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ARCHITECTURE FINANCIRE INTERNATIONALE: AU-DEL DES
INSTITUTIONS DE BRETTON WOODSMichel AgliettaLa Doc. franaise | Economie internationale
2004/4 - no 100pages 61 83
ISSN 1240-8093
Article disponible en ligne l'adresse:
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-economie-internationale-2004-4-page-61.htm
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Pour citer cet article :
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Aglietta Michel, Architecture financire internationale: au-del des institutions de Bretton Woods ,
Economie internationale, 2004/4 no 100, p. 61-83.
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ARCHITECTURE FINANCIRE INTERNATIONALE :AU-DEL DES INSTITUTIONS DE BRETTON WOODS
Michel Aglietta1
RSUM. Les espoirs dans une nouvelle architecture financire internationale centre sur lesinstitutions de Bretton Woods ne se sont pas concrtiss. Larticle analyse quatre checsmajeurs des tentatives damliorer le fonctionnement du systme financier international.Lendettement souverain nest toujours pas assur contre les mouvements erratiques des tauxdintrt et de change. Le prteur international en dernier ressort pour endiguer les crisesglobales de liquidit sest rvl introuvable. Linstitution indispensable dun droit internatio-nal des faillites pour une rsolution civilise des crises de solvabilit est reporte des joursmeilleurs o la communaut dintrts des tats deviendra plus pressante. Les handicapsstructurels des pays moins avancs ne sont pas srieusement attaqus, alors que laidepublique continue se rduire comme peau de chagrin et quaucun mcanisme internationalne garantit son appropriation par les populations concernes. Ces checs rsultent delinfluence prpondrante du nolibralisme qui prne la soumission des tats au jugementde la finance globale. Au contraire, la mondialisation ne pourra promouvoir un rgime decroissance non excluant pour les pays en dveloppement que si la communaut des tatsprend le contrle politique de la rgulation de la finance globale. Ce problme de gouver-nance mondiale passe probablement par la formation despaces de coopration rgionaledans les zones dintgration conomique. LAsie montre la voie dans un processus progressifqui va voir les rgimes de change se librer de lemprise du dollar, condition indispensablepour matriser lendettement international. La formation despaces rgionaux politiquement
autonomes entranera une apprhension nouvelle des biens publics globaux. La liquiditinternationale deviendra un bien gr par un concert de banques centrales. Le recul delhgmonie amricaine crera lintrt politique pour instituer une loi financire internatio-nale rglant les crises de solvabilit.
ClassificationJEL : F02 ; F23 ; F34 ; F35.Mots-clefs : Mcanismes dassurance ; prteur en dernier ressort ; action collective ;
gouvernance mondiale.
1. Michel AGLIETTA, Professeur lUniversit Paris X Nanterre et Conseiller scientifique au CEPII ([email protected]).
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ABSTRACT. The expectations raised by the prospects of a new international financial archi-tecture, grounded in the Bretton Woods institutions, have not been fulfilled. This paper
depicts four major failures in the attempt to improve the functioning of the internationalfinancial system. Sovereign debts have not been insured against the erratic disturbances ofinterest and foreign exchange rates. Establishing an international lender-of-last resort tostem global liquidity crises has proved illusory. The vital formulation of international bank-ruptcy law for the rational restructuring of sovereign debt has been postponed to bettertimes, when the political interests of the nation states may be more openly convergent. Thestructural shortcomings of highly-indebted poor countries have not been seriously tackled,despite the joint IMF-World Bank initiative. Public aid goes on shrinking, and no interna-tional mechanism guarantees it actually reaches the people most concerned. These failures
result from the dominant influence of neo-liberalism. This doctrine advocates that State poli-cies should be sanctioned by global financial markets. But globalization can only foster agrowth regime which does not exclude developing countries if global finance is subject tointernational political governance. Such world governance probably needs to be based onregional cooperation within areas experiencing economic integration. East Asia is showingthe way in a process whereby exchange rate regimes are progressively loosening their linkswith the dollar, an essential condition to weakening the constraints of international indebt-edness. Furthermore the emergence of politically autonomous regions will entail a newunderstanding of global public goods. International liquidity will be supplied by a club com-posed of the main central banks. The receding US hegemony could stimulate political inter-
est in the adoption of an international bankruptcy law to settle crises of insolvency.
JEL Classification: F02; F23; F34; F35.Keywords: Insurance Mechanisms; Lender of Last Resort; Collective Action; World Governance.
*Contrairement au triomphalisme qui avait marqu le 50e anniversaire des institutions de
Bretton Woods, lpoque o le consensus de Washington rgnait sans partage, le 60 e anni-
versaire a t clbr en sourdine. Cest que le FMI et la Banque mondiale sont critiqus de
toutes parts : par la droite du Congrs des tats-Unis, nourrie des conclusions de la commis-sion Meltzer, par les rseaux htroclites dassociations altermondialistes et par les opinions
publiques des pays en dveloppement.
Il est vrai que les motifs de dsillusion ne manquent pas. Halifax, aprs la secousse prmo-
nitoire de la crise mexicaine, le G7, directoire mondial autoproclam, lanait le grand dessein
de la nouvelle architecture financire internationale. Ce projet politique devait donner une
impulsion dcisive laction collective internationale pour la mettre la dimension des dfis
de la globalisation.
Prs de dix ans se sont couls et les rsultats sont atterrants laune des dcisions poli-tiques ayant une porte institutionnelle. Presque rien na t accompli. Cependant, la suite
des crises qui se sont succd, des adaptations linstabilit financire se sont affirmes en
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Asie, en Europe de lEst, en Russie. Des formes dorganisation rgionale sesquissent qui font
envisager des modes de rgulation dans lesquels les institutions de Bretton Woods perdraient
de leur importance. Des ides nouvelles ont t formules qui sloignent sensiblement ducouple infernal endettement/conditionnalit qui perptue le pouvoir du FMI et donc de ses
principaux actionnaires.
On se propose danalyser quatre directions majeures de laction collective, qui sont la fois
des checs de la nouvelle architecture financire internationale centre sur les institutions de
Bretton Woods et des domaines possibles de renouvellement de la gouvernance internatio-
nale:
renforcer la soutenabilit de lendettement international;
munir les marchs de capitaux dun prteur en dernier ressort international; promouvoir des dispositifs de rsolution des crises de solvabilit;
rendre plus efficaces les actions spcifiques en faveur des pays moins avancs.
la suite de cet examen, on cherchera dceler dans les transformations actuelles de lco-
nomie mondiale les principes de gouvernance susceptibles de simposer sur les dcombres du
consensus de Washington. Le recentrage des institutions de Bretton Woods dans des rles
spcialiss pourrait sy inscrire.
RENFORCER LA SOUTENABILIT
DE LENDETTEMENT INTERNATIONALLes crises rptition des annes quatre-vingt-dix et du dbut du XXIe sicle ont montr que
la vulnrabilit des pays mergents lendettement perdurait tout en changeant de nature
aprs la crise catastrophique de la dette internationale des annes quatre-vingt.
La vulnrabilit des pays mergentsDans le World Economic Outlookdu 1er semestre 2003, le FMI salarmait de lendettement
public des pays mergents (hors PECO). De 1995 2002 les pays dvelopps ont sensible-
ment amlior les finances publiques. Le poids de la dette publique dans le PIB est pass en
moyenne de 77,5 65 %. Au contraire, la dette publique sest fortement alourdie dans lespays mergents de 59 % en 1997 72 % en 2002.
Plus inquitant est le constat que la limite de la soutenabilit est plus basse chez les mer-
gents. Beaucoup de pays mergents ont fait dfaut dans les trente dernires annes sur leurs
dettes souveraines. Pour plus de la moiti dentre eux, les dettes taient infrieures 60 %
du PIB au moment du dfaut. Or ces pays ont des besoins considrables de dpenses
publiques dinfrastructure, dducation et de sant. On a vu, en particulier, en Argentine que
le bradage du secteur public des monopoles trangers napportait aucune solution linef-
ficacit des services publics, pas plus qu la progression de lendettement.
