qui ne s’attache plus à la contemplation – par la pure appréciation des murs à
pêches dans leur matérialité seulement – mais qui se soucie de l’avenir en tenant compte
d’une nature à préserver par le biais d’une pratique horticole traditionnelle.
Le rejet de l’urbanisation à la fin du XXe siècle et la peur de perdre ce qui reste de
murs ont marqué une étape primordiale dans la prise de conscience de la culture des fruits « à
la Montreuil » en tant que patrimoine culturel immatériel. En effet, les murs à pêches dans
leur matérialité sont l’objet physique permettant les réminiscences de faits immatériels, à
savoir la culture palissée des pêchers. Mais ces mêmes murs, soumis à l’appréciation visuelle
et sensorielle, constituent aussi un paysage qui en plus d’être qualifié de beau, de sublime ou
de pittoresque, est surtout naturel. Nature et matériel se mêlent pour trouver un sens à l’avenir
des murs de plâtre et du paysage qu’ils constituent. La pratique horticole traditionnelle trouve
alors son sens afin de rendre « vivant » le paysage considéré. Par la réintroduction d’une
agriculture à Montreuil, cette même pratique traditionnelle se justifie par les nouvelles
attentes des communautés porteuses de ce patrimoine, à savoir une amélioration de la qualité
de vie en ville, de l’alimentation et la volonté de transmettre aux générations futures des
105
D. POULOT, Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIe-XXI
e siècles : du monument aux valeurs, Paris,
2006, p. 183. 106
M. JADE, Op. Cit., p. 49.
59
pratiques garantissant la durabilité des ressources. Et ce même patrimoine immatériel
s’impose à son tour comme le meilleur moyen de faire valoir les nouvelles attentes des
individus.
60
C H A P I T R E III.
Faire vivre les murs à pêches : Le choix de la patrimonialisation.
61
Nous n’avons eu de cesse de le rappeler au cours de cette étude : les murs à pêches
sont un outil. Ils permettent à la culture traditionnelle d’exister car sans les murs, la pratique
horticole « à la Montreuil » ne pourrait être désignée comme telle. Dans un dépliant de la ville
de Montreuil, deux descriptions sont retenues pour décrire les murailles (Annexe IX.): « Les
murs à pêches, un lieu d’histoire » et « les murs à pêches, un patrimoine vivant. » Si les murs
sont patrimoine et qui plus est patrimoine vivant, se pose alors la question de leur
patrimonialisation afin d’assurer leur maintien. Mais cette patrimonialisation – au sens
juridique du terme – oscillant entre matérialité et immatérialité, reviendrait surtout à
reconnaître les murs comme un élément à transmettre. Et ces murs qui font sens aujourd’hui
comme élément du patrimoine, le feront-ils demain ? Car, qui, au fond, choisit ce qui doit être
transmis ?
1. Le classement des murs : L’illusion d’une juste sauvegarde.
Une protection indéniable…
L’urbanisation outrancière des années 1960-1970 a accompagné la prise de conscience
patrimoniale des communautés pour les murs à pêches en tant que paysage, d’abord, et témoin
d’une pratique horticole, ensuite. La municipalité de l’époque s’opposait fermement à statuer
sur ce site et devant les demandes socioéconomiques prioritaires, elle était prête à fermer les
yeux sur le patrimoine. La réalisatrice Muriel Garrigues s’est intéressée aux murs à pêches en
tant que « murs à projets de Montreuil » et à travers vingt minutes de film, elle donne la
parole aux acteurs de l’avenir des murs à pêches. Parmi eux, Nicole Huvier, Présidente de
l’association Atelier Populaire Urbain de Montreuil en 2008, se souvient des motivations du
classement des murs. « On a réfléchi – dit-elle – Qu’est-ce qu’on va demander au ministère ?
Alors on avait fait une longue liste : interdictions des gros camions qui passent dans les murs
à pêches… Enfin, il y avait pleins de choses. On s’est dit que si on demande pleins de choses
on n’allait pas avoir grand-chose, on allait avoir du fouillis. On s’est dit, on va demander le
62
classement du site107
. » Cette mesure a donc été le moyen de pression le plus rapide et le plus
efficace pour stopper les projets d’urbanisation. A cela, Pascal Mage, président de
l’association Murs à Pêches ajoute que le classement « s’est fait dans la violence parce que
c’était une opposition totale de la municipalité à protéger cet espace. Et donc l’Etat a dit
« Attention il y a intérêt supérieur » donc on a fait un classement site et paysage108
. » A
Montreuil, les murs à pêches sont les seuls éléments du patrimoine à avoir bénéficié de ce
classement. Par décret du 16 décembre 2003, Dominique Voynet, alors ministre de l’écologie,
encourage le classement et 8,6 hectares d’un ensemble formé par quatre secteurs du quartier
Saint-Antoine sont classés au titre des sites et paysages selon les critères « historique » et
« pittoresque. » D’après le code de l’environnement, un site classé est un lieu dont le caractère
exceptionnel justifie une protection de niveau national avec pour objectif de le conserver. Par
ce classement, la protection du site est assurée au titre de la loi du 2 mai 1930 (art. L.341-1 à
22) qui affirme que les murs doivent être protégés « de toutes atteintes graves (destruction,
altération, banalisation…) » Et, en site classé, toute modification de l’état ou de l’aspect du
site est soumis à autorisation spéciale. Ainsi, les projets d’urbanisation ne pouvaient aller au-
delà de la zone classée.
Cette protection est ensuite renforcée par la volonté d’inscrire une plus grande partie
du site en zone « protégée » sur le Plan Local d’Urbanisme de la ville. Comme un juste retour
des choses, Dominique Voynet qui avait appuyé la classification du site en 2003, est
aujourd’hui maire de la ville de Montreuil. Représentant le parti d’Europe-Ecologie-Les
Verts, elle encourage des projets basés sur l’écologie. Dans le PLU, elle tient compte des
attentes des citadins tout en mettant en application les idées qu’elle porte. Approuvé en
septembre 2012, le PLU prévoit 21 hectares du site en zone nag (zone agricole) et autour de
ce secteur une zone ua (zone d’équipements en activités complémentaires à la zone naturelle
agricole.) La zone nag est non constructible et garantit ainsi une protection supplémentaire au
site109
. Même si on ne peut parler de « patrimonialisation » concernant le PLU, ce dernier en
est tout de même très proche. Les Assises de la Culture de Montreuil ont insisté sur la
poursuite du projet de protection et de développement des murs à pêches qui passe par une
107
N. HUVIER in GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de Montreuil, 2008, 7’30’’ DOC2GEO,
En ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-projets-de-montreuil (consulté le 1er juin
2013) 108
P. MAGE, in GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de Montreuil, 2008, 7’57’’ DOC2GEO, En
ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-projets-de-montreuil (consulté le 1er juin
2013) 109
Voir le plan local d’urbanisme dans son intégralité sur le site de la municipalité. Ville de Montreuil, En
ligne, http://www.montreuil.fr/grands-projets/le-plan-local-durbanisme-plu/tous-les-documents-du-plu/
(consulté le 1er
juin 2013)
63
protection du site « par le Plan Local d’Urbanisme (PLU) afin de promouvoir les pratiques
agricoles et culturelles110
. » Par ailleurs, le PLU va désormais de pair avec les aménagements
en Aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, dites AVAP issues de la Loi
Grenelle II. L’aménagement du site des murs à pêches a ainsi été maintes fois pensé en aire de
protection sans finalement aboutir. Emerge ici encore la relation importante qu’entretiennent
développement durable et nouvelles aspirations patrimoniales.
Enfin, la demande de classement des murs à pêches au patrimoine mondial de
l’Unesco a été lancée111
et permettrait une protection incontestable tout en assurant une
reconnaissance internationale indéniable. La Convention de 1972 oblige les Etats parties à se
porter assistance grâce au Fonds du patrimoine mondial et oblige les Etats, dont l’élément est
inscrit, à rendre compte de l’état de l’édifice. De ce fait, la patrimonialisation des murs à
l’Unesco assurerait à ces derniers un état respectable par le financement des éventuelles
restaurations. Ces murs protégés par un classement au niveau international seraient alors
assurés de ne pas flancher sous la pression urbaine ou économique.