Car le vritable talon dAchille des finances publiques ne se trouve pas dans les dpenses,
mais dans lextrme faiblesse de lassiette fiscale. Les revenus fiscaux sont de 27 % du PIB en
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moyenne dans les pays mergents contre 44 % dans les pays dvelopps. La corruption,
lvasion fiscale, labsence de contrle juridique de ladministration se conjuguent pour
entraner cette carence.
Le rsultat de ces handicaps structurels est que nombre de pays mergents ne parviennent
pas produire des excdents primaires suffisants, sauf touffer leurs conomies. Il sensuit
une forte sensibilit du profil de lendettement aux variations des paiements dintrts et aux
fluctuations des taux de change. Cette variabilit se greffe sur un service de la dette cra-
sant. Les paiements dintrts sont deux fois plus levs que dans les pays dvelopps
niveau de dette identique.
Les finances publiques ne sont pas la seule cause de vulnrabilit des pays mergents. La
crise asiatique a montr que des pays pargne prive interne leve et finances publiquesmatrises pouvaient tre victimes des mmes excs financiers que les pays dvelopps.
Lemballement de lendettement et de la spculation sur les prix des actifs financiers et
immobiliers, le surinvestissement et la sous-valuation des risques, sont des plaies de la
finance de march qui npargnent pas les pays mergents, lorsquils sont touchs par la
grce de la globalisation. Mais les consquences des crises financires y sont bien plus dra-
matiques. Les systmes financiers ny sont pas assez diversifis pour dissminer les risques.
Surtout lendettement en devises trangres empche de mener les politiques montaires de
trs bas taux dintrt qui sont ncessaires pour prserver la liquidit des intermdiaires
financiers. Ainsi se sont dchanes les fameuses crises duales (bancaires et cambiaires) quiont fait tant de ravages inutiles dans les conomies les plus dynamiques de la plante.
Les excs financiers nont malheureusement pas cess. Le cinquante-quatrime rapport
annuel de la BRI fait tat de lactivit des hedge funds dans les pays mergents du fait de la
longue priode de bas taux dintrt dans les pays dvelopps (chap. V, p. 114 sq.). Du
dbut de 1994 au dbut de 2004, lespreadEMBI des marchs mergents a fluctu entre 400
et 1 600 points de base (pb). Ces mouvements extrmes nont aucune commune mesure avec
lamlioration ou la dgradation des fondamentaux des pays concerns.
Ces changements brutaux dans les spreads dpendent avant tout des prises de position etdes retraits dinvestisseurs internationaux utilisant des leviers dendettement levs des fins
spculatives. Ainsi lanticipation dune hausse modeste de 25 pb du taux directeur de la Fed
au printemps 2004 a-t-elle fait bondir le spreadobligataire EMBI de plus de 100 pb en moins
de quatre semaines, cause des ventes massives des hedge funds qui ont dboucl leurs
positions.
Un pays endett peut donc tre soumis des crises de liquidit autoralisatrices, dautant
plus probables que sa dette est chance courte ou taux variables. Un effondrement de la
confiance des investisseurs, comme il sen est produit au Brsil en 2002, ou le choc en retour
de comportements stratgiques ou de couvertures dynamiques de la part des dits investis-
seurs internationaux, peut provoquer une hausse brutale des spreads. Le service de la dette,
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qui tait soutenable avec un spreadde 300 400 pb, ne lest plus 800 ou 1000. Parce que
la dette est en devises trangres, la crise de liquidit provoque une baisse vertigineuse du
change qui, en retour, rend la dette insolvable. Cest alors que le FMI intervient avec desprts dont les montants atteignent des dizaines de milliards de dollars. Ces prts sont assortis
dune conditionnalit draconienne qui provoque dabord une rcession svre, puis touffe la
croissance pour plusieurs annes, comme lAmrique latine en a fait lexprience depuis plus
de vingt ans. Il y a certainement mieux faire.
Concevoir des mcanismes dassurance contre leffetde linstabilit des marchs sur lendettementIl y a dabord des initiatives provenant des pays dbiteurs. Les pays asiatiques montrent la
voie. Car ils ne veulent plus rpter lhumiliation impose par le FMI et le Trsor des tats-Unis en 19972. Il sagit pour les tats de toujours tre en situation de contrler leur interac-
tion avec les marchs internationaux de capitaux. Il faut se servir des marchs pour rduire le
cot du financement de la croissance et desserrer le rationnement du crdit, non pas en tre
les esclaves. Cela veut dire toujours limiter lendettement extrieur en dessous du montant
qui serait compatible avec le potentiel de croissance si les marchs taient parfaits. Il faut, en
effet, se donner une marge de scurit pour absorber les chocs dcoulant de linstabilit
financire internationale.
Pratiquement linstrument de lautonomie est le rgime de change. Les gouvernements doi-
vent se librer de lidologie des solutions de coin (change totalement fixe ou entirement
flexible avec libert complte des capitaux). Lexprience asiatique montre depuis quelques
annes quil convient de piloter un taux de change comptitif et suffisamment flexible pour
prserver les moyens montaires de rguler la demande intrieure. Le degr de flexibilit
tolrable dpend du degr de contrle des capitaux que lon dsire maintenir. La Chine et le
Japon sont aux deux extrmits dun spectre cet gard. Limportant est que le niveau du
taux de change permette daccumuler des rserves qui soient un multiple de la dette court
terme en devises. Lallongement de cette dette, le recours aux taux fixes et lencouragement
des investissements directs trangers consolident aussi les comptes financiers extrieurs des
pays.
Bien entendu, ces solutions de protection nationale ont le dfaut dtre non coopratives.
Des mcanismes dassurance plus efficaces passent par des politiques coopratives. Un dispo-
sitif pour prvenir les crises de liquidit dues lendettement en dollar consiste emprunter
au moins partiellement en monnaies nationales. Dans cet esprit, B. Eichengreen a rcemment
propos que des dettes soient mises dans une unit de compte synthtique, dfinie par un
panier pondr des monnaies des pays mergents. Cette unit de compte serait plus stable
que chacune des monnaies composantes. Les titres ainsi libells porteraient des rendements
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2. Ces deux instances ont torpill le projet de BRI asiatique, conu pour mettre des rserves en commun et tablirune coopration des banques centrales face la crise de liquidit.
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attirants pour les investisseurs. Toutefois cette proposition doit tre amnage pour tre op-
ratoire. Car il faut tre capable de crer un march et de le rguler.
Les pays qui ont intrt et ont les capacits demprunter en monnaies nationales sont les
pays en voie dintgration conomique. Ce sont les pays qui forment une zone conomique
rgionale. Les monnaies nationales pourraient avantageusement financer et rgler le com-
merce rgional. Les investissements directs intrargionaux nont aucune raison non plus
dtre libells en dollar. Les pays de ces rgions conomiques en formation, comme lest
lAsie orientale, sont conduits considrer le rgime de change comme tant dintrt com-
mun: librer leurs monnaies de lassujettissement au dollar et les piloter de manire que les
taux de change croiss demeurent relativement stables. Dans ce contexte un march rgional
de dettes obligataires, mises dans un panier des monnaies de la rgion, prend sens. Danscette perspective les gouvernements pourraient en prendre linitiative. Ce march devrait tre
assorti dun march driv doptions de change pour prserver les investisseurs des pertes
provoques par dventuelles dprciations extrmes dues des chocs mondiaux non antici-
ps. Pour rguler ce march dans des conditions de stress, les banques centrales de la rgion,
munies de rserves abondantes, auraient avantage y intervenir.
Dans ces mcanismes dassurance le FMI na aucune part. Mais ces mcanismes nimmuni-
sent pas contre des hausses brutales de spreads sur les dettes extrieures rsultant de pertur-
bations globales des marchs de capitaux. Le FMI pourrait retrouver une certaine aura,
conforme lesprit dassurance mutuelle qui tait celui de Bretton Woods, sil modifiait saconception de la conditionnalit hrite de la crise de la dette internationale des annes
quatre-vingt. Un rapport du Conseil dAnalyse conomique a labor une proposition en ce
sens (Rapport du CAE n 43, 2003).