… Mais contraignante…
Nous l’avions vu en début d’étude, le matériel permet de saisir toutes les
réminiscences de l’immatériel et il parait donc naturel que la première patrimonialisation à
laquelle les individus songent lorsque subsistent des traces physiques d’un passé soit
matérielle. Toutefois, ces mesures de patrimonialisation du matériel n’apportent pas que des
avantages. Le classement des murs au titre des sites et paysages a permis de freiner des
actions qui auraient pu être irréversibles. Toutefois, aucun financement n’est attribué afin
d’entretenir l’état du site alors même que le code de l’environnement insiste sur « la
conservation en l’état (entretien, restauration, mise en valeur…) » A la charge donc des
habitants d’entretenir les parcelles de murs à pêches qui ont fait l’objet d’un classement. A ce
titre, Pascale Mage parle de « rigidité » afin de désigner le cadre qu’induit le classement et
André Patureau se déplore de ne plus être libre sur son propre terrain. « Les gens qui ont des
parcelles ici – dit-il – des propriétaires privés, notamment, sont souvent des héritiers de
familles qui ont déjà leur souci. Ils héritent de ces terrains, non seulement ils en héritent mais
ils ne peuvent plus rien en faire puisqu’ils sont classés. Ils ne peuvent même plus mettre leur
110
Assises de la culture / Une nouvelle ambition culturelle pour Montreuil, septembre 2012, p.72. 111
Ibid.
64
propre habitation dessus. C’est mon cas par exemple, je voudrais construire pour finir ma vie
auprès de mon petit ru Gobétue, mon petit ru, ma petite source. Je ne peux pas. Je ne peux
pas, ça m’est interdit. Par contre, si un morceau de mur tombe, je suis dans l’obligation de le
remonter112
. » Privant ainsi les défenseurs des murs à pêches de leur liberté d’actions, le
classement fige et contraint, sans tenir compte des aspirations, des émotions et des sentiments
de chacun. Par ailleurs, les demandes étant effectuées sur une surface la plus étendue possible,
la patrimonialisation des murs entraine un blocage quant aux éventuelles évolutions
territoriales futures pouvant s’avérer nécessaire ou en faveur de la valorisation du site.
Enfin, les murs à pêches sont devenus patrimoine matériel à la demande des
communautés appuyées par une force politique mais cette patrimonialisation spontanée
obligera les générations futures à maintenir en l’état l’objet patrimoine qu’ils ont reçu. Et,
alors que pour les générations contemporaines ces murs avaient une signification au moment
où ils ont voulu les protéger et les faire entrer en patrimoine, qu’en sera-t-il de ceux qui en
hériteront ? Là réside toute la question de la transmission. Cette dernière repose-t-elle
uniquement sur une passation d’un objet matérialisé qu’il faudra garder envers et contre tout
ou bien induit-elle un sens, un sentiment ? Jean-Louis Tornatore parle d’ « esprit du
patrimoine » pour désigner « ce qui ne peut se transmettre et qui doit être découvert et saisi
par chaque génération d’un bout à l’autre de la planète. Quitte à laisser le patrimoine et à
garder l’esprit113
. » Ce qui manque certainement à la patrimonialisation du matériel est cet
esprit de patrimoine…
… et rattrapée par la perte des usages.
La patrimonialisation des murs effectuée, ceux-ci sont à projets dans les esprits des
communautés montreuilloises. L’association Montreuil Environnement ou encore Montreuil-
aux-Pêches envisagent un projet agriculturel ou agri-urbain concédant toute sa place à la
pratique horticole « à la Montreuil » en redonnant aux murs leurs usages initiaux. D’autres
individus y voient cependant un projet absurde, pire, insensé. « Au début, quand on a démarré
112
A. PATUREAU, in GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de Montreuil, 2008, 8’50’ sur
DOC2GEO, En ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-projets-de-montreuil
(consulté le 1er juin 2013) 113
J-L. TORNATORE, « L’esprit de patrimoine », Terrain, n°55, 2010, p. 125.
65
et qu’on parlait d’agriculture, on avait l’impression de dire un gros mot114
» nous dit alors
Véronique Ilié, présidente de l’association Montreuil Environnement. Ainsi, les projets
abondent sur les murs à pêches en tant que territoire ou paysage mais non sur leur usage en
tant qu’outil de culture. L’association Murs à Pêches ou encore Lézarts dans les murs, voient
en ce paysage l’occasion d’y « développer et d’y animer des projets autour de la découverte
du patrimoine et du paysage, de l’éducation et de la sensibilisation à la nature et au
développement durable115
. » De la volonté de « patrimoine vivant », comme il en était
question auparavant, on glisse progressivement vers des murs qui, de vivant n’auront plus que
la mémoire. En ayant comme projet de ne pas redonner à ces parcelles leur fonction d’outils,
on accepte de laisser disparaitre la pratique qui leur est liée. Ce faisant, ce n’est que l’histoire
d’une pratique ancienne que l’on entretiendra, celle de la mémoire des horticulteurs qui
cultivaient ici, dans ces murs. « La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants
et à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de
l’amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et
manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations. L’histoire est la
reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n’est plus116
. » Ainsi, c’est bien
de cela qu’il s’agit ici pour l’avenir de ces murs si la seule patrimonialisation matérielle est
envisagée et que l’on souhaite faire d’eux des lieux d’histoire et non pas des lieux de
pratiques. Les usages s’effaceront à mesure que la mémoire s’entretiendra.
Par ailleurs, l’accent est mis sur la volonté de planifier des événements, des
manifestations diverses en plein air, de mettre en avant la vie culturelle et associative au cœur
des parcelles et d’y développer des pratiques artistiques. Le territoire « murs à pêches » serait
alors réhabilité par de nouvelles activités culturelles et artistiques contemporaines. Dès lors,
ce ne sont plus des murs outils d’une pratique vivante que l’on voudrait garder mais un
espace naturel rendu aux habitants pour leur permettre de s’exprimer culturellement et
artistiquement. L’aménagement du site des Murs à Pêches en tant qu’espace, en jardins
partagés ou en AMAP, ne tiendrait pas compte, une fois de plus, de l’usage des murs puisqu’il
ne s’agirait pas de cultiver sur eux en palissant de nouveaux arbres ou même en adoptant de
nouvelles techniques de culture sur les murs mais bien de cultiver entre eux, sur le sol.
D’autres acteurs des murs à pêches parlent de la nécessité de laisser une partie du territoire
114
V. ILIE in H. JAYET (réal), On a marché sur l’autoroute, 2009, 1’25’’, sur Montreuil Environnement, En
ligne, http://montreuil-environnement.blogspot.fr/2010/01/test.html (consulté le 1er juin 2013) 115
« Nos objectifs », Lezarts dans les murs, En ligne, http://lezartsdanslesmurs.com/paysage-environnement-
patrimoine (consulté le 1er juin 2013) 116
P. NORA, Les lieux de mémoire, Vol.1, Paris, Gallimard, 1997, p.24.
66
des murs à pêches en friche, de laisser des murs non restaurés, abandonnés. Nicole Huvet, par
exemple, parlait de la nécessité de laisser des brèches. On pourrait ici faire le lien avec la
notion de Tiers-paysage développée par Gilles Clément pour désigner l’appréciation nouvelle
« des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature. Il concerne les
délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition, les friches, marais, landes (…) le Tiers-
Paysage constitue l’espace privilégié d’accueil de la diversité biologique117
. »
Tous ces projets d’aménagement par des activités culturelles ou par la seule force de la
nature sur des murs ayant subi une patrimonialisation matérielle posent évidemment deux
problèmes majeurs. Le premier est la perte des usages puisque le mur en tant qu’outil de
culture est nié et que la patrimonialisation matérielle n’oblige pas à rendre à ces murs leur
fonction première. Par contre, les diverses mesures de classement – qu’elles concernent les
8,6 hectares ou les 35 hectares dans le dossier envoyé à l’Unesco – contraignent à la
conservation des murs ou du paysage en l’état. De ce fait, le désir de patrimonialisation des
murs en tant qu’objet matériel semble contredire les projets d’avenir voulus par ceux qui ont
souhaité leur classement et faisant ainsi émerger un second problème ; la restauration et le
maintien des murs devront être assurés même si ceux-ci sont devenus un ensemble du paysage
que l’on a réhabilité pour d’autres activités. Les acteurs du sites souhaitant des jardins
partagés ou des espaces dédiés à la culture ne doivent pas perdre de vue qu’ils devront
restaurer – ou maintenir – les murs sur toute la surface classée même si ces murs n’ont plus
d’usages… Ainsi, si tel est l’objectif, n’aurait-il pas mieux valu pour ce genre de projets,
demander une classification d’une partie du territoire ne prenant en compte que le naturel –
c’est-à-dire la surface de verdure sans les murs – et une autre, plus réduite et comprenant
quelques parcelles de murs, afin d’en faire des lieux de mémoire d’une pratique horticole
passée ?
Les murs à pêches patrimonialisés dans leur matérialité sont garantis de ne pas subir
de destruction. Mais l’avenir de ces murs semble bien compliqué lorsqu’il s’agit de les
entretenir sur une surface étendue sans volonté de leur rendre leurs usages et sans même les
utiliser. Faudra-t-il à tout prix entretenir la mémoire du site pour que ces murs fassent sens ?
La patrimonialisation matérielle semble à elle seule souffrir d’une fixation dans le temps
entrainant la perte des usages et, en cela, la perte de sens de ces murs contraints de subsister
dans leur seule matérialité aux évolutions du temps et des mentalités.
117
G. CLEMENT, « Le tiers-paysage », Gilles Clément En ligne, http://www.gillesclement.com/cat-
tierspaysage-tit-le-Tiers-Paysage (consulté le 1er juin 2013)
67
2. L’apport du patrimoine culturel immatériel dans la sauvegarde des murs.
Des murs de sens…
On aurait tort de faire ici l’apologie d’une patrimonialisation immatérielle en
opposition à celle totalement matérielle dont on a parlé précédemment. La sauvegarde
imminente des murs par le classement a évidemment permis de se prémunir contre des
conséquences irréversibles. Mais, comme on l’a souligné, cette classification exclusivement
matérielle n’apporte pas de recommandations quant à l’usage des murs. La présidente de
l’association Montreuil Environnement le souligne justement en déclarant que « le classement
a été intéressant à un moment donné pour stopper une urbanisation. Il A permis que le site
ne soit pas construit. Il le serait aujourd’hui c’est certain. Mais, par contre, n’a aucunement
permis ni de sauver le site, ni d’imaginer un aménagement respectueux de ce qu’il est118
. »
Et laissant ainsi libre cours aux projets les plus divers, ces murailles perdent de leur
sens. Pourtant la question des usages se pose dans la mesure où le site a été classé selon deux
critères : pittoresque et historique. Pittoresque, en tant que paysage surprenant qu’il constitue
en plein cœur de ville. Et historique dans la mesure où les murs sont les témoins d’une
pratique horticole caractérisée par leur usage même. Marie-Christine Léger insiste sur le pur
aspect paysager et matériel auquel les murs à pêches sont diminués. « Le patrimoine horticole
de Montreuil est souvent réduit aux murs à pêches, qui constituent certes un paysage unique,
témoin emblématique d’un passé horticole récent, mais c’est oublier l’apport inestimable des
cultivateurs montreuillois à l’arboriculture fruitière mondiale, en matière de pratiques
agricoles119
. » La Société Régionale d’Horticulture de Montreuil et d’autres associations ont
témoigné leur volonté de revaloriser une pratique sur le point de disparaître afin qu’elle puisse
continuer à se transmettre. Reconnaissant ainsi que cette pratique du passé ne s’inscrit pas
d’elle-même dans le présent mais qu’elle a besoin d’aide pour continuer à exister, une
patrimonialisation de la pratique pourrait-être envisagée afin d’assurer un processus de
118
V. ILLIE, in GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de Montreuil, 2008, 8’27’ DOC2GEO, En
ligne https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-projets-de-montreuil (consulté le 1er juin
2013) 119
M-C. LEGER, « PLU de Montreuil – Avis de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil (SRHM)
concernant le secteur dénommé « Quartier de Saint-antoine, dit des Murs à Pêches », d’une surface de 50 ha. » in
J-P. CHAULET, Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S. et à l’élaboration plan
local d’urbanisme de Montreuil-sous-Bois, Annexe I, septembre 2010, p.155.
68
transmission tout en redonnant aux murs leur fonction. « Ces pratiques représentent un
patrimoine immatériel, qui doit être pratiqué au quotidien pour ne pas disparaître – affirme
encore la Présidente de la SRHM. Préserver quelques kilomètres de murs à pêches
authentiques sur lesquels « conduire » des arbres fruitiers « à la Montreuil », c’est sauver ce
patrimoine immatériel d’une disparition imminente120
. » Si les murs dans leur matérialité sont
porteur de l’histoire et que cette histoire fait référence à la pratique horticole traditionnelle,
alors ils ne retrouveront leur sens que par leur usage premier en évitant ainsi une
muséification des vestiges que la patrimonialisation matérielle seule entrainerait121
. Par
ailleurs, la condition sine qua non de la perpétuation du processus de génération en génération
tient au maintien de l’ensemble du matériel et de l’immatériel qui vivent alors en parfaite
symbiose. L’immatériel s’apparentant à cette quintessence productrice qui assure la pérennité
du matériel en reconnaissant son authenticité. Et alors que le classement des murs n’induisait
pas la sauvegarde de cette authenticité, de cette essence même des murs à pêches comme outil
d’une pratique horticole traditionnelle et historique, la patrimonialisation de la pratique
permettrait de leur redonner toute leur signification.
La seule inscription de la culture « à la Montreuil » n’en serait pas pour autant
suffisante puisqu’aucune mesure contraignante n’est envisagée par la Convention que ce soit
à l’échelle internationale ou nationale. De ce fait, les murs auraient pu être détruits sous la
pression du béton dans les années 1960-1970 quand bien même la pratique eut été
patrimonialisée. Tout revient alors à se demander ce que l’on veut conserver et ce que l’on
veut transmettre aux générations futures. Si l’on veut transmettre le site des murs à pêches en
tant que matérialisation d’une pratique horticole vivante et d’un savoir-faire unique, alors les
deux patrimonialisations semblent nécessaires afin d’assurer et la pérennité du lieu et son
essence. Si ce que l’on veut transmettre est un paysage fait de vestiges, un lieu de mémoire
d’une pratique horticole passée laissant sa place à de nouvelles activités, il faudra alors
adhérer aux contraintes d’entretien d’une patrimonialisation purement matérielle et accepter la
perte des usages des murs.
120
Ibid. 121
A ce titre, Marie-Christine Léger souligne que le secteur des Murs à pêches doit bénéficier d’une protection
appropriée à sa nature patrimoniale et agricole sans « muséifier les vestiges d’un temps révolu. » Ibid.
69
…Et entretenus…
Au lendemain de la classification du site des murs à pêches et devant les contraintes
d’entretien, la question de la restauration des murs s’est évidemment posée. Nicole Huvet,
présidente de l’association Atelier Populaire Urbain de Montreuil, s’interrogeait sur les futurs
projets de restauration en disant qu’il ne serait certainement pas justifié de restaurer tous les
murs à l’identique122
. En ce sens, elle pose tout l’enjeu de la restauration des murs à pêches.
Si, comme on l’a vu, la volonté des contemporains est de faire place à la brèche alors il faudra
seulement veiller à l’entretien de la ruine. Mais si le parti pris de restauration se porte sur la
reconstruction totale des murs et en conformité avec ce qu’ils sont – c’est-à-dire des murs de
plâtre servant à la production de fruits – alors il faudra prendre en considération la pratique
horticole qui leur est liée.
En 2006, la ville de Montreuil décide de la restauration d’une parcelle de murs en site
classé entre l’impasse Gobétue et la rue Pierre de Montreuil. Ce chantier s’est déroulé de
septembre à avril et a été assuré par deux architectes du patrimoine, Aurélie Rouquette et
Delphine Vermeersch. Les travaux ont été réalisés par des maçons mettant en pratique un
savoir-faire spécifique des compagnons afin de respecter la particularité de ces murs. Il en
ressort qu’il est aujourd’hui impossible de refaire exactement à l’identique des murs à pêches
dans la mesure où ceux-ci étaient reconstruits en permanence avec des matériaux que les
horticulteurs avaient à leur portée. Les murs sont composés d’éléments disparates témoignant
des différentes phases de constructions, déconstructions et reconstructions. Par le palissage à
la loque et la plantation des clous dans les murs, ceux-ci s’abiment et les horticulteurs sont
donc contraints de les entretenir au quotidien. Les deux architectes soulignent l’importance de
cette quotidienneté en précisant que « le site des murs à pêches n’est pas un site naturel. Les
murs se sont toujours adaptés à l’évolution des techniques et des usages. Il est en perpétuelle
transformation depuis deux siècles et demande un entretien permanent123
. »
On aurait tort de croire qu’il vaudrait alors mieux restaurer les murs et les protéger de
tout usage dans la mesure où la pratique horticole traditionnelle contribue à les abimer. En
effet, les murs restaurés, n’ayant pas fait l’objet d’une remise en pratique par la culture
palissée, ont subi dès l’hiver des dégâts alarmants. De suite, la faute est jetée sur les deux
122
N. HUVET in M. GARRIGUES (Réal.), Op. Cit., 9’20’’ 123
A.ROUQUETTE, D. VERMEERSCH, Murs à pêches, cahier pédagogique de restauration, Ville de
Montreuil, septembre 2012, p. 15.