Pour surmonter la coordination dfaillante des marchs qui conduit des quilibres multiples
de spreads, le FMI pourrait conclure avec les pays qui le souhaitent un contrat dassurance.
Ce contrat serait associ un rgime de dette extrieure auto-limitant qui nadmet quun
quilibre.
Lassurance fonctionnerait de la manire suivante. Un pays ngocie avec le FMI un profildendettement li un programme de croissance long terme, en sorte que le spreadne
dpasse pas un seuil prdtermin dans les conditions de ralisation du rgime de croissance
(300 400 pb). Le FMI contrle lvolution des fondamentaux au cours de la ralisation du
programme conformment sa mission de surveillance. Si un choc exogne aux fondamen-
taux de la croissance se produit (rpercussions dune crise extrieure, vnement politique)
que le FMI reconnat comme tel et qui fait bondir le spreadde march, le FMI se substituerait
au march. Il continuerait prter au taux maximum prdfini dans le contrat jusqu ce que
lincidence du choc sapaise.
Cette conditionnalit ex ante empcherait que le choc ne fasse bondir le cot du service de
la dette un niveau qui la rendrait insolvable. Le gain par rapport aux pratiques actuelles
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serait considrable pour les pays qui ne subiraient pas les cots sociaux de linsolvabilit. Il
serait substantiel pour le FMI, donc pour la communaut des tats. Le Fonds aurait le rle de
garant de la cohrence des engagements financiers, au lieu dtre le pompier des crises allu-mes par les perturbations erratiques de la finance internationale.
M UNIR LES MARCHS DE CAPITAUX D UN PRTEUREN DERNIER RESSORT INTERNATIONAL
Une finance globalise est sujette des crises de liquidit qui affectent lensemble des mar-
chs financiers du monde. Ainsi peut-on remarquer que les deux pointes extrmes du
spreadEMBI depuis la crise asiatique sont survenues en septembre-octobre 1998 la suite
du contrecoup du moratoire russe et de la faillite du hedge fundLTCM dune part, en aot-octobre 2002 la suite de la faillite frauduleuse de World Com dautre part. Dans les deux
cas, lensemble des pays mergents a t coup de toute source de crdit. Dans les deux
cas, la Rserve Fdrale des tats-Unis a implicitement jou le rle de prteur en dernier res-
sort international en rtablissant la confiance des investisseurs dans les marchs financiers
du dollar.
Les phnomnes observs loccasion de ces pisodes aident comprendre en quoi la stabi-
lit financire est un bien public global. La liquidit, cest--dire la disponibilit des moyens
de paiements unanimement accepts, est le socle sur lequel reposent toutes les valuations
financires. Or ce socle na rien de naturel. Cest une croyance commune, cest--dire lacroyance de chacun que les autres croient que tous vont accepter inconditionnellement le
moyen de rgler les dettes qui est mis par linstitution montaire. Tel est le principe de sou-
verainet montaire. Il sensuit que le prix auquel la liquidit est mise disposition des
agents qui nouent des contrats financiers nest pas un prix de march. Cest la base sur
laquelle peut tre dtermine la structure multidimensionnelle des prix relatifs des crances
et des dettes. Bref, la confiance commune dans les conditions selon lesquelles la liquidit va
tre fournie dans lavenir est ce qui permet lvaluation des marchs financiers. Cest donc la
condition collective de la possibilit de transformer de lincertitude en risque.
Lors des vnements prcits cette croyance collective a chancel. Doutant de la liquidit, les
acteurs de la finance se sont prcipits sur les actifs dont chacun supputait quils pouvaient
donner un accs inconditionnel et sans perte aux moyens de rglement ultimes. Cette fuite
gnrale vers la qualit a fait bondir sans discrimination les spreads de tous les titres de
dettes porteurs dun risque quelconque (de crdit, de change, dchance, etc.). Cela veut
dire que les marchs avaient perdu leurs repres (benchmarks sur lesquels repose lvaluation
diffrencie des risques). Le prteur en dernier ressort est linstitution qui rtablit la
confiance dans ces repres.
On peut alors concevoir le problme de principe que pose lide mme dun prteur en dernierressort international (PDRI). La finance est devenue globale au sens o lendettement interna-
tional par les marchs de capitaux a rendu interdpendants la plupart des systmes financiers
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des pays qui y ont recours. Mais les monnaies sont distinctes, spares et confrontes sur les
marchs de change ou relies par des arrangements institutionnels ad hoc (ancrages plus ou
moins stricts, zones cibles, unions montaires). Il nexiste donc pas de souverainet montairemondiale. Cependant ltendue des crises de liquidit de la fin du sicle dernier et lintensit
avec laquelle les pays en dveloppement en ont t victimes ont fait mrir la question suivante:
le FMI peut-il devenir un substitut au prteur en dernier ressort international? Deux proposi-
tions ont t faites qui se sont rapidement avres tre des impasses.
Une premire proposition est issue de la commission Meltzer. Cherchant construire le cadre
institutionnel dans lequel une action du PDRI en direction des pays mergents devrait sins-
crire, elle est attentive la question de lala moral. La liquidit en dernier ressort devant
bnficier des emprunteurs solvables, elle doit tre encadre par des rgles prudentiellesexigeantes. Seuls des pays pr-qualifis pourraient bnficier de lassistance du FMI en apport
de liquidit durgence, sous la forme dune fentre de lescompte accorde aux banques cen-
trales nationales contre collatral pour une dure ne dpassant pas trois mois. On retrouve ici
lide de conditionnalit a priori , dj avance plus haut dans le contexte de lassurance du
service des dettes internationales. Pour faire lapport en liquidit, le FMI emprunterait auprs
des banques centrales mettrices les montants de devises demandes.
La Contingent Credit Line (CCL) a t une tentative dtablir ce schma. Mais aucun pays ne
sest port candidat laccrditation, de sorte que cette facilit mort-ne a t supprime
sans avoir jamais fonctionn. Certains lauraient-ils fait, en quoi serait-ce une action dePDRI? Une figure mineure certainement: un prteur en dernier ressort extrieur intervenant
pour le compte dune banque centrale qui ne peut pas crer la liquidit demande. Cette
liquidit donne la banque centrale le moyen dintervenir en devises trangres dans son
propre systme financier. La pr-qualification permet au prteur en dernier ressort extrieur
(en lespce le FMI), qui nest pas le superviseur des tablissements financiers locaux, de mini-
miser lala moral.
Sinterroger sur la viabilit de ce dispositif a le mrite de poser la question de lvolution des
missions du FMI. Celui-ci a t cr pour prodiguer une assurance mutuelle entre tats op-
rant selon une mcanique de quotas et de financements conditionnels, ngocis pour les
besoins des balances de paiements courants. Prserver un bien public global en injectant de
la liquidit en des maillons faibles dun rseau de paiements internationaux dans des situa-
tions durgence est une action collective de souverainet montaire. Elle nest pas du tout de
la mme nature que lassurance mutuelle, ni pour le diagnostic, ni pour le mode de tirage, ni
pour les conditions de remboursement des avances. Si encore il ne sagissait que de mener
des actions ponctuelles dans des pays particuliers, on aurait pu envisager de faire fonctionner
la CCL sans changer les statuts du Fonds. Mais sil sagit dendiguer une crise de liquidit
potentiel de contagion globale, laction montaire mener est dune toute autre envergure.Les liquidits fournir doivent tre potentiellement sans limites prdfinies et tre la discr-
tion de linstance charge de lintervention en dernier ressort.