70
architectes qui n’auraient sans doute pas envisagé des procédés de restauration durables124
.
Mais, ces mêmes architectes, rappellent qu’elles ont opté pour une restauration conforme à ce
qu’est le mur, c’est à dire un outil de culture en plâtre, permettant de recevoir un arbre palissé
qui bénéficiera de la chaleur emmagasinée le jour et restituée la nuit. Elles terminent leur
compte rendu par une phrase plus qu’éloquente : « les murs sont destinés à retrouver leur
fonction horticole une fois la restauration terminée, il ne reste donc plus qu’à planter ! »
L’entretien quotidien permet au mur de se maintenir et, sans usage il n’y a presque rien
d’étonnant à ce que les murs se soient déjà dégradés.
Une patrimonialisation de la culture « à la Montreuil » permettrait à la pratique de se
maintenir sur des murs qu’elle contribuerait à entretenir. En effet, si la restauration demandée
ne tient compte, encore une fois, uniquement que de la matérialité de l’élément alors sa
pérennité n’est pas assurée. Pour reprendre la phrase du paysagiste Gilles Clément « la
question qui se pose concernant la pérennité du paysage des murs à pêches revient à poser la
question de la pérennité des usages125
. » Et ces mêmes usages ne s’inscriront dans une logique
pérenne que par une patrimonialisation de l’immatériel qui garantirait ainsi une perpétuation
de la pratique et des murs entretenus.
Enfin, il faut étendre encore davantage notre raisonnement sur l’entretien permanent
des murailles. La municipalité, qui a pris en charge le financement des travaux de restauration
ayant coûté 336 000 €, ne se soulagerait-elle pas en encourageant leur entretien
quotidien plutôt qu’une restauration perpétuelle ? Par la patrimonialisation de la pratique ce
sont les horticulteurs qui entretiennent eux-mêmes les murs dans une logique pérenne mais le
savoir-faire des horticulteurs montreuillois s’intègre dans une dimension économique de
production horticole, contrairement à d’autres pratiques liées aux « musiques et danses » ou
encore à « l’art du conte » qui ne démontrent pas, a priori, d’exigences économiques pour
pouvoir se maintenir. On en revient alors au projet agri-urbain comme projet de sauvegarde
de la pratique. En effet, une fois la pratique patrimonialisée, la seule contrainte du patrimoine
immatériel étant de mettre en place des activités permettant sa sauvegarde, la réintroduction
de l’arboriculture fruitière à Montreuil, telle qu’elle est conçue par les projets agriurbain de
Montreuil aux Pêches par exemple, permettrait de dégager un bénéfice réinvesti dans
l’entretien permanent des murs. Marie-Christine Léger résume merveilleusement bien cette
idée en disant que « si on se contente de restaurer quelques linéaires de murs juste à des fins
124
J. DUFFE, « L’hiver a abimé les murs à pêches restaurés », Le Parisien, le 23 avril 2013 sur Montreuil actu,
En ligne, http://www.scoop.it/t/montreuil-actu?q=hiver (consulté le 1er
juin 2013) 125
G. CLEMENT in M. MARTINEZ, P. DESGRANGES, P. PETITJEAN, Commission extra-municipale sur
l’aménagement du secteur des murs à pêches, Rapport final, 2009, p. 32.
71
des paysages, pour avoir un joli paysage ou pour créer des parcelles qui permettront de
segmenter les activités, on ne sera pas dans une logique pérenne puisque, de toute manière, il
s’agit de murs qui demandent un entretien permanent puisqu’ils sont recouverts de plâtre. Ce
qui a fait qu’ils étaient entretenus aux fils des siècles c’est le fait qu’ils servaient d’outils de
support les arbres palissés dessus. Donc le seul moyen d’obtenir une restauration de qualité et
de pouvoir les entretenir au fil du temps c’est de palisser de nouveau des arbres fruitiers sur
ces murs et de leur redonner leur fonction première qui était la culture fruitière126
. » Il ne
s’agit pas ici de soutenir ces projets urbains mais de les analyser, dans le cadre d’une
patrimonialisation de l’immatériel, comme des projets de sauvegarde réels permettant à la
pratique de se maintenir et aux murs d’être continuellement entretenus.
… Pour une meilleure visibilité du patrimoine.
Contrairement à une patrimonialisation matérielle contraignante, le patrimoine
immatériel insiste davantage sur la sauvegarde que sur la conservation. Alors que le
classement des murs n’a pas permis de valoriser à juste titre toute la richesse du patrimoine
que ceux-ci recèlent, une patrimonialisation de la pratique horticole traditionnelle le
permettrait. La Convention de l’Unesco, ratifiée par la France en 2006, définit de manière
assez claire ce qu’il faut entendre par « sauvegarder le PCI. » Selon l’alinéa 3 de l’article 2, la
sauvegarde est définit comme « les mesures visant à assurer la viabilité du patrimoine culturel
immatériel, y compris l’identification, la recherche, la préservation, la protection, la
promotion, la mise en valeur, la transmission, essentiellement par l’éducation formelle et non
formelle, ainsi que la revitalisation des différents aspects de ce patrimoine. »
L’inscription de la pratique horticole traditionnelle sur un inventaire national
permettrait une indéniable reconnaissance d’un savoir-faire unique et propre à la ville. Par
ailleurs, aucun critère d’authenticité n’étant requis pour y figurer, il suffirait que le dossier
d’inscription rende compte de l’engouement des communautés et de leur désir de transmission
pour que la culture « à la Montreuil » trouve sa place sur l’inventaire. Un programme a été
lancé par les antennes régionales de France 3 – en partenariat avec le Ministère de la Culture
et de la Communication, le haut patronage de la Commission nationale française pour
l’Unesco – et a pour but de mettre en lumière « la richesse exceptionnelle de nos traditions
vivantes ou menacées de disparition : chants, dans, arts du spectacle, savoir-faire artisanaux et 126
M-C. LEGER in M. GARRIGUES (Réal.), Op. Cit., 4’45’’
72
liés à a nature, traditions gastronomiques, légendes, rituels festifs. » S’inscrivant « dans le
cadre de la Convention de 2003 de l’UNESCO (ratifiée par plus de 140 pays) (…)127
» ce
programme présente la culture fruitière « à la Montreuil », dans une courte vidéo, en décrivant
d’où elle vient et ce qu’elle est aujourd’hui. La reconnaissance de la culture fruitière « à la
Montreuil » comme patrimoine culturel immatériel par ce programme et l’engouement des
communautés pour cette pratique permettraient certainement de faire inscrire cet élément sur
un inventaire national. Et ce n’est qu’alors qu’une inscription sur la liste de sauvegarde
urgente – ou représentative – de l’Unesco pourra être demandée.
Cette patrimonialisation d’abord nationale, puis internationale, pourrait donner une
plus grande visibilité à la pratique horticole traditionnelle. Visibilité d’abord, dans la mesure
où les communautés porteuses de ce patrimoine concèdent que les murs à pêches et la
pratique horticole traditionnelle restent encore mal connus des Montreuillois. Visibilité
ensuite, car elle apporterait un attrait touristique ou, au moins, la venue de quelques individus
curieux de découvrir ce que sont ces murs et ce que l’on y fait. La communication est un point
important de la Convention dans la mesure où elle permet de révéler l’élément inscrit. Au
niveau international, on se souvient de la controverse qu’avait suscitée l’inscription du repas
gastronomique des Français sur la liste représentative de l’Unesco. Critiquée par certains y
voyant une pratique non exclusivement française mais concernant aussi d’autres nations,
approuvée par d’autres comme la reconnaissance d’un élément de leur patrimoine culturel,
l’inscription a surtout permis de donner plus de visibilité à cette pratique et de faire parler
d’elle. Dans la même lignée, le 21 juin 2010, le Ministère de la Culture a rendu hommage aux
inscriptions du mayola et du Cantu in Paghjella en organisant une célébration de ces
éléments, suivie d’une représentation en public qui marqua l’ouverture de la fête de la
musique dans les jardins du Palais-Royal128
. Que l’on soit concerné ou non par l’élément
immatériel, il devient un objet identifié et identifiable après la patrimonialisation. A
Montreuil, le manque de visibilité et de communication rendent le PCI dissimulé et
hermétique.
Par ailleurs, l’inscription de la pratique horticole traditionnelle pourrait entrainer un
accompagnement des institutions politiques et culturelles dans les actions de promotion, de
mise en valeur et, à terme, de sauvegarde du PCI. Lors de l’inscription, les communautés
porteuses doivent rendre compte des mesures actuelles de valorisation et, à son tour, l’Etat,
127
« Qui sommes-nous ? », Patrimoine culturel immatériel, En ligne,
http://www.patrimoinevivantdelafrance.fr/index.php?page=qui-sommes-nous (consulté le 1er
juin 2013) 128
S. GRENET, « Le patrimoine culturel immatériel selon la convention de l’Unesco » in C. HOTTIN (Dir.),
Op. Cit., p. 68.
73
les collectivités territoriales ou les scientifiques peuvent participer de cette promotion du
patrimoine immatériel. Si l’on reprend l’exemple du repas gastronomique des Français,
depuis le début des années 2000, des initiatives importantes dans le domaine de
l’enseignement et de la recherche scientifique ont été développées et ont permis « une plus
large connaissance de la pratique sociale du repas, de son histoire et de ses
représentations129
. » Par ailleurs, les collectivités territoriales organisent régulièrement des
repas gastronomiques pour célébrer certains moments importants de la vie comme « le repas
des anciens » ou « les fêtes gourmandes. » L’Etat français soutient et accompagne les travaux
de la Mission Française du Patrimoine et des Cultures Alimentaires (MFPCA) pendant que la
« Semaine du goût » est organisée annuellement dans les écoles autour de l’apprentissage du
goût constitutif du maintien de la pratique mise en patrimoine. La culture des fruits « à la
Montreuil », comme nous l’avons mis en évidence au chapitre précédent, s’inscrit dans une
volonté de renouer avec des produits locaux, savoureux et sains. Ces mêmes valeurs sont
défendues par le Repas gastronomique des Français défini par « l’art de bien manger », « la
recherche de bons produits qui valorisent plutôt des traditions de production (produits à forte
identité géographique, tradition des terroirs), de producteurs et d’artisans possesseurs d’un
savoir-faire reconnu130
. » Il y aurait certainement là une carte à jouer pour la pratique
horticole traditionnelle de Montreuil afin de valoriser tous les éléments de son patrimoine. La
patrimonialisation de la culture fruitière « à la Montreuil » pourrait apporter une
reconnaissance au niveau national. De celle-ci pourrait alors découler une aide des institutions
politiques et culturelles dans la mise en valeur de la pratique horticole traditionnelle. Et, de
celle-ci enfin résulterait l’entretien durable de ces murs si chers aux Montreuillois.
3. Patrimonialiser l’immatériel : Le choix des communautés ?
Nous avons mis en évidence les avantages et les inconvénients d’une
patrimonialisation du matériel ou de l’immatériel. Les deux pouvant se compléter, il s’agissait
alors de réfléchir à ce que l’on voulait mettre en patrimoine et en ce sens à ce que l’on voulait
transmettre. Ici, l’étude de la question du « choix » se portera sur la communauté, de la
manière dont elle est choisie à l’élément qu’elle choisit de mettre en patrimoine.
129
J. CSERGO, Le repas gastronomique, Fiche d’inventaire, 2009, p.6. 130
Op. Cit., p. 2.
74
La légitimité du groupe : interprétation de la notion de « communautés. »
Dans sa Convention, l’Unesco insiste sur « les communautés, groupes ou individus »
comme porteurs du patrimoine. Ce faisait, elle place les civils dans un rôle d’acteurs et leur
permet de décider d’un patrimoine qui fait sens pour eux. L’élément patrimonialisé procure
un sentiment d’identité et a pour but de « promouvoir le respect de la diversité culturelle et la
créativité humaine. » Les communautés doivent ainsi soutenir un élément qui ne fait pas
seulement sens pour eux mais qui fait aussi sens pour les autres. A Montreuil, les
communautés investies dans l’avenir de la pratique horticole traditionnelle sont concentrées
sous forme d’associations ou de fédérations mais la culture des fruits « à la Montreuil » n’est
pas pour autant ressentie par tous les Montreuillois comme faisant de leur patrimoine culturel.
Ces communautés sont toutefois suffisamment importantes, en nombre et en intérêt, pour
porter cet élément en patrimoine. Il faudrait sans doute se référer aux sondages d’opinion pour
savoir combien de Montreuillois sont finalement concernés par cet élément du patrimoine
mais ne les ayant pas obtenus, nous avons du mal à évaluer le nombre exact d’individus qui
constitueraient les communautés porteuses. Cependant, la multitude d’associations constituées
par des Montreuillois, celles concernées par l’avenir de la pratique horticole traditionnelle –
on pense à la Société Régionale d’Horticulture et à Montreuil Environnement, comptant
chacune quelques mille membres – ainsi que toutes les autres investies dans les murs à pêches
suffiraient à faire émerger un groupe (Annexe XI). D’autant plus que les associations
d’horticulteurs comme l’Union des vergers d’IDF, Saveurs et terroirs ou encore le Potager du
Roi de Versailles, soutiennent les actions de la société Régionale d’horticulture de Montreuil
et reconnaissent eux-aussi le savoir-faire attaché aux horticulteurs de la ville131
. Il serait
évidemment erroné de voir dans la notion de « communautés » la notion d’ « entièreté. » Le
repas gastronomique des Français, par exemple, a désigné l’ensemble des Français comme
faisant partie du groupe. Pourtant l’enquête de 2009 sur « l’Alimentation des Français »
établit que 95,2% des ceux-ci considèrent le repas comme faisant partie de leur patrimoine
culturel. Ainsi, l’inscription de l’élément aurait-elle dû être refusée sous prétexte que 5% des
Français n’étaient pas concernés ? Sans doute pas si l’important est que la communauté soit
suffisamment conséquente pour apporter quelque chose à son groupe et à un autre groupe. La
131
L’arboriculteur Bernard Guicheteau, par exemple, travaille à Gressy en France mais reconnaît le savoir-faire
propre aux horticulteurs de Montreuil et contribue à le mettre en valeur en faisant des démonstrations de
palissage et de taille des arbres au Jardin-école.
75
communauté se reconnaissant dans la culture des fruits « à la Montreuil » semble assez
importante pour que cette pratique soit élevée au rang de patrimoine immatériel. Cette même
pratique procure alors un sentiment d’identité à ces défenseurs et s’intègre dans les nouvelles
attentes des contemporains et des citadins.
Mais peut-on en dire autant des certains éléments inscrits sur les inventaires
nationaux ? Sur l’inventaire des savoir-faire par exemple sont considérés comme patrimoine
immatériel la « fabrication et la restauration des pendules à la manière de Marc Voisot » ou
encore « la fabrication de bottes selon la technique de Joël Albert132
. » Peut-on considérer ces
deux personnes comme une communauté ou comme un groupe ? Pour qui le savoir-faire
qu’ils possèdent fait sens ? N’est-on pas en train d’assister à une patrimonialisation « de
tout », « de tous les savoir-faire » dans la peur de les voir disparaître devant l’uniformisation
du monde ? Et au fond, ethnologues et scientifiques chargés des inventaires nationaux ne
favoriseraient-ils pas trop précipitamment la mise en patrimoine de pratiques « à
transmettre » sans se soucier de ce qu’elles apportent aux autres communautés et apporteront
aux générations futures ?
Comme nous l’avions évoqué au début de cette étude, Dominique Poulot insistait sur
la patrimonialisation des choses communes et banales qui se justifiaient de leur simple fait
d’être tournées vers l’avenir. Mais il semblerait que la principale faiblesse du patrimoine
culturel immatériel soit de ne pas avoir précisé ce qu’il convenait de comprendre pas
« communautés » laissant ainsi place aux patrimonialisations les plus personnelles,
individuelles et individualisées.
132
Voir à ce titre les fiches d’inventaires réalisées pour ces deux patrimoines disponibles en PDF sur le site
internet du ministère de la culture. « Fiches de l’inventaire du patrimoine culturel immatériel. », Ministère de la
culture et de la communication, En ligne, http://www.culturecommunication.gouv.fr/Disciplines-et-
secteurs/Patrimoine-culturel-immateriel/Inventaire-en-France/Inventaire/Fiches-de-l-inventaire-du-patrimoine-
culturel-immateriel (consulté le 1er juin 2013)
76
Sauvegarde ou fixation ?