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Ces caractristiques pointent incontestablement une action de banque centrale. Car les
banques centrales sont les mieux places pour dceler des situations de stress dans les mar-
chs financiers, lorsque lvaluation des risques saffole et que les spreads deviennent anor-maux. En outre, les banques centrales sont hirarchiquement suprieures aux banques, en ce
quelles leur fournissent leurs moyens de rglement. Or les crises de liquidit, mme
lorsquelles prennent naissance dans des marchs de titres et drivs, se rpercutent nces-
sairement dans les systmes de rglement interbancaires. Parce quelle est en position haute
lorsque la stabilit financire dans son ensemble est en question, la banque centrale peut
faire de lintervention en dernier ressort une opration de politique montaire, poursuivant
lobjectif de prserver la confiance dans la monnaie. Enfin les banques centrales sont les
seules institutions qui, au-del de leur statut juridique, peuvent mettre instantanment des
montants indfinis de liquidit ultime en vertu du caractre fiduciaire de la monnaie.
Ces arguments sont dirimants. Ils expliquent lchec de la seconde proposition de faire du
FMI le prteur en dernier ressort international, celle de Stanley Fisher en 1999. Le FMI ne
peut prter que les ressources dont il dispose, savoir 150 milliards de dollars, alors que les
rserves de change accumules dans le monde sont de lordre de 1500 milliards de dollars.
Parce que Fisher tait conscient que les ressources mobilisables du FMI taient faibles, il a
suggr que le FMI puisse crer des DTS ex nihilo, en montants non prdfinis, pour les
swapper auprs des banques centrales contre les formes de liquidit demandes par les mar-
chs. Ctait, en effet, faire du FMI un embryon de banque centrale mondiale. Mais le chan-gement radical de la charte du Fonds que cette mutation implique, est hors du champ des
rapports politiques dans la phase historique actuelle de la globalisation financire.
Le destin du PDRI suivra probablement un autre cours. La confiance dans la liquidit des mar-
chs financiers internationaux dpend de la banque centrale mettrice de la liquidit la plus
demande. Cest notre poque la Rserve Fdrale des tats-Unis. Mais elle exerce ce rle
par dfaut. Elle ne se reconnat pas de responsabilit dans la stabilit des marchs financiers
mergents qui mettent des titres en dollars. Cest pourquoi, comme on la montr plus
haut, la poursuite de lintgration conomique sous laiguillon de la finance, va conduire organiser des espaces montaires rgionaux. En consquence le prteur en dernier ressort
international va devenir progressivement une responsabilit partage, celle dun club de
banques centrales.
Dans cette configuration, le Fonds Montaire International pourrait retrouver un leadership
dans la gestion des crises vraiment globales. Le FMI a un avantage comparatif dans lobserva-
tion et lanalyse des dsquilibres macro-conomiques des pays membres quil tire de sa mis-
sion de surveillance. Il pourrait le combiner aux supervisions des marchs que font les
banques centrales pour aboutir un ventuel diagnostic de constitution dun risque syst-
mique. En assurant une coordination des prteurs en dernier ressort, le FMI pourrait saffir-
mer en tant que gestionnaire des crises globales.
69Michel Aglietta / conomie internationale 100 (2004), p. 61-83.
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PROMOUVOIR DES DISPOSITIFS DE RSOLUTION
DES CRISES DE SOLVABILITLes dfauts sur les dettes souveraines des pays en dveloppement se rptent en droulant
un scnario monotone. On y observe la fois ltendue des dsastres charris par les ressacs
de la globalisation financire et limpuissance des mcanismes politiques incorpors dans les
institutions de Bretton Woods y faire face. Lobservation rcurrente des tragdies suscites
par ces maldictions modernes permet de tirer quatre enseignements.
Les restructurations dsordonnes des dfauts souverains entranent des cots sociaux trs
levs pour les pays endetts, parce que les consquences des pertes subies stendent bien
au-del du dfaut initial.
Ces dfauts dclenchent des financements officiels dmesurs pour venir au secours des
cranciers privs. Leur opposition obstine une procdure publique de rsolution des
faillites est un plaidoyerpro domo pour une socialisation illimite des pertes.
Le secteur priv est incapable dtablir un mcanisme efficace pour traiter les dettes non per-
formantes, parce que les contrats de dettes sont hautement incomplets et les informations
entre prteurs et emprunteurs fortement asymtriques. Il sensuit que les conflits dintrts
entre les cranciers deviennent irrductibles, ds lors que le dfaut a rompu les engagements
stipuls dans les contrats de dette.
Enfin, lessor du financement obligataire aggrave sensiblement les problmes parce quil faitentrer dans le march de nombreux cranciers petits enjeux. Ceux-ci ont une incitation
fuir toute ngociation volontaire.
Ces quatre enseignements entranent une conclusion dirimante. Un mcanisme ordonn de
restructuration des dettes souveraines doit voir le jour. Il ne peut tre quimpos par une
autorit dont la comptence est supranationale. En effet, en brisant les contrats, la faillite
multiplie les conflits qui ne peuvent tre surmonts que par une loi suprieure procdant de
lintrt public. Face aux dsordres engendrs par la finance internationale, cet intrt public
ne peut tre lgitim par la souverainet nationale. Il doit tre institu par une forme radica-
lement nouvelle du politique que lon peut qualifier de cosmopolitique, en reprenant la for-
mulation de Ulrich Beck.
Une premire tentative avorte dinstituer un droit universeldes faillites : la proposition KruegerLa proposition du FMI, formule ds novembre 2001 par Anne Krueger, puis modifie
jusqu son nonc dfinitif en fvrier 2003, visait instaurer une rgle commune daction
collective pour traiter les dfauts souverains. Cette proposition portait le nom de Sovereign
Debt Restructuring Mecanism (SDRM).
Dans sa version la plus radicale, la proposition prvoyait dinstituer une sorte de cours inter-
nationale des faillites sous la forme dun forum log au Fonds, mais statutairement auto-
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nome, appel Sovereign Debt Dispute Resolution Forum. Ce Forum devait avoir lautorit
supranationale requise pour arbitrer les conflits entre dbiteurs et cranciers avec une capa-
cit juridique dimposer aux minoritaires les dcisions dune majorit qualifie (fixe 75 %).
Cette innovation politique a rencontr un double obstacle. Cela illustre bien les difficults de
la gouvernance mondiale, ds lors quil sagit de dpasser le vieux modle de la concertation
des tats pour mettre la politique en situation de rguler la finance globalise. Le premier
obstacle est videmment venu de la communaut financire. La finance prive trouve plus
confortable de transfrer les pertes au dbit des institutions officielles dans des refinance-
ments de sauvegarde astronomiques et de faire entirement porter les cots dfinitifs des
faillites aux pays dbiteurs. Dans le cas o une limitation des financements publics entrane
une implication force du secteur priv au partage des pertes, celui-ci prfre faire valoir sesdroits devant les cours de justice amricaines ou anglaises, toutes acquises sa cause.
Cependant lhostilit du secteur priv nest pas insurmontable sil existe une volont politique
partage dinstituer des rgles transnationales. Mais, en lespce, le SDRM tait une mutation
du politique qui remplaait lordre de Bretton Woods par lamorce dune gouvernance nou-
velle. Celle-ci instituerait la prise en charge collective des biens publics globaux qui sont sus-
cits par le dveloppement du capitalisme au XXIe sicle. Cette transformation rencontre des
obstacles proprement politiques venant aussi bien de lhostilit des pays mergents, par
crainte daccs plus difficile au financement international, que du G7, par dfense jalouse de
son privilge de contrle sur les institutions internationales. En outre, dans le contexte poli-tique amricain issu de la prsidence Bush et exacerb par lattaque terroriste du 11 sep-
tembre 2001, la drive unilatrale du gouvernement des tats-Unis la poursuite de
lhgmonie allait dans une direction oppose linvention de concepts cosmopolitiques.
Cest pourquoi tous les efforts du FMI pour amodier la proposition Krueger ont t vains. En
avril 2002, il a t suggr quun panel de juges, cette fois indpendant du FMI, vrifie les
crances, arbitre les litiges et supervise le vote des cranciers, aprs que cranciers et dbi-
teurs aient ngoci la restructuration. De son ct, le FMI se serait content de constater et
de dclarer lincapacit dhonorer le service de sa dette. Il aurait alors autoris le pays
recourir un gel de ses paiements (standstill) et aurait mis en place une facilit de crdit de
soudure (bridging loans) ayant priorit sur les anciennes crances. Mais cette conception
amoindrie du SDRM nen aurait pas moins exig un changement de la Charte du Fonds parce
quelle drogeait au principe de lassurance mutuelle.
Les Clauses dAction CollectiveLes Clauses dAction Collective (CAC) sont issues dune proposition adjacente au SDRM. Il
sagissait de gnraliser une pratique contractuelle dj en vigueur dans les missions de
titres de dettes en droit britannique. Elle tait inconnue New York et rencontrait lopposi-tion de Wall Street. Mais la menace de se voir imposer le SDRM a convaincu les grands inves-
tisseurs institutionnels et les banques daffaire internationales daccepter une version
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dulcore des CAC. Toutefois il sera possible de sappuyer sur cette avance modeste pour
progresser.
Les CAC sont des rgles volontaires et contingentes de rengociation des dettes souveraines.
Elles sont conues pour permettre la restructuration dune dette obligataire souveraine sans
laccord unanime de tous les dtenteurs de titres. Une majorit qualifie suffit ( un seuil pra-
tique de 75 %) pour modifier les termes de paiements, dcider de partager les pertes, empcher
lopportunisme individuel des cranciers. Bref, les CAC incluent la modification des conditions
initiales du service des dettes en fonction dvnements qui mettent les dbiteurs en difficult.
Cette flexibilit pourrait tre tendue bien dautres vnements que le dfaut: indexer le
service de la dette sur les prix des matires premires de pays mono-exportateurs, inter-
rompre le service de la dette en cas de catastrophes climatiques, etc. Des options crites surces obligations complexes seraient les supports de marchs des risques pour en faciliter le
partage parmi les investisseurs aux profils de risque diffrents.
Dans le cas des obligations assorties de CAC lies aux dfauts, un club de New York est le
sige dun comit des porteurs dobligations pour superviser les ngociations avec les pays en
faillite. Il serait possible de crer une agence de mdiation pour coordonner les clubs de
Paris, Londres et New York.
Cependant, dans ltat actuel, la rforme demeure bien trop partielle et dpendante de la
bonne volont du secteur priv pour tre oprante. Car labsence de gnralit, duniformitet dinjonction imprative, la mise lcart du FMI, font des CAC des moyens bien trop fra-
giles pour ngocier de bonne foi.
Dabord ces contrats ne sappliquent quaux dettes mises sur les marchs internationaux et
ne sont pas uniformes entre missions diffrentes. Or le dfaut dun pays est un phnomne
collectif. Un tat met des dettes sur les marchs internationaux et sur son march intrieur
en direction des non rsidents. Les agents privs mettent des dettes achetes par des inves-
tisseurs internationaux. Ces dettes sont nationalises en cas de dfaut. Il sensuit que laction
collective indispensable une restructuration ordonne des dettes requiert une uniformit
des contrats pour toutes les dettes dont les cranciers sont des non rsidents, que les dbi-teurs soient ltat lui-mme, les banques, les entreprises. De tels contrats ne seront mis uni-
formment que sils deviennent obligatoires; ce qui prsuppose un accord politique des tats
o sont enregistrs les cranciers privs.
Ensuite la mise lcart du FMI dans la dfinition des CAC affaiblit sa position vis--vis des
gouvernements dbiteurs dans la ngociation des restructurations de dettes insolvables. Au
lieu de dpendre entirement de la conditionnalit impose par le FMI loccasion de ses
financements, le retour des pays sur les marchs internationaux rsulte dun jeu stratgique
avec les clubs de cranciers.
Lexemple de lArgentine montre que la mdiation du Fonds nest plus automatiquement
tenue pour lgitime. En effet, aprs llection du prsident Kirchner en avril 2003,
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lArgentine a connu une reprise fonde sur lexportation grce lnorme dprciation du
peso et sur la consommation grce une politique daide sociale et de blocage des prix des
services publics grs par des entreprises privatises. Cette politique, destine gagner unsoutien populaire plutt qu satisfaire les exigences des cranciers trangers, est aux anti-
podes de la doctrine du FMI lgard des pays qui subissent un dfaut sur leur dette ext-
rieure. Cependant, il est vrai que pour embrayer sur une croissance durable il faut pouvoir
investir, donc accder des financements nouveaux ; ce qui suppose de rtablir la confiance
lgard de la communaut financire. La controverse sur lampleur de lexcdent budgtaire
primaire souhaitable (avant paiement des intrts) et sur la proposition du gouvernement
argentin de rpudier 75 % de la valeur des dettes internationales focalise limpasse dans
laquelle se trouvent les ngociations avec le Fonds Montaire et avec les cranciers privs.
Le FMI a accept de reconduire la dette argentine pour trois ans en septembre 2003 contre la
promesse dun excdent budgtaire primaire de 3 % du PIB. Mais le gouvernement argentin
fait observer que la rforme radicale du rgime public des retraites lui cote 1,5 % du PIB et
quil ne reoit pas de nouveau financement du FMI, alors quil a rembours 6,6 milliards de
dollars aux cranciers internationaux en 2002-2003.
On comprend quun dispositif institutionnel lgitime de rsolution des crises internationales
aurait pu tablir le compromis entre les besoins de la socit argentine et les exigences des
cranciers internationaux. Au lieu dun processus rgl, cest un affrontement lissue incer-
taine qui sest install. La position dure du gouvernement argentin rencontre des sympathiesdans les pays en dveloppement et lhostilit du G7 qui presse lArgentine de conclure un
accord avec ses cranciers. Mais les ngociations sont compliques par la dispersion des
dtenteurs dobligations, par lagressivit des fonds vautours, par la contestation de la
lgalit de la psification devant les cours de justice amricaines. Devant un tel gchis on
peut aisment soutenir quun dispositif international, mme rduit par rapport ses ambi-
tions initiales, aurait t prfrable au blocage qui se prolonge depuis trois ans.
Sous une forme modeste, le FMI pourrait tre rintroduit dans le jeu stratgique loccasion
du gel temporaire des paiements. Cest un processus indispensable avant et pendant la ngo-ciation du pays et de ses cranciers, pour viter que le pays ne soit coup des crdits vitaux
pour son conomie. Ainsi lconomie argentine aurait-elle pu recevoir des crdits pour inves-
tir et donc consolider la croissance.
Mme si le FMI na pas autorit pour dclarer un gel, il peut constater linsolvabilit et mettre
une opinion sur lopportunit immdiate dun gel. Si elle est soutenue par son conseil dadmi-
nistration dans une dclaration politique, cette initiative permettrait au pays de prononcer le
moratoire temporaire avec une lgitimit qui viterait la rue des cranciers pour tenter de
saisir les actifs du pays avant que les clauses daction collective nentrent en vigueur.
Pour rendre le gel efficace, le FMI apporterait une aide technique sur la bonne manire de
mettre en place les contrles de change. Il fournirait laide financire court terme indispen-
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sable (prt de trois mois) contre lengagement du gouvernement de ngocier de bonne foi
avec ses cranciers. Le montant des prts (trade credit) pourrait tre calcul de manire
soutenir le volume du commerce extrieur son niveau davant crise.
RENDRE PLUS EFFICACES LES ACTIONS SPCIFIQUESEN FAVEUR DES PAYS MOINS AVANCS
Les Pays Moins Avancs (PMA) sont parmi les plus pauvres. Mais ce ne sont pas tous les pays
pauvres. Ils sont caractriss par des handicaps structurels et par une aide qui diminue conti-
nuellement dans le poids dcroissant de laide accorde aux pays en voie de dveloppement
(TABLEAU 1).
Le trs faible niveau de vie, la prcarit des structures productives, lincapacit dtablir ltatde droit qui laisse la place la corruption gnralise dans les institutions publiques, linsuffi-
sance extrme des infrastructures collectives, sont des maux permanents qui cartent ces
pays des marchs de capitaux. Depuis des dcennies, les PMA bnficient de la sollicitude de
la Banque mondiale avec des rsultats mitigs.