Une fois la communauté définie, c’est le choix du patrimoine transmis qui se définit en
elle. Les groupes mettent en patrimoine une pratique qui leur procure un sentiment d’identité
et le choix du patrimoine est fait en fonction de l’instant présent et de comment les
communautés se situent dans le présent par un savoir-faire hérité du passé. Dans la mesure où
le patrimoine se construit par l’homme, les conceptions qu’il en a changent en fonction de la
représentation qu’il a de lui-même et de son environnement. Nous l’avons bien vu, ce n’est
qu’à l’éveil des consciences écologiques et face à la volonté de « mieux vivre » en ville, que
les communautés ont pris conscience qu’un patrimoine immatériel était présent et qu’il leur
procurait un sentiment d’identité et d’attachement patrimonial que le matériel seul n’apportait
pas. Ce désir de voir la culture traditionnelle « à la Montreuil » s’ériger en patrimoine est à
comprendre dans un contexte plus large. C’est lorsque la ville et l’environnement sont
devenus insupportables que la conscience patrimoniale s’est éveillée. Mais cet éveil des
consciences est à replacer dans un contexte encore plus général reflétant les mentalités des
contemporains. Le besoin de qualité de vie en ville, de durabilité et d’écologie ont amené les
individus à reconsidérer ce qui faisait patrimoine pour eux. De ce fait, c’est bien le choix
d’une communauté à une époque précise qui détermine l’élément à patrimonialiser et à
transmettre. Mais, jusqu’à quand l’objet mis en patrimoine par ces communautés à l’instant T
trouvera un sens ? Pour combien de générations futures ? Les désirs de patrimoine des
contemporains seront-ils ceux des individus de demain ?
En opposition à la patrimonialisation d’un élément matériel qui contraint à une
transmission physique en maintenant parfois même artificiellement des édifices qui ont perdu
leur sens, la patrimonialisation d’un élément immatériel propose la visibilité, la viabilité d’une
pratique ou d’un savoir-faire. Par la patrimonialisation de l’immatériel passe la volonté de
sauvegarder plus que de conserver misant davantage sur la volonté d’assurer le
renouvellement des savoir-faire plutôt que leur permanence ou leur fixation.
Une réflexion intéressante s’engage alors et ouvre le champ des possibles. Si ce sont
les communautés qui décident d’ériger en patrimoine un élément qui leur procure un
sentiment d’identité alors la patrimonialisation de cet élément immatériel devra veiller non
pas à sa conservation mais à son renouvellement. Mais, si demain, cet élément patrimonial
n’apporte plus le sentiment d’identité et de continuité qu’il avait apporté aux générations
passés, alors il déclinera. Mais plus tard encore, lorsque d’autres générations, concernées par
de nouvelles attentes, placées dans un autre environnement, constateront que là où elles
77
évoluent se trouve un élément auquel elles se rattachent et s’identifient, alors elles érigeront à
nouveau cet élément en patrimoine. Nous l’avons vu en début d’étude, la pratique horticole
traditionnelle a progressivement décliné et ce n’est que lorsqu’un déclic a eu lieu que
certaines communautés ont reconnu le savoir-faire lié à la pratique horticole à Montreuil
comme faisant partie de leur patrimoine. Elles ont alors rompu avec un processus de
continuité générationnelle canonique mais portaient en elles ce sentiment d’identité. Il
semblerait que l’intérêt du patrimoine immatériel soit de permettre la patrimonialisation d’un
élément dont la transmission ne repose pas sur la contrainte ou la fixation, mais sur
l’encouragement aux renouvellements tout en tenant compte de l’évolution des pratiques
culturelles et des mentalités des individus. La force du patrimoine immatériel est sans doute
de s’inscrire dans un processus fait de continuités, de renouvellements, de ruptures, de
redécouvertes, de continuités, de renouvellements, de ruptures etc…Par la non fixation des
pratiques, la patrimonialisation de l’immatériel offre la possibilité aux communautés d’être
libres du sentiment que leur procure l’élément mis en patrimoine. Si celui-ci ne leur procure
pas un sentiment d’identité comme ce fut le cas pour les générations antérieures, libres à elles
de ne pas entretenir le processus de renouvellement. Et, peut-être qu’un autre groupe, plus
tard, dans un autre contexte, s’y reconnaitra et le fera alors renaitre parce qu’il y sera attaché.
78
C O N C L U S I O N
« Nous sommes passés d’un patrimoine historique à un patrimoine social, d’un
patrimoine hérité à un patrimoine revendiqué, d’un patrimoine visible, matériel à un
patrimoine invisible133
. » Ces quelques mots de Pierre Nora ne sont pas sans rappeler les
évolutions qu’a subies le patrimoine au fil du temps. D’abord servant aux Etats-Nations dans
la construction des identités nationales, il s’est ensuite ouvert à d’autres dimensions. D’abord
pris dans une acceptation matérielle, il a progressivement accepté l’immatérialité. Le
patrimoine culturel immatériel défini par l’Unesco en 2003 marque le début d’un nouveau
concept de patrimoine. « Concept » plutôt que définition stricto sensu car il est déterminé de
façon duelle et parce qu’il n’a de cesse d’évoluer.
Tout d’abord, la Convention de l’Unesco marque l’avènement d’une reconnaissance
des pays des suds dans l’histoire patrimoniale. Ces derniers ayant davantage de savoir-faire,
de traditions orales et de pratiques – constituant leur identité et leur histoire – que d’édifices.
Ensuite, cette convention promouvant la diversité culturelle dit s’être construite en étant
consciente de la mondialisation et de l’uniformisation des cultures qui gagnent notre monde.
Dans le respect des droits de l’homme, les savoir-faire, pratiques et autres expressions sont
présentes pour promouvoir la diversité d’un monde que les individus ont créée. Au respect
des droits de l’homme vient s’ajouter le respect du développement durable qui est sans doute
la notion du patrimoine culturel immatériel à ne pas sous-estimer lorsqu’on l’étudie. En effet,
comme dans n’importe quelle prise de conscience patrimoniale, la peur de la perte amorce le
processus de patrimonialisation. Et, aujourd’hui, les relations qu’entretiennent patrimoine
immatériel et développement durable témoignent davantage de cette peur eschatologique de
l’homme face au temps qui passe et aux ressources qui s’épuisent. Nous avons choisi de
prendre la culture des fruits « à la Montreuil » comme objet d’une nouvelle acceptation
133
P. NORA cité dans J. LE GOFF (Dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris, Fayard, 1998, p.11.
79
patrimoniale et les résultats que nous pouvons en tirer sont en faveur d’un lien inextricable
entre le PCI et le développement durable. En effet, ça n’a été qu’au moment où l’urbanisation
et l’industrialisation sont devenues insupportables que les consciences patrimoniales se sont
éveillées et cela simultanément à l’éveil des consciences environnementales.
Par ailleurs, cette prise de conscience n’a pu se faire que par l’objet matériel, « objet-
madeleine » qui permet de se rattacher au passé et de faire renaître en l’objet physique les
réminiscences de l’immatériel. Ainsi, jamais matériel et immatériel ne s’opposent, ils vivent
en symbiose dans l’accomplissement d’un patrimoine respectueux et sensé. Les murs à pêches
qui ont fait l’objet d’une patrimonialisation matérielle ont ensuite soulevé la question de la
pérennité des murs et de leur sens. Une pratique vivante mais sur le pont de mourir ne
demandait qu’à retrouver sa place dans ses murs. Et ses mêmes murs ne demandaient qu’à
être soignés, entretenus et valorisés. Ils cherchaient un sens se justifiant dans la volonté de
pérennité des murs et sans être réduits à des lieux de mémoire, à des vestiges ou à la friche.
A travers cette étude nous avons surtout pu mettre en évidence l’importance et le rôle
de la communauté porteuse de l’élément à mettre en patrimoine. Même si « les
communautés » et « groupes » restent mal définis, laissant parfois place à des
patrimonialisations discutables, ils sont à l’origine d’un savoir-faire, d’une pratique ou d’une
expression qu’ils produisent, renouvellent et souhaitent voir perdurer. La culture des fruits « à
la Montreuil » permet de comprendre clairement que la mise en patrimoine d’un élément
porté par les communautés témoigne des nouvelles aspirations et mentalités des individus
porteurs du patrimoine. Ces dernières très sensibles à l’environnement dans lequel elles
habitent, se déploient et se meuvent, ont témoigné d’une volonté de mettre en patrimoine une
culture traditionnelle qui est le marqueur de leur identité aujourd’hui, dans leur manière
actuelle de penser. La patrimonialisation de l’immatériel n’obligeant pas à des mesures de
conservation, il nous semble qu’elle ouvre la voie à des processus de continuités, ruptures et
redécouvertes qui constitueraient un nouveau processus de transmission basé sur l’identité et
le sentiment des communautés plus que sur la transmission forcée et dénuée de cet « esprit de
patrimoine » qui renferme l’essence même de l’élément patrimonialisé.