Sous limpulsion de la prsidence de Mac Namara de 1968 1981, la Banque a financ
dnormes projets dinfrastructure et de dveloppement industriel, tout en orientant les pays
vers la culture dexportation sur le march mondial. Les rsultats ont t terrifiants: puise-
ment des sols, destruction de lagriculture de subsistance, afflux de population dans les villes
et endettement croissant beaucoup plus vite que le PIB. Aussi ces pays furent-ils les premiresvictimes de la crise de la dette souveraine dans les annes quatre-vingt.
Lincapacit des PMA desserrer le carcan de la dette par insuffisance chronique de crois-
sance a conduit la Banque mondiale une inflexion de doctrine sur les sources de la crois-
sance. Lattention sest porte sur des conditions sociales de base: lducation des filles pour
matriser les taux de fcondit, les structures lmentaires de la sant (mdicaments, vaccina-
tions, dispensaires mdicaux lgers,), le problme non rsolu de lendiguement du SIDA.
Toutes aussi importantes sont les institutions de gouvernement, alors que les structures ta-
tiques ont fait la preuve de leur incurie. Lapprentissage des communauts villageoises luti-
lisation de leau, lusage prudent des engrais, lexprimentation des organismes
gntiquement modifis par des rseaux dONG locales et internationales peut donner un
contenu au nouveau slogan de la Banque mondiale: lappropriation des politiques finances
par la Banque par les populations des pays bnficiaires.
Les ambiguts de la nouvelle approcheSil a fallu attendre la fin du XXe sicle pour que le prsident actuel de la Banque mondiale,
J. Wolfensohn, insiste sur les mrites de lappropriation, cest--dire sur le contrle par les
bnficiaires des politiques qui leur sont appliques, cest que lidologie no-librale a la viedure. Dans les jours fastes du consensus de Washington, les institutions de Bretton Woods
prtendaient dtenir la vrit sur ce qui convenait aux pays en voie de dveloppement et, en
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particulier, aux PMA. Tout en saluant le nouveau discours, il faut se proccuper de ce quil
contient.
Un premier axe est directement li aux ngociations en cours lOMC. Cest linterminable
dbat sur laccs des produits exportables des PMA aux marchs des pays industrialiss.
Depuis les anciens accords de Lom, lUnion europenne a pris des initiatives pour faire
bnficier les pays africains de conditions plus favorables. La dernire initiative, dite TSA
(tout sauf les armes), date de mars 2001. Elle consiste admettre les marchandises en pro-
venance des PMA sans restriction sur les marchs europens. Mais tous ces accords nont
donn que des rsultats trs modestes, car ils sont bien loin de compenser lessentiel qui ren-voie lOMC. Cest le bas prix des produits agricoles dont loffre est gonfle par les subven-
tions accordes aux producteurs des pays dvelopps par leurs gouvernements. Bas prix veut
dire revenus faibles et impossibilit denclencher une dynamique vertueuse dchanges entre
ville et campagne. Le labyrinthe de ngociations qui vont souvrir la suite de laccord de
Genve en juillet 2004 donne lespoir dun futur progrs modeste sur ce point crucial.
Un second axe est de mettre laccent sur laide au dveloppement des PMA plutt que sur
lendettement et de chercher une nouvelle approche de laide. Cette approche met la Banque
en porte--faux parce quelle cherche prter toujours plus. Une prpondrance donne laide sous forme de dons mettrait directement la Banque en situation dotage des conflits
dintrts des pays donateurs. Les rticences du Congrs amricain sont bien connues.
75Michel Aglietta / conomie internationale 100 (2004), p. 61-83.
Tableau 1 - Quelques donnes sur les PMA
Nombre de PMALes plus grands : Bangladesh, thiopie, R.D. duCongo, Tanzanie
49 sur 130 PVDdont 34 en Afrique ; 17 enclavs ; 15 en zonearide
Part dans la population mondialedes PVD
11 %13 %
Part dans le PIB mondial 0,5 %
Part dans les exportations mondiales 0,4 % (1,6 % il y a 30 ans)
Handicaps structurels Dans la division du travail 70 % des exportations hors nergie sont des pro-
duits agricoles et textiles forte intensit de main-duvre non qualifie
Dans les facteurs de la croissanceVulnrabilit aux pandmies et la malnutritionFaible niveau de capital humainExposition aux chocs externes et climatiques
Aide lensemble des PVD $ 60 mds, soit 0,22 % du PIB des pays donateurs
en 2000 (0,33 % en 1990) contre une intention de0,7 %
Aux PMA : diminue relativement dans la partdcroissante du PIB des pays dvelopps alloueaux PVD
0,05 % du PIB des pays donateurs contre uneintention de 0,15 % affiche en 1981
Source : Daprs Guillaumont, P., Guillaumont-Jeanneney, S., 2002.
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Pourtant les PMA ont besoin de dons, pas de prts. Lide de Gordon Brown que les pays
donateurs pourraient mettre des titres dont le produit serait affect par trait la Banque
mondiale, cherche contourner les dbats budgtaires des pays donateurs. Le saut politiqueserait dadopter un tel trait. Mais, une fois que ce serait fait, il serait possible dimmuniser
les programmes daide des arbitrages budgtaires dans les pays dvelopps.
En admettant que la monte des risques politiques dun effondrement des PMA conduise
finalement les gouvernements occidentaux relever le niveau de leur aide, comment laffec-
tation de cette aide sera-t-elle conforme lapproche dite de lappropriation ?
En 1999 le FMI et la Banque mondiale ont lanc une initiative commune dite HIPC (Highly
Indebted Poor Countries) en direction de quatre-vingt pays dont tous les PMA. Les deux ides
phare sont dune part allger la dette et rformer la conditionnalit, dautre part approprierles programmes daide.
Sur le premier point, trente-huit pays sont ligibles dont trente et un PMA. Les prts des ins-
titutions multilatrales (60 % de la dette totale des PMA), qui jusqualors navaient jamais t
inclus dans des programmes dallgement de dettes, le deviennent. Un objectif de soutenabi-
lit long terme doit tre dfini avec les autorits des pays. Il doit tre soutenu par des
rformes institutionnelles et sociales dans lesprit de la nouvelle approche. Ces rformes doi-
vent tre approuves par le FMI et le Banque mondiale pour que le pays accde lannula-
tion dfinitive de la dette. Avant annulation, des allgements en montant ou service peuvent
tre consentis.
Sur le second point, les gouvernements doivent rdiger en collaboration avec le FMI et la
Banque mondiale un document politique dans lequel ils dfinissent une stratgie globale de
lutte contre la pauvret. Pour introduire une plus grande slectivit dans les capacits poli-
tiques des pays mener bien leurs intentions, ils doivent dmontrer de bonnes perfor-
mances macroconomiques et sociales pendant trois ans. La sant et lducation sont les
points dapplication prioritaires des rformes. La distribution de laide est cense tre dcen-
tralise avec implications des ONG locales et internationales pour atteindre les populations au
plus prs.Ces dispositions paraissent constituer une avance significative. Toutefois on peut avoir des
doutes sur leur efficacit. Dabord les mauvaises habitudes ne sont pas radiques. En guise
dappropriation, ce sont toujours les experts internationaux qui tiennent la plume dans la
rdaction des plans stratgiques de lutte contre la pauvret. Lancienne conditionnalit
demeure en vigueur pour lligibilit aux programmes et au contrle de lexcution des docu-
ments cadre. Ce sont toujours les pays cranciers qui ont le choix des modalits dallgement
de leurs crances, ce qui maintient la tutelle sur les politiques des PMA.
La slectivit de laide elle-mme ne sest pas dgage des ornires de lidologie no-lib-rale. Pour la Banque mondiale, laide nest efficace que pour les pays qui mnent de bonnes
politiques. Quelles sont-elles ? Celles qui sont conformes au consensus de Washington! On
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peut donc craindre que soient poursuivis les errements qui ont men les PMA dchec en
chec. Si lon doit vraiment montrer que lon a tourn la page et que lon sengage dans une
nouvelle approche, il faudrait cibler les aides en fonction des indicateurs reprables et mesu-rables de vulnrabilit conomique aux chocs extrieurs et climatiques, et ltat dgrad
des ressources humaines.