Cette étude sur la culture des fruits « à la Montreuil » en tant que patrimoine
immatériel nous aura permis de montrer qu’il reste encore beaucoup à faire dans les deux
éléments étudiés. La porte est ouverte à ceux qui souhaiteraient étudier l’identité urbaine qui
se constitue petit à petit à Montreuil autour des murs à pêches et du PCI. Plus que de simples
80
projets culturels, les communautés et la municipalité tentent de concilier patrimoine et projets
socio-économiques dans une ville multiculturelle et dynamique. La porte est aussi ouverte à
ceux qui entrevoient un patrimoine culturel immatériel à étudier dans le détail afin d’apporter
de nouvelles interprétations et précisions sur ce concept patrimonial en devenir et tourner vers
l’avenir.
A la fin de son bel ouvrage sur les passions identitaires, Jacques Le Goff déclarait ces
mots :
« Je ne peux rappeler ici ce qu’a dit Paul Ricoeur sur le désir de mémoire comme visée
du bien plutôt que de la vérité, comme visée de justice. Personnellement d’ailleurs, je
rétablirais la vision de vérité dans cette moralisation des passions identitaires. Paul Ricoeur a
appelé à une politique de ce qu’il a appelé la « juste mémoire » ; j’ajouterai une politique du
« patrimoine vrai134
. »
Si le patrimoine culturel immatériel est à prendre comme un concept évoluant avec les
mentalités des individus qui le portent, alors nous osons espérer que ces individus, toujours
soucieux d’améliorer l’humanité, contribueront ainsi à faire du patrimoine culturel immatériel
un « patrimoine du vrai » et un « patrimoine du bien. »
134
J. LE GOFF (Dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris, Fayard, 1998, p. 435.
81
A N N E X E S
82
Annexe I.
L’outil « mur à pêche »
a. Montreuil-sous-Bois, Fabrique de plâtre et le clos des pêches, début XIXe siècle. SRHM
b. Montreuil-sous-Bois, Panorama des murs de Montreuil, années 1930. SRHM
c. Mur à pêches, impasse Gobétue, 2013. Marie Bouillon
83
Annexe II.
Cultiver « à la Montreuil. »
a. Palissage à la loque au jardin gobétue,
1912. SRHM
b. Palissage à la loque au Jardin-école, 2004. SRHM
c. Ensachage des fruits, années 1930.
SRHM
d. Ensachage des fruits, années 2000. SRHM
84
e. Application de la gélatine, années 1930. SRHM f. Application de la gélatine, années 2000. SRHM
g. Pose du pochoir pour marquer le fruit, années 1930. SRHM h. Pose du pochoir pour marquer le fruit, années 2000. SRHM
85
Annexe III.
Fruits marqués.
a. Présentation de fruits marqués, années 1930.
SRHM
b. Présentation de fruits marqués, années 2000.
SRHM
c. Pêche marquée, années 1930. SRHM
d. Pêche marquée, 2004. SRHM
86
Annexe IV.
Adaptations contemporaines du savoir-faire.
c. Pomme marquée d’une tête de mort, d’après un pochoir dessiné par l’artiste peintre plasticienne Anne-
Marie Vesco, 2012.
d. Pomme marquée d’une silhouette africaine, d’après un pochoir de la potière
« urbaine » Valeria Polsinelli, 2012.
e. Pomme marquée d’un danseur de hip-hop, d’après un pochoir du graphiste
Julien Priez, 2012.
a. Palissage à la résille plastique, Années 2000. SRHM
b. Palissage à la résille plastique, Années 2000.
SRHM.
87
Annexe V.
Evolution des murs.
a. Antoine Saint-Just, Photo aérienne, 1930.
b. V. Provost, photo aérienne, 2006. Provost
c. Murs à pêches classés au titre des sites, données : DRIEF-IF (2010/2011) – IAU-IDF (2010) Fonds :IGN 2009
88
Annexe VI.
Pêchers, pommiers, poiriers.
a. Poiriers Beurré superfin conduits candélabre au Jardin-école, octobre 2012. b. Poirier Beurré superfin, octobre
2012.
c. Pommiers conduits en candélabre au Jardin-école. SRHM
d. Pêchers palissés en espalier au Jardin-école. SRHM
89
Annexe VII.
Manifestations et activités.
d. Election de Miss pomme avec Marie-Christine Léger,
2006. SRHM
c. Marché des saveurs au Jardin-école et produits de Montreuil,
2011. SRHM
e. Démonstrations du savoir-faire lors d’activités pédagogiques. SRHM
a. Louis Aubin (au centre) et la délégation Disney, 1943.
SRHM
b. Pochoir ayant servi au marquage des pommes
pour la délégation Disney, 1943. SRHM
90
Annexe VIII.
Projet agri-urbain
d. Dessin du pêcher au nom de Napoléon réalisé par
Alexis Lepère vers 1860. SRHM
c. Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement
a. Olivier Aubry, Evolution de la rue Saint-Antoine, 2009. Montreuil Environnement.
b. Montreuil, Les pêches – Retour de la cueillette, 1906.
SRHM
91
g. Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement.
f. Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement.
e. Olivier Aubry, Demain les murs à pêches, 2009. Montreuil Environnement.
92
Annexe IX.
Dépliant sur les murs à pêches.
93
94
Annexe X.
Dépliant de la SRHM.
95
96
Annexe XI.
Localisation des associations et des jardins partagés dans le secteur des
murs à pêches.
97
E T A T D E S S O U R C E S
1. Convention et textes de lois
Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, Paris, Unesco, 32ème
session, 29 septembre-17 octobre 2003.
« Loi n°2006-791 du 5 juillet 2006 autorisant l’approbation de la Convention internationale
pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel », Journal officiel de la République
française, 6 juillet 2006, n°155, p.10116.
« Décret n°2006-1402 du 17 novembre 2006 portant publication de la Convention pour la
sauvegarde du patrimoine culturel immatériel », adoptée à Paris le 17 octobre 2003, Journal
Officiel de la République française, 19 novembre 2006, n°268, p.17382.
2. Traités d’horticulture
R. SCHABOL, La théorie et la pratique du jardinage, Paris, 1770.
F. ROZIER, Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine
rurale et vétérinaire, suivi d’une méthode pour étudier l’agriculture par principes, ou
Dictionnaire universel d’agriculture, par une société d’agriculteurs, Paris, 1781-1796.
MOZARD, Principes pratiques sur l’éducation, la culture, la taille et l’ébourgeonnement des
arbres fruitiers, et principalement du pêcher, d’après la méthode de Pépin et autres célèbres
cultivateurs de Montreuil, Paris, 1814.
3. Rapports et règlements
Assises de la culture / Une nouvelle ambition culturelle pour Montreuil, Maire de Montreuil,
Direction des Affaires Culturelles, 2012, 82 p.
Etude de faisabilité et de préconisations pour la découvert du patrimoine des murs à pêches
et la création d’un parcours d’interprétation du patrimoine, Comité de pilotage du 17 février
2011, 52 p.
Mission d’étude de définition et de faisabilité d’un projet agri-urbain pour le secteur des
Murs à Pêches à Montreuil, Rapport final, mai 2012, 70 p.
Montreuil aux pêches, Un projet agriculturel porté par trois associations : Société Régionale
d’Horticulture de Montreuil, Le Sens de l’Humus et Rêve de Terre, 23 p.
98
Rapport de synthèse du plan de surveillance sols et végétaux mis en œuvre sur le périmètre
des murs à pêches de la ville de Montreuil-sous-Bois, Ministère de l’agriculture et de la
pêche, 2008, 17 p.
Résultat de l’appel à initiative « animation de la thématique agriculturelle dans le secteur des
murs à pêches », décidé par la ville de Montreuil, début 2012, 2 p.
CHAULET (Jean-Pierre), Rapport d’enquête publique relative au projet de révision du P.O.S
et à l’élaboration du plan local d’urbanisme de Montreuil-sous-Bois (93), septembre 2010,
133 p.
HUBERT (Laurence), PLU-Ville de Montreuil-sous-Bois, Règlement et plans de masse, 18
février 2010, 129 p.
MARTINEZ (Manuel), DESGRANGES (Pierre), PETITJEAN (Patrick), Rapport final,
Commission extra-municipale sur l’aménagement du secteur des murs à pêches, Avril 2009,
48 p.
ROUQUETTE (Aurélie), VERMEERSCH (Delphine), Murs à pêches, cahier pédagogique de
restauration, septembre 2012, 16 p.
5. Périodiques
Bulletin trimestriel de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, 2011.
Bulletin trimestriel de la Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, 2012.