PROBLMES DE GOUVERNANCE :LA FINANCE ET LE POLITIQUE DANS LA MONDIALISATION
Depuis la confrence de Bretton Woods, les influences rciproques de la finance et du poli-
tique ont produit, et sont en train de faire merger, diffrents types dorganisation des rela-
tions internationales. Ceux-ci peuvent se succder ou coexister dans des rseaux de relationsinternationales la fois interdpendantes et conflictuelles. Le TABLEAU 2 schmatise les
modles polaires qui imbriquent la souverainet politique et la finance. Cest une tentative
qui regroupe des configurations historiques et une vue prospective induite par les cons-
quences du dploiement de la globalisation dans le champ politique.
La finance segmente a t prpondrante dans le quart de sicle qui a suivi la confrence
de Bretton Woods. Le contrle des mouvements de capitaux sest impos partout dans les
annes cinquante et na t desserr que trs prudemment dans les pays europens au cours
des annes soixante. Le march de leuro-dollar est dailleurs n des restrictions lusage
international des autres monnaies. Les relations financires internationales taient donc com-
patibles avec des rgulations macroconomiques diriges par les tats nationaux. Lobjectif
77Michel Aglietta / conomie internationale 100 (2004), p. 61-83.
Tableau 2 - Types dtats et structures de la finance
Finance segmente Finance globalise
Souverainetnationalespare
tat protectionniste croissance auto-cen-treBarrires leves aux capitaux trangersSubstitution dimportationsAide bilatrale lie
tat no-libralFinance libraliseConcurrence des systmes sociaux sous ladomination de la financeInstabilit financire endmique et crisesde liquidit
Souverainetnationale cooprationstransnatio-
nales
tat keynsienContrle des capitaux limitOrdre de Bretton Woods : assurancemutuelle contre les crises de balance despaiements
tat cosmopolitiqueRgimes de change considrs commedintrt commun dans des espaces rgio-nauxCoopration dans la fourniture des bienspublics globaux :
Liquidit dans club de banques centrales Insolvabilit traite par droit internatio-nal des faillites
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interne de plein emploi y tait prpondrant sous contrainte de la balance courante. Celle-ci
pouvait tre desserre par des dvaluations judicieuses dont lopportunit tait soumise
lexamen pralable et lautorisation du FMI.
Cependant cette capacit de rgulation macroconomique ntait efficace que si elle sinscri-
vait dans un rgime de croissance o se construisaient des avantages comparatifs dyna-
miques par lexpansion de lindustrie manufacturire. Parmi les pays niveaux de vie trs bas
aprs la Seconde Guerre mondiale, le Japon adopta cette stratgie, avec une aide amricaine
massive, ds les annes cinquante. Dans le Tiers monde, ce cercle vertueux de la croissance
et de lamlioration de la spcialisation ne fut lapanage que des tigres asiatiques qui suivi-
rent lexemple du Japon dans les annes soixante. Ils parvinrent soutenir des taux dinves-
tissement trs levs, tout en dveloppant rapidement leurs exportations. Dans les paysafricains issus de la dcolonisation et en Amrique latine, la croissance a rencontr de
grandes difficults. Combines aux politiques tournes vers le march intrieur pour confor-
ter une identit nationale fragile, ces difficults ont provoqu en Amrique latine la transfor-
mation frquente de rgimes politiques populistes en dictatures militaires. En Asie, sous
limpulsion de rgimes autoritaires, une symbiose de ltat et dlites capitalistes a dirig une
croissance forte qui a combin lindustrialisation forcene labri dune haute protection et
la pntration du march mondial au fur et mesure de la remonte des filires de produc-
tion. Cest pourquoi, avec des succs en Asie et des checs ailleurs, on peut parler dtats
protectionnistes tablis dans le Tiers monde, labri de barrires leves contre les fuites decapitaux.
la mme poque, lvolution de lOccident a suivi un cours trs diffrent. Le groupe des
pays de lEurope occidentale a constitu le fameux club de convergence, cest--dire une
croissance des niveaux de vie rattrapant progressivement le niveau amricain. La lgitimation
dmocratique du capitalisme sest impose par la promotion du progrs social grce lav-
nement puis lessor de la socit salariale. La rgulation politique de lconomie a pris la
forme de ltat keynsien quelle quait t la couleur politique des partis au pouvoir. Sans
mettre en pril la direction de lconomie, cet tat a assimil des finalits transnationales
sous la forme despaces de coopration: ouverture commerciale progressive, systme de
change visant la cohrence des politiques macroconomiques, assistance financire mutuelle
via le FMI. Cest pourquoi on a pu parler dun ordre de Bretton Woods dans lequel la rgula-
tion des balances de paiements tait au service des objectifs partags du plein emploi et de la
croissance des niveaux de vie. Dans ce systme de Bretton Woods, la politique a domin la
finance comme lavaient voulu ses fondateurs. Certes, cet ordre mondial tait malade de
lasymtrie structurelle dcoulant de lhgmonie politique et militaire des tats-Unis lre
de la guerre froide. Parce que les tats-Unis ne subissaient aucune contrainte externe et
parce quils avaient fait le choix politique de laisser intangible la convertibilit du dollar en or,
loffre de liquidits internationales en dollars ntaient pas rgule conformment aux
besoins de la demande de dollars par les non rsidents, mais conformment aux choix poli-
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tiques unilatraux des tats-Unis. La valeur du dollar est donc devenue lpicentre de la crise
du systme de Bretton Woods.
La question qui reste pose est celle du retour en force du libralisme conomique sous la
forme du no-libralisme lors de la grande crise inflationniste des annes soixante-dix. On
sait que la monte en force de la finance globale, aiguisant les rivalits montaires qui ont
dtruit le systme de Bretton Woods et comblant les besoins de financement internationaux
dus aux chocs ptroliers, a jou un rle dcisif. Mais pourquoi ltat keynsien ne sest-il pas
transform directement en tat cosmopolitique? Lchec de la rforme du systme montaire
international, engage par le Comit des Vingt entre 1972 et 1974, a probablement t une
bifurcation historique. Tant il est vrai que la prise en charge de la liquidit internationale par
la cration et le contrle dun actif de rserve commun lensemble des nations est le pivotdun ordre montaire transnational lpoque de la globalisation financire.
Reprenant le flambeau de linspiration de Keynes, cette rforme visait faire du DTS cette
forme ultime de liquidit. Corrlativement elle cherchait rendre les pays solidaires en dter-
minant des responsabilits symtriques dajustement des balances de paiements. Insre
dans une rgulation montaire reposant sur un actif ultime de rserves cr et contrl par la
communaut des nations, la finance globale serait demeure sous la domination lgitime des
finalits politiques. La ngociation de cette rforme a t mine par la rivalit entre les tats-
Unis, qui cherchaient prserver les privilges du dollar, et lEurope domine par le mark
allemand, qui se posait en champion de la croisade anti-inflationniste. Son chec a sonn leglas de la matrise politique de la mondialisation pour une dure indfinie. Nanmoins le
no-libralisme nest pas la seule forme dtat viable en finance globalise. Contrairement
la colonne de gauche du TABLEAU 2 qui rsume une trajectoire historique, la colonne de droite
se place dans un registre la fois prospectif et normatif. Postulant que la globalisation finan-
cire est une dimension irrversible dune socit mondiale en formation, les rflexions ci-
dessous sont un jalon pour la recherche contemporaine sur les formes du politique dans ce
monde-ci.
La politique lre de la mondialisation :tat no-libral et tat cosmopolitique
Le no-libralisme inverse la hirarchie entre le march et le politique. Au lieu de mettre la
finance au service des buts collectifs, cette conception conomiciste prtend soumettre les
choix collectifs dmocratiquement labors lopinion des marchs financiers globaux. Cette
inversion des valeurs est justifie au nom dun universalisme. Lextension mondiale des mar-
chs dpasse toutes les particularits des groupes humains pour ne connatre que lindividu
rationnel prtendument universel. Comme le march est capable de coordonner les prf-
rences individuelles, il peut faire accder lhumanit un optimum de bien-tre. tant le
domaine des changes dans le temps, la finance est le guide des processus dallocation et de
rallocation des ressources qui amliorent ltat de bien-tre de tous les individus.
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Cette idologie rationalise le rtrcissement et labaissement de ltat au niveau des agents
conomiques. tant un agent comme un autre, ltat national doit soumettre ses dcisions
concernant ses dpenses et ses recettes au jugement de compatibilit du march mondial. Lagouvernance mondiale consiste donc avant tout faire de bonnes politiques nationales.
Cependant il existe des dfaillances de march, des asymtries dinformation, des biens col-
lectifs. Ces anomalies entranent des externalits qui affectent certains marchs plutt que
dautres. Lorsque ces marchs sont mondiaux, une action collective internationale est
requise. Mais chaque externalit est spcifique. Elle doit donc tre prise en charge par une
institution internationale spcialise qui serait charge de traiter une dfaillance de march
prcisment identifie. Comme les questions de gouvernance mondiale sont complexes et
chappent au domaine de la souverainet nationale, il nest pas opportun dexercer un
contrle dmocratique de ces institutions. Elles doivent tre indpendantes.
La conception cosmopolitique de la mondialisation dnonce linversion de la hirarchie de
valeurs entre march et politique opre par le no-libralisme. Elle affirme que le collectif
prcde logiquement lindividuel. Les individus nont de capacit dexister que dans leur
appartenance un milieu social fait de rgles et dinstitutions. Celles-ci sont des construc-
tions historiques produites par la transformation politique des rivalits sociales et lgitimes
par le principe de souverainet qui fonde lappartenance dun groupe humain. Loin dtre
des anomalies de march, les biens collectifs et surtout le premier dentre eux, la monnaie,
sont les liens sociaux qui rendent les biens ordinaires changeables, qui leur permettent dedevenir marchands.
Il rsulte de leur mode de formation que les systmes de rgles et dinstitutions qui font la
cohrence des groupes humains sont divers. Mieux mme, la diversit fait partie de ce qui
lgitime lappartenance un systme de normes dans son altrit aux autres. Au dbut du
XXIe sicle cette appartenance est toujours nationale. Elle est le support de la diversit des
formes de capitalisme.
Adopter une conception cosmopolitique de la mondialisation, cest reconnatre laltrit des
autres systmes politiques. Cest nier quil existe une one best way, un principe homog-
nisant que la finance globale imposerait aux choix dmocratiques. Mais cest aussi recon-
natre que la mondialisation provoque une tension entre ltat et la nation. Cela veut dire
que les tats ne peuvent accomplir leurs buts collectifs de cohsion sociale au sein des
nations que sils cherchent atteindre des objectifs transnationaux qui les mettent en coop-
ration avec les autres. Cest ce prix que les tats peuvent lutter victorieusement contre leur
rtrcissement et rtablir une rgulation de la finance globale. Selon les analyses ci-dessus
des checs de la nouvelle architecture financire internationale, le contrle de la finance glo-
bale requiert une mutation du principe dassurance mutuelle vers celui de souverainet parta-ge dans deux domaines o sexprime lintrt collectif: la monnaie sous la forme du prteur
en dernier ressort international, la loi sous la forme du droit des faillites international.
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La promesse de la mondialisation au XXIe sicle:
un rgime de croissance non excluant qui requiertla coopration des tats
Cet article a tudi les problmes sur lesquels le projet de nouvelle architecture financire
internationale, inspir de lidologie no-librale, a achopp. Les analyses de ces problmes
et les solutions alternatives peuvent tre reconsidres dans la perspective de la gouvernance
mondiale.
Lconomie mondiale repose actuellement sur les traits suivants. Le pays dont le niveau de vie
en termes montaires est le plus lev est celui qui pargne le moins. Il prtend tirer lcono-
mie mondiale aux prix dnormes dficits. Le gouvernement de ce pays est la poursuite
dune hgmonie globale contre une menace terroriste globale, par laquelle il justifie que lereste du monde finance son manque dpargne un cot ridiculement bas quil impose lui-
mme. Ce gouvernement prne le no-libralisme, tout en recourant un interventionnisme
macroconomique dune amplitude sans prcdent hors guerres mondiales.
Cet interventionnisme a conduit une explosion de la liquidit internationale en dollar, sans
rapport avec les besoins de la croissance mondiale. Labsorption force de cette liquidit dans
les banques centrales asiatiques a nourri une vague de surinvestissement en Chine, de ten-
sions sur les matires premires et sur le ptrole, de gonflement dune bulle immobilire. Le
conflit dintrts montaires qui avait oppos les tats-Unis lEurope lors de laventure mili-
taire au Vietnam, se renouvelle une chelle bien plus grande entre les tats-Unis et lAsieen contrecoup de limposition dun imperium militaire au Moyen-Orient. Dans les deux cas, la
demande insatiable et simultane du beurre et des canons dstabilise le systme montaire
international. Cest ainsi que, comme en 1971 mais en dehors de toute rgle de convertibilit
normative, le dollar redevient lpicentre des dsquilibres financiers qui saccumulent dans
lconomie mondiale. Les marchs financiers globaliss nexercent aucune rgulation de ces
dsquilibres pouvant conduire un ajustement ordonn.
Sans rgulation globale de la liquidit, sans conception compatible des rgimes de change,
cette conomie mondiale est soumise des crises financires rcurrentes dont les pays les
plus faibles payent les cots les plus levs. Ainsi depuis un quart de sicle le niveau de vie
par tte de lAmrique latine a systmatiquement recul en standard de pouvoir dachat rela-
tivement celui des pays avancs. Le niveau de vie par tte dans de nombreux pays dAfrique
a baiss absolument.
Ces performances accablantes pour la gouvernance mondiale ne sont pas en cohrence avec
les tendances long terme des facteurs de la croissance. Il y a de srieuses raisons de penser
que la croissance mondiale devrait prsenter un visage trs diffrent des vingt dernires
annes. Alors que la force de travail va ralentir puis diminuer absolument dans les pays dve-
lopps, la ressource humaine va nourrir un potentiel de croissance lev dans le reste dumonde. En outre, le dveloppement des rseaux mondiaux de la technologie numrique
entrane des cots dcroissants de transfert et daccs aux marchs mondiaux.
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Une croissance de rattrapage dans les pays en dveloppement, mobilisant leurs ressources
humaines, des rythmes certes diffrencis en fonction de leurs institutions sociales mais
sans exclusion, est possible dans le cadre de la conception cosmopolitique de la gouvernancetransnationale. Cette croissance devrait tre, en effet, soutenue par des transferts dpargne
des pays riches vers les pays qui doivent fournir un effort prolong dinvestissement pour
augmenter leur consommation interne en anticipation de la progression future de leurs
revenus.
La structure de base de cette gouvernance est la formation despaces conomiques rgio-
naux, dans lesquels les pays puissent nouer des cooprations politiques transnationales. Les
objectifs de ces cooprations sont avant tout les rgimes de change dans le but de matriser
lendettement extrieur. Ce sont aussi des mcanismes dassurance mutuelle grce despools de rserves mises en commun contre les fluctuations erratiques des marchs internatio-
naux.
Dans un monde despaces montaires rgionaux diffrencis qui crent un polycentrisme
montaire, les biens publics globaux seraient perus dans un jeu de pouvoirs politiques renou-
vels. On a montr plus haut que la liquidit des marchs financiers internationaux deviendrait
un bien gr par un club de banques centrales. Comme, par ailleurs, le rgime de croissance
mondiale voqu ci-dessus entranerait des transferts dpargne long terme considrables,
linstitution dun droit international des faillites pourrait devenir dintrt commun.
M. A.
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