99
B I B L I O G R A P H I E
I. Culture, patrimoine et transmission
ANDRIEUX (J.-Y.), Patrimoine et histoire, Paris, Belin, 1997, 283 p.
AUDRERIE (Dominique), La notion et la protection du patrimoine, Paris, Presses
Universitaire de France, 1997, 128 p.
BEGHAIN (Patrice.), Le patrimoine : Culture et lien social, Paris, Presses de Sciences Po,
1998, 115 p.
BERLINIER (David), « Anthropologie et transmission », Terrain, n°55, 2010, pp.4-19.
RICOEUR (Paul), La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2003, 736 p.
LE GOFF (Jacques) (Dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris, Fayard - Editions du
Patrimoine, Coll. « Actes des Entretiens du patrimoine, 1998, 445 p.
LE GOFF (Jacques), Histoire et mémoire, Paris, Gallimard, 1988, 416 p.
NORA (Pierre), Les lieux de mémoire, 3 tomes, Paris, Gallimard, 1984-1992.
NORA (Pierre) (Dir.), Science et conscience du patrimoine, Paris, Fayard – Editions du
patrimoine, Coll. « Actes des Entretiens du patrimoine », 1994, 407 p.
ORY (Pascal), L’Histoire culturelle, Paris, Presses Universitaires de France, 2004, 128 p.
POULOT (Dominique), Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIème-XXIème siècles :
Du monument aux valeurs, Paris, Presses Universitaires de France, 2006, 192 p.
POULOT (Dominique), Patrimoine et musées, L’institution de la culture, Paris, Hachette,
2001, 223 p.
THIESSE (Anne-Marie), Faire les Français. Quelle identité nationale ? Paris, Stock, 2010,
198 p.
TORNATORE (Jean-Louis), « L’esprit de patrimoine », Terrain, n°55, 2010, pp. 106-127.
II. Patrimoine culturel immatériel
« Le patrimoine culturel immatériel », Culture et recherche, n°116-117, Printemps-été 2008,
pp.12-56.
« Patrimoine culturel immatériel (PCI) », Culture et recherche, n°127, Automne 2012, pp. 41-
57.
BORTOLOTTO (Chiara), GRENET (Sylvie) (Dir.), Le patrimoine culturel immatériel de
l’Europe : inventer son inventaire, Paris, Actes du colloque organisé par la Direction de
l’architecture et du patrimoine et l’Institut national du patrimoine, 30 novembre 2007.
100
BORTOLOTTO (Chiara), Le patrimoine culturel immatériel, Enjeux d‘une nouvelle
catégorie, Cahier n°26, Paris, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Coll.
« Ethnologie de la France », 2011, 252 p.
CIARCIA (Gaetano), Inventaire du patrimoine immatériel en France, Du recensement à la
critique, Les Carnets du Lahic, n°3, Ministère de la Culture et de la Communication, 2007.
DUVIGNAUD (Jean), KHAZNADAR (Chérif), ISOLA (Akinwumi), GRUND (Françoise),
Le patrimoine culturel immatériel : Les enjeux, les problématiques et les pratiques,
Internationale de l’imaginaire, n°17, Paris, Actes Sud, Coll. « Babel », 2004, 256 p.
GLEVAREC (Hervé), SAEZ (Guy), Le patrimoine saisi par les associations, Paris, La
documentation française, 2002, 412 p.
HOTTIN (Christian) (Dir.), Le patrimoine culturel immatériel : premières expériences en
France, Internationale de l’Imaginaire n°25, Paris, Actes sud, Coll. « Babel », 2011, 364 p.
JADE (Mariannick), Patrimoine immatériel, perspectives d’interprétation du concept de
patrimoine, Paris, Harmattan, 2006, 277 p.
III. Patrimoine, paysages, environnement et milieu urbain
« Ambiance(s), ville, architecture, paysage. », Culture et recherche, n°113, Automne 2007,
pp. 10-40.
AUCLAIR (Elizabeth), « Revenir vers les habitants, revenir sur les territoires. L’articulation
entre culture et développement durable dans les projets de développement local. »
Développement durable et territoires, vol.2, n°2, 2011, 12 p.
BERDOULAY (Vincent), SOUBEYRAN (Olivier), L’écologie urbaine et l’urbanisme, Paris,
Editions La découverte, 2002, 272p.
CORBIN (Alain), L’homme dans le paysage. Entretien avec Jean Lebrun, Paris, Textuel, 190
p.
CORBIN (Alain), La douceur de l’ombre, L’arbre, source d’émotions, de l’Antiquité à nos
jours, Paris, Fayard, 2013, 452 p.
DONADIEU (Pierre), Le paysage : Entre nature et culture, Paris, Armand Colin, 2012, 128
p.
GUNNELL (Yanni), Ecologie et société, Paris, Armand Colin, 2009, 480 p.
LAGANE (Jean), « Du teikei à l’AMAP, un modèle acculturé. », Développement durable et
territoire, vol.2, n°2, mai 2011, 8 p.
101
MONGIN (Olivier), La condition urbaine. La ville à l’heure de la mondialisation, Paris,
Seuil, 2005, 325 p.
PEYRACHE-GADEAU (Véronique), PERRON (Loïc), « Le paysage comme ressource dans
les projets de développement territorial. », Développement durable et territoires, vol. 1, n°2,
2010, 11 p.
SGARD (Anne), « Le paysage dans l’action publique : du patrimoine au bien commun. »,
Développement durable et territoires, vol.1, n°2, 2010, 13 p.
SGARD (Anne), « Le paysage en politique. », Développement durable et territoires, vol. 1,
n°2, 2010, 7 p.
V. Montreuil et horticulture
ABAD (Reynald), Le grand marché, L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien
Régime, Paris, Fayard, 2002, 700 p.
BROCARD (Hélène), AUDUC (Arlette), DECOUX (Jérôme), Patrimoines de Montreuil,
Seine-Saint-Denis, 3 volumes, n°213, 277, 320, Paris, Lieux Dits Editions, Coll. « Itinéraires
du patrimoine », 2008, 130 P.
BENNEZON (Hervé), Montreuil sous le règne de Louis XIV: un village sous le règne de
Louis XIV, Paris, Les Indes savantes, 2009, 491 p.
FLANDRIN (Jean-Louis), MONTANARI (Massimo), Histoire de l’alimentation, Paris,
Fayard, 1996, 915 p.
QUELLIER (Florent), Des fruits et des hommes, l’arboriculture fruitière en Île-de-France
(vers 1600-vers 1800), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2003, 464 p.
QUELLIER (Florent), Histoire du jardin potager, Paris, Armand Colin, 2012, 192 p.
QUELLIER (Florent), « Montreuil-aux-pêches », L’Histoire, n°301, 2005, p.25.
QUELLIER (FLORENT), PROVOST (Georges) (Dir.), Du Ciel à la terre, clergé et
agriculture, XVIe-XIX
e siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 365 p.
102
S I T O G R A P H I E
Centre français du patrimoine culturel immatériel, (consulté en 2013)
http://www.cfpci.fr/
Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture et l’Institut
Interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain, (consulté en 2013)
http://www.iiac.cnrs.fr/lahic/
Ministère de la Culture et de la Communication, (consulté en 2013)
http://www.culturecommunication.gouv.fr/Disciplines-et-secteurs/Patrimoine-culturel-
immateriel
Montreuil Environnement, (consulté en 2013)
http://montreuil-environnement.blogspot.fr/
Montreuil vraiment ! Les élus de la majorité municipale écologiste, socialiste et citoyenne,
(consulté en 2013)
http://montreuil-vraiment.fr/
Murs à pêches, sauvegarde d’un quartier unique de Montreuil, (consulté en 2013)
http://mursapeches.wordpress.com/
Patrimoine culturel immatériel en France, (consulté en 2013)
http://www.patrimoinevivantdelafrance.fr/
Société Régionale d’Horticulture de Montreuil, (consulté en 2013)
http://www.srhm.fr/index.html
Ville de Montreuil, (consulté en 2013)
www.montreuil.fr
Unesco, (consulté en 2013)
http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00002
103
F I L M O G R A P H I E
AUBRY (Olivier) (Réal.), Evolution de la rue Saint-Antoine, Montreuil Environnement,
2009, 30’’
http://montreuil-environnement.blogspot.fr/2009/06/blog-post.html
DIGANT (Yseult) (Réal), La voi(x)e est libre, Youtube, 2009, 6’47’’
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=nCHQI0wu5os
GARRIGUES (Muriel) (Réal.), Les murs à projets de Montreuil, Google, 2008, 20’15’’
https://sites.google.com/site/doc2geo/visionner/les-murs-a-projets-de-montreuil